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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 1er juin 2023

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les nouvelles questions concernant le mandat du comité.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. J’aimerais d’abord faire un rappel. Avant de poser des questions ou d’y répondre, je demanderais aux membres du comité et aux témoins qui sont dans la salle de ne pas se pencher trop près de leur microphone ou d’enlever leur écouteur s’ils le font. Cela permettra d’éviter toute rétroaction sonore susceptible d’avoir un impact négatif sur le personnel du comité présent dans la salle.

Je demanderais maintenant à mes collègues du comité de se présenter.

[Français]

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique. Je remplace la sénatrice McCallum.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.

La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

La présidente : Je souhaite la bienvenue à tous les participants et aux téléspectateurs de tout le pays qui suivent nos délibérations. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.

Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons, avec vidéoconférence, Mark Fleming, dirigeant principal des finances du Inuvialuit Corporate Group. Nous accueillons aussi, en personne, Pat Carlson, chef de la direction de Kiwetinohk Energy Corporation.

Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre présence. Vous disposez chacun de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Nous entendrons d’abord M. Fleming.

Mark Fleming, directeur financier, Inuvialuit Corporate Group : Je vous remercie. À titre de contexte, je suis Mark Fleming et je suis dirigeant principal des finances, ce qui comprend le portefeuille des ressources naturelles de la région, ainsi que son développement économique. Dans le cadre de mes fonctions, je suis président d’Inuvik Gas Limited, président d’Ikhil Joint Venture — un puits de gaz naturel en exploitation — et cadre au sein de notre équipe de mise en valeur du gaz naturel.

La région désignée des Inuvialuits représente les Inuits de l’Arctique de l’Ouest et renferme d’importantes réserves de combustible. Le Nord, en général, est composé d’un certain nombre de miniréseaux non connectés les uns aux autres, principalement alimentés par des groupes électrogènes à moteur diésel. Cela signifie que les sociétés d’électricité qui soutiennent ces réseaux n’ont qu’une autorisation limitée pour les énergies renouvelables en raison de la stabilité requise pour le réseau. Pour la grande majorité de ces collectivités, seule une proportion de 20 % de ressources renouvelables et autres est autorisée, car si le soleil ne brille pas ou que le vent tombe, il est important que nous puissions toujours fournir de l’énergie et du chauffage et que les gens puissent continuer de cuisiner. De nombreuses collectivités ont déjà atteint la limite de 20 % et ne peuvent plus recourir aux énergies renouvelables.

Malgré des ressources souterraines importantes, la région importe la grande majorité de ses combustibles. Les importations de combustibles dans le Nord se font par barge, par transport routier ou, dans les cas extrêmes, par avion. La plus grande partie du combustible provient de l’Alberta ou arrive par bateau à partir de ports étrangers. Lorsque le transport se fait par bateau, l’allégement — ou le transfert — du combustible se fait à l’aide de barges au milieu de l’océan Arctique. Ce processus est intrinsèquement dangereux et les Inuvialuits, à titre de représentants des Inuits et de gardiens de la terre, le jugent très préoccupant.

Le transport du combustible génère également d’importantes émissions de carbone. Inuvik Gas Limited, le fournisseur de gaz naturel de la région, transporte du propane, injecte de l’air dans le propane et crée du gaz naturel synthétique. Il faut donc que des camions fassent le trajet dans les deux sens — environ 42 heures d’Edmonton — pour livrer la quantité de propane nécessaire à l’alimentation d’une ville.

Tout cela nuit à la sécurité énergétique de la région. En effet, l’énergie parcourt de grandes distances et, dans de nombreux endroits, elle ne peut être livrée qu’une fois par année. Les fermetures de routes et les conditions de glace peuvent souvent laisser les collectivités sans ressources. L’an dernier, on a dû acheminer du combustible par avion dans notre collectivité, Sachs Harbour, ce qui a entraîné des coûts et des conséquences considérables pour la région.

Ce type de combinaison énergétique oblige les collectivités du Nord à demeurer dépendantes du Sud et cela signifie que des centaines de millions de dollars sortent chaque année de l’économie nordique. En outre, les habitants d’Inuvik doivent payer plus de 35 $ le gigajoule pour le gaz naturel. Le distributeur de gaz de la région, qui appartient en partie aux Inuvialuits pour soutenir leur population, perd de l’argent avec ce tarif. Ce montant de 35 $ est trop peu élevé à long terme. À titre de comparaison, l’Ontario offre un tarif variable de 7,88 $, ce qui comprend la livraison, l’approvisionnement et le transport du gaz naturel.

La Société régionale inuvialuite, ou SRI, qui représente le gouvernement dans la région, a évalué quelques méthodes pour réduire le carbone, accroître la sécurité énergétique, favoriser l’indépendance des Inuvialuits, retenir plus d’argent dans l’économie du Nord, renforcer les capacités et réduire les tarifs. Lorsque nous avons examiné les différentes options qui s’offrent à nous en matière de transition et d’avenir énergétiques, nous avons constaté qu’un grand nombre de ces possibilités sont beaucoup plus éloignées et beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre en raison de l’état du réseau et de son emplacement géographique.

Les Inuvialuits ont étudié un certain nombre de projets qui pourraient permettre d’assurer un avenir solide et stable dans la région. L’un d’entre eux leur semble très intéressant en raison des ressources à leur disposition, car il consiste à utiliser un puits de gaz naturel local pour remplacer le diésel et le propane transportés par camion dans la région. Cela permettra également de produire un diésel synthétique propre, en éliminant le soufre du combustible final.

Le diésel a une capacité calorifique plus élevée qui lui permet d’être transféré plus efficacement sur des barges et dans des camions. Cela signifie qu’en créant à la fois du gaz naturel pour la région et du diésel synthétique propre, nous serons en mesure de compenser plus rapidement d’autres collectivités dans le Nord qui n’ont pas de puits de gaz naturels locaux.

Comme nous l’avons déjà dit, et l’une des choses que nous trouvons très importantes, c’est que même si les énergies renouvelables font partie de la combinaison énergétique de notre avenir, elles ne constituent pas une solution à court ou à moyen terme pour le Nord. On ne peut tout simplement pas les intégrer aux réseaux actuellement, et elles ne pourront pas être intégrées aux réseaux avant un certain temps. Il s’ensuit que réduire les émissions de carbone, le soufre et d’autres éléments le plus rapidement possible représente le meilleur moyen d’atteindre nos objectifs en matière d’émissions.

La Société régionale inuvialuite, l’organisme inuit, se bat continuellement pour lancer ce projet et d’autres projets qui permettront d’améliorer le sort des habitants de la région. Les Inuits, à titre de détenteurs de droits, restent les mieux placés pour évaluer les meilleures options pour leurs régions. Il faut donc les consulter sur la question. Les Inuits voient leur terre disparaître dans l’océan et leur population ne peut pas se nourrir en raison des retards dans la mise en œuvre de leurs visions.

Enfin, nous estimons que les organismes de réglementation ne sont pas toujours conscients de leurs propres mandats, ce qui a entraîné des retards importants dans notre capacité à compenser les émissions de carbone et à rendre le combustible accessible aux personnes qui continuent à vivre au seuil ou sous le seuil de la pauvreté. Ces dernières années, on a importé des dizaines de millions de litres de combustible du Sud, et ce combustible a parcouru des centaines de milliers de kilomètres en camion. De plus, l’augmentation des prix signifie qu’il en coûtera des centaines de dollars de plus chaque année aux utilisateurs pour leur combustible de chauffage.

Le remplacement du diésel par le gaz naturel, beaucoup plus propre, comme combustible de transition, permettra aux collectivités de commencer à observer les effets sur l’environnement dans quelques années plutôt que dans quelques décennies. Tout en comprenant que le Canada a des besoins énergétiques diversifiés, il faut se rendre compte que le Nord a aussi des besoins énergétiques diversifiés. Nous devons reconnaître que nous ne pouvons pas laisser tomber le Nord simplement parce que nous ne pouvons pas répondre aux besoins énergétiques de cette région de la même façon que nous le faisons dans le Sud.

À titre d’organisme chargé des revendications territoriales des Inuits, notre objectif est de mieux préserver l’avenir de tous les Inuvialuits, et nous affirmons une fois de plus que les membres élus de la Société régionale inuvialuite sont les mieux placés pour faire cela et proposer des solutions. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie. Monsieur Carlson, vous avez la parole.

Pat Carlson, chef de la direction, Kiwetinohk Energy Corporation : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous tous.

Les économies industrielles modernes ont besoin de beaucoup d’énergie. Le Canada, en particulier, est un grand consommateur d’énergie par habitant. Le Canada dispose aussi d’abondantes ressources énergétiques, qu’il s’agisse d’hydrocarbures, d’hydroélectricité ou d’énergie éolienne, solaire, nucléaire ou géothermique. Les meilleures sources varient selon les régions.

Les consommateurs doivent avoir accès à de l’énergie propre, fiable, acheminable et abordable. Les produits pétroliers nous ont bien servis en raison de leur densité énergétique élevée, mais aussi parce qu’ils sont faciles à transporter et que nous disposons de systèmes d’utilisation qui ont été mis en place au cours de nombreuses années d’évolution technique. Toutefois, l’utilisation directe des produits pétroliers entraîne des émissions de gaz à effet de serre, en particulier des émissions de dioxyde de carbone, et nous arrivons à un point où nous ne pouvons plus utiliser ces produits dans nos activités quotidiennes, par exemple nos véhicules, nos tondeuses à gazon et le chauffage de nos logements, d’un centre commercial et de cet édifice du Sénat. Nous devons donc adopter une forme d’énergie propre, fiable, acheminable et abordable.

Nous pouvons convertir les hydrocarbures en vecteurs d’énergie propre — électricité et hydrogène — et, grâce à la capture et à la séquestration du carbone, nous pouvons éliminer le dioxyde de carbone, car c’est un gaz à effet de serre qui nuit à l’atmosphère.

Pour l’Alberta, les systèmes énergétiques peuvent bien fonctionner ensemble. On peut renforcer l’énergie éolienne et l’énergie solaire par des centrales de pointe alimentées au gaz naturel. Ce sont des centrales de production d’énergie qui réagissent très rapidement en cas de fluctuations dans la production d’énergie éolienne et solaire. Elles peuvent fournir de l’électricité au réseau dans des délais très courts. Les systèmes que nous mettons en place vont de l’arrêt à la pleine capacité en moins de quatre minutes, de sorte que le réseau doit fournir de l’électricité pendant quatre minutes jusqu’à ce qu’il puisse être alimenté par l’approvisionnement de secours des centrales de pointe. Cela permet d’alimenter le réseau avec un plus grand pourcentage d’énergie éolienne et solaire. Ainsi, le gaz peut nous aider à devenir plus écologiques grâce aux énergies renouvelables.

J’ai mentionné l’importance des centrales de pointe au gaz naturel, car elles permettent d’accroître l’efficacité du cycle combiné au gaz naturel, ce qui signifie que l’on utilise moins de gaz et que l’on émet moins de dioxyde de carbone. Lorsqu’on combine cela à des systèmes de capture du carbone, on peut réduire le coût d’ensemble.

Il faut lancer un nouveau domaine d’activité du secteur intermédiaire dans lequel on transforme le gaz naturel en hydrogène et en électricité. C’est une activité qui n’existe pas à l’heure actuelle. Les technologies nécessaires existent, mais nous devons les intégrer à nos gazoducs. Nous extrayons le gaz. Nous le transportons. Nous le distribuons. Nous devons intégrer, avec le transport, la conversion du gaz en hydrogène et en électricité.

Nous avons encore besoin de l’énergie fossile et nous en aurons besoin pendant de nombreuses années. Selon l’Agence internationale de l’énergie, près des trois quarts de l’énergie mondiale proviennent encore des combustibles fossiles. C’est un grand défi pour le monde et c’est également un grand défi pour le Canada, mais c’est aussi une occasion formidable en raison de nos capacités techniques et de nos ressources.

L’énergie doit être utilisée de manière à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Cette situation représente un défi à l’échelle mondiale et elle exige donc une solution à l’échelle mondiale. Des mesures d’incitation et des sanctions seront nécessaires, mais il faut aussi maintenir l’équilibre commercial et des relations harmonieuses avec nos partenaires commerciaux. Nous devons donc obtenir un consensus national ou nous en rapprocher le plus possible.

Le message que je tiens à vous transmettre, c’est qu’il faut mettre fin aux disputes entre le gouvernement fédéral et les régions. Il faut également mettre fin aux disputes entre les partis politiques du gouvernement fédéral et ceux des gouvernements provinciaux, afin de ne pas décourager les investissements. En effet, les investisseurs n’investiront pas s’ils estiment que des changements importants et imprévisibles seront apportés au régime financier.

Nous trouvons très important d’établir un plan général auquel tout le monde peut adhérer. Bien entendu, il s’agit d’une transition et, sur 50 ans, des changements et des rajustements seront apportés. Nous nous adapterons, et tous les intervenants du milieu de l’investissement s’y attendent, mais ils s’attendent aussi à ce que l’environnement soit stable et prévisible. C’est ce que les Canadiens doivent être en mesure de fournir, dans l’intérêt de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

C’est une transition qu’il est urgent d’entamer. Cela prendra des décennies et nous serons très occupés, mais nous devons commencer. Plus nous attendons le consensus, la technologie ou la politique idéale, plus nous rejetons de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Nous devons travailler très fort pour parvenir à un consensus et lancer le processus dès que possible.

La durabilité et la rentabilité sont les deux facettes d’un même enjeu. Pour que les systèmes électriques soient rentables, ils doivent être durables, et pour être durables, ils doivent être rentables. Ce sont essentiellement les messages principaux que je tenais à vous transmettre.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Massicotte : Ma question s’adresse à M. Fleming. Cela ne me dérange pas de sauter un peu. Je comprends parfaitement les difficultés liées au transport de l’énergie dans votre secteur et tous les défis que cela représente. En fait, il y a 6 ou 10 ans, notre comité est allé un peu partout dans le Nord. Le temps passe vite. Il était évident que vous étiez fortement dépendants du diésel et que vous deviez trouver des solutions.

En gros, vous dites qu’il faut principalement passer au gaz naturel. C’est ce que je comprends de vos recommandations. Comment cela s’intègre-t-il dans la vision d’ensemble? Je suis sûr que vous comprenez où le gouvernement s’en va et ce qu’il veut réaliser. Comment cela s’intègre-t-il dans l’orientation générale? Êtes-vous d’accord avec cette orientation? Le gouvernement fédéral a-t-il adopté la bonne stratégie? Est-ce que cela fonctionne pour vous? Pouvez-vous formuler des commentaires à ce sujet?

M. Fleming : Oui. Je vous remercie de votre question. Nous pensons que la décarbonation est importante pour les Inuvialuits. Cependant, nous pensons que nous ne pourrons pas y parvenir immédiatement. Nous comprenons que le Canada a des objectifs à court, à moyen et à long terme dans le cadre de l’Accord de Paris et qu’il a d’autres objectifs internationaux. Nous pensons que le gaz naturel est un excellent combustible de transition, car le transport nécessaire dans le cadre de la chaîne d’approvisionnement pour acheminer le combustible jusqu’à la collectivité a un impact environnemental considérable.

En installant un puits de gaz naturel dans le Nord, nous pouvons créer du diésel à combustion propre qui, encore une fois, élimine le soufre — qui contribue de manière importante aux pluies acides — et de nombreux autres polluants. En nous installons à cet endroit, nous sommes en mesure de mettre en place une chaîne d’approvisionnement qui commence dans le Nord et qui parcourt des distances beaucoup plus courtes pour fournir du combustible aux collectivités. Au bout du compte, la quantité de carbone n’est pas considérablement réduite dans le produit final qui est brûlé, mais elle est considérablement réduite dans la chaîne d’approvisionnement, ce qui peut représenter une quantité importante.

Le sénateur Massicotte : Puis-je poser la même question à M. Carlson? Je comprends ce que vous dites, et où vous voulez en venir. Comment cela s’inscrit-il dans la stratégie du gouvernement fédéral? Êtes-vous d’accord avec la stratégie fédérale?

M. Carlson : Oui, dans les grandes lignes. La Kiwetinohk Energy Corporation est en désaccord sur certains points de la stratégie fédérale. Par exemple, la réglementation sur l’électricité propre comprend un plafond. Si vous êtes un investisseur qui souhaite investir dans un projet et que vous pensez être proche du plafond, vous allez vous dire que vous ne pouvez pas investir parce que si vous dépassez le plafond de 2 %, l’usine ne pourra pas fonctionner, et ce, après avoir investi 1 milliard de dollars. La taxe sur le carbone fonctionne bien. Elle dissuade les entreprises d’émettre des gaz à effet de serre, mais elle est sans limites. Si la technologie ne fonctionne pas aussi bien que prévu, la centrale électrique peut continuer à produire. Il suffit de payer une taxe sur le carbone plus élevée. La taxe sur le carbone peut même être progressive, de sorte que la taxe sera plus faible pour la partie de la production la plus propre et plus élevée pour la partie la plus sale. Cette stratégie fonctionne, mais un plafond sur les émissions absolues décourage l’investissement.

En ce qui concerne le transport, il y a trois étapes. Il y a la collecte de l’énergie, qu’il s’agisse de la lumière du soleil ou du gaz naturel, la transmission de l’énergie, puis la distribution de l’énergie. Les hydrocarbures sont faciles à transporter, contrairement à l’hydrogène. L’hydrogène est difficile à transporter parce que les molécules sont très petites. Si nous transportons les hydrocarbures en utilisant les systèmes de pipelines existants ou nouveaux, nous pouvons alors les convertir en hydrogène et en électricité pour une utilisation locale et une distribution qui sera propre.

Le sénateur Massicotte : Qui sont les investisseurs? J’ai lu votre rapport annuel. J’ai une idée de qui ils sont, mais je me demande si vous avez de la difficulté à trouver des fonds et à inciter les gens à investir?

M. Carlson : Oui. Nous sommes une société cotée en bourse et nous pensons que, par rapport à d’autres sociétés cotées en bourse qui ne sont actives que dans le pétrole et le gaz et non dans la production d’électricité, le prix de nos actions est bas. Cela s’explique en partie par le fait qu’au Canada, du moins pour ce que nous en savons, nous sommes dans une situation unique. Il n’y a personne à qui nous comparer. Nous franchissons cette étape importante. Nous montrons que la transition énergétique est possible et qu’elle peut être rentable. Notre plan d’affaires comprend tout le système, du gisement de gaz jusqu’aux lignes électriques.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie.

La sénatrice Sorensen : Je souhaite la bienvenue à nos témoins.

Vous avez dit que la meilleure énergie propre et renouvelable à utiliser varie selon les régions, mais de façon générale, quelles sont les formes d’énergie propre et renouvelable les plus prometteuses?

J’aimerais aussi parler davantage des centrales de pointe. C’est la première fois que j’entends ce terme, et c’est intéressant. Quel sera, d’après vous, le rôle du pétrole et du gaz dans le « régime énergétique », comme je l’appelle, dans les années à venir?

Nous avons eu une brève conversation. C’était très pratique que vous soyez à Ottawa ce matin, alors je vous remercie de votre présence. Vous avez commencé à me parler du groupe que vous êtes venu rencontrer. Pourriez-vous nous parler de ce que fait ce groupe, dans le peu de temps qu’il nous reste, car c’est intéressant de montrer ce qui se passe dans l’industrie pétrolière et gazière.

M. Carlson : Oui, bien sûr.

Je ne suis pas le porte-parole désigné du groupe qui a été constitué par la Fondation Ivey. Ce groupe, la New Economy Canada, rassemble des entreprises qui veulent favoriser une nouvelle économie. Ces entreprises s’intéressent à la transition économique et à la manière de l’appuyer et la faire connaître, à la manière dont les Canadiens peuvent y contribuer et à la manière dont ils peuvent exceller et être concurrentiels dans le monde par rapport à nos concurrents dans le domaine des systèmes énergétiques, qu’il s’agisse de la fabrication d’équipement ou de la production d’énergie elle-même. Des entreprises qui fabriquent de l’équipement, des groupes autochtones et des syndicats font partie de ce groupe. Nous sommes une société d’énergie qui est elle-même en transition.

Ce groupe démontre qu’il peut y avoir un consensus au Canada, et que des gens pensent que la situation est urgente et qu’il faut passer à l’action. Je pense que les gens s’entendent pour dire que le gaz naturel est nécessaire, mais seulement s’il est converti en hydrogène et en électricité.

La sénatrice Sorensen : Puis, en ce qui concerne les premières questions que j’ai posées, quelle serait la meilleure solution, à votre avis, et quel rôle le pétrole et le gaz pourraient‑ils continuer à jouer?

M. Carlson : La meilleure solution varie d’une région à l’autre. Par exemple, la Colombie-Britannique dispose de beaucoup de gaz naturel dans le Nord-Est, mais dans le Sud‑Ouest — la région de Vancouver —, il n’y a pas de capacité de capture et de séquestration du carbone. Il n’y a nulle part où entreposer le dioxyde de carbone, donc les hydrocarbures, dans cette région de la Colombie-Britannique, ne peuvent pas faire partie de la vision à long terme.

L’Alberta a une grande capacité de séquestration du carbone et beaucoup d’hydrocarbures. Elle dispose aussi de l’énergie éolienne et solaire. Le mélange de ces éléments permet d’obtenir une énergie propre, fiable, acheminable et abordable.

Bien sûr, au Québec, nous avons la chance d’avoir de l’hydroélectricité en abondance. L’Ontario a de l’hydroélectricité et de l’énergie nucléaire. Le Manitoba a de l’hydroélectricité.

La meilleure solution est différente selon les régions. La solution pour disposer d’une énergie propre, fiable, acheminable et la plus abordable possible, variera d’une région à l’autre, et ce, dans le monde entier, pas seulement au Canada.

La sénatrice Sorensen : Est-ce qu’une centrale de pointe peut être utilisée pour l’une ou l’autre de ces autres méthodes?

M. Carlson : Oui, les centrales de pointe fonctionnent à l’aide d’un système électrique relativement simple. Les centrales de pointe sont conçues pour répondre très rapidement à la demande. Prenez l’exemple de l’énergie solaire. Le soleil est parfois caché par les nuages et la production d’énergie solaire diminue, ce qui peut entraîner une panne de courant si nous ne comptons que sur cette forme d’énergie. Techniquement, vous pouvez surmonter ce problème et combler cette lacune à l’aide d’un système qui réagit très rapidement.

Les centrales de pointe sont conçues pour fonctionner par intermittence et à charge partielle. La première centrale pour laquelle nous espérons prendre une décision définitive d’investissement cette année est d’une puissance de 101 mégawatts, ce qui correspond plus ou moins à la taille de la ville de Grande Prairie. Ce n’est qu’une approximation de la taille. La centrale peut passer de zéro à sa pleine capacité en quatre minutes, et peut fonctionner en utilisant entre cinq et 101 mégawatts. Elle est conçue pour répondre à l’ensemble des besoins lorsque l’énergie éolienne et solaire ne permet pas de le faire.

La sénatrice Sorensen : C’est fascinant. Je vous remercie.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aurais une question pour M. Fleming.

Vous avez dit que les réseaux et les systèmes ne sont pas conçus et prêts pour les énergies renouvelables. Je comprends cela, mais la solution est-elle d’investir dans des infrastructures de combustibles fossiles à plus long terme, ce qui prolongera l’utilisation des combustibles fossiles, ou d’utiliser ces investissements pour adapter et construire le réseau nécessaire pour l’utilisation des énergies renouvelables? Évidemment, je sais que c’est une question difficile, mais quelle est la meilleure solution : se concentrer sur le gaz naturel ou essayer d’accélérer la transition?

M. Fleming : C’est une question difficile, mais je ne pense pas que nous ayons à choisir entre l’une ou l’autre de ces options. En ce qui concerne l’utilisation de l’énergie à long terme dans l’Inuvialuit, nous augmentons l’utilisation des ressources renouvelables là où elles existent. Puisque la région de l’Inuvialuit est composée d’un grand delta avec de nombreuses îles au Nord, nous ne pouvons pas avoir des lignes de transmission. Malheureusement, en l’absence de lignes de transmission et de transport de l’énergie d’une communauté à l’autre, chaque île devient un îlot énergétique. Une partie de l’énergie doit donc être fournie par une source d’énergie prête à être utilisée, quelles que soient les conditions météorologiques.

À moyen et à long terme, nous voulons trouver de nouvelles ressources renouvelables qui fournissent des capacités énergétiques plus élevées, examiner des technologies alternatives différentes et nouvelles et continuer à mettre à l’essai ces technologies. Ce qui nous inquiète, c’est que nous perdons près d’un pied de littoral chaque année à cause des changements climatiques. Nous n’avons pas la possibilité d’attendre 10, 20 ou 30 ans pour trouver la technologie qui conviendra à notre région. Nous devons réduire les émissions de carbone dès maintenant, et nous pensons qu’il s’agit de la meilleure option pour y arriver.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous parlez d’extraire du gaz naturel en Arctique, est-ce que c’est purement pour la consommation locale ou espérez-vous pouvoir en exporter?

[Traduction]

M. Fleming : L’Inuvialuit Petroleum Corporation est un organisme sans but lucratif. Sa seule raison d’être est d’assurer la sécurité énergétique dans le Nord. Il est parfois possible de réaliser des économies d’échelle en fournissant de l’énergie au Sud. Cependant, nous n’avons aucun plan et aucun modèle pour envoyer de l’énergie ailleurs que dans les communautés du Nord qui ont désespérément besoin de ce carburant.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord. Je vais vous poser une dernière question à titre de personne qui ne connaît pas l’Arctique. Parlez-moi du problème qui touche l’électricité et l’énergie solaire. Je suis sûre qu’il n’est pas facile d’exploiter l’énergie solaire là-bas, mais qu’en est-il de l’électricité, des rivières ou de l’eau?

M. Fleming : Malheureusement, il existe quelques problèmes en lien avec les rivières et l’installation de centrales hydroélectriques pour une si petite population. Certaines des populations de la région varient entre une centaine de personnes sur une île à 450 ou 500 personnes. Nous n’exploitons pas de rivières pour l’énergie hydroélectrique et il n’y a pas d’économies d’échelle qui nous incitent à le faire.

De plus, ces installations hydroélectriques détruiraient les stocks de poissons locaux. Comme vous le savez, la chasse et la pêche de subsistance constituent la source alimentaire la plus importante dans le Nord. La construction de barrages sur les rivières entraîne d’importantes répercussions écologiques.

Le réseau est très petit. Le vent ne souffle malheureusement pas tout le temps. Comme vous l’avez fait remarquer, le soleil ne brille pas en hiver, alors que c’est le moment où nous avons le plus besoin d’énergie. Nous avons un département de recherche sur l’énergie, qui a connu une croissance considérable, et nous travaillons sur différentes possibilités. Lorsque nous examinons ces plans à long terme, nous espérons que, dans un délai de 30 à 35 ans, nous constaterons des différences. Toutefois, à plus court terme, en ce qui concerne ce puits de gaz, nous prévoyons qu’il fournira du gaz pendant 100 ans et qu’il s’agira d’une mesure provisoire qui permettra à notre population de réaliser des économies dès maintenant et de réduire l’impact sur l’environnement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.

La sénatrice Anderson : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à M. Fleming.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que les organismes de réglementation ne sont pas bien au fait de leurs propres mandats. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Fleming : Je vous remercie, sénatrice.

L’un des problèmes que nous avons rencontrés avec ce projet, et qui a été révélateur, c’est que les organismes de réglementation du secteur de l’énergie dans le Sud ne sont pas habitués aux paysages du Nord. En ce qui concerne la production de gaz, l’Inuvialuit Regional Corporation — un excellent exemple — est le gardien de la terre, le propriétaire de la terre et le détenteur des droits. Son principal intérêt est de veiller à ce que la terre reste intacte.

Tout au long du processus, nous avons constaté que la Régie de l’énergie a concentré une grande partie de son attention sur le processus de consultation, que les Inuvialuits ont mis des années à mener et ont réalisé avec succès, de sorte que chaque partie consultée a envoyé une lettre à la Régie pour lui demander d’arrêter de les consulter, et rappeler qu’il y avait des conditions, alors que nous continuons d’examiner la région et le territoire, qui font qu’il est nécessaire d’avoir des routes de glace et d’autres routes. Nous essayons de nettoyer nos activités d’exploration — et l’exploration est petite dans ce cas parce que le puits est déjà foré, mais il faut amener des camions et installer des attaches au sol —, mais la Régie de l’énergie estime qu’elle doit également réglementer le processus de nettoyage.

Je vais vous donner un exemple. Du gravier et des débris se sont accumulés dans un ruisseau à deux kilomètres du site du puits où nous avions construit une route de glace. À la fin de la saison, les Inuvialuits voulaient nettoyer ce ruisseau et enlever le gravier et les débris afin de ne pas détruire les stocks de poissons. La Régie de l’énergie a déclaré qu’il était de son ressort d’approuver un tel nettoyage. Nous n’avions pas le droit de nettoyer le ruisseau sans l’approbation de la Régie, et elle a menacé les Inuvialuits en leur disant que s’ils nettoyaient leur propre territoire, ils pourraient être envoyés en prison et devoir payer des amendes de 1 million de dollars.

Cela m’amène — parce que les Inuvialuits ont passé les 40 dernières années à se battre avec succès pour leurs droits qui leur avaient été retirés —, à une question de compétence beaucoup plus large, où, en vertu du projet de loi, les Inuvialuits sont en mesure de prendre le contrôle des terres et des zones non pétrolières et de gérer ce processus. Mais la Régie de l’énergie a passé le plus clair de son temps à essayer de réglementer des éléments qui n’ont rien à voir avec les combustibles fossiles, comme les terres, les consultations et d’autres questions. Cela a retardé le projet d’environ quatre ans. Ces quatre années ont coûté cher à la région. Nous nous attendons à ce que le coût du puits augmente d’environ 80 % en raison de ce retard de quatre ans, au cours duquel, je dois l’admettre, à peu près aucune évaluation des combustibles fossiles n’a été réalisée.

En outre, nous avons fait livrer des dizaines de millions de litres de propane du Sud et des centaines de milliers de kilomètres ont été parcourus sur ces autoroutes par des camions qui ont brûlé du carburant diésel. Il aurait pu y avoir un déversement.

Dans l’ensemble, nous avons constaté que l’accent n’a pas été mis au bon endroit.

La sénatrice Anderson : Vous avez parlé du projet, mais vous n’avez pas vraiment donné de détails sur le projet, sauf pour dire brièvement qu’il s’agit d’un puits. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

M. Fleming : Je vous remercie de la question. C’est mon sujet préféré parce qu’il répond à toutes les exigences du Canada et des Inuvialuits.

Le puits M18 est un puits de gaz naturel qui a été foré par l’entreprise Devon il y a de nombreuses années et qui a été scellé, ce qui nous le rend toujours accessible. Il peut fournir du gaz naturel pendant plus de 100 ans. Il se trouve dans une région qui est maintenant accessible grâce à l’investissement local dans la route entre Inuvik et Tuk, qui est le dernier tronçon de la route transcanadienne.

Cela signifie qu’une ressource auparavant inaccessible est maintenant accessible, et la perturbation des terres et le coût liés à ce projet sont minimes, ce qui, pour les Inuvialuits, était très important. Cette ressource se trouve également sur les terres privées des Inuvialuits. Les terres privées des Inuvialuits sont celles qui leur ont été restituées de plein droit lors de la signature de la Convention définitive des Inuvialuits. Il s’agit d’une ressource contrôlée sur leurs terres qu’ils peuvent contrôler.

Les Inuvialuits sont les seuls propriétaires du puits. Ils seront également les seuls propriétaires des installations où sera effectuée toute la chaîne de production. Par conséquent, les Inuvialuits — plus précisément le gouvernement local à titre de titulaire des droits — peuvent contrôler la sécurité. Ils peuvent décider du déroulement des consultations et contrôler la production de gaz, ainsi que les retombées sur la population inuvialuite locale. C’est un projet merveilleux.

Le projet permettra de créer des emplois dans une région où l’Inuvialuit moyen gagne environ 25 000 $ par année, comparativement aux travailleurs de l’extérieur, non inuvialuits, qui eux gagnent quelques centaines de milliers de dollars par année. Les écarts sur le plan des compétences pourront être comblés. Rappelons-nous aussi que la région de l’Inuvialuit a connu un développement important dans les années 1980. Une génération entière s’était fait dire que d’acquérir des compétences liées au secteur pétrolier et gazier permettrait de gagner beaucoup d’argent à l’extérieur de la pêche traditionnelle et de recevoir une formation. C’est à ce moment-là que les prix se sont effondrés. Ces personnes qui possèdent toutes les compétences voulues veulent aujourd’hui nourrir leur famille. Nous avons un puits qui pourrait leur assurer un gagne-pain.

En outre, nous pourrons réduire la quantité de combustibles fossiles qui transitent par les autoroutes et fabriquer d’autres produits issus des combustibles fossiles provenant de ce puits pourvu que cela corresponde à notre mandat de réduire le taux global d’émissions de carbone et de soutenir la région.

Finalement, nous avons constaté que le développement économique dans le Nord est très compliqué. Faire rouler une entreprise en Ontario en payant 8 $ par gigajoule est beaucoup plus facile que de faire rouler la même entreprise avec moins d’employés en payant 35 $ pour le mazout. La deuxième situation n’est pas viable, d’autant plus que les prix de l’épicerie, du transport et de tous les autres biens sont élevés, sans parler du coût de la vie.

Une partie importante du revenu annuel des Inuvialuits est engloutie par ces dépenses, que ce soit l’épicerie ou la facture de chauffage. Les Inuvialuits ont donc moins d’argent pour investir dans leur avenir, pour acheter de la nourriture et pour assurer leur réussite. Le puits permettra de réduire le coût de la vie, et par le fait même l’insécurité alimentaire, l’insécurité des transports et l’insécurité énergétique. Le projet est mené selon le mode opératoire des organismes sans but lucratif voulant que chaque dollar épargné grâce au développement efficient du projet aille directement aux Inuvialuits.

La présidente : Merci.

Le sénateur Arnot : Merci. J’ai deux questions qui s’adressent respectivement à M. Carlson et à M. Fleming.

Monsieur Carlson, vous avez parlé de la nécessité d’établir au niveau fédéral une approche plus collaborative fondée sur une nouvelle philosophie visant à établir un consensus afin de progresser le plus rapidement possible. Je sais que vous avez travaillé avec l’Institut Pembina. J’aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de la nécessité de sensibiliser le public de manière plus ciblée et plus concise aux changements climatiques et de mettre sur pied un programme de communication pour que les décideurs puissent mieux cerner ce que veut la population, et pour quelles raisons, dans le cadre de la transition vers l’énergie verte. Est-ce nécessaire, selon vous, d’améliorer la sensibilisation et la communication?

M. Carlson : Merci beaucoup pour la question. Ce sujet me tient énormément à cœur. Je soutiens l’Institut Pembina dans ses efforts de promotion de la communication sur les changements climatiques en Alberta.

Je pense que c’est important pour tous les Canadiens. Les changements climatiques font partie des enjeux majeurs qui touchent la population planétaire. Je pense qu’une bonne part des désaccords entre les partis politiques et entre les ordres de gouvernement, qui sont relayés par les médias, découlent de l’ignorance et d’une incompréhension mutuelle. S’il y avait une compréhension commune, les chances seraient plus élevées d’établir une politique solide à laquelle la population adhérerait de façon durable, de réduire le niveau de risque des investissements et d’aller de l’avant le plus rapidement possible.

Cet aspect est très important. D’ailleurs, j’ai rédigé une lettre au premier ministre à ce sujet il y a trois ou quatre ans, avant la COVID-19. La sensibilisation et la communication font partie des grandes priorités.

Le sénateur Arnot : Vous n’avez pas obtenu de réponse à votre lettre, si je comprends bien.

M. Carlson : J’ai reçu une réponse, mais elle provenait d’un ministre, et non pas du premier ministre.

Le sénateur Arnot : Très bien. Merci de votre réponse.

Monsieur Fleming, vous dites que la situation dans le Nord est unique et nécessite une approche particulière. Vous faites face à de grandes difficultés et vous êtes très frustré — j’en prends note — de voir que les organismes de réglementation de l’énergie et les décideurs ne reconnaissent pas ou ne comprennent pas que votre situation est unique. Vous menez une bataille contre l’incompréhension. Selon moi, votre situation est très particulière. Par conséquent, les décideurs et les Canadiens doivent comprendre que les choses doivent être faites différemment dans le Nord. Nous avons tous intérêt à ce qu’une approche différente et unique soit adoptée dans le Nord, n’est-ce pas? Pourriez-vous en dire plus à ce sujet?

M. Fleming : Lorsque nous rencontrons les chefs de cabinet ou les hauts fonctionnaires, nous constatons que l’approche universelle est préconisée avant toute chose. Il faut savoir que 35 % du territoire canadien est entièrement contrôlé par 100 000 Inuits et qu’il est complètement séparé du reste du pays. Ces îles comparables à celles des Caraïbes ne peuvent pas être reliées par un poteau électrique à un complexe hydroélectrique quelque part ailleurs. C’est impossible.

Chacune des îles compte une communauté distincte dotée de traditions qui lui sont propres. Il est important de reconnaître que ce sont les personnes qui vivent dans ces communautés, qui ont élu leur gouvernement, qui sont les mieux placées pour décider des orientations futures de leur communauté. Chaque communauté a son propre gouvernement.

Ces gouvernements — les Inuvialuits en sont un excellent exemple — ont une division du territoire et une division de l’environnement.

Lors de mes conversations avec les décideurs, je leur dis que je vais garder mon emploi à condition que le puits ne dépasse pas certaines limites. Par contre, si une particule de gaz s’échappe ou que des dommages sont faits à l’environnement — qui est si précieux pour les Inuvialuits —, ces derniers vont me demander des comptes.

Les gouvernements se concentrent en premier lieu sur la préservation de leurs terres de même que sur la protection de leur communauté et de leur environnement. La sécurité prime. Lorsque nous apprenons qu’un organisme de réglementation du Sud veut vérifier si nous avons consulté les résidants de notre localité — des localités comme Inuvik, qui compte 3 000 habitants, et Sachs Harbour, qui en compte 100 — auxquels nous parlons quotidiennement... Nous croisons les gens et nous devons les regarder dans les yeux chaque jour. À l’épicerie, ils sont devant nous dans la file à la caisse. Nous connaissons leurs besoins. Ils ne forment pas de comité quand ils veulent signaler un problème; ils se présentent physiquement dans nos bureaux.

Ce processus est en branle depuis des années. Le projet existait avant que l’organisme de réglementation ne commence à s’en mêler il y a quatre ans.

Je le répète, car je veux souligner le caractère distinct des Inuvialuits — en vous remerciant au passage de votre question —, eh bien, les Inuvialuits avaient consacré tant de temps à la mise sur pied du projet et à l’atteinte d’un consensus que lorsque l’organisme de réglementation a demandé la tenue de consultations, chacune des lettres, y compris celles rédigées par des groupes de l’extérieur de la région, qui lui ont été envoyées en guise de réponse contenait le message suivant : « Arrêtons les consultations. Nous en avons déjà mené. Nous voulons que le projet aille de l’avant. Si un problème survient, nous en parlerons au gouvernement de l’Inuvialuit. »

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Verner : Ma question s’adresse à M. Carlson. Un des objectifs de l’étude est de déterminer dans quelle mesure l’industrie gazière et pétrolière peut soutenir la concurrence avec les joueurs internationaux, qui sont assujettis à des niveaux d’imposition différents des nôtres et qui ne reçoivent pas les mêmes subventions.

[Français]

J’aimerais que vous nous parliez du fait que l’industrie canadienne doit être en concurrence et possiblement désavantagée face à des compétiteurs qui n’ont pas les mêmes objectifs et les mêmes normes à atteindre dans le futur. Pourriez‑vous expliquer un peu, à savoir dans quelle situation se trouve l’industrie face à ce désavantage?

[Traduction]

M. Carlson : Aujourd’hui, un pourcentage élevé de notre production de gaz et de pétrole est exporté, principalement aux États-Unis. Il y a la possibilité d’exporter davantage d’hydrocarbures, particulièrement le gaz naturel liquéfié. Le Canada peut soutenir la concurrence, mais comme la nécessité de tenir compte des changements climatiques et de réduire les émissions de gaz à effet de serre se fait de plus en plus pressante, il faudra établir des politiques et des règlements harmonisés entre les pays qui entretiennent des relations commerciales. Tout cela doit être coordonné.

Dans cette optique, nous espérons que le gouvernement du Canada écoute le leadership des États-Unis, notamment en raison de ses relations commerciales avec ce pays qui constitue une économie forte parmi les économies de marché des démocraties occidentales.

Nous pouvons tenir des débats nationaux, mais en dernière analyse, nous ne pourrons pas contrôler le cours des choses en raison de la réalité des marchés et de la taille du Canada, de sa position et de son influence dans le monde. Ces facteurs doivent être pris en compte. Peu importe ce que le chef d’un parti dit par rapport au chef de tel autre parti au niveau fédéral ou provincial, ou la position de la province par rapport au fédéral, si les États‑Unis déterminent quelque chose et que nous ne cadrons pas dans la vision qu’ils auront établie, les marchés au pays pourraient être gravement touchés.

J’ai fait une analyse récemment. À l’époque, l’Alberta et la Colombie-Britannique produisaient 17 milliards de pieds cubes standard de gaz par jour. En Alberta, 10 gigawatts de la production d’électricité de la province étaient utilisés à cette fin. Si vous convertissez en électricité ces 17 milliards de pieds cubes standard de gaz naturel produits par jour en Alberta et en Colombie-Britannique, vous arriveriez à un nombre de gigawatts équivalent à 12 fois la consommation d’électricité de l’Alberta. Cela en dit long sur l’ampleur du problème lié uniquement au gaz. Quant aux hydrocarbures liquides, la quantité produite équivaut à 20 fois la consommation d’électricité de l’Alberta. Les enjeux pour l’économie canadienne vont bien au-delà des besoins du pays en électricité. Il faudrait revoir également les formes d’énergie que nous produisons et que nous exportons.

Il faut trouver des moyens d’envoyer de l’énergie propre. Les commentaires de mes collègues sur la situation dans le Nord s’appliquent aussi au Sud — quoique pas nécessairement au même degré —, mais la forme d’énergie produite ou extraite à partir de sources naturelles, de même que les manières d’expédier et d’utiliser cette énergie dépendent de la région et des possibilités qui y sont offertes.

Nous pouvons expédier du gaz naturel, ce qui est relativement simple et bon marché si l’utilisateur peut séquestrer le dioxyde de carbone. C’est la façon de faire la plus simple. C’est très difficile d’expédier de l’hydrogène, car les molécules sont minuscules. Comme ces dernières peuvent s’infiltrer dans certains matériaux et s’échapper, l’hydrogène ne peut pas être soumis à une pression élevée.

J’espère que j’ai répondu à votre question. Les solutions varient selon le problème et la région. Les modèles universels ne fonctionnent pas au Canada.

La sénatrice Verner : Merci.

La présidente : Avant de passer à la deuxième série de questions, j’aimerais vous en poser quelques-unes.

Vous dites que le Canada exporte 80 % du pétrole albertain aux États-Unis. Je pense en fait qu’il en exporte davantage. Nous extrayons le pétrole pour l’exportation, et les États-Unis le raffinent et le vendent ailleurs, car les Américains n’ont pas besoin de notre énergie. Ils sont autosuffisants grâce à leurs propres réserves. Ils n’ont pas besoin de notre pétrole. Ils le raffinent et le vendent à un prix plus élevé, je suppose, sur les marchés internationaux. Je voudrais savoir pourquoi les choses se passent ainsi. Pourquoi le Canada n’obtient-il pas la pleine valeur du pétrole qu’il produit?

Mon autre question est la suivante. Afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, le Canada devrait-il passer à la production de gaz naturel au lieu de concentrer ou d’accroître sa production de pétrole?

M. Carlson : Le gaz naturel est intrinsèquement moins polluant que le pétrole, car le pourcentage de carbone qu’il renferme est plus élevé que le pourcentage d’hydrogène. La quantité d’émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est déterminée par le rapport entre les atomes de carbone et les atomes d’hydrogène dans les molécules. Les plus grosses molécules, qui sont sous forme liquide en règle générale, renferment une proportion accrue de dioxyde de carbone pour la quantité d’énergie utilisable. Le gaz naturel est intrinsèquement plus propre.

Je suis désolé pour le pourcentage. Je ne voulais pas indiquer de pourcentage précis. Je ne le connais pas. J’ai consulté des documents de l’Agence internationale de l’énergie qui indiquent que plus des trois quarts des sources d’énergie utilisées dans le monde sont des combustibles fossiles.

Voudriez-vous me rappeler le reste de votre question?

La présidente : Pourquoi n’exportons-nous pas directement dans les marchés internationaux? Pourquoi passer par les raffineries des États-Unis, qui font augmenter le prix du pétrole canadien? Ces raffineries produisent du carburant d’aviation, du diésel et du gaz à partir du pétrole brut que leur envoie le Canada. Est-ce que je me trompe?

M. Carlson : Eh bien, quand vous envoyez du pétrole brut, vous envoyez un liquide sur un marché, puis il est acheminé vers une raffinerie. La raffinerie transforme ce liquide en plusieurs produits, tels que les huiles de lubrification, le carburéacteur, le diésel et l’essence. Il est plus facile de distribuer les différents produits au plus près de leur utilisation. C’est l’une des raisons.

L’autre raison est que le climat d’investissement, dans ma carrière, semble être plus favorable aux États-Unis. Le Canada ne possède pas beaucoup d’entreprises qui exercent leurs activités au Canada. Nous avons une économie satellite, en quelque sorte, de l’économie américaine.

En ce qui concerne le gaz naturel, si vous me permettez d’élargir la question au gaz naturel, nous n’avons pas d’installations d’exportation de gaz naturel liquéfié, contrairement aux États-Unis. Mais nous pouvons acheminer notre gaz vers les installations d’exportation de gaz naturel liquéfié des États-Unis, et c’est ce qui se fait.

La présidente : Je vous remercie.

Monsieur Fleming, pour que nous comprenions bien le problème difficile auquel vous êtes confronté, que peut faire concrètement ce comité pour vous aider? Si nous pouvons faire une recommandation au gouvernement sur votre problème pour vous aider, que pouvons-nous dire?

M. Fleming : Je vous remercie. C’est une offre très généreuse. C’est quelque chose que les Inuvialuits trouveront très aimable.

Nous vous demandons de discuter avec le ministre des Ressources naturelles du fait que ce projet est un projet d’édification nationale, qui permettra de réduire les combustibles fossiles et les émissions de carbone et que l’environnement réglementaire prévu par le projet de loi actuel n’est pas adapté à une évaluation correcte des projets et à un suivi adéquat du processus de consultation.

Le projet de loi, tel qu’il a été adopté, permet au ministre d’autoriser les Inuvialuits à participer à ce processus et de les aider à mener à bien la consultation et les autres phases du projet. Nous demandons au ministre et au gouvernement de faire participer les Inuvialuits et, à l’avenir, de continuer à faire participer le gouvernement inuit local de manière plus détaillée.

À ce stade-ci, nous demandons au ministre d’expliquer à l’organisme de réglementation l’importance de ce projet — nous comprenons qu’il s’agit d’un organisme indépendant — et, surtout, que le projet doit respecter certains délais. Plus précisément, les barges du Nord partent tous les ans en juin et arrivent en septembre ou en octobre. Donc, si les matériaux ne sont pas sur le quai en juin, c’est une année de retard supplémentaire, et chaque année de retard nous coûte des millions de dollars.

Ce que nous vous demandons, c’est d’exhorter le gouvernement à accélérer le processus d’approbation.

La présidente : Vous avez mentionné un projet de loi. Pouvez-vous répéter en quoi consiste ce projet de loi?

M. Fleming : Je m’excuse. Je l’avais noté sur un papier et je l’ai perdu. C’est le projet de loi qui a créé la Régie de l’énergie du Canada. Il s’agit de la Loi sur la Régie de l’énergie du Canada.

La présidente : Pouvez-vous envoyer les détails au greffier de notre comité?

M. Fleming : Je le ferai, merci.

Le sénateur Massicotte : On a répondu à ma question.

La présidente : Vous avez obtenu votre réponse. Y a-t-il d’autres questions? Bien.

Chers collègues, pour le deuxième groupe de témoins, nous accueillons par vidéoconférence, d’Unifor, M. Dirk Tolman, président de la section locale 707a.

Bienvenue, monsieur Tolman. Je vous remercie d’être des nôtres. Vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire.

Dirk Tolman, président de la section locale 707a, Unifor : Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie beaucoup de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui. Je suis ici en tant que représentant du conseil exécutif national d’Unifor pour le secteur de l’énergie et en tant que président de ma section locale, la section locale 707a d’Unifor, établie à Fort McMurray, en Alberta.

Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada qui regroupe 315 000 membres partout au pays et qui est présent dans pratiquement tous les principaux secteurs de l’économie canadienne. Près de 14 000 membres d’Unifor travaillent dans le secteur de l’énergie, qui comprend également une grande partie des travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière.

Le secteur de l’énergie du Canada est le moteur de notre économie et soutient près d’un million d’emplois dans tout le pays. En tant que l’un des principaux syndicats du secteur de l’énergie, Unifor sait de première main à quel point le secteur de l’énergie est important pour les richesses économiques des Canadiens de partout.

Ma section locale, la section locale 707a d’Unifor, a une longue histoire à Fort McMurray, qui remonte aux années 1960. Nos membres ont tout vu, les hauts et les bas et la transformation des sables bitumineux en l’énorme moteur économique qu’ils sont aujourd’hui. Il y a tant à dire sur l’état actuel de l’industrie pétrolière et gazière et sur la manière dont elle répond au défi climatique. Cependant, je souhaite me concentrer sur ce que je connais le mieux, à savoir les expériences des travailleurs.

Les travailleurs du secteur pétrolier et gazier savent qu’ils sont généralement les premiers à être sacrifiés lorsque l’industrie est confrontée à des perturbations ou décide de modifier ses stratégies commerciales. Si les membres d’Unifor souhaitent naturellement voir l’industrie pétrolière et gazière, ainsi que l’industrie de l’énergie dans son ensemble, prospérer, nous ne nous faisons pas d’illusions sur les risques auxquels sont confrontés les travailleurs du secteur pétrolier et gazier lorsque l’industrie adapte son modèle d’entreprise aux réalités des changements climatiques. Ces risques proviennent de plusieurs sources : l’automatisation et l’utilisation de nouvelles technologies, des limites plus strictes sur les émissions de carbone et l’évolution des modèles d’investissement.

Nous savons également que ces changements ne feront que s’accélérer au cours de la prochaine décennie, ce qui signifie qu’il est temps de mettre en place des mesures de protection et de veiller à ce qu’aucun travailleur ne soit laissé pour compte.

À cet égard, Unifor a toujours demandé à tous les ordres de gouvernement de mettre en place un ensemble de mesures et de programmes stratégiques qui contribueraient à protéger non seulement les travailleurs du secteur pétrolier et gazier, mais aussi les travailleurs de toutes les industries qui seront touchées par la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Ces mesures comprennent une réforme de l’assurance-emploi afin d’améliorer le soutien aux travailleurs en transition entre deux emplois, des programmes de formation ciblés pour les travailleurs des industries touchées, des évaluations des risques propres au secteur et au lieu de travail afin de déterminer comment les emplois existants peuvent être transformés plutôt qu’éliminés, et un financement destiné à fournir des soutiens au revenu pour les travailleurs touchés.

Nous avons également demandé au gouvernement de veiller à ce que ces mesures soient adaptées aux réalités économiques de régions et de secteurs précis. Le gouvernement doit reconnaître les différentes industries et régions qui ont des caractéristiques, des forces et des défis uniques qui nécessitent des solutions personnalisées pour assurer un changement équitable vers un avenir plus durable.

C’est particulièrement important dans le contexte canadien. Dans ce paysage complexe, nous avons besoin de plus de dialogue social et de participation des parties prenantes pour prendre des décisions efficaces et élaborer des politiques inclusives. Lorsque les travailleurs ont un siège à la table et peuvent participer aux processus de prise de décision, ils se sentent concernés et sont plus susceptibles de soutenir les efforts de transition et de s’y engager activement.

Les travailleurs ont également besoin de voir qu’il y a de l’argent sur la table. Pour les travailleurs du pétrole et du gaz en particulier, le manque de financement pour les protections des travailleurs est particulièrement frustrant lorsque nous voyons les employeurs de l’industrie recevoir des cadeaux sous forme de crédits d’impôt pour les technologies propres, l’hydrogène et autres, sans aucune garantie qu’ils maintiendront les emplois et les moyens de subsistance de nos membres.

Mesdames et messieurs les membres du comité, je veux terminer en soulignant le fait que les membres d’Unifor ont une vision de ce à quoi ressemble une économie véritablement dynamique pour l’avenir, une économie où de nouvelles formes de fabrication avancée, de transport et d’extraction des ressources sont alimentées par des sources d’énergie à faible teneur en carbone et où les travailleurs s’épanouissent dans des emplois qui n’ont pas encore été créés. Les membres d’Unifor fabriquent et exploitent déjà des moyens de transport durables tels que des autobus, des trains et des métros électriques fabriqués au Canada. Notre pays bénéficiera grandement de la réalisation du potentiel de développement d’une base manufacturière locale solide pour construire ce dont les Canadiens ont besoin pour évoluer vers un avenir durable.

Nous avons également besoin d’un secteur de l’énergie solide qui inclura le pétrole et le gaz pour de nombreuses années à venir.

Une fois encore, je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie. Nous allons passer aux questions des sénateurs.

[Français]

La sénatrice Verner : Merci, monsieur Tolman, pour votre présentation. Je comprends qu’il y a encore beaucoup de questions sans réponses satisfaisantes actuellement. Le gouvernement canadien a annoncé un processus de mobilisation pour assurer une transition équitable. On comprend qu’il n’y a pas de mesures concrètes satisfaisantes ou du moins qui amorcent un changement tangible pour vos travailleurs.

Il y a également le fait que l’industrie et les propriétaires d’industries semblent avoir déjà amorcé des changements grâce à des subventions accordées par le gouvernement. Cependant, vos travailleurs ne sont pas à la table de discussion.

Or, actuellement, tous ces changements que l’on veut apporter pour aller vers une énergie plus propre touchent des milliers de travailleurs de différents secteurs. On est tous en faveur de cela. De quelle façon souhaiteriez-vous procéder? Le plus important est que les travailleurs souffrent le moins possible dans tout cela.

[Traduction]

M. Tolman : Je vous remercie. C’est une excellente question.

Je pense que les conséquences de remplacer les combustibles fossiles sont encore lointaines, mais il est temps de commencer à planifier et de demander aux travailleurs ce qu’ils veulent. Il est évident qu’ils veulent continuer à travailler et à bien gagner leur vie. La question est de savoir où.

Il y a encore beaucoup de questions dans tout ce processus. Qui est responsable? Quelle est la part du fardeau qui incombe aux entreprises énergétiques et quelle est la part du fardeau qui incombe au gouvernement? Au final, il s’agira d’une responsabilité partagée, mais comme je l’ai dit, c’est loin d’être le cas. C’est maintenant qu’il faut commencer à planifier, à réfléchir et à collaborer. Nous finirons par obtenir ce que les travailleurs veulent ou peuvent obtenir, mais le processus n’en est qu’à ses débuts.

La sénatrice Verner : Je vous remercie.

La présidente : Monsieur Tolman, nous savons que la période post-COVID a permis de faire réaliser des profits records aux sociétés pétrolières.

Savez-vous quelle part de ces profits records a été réinjectée dans l’écologisation du secteur pétrolier et dans la formation et la protection des travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière?

M. Tolman : D’après mon expérience, j’ai vu les profits records de l’entreprise pour laquelle je travaille. Pour ce qui est de la part qui a été réinjectée, des profits records ont été enregistrés l’année dernière et au début de cette année. Suncor a racheté le projet Fort Hills, dont elle est désormais propriétaire à 100 %. C’est assurément du recyclage d’argent et cela permet d’investir davantage dans l’investissement et la réussite à long terme de Suncor. Il y a donc cela. Je n’ai aucune idée de ce que les autres entreprises font, mais il est certain que Suncor investit massivement dans les sables bitumineux.

La présidente : La raison pour laquelle je pose cette question est que nous avons lu dans les journaux à quel point les incendies de forêt affectent les régions du Nord de l’Alberta. Nous avons récemment appris que de nombreux puits ont dû être fermés en raison de l’intensité des incendies, qui touchent des centaines de milliers d’hectares. Je pense que vous devez maintenant avoir besoin d’une protection supplémentaire pour les travailleurs, comme des masques respiratoires.

Pouvez-vous me donner une idée des nouveaux équipements dont vous avez besoin pour continuer à travailler dans ces nouvelles conditions causées par les incendies?

M. Tolman : Ma première expérience avec les incendies de forêt remonte à trois ans, lorsque nous avons été évacués. Toute la ville de Fort McMurray a été évacuée. Nous avons été en congé ou au chômage pendant six semaines. Pour ce qui est de la protection au travail avant l’évacuation, on portait évidemment un masque antipoussière ou quelque chose de ce genre.

Pour ce qui est d’un puits de pétrole situé dans une région où la forêt est en feu, on procéderait évidemment à une évacuation. À l’heure actuelle, il y a un incendie à Fort Chipewyan ou à proximité et les habitants ont été évacués vers Fort McMurray. Ils sont actuellement dans notre ville.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Merci, monsieur, d’être venu aujourd’hui nous dire ce que nous devons savoir. Vous avez été très précis quant à vos attentes en matière de protection des travailleurs. Vous avez énuméré les problèmes très clairement. Vous avez parlé d’approches régionales, de solutions adaptées aux régions et du fait qu’il n’y a pas de solution unique au Canada. Vous avez aussi parlé de la nécessité d’un dialogue social et d’un engagement efficace et plus solide, en particulier avec les organisations communautaires et les parties prenantes, pour lesquelles Unifor joue un rôle important dans la discussion qui doit avoir lieu. Et cette discussion doit avoir lieu en connaissance de cause.

D’après votre expérience, je me demande quel type d’éducation et de communication est nécessaire. Pouvez-vous décrire certains des messages ou des idées que vous considérez comme efficaces pour créer une compréhension non seulement dans l’industrie mais aussi dans le grand public canadien, et ce qu’il faut faire pour amener le public à un point où il comprend ce que vous pensez qu’il doit savoir? C’est ma première question. J’en aurai deux ou trois autres si j’ai le temps, mais j’aimerais vraiment connaître votre avis sur ces questions.

M. Tolman : Merci de cette question. Oui, je pense que l’éducation du grand public est importante. Je pense que l’éducation de nos travailleurs est également importante, pour qu’ils comprennent exactement ce qui se passe avec les changements climatiques et à quel point les combustibles fossiles ont une incidence. Il est évident que tout le monde doit comprendre cela, mais nous devons comprendre les faits réels de ce qui se passe avec les changements climatiques et comment nous avons une incidence sur les changements climatiques ou les combustibles fossiles en général. Dans quelle mesure cela a-t-il une incidence sur les changements climatiques?

Je peux lire une étude aujourd’hui qui dit que les changements climatiques représentent une évolution naturelle. Nous avons déjà connu des changements climatiques et nous en connaîtrons d’autres, quoi que nous fassions. Est-ce le fait auquel nous devons adhérer? Ou devons-nous tenir compte d’autres études? Si nous cessons de faire ce que nous faisons aujourd’hui, cela aura-t-il une incidence sur les changements climatiques? Je pense qu’il est important que tout le monde le sache. Si nous arrêtions les combustibles fossiles demain, quelle serait l’incidence sur les changements climatiques?

Le sénateur Arnot : J’ai simplement une question complémentaire, si vous le permettez, monsieur. J’aime ce que vous dites. Je pense que je comprends ce que vous dites. Je me demande simplement quelles sont les recommandations que nous devrions inclure, d’après vous, dans ce rapport sur les questions que vous avez soulevées. C’est certainement tout ce qui concerne l’engagement, le dialogue et le leadership dans ce domaine. Unifor devrait pouvoir jouer un rôle dans ce domaine d’une manière ou d’une autre. Qu’attendez-vous de ce rapport pour vous aider et aider le public canadien?

M. Tolman : Ce dont nous avons besoin dans le rapport, c’est une action sur la transformation économique, ou la transition juste, et la responsabilité de celle-ci. Je l’ai déjà dit, il y a évidemment trois responsables : le travailleur, les entreprises qui tirent d’énormes profits de l’industrie des combustibles fossiles et le gouvernement. Comme cela se passe-t-il?

Nous étions à Ottawa en novembre et nous avons parlé à un grand nombre de députés. Je pense qu’Unifor a parlé à 110 députés en tout. Je pense que j’en ai rencontré six ou sept. Les avis étaient partagés. Un député a déclaré que si les travailleurs savent que les emplois disparaissent, ils feraient mieux de faire quelque chose à ce sujet, et que c’était donc strictement le problème des travailleurs. D’autres députés ont parlé de taxes sur les bénéfices extrêmes, qui pourraient être versées à des programmes pour les travailleurs. Cette taxe serait financée par le secteur de l’énergie, évidemment, sur ses bénéfices, mais elle serait gérée par le gouvernement, car c’est lui qui percevrait les taxes. Il y a donc deux responsables, le gouvernement et les entreprises. D’autres députés ont déclaré que nous devrions exiger des entreprises qu’elles mettent en place des processus de recyclage de l’argent et qu’elles les financent.

Ce que je voudrais voir dans le rapport, c’est qu’il faut agir sans tarder. Personnellement, je pense que nous exploiterons les sables bitumineux pendant encore 50 ans. L’industrie des combustibles fossiles ne s’arrêtera pas demain, à mon avis, mais il faut mettre des choses en place, car nous savons qu’elle s’arrêtera un jour. Cependant, la demande en produits pétrochimiques sera toujours là pour les plastiques, la fabrication, les produits pharmaceutiques, et cetera. L’explication simpliste, c’est que l’abandon des véhicules à essence entraînera une baisse considérable de la demande de combustibles fossiles.

Que ferons-nous à cet égard? Cette question doit figurer dans le rapport. Il faut commencer. Il faut commencer le dialogue et entreprendre les études.

Prenons l’exemple de Fort McMurray, une ville de 80 000 habitants qui dépend exclusivement de l’industrie des sables bitumineux. Si l’industrie fermait demain, 80 000 personnes devraient déménager pour aller vivre et travailler ailleurs. Comment cela se passera-t-il? Je suis conscient qu’il y aura une transition. Fort McMurray ne comptera peut-être pas 80 000 habitants pour encore bien longtemps et pourrait descendre à 20 000 habitants dans 30 ans, puisqu’il ne restera pas grand‑chose des sables bitumineux, et ce sera une transition progressive.

Il y a beaucoup de travail à faire, mais je pense que ce n’est que le début.

Le sénateur Arnot : Merci.

La présidente : J’ai une autre question que j’ai posée aux témoins précédents. Nous savons que 90 % du pétrole canadien est envoyé à l’extérieur du pays, soit aux États-Unis, pour y être raffiné. J’ai aussi posé ces questions aux PDG des sociétés pétrolières. Parmi les réponses, ils ont notamment évoqué le manque d’investissements pour la construction de raffineries ou le manque de main‑d’œuvre qualifiée pour exploiter des raffineries. Or, nous savons qu’au Québec, où je vis, nous avons deux raffineries.

Notre pétrole se vend à très bas prix parce qu’il s’agit de pétrole brut et lourd qui nécessite beaucoup de raffinage, et nous n’avons pas de raffineries capables de traiter le pétrole lourd. Les travailleurs considèrent-ils que ce problème aurait pu être réglé dans le passé afin d’obtenir de meilleurs prix pour nos ressources naturelles?

M. Tolman : Je précise que je suis opérateur d’équipement lourd dans les sables bitumineux. Donc, je ne suis pas ingénieur en pétrochimie. D’un point de vue simpliste, pourquoi le produit, qui est extrait ici, n’est-il pas envoyé à des raffineries en Alberta ou ailleurs au pays, puis vendu au Canada? Comme je l’ai dit, c’est un point de vue simpliste, j’en suis conscient. Cela dit, notre gouvernement provincial a recommandé, il y a plusieurs années, d’avoir des raffineries ici. L’idée est de conserver le produit au Canada et de tirer parti de la valeur ajoutée en faisant des profits sur les sous-produits comme l’essence, le naphta, et cetera. Il y a un marché, mais nous n’en profitons pas. Nous expédions le produit vers notre unique client, les États-Unis.

En termes simples, il serait avantageux d’avoir plus de raffineries au Canada et de tirer parti de la valeur ajoutée de notre produit.

La présidente : Merci.

La sénatrice Greenwood : Bonjour. Je vous remercie d’être ici. J’ai une question. Je me demande si ces questions font l’objet de discussions parmi les travailleurs et vos collègues. Je pense à l’environnement. Je sais que l’industrie pourrait être là pendant encore 50 ans, comme vous l’avez dit. Si 80 000 personnes déménageaient, ce serait énorme. Où iraient ces gens?

Toutefois, qu’adviendrait-il des terres? Quel sera l’héritage de 50 ans d’exploitation des sables bitumineux? Quel genre de discussions y a-t-il à ce sujet?

M. Tolman : Concernant ce qui restera derrière, des projets de remise en état sont en cours. D’ailleurs, ces 50 dernières années, de nombreux secteurs de la région ont été remis en état après l’exploitation des sables bitumineux. L’héritage... Encore une fois, il y a une réglementation gouvernementale sur la remise en état. Donc, on exploite la terre, puis on la remet en état. D’immenses superficies ont été remises en état et sont maintenant de riches forêts où vivent des bisons des bois et toutes sortes d’animaux, en fait : oiseaux, bisons, renards et beaucoup d’autres. Comme je l’ai dit, il y a de riches forêts, des marais, et cetera. Les terres sont remises en état et je recommande fortement que l’on continue à le faire.

La sénatrice Greenwood : Cela inclut-il les eaux?

M. Tolman : Oui, cela inclut les plans d’eaux existants, qui étaient là avant. Ce qui pose problème actuellement, bien sûr, ce sont les bassins de décantation. Je le comprends. Il n’y a pas d’exploitation minière sans résidus. À Suncor, en particulier, nous avons le premier bassin de résidus à avoir été remis en état, ce dont nous sommes tous très fiers, car c’est devenu un écosystème florissant. Cela représente certainement un espoir pour l’avenir.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Massicotte : J’aimerais bien avoir votre avis. C’est une question complexe qui témoigne peut-être d’une certaine frustration de mon côté.

Cette semaine, surtout, les grandes sociétés pétrolières et gazières — des sociétés internationales — ont présenté leurs résultats financiers en préparation à leurs assemblées d’actionnaires. Dans chacun des cas, diverses résolutions ont été proposées pour accroître la responsabilisation des entreprises à l’égard des changements environnementaux, et cetera. Il y a de très bons exemples, comme Shell, qui agit de façon très responsable, et beaucoup de nos entreprises canadiennes se montrent très responsables et font du bon travail. Toutefois, certaines grandes sociétés internationales ont essentiellement refusé d’étudier la résolution sur les changements climatiques proposée par un groupe de gens préoccupés par l’environnement.

Avez-vous des commentaires à ce sujet? Est-ce acceptable? En fait, lors d’une comparution précédente devant un comité parlementaire, vous avez indiqué avoir rencontré des gens qui pensent que nous devrions les imposer... Les gouvernements sont souverains, évidemment, de sorte qu’on pourrait imposer les profits excessifs de ces entreprises, profits qui sont considérables et probablement temporaires. Quels sont vos commentaires à cet égard?

M. Tolman : Je dirais que toute industrie qui se heurte à l’opposition de groupes environnementaux ou de tout autre groupe aura tendance à s’opposer à ces groupes ou à croire qu’on veut s’attaquer à l’industrie. Prenons simplement le cas de l’industrie des combustibles fossiles, qui est manifestement confrontée à l’opposition de militants pour le climat. Comme je l’ai dit plus tôt, sur quels faits s’appuie-t-on? Où sont les études? Si l’industrie n’existait pas, quelle serait l’incidence sur les changements climatiques? Se produiraient-ils quand même? Je pense que oui. Pouvons-nous faire quelque chose pour réduire les effets? Oui, je pense que nous le pouvons. Comme vous l’avez dit, je pense que la plupart des industries au Canada en sont convaincues et ont des plans d’énergie verte ou de réduction des émissions.

Le conflit opposant les acteurs de l’industrie des combustibles fossiles et les militants pour le climat existera toujours. Je pense que les gouvernements nationaux devraient réglementer leurs industries. De toute évidence, un pays qui laisserait libre cours à l’industrie des combustibles fossiles en n’imposant aucune réglementation ou restriction aurait des problèmes.

Je ne sais pas si c’est la réponse que vous cherchez.

Le sénateur Massicotte : Je vous suis reconnaissant de votre réponse. Merci.

La présidente : Monsieur Tolman, j’ai une question. Au début de votre déclaration, vous avez mentionné que vous vouliez que les travailleurs participent à la prise de décisions.

Je me demandais si l’industrie ou l’entreprise vous informe de ses plans. Vous avez dit que les gouvernements établissent la réglementation. L’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les travailleurs sont-ils informés des étapes, des activités et des mesures qui permettront d’atteindre les cibles de réduction des gaz à effet de serre?

M. Tolman : Je pense que toutes les entreprises informent leurs employés sur leurs initiatives. À titre d’exemple, Suncor nous a informés du projet de remplacement de la chaudière à coke — qui réduira les émissions — par une centrale de cogénération au gaz naturel. On parle de deux unités de cogénération pour remplacer des chaudières à coke. Cela permettra de réduire les émissions. Donc oui, on nous tient au courant.

La présidente : Quelle a été la réduction des émissions de gaz à effet de serre obtenue sur votre site?

M. Tolman : Je n’ai pas ces statistiques sous les yeux.

La présidente : D’accord.

Est-ce que quelqu’un d’autre a des questions? Non? Nous n’avons plus de questions. Monsieur Tolman, je vous remercie beaucoup de votre présence. Je vais lever la séance, mais avant, je demanderais aux membres du comité directeur de rester afin que nous puissions terminer le rapport sur le budget. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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