LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 31 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Paul J. Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
J’invite mes collègues du comité à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Galvez : Bonjour. Rosa Galvez, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Robinson : Bonjour. Mary Robinson, de l’Île‑du-Prince-Édouard.
Le sénateur D. M. Wells : Bonjour. Je m’appelle David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Youance : Bonjour. Suze Youance, du Québec.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
Le sénateur Fridhandler : Daryl Fridhandler, de l’Alberta.
Le président : Aujourd’hui, le comité a invité des témoins à comparaître dans le cadre de son étude spéciale sur le changement climatique, et plus particulièrement sur l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons David Dodge, conseiller principal, Bennett Jones s.r.l., ancien gouverneur de la Banque du Canada. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Dodge, et je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Une période de cinq minutes est réservée pour votre allocution d’ouverture. Elle sera suivie d’une période de questions.
La parole est à vous, monsieur Dodge.
[Traduction]
David Dodge, conseiller principal, Bennett Jones s.r.l. : Merci beaucoup, monsieur le président. C’est un immense plaisir d’être ici avec vous ce matin. Ma déclaration préliminaire sera très brève afin que nous puissions passer rapidement à la discussion.
J’aimerais commencer par faire remarquer qu’aujourd’hui et d’ici le milieu du siècle, le monde, et nous, au Canada, devrons gérer quatre changements sans précédent qui modifieront en profondeur la structure de notre économie et notre société.
Nous sommes confrontés au vieillissement de la population. Nous devons faire face à l’éclatement d’un ordre commercial mondial qui a toujours été très favorable au Canada, mais qui, semble-t-il, ne le sera pas vraiment à l’avenir. Nous devons affronter le passage à l’économie numérique, à l’intelligence artificielle et aux nouvelles technologies. Enfin, tant à l’échelle mondiale qu’au Canada, nous devons faire une transition énergétique pour lutter contre les changements climatiques.
Il s’agira de véritables défis pour nous tous. Tous ces changements fondamentaux obligeront les ménages, les entreprises et les gouvernements canadiens à travailler ensemble à l’adaptation et à la croissance de notre économie afin de garantir un meilleur niveau de vie à l’approche du milieu de ce siècle.
Votre comité a un rôle essentiel à jouer qui consiste à fournir des conseils sur la manière dont les Canadiens peuvent s’attaquer au quatrième élément de ces changements fondamentaux — la transition énergétique.
J’espère que mes observations de ce matin vous aideront dans votre examen des questions relatives à la gestion de la transition énergétique. Le Canada peut jouer un rôle important dans la transition mondiale et, en fin de compte, dans l’avènement d’un monde carboneutre. Or, pour réussir cette transition, il faudra investir massivement dans notre système énergétique au cours des prochaines décennies : en amont, dans la production d’énergie à partir de combustibles fossiles plus propres et de nouvelles énergies renouvelables; et en aval, dans une utilisation plus efficace de l’énergie par les entreprises et les ménages pour le transport, la production et les bâtiments.
Au cours de la transition, il faudra augmenter la part du revenu national consacrée à ces investissements. Bien que la plupart des capitaux supplémentaires pour financer ces investissements devront provenir d’entreprises, un financement public sera nécessaire à la fois pour fournir des investissements publics complémentaires et pour stimuler le financement privé. Il sera moins difficile de fournir ce financement si la transition est gérée de manière à maintenir une croissance rapide de l’économie, tant par l’augmentation de la productivité que par le maintien d’un niveau élevé d’exportations génératrices de revenus.
Pour augmenter la productivité, les entreprises et les gouvernements doivent se concentrer sur deux choses : premièrement, sur les investissements qui permettent d’obtenir le meilleur rendement du capital à long terme — pas nécessairement la plus forte augmentation du nombre d’emplois dans le secteur de la construction aujourd’hui; deuxièmement, sur les exportations qui génèrent la plus grande part de la rente économique pendant la transition.
Pendant la transition, le Canada peut s’appuyer sur sa capacité à être un exportateur fiable d’hydrocarbures produits de manière responsable et, avec le temps, à s’orienter vers l’exportation de technologies énergétiques propres et de services liés à l’énergie propre que nous allons concevoir au cours de la transition.
Je voudrais souligner que les exportations de produits énergétiques ont généré 212 milliards de dollars en 2022 et qu’elles continuent de générer des bénéfices importants qui doivent être maintenus et augmentés. Ces exportations contribuent de manière essentielle à notre capacité à financer l’investissement et donc à accélérer notre propre transition énergétique au pays.
Sénateurs, je vous remercie beaucoup de votre attention. Je serai heureux d’en dire plus au cours de la discussion à venir.
Le président : Merci, monsieur Dodge.
Le sénateur D. M. Wells : Monsieur Dodge, je vous remercie de revenir devant le comité. Vous avez parlé des changements démographiques, des changements climatiques et des transitions qui s’opèrent à l’échelle mondiale. Nous savons tous qu’il existe un consensus mondial sur les changements climatiques et je voulais donc en parler, bien sûr, dans le cadre de notre étude sur l’industrie du pétrole et du gaz.
Parmi les principales industries du pays — et le Canada est une nation industrielle en ce qui a trait aux secteurs de l’agriculture, de l’exploitation minière, de la foresterie et de la fabrication industrielle —, quelle est, selon vous, la place du secteur pétrolier et gazier dans les efforts déployés pour que la situation économique du Canada soit forte dans le futur? Au cas où quelqu’un se pose la question, je parle à la fois de la côte Est et de la côte Ouest.
M. Dodge : Ensemble, les secteurs minier, pétrolier et gazier représentent environ 7 % de l’économie canadienne. Ces industries représentent une part plus importante de notre économie que dans le reste du monde — bien plus importante qu’aux États-Unis, par exemple, où elles ne représentent qu’un peu plus de 1 % de l’économie américaine. Ce sont des industries absolument cruciales pour nous.
Ensuite, je voudrais souligner que la productivité des travailleurs des secteurs minier, pétrolier et gazier est très élevée. En dollars de 2007, la productivité dans l’industrie pétrolière et gazière représente environ un peu plus de 220 $ par personne. À titre de comparaison, dans l’industrie manufacturière, elle s’élève à environ 70 $ par personne, et dans le secteur des services, à un peu moins de 40 $ par personne.
En ce qui concerne la génération de revenus pour les Canadiens, c’est une industrie cruciale et il est absolument essentiel que la productivité de cette industrie continue à croître et que nous continuions à jouer un rôle important dans la transition mondiale, en particulier à court terme, par l’exportation de gaz — en partie de pétrole, mais surtout de gaz —, et à moyen terme, par l’exportation des technologies et des services que nous concevons au pays dans le cadre de cette transition.
Le sénateur D. M. Wells : Merci, monsieur Dodge. Vous avez parlé d’exportations qui génèrent des revenus. L’industrie pétrolière et gazière est certainement importante à l’échelle nationale sur ce plan : des produits avec le meilleur rendement du capital et des exportations qui peuvent générer la plus grande part de la rente et un rendement important par rapport aux emplois.
Parmi les principales industries dont nous avons parlé, où classeriez-vous celle du pétrole et du gaz?
M. Dodge : La seule autre industrie qui, du point de vue de la production par travailleur, génère quelque chose de comparable à ce que génère l’industrie pétrolière et gazière est en fait celle de la finance et de l’immobilier, ainsi que l’ensemble du secteur des services financiers. Je devrais être un peu plus prudent. Il existe également des éléments très spécifiques ailleurs dans l’économie, mais si l’on pense aux principales industries, aucune ne génère autant de revenus que celle du pétrole et du gaz par rapport aux efforts que les Canadiens y investissent.
Et cette situation va durer. On peut s’attendre à ce que le prix réel du pétrole diminue quelque peu au fil du temps, mais la marge est tellement plus importante aujourd’hui. La marge est si grande aujourd’hui que malgré cette baisse, ces industries resteront très importantes à l’avenir.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de votre présence, monsieur Dodge. J’aimerais reprendre les propos d’Andrew Leach, professeur à l’Université de l’Alberta, qui est venu témoigner ici au sujet de la transition. Vous dites que pour financer la transition, il faut continuer à exporter, comme nous le faisons — et, en fait, nous produisons de plus en plus de pétrole. C’est ce que j’ai compris. Cependant, M. Leach souligne que parier sur l’augmentation de la demande de pétrole revient à parier sur un monde qui n’agira pas pour contrer les changements climatiques.
Devrions-nous donc aller un peu plus vite? Il est évident que le monde est aujourd’hui menacé par les changements climatiques. L’idée de maintenir cet équilibre pour ne pas « souffrir » est difficilement conciliable avec celle de prendre soin de la planète.
M. Dodge : Je considère la période allant jusqu’aux années 2040 comme la période de transition. Au cours de cette transition, on peut s’attendre à ce que le monde remplace rapidement le charbon, et on peut l’espérer, et qu’il en remplace une partie par du pétrole et du gaz, en particulier par du gaz importé de chez nous, des États-Unis ou du Moyen-Orient.
Il est très important de comprendre qu’il y a une courbe ici : il y a un marché qui restera vigoureux jusqu’à la fin de la présente décennie et jusqu’aux années 2030, mais il va ensuite décliner. Il est important de tirer parti de cette période, car les exportations génèrent une rente importante. Nous pouvons ensuite utiliser cette rente au pays pour financer et accélérer la transition, ce qui suppose d’énormes investissements dans la production d’électricité à partir de sources qui génèrent moins de gaz à effet de serre, ainsi qu’une forte hausse dans le transport de l’électricité.
Je pense que c’est ce qui doit se passer et nous devons trouver un moyen de prendre les rentes générées par l’exportation du gaz et du pétrole et de les convertir en une production efficace, qu’il s’agisse de nouveaux types de production ou davantage d’hydroélectricité ou de nucléaire. Or, nous devons ensuite développer la capacité de transport. Il faudra donc investir massivement à mesure que nous réduirons la quantité de pétrole et de gaz que nous utilisons pour les transports, les bâtiments et la production industrielle.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai seulement une autre question à vous poser, brièvement. D’après vous, l’industrie pétrolière investit-elle suffisamment dans les énergies de remplacement et les énergies vertes? Je sais qu’elle investit dans la capture du carbone. Le gouvernement investit également dans ce domaine. Or, en ce qui concerne la transition vers autre chose, pensez-vous que l’industrie pétrolière fait sa part d’investissements? À l’heure actuelle, la production et les bénéfices augmentent — je crois que c’est le cas. Alors que fait‑elle de ces excédents? Devrait-elle investir dans l’énergie verte?
M. Dodge : La réponse est que certains le font. Certaines entreprises ont choisi cette voie. D’autres entreprises distribuent les bénéfices. Une partie nous revient, au gouvernement, par les impôts et les redevances, et une autre partie est distribuée puis réinvestie par d’autres entreprises dans des formes plus écologiques de production d’énergie et par les services publics. C’est très important : les services publics de production et de transport d’électricité. En raison de notre demande d’électricité pour remplacer le pétrole et le gaz comme carburants et pour remplacer le gaz en particulier dans la production d’électricité, nous devons faire ces investissements.
Ce ne sont pas nécessairement les entreprises qui produisent du pétrole et du gaz qui investiront le plus dans les énergies vertes, mais elles génèrent des économies grâce à la distribution des profits qui permettent à d’autres entreprises de faire ces investissements.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
M. Dodge : Concernant le point que vous avez soulevé, sénatrice, la plupart de ces efforts viendront en fait du secteur privé. Dans le secteur public, nous devons aider à cet égard sur le plan des investissements complémentaires que nous faisons et des mécanismes de financement et de la manière dont nous permettons aux choses de fonctionner de sorte que l’on investisse dans la production et la distribution d’énergie verte.
La sénatrice Galvez : Merci, monsieur Dodge. C’est un plaisir de parler des aspects économiques du secteur pétrolier et gazier. Bien que je sois d’accord avec vous sur votre vision ultime, je pense que tout se joue dans les détails. Vous parlez de la transition, mais nous devons dire quand elle débute et quand elle se termine. Sinon, nous serons en transition permanente.
Je reviens tout juste de la COP 16. Il y a été question, entre autres, du financement de la protection du climat et de la nature. On dit que nous sommes à 0,0001 % du financement qui est nécessaire pour mener et financer la transition. Le Canada n’est pas la Norvège. La Norvège a un fonds souverain qui lui permet de donner 1 milliard de dollars au Brésil pour l’aider dans sa transition et la protection de la forêt.
La forêt amazonienne et les forêts boréales sont en train de devenir des productrices de carbone. Elles ne sont plus des puits de carbone.
Notre économie, nos banques et nos compagnies d’assurances investissent 4 $ dans les combustibles fossiles et seulement 1 $ dans les énergies renouvelables, alors que ce devrait être l’inverse. Parallèlement, le gouvernement leur accorde entre 15 et 20 milliards de dollars de subventions par année.
Comment résoudre le problème? Vous dites que le secteur privé devrait en faire plus, mais la transition est censée être un marathon. Présentement, c’est un sprint parce que nous sommes tous pressés. Que faut-il faire pour orienter les investissements vers les énergies renouvelables, l’électrification et le transport que vous préconisez, au lieu de continuer à fonctionner comme d’habitude?
M. Dodge : Il y a deux questions : tout d’abord, la structure de financement ordinaire. Mon successeur à la Banque du Canada, Mark Carney, a beaucoup parlé de ce qu’il faut faire sur le plan de la structure et des incitatifs nécessaires à cet égard. Le problème ne se pose pas seulement ici, au Canada; il se pose dans le monde entier.
Il y a des choses dans le secteur financier, dans la structure, qui peuvent aider, mais fondamentalement, si nous attendons des entreprises qu’elles fassent le travail, alors les entreprises doivent s’attendre à ce que leurs investissements dans ces secteurs soient payants. C’est important. Nous tournons souvent en dérision l’incitation au profit, mais c’est absolument essentiel à cet égard. Cela signifie que nous devons chercher à augmenter le rendement de ces investissements dans la production et le transport d’énergie propre.
L’un des éléments importants à ce sujet est, bien sûr, la façon dont nous réglementons les prix de l’électricité. À l’heure actuelle, la manière dont nous le faisons est telle que l’organisme de réglementation ne tient pas compte, lorsqu’il fixe les prix, de la nécessité d’investir à l’avance afin de fournir de l’électricité à l’avenir. C’est un problème parce que l’investisseur — l’entreprise — doit envisager les bénéfices générés, mais si les prix de l’électricité issue de la production verte sont maintenus à un niveau peu élevé, le profit possible est moindre, certainement à court terme; il est négatif.
Lorsque l’on pense à l’ensemble des mesures à prendre, il y a des choses à faire dans le secteur financier en tant que tel. Il y a des choses dans le secteur de la réglementation qui sont importantes lorsqu’il s’agit de générer des attentes de profit qui rendront les investissements possibles.
Enfin, il y a la question de savoir quelle sera la réduction appliquée à l’avenir. Nous envisageons une période où les taux d’intérêt seront assez bas et, par conséquent, compatibles avec l’idée d’investir aujourd’hui.
Il n’y a pas qu’une seule chose, sénatrice, à cet égard, qui suscitera cette attente très importante selon laquelle, dans le secteur privé, on peut gagner de l’argent en investissant dans la bonne chose.
La sénatrice Galvez : J’ai une autre brève question à poser. Vous savez certainement que le Canada est maintenant touché par deux ou trois phénomènes météorologiques extrêmes chaque année, le dernier étant l’incendie dans le parc de Jasper, dont le coût a atteint un milliard de dollars la semaine dernière. Pensez‑vous que l’année prochaine, le Canada aura l’argent nécessaire pour faire face à deux ou trois autres phénomènes météorologiques extrêmes dont le coût est comparable? Qui devrait payer pour cela?
M. Dodge : Nous allons tous payer d’une manière ou d’une autre.
Regardons ce qui se passe dans le secteur financier. L’assurance est un élément absolument essentiel pour déterminer où l’on investit. Nous constatons que les primes d’assurance pour le logement et l’industrie ont augmenté de façon spectaculaire. Cela incite les entreprises à s’installer dans un endroit où le risque lié aux changements climatiques est moindre. En outre, parce que les primes d’assurance ont augmenté, cela incite fortement à investir dans la bonne chose, en ce qui concerne tant les mesures d’atténuation que la production d’énergie.
Il y a un certain nombre de composantes ici, mais nous ne voulons pas oublier l’importance des primes d’assurance. Le fait de devoir payer pour cette assurance influe sur l’endroit où l’on investit et oriente certainement les prêteurs lorsqu’ils détermineront à qui ils sont disposés à prêter de l’argent.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie, monsieur Dodge, de nous faire profiter de votre expertise aujourd’hui. Je vous suis reconnaissant de votre présence. Mes questions ressemblent à celles de mes collègues. Nous avons entendu, au sein de notre comité, que l’infrastructure électrique du Canada doit doubler d’ici sept ans. Cela nécessitera un investissement massif pour répondre à la demande prévue.
Dans ma province, soit la Saskatchewan, SaskPower a estimé que nous avions besoin de quatre réacteurs modulaires, qui coûtent environ 5 milliards de dollars chacun. Il faut également 10 ans pour les mettre en service. Nous avons une société d’État en Saskatchewan.
Les investissements ont besoin de certitude, et des décisions doivent probablement être prises aujourd’hui pour atteindre les objectifs et les attentes dans 10 ans. Vous avez souligné un certain nombre de questions difficiles et épineuses.
Les politiques publiques évoluent-elles assez rapidement pour que le secteur privé puisse réaliser les investissements dont vous parlez? J’ai l’impression que ce n’est pas le cas et que la politique publique accuse du retard et entrave la prise de décisions par le secteur privé ou, par exemple, par les sociétés d’État dans ma province.
Quels seraient vos conseils sur la manière d’aborder ces questions difficiles et sur la manière d’avoir le financement nécessaire?
M. Dodge : Oui. Notre pays avance-t-il assez rapidement dans ce domaine? La réponse est non. C’est en partie parce que le coût d’une évolution rapide nécessiterait de détourner une part plus importante de notre revenu national de la consommation vers l’investissement.
Cela signifie que nous devrons payer un prix, pour le moment, sous la forme d’une réduction — ou du moins certainement pas d’une augmentation — de la consommation, afin de nous assurer que nous réalisons des investissements qui nous permettront de compter sur le renforcement de la capacité d’avoir des revenus à l’avenir.
Nous sommes tous un peu myopes à cet égard. Nous avons tendance à actualiser les revenus futurs plus fortement que les taux d’intérêt que nous avons sur le marché. C’est vrai dans le secteur public comme dans le secteur privé, et c’est tout à fait vrai au sein des ménages.
Dans ce cas, comment pouvons-nous collectivement, au sein des entreprises, des gouvernements et des ménages, arriver à comprendre que nous devons endurer une certaine douleur à court terme — je parlerai de « douleur » parce que c’est un mot qui a déjà été utilisé — ou une réduction à court terme de notre consommation, afin de libérer des ressources pour l’investissement dans l’avenir? Dans un certain sens, cela signifie que nous, au sein de nos ménages, devons comprendre cela et que nous devons souhaiter que les entreprises augmentent l’utilisation de leurs bénéfices non répartis à des fins d’investissements, et qu’ils ne nous soient peut-être pas entièrement redistribués à nous, les particuliers. C’est un changement de mentalité difficile auquel nous devons parvenir.
Si on passe ensuite à l’aspect de la politique publique, ce que cela signifie réellement, une fois encore, c’est que les gouvernements, tant fédéral que provinciaux — et, de manière importante, locaux —, ont également un rôle à jouer à cet égard. Ils devront réduire leurs promesses publiques en ce qui concerne les services et les transferts actuels qu’ils prévoient fournir, afin de libérer des ressources pour réaliser les investissements qui porteront leurs fruits et se traduiront par des revenus plus élevés pour les citoyens à l’avenir. Pour l’instant, cela signifie qu’il faudrait modifier la structure des dépenses des gouvernements et la manière dont ils collectent l’argent. C’est très difficile.
Le sénateur Arnot : C’est très difficile, n’est-ce pas? Sur le plan politique, c’est difficile…
M. Dodge : Eh bien, oui. Sur le plan politique, cela peut être difficile ou facile en fonction de la manière dont le public comprend ce qu’il faut faire. Si le public peut mieux comprendre ce qu’il faut faire, par exemple, investir maintenant pour avoir des revenus plus élevés à l’avenir, alors les gouvernements auront la permission d’agir en ce sens.
Nous écrivons beaucoup sur ce sujet. Les derniers rapports que nous avons réalisés chez Bennett Jones, par exemple, insistent sur ce point. Mon travail consiste à tenter de mieux faire comprendre au public ce qu’il faut faire pour permettre aux autorités politiques d’agir de la manière dont nous avons besoin.
Je dirais que les autorités politiques ont l’importante responsabilité d’être honnêtes et directes avec le public quant aux enjeux auxquels nous faisons face. Ce n’est pas facile. Les enjeux complexes sont toujours difficiles, et il est donc difficile de trouver un aphorisme, ou une courte phrase, pour les décrire.
Nous devons donc essentiellement faire les investissements nécessaires aujourd’hui et accepter la douleur à court terme sur le plan de la réduction de la consommation, afin d’avoir l’assurance à long terme que nous pourrons continuer à augmenter nos revenus pour nous-mêmes dans deux décennies, ainsi que pour nos enfants et nos petits-enfants. Telle est la tâche à accomplir. C’est la raison pour laquelle je dirais que la politique publique est si difficile, car l’électorat ne comprend pas clairement la situation dans laquelle nous nous trouvons et ce qu’il faut faire pour l’avenir.
Le sénateur Arnot : C’est une observation importante dont nous avons déjà parlé. Le manque de compréhension de la part du public est un véritable obstacle pour aller de l’avant et pour mobiliser les Canadiens afin qu’ils appuient ce changement. Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie d’être venu ici et de nous avoir transmis vos connaissances et votre sagesse. J’aimerais aborder la question des Premières Nations.
Sur papier, le Canada souscrit à l’objectif du développement durable, c’est-à-dire un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins. Cette notion comprend trois volets essentiels, soit l’impératif écologique, qui consiste à vivre en respectant les limites physiques de la Terre, l’impératif social, qui consiste à mettre en place des systèmes de gouvernance démocratiques qui protègent et respectent les droits de la personne fondamentaux, et l’impératif économique, qui consiste à veiller à ce que les besoins et les aspirations des êtres humains puissent être satisfaits dans le monde entier.
La nature n’est pas une corne d’abondance illimitée avec des forêts, de l’eau, des réserves de pétrole et de gaz et d’autres ressources naturelles sans fin, et elle n’a pas une capacité infinie à absorber la pollution et les déchets. Lorsque je considère les effets cumulatifs du pétrole, du gaz et de l’hydroélectricité... L’hydroélectricité fait partie du problème dans la vie des Premières Nations parce que toutes ces industries d’extraction des ressources génèrent des effets négatifs et des ravages là où elles exercent leurs activités d’extraction.
L’activité humaine est liée à ces effets cumulatifs. Ainsi, lorsque nous examinons de nouvelles activités humaines susceptibles d’aggraver les effets cumulatifs, de rendre l’environnement vulnérable pour les habitants de la région et de détériorer l’eau, la terre et l’air — et nous nous sommes penchés sur cette question —, nous constatons qu’une grande partie du problème se concentre sur les Premières Nations.
L’été dernier, nous sommes allés en Alberta et nous avons examiné les lieux de travail de Suncor. L’entreprise a maintenant d’énormes véhicules pilotés par l’intelligence artificielle et elle utilise non seulement du pétrole, mais aussi du gaz naturel et de l’électricité pour les alimenter, car l’intelligence artificielle a besoin de beaucoup d’énergie. Les véhicules pilotés par l’intelligence artificielle fonctionnent 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et 365 jours par année. Cela signifie une diminution des besoins en matière d’emploi.
Cela aura encore plus d’effets catastrophiques sur la terre, l’eau et l’air. Selon vous, quelle est la place du développement durable dans ces débats économiques? Pensez-vous que le développement durable est essentiel?
M. Dodge : La préservation de l’environnement dans lequel nous vivons est absolument essentielle. Bien entendu, il est également essentiel de mener nos activités de manière à faciliter cette préservation. Ce que vous entendez par « développement durable », c’est la durabilité au sens de l’environnement global. Cela signifie que dans le cadre de l’évaluation des activités des industries extractives, il est absolument essentiel de tenir compte de la remise en état et de la restauration de l’environnement, qu’il s’agisse de l’environnement physique ou de l’environnement aquatique dans lequel ces activités sont menées. Dans notre pays, lors de l’évaluation d’un investissement, nous n’avons pas toujours insisté pour qu’une attention suffisante soit accordée à l’impact de cet investissement sur l’environnement.
Il existe un certain nombre de cas à l’échelle du pays. Nous pouvons le constater, par exemple, en Alberta, où nous devons maintenant demander aux municipalités et au gouvernement provincial de fournir l’argent qui aurait dû être mis de côté par les entreprises de forage lorsqu’elles ont exercé leurs activités. Il est important que la structure juridique et réglementaire que nous mettons en place soit telle qu’elle oblige les gens à prendre en compte ces coûts lorsqu’ils réalisent des investissements.
Nous n’avons pas toujours été très diligents à cet égard. Il se peut également que nous n’ayons pas reconnu la nature de certains de ces coûts. Il est difficile d’effacer le passé, mais il sera très important de tenir compte de tous ces éléments à l’avenir.
Toutefois, ce faisant, nous devrons être clairs et nous devrons offrir aux investisseurs un certain degré de certitude quant à ce que nous, les membres du public, attendons d’eux. Il est nécessaire d’offrir une certitude quant aux attentes à l’égard des investisseurs et des producteurs. Ce n’est pas seulement que nous n’avons pas établi ces choses de façon aussi définitive que nous aurions dû le faire dans le passé, mais aussi que nous n’avons pas très clairement exprimé nos attentes. Nous laissons les producteurs dans l’incertitude quant à ce qu’ils doivent faire.
Cette incertitude, en soi, décourage l’investissement. L’investisseur ne se rend peut-être pas compte qu’il doit être prêt à constituer des réserves pour effectuer des travaux de remise en état, etc. Toutefois, s’il connaît les règles, il peut exercer son jugement.
Si ces règles ne sont pas claires et si nous continuons à les modifier, l’incertitude sera trop grande et les investisseurs ne se lanceront pas dans l’aventure en premier lieu.
Ce sont des questions difficiles à traiter, mais nous devons offrir un certain degré de certitude et mettre en place des régimes de surveillance et de réglementation qui indiquent clairement les attentes à cet égard.
C’est ce que nous pouvons faire dans le secteur public. Je ne pense pas que ce soit facile, mais nous pouvons faire mieux qu’auparavant. Nous ne voulons certainement pas créer une plus grande incertitude quant à la manière dont ces questions seront traitées à l’avenir.
La sénatrice McCallum : J’ai une autre question pour faire suite à celle de la sénatrice Galvez. Qui devrait être responsable des pertes non assurées et non assurables attribuables aux incendies de forêt et aux phénomènes météorologiques extrêmes que subissent les Premières Nations et les peuples autochtones dans le Nord en ce qui concerne l’infrastructure et l’équipement utilisés pour la pêche et le piégeage dans le cadre de la promesse issue d’un traité de la Couronne pour la chasse et la pêche à des fins de subsistance?
Ce n’est pas seulement à cause des phénomènes météorologiques naturels extrêmes, mais aussi des sociétés d’extraction. Elles sont en train de perdre cette capacité. Dans le cadre d’une entrevue, un aîné de Fort McKay a déclaré que le pétrole est arrivé et a ravagé leur culture et leur mode de vie, et qu’ils doivent maintenant travailler avec les sociétés pétrolières parce qu’elles sont là.
Lorsque les réserves de pétrole auront disparu, nous n’aurons plus notre mode de vie naturel et nous n’aurons plus de pétrole. Que nous restera-t-il?
M. Dodge : La réponse, c’est que nous allons tous devoir changer. Le changement n’est pas facile. Vous avez parlé d’un changement précis, mais à mesure que nous avançons dans le monde dans lequel nous vivons confortablement et auquel nous nous adaptons, nous devrons tous faire des changements. Ces changements ne seront pas faciles, que ce soit pour les gens qui vivent dans les environs de Fort McKay ou pour ceux, comme nous, qui vivent en ville et qui devront adapter leur mode de vie pour mieux traiter notre environnement. Nous devrons tous nous adapter, car c’est essentiel.
Nous ne pouvons pas modifier le passé. Votre première question portait sur le fait que nous n’avons pas fourni, autrefois, des ressources pour indemniser les personnes qui ont ensuite été touchées par un phénomène inattendu lié au changement climatique. Est-ce que cette responsabilité incombe au secteur public? Le secteur public devrait s’en charger en partie, mais puisque nous avons tous collectivement pris des décisions dans le passé, nous devrons aussi tous accepter une partie du coût de ces décisions.
À l’avenir — c’est la raison pour laquelle j’ai soulevé plus tôt la question de l’assurance dans le cadre du système financier —, s’il existe effectivement des coûts potentiels élevés, il ne sera pas possible d’obtenir une assurance. Le fait que ces activités ne soient plus assurables — ou qu’elles ne le soient qu’à un prix extrêmement élevé — sera un signal que nous ne devrions pas les entreprendre.
Nous disposons d’un système financier qui, dans l’ensemble, crée les mesures incitatives appropriées pour faire les choses correctement. Lorsque des erreurs ont été commises dans le passé et que nous avons dû rectifier la situation, il a fallu tenter de déterminer si c’était les particuliers ou l’entreprise ou nous-mêmes, collectivement, par l’entremise de nos gouvernements, qui doivent offrir une indemnisation.
Il s’agit là d’une série de décisions difficiles en raison de nos actions antérieures. Je pense que nous disposons de mécanismes pour faire face à ces situations et que nous devrions les utiliser à l’avenir.
Le président : À titre de rappel, il nous reste neuf minutes et nous devons nous en tenir au temps imparti. Il reste trois intervenants sur la liste pour la première série de questions. Si vous pouviez faire en sorte que les questions soient brèves et les réponses encore plus brèves, je vous en serais très reconnaissant.
Le sénateur Fridhandler : En attendant l’utopie qui consistera à atteindre l’objectif de carboneutralité, où les sables bitumineux contribueront à des développements technologiques importants et où les Canadiens dans leur ensemble réduiront leur consommation d’hydrocarbures de telle sorte que nous aurons atteint nos objectifs nationaux, nous disposerons toujours d’une importante infrastructure en matière d’hydrocarbures. Nous venons tout juste d’achever le pipeline de Trans Mountain. Nous exportons de grandes quantités de nos hydrocarbures. Nous en avons probablement encore besoin pour faire tourner notre économie.
Devrions-nous permettre aux sociétés pétrolières et gazières d’extraire et d’exporter nos hydrocarbures tout en laissant le reste du monde se préoccuper de la situation pendant que nous soutenons notre économie? Qu’en pensez-vous? M. Rich Kruger, en se concentrant sur la production et non plus sur ses efforts en matière d’énergie renouvelable en parallèle au secteur pétrolier et gazier conventionnel, fait-il preuve de clairvoyance?
Le président : M. Rich Kruger est le président-directeur général de Suncor, n’est-ce pas?
Le sénateur Fridhandler : Oui, c’est le président-directeur général de Suncor.
M. Dodge : Je pense que les entreprises devraient se concentrer sur leurs points forts et leurs réussites. Le débat actuel au sein des sociétés pétrolières du monde entier, par exemple Shell, BP, etc, porte sur la question de savoir si ces entreprises sont dans le secteur du pétrole et du gaz ou dans le secteur de l’énergie en général, et si elles évoluent dans un cadre beaucoup plus vaste.
Il est tout à fait normal que certaines entreprises affirment qu’elles veulent diversifier leurs activités et jouer sur tous les tableaux, car cette diversité signifie qu’elles continueront d’exister lorsqu’un secteur précis de leurs activités s’effondrera.
Par ailleurs, une entreprise peut également décider de se concentrer sur les activités qu’elle réussit bien et efficacement dans son secteur, tout en sachant qu’elle devra réduire, voire cesser ses activités, au fil du temps. Ce sont des décisions d’entreprises légitimes qui sont prises en fonction de la plus grande contribution qu’elles pensent pouvoir apporter.
Je ne crois pas qu’il est juste de penser que les sociétés pétrolières et gazières devraient se concentrer sur tout le reste plutôt que sur leurs activités traditionnelles, mais si elles décident de se concentrer uniquement sur leurs activités traditionnelles, elles généreront des économies pour le reste de l’économie qui seront mises à profit par des entreprises qui utiliseront ces ressources plus efficacement dans d’autres domaines.
Je ne pense pas qu’il serait nécessairement bon que toutes les entreprises pétrolières et gazières se lancent dans les énergies vertes. Cela n’est pas forcément logique, mais de manière générale, ce dont nous avons besoin, c’est d’investissements dans la production et la distribution d’énergies vertes.
[Français]
La sénatrice Verner : Vous étiez en train de répondre à ma question grâce à celle qui a été posée par mon collègue. Je voulais revenir aux objectifs de l’étude, notamment la pertinence de l’industrie pétrolière et gazière pour notre économie et nos finances publiques.
On a constaté, au fil de cette étude, que bien des Canadiens sous-estiment la part très importante de cette industrie sur le plan des emplois, et surtout des retombées fiscales. Je vous ai bien entendu lorsque vous avez dit que les investissements que ces retombées fiscales pourraient nous donner pourraient être remis dans des énergies plus propres.
Comme ancien sous-ministre des Finances et ancien gouverneur de la Banque du Canada, trouvez-vous inquiétant le fait qu’il y ait aussi peu de conscientisation par rapport à ce que l’industrie nous permettrait de faire si on concentrait les retombées fiscales dans d’autres types d’énergie?
[Traduction]
M. Dodge : Oui, dans d’autres types d’énergies et aussi dans d’autres types d’activités qui génèrent de véritables revenus pour le Canada. Je crois que c’est l’élément fondamental.
Sénatrice, j’aimerais revenir sur une chose. Vous avez parlé des emplois. Si nous voulons survivre dans ce pays, et puisque nous vieillissons et que la main-d’œuvre est appelée à diminuer, il faudra réfléchir à des manières d’augmenter la productivité des travailleurs.
Il faut miser sur la capacité de ces activités de générer de véritables revenus et sur les incitatifs que nous offrons. Il ne suffit pas de dire qu’il y aura des emplois pour tout le monde. Il faut accroître l’efficience des travailleurs afin que les revenus dont la plupart de nous, qui sommes plus âgés, auront besoin soient générés par un plus petit nombre de travailleurs. La proportion des personnes âgées ira en augmentant.
Il incombe de se focaliser davantage sur la génération de revenus plutôt que sur la création rapide d’emplois. Cela me semble important. Cette perspective est fort différente de ce qu’on entend dans le discours politique général, ici et dans de nombreux autres pays occidentaux.
Le président : Monsieur Dodge, nous discutons de sujets assez complexes. Il y aura beaucoup de décisions difficiles à prendre. Ce que l’on observe actuellement au Canada, c’est que si l’on consomme du dioxyde de carbone ou que l’on n’a pas de voiture électrique, on est perçu comme étant une mauvaise personne. Cela fait très mal paraître l’industrie, et, par conséquent, celle-ci est sur la défensive.
Si vous étiez ministre et que vous disposiez d’une minute à la télévision pour expliquer à votre industrie pourquoi elle devrait investir, quels mots simples et convaincants utiliseriez-vous? Nous avons posé cette question au ministre. C’est compliqué. Nous ne réussissons pas à communiquer avec les Canadiens. Que diriez-vous aux Canadiens en quelques mots pour les convaincre?
M. Dodge : Il faut être honnête. Nous devrons consacrer une plus grande part de nos revenus à des investissements qui généreront des revenus plus tard. Voilà ce qui nous attend dans les quatre domaines dont je vous ai parlé. Nous ne parlons que de la transition énergétique aujourd’hui, mais les quatre domaines nécessitent ce genre d’état d’esprit. Nous devons réfléchir aux moyens d’augmenter le potentiel d’une petite partie de la population, qui constituera la main-d’œuvre dans l’avenir, et voir comment nous pouvons augmenter sa capacité de produire des revenus pour nous tous. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les travailleurs absorbent tous les coûts.
Nous ne pouvons pas demander aux travailleurs d’accepter des revenus moindres afin de soutenir les personnes âgées. Nous devons investir de manière à accroître la capacité des travailleurs à générer des revenus. Voilà ce dans quoi nous devrions investir nos efforts.
Comme vous l’avez dit, monsieur le président, ce n’est pas facile. C’est compliqué, alors il est d’autant plus important d’être dans le bon état d’esprit. À dire franchement, il ne s’agit pas de créer des emplois pour tous les travailleurs aujourd’hui, mais de créer des revenus pour nous tous à long terme. C’est une façon très différente d’envisager l’avenir.
Le président : Je vous remercie, monsieur Dodge, d’être venu témoigner. Nous avons un peu dépassé le temps imparti, mais c’était une discussion très intéressante. Je crois que nous aurions pu continuer une heure de plus. Ce sera pour une prochaine fois. Je vous remercie de nous avoir accordé un peu de votre temps.
M. Dodge : J’ai été ravi de venir témoigner. Je vous remercie, honorables sénateurs.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons par vidéoconférence Paul Barnes, directeur, Atlantique et Nord du Canada, Réglementation et opérations, Association canadienne des producteurs pétroliers, et à titre personnel, Lesley James, professeure, Faculté de génie et de sciences appliquées, Université Memorial de Terre-Neuve.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’avoir accepté notre invitation.
Vous aurez cinq minutes pour vos remarques liminaires. La parole est à vous, monsieur Barnes; vous serez suivi de Mme James.
[Traduction]
Paul Barnes, directeur, Atlantique et nord du Canada, Association canadienne des producteurs pétroliers : Bonjour, sénateurs. J’ai le privilège de m’adresser à vous aujourd’hui. Notre administration centrale se trouve à Calgary, en Alberta, mais je réside actuellement dans ma ville natale, St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador.
L’Association canadienne des producteurs pétroliers, l’ACPP, représente les producteurs de pétrole et de gaz naturel de partout au pays, ceux des secteurs conventionnel et extracôtier comme ceux des sables pétrolifères. Toutefois, je suis ici aujourd’hui pour vous parler de l’industrie pétrolière et gazière extracôtière.
L’industrie pétrolière et gazière extracôtière à Terre-Neuve-et-Labrador ne date pas d’hier. Depuis 1997, soit depuis le début de la production, les redevances accumulées atteignent plus de 25 milliards de dollars. Les investissements de l’industrie à Terre‑Neuve se sont élevés à plus de 65 milliards de dollars au cours des 25 dernières années. Actuellement, les redevances extracôtières représentent 15 % du budget du gouvernement provincial : de tout l’argent qui est dépensé, un dollar sur sept provient de notre industrie.
La Chambre de commerce du Canada a publié un rapport plus tôt cette année dans lequel elle quantifie l’impact économique du secteur pétrolier et gazier conventionnel au Canada. Selon ce rapport, l’impact économique de l’industrie pétrolière et gazière à Terre-Neuve-et-Labrador en 2022 a été de 10,5 milliards de dollars du PIB et de plus de 20 000 emplois directs et indirects. En 2023, les investissements pétroliers et gaziers extracôtiers ont atteint environ 1,6 milliard de dollars dans la province et ils devraient atteindre 2 milliards de dollars cette année. Le potentiel de croissance demeure important.
L’industrie s’avère l’épine dorsale de l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador, et elle joue un rôle de plus en plus prépondérant sur la scène mondiale. En 2023, l’équivalent de plus de 6,8 milliards de dollars de pétrole brut a été exporté de Terre-Neuve-et-Labrador vers les États-Unis et l’Europe. Pour la première fois en 2023, les marchés européens ont dépassé les marchés américains et sont devenus la première destination du pétrole brut exporté par la province. En élargissant nos marchés d’exportation, non seulement nous renforçons nos relations commerciales et contribuons à la sécurité énergétique mondiale, mais nous créons plus d’emplois et une économie plus saine ici à Terre-Neuve.
À l’ACPP, nous disons souvent que l’exploitation pétrolière et gazière extracôtière à Terre-Neuve-et-Labrador reste une occasion en or à saisir, car les investissements mondiaux dans le secteur pétrolier et gazier extracôtier ont connu une croissance significative ces dernières années. Pourtant, les investissements dans le secteur extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador ne suivent pas le rythme des investissements mondiaux.
Notre association estime qu’en créant un environnement réglementaire adéquat, nous pourrions attirer beaucoup plus d’investissements dans notre secteur. Nous disposons de ressources pétrolières et gazières extracôtières de calibre mondial, ainsi que de décennies d’expérience et d’incroyables talents à Terre-Neuve-et-Labrador. Nous sommes en mesure d’exploiter ces ressources et de rivaliser avec n’importe quel autre pays du monde.
Malheureusement, l’incertitude politique et la complexité réglementaire font en sorte qu’il est extrêmement difficile d’attirer des investissements, et les politiques telles que la proposition de plafonner les émissions, par exemple, risquent d’atrophier la croissance de notre secteur.
Ensuite, il y a les récentes modifications apportées à la Loi sur la concurrence pour lutter contre les allégations d’écoblanchiment. Cette loi s’avère incroyablement vague en plus d’être assortie de sanctions exceptionnellement élevées qui limitent même ce que nous pouvons dire sur la réduction des émissions. Ce ne sont là que deux exemples des obstacles importants auxquels se heurtent les investisseurs dans notre secteur.
Bien que les modifications apportées à la Loi sur la concurrence limitent ce que je peux dire sur les progrès réalisés en matière de réduction des émissions, je peux vous dire que les entreprises travaillant dans notre industrie pétrolière et gazière extracôtière investissent actuellement dans la recherche et l’innovation. Le but est de gérer et de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de leurs activités, non seulement parce que nous sommes des producteurs respectueux de l’environnement, mais aussi parce que c’est une question de bon sens commercial. Nous voyons que l’innovation est bénéfique pour nos membres. Il y a notamment des efforts visant à utiliser l’intelligence artificielle pour surveiller les émissions en temps réel. Nous assistons au remplacement d’équipements alimentés au diésel par des équipements électriques — telles que les grues utilisées dans certaines installations extracôtières —, et des investissements importants ont été faits dans l’étude de faisabilité portant sur l’utilisation de sources d’énergie renouvelable pour les installations extracôtières.
Les données du gouvernement lui-même montrent que la production extracôtière à Terre-Neuve-et-Labrador ne représentait que 0,14 % des émissions totales du Canada en 2022 et seulement 0,5 % des émissions du secteur pétrolier et gazier en amont au pays.
Comme je l’ai mentionné, notre industrie investit massivement dans la recherche et le développement, et pas seulement dans la réduction des émissions. Récemment, l’industrie pétrolière et gazière extracôtière a financé des recherches sur les connaissances autochtones, le déclassement et l’abandon, ainsi que sur la biodiversité. Il y a notamment eu une étude visant à promouvoir la compréhension et l’utilisation appropriée des connaissances autochtones dans le cadre du processus d’évaluation d’impact. Nous finançons également un vaste projet sur le saumon de l’Atlantique, une espèce importante pour certaines communautés autochtones. L’objectif est de déterminer quand, où et pendant combien de temps les saumons de l’Atlantique se trouvent dans les régions extracôtières de l’Est du Canada à différents stades de leur vie. Les résultats de cette recherche pourront également contribuer à la prise de décisions en matière de réglementation.
En conclusion, bien que l’industrie pétrolière et gazière extracôtière soit active au Canada et en grande partie à Terre‑Neuve-et-Labrador depuis plus de 25 ans et qu’elle ait déjà des retombées extraordinaires, son potentiel est bien plus grand encore. L’élimination des obstacles actuels à l’investissement contribuera à faire en sorte que les Canadiens — et, par ricochet, les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador — bénéficient davantage de nos ressources énergétiques naturelles. Je vous remercie de m’avoir accordé de votre temps.
Le président : Je vous remercie. Madame James, allez-y!
Lesley James, professeure, Faculté de génie et de sciences appliquées, Université Memorial de Terre-Neuve, à titre personnel : Bonjour, je suis honorée de venir témoigner aujourd’hui.
Dans mes remarques, je soulignerai l’importance et la nécessité pour le Canada de s’engager pleinement dans son économie pétrolière et gazière. Cela signifie-t-il que nous ne devons pas nous affairer à atteindre les objectifs climatiques de 2030 et de 2050 et de la transition? Non, pas du tout. Nous devons absolument investir dans les énergies renouvelables et l’hydrogène.
Notre planète subit de nombreux stress. Nous sommes tous en mesure de le reconnaître. Nous sommes en train de franchir le seuil de six limites planétaires sur un total de neuf. Ces limites planétaires, telles que le changement climatique et l’utilisation de l’eau douce, constituent un cadre permettant d’évaluer, à l’aide de neuf paramètres, nos impacts anthropologiques sur les différents systèmes terrestres.
Le Canada doit faire sa part pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’Agence internationale de l’énergie comme les citoyens ordinaires savent que nous continuerons à dépendre des combustibles fossiles pendant un certain temps.
En fait, le Canada a le devoir de produire ses combustibles fossiles à faibles émissions. Nous sommes un pays qui peut s’appuyer sur les piliers de la durabilité que sont l’environnement, la société et l’économie à l’aide de la gouvernance. C’est ce que j’appelle la structure économique, environnementale, sociale et de gouvernance. C’est grâce à notre richesse et à notre économie que nous pouvons contribuer à résoudre les problèmes sociaux et environnementaux. Nous pouvons être un leader mondial dans la production durable de pétrole et de gaz et cheminer vers la carboneutralité grâce à une transition vers une dépendance minimale aux combustibles fossiles.
À l’heure actuelle, l’intensité énergétique du secteur pétrolier et gazier du Canada est de 91 kilogrammes d’équivalent de CO2 par baril, contre 36 pour la Norvège et 74 pour les Émirats arabes unis. Pour ce qui est de la production pétrolière et gazière extracôtière à Terre-Neuve, ces chiffres ont varié entre 8 et 36 en 2022. Comme je le mentionnerai plus tard, on peut s’interroger sur le caractère officiel de ces chiffres, car, à ce jour, il ne s’agit que de données autodéclarées.
Je crois que M. Dodge a suffisamment parlé de l’économie, mais j’aimerais ajouter quelque chose à ce qu’a dit M. Barnes. À Terre-Neuve-et-Labrador, l’industrie pétrolière et gazière représentait un tiers du PIB en 2022. Notre pétrole et notre gaz sont non corrosifs, c’est-à-dire qu’ils contiennent peu de soufre et de métaux lourds. Notre pétrole brut se négocie au cours du Brent ou à un niveau plus élevé sur les marchés et est vendu — comme l’a dit M. Barnes — principalement en Europe. Il nécessite moins de transformation en amont et en aval, ce qui signifie que son intensité énergétique et ses émissions de CO2 sont moindres. N’est-il pas de notre devoir de produire ce bon pétrole non corrosif dans un pays où nous pouvons le réglementer de manière très stricte plutôt que d’acheter du pétrole d’autres pays en développement qui n’ont pas ou n’appliquent pas les mêmes principes?
Lorsque l’on examine les émissions d’une année à l’autre, il faut veiller à bien saisir la situation. L’intensité des émissions donnera une idée plus juste que les émissions totales lorsque l’on examine une installation, car les émissions totales ne tiennent pas compte des temps d’arrêt d’une usine.
L’intensité des émissions du Canada demeure élevée, principalement en raison du pétrole lourd et du bitume de l’Ouest canadien. En général, la surveillance et la déclaration des émissions se sont considérablement améliorées grâce à la technologie. Cela va de la détection de fuites sur place à une surveillance plus générale des émissions par l’entremise de levés mobiles, de détection de sources fixes et de satellites.
Un article récent, dirigé par le chercheur principal David Risk, de l’Université St. Francis Xavier, a révélé que les émissions enregistrées dans le cadre de l’exploitation extracôtière à Terre‑Neuve correspondaient à celles enregistrées par les exploitants. Il s’agit d’une mesure indépendante des émissions. Ce n’est pas toujours le cas, en raison des méthodes de surveillance et de déclaration utilisées.
La réduction des émissions extracôtières est un défi, et l’incertitude concernant la taxe sur le carbone et la tarification du carbone fait que les exploitants et les investisseurs potentiels hésitent à investir. Parmi les défis à relever, citons les installations vieillissantes qui ont des contraintes liées à l’espace et au poids. Terra Nova a récemment modernisé ses installations, mais quelques petits problèmes persistent. Malheureusement, on s’attend à une augmentation de l’intensité des émissions de Terra Nova en 2024. Une structure du projet White Rose de Cenovus a été remise en état à Belfast, en Irlande. La plateforme à tête de puits sera remorquée en 2025. C’est important parce que cette plateforme à tête de puits permettra de réduire le torchage et de transformer le gaz produit par le projet White Rose, qui est maintenant immobilisé. Notre gaz à faible teneur en carbone au large de Terre-Neuve n’est donc pas exploité ni vendu sur le marché. Il doit être réinjecté d’urgence et, lorsqu’on ne peut répondre à la demande en matière de transformation, il est brûlé par torchage. C’est le défi auquel nous sommes confrontés.
M. Barnes a parlé de l’électrification des grues. Des études ont été réalisées et nous nous attendons à ce que la production d’énergie éolienne en mer soit réglementée afin de contribuer à l’électrification verte de l’exploitation extracôtière.
Le plan de transition du Canada doit inclure une exploitation accrue de son pétrole plus propre et le développement de solutions à faibles émissions de carbone. Il doit prendre en compte toutes les solutions.
Pour ce qui est de la densité énergétique d’un carburant par rapport à un autre, le diésel produit 1,4 fois plus de CO2 que le gaz naturel, et ce, une fois que l’on tient compte de la puissance calorifique réelle de la ressource.
Nous pouvons très bien réduire les émissions en investissant dans l’exploitation du gaz naturel non corrosif qui se trouve au large de Terre-Neuve. Les investissements et les infrastructures extracôtiers doivent être polyvalents. L’électrification ou l’utilisation d’une électrification sans carbone seront difficiles en raison des contraintes d’espace et de poids. Cependant, nous pouvons envisager un centre pour produire et vendre du gaz naturel — qui, je le répète, est une solution à faible teneur en carbone —, produire de l’hydrogène bleu ou, mieux encore, de l’hydrogène turquoise, où nous prenons le CO2 et l’injectons dans les mêmes formations ou dans d’autres formations sous‑marines. Un centre où l’on brûle le gaz naturel et capture et séquestre le CO2 — ce qui permettrait d’électrifier d’autres installations — pourrait entraîner une réduction plus importante des émissions et rendre les installations existantes carboneutres.
Le plan de transition doit également inclure la récupération assistée du pétrole, ou RAP. Nous avons étudié comment le CO2 peut être utilisé pour récupérer plus de pétrole et rendre notre production de pétrole plus durable à partir des mêmes champs, tout en stockant le CO2. C’est mon domaine de recherche. On pourrait alors injecter du CO2 dans l’ensemble du réservoir, les puits et l’infrastructure étant déjà en place pour le faire. Un centre de CO2 en mer représente un défi économique, mais nous devons le relever pour contribuer à réduire les émissions dans l’Est du Canada, car nous n’y trouvons pas de bassins sédimentaires, sauf au large des côtes du Canada atlantique. Un centre polyvalent pourrait compenser le coût de l’injection de CO2 par la production de pétrole et de gaz.
Pour répondre à la question soulevée plus tôt au sujet de l’équipement et des emplois liés à l’intelligence artificielle, la numérisation peut également améliorer l’efficacité de la production et réduire la nécessité de transporter autant de personnes jusqu’aux sites.
Notre main-d’œuvre actuelle dans le secteur pétrolier et gazier peut passer presque directement au stockage du CO2. Par ailleurs, selon les codes de compétences de la Classification nationale des professions, ou CNP, certains emplois peuvent être transférés vers la production et le stockage de l’hydrogène. Toutes les énergies souterraines nécessiteront certaines des compétences requises dans le secteur pétrolier et gazier. D’autres compétences utilisées sur les installations en surface peuvent être transférées vers l’exploitation d’autres centrales énergétiques, en particulier pour la transformation de l’hydrogène en ammoniac, le stockage et le captage du CO2, et cetera.
Comme l’a dit M. Dodge, la plupart des exploitants de champs pétrolifères et gaziers doivent tenir compte de risques. La meilleure chose que le Canada puisse faire est de se doter de règlements bien documentés, clairs et limités dans le temps au sujet des évaluations environnementales, la tarification et la taxation du carbone et des règlements qui visent à soutenir une transition intégrée. Dans le secteur extracôtier, nous avons d’excellents résultats avec l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers, qui deviendra bientôt l’Office de l’énergie extracôtière. Cet organisme a fait ses preuves en matière de protection de l’environnement extracôtier.
Nous avons également besoin de règlements pour soutenir l’injection de CO2 pour la récupération assistée du pétrole et le stockage. Les règlements visant à soutenir l’énergie éolienne en mer sont utiles. Actuellement, nous ne pouvons pas injecter de CO2 dans les formations situées sous l’océan en raison de la Convention de Londres. Nous pouvons le faire pour la récupération assistée du pétrole, et les fonds disponibles sont exclusivement réservés à la récupération assistée du pétrole.
Nous devons accélérer la transition. Notre devoir est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour ce faire, nous devons produire des combustibles fossiles à faible teneur en carbone de façon rentable, en pensant avant tout à la protection de l’environnement et au développement durable. Je vous remercie.
[Français]
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur D. M. Wells : Je vous remercie, madame James, de votre présentation et de votre présence aujourd’hui. Je suis un peu au courant de ce dont vous avez parlé, mais j’aimerais en savoir plus sur la récupération assistée du pétrole. Inclut-elle également le gaz ou ne concerne-t-elle que le pétrole?
Mme James : En règle générale, la récupération assistée du pétrole touche le pétrole. Elle vise à augmenter le rendement de la récupération de nos ressources pétrolières, généralement de 7 à 15 %. Nous n’avons généralement pas besoin des mêmes méthodes de récupération pour le gaz. Certes, nous pouvons toujours injecter du dioxyde de carbone dans un réservoir de gaz et obtenir le gaz non balayé, mais l’efficacité de balayage et de production du gaz est bien plus élevée que celle du pétrole, simplement en raison de la nature de l’écoulement polyphasique des fluides dans les milieux poreux.
Le sénateur D. M. Wells : Qu’arriverait-il si l’industrie extracôtière de Terre-Neuve devait réduire ses activités ou était éliminée? Quelle en serait l’incidence sur les émissions à l’échelle mondiale, par exemple? D’où viendrait le pétrole? Vous avez parlé avec éloquence des avantages du pétrole produit à Terre-Neuve et de toutes ses caractéristiques et aspects. Serait-il remplacé par un pétrole de même qualité? Quand je parle d’un pétrole de qualité, je parle d’un pétrole non corrosif à faibles émissions de carbone.
Mme James : Dans une certaine mesure, oui. Le monde peut se tourner vers la Guyane. À ma connaissance, la Guyane est riche en pétrole de très grande qualité. Nous voulons utiliser un meilleur pétrole et un gaz à plus faibles émissions plutôt que de compter sur un pétrole plus lourd qui provient de pays où la production est moins réglementée. Encore une fois, cela nous ramène à la complexité du choix entre des facteurs économiques et des mesures de protections sociales et environnementales. Nos émissions sont de 91 et celles du Venezuela de 397. Par conséquent, si nous ne produisons pas du bon pétrole et que nous continuons à utiliser les combustibles fossiles, ces combustibles fossiles devront provenir de sources de moins bonne qualité.
Le sénateur D. M. Wells : C’est là où le Canada a un devoir.
Mme James : Oui.
Le sénateur D. M. Wells : Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Mme James : Le gouvernement accomplit beaucoup d’efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre ses objectifs. Nous avons un gouvernement responsable qui tient compte de la population, et nous avons plus ou moins la situation économique qui nous permet de faire ce travail, contrairement aux pays qui essaient de survivre, de se nourrir. Cela revient exactement à ce que vous avez dit plus tôt relativement à l’examen de la situation à l’échelle des ménages plutôt qu’à l’échelle nationale.
Nous avons les moyens de tenir compte de la sécurité de nos travailleurs et de la protection de l’environnement lorsque nous produisons l’une ou l’autre de nos ressources, même si nous ne pouvons pas le faire dans la même mesure que la Norvège.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends ce que vous dites. C’est bien connu que le pétrole offshore à Terre-Neuve est moins polluant que le pétrole des sables bitumineux. Est-ce que vous pouvez m’expliquer comment vous voyez les choses évoluer?
D’abord, quelle est la proportion dans la production canadienne de pétrole offshore, par opposition à celui des sables bitumineux?
On a de fortes émissions de gaz à effet de serre. Savez-vous quelle est la part des deux types de pétrole dans les émissions canadiennes qui nous empêchent d’atteindre nos objectifs?
[Traduction]
Mme James : M. Barnes a peut-être les statistiques sous les yeux. Je n’ai pas les chiffres exacts. Je le savais... mais la production pétrolière extracôtière à Terre-Neuve ne représente qu’une petite fraction de la production nationale de pétrole et de gaz. Je crois qu’il s’agit d’environ 10 %. Monsieur Barnes, je vous regarde pour voir si vous êtes d’accord ou si vous voulez intervenir.
M. Barnes : Oui, j’espère que vous m’entendez. Je n’ai pas non plus les chiffres exacts sous les yeux, mais nous pouvons certainement fournir des rapports au comité à ce sujet. Je sais que la Régie de l’énergie du Canada, ou REC, a récemment produit un rapport d’inventaire national qui contient ces données, et qui indique les émissions de chaque secteur pétrolier et gazier au Canada.
Mme James : J’ai les chiffres pour les émissions, mais pas pour la production. C’est une fraction, probablement moins de 10 % de toute la production pétrolière du Canada.
La sénatrice Miville-Dechêne : Après avoir entendu ce que vous avez dit dans vos déclarations préliminaires, j’aimerais savoir ce que vous entrevoyez pour l’avenir. Pensez-vous que le pétrole de l’Alberta devrait être soumis à un autre régime? Devrait-on accroître l’exploitation au large de Terre-Neuve et mettre fin à l’exploitation pétrolière en Alberta, ce qui serait assez radical? C’est peut-être ce que vous laissiez entendre. J’aimerais connaître votre avis sur cette question.
J’aimerais aussi vous entendre sur le fait que ce pétrole est moins polluant. Il semble qu’il reste encore du travail à faire sur le plan de l’intensité énergétique. Vous dites que Terra Nova doit modifier certains éléments pour devenir plus efficace. Il reste du pain sur la planche. Commençons par notre pays. Nous y trouvons deux types de pétrole.
Mme James : Oui, c’est juste.
La sénatrice Miville-Dechêne : Quel est votre point de vue à ce sujet, sachant que notre planète brûle?
Mme James : Bien sûr. Je pense que l’Alberta devrait poursuivre ses efforts pour réduire ses émissions, tout comme Terre-Neuve-et-Labrador. Je pourrais pointer du doigt l’Alberta et dire qu’elle est responsable du problème — ce que je ne fais pas —, tout comme le Canada pourrait pointer du doigt d’autres pays et les accuser d’être responsables du problème de la pollution. Cela ne change rien au fait que nous devons faire ce que nous pouvons pour y remédier. Je ne veux pas monter les administrations les unes contre les autres. Je dois dire qu’au large de Terre-Neuve-et-Labrador, les ressources ne sont pas exploitées autant qu’elles pourraient l’être, et qu’il y a beaucoup plus de potentiel. En revanche, on a une bonne compréhension et une économie pétrolière et gazière très bien développée dans l’Ouest du Canada. On est au courant des ressources qui existent.
On est passé des sables bitumineux conventionnels et même lourds au pétrole et au gaz plus difficiles à extraire dans des roches peu perméables, ce qui nécessite la fracturation et une énergie supplémentaire pour accéder à ces ressources.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais compte tenu de notre très mauvais bilan sur le plan des émissions, de la combustion actuelle et d’autres signes indiquant que les choses ne vont pas bien, est-ce une bonne idée d’accroître la production de pétrole extracôtier au Canada?
Mme James : Nous devons examiner la situation dans son ensemble. Si elle comprend également le stockage du carbone et la nécessité de capturer le dioxyde de carbone et de l’injecter, sachant que les seuls bassins sédimentaires importants dans lesquels nous pouvons injecter du CO2 dans l’Est du Canada se trouvent au large des provinces de l’Atlantique — au large de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse —, nous revenons au point soulevé par M. Dodge. Comment pouvons‑nous financer ce projet de stockage du carbone qui coûtera des milliards de dollars? Il sera potentiellement non rentable si nous n’établissons pas un prix sur les émissions de carbone. En examinant la question dans son ensemble, nous voyons que le pétrole et le gaz peuvent véritablement assurer la transition et contribuer à couvrir les coûts.
Nous pouvons non seulement construire de nouvelles installations capables de capter le CO2 et de l’injecter directement, mais nous pourrions aussi prendre des émissions provenant d’autres provinces et territoires au sein du Canada, ce que RNCan est en train d’évaluer. Le ministère examine des modèles pour capter et transporter du CO2 de l’Ontario et du Québec vers les provinces de l’Atlantique. Nous serions en mesure de financer ce centre pour être en mesure d’injecter le CO2.
La sénatrice Galvez : Je vous remercie, madame James, de votre présentation. Ma question s’adresse à vous.
Tout d’abord — pour mes collègues —, lorsque vous parlez d’hydrocarbures non corrosifs, parlez-vous de forte teneur en soufre ou en chlorure?
Mme James : Les hydrocarbures non corrosifs ne contiennent pas de soufre.
La sénatrice Galvez : Qu’entend-on par « non corrosifs »?
Mme James : Cela veut dire que les hydrocarbures ne sont pas sulfureux. Le soufre rend le pétrole et le gaz plus corrosif.
La sénatrice Galvez : Quel est le pH? Est-il acide, neutre ou alcalin?
Mme James : C’est une bonne question. Cela dépend de la formation de laquelle les hydrocarbures sont extraits, mais il est plutôt neutre.
La sénatrice Galvez : D’accord. Je vous remercie. Vous avez dit qu’il existe un processus permettant d’injecter le CO2 dans un bassin perméable. Le CO2 est-il perméable? Comme vous le disiez, ce n’est qu’une question d’années avant qu’il n’atteigne l’océan — peut-être 100 ans —, selon la perméabilité. Tôt ou tard, parce qu’il est perméable, il se retrouvera dans l’eau.
Mme James : Puis-je répondre à cette question?
La sénatrice Galvez : Oui, mais permettez-moi d’abord d’ajouter ceci. Nous savons que l’autre grand problème planétaire, dont vous avez parlé au début, c’est l’acidification des océans, qui se produit déjà dans l’estuaire du Saint-Laurent et qui modifie déjà la faune en ce qui concerne la crevette, le saumon et d’autres poissons dans la région. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui améliorerait la situation?
Mme James : Je vous remercie. Soyons clairs : nous voudrons injecter du CO2 dans des formations perméables à au moins 1 000 mètres sous le niveau de la mer. C’est pour rendre le CO2 aussi dense qu’un liquide. Il ne serait pas aussi dense que l’eau — pour ce faire, il faudrait un puits d’injection plus profond —, mais nous obtiendrions la capacité de stockage et l’efficacité que nous recherchons. Le CO2 serait injecté sous sa forme supercritique, dont la densité varie de 350 à 600 ou 700 kilogrammes par mètre cube, selon la profondeur. Je rappelle que la densité de l’eau est de 1 000, alors que celle des gaz est de 1. L’intensité énergétique est donc élevée.
La sénatrice Galvez : D’accord.
Mme James : Ces formations perméables sont recouvertes d’une roche imperméable d’une épaisseur d’un kilomètre. Cela ne veut pas dire qu’elles sont sans risque. Nous parlions hier des levés sismiques au large de Terre-Neuve, et il y a un risque — nous le constatons — de migration des fluides à travers certaines formations géologiques. Il s’agit de comprendre où celles-ci se trouvent. Nous avons la technologie pour les détecter. Dans certains cas, ces cheminées se stabilisent elles-mêmes parce que le CO2 réagit et se calcifie ou se minéralise en cours de route.
Je le répète, il est très important de comprendre les incertitudes liées à l’injection du CO2, mais nous avons les compétences nécessaires pour y arriver.
La sénatrice Galvez : Je vous serais reconnaissante de faire parvenir au comité ce que ma collègue, la sénatrice Miville‑Dechêne, vous a demandé au sujet de la production, de l’intensité et des émissions. Ce serait très utile.
Ma dernière question est la suivante : je viens de mentionner — et M. Dodge a dit que c’est vrai — que nous donnons tous ces milliards de dollars au secteur pétrolier et gazier.
Dans cette répartition, pouvez-vous nous dire quelle part de ces subventions va à l’industrie pétrolière et gazière extracôtière par rapport à l’industrie des sables bitumineux?
Mme James : Je suis désolée. Je ne saurais le dire. Je ne suis pas au courant de cette information. Je peux vous dire...
La sénatrice Galvez : Peut-être que M. Barnes pourra répondre?
M. Barnes : Pour autant que je sache, l’industrie pétrolière et gazière extracôtière de Terre-Neuve ne reçoit actuellement aucune subvention.
La sénatrice Galvez : Donc, à votre connaissance, toutes les subventions vont à l’industrie des sables bitumineux.
M. Barnes : Je ne sais pas si elles vont toutes à l’industrie des sables bitumineux, mais je ne suis au courant d’aucune subvention accordée à l’industrie pétrolière et gazière extracôtière.
La sénatrice Galvez : Pouvez-vous nous confirmer cette information? Merci beaucoup.
M. Barnes : Je vais certainement essayer.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Je voulais faire une demande avant de poser ma question. J’aimerais demander à M. Barnes de revenir nous parler non pas à titre de représentant du secteur extracôtier, mais en sa qualité de représentant des autres sociétés pétrolières.
M. Barnes : Je représente le secteur extracôtier. Il faudrait qu’un autre collègue représente l’Ouest canadien.
Le président : Nous avons un autre témoin qui représente l’Ouest canadien.
La sénatrice McCallum : Ce serait bien.
Je ne sais pas grand-chose à ce sujet, mais lorsque nous avons examiné l’industrie des sables bitumineux et constaté qu’elle recevait des subventions pour injecter du CO2, nous avons appris que cela dégageait du méthane, mais rien n’a jamais été mesuré ou examiné. J’ai lu à ce sujet. Est-ce que cela se produit dans le cadre de vos activités?
Mme James : Je vous remercie de votre question, sénatrice McCallum. Je ne peux pas me prononcer sur la situation en Alberta.
La sénatrice McCallum : Non, je veux dire, lorsque vous injectez dans votre...
Mme James : Une injection de CO 2peut se faire de trois façons différentes. Nous pouvons injecter du CO 2expressément pour produire plus de pétrole, auquel cas nous obtiendrons aussi plus de gaz, parce que c’est l’un des sous-produits, en plus de l’eau et du pétrole. Nous pouvons produire du méthane, ou du gaz naturel, de cette façon. Cela n’aurait rien d’inhabituel, et le tout serait traité, au large des côtes, puis réinjecté immédiatement, ou le moment venu, nous pourrions idéalement le vendre ou l’utiliser pour produire de l’hydrogène bleu. Il serait aussi possible de produire du méthane, je suppose. À mon avis, la majeure partie du méthane proviendrait du pétrole lui-même. Ainsi, en produisant plus de pétrole, on produit le gaz qui y est associé.
On peut aussi draguer des parties du réservoir. Dans un réservoir, on trouve généralement de l’eau, du pétrole et du gaz — les trois étant décantés par gravité, tout comme l’huile et le vinaigre qui se séparent sous l’effet de la gravité. Dans la plupart des réservoirs, le gaz se trouve en haut. On pourrait donc également produire du méthane par dragage.
De plus, il pourrait certes y avoir des rejets accidentels de méthane, en cas de surpression ou de mauvaise étanchéité des puits, mais, là encore, ce sont des choses que nous devrions techniquement être en mesure de surmonter. Les vieux puits abandonnés sont une source d’émissions dans l’Ouest canadien. En effet, des gaz s’échappent des puits qui ne sont pas entretenus.
C’est ainsi que nous pourrions produire le gaz accidentellement ou intentionnellement.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie.
L’intensité des émissions par baril de la production pétrolière extracôtière dans le Canada atlantique est inférieure à celle de l’exploitation des sables bitumineux, ce qui pourrait en faire une source d’énergie plus attrayante dans un monde où les émissions de carbone sont contrôlées. Toutefois, comme les marchés mondiaux accordent de plus en plus la priorité à la décarbonation, rien ne dit que cette intensité d’émission moindre procurera un avantage concurrentiel significatif. D’autres facteurs, comme la situation géographique, les infrastructures et les tendances énergétiques mondiales, peuvent aussi influer grandement sur l’avenir de la production pétrolière extracôtière. En quoi la faible intensité des émissions du pétrole extracôtier peut-elle jouer un rôle dans le maintien de la compétitivité sur les marchés mondiaux axés sur la réduction de l’empreinte carbone? Les investisseurs ou les acheteurs ont-ils une préférence pour une intensité moindre des émissions par baril? Si oui, comment cela devrait-il influencer la politique canadienne?
Le président : La question s’adresse-t-elle à M. Barnes?
La sénatrice McCallum : Elle s’adresse à quiconque veut y répondre.
Le président : Si vous êtes la personne la mieux place pour y répondre, allez-y.
M. Barnes : Je vais tenter le coup. Pour répondre à votre question, il existe une forte demande pour le pétrole produit au large de Terre-Neuve, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire. Les marchés de l’Europe et des États‑Unis ont manifesté le plus grand intérêt pour le pétrole brut produit au large de Terre-Neuve.
En raison de sa faible teneur en soufre, ce pétrole se vend plus cher que le pétrole de l’Ouest canadien. M. James a mentionné que le prix est établi en fonction de ce qu’on appelle le prix du Brent, qui est plus élevé que celui du pétrole de l’Ouest. Il y a donc une forte demande pour un pétrole à plus faible teneur en soufre. Nous prévoyons que la demande restera élevée à l’avenir.
Le président : Par ailleurs, lorsque vous parlez des émissions par baril, pourriez-vous nous dire, monsieur Barnes, quel est le chiffre pour Terre-Neuve? Je présume que ces données sont accessibles. Quelles sont les émissions par baril? Comment se comparent-elles à celles de l’Ouest canadien et du reste du monde? J’aimerais bien voir des comparaisons avec le Venezuela, le Brésil, et cetera. Pouvez-vous obtenir cette information et la faire parvenir à notre comité?
M. Barnes : Oui, je le peux. La Régie de l’énergie du Canada a fait un excellent travail en publiant un rapport d’inventaire national qui fournit certains de ces renseignements à l’échelle nationale, par province. Je crois que nous avons également accès aux données internationales.
Le président : Nous avons besoin de renseignements à l’échelle internationale aussi, car il s’agit d’un produit de base vendu sur le marché mondial.
Mme James : Cherchez-vous à connaître la quantité d’émissions pour la production ou plutôt la qualité proprement dite du pétrole qui est brûlé?
Le président : Je parle du moment où on l’exporte. Je veux faire une comparaison avec d’autres régions du monde, parce que certains témoins nous ont dit que les émissions actuelles des sables bitumineux, grâce à tout le travail accompli pour en accroître l’efficacité, se comparent bien à celles de la Californie, et cetera, malgré l’exploitation des sables bitumineux. J’aimerais bien voir les chiffres. Quel est...
Le sénateur Fridhandler : Je pense que la témoin voulait savoir si votre question portait sur les émissions provenant de la production du pétrole ou celles provenant de l’utilisation du pétrole après la production.
Le président : Je parle de l’ensemble.
Le sénateur Fridhandler : Eh bien, je ne sais pas. C’est comme comparer des pommes et des oranges.
La sénatrice Galvez : Il serait préférable que nous recevions des données sur les portées 1, 2 et 3.
Le président : Est-ce possible?
M. Barnes : C’est certainement possible pour la portée 1. Je vais devoir vérifier si les autres données sont disponibles.
Le président : L’autre question que j’aimerais vous poser est la suivante : au bout du compte, peut-être dans 10 ou 20 ans, lorsque nous assisterons à une réduction de la quantité de pétrole et de gaz dont nous avons besoin, nous serons en concurrence avec le reste du monde. Certains producteurs auront du pétrole et du gaz, mais la question sera la suivante : que voulez-vous acheter, compte tenu du coût de l’extraction, entre autres? Comment cela se compare-t-il? Quel est le coût marginal de la production de votre pétrole et de votre gaz? Comment cela se compare-t-il, disons, à l’Ouest canadien et au reste du monde, du point de vue des coûts marginaux? Monsieur Barnes, pourriez-vous...
M. Barnes : Je n’ai pas ces données sous les yeux, mais nous avons accès à certaines d’entre elles, alors je peux certainement trouver les meilleures données pour vous et les envoyer à la greffière du comité.
Le président : Nous vous en serions très reconnaissants. Permettez-moi de poser une autre question, qui s’adresse peut-être à M. Barnes. Vous remarquez que même dans la discussion que nous avons sur la façon d’accroître votre efficacité et de vendre vos produits, les choses sont compliquées. Si vous étiez ministre et que vous disposiez d’une minute pour expliquer pourquoi nous devions acheter du pétrole et du gaz, en dépit de toutes les conséquences pour notre environnement, notre planète, et cetera, comment vous y prendriez-vous pour nous convaincre d’acheter vos produits? Quelles raisons donneriez-vous pour expliquer pourquoi nous devons soutenir l’industrie? Qu’est-ce que vous proposeriez comme simple argument de vente?
M. Barnes : Il n’y a probablement pas de réponse rapide ou simple. Il suffit de regarder Terre-Neuve-et-Labrador et les avantages que notre industrie a apportés à la province depuis qu’elle a commencé cette production à la fin des années 1990 : des milliards de dollars d’investissements et de redevances, des emplois bien rémunérés et une économie qui fonctionne très bien.
Pour en revenir à la qualité du brut que nous produisons, si nous n’en produisons pas pour les marchés qui en font la demande partout dans le monde, alors, comme d’autres l’ont mentionné, d’autres pays viendront combler ce vide. Résultat : tous les avantages de la production pétrolière qui se manifestent dans notre province iront à ces pays. Terre-Neuve et, par extension, le Canada se retrouveront donc perdants.
[Français]
La sénatrice Youance : Merci aux témoins.
Madame James, j’aimerais revenir sur les trois piliers du développement durable que vous avez présentés : social, économique et environnemental. Je vais retourner dans le temps, il y a une quinzaine d’années, au Venezuela.
Selon le pilier de l’environnement, leur pétrole émettait beaucoup de gaz à effet de serre dans le processus de transformation, car il est très lourd. Toutefois, il y avait des impacts sociaux et économiques dans la région du sud avec la politique de vente à prix réduit ou avec des coûts reportés de pétrole aux pays du sud.
La situation n’est plus la même maintenant. Si l’on retourne à cette époque, comment peut-on équilibrer les impacts environnementaux, sociaux et économiques d’une production pétrolière comme celle du Venezuela?
Mme James : C’est une bonne question.
[Traduction]
Comment trouver l’équilibre entre l’aspect social et environnemental et l’aspect économique? On a donné un bon exemple de la façon dont la Norvège subventionne le Brésil et, dans le passé — je ne sais pas si c’est toujours le cas —, l’Occident a également subventionné la Chine pour l’encourager à réduire les émissions de carbone.
Outre le fait que nous produisons nos propres ressources naturelles et que nous avons le devoir de le faire en accordant la plus grande attention à l’environnement et à la société, grâce à cette richesse, nous pouvons aider à influencer d’autres pays en développement, que ce soit dans l’hémisphère Sud ou ailleurs.
Le sénateur D. M. Wells : Monsieur Barnes, vous avez mentionné certaines des mesures qui sont considérées comme faisant obstacle à d’autres investissements dans le secteur extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador. Quelles mesures le gouvernement pourrait-il prendre en matière de fiscalité? Je ne parle même pas d’incitatifs, mais quelles mesures fiscales et réglementaires amèneraient les exploitants à accroître leurs investissements dans l’exploration et l’exploitation extracôtière de Terre-Neuve?
M. Barnes : Je vous remercie de la question. Nos membres nous disent souvent que c’est le volet réglementaire qui a une incidence sur l’investissement. Plus précisément, en ce qui concerne la Loi sur l’évaluation d’impact, même si nous avons réussi dans une certaine mesure à mener à bien le processus d’évaluation environnementale en temps opportun pour l’exploration, le défi existe toujours du côté de la production. Il y a un manque de clarté et d’incohérence dans la façon dont cette loi est conçue; ainsi, les investisseurs qui envisagent un projet de forage pétrolifère ou de production craignent de devoir attendre des années avant de pouvoir obtenir une approbation dans le cadre du processus d’évaluation environnementale, ce qui n’est pas le cas ailleurs dans le monde. Voilà un problème de taille.
Le deuxième élément stratégique et législatif concerne l’inconnu entourant le cadre de réduction des émissions. Nous nous attendons à recevoir bientôt d’autres directives à ce sujet. Quoi qu’il en soit, cet aspect a certainement fait hésiter un certain nombre d’investisseurs dans l’industrie extracôtière et à Terre-Neuve, car cela pourrait facilement empêcher le démarrage de projets à l’avenir ou même provoquer l’arrêt hâtif des projets en cours au large de Terre-Neuve avant la fin de la durée de vie utile de leur champ pétrolifère.
Le sénateur D. M. Wells : Je vous remercie.
La sénatrice Galvez : J’ai quelques observations à faire au sujet du coût de production par baril. Vous pouvez envoyer l’information à la greffière du comité.
Madame James, nous savons tous que lorsque nous vendons notre pétrole, le prix est une question tout à fait politique. Cela dépend du marché, et nous n’avons aucune mainmise sur quoi que ce soit. Il ne s’agit pas seulement de l’environnement et des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. C’est une question géopolitique. On fait des ajustements, et on veut jouer avec les paramètres pour modifier le prix.
Pour que notre industrie pétrolière fasse des profits, quel doit être le prix? Ce n’est plus 100 $ le baril. Quel est le seuil?
Mme James : Merci beaucoup, sénatrice Galvez. Je ne sais pas si je suis la personne la mieux placée pour répondre à cette question. Cependant, je dirai que le seuil dépend du coût par baril à produire, et cela variera d’une installation à l’autre.
Certaines de nos activités étaient rentables à 19 $ le baril ou à 29 $ le baril à l’époque, lorsque nous avons commencé la production. Je ne connais pas les chiffres actuels. M. Barnes pourra peut-être vous les faire parvenir. Tout dépend de l’installation.
Le président : Merci à nos deux témoins. Nous avons beaucoup appris. Je vous remercie d’avoir enrichi nos connaissances; nous vous en sommes très reconnaissants.
[Français]
Je remercie aussi les sénateurs et nos autres témoins de leur participation aujourd’hui.
Notre prochaine réunion est prévue le mardi 5 novembre, à 18 h 30. Nous entendrons alors le Groupe consultatif pour la carboneutralité en ce qui concerne le rapport de septembre 2024. Le tout sera suivi de réponses à ce rapport de la part des fonctionnaires gouvernementaux.
(La séance est levée.)