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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 28 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence; et à huis clos, pour examiner, en vue d’en faire rapport, le cadre de la politique monétaire du Canada.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je tiens tout d’abord à remercier les personnes présentes dans la salle, et celles qui se rejoignent à nous en mode virtuel. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis la présidente du comité.

Permettez-moi de présenter les autres membres du comité ici présents aujourd’hui : le sénateur Loffreda, qui est également notre vice-président; le sénateur Gignac; le sénateur Massicotte; le sénateur Varone; et la sénatrice Martin. Je vous souhaite à tous la bienvenue.

Le comité entreprend actuellement une étude concernant le mandat et l’avenir de la Banque du Canada, ainsi que le cadre de la politique monétaire du Canada.

Nous recevons aujourd’hui M. Paul Beaudry, professeur, École d’économie de Vancouver, Université de la Colombie-Britannique. Notre invité est également boursier à la Banque du Canada, après avoir servi en tant que sous-gouverneur de la Banque du Canada de février 2019 à juillet 2023. Monsieur Beaudry, nous sommes tous ravis de vous accueillir à nouveau. Nous allons commencer par entendre votre déclaration d’ouverture. Allez-y, je vous prie.

Paul Beaudry, professeur, École d’économie de Vancouver, Université de la Colombie-Britannique : Bonjour à tous, et merci pour l’invitation. Je vais tâcher d’être bref en ce qui concerne mes remarques préliminaires, car je pense qu’il est préférable d’entrer dans le vif du sujet.

Si je considère l’aspect du cadre de la Banque du Canada, les trois questions que nous devrions poser sont les suivantes: d’abord, si l’on considère les dernières années, le cadre de la politique monétaire du Canada s’est-il avéré efficace? Je ne crois pas me tromper en disant que nous sortons d’une période particulièrement difficile. Le fameux cadre a été mis à l’épreuve, et c’est donc un bon moment pour en juger.

Ensuite, compte tenu de ce que nous avons pu observer ces dernières années, devrions-nous envisager de modifier certains aspects du cadre? Doit-on procéder prudemment par une réforme, ou apporter des changements drastiques?

Le dernier point, qui me semble très important, outre la réflexion sur l’aspect standard de la politique, en particulier, la manière et les objectifs de la politique des taux d’intérêt, est de garder à l’esprit la réflexion sur la boîte à outils étendue de la Banque du Canada, en particulier les aspects de l’orientation prospective, de l’apport de liquidités et de l’assouplissement quantitatif, et la manière dont cela s’inscrit dans le cadre général.

Je m’en tiendrai là, et je serai ravi de répondre à vos questions, en français ou en anglais.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons entendu dans les témoignages de nombreuses suggestions concernant certains changements. Il ne s’agit pas de mesures radicales, mais nous envisageons de doter la Banque du Canada d’un double mandat, et de viser une plus grande transparence. Monsieur Beaudry, nous reviendrons sur toutes ces questions avec vous.

Nous allons maintenant céder la parole à M. Loffreda pour entamer la période de questions.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Beaudry, je tiens d’abord à vous remercier de votre présence parmi nous aujourd’hui. J’ai une première question qui me semble particulièrement importante. Vous venez d’évoquer certains enjeux, et je vous invite à développer votre pensée.

Dans quelle mesure le régime de cibles d’inflation de la Banque du Canada a-t-il permis d’atteindre les objectifs fixés au cours des trois dernières décennies? Y a-t-il des leçons importantes à tirer pour améliorer les pratiques de la Banque du Canada à cet égard?

M. Beaudry : Si l’on considère les trois dernières décennies, je pense qu’il y a un clivage très net. Avant la pandémie, nous avons traversé près de 30 ans au cours desquels le cadre n’a pas été testé de manière très rigoureuse, mais il a été couronné de succès. L’inflation est restée très proche de 2 %. Si l’on considère l’ensemble de cette période, elle s’est établie en moyenne à près de 2 %. Il est donc difficile de conclure que le mandat général de la Banque du Canada n’a pas été respecté pendant cette période.

Nous avons ensuite abordé les différentes parties de la pandémie, y compris le début et la façon dont cela s’est déroulé. La situation est restée assez stable, puis en 2021, elle a commencé à empirer. En 2022, le taux d’inflation a atteint son point culminant, avant de finir par redescendre et de se rapprocher des objectifs fixés par la Banque du Canada.

Après avoir été énormément affecté par la gestion de la pandémie, le taux d’inflation a commencé à redescendre. Nous sommes revenus à un taux avoisinant les 2 %.

En ce qui concerne l’aspect de son mandat qui consiste à faire baisser les prix, je pense qu’il a été généralement couronné de succès. Nous pourrions débattre de la question de savoir si elle aurait pu faire mieux en s’attaquant plus rapidement au problème ou en utilisant des outils différents au cours de la période la plus récente, mais je pense que le cadre s’est avéré efficace de manière générale.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie. Nous sommes tous conscients des préoccupations actuelles concernant la faiblesse du dollar canadien. Nous savons également que le principal objectif de la Banque du Canada est d’établir une politique monétaire pour mieux contrôler l’inflation.

Monsieur Beaudry, en ce qui concerne le mandat, êtes-vous préoccupé par la faiblesse du dollar canadien à l’heure actuelle? Nous pouvons citer de nombreuses données et rappeler que le Canada est un pays commerçant. De fait, plus de 80 % du PIB canadien est attribuable aux importations, ce qui signifie qu’environ 20 % de notre PIB dépend des exportation, les trois quarts étant destinés aux États-Unis.

M. Beaudry : Comme je l’ai dit, la valeur du dollar n’est qu’un aspect de l’ensemble des mesures visant à assurer la stabilité de l’inflation au Canada. L’analyse du portrait de l’économie canadienne pour l’ensemble de cette période indique des hauts et des bas, mais le taux d’inflation est demeuré stable de manière générale.

Dans le contexte actuel, les deux principaux points d’intérêts sont la résilience de l’économie américaine, et la force du dollar américain. Par rapport à d’autres devises, le dollar canadien s’en tire un peu mieux à différents égards. À mon avis, nous devons éviter de nous coller aux bouleversements spectaculaires de l’actualité, et considérer plutôt la situation dans son ensemble. Il serait très délicat de commencer à cibler le dollar canadien, mais il s’agit assurément d’un sujet qui mérite d’être débattu en profondeur.

Avant cette période plus récente, les recherches que j’ai menées m’ont amené à penser que nous aurions avantage à jouer un peu plus sur la stabilité du dollar canadien. Néanmoins, compte tenu de l’expérience plus récente et du fait que vous voulez avoir un mandat clair pour juguler l’inflation, je pense qu’il serait probablement dangereux d’intégrer le dollar canadien dans le mandat.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue, professeur Beaudry. C’est un plaisir de vous revoir. Étant donné votre bagage et vos antécédents au sein de la Banque Canada, vous êtes pour nous un témoin unique et privilégié, et je vous remercie de votre disponibilité.

Certains volets ont été abordés dans notre étude spéciale, qui débordent quelque peu des trois points que nous soulevons, mais sur lesquels j’aimerais connaître votre position.

On parle de gouvernance, de transparence, de reddition de comptes et d’avoir des opinions diversifiées autour de la table. Certains ont mentionné que le processus pour le choix des sous-gouverneurs était assez différent.

Par exemple, en Angleterre, les parlementaires sont impliqués pour avoir plus d’observateurs externes sujets à nomination. Aux États-Unis, c’est le président qui nomme les gouverneurs de la Réserve fédérale, et la nomination doit être ratifiée par le Sénat. Croyez-vous qu’il y aurait un avantage à ce que notre processus de nomination des sous-gouverneurs soit plus ouvert qu’il ne l’est actuellement?

M. Beaudry : C’est vraiment une très bonne question, sénateur Gignac. Je crois que cela pourrait certainement être un processus plus ouvert. L’idée, c’est d’avoir un groupe qui a la confiance d’un plus grand nombre et d’amener plus de gens à participer à la décision.

Évidemment, il faut un processus bien établi pour faire un choix éclairé, mais je ne vois pas vraiment de difficulté à étendre cela. Actuellement, le choix se fait de la même façon, mais le fait d’avoir des sous-gouverneurs internes et d’autres qui viennent de l’externe favorise déjà une certaine diversification.

Je suis très ouvert à cette idée, mais souvent, les gens de l’extérieur ont l’impression qu’à l’intérieur du conseil il y a un ensemble d’idées très étroites. À mon avis, le résumé de l’énoncé a aidé à changer cette impression. Dans la discussion du conseil, beaucoup d’idées sont échangées et après le fait, il y a cette idée que tout le monde en ressort avec une même voix. Cela donne l’impression que tous avaient les mêmes idées avant, alors qu’en fait, beaucoup d’idées ont été discutées au sein du conseil.

Le sénateur Gignac : Je ne doute pas du fait qu’il doit y avoir des rencontres où l’on discute fort. Par ailleurs, certains témoins ont suggéré que les votes se fassent avec identification, comme aux États-Unis. D’autres pensent que cela créerait un malaise, qu’il y aurait un inconfort à ce que cette information soit publiée, à moins de modifier le processus de nomination.

Pensez-vous que ce serait réaliste de le faire dans le système actuel?

M. Beaudry : Il y a deux choses différentes. D’un côté, il y a la façon de nommer les membres du conseil et la force qu’on leur donne; d’un autre côté — qui est un peu une question différente —, on parle de changer la structure de consensus et de vote établis. Ce sont deux questions différentes qui peuvent être amenées dans les deux cas.

Du côté des votes, c’est beaucoup plus délicat. J’ai parlé avec plusieurs collègues aux États-Unis pour examiner les différents aspects. Il y a une dimension de consensus où il y a vraiment une ouverture autour de la table, et tout le monde partage ses idées pour essayer d’en arriver à une vision d’ensemble au final.

L’idée d’avoir des votes avec des points établis change cette approche, et cela a des avantages et des désavantages. Je pense que cela peut bien se discuter, mais ce n’est pas nécessairement une amélioration. Ce que j’entends dire beaucoup plus souvent à d’autres endroits, c’est que beaucoup de discussions se font à d’autres moments, avant les réunions plutôt que durant la réunion. Quand il y a des votes formels, les gens prennent une position et ne veulent pas la changer, donc c’est compliqué.

Donc, on change un peu l’ordre de la discussion. Ce n’est pas clair que cela aide beaucoup, mais il faut faire la différence entre les deux questions. Premièrement, il y a la question de la nomination et deuxièmement, celles de la structure et de la façon dont on veut prendre des décisions dans le conseil.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Vous avez été en mesure de bien décrire les différents enjeux et forces en présence qui préoccupent le comité en ce moment.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci d’être avec nous, monsieur Beaudry; c’est très apprécié.

On va revenir à la même discussion. Je regarde les résultats en me fiant à mes connaissances et on peut voir quel est l’historique. Il faut admettre que la gestion de la politique monétaire est assez bien contrôlée et que les résultats sont assez favorables.

Oui, on peut s’améliorer et faire de l’argumentation. Du point de vue de l’argumentation sur les postes, la partie où je pourrais voir une meilleure orientation, c’est la formalité. En d’autres mots, comme on le sait, les membres du conseil d’administration sont, effectivement, souvent nommés par le ministre des Finances. Il a un rôle conjoint avec le bureau du premier ministre, mais c’est très clair. Même la loi est claire et indique que l’autorité du conseil d’administration a tout à voir avec l’administration de la boîte comme telle. Le conseil ne joue pas un rôle direct du point de vue de la politique monétaire. On devrait peut-être étudier la question.

Quand on décide de la politique monétaire, il y a beaucoup d’implication de la part du ministre des Finances. Pour ce qui est du conseil, je pense que c’est le gouverneur qui s’implique et qui nomme les personnes. Je n’ai pas vu le ministre des Finances s’impliquer dans cette discussion. Ce comité est vraiment très important et son autorité est beaucoup plus grande depuis 20 ans, selon mon expérience.

Y a-t-il quelque chose que l’on peut faire? Est-ce qu’on devrait être plus formel, rendre le processus plus moderne ou donner plus de pouvoirs? Les gens devraient-ils être nommés au moyen d’un processus moins partisan ou moins personnel?

M. Beaudry : Encore là, cette question revient un peu à ceci : peut-on repenser la façon de nommer les membres du conseil? Je pense qu’être un peu plus transparent serait une bonne chose; ce serait important d’avoir cette dimension, pour faire en sorte qu’on représente les différentes idées à travers le Canada et pour que le processus soit non partisan.

Mon impression à travers les années... J’ai siégé au conseil plus récemment, mais j’ai eu des interactions avec ses membres à différents moments par le passé. Je dois admettre que le côté partisan n’est pas très fort de ce côté; selon mon expérience, il n’est pas énorme. Il y a quand même beaucoup de respect. Il faudra faire attention à l’avenir de ne pas avoir de gouvernements qui exploitent la situation.

Par le passé, que ce soit un gouvernement ou un autre, cela n’a pas vraiment été une emprise partisane, mais avec la polarisation qu’on voit un peu partout dans le monde, il faut quand même avoir des institutions plus robustes quand on regarde vers l’avenir. Il faut trouver quelque chose qui nous évitera d’avoir ce problème; je crois que ce serait important. Je pense donc que cela a beaucoup de sens de trouver des façons différentes et plus étendues de nommer les membres du conseil.

[Traduction]

Le sénateur Varone : Monsieur Beaudry, je tiens d’abord à vous remercier pour votre présence. Nous avons entendu de nombreux témoignages concernant les mandats uniques, les doubles mandats et le fait que les banques centrales disposent de certains outils dans leur boîte à outils. Des exemples de réussite ont été donnés, notamment en Australie et aux États-Unis.

Existe-t-il des exemples où un trop grand nombre d’outils dans la boîte à outils des banques centrales a eu des effets néfastes sur les économies des pays en ce sens qu’elles disposaient d’un trop grand nombre d’outils à utiliser et que, par conséquent, elles sont sorties des garde-fous, pour ainsi dire? Existe-t-il des exemples dans le monde où les banques centrales ont été confrontées à ce type de problème?

M. Beaudry : Comme vous l’avez évoqué, le mieux serait de diviser la problématique en deux volets.

L’un d’entre eux concerne les mandats par rapport aux outils. La question est de savoir si nous avons un double mandat ou un mandat unique, c’est un aspect. Il ne s’agit pas d’un outil, mais d’une orientation.

J’ai l’impression, en particulier au cours de cette période et de ce que nous avons vu, et je pense que la communication a été la même pour un organisme comme la Banque du Canada, qu’avant cela, j’étais peut-être plus ouvert à l’idée d’un double mandat et à ses différentes forces et faiblesses, mais c’était après 30 ans, lorsque nous n’avions pas eu de grands chocs d’offre de l’ordre de grandeur de ceux que nous avons vécus récemment. Avec cela, vous jouez et il y a de la flexibilité.

En cas de ruptures d’approvisionnement, l’idée d’un mandat unique devient un outil de communication beaucoup plus facile à utiliser. C’est ce que nous observons actuellement dans deux autres pays. Par exemple, en Australie, nous constatons qu’il est plus difficile de faire baisser l’inflation. Aux États-Unis, on discute actuellement de la façon dont le double mandat joue sur le fil d’arrivée. Je pense que cela rend la communication plus difficile dans ces pays, et dans les pays qui ont un mandat unique, nous en observons les avantages. Comme je l’ai dit, il s’agit d’avantages marginaux. Les autres pays qui ont des mandats plus larges disent généralement que leur mandat principal est toujours l’inflation.

Ensuite, il y a les outils. Je vais maintenant en parler, et il est très important de penser aux outils, y compris au mien, au sujet duquel je pense qu’il y aura beaucoup plus de questions. Mais il n’est pas tant utile de comparer un pays à un autre; nous avons vu beaucoup de pays. Nous devons étudier l’assouplissement quantitatif et comprendre comment on utilise cet outil. Son utilisation a des conséquences réelles. Une grande partie des pertes revient au gouvernement. Cet aspect a donc des répercussions. Il y a des problèmes liés à la communication, car les gens ont de la difficulté à comprendre comment cela fonctionne. Je pense que l’on devrait remettre en question cet aspect de l’utilisation de l’assouplissement quantitatif. Je ne suis pas sûr qu’une petite économie ouverte comme celle du Canada ait tant à y gagner. C’est un aspect pour lequel le fait de disposer de cet outil, et peut-être de toute cette flexibilité, présente autant d’inconvénients que d’avantages. C’est l’un des aspects qui devrait être remis en question, dans la réflexion sur la trousse d’outils élargie.

Encore une fois, l’une des choses qui sont difficiles à comprendre est que beaucoup de banques centrales ont pris des mesures semblables dans des situations semblables. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure l’une d’entre elles a eu une incidence différente, car beaucoup de banques centrales prennent des mesures très semblables.

Je pense donc que nous devrions poser des questions sur certains outils et, en particulier, sur l’assouplissement quantitatif et sur la manière dont nous pourrions mieux l’encadrer, et clarifier le rôle de son interaction avec le ministère des Finances, car celle-ci a des répercussions directes sur la position budgétaire du gouvernement.

Le sénateur Varone : Je ne suis pas sûr de bien tout saisir, mais je pense que je commence à comprendre.

La présidente : Il serait utile d’éclaircir ce point, car je suis vraiment surprise d’entendre ce commentaire. Ce que vous avez dit sur l’assouplissement quantitatif est très intéressant, tout comme le fait qu’il serait bon de collaborer davantage avec le ministère des Finances. Évidemment, il y a des conséquences. Que suggérez-vous de faire au sujet de cette relation?

M. Beaudry : Il convient selon moi de souligner que l’assouplissement quantitatif est un outil très différent des taux d’intérêt. Nous avons l’outil que sont les taux d’intérêt, et nous pouvons l’utiliser seul.

L’assouplissement quantitatif est un aspect distinct, et nous avons déjà une interaction dans la manière dont il fonctionne. Dans ce cas, vous décidez de recourir à l’assouplissement quantitatif, mais vous demandez ensuite au ministre des Finances s’il compte accorder l’indemnité à la banque et quel type d’indemnité il compte accorder. Il s’agit donc déjà d’un processus très différent de la politique des taux d’intérêt. La politique des taux d’intérêt est l’aspect clé. On doit garantir cette indépendance.

À l’heure actuelle, nous avons déjà un mélange dans le cadre de l’assouplissement quantitatif. Je pense simplement que la gouvernance doit être beaucoup plus claire.

Ce que le public ne comprend pas toujours, et c’est peut-être là un reflet de la situation, est qu’en réalité, l’assouplissement quantitatif consiste principalement à modifier la structure des échéances de la dette publique. Certaines personnes pensent que l’on imprime de l’argent et autre. Cette idée est obsolète; les choses ne se passent pas de cette manière aujourd’hui. Si l’on imprimait de l’argent, on créerait un passif qui ne génère pas d’intérêts. La différence est que l’assouplissement quantitatif, tel que l’utilisent la plupart des pays, crée des passifs qui génèrent les mêmes intérêts que les bons du Trésor. Cette solution consiste donc à acheter des obligations d’État à long terme et à émettre quelque chose de légèrement différent, mais qui est semblable à l’émission de bons du Trésor. On modifie ainsi la structure des échéances de la dette publique. Nous estimons généralement que cette tâche relève de la responsabilité du ministère des Finances : l’établissement de la structure des échéances de sa dette.

Lorsque la Banque du Canada prend des mesures et que le gouvernement cherche à modifier la structure de sa dette... par exemple, au début de la pandémie, le gouvernement empruntait beaucoup d’argent à très long terme et disait aux gens : « Il n’y a aucun problème, nous faisons des emprunts à très long terme, sur de longues durées. » La Banque du Canada achetait ces obligations et en faisait des emprunts à court terme. La position nette du gouvernement était donc en fait établie à court terme, et non à long terme. Ce processus est donc très différent de la politique des taux d’intérêt. Il faut donc comprendre qu’il y a là une interaction. Il est donc très important de comprendre ce processus et d’améliorer la gouvernance de l’assouplissement quantitatif. Je vais m’arrêter là.

La présidente : C’est très, très utile. C’est parfait.

Le sénateur Yussuff : Merci, madame la présidente, et merci, monsieur, d’être à nouveau présent. Je vais poursuivre sur la question de l’assouplissement quantitatif. Nous avons vu deux exemples dans lesquels l’assouplissement quantitatif a joué un rôle très important dans la gestion des crises auxquelles nous étions confrontés. Il s’agit de la crise de 2008 et la pandémie. Dans ces deux cas, je pense que beaucoup de gens diraient que ces mesures ont été une grande réussite. Évidemment, dans le cadre des crises auxquelles nous étions confrontés, l’assouplissement quantitatif a assuré une certaine stabilité du marché, mais il a également assuré une certaine stabilité dans la façon dont nous rassurions les Canadiens sur le fait que nous n’allions pas laisser l’économie s’effondrer.

Pensez-vous qu’il serait utile de décortiquer ces exemples pour que les Canadiens puissent mieux comprendre comment nous avons utilisé l’assouplissement quantitatif et à quel point il a été efficace pour faire face aux crises qui se présentaient à nous? Le gouvernement et la banque ont utilisé cet outil de manière très efficace pour faire face à ces difficultés.

M. Beaudry : Encore une fois, je pense qu’il faut faire la distinction entre deux choses : Il y a l’apport de liquidités et l’assouplissement quantitatif. Et vous pouvez toujours regrouper ces deux aspects sous l’assouplissement quantitatif, mais je pense vraiment que pour les fins de la discussion, ce qui est très important, c’est que la banque centrale doit contribuer à l’apport de liquidités. Et vous dites que dans le cas des crises, c’est la façon dont fonctionnent les différentes parties du marché. Même à la Banque du Canada, au début de la crise, en particulier pendant la course aux liquidités, on disait qu’il ne s’agissait pas d’assouplissement quantitatif, mais d’opérations liées au fonctionnement du marché. Les opérations liées au fonctionnement du marché peuvent être menées de différentes manières et se défaire assez rapidement. Souvent, il ne s’agit pas vraiment d’émettre des obligations à long terme, mais simplement de retirer différentes choses et d’injecter des liquidités dans le système pendant une courte période. C’est très important.

Ce point nous ramène à la question de la gouvernance. Je pense que la Banque du Canada doit jouir d’une grande indépendance. Cette approche a très bien fonctionné, c’est une excellente chose. C’est le fonctionnement du marché. C’est l’apport de liquidités.

En ce qui concerne l’assouplissement quantitatif en tant que politique visant à modifier la structure de la dette de manière à influer sur les taux d’intérêt à long terme, il est beaucoup moins sur que cette méthode soit très efficace dans une petite économie. En outre, l’interaction avec le gouvernement est très différente. Je pense donc que nous devons faire une distinction entre ces deux éléments. L’apport de liquidités est très différent de l’assouplissement quantitatif. Lorsque j’ai soulevé des questions sur l’assouplissement quantitatif, je pensais donc à cet aspect, qui est différent de celle d’une crise de liquidité. L’une des principales fonctions d’une banque centrale est effectivement de fournir des liquidités contre de bonnes garanties en cas de crise, et cette fonction doit être maintenue. Encore une fois, la gouvernance relative à ces aspects est très importante, et je serais heureux d’en discuter davantage.

Le sénateur Yussuff : Dans le même ordre d’idées, puisque nous parlons de mandats, le cadre de politique monétaire renouvelé de 2021 comprenait des dispositions visant à optimiser l’emploi durable. Selon vous, était-il utile d’ajouter ce libellé au moment du dernier renouvellement? Quelles répercussions a-t-il eues sur l’emploi dans le pays entre 2021 et 2022? Pensez-vous que la banque était consciente de cette reconnaissance de son mandat et de la manière dont elle gérait la crise dont nous sortons actuellement?

M. Beaudry : Je pense que la façon dont nous réfléchissions à l’époque ne s’appliquait pas à ce type de période. Voici ce que nous pensions : Supposons que l’on sorte d’une longue récession — et c’est peut-être le point de vue qui prévalait au début de la pandémie —, nous pensions que l’on sortirait d’une longue récession. L’inflation était depuis longtemps inférieure aux objectifs. Nous allions sortir d’une récession. L’inflation remonterait et ne serait donc plus inférieure aux cibles. La question était alors la suivante : À quelle vitesse devrons-nous augmenter les taux une fois que nous serons sortis de cette crise?

Il faut donc penser qu’il s’agit d’un regard très rétrospectif. Si l’on s’appuyait sur ce type de libellé dans le futur, on se tournerait davantage vers l’avenir, et si nous estimons que la situation s’améliore. Supposons que nous soyons frappés par des tarifs ou autres, que l’économie canadienne soit touchée et qu’elle doive remonter la pente. Je pense que ce type de libellé jouerait un rôle important.

Je ne pense pas qu’il ait joué un rôle très important dans la crise récente, car les conditions n’étaient pas réunies. Cela ne s’appliquait pas à ce type de conditions. Cette approche concernait plutôt les situations dans lesquelles nous sortirions d’une récession avec une faible inflation. Combien de temps faudrait-il attendre avant de commencer à augmenter les taux d’intérêt et de vérifier si l’économie peut se remettre complètement de la récession avant d’augmenter les taux d’intérêt? Nous n’avons pas vraiment connu cette situation parce que l’inflation a commencé à augmenter et que tout s’est inversé. Cela n’a donc pas joué un rôle important.

La sénatrice Martin : Merci d’être à nouveau présent, monsieur Beaudry. Mes questions portent sur la productivité et l’importance de la coordination entre le gouvernement fédéral et la Banque du Canada. Certains témoins ont affirmé que le fait de s’en remettre uniquement à la Banque du Canada pour ajuster les taux d’intérêt est trop coûteux, tant sur le plan économique que social. Êtes-vous d’accord? Par ailleurs, comment le gouvernement fédéral et la Banque du Canada peuvent-ils mieux coordonner les politiques fiscales et monétaires afin d’améliorer la productivité, qui pose problème au Canada?

M. Beaudry : La productivité est assurément un enjeu majeur pour le Canada. Nous pourrions donc nous étendre sur ce sujet, et c’est une question qui m’intéresse beaucoup. Je pense toutefois que ce n’est pas une question à laquelle il faut penser...

La Banque du Canada ne dispose pas de ce type d’outils. C’est exactement la raison pour laquelle nous devons établir un mandat très clair et respectueux de ce que peut faire la politique monétaire. Et la volonté de créer un régime de cibles d’inflation repose en grande partie sur l’idée que c’est la meilleure chose que puisse faire la politique monétaire : assurer la stabilité des prix pour que les gouvernements et le secteur privé puissent ensuite aller de l’avant et faire leur travail sans être perturbés par des prix qui fluctuent en permanence. Ils peuvent tout prévoir.

Mais cela ne signifie pas que la Banque du Canada va, à elle seule, augmenter la productivité ou autre. C’est le secteur privé, soutenu par le gouvernement, qui le fait.

La Banque du Canada revient toujours. Fondamentalement, une banque centrale gère des choses nominales au sein de l’économie. Elle gère le niveau des prix à long terme. Elle cherche à faire en sorte que les gens évoluent dans un environnement qui leur permette d’avoir confiance dans leur pouvoir d’achat s’ils ont épargné et autre. C’est ce que l’on essaie de faire.

L’autre aspect est le suivant : La politique monétaire ne peut pas influer directement sur la productivité.

La sénatrice Martin : Vous avez clairement décrit le rôle que la banque doit jouer, et celui-ci n’a rien à voir avec la question de la productivité. Pourriez-vous développer ce que vous avez dit au sujet de la productivité? Pourriez-vous nous fournir... simplement quelques points clés dont vous souhaitez nous faire part?

M. Beaudry : Le point principal est que le Canada n’accorde pas assez d’attention à cet enjeu. Je pense que le Canada doit créer un écosystème de l’innovation qui tienne compte des enjeux liés à la productivité pour l’étude de presque toutes les politiques proposées. Notre pays va-t-il devenir plus innovant? Allons-nous adopter des choses? Si nous voulons maintenir notre position dans un monde où la concurrence est rude dans différents domaines, nous devons réellement adopter ce genre d’état d’esprit de manière générale. Je ne dis pas que ce n’est pas le rôle de la Banque du Canada, mais c’est le rôle de tous les gouvernements, et toutes les politiques devraient être axées sur cet objectif.

Nous devons faire un énorme travail pour aider nos entreprises les plus innovantes à croître, à se développer et à rester au Canada. Nous avons toutes sortes de choses formidables en démarrage. Nous avons des incubateurs. Nous avons toutes sortes de choses à faire croître. Et nous ne sommes pas les seuls. Nous sommes confrontés à un problème de taille, et il y a les États-Unis. Nous sommes un petit joueur à côté d’eux. Je pourrais continuer, mais ce n’est pas le thème de cette réunion. Je voulais simplement donner quelques idées.

La sénatrice Martin : Puisque vous en parlez, je me posais la question.

La présidente : Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Vous avez mentionné les votes et la représentation régionale. Dans les témoignages, nous avons entendu dire que le gouverneur était tout-puissant. Le gouvernement fédéral publie des comptes rendus textuels. Nous n’avons pas ce processus. Vous avez observé ces choses de l’intérieur. Souhaitez-vous apporter des précisions, en particulier sur la publication de comptes rendus textuels?

M. Beaudry : Je vais répéter un peu ce que j’ai dit tout à l’heure.

Lorsque je parle à mes collègues et amis aux États-Unis, ils me demandent ce qui a changé relativement aux comptes rendus textuels. Les vraies conversations se tiennent désormais dans les couloirs et dans d’autres pièces. C’est ce qui se passe. C’est l’un des problèmes. Oui, on peut procéder de cette manière, mais les conversations ne seront alors pas honnêtes. À titre d’exemple — et c’est un cas typique —, il arrive que l’on veuille se faire l’avocat du diable lors de réunions comme celle-ci. Si l’on publie des comptes rendus textuels, je ne suis pas sûr de vouloir me faire l’avocat du diable. Toutefois, lorsque je me trouve autour d’une table, il est possible que je prenne quelque chose et que je pousse les gens à dire : « Allons-nous étudier cette question? » S’il s’agit de comptes rendus textuels, c’est difficile à faire. Il est possible que les propos soient mal interprétés. Autour d’une table où l’on essaie de trouver un consensus, cela fonctionne bien. L’introduction de comptes rendus textuels a un coût.

La présidente : Merci beaucoup. C’est exactement ce dont je voulais que vous nous parliez.

Le sénateur Gignac : Pour poursuivre la conversation, monsieur Beaudry, vous ne parlez pas d’imprimer de l’argent, mais de jouer avec l’échéance.

En vous fondant sur votre expérience, pourriez-vous nous donner plus de renseignements et comparer la Banque du Canada à d’autres banques centrales en ce qui concerne l’indépendance de la Banque du Canada par rapport au gouvernement ou sa dépendance à l’égard de l’assouplissement quantitatif? Comment cela fonctionne-t-il avec les autres banques centrales ? Est-ce la même chose que pour la Banque du Canada ou cette dernière dépend-elle beaucoup plus du gouvernement que les autres banques centrales sur le plan de l’assouplissement quantitatif?

M. Beaudry : Non, c’est vraiment mixte. C’est une question intéressante. Il y a une saine indépendance au chapitre de la politique des taux d’intérêt. D’après mon expérience, le gouvernement intervient fort peu de ce côté.

Pour ce qui est de l’assouplissement quantitatif, la plupart des banques centrales qui y recourent ont une sorte d’arrangement parce que c’est un genre de mesure mixte très bizarre. Au Royaume-Uni, il existe un deuxième organisme qui réunit le gouvernement et la banque en ce qui concerne l’assouplissement quantitatif, et c’est ce groupe qui rend les décisions. Lorsqu’elle met en place ces programmes, la Fed doit obtenir le soutien des autorités financières pour déterminer à quel point elle peut réellement utiliser l’assouplissement quantitatif et ce qu’elle peut faire au moyen de ce mécanisme. C’est sa nature mixte qui rend les choses spéciales, car ce mécanisme fait intervenir deux instances.

Dans un certain sens, au Canada, nous n’avions pas vraiment utilisé l’assouplissement quantitatif. Je veux souligner la différence que j’ai faite auparavant. Des injections de liquidités et d’autres interventions ont été faites auparavant, mais le Canada n’avait pas pour politique d’influencer les taux à long terme par l’achat systématique d’obligations à plus long terme et de porter le risque de la durée au bilan. Nous n’avions donc pas de structure de gouvernance très claire à cet égard. La Banque du Canada a emprunté cette voie pendant cette crise dans l’idée qu’elle prendrait une décision et s’adresserait au gouvernement afin de demander une indemnisation pour tel ou tel programme. Je pense que cela a bien fonctionné, et je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup d’ingérence politique dans ce domaine, mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur genre de gouvernance que nous puissions avoir. C’est pourquoi il serait très utile de réfléchir à la question dans l’avenir et, surtout dans le cadre du renouvellement de mandat, d’éclaircir les choses.

[Français]

Le sénateur Gignac : J’ai une autre question sur un tout autre sujet. Elle est plutôt liée au troisième volet de notre étude spéciale, soit les mesures utilisées par la Banque du Canada, particulièrement celles permettant de mesurer l’inflation de base.

Au cours de mes dernières années comme économiste en chef, j’ai beaucoup suivi la Banque du Canada. Pendant 15 ou 16 ans, on utilisait le fameux CPIX, qui excluait des composantes volatiles. En 2017, on est arrivé avec de nouvelles mesures.

Pourriez-vous nous éclairer sur l’importance de ces choix? C’est un peu technique comme question, mais j’ai parfois l’impression que la Banque du Canada choisit tel indice, et parfois d’autres indices, et en fin de compte on ne connaît plus l’importance de ces indices sous-jacents dans la détermination de la politique monétaire.

Il y a d’autres banques centrales comme la Banque de Suède qui, elle, exclut carrément les taux d’intérêt, alors que la Banque du Canada ne le fait pas. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’importance de ces indices?

M. Beaudry : Ce sont des indices très importants. Vous avez tout à fait raison de dire que cela rend le tout plus compliqué, parce qu’on a plusieurs indices, et d’un autre côté, c’est un peu une réalité.

Quand on a une situation comme celle-ci, on veut avoir plusieurs mesures, car il n’y a pas une mesure parfaite du système. Est-ce que c’était tous de bons indices? Je pense qu’ils nous ont aidés. Il faut voir quelque chose comme la mesure médiane, par exemple, qui, par définition, exclut... On peut dire qu’il y a une question qui est comme les taux d’intérêt, les effets directs, parce que cela affecte quelques mesures, mais cela n’affecte presque pas la mesure médiane. On avait quand même une mesure nettoyée de ces effets. Du côté de l’IPC-tronq, c’était la même chose : les mesures étaient assez centrales à ce moment-là.

Après cela, quand on en arrive à déterminer s’il faudrait avoir une seule mesure, je crois que si on est honnête avec les Canadiens, on doit dire qu’on évalue plusieurs mesures pour savoir si on a confiance que l’inflation est vraiment en train d’atteindre la cible ou non. En ayant plusieurs indices, on peut dire que s’ils sont tous en train de revenir à un certain niveau, on est très confiant; s’il y en a quelques-unes qui sont en train de revenir et d’autres non, on peut dire qu’on est moins confiant; c’est la réalité.

Je crois que c’est utile d’avoir plusieurs mesures, même on doit communiquer aux Canadiens et aux marchés comment elles sont utilisées. Même à cette période-ci, l’indice plus traditionnel était utilisé et on le suivait; c’était un indice de plus dont on parlait à différents moments.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je ne sais pas comme soulever la question, mais on parle de politique monétaire.

Effectivement, la banque centrale fait beaucoup plus que la politique monétaire. Par exemple, elle peut apporter un soutien financier à une banque qui est en train de faire faillite ou elle peut s’occuper de la gestion de toutes sortes d’autres choses. Contrairement à l’Angleterre où c’est très vaste, au Canada, on est limité, mais devrait-on séparer ces sujets et faire un commentaire sur autre rôle que la banque centrale devrait jouer?

Je sais qu’on parle aussi de mandat double. Si on regarde la Banque du Canada, quand on décrit ses tâches, elles sont très larges. Cela donne une flexibilité qui est sujette à une entente avec le ministre des Finances. Devrait-on être plus sévère et séparer tout cela — faire comme l’Angleterre, par exemple — et dire : « Non, vous ne vous occupez pas de cela »? Il y a plus de tâches et de responsabilités dans les autres banques centrales. Y a-t-il quelque chose de plus fondamental qu’il faudrait examiner?

M. Beaudry : Premièrement, comme vous l’avez dit, en fait, les banques centrales comme la Banque d’Angleterre en font plus que la Banque du Canada. C’est un peu l’équivalent de faire entrer le Bureau du surintendant des institutions financières dans la banque centrale, essentiellement. Beaucoup de banques centrales font la réglementation des banques en même temps.

Au Canada, le rôle de la banque centrale est déjà plus limité. Cependant, du côté du soutien, il y a une partie du mandat qui est différente de la partie relative à la politique monétaire, qui a trait à la stabilité financière; je crois que cette partie devrait rester à la Banque du Canada. Un peu comme ce que je disais auparavant, le fait de fournir des liquidités donne vraiment un côté central à une banque centrale. Ainsi, la banque peut fournir du soutien dans les moments de difficulté et quand il y a des problèmes de liquidités; pour certaines firmes, s’il y a du bon collatéral à prendre, cela pose peu de risques.

L’évaluation de la politique de la Banque du Canada devrait être collatérale. C’est très conservateur comme façon de faire et on prend peu de risques. C’est très peu coûteux pour une banque centrale de prendre des titres qui sont de bonne valeur, de les amener dans son compte et de les mettre à l’extérieur des liquidités quand il en a besoin dans le système. Je crois que cela devrait rester à la banque, car cela fait partie de son mandat de stabilité financière. Peut-être faudrait-il plutôt discuter de la manière de renouveler ce mandat, car on n’a pas le même cadre.

En ce qui concerne la stabilité financière, on ne discute pas du mandat tous les cinq ans et on ne le révise pas. Il faudrait peut‑être y penser, mais je pense que cela fonctionne plutôt bien.

Le sénateur Massicotte : Au minimum, il faudrait élargir le titre de notre rapport, parce qu’on discute de beaucoup plus que de politique monétaire.

M. Beaudry : On pourrait examiner cette stabilité financière. Je pense que cela fonctionne assez bien. Vous pourriez certainement étendre votre discussion là-dessus, parce que c’est vraiment un volet important des responsabilités de la Banque du Canada. C’est à la fois le côté relatif à la politique monétaire et à la stabilité des prix et de l’autre côté, la stabilité financière.

Évidemment, plusieurs de ces questions de stabilité financière sont en interaction avec le Bureau du surintendant des institutions financières, notamment quand il y a un problème du côté des banques, des assurances et de toutes les questions de ce genre. Je pense que du côté des liquidités, c’est vraiment quelque chose de primordial qu’une banque centrale peut faire, donc cette responsabilité devrait rester celle de la banque centrale.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Monsieur Beaudry, merci encore de témoigner.

Nous avons couvert beaucoup de matière sur la communication et la confiance du public. Comment la Banque du Canada peut-elle améliorer ses stratégies de communication pour renforcer la confiance du public et gérer plus efficacement les prévisions relatives à l’inflation? Ce que je veux dire, c’est que c’est important, pour le monde des affaires, de gérer ces attentes. Comment peut-on améliorer cette stratégie de communication?

Pensez-vous que le public comprend entièrement les implications des décisions de politique monétaire sur leur vie quotidienne ?

Vous travaillez dans le milieu universitaire. Quel rôle les universités jouent-elles dans l’amélioration de la littératie financière?

M. Beaudry : C’est une excellente question. Le rôle le plus important d’une banque centrale consiste à gérer les attentes. Je vois toujours une banque centrale essentiellement comme un dispositif de coordination.

L’économie pourrait fonctionner avec un taux d’inflation élevé ou moyen, ou avec toutes sortes de taux. L’inflation pourrait être instable. Parmi tous les choix, on veut un choix très simple, quelque chose qui rend le taux très stable pour la population, et s’engager à y revenir.

Il faudrait communiquer davantage pour faire comprendre ce rôle, mais en même temps, ce qui est difficile à comprendre, c’est qu’il n’y a pas de compromis facile, comme nous l’avons constaté dans ce cas-ci.

Lorsqu’on subit de gros chocs sur le plan de l’offre, on veut laisser aller l’inflation, mais pas les attentes à l’égard de l’inflation. Voilà le curieux compromis qu’il faut faire. C’est vraiment le compromis qui a été fait en 2021, en ce sens qu’on allait subir des chocs sur le plan de l’offre. On pense et espère qu’on en subira certains. Il y a d’importants facteurs qui évoluent — les prix du pétrole et du grain et toutes sortes d’autres éléments — et on veut les absorber et laisser monter l’inflation. Mais on veut que les gens comprennent qu’on ne laisse pas l’inflation augmenter en moyenne indéfiniment; on la laissera monter un peu, puis elle redescendra à 2 %. C’est un message compliqué à transmettre aux gens pour les faire comprendre.

Nous devons faire mieux. Je pense que les universités — et le secteur de l’enseignement en général — doivent jouer un meilleur rôle à cet égard, mais c’est un concept difficile.

Notamment, après 30 ans au cours desquels c’était presque tenu pour acquis, il y a eu presque un pas en arrière. C’est ce qu’on espère, en quelque sorte : que personne ne parle de la Banque du Canada. Pendant 30 ans, la plupart des gens n’ont pas eu à s’inquiéter. La banque travaillait en arrière-plan, et les gens ne pensaient même pas qu’elle prenait des mesures pour que tout fonctionne. Nous avons donc oublié comment réfléchir à ces questions.

Nous devons éduquer et rééduquer les gens pour leur expliquer que la banque ne peut pas faire grand-chose. Les gens veulent que la banque puisse agir, comme si nous aurions pu éviter cette période d’inflation à très bas coût. Je pense que c’était impossible. Ce n’était pas un choix. Nous aurions peut-être pu maintenir une inflation plus faible à un coût très élevé, ce qui aurait vraiment eu pour effet de resserrer l’économie beaucoup plus fortement, et les gens auraient grincé des dents.

Quand surviennent de durs chocs, le choix n’est pas facile. Il est vraiment essentiel de gérer les attentes, et cela doit être mieux communiqué.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.

La présidente : Excellent. Merci.

Le sénateur Yussuff : Je vais poursuivre dans la même veine.

Pendant cette période, alors que l’inflation augmentait et que la banque utilisait son principal outil — essentiellement les taux d’intérêt —, les Canadiens se levaient chaque matin en se demandant quand le taux allait diminuer, car leur réalité économique tourne beaucoup autour de leurs dépenses de ménage et d’autres éléments.

Sur le plan politique, certains premiers ministres se sont également demandé si la banque tardait trop à abaisser les taux?

La communication est vraiment un élément essentiel, car l’information circule plus vite maintenant. Les gens ont d’autres moyens de s’informer. La banque ne pourrait-elle pas en tenir davantage compte?

Certaines régions du pays sont plus sensibles à certaines choses en ce qui concerne les obligations et les responsabilités de la banque. Peut-être que le mandat devrait énoncer clairement la nécessité du dialogue et de la communication, car de façon générale, les Canadiens s’intéressent à ce que fait la banque et apprécient son bon travail. Ils comprennent aussi les défis auxquels elle est confrontée, mais ils veulent également savoir ce que ces décisions signifient pour leurs finances quand ils gèrent le budget familial.

C’est la réalité, et la banque doit trouver comment nous pouvons aider les gens à comprendre et à apprécier le rôle limité, mais important qu’elle assume dans le cadre de son travail.

M. Beaudry : Je conviens entièrement qu’il est toujours bon d’avoir une meilleure communication. La Banque du Canada est là pour les Canadiens. Elle est là pour essayer de les aider, mais ce n’est pas chose facile. Elle a un nombre limité d’outils à sa disposition. Les outils dont elle dispose ont des effets directs sur les gens. Elle admet que ce fait doit être communiqué.

À cet égard, elle n’a pas beaucoup de choix quand vient le temps de jongler avec une multitude d’aspects, comme le fait que ses interventions auront des effets différents entre les régions et les gens d’une même région. Nous savons très bien que les personnes qui ont des prêts hypothécaires à taux variable ont été beaucoup plus touchées que d’autres. C’était la réalité.

Par ailleurs, il faut comprendre qu’en pareil cas, la politique budgétaire peut intervenir pour faire la redistribution si nous ne sommes pas satisfaits. Les gouvernements disposent de beaucoup plus d’outils au chapitre de la redistribution.

La Banque du Canada n’a pas de bons outils de redistribution. Si on n’a qu’un seul outil, on peut atteindre un seul objectif. Ici encore, c’est la raison pour laquelle l’objectif en matière d’inflation est l’outil que la Banque du Canada a réellement entre les mains.

Conditionnel à cela — et il faut tenir compte de l’incidence sur les Canadiens et des répercussions —, je pense qu’il faut mieux comprendre que les gouvernements pourraient dans l’ensemble être mécontents des taux d’intérêt, mais une grande partie de la redistribution intérieure doit être faite par eux à ce stade. La politique monétaire ne s’attaquera certainement pas à la question de la redistribution, bien que cette politique ait un effet très inégal sur les divers ménages.

On préférerait de beaucoup quelque chose qui touche tout le monde de la même façon, mais ce n’est pas ainsi.

Le sénateur Varone : Je vais revenir à une question connexe à la question initiale que j’ai posée et donner suite à la réponse que vous avez fournie. Dans des témoignages précédents, j’ai cru comprendre qu’il y a plusieurs mandats à considérer. Évidemment, le premier mandat concerne l’inflation et le deuxième, l’emploi. Des témoins précédents ont affirmé que la masse monétaire pouvait faire l’objet d’un mandat.

Vous avez ensuite divisé les sous-ensembles. Il y a maintenant des outils, parmi lesquels figurent l’assouplissement quantitatif et la liquidité.

Pouvez-vous m’expliquer ces concepts pour me permettre de comprendre la différence entre un mandat et un outil?

M. Beaudry : Oui. Pour moi, le mandat, c’est penser qu’on a un objectif en fonction duquel on peut être jugé. L’obligation de rendre compte joue un rôle important à cet égard. C’est votre mandat de demander si on a rétabli l’inflation à 2 %, jusqu’où on est allé, jusqu’où l’inflation est montée et à quelle vitesse elle devrait redescendre.

Lorsqu’on pense à un mandat de ciblage souple de l’inflation, il ne s’agit pas seulement de viser un taux de 2 %. Il faut habituellement admettre que le taux pourrait dévier de cet objectif, mais y revenir à une certaine vitesse et dans, disons, deux ans, être près de ce que prévoit le mandat. On peut vraiment évaluer la situation et rendre des comptes.

Les outils sont ce qu’on vous donne pour essayer d’atteindre un objectif donné. Encore une fois, on peut élargir la portée et avoir le mandat avec divers outils, mais on ne considère habituellement pas l’assouplissement quantitatif comme un objectif en soi. Ce n’est pas comme si on pensait que l’assouplissement quantitatif, en l’absence de tout autre outil, est un élément important qu’on devrait considérer comme un objectif, ou qu’on veut simplement que l’assouplissement quantitatif accomplisse quelque chose.

Nous voulons réfléchir à l’inflation. Nous pourrions vouloir penser au chômage. Nous pourrions réfléchir aux différents aspects de la répartition des revenus. Il y aurait alors tous ces mandats, mais avons-nous de bons outils pour les exécuter? Peut-être pas. C’est ce à quoi je reviens. Nous n’avons pas beaucoup d’outils, et c’est pourquoi il faut davantage de restrictions. Le mandat concerne l’objectif et ce pour quoi on doit rendre des comptes. Les outils sont ce qu’on se voit confier pour intervenir et atteindre ces objectifs.

Le sénateur Varone : Je vous remercie.

Le sénateur Gignac : Votre observation sur la stabilité financière est très intéressante. Ce sujet mériterait à lui seul une autre étude, comme vous l’avez fait remarquer. Je suis d’accord. J’aimerais quelques réflexions supplémentaires de votre part.

La stabilité financière est un mandat de la Banque du Canada, mais les mesures macroprudentielles relèvent en grande partie du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, par exemple. Au Royaume-Uni, c’est différent parce que l’organisme de réglementation relève de la banque centrale, et c’est probablement la raison pour laquelle Mark Carney y est entré après son passage à la Banque du Canada. Il a déclaré publiquement qu’il est bon d’avoir les deux contrôles.

Qu’en pensez-vous? Faudrait-il effectuer une étude dans l’avenir pour déterminer si cela fonctionne bien ou pas si le BSIF est différent? Je me souviens qu’au chapitre des mesures macroprudentielles, le BSIF a tardé à donner de nouvelles instructions concernant les taux variables et d’autres éléments, et de nombreux Canadiens sont maintenant dans de beaux draps parce qu’ils ont choisi des taux variables alors que les taux d’intérêt ont augmenté. Avez-vous quelques réflexions à ce sujet?

M. Beaudry : C’est une très bonne chose. Les mesures macroprudentielles sont gérées par une combinaison très bizarre au Canada. La Banque du Canada ne contrôle pas les mesures macroprudentielles. De fait, le BSIF, parce qu’il n’a pas non plus la même indépendance, exerce un certain contrôle sur ces mesures, sans vraiment les contrôler. C’est l’organisme qui élabore les règlements et d’autres mesures. Habituellement, les mesures macroprudentielles sont prises par plusieurs parties à Ottawa, dans le cadre d’un système de collaboration qui fait intervenir le ministre des Finances, la Banque du Canada, le BSIF et la SADC, qui travaillent tous ensemble.

Dans mes premières années, j’ai supervisé la question de la stabilité financière de la banque et fait partie de ces comités. Ce sont ces groupes et ces comités qui s’occupent collectivement des mesures macroprudentielles. Il revient ensuite au BSIF de les mettre en œuvre. Ce n’est pas comme s’il disposait de la même indépendance que la banque pour dire qu’on s’occupe de cet aspect. Il y a beaucoup de collaboration à divers égards. Au bout du compte, cela signifie que la responsabilité sur le plan macroprudentiel n’est pas très claire au Canada parce que plusieurs instances interviennent. Cette responsabilité pourrait être éclaircie. De nombreuses discussions ont eu lieu pour déterminer qui devrait assumer cette responsabilité. Il y a de bonnes questions à cet égard.

Le sénateur Gignac : Je vous ai posé la question parce que certains ont demandé si, advenant que plus de chocs surviennent au chapitre de l’offre, contrairement aux trois dernières décennies, les mesures macroprudentielles constituent un outil beaucoup plus efficace que les taux d’intérêt dans certains cas. Si la responsabilité des mesures macroprudentielles n’est pas claire, en l’absence d’indépendance par rapport au ministre des Finances, la banque centrale a un outil qu’elle ne contrôle pas vraiment. Conviendriez-vous que nous devrions réexaminer cette question dans une autre étude?

M. Beaudry : Oui, je pense qu’il faut réfléchir plus sérieusement à la gouvernance des mesures macroprudentielles. Pour être clair, j’ai l’impression qu’elles relèvent au ministre des Finances, vu la manière dont on procède au Canada, car il supervise directement le BSIF. Mais dans la pratique, les choses se font vraiment avec tous les intervenants, de sorte que la responsabilité à ce chapitre n’est pas toujours claire.

Oui, je pense que c’est une question qui mérite d’être soulevée. Je pense qu’on pourrait utiliser davantage ces mesures, surtout que le logement est une question très importante au Canada, qu’il représente une part importante des actifs des gens et qu’il joue un grand rôle dans l’élaboration de politiques adéquates. Le système ne fonctionne pas mal, mais il pourrait être éclairci pour améliorer la gouvernance.

Le sénateur Gignac : Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Beaudry. Votre réunion a été très utile. Nous rédigeons un rapport provisoire, puis préparerons un rapport plus long au cours de la nouvelle année, et nous avons une bonne marge de manœuvre. Vos observations ont été très utiles. Nous vous reviendrons peut-être sur ce dernier point quand nous préparerons nos recommandations. M. Paul Beaudry est professeur et titulaire d’une chaire de recherche du Canada à l’École d’économie de Vancouver de l’Université de la Colombie-Britannique, mais il témoignait aujourd’hui pour faire part de ses réflexions à titre d’ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada de 2019 à 2023. Nous vous sommes réellement reconnaissants de votre aide. Merci beaucoup de votre participation.

M. Beaudry : Tout le plaisir est pour moi. Merci.

La présidente : C’est excellent.

Mesdames et messieurs, nous suspendrons brièvement la séance pour passer à huis clos afin de procéder à l’examen de notre rapport. Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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