LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 20 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), à huis clos, avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Avant de commencer, j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui.
Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; Michèle Audette, du Québec; Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec; Mary Jane McCallum, du Manitoba; Julie Miville-Dechêne, du Québec; Judith G. Seidman, du Québec; Karen Sorensen, de l’Alberta; Josée Verner, c.p., du Québec; Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Sénatrice Galvez, excusez-moi, je vous ai oubliée. Vous n’êtes pas sur la liste.
Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et les Canadiennes qui nous regardent.
Aujourd’hui, nous nous réunissons pour continuer notre étude sur l’énergie basée sur l’hydrogène.
Ce matin, pour notre premier panel, nous accueillons, par vidéoconférence, à titre personnel, Christopher Bataille, chargé de recherche adjoint, du Columbia Center on Global Energy Policy, professeur auxiliaire, à l’Université Simon Fraser; puis du CCS Knowledge Centre, Niall Mac Dowell, professeur.
Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation. Vous avez cinq minutes chacun pour prononcer votre mot d’ouverture.
Avant de procéder, je dois noter que nos deux témoins ont oublié leurs écouteurs ou les ont déplacés. On va tenter l’expérience de le faire sans écouteurs et nous espérons que ce ne soit pas trop difficile pour nos interprètes et les autres personnes. Il est possible que l’on interrompe la séance, mais nous allons essayer pour voir si c’est acceptable.
Nous allons commencer par M. Bataille, suivi de M. Mac Dowell. Monsieur Bataille, vous avez la parole.
[Traduction]
Christopher Bataille, chargé de recherche adjoint, Columbia Centre for Global Energy Policy, professeur auxiliaire, Université Simon Fraser, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous ce matin. Je suis affilié à plusieurs établissements, mais je témoigne aujourd’hui à titre de coauteur principal du chapitre sur l’industrie, du résumé technique et du résumé à l’intention des décideurs du sixième rapport d’évaluation sur l’atténuation, publié récemment par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC. Je parlerai d’abord du potentiel de l’hydrogène au Canada, puis des difficultés et, enfin, des politiques qu’il faudrait, selon moi, adopter.
L’hydrogène sera essentiel pour atteindre nos cibles de carboneutralité dans certains secteurs et pour certains procédés. Nous utilisons déjà beaucoup d’hydrogène produit principalement à partir du méthane. Il sert à l’hydrotraitement et à la valorisation aux fins de raffinage du pétrole, à la production d’ammoniac pour engrais et pour d’autres produits chimiques. Notre première tâche sera donc de décarboniser la production actuelle d’hydrogène. Nous pouvons aussi substituer l’hydrogène au charbon aux fins de la séparation de l’oxygène et du fer dans le minerai de fer, ce qui est l’étape la plus émettrice du processus de fabrication de l’acier. Ce fer à émissions réduites pourrait devenir un produit d’exportation important, surtout pour le Québec. L’hydrogène pourrait aussi servir au stockage énergétique de longue durée pour production d’électricité — on utiliserait des cavernes souterraines comme pour le gaz naturel —, au transport par rail et par camion lourd, et aux processus industriels nécessitant une chaleur de plus de 100 à 200 degrés Celsius.
L’hydrogène doit aussi servir de charge d’alimentation pour la production carboneutre de gaz naturel, de carburéacteur ou de matières premières chimiques, synthétiques ou renouvelables. Par contre, il est très peu probable que l’hydrogène soit largement utilisé pour le transport personnel ou le chauffage, vu la sophistication et le faible coût relatif des autres méthodes d’électrification directe. L’hydrogène pourrait être un produit d’exportation, sous forme d’hydrogène, d’ammoniac ou d’éthanol, mais seulement si le cours en demeurait très élevé, plus élevé en tout cas que le prix annoncé par le Canada, qui est de 170 $ par tonne de CO2 d’ici 2030.
Le président : Excusez-moi, l’interprétation ne semble pas fonctionner. Pouvez-vous parler un peu plus clairement et un peu plus lentement? Nous allons réessayer.
M. Bataille : Pour l’hydrogène à base de méthane, du puits jusqu’au traitement en amont, les émissions fugaces doivent être de 0,5 % ou moins, et le taux de captage des émissions issues de CO2 transformé doit être de 90 %. Or, le taux moyen d’émissions fugaces du secteur amont au Canada est officiellement de 1,1 %, et probablement le double...
Le président : Excusez-moi, monsieur Bataille. La qualité du son n’est pas suffisante pour que tout le monde puisse bien vous comprendre. Tâchons donc de réduire la cadence et de parler plus fort, puis voyons si cela fonctionne pour tout le monde. Voulez-vous essayer cela, monsieur Bataille? Je suis désolé.
M. Bataille : Cet hydrogène bleu, comme on l’appelle, est probablement économique aux termes du calendrier de tarification du carbone promis par le Canada. Dans le cas de l’hydrogène issu de l’électrolyse, le prix de l’électricité devra être de moins de 2 ¢ le kilowattheure, et si possible de 1 ¢ le kilowattheure, sans quoi l’hydrogène vert ne sera probablement pas économique aux termes du calendrier de tarification du carbone actuel du Canada. En raison de cette dynamique, l’hydrogène bleu dominera les régions où le méthane est à bon marché et où la géologie se prête au captage et au stockage du carbone — par exemple, en Alberta et en Saskatchewan — jusqu’au milieu des années 2030 au moins, voire jusqu’aux années 2040. Par contre, l’Europe, la Chine et le Québec opteront directement pour l’hydrogène issu de l’électrolyse.
En ce qui concerne les politiques à adopter pour aider au développement durable de l’industrie, le crédit d’impôt pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone est très utile pour l’hydrogène bleu, mais il est crucial de réduire de 75 % les émissions fugaces du méthane en amont, conformément à l’engagement pris par le gouvernement. En appliquant une quantité accrue...
Le président : Excusez-moi. Un instant, je vous prie. Nous ne sommes pas plus avancés. Essayons ceci : passons directement à M. Mac Dowell pour voir si nous éprouvons le même problème. Si vous le voulez bien, monsieur Mac Dowell, nous allons vous céder la parole, mais assurez-vous de parler très lentement et bien fort, puis nous verrons ce qui se passera.
Monsieur Bataille, je vous recommande, si vous le voulez bien, de nous envoyer vos notes d’allocution. Nous vous en saurions gré, car nous pourrions ainsi au moins tenir compte de votre contribution.
Niall Mac Dowell, professeur, CCS Knowledge Centre : Bonjour. Je vous remercie de me permettre de participer à cette réunion. J’ai préparé quelques diapositives que j’aimerais présenter, car une grande partie de ce que je voudrais communiquer est de nature quantitative, et cela pourrait donc s’avérer utile. Est-ce possible ou autorisé?
Le président : Nous ne pouvons pas présenter de diapositives. Apparemment, l’application Zoom ne le permet pas.
M. Mac Dowell : En effet, cette fonction est désactivée. Ce n’est pas grave.
Je m’appelle Niall Mac Dowell. Je suis professeur à l’Imperial College de Londres, en plus d’être affilié au CCS Knowledge Centre au Canada. Je suis membre de l’Institution of Chemical Engineers et de la Royal Society of Chemistry. J’ai publié plus de 200 articles dans le domaine de la gestion du carbone au cours de la dernière décennie. Je suis également conseiller auprès du gouvernement britannique, même si certains jours semblent plus difficiles que d’autres.
La première chose que je voudrais dire, c’est que le concept de l’hydrogène, bleu ou vert, n’est pas nouveau. Le Canada a été l’un des pionniers de cette technologie. L’hydrogène électrolytique a été démontré pour la première fois en 1789. Il a été déployé à l’échelle industrielle en 1888 et, en 1902, sa production est passée à 100 mégawatts grâce à l’hydroélectricité au Canada. L’hydrogène gris, généré par le reformage d’hydrocarbures, a été mis au point en 1868 et déployé commercialement dans les années 1910. Ainsi, même si les gens sont, de nos jours, très emballés par les possibilités offertes par l’hydrogène, nous devons reconnaître que cette technologie existe depuis longtemps. Comme Chris Bataille l’a dit il y a un instant, l’hydrogène est aujourd’hui largement utilisé dans certains secteurs de l’industrie.
Dans le contexte d’une transition vers la carboneutralité ou d’une transition énergétique, il est important de noter que, si l’hydrogène peut, en principe, être utilisé pour de nombreuses applications, il ne constitue évidemment pas une option avantageuse dans tous les cas. Par exemple, dans le contexte des engrais, de l’hydrogénation, de la désulfuration, de la fracturation hydraulique, il n’y a essentiellement aucune autre véritable solution. Dans d’autres domaines, comme ceux des voitures à pile à combustible, des autobus et des véhicules électriques, les batteries et tout le reste sont des produits concurrents importants. Donc, ce n’est pas parce que l’hydrogène peut être utilisé qu’il le sera.
Nous devons également faire très attention au coût de l’hydrogène. Dans le contexte de l’hydrogène bleu — c’est-à-dire l’hydrogène produit à partir du méthane, avec captage et stockage du carbone —, le coût du gaz naturel est un facteur déterminant. Dans certaines régions du Canada, cela signifie que les coûts de production de l’hydrogène bleu sont très bas. À l’inverse — et comme M. Bataille l’a également dit —, le coût de l’hydrogène vert est fortement tributaire du coût de l’électricité fiable et renouvelable. Nous devons donc être en mesure de produire en permanence de l’électricité à charge minimale. Cette capacité varie considérablement d’un endroit à l’autre dans le monde, y compris au Canada. Dans certaines régions du Canada, l’hydrogène électrolytique peut être produit à très bon marché; dans d’autres, c’est vraiment très coûteux.
Parlons maintenant de l’empreinte carbone de l’hydrogène bleu et de l’hydrogène vert. De toute évidence, l’empreinte carbone de l’hydrogène vert dépend fortement de l’intensité carbonique de l’électricité utilisée. Quant à la compétitivité de l’hydrogène bleu du point de vue de l’intensité carbonique, il faut que l’intensité des émissions de carbone du réseau électrique soit presque nulle. Pour que l’hydrogène bleu soit viable en tant que produit inoffensif pour l’environnement, il faut non seulement capter la quasi-totalité des émissions de CO2 au moment de la conversion du méthane en hydrogène, mais aussi réduire les fuites de méthane dans la chaîne d’approvisionnement en gaz naturel jusqu’à ce qu’il n’y en ait presque plus. C’est possible, mais il faut faire ce qui s’impose.
L’autre point à ne pas oublier, c’est que le carbone n’est pas le seul facteur qui entre en ligne de compte pour l’environnement. En effet, du point de vue des émissions de carbone, l’hydrogène bleu peut, dans des conditions très rigoureusement contrôlées, émettre de faibles quantités de carbone, mais l’hydrogène renouvelable produit à partir d’électricité aura presque toujours une empreinte carbone plus faible. Toutefois, quand on tient compte d’autres facteurs, comme l’écotoxicité, la rareté des ressources minérales, l’acidification, les particules et l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’hydrogène vert peut s’avérer moins efficace que l’hydrogène bleu.
En ce qui a trait au déploiement des technologies liées à l’hydrogène, il est toujours important de tenir compte du coût de renonciation. Si nous choisissons de déployer des technologies axées sur l’hydrogène vert, même dans le cadre d’un accord d’achat d’énergie, il sera nécessaire d’examiner ce que nous aurions pu faire autrement avec cette énergie verte pour éviter les émissions de carbone.
Dans ce contexte, tant que l’intensité carbonique du réseau électrique dans lequel est déployé l’hydrogène vert demeure inférieure à environ 60 kilogrammes par mégawattheure, ce qui est assez faible, on obtiendra une meilleure valeur de décarbonisation en utilisant cette électricité verte pour remplacer les actifs plus polluants du réseau électrique ou ceux émettant plus de CO2 et en utilisant l’hydrogène bleu pour remplacer le méthane.
Pour en revenir aux questions précises faisant l’objet de votre étude, je crois que les possibilités offertes par l’hydrogène au Canada comme ailleurs dans le monde demeurent assez incertaines. Dans certains domaines, c’est une très bonne idée; dans d’autres, beaucoup moins. Je crois que le transport de l’hydrogène sur de longues distances semble difficile, tant du point de vue des coûts que de l’efficacité énergétique.
S’ils sont déployés de façon judicieuse, l’hydrogène bleu et l’hydrogène vert pourront jouer un rôle important dans l’atteinte des cibles de carboneutralité. Selon moi, des défis à court et à moyen terme subsistent à chaque étape de la chaîne de valeur, qu’il s’agisse de l’approvisionnement, de la production d’hydrogène, de sa distribution ou de la demande.
À l’échelle mondiale, quel que soit le pays, il est essentiel de disposer de modèles d’investissement commerciaux attrayants. Les décisions stratégiques sont très utiles à cet égard. Il est important de concilier les délais liés au processus politique, aux mesures stratégiques, aux investissements et au déploiement. Le caractère abordable et la sécurité énergétique demeurent des facteurs primordiaux. Il importe aussi d’éviter de présenter chaque solution technologique comme une solution à prendre ou à laisser. Je crois que ce serait une erreur fondamentale.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Mac Dowell. Vous devez être fatigué. C’était un rythme difficile à maintenir.
La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse au témoin que nous venons d’entendre. La carboneutralité est une course à laquelle le Canada se joint en retard. Pour nous, le facteur temps est crucial. Nous avons eu, dans le passé, neuf objectifs de réduction des émissions, dont aucun n’a été atteint.
L’année 2030 arrive à grands pas, et l’année 2050 n’est pas si loin. Je serai encore en vie, je l’espère. Il s’agit donc d’une question urgente, d’où la nécessité d’agir rapidement.
En ce qui concerne le captage et le stockage du carbone, les gens disent que ce procédé est très peu efficace. Quant à l’hydrogène, ils disent que cette technologie ne se prête pas tout à fait aux objectifs que nous voulons atteindre parce qu’elle a été mise au point il y a 40 ans et, comme vous l’avez mentionné, les résultats en matière de coût et d’efficacité énergétique laissent à désirer.
Selon vous, pourquoi insistons-nous sur l’hydrogène et sur le captage et le stockage du carbone? Pouvez-vous nous en expliquer la raison? Je pense, pour ma part, que c’est une évidence. J’estime qu’il y a lieu d’analyser ces choses de façon très directe, logique, économique et écologique, mais nous semblons nous contenter d’étudier des technologies que nous qualifions de solutions miracles, alors que nous savons qu’il n’en est rien. Ce sont les seules solutions dont nous avons entendu parler.
M. Mac Dowell : Je vous remercie. Ce sont d’excellentes questions, qui sont difficiles à trancher.
Premièrement, il n’y a pas de solution miracle. Nous avons besoin de tout ce qui est à notre disposition, et ce, le plus rapidement possible.
Deuxièmement, nous devons relever un défi de taille pour atteindre la carboneutralité en temps utile. Je suis également d’avis qu’on assiste à une véritable course à l’échelle mondiale pour déployer des technologies et tirer profit de la valeur qui s’y rattache.
J’ai récemment assisté au forum mondial d’action pour l’énergie propre et à la conférence ministérielle sur l’énergie propre à Pittsburgh, et il m’a semblé évident que le plan de relance économique créé par la loi américaine sur la réduction de l’inflation était très important. Le secteur privé est très enthousiaste à l’idée de commencer à mener des projets à cet égard.
Je ne suis ni pour ni contre l’hydrogène. Je crois que toutes les solutions auront leur utilité. D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et l’Agence internationale de l’énergie atomique, ainsi que d’après mes propres travaux et ceux d’autres experts, comme Christopher Bataille, je sais que la technologie de captage et de stockage du carbone est sans cesse décrite comme une solution incontournable qui pourrait nous permettre de répondre de manière crédible aux exigences de carboneutralité. Elle offre un moyen d’autonomie. Elle nous permet de décarboniser l’électricité, l’industrie et le chauffage. Elle nous permet d’éliminer le CO2 de l’atmosphère. Elle joue donc un rôle important.
Pour en revenir à votre commentaire sur l’existence d’une course, seule une poignée d’entreprises dans le monde entier peuvent, me semble-t-il, participer de façon constructive au déploiement de ces technologies. Elles iront là où leurs investissements leur rapporteront le plus.
Le rôle du gouvernement, à mon avis, est donc de contribuer à réduire le risque de ces investissements. Cela ne doit pas se faire uniquement au moyen de crédits d’impôt ou de subventions. Le gouvernement peut prendre beaucoup de mesures qui ne nécessitent aucune dépense publique pour assurer l’efficacité de ces investissements. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un rôle très important à jouer. L’essentiel est d’avoir un modèle économique fiable.
La sénatrice Galvez : Je vous remercie de cette réponse très complète et très détaillée à ma question. En ce qui a trait à la spécificité de la production d’hydrogène — bleu, gris ou peu importe la couleur —, nous devons quand même rendre compte des émissions des catégories 1, 2 et 3.
Nous avons discuté du fait que les émissions des catégories 1 et 2 sont déjà très élevées pour l’hydrogène. Je ne pense pas que l’hydrogène produit au Canada sera destiné à notre propre usage, car nous avons tellement d’autres sources d’énergie, surtout si nous continuons à développer l’énergie solaire, éolienne, marémotrice et hydraulique. Or, le fait de transporter et d’exporter l’hydrogène augmentera les émissions de la catégorie 3. À un moment où nous devons réduire toutes les émissions — dans les catégories 1, 2 et 3 —, que pouvez-vous dire de l’hydrogène destiné à l’exportation? Autrement dit, comment les émissions de la catégorie 3 auront-elles une incidence sur la quantité totale des émissions?
M. Mac Dowell : Je vous remercie. Voilà une autre excellente question. Vous avez raison de dire que la carboneutralité met en cause les émissions des catégories 1, 2 et 3. Si on tient compte uniquement des émissions, la contribution du transport maritime — je suppose que c’est ce dont il est question ici —, en fonction de grammes de CO2 par kilowattheure d’énergie livrée, est faible par rapport à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
Deuxièmement, toutes ces émissions deviennent effectivement des choix. Nous pouvons choisir de réduire, voire d’éliminer carrément les émissions liées à la production de méthane ou d’électricité. Nous pouvons choisir de réduire et d’éliminer complètement les émissions associées à la production d’hydrogène bleu sur le site de production.
Dans le même ordre d’idées, certains semblent envisager la possibilité d’utiliser l’ammoniac ou le méthanol comme carburant de substitution pour le transport maritime, ce qui permettra de quasiment éliminer les émissions de carbone associées à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
Les émissions résiduelles peuvent — je l’espère, et j’y crois — être compensées de manière rentable et permanente par l’élimination physique directe du dioxyde de carbone de l’atmosphère grâce, par exemple, au captage direct dans l’air ou à la bioénergie avec captage et stockage du carbone, et cetera.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Donc, n’étant pas une experte de ces sujets, je voudrais vous entendre à propos de ce que vous avez dit sur l’électricité et le fait que pour produire de l’électricité, cela prend une énergie, bien sûr, mais qui serait supérieure — pour l’hydrogène vert — à ce qui permettait de diminuer nos émissions.
J’aimerais savoir, plus concrètement — parce que vous parlez dans l’absolu —, est-ce que cela veut dire que l’électricité produite au Québec, dont les Québécois sont très fiers, coûte trop cher sur le plan énergétique pour pouvoir produire de l’hydrogène vert à un coût net qui est raisonnable quand on veut tendre vers la carboneutralité?
[Traduction]
M. Mac Dowell : Je vous remercie de cette question. Je ne suis pas sûr d’avoir tout à fait compris.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je pourrais la reformuler. Ce n’était pas particulièrement clair.
Au Québec, nous produisons de l’hydroélectricité. Nous en sommes très fiers. Or, dans votre exposé, vous avez semblé dire que le coût de production de l’hydroélectricité dans certaines régions du Canada est trop élevé pour produire de l’hydrogène vert à un coût raisonnable et d’une façon qui puisse nous aider à réduire nos émissions.
J’aimerais que vous clarifiiez ce point : le Québec, grâce à son hydroélectricité, peut-il produire de l’hydrogène vert à un coût acceptable sur le plan environnemental?
M. Mac Dowell : Merci. Je comprends. Mon observation concernait l’énergie éolienne et l’énergie solaire, pas l’hydroélectricité. Les calculs que j’ai faits concernent l’éolien et le solaire.
Je crois comprendre que si vous utilisez l’hydroélectricité, surtout l’hydroélectricité établie — c’est-à-dire que vous n’aurez pas à construire de nouvelles installations et que vous pourrez utiliser les installations existantes —, l’électricité carbonée de l’hydrogène vert produit avec l’hydroélectricité du Québec serait très faible. Ce serait tout à fait acceptable.
Du reste, l’hydroélectricité est une forme d’énergie fiable. Elle est vraisemblablement toujours disponible tant que l’eau est là. Par conséquent, vous n’avez pas à vous soucier du caractère intermittent de l’éolien et du solaire, ce qui est une très bonne chose. La question que je me pose est la suivante : si vous utilisez votre hydroélectricité pour produire de l’hydrogène, cela réduira-t-il en quelque sorte la quantité d’hydroélectricité disponible pour répondre à la demande existante? Et si c’est le cas, comment allez-vous pallier cette insuffisance? Cela peut devenir un problème.
La sénatrice Miville-Dechêne : Compte tenu de tout cela, comment évaluez-vous la stratégie du Canada en matière d’hydrogène? Devrions-nous y renoncer? Devrions-nous poursuivre dans cette voie? La stratégie devrait-elle être modifiée? En un mot, que recommandez-vous?
M. Mac Dowell : Je n’ai pas de recommandation à faire à ce sujet. Il me faudrait plus de temps pour répondre à cela. Je vous prie de m’excuser.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est dommage.
La sénatrice Sorensen : Je vais adresser cette première question à M. Mac Dowell, et je serai heureuse, si j’ai une deuxième question, d’interroger aussi M. Bataille.
Monsieur Mac Dowell, encore une fois, je suis loin d’être une experte et j’apprends tous les jours de nouvelles choses sur l’hydrogène. Je voulais comprendre un peu mieux comment « nettoyer » l’hydrogène bleu. Je pense que ce que vous avez dit, c’est que pour ce faire, il faudrait capter davantage de CO2 et réduire les fuites. Pouvez-vous, comme je l’ai dit souvent, m’expliquer, comme à la maternelle, comment cela pourrait se produire? Comment cela peut-il se faire?
M. Mac Dowell : Merci. C’est une excellente question. Si nous utilisons le gaz naturel acheminé par gazoduc de la Russie vers l’Europe, peu importe ce que nous en faisons, je pense que l’hydrogène sera toujours trop polluant pour être utilisé. L’intégrité du système de distribution du gaz naturel est d’une importance capitale.
À l’inverse, au Royaume-Uni, si nous envisageons d’utiliser le gaz naturel en provenance de la Norvège, l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement en méthane est, à mon sens, suffisamment bonne pour justifier l’utilisation de cette source. Cependant, même à l’étape de la conversion du méthane — lors du processus que l’on appelle reformage du méthane —, vous devrez invariablement capturer plus de 90 % du CO2 produit pour que la qualité de l’hydrogène ainsi produit soit acceptable sur le plan environnemental.
Selon moi, la bonne nouvelle, c’est que ces deux étapes sont tout à fait réalisables. Cela reste une question de choix. Je vous remercie.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie. Ma deuxième question s’adresse à nos deux témoins. Le Canada arrivera-t-il un jour à n’utiliser que les sources d’énergie renouvelable? Croyez-vous plutôt que les hydrocarbures sont appelés à continuer de jouer un rôle dans un avenir prévisible?
M. Bataille : Presque toutes les études sur les systèmes d’énergie carboneutres montrent une participation très élevée de l’éolien et du solaire, mais cela dépend de la région. Avec notre latitude nordique, nous pouvons certes utiliser abondamment ces sources d’énergie, mais il nous faut plus d’énergie propre et fiable.
L’hydroélectricité du Québec sera essentielle à cet égard, ainsi qu’une bonification de la transmission. L’énergie nucléaire de l’Ontario et peut-être les petits réacteurs modulaires peuvent être utiles, mais les combustibles fossiles avec captage et stockage du CO2 de la génération actuelle et des nouveaux types avancés peuvent être essentiels pour fournir les 20, 30 ou 40 % d’énergie que l’éolien et le solaire ne seront pas en mesure de fournir au Canada.
La sénatrice Seidman : Ma question s’adresse au professeur Mac Dowell. Dans un article que vous avez coécrit cette année et qui s’intitule « Profitability and the use of flexible CO2 capture and storage (CCS) in the transition to decarbonized electricity systems », vous et vos coauteurs expliquez que l’énergie fossile avec capture et stockage du carbone peut contribuer à assurer la stabilité du réseau. Il est tentant pour nous de considérer l’énergie fossile et les énergies renouvelables comme un « tout ou rien », mais une grande partie de votre travail laisse entendre que le fait de disposer d’une source d’énergie fossile de secours flexible permet en fait d’utiliser davantage les énergies renouvelables.
Vous notez également qu’en général, les centrales électriques à fonctionnement flexible dotées d’un système de captage et de stockage du carbone ne sont pas rentables pour le moment, mais qu’elles pourraient dans certains cas le devenir grâce à une combinaison adéquate d’incitatifs commerciaux et de la réduction des coûts de la technologie présidant au captage du carbone. Votre document porte sur le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Australie et la Chine, mais j’aimerais savoir si les mêmes principes s’appliquent au Canada. Si c’est le cas, y a-t-il des mesures que vous pourriez recommander au gouvernement canadien pour stimuler la modernisation des centrales à combustibles fossiles?
M. Mac Dowell : Merci de votre question. Je suis vraiment heureux que quelqu’un ait lu mon article.
Oui, il fut un temps où les gens présumaient que le captage et le stockage du carbone allaient inévitablement devenir la charge de base. Comme vous l’avez observé, une grande partie du travail que j’ai effectué est en désaccord avec cette affirmation, et il identifie et quantifie une proposition de valeur substantielle en faveur des systèmes électriques ayant des actifs flexibles, répartissables et fiables aptes à fournir une gamme complète de services en matière d’électricité. Il est important de noter que le réseau électrique n’a pas seulement besoin d’électricité. Il a besoin d’une capacité fiable, d’une capacité de démarrage à froid, d’un contrôle de la fréquence et de la tension, etc. Tous ces services peuvent être fournis par le captage et le stockage du CO2.
Comme nous l’observons en Europe, par exemple, le réseau peut connaître plusieurs années de sécheresse éolienne ou de prix du gaz très élevés. La rentabilité des centrales de captage et de stockage du CO2 à fonctionnement flexible pourrait être suffisante pour justifier cet investissement. En ce moment, au Royaume-Uni, le ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle, avec lequel je travaille, élabore des modèles commerciaux pour soutenir une capacité de captage et de stockage du CO2 flexible déployée de cette manière. Cela demande des modèles commerciaux délibérément et soigneusement construits pour récompenser à la fois la disponibilité de la capacité ferme, mais aussi le volet « répartition ».
Cela répond-il à votre question?
La sénatrice Seidman : Cela répond en grande partie à ma question. Je présume que les principes appliqués au Royaume-Uni s’appliquent également au Canada. Dans ce cas, serait-il exact de dire que le gouvernement pourrait prendre des mesures pour encourager la modernisation des centrales fossiles existantes?
M. Mac Dowell : Oui, je pense que c’est exact. La première étape serait de faire une analyse rigoureuse pour confirmer la proposition de valeur des actifs décarbonisés flexibles comme ceux-là, mais dans votre contexte. Je tiens à préciser que mon analyse s’est fait dans le contexte de la plupart des États européens, de plusieurs régions de l’Asie du Sud-Est, de plusieurs États des États-Unis — dont le Texas, la Californie, le Wyoming et la Louisiane — et de l’Australie. Donc, oui, j’ai examiné la chose dans beaucoup d’endroits, mais pas encore au Canada. Il faudrait d’abord confirmer cette proposition de valeur, et s’assurer qu’elle saura résister à l’incertitude entourant les taux de déploiement d’analyses contraires, l’émergence de technologies de rechange, etc. Une fois que vous l’aurez confirmé, le rôle du gouvernement sera de développer, comme je l’ai dit, des modèles d’investissement commerciaux qui pourront assurer que la démarche en vaille la peine. L’une des observations clés de l’étude à laquelle vous avez fait référence est que lorsque vous adaptez le captage et le stockage du CO2 à des centrales électriques existantes, lorsque le capital de la centrale électrique existante est en grande partie remboursé, vous n’avez à vous soucier que du coût de l’installation de capture et pas tellement de la centrale électrique proprement dite, ce qui peut faciliter la rentabilité.
Le sénateur Yussuff : Merci, professeur, de votre présentation. Ma question a deux volets. Premièrement, la technologie de capture du carbone en est une qui, de toute évidence, évolue rapidement. Presque tous les pays investissent dans cette technologie. Dans l’ensemble, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que ce que nous savons aujourd’hui et qu’il adviendra dans les 10 prochaines années sera très différent et concourra à rendre la capture du carbone concurrentielle. Pouvez-vous envisager un moment où le déploiement de la technologie contribuera de manière significative à atteindre l’objectif consistant à se servir de la technologie pour réduire les gaz à effet de serre et à faire une plus grande place à l’utilisation et à la production d’hydrogène, fut-il bleu, vert ou gris?
Le deuxième volet de ma question concerne les emplois créés et les emplois perdus dans un certain secteur. Les personnes qui travaillent dans ces secteurs s’inquiètent beaucoup de perdre leur emploi à cause de cette transition. Que pouvons-nous dire des emplois qui seront créés par le passage à l’hydrogène?
Le président : En raison du temps, nous ne pourrons répondre qu’à la première question. Elle s’adresse à M. Mac Dowell, n’est-ce pas?
M. Mac Dowell : Merci de la question. Très rapidement, sur la base de l’analyse que j’ai faite, les technologies disponibles à l’heure actuelle sont plus qu’adéquates aux fins de déploiement. À mon avis, une amélioration supplémentaire de la technologie de capture et de stockage du carbone n’apportera pas d’avantages substantiels aux payeurs de factures, aux abonnés, mais en apportera plutôt à ceux qui fournissent ces technologies.
Je conseillerais au gouvernement canadien et aux autres gouvernements d’accélérer le déploiement de l’infrastructure habilitante clé, comme le transport et le stockage du CO2, et de contribuer au développement de modèles d’investissement commerciaux qui créeront les environnements nécessaires au déploiement de ces technologies.
Comme vous l’avez mentionné, il y a beaucoup d’agences qui mettent au point de nouvelles technologies. La demande pour le déploiement de ces technologies les fera simplement progresser. Je ne conseillerais pas d’attendre l’émergence d’une nouvelle technologie.
Je peux aussi parler de cet autre élément, la « transition équitable », et de la création d’emplois, mais je ne sais pas si nous avons le temps.
Le président : Nous allons devoir passer.
La sénatrice McCallum : Merci beaucoup pour vos présentations, et merci de vous être joints à nous aujourd’hui.
J’ai d’abord une observation, puis une question. Nous n’avons pas seulement à faire face à des défis comme la carboneutralité, mais aussi à la destruction et à la dépossession des terres causées par les entreprises d’extraction de ressources, ce qui a cours dans les collectivités autochtones. Si l’on considère les changements climatiques, en particulier la sécheresse, il faut aussi parler des effets de l’hydroélectricité que l’on constate maintenant, surtout en Colombie-Britannique et au Manitoba.
Pouvez-vous nous dire quelque chose à ce sujet? Lorsque nous avons parlé avec les gens de Manitoba Hydro, ils ont dit qu’ils n’avaient pas assez d’électricité pour pouvoir construire des lignes de transmission vers de nouvelles collectivités, et ils ont signalé le besoin de construire de nouveaux barrages. Pouvez-vous nous donner vos impressions à ce sujet, monsieur Mac Dowell?
M. Mac Dowell : J’ai bien peur de ne pas pouvoir faire de commentaires à ce sujet, car je ne suis pas un expert dans ce domaine.
M. Bataille : Le Manitoba a la capacité de construire quelques barrages de plus, mais on peut se demander si, tout compte fait, cela est dans l’intérêt des Manitobains, en particulier des Manitobains du Nord.
Le Manitoba a un grand potentiel éolien qui pourrait s’ajouter à son hydroélectricité. Les deux ensemble pourraient probablement fournir un système durable pour l’avenir.
Le président : Je suis désolé que nous soyons à court de temps. Nous allons passer à notre prochain témoin. Monsieur Mac Dowell et monsieur Bataille, nous avons hâte de recevoir vos notes et d’ainsi nous assurer d’avoir un portrait complet de la situation. Merci.
[Français]
Nous accueillons, du Bureau du vérificateur général du Canada, M. Jerry DeMarco, commissaire à l’environnement et au développement durable, et Mathieu Lequain, directeur, qui participe par vidéoconférence.
Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation.
Monsieur DeMarco, vous avez la parole.
[Traduction]
Jerry DeMarco commissaire à l’environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l’occasion de discuter de notre rapport sur le potentiel de l’hydrogène comme moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport qui a été déposé au Parlement le 26 avril 2022. Je tiens à souligner que cette audience se déroule sur le territoire traditionnel non cédé des Algonquins anishinabes.
Je suis accompagné aujourd’hui par Mathieu Lequain, qui est le directeur responsable de l’audit.
Le rôle potentiel que l’hydrogène pourrait jouer dans les systèmes d’énergie carboneutre et la décarbonisation suscite un intérêt considérable à l’échelle mondiale. L’hydrogène peut être utilisé pour réduire les émissions lorsque l’électrification n’est pas techniquement ou économiquement réalisable, comme dans les industries qui consomment beaucoup d’énergie. Toutefois, le potentiel de décarbonisation de l’hydrogène dépend de la manière dont cet hydrogène est produit et utilisé. Dans le cadre de l’audit dont il est question ici, nous voulions savoir si Environnement et Changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada avaient évalué de façon exhaustive le rôle que l’hydrogène devrait jouer pour nous permettre d’atteindre nos engagements en matière de lutte aux changements climatiques.
Dans l’ensemble, nous avons constaté que les deux ministères avaient des approches différentes pour évaluer le rôle que l’hydrogène devrait jouer dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Environnement et Changement climatique Canada avait établi un potentiel de réduction de 15 mégatonnes d’émissions d’équivalent en dioxyde de carbone d’ici 2030, alors que pour Ressources naturelles Canada, cette réduction avait été fixée, dans les objectifs les plus ambitieux, à 45 mégatonnes d’ici 2030.
Pour évaluer la demande en hydrogène, Environnement et Changement climatique Canada a misé un scénario de mélange d’hydrogène et de gaz naturel qui ne reposait sur aucune politique provinciale ou fédérale existante. Par ailleurs, cette approche n’était pas économiquement viable compte tenu de la tendance actuelle de la tarification du carbone.
[Français]
Pour sa part, Ressources naturelles Canada avait privilégié un scénario transformateur qui supposait l’adoption de politiques audacieuses et parfois inexistantes, ainsi que de nouvelles technologies ambitieuses.
Il est important qu’Environnement et Changement climatique Canada, en collaboration avec les autres ministères fédéraux, adopte un cadre normalisé pour évaluer l’incidence des politiques, des technologies propres et des combustibles proposés sur les émissions.
En général, Environnement et Changement climatique Canada ne faisait pas la distinction entre les politiques et les mesures existantes et celles qui n’avaient pas encore été annoncées ou mises en œuvre. Nous avons constaté que le plan climatique d’Environnement et Changement climatique Canada, en vigueur au moment de l’audit, se fondait sur des mesures qui, parfois, n’avaient pas été mises en œuvre et s’appuyait sur certaines politiques qui n’avaient pas le soutien législatif ou financier nécessaire.
Environnement et Changement climatique Canada bénéficierait d’un cadre plus solide pour l’examen par les pairs et le public ainsi que pour l’assurance et le contrôle de la qualité dans ses exercices de modélisation. Cette constatation est importante pour améliorer la qualité et la transparence de la modélisation climatique du ministère et la confiance à l’égard de celle-ci dans les futurs plans de réduction des émissions.
Nous avons fait quatre recommandations à Environnement et Changement climatique Canada et deux recommandations à Ressources naturelles Canada. Les deux ministères ont accepté toutes nos recommandations.
Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serions heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Ma compréhension de vos commentaires est que nous avons deux ministères, et chacun a choisi sa méthode d’évaluation et se fiait souvent à des déclarations politiques et non pas à la réalité. Est-ce que je comprends bien?
M. DeMarco : Oui.
Le président : Excellent.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’irai plus loin que notre président. Je trouve cela relativement déprimant. Cela veut dire qu’on a deux ministères qui ne se parlent pas et qui ont mélangé à la fois des prévisions fondées sur ce que l’on connaît des technologies, des politiques en vigueur et non en vigueur pour faire des prévisions auxquelles on ne peut pas se fier.
Nous sommes des législateurs, mais dans ce cas-ci, on fait une étude; on doit faire des recommandations. Alors si je comprends bien, on n’a pas ce qu’il faut pour dire si oui ou non, on peut aller de l’avant avec les objectifs proposés.
M. DeMarco : C’est la raison pour laquelle nous avons fait plusieurs recommandations. Il y avait plusieurs problèmes comme ceux que vous avez mentionnés. En anglais on dit « two ships passing in the night ». Pour ce qui est des deux ministères, je ne dis pas qu’ils n’ont pas communiqué du tout entre eux, mais pas suffisamment. Ils n’ont pas coordonné leurs efforts.
C’est important. C’est une raison qui explique nos recommandations, parce qu’on a un plan fédéral pour les changements climatiques. On n’a pas besoin de différents scénarios et différentes cibles selon les différents ministères. C’est inefficace et inutile. La question n’est pas qu’un ministère avait une bonne réponse alors que l’autre pas. Il y avait un problème dans les réponses des deux ministères.
La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, vous n’en recommandez aucune des deux. D’après vos notes d’introduction, on semble dire qu’Environnement et Changement climatique Canada, qui s’est appuyé sur des politiques qui ne sont pas encore adoptées, est dans la pure spéculation?
M. DeMarco : Oui, et M. Lequain peut ajouter plus de détails sur cette question.
Mathieu Lequain, directeur, Bureau du vérificateur général du Canada : Oui. Dans le plan d’Environnement et Changement climatique Canada, il y a des mesures qui sont notamment liées à des incitatifs fiscaux sur la capture du carbone, une mesure un peu semblable à ce qui existe aux États-Unis, ce qu’on appelle le 45Q, selon laquelle on offre une subvention fiscale qui dépend du montant de carbone capturé par les producteurs d’énergie. C’est une des raisons.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Merci, monsieur DeMarco, d’être avec nous aujourd’hui.
Est-il normal ou pas que deux ministères qui sont si étroitement liés pour livrer quelque chose d’aussi important ne travaillent pas sur le même ensemble de définitions ou les mêmes modèles, et ne communiquent pas entre eux? D’après votre expérience, cela se produit souvent? Bien sûr, c’est tout ce dont vous pouvez parler.
M. DeMarco : Oui. Il y a beaucoup de problèmes d’horizontalité, qui est le jargon utilisé pour parler des questions qui touchent simultanément différents ministères. C’était un exemple particulièrement évident de ce manque de coordination.
Si l’on se réfère à un rapport publié à l’automne 2021 où nous parlions de l’importance du leadership et de la coordination, la crise des changements climatiques n’est pas seulement une question pluriministérielle. C’est une question qui concerne l’ensemble de la société, comme le sait bien le comité. Les institutions gouvernementales devront surmonter les obstacles que les cloisonnements de longue date créés dans leur travail.
En général, les ministères fonctionnent à la verticale et s’en tiennent à leur mandat. Sauf que pour les problèmes auxquels nous devons faire face — qu’il s’agisse des changements climatiques, du recul de la biodiversité, de la réconciliation, de toutes ces choses qui concernent toutes sortes de ministères —, les structures doivent être remodelées d’importante façon si nous voulons nous doter de politiques harmonisées, de politiques qui auront de bons résultats, des résultats concrets. En fin de compte, c’est cela qui est important.
Malheureusement, les problèmes liés à cette pensée cloisonnée des ministères par opposition à une coordination horizontale ne sont pas aussi rares qu’on pourrait le souhaiter.
La sénatrice Seidman : Vous êtes allés plus loin. Si je regarde à la page 9 de votre rapport, au point 3.16, vous écrivez :
Nous avons constaté que les 2 ministères utilisaient des hypothèses irréalistes pour modéliser le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’hydrogène. D’après nos constatations, nous estimons que le plan Un environnement sain et une économie saine ne cadrait pas avec l’engagement climatique pris par le Canada de réduire les émissions de 30 % d’ici à 2030 qui était en vigueur au moment de l’élaboration de ce plan.
C’est un énoncé très catégorique et fort préoccupant. Je me demande de quelle façon vous allez effectuer le suivi au sein de ces ministères d’ici 2030 à la lumière de cibles qui sont manifestement essentielles pour notre pays.
M. DeMarco : C’était un audit intéressant, car nous devions strictement procéder à une étude en profondeur de la stratégie en matière d’hydrogène et des politiques et initiatives connexes. Toutefois, nous avons cerné des problèmes qui ne sont pas uniques à la filière de l’hydrogène; il y a des problèmes liés à l’approche du Canada dans la modélisation de plans visant à atteindre ses diverses cibles.
À vrai dire, le plan Un environnement sain et une économie saine était en vigueur au moment de cet audit, mais il a été remplacé en mars par le Plan de réduction des émissions. Nous avons constaté, dans le cadre de l’audit, que l’idéal serait de souligner les problèmes dans l’approche générale plutôt que de nous limiter à des questions propres à la filière de l’hydrogène.
C’est très préoccupant. Comme vous avez pu le lire dans notre rapport de l’an dernier sur les leçons tirées, le Canada a pris maints engagements et adopté nombre de cibles au fil des ans, depuis 32 ans en fait, et n’en a respecté aucun. Dans ce rapport, nous soulignons certains des problèmes relatifs à la modélisation et à la planification, dans l’espoir que nos recommandations, si elles sont appliquées, rendront les prochains exercices de planification et de modélisation plus précis et les cibles, plus atteignables.
C’est vraiment ce qui nous préoccupe : les résultats sont-ils à la hauteur des intentions? Ce ne sont pas les bonnes intentions qui ont manqué du début des années 1990 à aujourd’hui. Ce n’est pas seulement un problème de coordination, dont nous avons parlé en premier lieu. Il s’agit en fait d’établir à quel point les plans sont réalistes et fondés sur des données probantes.
La sénatrice Galvez : Vous avez parlé de deux ministères qui travaillent en vase clos, qui s’appuient sur des hypothèses différentes pour faire leur travail et qui soumettent ensuite leurs conclusions. Vous avez constaté, j’en suis convaincue, que ce n’est pas un problème unique au ministre de l’Environnement et au ministre des Ressources naturelles, mais bien un phénomène systémique en matière de changements climatiques. Nous souhaiterions que la ministre des Finances fasse aussi partie des discussions, car nous versons des milliards en subventions aux sociétés pétrolières et gazières, alors que nous étions sensés éliminer graduellement ces subventions. Cela doit bien faire 20 ans que nous promettons de le faire, mais nous ne le faisons pas. Donc, c’est parce que tout le monde travaille dans son coin que nous n’atteignons pas nos cibles.
Vous êtes vérificateur en matière d’environnement, donc vous avez une vision globale des choses. Je veux que vous nous disiez de quelle façon nous pouvons vous aider à faire les bonnes recommandations afin d’aborder le tout de façon globale, de sorte que nous soyons plus efficaces et à ce que, un jour, nous atteignions l’une de nos cibles, car nous ne pouvons pas continuer ainsi. Nous parlons d’hydrogène, car, en développant l’hydrogène de même que le captage et le stockage du carbone, je suis certaine que vous le savez, c’est une façon de maintenir la production d’énergie fossile et le transport alimenté par ces combustibles.
M. DeMarco : Vous soulevez bien des points.
La sénatrice Galvez : Je sais. Je suis désolée.
M. DeMarco : Je suis heureux de pouvoir aborder ces questions. En fait, c’est ce genre de préoccupations qui ont motivé le rapport de l’an dernier sur les leçons tirées. Nous effectuons couramment l’étude approfondie de certains programmes ou initiatives comme la stratégie en matière d’hydrogène, mais, dans ce rapport, nous avons été en mesure de revenir sur quelques décennies de notre propre travail de vérification relativement à divers programmes. Nous avons interrogé des spécialistes du domaine et voulions rassembler le tout afin de traiter de questions générales, soit du même ordre que celle que vous posez. On y trouve quelques points saillants.
Sans surprise, l’une des leçons tirées — et il ne s’agit pas là de leçons inventées, mais bien du fruit de notre travail antérieur et de nos discussions avec des spécialistes —, c’est que nous ne les approprions pas. Si vous vouliez adopter certaines de nos recommandations, nous n’en serions que plus heureux. Les cibles et plans réalistes sont l’une des leçons tirées, le leadership et la collaboration en matière d’enjeux horizontaux en sont une autre. Une autre leçon particulièrement pertinente et que le Sénat serait, selon moi, en mesure d’aborder est celle du point de vue à long terme et de l’équité intergénérationnelle. Le Sénat a l’habitude de représenter ceux qui ne le sont pas assez et, évidemment, ceux qui sont les plus sous-représentés dans le système actuel sont les générations futures et les autres espèces avec lesquelles nous partageons la planète. Des comités comme celui-ci ont le luxe de pouvoir se pencher sur des questions de longue haleine comme les changements climatiques, la perte de biodiversité et la réconciliation sans se laisser abattre par de l’opportunisme de courte vue qui tend à nuire aux actions efficaces en matière de climat et qui, dans les faits, a empêché le Canada d’agir en matière de climat, ce qui a entraîné des incohérences dans ses politiques, entre autres, qui sont abordées dans le rapport.
Voilà ce qui me vient en partie à l’esprit sur une question qui, je pense, pourrait faire l’objet d’une séance d’une journée entière. Je vais m’en tenir à cela afin que vos collègues aient aussi du temps.
La sénatrice Galvez : Si vous avez d’autres idées et que vous souhaitez approfondir votre réponse à ma question, vous pouvez toujours soumettre quelque chose par écrit plus tard et fournir autant de détails que vous le voulez.
M. DeMarco : D’accord. Je serai heureux de le faire.
La sénatrice Galvez : Oui, s’il vous plaît.
M. DeMarco : Je devrais également souligner que la recommandation 34 traite aussi de certains des points soulevés dans votre question par rapport à une modélisation complète de l’utilisation de l’hydrogène. Elle porte sur une façon globale d’aborder les autres sources de combustibles et ainsi de suite. On a tendance à choisir un gagnant, comme l’hydrogène, puis à axer dessus toutes nos hypothèses et les variables nécessaires à la modélisation. En fait, nous avons besoin de modeler notre approvisionnement futur en énergie, duquel l’hydrogène et d’autres sources peuvent faire partie, et d’aborder la question de façon globale, comme je l’ai dit, ainsi que dans une optique à long terme.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre présence. Votre rapport est assez cinglant. Essentiellement, ce que vous dites en ce moment — pour le formuler peut-être en d’autres termes —, c’est que les hypothèses du ministère sur la façon dont nous allons atteindre notre objectif sont un mensonge. En se fondant sur ces hypothèses, certains de ces résultats ne sont même pas possibles, et le ministère n’en a pas déterminé les coûts.
Comment le pays peut-il se fier au fait que nous allons atteindre notre objectif d’ici 2030 ou 2050 si les hypothèses du ministère sont aussi fondamentalement fausses? Étant donné que ces deux ministères ne collaborent pas, auquel des deux accorderiez-vous la note la plus élevée en ce qui concerne ses hypothèses, compte tenu du rapport?
M. DeMarco : Nous n’avons pas accordé une note individuelle à leur rendement, parce que des problèmes différents existaient pour chacun de ces rendements. Je ne sais pas qui serait le gagnant. Ce serait un peu comme comparer des pommes et des oranges. Il est clair que le scénario transformateur de Ressources naturelles Canada, qui prévoyait jusqu’à 45 mégatonnes d’équivalents en matière de réduction de CO2, était moins réaliste que son autre scénario et que celui d’Environnement Canada.
Les objectifs sont souvent établis avant qu’un véritable plan ait été élaboré pour les atteindre, et il n’y a rien de mal à cela. C’est généralement ainsi que les choses se passent dans le dossier du changement climatique. La communauté internationale se réunit tous les deux ou trois ans et se met d’accord sur une sorte d’objectifs, et il incombe aux différents pays de déterminer leur rôle et leurs contributions individuelles, c’est-à-dire leurs contributions déterminées au niveau national, ou CDN.
Il ne s’agit pas seulement de faire en sorte que les calculs soient exacts. Il faut que ce soit des calculs réalistes exacts. C’est l’objet de ce rapport. Il n’est pas difficile d’imaginer un scénario dans lequel vous atteignez l’objectif du plan précédent ou le nouvel objectif, mais cela fonctionnera-t-il? C’est la raison pour laquelle le rapport sur les enseignements tirés a été élaboré, car nous voulons rappeler aux parlementaires le fait qu’aucun des plans précédents n’a fonctionné et tenir le gouvernement responsable de ce fait. Nous voulons aussi leur rappeler que si nous continuons d’avancer sur cette voie et appliquons la maxime selon laquelle le rendement antérieur est le meilleur indicateur du rendement futur, alors nous échouerons à nouveau. Certains signes indiquent que, cette fois, le nouveau plan de réduction des émissions aura plus de chances d’atteindre son objectif, car nous disposons d’éléments tels que la tarification du carbone, qui étaient absents des plans précédents, notamment dans les années 1990 et 2000. Il se peut que le plan fonctionne, mais nous devrons faire un rapport à ce sujet l’année prochaine, lorsque nous procéderons à un examen approfondi du Plan de réduction des émissions de 2030. Nous devons le faire d’ici 2024, en vertu de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Nous pourrions le faire plus tôt si nous avons la capacité de le faire. Restez donc à l’écoute de notre rapport sur le plan le plus récent. Toutefois, la raison pour laquelle nous avons ajouté le dernier tiers de ce rapport, c’est que nous avons distingué des problèmes systémiques dans leur approche générale, avec l’espoir que nous pourrions fournir quelques conseils formatifs et quelques recommandations utiles afin qu’ils ne répètent pas les erreurs du passé.
Le sénateur Yussuff : L’hydrogène constituera un élément fondamental de la stratégie de transition du Canada. Il s’agit également d’un nouveau carburant dans lequel le Canada investit évidemment, mais aussi d’une tentative pour amener la communauté internationale à contribuer à cet investissement au Canada. Comment pouvons-nous faire en sorte que les Canadiens comprennent que la réalité de l’utilisation de l’hydrogène ne va pas disparaître? Cependant, nous devons nous assurer que les modèles que nous utilisons pour prévoir les coûts et les réductions sont réalistes, afin que les Canadiens puissent faire confiance aux mesures du gouvernement, car une grande partie de l’argent des contribuables est utilisée en ce moment pour subventionner l’industrie et pour atteindre les objectifs établis. Toutefois, en dépit du fait qu’on leur dit que ce plan va marcher, les Canadiens ne savent pas nécessairement quels seront les coûts occasionnés et si nous atteindrons ou non les prévisions que le gouvernement nous a communiquées.
M. DeMarco : Nous avons vérifié la stratégie à un stade précoce, mais notre intention n’était pas de prédire nous-mêmes le pourcentage exact du mélange de carburants que représentera l’hydrogène. Les recommandations, si elles sont suivies, nous donneront davantage de réponses et vous fourniront un plus grand nombre des réponses dont vous avez besoin pour demander des comptes au gouvernement au sujet de ses plans.
À part vous dire que l’hydrogène fait partie du mélange, je ne peux pas vous dire quel pourcentage il représentera, à mon avis, car toutes ces recommandations doivent être mises en œuvre. Ce travail doit être effectué, et nous devons en examiner les résultats. Comme je l’ai mentionné dans une réponse précédente, bien que des audiences comme celle-ci portent sur un sujet particulier, nous avons besoin d’un plan de transformation économique et énergétique qui ne se contente pas de choisir un gagnant et de mettre en place un système pour veiller à ce que ce combustible soit favorisé par rapport à tous les autres. Il faut envisager la question de manière globale et prendre en compte les coûts environnementaux, économiques et sociaux, les effets externes négatifs qui ne sont pas pris en compte par la tarification du carbone et les effets temporels négatifs qui pèseront sur les générations futures.
Une fois que vous aurez rassemblé tout cela, le Canada devrait avoir une meilleure idée du rôle que l’hydrogène jouera. Compte tenu des informations que nous avons découvertes dans ce rapport, je peux dire que je ne faisais pas confiance à leurs hypothèses, mais je ne suis pas en mesure d’affirmer à ce stade que la bonne réponse est X, Y ou Z. Pour répondre à cela, il y a beaucoup de travail important qui doit être fait par les ministères, espérons qu’ils le feront d’une manière coordonnée cette fois-ci.
La sénatrice Sorensen : Nous avons tourné autour d’une réponse à la question que je souhaite poser, alors je pense que vous pourrez répondre à cette question très rapidement. Si je comprends bien, vous avez fait des recommandations concernant la stratégie fédérale de développement durable. Au point 10 de vos observations, vous avez indiqué qu’ils approuvaient vos quatre recommandations relatives à l’environnement et au changement climatique et vos deux recommandations relatives aux ressources naturelles, mais je pense que ce que vous dites maintenant, c’est que ce n’est pas parce qu’ils les approuvent qu’ils vont réellement les mettre en œuvre.
M. DeMarco : Ils y donneront suite dans leurs réponses, qui commencent à la page 29 de notre rapport. Ils les approuvent, et ils indiquent le travail qu’ils feront pour les mettre en œuvre. Lorsque nous verrons les résultats de ce travail, nous en aurons une meilleure idée de ce qui se passe. Je veux dire qu’il s’agit toujours de modélisation et de planification. On ne peut jamais prédire entièrement l’avenir. Il s’agit de rendre la modélisation aussi réaliste que possible et de s’assurer que les hypothèses sont fondées sur des données probantes et des politiques solides, plutôt que sur de simples espoirs. Il ne s’agit pas simplement de trouver la réponse à l’équation et de revenir en arrière avec les données nécessaires pour obtenir la réponse. Il faut faire ce travail d’une manière plus solide et coordonnée.
[Français]
La sénatrice Verner : Dans votre audit, vous constatez que Ressources naturelles Canada a établi des hypothèses non fondées quant à l’adoption de politiques uniformes par l’ensemble des provinces en matière d’hydrogène. Non seulement vous affirmez que ces hypothèses ne sont pas appuyées par des politiques provinciales existantes, mais qu’elles ne tiennent pas non plus compte des particularités régionales du secteur énergétique au Canada.
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les constats que vous avez faits sur cet aspect en particulier, soit les différences et les particularités régionales qui n’auraient pas été prises en compte?
M. DeMarco : Oui, je vais demander à M. Lequain, le directeur responsable de l’audit, de m’aider avec cette question. Monsieur Lequain, pouvez-vous m’aider à répondre à cette question?
M. Lequain : Dans le cadre de la stratégie de l’hydrogène pour le Canada, Ressources naturelles Canada s’est penché sur les différentes initiatives qui s’appliquaient dans certaines provinces en ce qui trait, par exemple, aux stratégies relatives aux véhicules n’émettant aucun CO2, au transport en commun, au prix de l’électricité, etc., et le ministère a présupposé que les mesures les plus contraignantes en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre s’appliquaient à toutes les provinces. Cela a un petit peu effacé les différences provinciales et les différentes initiatives, vu qu’elles ont été appliquées uniformément dans toutes les provinces. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
La sénatrice Verner : Je croyais qu’il y aurait peut-être un peu plus de détails sur les différences et les capacités de chacune des provinces d’atteindre les objectifs, d’autant plus que vous parlez de politiques provinciales qui n’existaient peut-être même pas encore. Alors, je cherchais à comprendre comment...
M. Lequain : Par exemple, le ministère a présupposé que tous les autobus seraient des modèles qui n’émettraient plus aucun CO2, ce qui est une mesure qui n’est pas en vigueur au Canada. C’est un exemple illustré au paragraphe 39 du rapport.
La sénatrice Verner : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Anderson : Dans la section 3.19 de votre rapport, vous parlez de Ressources naturelles Canada, et vous dites ce qui suit :
Le ministère présumait également dans ses modèles que des technologies ambitieuses seraient adoptées. À notre avis, ces hypothèses sont trop optimistes et pourraient compromettre l’atteinte des objectifs de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène. Enfin, des fonctionnaires du ministère nous ont affirmé que les décideurs ne s’appuyaient pas sur la Stratégie pour éclairer leurs décisions stratégiques.
Compte tenu de ces conclusions, le potentiel de l’hydrogène doit-il être réévalué au Canada, ou peut-il être rectifié par les recommandations que vous avez formulées? Que faut-il faire pour corriger la trajectoire qui compromet et fausse les objectifs de la stratégie canadienne pour l’hydrogène?
M. DeMarco : Je vous remercie de votre question. Nos recommandations visent à répondre à l’objectif précis de votre question. Permettez-moi d’en citer une à titre d’exemple, mais toutes les recommandations sont pertinentes pour répondre à votre question.
Dans le cas de Ressources naturelles Canada, qui était responsable de la stratégie, la recommandation au paragraphe 34 indique qu’ils devraient effectuer une modélisation exhaustive ascendante pour l’utilisation de l’hydrogène et tenir compte des éléments suivants : les gains d’efficacité en matière de réduction des émissions par secteur, par rapport aux coûts de réduction d’émissions par mégatonne d’équivalent en dioxyde de carbone. Ce point est crucial, car il ne s’agit pas seulement de l’hydrogène. Il s’agit de la position de l’hydrogène par rapport à d’autres carburants possibles. Cela nous ramène à la question de ne pas choisir un gagnant. Nous devons déterminer où l’hydrogène se situe du point de vue du prix et des coûts environnementaux et économiques, comparativement aux autres sources de carburant. Il faut examiner d’une manière complète tous les autres carburants de rechange, comme les biocarburants et l’électrification. L’analyse doit également prendre en compte la faisabilité du déploiement des technologies et des infrastructures de soutien, et ne pas se contenter d’un vœu pieux ou d’un espoir selon lequel nous pourrions obtenir tel taux de mélange entre l’hydrogène et le gaz naturel ou fixer tel prix de l’électricité pour que cela fonctionne.
L’intention de nos recommandations est de répondre précisément à la question que vous avez posée. La qualité de leur travail dans le suivi de leurs réponses déterminera si les parlementaires comme vous disposeront des informations dont vous avez besoin pour faire confiance à la modélisation qui suivra la mise en œuvre de nos recommandations.
Nous avons l’intention de faire un suivi à l’avenir dans le cadre de l’actuel plan de lutte contre les changements climatiques ou du plan de réduction des émissions, non seulement en ce qui concerne l’hydrogène, mais aussi les autres carburants, pour vérifier à nouveau si — après avoir fait l’objet d’une nouvelle modélisation et, espérons-le, de manière coordonnée entre les deux ministères — les hypothèses et les projections sont valables. Je m’attends à ce que nous le fassions régulièrement en vertu de la loi sur la carboneutralité, c’est-à-dire au moins tous les cinq ans, mais probablement plus souvent.
La sénatrice Anderson : Les recommandations sont-elles contraignantes?
M. DeMarco : Elles sont approuvées, mais elles ne sont pas contraignantes. Le rôle d’un mandataire du Parlement comme nous consiste à aider les gens à demander des comptes au gouvernement, mais nous ne pouvons pas lui ordonner de faire ce qu’il a convenu de faire.
Nous sommes heureux qu’ils aient approuvé sans réserve les six recommandations, mais ce n’est pas une garantie. Dans notre bureau, tant du côté de l’environnement que du côté des vérificateurs, nous avons rencontré plusieurs problèmes de longue date au fil des ans, à savoir que des recommandations ont été approuvées, mais que les mesures prises n’ont pas été suffisantes. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons ajouté l’annexe portant sur les leçons tirées dans le dossier des changements climatiques, c’est-à-dire afin de prouver certains des faits que nous soutenons depuis un certain temps.
La sénatrice Anderson : Merci.
La sénatrice Galvez : Nous croyons comprendre que ces deux ministères ont utilisé des hypothèses différentes en ce qui concerne des politiques et des technologies qui n’existaient pas. Si j’envisage ces hypothèses d’un point de vue très macroéconomique, ils voulaient dire que ce sont là les émissions que nous produisons, et que ces technologies vont les réduire de tel pourcentage. C’est ce qu’ils ont prétendu; c’était là leur objectif. Mais au bout du compte, en parlant avec des personnes qui suivent cette modélisation, il y avait cette hypothèse qui était cultivée dans les deux cas parce qu’ils utilisaient les mêmes données sur les émissions au départ. J’ai été informée, par exemple, que les feux de forêt, qui, désormais, surviennent tout le temps au Canada, produisent du CO2, mais que ce carbone n’était pas considéré comme des émissions parce qu’il n’est pas produit naturellement. Dans le modèle mondial, nous voulons seulement compter les émissions produites par l’homme. Le problème, c’est que nous avons tellement de feux de forêt que nous ne pouvons plus ignorer cette source.
La question est de savoir si vous examinez également les hypothèses de base qui influent sur les résultats finaux. Même s’ils utilisent les mêmes données, l’hypothèse sera toujours fausse, car, au tout début, ils n’utilisent pas toutes les données qu’ils sont censés utiliser.
M. DeMarco : Oui. Comme vous le savez tous, il y a une corrélation entre la température mondiale et la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, du point de vue de la concentration. C’est le résultat de l’élimination et des émissions nettes au fil du temps, car ils s’accumulent dans l’atmosphère et leur temps de séjour, selon la molécule, est assez long.
Ce qui compte vraiment, dans le cadre de l’Accord de Paris, c’est l’objectif, qui est de tenter de limiter l’augmentation de la température mondiale. Pour y parvenir, nous devons vraiment nous concentrer sur la quantité de gaz qui s’échappent dans l’atmosphère et qui y reste, et sur la quantité de gaz qui est éliminée. En ce qui concerne la plupart des industries canadiennes, nous ne considérons que les émissions, car il n’y a pas d’élimination. Dans le cas des forêts, il y a évidemment des émissions et des éliminations. Nous venons de commencer un audit approfondi, comme celui sur l’hydrogène, qui porte sur le rôle des forêts dans les changements climatiques, y compris l’approche du Canada en vue de tenir compte des forêts. On s’inquiète du fait que, même si la comptabilité permet de tenir compte de quelque chose, nous devons savoir ce qui se passe réellement dans l’atmosphère, car c’est ce qui va déterminer l’augmentation de la température mondiale.
Il n’y a aucun gagnant qui, au bout du compte, peut dire : « Ah, ah, nous avons été capables de tenir compte de tout cela d’une manière qui a permis à tout ce CO2 d’entrer dans l’atmosphère sans causer de problèmes. » Il y a quand même des problèmes parce que des phénomènes météorologiques violents surviennent, des phénomènes qui s’accompagnent d’une augmentation de la température mondiale et du niveau de la mer.
Nous avons besoin de mesures réalistes — pas seulement de modèles, mais de mesures — de l’incidence des forêts en tant que source et puits d’émissions de gaz à effet de serre. Je pense que d’ici l’année prochaine, à la même époque, je serai en mesure de présenter les résultats de notre audit sur l’utilisation des terres et la foresterie, ainsi que sur le programme 2 milliards d’arbres.
Le président : Je vous remercie de votre présence ce matin. Je dois dire — et je répète les commentaires de tous les autres — que je trouve cela incroyable. Ce que vous nous dites semble tellement absurde, en ce sens que le désir d’atteindre certains objectifs est tel que vous inventez les résultats. Vous trafiquez les livres. C’est comme au golf. Le type qui tient le crayon gagne toujours parce qu’il modifie les règles constamment. Les Canadiens nous écoutent, et ils devraient être contrariés, parce que vous savez quoi, nous n’avons atteint aucun objectif, et maintenant nous trafiquons les livres. Cela n’a aucun sens. Cela remet en question toute la question de la crédibilité du gouvernement. J’espère que les gens vont s’indigner. J’espère que les gens écoutent et que c’est la dernière fois qu’ils entendent de tels propos, car cela n’a aucun sens. C’est insultant pour les Canadiens dans leur ensemble, et c’est tout simplement inacceptable. Mais ce n’est pas votre travail. Merci beaucoup.
M. DeMarco : J’espère que vous voulez dire que ce que nous avons découvert était absurde, par opposition à ce que j’ai dit, mais nous vous laissons le soin de le déterminer.
Le président : Merci beaucoup.
(La séance se poursuit à huis clos.)