LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 24 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonjour. Je m’appelle Paul J. Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Je demanderais à mes collègues du comité de se présenter, en commençant par ma gauche.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
Le sénateur Fridhandler : Daryl Fridhandler, de l’Alberta.
Le sénateur D. M. Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kma’ki.
Le président : Nous accueillons aujourd’hui, de Carbon Connect International Inc., Darcy Spady, associé gérant, et de General Magnetic International Inc., Al Duerr, chef de la direction et ex-maire de Calgary. Merci et bienvenue. Cinq minutes sont réservées à chacune de vos déclarations préliminaires.
Al Duerr, chef de la direction, General Magnetic International Inc. : Merci, monsieur le président et membres du Sénat. Tout d’abord, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
Comme on l’a mentionné brièvement, j’ai l’expérience de l’administration publique, des technologies propres pour le pétrole et le gaz, et j’ai été vice-président de la Methane Emissions Leadership Alliance, qui regroupe des fournisseurs de solutions au Canada dans le domaine du méthane.
Je comparais devant vous aujourd’hui en tant que spécialiste frustré des technologies propres, consterné par l’attention soutenue accordée aux promesses creuses plutôt qu’aux mesures concrètes de lutte contre les changements climatiques. Malgré ma frustration, j’ai aussi bon espoir que les Canadiens pourront jouer un rôle hors du commun dans la lutte contre les changements climatiques à l’échelle mondiale.
De nombreuses personnes considèrent les changements climatiques comme une menace existentielle, mais si c’est le cas, pourquoi ne pas les traiter comme tel? Bien franchement, j’en ai assez de toutes les promesses en l’air, des symposiums à n’en plus finir et des rencontres de leaders d’opinion alors que les mesures évidentes qui peuvent être adoptées en ce moment, avec les technologies connues dont les résultats ont été prouvés, ne le sont pas.
Même si le Canada est un chef de file de l’industrie en matière de réduction du méthane depuis des années, je crains que nous perdions rapidement de l’élan au profit d’autres pays, notamment les États-Unis et les pays de l’Union européenne. Pourquoi mettre l’accent sur le méthane? Le meilleur exemple, ce sont les deux programmes en Alberta qui, en 2023, ont coûté 40 millions de dollars au gouvernement de l’Alberta. Ces incitatifs ont permis de réduire les émissions annuelles de 40 millions de dollars, ce qui équivaut aux réductions de la plus grande installation de captage et de stockage du carbone au Canada, qui a été construite au coût d’environ 1,3 milliard de dollars.
Tout cela a été mis en œuvre avec des technologies éprouvées, surtout canadiennes, sur une période de deux ans seulement, mais la réalité, c’est qu’il n’y a pratiquement pas eu de nouveaux programmes canadiens d’encouragement à la réduction des émissions de méthane au cours des dernières années. On a retiré environ 400 millions de dollars du dernier programme fédéral — le Fonds de réduction des émissions, ou FRE, de 675 millions de dollars — pour les réaffecter aux recettes générales. Il n’y a pas eu de dépenses consacrées à la solution la moins chère de réduction des émissions à grande échelle. Nous affirmons pourtant que nous traversons une crise existentielle.
Les règlements fédéraux imminents, assortis de plafonds d’émissions et de plafonds de production potentiels pour les sables bitumineux, suscitent beaucoup d’inquiétude à l’heure actuelle. Même si je reconnais que l’intention de toutes ces initiatives est louable, dans la pratique, je crains qu’elles puissent entraîner des résultats négatifs importants, non seulement pour l’économie, mais aussi pour l’environnement. Je suis tout à fait disposé à approfondir la discussion à ce sujet pendant la période des questions, mais pour dire les choses simplement, la demande d’énergie ne va pas disparaître de sitôt. Des milliards de personnes essaient encore d’arrêter de cuisiner et de se chauffer avec du kérosène, du charbon de bois et de la bouse animale.
Compte tenu de la demande, la question est de savoir qui y répondra. Les Canadiens ou d’autres producteurs responsables, ou des administrations qui n’ont pas de réglementation ou d’outils pour gérer les émissions? Je consacre beaucoup de temps à la promotion des technologies propres dans la production pétrolière et gazière à l’échelle internationale. Il n’y a aucun pays au monde — à part les pays qui préfèrent exporter leurs émissions — qui essaie de réduire la production de combustibles fossiles. L’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Asie augmentent tous leur production. Le problème, c’est que la plupart de ces pays en développement n’ont pas les cadres réglementaires et les outils qui s’imposent. Il y a peu d’incitatifs à réduire les émissions autrement que par des efforts volontaires.
Mais il y a une façon pour le Canada de jouer ce rôle hors du commun dont j’ai parlé. Il y a trois choses que le gouvernement fédéral pourrait faire à l’heure actuelle et qui auraient un impact majeur. La première consiste à réaffecter les 400 millions de dollars retirés du programme fédéral de réduction des émissions de méthane à un programme fonctionnel sur le méthane. Le dernier programme n’a pas très bien fonctionné. N’essayez pas de réinventer pas la roue. Il suffit de compléter les programmes qui ont bien fonctionné par le passé pour obtenir des réductions critiques des émissions en l’espace d’un an.
La deuxième chose que nous pouvons faire, c’est appuyer les pays en développement qui ont besoin d’aide du point de vue de la réglementation et des politiques en matière de mesure, de gestion et d’atténuation des émissions. Il peut s’agir simplement de fournir un financement de soutien à l’écosystème canadien existant des technologies propres aux fins de la prestation de ces services et technologies.
Troisièmement, il faut réserver une partie des fonds canadiens destinés aux institutions financières internationales, ou IFI, pour les investir dans des programmes de lutte contre les changements climatiques axés sur la réduction des émissions de méthane. Tous les pays du monde, sauf le Canada, réservent leur financement. Si le changement climatique est un problème existentiel, alors il faut faire savoir à nos partenaires de financement des IFI qu’il s’agit de la priorité du Canada et que nous aimerions en outre que des entreprises et des institutions canadiennes offrent ces programmes.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de présenter ces brefs commentaires et je serai heureux de répondre à vos questions.
Darcy Spady, associé gérant, Carbon Connect International Inc. : Le Canada est un pays riche en ressources naturelles. Nous devons célébrer cette richesse et profiter des possibilités qu’elle nous offre. À mon avis, nous devons être des chefs de file mondiaux en matière de gestion des ressources naturelles. Le monde doit penser à nous en premier lorsqu’il s’agit de gérer ces ressources, surtout en ce qui concerne les changements climatiques et la transition énergétique. Lorsque l’eau, les minéraux, le vent et l’énergie sont en cause, je crois que la solution doit venir du Canada.
Le marché mondial des solutions énergétiques, surtout dans le contexte des changements climatiques, est énorme. En tant que Canadiens, nous sommes vraiment des chefs de file mondiaux, mais peu de gens le savent. Même si notre industrie pétrolière et gazière est la quatrième et la cinquième au monde respectivement pour ce qui est du volume de pétrole et de gaz produit, nous sommes perçus comme étant environ au 25e rang. Nous ne pouvons pas assumer un leadership responsable si nous ne sommes pas présents.
Permettez-moi de m’expliquer. Lorsque j’ai obtenu un diplôme en génie pétrolier de l’Université de l’Alberta à Edmonton en 1986, j’étais fier de faire partie d’une industrie qui fournit de l’énergie pétrolière et gazière sur le marché mondial. Une trentaine d’années plus tard, après une carrière florissante, je suis devenu président international de la Society of Petroleum Engineers, ou SPE. Je me suis acquitté de mes obligations pendant trois ans et je suis maintenant le nouveau président de la fondation de la SPE. Pendant mon mandat, j’ai visité 49 pays différents, et j’ai interagi avec un sous-ensemble des 170 000 membres de la SPE à l’époque. Deux constatations m’ont particulièrement surpris. Premièrement, le manque de leadership en matière de changements climatiques dans l’industrie pétrolière et gazière mondiale à l’époque et, deuxièmement, le fait que le Canada était très en avance sur le plan des politiques et des règlements, si bien que son infrastructure était très robuste. À mon avis, ces constatations — ces deux conclusions — révèlent un marché d’exportation très important. Nous pouvons être les chefs de file mondiaux en utilisant les pratiques exemplaires en matière d’exploitation et de gestion des ressources naturelles, tout en procurant des avantages économiques au pays.
Je me souviens d’une citation de notre premier ministre, il y a quelques années, selon qui nous n’avions plus à choisir entre l’économie et l’environnement, et que nous pouvions choisir les deux.
Étant donné que nous occupons cette position incroyablement avantageuse, je crois que nous devons tirer parti de notre expertise. L’action, et non seulement le dialogue, est essentielle. Nous avons adopté des pratiques éprouvées qui ont permis d’éliminer des millions de tonnes d’équivalent CO2 de l’atmosphère. Nous avons augmenté l’efficacité énergétique et, du même coup, notre bilan économique. Il est essentiel d’avoir l’appui du gouvernement pendant ce processus, principalement de notre gouvernement national, mais aussi des gouvernements provinciaux. Pas plus tard que cette semaine, j’ai reçu une demande directe d’une société pétrolière d’État de la région de la mer Caspienne pour gérer une réduction des émissions. Dans leur cas, en suivant les lignes directrices de l’ONU pour l’inventaire des émissions, ils ont conclu que leur problème d’émissions pourrait être 10 fois plus grave qu’ils pensaient au départ. Ils ont un grave problème.
En tant que Canadiens, nous avons la solution, mais nous devrons diriger une partie de l’aide que nous avons promise à la communauté internationale en tant que gouvernement — principalement par l’entremise des institutions financières internationales, ou IFI — pour aider les entreprises canadiennes à cet égard. Autrement, d’autres pays comme les États-Unis et la Norvège attendent cette semaine — comme la semaine dernière — que des fonds soient affectés à la résolution du problème. Pourquoi ne pouvons-nous pas prendre une position de leadership de gouvernement à gouvernement et fournir l’expertise?
Dans mon entreprise, Carbon Connect International, nous venons de conclure un programme entièrement financé par les grands émetteurs qui a probablement permis de créer la plus grande base de données sur les émissions de méthane au monde. Ensuite, nous avons fait suivre cet inventaire d’un programme qui a permis d’éliminer 16 millions de tonnes d’équivalent CO2 de l’atmosphère. Tout cela, au nom du ministère de l’Environnement et des Aires protégées de l’Alberta, a été accompli pour 40 millions de dollars. Ce programme a connu un énorme succès à l’échelle mondiale — sans parler de tous les gains d’efficacité réalisés au cours du processus — et il peut être reproduit partout dans le monde.
Des entreprises et des gouvernements d’Argentine, du Brésil, du Mexique, de l’ensemble de l’Union européenne, d’Oman, des Émirats arabes unis et de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, ou ANASE, m’ont demandé de les aider à en faire autant. Ils nous le demandent parce que le Canada est le chef de file. Toutes ces possibilités exigent du financement, et la plupart s’inscrivent dans les paramètres de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, de la Banque asiatique de développement, et ainsi de suite. Nos concurrents sont financés par une aide dirigée par leur gouvernement, mais pas nous. Nous avons les pratiques exemplaires, l’expertise et les demandes — c’est à nous d’en profiter en tant que Canadiens.
Je veux maintenant témoigner devant le Comité et discuter du fait que, du moins espérons-le, nous — de l’industrie pétrolière et gazière — pouvons jouer un rôle de chef de file en matière d’exportation de solutions dans l’atténuation des changements climatiques à l’échelle mondiale, l’élimination de la pauvreté énergétique et l’aide à la transition énergétique, mais nous aurons besoin du soutien financier direct de notre gouvernement et d’Affaires mondiales Canada pour que cette ambition se réalise. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant à la période des questions.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins de leur participation aujourd’hui. Je veux simplement mettre les choses en contexte en disant que selon moi, une tâche importante pour le gouvernement et vos organisations consiste à convaincre les Canadiens que la réduction des émissions de gaz à effet de serre est nécessaire, réalisable et financièrement viable. Le Comité a entendu de nombreux témoins dire que l’industrie pétrolière et gazière est déterminée à investir des sommes importantes dans des technologies novatrices visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et atténuer d’autres répercussions environnementales, mais il semble y avoir moins d’optimisme à l’égard des cibles de 2030. Je pense qu’une partie de la réticence repose sur deux facteurs, à savoir que les technologies disponibles pour réduire les émissions coûtent cher et ne sont pas universelles dans le secteur, et qu’il y a beaucoup d’argent à faire dans l’industrie pétrolière et gazière en utilisant les technologies existantes.
Monsieur Duerr, en tant qu’ex-maire et chef de file de l’industrie, comment voyez-vous le rôle des politiques publiques dans le soutien des innovations? Vous avez parlé de compléter les programmes, mais je m’interroge sur la communication et la sensibilisation du grand public. Si nous traversons une crise existentielle grave, pourquoi n’a-t-on pas consacré beaucoup d’argent à sensibiliser le public à appuyer ce qui doit se faire?
Monsieur Spady, d’après votre expérience en tant qu’ex‑président de la SPE, comment le Canada se compare-t-il aux autres pays pour ce qui est de la réduction du méthane? Que peut apprendre le secteur pétrolier et gazier des pratiques exemplaires mondiales? Encore une fois, j’aimerais que vous nous parliez de l’incapacité de communiquer efficacement au public la nécessité de faire ce genre d’investissements et de veiller à ce que le Canada puisse occuper sa place de chef de file dans ces dossiers. Je veux vraiment vous donner une tribune pour étoffer ce que vous avez déjà dit, parce que je crois qu’il est très important que nous l’entendions.
M. Duerr : Sénateur, je vous remercie de ces observations. Vous avez tout à fait raison; en tant qu’industrie et en tant que collectivité, nous devons dire ce qu’il en est. Les changements climatiques sont réels. Je crois qu’ils constituent une menace existentielle. Certaines personnes sont très réticentes à l’admettre, mais cela ne change rien à la réalité.
Le défi est le suivant : comment y faire face? J’ai personnellement parlé devant la Canadian Energy Executive Association, où j’avais été invité à titre de conférencier et, franchement, j’ai dû dire à l’industrie que nous devions commencer à exporter nos solutions un peu plus et cesser de fermer les yeux sur la réalité.
Les entreprises canadiennes sont partout dans le monde. Nous sommes en Afrique, au Moyen-Orient, en mer du Nord et en Amérique latine; nous sommes partout dans le monde. Au fil du temps, même si l’industrie en général a mis l’accent sur la spécialisation, tout au long des années 1990 en particulier, il reste des domaines dans lesquels les entreprises canadiennes ne sont pas encore présentes dans le monde. M. Spady pourra vous en dire davantage à ce sujet. Nous avons probablement les normes, les programmes et les mesures concrètes les plus stricts au monde en matière de réduction des émissions de méthane, mais personne ne le sait.
L’industrie doit être présente, et elle doit se faire entendre davantage à ce sujet et ne pas se limiter à l’intérieur de ses frontières. Ce problème n’est pas unique au Canada. Ce n’est pas une question d’Orient contre Occident, ou de producteurs contre non-producteurs. Il y a là une occasion à saisir, et ce que nous essayons de faire comprendre, c’est qu’il y a d’énormes possibilités pour le Canada à l’échelle internationale, mais qu’il faut aider. Si nous sommes ici pour suggérer au gouvernement du Canada de commencer à demander aux institutions financières internationales, les IFI, qu’il finance de se focaliser et de créer du financement, et d’investir une partie de ce financement pour aider l’écosystème des technologies propres à fonctionner et à aider certains pays en développement, nous devons également en convaincre les Canadiens. Nous devons dire aux Canadiens que c’est la bonne chose à faire.
Je parle à ces organisations. Je fais valoir haut et fort en Occident la nécessité de cette action. On nous demande de parler sur la scène internationale. Au Moyen-Orient — là où se trouvent les principaux producteurs de pétrole et de gaz —, on nous demande de parler du méthane. Plus récemment, lorsque j’ai participé à un forum avec des PDG internationaux et que j’ai parlé du Canada, j’ai joué la carte de l’humilité propre aux Canadiens en disant : « Eh bien, si je me trompe, si nous n’avons pas la plus grande base de données et si nous ne faisons pas ce qu’il y a de plus concret, dites-le-moi parce que je suis toujours disposé à apprendre. » Et il y a eu un silence. Ensuite, la première personne — de l’une des plus grandes sociétés de services pétroliers au monde — à parler a dit : « Monsieur Duerr, vous avez raison; le Canada en fait plus que quiconque. »
Cela n’est pas venu d’un Albertain, soit dit en passant, car il n’y avait pas de grandes sociétés canadiennes présentes à ce forum. Tous les innovateurs en technologies propres étaient là, mais il n’y avait pas de grandes sociétés canadiennes. Pourtant, à toutes les grandes foires pétrolières qui ont lieu ici, il y a des sociétés d’Europe et du Moyen-Orient, mais nous n’y sommes pas. Nous avons donc un gros problème de communication ici au Canada, et nous avons tous la responsabilité d’y remédier.
Désolé si j’ai parlé trop longtemps, mais comme vous le savez, j’ai fait de la politique.
M. Spady : J’aimerais ajouter quelque chose. J’espère pouvoir être clair. Vous aviez tellement de questions pour nous, et je vous en remercie, sénateur Arnot.
Nous sommes au haut de la liste. Cela s’explique en partie par le fait que, depuis 1999, nous appliquons les pratiques les plus exemplaires, les plus rigoureuses et les plus cohérentes qui nous ont été imposées par des gouvernements dont les décisions ont été guidées par de bonnes politiques. J’étais producteur et PDG d’une petite société pétrolière, et à l’époque, je n’étais pas très heureux de ces décisions. Cela m’apparaissait comme une obligation accrue, un alourdissement du fardeau fiscal et des obstacles de ce genre, mais au bout du compte, nous sommes maintenant les experts. Nous avons acquis de l’expérience pratique depuis des décennies, et nous le faisons parce que c’est efficace.
Quant à votre collègue de Terre-Neuve, vous êtes devenus des chefs de file parce que vous ne pouvez pas laisser flotter du méthane autour des plateformes extracôtières. Cela devient un problème de friches industrielles, et beaucoup de producteurs ont ce genre de problème au pays. Ailleurs dans le monde aussi, comme en Roumanie, en Thaïlande ou en Indonésie. Il y a des pays dans le monde où il y a beaucoup de friches industrielles. Nous pouvons vraiment être des chefs de file dans ce domaine. Nous nous attaquons à ce problème depuis 20 ans, et nous avons adopté les pratiques exemplaires. Il suffit de le faire savoir.
Je pense que l’un de nos problèmes au sein de l’industrie, c’est que nous n’aimons pas parler de la situation. Nous préférons fermer les yeux. Bon nombre de mes collègues passent le plus clair de leur temps à débattre à savoir si les changements climatiques sont réels ou non. Franchement, je n’ai pas de temps à perdre avec cela. Il me semble que c’est la voie dans laquelle nous sommes engagés. Il me semble que nous avons les ressources pour être les meilleurs. Il me semble que nous sommes un pays riche en ressources naturelles. Pourquoi diable ne communiquons-nous pas ce message?
Mon message à mes collègues est le suivant : faisons preuve d’humanité. Faisons partie du tissu social. Réfléchissons à la pauvreté énergétique. Ne soyons pas arrogants ou ne faisons pas comme certains ingénieurs qui aiment dire aux gens à quel point ils sont plus intelligents qu’eux. Nous avons un vrai problème, de l’intérieur, pour nous assurer de faire partie de la société, mais de l’extérieur, nous sommes incroyablement en avance parce que nous avons acquis une expérience pratique, et pas seulement théorique.
Pour ce qui est des autres pays, l’Union européenne, l’UE, a adopté un nouveau règlement sur le méthane en mai, et elle est passée d’un régime d’estimation complète à un régime de mesure complète. Il leur sera très difficile de se rendre à chaque point de rejet sur l’ensemble de leur territoire, d’obtenir une mesure complète et d’établir un programme d’atténuation en un seul cycle rapide. C’est ce que nous faisons depuis 10 ou 20 ans.
J’espère avoir répondu à la plupart de vos questions.
Le sénateur Arnot : Merci. C’est très utile.
Le sénateur D. M. Wells : J’aimerais commencer par un petit préambule. Je vais poser la question à M. Duerr, en sa qualité d’ex-politicien, puisque cet état d’esprit est indissociable du monde politique.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé d’angoisse et de crise existentielle à quelques reprises, puis, une troisième fois, lorsque vous avez répondu à l’une des questions, vous avez dit que des milliards de personnes essaient de délaisser d’autres combustibles, comme la bouse de vache, le charbon et ainsi de suite. Je ne dirais pas qu’ils essaient de les délaisser; ils essaient simplement de survivre. En Inde, ils veulent simplement manger et chauffer leur maison. Je ne sais pas s’ils essaient vraiment d’arrêter d’utiliser ces combustibles. C’est peut-être le cas du gouvernement indien, mais pas celui des 1,4 milliard d’habitants. C’est la même chose en Chine et dans d’autres grands pays consommateurs.
Les émissions du Canada représentent 1,5 % des émissions mondiales. Or, elles étaient à 1,6 % il y a 10 ans. Notre pourcentage diminue, ce qui est louable, mais il diminue parce que celui d’autres pays augmente. Pour ce qui est du coût énorme du passage de 1,6 % à 1,5 %, et peut-être que notre prochaine cible est de 1,45 %, mais dans quelle mesure cela change-t-il quoi que ce soit à l’échelle mondiale alors que nous sommes probablement, en fait, nous le sommes... J’ai cherché la liste des principaux émetteurs. La Chine, les États-Unis et l’Inde sont responsables d’environ 60 % des émissions mondiales. Nous sommes à 1,5 % et à la baisse. L’Union européenne est quatrième, et elle représente 27 pays. Il y a ensuite la Russie, l’Indonésie, le Brésil, le Japon, l’Iran, puis le Canada. Nous sommes donc à peu près au quarantième rang des émetteurs mondiaux. Nous comptons pour très peu. Si on retirait le Canada complètement de l’équation, la soustraction de nos émissions ne changerait à peu près rien au total mondial.
En fait, je pense que si le Canada était soustrait du calcul, les émissions mondiales augmenteraient parce que notre technologie, notre carburant propre et tout ce que nous fournissons au monde — M. Spady a parlé de plusieurs de ces aspects — disparaîtrait. Nous sommes bien réglementés. Dans la zone extracôtière de Terre-Neuve, nous n’avons pas à extraire le pétrole du sable. Nous n’avons pas besoin du chemin de fer. Nous n’avons pas besoin de pipelines. Il nous suffit de le mettre sur le marché, c’est facile et cela ne nécessite aucun raffinage. Le pétrole qui y est produit a la couleur du jus de pomme, et il ne coûte pas cher à extraire.
Sommes-nous en voie — et c’est ce que nous disent constamment les politiciens — de voir le monde s’enflammer? Nous avons reçu le ministre il y a deux semaines. Je suis désolé pour le long préambule, mais comme aucun de mes collègues n’est ici, je vais utiliser une partie de leur temps de parole.
Il y a quelques semaines, le ministre Guilbeault est venu nous parler des incendies de Jasper, un sujet important pour nous, et des changements climatiques. Lorsqu’on l’a interrogé au sujet des recommandations qui avaient été faites à son ministère au sujet de l’enlèvement du bois mort qui sèche sur place depuis des années, et du fait que l’incendie a été causé par la foudre, il va falloir beaucoup d’efforts pour me convaincre que ce sont les changements climatiques qui ont causé les incendies à Jasper.
Tout cela pour dire que je me demande si nous ne dépensons pas beaucoup trop. Et j’aime l’idée que le marché ait son mot à dire dans le bouquet énergétique, puisqu’il y a un consensus mondial au sujet de la nécessité de la transition. Investissons‑nous trop et dépensons-nous ces sommes astronomiques... et vous avez parlé des fonds qui étaient disponibles. Le Canada fait-il fausse route? Le jeu en vaut-il la chandelle?
M. Duerr : Sénateur, vous me demandez beaucoup de réponses.
À bien des égards, je suis d’accord en principe avec ce que vous venez de dire dans votre préambule. Au Canada, nous pensions — et notre industrie avait raison de le dire au début — que nous étions défavorisés par tous les règlements sur le méthane et autres, alors que ce n’était pas le cas au sud de la frontière. Les Canadiens étaient désavantagés sur le plan économique par rapport à la plupart des pays du monde.
Je me souviens qu’il n’y a pas si longtemps, on parlait en Europe de « pétrole sale canadien », alors qu’en fait, la majeure partie du pétrole provenait de la Russie. C’était la réalité. Il y a tellement de choses qui se disent et il y a tellement de discussions. Quand on fait le tour de la question et qu’on regarde la réalité en face, la situation est très différente.
Je suis d’accord pour dire que la population en Inde veut simplement chauffer sa maison avec du kérosène ou un autre combustible, mais elle essaie de délaisser ce combustible parce que ce n’est pas une façon très efficace de se chauffer. Les particules en suspension causent beaucoup d’autres problèmes. Ces gens aimeraient disposer d’autres sources d’énergie.
Cela dit, j’essaie de ne pas me laisser distraire par la discussion à savoir si les changements climatiques sont causés par les taches solaires ou par le carbone. En fin de compte, nous savons que le carbone est un facteur, et qu’il contribue effectivement au réchauffement. Il y a peut-être d’autres facteurs, mais je dis toujours : « Ne voulons-nous pas polluer moins? Ne voulons-nous pas être aussi bons que possible? » J’ai dit aux gens de notre industrie que le problème du Canada au cours des 10 ou 15 dernières années, c’est que nous étions surréglementés par rapport au reste du monde, mais maintenant, c’est un avantage important pour nous parce que nous sommes, sinon les meilleurs, à peu près les meilleurs sur tous les fronts.
Vous avez tout à fait raison de dire que le Canada ne représente qu’une très petite partie des émissions mondiales. C’est exact. Là où vos propos rejoignent les nôtres, c’est que si nous pensons à l’argent que nous dépensons pour éviter d’extraire jusqu’aux dernières ressources au Canada et si nous utilisions ne serait-ce qu’une partie de cet argent à l’échelle internationale pour aider les pays qui n’ont pas les ressources nécessaires pour profiter de solutions facilement applicables chez eux, nous pourrions avoir un impact hors du commun et beaucoup plus important que tout ce que nous pouvons faire ici au Canada. L’écosystème est mondial.
Pour revenir à ce que vous disiez, si nous arrêtions la production au Canada, d’autres pays combleraient le vide. La réalité — encore une fois, c’est un fait fondamental —, c’est qu’il y a beaucoup de pays dans le monde qui continuent d’acheter du pétrole russe malgré les sanctions parce qu’il ne coûte pas cher et qu’ils en ont besoin. Il y aura toujours quelqu’un qui viendra combler cette lacune.
Je passe beaucoup de temps en Amérique latine à travailler avec des entreprises pour leur présenter nos technologies propres, car elles améliorent habituellement aussi les opérations. Personne n’a abaissé la production dans ces pays.
Regardez la situation en Afrique en ce moment. Partout en Afrique — à l’intérieur du continent, mais aussi au large des côtes —, la production augmente. Des représentants de la Chambre de commerce africaine ont dit récemment : « Nous espérons que nous ne nous lancerons pas dans une discussion qui porte sur le... » — quel est le terme que je cherche? Peu importe, ils ne voulaient pas de colonialisme environnemental. Ils ont dit : « Êtes-vous en train de nous dire que nous ne pouvons pas remplacer nos importations? De nous dire que nous ne pouvons pas gagner d’argent et que nous devrions compter sur l’aide? » C’est la Chambre de commerce africaine qui a dit cela, et c’est la même chose partout dans le monde.
En fin de compte, je crois que le Canada doit devenir le meilleur pays qu’il puisse être, mais nous nous leurrons si nous pensons qu’en nous contentant de faire cela, nous respectons nos engagements mondiaux et que le monde s’en portera mieux. Si nous prenions l’argent déjà investi, c’est-à-dire notre argent investi dans les IFI — vous pourriez parler à la plupart des Canadiens qui font du commerce dans le monde —, nous sommes le seul pays d’importance qui ne lie pas son aide à ses priorités. Il n’y a rien dans notre aide qui soit lié à la protection de l’environnement et à la réduction des émissions. Pourtant, je peux vous parler des pays avec lesquels nous faisons affaire et qui nous livrent concurrence; M. Spady a parlé des États-Unis. Les États-Unis financent de toutes les façons possibles des entreprises américaines pour qu’elles travaillent en accord avec leurs priorités dans ces pays.
Nous sommes tellement bons dans ce domaine, mais nous n’avons pas l’impact que nous devrions avoir; c’est donc le changement qui s’impose en priorité.
Je ne veux pas me lancer dans un véritable débat sur la position du Canada. Nous représentons un acteur relativement petit, mais notre impact pourrait être énorme si nous choisissions de modifier nos pratiques et de nous concentrer sur les objectifs les plus faciles à atteindre et, bien franchement, ils sont surtout à l’extérieur du Canada.
Le président : Monsieur Spady, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Spady : J’ajouterai simplement que M. Duerr a parlé d’un impact hors du commun. Pour répondre directement à votre question, l’effet multiplicateur ici réside dans notre leadership et notre expérience. Nous pouvons multiplier notre impact de plus d’une ou deux fois en exportant notre technologie et notre expertise à l’étranger. Nous pouvons porter ce 1 % à 10 % des émissions mondiales en misant sur nos compétences.
Le sénateur D. M. Wells : Vous avez parlé de l’importance pour le Canada de devenir le meilleur pays qu’il puisse être. C’est un objectif extrêmement louable et inspirant.
Lorsque nous avons reçu les représentants d’Environnement et Changement climatique Canada en mai ou en juin de cette année, j’ai demandé combien coûtait ce projet de réduction des émissions du Canada. Ils ont parlé de 4 billions de dollars, pour ensuite se corriger — parce qu’ils n’étaient pas sûrs au début — et ramener ce chiffre à 2 billions de dollars, mais que ce soit 4 ou 2 billions de dollars, on parle quand même de billions de dollars.
Cela me ramène à ma question antérieure. En avons-nous le plus pour notre argent?
Il me semble que la réduction des émissions est vraiment importante — elle est essentielle —, mais il y a une limite. Vous voulez que vos enfants mangent le mieux possible, mais allez‑vous y consacrer 1 000 $ par jour? Non. Vous allez faire un exercice de gestion du risque et dépenser en conséquence.
Les trois principales sources d’émissions de carbone sont l’utilisation de combustibles fossiles pour le chauffage, l’électricité et le transport. Choisirions-nous délibérément d’arrêter d’utiliser ces combustibles et d’opter pour l’électricité ou pour des coûts miniers plus élevés, pas seulement en dollars, mais aussi en vies humaines, parce que la majeure partie de ces ressources provient de la Chine et de l’Afrique, là où la protection de l’environnement n’est probablement pas aussi bien réglementée qu’au Canada pour le pétrole et le gaz? Je le sais très bien.
Ma question est la suivante : comment le Canada conçoit-il qu’il faudrait essayer de ramener notre 1,5 % à 1,4 % en dépensant des billions de dollars, si nous n’avons aucun effet sur les 98,5 % restants, à moins de continuer à produire du pétrole? Le Canada est le quatrième producteur de pétrole en importance, et la plus grande partie de sa production est destinée à l’exportation. Si nous ne produisons plus ce pétrole et que nous ne le distribuons plus à l’échelle mondiale, est-il préférable que nos clients s’approvisionnent au Venezuela, où il n’y a pas de normes environnementales? Sur la côte ouest de l’Afrique, où il n’y a pas de normes environnementales ou de normes du travail? Ou en Russie, où il n’y a même pas de discussion à ce sujet? En enlevant le Canada de l’équation, et c’est bien ce que le gouvernement essaie de faire, comme bien d’autres, lorsqu’ils disent que le niveau de la mer augmente et que les îles vont disparaître dans 40 ans — et ils l’ont dit il y a 40 ans —, j’essaie de comprendre pourquoi nous nous infligeons cette punition, lorsque nous faisons partie de la solution, et non du problème.
C’est plus une déclaration qu’une question, mais vous pouvez dire ce que vous en pensez. J’en aurai ensuite terminé avec mes questions.
M. Duerr : Je pense que l’essentiel de ce que vous dites est exact. Nos ressources ne sont pas illimitées. Puisque le monde ne dispose pas de ressources illimitées, comment faire pour en avoir le plus pour notre argent? Où pouvons-nous avoir une incidence importante?
Je suis fier de ce que nous avons fait au Canada jusqu’à maintenant. Je consacre la plus grande partie de mon temps au domaine du méthane parce que c’est le gaz à effet de serre le plus puissant. C’est aussi le plus facile à réduire, surtout lorsqu’il s’agit de sites terrestres et de friches industrielles; c’est le plus facile à réduire et c’est celui qui a le plus grand impact.
En ce qui concerne les technologies dont nous disposons au Canada et que l’entreprise de M. Spady a mises en œuvre pour la province de l’Alberta, pourquoi cette province, qui produit de l’énergie, s’est-elle concentrée sur le méthane? Parce que l’avantage était énorme. J’ai parlé du programme de 40 millions de dollars axé sur des incitatifs. Il est en fait financé par l’industrie dans le cadre du programme Technology Innovation and Emissions Reduction, ou TIER, en Alberta. Ce programme de 40 millions de dollars, axé sur des incitatifs, a entraîné des réductions annuelles de carbone équivalant à 1,35 milliard de dollars — ce chiffre serait beaucoup plus élevé maintenant — à l’installation de captage et de stockage de carbone Quest de Shell. Beaucoup de petits producteurs, avec la technologie existante, ont fini par avoir un impact de cette ampleur. Lorsque j’en ai parlé au Moyen-Orient, tous ont réalisé avec stupéfaction que c’est ce qui est possible à l’heure actuelle.
L’une des premières choses que je ferais, si j’avais mon mot à dire, serait de suggérer au Canada de passer immédiatement à l’action. Si nous croyons vraiment qu’il peut y avoir un impact, et si nous voulons vraiment aider un grand nombre de ces pays qui vont être touchés, passons à l’action et concentrons-nous sur cette solution à notre portée. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas continuer le captage et le stockage du carbone, lorsque les circonstances le justifient, mais nous savons que tout ce que l’on peut faire pour réduire les émissions de méthane liées au pétrole et au gaz constitue, et de loin, la solution la moins chère, à un dixième ou un quinzième du coût par tonne de réduction. Allons aider ces pays. Nous n’avons pas à tout faire pour eux, mais allons en Asie centrale et en Amérique latine et demandons aux pays de ces régions comment nous pouvons les aider. Demandons-leur si nous pouvons les aider à faire appel à un fournisseur de services canadien. J’en suis un, et M. Spady en est un autre; nous sommes plusieurs. Nous avons des concurrents en Alberta. Pourquoi ne choisiraient-ils pas l’un de ces fournisseurs et n’adopteraient-ils pas quelques-unes de ces technologies? Aidons-les à élaborer leurs cadres de réglementation. Aidons-les à mettre en place ce genre de programmes. Cela aura un impact beaucoup plus important que tout ce que nous pouvons faire ici au Canada à l’heure actuelle.
Nous avons encore du travail à faire au Canada. J’ai parlé du méthane. Il y a encore fort à faire, mais ce qui arrive, c’est que nous sommes aussi emballés par les grands projets. L’une des raisons pour lesquelles il n’est pas beaucoup question du méthane dans les bureaux de direction, c’est que la plupart des solutions concernaient des petits puits individuels. Le projet dont M. Spady a parlé a permis d’examiner 15 000 installations. Ce n’est pas lui qui s’en est occupé, car il y avait beaucoup d’autres fournisseurs de services, mais le projet touchait 15 000 installations.
Par le passé, les solutions — des solutions que j’offre, comme des pompes d’injection de produits chimiques à énergie solaire — ont toujours été mises en œuvre sur le terrain. Elles n’étaient pas discutées dans les bureaux de direction. Par exemple, j’ai livré 7 000 systèmes d’injection de produits chimiques à énergie solaire en Alberta. Nous sommes une petite entreprise dans le domaine des technologies propres. Chacun de ces systèmes permettra de réduire les émissions de carbone de 80 à 300 tonnes par année — si l’on multiplie 7 000 par 150, cela donne près d’un million de tonnes par année. Sur une base annualisée, on pourrait dire que mon entreprise a permis de réduire la même quantité de carbone qu’une installation de captage et de stockage du carbone d’un milliard de dollars ou probablement de plusieurs milliards de dollars à l’heure actuelle, mais cela n’intéresse pas le gouvernement et les bureaux de direction parce que ce ne sont pas de grands projets accrocheurs. Ce sont de petits projets, mais mis ensemble, leur impact est énorme.
Passons en revue certaines de ces solutions et commençons à nous faire une idée très concrète de ce que nous pourrions représenter en tant que Canadiens. Comme je l’ai dit, les technologies existent, les ressources humaines sont disponibles et l’expérience est prouvée. Si nous passions simplement à l’action et que nous disions : « Offrons ces solutions au reste du monde et faisons tout ce que nous pouvons dans ce domaine », nous aurions un impact énorme, et la contribution du Canada serait reconnue partout dans le monde.
M. Spady : Vous avez dit que l’utilisation de combustibles fossiles sert principalement au chauffage, à l’électricité et au transport, et vous avez raison. Mon problème, en tant que fournisseur de solutions énergétiques, c’est qu’il nous faut une transition et un système plus vaste.
Vous avez omis de parler des engrais et du ciment. Dans le monde, 40 % des céréales sont enrichies d’engrais produit à partir d’hydrocarbures. J’aurais aimé qu’il y ait une meilleure solution, mais à l’heure actuelle, l’alimentation d’un grand nombre de personnes repose sur la production de pétrole et de gaz. Le collage du ciment est un processus à haute dépense d’énergie, et il est maintenant possible de le faire à l’électricité, mais je veux faire partie de la solution dans la transition. Nous ne pouvons pas seulement dominer à 70 % le secteur des combustibles fossiles dans le monde. C’est mon métier. Je dis aux nouveaux ingénieurs pétroliers qu’ils ont une très florissante carrière devant eux parce que comme c’est beaucoup plus difficile qu’à mon époque, nous avons besoin de 10 fois plus d’ingénieurs pétroliers, d’ingénieurs en énergie et de géologues.
Pour ceux qui fournissent les éléments de base du chauffage, de l’électricité et du transport, il est vraiment important de commencer la transition là où elle est logique sur le plan économique, et même là où elle ne l’est pas. C’est une tâche colossale. Encore une fois, qu’avons-nous au Canada? Il y a ici des Premières Nations qui s’occupaient des terres bien avant notre arrivée. Il y a des pays dans le monde qui ont aussi une importante population de Premières Nations. Les Premières Nations exploitent les ressources. Nous avons de l’eau et de l’énergie; nous avons tout cela. Pourquoi diable ne sommes-nous pas reconnus comme des chefs de file mondiaux pour aider les gens à chauffer leur maison et pour fournir de l’électricité et du transport? Je pense que l’attrait est irrésistible.
En plus de cela, concernant ce que M. Duerr a dit au sujet des pompes d’injection de produits chimiques à énergie solaire, elles remplacent quelque chose que nous avons installé au cours des 20 dernières années. Nous savons où placer ces trucs qui sont conçus pour la ventilation. Tout ce que nous avons à faire, c’est de commencer à corriger nos propres plans d’ingénierie d’il y a des années, et nous augmenterons du même coup l’efficacité et le profit.
Nous avons tellement de solutions à offrir. Nous avons le chauffage et l’électricité. Nous sommes efficaces. C’est du commerce, mais il faut que tout cela s’harmonise avec une transition énergétique. Je n’ai pas d’objection à utiliser l’expression « transition énergétique ». Nous sommes des professionnels de l’énergie. Je suis un professionnel de l’énergie. Mon travail consiste à veiller à ce que le monde dispose de ces éléments essentiels.
Le sénateur Fridhandler : Il y a beaucoup de commentaires intéressants au sujet de l’expertise et de la technologie que nous avons. J’essaie simplement de comprendre comment cela s’inscrit dans le système mondial et si nous avons tort de nous préoccuper de nos propres cibles alors que nous devrions nous préoccuper davantage de la cible mondiale. Le problème, c’est qu’il est difficile d’obtenir le crédit pour ce qui se passe dans d’autres pays quand c’est simplement votre technologie qui l’active.
Je pense ici au financement de grands projets de CCUS, c’est‑à-dire de captage, d’utilisation et de stockage du carbone. Si nous subventionnions nos entreprises qui ont développé des technologies ou qui ont une expertise pour aider d’autres pays, nous en aurions beaucoup plus pour notre argent au chapitre de la réduction des émissions mondiales, mais en obtiendrions-nous le crédit? C’est le système qui ne reconnaît pas les efforts, qu’ils soient dirigés vers vos institutions financières internationales ou que vous preniez certains de nos programmes de financement actuels et que vous les réorientiez pour appuyer les entreprises canadiennes qui exporteraient leur technologie et leur expertise. Vous obtiendriez le crédit à cet égard, mais vous obtiendriez aussi l’avantage économique de l’emploi et de l’aide pour nos industries nationales.
M. Duerr : Vous parlez de choses qui relèvent de l’article 6.2 de l’Accord de Paris, qui fait référence au commerce international. Il y a encore beaucoup de débats sur les mécanismes à utiliser pour que cela fonctionne, mais le point que vous faites valoir est tout à fait juste. Nous pourrions simplement nous concentrer sur ce que nous faisons au Canada et sur les pourcentages. Mais cela ne donne pas vraiment de résultats. Nous devons nous demander : « Quelle différence avons-nous faite? »
Je peux vous dire que cela suscite beaucoup d’intérêt. Je reviens tout juste d’Asie centrale, où je siège auprès d’une grande société d’État. Ils veulent des technologies canadiennes. Ils reconnaissent que le Canada est bien en avance sur tous les autres pays. Mais savez-vous qui est devant nous? Ce sont des entreprises norvégiennes financées par le fonds souverain de la Norvège, et c’est l’Agence américaine pour le développement international, ou USAID, qui finance des entreprises américaines pour qu’elles aillent là-bas et fassent quelque chose. Mais ils savent que nous avons plus d’expérience. Ils savent que, par temps froid, nous avons la capacité d’intervenir.
Les Canadiens ne sont pas parfaits. Comprenez-moi bien. Mais nous sommes meilleurs que pratiquement n’importe quel pays dans ce domaine. Si nous nous concentrons là-dessus, je crois que nous allons distinguer les mécanismes prévus à l’article 6.2, là où nous ne le faisons pas nécessairement — et il ne devrait pas en être ainsi. Et c’est là que j’ai un problème avec certaines des discussions en cours. Il s’agit de connaître le pourcentage — nous nous rendons à une Conférence des Parties, ou CdP, et nous annonçons une foule de choses, puis nous revenons et nous sommes loin d’avoir fait cela. Ce n’est pas seulement le Canada. C’est partout dans le monde. J’écoute ces commentaires ambitieux, et ils ne font que passer. Tout le monde a ce nouveau défi, mais il n’y a pas de mécanismes en place pour le relever. Encore une fois, je me concentre sur le méthane. Cependant, ce n’est pas la seule solution, mais je vous dis que c’est la solution la moins coûteuse, au coût le plus bas et la chose la plus rapide que nous puissions faire.
Quand j’entends des entreprises parler de projets d’envergure dans le domaine du carbone et de l’hydrogène, mais qui n’ont pas réglé tous leurs problèmes liés au méthane, elles sont malhonnêtes. Elles ne prennent pas vraiment au sérieux les grands projets. Changeons cela. Demandons-nous : « Que pouvons-nous faire vraiment bien comme Canadiens? Que pourrions-nous faire pour avoir un impact immédiat? »
En passant, quand je vous ai donné ces chiffres lorsque j’ai parlé de ce que les programmes de M. Spady ont fait pour le gouvernement de l’Alberta, nous utilisions un coefficient d’émission de méthane de 25 fois la production générale de carbone, et c’est en quelque sorte une norme. C’est un coefficient d’émission de méthane sur 100 ans.
La plupart des environnementalistes utiliseraient un coefficient sur 20 ans, ce qui signifie que c’est 80 fois plus. Tous les chiffres dont j’ai parlé sont donc quatre fois plus élevés. Quand j’ai mentionné qu’une petite entreprise comme la mienne traitait environ un million de tonnes par année, si j’utilisais l’autre coefficient, ce serait beaucoup plus.
Ces technologies sont utilisées partout dans le monde. À l’heure actuelle, avec les nouveaux règlements de l’UE, beaucoup de producteurs européens ont vraiment peur parce qu’ils ont beaucoup d’actifs très anciens, et maintenant qu’ils doivent commencer à mesurer, les choses se mettent en branle. En Amérique latine, il se passe beaucoup de choses nouvelles qui sont vraiment passionnantes, et encore une fois, nous pouvons jouer un rôle vraiment important. Mais nous devrions documenter cela.
Pour ce qui est d’obtenir le crédit, ce n’est pas seulement une question de donner quelque chose. Il s’agit de faire une réelle différence. Allons sur le terrain et prenons des mesures pour pouvoir documenter les avantages. Si nous finissons par faire quelque chose en Asie centrale ou en Amérique latine, nous pouvons documenter ces avantages. Et même si vous n’obtenez pas le crédit officiel, nous pouvons au moins nous lever et dire que nous avons fait une différence. Nous ne nous sommes pas contentés d’en parler. Nous n’avons pas dit : « Oh, quand le niveau des océans s’élèvera et détruira votre île, nous vous aiderons à construire des digues. » Non. Faisons quelque chose maintenant. Faisons une différence.
C’est assez simple pour moi. Je sais qu’il est complexe de rediriger les trains en mouvement, mais les réponses sont très simples.
Le président : Monsieur Spady, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Spady : Je pense qu’on a tout dit.
Le sénateur Fridhandler : Monsieur Duerr, vous avez préconisé la réaffectation des fonds au programme de réduction des émissions de méthane ou quel que soit son nom. Étant donné qu’on pourrait penser qu’il y a peu d’argent, voudriez-vous que cet argent soit réaffecté au programme qui appuierait ce qui se fait au Canada, ou préféreriez-vous qu’il aide l’industrie canadienne à mettre en œuvre des programmes à l’échelle internationale?
M. Duerr : Je dois dire qu’il y a encore du travail à faire à l’échelle nationale.
Le sénateur Fridhandler : Vous n’avez qu’un choix, cependant.
M. Duerr : Eh bien, voyez-vous, j’ai l’avantage de dire que nous n’avons pas besoin de trouver de nouveaux fonds à l’échelle internationale. En ce qui concerne la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la dernière fois que j’ai vérifié, le Canada y avait environ 2,6 milliards de dollars pour divers projets. C’est de l’argent réservé.
Le simple fait d’utiliser une partie de cet argent pourrait avoir une grande incidence. Mais si je devais choisir ce qui se fait au Canada, l’autre élément clé serait la façon dont les programmes sont structurés. Ce programme fédéral était malheureusement mal structuré. Je dois dire cela parce qu’il n’a pas connu un grand succès — et c’est pourquoi je pense qu’une grande partie de l’argent en a été retirée.
Le programme de l’Alberta était extrêmement bien structuré, et il a été surutilisé. Le programme fédéral avait un problème parce que l’industrie n’y souscrivait pas étant donné qu’il créait plus de problèmes qu’il n’en réglait.
La façon de réaliser ces programmes est également très importante. J’aimerais qu’une plus grande partie de cet argent fédéral soit dépensé ici, au Canada, mais je crois aussi qu’il y aurait une occasion d’en profiter. Encore une fois, nous revenons à la question suivante : quelles seront les répercussions pour nous?
Quand j’entends les chiffres concernant les enjeux liés aux changements climatiques — et, oui, ils sont de l’ordre de milliers de milliards de dollars —, ce que je dis vraiment, c’est que pour des millions de dollars, vous pourriez avoir un impact massif. Ce sont des millions, pas des milliers de milliards. Alors, faisons-le. Ne perdons pas notre temps à parler de ces énormes sommes d’argent alors qu’il y a des choses qui peuvent être faites en ce moment. Concentrons-nous sur ce qui peut être fait et ce qui est réalisable. Quand nous aurons terminé, nous pourrons commencer à parler des types d’expansion massive et des changements fondamentaux qui vont se produire.
Aucun pays au monde n’a fait autant au niveau des énergies renouvelables que la Chine. En ce qui concerne l’énergie solaire ou l’énergie éolienne, aucun pays au monde n’est près d’en produire autant que les Chinois. Mais ils construisent aussi une centrale électrique alimentée au charbon à peu près chaque semaine. C’est la réalité énergétique. Et vous pouvez en dire autant pour ce qui se passe en Inde. Vous pouvez le dire pour d’autres parties du monde.
Nous avons un gros défi à relever. Vous pouvez lancer autant d’énergies renouvelables que vous voulez pour relever le défi. Elles sont toutes les bienvenues et elles feront une grande différence, mais vous devrez quand même produire beaucoup de combustibles fossiles pendant encore longtemps. Il s’agit alors de savoir comment obtenir la meilleure production. Ensuite, il s’agit de savoir qui est le mieux placé pour le faire. Allons-nous en retirer le maximum pour notre argent en envoyant le dernier petit peu à l’extérieur du Canada, ou pourrions-nous prendre une partie de ces ressources et les appliquer à des pays et faire vraiment une différence dans ces pays? D’ailleurs, en faisant cela, nous ne faisons pas que leur donner de l’argent; nous embauchons des entreprises canadiennes pour fournir ces services, nous exportons la technologie canadienne et nous affirmons sur la scène mondiale que nous pouvons vraiment faire une différence ici. C’est tout.
Le fait d’en garder un peu ici ne changera rien sur la scène internationale. C’est peut-être un point de discussion à une CdP, mais la réalité, c’est qu’il y a tellement de choses qui peuvent être faites en ce moment.
Si j’en parle trop ou si j’entre trop dans les détails, je suis désolé, mais c’est un sujet qui me passionne beaucoup. Je veux simplement que les choses se fassent. Je pense sincèrement que nous devons adopter une approche beaucoup plus pratique dans ce domaine et nous demander ce que nous pouvons faire. Dans quels domaines excellons-nous et comment pouvons-nous avoir une grande incidence?
Le président : Monsieur Spady, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Spady : Oui. Je pense que le commentaire de M. Duerr sur la réaffectation est important parce que nous finançons effectivement à titre de gouvernement fédéral — nous finançons massivement ces banques internationales, et nous devrions le faire. C’est notre obligation de citoyens du monde. Je pense qu’il faut penser à la capacité d’affecter une partie de ce financement à des endroits où nous pouvons avoir un impact massif.
Je l’entends très souvent : l’industrie est étiquetée comme étant une industrie extractive et, par conséquent, ce n’est pas quelque chose que nous pouvons appuyer. C’est une question difficile, car je crois que nous devons cesser de dépendre entièrement des combustibles fossiles. Cela doit faire partie d’un mélange efficace. C’est au cours de ma vie et de celle de mes enfants. C’est long.
Je pense que cela doit se faire lentement. Cela peut se faire en utilisant l’efficacité, mais nous aurons des industries extractives pendant longtemps encore, et d’une façon ou d’une autre, à titre de pays riche en ressources naturelles, nous devons éliminer la stigmatisation du financement et de l’aide aux autres parce que c’est de l’extraction. Peu m’importe. Pouvons-nous aider les autres à rester au chaud et à avoir de l’énergie? Oui. S’agit-il d’extraction, de rétraction ou de réfraction — je ne connais pas les mots. C’est moins pertinent si nous pouvons être des chefs de file en matière de gestion responsable des ressources. C’est là que nous pouvons être des chefs de file, simplement en réaffectant des ressources. C’est pour le côté international.
Pour ce qui est du marché intérieur, nous avons des programmes extraordinaires. Ceux de l’Alberta sont financés par l’industrie. C’est la meilleure façon de s’y prendre. Nous avions une liste d’attente parce que c’était logique sur le plan économique et que c’était efficace. Ils ont probablement gagné 1 ou 2 % en ventes de gaz — de méthane — dans le pipeline, et ils en obtiennent une partie. Donc, vous êtes meilleur, vous êtes plus efficace, vous faites plus d’argent et vous retirez des choses de l’atmosphère.
J’aimerais dire rapidement que comme Canadiens, nous aimons être sélectifs. Le monde a besoin d’une première ligne, et cette première ligne — l’étoile — est le captage et le stockage du carbone, ou CSC. Ces projets de CSC sont extraordinaires et nécessaires, et nous en avons environ 25 au Canada. Ils sont les meilleurs. C’est beaucoup d’argent. C’est la première ligne. Mais si vous avez une équipe de hockey qui n’a pas une bonne troisième ou quatrième ligne, vous ne gagnerez rien. Nous pouvons nous approprier les troisième et quatrième lignes avec ces petites solutions novatrices et intelligentes. Je veux qu’on porte attention aux troisième et quatrième lignes parce que cela va nous permettre de gagner la coupe.
Le président : J’aimerais ajouter quelque chose. Comme vous le savez, quand vous êtes à Calgary, c’est une autre histoire, et en Alberta, c’est une autre histoire, mais les Canadiens ont toujours un problème important ou un malaise important à l’égard du pétrole et du gaz. Autrement dit, si vous voyez un Canadien produire ou consommer uniquement du pétrole et du gaz, c’est comme si c’était mal.
Si vous étiez ministre de l’Énergie, quelle serait la meilleure histoire? Vous avez dû en essayer différentes. Comment expliquez-vous que dans le monde pratique dans lequel nous vivons, nous ayons besoin d’une partie de ce pétrole et de ce gaz? Oui, nous serons responsables et nous veillerons à ce qu’il fasse ce qu’il faut. Quel est le meilleur angle pour faire passer cette histoire pour la personne qui n’a jamais vu un champ de pétrole, mais qui en consomme une partie? Nous oublions tous que nous sommes aussi des consommateurs. Aidez-nous ici. Quelle est l’histoire? Quelle est la meilleure façon de discuter de la situation?
M. Duerr : Franchement, je pense que le secteur canadien de l’énergie s’y est très mal pris pour raconter son histoire. Une partie du problème, cependant, c’est que lorsqu’il raconte son histoire, elle est immédiatement rejetée par une grande partie de la population qui dit qu’elle sert ses intérêts. C’est un véritable dilemme.
On a soulevé plus tôt la question de l’éducation. Il faut que d’autres Canadiens, d’autres défenseurs, en parlent. Qu’un producteur de l’Alberta aille au Québec ou au Nouveau‑Brunswick et commence à dire : « Nous sommes les meilleurs au monde », personne ne va le croire. Cependant, si quelqu’un de ces provinces, comme un chef de file de l’industrie, dit : « C’est important pour nous, et cela fait partie de notre tissu. Oui, soit nous le consommons, soit nous le portons, soit nous l’utilisons dans nos véhicules, mais ces produits vont être absolument essentiels pour nous. »
En ce qui concerne le bitume — le pétrole lourd —, c’est vraiment mauvais, mais selon vous, quel est l’élément constitutif de l’asphalte? Pourquoi tous nos produits sont-ils envoyés aux États-Unis pour y être transformés? Parce que c’est absolument nécessaire. Une voiture électrique va être beaucoup plus lourde, donc elle va brûler beaucoup plus de caoutchouc et d’asphalte. En réalité, nous aurons besoin de certains de ces produits. Il ne faut pas dénigrer le produit. Cela a été trop facile.
À bien des égards, nous avons presque créé un fossé environnemental. Il faut être totalement contre le pétrole et le gaz ou y être totalement en faveur. En réalité, nous en avons besoin. Faisons de notre mieux. Soyons de bons intendants. Quand nous sommes de bons intendants, prenons position et parlons-en, puis essayons de nous assurer que les autres intervenants dans ce bouquet énergétique mondial sont également de bons intendants. Sinon, nous aurons de gros problèmes.
La production en Russie n’a pas cessé. Je peux vous dire que les Russes ne font rien pour réduire les émissions de méthane en ce moment. Mais l’Europe, qui a longtemps fait la leçon au Canada au sujet du pétrole sale, achetait tranquillement la totalité de ce produit. En fait, lorsque la guerre a éclaté, il y a eu une énorme crise en Europe à cause de la réduction dans l’offre de ce produit.
L’augmentation des importations ou des exportations en provenance du Moyen-Orient, entre autres, a permis d’atteindre certains de ces objectifs, mais le fait est que si nous ne nous attaquons pas à ce problème à l’échelle mondiale en réduisant réellement les émissions, et pas seulement les objectifs de carboneutralité, nous n’aurons pas d’impact. Nous allons dépenser beaucoup d’argent aux mauvais endroits. Soyons simplement efficaces. Soyons fiers de là où nous nous trouvons actuellement.
Nous avons toutefois besoin d’autres voix. Je suppose que c’est là où je veux en venir. Nous avons besoin d’autres voix pour s’exprimer de cette façon. Il ne s’agit pas ici de choisir une option et d’exclure l’autre. Oui, nous devrions protéger l’environnement. J’ai travaillé dans le domaine du traitement de l’eau et des eaux usées en Asie du Sud-Est dans les années 1980, avant que d’autres Canadiens ne fassent la même chose là-bas. Quand j’ai quitté la politique, je me suis intéressé à l’efficacité énergétique, à la réduction des gaz à effet de serre et aux technologies propres dans le secteur pétrolier et gazier parce que j’y crois. Nous devons attirer des gens dans ces domaines. Nous n’avons pas à dire : « C’est un problème, alors nous devrions l’ignorer. » Réglons-le. C’est quelque chose que nous faisons bien comme Canadiens.
J’espère que, aujourd’hui, nous vous avons donné un peu l’espoir que ce ne sera pas nécessairement une question de choix. Soyons fiers de là où nous nous trouvons actuellement. Soyons intelligents, orientés et concentrés sur ce que nous voulons faire. Concentrons-nous sur l’utilisation judicieuse de cet argent. Concentrons-nous sur l’impact. Franchement, ce n’est pas seulement une question d’environnement; le Canada pourrait améliorer sa position dans le monde sur de nombreux fronts en adoptant une position ferme, surtout dans les pays en développement où les pays ont le plus besoin de soutien, en étant présents et en appuyant ces entités.
M. Spady : Je reviens à votre question initiale : si j’étais ministre de l’Énergie, que ferais-je? Je pense que c’est la bonne question. C’est une question difficile.
Je parle en ma qualité d’ingénieur pétrolier qui a passé toute sa vie dans ce domaine. Nous devons parler moins. Nous devons être de meilleurs citoyens. Nous devons faire davantage partie du tissu social. C’est en fait ce que nous faisons par rapport à ce que nous disons.
Je suis gêné par la rhétorique de mes pairs des sociétés pétrolières et gazières. C’est parfois arrogant. Nous devons être de meilleurs citoyens. Nous devons montrer que nous nous améliorons, pas parler de la façon dont nous nous améliorons. Si je prends l’exemple de Terre-Neuve, il y a 30 ans, il n’y avait pas vraiment d’industrie pétrolière et gazière. Le changement transformationnel que j’ai vu à Terre-Neuve-et-Labrador au cours des dernières années est une transformation économique et un changement massif. L’industrie était meilleure. Elle offrait une solution. Nous existons, nous agissons et nous ne nous contentons pas de parler.
Comme industrie, nous devrions avoir honte. Nous nous réunissons tous à Calgary. Nous avons éliminé les sièges sociaux de Toronto, de Vancouver et d’Edmonton. Nous nous réunissons tous à Calgary si notre exploitation est terrestre, et les Terre‑Neuviens ont mieux réussi à être plus mondialisés à St. John’s. Nous nous réunissons à Calgary, nous nous assoyons dans notre chambre d’écho, nous parlons de notre excellence, nous nous bombons mutuellement le torse et nous nous demandons pourquoi tout le monde ne nous aime pas. Honte à nous. Je suis gêné.
Si j’étais ministre de l’Énergie de l’Alberta ou du Canada, que ferais-je? Je m’assurerais que, d’abord et avant tout, nous mettons en place de bonnes politiques et de bons règlements pour aider discrètement les gens et apporter des changements économiques. Je pense que le temps des beaux discours est révolu, et que le temps est venu pour la quatrième ligne de passer à l’action. Nous n’avons qu’à agir. C’est ce que je dirais.
Le président : Hier, à la CdP, ils ont discuté, comme vous le savez, des subventions. C’est un gros mot pour bien des gens. Vous pouvez participer à une discussion, mais quelle est la définition? Cela comprend-il l’amortissement? C’est un gros panier. L’orientation générale est qu’ils sont très négatifs à cet égard. En règle générale, ils disent que les subventions ne sont pas une bonne idée, et pourtant nous les avons utilisées au Canada. Nous avons des subventions à la R-D depuis longtemps, et nous envisageons maintenant de le faire avec le CSC.
Qu’en pensez-vous? Comment faites-vous face à cet enjeu? En théorie, je suis contre, moi aussi, mais quand on entre dans les détails, il y a des problèmes si on n’offre pas d’aide et si on n’achemine pas l’argent correctement. Qu’en pensez-vous?
M. Spady : Je pense que la structure des redevances doit être établie de manière à ce que si vous voulez aider une société pétrolière et gazière ou une société d’énergie, c’est parce qu’elle fait quelque chose qu’elle fait déjà ou dans le cadre de sa pratique. J’essaie de m’éloigner du mot « subvention », qui signifie que nous distribuons quelque chose pour faire quelque chose de nouveau ou de différent. Ce que nous faisons bien au Canada, c’est accorder des congés de redevances, qui ne sont pas des subventions, mais que vous ne recevez pas à cause de ce que vous avez fait, ce qui signifie que le navire se déplace. Vous faites quelque chose.
Je suis d’accord avec vous en principe pour dire que les subventions ne sont pas la solution. Je pense que comme industrie, nous devons faire plus attention pour nous assurer que si nous donnons quelque chose, c’est lié à une amélioration. L’une des raisons pour lesquelles j’aime le programme que nous avons mis en place pour réduire les émissions de méthane, c’est qu’il a été financé à 100 % par une redevance sur le carbone. C’est donc l’effet Robin des Bois. Nous avons pris de l’argent aux producteurs qui en sont très mécontents, mais nous leur avons rendu cet argent avec des conditions, tout en disant : « Prouvez-moi que vous êtes plus efficaces, et nous financerons la réduction du méthane. C’est votre argent, mais nous devons vous aider à le dépenser plus judicieusement. » À mon avis, c’est moins une subvention qu’une aide pour faire quelque chose que vous devez faire si vous êtes sur la bonne voie.
M. Duerr : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, c’est un sujet très médiatisé. Dans le cas de l’industrie pétrolière et gazière, dans la plupart des cas, il s’agit de millions de dollars de subventions, comme la déduction pour amortissement dans le cas des sables bitumineux jusqu’à ce que les coûts en capital soient payés; il y aurait diverses déductions. Tout cela fait partie des subventions. Je pense qu’il faut voir les choses dans ce contexte; au Canada, l’industrie a versé des milliards de dollars dans les coffres de l’État sous forme de redevances ou de taxes. Si nous n’avions pas l’industrie, nous n’aurions pas cet argent.
Pourquoi pensons-nous que tous ces pays d’Afrique et d’Amérique latine essaient de prendre de l’expansion? Ils veulent des sources de revenus. Grâce à ces sources de revenus, ils peuvent offrir d’autres programmes et services à leurs citoyens. Ils veulent ces sources de revenus. Nous profitons de ces sources de revenus depuis longtemps au Canada.
C’est un peu malhonnête de dire que cela redonne quelque chose à l’industrie. Cela appuie l’industrie, mais si nous devions le faire dans un domaine, ce serait dans celui de la réduction des émissions. Ce n’est pas seulement l’industrie pétrolière et gazière qui a profité des avantages de pouvoir être exploitée et de faire de l’argent. Comme citoyens canadiens, nous avons bénéficié de recettes massives. Toutes sortes de chiffres ont été publiés sur ce qui se passerait si nous réduisions la production de pétrole et de gaz, et les répercussions sur le PIB seraient importantes.
Si c’est le cas, est-il si problématique de laisser entendre que nous en sommes heureux? Sachant que les émissions étaient là, nous avons profité de ces avantages. Pourquoi ne contribuons-nous pas un peu, comme citoyens, à l’amélioration du rendement global de l’industrie?
Vous retournez quelque chose à la source. Vous aviez une source de revenus et vous y réinjectez de l’argent. Ce ne serait pas différent de ce qui se passe dans l’industrie automobile dans l’Est du Canada. Il y a des industries partout au pays où, pour diverses raisons, les gouvernements ont dit — et c’est ce qui se fait partout dans le monde — « Nous pensons que cela va créer des emplois et des revenus et soutenir notre PIB, et nous allons offrir diverses mesures incitatives pour y arriver. » Est-ce une subvention? Est-ce donner quelque chose pour rien? Ou s’agit-il essentiellement d’un investissement? Je pense que c’est la discussion plus générale que nous devons avoir.
Le sénateur Prosper : Excusez-moi de mon absence. Je vous suis vraiment reconnaissant de votre témoignage et de l’information que vous nous avez fournie.
Ma question découle d’une partie du dialogue et de ce que vous avez dit dans vos exposés. Monsieur Duerr, vous avez plus parlé d’aspiration que d’action et vous dites que les changements climatiques sont une menace existentielle. Vous avez également dit qu’il n’y a pas de mécanismes, que nous n’avons tout simplement pas de mécanismes pour prendre certaines mesures.
Monsieur Spady, vous avez dit, je crois, que le Canada devait « profiter des possibilités » offertes par sa richesse en ressources. Vous avez tous les deux parlé en détail de l’énorme potentiel que le Canada et le secteur industriel peuvent exploiter pour être à l’avant-garde des technologies propres. C’est effectivement ce qui ressort de vos efforts.
Vous avez également parlé de la Norvège et des États-Unis, qui jouent un rôle de premier plan sur les marchés internationaux et capitalisent sur certaines opportunités les plus accessibles, et de la possibilité pour nous d’avoir plus d’impact et d’être reconnus à cet égard comme des chefs de file mondiaux.
Ma question s’adresse à vous deux. Si l’on examine les pratiques exemplaires et les marqueurs de ces pratiques, ou plus précisément, s’il y avait trois marqueurs de pratiques exemplaires à retenir dans l’ensemble de ce qui existe actuellement, quels seraient-ils du côté de l’approche ou des mécanismes que, selon vous, nous devrions adopter ici, au Canada?
M. Duerr : Les pratiques exemplaires à adopter ici au Canada ou comme Canadiens?
Le sénateur Prosper : Eh bien, comme Canadiens appelés à jouer un rôle de premier plan dans le secteur des énergies propres.
M. Spady : Premièrement, il faut une bonne politique. Nous nous en sommes occupés dans certaines régions du Canada. À mesure que les ressources sont exploitées, il est indispensable d’adopter de bonnes politiques concernant la propriété environnementale des terres, les ressources, et l’utilisation des terres, et les Canadiens savent y faire à cet égard. Tout cet intérêt pour le captage et le stockage du carbone et l’idée des droits sur les espaces interstitiels sont très importants, et cela s’est fait à l’échelle infranational dans notre cas.
J’ai participé au développement du secteur pétrolier et gazier au Nouveau-Brunswick et, dans une certaine mesure, en Nouvelle-Écosse au début des années 2000, et on a fait un travail à la fois important et efficace pour élaborer une infrastructure adaptée. Il faut continuer de mettre la ressource en valeur grâce à de bonnes politiques dans les régions où elle existe.
J’ai oublié les deux autres éléments. Le deuxième, si je me souviens bien, est de veiller à ce que l’argent dépensé soit lié à des mesures concrètes. En général, nous les humains aimons être payés à ne rien faire, et nous savons inventer toutes sortes de façons d’employer notre temps. C’est la nature humaine. J’adore passer du temps à jaser près de la machine à café, mais nous avons réussi, parce que nous avons agi. Dans d’autres pays où je suis allé un peu partout dans le monde, il y a peut-être des gens qui font le travail sur le terrain, et il y a des gens aux commandes dans les bureaux, mais il n’y a pas de lien parce que les uns et les autres ne sont pas dans la même fourchette salariale. Ici, celui qui siège au bureau de direction peut mettre la main à la pâte en même temps que prendre des décisions, et les Canadiens sont très bons à cela. Je crois qu’il faudrait aussi relier action et financement.
Si on devait retenir trois marqueurs, ce serait d’élaborer une bonne politique, de relier le financement à des mesures concrètes et, franchement, je pense que nous avons lieu de célébrer. Il y a lieu, en toute modestie, de parler de notre succès. Je reviens à l’exemple de Terre-Neuve-et-Labrador. À mon avis, le secteur industriel y était différent il y a 40 ans, alors que, aujourd’hui, on y trouve des activités industrielles en mer parmi les plus avancées du monde. Le fait que des entreprises comme Equinor s’installent à Terre-Neuve parce que c’est un environnement stable est pour moi une raison de célébrer. Corrigez-moi si je me trompe, mais ce serait là mes trois marqueurs. M. Duerr a eu le temps de réfléchir.
M. Duerr : Je commencerais aussi par la politique, mais dans une perspective un peu différente. Nous avons besoin d’un degré de certitude sur le plan réglementaire. La politique ne signifie pas nécessairement qu’il faut resserrer les règles.
Par exemple, c’est en Alberta qu’ont été instaurés le premier système de crédits de carbone et la première taxe sur le carbone en Amérique du Nord. C’était vraiment bien. Et c’est en Alberta parce que les producteurs de l’Alberta y ont contribué. Les grands émetteurs y ont contribué — c’est le fonds dont parlait M. Spady pour financer ce programme —, et cela comprend un système d’échange de crédits.
Pour bon nombre des technologies que je produis et que les producteurs ont mises en œuvre, des crédits de carbone sont attribués. On obtient des crédits de carbone pour une période, disons, de huit ans. C’est la durée habituelle. On dépense l’argent et on peut le récupérer au cours de cette période grâce au mécanisme d’échange. C’est un mécanisme de marché. Il existe des systèmes volontaires à l’échelle internationale. La différence tient au fait que, en Alberta, le prix est aligné sur le prix canadien du carbone, de sorte que le prix est actuellement de 50 $ la tonne en Alberta, alors qu’il est de 5 à 10 $ la tonne sur le marché international.
Quand un nouveau règlement est annoncé, que se passe-t-il? Tout le monde s’arrête. Je vais vous donner un exemple, même si ce n’est pas pour le critiquer : le programme fédéral du Fonds de réduction des émissions, qui devait être de 750 millions de dollars pour le méthane au Canada, de 675 millions de dollars pour l’Ouest canadien et du reste pour l’Est du Canada, a été annoncé en grande pompe en mars. Ce n’est qu’en novembre que les règles du programme ont été publiées, et il n’y a pas eu beaucoup de consultations avec le secteur industriel, de sorte que cela n’a pas vraiment fonctionné. Cela a duré environ un an. C’est à peu près en mars de l’année suivante que les choses ont commencé à bouger.
Je peux vous dire que les ventes de mon entreprise ont chuté. Les ventes de toutes les autres entreprises de technologies propres qui produisent du méthane en Alberta ont chuté. Pourquoi? Parce qu’on ne savait pas quelles seraient les règles. En quoi ce programme consisterait-il? Il n’y avait pas de mauvaises intentions. Tout le monde était de bonne foi, mais ces bonnes intentions nous ont fait perdre une année de réduction des émissions de méthane. Si on a un multiple de 80, on perd un an. C’est ce qui n’est pas bien compris.
Plus récemment, le gouvernement fédéral a négocié un nouveau règlement sur le méthane. Là encore, cela a eu un effet négatif sur le marché des crédits. Quelqu’un pourrait se demander si, à supposer qu’il obtienne des crédits maintenant, il pourrait en obtenir en vertu du nouveau règlement. On obtient un crédit de carbone si on fait quelque chose qui n’est pas de l’ordre de la pratique générale ou qui n’est pas prévu dans la réglementation, mais, dès que c’est réglementé, il n’y a plus de crédits. À titre d’exemple, si l’on décide qu’il n’y aura plus de pompes pneumatiques à partir de 2030, cela signifie que la période de compensation se raccourcira progressivement. Beaucoup de producteurs se demandent s’ils devraient dépenser cet argent maintenant ou laisser le puits s’épuiser pendant six ans et le fermer par la suite. Ce sont des décisions qui sont prises en ce moment même. Et ce sont des décisions d’affaires tout à fait valables, mais, entretemps, nous aurons perdu six années de réduction des émissions de méthane.
Je le répète, les intentions sont bonnes, mais, en fait, une mauvaise politique ou une politique mal constituée peut faire plus de tort. La politique est vraiment importante. Ce qui importe vraiment, c’est de ne pas entraver les choses. En l’occurrence, la politique peut nuire à des mécanismes de marché qui fonctionnent. Il faut donc faire très attention. Il ne faut pas présumer que le simple fait d’être plus solide et de resserrer les règles entraînera des avantages supplémentaires.
La deuxième mesure que je prendrais serait de respecter les engagements que nous prenons. Commençons par ce qu’il y a de plus facile au Canada. Il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous avons des solutions faciles, mais il reste encore beaucoup à faire. Consacrons-y les ressources nécessaires, faisons-le et cessons d’en parler. Nous pouvons le faire. Cela concerne une partie de la réaffectation de fonds dans l’espace du méthane.
La troisième mesure — et c’est ce dont nous avons surtout parlé ici — serait d’élaborer une orientation internationale. C’est ce qui fait notre fierté d’être qui nous sommes et de ce que nous avons accompli. Parlons de la situation internationale : absolument rien ne nous empêche de le faire. D’autres pays demandent à adopter les technologies canadiennes. Il faut définir le rôle du Canada. Si nous estimons que les émissions sont importantes et que c’est un domaine dans lequel nous excellons, portons ce message sur la scène internationale. Faisons ce que nous pouvons pour définir le rôle du Canada et investir de l’argent, mais surtout, adoptons cette politique, cette réglementation et cette technologie. Il y a tout un écosystème d’innovation dans les technologies propres au Canada. Il a été édifié grâce à notre cadre de réglementation. Il a été édifié, et il existe ici. Il faut le soutenir.
Le gouvernement n’a pas à tout prendre encharge, mais il doit fournir certains mécanismes de financement et collaborer avec les établissements financiers internationaux. Il faut faire le maximum pour inciter d’autres entreprises à solliciter des entreprises canadiennes pour obtenir des services de mesure et de vérification des émissions. Il faut promouvoir les technologies canadiennes sur ces marchés. Il n’est pas nécessaire que ce soit les miennes. J’ai des concurrents dans mon domaine. Je ne veux pas donner l’impression de servir mes propres intérêts. Le fait est qu’il y a beaucoup de gens au Canada dans ce domaine qui peuvent avoir une grande influence à l’étranger.
Il y a donc la politique, le respect de nos engagements ici au Canada et l’élaboration d’une orientation internationale.
Le président : Si vous le permettez, j’aimerais ajouter deux questions.
Premièrement, vous avez parlé de l’importance de la certitude, et nous en entendons beaucoup parler. Il faut être sûr de l’avenir avant de prendre toutes ces décisions à long terme. Certains diraient que cela s’applique en grande partie à l’environnement actuel, où il y aura une élection fédérale d’ici quelques mois. Je suppose que, naturellement, beaucoup d’intéressés diraient que, comme on ne sait pas qui dirigera le pays — et peut-être que le prochain gouvernement sera plus généreux que le précédent —, on constatera probablement une diminution importante des dépenses engagées et des prises de décisions. Est-ce le cas, et y pouvons-nous quelque chose?
M. Duerr : Effectivement, les gouvernements changent, et on ne peut jamais prévoir ce que fera un nouveau gouvernement. À vrai dire, il est déjà difficile de prévoir ce que le gouvernement actuel fera d’une année à l’autre.
J’imagine que si, par exemple, un nouveau gouvernement venait nous dire qu’il va se débarrasser de tout notre cadre réglementaire, vous estimeriez qu’il s’agit d’une situation extrême. Mais, si cela se produisait, vous constateriez que la majorité des producteurs canadiens ne bougeraient pas d’un iota, parce qu’ils sauraient que ce ne serait pas viable. Cela n’arrivera pas. Et ils continueraient à fonctionner de la façon la plus responsable possible.
La question de la certitude entre en jeu quand on prend de grandes décisions et qu’on envisage d’investir 3 ou 4 milliards de dollars dans une installation majeure de captage et de stockage du carbone ou une usine d’hydrogène au Canada. C’est un gros problème au Canada, et pas seulement dans le secteur pétrolier et gazier. Les grands projets sont problématiques parce qu’ils ont tendance à devenir hors de contrôle. On l’a vu avec le pipeline Trans Mountain. Il y a toutes sortes d’exemples. Il faut environ 13 ou 14 ans pour faire approuver une mine au Canada. Ce sont de vrais problèmes, avec lesquels il faut composer.
Je ne sais pas comment mesurer cela. Je suis cependant convaincu, et les grands producteurs de l’Alberta me l’ont confirmé, qu’ils ne cesseraient pas leurs activités liées au méthane. Ils n’arrêteraient pas. Ils estiment que c’est une exigence de la communauté internationale. Ils veulent faire partie de la solution, mais, quand un conseil d’administration faisant preuve de diligence raisonnable demande : « Avez-vous un engagement? » et que vous, cadre supérieur d’une société pétrolière et gazière, dites : « Non, mais il y a de très bonnes intentions », ils ne donnent pas suite. Ce serait aussi simple que de faire preuve de diligence raisonnable comme membre du conseil d’administration. Vous voudrez vous assurer de la plus grande certitude possible dans le contrat que vous signez.
Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c’est vraiment compliqué, et c’est vraiment compliqué quand il risque d’y avoir un changement de gouvernement, surtout pour les grands projets de captage et de stockage du carbone. Je ne suis pas un expert dans ce domaine. Certains membres de ma famille le sont, mais je pense que ces contrats sont réels et que, dans une certaine mesure, ils indiquent un engagement à plus long terme à l’égard d’un projet, parce qu’il s’agit de projets à long terme. Je pense que c’est absolument essentiel.
M. Spady : J’envisage les choses un peu différemment. Comme représentant du secteur pétrolier et gazier, j’ai vu bien pire. Dans beaucoup de pays, la certitude est très faible. Je pense au Kurdistan. Qui gouverne le Kurdistan? Le gouvernement irakien? Les Kurdes?
Certains producteurs se trouvent dans des situations complexes. Cela fait partie de l’ADN de notre secteur d’activité. Nous devons composer avec l’incertitude. Je pense à certains pays. Le Nigéria a des règlements étonnants sur la réduction du méthane. Il est très difficile de les appliquer, mais c’est son droit. Certitude ou non? En Arabie saoudite, Aramco et le gouvernement sont sur la même longueur d’onde, et ils ont fait des progrès scientifiques incroyables en parallèle avec le secteur industriel, parce qu’il y a là-bas suffisamment de certitude.
Notre secteur doit s’adapter à tout, et, si nous ne pouvons pas réagir aux gouvernements infranationaux ou nationaux, nous devrions peut-être cesser de nous plaindre et nous assurer d’être de bons industriels. La certitude est importante, mais c’est notre domaine. Nous devons savoir ce que nous faisons. Voilà où je veux en venir.
Ce qui nous importe, je crois, c’est la certitude réglementaire. Le gouvernement du jour peut décider d’aller dans telle ou telle direction, mais, si l’organisme de réglementation est indépendant et constitue une sorte de volant moteur, c’est ce qui importe. Nos agents sur le terrain doivent savoir que tout ira bien s’il existe une réglementation et qu’elle est appliquée.
Je vais donc aller un peu plus loin. Comme les nouvelles technologies s’écartent des sentiers battus, il faut être proactif. Un marché de compensation de carbone est quelque chose de nouveau et de différent. Il importe que le gouvernement ait une certitude parce que c’est lui qui fixe le prix du carbone, et les gouvernements successifs doivent s’y tenir.
Notre secteur doit réagir à l’incertitude générale des gouvernements. Nous devons vivre avec, mais, dans les domaines nouveaux comme la transition énergétique et la réduction des émissions de carbone, l’importance de la certitude d’un gouvernement à l’autre est probablement amplifiée.
Le président : J’aimerais savoir ce que vous pensez du captage et du stockage du carbone. Beaucoup de gens disent que cela nécessite une subvention extrêmement importante. Certains remettent en question les données scientifiques et l’efficacité de ce processus. Il y a encore beaucoup de dioxyde de carbone qui s’échappe et, par conséquent, nous n’en sommes pas encore là. Allons-nous y arriver bientôt? Le secteur pétrolier et gazier en est sûr. Les données scientifiques sont solides. Pourtant, aucun projet n’a connu de succès retentissant. C’est un peu décevant. Qu’en pensez-vous?
M. Duerr : Nous ne sommes probablement pas les mieux placés pour en parler, mais, de façon générale — et M. Spady pourra vous en dire plus —, le Canada a la géologie nécessaire. Ce qui se passe, c’est qu’on invente un nouveau nom pour le captage et le stockage du carbone, et tout le monde s’intéresse à ces grands projets de plusieurs milliards de dollars. Les politiciens adorent cela. Ils vont à la CdP et aux grandes conférences sur le pétrole et le gaz, et tout le monde parle de ces grands projets.
En réalité, on ne peut pas faire de captage et du stockage du carbone n’importe où. Nous avons une géologie intéressante à cet égard dans l’Ouest canadien. Si un projet est réalisable, ce sera probablement dans l’Ouest canadien.
Il y a là de réelles possibilités. Le Canada a de l’expérience dans ce domaine. Il existe un certain nombre de petits projets. D’autres projets ont une plus grande envergure, comme le programme Quest CCS de Shell, qui existe depuis un certain temps. Les technologies sont meilleures aujourd’hui.
Ce n’est pas tant une question de technologie que d’analyse de rentabilisation. Certains membres de ma famille travaillent activement dans de grandes entreprises du domaine du captage et du stockage du carbone, et tout revient, en fait, à la question de la rentabilité. Peut-on faire en sorte que cela fonctionne? Dans le cas d’un grand projet, il faut absolument avoir la certitude, au moment de prendre ces décisions, que les règles applicables seront les mêmes dans 10 ou 20 ans.
Faute de quoi, tout ce qui a été mis en œuvre à l’époque, c’est le projet Quest CCS de Shell. Il a coûté 1,35 milliard de dollars, dont environ 1 million à la charge du gouvernement. C’était très expérimental à l’époque. C’était le premier grand projet, et le gouvernement a donc versé une subvention massive pour le lancer et en prouver la validité.
Il n’est pas nécessaire d’en faire autant, mais vous aurez besoin d’un degré de certitude concernant les règles applicables aux crédits et aux calculs. Ce sera nécessaire pour les contrats sur le carbone. Le Canada a le potentiel nécessaire. La géologie est meilleure au Canada que presque partout ailleurs. N’est-ce pas?
M. Spady : C’est vrai, mais je pense que c’est plus global. On peut en discuter, mais je dirais que, effectivement, nous avons à la fois l’infrastructure et la géologie.
La question du captage et du stockage du carbone est intéressante. J’étais sceptique il y a quelques années, car je me disais que c’était beaucoup d’argent, et pour quoi donc? Et puis j’ai appris, et je pense aujourd’hui que c’est tout à fait étonnant et que c’est l’avenir. Le Canada est absolument au premier plan. Le projet de barrage Boundary en Saskatchewan produit et réinjecte depuis des années. Nous avons environ 25 projets en cours en Alberta, depuis le projet Quest CCS jusqu’aux grands projets, en passant par Reconciliation Energy Transition Inc., ou RETI, qui est un groupe des Premières Nations à très petite échelle. Je crois que les Canadiens peuvent profiter de ces possibilités.
Les subventions sont là, et elles sont importantes, mais nous avons un système holistique. Certains pays ont aussi des activités de captage et du stockage du carbone. C’est le cas de la Norvège. L’Australie a de grandes entreprises affiliées à ses exportations de gaz naturel liquéfié, ou GNL, dans le Nord. Les États-Unis en ont une, mais nous avons probablement les antécédents les plus solides et les plus productifs. Ce que nous avons surtout, notamment en Alberta — et en Saskatchewan dans une moindre mesure —, c’est un système holistique. Nous avons les producteurs, les utilisateurs et le pipeline entre les deux.
Permettez-moi de vous donner des précisions. Dans la région d’Edmonton, il y a des cimenteries et des entreprises pétrochimiques qui produisent du carbone, et le stockage se fait dans ce centre industriel, mais il y a aussi un pipeline de transport de CO2, qui est une infrastructure qui a également nécessité du financement gouvernemental, et, enfin, il y a les utilisateurs le long de la ligne. Un producteur de 1 000 barils par jour dans le centre de l’Alberta peut obtenir du carbone de l’Alberta Carbon Trunk Line et inonder le sous-sol de son réservoir de façon très novatrice, parce qu’il existe un circuit commercial entre vendeurs, acheteurs et infrastructure. Nous avons une longueur d’avance. Aux Émirats arabes unis, on modélise ce que nous faisons ici pour élaborer certains projets. Premièrement, c’est beaucoup d’argent. Deuxièmement, c’est une technologie tout à fait unique qui englobe de multiples domaines d’activité, comme le ciment et les produits pétrochimiques.
Après avoir fait partie des réticents, je suis aujourd’hui un grand partisan du captage et du stockage du carbone. Il y a des années, en Alberta, nous avons investi beaucoup d’argent dans l’Alberta Oil Sands Technology and Research Authority et nous avons dépensé des millions de dollars pour développer cette idée folle de la séparation gravitaire stimulée par injection de vapeur ou SGSIV. De nos jours, beaucoup d’entreprises indépendantes rentables de l’Alberta utilisent ce procédé. C’est une technologie de premier plan parce que nous y avons investi beaucoup d’argent il y a 20 ou 30 ans. Je crois au captage et au stockage du carbone parce que je crois que, tout comme la SGSIV, c’est une technologie qui nous permet vraiment de profiter de ces possibilités si nous y réfléchissons de façon holistique.
Le président : Je pose la question à différentes personnes et j’obtiens des réponses différentes. C’est vraiment un bon moyen de savoir si j’obtiens une information valable.
Pour ce qui est du CO2par baril et de son efficacité, est-ce très bon? Est-ce égal à la Californie ou au Venezuela par rapport aux sables bitumineux? Dans quelle mesure ce pétrole est-il propre comparativement à beaucoup de nos concurrents américains, par exemple?
M. Spady : M. Duerr serait peut-être mieux placé que moi pour répondre à cette question. Parlez-vous du captage et du stockage du carbone ou de la production générale?
Le président : De la production générale.
M. Spady : Sur le plan de la production générale, nous sommes à l’avant-garde. Le produit à partir duquel nous travaillons en est un facteur. Le pétrole lourd, les sables bitumineux et la SGSIV, par exemple, seront un facteur d’émission plus élevé, mais nos procédés peuvent l’annuler. Ce type de pétrole, s’il était produit selon les méthodes d’un pays africain, par exemple, pourrait être commercialisé plus rapidement. Mais nous avons plus de normes, et le produit est probablement beaucoup plus propre. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais le produit est plus propre, absolument.
Vous avez donné l’exemple du Venezuela, et de quelques autres pays. Effectivement, c’est en raison de nos pratiques. Même nos amis américains — j’ai travaillé aux États-Unis durant à peu près le tiers de ma carrière — comptent 32 régions ou États producteurs de pétrole. Dans certains de ces États, comme la Pennsylvanie, par exemple, il y avait, à l’époque où j’y travaillais, 14 organismes de réglementation dans l’une des 32 administrations. Commencez à faire le calcul. Les directives viennent de partout.
Dieu merci, au Canada, nous avons généralement un organisme de réglementation par province, et les choses sont claires. Le résultat est plus propre, parce que les normes sont uniformes dans plusieurs ministères.
Le président : Compte tenu du coût supplémentaire que représente l’assainissement, pourrons-nous être concurrentiels dans 10 ans?
M. Spady : Oui.
Le président : Mettons de côté l’Arabie saoudite, bien entendu, mais qu’en est-il des autres concurrents? Est-ce qu’on dépense tout cet argent pour finir par s’apercevoir qu’il n’y a pas de marché?
M. Spady : Non. Nous sommes concurrentiels, absolument.
M. Duerr : Le prix payé sur le marché dépend de ce qu’on va faire du produit. Par exemple, un produit qu’il faut mettre à niveau à un certain coût pourra être vendu comme produit propre, et un rabais y sera associé. Cela entre en ligne de compte.
Une grande partie de notre pétrole, comme le pétrole lourd qui sort actuellement du Canada, va à Vancouver. Devinez où il aboutit? En Californie. La grande majorité se retrouve en Californie, et c’est là que se fait la transformation.
Peut-il être concurrentiel? Oui. Cela rejoint un peu la question que vous avez posée tout à l’heure. On constate que, sur les marchés mondiaux, on fait beaucoup d’efforts — et, à l’heure actuelle, c’est plutôt non réglementé — pour créer des facteurs d’émission qui traduisent la qualité des émissions associées à tel ou tel producteur. Tourmaline, en Alberta, voudra produire et pourra vendre un produit à un prix plus élevé parce que son facteur d’émission est plus faible. Un certain nombre d’entreprises font de même, et c’est la voie de l’avenir. Au final, c’est la voie de l’avenir. L’Union européenne va adopter ce genre de règlement. Si vous voulez y expédier du GNL, il va falloir vérifier que tous les éléments en amont — les émissions associées à la ventilation et au torchage, etc. — sont étayés par de la documentation. Ensuite, on peut vérifier que le produit répond à une norme, et on peut obtenir plus d’argent pour ce gaz. C’est ainsi que les choses commencent à se faire.
L’extrême variation des rapports d’une administration à l’autre est un autre facteur de complication. Il est difficile d’obtenir une très bonne base de référence. J’utilise toujours cet exemple, mais, pendant des années, on nous a parlé du pétrole sale de l’Union européenne en provenance de la Russie. J’y suis allé, je l’ai vu. Comment est-ce arrivé? Comment a-t-on pu laisser cela arriver?
Aux États-Unis, les administrations sont nombreuses. Certains États font un travail exceptionnel. Le Colorado en est un bon exemple. On y fait un travail remarquable, probablement plus qu’en Alberta et au Canada dans le domaine du méthane. Ce n’est pas le cas dans d’autres États. Il peut bien y avoir des règlements, mais si vous représentez l’Environmental Protection Agency au Texas, combien y a-t-il de producteurs indépendants?
M. Spady : On en compte 2 000 ou 3 000.
M. Duerr : Ils sont 2 000 ou 3 000. Aux États-Unis, c’est le propriétaire foncier qui détient les droits. C’est pratiquement le seul pays au monde où il en est ainsi. Ces règlements existent, mais leur application est une tout autre histoire.
En Asie centrale, il paraît que, quand on a appliqué une norme internationale aux facteurs d’émission de méthane, on a constaté qu’ils étaient 10 fois plus élevés que ce qu’on avait enregistré. L’AIE, l’Agence internationale de l’énergie, gardera le même facteur jusqu’à ce que les nouvelles données soient disponibles. C’est un peu compliqué, parce qu’il arrive souvent que ces chiffres ne soient pas exacts.
Certains pays s’en moquent complètement. Certains pays achètent encore du pétrole et du gaz russes pour toutes sortes de raisons, surtout parce que c’est bon marché et qu’ils en ont besoin. Mais les gros consommateurs exigeront de plus en plus de voir le certificat indiquant que le produit répond aux normes les plus élevées. C’est la voie de l’avenir.
Le président : Sauf que l’AIE a prédit que d’ici un an, ou au maximum deux ans, il y aura en fait — et pour la première fois — une réduction de la demande, parce qu’il y aura enfin un approvisionnement suffisant et des produits plus efficaces. Nous aurons moins besoin de pétrole et de gaz, si vous voulez.
Selon la théorie économique, quand on arrive à ce stade, à moins qu’un cartel n’ait été créé, la situation peut devenir difficile, parce que les joueurs sont nombreux, et c’est là que peut se produire une réduction importante du prix du pétrole et du gaz. Autrement dit, la concurrence pourrait être vive. Que pensez-vous de ces projections?
M. Duerr : Je ne suis pas expert et ne le prétendrai pas, mais il existe des préoccupations concernant l’AIE, même si elle fait de son mieux avec l’information dont elle dispose.
Selon nos projections, par exemple au sujet des voitures électriques au Canada, nos émissions de gaz à effet de serre seraient considérablement réduites parce que nous allons tous conduire des véhicules électriques, mais la question est de savoir comment on va y arriver? Il n’y a pas assez de production. Nous avons barré la route aux fabricants de voitures électriques les moins coûteuses. Ils sont frappés d’interdiction. Enfin, ce n’est pas une interdiction à proprement parler, mais une taxe massive. Alors, qui va s’en occuper? Qui va payer? C’est une merveilleuse aspiration, mais personne ne nous a expliqué comment on va y arriver à l’échelle internationale.
J’ai dit qu’il faut 13 à 14 ans — ce sont les chiffres qui m’ont été fournis — pour faire approuver une mine au Canada. Mon entreprise produit des moteurs électriques à haut rendement qui nécessitent des éléments de terres rares. Actuellement, la Chine détient 90 % des réserves de terres rares. Le Canada envisage de se lancer dans ce secteur d’activité. La Saskatchewan propose des projets en ce sens, mais il faudra attendre 10 ans avant que cette possibilité soit réalisable. Dans les faits, c’est une merveilleuse aspiration, mais il faut avoir de très bons chiffres sur lesquels s’appuyer, et personne nulle part ne peut me dire qu’il y a un chemin pour en arriver là.
Ma première réaction est d’être très sceptique à l’égard de ces chiffres absolus. Il y a aussi que toutes les autres entreprises intéressées examinent également ces chiffres. Elles ne vont pas investir dans quelque chose qui n’a pas d’avenir.
On nous a déjà dit que le bitume et les sables bitumineux sont un secteur voué à disparaître, parce que le pétrole de Terre‑Neuve-et-Labrador est beaucoup plus propre d’emblée. C’est vrai, mais il ne peut pas servir à faire des routes. Il ne peut pas servir à fabriquer beaucoup d’autres produits pétrochimiques issus du bitume, comme la fibre de carbone. On fait beaucoup de choses avec du bitume. Ce secteur va-t-il disparaître? Non. Il va évoluer. Il va changer.
Il faut simplement accepter le fait qu’il y a de l’incertitude en l’occurrence, mais ce secteur va continuer d’exister pendant longtemps. La question est de savoir comment faire en sorte qu’il soit le meilleur possible.
M. Spady : Je m’intéresse à l’AIE. J’aime bien lire l’information qu’elle diffuse. Son travail consiste à recueillir de bonnes données. Je connais des gens qui y ont travaillé et y travaillent, et je ne ferai donc pas de commentaires à ce sujet.
On y fait de bonnes recherches. J’ai tendance à équilibrer l’information de l’Agence avec les données du rapport mondial sur l’énergie de BP. L’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole publie également un bon document. Et, à Calgary, l’ARC Energy Research Institute est en train de produire de bonnes choses.
Même s’il est inquiétant qu’une fin ou un pic de la demande puisse entraîner une chute des prix, j’ai entendu toutes sortes de choses, et je m’inquiéterai donc un peu en temps et lieu. C’est ainsi que je l’envisage.
Le président : Merci beaucoup de vos exposés. Nous avons beaucoup appris. Nous vous remercions d’avoir partagé votre savoir. Merci beaucoup. Je remercie également mes collègues de leur participation aujourd’hui.
Notre prochaine réunion est prévue pour le mardi 29 octobre à 18 h 30. Nous recevrons le commissaire à l’environnement et au développement durable au sujet de son rapport intitulé L’Initiative Accélérateur net zéro du Fonds stratégique pour l’innovation — Innovation, Sciences et Développement économique Canada, publié au printemps 2024.
(La séance est levée.)