LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 4 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 17 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments de la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024, et pour étudier la teneur du projet de loi C-50, Loi concernant la responsabilité, la transparence et la mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre; et à huis clos, pour étudier une ébauche de rapport.
La sénatrice Josée Verner (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Je m’appelle Josée Verner, je suis une sénatrice du Québec et je suis vice-présidente du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
[Traduction]
Avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table afin d’obtenir des lignes directrices pour prévenir les incidents liés à la rétroaction audio.
Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
[Français]
Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones.
N’utilisez qu’une oreillette noire homologuée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Tenez votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.
Merci à tous de votre coopération.
[Traduction]
Je vais maintenant demander à mes collègues du comité de se présenter.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
La sénatrice White : Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Robinson : Bonjour. Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan, qui n’est pas officiellement membre du comité aujourd’hui.
La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan, et officiellement membre de ce comité.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La vice-présidente : Aujourd’hui, le comité poursuit son étude de la teneur des éléments de la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons, par vidéoconférence, l’honorable Bronwyn Eyre, ministre de la Justice et procureure générale du gouvernement de la Saskatchewan, et M. Brad Gilmour, associé, Osler, Hoskin & Harcourt S.R.L.
Bienvenue et merci d’être parmi nous. Vous avez environ 10 minutes pour faire votre déclaration préliminaire. La parole est à vous, madame la ministre, puis ce sera au tour de M. Gilmour.
L’honorable Bronwyn Eyre, députée, ministre de la Justice et procureure générale, gouvernement de la Saskatchewan : Merci beaucoup, honorables sénatrices et sénateurs et madame la présidente, de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui. Nous sommes conscients de vous avoir donné un court préavis, et nous vous sommes reconnaissants de nous avoir trouvé une place.
Je me souviens de la dernière fois que nous avons examiné ce projet de loi dans sa forme initiale, en 2019. Certes, nous avions l’intime conviction — je l’avais personnellement — qu’il n’était pas question de changements ou d’amendements ponctuels à ce moment-là, mais plutôt d’une annulation complète du projet de loi, comme on dit. Nous étions d’accord avec la décision — majoritaire — de la Cour d’appel de l’Alberta selon laquelle le projet de loi C-69 constituait un « boulet de démolition » par le gouvernement fédéral, comme ils l’ont dit, de la compétence exclusive des provinces en vertu de l’article 92A de la Constitution sur la production d’électricité et les ressources naturelles. Comme nous le savons tous, cela a été confirmé à la Cour suprême l’automne dernier, lorsque la majorité a reconnu que la Loi sur l’évaluation d’impact était un exemple clair d’intervention fédérale excessive et que le pouvoir des autorités fédérales, entre autres, de mettre en suspens de façon permanente des projets provinciaux était « une usurpation inconstitutionnelle de pouvoir par le Parlement » qui « est clairement allé trop loin ». À notre avis, cela n’a pas changé fondamentalement. Selon nous, le gouvernement fédéral n’a fait que le strict minimum pour tenir compte de la décision de la Cour suprême. Dans ce renvoi de l’automne dernier, la teneur générale demeure inchangée. Cela cause toutes sortes de graves problèmes.
N’oublions pas que le président-directeur général d’Électricité Canada, Francis Bradley, a dit récemment au comité que le Canada avait raté une occasion en or de créer un environnement réglementaire qui renforce la confiance des entreprises et minimise les risques, et que le milieu des affaires canadien s’inquiète de plus en plus de la capacité de notre pays à soutenir la concurrence et à générer une prospérité à long terme. La Saskatchewan ne peut faire autrement que d’être d’accord avec certaines de ces préoccupations.
En 2022, l’Association minière du Canada a été décrite comme ayant des « remords d’acheteur » pour avoir initialement appuyé le projet de loi C-69 en raison du nombre de projets miniers qui y étaient assujettis. L’Association minière du Canada a dit que le projet de loi donnait froid dans le dos au secteur minier canadien. C’était en 2022.
Comme nous le savons tous, de nombreux chefs d’entreprise sonnent l’alarme au sujet de la productivité canadienne et de la nécessité de la stimuler. Certes, la Saskatchewan estime que nous faisons notre part à cet égard, mais ce projet de loi, dans sa forme actuelle, ne montre pas la voie à suivre.
Nous savons également qu’au cours de la durée de vie, courte mais néanmoins destructrice, selon nous, du projet de loi C-69, certains projets ont été approuvés dans certaines régions du pays, mais pas dans d’autres, comme c’est trop souvent le cas. Bien entendu, cela crée une incertitude plus vaste et plus profonde.
Par exemple, en avril 2022, le projet de Bay du Nord, au large de Terre-Neuve, a été rapidement approuvé par le ministre Guilbeault et le Cabinet, mais des investisseurs internationaux se sont retirés de l’usine de gaz naturel liquéfié de Berkshire Hathaway à Saguenay, à hauteur de 9 milliards de dollars — c’était il y a quelques années — et du développement de la région du Cercle de feu en Ontario en raison de l’incertitude, comme l’ont déclaré de nombreux investisseurs internationaux, et de l’application inégale du projet de loi C-69.
La Saskatchewan est d’avis que la nouvelle loi, si elle est adoptée telle quelle et sans modifications importantes, pourrait être contestée dans l’avenir. Nous en discuterons certes à l’échelle provinciale.
À ce stade-ci, je vous remercie et serai heureuse d’approfondir la discussion avec les membres du comité.
La vice-présidente : Merci.
Brad Gilmour, associé, Osler, Hoskin & Harcourt S.R.L., à titre personnel : Bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs. Comme je suis associé au sein du cabinet d’avocats Osler, Hoskin & Harcourt S.R.L., je ne représente aucun gouvernement. Merci beaucoup de m’avoir invité aujourd’hui pour vous faire part de mon point de vue au sujet de la Loi sur l’évaluation d’impact et des modifications proposées.
J’exprimerai ici mes opinions personnelles, et elles sont fondées sur l’expérience que j’ai acquise en tant qu’avocat spécialisé en réglementation et en environnement au cours des quelque 28 dernières années, puisque j’ai travaillé avec toutes les versions de la législation fédérale sur l’évaluation environnementale concernant les grands projets et les développements partout au pays. Mon expérience a commencé avec la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 1992, qui est entrée en vigueur en 1995, puis avec la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 — ou la LCEE de 2012 — et, bien sûr, avec la Loi sur l’évaluation d’impact, où j’ai travaillé à des amendements au projet de loi C-69 présentés au Sénat avant l’entrée en vigueur de la loi. Ensuite, j’ai travaillé comme avocat pour l’Alberta, avec mes collègues, dans le cadre du renvoi à la Cour d’appel de l’Alberta et à la Cour suprême du Canada. J’insiste sur le fait que mes observations d’aujourd’hui sont livrées à titre personnel.
Je présume que l’objectif ultime est d’élaborer une loi fédérale sur l’évaluation environnementale qui met l’accent sur les domaines de compétence fédérale et qui veille à ce que les répercussions environnementales des projets soient évaluées de façon raisonnable avant que des décisions ne soient prises, que l’on obtienne les commentaires des intervenants directement touchés, y compris — très clairement — les groupes autochtones, dont les droits issus de traités ou les terres traditionnelles pourraient être touchés, et que les processus soient transparents, efficaces et ne présentent pas de niveaux d’incertitude déraisonnables, contentieux réglementaire et risque politique. La compréhension des processus, des échéanciers, des coûts et des risques de fin de processus est extrêmement importante pour les promoteurs qui pourraient envisager d’investir au Canada et d’élaborer de grands projets.
Je vais vous donner un peu de bonnes et un peu de mauvaises nouvelles. Nous affichons un bilan de 30 ans de litiges concernant les lois fédérales sur l’évaluation environnementale. Il s’agit d’une loi très litigieuse, ce qui, en soi, devrait être préoccupant, mais l’aspect positif de la chose, c’est que les tribunaux nous ont dit ce qu’il est possible de faire et ce qu’il n’est pas possible de faire dans le cadre d’une évaluation environnementale fédérale. Il serait malheureux, à mon avis, que les leçons tirées de ces 30 années de litige ne soient pas intégrées à la prochaine version du processus fédéral d’évaluation environnementale.
Nous savons depuis plus de 30 ans que le gouvernement fédéral peut rédiger et mettre en œuvre une loi fédérale valide sur le plan constitutionnel en matière d’évaluation environnementale. Cela a été établi dans le Décret fédéral sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, et dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, ou LCEE, de 1992.
Si vous vous reportez à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), en un mot, cette loi a été jugée constitutionnelle parce qu’elle était de nature purement procédurale. Elle a simplement été conçue pour recueillir des renseignements sur l’environnement qui seront utilisés dans le cadre d’autres processus décisionnels fédéraux valides, habituellement dans des situations où le gouvernement fédéral a une décision à prendre à l’égard d’un projet, souvent en ce qui concerne un permis.
La cour s’est réjouie du fait qu’il y avait un lien étroit entre l’évaluation fédérale et une compétence fédérale claire, c’est-à-dire la délivrance d’un permis ou la décision prise à l’égard d’un projet.
De la même façon, la LCEE de 1992 n’a été invoquée que lorsqu’une décision fédérale devait être prise à l’égard d’un projet, très souvent en ce qui concernait un permis fédéral. C’était ce qu’on appelait le déclencheur fondé sur la décision, et je sais que vous en avez entendu parler un peu dans le cadre de vos délibérations.
La LCEE de 1992 est passée d’un déclencheur fondé sur la décision à un déclencheur fondé sur le projet. Si votre projet était inscrit dans un règlement, alors vous étiez assujetti à la loi, et c’était essentiellement le déclencheur. Ensuite, il y a eu la définition d’un « effet relevant d’un domaine de compétence fédérale », dont je parlerai dans un instant.
Cette loi a mis l’accent sur les grands projets, ce qui a réglé l’un des problèmes de la LCEE de 1992, mais elle nous a mis sur la voie d’un autre problème, puisqu’elle précédait la Loi sur l’évaluation d’impact.
La Loi sur l’évaluation d’impact a été mise en œuvre, et elle a fait l’objet d’un renvoi lancé par la province de l’Alberta. Elle s’est finalement retrouvée devant la Cour suprême du Canada en mars de l’année dernière. Dans une décision écrite de 5 contre 2 du juge en chef, la Loi sur l’évaluation d’impact et le règlement ont été jugés inconstitutionnels, à l’exception de 10 dispositions non controversées.
Il serait peut-être utile que vous reteniez certains points clés de cette décision. Tout d’abord, la définition d’un « effet relevant d’un domaine de compétence fédérale » était beaucoup trop large, et elle n’était pas suffisamment liée aux pouvoirs fédéraux en vertu de la Loi constitutionnelle. La cour a dit que même si elle acceptait que cet effet relevait effectivement d’un domaine de compétence fédérale, ce facteur n’était pas déterminant dans la décision finale. Ce processus décisionnel intégrait d’autres concepts et d’autres facteurs qui ne relevaient pas d’un domaine de compétence fédérale.
Ce qui est également important, c’est que la cour a réaffirmé ce que nous avons appris de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Oldman River d’il y a 30 ans, à savoir que tous les pouvoirs constitutionnels ne peuvent pas être utilisés dans la même mesure pour réglementer dans les domaines de l’environnement. Le tribunal en parle dans sa décision.
À titre d’exemple, lorsque la province est le principal organisme de réglementation du cycle de vie d’une activité — s’il s’agit d’une entreprise locale ou d’une activité ayant trait à l’exploitation des ressources naturelles —, elle a une vaste compétence pour réglementer toutes les questions, y compris celles qui sont liées à l’environnement.
D’un autre côté, le Parlement a peut-être aussi un rôle à jouer, mais ce rôle est habituellement beaucoup plus restreint dans ces circonstances, lorsque la province réglemente l’activité. Ce pourrait être dans le cas, par exemple, d’une activité minière, qui est principalement réglementée par la province, mais où un permis est requis en vertu de la Loi sur les pêches, ou il pourrait y avoir un impact sur l’habitat du poisson, mais dans ce cas, la portée de la capacité de réglementer est beaucoup plus étroite, et elle doit être strictement restreinte aux limites de ce que le pouvoir des pêches autorise à faire en vertu de la Loi constitutionnelle.
Ce qui est également important, c’est que si le Parlement doit réglementer, par exemple, le poisson ou l’habitat du poisson, il est essentiel de reconnaître que ces pouvoirs ont également des limites, et que tous les effets, y compris les effets négatifs sur le poisson ou l’habitat du poisson, ne peuvent pas être dûment réglementés par le Parlement. C’est inscrit dans la jurisprudence.
À l’inverse, lorsqu’une activité relève de la compétence du Parlement — par exemple, dans le cas d’une entreprise ou d’un ouvrage interprovincial ou national, comme un pipeline ou une compagnie de chemin de fer —, celui-ci a de vastes pouvoirs pour réglementer ces activités, puisqu’il en est l’organisme de réglementation du cycle de vie. Lorsqu’une administration a ce vaste pouvoir de réglementation, elle réglemente habituellement l’ensemble du cycle de vie de l’activité, du début à la fin, et possède l’expertise nécessaire pour prendre des décisions éclairées dans l’intérêt public.
Le respect de ces limites est essentiel pour s’assurer que l’évaluation environnementale fédérale est valide sur le plan constitutionnel, et la Cour suprême nous a dit que la Loi sur l’évaluation d’impact ne l’est pas et ne les respecte pas.
Pour ce qui est des amendements — et c’est la dernière partie de mon exposé, ensuite de quoi je serai heureux de répondre à vos questions —, si je compte bien, il y a 32 modifications à la Loi sur l’évaluation d’impact dans l’intention avouée de veiller à ce que la loi soit conforme à la Constitution. J’ai des préoccupations et des doutes importants quant à savoir si les modifications permettent d’atteindre cet objectif, mais c’est une question qui sera tranchée par les tribunaux.
À mon avis, il serait peut-être plus productif, à ce stade-ci, de poser les trois questions suivantes : premièrement, est-elle clairement constitutionnelle ainsi modifiée? À mon avis, ce n’est pas le cas. C’est malheureux, parce que, comme je l’ai dit, une jurisprudence nous enseigne comment le gouvernement fédéral peut constitutionnellement et valablement réglementer dans ces domaines. Dès le départ, il y a de l’incertitude et, encore une fois, si nous parlons d’offrir une certitude dans le processus à toutes les parties concernées, y compris aux investisseurs, nous commençons avec un point d’interrogation très important par rapport au projet de loi.
La deuxième question est la suivante : même si la cour jugeait qu’elle est constitutionnelle, y a-t-il un risque important qu’elle soit utilisée de façon inconstitutionnelle? Je pense qu’il y a un risque important, ce qui, encore une fois, signifie plus de litiges et plus d’incertitude dans des lois qui ont toujours été très litigieuses.
Troisièmement, est-elle susceptible d’atteindre les objectifs que j’ai décrits plus tôt, y compris d’apporter une certitude raisonnable quant au processus et aux résultats pour les promoteurs de projets? Je ne crois pas que ce soit le cas.
Je vais maintenant parler brièvement de certaines des principales modifications. Rappelons qu’en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact, telle qu’elle existe actuellement, l’expression définie « effet relevant d’un domaine de compétence fédérale » a été jugée inconstitutionnelle. Elle a été remplacée par l’expression définie « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale ». Je dirais que la nouvelle définition ajoute — en effet, elle ajoute — le concept de changements négatifs non négligeables à des éléments comme le poisson et l’habitat du poisson, les oiseaux migrateurs et les groupes autochtones. Ce libellé continue toutefois d’introduire de l’incertitude dans l’application de la loi. Nous ne savons pas exactement ce qui constitue ou non un changement négatif non négligeable pour le poisson ou son habitat, par exemple.
Nous savons que la loi interdit tout ce qui peut avoir un effet négatif non négligeable, ce qui est soutenu par des dispositions relatives aux infractions et des pénalités pouvant atteindre 8 millions de dollars par jour par infraction, et elle impose une responsabilité personnelle aux cadres supérieurs des sociétés. Cela aura comme effet que si votre projet figure sur la liste, et s’il figure dans le règlement, que vous ayez besoin ou non d’une approbation fédérale pour le projet, il sera accepté parce qu’il est impossible de savoir ce que l’Agence ou le ministre en place jugerait être un effet négatif non négligeable. Et si vous vous trompez, les conséquences sont graves.
Fait important, la justification de l’exercice de la compétence fédérale pour mettre en œuvre l’interdiction n’est toujours pas claire. Je peux dire à un client s’il a besoin ou non d’un permis en vertu de la Loi sur les pêches, mais je ne peux pas lui dire ce que quelqu’un pourrait considérer comme un effet non négligeable sur le poisson ou son habitat.
La question sera de savoir si la portée de la nouvelle définition proposée est suffisamment limitée pour être constitutionnelle. La décision relative à l’examen préalable est fondée sur cette définition générale, et une évaluation environnementale complète sera requise par l’Agence si elle est convaincue que le projet peut entraîner des effets négatifs dans les domaines de compétence fédérale, c’est-à-dire des changements négatifs non négligeables dans les secteurs énumérés. Pour moi, il est difficile de voir d’où nous nous sommes éloignés avec l’interdiction initiale, qui est fondée sur des effets négatifs non négligeables. L’information est déposée au sujet du projet, puis elle est examinée, et la base sur laquelle elle repose est essentiellement la même, à savoir les effets négatifs non négligeables. Si de tels changements sont prévus, une évaluation complète des répercussions environnementales ou une évaluation d’impact est requise. Le promoteur réfléchira au temps, aux coûts, à l’incertitude, au risque réglementaire et au risque de litige.
Le processus décisionnel comporte maintenant deux étapes pour le ministre et la gouverneure en conseil. Premièrement, après avoir pris en compte les mesures d’atténuation, il s’agit de déterminer si les effets négatifs dans les domaines de compétence fédérale — les effets négatifs non négligeables — sont « ... susceptibles d’être, dans une certaine mesure, importants et, le cas échéant, dans quelle mesure ils sont importants ». C’est un libellé très ambigu. Il manque de clarté et ouvre le processus décisionnel à diverses interprétations et aux risques prévus qui y sont associés.
Si le projet ne passe pas le test, le promoteur a la possibilité d’essayer de le remanier d’une manière qui serait conforme à la décision, mais vous êtes alors vraiment de retour à la case départ parce que vous poserez la même question : comme je l’ai remanié, est-ce que quelqu’un à l’Agence va penser que, même remanié, il aura un effet non négligeable dans les domaines de compétence fédérale?
En résumé, bien que les modifications puissent répondre à certaines des préoccupations de la Cour suprême du Canada au sujet de la Loi sur l’évaluation d’impact, un point d’interrogation constitutionnel inutile, à tout le moins, continuera de planer sur la Loi sur l’évaluation d’impact si elle est modifiée telle que proposée. Il y a un risque important que la loi soit utilisée de façon inconstitutionnelle, même si, au bout du compte, elle est jugée constitutionnelle, en raison de l’incertitude qui l’accompagne et des litiges potentiels. Malheureusement, je ne crois pas qu’elle apportera la certitude nécessaire, dans bien des cas, pour faire approuver de façon efficace et efficiente les grands projets assujettis à la loi.
Sur ce, je vais m’arrêter et répondre à vos questions.
La vice-présidente : Merci.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse aux deux témoins. Cette version de la Loi sur l’évaluation d’impact est-elle conforme à l’avis de la Cour suprême dans le renvoi? Je pense que les deux témoins ont dit non. Si c’est le cas, et si le gouvernement fédéral continue d’aller trop loin, comment pourra-t-on remédier à la situation? Quels sont les amendements que vous proposeriez? Est-ce réparable?
Quelle est la portée de vos préoccupations et quels changements importants recommanderiez-vous? La ministre de la Justice de la Saskatchewan a parlé de ces changements importants. Je me demande comment cela peut être formulé, et est-il juste de prédire que d’autres litiges sont inévitables sans modifications?
Mme Eyre : Merci. M. Gilmour a expliqué très clairement comment c’était avant — litigieux, plutôt dense et parfois troublant — et comment c’est devenu depuis l’adoption du projet de loi C-69.
Il est intéressant que, l’autre jour, M. Gratton, de l’Association minière du Canada, ait parlé d’un « âge d’or », comme il l’a dit, en faisant allusion à l’époque où les évaluations environnementales étaient en fait les plus efficaces et les plus fondées sur la collaboration. Autrement dit, il soulignait le fait qu’il ne s’agit pas d’un obstacle insurmontable, et que cela s’est déjà produit lorsque les gouvernements fédéral et provinciaux et leurs structures réglementaires respectives s’en tiennent à leurs voies respectives, car la collaboration est toujours possible. Comme il l’a dit, si je me souviens bien, il y avait de la collaboration, mais chacun s’en tenait à son domaine.
Pour ce qui est de savoir ce que nous allons faire de cette loi, je pense qu’il a été très clairement expliqué à quel point elle demeure complexe, vague et sujette à davantage de litiges, et à quel point cela est malheureux pour ce qui est d’établir la certitude dont nous avons désespérément besoin au Canada en ce qui concerne les évaluations et le processus par lequel doivent passer les projets. J’ai parlé dans mes observations de l’application inégale, alors que le projet de Bay du Nord est accepté, mais pas d’autres projets, et ainsi de suite, ainsi que des remords d’acheteur exprimés par l’Association minière du Canada.
L’analyse est en cours, pour répondre à votre question sur ce qui pourrait être corrigé. Mais certains des principes fondamentaux de cette nouvelle mouture du projet de loi C-69 sont si troublants et si difficiles à surmonter sur le plan de la clarté, et les « effets négatifs » en sont certainement un bon exemple. Comme je l’ai dit, les modifications proposées remplacent « effet relevant d’un domaine de compétence fédérale » par « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale ». Le problème, c’est que le gouvernement fédéral peut renvoyer les évaluations aux provinces, dans la mesure où ces évaluations tiennent compte des effets négatifs dans les domaines de compétence fédérale, « négatifs » étant ici, bien entendu, une question de perception. Comment définit-on des effets négatifs non négligeables, comme l’a demandé M. Gilmour? Il s’agit d’un effet négatif, que vous y ajoutiez « non négligeable » ou non. La question qui se pose est la suivante : de qui relève l’évaluation et qu’est-ce que cela implique? Comme je l’ai dit, c’est une question de perception. C’est très subjectif et cela comporte des aspects très troublants selon moi. La Saskatchewan a certainement de graves préoccupations à cet égard.
La norme d’intérêt public amorphe s’applique aussi toujours. Il y a de bonnes nouvelles, si je peux m’exprimer ainsi, en ce sens que l’application de la loi n’est plus simplement déclenchée par les gaz à effet de serre, de sorte que la nouvelle définition des « effets interprovinciaux » se limite à la pollution de l’eau et aux rivières interprovinciales. M. Gilmour et moi serions probablement d’accord pour dire que le problème, c’est la partie « accessoire ». Si une autoroute est construite entre Regina et Saskatoon et qu’elle traverse un cours d’eau dans lequel il y a du poisson, traditionnellement, je pense qu’il était relativement clair que le poisson était accessoire à l’autoroute. Tant au niveau micro que macro, cela est devenu vague et ambigu.
Pour tout projet, qu’il s’agisse de production d’électricité, de sables bitumineux in situ, d’autoroutes, du Cercle de feu, d’exploitation pétrolière au large des côtes de Terre-Neuve ou de gaz naturel liquéfié à Saguenay — la liste est longue —, ma réponse serait qu’il n’est pas étonnant que, par exemple, Berkshire Hathaway ait retiré son investissement de 9 milliards de dollars dans le projet de gaz naturel liquéfié à Saguenay à cause de l’incertitude créée.
Je pense qu’il est difficile de dire que si on pouvait la changer en fonction de ce qui est devant nous actuellement, la loi serait prête. Je pense que c’est là le problème. Ce n’est pas le cas, et la nature des changements a été tellement chirurgicale que les principes fondamentaux demeurent, et ils demeurent troublants.
M. Gilmour : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Comme je l’ai dit dans mon exposé, le fait d’avoir dès le départ un point d’interrogation constitutionnel par rapport à la loi pose problème. Il y a 30 ans, nous savions comment rédiger une loi fédérale sur l’évaluation qui était constitutionnelle.
Nous devons lire la jurisprudence, et nous devons examiner ce que les tribunaux ont déjà dit relativement à toutes les versions. À partir de là, je pense qu’il serait possible de trouver une mesure législative qui est constitutionnelle et applicable. Même si tout est dans les détails, je pense que le fait de revenir à un déclencheur fondé sur la décision plutôt que sur le projet serait un élément qui donnerait de la certitude. Cela permet de comprendre pourquoi le gouvernement fédéral est engagé. Il faut un permis pour le projet. Il est sur des terres fédérales. Le gouvernement fédéral finance le projet et en est le promoteur. C’est un projet clairement lié à un domaine de compétence fédérale. Cela élimine ce point d’interrogation.
L’élément suivant consiste à examiner la jurisprudence afin de déterminer pourquoi nous nous sommes retrouvés devant les tribunaux dans un certain nombre de cas en raison du libellé ambigu de la loi. Il y a un certain nombre d’exemples où il est important de resserrer le libellé du projet de loi — le choix des mots, le style de rédaction — pour intégrer plus de certitude au processus et à son fonctionnement.
Le calendrier est important. La loi est adoptée, mais il y a tellement d’occasions d’arrêter le processus, et le calendrier est en fin de compte incertain. Je crois toutefois que ce qui nous aidera à obtenir de grands projets, c’est que les deux ordres de gouvernement doivent s’en tenir à leurs champs de compétence. Je ne pense pas que cela aurait pu être précisé plus clairement dans la décision de la Cour suprême du Canada. L’administration qui réglemente l’activité, et c’est souvent la province pour les entreprises et les ouvrages locaux, devrait être celle qui a le pouvoir décisionnel. Si le gouvernement fédéral a un rôle à jouer, il doit participer au processus, mais pas le diriger. Et s’il y a une détermination de l’intérêt public, elle doit être effectuée par la province dans ce cas. S’il y a deux déterminations de l’intérêt public, quel sera le résultat si l’une dit « oui » et l’autre dit « non »?
En revanche, du côté fédéral, lorsque le Parlement a l’expertise et la compétence nécessaires pour réglementer, c’est l’organisme de réglementation principal, et si la province a un rôle à jouer, il devrait lui aussi être accessoire à cette fonction. J’aimerais ajouter un ou deux commentaires.
De plus, il faut éliminer le risque politique à la fin du processus. Si des tribunaux de réglementation spécialisés dans le cycle de vie réglementent ces activités — qu’elles soient fédérales ou provinciales —, il faut se demander s’il s’agit de l’entité la plus apte à déterminer l’intérêt public, car si quelqu’un investit dans ce processus, respecte les règles, obtient l’approbation réglementaire, finit par subir l’inévitable litige et obtient gain de cause, mais que ce gain est ensuite renversé par une décision politique, il est facile de comprendre comment cela affecte la confiance des investisseurs. Merci.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos présentations.
J’étais au comité lorsque le projet de loi a été présenté, donc c’était en 2018. Pour la première fois, je me suis rendu compte que les sociétés d’extraction des ressources ne se souciaient pas des terres ou des vies des Premières Nations. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à examiner la question.
Vous parlez de la détermination de l’intérêt public. Où sont les Autochtones dans tout cela? Parce qu’ils relèvent toujours de champs de compétence intergouvernementale. Lorsque vous dites qu’il faut réduire les risques pour le milieu des affaires afin d’être concurrentiels et de prospérer, les Premières Nations n’ont pas prospéré. Elles ont été laissées pour compte. C’est pourquoi, lorsque nous avons examiné le projet de loi, j’y ai proposé des amendements parce que la situation des Premières Nations et la violation de leurs droits fondamentaux me préoccupaient. On n’en tient même pas compte.
Vous demandez qui a compétence lorsque la plupart des projets se déroulent sur des terres indiennes, et traversent des cours d’eau interprovinciaux lorsqu’on tient compte des bassins de décantation.
Compte tenu de tout cela et des effets négatifs, comment formuleriez-vous cela pour protéger les Premières Nations, de sorte que ce ne soit pas seulement une question d’argent et qu’elles obtiennent une juste part des projets? Je suis préoccupée par le fait que cette question ait à être soulevée, et je ne veux pas que les Premières Nations soient tenues encore plus éloignées. Vous parlez de resserrer le libellé. Donnez-nous un exemple de ce que vous écririez à la place d’« effets négatifs ». Les deux témoins peuvent-ils répondre à cette question?
M. Gilmour : Merci, madame la sénatrice. Vous soulevez une question importante et complexe. Je ne parlerai pas au nom des groupes autochtones et de ce qui fonctionne pour eux. Je peux vous dire que lorsque l’Alberta s’est adressée à la Cour suprême du Canada, certains groupes autochtones appuyaient la position de l’Alberta et voulaient que la loi soit jugée inconstitutionnelle.
Il y avait aussi des groupes autochtones qui appuyaient la position du Canada. Mais à mon avis, il n’y a pas une seule position à l’égard de cette mesure législative et de la façon dont elle touche les groupes autochtones.
Je peux vous dire qu’au cours de ma propre carrière — en ce qui concerne l’exploitation des ressources et la mobilisation des groupes autochtones —, la tendance importante que j’ai constatée, et qui me semble bonne, c’est que nous sommes passés d’un processus où, si un projet était élaboré, des fonds étaient prévus pour ses études sur l’utilisation des terres traditionnelles et il pouvait y avoir des emplois et des occasions d’affaires, et tout cela était bien, mais je pense que ce que nous voyons de plus en plus à l’heure actuelle, c’est une plus grande participation des groupes autochtones aux projets qui pourraient les toucher, y compris la prise de participation dans des projets.
Je pense que c’est une occasion à saisir, mais je ne peux pas parler au nom des groupes autochtones. J’en sais assez pour savoir qu’ils ne s’expriment pas d’une seule voix. Il y a de multiples voix en ce qui concerne cette question.
Mme Eyre : Merci beaucoup de la question. J’abonde dans le même sens. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que l’un des problèmes est la complexité qui est introduite dans le projet de loi C-69, non seulement du processus d’approbation, mais aussi de ces amendements les plus récents. Je pense que si l’objectif du projet de loi initial était de simplifier les choses — et c’était l’un des objectifs énoncés —, il n’a pas été atteint parce que, comme je l’ai dit plus tôt, certains projets ont été approuvés très rapidement, comme le projet de Bay du Nord, et d’autres ne l’ont pas été, et sont en attente et restent « à déterminer » dans tous les sens de l’expression. Je pense que c’est ce manque de certitude et de clarté qui pose problème, ainsi que l’ambiguïté accrue, qui n’est dans l’intérêt de personne, y compris en ce qui a trait à la participation des Premières Nations aux grands projets.
Je vous renvoie à la dernière série de questions, au cours de laquelle on a beaucoup parlé du projet d’oléoduc Northern Gateway, par exemple. Pour revenir à ce que disait M. Gilmour au sujet de la complexité, il y avait de nombreux groupes des Premières Nations en Colombie-Britannique qui appuyaient ce projet, et il y en avait d’autres qui ne l’appuyaient pas. Ces groupes n’ont pas une position ou une opinion unique. Si le projet de loi C-69 visait à rendre les choses plus claires et plus prévisibles, en ce qui concerne les étapes que tout le monde doit suivre, y compris les promoteurs des projets, les gouvernements concernés et les intervenants autochtones, cet objectif n’a pas été atteint.
Nous nous retrouvons avec non seulement un projet de loi inconstitutionnel, mais aussi avec des amendements possiblement inconstitutionnels. Je pense que ce n’est vraiment dans l’intérêt de personne. La Cour suprême a statué qu’il y avait de graves problèmes à cet égard, et je ne pense pas que les amendements règlent ce problème. C’est le problème auquel nous sommes confrontés.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous écoute et il me semble que, quel que soit le projet de loi, la question de la certitude de l’interprétation n’existe pas. Vous êtes à la recherche de certitude, mais j’essaie de voir comment cette question de certitude peut s’appliquer à des projets qui touchent à des questions environnementales qu’il faut évaluer au cas par cas. Donc, j’ai l’impression que vous demandez l’impossible à un projet de loi. Normalement, c’est une série de choix qui donnent un peu de flexibilité pour essayer d’évaluer chacune des situations.
Je me demande donc si vos exigences envers un projet de loi d’évaluation ne sont pas un peu trop élevées. De plus, sur la question de la constitutionnalité, ce sera aux tribunaux de décider si le projet de loi est maintenant constitutionnel, et non à nous, les parlementaires.
Voilà ma première question : vos exigences sont-elles réalistes?
Deuxièmement, vous parlez du projet de liquéfaction de gaz naturel Énergie Saguenay comme ayant échoué à cause des évaluations environnementales, mais vous vous rappellerez que c’est le gouvernement Legault qui a retiré ses billes, parce qu’il y avait une controverse et beaucoup de questions sur l’impact de ce gazoduc sur l’environnement au Québec. Ce fut donc une décision politique qui n’avait rien à voir, à ma connaissance, avec les évaluations. Donc, comme vous êtes revenue deux fois sur cette question, madame la ministre, je voulais juste rectifier les faits. Vos demandes sont-elles réalistes?
Mme Eyre : Premièrement, c’est vrai, c’est absolument le cas. Comme vous dites, ce projet au Saguenay n’a pas échoué seulement à cause du projet de loi C-69. C’est l’un des facteurs qui ont causé le retrait de l’investissement, et on l’a bien expliqué à ce moment-là. Par exemple, la compagnie Berkshire Hathaway a affirmé que l’incertitude entourant ce projet a été causée en grande partie par cette loi. Il y avait d’autres raisons — et vous avez absolument raison de l’affirmer —, mais c’était l’une des raisons.
Ce que je voulais dire — et l’Association minière du Canada l’a dit également en 2022, comme je l’ai mentionné —, c’est que l’incertitude liée au projet de loi C-69 a eu un effet assez grave sur cet investissement. De plus, on l’a vu au Saguenay, mais on le voit aussi par exemple dans le projet de Bay du Nord, qui a été approuvé rapidement : cette incertitude reste pour les investisseurs dans ce pays.
Au sujet de la certitude, je crois que c’était une danse imparfaite avant le projet de loi C-69 dans ce pays. On a toujours eu des différences entre le provincial et le fédéral, et naturellement on a toujours eu des complications avec cette réalité. On n’est pas une fédération comme les autres et on le sait très bien. La danse, comme je l’ai dit, est imparfaite, mais bien présente, et maintenant, cette danse entre les deux sphères de compétence est beaucoup plus compliquée.
Le projet de loi C-69 a vraiment fait naître de l’incertitude qui n’a pas aidé l’investissement dans notre pays. On voit la différence pour ce qui est de l’approbation pour plusieurs de projets. J’ai lu récemment au sujet des usines de véhicules électriques près de Montréal, et je ne sais pas s’il y a vraiment un lien précis avec le projet de loi C-69; c’est vraiment un exemple de projet qui est rapidement attribué, où il y a de la certitude, mais ce n’est pas le cas pour d’autres projets. Il y a toujours des projets, mais je crois vraiment que le projet de loi C-69 a provoqué de l’incertitude qui n’existait pas auparavant et n’a pas amélioré la situation. Ce n’est pas légal.
La sénatrice Miville-Dechêne : L’usine Northvolt est en territoire québécois et ne chevauche pas de frontières; cela n’a rien à voir avec le projet de loi C-69.
Monsieur Gilmour, voulez-vous compléter la réponse à cette question : n’exigez-vous pas la perfection? Ici, il y a des mots comme « effets négatifs ». Comment peut-on être plus explicite qu’en mentionnant les « effets négatifs » dans un projet de loi, considérant le nombre de projets qu’il faut évaluer?
[Traduction]
M. Gilmour : Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre question. Je ne pense pas que nous voulions la perfection. Si nous devions atteindre la perfection, je serais probablement au chômage.
Cependant, même si je pense que nous ne devrions pas nous attendre à la perfection et que nous ne pourrons l’atteindre, je pense que nous pouvons faire des choses importantes pour réduire le degré d’incertitude. Je vais revenir à ce que je disais...
La sénatrice Miville-Dechêne : Par exemple, que diriez-vous à la place d’« effets négatifs »? Comment qualifieriez-vous ces effets?
M. Gilmour : Tout d’abord, j’établirais un lien avec une décision fédérale. S’il y a un lien avec une décision fédérale, alors je comprends le fondement juridictionnel sur lequel le projet est évalué par le gouvernement fédéral. Si je propose un projet minier, je me dis : « D’accord, que dois-je faire pour faire autoriser mon projet minier? » Eh bien, je vais citer un tas de lois provinciales parce que je sais que la province est l’organisme de réglementation du cycle de vie de cette activité. Ensuite, quelqu’un pourrait venir me voir et me dire : « Qu’en est-il du côté fédéral? » Ils me demanderont peut-être si mon projet a des effets sur l’habitat du poisson. Si la réponse est oui, j’ai besoin d’un permis de pêche fédéral. Le gouvernement fédéral a une décision à prendre à l’égard de ce projet. Ensuite, il est tout à fait approprié que le gouvernement fédéral mette en œuvre son propre projet d’évaluation, et peut-être qu’il le substitue à celui de la province et qu’il participe d’une façon qui est propre à sa compétence.
Mais à mon avis, le fait que la définition pratiquement illimitée des « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale » qui entraînent des changements non négligeables est loin d’être comparable à une loi structurée fondée sur un processus décisionnel fédéral clair.
[Français]
La vice-présidente : Il nous reste un peu moins de 15 minutes, et vous êtes plusieurs à vouloir poser des questions. Je vous demanderais d’être un peu plus concis, si possible. L’enjeu est quand même important.
[Traduction]
Le sénateur Wells : Je serai bref.
Monsieur Gilmour et madame la ministre, merci beaucoup de vos exposés. Cela m’inquiète beaucoup d’entendre la ministre de la Justice et procureure générale de la Saskatchewan dire qu’elle a de graves préoccupations. À ce sujet, est-ce que le projet de loi, dans sa forme actuelle — sans amendement —, ouvre la porte à un processus d’évaluation des projets qui pourrait être retardé par une contestation judiciaire parce que nous n’avons pas bien fait notre travail?
M. Gilmour : Si je comprends bien votre question, monsieur le sénateur, oui, je crois que oui. Encore une fois, cela nous ramène à l’ambiguïté de la raison pour laquelle la loi fédérale s’applique en première instance. Encore une fois, c’est plus simple si un client décide de concevoir un projet, demande s’il aura une incidence sur le poisson et demande ensuite s’il a besoin d’un permis en vertu de la Loi sur les pêches. La réponse est oui, et elle permet de mieux comprendre le processus. Mais c’est un plus grand problème lorsque quelqu’un vient vous voir pour vous dire qu’il conçoit un projet et qu’il n’a pas besoin de permis fédéraux du tout, et qu’il demande ensuite s’il devrait simplement s’adresser à la province. La réponse est non, si vous êtes visé par le règlement. Ensuite, il y a le risque de litige. Lorsqu’on examine le libellé utilisé, on constate qu’il ouvre la porte à diverses interprétations et possibilités — comme en font foi les versions antérieures de la loi fédérale sur l’évaluation — que certaines de ces questions soient portées devant les tribunaux.
Je vais vous donner un exemple. En vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation de l’environnement de 2012, la définition de « projet désigné » — et elle a été reprise dans la Loi sur l’évaluation d’impact — ne comprend pas seulement ce qui figure dans le règlement. Elle englobe tous les effets accessoires. Or, à quoi correspond cette notion d’effets accessoires? Cela a donné lieu à des litiges en particulier qui ont causé des retards dans des projets, simplement en raison d’une définition de la loi qui n’est pas rédigée avec précision.
Le sénateur Wells : Lorsque le Sénat est autorisé à faire son travail en prenant tout le temps dont il a besoin, c’est dans l’intention que les décisions prises en vertu de la loi ne soient pas renvoyées au processus judiciaire. C’est pourquoi nous sommes ici. C’est pourquoi nous examinons les projets de loi pour une deuxième fois et parfois pour une troisième fois.
L’autre chose — et je vais terminer là-dessus, pour donner une chance à mes collègues de poser leurs questions aussi —, je pense que le gouvernement fédéral se réjouit de l’incertitude entourant le processus afin de pouvoir déterminer qu’il s’agissait d’une décision d’affaires de la part du promoteur, en ne tenant pas compte des investisseurs dans le calcul de l’incertitude ressentie par les entreprises.
Mme Eyre : Exact. Si vous me le permettez, je dirais qu’il ne faut pas s’en faire pour cela. Les cas sont bien documentés, comme celui du Cercle de feu. Le projet de loi C-69 est explicitement dénoncé comme créant de l’incertitude en matière d’investissement. J’ai plusieurs autres exemples dans ma besace.
Le fait est que, dans certains cas, bien sûr, le promoteur peut être en phase avec le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial, alors que dans d’autres cas, il ne l’est pas. Le fait qu’il y ait alors toutes ces voies différentes avec tous ces différents acteurs est précisément la raison pour laquelle l’incertitude est si destructrice pour la productivité et l’économie.
Je ne pense pas que ce soit trop demander, en tant qu’investisseurs dans ce pays, mais aussi en tant que gouvernements provinciaux, que le remaniement de la deuxième série de mesures législatives soit clairement conforme à la loi constitutionnelle. Le fait qu’il y ait tant de doute, encore une fois, est la dernière chose dont nous avons besoin pour investir dans ce pays. Lorsqu’il y a beaucoup d’incertitude au sujet de la formulation, comme dans le cas des définitions d’« effets négatifs », « accessoires » et « intérêt public », et tout ce qui subsiste au sujet de la suspension des délais et de l’intervention du Cabinet dans les décisions au cas par cas, comme on l’a dit — d’accord, c’est du cas par cas —, cette situation cause de graves problèmes. Pour toutes ces raisons, nous avons de graves préoccupations à soulever.
[Français]
La vice-présidente : Malheureusement, c’était imprévu, mais il y aura un vote au Sénat dans quelques minutes. Nous pourrions suspendre la réunion si les témoins peuvent nous attendre, le temps qu’on aille faire notre devoir de sénateur à la Chambre.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Chers collègues, merci à nos deux invités d’avoir patienté pendant quelques minutes, puisque nous avions besoin d’aller exercer notre droit de vote. Nous allons poursuivre la série de questions avec la sénatrice Galvez.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : Tout d’abord, j’aimerais vous dire à tous les deux que le comité a reçu d’autres avocats qui ont dit exactement le contraire de ce que vous avez dit, à savoir que ces amendements règlent le problème constitutionnel. Lorsque je regarde les antécédents des avocats qui nous ont dit cela, il est intéressant de voir que les avocats spécialisés en environnement disent que c’est une bonne chose, mais que les avocats qui défendent les sociétés pétrolières, les sociétés qui s’occupent de l’assainissement, les sociétés énergétiques et les pollueurs disent que cela ne fonctionnera pas.
Le sujet est très complexe. La science a beaucoup évolué. Il nous a fallu 20 ans pour examiner l’évaluation d’impact, ce qui était beaucoup trop long. La dernière fois, nous avons inclus les effets cumulatifs, les effets secondaires et les changements climatiques. Ce sont des facteurs qu’il faut comprendre pour chaque projet particulier.
En tant que sénatrices et sénateurs — et vous avez peut-être une idée différente de la fonction d’une sénatrice ou d’un sénateur —, on nous a dit que nous devions nous occuper des populations vulnérables et des particularités régionales. Lorsque nous examinons ces projets énergétiques, nous constatons qu’ils sont si importants qu’ils touchent de multiples administrations et provinces, ainsi que l’eau, l’air, la mer et les eaux souterraines. L’eau souterraine est partout. Elle couvre beaucoup de provinces et de territoires.
Comment peut-on définir ces éléments comme négligeables ou juridictionnels quand on sait que la toxicité n’a pas de frontières? Les gaz à effet de serre touchent l’ensemble du Canada, et pas seulement une province à la fois. Les rivières sont reliées entre elles par des bassins hydrographiques.
Je suis d’accord avec ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, pour dire que la certitude que vous recherchez est impossible à obtenir, et que nous devons procéder par essais et erreurs et apprendre. De plus, les tribunaux doivent pouvoir compter sur des experts en environnement et en toxicologie pour comprendre tous ces problèmes.
Qu’en pensez-vous?
Mme Eyre : Si je puis me permettre, la question concernant les avocats qui représentent les « pollueurs » par rapport à ceux qui ne les défendent pas soulève beaucoup d’autres questions. Il s’agit d’une position quelque peu controversée qu’ils voient certainement comme telle.
Comme vous l’avez vous-même souligné, les questions entourant ce projet de loi sont très complexes, mais la Cour suprême a jugé que ce projet de loi — le projet de loi C-69 — était inconstitutionnel. Vous pouvez dire que nous devrions reprendre la même voie, si vous voulez, et procéder par tâtonnements, mais il y a de meilleures solutions. Certaines d’entre elles ont été décrites.
Cela crée de nouveau de la confusion, mais il y avait aussi un certain degré de coopération et d’insistance à cet égard avant l’arrivée du projet de loi C-69. Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas eu d’évaluations environnementales avant le projet de loi C-69, et c’est très important.
N’oubliez pas que le projet de loi C-69, ou le renvoi sur la taxe sur le carbone, portait sur des questions très précises, mais la Cour suprême l’a jugé inconstitutionnel. À mon avis, cela risque certainement de se reproduire avec ces modifications, parce qu’elles ne répondent tout simplement pas suffisamment aux préoccupations que la Cour suprême a soulevées.
N’oubliez pas, sénatrice, que l’environnement ne connaît pas de frontières. De toute évidence, c’est ce qui a donné lieu à l’argument de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement présenté à la Cour suprême — la véritable carte maîtresse qui a été utilisée dans cette cause —, mais cette affaire portait en fait sur la question très étroite des normes de tarification de la pollution.
Comme vous le savez, la décision de la Cour suprême dans le renvoi de la taxe sur le carbone portait sur une question très précise, mais elle ne prévoyait pas que le gouvernement fédéral puisse, à l’avenir, intervenir à sa guise à propos de chaque série de règlements ou de chaque évaluation. C’est là où nous en sommes, non seulement avec le projet de loi C-69, mais aussi avec toute une série d’autres intrusions — en tout cas à notre avis — du gouvernement fédéral dans les champs de compétence des provinces. Nous avons une fédération pour une bonne raison. Nous en sommes fiers, nous l’aimons, mais elle est ce qu’elle est. C’est l’animal complexe qu’il y a entre les administrations, et qui mène la danse.
Certains diront que cela ne peut tout simplement pas être une question de compétence, mais de toute évidence, la Cour suprême a conclu que c’était le cas, alors qu’elle ne l’a pas fait dans le renvoi relatif à la taxe sur le carbone.
C’est certainement le travail du Sénat, avec tout le respect que je vous dois, et il est important que nous fassions tous ce travail pour éviter que cela devienne une expérimentation par tâtonnements, au cas par cas, parce que la productivité de notre pays ne peut vraiment plus faire face à beaucoup d’autres tâtonnements.
M. Gilmour : Je vous remercie de la question, sénatrice. Je tiens à préciser que je suis un avocat spécialiste de l’environnement et que je l’ai été pendant toute ma carrière. J’ai aussi une formation scientifique. J’ai une maîtrise en sciences de l’environnement, alors je connais un peu la dimension scientifique également.
Je dirais que la compréhension des effets environnementaux continue d’évoluer en dehors du processus d’évaluation environnementale. Qu’il s’agisse du ministère des Pêches et des Océans ou d’Environnement et Changement climatique Canada, ils ont compétence sur de multiples questions, et leurs connaissances scientifiques et leur compréhension des enjeux continuent d’évoluer. Tout cela ne fait pas partie du processus d’évaluation environnementale.
L’autre chose à considérer — qu’il s’agisse de ressources énergétiques ou de minéraux critiques —, c’est que ces ressources seront nécessaires au Canada, tant dans l’économie actuelle que dans l’économie future. Le monde en aura besoin. Nous sommes chanceux d’avoir autant de ressources dans notre pays. Je pense que les lois environnementales et la primauté du droit, ainsi que toutes les lois régissant l’approbation des projets et des processus que nous avons, signifient que nous pouvons effectivement exploiter ces ressources mieux que quiconque dans le monde. Si nous voulons exploiter les ressources dont nous avons besoin, c’est ici qu’il faut le faire. C’est ce que je pense. Merci, sénatrice.
La sénatrice Anderson : Je vous remercie tous les deux de votre témoignage. Ma question s’adresse à la ministre. Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice McCallum. À l’heure actuelle, le paragraphe 33(1) de la Loi sur l’évaluation d’impact stipule ce qui suit :
Le ministre ne peut autoriser la substitution que s’il est convaincu que :
d) l’évaluation à effectuer comportera des consultations avec tout groupe autochtone qui peut être touché par la réalisation du projet désigné;
Vous avez parlé de l’ambiguïté de la Loi sur l’évaluation d’impact, et je veux simplement lire l’amendement proposé dans ce projet de loi. L’amendement proposé se lit comme suit :
L’alinéa 33(1)d) de la même loi est remplacé par ce qui suit :
d) l’évaluation à effectuer comportera des consultations avec tout groupe autochtone qui peut être touché par la réalisation du projet désigné...
On ajoute ensuite :
... ou que ces consultations seront menées dans le cadre d’un accord visé à l’alinéa 114(1)f);
Et l’alinéa 114(1)f) de la Loi sur l’évaluation d’impact se lit comme suit :
... conclure des accords avec toute instance en matière de coordination, de consultation, d’échange d’information et de détermination des éléments à prendre en compte relativement à l’évaluation des effets de projets désignés d’intérêt commun…
Ce qui me préoccupe, c’est qu’on a maintenant ajouté « ou », et ce n’est donc pas « et ». Il est maintenant possible de consulter les peuples autochtones ou de conclure des accords qui ne font pas expressément référence aux peuples autochtones.
Pouvez-vous me dire, madame la ministre, ce que vous pensez de cet amendement?
Mme Eyre : Il serait juste de dire que cela suscite beaucoup de confusion, et à juste titre. Pour répondre à tous les points qui ont été soulevés, est-ce vraiment un objectif avantageux pour l’exercice? En fin de compte, le gouvernement fédéral peut toujours refuser l’approbation d’un projet qui ne relève qu’accessoirement de la compétence fédérale. Il y a donc un problème. Qu’il s’agisse d’un « et » ou d’un « ou », pour ce qui est des consultations avec les Premières Nations, le fait est qu’il y avait des lignes de démarcation plus claires avant cette loi et qu’elles sont toutes devenues floues — qu’il s’agisse des consultations avec les peuples autochtones ou non, que ce soit avec les provinces ou non, et ce qui définit « accessoire » ou non. Ce sont tous les mots dont nous avons parlé qui posent problème.
Le libellé précédent était « effets négatifs », et nous en avons parlé à plusieurs reprises. Il est important de garder à l’esprit que le libellé précédent parlait d’« effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale ». Bien sûr, c’est subjectif. Maintenant, c’est « effets négatifs non négligeables ». Orwell s’amuserait beaucoup avec tout cela. Voilà le problème. Cela crée un problème pour les groupes autochtones lorsque leurs terres entrent en ligne de compte. De toute évidence, cela pose un problème dans le cas des projets provinciaux, et pour savoir où commence et où s’arrête la notion d’« accessoire ».
Je dirais aussi que certains des passages que vous avez lus portent sur la question des consultations. Si vous me le permettez, j’aimerais simplement ajouter qu’il est révélateur et troublant que, même pour en arriver aux modifications que nous avons sous les yeux, les consultations n’ont été qu’un vœu pieux, dirais-je. Il n’y a eu aucune collaboration avec les provinces. Je ne peux pas parler des consultations avec les Autochtones, mais avec les provinces, nous n’avons pas eu l’occasion de faire connaître notre avis. C’est le ministère de l’Environnement. Au ministère de l’Énergie et des Ressources et au ministère de l’Environnement, on nous a informés des changements au lieu de nous demander notre avis ou notre collaboration. C’est la même chose pour les Affaires intergouvernementales. Il n’y a pas d’éléments techniques, seulement des thèmes généraux.
C’est certainement un problème pour les provinces, pour les entreprises, potentiellement, et pour les investisseurs, mais aussi pour les principaux intervenants et, pour répondre à votre question, pour les groupes autochtones également. Par conséquent, le fait que nous en soyons à ce stade, si tard dans la journée, et que nous soyons encore en train de contester, d’analyser, d’évaluer et de disséquer ces définitions, ces articles et ces paragraphes, est très inquiétant.
La sénatrice Anderson : Merci.
La vice-présidente : Merci, madame la ministre. Merci, monsieur Gilmour.
[Français]
Merci à tous. Vos interventions seront prises en considération par les sénateurs.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
[Traduction]
La vice-présidente : Soyez les bienvenus. Le comité commence son examen de la teneur du projet de loi C-50, Loi concernant la responsabilité, la transparence et l’a mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre.
Pour notre troisième groupe de témoins, nous accueillons John Desjarlais, directeur général du Indigenous Resource Network, qui se joint à nous par vidéoconférence. Nous accueillons également, d’Électricité Canada, Francis Bradley, président et chef de la direction, qui témoigne par vidéoconférence, ainsi que Channa Perera, vice-président, Affaires réglementaires et autochtones.
Vous avez cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire. Vous avez la parole, monsieur Desjarlais.
La sénatrice Galvez : Puis-je poser une question? Par souci de clarté, est-ce que nous étudions le projet de loi en entier? Si je ne me trompe pas, n’est-ce pas du ressort du Comité des affaires sociales?
La vice-présidente : Oui, le Comité des affaires sociales a été désigné, mais nous sommes en train d’examiner les parties liées aux travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière.
La sénatrice Galvez : Nous n’examinons que des parties précises?
La vice-présidente : Voici ce que le greffier vient de dire : la teneur du projet de loi C-50 — l’ensemble du projet de loi.
John Desjarlais, directeur général, Indigenous Resource Network : Bonsoir. Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole ce soir au sujet du projet de loi C-50.
Je suis un Métis cri, de Kaministikominahikoskak, aussi connu sous le nom de Cumberland House, en Saskatchewan, au Canada. J’ai commencé ma carrière dans l’industrie des ressources naturelles et j’ai occupé divers postes, notamment dans les domaines de la radioprotection, l’environnement, la sûreté, l’entretien et la gestion de l’ingénierie de la fiabilité. J’ai ensuite occupé des postes de direction dans les domaines du développement économique, de la consultation en construction et en gestion, y compris dans le secteur de la réglementation, de l’éducation postsecondaire, de la santé et la sécurité au travail ainsi que de la défense des intérêts.
Je suis ici ce soir à titre de directeur général du Indigenous Resource Network, ou IRN.
L’IRN est un organisme indépendant et non partisan qui défend les intérêts des travailleurs et des entreprises autochtones. Notre réseau s’est principalement concentré sur le pétrole et le gaz, l’exploitation minière et la foresterie. Bien que ces secteurs aient un impact environnemental, ils ont été une source très importante de développement économique pour nos nations. En tant qu’intendants des terres — et, dans bien des cas, c’est le travail ou la mission des membres de l’IRN —, nous essayons d’établir un juste équilibre entre une solide protection de l’environnement et de bons moyens de subsistance et des collectivités saines.
Nous suivons les initiatives du gouvernement en matière de transition équitable ou d’emplois durables depuis qu’elles ont été annoncées. En toute honnêteté, nos membres ont exprimé des doutes et des inquiétudes. On a l’impression que le gouvernement fédéral n’est pas du même côté que ceux qui travaillent dans le secteur pétrolier et gazier en particulier. Les travailleurs et les entreprises autochtones du secteur pétrolier et gazier se sentent souvent vilipendés, même s’ils fournissent un service et un produit importants dont tout le monde dépend au bout du compte.
Ce n’est qu’au cours de la dernière décennie, ou à peu près, que nous avons constaté un réel mouvement de la part du secteur pétrolier et gazier pour mobiliser les travailleurs et les entreprises autochtones et les inclure dans ses activités. Cela a donné lieu à beaucoup d’avantages mutuels et de succès.
Selon les données de Statistique Canada, l’extraction pétrolière et gazière et le transport par pipeline offrent les salaires les plus élevés au Canada pour les Autochtones. En fait, les Autochtones du Canada gagnent près de trois fois plus dans le secteur de l’extraction pétrolière et gazière qu’ils ne gagnent en moyenne, soit plus de 140 000 $ par année.
L’écart salarial entre les travailleurs autochtones et non autochtones a été en grande partie comblé. Les travailleurs autochtones en amont du secteur pétrolier et gazier ont gagné 2,2 % de plus en salaires hebdomadaires moyens que le travailleur canadien moyen du secteur pétrolier et gazier en 2021. En comparaison, les fonctionnaires fédéraux autochtones gagnaient 9,3 % de moins que leurs pairs non autochtones.
Le secteur pétrolier et gazier fait également des efforts pour s’assurer que les femmes autochtones ont des possibilités de carrière bien rémunérées. Les trois secteurs les mieux rémunérés pour les femmes autochtones au Canada sont liés au pétrole et au gaz. Nous savons que de bons salaires offrent aux femmes et aux familles plus de possibilités et de meilleurs résultats.
Outre les emplois directs, le secteur pétrolier et gazier fournit des milliards de dollars par année par l’entremise d’entreprises autochtones. Que celles-ci appartiennent à des entrepreneurs, à des familles ou à des collectivités, elles soutiennent des nations avec leurs propres sources de revenus. Mais elles ont un impact énorme.
Nous voyons maintenant des nations autochtones prendre une participation dans les grands projets sur leurs territoires, notamment des pipelines, des terminaux de gaz naturel liquéfié et des centrales au gaz. Je félicite le gouvernement d’avoir fait du Programme fédéral de garanties de prêts aux Autochtones un programme « indépendant du secteur », ce qui signifie en pratique que les projets pétroliers et gaziers peuvent obtenir un soutien.
Je sais que parfois, lorsque nous lançons ces gros chiffres, nous ne pensons pas à ce qu’ils signifient réellement pour les gens — ce que cela représente pour les entrepreneurs et leurs familles lorsqu’ils obtiennent un nouveau contrat, ou pour les collectivités qui transforment des dividendes en services et en programmes dont elles ont besoin pour leur population.
Je peux vous dire personnellement que les emplois bien rémunérés dans le secteur des ressources peuvent transformer les gens et les collectivités. Ils leur permettent de subvenir aux besoins de leur famille, de sortir de la pauvreté et d’avoir des possibilités et des choix. C’est en voyant cela et en vivant cela que je me suis passionné pour cette question, et que je fais ce que je fais aujourd’hui avec l’IRN.
Ce n’est pas seulement économique. Il y a aussi le sentiment de fierté et d’accomplissement que l’on tire de son travail. Je veux que les membres de l’IRN puissent être fiers de ce qu’ils font, qu’ils n’en aient pas honte ou qu’on ne leur dise pas qu’ils doivent passer à autre chose et que leurs compétences ne sont plus utiles ou nécessaires alors qu’il y a clairement un marché pour eux.
Je n’ai rien contre les mesures législatives qui visent à former des gens pour des emplois verts ou à créer de nouvelles possibilités économiques dans nos territoires. En fait, bon nombre des compétences sont les mêmes, qu’il s’agisse de l’extraction de l’uranium pour l’énergie nucléaire et du cuivre pour l’électrification, ou de la construction de pipelines pour le captage du carbone ou pour l’hydrogène.
Mais nous avons de très bonnes raisons de nous attendre à ce que les emplois liés à l’installation de panneaux solaires ou d’éoliennes ne soient pas aussi bien rémunérés que les emplois liés au pétrole et au gaz. Les membres de l’IRN ne veulent pas quitter ces emplois tant qu’il y aura une demande pour ce produit.
Voici ce que je demande au comité au sujet de l’objectif de ce projet de loi. N’empêchez pas les peuples autochtones de gérer des entreprises prospères et de bien gagner leur vie. N’empêchez pas les nations autochtones de tirer leurs propres revenus de l’incroyable richesse de leurs territoires.
Aidez-nous plutôt à être des chefs de file mondiaux dans la production de pétrole, de gaz et d’autres produits aussi longtemps que nos sociétés et nos alliés en auront besoin. Aidez-nous à mettre au point du gaz naturel liquéfié à faibles émissions pour remplacer le charbon, aidez-nous à capter le carbone, aidez-nous à mettre au point de l’hydrogène bleu et aidez-nous à extraire et à raffiner les minéraux plus proprement que quiconque dans le monde. Aidez-nous à créer de nouveaux emplois verts, et non pas à remplacer de bons emplois dans le secteur des ressources. La délocalisation de nos secteurs à fortes émissions vers les pays en développement n’est pas une politique climatique, et ne conduira certainement pas à la réconciliation.
Enfin, je demanderais que ce nouveau Conseil du partenariat pour des emplois durables comprenne des représentants des peuples autochtones qui travaillent dans les secteurs de l’énergie et des ressources, afin qu’il puisse tenir compte de leurs points de vue et de leurs solutions. Je me ferai un plaisir de vous recommander des noms le moment venu.
Kinanâskomitinâwâw. Merci à tous. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Monsieur Bradley, la parole est à vous.
[Français]
Francis Bradley, président et chef de la direction, Électricité Canada : Merci beaucoup et bonsoir. Je m’appelle Francis Bradley, président et chef de la direction d’Électricité Canada, auparavant connue sous le nom d’Association canadienne de l’électricité.
[Traduction]
Au nom d’Électricité Canada, nous tenons à remercier une fois de plus le comité de nous avoir invités à comparaître, cette fois au sujet du projet de loi C-50. Nous appuyons les efforts visant à renforcer la main-d’œuvre du secteur de l’électricité et à permettre à l’industrie, aux syndicats et aux groupes autochtones de fournir des conseils importants aux décideurs du gouvernement.
Je tiens d’abord à dire que les emplois liés à l’électricité sont des emplois durables. Comme toutes les routes menant à la carboneutralité d’ici 2050 passent par le secteur de l’électricité, la transition reposera sur notre main-d’œuvre.
Comme je l’ai souligné la semaine dernière, nous sommes confrontés à un défi de taille. Nous devrons doubler la taille du réseau électrique pour suivre le rythme de l’électrification et de la décarbonation dans tous les secteurs. Comme il faudra plus d’électricité, nous aurons besoin de plus de travailleurs dans le secteur de l’électricité. Qu’il s’agisse d’exploitants de réseaux électriques, de monteurs de lignes électriques, de techniciens d’éoliennes, d’experts en cybersécurité, de spécialistes de la communication de l’information ou de travailleurs de la construction, les emplois dans le secteur de l’électricité devront croître de façon exponentielle au cours des prochaines décennies.
Selon les prévisions de Ressources humaines, industrie électrique du Canada, 28 000 emplois, soit environ 24 % de la main-d’œuvre actuelle, devront être pourvus, rien qu’au cours des cinq prochaines années. RBC prévoit qu’il faudra 400 000 emplois spécialisés pour construire l’infrastructure nécessaire d’ici 2050.
Pour recruter et maintenir cette croissance, nous aurons besoin de plusieurs choses, notamment d’un renforcement de notre capacité à attirer, retenir et promouvoir des talents pour des emplois qualifiés dans le secteur de l’énergie propre. Nous aurons besoin de programmes pour appuyer le perfectionnement et le recyclage des travailleurs dans tous les secteurs de l’énergie. Nous devrons appuyer l’immigration de travailleurs qualifiés et éliminer les obstacles à la reconnaissance des titres de compétences étrangers. Nous devrons aider les universités et les collèges à élaborer de nouveaux programmes d’études en fonction de l’évolution du paysage énergétique, et nous devrons soutenir les travailleurs autochtones et déployer des efforts pour attirer des talents de groupes historiquement sous-représentés.
Électricité Canada, nos membres et nos partenaires ont déjà commencé à faire avancer ce travail, mais il faudra que les gouvernements fédéral et provinciaux, les communautés autochtones, les groupes syndicaux et l’industrie travaillent ensemble pour combler nos lacunes et bâtir une main-d’œuvre concurrentielle dans le secteur de l’électricité.
La création du Conseil du partenariat pour des emplois durables dans le projet de loi C-50 fera en sorte que le processus décisionnel du gouvernement sera éclairé par les conditions du marché du travail, l’expertise de l’industrie et les principales voix autochtones. Ce groupe aidera à déterminer les pratiques exemplaires nationales et internationales et informera le gouvernement fédéral des mesures à prendre dans son champ de compétence.
La transition sera différente d’une province et d’un territoire à l’autre, et il est important que les mouvements vers une économie sans émissions permettent une certaine souplesse pour que le réseau électrique demeure abordable et fiable.
Il sera plus difficile de s’attaquer au déficit croissant de main-d’œuvre dans certaines administrations que dans d’autres, surtout dans les régions qui ont toujours compté sur les combustibles fossiles pour produire de l’électricité et fournir de l’énergie. En raison de l’incertitude liée à la main-d’œuvre, ainsi que des incertitudes liées aux chaînes d’approvisionnement et à l’intégration des nouvelles technologies, les règlements comme le Règlement sur l’électricité propre devraient demeurer souples.
En conclusion, il n’y a pas de transition vers une économie carboneutre sans main-d’œuvre qualifiée. Nous apprécions le travail de votre comité et les efforts plus vastes que le gouvernement a déployés pour bâtir une main-d’œuvre concurrentielle et qualifiée dans le domaine de l’énergie propre. Mon collègue Channa Perera et moi serons heureux de répondre à vos questions. Nous vous remercions de nous avoir invités à nous joindre à vous ce soir.
La vice-présidente : Merci.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Je voulais poser une question sur l’électricité et la dévastation qu’elle cause, car je travaille avec les bandes autochtones partout au Canada. J’ai entendu dire qu’il fallait construire plus de barrages dans les quatre provinces qui fournissent de l’électricité. Nous nous tournons vers la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Québec et le Labrador pour les grands barrages. Je suis allée au site C. Je suis allée au Manitoba. Nous avons beaucoup travaillé avec Muskrat Falls.
Lorsque nous avons rencontré les travailleurs qui étaient là, aucun d’eux n’étaient des autochtones ayant des bons postes hautement rémunérés. Et pour ce qui est du barrage de Grand Rapids, il n’y a personne là-bas. Le travail se fait à distance, donc il n’y a pas de travailleurs sur place.
Vous parlez de 28 000 emplois à pourvoir, et vous envisagez de construire des infrastructures, mais lorsque vous aurez terminé la construction des infrastructures, cela s’arrêtera, n’est-ce pas? Ces emplois vont-ils alors disparaître? Combien d’emplois seront permanents? Lorsqu’on regarde les travailleurs, quelles sont les compétences d’un travailleur qualifié en électricité? Comment allez-vous former ces travailleurs?
M. Bradley : Je vais commencer, puis vous pourrez compléter, monsieur Perera.
Pour commencer, oui, il sera nécessaire, à l’avenir, de produire beaucoup plus d’électricité. Il n’y a pas que l’hydroélectricité. À l’avenir, chaque région, chaque province et chaque territoire bâtira pour répondre à cette demande supplémentaire. À l’heure actuelle, l’hydroélectricité fournit environ 60 % de l’énergie à l’échelle du pays, mais à l’avenir, oui, il y aura plus d’hydroélectricité, et il y aura plus de sources d’électricité provenant du nucléaire, des petits réacteurs modulaires, de l’éolien, de l’énergie solaire et d’une grande variété de sources pour commencer.
Deuxièmement, pour ce qui est des emplois une fois l’infrastructure construite, la production d’électricité n’est qu’un élément du réseau électrique global. Les différents modes de production exigent plus ou moins de personnel pour ce qui est de l’emploi continu, mais à l’heure actuelle, notre secteur emploie près de 100 000 personnes occupant des postes permanents. Il ne s’agit pas simplement de construire une usine — une centrale électrique, par exemple — ou une plus petite usine qui peut fonctionner avec très peu de contact humain. C’est toute la chaîne d’approvisionnement qui amène l’électricité au client final. C’est le système de transmission et le système de distribution. Les emplois dont nous parlons dans le secteur sont tous situés le long de la chaîne d’approvisionnement qui apporte des kilowatts aux consommateurs.
Mon collègue, M. Perera, qui travaille directement avec nos membres sur les relations avec les Autochtones, peut vous donner une idée de certains des changements dans ce domaine.
À vous la parole, monsieur Perera.
Channa Perera, vice-président, Affaires réglementaires et autochtones, Électricité Canada : Je vous remercie de votre question, sénatrice McCallum.
Avant de répondre à la question sur les Autochtones, je tiens à préciser que, lorsque M. Bradley a parlé de 28 000 emplois au cours des cinq prochaines années, nous parlons d’environ 12 000 emplois liés à l’expansion du réseau d’électricité et de 15 700 autres en raison des départs à la retraite dans l’industrie. C’est seulement pour les cinq prochaines années.
En 2028-2035, l’industrie envisage d’ajouter 36 000 postes supplémentaires. Je dirais que c’est aussi une estimation très prudente. Hydro-Québec s’attend à dépenser 175 milliards de dollars d’ici 2035 et à embaucher plus de 30 000 travailleurs de la construction d’ici 2030 seulement. Je dirais que ces chiffres sont conservateurs, et nous pensons qu’ils augmenteront.
Cela m’amène à la participation des Autochtones. Dans cette industrie, nous avons fait beaucoup de chemin en matière de partenariat avec les communautés autochtones. Nous avons commencé à établir des partenariats d’équité avec les communautés autochtones. Nous avons également d’autres structures de propriété, lorsque nous examinons les entreprises que vous avez mentionnées à l’échelle du pays.
De plus en plus, nous investissons dans l’élaboration de plans d’action pour la réconciliation détaillés que ces entreprises sont en train de mettre en œuvre. Ce ne sont pas seulement de beaux documents, car ils fonctionnent et amorcent des discussions avec les collectivités locales. En Ontario seulement, Hydro One envisage de construire chaque projet et chaque ligne de transport en partenariat avec les communautés autochtones, qui seraient propriétaires à 50 % de ces installations. Nous continuons de travailler avec elles.
Pour ce qui est des emplois précis dont vous avez parlé, il y a une pénurie d’ingénieurs, de techniciens, de technologues, de travailleurs qualifiés, de techniciens de lignes électriques et de technologues en communication d’information. Ce sont là quelques-unes des professions où il y aura une pénurie importante à l’avenir. De toute évidence, avec l’intelligence artificielle, ou l’IA, il y aura un besoin de différents ensembles de compétences, et les gens devront être soutenus sur le plan du perfectionnement et du recyclage, comme l’a mentionné M. Bradley.
La sénatrice McCallum : La plupart des barrages peuvent-ils être construits dans le Nord? Est-ce là que vous cherchez des sites?
M. Perera : Les entreprises examinent différentes possibilités en termes de types de production. L’hydroélectricité en fait évidemment partie. L’hydroélectricité au fil de l’eau est une autre option durable que les entreprises envisagent. Certains se penchent sur les petits réacteurs modulaires, ainsi que sur l’énergie éolienne et solaire, évidemment. On examine les microréseaux. Les sociétés membres examinent de plus en plus les ressources énergétiques distribuées. Cela ne se limite pas à l’hydroélectricité. C’est évidemment l’un des choix possibles pour la production de base à mesure que nous intégrons plus d’énergies renouvelables dans le système.
Le sénateur Wells : Je remercie les témoins. Monsieur Desjarlais, j’ai une question pour vous. Combien de temps a-t-il fallu au Indigenous Resource Network, ou à ceux qu’il dessert, pour atteindre un niveau de durabilité où les Autochtones que vous servez sont sur un pied d’égalité avec les non-Autochtones dans l’industrie pétrolière et gazière?
M. Desjarlais : En ce qui concerne ce secteur, il a certainement fallu toute une vie pour le développer. Ce que nous savons et que nous étudions un peu plus en profondeur, de façon anecdotique, c’est que nous nous sommes rapprochés de cette parité au cours des 10 dernières années à un rythme plus rapide que jamais auparavant. C’est au cours de notre histoire récente que l’écart s’est comblé.
Le sénateur Wells : Merci. Lorsque vous voyez la loi canadienne sur les emplois durables dont le gouvernement fait la promotion, cela vous fait-il hausser les sourcils parce que les Autochtones ont déjà des emplois durables dans le secteur des ressources?
M. Desjarlais : Oui, absolument. Il existe des emplois bien rémunérés ainsi que l’inclusion économique sur le plan du développement des entreprises et des emplois. Les travailleurs craignent de plus en plus qu’on les invite à faire la transition peu après avoir obtenu la parité salariale et commencé à participer aux résultats des entreprises, ce qui les obligerait à recommencer une transition, voire tout le processus. Dans beaucoup d’entreprises qui réussissent dans l’industrie, de gros efforts ont été investis. Plusieurs d’entre elles se demandent pourquoi elles doivent recommencer à se positionner et à se réorienter alors qu’elles se portent bien et qu’elles procurent des moyens de subsistance aux travailleurs. Nos collectivités sont très actives dans l’industrie, et il y a donc beaucoup d’inquiétudes.
Le sénateur Wells : Merci. J’ai une petite question pour M. Bradley.
Monsieur Bradley, dans votre exposé, vous avez parlé des avantages qui pourraient être tirés des travailleurs supplémentaires nécessaires dans le secteur de la production et de la distribution d’électricité. Seraient-ils aussi bien payés, comme nous l’a dit M. Desjarlais, dans le secteur pétrolier et gazier?
M. Bradley : Le marché du travail est un marché libre. La circulation de la main-d’œuvre est libre entre les secteurs et entre les provinces ou territoires. Il n’y a pas de rabais pour un type d’emploi de construction par rapport à un autre. Il n’y a pas de différence à cet égard.
Le sénateur Wells : Si la production d’électricité à partir de pétrole et de gaz n’était plus prise en compte, croyez-vous que les prix de l’électricité augmenteraient pour les consommateurs et les entreprises?
M. Bradley : On produit actuellement de l’électricité à partir du gaz naturel dans certaines provinces. Nous sommes en train — et j’en ai déjà parlé au comité — d’examiner le Règlement sur l’électricité propre que le gouvernement du Canada est en train de mettre en œuvre. Nous avons exprimé des préoccupations quant à l’impact que cela pourrait avoir sur la fiabilité et l’abordabilité pour les clients.
En réalité, quelles que soient les politiques, nous allons envisager de construire pour répondre à la demande croissante, et cela aura des répercussions. Même avec une population croissante et, comme je l’ai indiqué, et indépendamment des politiques, le passage de plus en plus de consommateurs à l’électricité, pour leur transport et leur confort — à cause de la croissante démographique —, nous assisterons à une expansion naturelle qui entraînera certainement des coûts supplémentaires.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse principalement à Électricité Canada. Je comprends que vous soyez très enthousiastes à l’idée que nous allons doubler la taille du réseau électrique au Canada et que cela offrira de nombreuses possibilités d’emploi.
Vous avez parlé du recrutement, de la formation et de la fidélisation des travailleurs autochtones. Je me demande si vous pouvez me donner une meilleure idée de ce que vous prévoyez, parce qu’il est facile de dire que vous allez recruter et fidéliser une main-d’œuvre, mais le maintien en poste est essentiel. Il n’est pas facile pour les Autochtones de quitter les régions nordiques ou éloignées pour s’installer ailleurs. À mon avis, nous n’avons pas de bons antécédents quant à la fidélisation. Que pouvez-vous me dire sur la façon dont vous comptez réussir à recruter des travailleurs autochtones afin de travailler à la construction du réseau électrique élargi.
M. Perera : Merci. Pour ce qui est de l’emploi des Autochtones, nos entreprises membres — de grandes entreprises d’électricité des quatre coins du pays dans les domaines de la production, du transport et de la distribution — mobilisent activement les collectivités locales, et ce, dès l’école secondaire. Dans le contexte de la carboneutralité à long terme, nous devons commencer à planifier dès maintenant en fonction des programmes d’études et ainsi de suite. Ces choses prennent beaucoup de temps, et nous avons eu un dialogue plus décousu au fil des ans avec divers gouvernements, l’industrie et d’autres groupes, ainsi qu’avec les communautés autochtones. Je sais, pour avoir travaillé avec des entreprises membres sur ce dossier, que celles-ci s’engagent à identifier les professions clés auxquelles certaines collectivités et populations autochtones peuvent participer, et qu’elles offrent cette formation et ce perfectionnement. Certaines entreprises offrent de la formation et du perfectionnement à l’interne une fois qu’elles ont identifié ces professions clés.
Les entreprises cherchent également à travailler en partenariat avec ces communautés pour ce qui est des contrats directs et des possibilités de chaîne d’approvisionnement. S’il s’agit de foresterie, par exemple, en ce qui concerne la gestion de la végétation, lorsque nous avons de longues lignes de transmission qui s’étendent parfois sur des milliers de kilomètres, il faut bien gérer la végétation pour assurer la fiabilité du système. Je sais que de nombreuses entreprises membres travaillent avec les communautés pour leur donner ces contrats afin qu’elles se chargent de cet aspect.
Et puis, il y a d’autres postes au niveau du soutien, de la gestion et de la haute direction. De plus en plus, les entreprises s’appuient sur leurs plans d’action pour la réconciliation pour identifier les possibilités de recruter des Autochtones à tous les échelons. Voilà quelques exemples. Je ne suis pas sûr d’avoir répondu à votre question.
Le sénateur Arnot : Votre réponse me va.
M. Perera : Merci.
La sénatrice Galvez : Merci à nos témoins pour leur présence, et désolé du retard.
Dans le projet de loi, il est clairement indiqué qu’il s’agit de promouvoir la croissance économique et la création d’emplois durables et de réduire les émissions à la faveur du passage à une économie carboneutre.
Il importe de savoir en quoi ces emplois durables s’harmonisent avec nos engagements climatiques et comment chaque secteur — même si cela ne se limite pas à un secteur particulier — dispose d’un plan de transition.
Pouvez-vous tous deux m’expliquer comment vous allez atteindre la carboneutralité dans vos secteurs respectifs, soit le pétrole, le gaz et l’électricité autochtones? Merci.
M. Desjarlais : Bien sûr. Je peux commencer.
J’aimerais d’abord apporter une précision. Notre réseau représente les travailleurs et les entreprises autochtones du secteur. Nous ne représentons pas le secteur, pour ainsi dire. Nous ne représentons pas l’industrie pétrolière et gazière.
Cela dit, les peuples autochtones de cet espace contribuent déjà à bon nombre de projets novateurs reposant sur des technologies de capture de carbone et de transition. Ils prennent part à des efforts d’innovation sur le plan de l’intensité des émissions, des profils et des choses du genre.
Pour ce qui est de l’éducation et du leadership éclairé, l’une des autres façons dont les nations autochtones participent et répondent à certaines de ces exigences est également par l’entremise du programme des puits orphelins. De nombreuses communautés autochtones participent activement, cherchant à obtenir des fonds fédéraux supplémentaires pour pouvoir gérer et atténuer une grande partie des émissions provenant des puits orphelins.
Les Autochtones sont donc très présents à cet égard, car ils veulent s’assurer que nous progressons vers une économie carboneutre et que nous faisons tout notre possible pour nous adapter aux besoins climatiques mondiaux quant à la réduction de nos émissions et de notre impact.
M. Bradley : À propos de notre secteur de l’électricité, c’est lui qui sera la principale voie de décarbonation.
Comment allons-nous y parvenir? Nous y parviendrons en augmentant, dans une très large mesure, les sources d’électricité non émettrices. C’est un monde où il y a plus d’hydroélectricité. C’est un monde avec de petits réacteurs modulaires, le captage du carbone, plus d’énergie éolienne, plus d’énergie solaire et plus d’interconnexions. La transmission sera essentielle dans cet espace.
La capacité, d’ici 2050, de construire autant voire plus d’infrastructures que nous en avons construites au cours du siècle dernier est le défi à relever pour parvenir à nos objectifs le plus rapidement possible. Les clients s’y attendent. Nous le constatons également de plus en plus chez les entreprises. Elles veulent s’installer dans des régions où elles peuvent être assurées que les sources d’énergie et d’électricité qu’elles utiliseront sont des sources non émettrices.
La sénatrice McBean : Sénateur Yussuff, veuillez ouvrir le bal. C’est lui le parrain.
Le sénateur Yussuff : C’est très gentil.
Chers collègues, merci. C’est un honneur pour moi de me joindre à vous, compte tenu de la responsabilité qui vous incombe.
Permettez-moi de commencer par le secteur de l’électricité. Il est évident que le monde s’oriente à grands pas vers la décarbonation. Ce faisant, le projet de loi porte sur les ressources humaines et la politique dont nous avons besoin.
Tous les secteurs du pays vont connaître une certaine forme de transition, qu’il s’agisse de l’électricité, du pétrole et du gaz, de l’automobile ou de l’acier; tous passeront par une transition.
Comme il s’agit d’un projet de loi touchant aux ressources humaines, dans le contexte de l’examen des besoins en ressources humaines du pays — et vu la façon dont les employeurs, les travailleurs et les communautés autochtones peuvent se concerter pour régler cette question — quel aspect du projet de loi serait utile pour vous aider non seulement à créer un nombre maximum d’emplois, mais aussi à aider les travailleurs à acquérir les nouvelles compétences dont ils pourraient avoir besoin afin de demeurer employables?
Je vais vous donner un exemple. J’ai assisté à la transition de la production d’électricité à partir du charbon en Alberta, en Saskatchewan, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick. Je comprends que certains travailleurs ont perdu leur emploi quand nous sommes passés du charbon au gaz naturel. Il en a fallu moins à un moment donné parce qu’on ne pelletait plus le charbon dans les chaudières pour alimenter l’installation et produire de l’électricité.
Ces travailleurs avaient besoin de nouvelles compétences. Comment les a-t-on aidés à se recycler? De même, les travailleurs qui allaient perdre leur emploi dans ces secteurs devaient se perfectionner.
En quoi ce projet de loi vous aide-t-il, dans le secteur de l’électricité, à relever les défis dont vous parlez, soit 28 000 emplois en cinq ans ou 400 000 emplois d’ici 2050?
M. Bradley : Sénateur, je vous remercie de votre question.
C’est un élément. Ce projet de loi n’est pas une solution en soi. Il n’existe pas de solution magique. C’est un petit pas dans la bonne direction, mais juste un pas. Il sera important de pouvoir mettre en place les cadres nécessaires pour susciter le genre de dialogue dont nous aurons besoin afin d’y parvenir.
Dans la même veine, la constitution d’un conseil de partenariat pour créer des emplois durables et mettre sur pied un secrétariat à la création d’emplois durables ne résoudra pas, comme par magie, les difficultés que nous rencontrons. Nous reconnaissons que c’est un élément qui nous aide à cheminer dans la bonne direction.
Le sénateur Yussuff : Permettez-moi d’abord de vous remercier de votre leadership et du travail que vous faites pour représenter les entreprises et les travailleurs autochtones.
Comme vous le savez, un grand nombre de personnes travaillent dans des installations au Canada. Dans le contexte du projet de loi, je crois comprendre que le secteur du pétrole et du gaz vous préoccupe.
De même, le projet de loi porte sur les ressources humaines. Compte tenu de ce que vous avez dit à la sénatrice Galvez, en quoi ce projet de loi pourrait-il vous aider à reconnaître et à représenter les travailleurs et les entreprises autochtones en sorte de répondre à certains besoins et de former les travailleurs pour les aider à se préparer aux autres emplois susceptibles d’être créés afin d’aider les membres des communautés à gagner les bons salaires dont vous parlez?
M. Desjarlais : Absolument. J’ai deux ou trois réponses à ce propos.
Du côté de la main-d’œuvre et des ressources humaines, il y a l’impact économique; c’est l’une des préoccupations. Comment le projet de loi aborde-t-il cet aspect en matière d’expansion, de recyclage et d’entrée sur de nouveaux marchés où les moyens de subsistance ne sont pas les mêmes pour ne pas dire radicalement différents? C’est un sujet de préoccupation. À quoi cela ressemble-t-il?
Cela signifie-t-il que les travailleurs devront renforcer leurs compétences afin de pouvoir participer, dollar pour dollar, aux opportunités économiques qu’ils perdront de l’industrie dont ils seraient retirés? Il y a toute cette question.
Il y a aussi la question des entreprises qui font partie de ces chaînes d’approvisionnement. Elles participent activement à ces chaînes d’approvisionnement et probablement plus encore que cela se fait dans d’autres chaînes d’approvisionnement au Canada quant au savoir-faire des entreprises autochtones. Elles sont probablement encore les plus vulnérables.
Les entreprises autochtones ne sont pas uniformément représentées dans la chaîne d’approvisionnement. À mesure que nous effectuons la transition et que nous nous retirons, on peut se demander quelles mesures de soutien sont prévues. Comment créer de nouveaux mécanismes de soutien à l’entrepreneuriat pour que les entreprises puissent se réorienter et participer à d’autres secteurs tout aussi efficacement qu’elles le font dans celui du pétrole et du gaz? Je pense que ce sont là deux des grandes questions fondamentales : comment le projet de loi y parvient-il et en quoi appuie-t-il les travailleurs autochtones? Au bout du compte, l’importance de cette question pour les peuples autochtones ne se limite pas à l’activité économique, car elle touche aussi aux retombées socioéconomiques. Nous soutenons nos familles, nous surmontons les traumatismes intergénérationnels, nous guérissons et trouvons de bons moyens de subsistance, et nos enfants grandissent et participent de façon plus significative à la société, et cela est possible grâce à des carrières bien rémunérées et à des occasions d’affaires. Est-il possible d’envisager que je puisse conserver les mêmes moyens de subsistance à la maison — le même mode de vie — tout en participant à une nouvelle économie et en apportant une contribution à titre de travailleur ou d’entreprise autochtone?
La vice-présidente : Merci.
Merci à tous. Les sénateurs tiendront compte de vos contributions. Je remercie les sénateurs et les témoins de leur participation aujourd’hui.
(La séance est levée.)