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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 25 septembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 17 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-256, Loi modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes (saisie) et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m’appelle Brent Cotter, et je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.

La semaine dernière, lorsque nous nous sommes présentés, j’ai mentionné les Roughriders en espérant que cela leur porterait peut-être chance, et c’est bien ce qui est arrivé; alors, ce sera peut-être aussi le cas cette semaine.

[Français]

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec

La sénatrice Audette : Michèle Audette, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kma’ki.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, du Québec, division sénatoriale du Golfe, au Québec. Bonjour.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le président : Merci, chers collègues. Nous nous réunissons pour entreprendre l’étude du projet de loi S-256, Loi modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes (saisie) et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le parrain du projet de loi est l’honorable sénateur Pierre Dalphond, et nous sommes heureux de le compter parmi nous aujourd’hui à titre de témoin. Nous sommes nombreux à souhaiter poser des questions au sénateur Dalphond et à Mme Rachel Huntsman, conseillère juridique. Je vais commencer par vous remercier tous les deux de votre présence, et nous allons vous inviter à faire une déclaration préliminaire avant de passer aux questions.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond, parrain du projet de loi : Merci à vous tous de me permettre de vous présenter le projet de loi S-256, qui propose des modifications à la Loi sur la Société canadienne des postes afin de faciliter l’interception du fentanyl et d’autres produits interdits acheminés par Postes Canada.

L’idée découle d’un article publié dans le magazine Maclean’s du 7 mars 2019, qui s’intitulait « For fentanyl importers, Canada Post is the shipping method of choice ». On pouvait y lire que, sur le darknet clandestin, on peut acheter des drogues illégales dont la livraison se fait sans problème par Postes Canada.

En effet, la Loi sur la Société canadienne des postes dit ceci : « [...] rien de ce qui est en cours de transmission postale n’est susceptible de revendication, saisie ou rétention », sauf si c’est autorisé par une loi. Cela s’applique tant aux lettres qu’aux colis confiés à Postes Canada.

[Traduction]

En 1984, des exceptions pour autoriser la saisie d’envois ont été ajoutées à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité; puis, en 1986, une modification connexe a été apportée à la Loi sur les douanes et une autre, en 2000, à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent que dans des circonstances spéciales.

J’ai aussi découvert que l’Association canadienne des chefs de police, ou ACCP, — Mme Huntsman pourra en parler davantage —, recommande une modification depuis 2015 pour permettre à la police d’obtenir l’autorisation judiciaire de saisir des colis ou des lettres en cours de transmission postale.

En 2017, le Parlement a de nouveau modifié la Loi sur les douanes afin de supprimer une restriction qui empêchait les agents des douanes d’ouvrir les envois de moins de 30 grammes, à cause du problème que pose l’importation de fentanyl par la poste au Canada.

Cependant, aucune modification législative n’a été proposée pour la distribution de fentanyl par la poste au Canada. Ainsi, la police ne peut pas obtenir de mandat judiciaire pour saisir des envois postaux, même si elle a des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils contiennent une drogue dangereuse comme du fentanyl.

Après avoir pris connaissance de ces faits, j’ai conclu que le Sénat se devait de proposer des modifications. Plus tard, j’ai retenu les services de Rachel Huntsman, avocate et ancienne membre du Comité sur les amendements législatifs de l’Association canadienne des chefs de police, ou ACCP, pour aider à la recherche et à la rédaction du projet de loi, qui a été déposé en novembre 2022.

Près de deux ans plus tard, je suis heureux de voir que nous progressons, même si c’est à un rythme lent.

J’ai aussi visité le centre de tri de Postes Canada à Montréal, qui traite tout le courrier expédié d’Ottawa aux provinces de l’Atlantique, et j’ai rencontré des représentants, des employés et des inspecteurs de Postes Canada.

Parlant d’inspecteurs, bon nombre d’entre vous se souviendront qu’en juin 2023, le comité a examiné une modification à la Loi sur la Société canadienne des postes, contenue dans la partie omnibus du projet de loi C-47, qui les autorise à « [...] ouvrir les envois, à l’exclusion des lettres, [s’ils ont] des motifs raisonnables de soupçonner [...] », notamment « [...] qu’il s’agit d’objets inadmissibles ».

Cela veut dire qu’une enveloppe mise à la poste au Canada ne peut pas être ouverte et remise ensuite à la police.

Étant donné que le Règlement sur la définition de lettre précise qu’une lettre est un envoi postal ne dépassant pas 500 grammes, cela signifie qu’une quantité de fentanyl d’une valeur marchande de 30 000 $ peut être expédiée avec moins de chances d’être interceptée qu’à l’échelle internationale, en raison des obstacles imposés aux inspecteurs, ou comparativement aux services de messagerie privés, en raison des obstacles imposés à la police.

Il y a donc deux problèmes dans la Loi sur la Société canadienne des postes. Premièrement, aux termes du paragraphe 40(3), les policiers munis d’un mandat ne peuvent pas retenir et fouiller les envois postaux, mais ils peuvent le faire dans le cas des envois par service de messagerie privé. Deuxièmement, aux termes du paragraphe 41(1), un inspecteur de Postes Canada qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une lettre contient du fentanyl ne peut pas l’ouvrir, contrairement aux agents des services frontaliers du Canada.

Mon projet de loi propose que nous prenions des mesures pour remédier au premier problème, mais je suis disposé à accepter un amendement qui réglerait le deuxième. En effet, notre quatorzième rapport de juin dernier sur le projet de loi C-47 recommandait que le gouvernement se penche de toute urgence sur ces questions.

Enfin, il faut savoir que Postes Canada est souvent le seul service de livraison dans les collectivités éloignées.

Je suis reconnaissant du soutien de l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente les 63 Premières Nations du Manitoba, lesquelles ont appuyé le projet de loi. Je profite de l’occasion pour offrir mes condoléances à la suite du décès tragique de la grande cheffe Cathy Merrick plus tôt ce mois-ci.

Je suis également reconnaissant du soutien du Conseil Mushkegowuk, qui représente huit Premières Nations du Nord de l’Ontario, et du Service de police du Nunavik, dans le Nord du Québec. Ils appuient tous le projet de loi.

J’espère que ce projet de loi favorisera une plus grande collaboration entre les nations autochtones des régions éloignées, les inspecteurs de Postes Canada et les services de police pour aider à protéger les collectivités contre les produits de contrebande qui sont distribués par le truchement du système postal. Cela devrait englober l’application des lois fédérales, provinciales et autochtones.

Grâce au projet de loi S-256, nous pouvons contribuer à sauver des vies et à protéger les collectivités au Canada, y compris dans les régions éloignées. Ce changement n’aurait pas dû prendre 10 ans, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Merci. Meegwetch.

Le président : Merci, sénateur Dalphond. Madame Huntsman, la parole est à vous.

Rachel Huntsman, conseillère juridique, à titre personnel : Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour parler du projet de loi C-256, Loi sur la sécurité des postes au Canada, qui propose de modifier l’article 40 de la Loi sur la Société canadienne des postes. Cette modification permettra aux forces de l’ordre de saisir, en vertu d’un mandat de perquisition obtenu par voie judiciaire, des marchandises de contrebande et des marchandises dangereuses qui sont expédiées par la poste.

Au cours d’une enquête, la police peut demander à un juge l’obtention d’un mandat de perquisition pour saisir des objets qui sont interdits par la loi. Cependant, la loi protège les attentes en matière de respect de la vie privée d’une personne en exigeant que la police prouve à un juge qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un crime a été commis et que l’objet à saisir est lié à une infraction criminelle.

Même si la police peut obtenir un mandat de perquisition pour fouiller le courrier et les colis envoyés par Purolator, FedEx et UPS, l’article 40 de la Loi sur la Société canadienne des postes lui interdit de saisir un article de courrier pendant qu’il est sous le contrôle de Postes Canada, c’est-à-dire à partir du moment où il est déposé, par exemple, à un comptoir postal chez Shoppers Drug Mart, jusqu’au moment où il est livré au destinataire.

Ce n’est un secret pour personne que le crime organisé utilise les services de Postes Canada pour faire le trafic de marchandises illégales, et cela a été largement rapporté par les médias.

Comme l’a mentionné mon ami, le sénateur Dalphond, le magazine Maclean’s a récemment publié un article intitulé « Pour les importateurs de fentanyl, Postes Canada est la méthode d’expédition de choix », dans lequel on fait remarquer que, grâce à une loi désuète, le fentanyl peut entrer au Canada et être distribué à l’échelle du pays par le truchement du système postal et que la police n’a aucun recours pour mettre fin à cela.

Postes Canada est également consciente de ce fait.

Le 15 novembre 2021, l’agent principal des postes à Postes Canada, qui est responsable des services de sécurité et d’enquête, a rapporté que le crime organisé utilise le système de Postes Canada pour distribuer des drogues illicites.

Il est temps de modifier l’article 40 de la Loi sur la Société canadienne des postes. Il s’agit d’une loi désuète qui a été promulguée pour la première fois en 1867 — alors intitulée Loi sur les postes — dans le but d’empêcher la confiscation de biens envoyés par la poste. Personne n’aurait pu prévoir que le crime organisé allait un jour se servir du courrier pour faire passer des produits de contrebande.

Pour le dire simplement, l’article 40 de la Loi sur la Société canadienne des postes entrave la capacité de la police à mener des enquêtes aux termes du Code criminel et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. C’est quelque chose qui nuit à la sécurité publique.

Bien que la force motrice initiale du dépôt de ce projet de loi ait été notre connaissance du fait que des opioïdes sont envoyés par la poste en toute impunité, j’ai appris par la suite que les communautés nordiques sont aux prises avec les conséquences découlant des envois illégaux d’alcool qui se font eux aussi par l’intermédiaire de Postes Canada.

Pour mieux comprendre l’ampleur de ce problème, j’ai contacté plusieurs services de police, dont celui du Nunavik.

Le Nunavik compte 14 communautés, dont 12 ont adopté des règlements municipaux limitant l’achat d’alcool à certaines quantités. Or, malgré l’existence de ces règlements, d’énormes quantités d’alcool sont expédiées de Montréal au Nunavik par l’intermédiaire de Postes Canada, au vu et au su de la police et en violation directe de ces règlements.

L’alcool de contrebande est ensuite transporté par de petits avions jusqu’aux communautés isolées qui disposent de leur propre piste d’atterrissage.

Bien que la police du Nunavik sache que des cargaisons de vodka entrent dans les 14 communautés du Nunavik, la Loi sur la Société canadienne des postes lui interdit de saisir cet alcool tant qu’il est sous le contrôle de la Société canadienne des postes. La police du Nunavik n’a légalement pas le droit de saisir l’alcool tant que le récipiendaire de l’envoi n’a pas quitté le bureau de poste.

La police ne sait pas quand les colis peuvent être ramassés, et elle n’a évidemment pas les ressources nécessaires pour mettre en place une surveillance permanente dans tous les magasins communautaires locaux où se trouvent les comptoirs postaux.

Il existe malheureusement une corrélation directe entre les livraisons d’alcool au Nunavik et les cas de crimes violents, de suicides, de violence familiale et de négligence envers les enfants. Le chef du service de police du Nunavik, Jean-Pierre Larose, qui n’a malheureusement pas pu comparaître devant ce comité, m’a parlé d’une SAQ à Dorval où il y a de grands étalages de vodka Smirnoff juste à l’entrée. Le chef Larose m’a dit : « Vous ne voyez pas cela ailleurs. Tout le monde sait que cet alcool est destiné au Nunavik ».

Les marchandises illégales que Postes Canada transporte littéralement au Nunavik comprennent de l’alcool, de la cocaïne et du crack. On m’a dit que d’autres communautés nordiques sont aux prises avec des problèmes similaires. Postes Canada emploie des inspecteurs postaux, mais ils n’ont pas les pouvoirs d’un agent de police et leurs fonctions sont définies de façon assez large, notamment en ce qui concerne les enquêtes sur les vols de courrier, les introductions par effraction dans les bureaux de poste, les vols à l’interne et l’inspection du courrier à la recherche d’objets inadmissibles. La définition des « objets inadmissibles » est très étendue et comprend les colis qui dégagent des odeurs, les animaux vivants et les envois qui ne sont pas correctement adressés.

En 2022, environ 25 inspecteurs étaient chargés de veiller à la sécurité de l’ensemble du système postal. En 2020, les inspecteurs de Postes Canada ont fouillé 3 000 des 384 millions de colis envoyés par la poste. C’est donc 0,0008 % des colis envoyés qui ont été inspectés. Avec ces chiffres, il est facile de comprendre pourquoi Postes Canada est le service postal de prédilection des trafiquants de drogue et du crime organisé.

En conclusion, il est temps d’harmoniser la Loi sur la Société canadienne des postes avec d’autres lois fédérales et provinciales en modifiant l’article 40 de la loi, ce qui permettra à la police de retirer les marchandises illégales et dangereuses du courrier avant qu’elles n’atteignent nos collectivités.

Je vous remercie.

Le président : Merci, madame Huntsman. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, en commençant par le porte-parole du projet de loi.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci, sénateur Dalphond, d’avoir déposé ce projet de loi. Je pense qu’il y a une faille dans le système, de toute évidence, et elle est utilisée par le crime organisé pour faire du trafic.

Je me suis posé une question dont on a déjà discuté en privé et j’en ai parlé dans mon discours : pourquoi ne pas simplement enlever l’interdiction? De toute façon, on sait qu’il y a maintenant les chartes, donc il y a quand même des protections contre la fouille et les perquisitions abusives. Pourquoi ne pas tout simplement enlever l’interdiction de rétention ou de saisie?

Le sénateur Dalphond : Merci pour votre question, sénateur Carignan. Vous proposez une solution plus radicale que moi. Je suis plus conservateur que vous là-dessus. Ce que j’ai essayé de faire est de faire des modifications — parce que la logique actuelle a été de garder l’article —, mais d’inclure des exceptions. Dans la mesure prévue par la loi, on fait des exceptions.

Ce que vous proposez, c’est qu’on dise qu’il n’y a plus cette idée que les lettres — pas les colis, mais les lettres — sont quelque chose de privé et protégé. C’est une autre option. Ce n’est pas celle que l’on a retenue, parce qu’on a vraiment retenu les deux fois où la Loi sur les douanes et la loi sur le blanchiment d’argent ont été modifiées. Ces lois particulières ont créé des exceptions. On a conservé cela et on a créé une autre exception, mais il y a peut-être des solutions plus simples plutôt que de dire que c’était beau en 1867 ou dans le siècle précédent, parce que la Royal Mail, c’était quelque chose. La poste s’en allait avec le cheval et ce qui était à l’intérieur était confidentiel. Aujourd’hui, on vit dans un monde assez différent et on n’est même pas sûr que les courriels sont confidentiels. Je ne suis pas opposé à cela.

Le sénateur Carignan : J’ai déjà fait une recherche, et la seule exception du cheval de transport du courrier était le transport de lettres entre amis pour une personne qui était à la guerre. C’était la seule exception au monopole de la poste. Cela montre bien que ce sont des éléments assez archaïques ou des anachronismes. On aurait peut-être intérêt à les corriger complètement plutôt que d’y aller à la pièce.

Le sénateur Dalphond : J’aurais beaucoup aimé que les gens de la Société canadienne des postes participent à nos travaux. Ce sont des questions sur lesquelles ils pourraient nous éclairer. Il s’avère qu’ils ont refusé d’y participer, mais ils vont apparemment nous envoyer un mémoire écrit. J’espère qu’on l’aura bientôt.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre témoignage et de votre présentation de cet enjeu.

Ma question porte sur un point du projet de loi — l’article 2. Il s’agit de la définition d’une loi d’exécution — « une loi fédérale », puis « une loi provinciale »...

Puis il est question de :

« une loi ou un règlement administratif d’un conseil, gouvernement ou autre entité autorisés à agir pour le compte d’un groupe, d’une communauté ou d’un peuple autochtone [...] ».

Aujourd’hui, les communautés des Premières Nations ont des règlements, mais le principal problème est de les faire respecter. Ils existent, mais leur application laisse à désirer.

Comment croyez-vous que ces règlements seront appliqués? Comptez-vous sur la GRC? Quels sont les mécanismes qui garantissent qu’ils seraient appliqués? Si une Première Nation adopte une loi, comment sera-t-elle appliquée?

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup de cette importante question.

Lorsque nous avons rédigé le projet de loi, nous avons pensé qu’il fallait inclure non seulement les lois fédérales et provinciales, mais aussi les règlements des communautés. Nous étions conscients du fait que — et le sénateur McCallum avait une motion ou un projet de loi — la GRC ne semble pas appliquer ce que nous appellerons les règlements autochtones. Elle semble les considérer comme ayant un statut différent. Nous voulions éviter cela; nous voulions envoyer le message qu’il y a des lois provinciales, des lois fédérales et ces lois-là.

Une modification de la Loi sur la Société canadienne des postes changera-t-elle le comportement de la police ou de la GRC dans certaines régions? Je n’en suis pas sûr, mais le principal problème visé par ce projet de loi — la raison principale de sa présentation —, c’est celui du fentanyl; la police veut empêcher que ce produit soit distribué dans les communautés. Elle en saisira autant que possible à Montréal ou ailleurs. On m’a raconté l’histoire de quelqu’un dont on savait qu’il faisait du trafic, mais qu’on ne pouvait pas fouiller. Cette personne déposait 20 lettres par jour dans la boîte aux lettres au coin de sa rue, mais la police ne pouvait pas s’emparer de quoi que ce soit, car une fois que les envois sont dans la boîte aux lettres, ils font partie du courrier et ne peuvent donc pas être saisis. Pour ce faire, il faut attendre que le courrier soit distribué. Cela n’a aucun sens. Les autorités ne savent pas où ces envois seront livrés. Par conséquent, il serait beaucoup plus facile de pouvoir les saisir là.

Il existe également des règlements adoptés par les conseils qui stipulent, par exemple, que l’alcool ne peut pas être livré dans leur communauté. Je pense qu’au Nunavik, il y a eu une expérience d’un mois au cours de laquelle Postes Canada a travaillé en étroite collaboration avec la police locale. Je pense que cela a été un énorme succès et qu’ils ont ainsi pu réduire de façon radicale la quantité d’alcool qui entrait dans les communautés.

J’espère donc que ce projet de loi enverra le signal que ces règlements doivent être pris au sérieux et qu’il permettra aux inspecteurs d’intervenir lorsqu’ils recevront certains renseignements. Je crois que le fait pour les autorités de pouvoir inspecter le contenu des colis — pas celui des enveloppes, mais celui des colis — et que Postes Canada dispose de tous les renseignements concernant l’expéditeur et le destinataire permettra aux autorités d’intervenir avant que le colis ne quitte le quai d’expédition. J’espère donc que cela sera fait...

Le sénateur Prosper : Vous avez parlé de certains points de vue qu’ont émis certaines Premières Nations et l’Assemblée des chefs du Manitoba. Pouvez-vous nous donner un aperçu de leurs principales préoccupations? S’agit-il principalement du fentanyl et des drogues, ou y a-t-il d’autres problèmes propres à ces communautés?

Le sénateur Dalphond : Ils nous ont appuyés après avoir entendu parler de notre projet de loi parce que tant de gens meurent du fentanyl. Ils ont compris qu’il fallait éliminer la source, et ils ont vu là un moyen d’y parvenir, car dans de nombreuses communautés éloignées, le seul système de livraison est Postes Canada.

Même si vous utilisez FedEx, il semble que c’est Postes Canada qui se charge de la livraison. Les dirigeants autochtones pensent donc que ces dispositions pourraient être un moyen d’empêcher les drogues d’entrer dans les communautés. Je suis conscient du fait que s’il y a de l’argent à gagner, quelqu’un trouvera le moyen de contourner ce contretemps, sauf que ce ne devrait pas être les sociétés d’État qui empêchent la police d’intervenir dans le réseau de livraison.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Batters : Je vous remercie de votre présence. Je tiens également à rappeler à tous le contexte dans lequel ce comité a étudié le projet de loi C-47, la Loi d’exécution du budget du gouvernement, qui contenait une disposition semblable à certains égards. Toutefois, ce projet de loi est beaucoup plus précis et j’aimerais rappeler à tous que 30 grammes de fentanyl — qui peuvent tenir dans une enveloppe de la taille d’une lettre — peuvent donner lieu à 15 000 surdoses potentiellement mortelles. Ces détails contextuels sont vraiment importants pour que nous nous rendions compte de ce dont il s’agit.

Sénateur Dalphond, lorsque j’ai vu pour la première fois que Mme Huntsman serait ici, elle était désignée au titre de conseillère juridique. Est-il exact que vous l’avez engagée pour vous prêter main-forte à cet égard? Habituellement, elle travaille pour l’Association canadienne des chefs de police, peut-être à titre intérimaire.

Le sénateur Dalphond : Je serai bref. Nous nous sommes d’abord rencontrés lorsqu’elle est venue témoigner devant ce comité avec l’Association canadienne des chefs de police, puis — je ne veux pas en dire trop — elle a pris sa retraite des forces policières, de l’Association canadienne des chefs de police, et nous sommes restés en contact parce que nous travaillions avec elle sur d’autres projets de loi. Nous l’avons donc contactée et elle nous a dit : « Je suis retraitée, mais si vous le voulez, je peux travailler avec vous. » Je lui ai dit : « Cela vous dérangerait-il d’avoir un contrat de service avec nous? Nous allons vous embaucher pour que vous nous aidiez. » Elle a dit oui, et nous sommes très contents de l’avoir fait.

La sénatrice Batters : Vous avez retenu les services de Mme Huntsman à partir du budget du Sénat. Est-ce exact?

Le sénateur Dalphond : Ce n’est pas tout à fait cela. Le chef du Groupe progressiste du Sénat dispose d’un fonds de recherche. Une partie du budget du groupe est allouée à des projets de recherche particuliers. J’ai donc demandé du financement pour un projet de recherche sur ce sujet et ma demande a été approuvée. Je n’étais pas le chef de file, ce n’est donc pas moi qui ai pris la décision. Quoi qu’il en soit, c’est avec cet argent que j’ai embauché Mme Huntsman.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

Comme je l’ai dit, il y a eu une partie précédente de ce projet de loi émanant du gouvernement, la Loi d’exécution du budget, et votre projet de loi a été présenté plusieurs mois avant cela. Il a été présenté pour la première fois en novembre 2022. Donc, entre le moment où votre projet de loi a été présenté et la première lecture du projet de loi C-47, la Loi d’exécution du budget de 2023, avez-vous eu des contacts avec des représentants du gouvernement pour discuter de la possibilité d’inclure les mesures que vous proposiez dans le projet de loi S-256 dans cette loi d’exécution du budget, en particulier dans cette section? Dans l’affirmative — c’est-à-dire si vous avez eu ces discussions —, pourquoi ont-ils indiqué qu’ils n’incluaient pas vos dispositions, même si les deux visent à modifier la Loi sur la Société canadienne des postes?

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup de vos questions. La seule chose que je peux dire, c’est que je suis déçu qu’on ne m’ait jamais contacté pour me dire que nous devrions inclure cela. Lorsque la ministre Gudie, je crois que c’est son nom, de Terre-Neuve-et-Labrador, la ministre du Développement économique rural...

La sénatrice Batters : Gudie Hutchings. C’est bien cela? Oui. La ministre Gudie Hutchings.

Le sénateur Dalphond : Oui, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Lorsqu’elle a comparu pendant la période des questions au Sénat, je lui ai demandé si elle était au courant du projet de loi, et elle m’a répondu par l’affirmative. Je lui ai demandé si elle l’appuyait et elle m’a répondu : « Nous suivons de près ce que vous faites ».

J’ai compris que cela signifiait : « Continuez, jeune homme, et nous verrons. » Je ne suis plus un jeune homme et, deux ans plus tard, mon projet de loi arrive enfin en comité, car je comprends que le comité a été saisi de nombreux projets de loi et que les projets de loi émanant du gouvernement ont eu la priorité. Pour tout dire, je ressens une certaine déception, oui.

Je croyais que le gouvernement aurait au moins pu reprendre ces dispositions et les inclure dans la Loi d’exécution du budget. Comme vous le savez, la Loi d’exécution du budget a été modifiée pour ne concerner que les inspecteurs parce qu’ils avaient saisi des colis, mais un juge de Terre-Neuve-et-Labrador — et vous avez fait référence au témoignage d’un témoin devant le tribunal — a établi que la saisie était illégale, qu’elle était contraire à la loi parce qu’il n’y avait pas d’obligation. Ils ont donc amendé le projet de loi pour dire que l’inspecteur doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner, de sorte qu’ils ont le seuil minimum nécessaire pour passer le test de la conformité constitutionnelle, c’est-à-dire à l’article 8 de la Charte des droits et libertés.

Le gouvernement avait un an pour régler le problème, il l’a donc inclus dans le projet de loi omnibus, comme il le fait lorsqu’il manque de temps. Or, lorsque le comité a reçu un représentant de Justice Canada, je lui ai demandé pourquoi ils n’allaient pas plus loin, mais ma question est restée sans réponse. Je pense donc que nous sommes du côté obscur où le Sénat doit faire pression parce que, de toute évidence, Postes Canada ne le fait pas, et peut-être que le ministre responsable de Postes Canada ne le fait pas non plus.

La sénatrice Batters : Je repensais aux questions que j’ai posées à la dernière réunion du comité des affaires juridiques du Sénat, et je disais que vous aviez un projet de loi d’initiative parlementaire, et qu’il faut parfois beaucoup plus de temps pour qu’un projet de loi d’initiative parlementaire d’un sénateur soit traité que lorsqu’il s’agit de projets de loi émanant du gouvernement, mais le gouvernement ne m’a pas écoutée.

Je me demande si vous avez eu des discussions depuis que ce projet de loi d’exécution du budget a été présenté et adopté. Depuis ce temps, avez-vous eu des discussions concernant votre projet de loi avec des représentants du gouvernement, avec le ministre de la Justice ou avec des gens de son cabinet afin d’essayer de les amener à inclure des mesures semblables à celles que vous proposez dans un projet de loi émanant du gouvernement — soit dans un projet de loi d’exécution du budget ou dans quelque autre projet de loi émanant du gouvernement — et ainsi faire en sorte que cela se concrétise? Si vous l’avez fait, veuillez nous en parler.

Le sénateur Dalphond : La réponse est très courte. Votre appel est resté sans réponse, et personne ne m’a donc contacté pour en parler. Il n’y a eu aucune discussion, point à la ligne.

La sénatrice Batters : Ils ne vous ont donc pas contacté, mais l’avez-vous fait pour les inciter à considérer la chose, ou non?

Le sénateur Dalphond : J’aurais peut-être dû le faire, mais je ne l’ai pas fait.

La sénatrice Batters : Vous avez déjà souligné, sénateur Dalphond, qu’il n’y a que 25 inspecteurs de Postes Canada pour couvrir l’ensemble du pays. À votre avis, ce nombre est-il suffisant pour appuyer l’application efficace de la loi, surtout si la saisie des lettres est autorisée? Il semble que ce ne soit pas prévu dans votre projet de loi, mais croyez-vous qu’il sera nécessaire d’avoir des ressources accrues pour assurer l’efficacité des nouvelles mesures contenues dans votre projet de loi?

Le sénateur Dalphond : Merci de votre question. Je crois avoir dit dans mon discours qu’il y avait 25 inspecteurs en 2020, mais je ne sais pas combien il y en a pour l’instant. Peut-être qu’en 2024, il y en aura 27 ou 30. Mme Huntsman pourrait peut-être compléter ma réponse.

Le système, qui repose sur les épaules des inspecteurs, serait inefficace parce qu’ils ne font pas participer la police aux enquêtes. Ils ne suivent pas de pistes; ils vérifient si les droits ont été payés, s’il y a suffisamment de timbres ou s’il y a de la viande dans le colis. Ils ont une foule de tâches à accomplir. Les machines sont toutefois assez perfectionnées. J’ai visité le centre de Montréal.

Les enveloppes dans lesquelles on expédie des médicaments par courrier n’ont pas d’adresse de l’expéditeur. Il n’y a que l’adresse du destinataire. Si l’enveloppe n’est pas réclamée, il n’y a pas d’adresse de retour et la machine le voit. Ils peuvent programmer les machines pour retirer ces lettres de la ligne. C’est incroyable; ces machines traitent des millions d’articles. Ce sont de grosses machines installées au point de tri, comme dans un entrepôt d’Amazon. C’est énorme.

Cependant, ces machines ne sont pas équipées pour faire plus. Le comité entendra certains témoins qui ont mis au point une technologie très poussée. Les lettres peuvent être scannées et retirées de la ligne. Elles pourraient être envoyées vers une machine qui peut voir au travers des enveloppes sans lire ce qui est écrit; la machine ne peut pas lire, mais elle peut dire s’il y a de la drogue dans l’enveloppe. Elle est tellement perfectionnée que si on écrit une lettre avec de l’encre qui contient de la drogue — c’est ainsi qu’on en introduit dans certaines prisons américaines —, la machine peut voir que les composantes chimiques de l’encre ne sont pas normales et la lettre serait retirée de la ligne.

Il existe des moyens technologiques, mais cela nécessitera un investissement de la part de Postes Canada et d’autres inspecteurs. Évidemment, c’est facile de retirer les lettres de la ligne. C’est le reste qui exige beaucoup de travail et de main-d’œuvre.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, sénateur Dalphond.

Peut-être que c’est illogique, mais je me sens très déchirée. Je n’ai pas d’objection personnelle à ce qu’on saisisse des boîtes de vodka, mais le fait de cibler des lettres personnelles me fait sourciller. Les lettres ont toujours été sacro-saintes, peut-être parce que j’ai grandi dans une famille où mes deux parents avaient des parents en Union soviétique, derrière le rideau de fer, et nous étions hantés à l’idée que les autorités russes lisent le courrier.

Je veux comprendre les critères qui autorisent la police à ouvrir le courrier. De fait, la cour de Terre-Neuve-et-Labrador a statué que le statu quo est inconstitutionnel; il viole les droits à la vie privée et les droits à une perquisition et à une saisie déraisonnables.

Expliquez-moi donc comment cela fonctionnerait, car c’est notre premier jour. Une lettre est mise à la poste. Y aurait-il des machines pour détecter la présence de drogues? Des chiens devraient-ils sentir la présence de drogues? Quel test serait effectué pour qu’on puisse ensuite ouvrir une lettre et quelles étapes doivent être suivies pour le faire?

Le sénateur Dalphond : Il y a deux choses qui entrent en ligne de compte au sujet de ce que vous avez dit. Le projet de loi, tel qu’il est rédigé, ne cible que l’une d’elles : l’incapacité des forces policières de fouiller une enveloppe ou un colis même si elles obtiennent une autorisation judiciaire à cette fin, parce que Postes Canada est un territoire interdit. Si c’est Purolator, FedEx ou d’autres compagnies, elles pourraient le faire, mais ces compagnies n’acheminent pas de lettres.

Dans le cas du fentanyl, comme l’a souligné la sénatrice Batters, la lettre peut contenir une substance d’une valeur de 30 000 $, ce qui représente 12 000 doses. C’est incroyable.

Si nous suivons le projet de loi, la police demandera à un juge l’autorisation judiciaire de saisir la lettre. Autorisation judiciaire ou mandat — c’est la même chose. Les policiers iront ensuite voir Postes Canada pour essayer d’appliquer le mandat, mais la loi les en empêche, car Poste Canada est intouchable. Avec l’amendement, Poste Canada devra se conformer et accepter l’intervention.

Poste Canada a peur. Si la police se présente avec un mandat de perquisition et veut vérifier la ligne, devra-t-elle mettre la ligne à l’arrêt et arrêter le traitement de millions d’articles qui ne seront pas livrés le lendemain? Tout le courrier vient de Montréal. Une lettre envoyée à Moncton depuis Halifax est envoyée à Montréal, puis à Moncton. Tout se fait en 24 heures, et il y a beaucoup de courrier. Cela va donc très rapidement. Bon.

C’est l’exemple extrême d’un juge qui autorise beaucoup de choses sans être conscient des conséquences. Mais si on veut procéder à une saisie dans la boîte aux lettres au coin de la rue, au comptoir de la pharmacie ou dans la camionnette qui vient juste de ramasser le colis et l’amène à un autre lieu de tri avant qu’il ne soit envoyé au centre de tri principal, il y a beaucoup d’endroits où on peut intervenir et arrêter le processus. Il faut ensuite trouver les lettres qu’on est autorisés à saisir et les retirer du lot. La police sera ensuite autorisée à les ouvrir.

Les inspecteurs ne seraient donc pas autorisés à les ouvrir. Ils les saisiraient, et la police serait autorisée à les fouiller en vertu d’un mandat.

La sénatrice Simons : Seulement si un mandat a été délivré.

Le sénateur Dalphond : C’est exact

Mme Huntsman : Pour aller plus loin, lorsque la police demande un mandat, que nous appelons parfois autorisation judiciaire, le seuil, c’est d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise et que le colis ou la lettre contient des preuves à l’appui. Pourtant, en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes, le motif que les inspecteurs peuvent invoquer est le fait qu’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner, ce qui constitue un seuil inférieur. Donc, lorsque la police demande un mandat de perquisition, elle a un seuil plus élevé à respecter pour obtenir l’autorisation judiciaire.

La sénatrice Simons : Cela soulève une question intéressante, car vous n’avez parlé que de la drogue. Ce que vous dites, toutefois, c’est qu’en fait, la police pourrait obtenir un mandat pour ouvrir le courrier de quiconque si elle croit que quelqu’un s’adonne au terrorisme, à l’écoterrorisme ou à toute autre activité qui capte l’attention des autorités. Ce pouvoir pourrait donc être utilisé pour intercepter...

Le sénateur Dalphond : Si la lettre vient des États-Unis, par exemple, les agents de douane ont le pouvoir de la saisir s’il a des motifs raisonnables. Je ne sais pas ce qu’ils feraient des changements proposés — ils n’ont pas été mis en œuvre —, mais ils ont le droit de saisir des lettres et de les ouvrir lorsqu’elles arrivent au Canada. Mais il est question ici de la police, pas des agents de douane.

La sénatrice Simons : Mais au Canada, si j’écris une lettre au sénateur Prosper afin de comploter en vue de renverser la démocratie — je ne ferais pas et il ne l’ouvrirait pas, mais si la police pensait ou décidait de penser que j’écris quelque chose de politiquement dangereux, aurait-elle, en vertu de cette mesure législative, le droit de lire mon courrier, pas seulement pour chercher des marchandises de contrebande, mais aussi pour lire les lettres que les Canadiens s’envoient les uns aux autres, des lettres qu’ils croient plus privées que des courriels?

Le sénateur Dalphond : Il faudrait qu’elle soupçonne une infraction à une loi d’exécution, telle que définie à l’article 2. Il faut donc qu’il s’agisse d’une loi fédérale, d’une loi provinciale ou d’un règlement municipal pris par un conseil qui crée une infraction. Comme vous l’avez indiqué, il faut avoir des motifs de soupçonner ou de croire, ce qui constitue un seuil plus élevé. L’agent de police devra avoir des motifs de croire qu’une infraction à une disposition précise d’une loi précise a été commise. Le juge n’accorde pas d’autorisation ouverte; elle doit concerner exclusivement l’exécution de la loi pour ce genre d’infraction.

La sénatrice Simons : Mais pour être clair, il ne s’agit pas seulement de marchandises de contrebande, de drogue ou d’alcool; ce pourrait être un discours politique, ou une enquête sur un meurtre dans le cadre de laquelle la police cherche, par exemple, à savoir s’il y a des lettres d’amour entre le suspect et sa maîtresse. Cela pourrait ouvrir la porte à toutes ces possibilités, n’est-ce pas?

Le sénateur Dalphond : Il n’y a probablement plus de ce genre de lettres d’amour dans le courrier. Elles peuvent être reçues et lues par le destinataire, de sorte qu’on peut les trouver dans son secrétaire, son bureau ou sa penderie — où qu’il les ait mises. Je ne suis pas sûr que ce serait un problème pour le système postal. Les lettres sont en transit pendant quelques heures ou quelques jours, mais c’est tout.

La sénatrice Simons : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Clement : Je remercie d’abord le sénateur Dalphond pour son travail de longue date sur une question qui a besoin d’évoluer.

[Traduction]

Mes questions concernent davantage la déclaration de Rachel Huntsman. Vous avez parlé du secteur privé et de la façon dont les compagnies de livraison privées fonctionnent sous un tout autre régime. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et nous expliquer pourquoi Postes Canada est comme elle est et pourquoi le secteur privé n’est pas pareil? C’est ma première question.

Vous avez également fait référence à la définition d’« objets inadmissibles », que je viens de consulter; elle est très large. Je ne sais pas si cela a un lien avec le projet de loi, s’il y a des préoccupations à ce sujet ou si le projet de loi doit modifier cette définition.

Troisièmement, j’entends dire que ce projet de loi est utile, car il permet de résoudre certains problèmes importants. Y a-t-il des objections du point de vue de la protection de la vie privée ou des libertés civiles en ce qui concerne certains points soulevés par la sénatrice Simons? Je suis toujours préoccupée par le racisme systémique et les modifications qui auront une incidence sur certains groupes plus que sur d’autres.

Mme Huntsman : Je répondrai à votre troisième question en premier, car c’est un point intéressant. Évidemment, nous nous préoccupons tous de la vie privée, et c’est l’une des raisons pour lesquelles la police ne peut pas entrer comme bon lui semble dans les maisons des gens pour saisir des preuves, des ordinateurs ou des colis ouverts. Elle a besoin d’un mandat de perquisition.

Il est intéressant de noter qu’un avocat dénommé David Fraser, du cabinet juridique McInnes Cooper, de Halifax, est habituellement le premier à monter au front quand il est question des pouvoirs de la police. Habituellement, il est résolument contre l’augmentation des pouvoirs de la police.

J’ai la chance d’avoir avec moi un article de CBC News, qui l’a contacté à ce sujet. Si je peux citer cet article, il indique ce qui suit :

David Fraser, éminent avocat spécialisé en protection de la vie privée à Halifax, a dit qu’il s’oppose habituellement à l’élargissement des pouvoirs de la police.

Pas cette fois.

« La Loi sur Postes Canada stipule que le courrier est sacré et ne peut être saisi, ce qui est fort à propos », a déclaré M. Fraser, associé de McInnes Cooper.

« Mais je pense que dans les situations où des articles très dangereux sont envoyés par la poste, il est logique de les intercepter à ce moment-là, avant qu’ils ne représentent un risque pour le public. »

Vous avez là un des principaux avocats du pays en matière de protection de la vie privée qui appuie cet amendement. C’est ce que je répondrais à ce sujet.

Vous avez soulevé d’autres questions et parlé du secteur privé. J’ai pratiqué le droit pénal toute ma vie. J’ai été procureure de la Couronne pendant 20 ans, puis je suis entrée au service de la Police royale de Terre-Neuve à titre de conseillère juridique. J’ai toujours prodigué des conseils sur les questions de perquisition et de saisie. Il s’agit d’un domaine complexe du droit. En règle générale, pour saisir des éléments de preuve, la police doit obtenir un mandat de perquisition, sauf en cas de situations d’urgence extrêmes. Si un article, un colis ou une lettre est envoyé par l’entremise d’une entreprise privée comme Purolator ou UPS, aucune restriction n’est en place. La police obtiendra un mandat de perquisition pour fouiller cet article, et elle devrait pouvoir le faire avec le même colis s’il est envoyé par l’intermédiaire de Postes Canada. Curieusement, Purolator appartient à Postes Canada, de sorte que la police peut obtenir un mandat de perquisition pour y mener des perquisitions.

Je ne peux expliquer pourquoi, sauf pour dire que c’est une disposition antédiluvienne qui existe depuis 1867 et qui n’a jamais été abrogée. On a repris presque tel quel la teneur de la Loi sur les bureaux de poste dans la Loi sur la Société canadienne des postes. Je pense que personne n’a pensé que ce serait utilisé tel quel. J’espère que cela répond à cette question.

Vous m’avez ensuite interrogée sur les objets inadmissibles. Évidemment, d’étranges objets sont envoyés par la poste. Certains colis qui fuient pourraient endommager l’équipement postal, alors que d’autres ne sont pas emballés correctement ou s’ouvrent. Et comme vous l’avez fait remarquer, la définition d’« objets inadmissibles » est très large. Les inspecteurs des postes ont le pouvoir de retirer ces colis du système et devraient donc le faire. Ce pouvoir leur est conféré par la Loi sur la Société canadienne des postes.

Mais c’est très différent des criminels qui postent une arme à feu ou envoient des éléments criminels par la poste. Il n’est pas question ici d’objets inadmissibles; c’est tout autre chose. Voilà pourquoi la police devrait avoir le pouvoir de retirer ces articles du courrier avant qu’ils n’atteignent le destinataire.

Demain, vous entendrez un inspecteur de police fort expérimenté de la police de Vancouver qui, je l’espère, répondra à cette question. Je ne suis pas agente de police. Je n’ai jamais fait d’enquête policière, mais je pense qu’il pourra expliquer mieux que moi les problèmes auxquels les inspecteurs sont malheureusement confrontés et comment la Loi sur la Société canadienne des postes entrave les enquêtes et crée également un problème de sécurité publique.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup. J’aimerais lire l’article dont vous parliez au sujet de monsieur Fraser.

Le président : Pourriez-vous nous le transmettre, madame Huntsman?

Mme Huntsman : Volontiers

[Français]

La sénatrice Audette : Je viens peut-être d’une autre planète, pourtant on partage un grand territoire commun. Kawawachikamach, c’est plus au sud du territoire du chef Larose, que j’admire beaucoup. Il travaille avec les Inuits depuis plusieurs années, comme à Shefferville, mon ancienne communauté, et à Maliotenam; ce sont des communautés où la drogue entre trop facilement.

Si le projet de loi est adopté et qu’on peut saisir une lettre parce qu’on a des motifs raisonnables de penser... Si je vis de l’abus de la part de la police ou de l’intimidation, il y a certainement des organisations civiles attachées à des gouvernements indépendants qui me permettent de porter plainte si je crois que j’ai été abusé dans mes droits et mon intimité. Oui ou non?

Mme Huntsman : Oui.

La sénatrice Audette : Donc, cela existe.

Comment rassurer mes collègues sur le fait qu’il existe des entités ou des organisations et que je peux déposer une plainte si je pense qu’on a porté atteinte à mes droits et à mon intimité? Nous devons réagir; il y a des jeunes de 11 ans qui meurent dans les communautés parce qu’ils ont pris une mauvaise drogue qui est arrivée par la poste. Parfois, c’est seulement une petite goutte sur un papier.

Avez-vous rencontré l’Association des chefs de police des Premières Nations au Québec, qui ont peut-être les mains liées comme le chef de police de Maliotenam, parce qu’il y a des vides juridiques qui permettent au crime organisé de venir chez nous et de nous faire du mal?

Comment rassurer sur le fait que j’ai des droits si je suis victime d’abus, mais si je ne fais rien, je continue tacitement à poursuivre à un malaise collectif qui amène des suicides ou des décès par surdose?

Le sénateur Dalphond : Il ne faut pas se raconter d’histoire. Si ce projet de loi est adopté, cela perturbera un moyen de livraison, mais cela ne mettra pas fin à toutes les livraisons.

Je trouve que c’est particulièrement important de mettre fin à un moyen de livraison si peu coûteux et si facile que les gens impliqués dans la distribution du fentanyl et d’autres substances illégales s’en servent en disant que c’est merveilleux et la police ne peut même pas l’intercepter avant la livraison. Alors, ils font leurs transactions et ils sont payés sur le Web clandestin et cela fonctionne.

C’est une société d’État qui est le bras de ces organisations. J’ai rencontré les gens de Postes Canada; ils ne sont pas d’accord. Ils ne sont pas des collaborateurs volontaires à cela. Ils ne ferment pas les yeux, ils sont conscients de ce qui se passe.

Les inspecteurs font leur possible pour détecter des colis suspects, mais ils sont 25 pour tout le Canada et il y a beaucoup de volume à couvrir dans une journée. Ils s’occupent de la sécurité sur le lieu et s’il y a un événement dans un bureau postal, ce sont eux qui font enquête. Ils ont un travail colossal à accomplir avec une poignée de personnes.

J’ai plus confiance dans le fait que nous mettons le pouvoir entre les mains des policiers qui travaillent sur des enquêtes, qui ont dépisté des gens et qui sont capables de remonter le réseau; ils peuvent intervenir, briser le réseau et saisir la chose.

Si nous adoptons le projet de loi, le message qu’on envoie dans le système, c’est qu’ils pourront saisir les lettres. La machine est en train de changer. Nous allons retrouver quelque chose d’autre.

Cela envoie un message positif. Est-ce que cela règle tous les problèmes? Je suis convaincu que non.

La sénatrice Audette : Est-ce qu’elle a rencontré les chefs de police autochtones?

[Traduction]

Mme Huntsman : Non, je ne les ai pas rencontrés. Mon rôle dans ce dossier a été assez limité. Comme je l’ai fait remarquer, tout d’abord, nous nous sommes intéressés à cette question parce que nous connaissions le problème du fentanyl. Ce n’est que lorsque j’ai communiqué avec divers services de police — et j’ai eu la chance de joindre celui du Nunavik — que j’ai pris connaissance du problème de l’alcool, que j’ignorais complètement. J’ai eu tout un choc, car nous ne considérons généralement pas l’alcool comme une substance illégale. Cela ne correspond pas à mon expérience.

Le chef Larose m’a vraiment ouvert les yeux.

La sénatrice Audette : Je vous remercie.

La sénatrice Denise Batters (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : Le sénateur Cotter ayant dû partir, je présiderai le reste de la réunion d’aujourd’hui. Nous effectuerons un bref deuxième tour de table. J’avais inscrit mon nom pour poser une question, alors je vais la poser.

Sénateur Dalphond, dans votre déclaration d’ouverture d’aujourd’hui, vous avez dit être disposé à accepter un certain amendement. J’ai peut-être manqué ce que vous avez dit quand vous disiez de quel amendement il s’agit. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Vous l’avez peut-être dit, mais je pense que cela m’a échappé.

Le sénateur Dalphond : Merci de votre question. C’est plutôt le sénateur Carignan qui a proposé un amendement pour supprimer des dispositions au lieu d’instaurer des exceptions à ces dispositions.

Cependant, je suis également sensible aux questions soulevées au sujet de la vie privée. Je fonctionne encore à l’ancienne, envoyant des lettres et écrivant des notes personnelles. Je sais que c’est démodé parce que cela prend trop de temps. Le fait est qu’on s’attend à ce que le courrier soit entouré d’une certaine confidentialité, même si je ne suis pas sûr que ce principe soit toujours respecté. Au centre-ville de Montréal, quand j’envoie une lettre à un autre cabinet d’avocats, ce n’est pas par la poste. Une entreprise de livraison vient la ramasser et la livre à destination dans les deux heures. Nous n’utilisons pas le service postal.

Cela dit, au lieu d’éliminer la disposition qui interdit l’interception de lettres quand elles sont dans le courrier, il faudrait les conserver en y adjoignant des exceptions en matière d’autorisations judiciaires, lesquelles constituent la meilleure protection contre les abus. Il pourrait y avoir des erreurs, mais cela offrira une certaine protection. Supprimer toute la disposition pourrait faire en sorte que... Au moins, il y aura moins de valeur pour cet aspect de la communication, soit celui des lettres.

La vice-présidente : Merci. Nous allons faire un bref deuxième tour.

La sénatrice Simons : J’ai cru comprendre que vous aviez consulté un certain nombre de chefs autochtones dans leurs communautés.

Le sénateur Dalphond : En fait, ils sont venus nous voir après avoir appris que nous travaillions sur ce projet de loi.

La sénatrice Simons : J’essaie de comprendre. Nous avons évidemment le pouvoir, si nous le jugeons nécessaire, de modifier les lois fédérales, mais y a-t-il un risque que cela nuise à l’autonomie et à l’intégrité des règlements autochtones? Ça va si la nation ou le chef est d’accord, mais qu’en est-il si un chef ou une nation ne l’est pas?

J’aimerais comprendre la relation entre le projet de loi et les règlements d’une nation indépendante.

Le sénateur Dalphond : J’ai oublié le nom de la loi qui stipule que les conseils peuvent adopter des règlements. Ce que nous faisons ici, c’est simplement le reconnaître. Nous ne créons pas une nouvelle loi. Nous ne leur disons pas ce qu’ils devraient faire. Une loi d’application, c’est-à-dire une loi que la police peut appliquer, est soit une loi du Parlement — dans mon esprit, il s’agit très probablement du Code criminel ou de la loi sur les drogues et substances contrôlées — soit une loi provinciale, qui peut concerner l’alcool ou les armes à feu ou bien d’autres choses qui circulent dans les colis, mais peut-être pas dans une enveloppe. Le projet de loi indique que les lois et les règlements adoptés par les conseils devraient être traités de la même manière.

La sénatrice Simons : Cela m’amène à d’autres questions. La première est la suivante : cela donnerait-il à la police le pouvoir de faire quelque chose que le chef du conseil n’aurait peut-être pas prévu? Voyez-vous où je veux en venir? Si une force de police extérieure peut utiliser un règlement de bande d’une façon qui n’avait pas été prévue, cela porte-t-il atteinte à l’autonomie du règlement de la Première Nation ?

Deuxièmement, si vous…

La vice-présidente : Il se peut que vous n’ayez pas le temps pour la deuxième question. Il reste 30 secondes pour répondre.

Le sénateur Dalphond : Rachel peut peut-être répondre à cette question parce qu’elle a plus d’expérience en matière de demande d’autorisation…

Mme Huntsman : Je vais tenter de répondre.

À mon avis, en modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes, nous donnons à certaines communautés autochtones le pouvoir de faire respecter leurs règlements. Ainsi, s’il existe un règlement qui limite la quantité d’alcool autorisée dans une communauté, il faut pouvoir appliquer ce règlement, mais la Loi sur la Société canadienne des postes crée des entraves. Le projet de loi permettra donc aux communautés autochtones de faire respecter leurs propres règlements.

C’est ainsi que je comprends la terrible situation dans laquelle elles se trouvent. La loi fédérale leur met des bâtons dans les roues et les empêche de faire respecter leurs règlements.

[Français]

Le sénateur Forest : L’aspect légal n’est pas mon carré de sable. En termes techniques, vous avez dit, d’abord, que la technologie existe pour être en mesure de dépister s’il y a des matières illicites à l’intérieur des enveloppes. Elle n’existe pas en quantité suffisante, mais cette technologie existe. Qu’est-ce qui explique la réticence de Postes Canada?

Le sénateur Dalphond : J’ai fait plusieurs commentaires plus tôt et je ne veux pas que mes commentaires soient vus de façon négative par les gens de Postes Canada.

Je les ai rencontrés et je sais qu’ils font de leur mieux pour gérer une situation parfois difficile, mais aussi donner un bon service aux Canadiens. Là où personne ne va, ils vont toujours. J’ai beaucoup de respect pour le travail qu’ils font. Je ne veux pas être mal compris.

On va recevoir d’autres témoins qui vont expliquer, par exemple, que tout le courrier qui arrive sur la Colline du Parlement, avant d’arriver à votre bureau, passe par un endroit où il est scanné et examiné. S’il y a de la poudre, l’enveloppe ne se rendra pas à votre bureau.

Combien de lettres reçoivent-ils par jour? Je ne me souviens pas de la réponse. C’est une fraction du nombre d’éléments qui passent dans l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal, où des millions d’éléments circulent.

Le système est fait pour aller rapidement et traiter des quantités phénoménales d’éléments. Je pense que les gens vont venir témoigner et qu’ils vont vous dire certaines choses.

J’ai aussi rencontré les fabricants. Il y a des choses à faire, mais est-ce que c’est à Postes Canada de les faire, est-ce que c’est au récipiendaire? On ne s’est pas impliqué dans la gestion des postes comme telle. On a dit qu’on allait donner à la police le pouvoir d’intervenir, et quand les policiers vont arriver à la Société canadienne des postes, les inspecteurs vont collaborer et dire : « Oui, on va vous aider, car vous avez une autorisation judiciaire et la loi nous oblige à vous aider. »

Le sénateur Forest : Si le projet de loi est adopté, la modification ne passe pas comme une lettre à la poste à Postes Canada?

Le sénateur Dalphond : J’espère qu’ils vont le recevoir comme une lettre de plus à la poste.

Le sénateur Forest : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Le projet de loi contient quelques dispositions relatives à la responsabilité limitée associée à la saisie. Pouvez-vous nous parler des possibles enjeux de responsabilité dont il est question?

Le sénateur Dalphond : Il y a déjà une sorte de résumé; nous ne faisons qu’ajouter des mots ici et là. La loi prévoit déjà une limite à la responsabilité de Postes Canada.

À l’heure actuelle, on part du principe que lorsque l’on dépose quelque chose dans la boîte aux lettres, il arrivera à destination sans interférence. Si le projet de loi est adopté, la police pourra intervenir. Elle pourra dire à Postes Canada qu’elle a un mandat, qu’elle veut qu’on l’aide à trouver certains colis ou certaines lettres et qu’elle veut qu’on les lui remette ou qu’on les lui transmette.

Nous avons inclus cette disposition pour que, dans un tel cas, une personne ne puisse pas poursuivre Postes Canada en disant que la livraison n’a pas eu lieu comme prévu ou qu’elle a été interrompue. C’est le seul but de la disposition.

La vice-présidente : Je voudrais remercier les témoins d’être venus répondre à nos questions. Nous allons maintenant accueillir le prochain groupe de témoins.

Nous avons le plaisir d’accueillir, de RaySecur, Pascale Gagnon, directrice commerciale, et l’honorable David Pratt, directeur, David Pratt & Associés, et ancien député.

Bienvenu. Merci de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous commencerons par la déclaration préliminaire de Mme Gagnon avant de passer aux sénateurs. Vous avez la parole pour cinq minutes chacun.

Pascale Gagnon, directrice commerciale, RaySecur : Bonjour. Je remercie la vice-présidente, le sénateur Dalphond et les membres du comité de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui.

Permettez-moi tout d’abord de féliciter et de remercier le sénateur Dalphond d’avoir présenté, par le biais de son projet de loi, une solution très pratique au problème de la sécurité du courrier. Je travaille dans ce domaine depuis huit ans et je pense que le projet de loi du sénateur est attendu depuis longtemps pour aider à résoudre un enjeu de société qui, malheureusement, n’a pas reçu l’attention qu’il mérite.

J’aimerais commencer par vous parler un peu des origines canadiennes de RaySecur et vous donner une idée des capacités uniques de sa technologie d’ondes millimétriques appelée MailSecur. RaySecur est aujourd’hui une entreprise mondiale, mais ses racines sont québécoises. Elle est née à la suite d’une demande du gouvernement du Canada pour faire face aux menaces croissantes qui pèsent sur le courrier et aux lacunes que les rayons X ne peuvent pas combler. Après des années d’innovation, RaySecur a mis au point l’appareil MailSecur, qui est la seule technologie au monde capable de détecter les neuf menaces identifiées par le département américain de la Sécurité intérieure sans compromettre l’intégrité du courrier. L’appareil détecte les poudres, les liquides, les toxines, les papiers imbibés de drogue et d’autres substances de contrebande et dangereuses à l’intérieur des enveloppes et des colis scellés, sans les ouvrir.

MailSecur combine plusieurs technologies pour détecter ces menaces. Les papiers imbibés de drogue, les poudres et les liquides sont les menaces du XXIe siècle transportées par le courrier les plus courantes. Aucune autre technologie ne détecte les petites quantités de ces substances comme le fait notre appareil. MailSecur affiche une vidéo en 3D du contenu du courrier en temps réel et son utilisation est totalement sûre pour l’opérateur. Je peux vous décrire le fonctionnement, mais je vous invite également à demander une démonstration de l’appareil, qui peut avoir lieu dans un bureau, ici en salle de comité ou même virtuellement. Voir l’appareil en action vous donnera une idée plus claire de la simplicité, de l’efficacité et du caractère non invasif de la technologie des ondes millimétriques.

MailSecur est déjà utilisé au Canada. Il est également utilisé partout aux États-Unis. Quatre des cinq entreprises les plus importantes des États-Unis utilisent l’appareil MailSecur. Des entreprises de premier plan dans les domaines de la finance, de la technologie, de la pharmacie, de la fabrication et de nombreux autres secteurs font confiance à MailSecur pour détecter les menaces d’aujourd’hui. Les bureaux électoraux, les élus des États et du gouvernement fédéral, les établissements de soins de santé et les établissements d’enseignement ont tous choisi d’utiliser ce moyen peu coûteux et entièrement sécurisé pour inspecter leur courrier afin de détecter la contrebande et d’autres menaces.

RaySecur fournit aux établissements pénitentiaires de tous les États-Unis l’appareil MailSecur pour protéger à la fois le personnel pénitentiaire et les détenus. Il y a quelques semaines, un gardien de prison est décédé en Californie après avoir ouvert une enveloppe contenant du fentanyl. Il n’a touché l’enveloppe qu’avec les doigts. Il s’agissait d’un papier imbibé, et il est mort en route vers l’hôpital. Notre dispositif aurait détecté la substance à l’intérieur de l’enveloppe non ouverte et évité le décès.

De même, en vertu du projet de loi du sénateur Dalphond, l’appareil MailSecur permettrait un contrôle non invasif et entièrement conforme à la loi des envois postaux afin de détecter et de prévenir la distribution par courrier de fentanyl potentiellement mortel. Comme le sénateur Dalphond l’a noté dans son communiqué de presse, Maclean’s a rapporté en 2019 que Postes Canada est la méthode d’expédition de choix pour les trafiquants de fentanyl. Depuis 2016, 47 000 décès apparents liés aux opioïdes sont survenus au Canada, les décès ayant augmenté de 91 % pendant la pandémie et étant restés à un niveau similaire depuis. Les surdoses sont la principale cause de mort non naturelle en Colombie-Britannique, avec plus de six vies perdues chaque jour à cause de drogues illicites. Trente grammes de fentanyl seulement, une quantité pouvant tenir dans un article de la taille d’une lettre, peuvent provoquer 15 000 surdoses potentiellement mortelles.

Le sénateur Dalphond m’a dit que lorsqu’un article est envoyé par la poste, la seule option dont dispose la police est de travailler en étroite collaboration avec l’un des 25 inspecteurs de Postes Canada — 25 pour couvrir l’ensemble du pays. L’inspecteur peut alors trouver un moyen d’inspecter un colis et le retenir si du matériel illégal est détecté à l’intérieur. Par la suite, sur la base des informations communiquées par l’inspecteur, la police peut saisir l’article pour une enquête plus approfondie et éventuellement pour porter une accusation. Il est important de rappeler que si la substance illégale — par exemple, un sachet de fentanyl — se trouve dans une lettre de moins de 500 grammes, celle-ci ne peut pas être ouverte par les inspecteurs postaux. La seule chose qu’ils peuvent faire s’ils identifient une telle lettre est de la retirer du circuit postal en tant qu’objet non expédiable et appeler la police.

Notre appareil, qui a fait ses preuves dans les établissements pénitentiaires et les administrations publiques des États-Unis, permet d’inspecter l’ensemble du courrier sans en compromettre l’intégrité ni enfreindre la loi sur la Société canadienne des postes. Le sceau n’étant pas brisé, le contenu — s’il n’est pas imbibé de produits de contrebande ou s’il ne contient pas de poudre ou d’autres substances illégales — n’est ni vu ni révélé à l’opérateur.

Je dis « imbibé » parce que l’appareil peut détecter du papier imbibé ou vaporisé de drogues. Il ne confond pas un papier parfumé avec un papier imbibé de fentanyl. Tout le monde pose cette question.

La vice-présidente : Excusez-moi, madame Gagnon, pourriez-vous conclure en une dizaine de secondes? Ensuite, nous passerons aux questions.

Mme Gagnon : Oui. Lorsqu’on parle des populations vulnérables, il y a les réserves autochtones éloignées, dont beaucoup sont aux prises avec les opioïdes et les drogues envoyées par la poste. Ce n’est peut-être pas l’objet principal de la discussion d’aujourd’hui, mais RaySecur a la solution pour prévenir ce type de problème.

Merci beaucoup de votre attention.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Je vous en suis reconnaissante.

L’honorable David Pratt, c.p., directeur, David Pratt & Associés, RaySecur : Je suis ici pour appuyer Mme Gagnon. Je travaille avec RaySecur depuis plusieurs années. Je suis consultant et j’aide RaySecur à traiter avec le gouvernement fédéral sur divers dossiers.

Je voulais mentionner — et je pense que le sénateur Dalphond y a fait référence — que le courrier qui arrive dans la Cité parlementaire, au Sénat et à la Chambre des communes, est inspecté par RaySecur. Une société distincte, SCI, participe à ce contrôle et produit des rapports réguliers sur le nombre de menaces détectées au cours d’un mois ou d’une année. Parmi les autres services protégés au centre-ville d’Ottawa figurent Affaires mondiales, qui utilise certains des appareils de RaySecur dans quelques missions à l’étranger.

D’autres ministères, comme le Cabinet du premier ministre, le Bureau du Conseil privé, Sécurité publique, Finances, Transports, Environnement et le ministère de la Défense nationale, le MDN — je ne veux pas oublier le MDN — seraient tous protégés par RaySecur. Cependant, à l’extérieur d’Ottawa, une telle protection n’existe pas. Vous savez peut-être qu’il y a un an, en mai 2023, un incident s’est produit au bureau de l’Agence du revenu du Canada à Sudbury, où quelques employés ont eu les mains brûlées par des substances contenues dans le courrier. Un grand nombre de ces incidents de sécurité ne sont pas signalés, de sorte que nous ne connaissons pas vraiment l’ampleur du problème.

D’après mon expérience, RaySecur dispose d’une technologie fabuleuse, d’une technologie canadienne innovante développée ici, et fait actuellement des affaires florissantes aux États-Unis en termes de nombre d’institutions et d’entreprises privées protégées. Cependant, il a été difficile au Canada d’obtenir une acceptation généralisée de l’appareil. J’espère que, sur la base du témoignage de Mme Gagnon, vous demanderez une démonstration, car l’appareil protège vraiment l’intégrité et la confidentialité du courrier. On ne peut pas voir les mots imprimés sur le matériel contenu dans le courrier. Cependant, comme l’a mentionné Mme Gagnon, les substances, les papiers imbibés de produits chimiques et les papiers imbibés de drogues sont révélés. Il s’agit vraiment d’une technologie étonnante qui pourrait résoudre certains des problèmes que nous connaissons ici au Canada.

En ce qui concerne les réserves autochtones, je pense que les bandes pourraient avoir la possibilité de s’attaquer à certains des problèmes auxquels elles sont confrontées, comme l’envoi de drogue par courrier. Cela leur donnerait l’occasion de combattre ce phénomène.

Je m’en tiendrai là et j’espère que les membres du comité poseront beaucoup de questions. Merci.

La vice-présidente : Excellent. Merci beaucoup. Je vous remercie tous les deux pour vos remarques. Je vais maintenant passer aux questions des sénateurs. Nous commencerons par le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie de votre présence. Bien sûr, je vous ai déjà rencontré. J’ai également assisté à une démonstration de l’appareil.

Peut-être pourriez-vous le décrire pour mes collègues, car ce que vous proposez, dans un sens, c’est que les destinataires des lettres soient équipés d’un dispositif d’inspection.

Mme Gagnon : Oui, il peut s’agir du destinataire, les inspecteurs se trouvant à la destination du courrier expédié. Les appareils peuvent aussi être dans certaines zones où il y a plus de problèmes de drogue ou de contrebande. Voilà où ils pourraient être utilisés.

M. Pratt : Il peut y avoir des enjeux de logistiques liés à la quantité de courrier que peut inspecter un appareil MailSecur. Il faudrait régler ces questions, mais il est certain que l’appareil offre le niveau de protection nécessaire pour empêcher les menaces d’atteindre leur destination par le biais du courrier.

Le sénateur Dalphond : De quel genre de coûts parlons-nous? Vous dites que le Parlement inspecte tout le courrier qui arrive ici — je suppose qu’il y a moins de courrier qu’avant, mais nous recevons toujours un certain nombre de lettres au bureau. L’option est-elle abordable pour une communauté isolée, par exemple?

Mme Gagnon : C’est certainement abordable. Nous offrons l’appareil, et nous avons du soutien 24 heures sur 24, sept jours sur sept pour le service. Un spécialiste de l’application de la loi ou un expert en neutralisation des explosifs et munitions, ou NEM, sera disponible pour venir en aide aux agents de contrôle de sécurité s’ils voient quelque chose de suspect. Ils peuvent élaborer les procédures normales d’exploitation, ou PNE.

M. Pratt : Il convient de rappeler aux membres du comité qu’en vertu des règlements du Conseil du Trésor, le gouvernement a un devoir de diligence de protéger les employés, si bien que c’est un autre facteur à prendre en considération. Le fardeau économique des blessures peut être très important pour ce qui est des jours perdus ou, potentiellement, des décès.

Le sénateur Prosper : J’ai deux questions. Je vais commencer avec vous, madame Gagnon.

Je pense que vous avez mentionné neuf menaces que votre technologie a pu régler. Quelles sont-elles?

Pourriez-vous nous donner votre avis sur le niveau de technologie qui existe actuellement à Postes Canada? Est-elle désuète, ou dispose-t-elle d’un processus semblable à celui de RaySecur ou quelque chose de cette nature?

Mme Gagnon : Je ne peux pas parler au nom de Postes Canada.

J’ai travaillé pour une grande entreprise. Les sociétés ne filtreront pas nécessairement les courriels, ou elles utiliseront une radiographie, mais les radiographies — lorsque nous parlons de détecter neuf menaces, nous avons été désignés en vertu de la Safety Act par le département de la Sécurité intérieure aux États‑Unis parce que nous pouvons détecter les neuf CBRNE, c’est-à-dire les explosifs, les liquides, les matières nucléaires, biologiques, chimiques, etc. Je peux vous faire parvenir plus de détails à propos des neuf menaces. Une radiographie régulière peut détecter trois des neuf menaces.

C’est pourquoi cette technologie a vu le jour au Canada. Quand le gouvernement du Canada a légalisé le cannabis, il a reçu beaucoup de menaces par courriel, et les radiographies n’étaient pas en mesure de détecter tous ces types de menaces. Notre laboratoire national du Québec a trouvé une solution en utilisant une technologie d’ondes millimétriques, et nous avons construit un scanneur portable, non ionisant et très petit.

Le sénateur Prosper : Ma prochaine question s’adresse à vous, monsieur Pratt.

Vous avez mentionné que cette technologie n’existe pas vraiment en dehors d’Ottawa, ou quelque chose du genre.

M. Pratt : Mme Gagnon serait plus en mesure de répondre à cette question concernant les appareils de RaySecur, mais je crois savoir que du point de vue du gouvernement, l’appareil n’est pas utilisé par les ministères en dehors d’Ottawa.

Le sénateur Prosper : D’accord.

Il y a un autre point que vous avez soulevé qui m’intéresse. Je pense que vous avez dit qu’il est difficile de faire en sorte que cette technologie soit généralement reconnue; ce n’est pas facile. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Quels sont certains des défis associés à ce type de technologie? Est-ce les concurrents ou autres choses?

M. Pratt : Je pense que Mme Gagnon pourrait probablement répondre à certaines de ces questions, mais d’après mon expérience dans l’industrie de la défense et de la sécurité — vous avez peut-être déjà entendu cette histoire —, il arrive souvent que des entreprises canadiennes mettent au point une nouvelle technologie et aient plus de succès à l’étranger, aux États-Unis ou en Europe, qu’au Canada. Les représentants de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité, AICDS, vous diront que l’acceptation des nouvelles technologies est un véritable problème.

D’après mon expérience, il y a une aversion au risque au sein du gouvernement du Canada pour ce qui est d’essayer les technologies, les appareils, etc., qui sont nouveaux. Pour soutenir les entreprises canadiennes qui ont de nouvelles technologies — et bien souvent, ils conçoivent ces nouvelles technologies avec le financement du gouvernement —, il serait utile que le gouvernement tire profit, à tout le moins dans le cadre d’une sorte de programme d’achat et de mise à l’essai, pour voir si la technologie qui a été conçue répond vraiment à ses besoins.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie.

La vice-présidente : J’ai quelques questions.

Premièrement, RaySecur se spécialise dans la détection de menaces dans le courrier et les colis — et peut-être dans d’autres domaines, mais ce sont ceux dont vous avez parlé. Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les forces de l’ordre pour détecter de petites quantités de substances illégales comme le fentanyl dans les envois postaux?

Mme Gagnon : À l’heure actuelle, si elles utilisent les radiographies, les radiographies sont trop puissantes, si bien que cette technologie ne permet pas de détecter de petites quantités de poudres ou de papier traité à la drogue. C’est pourquoi RaySecur a vu le jour, et c’est ce que nous sommes en mesure de détecter. Ce sont les nouvelles menaces qui existent.

La vice-présidente : Oui, vous nous avez donné une information utile en nous disant que les radiographies ne détectent que trois des neuf menaces et que votre technologie détecte les neuf. Il serait utile si vous pouviez fournir à notre comité plus de renseignements sur ces différentes menaces, comme vous l’avez signalé.

Ma deuxième question est la suivante : comment des technologies comme celle que vous avez conçue par l’entremise de RaySecur pourraient-elles être intégrées dans le cadre des nouvelles mesures proposées dans le projet de loi S-256 pour améliorer la détection de drogues ou d’autres substances illégales dans les envois postaux?

Mme Gagnon : Je peux entrer dans les détails. J’ai quelques documents sur les neuf menaces CBRNE. Nous pouvons détecter les matières chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires, et les objets explosifs dangereux, les objets interdits, de la poudre suspecte et du contenu menaçant. Une radiographie régulière peut détecter des objets explosifs et dangereux et certains objets interdits en différentes quantités. Voilà ma réponse à la première question.

La vice-présidente : Et comment ces technologies pourraient-elles être intégrées et utilisées pour améliorer la détection dans le cadre d’une mesure législative comme le projet de loi S-256?

Mme Gagnon : Cela permettrait de combler les lacunes dans les cas où l’on n’effectue aucune détection ou aucun dépistage par rayons X. Nous pourrions détecter toutes sortes d’objets de contrebande acheminés par la poste. Il pourrait s’agir de bandelettes de Suboxone, de papier imbibé de drogue, de fentanyl — vous seriez impressionnés, car le système détecte parfois des dessins d’enfants imbibés de drogue qui peuvent se retrouver dans le courrier. Nous pouvons faire cela sans compromettre l’intégrité du courrier, de sorte que tout reste scellé et non ouvert.

La sénatrice Patterson : Je vais demander à Mme Gagnon de répondre à cette question, mais il pourrait être possible d’équiper les inspecteurs postaux d’un appareil RaySecur, de sorte que s’ils ont un colis suspect qu’ils veulent examiner et s’assurer qu’il est sûr et ne renferme pas de matières toxiques ou illégales, ils puissent le déterminer grâce à un appareil installé dans un établissement de Postes Canada.

Je dois mentionner qu’il y a beaucoup de renseignements disponibles sur le site web de RaySecur, www.raysecur.com. On y trouve une démonstration visuelle de la façon dont le produit fonctionne. C’est très instructif.

De plus, si le comité souhaite voir de près l’appareil pour en comprendre le fonctionnement, je suis certaine que RaySecur se fera un plaisir de fournir un appareil à cette fin.

La vice-présidente : Ces appareils sont-ils portables? Les 25 inspecteurs au pays pourraient-ils tous en avoir un? Est-ce ainsi que cela fonctionnerait?

Mme Gagnon : C’est ainsi que cela fonctionnera. Nous assurons la protection d’un grand nombre de cadres supérieurs et de ministres dans le monde entier. C’est facile d’avoir un appareil dans un bureau. Il mesure 31 pouces sur 31 pouces sur 19 pouces, pèse 80 livres et est non ionisant. On n’a pas besoin d’une certification ou d’être un expert pour le manipuler. Il y a des gens qui peuvent en mettre un dans le coffre d’une Suburban parce qu’il faut seulement un courant normal de 110 ou 120 volts pour qu’il fonctionne.

M. Pratt : Il a à peu près la taille d’une imprimante de bureau.

La sénatrice Simons : Merci à nos témoins. J’admire l’esprit d’entreprise dont vous faites preuve en venant nous présenter votre produit. Ce n’est pas exactement ce dont nous parlions ce soir. Puisque vous êtes ici pour appuyer ce projet de loi, suggérez-vous que toutes les installations de tri du courrier doivent avoir un tel appareil? C’est une chose d’en avoir un dans une prison, où les gens ont renoncé à leurs libertés civiles parce qu’ils ont été condamnés pour des crimes qu’ils ont commis. C’en est une autre de l’avoir dans le bureau d’un ministre qui a reçu des menaces et qui a opté pour cette solution. Je dirais que c’est une tout autre chose de soumettre le courrier de citoyens canadiens ordinaires à ce type de dépistage.

M. Pratt : Premièrement, en ce qui concerne les bureaux des ministres, par exemple, le courrier est déjà assujetti à la détection de l’appareil MailSecur, comme on l’a mentionné plus tôt.

La sénatrice Simons : Mais c’est à cause de menaces précises.

M. Pratt : Oui, absolument. Je ne pense pas que l’on suggère que chaque installation postale soit équipée d’un appareil MailSecur. Sur le plan logistique, ce serait impossible.

Ce qui est important, cependant, c’est que lorsque des inspecteurs des postes examinent quelque chose en particulier et qu’ils voient, avec l’aide d’organismes du renseignement peut‑être, que le courrier provient d’un endroit particulier vers un autre endroit qui pourrait être suspect, ils sont en mesure, sans ouvrir le courrier, de déterminer s’il y a quelque chose d’illicite, de toxique ou de dangereux dans le colis.

De mon point de vue — et je suis très sensible aux questions relatives aux droits de la personne et à la protection de la vie privée —, cela ne constitue pas une atteinte à la vie privée, lorsqu’un colis pourrait être dangereux pour les préposés à la manutention du courrier, la personne qui le reçoit ou une personne munie d’un mandat qui l’ouvrirait. Il ne s’agit pas de faire valoir ses arguments, mais de sécurité publique en général.

La sénatrice Simons : Monsieur Pratt, vous avez mentionné des décès, au pluriel. Eh bien, après la déclaration de Mme Gagnon, j’ai cherché l’article paru aux États-Unis. Il me semble que rien ne prouve que l’homme décédé ait succombé à une surdose de fentanyl. Je veux que nous prenions bien soin de comprendre. Si le but de cet exercice est de chercher des objets de contrebande, des drogues et de l’alcool ciblant précisément les communautés nordiques et autochtones, je ne veux pas que nous nous préoccupions que des gens meurent un peu partout à cause de lettres contaminées au fentanyl.

Mme Gagnon : Si vous me permettez de répondre à la question, la raison pour laquelle j’ai cette information est qu’on nous a appelés pour nous rendre à cette installation il y a deux semaines, et c’est ce que nous ont dit les personnes sur place qui étaient au courant.

La sénatrice Simons : D’après ce que j’ai lu dans les nouvelles, la lettre a été contaminée au fentanyl et il est mort après l’avoir ouverte. Mais il est parfois un peu plus difficile de démontrer la cause et l’effet.

M. Pratt : Il ne faut pas oublier, comme Mme Gagnon l’a mentionné, qu’il s’agit de l’expéditeur de choix pour les drogues illicites comme le fentanyl et les substances dangereuses comme — vous nommez la substance — la ricine, le carfentanil. La liste est longue.

La sénatrice Simons : Vous vous souvenez de l’anthrax?

M. Pratt : Absolument. Dans le cas de surdoses, bon nombre d’entre elles sont causées par du fentanyl envoyé par la poste. Il ne s’agit pas de toucher le produit. Il faut en ingérer une certaine quantité et provoquer une surdose, et les chiffres sont éloquents. De 2016 au mois de mars de cette année, les chiffres sont terribles.

La sénatrice Simons : Croyez-moi, personne ne minimise la gravité de la crise des opioïdes. Je ne connais simplement pas le pourcentage des personnes qui meurent d’une surdose de fentanyl envoyé par la poste dans les rues de ma ville.

M. Pratt : Je pense qu’il est important aussi de se rappeler que, comme le sénateur Dalphond l’a dit, sa mesure législative n’est pas nécessairement une solution miracle, mais cette technologie n’est pas nécessairement une solution miracle non plus. Elle ne va pas éradiquer le problème du fentanyl expédié par la poste, mais c’est une mesure prudente à prendre pour réduire les blessures et les décès au sein de la population.

La sénatrice Simons : Je vous remercie.

La vice-présidente : Je voudrais signaler que lorsque nous avons étudié cette question dans le cadre de la Loi d’exécution du budget, nous avons considéré que le gouvernement essayait en quelque sorte de combler une lacune qui existait parce que les entreprises de messagerie privées qui transportaient ce type de colis pouvaient être fouillées et saisies, mais pas Postes Canada. On considérait à l’époque, et je pense que c’est toujours le cas, que Postes Canada constituait une échappatoire absolue pour les trafiquants de drogue. Nous avions des preuves antérieures, et nous en aurons peut-être d’autres au fur et à mesure que nous poursuivons cette étude, sur la menace importante que cela représentait.

M. Pratt : Je veux ajouter une chose en réponse à la question que la sénatrice a posée. Cette technologie particulière ne vise pas précisément les communautés autochtones. Elle est conçue pour servir d’appareil de sécurité publique qui pourrait aider un vaste éventail de communautés touchées, que ce soit la population carcérale, les communautés autochtones ou les maisons de transition. De nombreuses populations pourraient bénéficier de l’utilisation de cet appareil.

La vice-présidente : Merci, je vous en suis reconnaissante.

[Français]

La sénatrice Audette : Cela fait trois ans que je siège au Sénat. L’éthique avant et pendant mon expérience au Sénat fait partie de ma vie. Je peux avoir senti que ce pourrait être un argumentaire de vente. J’essaierai d’enlever cette idée et de ne voir que votre expertise. Cela veut dire qu’on a la responsabilité de faire venir d’autres expertises similaires, ou qu’on s’arrête à vous. On a aussi cette responsabilité de l’autre côté.

Ce n’est pas pour promouvoir votre entreprise, mais à l’aéroport, depuis le 11 septembre, on nous arrête aléatoirement et on nous fait passer quelque chose. C’est une entité fédérale. Parfois, on va même ouvrir nos valises devant tout le monde. On voit nos affaires personnelles. Il y a une culture qui existe déjà. Votre technologie est plus récente que ce que l’on utilise dans les aéroports?

Deuxièmement, je comprends que ce n’est pas uniquement un problème pour les Premières Nations, mais pour tous les milieux. La drogue représente une tragédie. Dans vos données, avez-vous eu des cas de succès où des communautés ont été capables, grâce à votre technologie, d’arrêter ou d’intercepter des trafiquants ou du trafic de drogue?

Mme Gagnon : Ce n’est pas pour remplacer les technologies existantes; loin de là.

Ce n’était pas notre intention d’avoir un argumentaire de vente. Les problèmes de drogue dans les communautés autochtones, les morts qui s’en suivent, les familles touchées et ce qui se passe autour nous ont interpellés. Cela nous interpelle dans n’importe quel autre milieu aussi.

Dans le fond, c’est une machine qui identifie la drogue. Il y a des limites, comme pour n’importe quelle autre machine. Cela ne fait pas nécessairement la même chose.

Mais oui, la technologie des ondes millimétriques est une technologie qui est la même que les gros scanners corporels dans les aéroports. C’est une autre technologie qui permet de couvrir un autre aspect du courrier, qui traite maintenant les nouvelles menaces qui existent.

Pouvez-vous me rappeler votre deuxième question?

La sénatrice Audette : Est-ce que des communautés autochtones ont utilisé cette technologie et ont été capables de stopper ou d’intercepter...

Mme Gagnon : Excellente question. C’est une technologie assez récente. On n’a pas encore eu la chance de travailler avec des communautés autochtones. Par contre, on a travaillé dans plusieurs établissements correctionnels aux États-Unis, où on a vu une grosse différence et où le trafic a arrêté après trois semaines. Par contre, c’est certain que les gens vont trouver d’autres façons de faire entrer la drogue. Donc, ça peut couvrir un aspect, mais comme le disait le sénateur Dalphond, on ne peut pas tout éradiquer.

La sénatrice Audette : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Je vous remercie de votre témoignage. J’ai plusieurs réactions en vous écoutant. Je suis tout à fait favorable au projet de loi, et je l’ai déjà dit. De plus, je n’étais pas suffisamment consciente du fait que mon courrier en tant que parlementaire était passé au crible, alors j’ai trouvé cela intéressant. J’ai une vie parallèle en tant que représentante des travailleurs accidentés, et la protection des travailleurs est importante pour moi. Je connais également les personnes qui m’apportent mon courrier par leur nom, et l’idée qu’elles puissent être exposées à un risque — je n’en étais pas consciente, alors c’est intéressant.

Toutefois, je pense que mon rôle ici est de prendre un peu de recul.

Votre entreprise parle-t-elle des échecs et de ce qu’ils pourraient être, quelles plaintes pourraient être formulées à propos de votre technologie? Vous dites que vous travaillez dans les prisons américaines. C’est très délicat, aussi pourriez-vous parler de manière transparente des plaintes ou des faiblesses? De plus, votre entreprise a-t-elle des politiques relatives à l’éthique concernant l’entreposage des données et l’utilisation adéquate des technologies émergentes, si vous voyez ce que je veux dire?

Mme Gagnon : Ce sont également d’excellentes questions. Je ne suis pas une experte. J’ai des collègues qui travaillent dans des établissements correctionnels ou ailleurs, comme dans des hôpitaux psychiatriques, pratiquement jour et nuit.

Notre technologie a effectivement des limites. L’une d’elles est qu’elle ne peut pas voir à travers le métal parce qu’elle utilise des ondes radio, mais nous l’utilisons à notre avantage parce que tout métal apparaît comme un objet sombre et dense, et on n’est pas censé voir cela dans le courrier non plus.

La plupart de nos clients en sont très satisfaits, mais il faudra plus de temps pour filtrer le courrier. C’est un autre point. Il faudra probablement huit secondes par envoi postal pour s’assurer qu’il n’y a rien de dangereux à l’intérieur des enveloppes.

C’était la première question.

La sénatrice Clement : Je m’inquiète au sujet du revers de la médaille. Y a-t-il des plaintes concernant cette technologie et son utilisation? Avez-vous une politique relative à l’éthique en tant qu’entreprise en ce qui concerne l’utilisation de la technologie?

La technologie nous émerveille, et nous aimons en grande partie la technologie, mais il y a toujours un revers à une médaille. Il y a toujours quelqu’un qui sera potentiellement touché ou qui sera soumis à une surveillance excessive. Voyez-vous où je veux en venir?

Mme Gagnon : Oui. Honnêtement, nous pourrions demander à l’un de mes collègues, qui est toujours sur le terrain, de nous donner une réponse sur ce qu’il y voit. Je sais que c’est très bien dans l’ensemble, mais je suis sûre qu’il y a des choses à mentionner.

En ce qui concerne l’intégrité, elle est protégée de tout réseau. Nous n’utilisons pas l’intelligence artificielle. Tout est stocké localement sur l’appareil, alors nous n’avons accès à rien. Ce sont toutes les données du client ou du gouvernement. Nous n’y avons pas accès.

M. Pratt : Sénatrice, je suis certain que Mme Gagnon pourrait prendre note de votre question pour fournir des renseignements sur la politique relative à l’éthique de l’entreprise...

La sénatrice Clement : D’accord.

M. Pratt : ... parce que pratiquement toutes les entreprises avec lesquelles je traite ont une politique relative à l’éthique quelconque.

La sénatrice Clement : Il serait intéressant d’avoir cette information parce que nous traitons de sujets délicats. Je vous en suis reconnaissante. Merci.

M. Pratt : Encore une fois, en ce qui concerne certains des problèmes liés au courrier — je pense principalement aux prisons ici —, il y a eu des cas où du courrier à des fins juridiques est généralement protégé. Tout courrier qu’un avocat envoie à un prisonnier dans un établissement correctionnel est protégé, mais dans le passé, il y a eu des cas où ces lettres ont été imbibées de substances, de drogues, et c’est là que l’appareil MailSecur serait très utile.

La sénatrice Clement : Et vous avez dit qu’il ne détecte pas les mots imprimés.

M. Pratt : Non. L’autre aspect à propos de l’appareil MailSecur, c’est que ce n’est pas une solution miracle pour les établissements correctionnels. Les détenus trouvent des moyens ingénieux d’introduire des drogues ou des armes dans les prisons. Vous avez probablement entendu parler de l’utilisation de drones pour introduire de la drogue et potentiellement des armes. Il y a de nombreux problèmes et cet appareil ne les résout pas tous, mais il est utile dans certaines circonstances.

La sénatrice Clement : Merci.

La vice-présidente : Je tenais à clarifier notamment que l’un des points que vous avez mentionnés précédemment est que votre technologie a la capacité de laisser les colis ou le courrier non ouverts tout en effectuant cette détection. Est-ce exact?

Mme Gagnon : C’est exact.

[Français]

Le sénateur Forest : J’imagine qu’il détecte aussi sans ouvrir les lettres, ce qui est l’objet premier du principe de la confidentialité.

Est-ce que votre technologie est en fonction? Vous dites qu’elle l’est actuellement dans les prisons américaines. Est-ce qu’elle est en fonction dans des compagnies comme Purolator ou d’autres types d’entreprises qui distribuent des colis ou de la correspondance?

Mme Gagnon : Elle est en fonction; on est avec SCI, qui fait partie de Postes Canada, et avec Purolator, je crois.

On est aussi dans les plus grosses compagnies et dans les hôpitaux. On travaille aussi avec Moderna, si je peux la nommer, avec les équipes sportives, en fait à peu près partout où l’on reçoit du courrier. C’est un peu comme une assurance, pour ceux qui sont plus à risque, évidemment. On est même dans les écoles et parfois les universités, que ce soit au Canada ou aux États-Unis; on est un peu partout dans le monde.

Le sénateur Forest : Au fond, votre technologie est un outil, pas une fin en soi. Si jamais le projet de loi est adopté, cela ferait partie des technologies possibles, ou j’imagine qu’il y aura appel d’offres avec devis, par exemple, comme l’Église l’enseigne dans l’approvisionnement dans la fonction publique.

Vous nous avez dit que les matières que l’on peut détecter sont notamment les drogues et les matières explosives. Quel est exactement l’éventail des matières qui peuvent être détectées avec votre technologie?

Mme Gagnon : À peu près tout. Ça va du Spice/K2 au Raid — certains vont mettre ça sur le papier. Cela peut être du fentanyl, de l’anthrax ou de la ricine. Cela peut être des armes à feu, des armes en trois dimensions. Cela peut être aussi des liquides chimiques; cela peut être un peu n’importe quoi, des liquides biologiques aussi. Il y a toutes sortes de choses qu’on voit et qu’on détecte. Avec la technologie, cela peut être aussi des logiciels espions en matière technologique qui nous permettent de voir à travers les colis.

Le sénateur Forest : Je n’arrive pas à comprendre la résistance qu’on peut avoir, que ce soit à votre technologie ou à une autre. Par exemple, dans une organisation comme Postes Canada, cette technologie, que ce soit la vôtre ou une autre, permet notamment de sécuriser les travailleurs qui manipulent des centaines de milliers de lettres et de paquets. C’est un élément qui, pour moi, serait plus sécurisant qu’insécurisant.

Est-ce que, au fil de vos rencontres avec les gens de Postes Canada notamment, vous arrivez à comprendre d’où vient cette inquiétude?

Mme Gagnon : Ce n’est pas nécessairement avec Postes Canada directement, parce que je n’ai pas eu cette conversation avec eux. C’est une question de temps et de volume.

Ces compagnies reçoivent souvent un nombre considérable de colis et de lettres, donc c’est sûr qu’ajouter une étape de filtrage de plus quand ils manquent de temps... On va porter une attention plus particulière si l’on croit qu’il y a des choses suspectes pour des personnes en particulier ou des communautés en particulier.

Tout se fait manuellement, parce qu’on peut manipuler l’objet qui est dessous. Cela prend un peu plus de temps, mais un employé qui est habitué à faire du dépistage peut faire 300 à 400 pièces à l’heure.

[Traduction]

La vice-présidente : Je remercie nos témoins. Nous vous avons invités et nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de venir aujourd’hui, malgré votre emploi du temps chargé. Comme vous l’avez entendu, certains organismes gouvernementaux n’ont pas accepté notre invitation. Il nous est utile d’avoir des renseignements pratiques à ce sujet. Nous vous remercions de votre participation et de votre présence aujourd’hui.

Je remercie également mes collègues.

Avant que nous ajournions la séance, je rappelle à tous que notre comité se réunit désormais les jeudis, à 11 h 30. Merci, sénateurs.

(La séance est levée.)

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