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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 6 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), avec vidéoconférence, pour mener une étude sur de nouvelles questions concernant le mandat du comité.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis le président du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Avant de commencer, j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : David Arnot, de la Saskatchewan; Michèle Audette, du Québec; Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec; Rosa Galvez, du Québec; Peter Harder, de l’Ontario; Julie Miville-Dechêne, du Québec; Josée Verner, c.p., du Québec.

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.

Aujourd’hui, nous nous réunissons pour continuer notre étude sur l’énergie basée sur l’hydrogène.

Nous accueillons Gene Gebolys, directeur de World Energy GH2, et José Miguel Bermúdez, analyste en énergie, hydrogène et carburants alternatifs de l’Agence internationale de l’énergie.

Bienvenue aux témoins et merci d’avoir accepté notre invitation.

Vous avez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration d’ouverture.

Nous allons commencer par M. Gebolys suivi de M. Bermúdez.

Monsieur Gebolys, vous avez la parole.

[Traduction]

Gene Gebolys, directeur, World Energy GH2 : Merci à vous, monsieur le président, et aux membres du comité de votre invitation à discuter avec vous aujourd’hui des possibilités de l’hydrogène à faible intensité carbonique au Canada. Je m’appelle Gene Gebolys, PDG de World Energy, une entreprise canado-américaine qui commercialise des produits renouvelables destinés à remplacer les carburants fossiles depuis 25 ans. Nous exploitons des raffineries de biocarburant aux États-Unis et au Canada pour le transport routier, ferroviaire, maritime et aérien. En outre, nous travaillons actuellement à faire du Canada atlantique l’une des plaques tournantes mondiales du secteur en plein essor de l’hydrogène à faible intensité carbonique grâce à nos efforts pour établir sur la côte Ouest de Terre-Neuve une usine de production d’hydrogène alimentée par des éoliennes et d’une capacité de 3 gigawatts. Si nous y parvenons, le Canada comptera l’une des premières usines du genre dans le monde et l’une des plus grandes.

Nous avons commencé par ouvrir la voie vers l’hydrogène carboneutre dans le cadre de notre projet de deux milliards de dollars visant l’agrandissement de notre bioraffinerie de carburant d’aviation durable à Los Angeles, soit la première installation de production commerciale du genre au monde. C’est toujours la seule en Amérique du Nord.

À Los Angeles, nous n’utilisons que du gaz renouvelable pour produire de l’hydrogène, ce qui fait de nous l’un des premiers fournisseurs du genre en Californie. Partant de là, nous nous sommes demandé de quelle façon nous pourrions produire de l’hydrogène vert en plus grande quantité à l’intention d’un marché planétaire et où dans le monde ce serait possible. Nous nous sommes ainsi retrouvés au Canada atlantique, où il y a des ressources éoliennes de premier ordre et d’imposantes quantités d’eau douce. Cela nous a en outre menés à une vieille usine de Stephenville, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, et ses environs. C’est là que nous comptons dépenser 12 milliards de dollars pour construire un parc éolien de 3 gigawatts sur la côte Ouest de la province.

Les électrolyseurs de Stephenville convertiront l’électricité que nous produisons en hydrogène. Cet hydrogène sera ensuite jumelé à de l’azote, qui se trouve en abondance dans l’air que nous respirons, pour former de l’ammoniac, un composé chimique stable et sûr pour le transport, au pays comme à l’étranger.

Notre projet s’appelle Nujio’qonik, ce qui veut dire « là où le sable danse » en langue autochtone. C’est d’ailleurs le nom que les membres des Premières Nations donnent à cet endroit.

World Energy GH2, qui est le nom de notre entreprise, est le fruit d’un urgent besoin de passer à des sources d’énergie propre. Le besoin d’une telle transition ne s’est jamais autant fait sentir que cette année, où nous avons affronté des tempêtes toujours plus violentes, y compris l’ouragan qui a récemment frappé la côte Est, sans compter la crise énergétique européenne provoquée par la guerre.

Je vais délaisser mes notes d’allocution un instant et en venir au vif du sujet, soit l’occasion incroyable pour la côte Est du Canada de vraiment être un acteur majeur de ce nouveau marché très important, vu les ressources éoliennes incroyables du Canada atlantique.

Nous faisons toutefois face à un problème en deux temps. D’abord, il y a l’adoption récente aux États-Unis de l’Inflation Reduction Act, qui a créé une dynamique de concurrence qui permet aux États-Unis d’attirer les investissements et l’approvisionnement de partout ailleurs dans le monde. Ensuite, le problème est en partie dû à l’approvisionnement pour la production d’hydrogène vert et, surtout, au nombre assez restreint d’électrolyseurs dont dépend cette technologie. Il y a donc une très forte demande d’équipement pour la production d’hydrogène vert, mais une offre très limitée.

Ainsi, le Canada doit tirer profit de notre occasion exceptionnelle dans l’Est. Nous devons agir vite, et agir ne serait-ce que pour contrer certains des désavantages concurrentiels que nous avons au Canada par rapport aux États-Unis.

Si nous étions en mesure de faire cela, nous aurions un avantage concurrentiel énorme compte tenu de notre densité de population assez faible et de nos extraordinaires ressources en vent et en eau. Une fois établie, cette industrie deviendra un leader mondial, et je ne parle pas uniquement de notre projet, mais de tout le Canada atlantique. L’hydrogène comme énergie de remplacement des carburants fossiles va continuer de prendre de l’importance partout dans le monde et le Canada sera connu comme la source planétaire d’hydrogène vert.

Merci de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous. Je suis prêt à répondre à toute question que vous pourriez avoir.

Le président : Merci beaucoup.

José Bermúdez Menéndez, analyste en énergie, hydrogène et carburants alternatifs, Agence internationale de l’énergie : Merci beaucoup, monsieur le président. D’abord, j’aimerais remercier le Comité permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles pour son invitation et pour cette occasion d’aborder les conclusions de la recherche et de l’analyse menées par l’Agence internationale de l’énergie, ou AIE, en matière d’hydrogène. J’espère sincèrement que notre travail pourra éclairer les discussions du comité.

L’AIE a publié un rapport historique intitulé The Future of Hydrogen en 2019. À l’époque, l’hydrogène avait le vent en poupe, malgré les nombreux doutes entourant encore son avènement réel, puisque, par le passé, il y a eu bien des ratés. Aujourd’hui, nous estimons que l’on peut dire sans se tromper que le dynamisme de 2019 s’est transformé en mouvement concret, que l’on progresse sur le terrain et que le secteur atteint une cadence encore jamais vue.

Beaucoup de raisons peuvent l’expliquer, mais les engagements des gouvernements envers la carboneutralité annoncés ces dernières années ont assurément stimulé l’intérêt pour l’hydrogène. De plus, la crise énergétique mondiale actuelle déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie a exacerbé l’intérêt pour un hydrogène à faibles émissions comme moyen de réduire notre dépendance aux carburants fossiles, surtout en Europe, bien que cela touche également de grands producteurs potentiels comme le Canada, les États-Unis, l’Australie, le Moyen-Orient ou encore l’Amérique latine.

L’hydrogène n’est pas vraiment une nouveauté. C’est déjà un marché d’envergure. En 2021, la demande mondiale en hydrogène atteignait 94 millions de tonnes environ. Cet hydrogène a presque entièrement servi de matière de base pour, entre autres activités traditionnelles, l’industrie des produits chimiques ou le raffinage. L’adoption de l’hydrogène comme nouveau carburant ou comme carburant aux applications nouvelles est toutefois mineure à l’heure actuelle. En pratique, elle se limite au transport routier et représente beaucoup moins que 1 % de la demande totale en hydrogène.

Toutefois, l’hydrogène devra jouer un rôle important dans la transition vers un système énergétique carboneutre. Dans le scénario de la carboneutralité d’ici 2050 de l’AIE, la demande en hydrogène est multipliée par six d’ici 2050 et son utilisation s’étend à de nouveaux secteurs, y compris sous de nouvelles formes au sein de l’industrie lourde, dont le fer et l’acier, le transport maritime, l’aviation et le transport à grandes distances, surtout en complément des camions électriques de gros tonnage. Dans certains cas, l’hydrogène est utilisé tel quel, tandis que, dans d’autres, il prend la forme de carburants tirés de l’hydrogène, comme l’ammoniac ou des hydrocarbures synthétiques.

Atteindre la carboneutralité d’ici 2050 exigera que l’hydrogène et ses carburants dérivés représentent plus de 10 % de l’ensemble de la consommation d’énergie finale, alors qu’ils représentent aujourd’hui moins de 0,1 %.

Nous devons toutefois être clairs : l’hydrogène n’est pas une solution miracle ni quoi que ce soit de semblable. Ce n’est qu’un autre morceau du casse-tête complexe que nous devons régler pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, auquel s’ajoutent les principaux piliers de la décarbonisation du système énergétique comme l’amélioration de l’efficacité énergétique; le déploiement de sources d’énergies renouvelables; l’électrification directe d’utilisations finales; le captage, l’utilisation et le stockage du carbone; la bioénergie durable; et ainsi de suite.

L’hydrogène devra toutefois jouer un rôle essentiel dans certains secteurs qui sont particulièrement difficiles à décarboniser.

Cela dit, selon notre analyse de politiques et de projets partout dans le monde, on utilise de plus en plus d’hydrogène. Nous l’avons vu au cours des dernières années, et c’est ce que nous nous attendons à voir à court terme, mais le recours à de nouvelles utilisations est encore plutôt limité. Selon les tendances actuelles, nous estimons que la demande d’hydrogène pourrait passer à 150 millions de tonnes d’ici 2030 avec seulement 2 millions de tonnes pour les nouvelles applications. Pour remplir leurs promesses et leur engagement en matière de carboneutralité, les gouvernements ont besoin d’un changement de méthode dans la création de la demande, en particulier pour l’hydrogène à faibles émissions et dans les nouvelles applications, en s’appuyant sur des mesures concrètes et ambitieuses.

La croissance de la demande pour l’hydrogène n’est qu’un côté de la médaille, car il faut aussi rendre la production plus propre. Aujourd’hui, l’hydrogène n’est toujours pas le vecteur énergétique propre dont nous avons besoin pour atteindre nos cibles climatiques. Pour répondre à la demande, nous utilisons encore presque uniquement et sans relâche des combustibles fossiles. Le résultat, ce sont des émissions totales de plus de 900 millions de tonnes de CO2. À l’heure actuelle, la production d’hydrogène à faibles émissions se chiffre à moins d’une mégatonne, soit moins de 1 % de la production totale.

De toute évidence, ce n’est pas du tout viable, mais la bonne nouvelle est que le nombre de projets pour produire de l’hydrogène à faibles émissions augmente à un rythme impressionnant. Si tous les projets mis sur pied aujourd’hui dans le monde se concrétisent, d’ici 2030, la production annuelle d’hydrogène à faibles émissions pourrait atteindre 24 millions de tonnes. C’est un chiffre très impressionnant. C’est l’équivalent de 70 % de la production annuelle d’hydrogène à faibles émissions dont les gouvernements auront besoin pour respecter leurs promesses, mais seulement le quart de ce qui serait nécessaire pour que la planète entière atteigne la carboneutralité d’ici 2050.

Il s’agit évidemment de signes de progrès encourageants, mais il y a encore d’importants défis à relever. Un projet prévu n’est pas encore justifié ou garanti. Une grande partie des projets mis sur pied sont à un stade de planification avancée, mais seulement 4 % d’entre eux sont en cours ou ont fait l’objet d’une décision définitive en matière d’investissement. Nous sommes donc encore très loin de voir tous ces projets se concrétiser.

La lenteur de la mise en œuvre dans le monde réel est une conséquence de l’incertitude relativement à la demande, comme je l’ai dit plus tôt, du manque de clarté dans les cadres réglementaires et du manque d’infrastructure pour livrer l’hydrogène aux utilisateurs finaux.

C’est une description de la situation générale que je voulais faire dans mes observations initiales. Je serai heureux de répondre à toutes les questions du comité, dans la mesure du possible, bien sûr, à ce sujet et sur d’autres sujets liés à l’hydrogène. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à nos deux témoins. Vos remarques étaient très intéressantes. Mes questions s’adressent à M. Gebolys, qui nous a fait rêver avec son projet à Terre-Neuve concernant l’eau et l’hydrolyse. Tout cela avait l’air absolument formidable.

Si j’ai bien compris, vous avez dit que les lois américaines étaient plus favorables à la production de l’hydrogène vert que les nôtres. Que désirez-vous? Qu’allez-vous obtenir comme subventions pour ces installations?

J’ai plusieurs questions, mais je vais commencer par celle-ci.

[Traduction]

M. Gebolys : Je suis sincèrement désolé. Je sais que la question était pour moi, mais je n’ai pas entendu l’interprétation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vois. Voulez-vous que je traduise?

M. Gebolys : Merci beaucoup. Votre anglais est nettement meilleur que mon français.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous nous avez fait rêver avec votre usine à Terre-Neuve. En vous écoutant, on pense à de l’eau propre, probablement à des emplois et à de l’exportation. Je veux en savoir un peu plus sur les détails de ce projet. Vous avez dit que les lois américaines sont meilleures pour encourager le développement de l’hydrogène vert. C’est ce que j’ai compris. Je me trompe peut-être.

J’aimerais savoir quelles sont les subventions que vous demandez au gouvernement fédéral. Je sais qu’il y en a maintenant beaucoup pour l’hydrogène. Que recevez-vous pour votre projet, et à quoi cela ressemblera-t-il en tant que projet qui fonctionnera?

M. Gebolys : Je vous remercie. Et merci également d’avoir fourni le service d’interprétation pour cette question. Jusqu’à présent, nous n’avons demandé aucune sorte de subventions ou d’autres formes de financement public. Nous avons travaillé au projet pour la plus grande partie de l’année et ne prévoyons pas devoir demander de financement au gouvernement fédéral. L’Inflation Reduction Act adoptée en août aux États-Unis prévoit du soutien et des subventions d’une valeur d’environ 400 milliards de dollars à l’intention des diverses industries américaines propres, celle de l’hydrogène vert figurant en tête de liste. Le plus important, cependant, c’est que la loi offre un crédit d’impôt à l’investissement entièrement remboursable qui confère un avantage substantiel aux projets entrepris aux États-Unis par rapport à ceux mis en œuvre dans les pays qui n’offrent pas pareil avantage. C’est un avantage considérable non seulement pour le projet, mais aussi pour l’exploitation des ressources.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pouvez-vous réaliser votre projet ou non sans le même genre d’incitatif au Canada?

M. Gebolys : Nous ne pouvons pas soutenir la concurrence au chapitre de l’équipement si nous ne fonctionnons pas sur la même base économique. Si un projet bénéficie d’un rabais de 30 % aux États-Unis par rapport à nous, il nous sera très difficile d’être concurrentiels sur les marchés internationaux avec ces projets. Cela nuit considérablement à notre capacité d’aller de l’avant à Terre-Neuve.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.

La sénatrice Galvez : Je remercie beaucoup nos deux témoins de comparaître et de nous faire part de leur vision et de leur manière de voir la mosaïque du chemin vers la décarbonisation. Je voudrais d’abord préciser que je suis d’accord avec presque tout ce que M. Bermúdez Menéndez a dit sur les problèmes et le défi que présente l’utilisation de l’hydrogène aux fins de décarbonisation.

Ma question s’adresse à M. Gebolys. Il y a quantité d’éléments en évolution. Je veux d’abord savoir si votre projet fait partie de l’annonce du chancelier allemand, qui est venu au Canada pour annoncer l’alliance verte avec le Canada. Si c’est le cas, j’aimerais savoir si vous êtes en pourparlers avec, par exemple, Terre-Neuve. Sachez que je suis enchantée de voir qu’il s’y produira enfin de l’énergie éolienne, car la province recèle un grand potentiel à cet égard et aurait dû commencer à en produire bien plus tôt.

Il y a toutefois un autre grand projet dans cette province : celui de Muskrat Falls. Il y a beaucoup d’énergie verte dans cette région. Le problème avec l’hydrogène, c’est que vous dites qu’il sera transporté en Europe pour contrer la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine. J’espère que vous ne vous attendez pas à ce que la guerre dure de nombreuses années. Quand entendez-vous livrer cet hydrogène? Évaluez-vous toutes les émissions dans les diverses catégories? Une fois produit, l’hydrogène doit être transporté de l’autre côté de l’Atlantique, ce qui produira également des émissions.

M. Gebolys : Ce sont là d’excellentes questions. Permettez-moi de commencer en disant que nous étions très fiers d’accueillir le premier ministre et le chancelier dans notre site de Stephenville. C’était un jour très important pour le Canada atlantique et — j’oserais dire — le monde. Les Allemands se trouvent manifestement dans une situation très difficile; en fait, toute l’Europe, voire le monde est en situation difficile en raison de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Je ne ferai pas de prédictions sur la longueur du conflit, mon intuition n’étant pas meilleure que quiconque.

Nous avons passé la semaine dernière en Allemagne. Nous avons parlé à de nombreux acheteurs en Europe, car ils souhaitent vivement remplacer les énergies fossiles, particulièrement le gaz naturel, par de nouvelles sources de carburant venant de pays plus amicaux. De toute évidence, l’hydrogène vert du Canada satisfait à ces deux critères. Les Européens aimeraient beaucoup s’allier à nous dans ce domaine. Cela étant dit, le premier ministre a promis à l’Allemagne de l’approvisionner en hydrogène vert d’ici 2025. Notre projet est le plus susceptible de fournir cet hydrogène.

Je suis aussi heureux de dire que le matin de la visite, nous avons rencontré les promoteurs des neuf autres projets proposés dans le Canada atlantique. Nous avons depuis signé un énoncé commun de notre intérêt collectif à établir une industrie dans cette région. Nous avons tous admis que la chose la plus importante que nous puissions faire dans le Canada atlantique est d’agir rapidement. Je ne saurais trop insister sur l’importance de la rapidité. Il s’agit de projets de grande envergure, qui sont très longs à construire de par leur complexité. Nous devons pénétrer dans la chaîne d’approvisionnement d’équipement ou nous manquerons le bateau.

Pour ce qui est des émissions des catégories 3 et 1, nous devons effectivement respecter la norme supérieure, et le transport émet des émissions. Nous devons en tenir compte, tout comme nous devons prendre en compte la fabrication et la construction de l’équipement. Notre produit n’est pas sans compromis — toutes les formes d’énergie exigent des compromis —, mais l’hydrogène vert est considérablement mieux que les produits qu’il remplace. Cela ne nous libère pas du besoin de tenir compte de tous les impacts et d’être très clairs, ouverts et transparents à ce sujet.

Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse également à M. Gebolys. Je veux mieux comprendre certains de vos renseignements.

Vous effectuez un investissement de 12 milliards de dollars à Stephenville. Vous affirmez que le Canada doit se prémunir contre les lois et les politiques des États-Unis qui attirent les investissements dans ce pays et qui auront des conséquences substantielles. Vous nous dites que le Canada verra une occasion lui échapper s’il n’entre pas en jeu très rapidement pour commencer à protéger certaines de nos industries.

Pouvez-vous me dire quand votre usine doit être construite? Si vous commencez à fournir de l’hydrogène en 2025, je dois savoir à quelle vitesse nous devons agir. Mais j’aimerais surtout savoir de quels allègements fiscaux, incitatifs ou mécanismes vous avez besoin pour que votre investissement porte fruit et soit protégé contre les fuites d’argent vers les États-Unis, fuites qui permettent à ce pays de prendre les devants et de s’approprier l’occasion en or dont le Canada dispose actuellement.

Je pense que vous indiquez que le Canada a la possibilité d’exporter vers l’Union européenne à long terme si sa relation avec l’Allemagne s’avère bénéfique. Je voudrais que vous traitiez de la question et m’aidiez à mieux comprendre ce que vous voulez réellement.

M. Gebolys : Je pense que vous avez fort bien résumé mes propos. Pour savoir ce qu’il doit faire pour être concurrentiel, que ce soit dans le cadre de notre projet ou d’un autre au pays, le Canada doit s’inspirer des États-Unis. Je ne pense pas qu’il doive investir autant; ce n’est pas nécessaire, selon moi. Je pense toutefois qu’il faut permettre aux promoteurs de lutter à armes égales. Notamment, le crédit d’impôt à l’investissement entièrement remboursable fait des citoyens canadiens des partenaires dans le développement de ces projets. Il s’agit de mégaprojets de très grande envergure. Ils doivent l’être, sinon ils ne fonctionneront pas. On ne peut pas réaliser ces projets à petite échelle.

À dire vrai, vu la taille du problème que nous tentons de résoudre, il faut agir à grande échelle ou cela n’en vaut pas la peine. Nous proposons donc un très grand projet. Nous serons sous pression pour commencer à fournir notre produit en 2025, et nous n’y arriverons pas à moins de commencer à commander des articles à longs délais de livraison d’ici la fin de l’année civile. Nous avons déjà investi des dizaines de millions de dollars dans ce projet et les coûts augmentent rapidement.

Il s’agit d’une entreprise à haut risque pour les promoteurs de projet. Cependant, si nous sommes au moins capables de compenser ce risque dans une certaine mesure, si nous bénéficions d’un crédit d’impôt à l’investissement entièrement remboursable de 30 %, cet argent n’ira pas dans les poches d’un promoteur; il servira au développement de projets et permettra seulement d’égaliser le rapport de force grâce à des investissements semblables à ceux effectués aux États-Unis, dont un grand nombre sont en planification actuellement.

Tous les promoteurs de ces genres de projets peuvent tout aussi bien investir au sud qu’au nord de la frontière. C’est habituellement le capital qui fait pencher la balance. Un crédit d’impôt entièrement remboursable de 30 % nous mettrait sur un pied d’égalité avec les États-Unis.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci beaucoup pour l’enseignement et le partage de vos connaissances. Bien sûr, un des cadeaux que nous, les sénateurs et sénatrices, recevons alors que nous siégeons ici, ce sont les passions, les connaissances et ce qui nous anime comme personnes et sénateurs.

Le Labrador est un territoire que je côtoie depuis ma naissance. Jusqu’à quel point des réflexions ou des engagements ont-ils été mis de l’avant pour que les initiatives que vous nous avez présentées soient débattues avec les Inuits et les Innus? Jusqu’à quel point sont-ils des partenaires dans ces projets?

Dans l’écosystème de l’économie, il y a des gens qui sont là et qui sont, comme vous l’avez mentionné, des citoyens du Canada. Je ne parlerais pas de citoyens inuits ou innus, mais de peuples et de nations. Ma question s’adresse à M. Gebolys.

[Traduction]

M. Gebolys : C’est la question cruciale. Les terres où nous proposons de construire des éoliennes ne sont pas les nôtres. Elles appartiennent au peuple qui y vit depuis toujours. Nous ne pouvons pas réaliser le projet sans leur plein soutien. Nous l’admettons. Pendant des mois, nous avons parlé avec les communautés afin de voir comment nous pouvons servir leurs besoins le mieux possible.

Dans toutes les communautés où nous proposons d’aller, nous ferons participer pleinement les communautés locales aux projets. Elles seront de la partie au début, au milieu et à la fin. Nous avons signé un protocole d’entente — la semaine dernière, il me semble — avec les Qalipu sur le partage des avantages avec cette Première Nation, mais pas seulement avec elle. Partout où nous allons, nous devons faire des partenaires des gens qui accueilleront nos projets. Nous ne voyons pas cela comme une obligation, mais comme une occasion. Ce seront nos communautés également. Nous devons donc y être de bons partenaires. Nous en sommes parfaitement conscients.

Si vous me permettez d’ajouter ce qui suit, j’ai assisté à une réunion dans une très grande maison à Three Rivers avec mes partenaires dans le cadre du projet. Nous nous sommes assis et avons écouté les préoccupations de la communauté. Évidemment, bien des gens veulent savoir de quoi il en retourne. Y aura-t-il des vibrations? Qu’adviendra-t-il du paysage visuel? Ils ont posé des questions raisonnables.

La vaste majorité des gens ont indiqué que, sans faire fi de ces facteurs, il faut que leurs jeunes aient l’occasion de rester là. Ils nous ont expliqué la situation démographique dans la région. Il est apparu très clairement que ces communautés ont besoin de nouvelles raisons d’avoir un dynamisme économique. Il existe une occasion incroyable de faire un bien immense aux Premières Nations et aux personnes qui vivent dans ces régions, mais il nous incombe de collaborer avec eux pour faire ce bien. Nous acceptons cette obligation avec joie.

La sénatrice Audette : Je vous remercie.

Le sénateur Harder : Je remercie nos témoins. Monsieur Gebolys, je veux donner suite à vos observations sur l’Inflation Reduction Act des États-Unis, ou IRA, et le projet à Terre-Neuve-et-Labrador. L’IRA a été adoptée en août, la visite du chancelier a eu lieu en septembre, auprès quoi il y a eu l’énoncé.

Sans de nouveaux incitatifs s’apparentant aux mesures de l’IRA, le projet annoncé en septembre est-il menacé?

M. Gebolys : Oui.

Le sénateur Harder : Je vous remercie d’être clair. Dans quel délai les gouvernements doivent-ils agir pour que l’objectif de 2025 ne soit pas compromis?

M. Gebolys : Eh bien, comme je l’ai indiqué plus tôt, nous dépensons de plus en plus d’argent ici. Nous savons que nous devons acheter des articles à longs délais de livraison d’ici la fin de l’année civile. Nous devrons nous adonner à tout un exercice d’évaluation du risque à mesure que nous continuons de dépenser de l’argent. Sur le plan des permis, nous suivons les processus de la province. Nous installons ce que nous appelons des tours météorologiques pour mesurer la qualité du vent dans la région. Nous effectuons tout le travail de base pour réaliser ce projet.

L’adoption de l’IRA en août n’a pas eu des répercussions qu’aux États-Unis. Ce pays s’est traîné les pieds dans le domaine du climat, abdiquant essentiellement toute autorité ces dernières années. C’est certainement du secteur privé que le mouvement venait dans ce domaine aux États-Unis.

Le vent a tourné récemment. Les États-Unis ont non seulement assumé un vrai rôle de chef de file, mais ils ont lancé un défi au monde. Ces projets permettront de...

Le sénateur Harder : Je sais que le secteur des batteries destinées à celui de l’automobile est en pleine turbulence à cause de la loi sur la réduction de l’inflation aux États-Unis. Je suppose que nous ne devrions pas nous plaindre de cette loi — une mesure constructive —, mais elle dérange les plans d’un certain nombre de pays.

M. Gebolys : Oui.

Le sénateur Harder : Y a-t-il des moyens par lesquels d’autres gouvernements — je songe à l’Europe, le marché visé par votre projet et d’autres, vraisemblablement — pourraient renforcer la coopération que le Canada pourrait demander à l’Union européenne, collectivement, pour le développement de ce projet et d’autres afin d’amortir l’effet de succion de fonds qu’exercera cette loi?

M. Gebolys : Oui, absolument. Les Européens savent très bien qu’ils devront importer une grande partie de l’hydrogène qu’ils consommeront. Ils s’y préparent. Ils créent un accès portuaire. Nous collaborons déjà avec les autorités portuaires de Wilhelmshaven, en Allemagne, et de Rotterdam, aux Pays-Bas pour prendre en compte les deux aspects du problème. Nous sommes conscients de la nécessité d’une étroite collaboration avec les Européens. Ce n’est pas le seul marché qui réclamera de l’hydrogène d’origine renouvelable, mais ce marché est actuellement soumis aux plus fortes contraintes et c’est le plus déterminé à adopter d’urgence des formes d’énergies propres.

Les occasions de resserrer la collaboration avec les Européens sont donc nombreuses. Ils ont mis jusqu’à 900 millions d’euros dans le programme H2Global — une goutte dans l’océan qu’est ce secteur — pour subventionner le monde dans les enchères qui leur procureront de l’hydrogène à compter de 2025. C’est un exemple de programme offert à tous les pays pour faciliter l’approvisionnement de l’Europe en matériaux, mais il y en a beaucoup d’autres.

Le sénateur Harder : Si j’ai le temps de poser une question de plus à M. Bermúdez : Que peut faire l’Agence internationale de l’énergie pour élargir et renforcer le marché de l’hydrogène pour les producteurs et les consommateurs, pour qu’on atteigne les objectifs que vous avez précisés — le produit d’une multiplication par six, ce qui est modérément ambitieux? Que faites-vous et que pouvez-vous faire de plus?

M. Bermúdez : Merci beaucoup. Nous essayons, bien sûr, de procurer les analyses les plus actuelles, les plus significatives et les plus indépendantes à nos États membres. C’est un exercice régulier d’actualisation, maintenant annuel, sur des marchés que je ne qualifierai pas de marchés de l’hydrogène, lesquels n’existent pas encore. Ils sont naissants. Nous essayons de tirer chaque année le portrait le plus actuel de ce marché.

Dans le cadre de cette actualisation, nous communiquons régulièrement des recommandations stratégiques qui permettront aux États d’instaurer des stratégies exemplaires, à notre avis, pour faciliter la création de ce marché. Depuis l’année dernière, nous le faisons annuellement. Avant, nous ne suivions pas en continu l’évolution des projets de mise en valeur de l’hydrogène.

Nous animons l’initiative Hydrogène adoptée à la Réunion ministérielle sur l’énergie propre, dont le Canada est l’un des meneurs des pays participants. Par son entremise nous essayons d’aménager une tribune pour le dialogue entre les pays et le privé, pour trouver des solutions aux différents problèmes posés aux marchés des technologies de l’hydrogène. Par exemple, la dernière que nous ayons créée concerne le commerce international de l’hydrogène et la constitution d’un groupe de réflexion entre les pays sur les règles, les mesures et les stratégies à mettre en œuvre pour le faciliter.

Le président : Merci. Je poserai à chacun de vous une question. Veuillez répondre brièvement.

À M. Bermúdez, d’abord. Il y a environ deux semaines, nous avons questionné un dénommé Howarth, de l’université Cornell, membre également de la commission de l’État de New York et expert auprès du Congrès des États-Unis, ayant beaucoup de crédit, d’un abord agréable, mais qui noircit l’hydrogène. Il aime cette filière, mais il dit que, quoi qu’on fasse, elle donnera lieu à toutes sortes d’émissions qu’on n’a pas réussi à faire cesser jusqu’ici. Il dit aussi que même les projets de captage, d’utilisation et de stockage du carbone que nous envisageons émettent encore beaucoup de méthane. Il conseille ne ne pas y toucher. Il semble aussi que l’État de New York ne le fera pas non plus, parce que le scénario idéal dont nous rêvons tous n’aboutira pas.

Qu’en pensez-vous? Êtes-vous au courant de l’opinion de M. Howarth? Êtes-vous d’accord avec lui?

M. Bermúdez : Je ne connaissais pas son opinion à lui. J’ai entendu d’autres experts exprimer des opinions semblables.

Je n’adhère pas nécessairement à la croyance selon laquelle on peut produire de l’hydrogène par de nombreuses méthodes et à partir de diverses sources d’énergie. Dans la filière au gaz naturel, les émissions de certaines chaînes d’approvisionnement ou de certains procédés sont particulièrement limitées en amont. La Norvège est progressivement devenue un exemple d’une maîtrise, poussée à son mieux, des émissions fugitives, grâce au torchage et à d’autres pratiques exemplaires. Ses émissions de méthane sont particulièrement faibles.

Son exemple est peu répandu, malheureusement, mais elle a établi un précédent pour les méthodes durables de production d’hydrogène à partir du gaz naturel.

D’autres méthodes produisent sensiblement moins d’émissions, comme l’emploi direct d’énergies renouvelables et la biomasse qui, dans certaines conditions, peut même produire des émissions négatives. J’ai une meilleure opinion de l’hydrogène, mais, bien sûr, il y a des défis à relever. Des améliorations techniques sont nécessaires et elles ont besoin du coup de pouce de mesures favorables et des sources incroyables de connaissances qu’on trouve dans le secteur privé.

Le président : Monsieur Gebolys, je relève, dans vos propos, « si ce projet — celui de Terre-Neuve avec l’Allemagne — aboutit » et j’apprends que les politiques, le premier ministre compris, peut-être à bon droit, veulent inspirer un sentiment de certitude et de confiance que ça aboutira. Mais je dois vous avouer, en raison de votre témoignage, que la coupe me semble très loin des lèvres. Les modalités commerciales restent incertaines. J’en déduis la nécessité d’un retour sur l’investissement de 30 % ou d’un crédit d’impôt à l’investissement et celle de continuer à négocier le prix. Nous sommes donc loin de l’objectif d’une livraison en 2025.

Un nouvel aspirant est entré en lice. C’est notable. Les États-Unis détiennent le marché et l’argent. Pourtant, en même temps, on nous dit souvent que nous détenons des avantages particuliers — l’eau et toutes sortes d’atouts. Or, dès que quelqu’un d’autre dépose l’argent sur la table, nous semblons nous défiler.

Qu’en pensez-vous? L’affaire est-elle sérieuse? Permettra-t-elle, si tout va bien, des négociations à notre avantage?

M. Gebolys : Je crois que la vérité se situe entre les deux. La ressource éolienne du Canada atlantique est de calibre international; elle est vraiment exceptionnelle et très bonne. C’est en fait du vent du large soufflant vers la terre, dont l’exploitation coûte en général deux fois plus cher que celle du vent de terre, et le coût de l’électricité représente 75 % du coût de production de l’hydrogène. Une excellente ressource éolienne peut procurer un avantage concurrentiel.

Fait moins évident, la région que nous exploitons possède une excellente eau douce. Pour produire l’hydrogène, il faut beaucoup d’énergie et séparer l’eau, H2O, en ses constituants, H et O.

Les ressources du Canada atlantique sont excellentes. Elles procurent assurément un véritable avantage concurrentiel. Voilà pourquoi j’ai dit ne pas croire que nous devions nous aligner exactement sur le dollar américain.

Quant à votre question sur la concrétisation des projets, ça échappe toujours à notre volonté. Il faut encore une province qui veuille que ça se concrétise, des collectivités déterminées à ce que ça se produise, un gouvernement national disposé, par son appui, à faire bouger les choses.

Comme je l’ai dit, je reviens d’Allemagne. Le marché est là, incontestablement. Tout le continent combat sa dépendance au gaz russe bon marché et cherche un moyen de sevrer son secteur manufacturier sans dommage. La crise, en Europe, a atteint son paroxysme.

Le marché est là. C’est le moindre de nos soucis. Il faut que le projet soit autorisé, qu’il démarre. Il faut le mettre en état de concurrencer ceux de nos voisins du Sud.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Ça devient de plus en plus clair.

Je questionne M. Bermúdez, qui possède une vision globale, un portrait du monde et qui sait à quelle vitesse la décarbonation doit avoir lieu. Nous savons que les États-Unis ont promis des centaines de millions pour l’hydrogène, que l’Europe promet 430 milliards, mais, tout de même, le coût de production de l’hydrogène varie de 1,50 euro le kilogramme, pour le gris, à 3,50 à 6 euros pour le vert.

Sur le terrain, aux États-Unis, la Californie a 46 postes de recharge, 43 d’entre eux étant en Californie. Ça n’avance donc pas au rythme nécessaire.

Vous avez entendu les explications de M. Gebolys sur son projet. Je sais que je vous mets sur la sellette, mais que pensez-vous de son projet? Merci.

M. Bermúdez : Merci beaucoup. Une vérité à souligner aujourd’hui demeure le coût de l’hydrogène vert et du bleu, si on tient à les désigner par des couleurs. Leur coût reste supérieur au coût moyen de l’hydrogène d’origine fossile. Mais il faut retenir que l’hydrogène à faible taux d’émission ne concurrence pas seulement l’hydrogène. Les coûts d’autres applications n’ont pas besoin de descendre à 1,50 ou 2,00 dollars américains. Certaines applications seraient concurrentielles pour remplacer, même à des prix supérieurs, certains combustibles ou carburants d’origine fossile dans d’autres applications.

À retenir également : le cours du kilogramme d’hydrogène d’origine fossile est normalement de 1,00 à 1,50 dollar américain, mais pas partout dans le monde. Je crois que M. Gebolys a pris son exemple en Europe, où on peut estimer le coût du kilogramme d’hydrogène gris et d’origine fossile à 5, 6 ou 7 dollars américains, en raison de la conjoncture. Bien sûr, nous ignorons combien de temps ça durera, mais c’est la situation actuelle. Ça ne suffira pas pour le moment. D’où la nécessité d’une politique de l’hydrogène gris et d’un appui de la réglementation à ses exploitants.

Je suis d’accord avec M. Gebolys sur l’une de ses affirmations : la demande existe. Il suffit de s’assurer que si nous voulons réellement nous engager dans la décarbonation, il faut d’abord remplacer l’hydrogène d’origine fossile par celui d’origine renouvelable ou par le captage, l’utilisation et le stockage du carbone émis par les combustibles d’origine fossile. La demande existe déjà. Pour vraiment engager le monde dans la voie de la décarbonation, il faut créer une demande dans d’autres secteurs. Il faut donc agir au niveau des politiques. Ce pourrait être à la faveur de quotas ou de mandats dans de nouveaux secteurs, qui émettront le signal d’une demande qui aidera à envisager des investissements pour rendre concurrentiels à court terme des projets comme celui de M. Gebolys.

Mais il faut aller plus vite, si on veut atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

La sénatrice Galvez : La mise en valeur et la production d’hydrogène doivent-elles aller de pair avec la mise au point de piles à combustible pour que le tout fonctionne?

M. Bermúdez : Il le faudra dans certaines applications — exemple évident, dans la plus grande partie du secteur des transports —, mais non dans d’autres, la sidérurgie, notamment, qui n’a pas besoin de ces piles, parce que l’hydrogène qui y sert de réactif chimique n’a pas besoin d’être transformé en électricité. Autre exemple, les procédés industriels à hautes températures fondés sur la combustion. L’hydrogène peut y remplacer le gaz naturel. Sa combustion permet d’obtenir les hautes températures nécessaires.

Certaines applications auront absolument besoin de piles à combustible, parallèlement à la production, mais d’autres pourront s’en passer. Ça n’empêchera pas la mise au point de techniques complémentaires. Certaines sont déjà au point et employées; d’autres ont encore besoin de perfectionnements.

Le sénateur Arnot : Monsieur Gebolys, en m’inspirant de la question de la sénatrice Audette, je vous demande ce que vous offrez comme participation aux Premières Nations de la région, dans l’usine de Stephenville? J’espère aussi que son pourcentage sera élevé. Ces nations pourraient obtenir un retour sur l’investissement, ce qui aiderait vraiment la communauté.

De plus, le Canada s’est donné une politique de réconciliation. Votre société pourrait devenir un modèle de cette réconciliation et, peut-être, un citoyen modèle pour tout le Canada, en travaillant directement avec les Premières Nations et en leur assurant une participation suffisante pour bénéficier d’un retour réel sur l’investissement.

M. Gebolys : Oui. J’embrasse absolument l’occasion qu’on m’offre pour que les contributions aux communautés où nos usines sont établies aient une valeur importante.

Comme vous savez, le détenteur de ce genre de participation est toujours le dernier à recevoir un versement. Nous voulons que les communautés où nous sommes établis soient les premiers bénéficiaires et non les derniers. Nous instaurons donc des modes de paiement pour qu’il en soit ainsi.

Le président : Merci. Si, monsieur Bermúdez, je pouvais vous poser une petite question avant la fin de la séance. J’essaie de me faire une idée. Dans ce que vous dites sur la fixation des prix et la négociation, veuillez m’éclairer sur la ventilation des coûts dans le prix de revient. Je crois avoir entendu le prix de l’électricité en représente 70 %. J’en déduis qu’il est important de déterminer si c’est bien meilleur marché avec le vent de terre que le vent du large. Au secours! Quelle est la ventilation des coûts? Qu’en est-il de l’électrolyseur, un organe essentiel? Il y en aurait une pénurie. Quelle est sa part dans le prix de revient?

Peut-on me répondre rapidement? La production représente combien sur 100 $ de frais et de revenus?

M. Bermúdez : Jusqu’à 70 % des coûts peuvent provenir de la composante de l’électricité. Ensuite, il y a la grande majorité du reste, qui se résume essentiellement à la composante des immobilisations, c’est-à-dire l’équipement nécessaire. D’une part, il y a l’équipement et d’autre part, il y a l’utilisation des terres et la propriété foncière. La composante des immobilisations se divise donc en plusieurs catégories.

Toutefois, au bout du compte, il est essentiel de réduire le coût de l’électricité, car l’équipement est de plus en plus perfectionné et le prix des composantes diminue constamment. Les activités de mise à l’échelle et de développement effectuées par les fabricants d’électrolyseurs permettent réellement de réduire le coût de ces composantes.

Le président : Quel prix le client paiera-t-il sur le marché? À quel prix pouvons-nous vendre le produit pour qu’il soit encore économique pour nous?

M. Bermúdez : Le gros problème, dans ce cas-ci, c’est que ce marché n’existe pas encore. Par exemple, aujourd’hui, on ne peut pas déterminer avec certitude le prix potentiel de l’hydrogène à l’avenir, car on n’a pas encore créé ce marché.

Le président : Monsieur Bermúdez, combien paierons-nous pour l’électricité?

M. Bermúdez : Cela dépend énormément du marché de l’électricité utilisé et de la possibilité d’obtenir un contrat d’achat d’électricité qui est fournie directement. Nous avons vu des projets dans certaines régions qui offrent des énergies renouvelables très bon marché et qui peuvent obtenir des contrats au prix de 20, 30 ou 40 dollars américains par mégawatt. Un électrolyseur connecté au réseau doit passer par les marchés de l’électricité, et cela dépend de la région. Je ne sais pas ce que sont les prix aujourd’hui au Canada, mais je peux dire qu’en Europe, ils peuvent atteindre 500 dollars américains par mégawatt dans le scénario actuel. Cela dépend beaucoup du pouvoir de négociation de l’entreprise et de sa capacité à négocier un accord d’achat d’électricité.

Le président : Si j’ai bien compris, la réponse courte, c’est que M. Gebolys devrait pouvoir dépenser beaucoup d’argent en réalisant quand même un profit.

M. Gebolys : Nous bâtissons notre propre capacité éolienne, et nous allons donc acheter l’électricité de nous-mêmes. Nous avons choisi cet endroit en raison de la qualité du vent. Un très bon vent de terre atteint généralement une vitesse de 9 mètres par seconde. À l’endroit où nous sommes sur la côte, il atteint en moyenne de 10,5 à 11 mètres par seconde. En général, pour obtenir ce type de vitesse du vent, il faut aller en mer et cela coûte deux fois plus cher. À l’endroit où nous sommes, nous pouvons bâtir la capacité éolienne à un coût moins élevé que celui que nous aurions dû payer pour aller en mer et aller chercher ce niveau de qualité du vent. Si vous voulez savoir ce qui détermine la compétitivité de ces projets, je répondrais que c’est avant tout la qualité du vent.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Je dois dire que si vous cherchez du vent, vous devriez venir plus souvent sur la Colline du Parlement. Vous y trouverez du vent de très bonne qualité.

Je tiens à remercier les deux témoins d’avoir comparu aujourd’hui. Nous avons appris beaucoup de choses, mais nous avons encore beaucoup à apprendre. Nous vous remercions de nous avoir accordé du temps.

(La séance est levée.)

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