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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Paul J. Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Je demanderais à mes collègues du comité de se présenter, en commençant par ma droite.

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec aussi.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

Le sénateur D. M. Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

Le président : Aujourd’hui, le comité a invité des témoins à comparaître dans le cadre de son étude spéciale sur le changement climatique dans l’industrie canadienne du pétrole et du gaz. Nous accueillons par vidéoconférence, de l’Institut Pembina, Simon Dyer, directeur général, de l’Institut de l’énergie Trottier, Simon Langlois-Bertrand, associé de recherche, et de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, Dakota Norris, responsable de la campagne sur l’extraction des combustibles fossiles. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Cinq minutes sont réservées pour vos allocutions d’ouverture. La parole est à vous, monsieur Dyer; vous serez suivi de M. Langlois-Bertrand et M. Norris.

[Traduction]

Simon Dyer, directeur général, Institut Pembina : Bonjour. Je m’appelle Simon Dyer. Je suis directeur général de l’Institut Pembina, un groupe de réflexion national sur l’énergie propre établi en Alberta. Nous sommes spécialistes de tous les types de production et d’utilisation de l’énergie, y compris le pétrole et le gaz.

Je vous parle aujourd’hui depuis Edmonton, le territoire visé par le Traité no 6 où se situent les Nêhiyaw, les Dénés, les Anishinaabe, les Niitsitapi et les Nakota Isga, ainsi que le gouvernement métis Otipemisiwak. Merci de cette invitation.

L’Institut Pembina a été fondé il y a 40 ans dans la vallée Drayton, en Alberta — le cœur du secteur pétrolier de l’Alberta — en réponse à l’explosion de gaz corrosif de Lodgepole, quand du gaz s’est échappé d’un puits juste au sud‑ouest d’Edmonton, a pris feu et a brûlé pendant plus de deux mois, rejetant tout ce temps du gaz corrosif toxique dans l’air. Un groupe d’Albertains préoccupés s’est formé et a exigé une enquête publique, qui a mené à des règles plus strictes en matière de sécurité pour le gaz corrosif.

Même si nous sommes une organisation nationale aujourd’hui, en matière de pétrole et de gaz, nous demeurons fidèles à nos débuts comme groupe d’Albertains inquiets qui reconnaissent les avantages de vivre dans une province riche en ressources, mais qui craignent les incidences à long terme de la production de pétrole et de gaz sur l’air, le climat, l’eau et la terre.

Depuis quelque temps, nous sommes préoccupés par la santé de l’économie albertaine dans un monde qui se dissocie rapidement de sa dépendance aux combustibles fossiles et où les pays passent plutôt à des modèles de croissance économique faibles en carbone.

Permettez-moi de vous présenter quelques faits.

L’industrie du pétrole et du gaz est la principale source d’émissions de gaz à effet de serre au Canada, représentant près du tiers des émissions totales du pays.

On parle beaucoup de la contribution économique de l’industrie. Nous ne cherchons pas à minimiser cela, mais les faits comptent. Depuis l’an 2000, l’industrie a généré environ 5 % du PIB annuel du Canada. C’est donc près d’un tiers de la pollution par gaz à effet de serre pour un vingtième de notre PIB.

Vous avez peut-être entendu que le secteur du pétrole et du gaz fait déjà des progrès pour réduire ses émissions. Encore là, les chiffres sont importants. De 2005 à 2022, les émissions absolues de cette industrie ont augmenté de 11 %. Durant la même période, les émissions moyennes au Canada ont diminué de 7 %. Non seulement l’industrie du pétrole et du gaz est notre principale source d’émissions, mais sa trajectoire est aussi décalée par rapport à ce que le reste du Canada cherche à accomplir.

Mais il y a une partie de cette industrie dont j’aimerais beaucoup vous parler aujourd’hui, et ce sont les sables bitumineux.

Au moins pour l’instant, les émissions provenant des sables bitumineux au Canada sont largement non réglementées. Vous savez peut-être, par exemple, que le Canada a réussi à réduire les émissions de méthane issues de la production de pétrole et de gaz. C’est vrai, mais il y a peu de méthane lié au bitume, donc la réglementation sur le méthane n’a eu presque aucun effet sur les sables bitumineux. Ce manque de réglementation explique en partie pourquoi, depuis 2005, les émissions des sables bitumineux ont grimpé de 142 %.

La capture et le stockage du carbone, si l’on déploie cette technologie à l’échelle des sables bitumineux, pourraient radicalement changer la donne. C’est pourquoi nous soutenions l’Alliance Nouvelles voies des sables bitumineux, qui a déclaré il y a trois ans et demi qu’elle construirait un énorme réseau d’installations de capture et de stockage du carbone en Alberta. Le problème, c’est que malgré les millions de dollars de fonds publics mis sur la table pour ce genre de projets — des projets qui vont sans contredit créer des emplois et attirer des investissements en Alberta —, les sociétés exploitant les sables bitumineux restent dans l’attente de négocier pour recevoir encore plus de deniers publics, au lieu de bâtir les installations. C’est pourquoi nous estimons qu’il faut urgemment adopter une réglementation pour le bien du climat et l’avenir de l’économie albertaine.

Le secteur pétrolier et gazier du Canada fait face à un marché qui se contracte. Une convergence de modèles crédibles à l’intérieur et à l’extérieur de l’industrie montre maintenant que la demande mondiale de pétrole et de gaz naturel entamera un long déclin dans les années 2030. Sachant que cela les attend, les sociétés adoptent des attitudes à court terme. Plus que jamais, elles misent sur la diminution des coûts grâce à l’automatisation et d’autres améliorations technologiques.

Le dernier boom pétrolier, après la pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, était le premier en Alberta qui ne s’accompagnait pas d’une création d’emplois à grande échelle.

En dépit de tout cela, nous voyons un avenir pour un secteur pétrolier et gazier rationalisé et plus propre au Canada — un secteur qui produit des combustibles faibles en carbone, mais aussi des matières premières faibles en carbone pour des produits pétrochimiques et d’autres matériaux. Mais le retard de l’industrie pour ce qui est d’investir dans la décarbonation coûtera des emplois dans les collectivités canadiennes en 2030 et par la suite.

En résumé, le secteur du pétrole et du gaz, y compris les sables bitumineux, a la possibilité de décarboner ses activités, mais les sociétés ont montré qu’elles ne vont pas s’y prêter de manière volontaire. C’est le travail du gouvernement de planifier notre économie future — qui doit être sûre pour le climat et amener la prospérité à tous les Canadiens. C’est pourquoi il est urgent de mettre en place d’autres règlements.

Merci.

[Français]

Le président : Merci beaucoup.

Simon Langlois-Bertrand, associé de recherche, Institut de l’énergie Trottier : Bonjour à tous. Je m’appelle Simon Langlois-Bertrand et je suis associé de recherche à l’Institut de l’énergie Trottier. Nous sommes situés à Tiohtià:ke, aussi connu comme Montréal. Merci beaucoup pour l’invitation. Je vais tenter de vous donner des éléments de réflexion pour le travail important que vous faites. Je vais faire l’essentiel de mes remarques en anglais pour l’ouverture, mais je pourrai répondre aux questions dans la langue de votre choix par la suite.

[Traduction]

Je suis chargé de projet à l’Institut de l’énergie Trottier. Nous menons toutes sortes de recherche et d’analyses sur le secteur de l’énergie et le développement de voies carboneutres et élaborons des propositions et des stratégies pour relever certains défis liés à la transition carboneutre partout au pays.

Mes commentaires se fondent sur deux ensembles de travaux. Tout d’abord, il y a les analyses et la modélisation poussées que je dirige dans le cadre de nos Perspectives énergétiques canadiennes, dont nous avons publié la troisième édition il y a quelques mois. Nous y évaluons les trajectoires pour remplir nos différents engagements en matière de climat.

Le second ensemble de travaux se compose de diverses analyses sectorielles relatives aux enjeux stratégiques à court terme auxquels sont confrontés les provinces et le Canada en entier. Dans ces travaux, j’ai rédigé des analyses, par exemple, sur les options qui s’offrent au secteur canadien du pétrole et du gaz en ce qui a trait à la décarbonation et aux risques de chacune d’elles.

L’industrie canadienne du pétrole et du gaz se distingue dans les discussions sur les trajectoires techniques, sociales et économiques d’au moins deux manières. Tout d’abord, il y a sa contribution au PIB d’environ 5 %, sa génération de 200 milliards de dollars en revenus d’exportations initiaux et son grand nombre d’emplois. Par ailleurs, il y a sa gigantesque contribution aux émissions de gaz à effet de serre au pays, la principale source, avec un total de 28 %, malgré sa concentration géographique.

Dans ce contexte, c’est difficile de déterminer avec précision le rôle que le secteur pétrolier et gazier devrait jouer à l’avenir dans une économie canadienne faible en carbone. Cependant, si le Canada veut sérieusement atteindre ses cibles climatiques, notre travail et celui d’autres organisations montrent clairement que, du point de vue du coût des systèmes énergétiques, une grande partie des réductions pour atteindre les cibles de gaz à effet de serre doit venir du secteur du pétrole et du gaz. C’est à la fois la stratégie la moins chère et la plus simple.

Bien sûr, ce serait simplifier les choses. Comme vous le savez bien, la taille du secteur et son rôle en matière d’emplois dans plusieurs régions du pays signifient qu’il faudra gérer avec une grande prudence, mais aussi de façon active, toute trajectoire hypothétique pour réduire radicalement la production ou les niveaux d’émissions, car bien des facteurs montrent que l’industrie n’agit pas pour se transformer, malgré ce que l’on affirme en lien avec plusieurs options, comme la capture du carbone ou les réductions de l’intensité des émissions.

Dans le cadre de la réflexion sur l’élaboration des règlements pour orienter le changement, je vous soumets trois aspects à prendre en considération concernant les risques et les conséquences des diverses stratégies qui vont s’appliquer dans le secteur dans les années et les dizaines d’années à venir.

Premièrement, concernant le respect des engagements du Canada en vertu de l’Accord de Paris, il importe de souligner que si l’on ne réduit pas les émissions issues de la production du pétrole et du gaz, d’autres secteurs devront compenser ce manque à gagner pour que le pays atteigne ses cibles. Il faudra donc opérer des transformations bien plus coûteuses ailleurs, par exemple, dans le secteur du transport et autres. Dans certains cas, ces transformations seraient bien plus difficiles et bien plus risquées sur le plan technologique.

Deuxièmement, bien des acteurs du secteur de l’énergie prévoient un pic de la demande mondiale de pétrole avant 2030 ou dans ces eaux-là, ce qui signifie que les marchés d’exportation pourraient se contracter à long terme et nuire aux occasions de production du Canada. Cela dit, compte tenu de la taille du secteur, toute transition qui délaisse les modes et les niveaux actuels de production demandera beaucoup de temps. Dans ce contexte, la stratégie la plus sûre, et de loin, consisterait à planifier une transformation en douceur le plus vite possible. Il faudrait réduire la taille du secteur de beaucoup, même si on déploie d’autres techniques de réduction des émissions à grande échelle.

Troisièmement, l’application ou l’utilisation potentielle de la capture et du stockage du carbone dans toute l’industrie continue d’offrir plus de raisons de rester prudents que d’espoir d’y trouver une solution magique. Malgré les grands efforts que l’on consacre ces dernières années au déploiement de ces technologies et de ces applications dans le monde, les résultats sont décevants; non seulement ce déploiement est extrêmement coûteux — en fait, c’est un des moyens les plus coûteux de réduire les émissions de GES, qui rend l’industrie très réticente à investir, malgré les importants crédits d’impôt pour la production —, mais on n’arrive toujours pas à atteindre ce potentiel théorique de capture.

En clair, je ne dis pas qu’il faille éviter à tout prix d’explorer les applications de la capture, l’utilisation et le stockage du carbone pour atteindre la carboneutralité à l’avenir, mais puisque le potentiel véritable de ces technologies et de ces processus reste à déterminer, et compte tenu de l’expérience très décevante que nous connaissons jusqu’ici après 45 ans de recherche et de déploiement, le risque d’échec de se fier simplement à la capture, l’utilisation et le stockage du carbone pour réduire les émissions est extrêmement élevé, quel que soit le secteur.

Bref, même si nous devons mettre l’accent sur la réduction des GES, un concept étroit, mais essentiel, il ne faut pas s’imaginer que l’importance économique et sociale actuelle du secteur du pétrole et du gaz au Canada constitue une garantie contre les risques futurs. Pour avoir une économie résiliente, il faut pouvoir s’adapter aux changements à ses propres conditions. Dans le cas présent, les tendances mondiales devraient nous porter à réfléchir.

Je vais m’arrêter ici, mais je serai ravi de répondre à vos questions au meilleur de mes capacités.

Le président : Merci.

Dakota Norris, responsable de la campagne sur l’extraction des combustibles fossiles, Association canadienne des médecins pour l’environnement : Merci de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui. Je suis membre de la nation Gwich’in et gestionnaire de la campagne sur l’extraction des combustibles fossiles de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement. J’unis les voix des Autochtones et des médecins.

Je reconnais le travail de ce comité, y compris le projet de loi S-5, pour défendre le droit à un environnement sain. Ce sont des politiques canadiennes vigoureuses, et non la volonté de l’industrie, qui doivent orienter notre avenir collectif.

Le grand chef dehcho Herb Norwegian a dit que les changements climatiques sont un terme employé par le gouvernement et les scientifiques, mais il y a un bien plus grand enjeu : l’évolution mondiale. Les changements climatiques reflètent les systèmes de domination de l’humanité sur la nature, de l’industrie sur la population et de l’argent sur la santé. Les nations comme la Première Nation K’atl’odeeche le savent, car elles ont vécu la famine, des inondations et des incendies de forêt en quelques années seulement, une expérience exacerbée par les inégalités systémiques. Le Canada ne peut pas lutter contre les changements climatiques sans réconciliation avec les Autochtones.

La santé humaine est à la merci des combustibles fossiles qui causent des événements météo extrêmes, des anomalies congénitales, la leucémie infantile et une sécurité alimentaire moindre. Ce sont les principaux défis du Canada en matière de santé publique, et c’est pourquoi nous préconisons un moratoire sur le développement à venir du pétrole et du gaz pour prévenir les dommages futurs.

Concernant les thèmes à l’étude et la pertinence de l’industrie, le pétrole et le gaz sont importants pour notre économie. Pourtant, alors que la demande de pétrole baisse, nous continuons de subventionner l’industrie. Cela entraîne des risques pour la population. On refile les coûts environnementaux et sanitaires aux Canadiens. Nous devons rejeter l’idée que les projets de l’industrie sont inévitables. Les communautés mènent la transition énergétique et pourraient tirer partie de trois fois le financement pour les projets autochtones d’énergie propre et d’autres projets qui renforcent la résilience et la réconciliation. Pourquoi sous-financer des projets qui bénéficient à la population tout en subventionnant une industrie qui lui cause du tort? Comme le chef héréditaire wet’suwet’en Namoks a dit : « Ce pays est meilleur que nous le pensons, et nous valons plus qu’un dollar. »

Concernant le bilan de l’industrie, malgré les promesses, les émissions continuer de monter. L’industrie met à mal la confiance dans ses engagements à cause d’émissions sous‑estimées, d’écoblanchiment et de la prise de contrôle d’objectifs autochtones. Les solutions technologiques progressives qu’apporte l’industrie ne correspondent pas aux objectifs climatiques du Canada. Par exemple, les subventions sur les véhicules électriques profitent aux entreprises privées, et on doit continuer d’exploiter des mines pour qu’il y ait plus de ce type de véhicules. Par opposition, les transports collectifs profitent à tous et réduisent les émissions.

Concernant un avenir durable, les décisions en matière d’emploi dans le secteur du pétrole et du gaz sont difficiles à prendre pour les communautés, mais ces emplois ne représentent qu’une fraction de la main-d’œuvre au Canada et constituent la principale source d’émissions. Ces projets sont mauvais pour la santé et n’ont jamais été durables — les projets d’extraction ne durent souvent qu’une vie. Pour un avenir durable, il faut mettre en priorité les générations plutôt que les emplois. On a mis de l’avant la réconciliation économique en disant que cela allait permettre de fournir des emplois et des fonds dans ces projets destructeurs, tandis que l’énergie propre offre une réconciliation réelle et plus d’emplois pour le segment démographique canadien le plus jeune et à la croissance la plus rapide.

Concernant les risques et les tendances, l’industrie cherche à maintenir sa domination, malgré la demande qui décline, l’interdiction des publicités, les droits autochtones et les nouvelles politiques. Malheureusement, elle mobilise ses ressources pour tromper le public, contester les décideurs et forcer les communautés autochtones. La vulnérabilité de l’industrie montre qu’il faut diversifier l’économie canadienne.

En matière de concurrence, l’industrie cherche à demeurer rentable, en partie en produisant plus de plastiques. Nous ne pouvons pas miser sur de fausses solutions comme celle-ci ou la capture, l’utilisation et le stockage du carbone, qui causent autant, voire plus de dommages que notre système actuel. Le chef national déné George Mackenzie a dit ce qui suit à l’industrie : « Nous faisons de notre mieux pour prendre seulement ce dont nous avons besoin, partager ce que nous avons et éviter de prendre tout ce qui est disponible. » La maximisation des recettes d’entreprises mène à l’exploitation insoutenable. Le Canada doit donc adopter des politiques robustes pour se positionner de manière durable et concurrentielle dans la transition énergétique, ce qui inclut le droit des communautés à refuser des projets de l’industrie et à en accepter d’autres pour leur avenir.

En terminant, tout le monde au Canada, y compris les prochaines générations, a des droits, et nous avons la responsabilité de les défendre. Comment pouvons-nous cesser de nier la crise climatique? Le savoir autochtone, c’est l’action climatique. Qu’arriverait-il si nous arrêtions de voir la Terre comme une ressource naturelle à extraire, vendre et consommer, au lieu de la voir comme notre chez-nous? Ou comme une richesse intergénérationnelle que nous gérons pour nos enfants et leurs enfants, au lieu d’y voir des occasions d’emploi à court terme? Comment pouvons-nous reconnaître que la santé de la planète, c’est notre santé, et que la Terre guérit pour nous et est durable en elle-même?

Merci.

Le président : Merci infiniment.

Nous allons commencer la période de questions.

[Français]

La sénatrice Verner : Je remercie les témoins d’être avec nous ce matin.

Depuis le début de notre étude, des témoins ont affirmé que la transition de l’industrie vers la carboneutralité implique nécessairement une réduction importante de sa production et de ses exportations de pétrole et de gaz d’ici 2050. En février 2023, M. Serge Dupont, un ancien sous-ministre à Ressources naturelles Canada, a déclaré :

Si on peut réaliser des bénéfices en vendant du pétrole et du gaz tout en investissant dans cette transition, je pense que c’est une bonne affaire dans l’ensemble.

[...] il faut voir le problème dans son ensemble : les revenus que l’on peut en tirer, ce que l’on fait avec ces revenus, comment faire une transition plutôt que de faire simplement une contraction de l’activité.

Avez-vous des commentaires face à cette affirmation de cet ancien sous-ministre? La question s’adresse à celui qui souhaite commenter.

[Traduction]

Le président : Monsieur Dyer, voulez-vous tenter de répondre à cette question?

M. Dyer : Oui, j’en serais ravi.

Je suis d’accord avec une grande partie de cette affirmation. Comme je l’ai dit dans mon exposé, l’industrie doit se décarboner, mais elle n’investit pas dans la décarbonation. Comme l’a dit Simon Langlois-Bertrand, cela fait 45 ans que l’on parle de captage et de stockage du carbone. Le gouvernement de l’Alberta a lancé sa politique de captage du carbone en 2008. Nous en sommes donc à sa 16e année. Les entreprises d’exploitation des sables bitumineux n’ont toujours pas investi dans la décarbonation 16 ans plus tard.

Je pense qu’il ne s’agit pas tant de réduire la taille de l’industrie que de nous préparer à une baisse mondiale de la demande de pétrole, parce que le Canada est très vulnérable. Dans tous les modèles de prédiction de ce déclin, le Canada est le premier pays à être touché, parce que notre pétrole est parmi les plus chers et les plus riches en carbone au monde.

Je pense que c’est une distraction que de parler de réduction de la production dans ce secteur. Ces baisses viendront vraisemblablement des tendances sur le marché mondial, mais l’industrie ne semble pas croire à son propre discours sur la décarbonation parce que les investissements ne suivent pas. Je pense que c’est surtout là que le gouvernement du Canada pourrait...

Le président : Monsieur Langlois-Bertrand, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

M. Langlois-Bertrand : Je suis d’accord avec M. Dyer sur le principe qu’on peut utiliser une bonne partie des fonds. L’une des critiques principales à l’industrie depuis quelques années est que l’on voie que les profils de plus en plus importants ne sont pas du tout investis. Ce serait une voie à court terme pour trouver des solutions. On n’imagine pas un avenir même dans les trajectoires carboneutres où il n’y a aucune industrie. Je soulignerais autre chose : il ne faut pas voir cela seulement en matière de fonds à investir. L’une des contributions qui peuvent être transférées à partir de l’industrie du pétrole et du gaz a trait aux emplois. Dans toutes les trajectoires carboneutres, il y a un besoin absolument incroyablement grand de main-d’œuvre, même à court terme, encore plus à moyen et à long terme.

De plus en plus de compagnies d’électricité ont commencé à évaluer ce que cela va prendre pour construire les infrastructures énergétiques de demain. Cette main-d’œuvre n’existe pas, il y aura un manque criant. Il se trouve que la plupart des emplois dans le domaine du pétrole et du gaz peuvent être transférés avec un minimum de formation vers certains de ces secteurs. Lorsqu’on parle de contractions, c’est une contraction d’une certaine forme d’industrie, mais pas automatiquement en matière d’emplois. C’est là qu’on devrait diriger le gros de notre attention.

La sénatrice Verner : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous nous avez dressé tous les trois un portrait assez sombre de la situation. J’aimerais avoir votre opinion. Vous avez été particulièrement critique, Monsieur Dyer, des subventions à la décarbonisation et du fait que l’industrie surtout ne contribue pas au captage de ces émissions. Face à ce constat, on sait que le gouvernement a prévu un plafonnement des émissions en 2026. Jugez-vous que cela soit suffisant? Jugez-vous que le Canada doive continuer à financer la capture de carbone étant donné ses résultats plus ou moins satisfaisants? Ou doit-il plutôt demander à l’industrie elle-même de le faire? C’est beaucoup de questions, mais comme on est à la fin de cette étude j’aimerais savoir ce que vous nous suggérez, parce que le gouvernement dit que c’est très bien, qu’il a un plafond et qu’il devra s’y conformer, mais croyez-vous que c’est pensable? Pensez-vous qu’il faut changer de trajectoire en matière de subventions à l’industrie pétrolière?

La question s’adresse d’abord à M. Dyer et ensuite à M. Langlois-Bertrand.

[Traduction]

M. Dyer : Je pense qu’il y a là deux excellentes questions.

En ce qui concerne le plafond d’émissions, nous avons absolument besoin d’un plafond d’émissions pour le pétrole et le gaz, parce qu’aucune autre politique n’a réellement donné lieu au genre de comportement nécessaire pour que le secteur des sables bitumineux réduise ses émissions. Nous sommes convaincus qu’un plafond d’émissions — nous avons effectué la modélisation nécessaire pour le démontrer — incitera les entreprises à investir dans la décarbonation. C’est un morceau important du casse-tête. C’est une simple question de mathématiques. Les émissions du pétrole et du gaz ne diminuent pas. L’industrie doit faire sa part.

En ce qui concerne les subventions au captage et au stockage du carbone, il va de soi que le captage et le stockage du carbone peuvent s’appliquer dans de nombreux autres secteurs, pas seulement dans celui du pétrole et du gaz. C’est même surtout dans ces autres secteurs que l’on voit les entreprises faire des investissements et prendre des engagements. Dans l’état actuel des choses, les subventions offertes au secteur pétrolier et gazier sont extrêmement généreuses. Si l’on fait la somme des crédits d’impôt fédéraux à l’investissement et des subventions de l’Alberta au captage et au stockage du carbone, les entreprises du secteur des sables bitumineux se voient offrir l’équivalent de 62 % de leurs coûts d’investissement dans des projets, et il semble qu’elles ne soient toujours pas disposées à investir leur propre argent pour financer le reste. C’est pourquoi nous avons besoin d’un plafond d’émissions et d’une réglementation stricte pour réduire les émissions du pétrole et du gaz.

Le secteur des sables bitumineux n’utilise actuellement pas ces crédits d’impôt à l’investissement, mais si l’on compare la situation à celle qui prévaut aux États-Unis, on peut dire que la somme des subventions et des incitatifs offerts au Canada, compte tenu des crédits d’impôt à l’investissement que nous avons ici, est comparable à ce que le secteur tire de la loi sur la réduction de l’inflation aux États-Unis. Nous estimons que c’est ce qu’il convient de faire, en plus de la tarification essentielle du carbone dans l’industrie, pour obtenir des actions adéquates de la part du secteur pétrolier et gazier.

[Français]

M. Langlois-Bertrand : Je suis d’accord avec l’essentiel des propos de M. Dyer. J’aimerais ajouter une chose sur la subvention au captage. Vous avez peut-être entendu d’autres témoins ou vu dans vos recherches que la plupart des efforts de modélisation au Canada ou ailleurs dans le monde montrent un rôle très important pour le captage dans la trajectoire carboneutre. C’est indéniable. Ensuite, il faut faire attention à ce que cela veut dire; ce n’est pas du captage n’importe où pour tout ce qui est difficile.

En fait, malgré les quantités faramineuses de captage dont on projette avoir besoin pour se rendre aux environs de la carboneutralité autour de 2050, pratiquement aucun captage n’est appliqué dans l’industrie pétrolière et du gaz, parce que ce n’est pas là où cela vaut le plus la peine de le faire. C’est appliqué là où la réduction de la demande est beaucoup plus difficile, comme la production du ciment où nous n’avons pas d’autres options pour l’instant. On espère réserver le captage pour les autres secteurs. Ce n’est pas une mauvaise chose qu’il y en ait dans l’industrie, mais en matière de fonds publics à investir pour soutenir le tout, il faut faire des choix. Il y a des limites à la bourse et à ce que l’on peut déployer. Dans ce contexte, il faut favoriser davantage d’autres secteurs où c’est plus promoteur. Si les crédits d’impôt sont sur la table, cela peut être un point de départ.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Ni l’un ni l’autre d’entre vous ne croit que le gouvernement devrait investir davantage comme le demandent les pétrolières, soit sur la technologie, soit sur les exemptions d’impôt?

M. Langlois-Bertrand : Non, ce n’est pas mon avis, effectivement.

[Traduction]

M. Norris : Je suis moi aussi d’accord avec ce qui vient d’être dit et j’aimerais ajouter que du point de vue de la santé, chaque projet a un coût, mais nous ne saisissons pas encore tous les coûts imputables aux émissions ainsi qu’au captage et au stockage du carbone. Nous n’en connaissons pas encore toutes les répercussions sur la santé. Ce que nous savons, c’est qu’elles sont grandes, tout comme les répercussions sur l’environnement. Qui absorbe l’essentiel de ces coûts? Ce sont très probablement les communautés autochtones. Il ne faut pas oublier qu’elles risquent d’être sacrifiées dans les investissements pour le captage et le stockage du carbone et si l’on ne réduit pas les émissions.

J’aimerais également rappeler à ce comité que le Canada est en train de plancher à une stratégie de justice environnementale. Cela doit donc être pris en compte, au même titre que le droit à un environnement sain. Il faut tenir compte du contexte plus large de la santé, de l’environnement et de la justice dans ce genre de décisions. Merci.

La sénatrice Galvez : Comme vous l’avez entendu, messieurs, nous en sommes à la fin de cette étude, mais j’ai encore quelques questions techniques à poser. Je vais adresser mes questions à M. Dyer, mais si les autres témoins veulent prendre note de mes questions, je les prie de nous faire parvenir leurs réponses par écrit.

Je veux savoir combien on consomme d’énergie pour produire un baril de pétrole à partir des sables bitumineux. Je veux savoir d’où provient l’énergie utilisée pour extraire le pétrole et le gaz. Je veux savoir combien de barils d’eau sont nécessaires pour extraire un baril de pétrole. Je veux savoir comment on tient compte de toute l’eau utilisée pour extraire ce pétrole et des bassins de résidus qui s’accumulent. Je veux savoir à quel point la capture et le stockage du carbone sont efficaces. Je veux savoir s’il y a des endroits dans le monde où on les utilise de façon optimale et combien la capture et le stockage du carbone ajoutent aux coûts de production. Je veux connaître les subventions que nous accordons à l’industrie et savoir comment elles se comparent à ce que l’industrie paie à l’ensemble de ses travailleurs ainsi qu’au coût des problèmes de santé que M. Norris a mentionnés.

Si vous pouviez envoyer ces informations au comité d’ici... quelle date, monsieur le président? Quelle est la date limite pour l’envoi de réponses?

Le président : Les questions que vous posez ne sont pas négligeables.

La sénatrice Galvez : J’estime important d’y obtenir des réponses pour terminer notre étude.

Le président : Il faudrait laisser aux témoins plus que quelques jours pour y répondre.

La sénatrice Galvez : D’accord. Une semaine?

Le président : Que penseriez-vous de 10 jours? Cela vous semblerait-il acceptable à tous les trois?

M. Dyer : Vous nous demandez de répondre en 10 jours? Oui, l’Institut Pembina serait heureux de résumer toutes ces informations. Je suis heureux que vous ne me demandiez pas de répondre à toutes ces questions tout de suite.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup.

Le président : Si vous le souhaitez, vous pouvez communiquer avec le personnel de mon bureau. Si vous n’avez pas noté la liste complète des questions, nous vous enverrons une copie de la transcription pour nous assurer que vos réponses soient complètes.

M. Dyer : Merci.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le sénateur D. M. Wells : Merci aux témoins d’être là.

Monsieur Dyer, vous avez dit tout à l’heure qu’il faudrait réduire les subventions, les incitatifs et tout ce qu’on prétend qui va au secteur pétrolier et gazier, que ce n’est qu’une question de mathématiques. Si ces subventions, incitatifs et allégements fiscaux permettaient réellement de réduire les émissions, le calcul ne serait-il pas avantageux, dans cette discussion?

M. Dyer : Absolument.

Je m’excuse. Je précise que quand je dis que c’est une simple question de mathématiques, c’est que comme 31 % des émissions du Canada proviennent du secteur pétrolier et gazier, il faut réduire ces émissions. L’Institut Pembina estime qu’il n’est pas nécessaire d’accorder plus de subventions au secteur pétrolier et gazier et rappelle que les crédits d’impôt à l’investissement, les subventions et les autres incitatifs offerts au secteur sont déjà extrêmement généreux. Nous ne recommandons pas de les supprimer, mais nous soulignons que malgré l’existence de ces incitatifs, les entreprises et les PDG sont très clairs à ce sujet : il en coûte toujours plus cher de faire du captage et du stockage de carbone que de ne rien faire, de sorte que l’option de ne rien faire paraît toujours préférable aux actionnaires. Nous leur avons déjà fourni beaucoup de carottes, mais nous devons maintenant imposer une réglementation, c’est‑à-dire exiger des entreprises de sables bitumineux, en particulier, qu’elles réduisent leurs émissions.

Le sénateur D. M. Wells : Il y a des témoins qui ont comparu devant le comité qui ont estimé à 50 milliards de dollars par an ce que les sociétés pétrolières et gazières reçoivent en subventions. On nous a également dit que l’envoi d’un baril de diésel à une communauté du Nord pour que les habitants puissent chauffer leurs maisons entrerait dans la catégorie des subventions. Considéreriez-vous cela comme une subvention? Nous aimerions en avoir le cœur net, parce qu’il y a deux semaines, nous avons demandé à des représentants de sociétés pétrolières et gazières, par l’intermédiaire de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, combien ils recevaient en subventions, et ils ont répondu rien du tout. Pouvez-vous nous éclairer?

M. Dyer : Je ne pense pas être vraiment qualifié pour vous donner une définition détaillée du terme « subvention », et je ne pourrais pas me prononcer sur les chiffres que vous avez mentionnés. Cependant, il est certain que les sommes consenties sous forme de subventions, de crédits d’impôt à l’investissement ou de redevances payées à des taux inférieurs à ceux qui pourraient être exigés par les gouvernements correspondent toutes à la définition de subvention. Ce secteur reçoit véritablement un soutien financier direct important de la part des gouvernements de partout au pays.

J’ai vu des données intéressantes de l’Institut d’action climatique de la RBC. Selon ces données, le gouvernement du Canada dépense plus en investissements directs dans le captage et le stockage du carbone que dans tous les autres moyens potentiels de réduire les émissions. Comme l’a dit un autre témoin, l’argent n’est pas une ressource infinie, et nous devons être très prudents quant à la façon dont nous l’utilisons. Actuellement, l’industrie pétrolière et gazière reçoit plus d’argent et a la possibilité d’accéder à plus d’argent encore au moyen des crédits d’impôt à l’investissement que peut-être d’autres secteurs où nous pourrions réduire nos émissions.

Le sénateur D. M. Wells : Je vous remercie.

Cette question s’adresse à M. Langlois-Bertrand. Il s’agit d’une question plus générale, qui ne se limite pas au Canada. Il y a plus de 1 100 centrales au charbon qui produisent de l’électricité en Chine, elles produisent sûrement plus de 50 % de l’électricité de la Chine, et d’autres sont autorisées à démarrer chaque année. Le Canada compte huit centrales au charbon. La Chine est le plus grand pays émetteur, elle est suivie de l’Inde et des États-Unis. La Russie n’est pas en reste non plus. Comme vous le savez, l’apport des plus grands émetteurs au Canada représente 1,5 % des émissions mondiales, tandis que l’apport de ces pays représente 60 % des émissions mondiales. Je reconnais qu’on utilise habituellement une mesure par habitant, ce qui ne donne pas une image complète des émissions mondiales. L’environnement n’en a que faire du nombre d’habitants, c’est le volume total en tonnes qui compte. Donc, étant donné que le Canada produit 1,5 % des émissions mondiales et que le coût de ces émissions est astronomique — selon Environnement et Changement climatique Canada, il s’élèverait à 2 000 milliards de dollars — ne voyez-vous pas une certaine incongruité dans le fait que nous nous positionnons comme le « méchant » de la planète par rapport à nos concurrents?

M. Langlois-Bertrand : Il y a deux scénarios qu’on peut envisager ici. On peut imaginer un avenir dans lequel rien de ce que vous venez de mentionner n’aurait changé et, par conséquent, comme le Canada est un acteur relativement petit à l’échelle internationale, on pourrait se demander où vont les investissements destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre et si ces efforts valent la peine, étant donné les efforts inégaux des autres. Il y a donc deux réponses à cette question, pour bien en comprendre les tenants et aboutissants. Premièrement, on pourrait simplement mentionner l’engagement du Canada à l’égard de l’Accord de Paris, mais je suppose que ce ne serait pas satisfaisant dans ce débat. Il faut dire aussi que certains de nos partenaires commerciaux s’efforcent déjà beaucoup plus de s’améliorer. Ils cherchent des solutions pour leurs industries. Le Canada pourrait leur fournir des solutions, espérons-le, et saisir cette occasion tout en réduisant ses propres émissions. Il n’y a pas à choisir ici entre le fait de réduire les émissions du Canada et autre chose. Je pense que nous pouvons jouer la carte de la prudence et suivre une trajectoire dans laquelle il y a des occasions à saisir mais aussi des engagements à respecter. Cela passe par l’adoption de solutions dans tous les secteurs, y compris dans le secteur pétrolier et gazier, soit dit en passant. Nous avons parlé de la capture du carbone appliquée au pétrole et au gaz, qui reste difficile dans le monde entier. Si nous trouvions des solutions sur ce front, elles seraient sans contredit les bienvenues ailleurs aussi.

Je pense que la stratégie la plus sûre consiste à envisager un avenir plus prudent mais optimiste concernant les actions des autres. C’est ainsi que l’accord est conçu. Nous nous occupons de nos propres émissions en espérant que les autres feront leur part. Beaucoup des autres pays que vous n’avez pas mentionnés, y compris les pays de l’Union européenne, bien sûr, mais aussi d’autres pays, sont en marche dans cette direction.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés.

Sur papier, le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre en place une économie carboneutre d’ici 2050, mais ses actions ne vont pas en ce sens. Le gouvernement fédéral conserve le pouvoir discrétionnaire d’approuver un projet, même quand les experts déterminent que ce projet aura des effets néfastes importants sur l’environnement, comme c’est le cas des projets pétroliers et gaziers, et le gouvernement ne peut pas être forcé de faire appliquer la loi en raison de la façon dont la loi est formulée. Il continue de verser des subventions aux sociétés pétrolières.

Puis voilà que les sociétés pétrolières utilisent l’intelligence artificielle pour élargir leur flotte de véhicules autonomes d’ici la fin de l’année 2024. Suncor possède la plus grande flotte de véhicules automatisés du Canada, elle se targue de son efficacité et de la sûreté de ses activités, et sa croissance suit son cours comme prévu. À Fort McMurray, elle dispose de 45 camions de transport conduits par un réseau de capteurs, de lasers et de systèmes de positionnement global (GPS). À Kearl, Imperial Oil a entièrement automatisé ses activités depuis octobre dernier. Suncor a annoncé l’ajout de 150 transporteurs autonomes à ses activités, réalisant ainsi le plus gros investissement au monde dans des véhicules électriques autonomes. Il est très peu probable que ces entreprises acceptent volontairement de suspendre leurs activités.

Or si l’on regarde de plus près comment on utilise l’intelligence artificielle, l’IA est directement responsable d’émissions de carbone provenant de sources d’électricité non renouvelables et de la consommation de millions de gallons d’eau douce. L’IA est utilisée partout, y compris dans les véhicules de l’industrie pétrolière. Aux États-Unis, le sénateur du Massachusetts Edward Markey a déclaré que le développement de la prochaine génération d’outils d’IA ne peut se faire au détriment de la santé de notre planète. Il a présenté un projet de loi qui obligerait le gouvernement fédéral à évaluer l’empreinte environnementale actuelle de l’IA et à mettre au point un système normalisé.

Il y a d’autres pays qui s’efforcent de s’attaquer réellement aux problèmes liés au pétrole et au gaz, et il y a lieu de se demander dans quelle mesure ce secteur peut atteindre ses objectifs de réduction des émissions sans réduire la production de pétrole et de gaz, si c’est même possible. Est-ce possible, et comment pourrait-on y parvenir? Si vous pouviez commencer par cela, ce serait bien.

Le président : À qui vous adressez-vous?

La sénatrice McCallum : À tous les témoins.

Le président : Pourrions-nous obtenir quelques réponses rapides?

M. Dyer : Ce sont d’excellentes questions. Je pense que c’est là le problème. Le secteur du pétrole et du gaz n’a pas encore de cibles pour cela, donc si nous mettons en place un plafond d’émissions, nous l’obligerons, par la réglementation, à réduire ses émissions. L’objectif de carboneutralité d’ici 2050 est important, mais ce qui l’est encore plus, c’est l’action à court terme. Le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de 40 à 45 % d’ici 2030. Ce qui se passera dans les six prochaines années sera donc déterminant, c’est pourquoi les entreprises doivent s’engager à commencer à décarboner leurs activités dès maintenant pour que nous puissions réellement réduire nos émissions.

Vous avez présenté d’excellentes informations sur l’automatisation. C’est ce que nous observons aussi. L’industrie reconnaît que la demande de pétrole ne continuera pas d’augmenter et qu’il y a plutôt des déclins à prévoir. Elle devient de plus en plus efficace en matière d’automatisation, ce qui réduit le nombre d’emplois. Par conséquent, les investissements dans la décarbonation et l’économie propre pavent également la voie à la création de plus d’emplois. Si l’on oblige les entreprises à réduire leurs émissions, on verra apparaître de nouvelles possibilités d’emplois.

M. Norris : Je pense qu’il s’agit là d’un autre excellent exemple de la façon dont l’industrie est subventionnée, parce que les véhicules électriques et l’automatisation nécessitent d’importantes quantités d’eau. Ils requièrent des minéraux critiques, qui sont pour la plupart extraits sur des territoires autochtones. Nous ne connaissons pas encore toutes les conséquences de tout cela sur la santé. Les réseaux routiers nécessaires pour utiliser ces véhicules dépendent également de produits bitumineux. Bien que l’industrie puisse, d’une certaine manière, accroître son efficacité, les dommages qui ne sont pas pris en compte restent les mêmes ou empirent, même. Quand on parle de subventions, il faut également tenir compte de ces autres éléments et des autres effets sur la santé qu’ils peuvent avoir.

Je pense qu’il n’y a rien à part la réduction directe des émissions qui soit la solution. En fait, tous les autres moyens seraient de fausses solutions, parce qu’ils détournent notre attention de ce qui est vraiment nécessaire et qu’ils réorientent le financement et les autres ressources vers de nouvelles sources de revenus qui profitent à l’industrie plutôt que de bénéficier au public et de permettre de réduire les émissions.

[Français]

M. Langlois-Bertrand : Pour ajouter un complément d’information à ce que M. Norris a dit, en référence au plafond de M. Dyer, effectivement, on ne sait pas ce qui est possible. C’est assez facile de démontrer qu’il est impossible d’éliminer complètement les émissions de l’industrie avec la taille qu’elle a aujourd’hui et avec les pratiques actuelles. Toutefois, on sait qu’il y a eu des consultations assez détaillées et nombreuses avec l’industrie pour établir le plafond, ce qui nous sert de cible.

Est-ce réaliste? Nous verrons. On ne le sait pas de l’extérieur. C’est ce que l’industrie semble avancer comme information et qui a permis d’établir le plafond. Ensuite, c’est à l’industrie de démontrer ce qui est possible depuis plusieurs années. En particulier, Pathways Alliance existe depuis plusieurs années maintenant. On ne voit toujours pas la réalisation de certains chiffres qui ont été avancés dans les dernières années. Évidemment, si cela peut fonctionner, ce serait bienvenu.

[Traduction]

Le président : Si vous me permettez un commentaire, monsieur Dyer, je dirai que, dans le passé, votre entreprise a souvent réalisé des études sur la manière de mieux aligner les intérêts. Pour que tout accord puisse être conclu avec des personnes, y compris des employés, il faut faire en sorte que tout le monde y gagne. Voilà pourquoi je pense que votre entreprise soutient fortement les crédits d’impôt à l’investissement en tant qu’approche mutuelle et bénéfique. Pourtant, comme nous le remarquons, cette mesure n’atteint pas ses objectifs. Cela ne donne pas les résultats que nous recherchons, alors que pouvons‑nous faire? Vous avez dit tout à l’heure que, dans l’état actuel des choses, il vaut mieux que les entreprises ne fassent rien plutôt que de faire quelque chose, et on ne peut pas reprocher aux entreprises de faire ce qui est dans leur intérêt, car cela s’applique au marché en entier. Que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous obtenir davantage d’action? Est-ce simplement une question de temps, alors que nous aurons des élections — probablement sous peu — et que les entreprises pensent qu’elles obtiendront une meilleure entente avec le nouveau gouvernement? Je n’en suis pas certain, mais que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous aligner les intérêts afin que tout le monde soit gagnant dans ce processus?

M. Dyer : Je pense que cela passe par un plafond d’émissions équitable. Il ne s’agit pas de diaboliser l’industrie. Il s’agit simplement de les tenir responsables de leurs promesses, comme l’a dit M. Langlois-Bertrand. Le plafond d’émissions est fixé à un niveau qui correspond uniquement à celui que l’entreprise d’exploitation des sables bitumineux Pathways Alliance a déclaré pouvoir atteindre. Je ne vois donc pas en quoi il peut être controversé de dire que nous élaborons une réglementation qui stipulera que vous devrez tenir vos promesses. C’est la pièce manquante du casse-tête.

Nous avons des conversations très polarisées dans tous les coins du pays. Je sais que le gouvernement de l’Alberta diffuse des publicités à Ottawa et parle d’une vendetta contre l’industrie. Il s’agit tout simplement d’une industrie qui est responsable de 30 % des émissions du Canada et qui doit réduire ses émissions. On lui a demandé de le faire volontairement, mais elle ne l’a pas fait. Nous devons donc élaborer des règlements équitables qui l’obligeront à agir. Pembina est très optimiste à cet égard. Il y a des possibilités qui s’offrent à l’industrie.

Le président : Vous pensez donc que si nous fixons un plafond, les intérêts de toutes les entreprises s’harmoniseront vers un résultat positif? En d’autres termes, vous les obligez à faire quelque chose, mais êtes-vous sûrs que cela aboutira au résultat que nous voulons obtenir et pas à d’autres subventions ou d’autres mesures?

M. Dyer : Je pense qu’en combinant le plafond avec les mesures d’incitation et la tarification du carbone, les entreprises et leurs conseils d’administration se diront : « Nous devons nous conformer à la loi, c’est-à-dire respecter le plafond d’émissions, mais nous pouvons encore gagner de l’argent », et nous obtiendrons les investissements dans la décarbonisation.

Le président : Si j’ai bien compris, vous dites qu’il ne faut pas uniquement me donner de l’argent, en ce qui concerne le crédit d’impôt à l’investissement, mais vous dites que nous devons imposer les avantages du captage et du stockage du carbone, et vous suggérez l’industrie du ciment, parce que vous soutenez qu’il ne faut pas seulement utiliser ces crédits pour les choses de tous les jours, mais aussi pour les actifs ou les investissements stratégiques; c’est bien cela?

M. Dyer : C’est exact. Oui, toute industrie peut utiliser ces crédits d’impôt à l’investissement.

[Français]

M. Langlois-Bertrand : C’est une bonne façon de le dire. Le secteur est responsable d’une grande quantité d’émissions, donc on s’y attarde beaucoup dans les stratégies de réduction d’émissions. C’est aussi simple que cela. Il n’y a pas de nécessité de voir cela comme des critiques injustes. Comme M. Dyer l’a dit, le plafond a été développé en collaboration avec l’industrie.

J’ajouterais un point que j’ai mentionné plus tôt sur les perspectives d’emplois ou les solutions de rechange. Le débat est difficile et l’avenir de l’industrie est controversé pour plusieurs, car il y a cette notion où l’avenir, dans un monde où l’on essaie de décarboner l’industrie, ressemble à l’élimination complète de l’industrie ou au statu quo, alors qu’il y a une très grande marge de manœuvre entre les deux. Ce qui manque, c’est une vision d’avenir pour d’autres options pour les emplois dans les communautés, en particulier en Alberta, mais ailleurs dans le pays aussi, au fil de la transition en cours. Il y a de nombreuses options; j’ai mentionné la construction d’infrastructures, mais pour les nouveaux systèmes énergétiques, il n’y a aucune raison de ne pas discuter de cela en même temps que le plafond et les mesures pour faire avancer le cas précis d’extraction pétrole-gaz.

[Traduction]

M. Norris : Je tenais juste à mentionner que les habitants de Fort Chipewyan, qui vivent en aval des sables bitumineux et qui affrontent des taux de cancer accrus, n’ont probablement pas l’impression d’être des gagnants. Quelqu’un comme ma fille, qui vient de naître et qui héritera d’un monde marqué par la crise climatique, n’aura probablement pas l’impression d’être une grande gagnante. Un grand nombre de gens ne sont déjà pas des gagnants, et ils continueront probablement à ne pas l’être dans ce scénario.

Nous devons passer des négociations traditionnelles entre deux parties qui sont fondées sur les intérêts, des négociations qui examineraient comment deux personnes peuvent se partager une part de gâteau de manière à ce que tout le monde y gagne, des négociations fondées sur les droits, qui donnent la priorité aux droits légaux et moraux que les gens ont. Il ne s’agit pas toujours de situations où les gens gagnent sur tous les tableaux; il s’agit de savoir comment donner la priorité aux droits et aux responsabilités que nous avons, et comment ne pas oublier qu’il y aura des perdants, et qu’il y a actuellement des personnes qui ne bénéficient d’aucun avantage ou qui sont activement lésées à bien des égards par cette situation, telle qu’elle se présente en ce moment. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice McCallum : Nous parlons d’une participation autochtone au capital de projets liés à l’énergie et à l’infrastructure, du fait que ces investissements ont augmenté de manière considérable et qu’ils peuvent faire progresser la réconciliation économique, mais comment pouvons-nous faire passer la conversation de l’argent à la manière dont les êtres humains ont été touchés de façon négative par les activités pétrolières et gazières? Nous continuons à ne pas en tenir compte. Nous continuons d’en parler, mais si nous ne faisons rien pour régler le problème, nous faisons preuve d’une forme de racisme environnemental. Lorsque nous examinons l’autochtonomie, c’est-à-dire les valeurs et les principes que les Premières Nations — je parle des Premières Nations, parce que je suis membre d’une Première Nation — mettent en pratique lorsqu’elles entreprennent des projets économiques, comment pouvons-nous faire en sorte que les groupes énergétiques s’y intéressent et comprennent vraiment à quel point ces principes importent pour contrecarrer toute la destruction qu’ils sont en train de causer?

M. Norris : Nous devons nous méfier de ces récits, car l’industrie les a largement alimentés. Nous avons vu des statistiques de piètre qualité, des groupes de désinformation populaire planifiée et d’autres groupes qui poussent l’idée que l’équité équivaut au consentement ou que la participation à ces projets destructeurs et non durables est la même chose que la réconciliation économique. Nombre de ces nations ont accepté ces projets sous la contrainte, comme elles l’ont fait pour les traités. Elles font face à un manque d’emplois parce qu’elles sont marginalisées dans des réserves ou des zones qui ne sont pas productives à d’autres fins économiques, entre autres choses. Il n’est donc pas vrai que ces projets sont inévitables, tout comme il n’est pas vrai qu’ils équivalent automatiquement à une réconciliation économique.

Je crois que plus nous écoutons les communautés, plus nous pouvons vraiment comprendre cela, et nous pouvons le faire en utilisant des outils tels que la stratégie de justice environnementale du Canada, qui nous permettent de découvrir vraiment les vérités et les histoires des répercussions sanitaires, environnementales et sociales de ces industries sur les communautés. Si vous vous rendez dans presque n’importe quelle communauté qui participe à un projet industriel, vous entendrez des histoires de personnes ayant perdu leur emploi, d’atmosphère sociale perturbée, d’impacts sur la santé tels que des problèmes respiratoires dus aux émissions, l’augmentation des taux de cancer imputable au fait de vivre en aval de l’industrie des sables bitumineux, entre autres choses. Ces histoires sont disponibles. Il suffit de les écouter, et nous disposons pour cela d’outils tels que la stratégie de justice environnementale.

Je tiens à rappeler que l’équité n’est pas synonyme de consentement. Elle est généralement utilisée comme un moyen d’acheter l’approbation sociale pour faire approuver des projets, plutôt que pour contribuer véritablement à la réconciliation au Canada.

M. Langlois-Bertrand : Je n’ai rien à ajouter. C’était vraiment bien exprimé.

M. Dyer : J’approuve les commentaires de M. Norris. Je ne veux pas parler au nom des communautés situées en aval des projets d’exploitation des sables bitumineux, mais je suis très impressionné par la manière dont elles ont déterminé leurs besoins et dont elles exigent des normes plus élevées en matière de protection de l’eau, de planification de l’utilisation des terres et d’établissement des zones traditionnelles, ainsi que par la manière dont elles prennent ces fonds et les investissent elles‑mêmes dans d’énormes projets d’énergie renouvelable. Les communautés autochtones font preuve de beaucoup de leadership et ont beaucoup à nous apprendre en ce qui concerne l’adoption d’une approche beaucoup plus équilibrée que celles que les autres gouvernements adoptent pour gérer certains de ces problèmes.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Galvez : J’aimerais avoir une petite conversation avec MM. Langlois et Norris pour savoir qui devrait payer pour la transition. Mes collègues aiment parler du libre marché, mais nous savons qu’en injectant un très grand nombre de subventions, on fait disparaître le libre marché. C’est une distorsion, car il n’existe plus. Même si le principe du pollueur-payeur est inscrit dans toutes les lois sur la protection de l’environnement, nous savons que, dans la pratique, il n’est jamais appliqué.

Je reviens de Bakou, et j’ai entendu là-bas des gens d’Afrique et d’Amérique du Sud dire qu’ils voulaient continuer à produire du pétrole parce qu’ils voulaient utiliser ces profits pour financer leur transition. Mais dans le Nord, nous savons que la Norvège paie sa transition avec ses fonds souverains, ce qui n’est pas le cas au Canada. De plus, j’ai entendu dire que, d’après la façon dont nous procédons au Canada, nous faisons face à une situation d’intense activité. Va-t-il arriver que l’industrie pétrolière et gazière paie, tout comme l’industrie du tabac l’a fait?

J’ai également entendu dire, par exemple, que des enfants perdent leur ouïe et que des procès seront intentés contre Apple et tous ceux qui disent que nous devrions utiliser ces écouteurs en permanence, parce que ces dispositifs amenuisent notre ouïe et que des procès auront lieu. Alors, qui devrait payer pour la transition? Comment devrions-nous la financer?

Le président : Monsieur Norris, nous sommes à court de temps, alors si vous pouviez être bref, je vous en serais reconnaissant.

M. Norris : Je sais que plusieurs dirigeants autochtones ont déclaré que l’industrie devrait payer non seulement pour nettoyer les dommages environnementaux et remédier aux préjudices sanitaires qu’elle cause, mais aussi soutenir la transition vers des énergies propres, alors cela constitue certainement un appel à l’action.

Je pense que, par le biais d’une politique, nous pouvons encourager les entreprises à retenir les fonds nécessaires pour nettoyer la pollution qu’elles ont causée, comme c’est le cas pour les entreprises d’exploitation des sables bitumineux, de manière à ce que l’assainissement de l’environnement, entre autres choses, ne soit pas simplement refilé aux contribuables. Nous pouvons les empêcher de fermer leurs portes, ce qui leur permettrait de créer des échappatoires ou d’échapper à la nécessité de nettoyer leur pollution. Toutes ces mesures permettraient de débloquer plus de fonds, car l’industrie verserait en fait des milliards de plus pour la dépollution et l’assainissement de l’environnement et de la santé, que les contribuables sont actuellement censés prendre à sa charge. Tous ces milliards de dollars pourraient donc être réorientés vers la transition vers des énergies propres.

Je pense que le gouvernement doit vraiment se pencher sur la manière dont il peut investir dans cette transition également. Je sais pertinemment que les projets d’énergie propre, les projets de surveillance communautaire et d’autres projets menés par les communautés autochtones pourraient presque immédiatement absorber le triple du financement dont ils disposent actuellement. Nous parlons ici de propositions de projets qui ont déjà été reçues. Ce n’est pas un manque d’occasion que nous constatons en ce moment; c’est un manque de volonté et un manque de responsabilisation de l’industrie, qui doit rendre compte de ses coûts réels et ne pas les refiler aux contribuables. Je vous remercie de votre attention.

[Français]

M. Langlois-Bertrand : Effectivement, j’imagine mal un fonds souverain comme en Norvège pour l’industrie du pétrole. L’une des difficultés à haut niveau dans toute cette transition plurielle à travers les secteurs pour la décarbonation est le fait que les industries ont cheminé pendant des dizaines et des dizaines d’années dans une certaine voie et maintenant, nous sommes pris avec cela. Cela restreint nos options et dicte certains choix qui ne peuvent être faits. C’est une réalité. Ce ne sera peut-être pas cela.

La taxe sur le carbone accomplit une certaine partie de ce que vous dites. Je suis parfaitement en accord avec la sénatrice Galvez pour dire que c’est loin du compte pour l’impact sur la pollution.

J’aimerais me pencher sur ce que vous avez dit sur le cas des pays africains ou en développement qui n’ont pas les mêmes moyens pour faire la transition au même rythme que ce qui est nécessaire. Je reviens à l’engagement du Canada dans l’Accord de Paris, où l’on s’est engagé à donner des fonds à transférer. Les solutions développées pour l’amélioration et la décarbonation dans des secteurs où c’est difficile peuvent faire partie des transferts technologiques qu’on peut donner à des pays qui n’ont pas les moyens de les développer au même rythme que nous. Cela peut être une piste de solution à l’échelle mondiale. Toutefois, cela ne résout pas toutes les questions de « pollueur payeur » que vous avez mentionnées.

[Traduction]

Le sénateur D. M. Wells : Monsieur Dyer, j’essaie de comprendre ce qui vous motive. S’il existait un moyen de produire du pétrole et du gaz qui généreraient très peu d’émissions, qui ne nécessiteraient pas d’infrastructure industrielle telle que les réseaux ferroviaires ou les pipelines pour atteindre les marchés, et dont les émissions seraient en fait plus faibles que celles de certains des autres modes de production de l’électricité et de la chaleur, ainsi que celles des transports, de la fabrication et de la construction, qui sont les quatre secteurs qui utilisent le plus de pétrole, seriez-vous en faveur de cela? Ou êtes-vous généralement opposé à la production de pétrole et de gaz?

M. Dyer : L’Institut Pembina n’est certainement pas opposé à la production de pétrole et de gaz. Nous allons continuer à utiliser du pétrole et du gaz au cours des 30 prochaines années, mais le monde va en utiliser beaucoup moins, et les pays rivaliseront pour produire du pétrole et du gaz de la manière la plus rentable et la moins émettrice de gaz. Nous devrions absolument réduire les répercussions et les émissions du pétrole et du gaz tout en continuant de les utiliser, mais en reconnaissant qu’une transition est en cours. L’Institut Pembina reconnaît l’importance du secteur pétrolier et gazier, mais celui-ci doit faire sa part pour réduire ses émissions.

Le sénateur D. M. Wells : Compte tenu des émissions extrêmement faibles du secteur pétrolier extracôtier de Terre‑Neuve, seriez-vous favorable à une augmentation de la production à Terre-Neuve de pétrole destiné au marché mondial?

M. Dyer : L’Institut Pembina n’a pas de bureaux à Terre‑Neuve et ne mène pas de recherches directement liées à cette province, alors je ne voudrais pas formuler d’observations concernant ce secteur avant de l’avoir étudié davantage. Je m’en excuse.

Le sénateur D. M. Wells : À titre de renseignement, je précise qu’il n’est pas nécessaire de retirer le pétrole du sable. Il coule naturellement.

Le président : Votre question m’étonne.

Je remercie tous les témoins de leurs grandes compétences. Nous les valorisons beaucoup. Les renseignements que vous nous avez communiqués sont importants. Merci, messieurs Norris, Langlois-Bertrand et Dyer.

[Français]

Honorables sénateurs et sénatrices, nous allons suspendre la séance quelques minutes pour avoir une discussion à huis clos par la suite.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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