LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 20 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 17 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs.
[Traduction]
Je m’appelle Brent Cotter. Je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.
La sénatrice Senior : Paulette Senior, de l’Ontario.
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, du territoire mi’kmaq en Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Audette : Kuei [mots prononcés en innu-aimun]. Michèle Audette, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta. Je viens du territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Pate : Bienvenue. Kim Pate, et je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué du peuple algonquin anishinabe.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Bonjour. Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
Le président : Merci, chers collègues. Encore une fois, bienvenue aux délibérations du comité. Honorables sénateurs, nous nous réunissons afin de poursuivre notre étude du projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires). Ce projet de loi est parfois appelé la Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, la Loi de David et Joyce Milgaard.
Aujourd’hui, nous avons la chance d’accueillir un groupe de témoins comprenant Pamela Palmater, présidente, Gouvernance autochtone, de l’Université métropolitaine de Toronto, qui est présente en personne, et Tanya Talaga, journaliste d’enquête, qui se joint à nous par vidéoconférence. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie toutes les deux de prendre le temps de nous rencontrer.
Je vais vous inviter chacune à faire une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, d’abord Mme Palmater, suivie de Mme Talaga. Vous avez la parole dans un instant, mais je tiens à vous informer qu’après ces deux exposés, les sénateurs vous poseront des questions et discuteront pendant environ une heure.
Madame Palmater, vous avez la parole.
Pamela Palmater, présidente, Gouvernance autochtone, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup [mots prononcés en langue autochtone]. Je suis de la nation mi’kmaq souveraine sur les territoires non cédés dans le Mi’kma’ki, et c’est un honneur de me retrouver ici sur un territoire algonquin souverain.
Merci de m’avoir invitée à prendre la parole à ce sujet. C’est très important.
Pour ceux qui connaissent mon parcours, je suis avocate depuis 25 ans. Je me concentre sur les droits des Autochtones, les droits internationaux de la personne, l’application de la loi et la justice. Donc, en ce qui concerne le projet de loi C-40, il y a beaucoup d’éléments auxquels, si j’avais le choix, j’ajouterais des choses, comme c’est le cas pour n’importe quel projet de loi. Parfois, les projets de loi sont tels que, quoi que l’on fasse, ils ne fonctionnent pas, mais ce projet de loi est essentiel.
Nos gens qui sont en prison ne reçoivent jamais suffisamment d’attention. Les personnes poursuivies, condamnées et incarcérées injustement ne reçoivent jamais suffisamment d’attention, quelle que soit la tribune. La justice carcérale n’est pas courante, mais elle est essentielle parce que c’est le genre de dommage qui est irréparable. Aucune somme d’argent ne suffirait à compenser le temps perdu pour quelqu’un condamné par erreur, ni à compenser ce qui lui arrive en prison. Nous savons tous aussi que les Noirs et les Autochtones représentent de manière disproportionnée ceux qui sont en prison.
Personnellement, compte tenu du moment où le projet de loi est présenté et de ce qui peut se produire plus tard, je préférerais que ce projet de loi soit adopté sans amendement et que des mesures soient prises à l’avenir pour l’élargir plutôt que de ne pas avoir de projet de loi du tout. Voilà à quel point ce projet de loi est essentiel, selon moi. Il s’agit en fait de la dernière chance pour de nombreuses personnes condamnées injustement. J’ai déjà parlé à des gens. Je viens du territoire mi’kmaq où Donald Marshall fils a traversé tout un processus. Sa condamnation injustifiée a finalement donné lieu à la Commission royale d’enquête sur la poursuite intentée contre Donald Marshall, ou l’enquête Marshall. Mais ce n’est pas le cas pour beaucoup de gens. En fait, la grande majorité des personnes injustement condamnées et incarcérées ne bénéficieront pas d’une enquête spéciale pour examiner leur situation ou les disculper. C’est pourquoi c’est si important.
Les statistiques — je suis sûre que vous avez entendu d’autres témoins au sujet de toutes les enquêtes, qu’il s’agisse de l’enquête Marshall, de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones du Manitoba, de la Commission d’enquête sur Ipperwash, de la Commission royale sur les peuples autochtones, de la Commission de vérité et réconciliation, ou CVR, de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, de toutes les affaires judiciaires, de l’arrêt Gladue, de l’arrêt Ipeelee, de tout ce qu’a dit la Société Elizabeth Fry et de tout ce qu’a dit le Bureau de l’enquêteur correctionnel.
Il y a une crise — tout d’abord, la surreprésentation des Autochtones dans les établissements carcéraux, en particulier des femmes et des filles autochtones. Il y a aussi tous les autres facteurs qui y sont rattachés, comme les peines plus longues, la probabilité réduite d’obtenir une libération conditionnelle, le nombre d’agressions et de cas d’exploitation sexuelle auxquelles les femmes sont confrontées en prison, un autre problème dont nous n’avons pas traité.
Pour moi, le Canada a créé ce pipeline dans tous les domaines : les pensionnats indiens, la rafle des années 1960, les foyers d’accueil, les stérilisations forcées, et cetera. Tout cela a créé un pipeline vers la prison pour nos enfants, nos parents et nos grands-parents. Une fois que vous êtes pris au piège et aspiré dans ce pipeline, il est presque impossible d’en sortir. D’après les statistiques, nous savons que, si vos parents ont été en prison ou incarcérés, vous finirez probablement par vous retrouver dans la même situation. Nous savons que la plupart des gens viennent de foyers d’accueil ou des pensionnats indiens.
L’une des raisons pour lesquelles ce projet de loi et les erreurs judiciaires me tiennent tant à cœur est l’effet cumulatif, de sorte que, à mon avis, même les avocats de la défense n’ont pas représenté correctement et pleinement les femmes et les filles autochtones en ce qui concerne tout ce qu’elles ont vécu — toutes les violences physiques et sexuelles, la négligence à les protéger, qui les placent dans une position où elles n’ont d’autres choix que de se protéger elles-mêmes et de protéger leurs enfants contre la violence — et tous ces aspects, les intersections entre la race et la misogynie qui sont toujours présentes dans le système judiciaire.
Nous n’avons pris aucune mesure radicale pour remédier à ces choses. Nous savons, d’après toutes les enquêtes, que le racisme existe, des policiers aux avocats, en passant par les juges, les agents correctionnels et au-delà.
Examinons ces erreurs judiciaires... et si nous pouvions commencer par les 12 femmes mentionnées dans ce rapport. Nous savons qu’elles ont été incarcérées injustement.
De même, nous devons nous assurer que lorsque nous nommerons les membres de cette commission, en supposant que le projet de loi soit adopté, nous aurons non pas une proportion d’Autochtones, mais une proportion d’Autochtones vivant en prison au sein de ce comité, et, je dirai, à la tête de la commission également.
Je pense que mes cinq minutes sont écoulées.
Le président : C’est le cas. Vous terminez votre exposé à temps. Merci, madame. C’est inhabituel pour les personnes qui enseignent par périodes d’une heure. Merci beaucoup.
Madame Talaga, vous avez environ cinq minutes.
Tanya Talaga, journaliste d’enquête, à titre personnel : Meegwetch [mots prononcés en langue autochtone]. Bonjour à tous. Je suis heureuse de vous parler depuis le territoire de la Première Nation des Mississaugas de Credit.
Merci de m’avoir invitée à participer aux discussions et à parler du projet de loi C-40. Je dois dire que c’est la toute première fois que je prends la parole lors d’une audience d’un comité sénatorial, et j’espère que vous prendrez mes paroles au sérieux.
Comme vous le savez, les femmes autochtones comptent pour la moitié de la population féminine dans les pénitenciers fédéraux, même si un peu moins de 5 % des femmes au Canada sont autochtones. Pour l’ensemble des détenus autochtones, hommes et femmes, le pourcentage est de 32 %, mais je dois vous dire que dans certaines régions du pays d’où ma mère et sa famille sont originaires, c’est-à-dire dans le Nord de l’Ontario, ces pourcentages sont beaucoup plus élevés. Là-bas, environ 80 à 90 % de la population carcérale est autochtone. C’est le cas dans les environs de Thunder Bay et de Kenora.
Les statistiques montrent que les détenus autochtones ont eu affaire aux services de protection de l’enfance et ont eux-mêmes fréquenté un pensionnat pour Autochtones ou des externats, comme leurs parents, et leurs grands-parents. Les détenus ont des antécédents de violence — sexuelle, physique — de toutes sortes.
Comme vous le savez, David Milgaard a passé plus de deux décennies en prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Les sénatrices Kim Pate, Yvonne Boyer et Dawn Anderson ont rédigé un rapport, dont Pamela Palmater vous a parlé, concernant 12 femmes autochtones dont les dossiers doivent être examinés pour d’éventuelles erreurs judiciaires en raison de préjugés raciaux et sexistes.
Il y a deux ans, Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, a signalé que le système judiciaire continue d’incarcérer des femmes autochtones à des taux alarmants, et rien n’indique que cela va changer. Comme je l’ai dit, il a constaté que 32 % des personnes en détention sont des membres des Premières Nations, des Métis ou des Inuits. Il s’agit d’un nouveau record historique, surtout compte tenu du nombre de femmes derrière les barreaux.
C’est une honte pour le Canada en matière de droits de la personne. Le rapport horrible du Sénat est un rappel pathétique de l’incapacité continue du gouvernement canadien à donner suite aux rapports détaillés et aux recommandations des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et aux appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il s’agit d’au moins deux enquêtes exhaustives qui ont fourni des témoignages minutieux et des feuilles de route communautaires sur la façon d’inverser les politiques génocidaires du Canada et de commencer à améliorer les conditions de vie. Cependant, les deux fois, on a complètement fait fi des conclusions de ces groupes.
En réalité, on a largement fait fi des appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et à peine une douzaine d’appels à l’action de la CVR ont été mis en œuvre.
Il est temps que nous écoutions tous ces rapports. Il est vraiment temps. Combien de rapports supplémentaires doivent être rédigés avant que nous puissions agir? En particulier, ne serait-ce que pour la simple raison — comme l’a dit Mme Palmater, que les sénatrices ont rédigé un rapport exhaustif, portant sur 12 femmes autochtones qui ont été victimes d’une erreur judiciaire. Ce serait terrible si ces cas étaient complètement laissés en plan et balayés sous le tapis. Comment est-ce possible?
Kim Pate, sénatrice, connaissait ces 12 femmes depuis des décennies. Elle connaissait l’une de ces femmes depuis 40 ans. Certaines d’entre elles sont maintenant sorties de prison. D’autres sont décédées ou sont malades. Dans tous les cas, le Canada — les tribunaux — n’a pas appliqué l’alinéa 718.2e) du Code criminel, selon lequel il faut tenir compte des antécédents d’une personne autochtone au moment de déterminer la peine. C’est un détail très important, car toutes les femmes ont subi de la violence génocidaire, sous une forme ou une autre, depuis le placement précoce en établissement ou dans un pensionnat, en passant par le traumatisme intergénérationnel associé aux pensionnats, jusqu’à l’expulsion violente de leurs terres, loin de leur famille, de leur mode de vie et de tout ce qu’elles connaissent. Il s’agit là d’un autre héritage des politiques coloniales du Canada, que certains au pays continuent de nier.
En particulier, Odelia et Nerissa Quewezance, deux sœurs condamnées à la prison à vie pour avoir tué un préposé à l’entretien et aux réparations de leur pensionnat, font partie des 12 femmes. Leur dossier a été repris par le projet Innocence avec le soutien de David Milgaard, condamné injustement, puis le ministre de la Justice de l’époque, David Lametti, a ordonné une enquête sur la condamnation des sœurs saulteuses. Ces deux femmes ont maintenant de l’espoir, mais on leur a enlevé la vie, la majeure partie de leur vie. Combien d’autres femmes derrière les barreaux connaissons-nous qui subissent le même sort?
Comme la sénatrice Pate me l’a dit, la moitié des femmes qui purgent des peines d’emprisonnement à perpétuité ou de longues peines le font parce qu’elles se sont retrouvées en état de légitime défense ou qu’elles ont dû défendre les autres. Elles ont été obligées de se protéger elles-mêmes. Lorsqu’elles étaient victimisées, l’État n’était pas là pour les aider, alors lorsqu’elles se défendent, l’État intervient et les criminalise. Si ces femmes ne s’étaient pas défendues, elles seraient mortes; c’est aussi simple que cela. Est-ce qu’on en a tenu compte lorsque leur peine leur a été imposée?
Et comme vous le savez, les Autochtones emprisonnés font face à des conséquences terribles. Ils sont plus susceptibles de s’automutiler, de se suicider, d’être catalogués comme membres de gang et de passer plus de temps en prison en raison de leurs condamnations. Ils sont surreprésentés dans les prisons à sécurité maximale et dans les unités d’intervention structurée, une version actualisée des techniques d’isolement.
Il s’agit d’une urgence en matière de droits de la personne. Les politiciens canadiens doivent faire ce qu’il faut. Ils doivent examiner ces cas.
Le projet de loi C-40 est la moindre des choses que le Canada peut faire. Il parle beaucoup de mission de réconciliation, de vérité et de réconciliation. De quoi parle-t-il? Parce que l’histoire est tout autre lorsqu’on regarde la façon dont le système juridique canadien a traité notre peuple.
Le mois dernier, j’ai visité l’établissement de la Vallée du Fraser pour femmes. Une aînée dans la prison m’a fait don de cette plume d’aigle, que je tiens en ce moment même ici. Environ 30 femmes sont venues me parler ce jour-là. J’y étais en octobre. Je participe à un programme appelé Cercles de lecture pour détenus. Les membres venaient de lire mon nouveau livre intitulé The Knowing.
Chacune des femmes à qui j’ai parlé m’a raconté son séjour en prison. Nous avons entendu ce qui leur est arrivé. Elles m’ont raconté ce qu’elles avaient vécu dans leur vie, et la façon dont elles se sont retrouvées en prison. Parmi elles, certaines y sont restées pendant des dizaines d’années... Des dizaines d’années.
Compte tenu du taux d’incarcération élevé au Canada, vous ne pouvez pas me dire qu’il n’y a pas un pourcentage de personnes qui ont été incarcérées injustement.
Le projet de loi C-40 est le seul espoir que nous ayons aujourd’hui, et qui pourrait assez rapidement donner à ces femmes et à ces hommes une chance dans la vie. C’est la moindre des choses que le Canada peut faire...
Le président : Je m’excuse, mais je vais vous interrompre ici pour que vous puissiez avoir l’occasion de dialoguer avec Mme Palmater et les sénateurs. Vous avez pris un peu du temps qu’il restait à Mme Palmater, mais je me disais que nous pourrions peut-être passer aux questions et aux réponses, si vous le permettez.
Mme Talaga : Pas de problème.
Le président : J’invite d’abord le sénateur Arnot à poser la première question. C’est le parrain du projet de loi au Sénat.
Le sénateur Arnot : Merci aux deux témoins d’être venues ici aujourd’hui et de nous donner votre perspective pour nous aider à comprendre les enjeux. J’ai deux questions à poser. La première s’adresse à Mme Palmater, et la deuxième à Mme Talaga.
Madame Palmater, compte tenu de votre expertise dans la gouvernance autochtone et dans le droit, en quoi est-il important que la Loi sur la commission d’examen des erreurs du système judiciaire proposée tienne compte de la formation en compétence culturelle et des principes juridiques autochtones?
Mme Palmater : Merci de la question et merci d’avoir parrainé ce projet de loi, car ce projet de loi est d’une importance capitale, comme je l’ai mentionné.
Étant donné que c’est notre peuple qui est derrière les barreaux de manière disproportionnée, qui se fait arrêter, maltraiter, qui ne reçoit pas de protection suffisante, et qui est séparé de nos communautés, de nos cultures, de nos aînés, de nos enfants, la moindre des choses, c’est que les personnes qui siègent à la commission soient, en grande partie, des expertes autochtones — et je dirai même, des avocates et des expertes autochtones —, car elles connaîtront le contexte culturel. Dans certains cas, elles connaîtront la langue ou auront au moins des connaissances sur la langue en question, ce qui leur permet de comprendre ses concepts du monde et ses croyances. Elles pourront comprendre que les dossiers qu’elles étudient renferment encore et encore des histoires de traumatisme, de racisme, de misogynie, de violence et de négligence, et auront des compétences uniques pour agir d’une façon non seulement culturellement sensible et informée, mais également d’une façon qui tient compte des traumatismes, car ce n’est pas quelque chose qui est très évident.
Nous avons l’occasion de recommencer et de bien faire les choses.
Le sénateur Arnot : Merci.
Madame Talaga, dans Seven Fallen Feathers et dans Spirit to Soar, vous avez attiré l’attention à l’échelle nationale sur les défaillances systémiques avec lesquelles composent les jeunes Autochtones. J’aimerais savoir comment, selon vous, le projet de loi C-40 aborde et envisage la discrimination systémique dans le cas de condamnations injustes? Le fait-il de manière adéquate ou trouvez-vous que la capacité de la commission à aborder les causes principales est insuffisante?
Mme Talaga : Merci de la question. Je ne suis pas avocate. J’aurais espéré vous donner une meilleure réponse à cette question, mais tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est la moindre des choses à faire.
En effet, nos enfants continuent de se battre pour aller à l’école secondaire dans les collectivités du Nord de l’Ontario, notre peuple continue de mourir dans les rues de Thunder Bay, nous sommes à la fois surcontrôlés et laissés pour compte dans ce pays, comme l’ont montré All Our Relations et Seven Fallen Feathers. C’est mieux que rien d’avoir un autre moyen de montrer ce que nous vivons, et, comme je l’ai dit, c’est la moindre des choses que le Canada peut faire. Cette loi est ce dont notre peuple a besoin à l’heure actuelle.
Ce que j’ai entendu à plusieurs reprises, c’est qu’il arrive souvent que les personnes issues de notre peuple ont l’impression qu’elles n’ont plus rien à dire et se contentent de plaider coupable même si elles n’ont pas commis le crime. C’est tellement horrible de se sentir si impuissant qu’il n’y a rien d’autre à faire que d’avouer avoir commis quelque chose que vous n’avez pas commis, qui met votre vie en danger.
Nous savons tous ce qui se passe derrière ces barreaux. Tous ces jeunes... L’une des personnes que j’ai rencontrées dans l’établissement de la Vallée du Fraser était l’une des personnes les plus jeunes à être incarcérées dans ce pays, dans le centre pour hommes. C’est quelque chose.
Je préconise absolument d’adopter cette loi.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup. Merci à toutes les deux.
La sénatrice Batters : Merci à toutes les deux d’être ici aujourd’hui.
Je suis la porte-parole du projet de loi, et mon rôle est, en partie, de veiller à son amélioration. Je partage votre avis selon lequel ce projet de loi est très important, mais il doit être aussi efficace que possible.
Ma première question s’adresse à Mme Palmater. Le rapport des juges LaForme et Westmoreland-Traoré recommande de conférer à la commission le pouvoir de référer des cas de pardon ou de suspension de casier lorsque c’est justifié, mais cette disposition n’est pas comprise dans le projet de loi C-40.
Pensez-vous que ce genre de solutions devraient être comprises dans l’étendue des solutions que la commission propose dans le projet de loi C-40?
Mme Palmater : Absolument, à l’avenir, lorsque le projet de loi fera l’objet d’une expansion, il y a bon nombre de choses — j’ai dressé une liste des choses que j’aimerais vraiment qu’ils incluent —, mais, encore une fois, notre peuple n’aura pas d’autres chances. Si ce projet de loi n’est pas adopté, nous risquons de nous retrouver les mains vides. Le système actuel ne fonctionne pas, surtout pour les femmes autochtones. Quand on se rend compte que, parmi les 200 dossiers qui ont été étudiés, pas un seul ne concernait une femme autochtone, et c’est très révélateur, étant donné que nous représentons 50 % de cette population.
À mon humble avis, le projet de loi doit être adopté. Je pense aussi qu’à mesure que nous l’examinons, l’évaluons et surveillons son application, nous pourrons continuer de l’enrichir pour l’améliorer.
La sénatrice Batters : D’accord. Pour que vous soyez au courant du stade auquel ce projet de loi est rendu dans le processus, il est resté à l’étude à la Chambre des communes pendant une très longue période, et il ne nous a été transmis que le tout dernier jour où nous avons siégé en juin. À ce stade, nous ne l’avons eu que pendant deux mois, et donc nous l’étudions rapidement, étant donné que nous étudions toujours les projets de loi du gouvernement aussitôt que le Comité permanent sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles en est saisi. Il s’ensuit une étude approfondie, comme celle que nous menons sur le sujet.
La Chambre des communes l’a eu pendant plus d’un an, si je ne m’abuse. Notre mission est de procéder à un second examen objectif, et donc, c’est ce que nous nous efforçons de faire.
Ensuite, lorsqu’il a comparu devant le comité, le ministre de la Justice a mentionné à maintes reprises la surreprésentation des personnes noires et des personnes autochtones. Je souhaite attirer l’attention sur deux éléments particulièrement intéressants qu’il a mentionnés :
[…] Ce à quoi je m’attendrais de la part de cette commission, c’est que si nous voulons donner un sens au fait que nous avons besoin de commissaires, ces derniers doivent refléter la diversité du Canada, en portant une attention particulière aux groupes surreprésentés comme les Noirs et les Autochtones au pays...
Il a également ajouté :
Ce que nous essayons maintenant de faire avec ce projet de loi, c’est de contribuer à l’avancement de la lutte contre le racisme systémique et anti-noir et de la lutte contre le racisme envers les Autochtones, à vrai dire, et de faire progresser la réconciliation. Ce projet de loi représente une façon directe d’y arriver.
Je suis certaine que vous êtes déjà au courant, madame Palmater, que le rapport du juge LaForme a recommandé de nommer au moins un commissaire autochtone et au moins un commissaire noir. Or, le projet de loi C-40 exige seulement que le ministre « tienne compte » de ces éléments, sans mettre au point des mesures de garantie concrètes.
Le gouvernement Trudeau a consacré énormément de temps à l’élaboration de ce projet de loi avant de le déposer au Parlement. Selon vous, pourquoi n’a-t-il pas inclus ce genre de mesures visant à garantir l’affectation d’au moins un commissaire noir et un commissaire autochtone, tel qu’il est écrit dans le projet de loi C-40? Pensez-vous que le gouvernement Trudeau est véritablement sincère dans son engagement à représenter la diversité? Encore une fois, quels éléments souhaiteriez-vous qu’on amende — peut-être que vous diriez à l’avenir —, mais est-ce qu’il s’agit là de l’un des amendements nécessaires pour ce projet de loi?
Mme Palmater : Je ne connais pas l’intention du ministre, ce qu’il avait dans la tête ou le raisonnement des membres du cabinet, évidemment, mais le fait qu’ils participent à ce projet, et qu’ils reconnaissent que le système actuel est défectueux, c’est incroyable. De nombreux gouvernements sont incapables d’admettre que les choses ne fonctionnent pas. Ils n’ont pas créé ces circonstances, tous les gouvernements ont contribué à les créer.
Je souhaite que les amendements futurs mentionnent pas moins de trois personnes autochtones et trois personnes de la communauté noire... qu’il y ait une représentation complète. Ayant travaillé à l’élaboration de lois, et aux côtés de comités et de commissions juridiques, je sais que parfois, lorsque vous proposez un chiffre, vous pouvez bloquer un processus. En effet, si, par exemple, un groupe refuse de prendre part à un projet, que faites-vous si vous n’atteignez pas le nombre de participants visé? Comme nous le savons tous, le système juridique n’a pas été très juste à l’égard de ces communautés.
Encore une fois, j’aimerais qu’à l’avenir, on fasse plus que tenir compte de ces éléments, et qu’on mentionne un certain chiffre, mais je comprends également qu’imposer un chiffre spécifique peut être problématique. Les gens pensent souvent que ce chiffre est le maximum, donc si vous dites une personne autochtone, c’est tout. Au moins, la porte est ouverte. La moitié de la commission pourrait être composée de personnes autochtones, par exemple.
Le sénateur Prosper : Merci, madame Palmater et madame Talaga de votre présence.
J’ai deux questions. L’une d’elles a fait l’objet de commentaires. M. Arnot et Mme Batters ont soulevé des questions concernant la représentation au sein de la commission même et le fait qu’elle représente des groupes... la surreprésentation qui existe au sein de la population incarcérée. Je sais que vous avez commenté ce sujet, madame Palmater.
Madame Talaga, j’aimerais avoir votre avis sur la représentation, au sens de la commission, des groupes surreprésentés.
Ma deuxième question pour chacune de vous a trait à la langue. Nous avons été témoins de première main d’une situation au comité. Nous avons mis en place des mesures d’adaptation pour faire appel à des interprètes. Nous avons même déménagé dans une autre pièce pour que M. Woodhouse, si je ne me trompe pas, ait accès à sa langue maternelle. Cela n’a pas fonctionné. Mais c’était pour nous un exemple clair de l’importance d’une langue, de la représentation, et des mesures d’adaptation dans le contexte de ce projet de loi, en particulier.
J’aimerais que chacune de vous nous dise quelle langue devrait jouer, selon vous, un rôle dans le contexte de ce projet de loi. Madame Talaga, pouvez-vous commencer avec la question de la représentation au sein de la commission?
Mme Talaga : Meegwetch.
S’il n’en tenait qu’à moi, je ferais en sorte qu’il y ait au moins deux commissaires autochtones qui fassent partie du groupe.
Nous devons voir qui se trouve en prison, et nous devons également voir de quoi est constituée la commission que vous proposez. Nous devons nous assurer que notre peuple est représenté adéquatement, absolument.
Pour garantir que ce projet de loi soit adopté avant que le gouvernement ne change, je vais reprendre ce que Mme Palmater a dit : nous devons maintenant absolument veiller à mettre en place ce mécanisme accessible à notre peuple.
En ce qui concerne la langue, je suis absolument d’avis qu’il faut faire plus pour servir notre peuple à ce titre. C’était en mai que mon ami, Sol Mamakwa, un député néodémocrate provincial, a pu s’exprimer en anishininiimowen. C’était une première au parlement ontarien, à Queen’s Park. N’est-ce pas remarquable? C’est 150 ans après la création de ce pays qu’une langue autochtone a pu être parlée dans le Parlement de la province la plus peuplée.
Comme vous l’avez entendu, les prisons sont remplies de membres de notre peuple. La majorité d’entre nous avons été placés dans des pensionnats autochtones, dans des familles d’accueil, et nous avons subi des formes de maltraitance.
L’anglais est une seconde langue pour bon nombre d’entre nous qui sommes en prison. Garantir l’accès à des services de traduction et veiller à ce que nous soyons capables de parler notre langue en prison ou à l’extérieur est la bonne chose à faire.
Mme Palmater : La langue est essentielle, surtout lorsque vous échangez avec des personnes autochtones qui remplissent ce formulaire en raison d’une condamnation injustifiée.
Nous devons donner un sens à d’autres lois fédérales comme le projet de loi C-91 ou la Loi sur les langues autochtones. Nous devons voir si tous ces projets de loi et ces règlements peuvent coexister.
De la même façon, le projet de loi C-15 et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, ont une incidence sur la totalité des droits des peuples autochtones et leur droit de faire usage de leur langue dans tous les contextes.
Et cela est d’autant plus vrai, je dirais, lorsqu’il en va de vos droits, de votre vie, de votre santé et de vos enfants, que vous risquez de perdre. Dans ce contexte, la langue a une multitude de fonctions; elle ne sert pas seulement à comprendre les mots qu’on vous dit, mais elle permet aussi d’avoir plus d’aisance et de familiarité avec le sens des mots et tout ce qui va avec. Il est question de bien plus que le sens des mots. Il s’agit encore une fois d’un droit humain inscrit dans la législation fédérale. Nous devons garantir la coexistence de toutes ces lois, surtout dans ce contexte.
La sénatrice Simons : Mes questions vont d’abord s’adresser à Mme Talaga. Avant de faire partie du Sénat, j’ai passé 30 ans de ma carrière à travailler en tant que journaliste. Je faisais du journalisme d’enquête, entre autres. Je ne suis pas en train de dire que les temps étaient meilleurs avant, mais toujours est-il qu’il fut un temps où le journalisme d’enquête jouait un rôle bien plus actif dans la découverte de cas de condamnation injuste et dans la lutte pour réexaminer les verdicts et les peines.
De moins en moins de journalistes font ce genre de travail. Il y a des exceptions extraordinaires, comme Jana G. Pruden du Globe And Mail, mais il n’y a simplement plus autant de journalistes qui font ce travail.
Premièrement, en tant que journaliste, pourriez-vous nous dire en quoi les journalistes d’enquête ont contribué à demander des comptes au système juridique? Deuxièmement, pensez-vous que les commissaires pourraient tirer profit de ces talents et de ces capacités?
Mme Talaga : Eh bien, je suis toujours d’avis qu’il faut plus de journalisme et que la presse ait plus de liberté et qu’elle soit plus juste. Nous voyons une période sans précédent dans notre pays, où les gens se détournent des sources de journalisme, et préfèrent à la place regarder des vidéos sur TikTok ou YouTube ou préfèrent lire des choses sur X.
Certainement, les journalistes d’enquête consacrent énormément de temps à faire des recherches, à lire et — pour être assez honnête avec vous — à se battre avec les ministères du gouvernement pour découvrir la vérité et trouver plus d’information. En Ontario, la liberté d’information est parsemée d’embûches. Il en va de même pour l’accès à l’information. En effet, il faut énormément de temps avant qu’un journaliste obtienne quoi que ce soit.
En tant que journaliste, vous devez parfois avoir des ressources pour pouvoir enquêter sur ces cas. Évidemment, les cas de condamnation injuste ne vont pas juste vous prendre cinq minutes ou cinq semaines. Ils vous prendront probablement plusieurs mois, et vous aurez probablement à remplir une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements ou une AIPRP où vous aurez à demander de l’information à la Gendarmerie royale du Canada, à la Police provinciale de l’Ontario ou d’autres sources de police. Vous aurez également à chercher à connaître la famille des personnes qui ont été condamnées injustement.
Les journalistes ont pour mission de veiller à ce que le Canada respecte ses obligations conformément à plusieurs formes de loi, le droit international relatif aux droits de l’homme, y compris la DNUDPA. Dans le projet de loi C-40, il est clair que la DNUDPA s’applique également dans cette situation. Nous avons le droit de veiller à ce que nous soyons traités de manière juste et équitable. Tout à fait, les journalistes doivent aider, et oui, les journalistes feraient également d’excellents commissaires.
La sénatrice Simons : Je m’adresse à Mme Palmater : j’habite Edmonton. Dans la prison pour femmes à Edmonton, environ 70 % des détenues étaient Autochtones. La ligne est floue quant à ce que l’on entend par « condamné injustement ». Beaucoup d’entre elles ont accepté un accord de plaidoyer. Nombre d’entre elles ont reçu une peine trop lourde, alors qu’elles ont été reconnues coupables d’une infraction sous-jacente.
Je crains en quelque sorte que la structure de cette loi ait été mise au point principalement dans le but d’aider les cas isolés, c’est-à-dire les personnes qui ont été à première vue condamnées à tort, et non pas celles qui sont prises dans le système de justice pénale de diverses façons moins évidentes à déterminer. Selon vous, comment trouver le juste équilibre lorsque nous observons la façon dont les gens sont condamnés et contraints d’accepter des accords de plaidoyer d’une façon qui contribue à la surreprésentation des femmes autochtones en prison?
Mme Palmater : Je suis contente que vous ayez posé cette question. Ce rapport concerne les 12 femmes et l’erreur judiciaire, les condamnations injustes, mais nous savons qu’il ne s’agit pas de cas isolés. Je dirais que ces femmes sont parmi les personnes qui ont été condamnées à tort et qui, plus souvent qu’autrement, avaient des avocats non autochtones, et qui pour la plupart, étaient des hommes, qui leur disaient : « Écoutez, le système est raciste. Quoi qu’il arrive, vous allez être condamnée, même si vous êtes innocente, donc ici, nous allons plaider coupable à cette accusation moins grave. » Il s’agit d’une situation injuste où elles sont incarcérées, car nous n’avons pas déterminé qu’elles étaient coupables. On leur fait comprendre qu’elles n’ont vraiment pas le choix, et que le système judiciaire est contre elles. Si j’avais à choisir entre 2 ans ou 10 ans — vais‑je pouvoir voir mes enfants dans 2 ans — c’est là un fardeau injuste, donc j’inclurais ces éléments là-dedans. La ligne n’est pas aussi fine. Donc, nous pourrons facilement cerner ces cas.
[Français]
La sénatrice Oudar : Dans la foulée de la question de la sénatrice Batters, j’aimerais vous entendre de nouveau, madame Palmater, au sujet de la nomination. J’ai compris que vous ne souhaitiez pas voir de quotas dans le projet de loi. On se rappellera que cela faisait partie des recommandations du rapport des deux experts, Harry LaForme et Juanita Westmoreland‑Traoré, rapport qui a été remis au ministre de la Justice de l’époque, où ils recommandaient effectivement qu’une composition soit établie avec une représentativité qui serait obligatoire dans la loi. Or, les articles 696.73 et 696.75 tendent à un objectif, mais n’en font pas une obligation. Je voulais m’assurer d’avoir bien compris. Les articles vous conviennent-ils comme ils sont? Je veux vous entendre de nouveau sur la composition.
Ma deuxième question porte sur une autre recommandation du même rapport, la recommandation no 8, qui proposait que les nominations se fassent par un comité indépendant en dehors de toute sphère politique. Or, le projet de loi ne contient aucune recommandation sur une nomination de cette nature; il n’y a pas de comité indépendant, il n’y a pas d’article à ce sujet, alors je voulais vous entendre de nouveau là-dessus. Bien entendu, la deuxième témoin peut aussi répondre à la question. D’abord, j’aimerais entendre Mme Palmater.
Mme Palmater : Merci beaucoup de la question.
[Traduction]
Au cas où je me serais mal exprimée, s’il n’en tenait qu’à moi et si c’était moi qui rédigeais cette loi, je veillerais à inclure des personnes autochtones très spécifiquement afin de garantir, au minimum, que nous en ayons un certain nombre, et qu’au minimum, il y ait des femmes, et je m’assurerais également de mettre en place des mécanismes de protection pour veiller à ce que…
Je vais recommencer. Merci de la question. Juste pour clarifier les choses au cas où je me serais mal exprimée, je suis d’accord avec cette loi. Si j’étais la personne qui rédigeait cette loi aujourd’hui, et s’il n’en tenait qu’à moi, je ferais en sorte d’inclure un certain nombre de personnes autochtones. Je veillerais également à garantir la nomination de bon nombre de femmes, car nos vies sont quasiment toujours entre les mains des hommes, et cette situation ne fonctionne pas très bien.
Si j’avais mon mot à dire — et rien n’indique que cet élément ne pourra pas faire l’objet d’un amendement ou d’un ajout plus tard —, je dirais qu’il importe d’avoir de la représentation. Il est important que le libellé indique qu’il s’agit d’un minimum, et non pas d’un maximum. C’est pour cela que le fait de mettre un chiffre m’inquiète parfois, mais je suis d’avis de le faire à l’avenir. Cela dit, si je devais choisir entre opter pour un chiffre et que le comité se retrouve embourbé et se dispute sur le chiffre exact et le fait d’adopter ce projet de loi, je commencerais par le projet de loi. Ensuite, quant aux recommandations concernant les nominations faites par un comité indépendant, il y en a beaucoup que je souhaiterais voir dans ce projet de loi.
Je ne pense pas que nous pourrons tout inclure à l’heure actuelle. Je veux dire, c’est ainsi. Et encore une fois, je reviens au fait qu’il se peut que ce soit la dernière chance pour nos gens qui ont été victimes d’une erreur judiciaire grave. Tous les jours qu’ils passent en prison, en étant condamnés à tort, c’est un autre jour qu’ils passent sans leurs enfants, et qu’ils sont, du moins pour les personnes autochtones, séparés de leur communauté et, pour les femmes, où elles sont exposées au risque élevé de violence physique et sexuelle aux mains des agents correctionnels et des autres détenus. Nous leur devons la mise sur pied d’un processus, quoiqu’imparfait, car tout dépendra des législateurs. Les législateurs pourront façonner les choses comme ils l’entendent. S’ils sont animés de bonnes intentions, rien n’indique que nous ne pourrons pas dépasser les attentes, mais quoi qu’il en soit, cette loi doit le faire.
Mme Talaga : Je partage l’avis de Mme Palmater. Si 32 % des personnes autochtones sont dans des pénitenciers, cela signifie qu’au moins 32 % de la commission doit être autochtone. Cependant, si nous devons choisir entre adopter un projet de loi ou attendre pour s’assurer que les chiffres sont exacts, je dirais que nous devons adopter ce projet de loi et nous devons veiller à ce que des amendements et des dispositions soient adoptés afin d’avoir une représentation proportionnelle et exacte au sein de la commission. Meegwetch.
[Français]
Le sénateur Aucoin : C’est la même chose pour moi; je pose ma question à Mme Palmater. J’ai posé des questions sur les langues officielles, l’anglais et le français, mais surtout sur la langue de la minorité, le français. Or, les réponses que j’ai reçues des ministres, des fonctionnaires ou des représentants du gouvernement étaient qu’il y aurait des services dans les deux langues officielles. En d’autres mots, l’une des réponses que l’on m’a données, c’est que le personnel embauché pourrait donner au commissaire ou à la commission les travaux dans les deux langues officielles, ou dans l’une ou l’autre. Si, par exemple, dans le cas des langues autochtones, on vous garantissait la même chose, soit qu’il y ait du personnel comprenant les langues autochtones, mais qu’on ne garantissait pas que les commissaires comprennent la langue et la culture autochtones, qu’en diriez‑vous? Pouvez-vous en parler un peu?
[Traduction]
Mme Palmater : Excusez-moi. Est-ce que vous me demandez si je pense que la loi devrait imposer à des personnes de parler les langues autochtones?
[Français]
Est-ce là votre question?
Le sénateur Aucoin : Si vous aviez le choix entre du personnel qui comprend la culture et les langues autochtones et des commissaires, que feriez-vous? Vous avez dit que vous vouliez des commissaires, mais la réalité, c’est que c’est complètement à la discrétion du ministre. Selon vous, qu’est-ce qui est le plus important? Pouvez-vous parler de l’importance des deux, soit le personnel ou les commissaires?
[Traduction]
Mme Palmater : Étant donné que c’est notre peuple qui est en prison, et dans les centres correctionnels pour jeunes de façon disproportionnée — et surtout dans des établissements fédéraux — selon moi, le fait de donner un sens au projet de loi C-91, à la Loi sur les langues autochtones, à la DNUDPA, et à nos droits d’être servis dans nos langues ne donne pas moins d’importance à l’anglais et au français.
Je suis convaincue que ces institutions fédérales utiliseront toujours l’anglais et le français, mais nos langues à nous ne sont pas toujours incluses, et je pense qu’il est important qu’une personne incarcérée issue des Premières Nations du Québec, qui ne parle que le français et le cri, ait accès à ces deux langues lors de ces procédures.
Le seul moyen de garantir cela, c’est de veiller à nommer bon nombre de commissaires ou de mettre en place des processus supplémentaires, des soutiens et au personnel qui puisse offrir ses services. Mais, je ne voudrais jamais reléguer les langues autochtones simplement à du personnel. Je pense que les commissaires doivent également connaître ces langues, et je pense que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de s’en assurer, du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre.
La sénatrice Pate : Merci encore toutes les deux de votre témoignage. Je suis impressionnée. C.D. aurait eu 52 ans aujourd’hui si elle avait survécu, et une chose que vous savez toutes les deux qui avez lu le rapport sur les 12 femmes, c’est qu’il s’agissait de quelqu’un qui était représenté par un excellent avocat spécialisé en droit criminel, par un certain nombre d’organisations autochtones qui sont intervenues, et pourtant, le contexte du meurtre pour lequel elle a été condamnée n’a jamais fait l’objet d’une étude par le tribunal.
La semaine dernière, nous avons entendu le témoignage de Mlle Worme, la fille de Don Worme et Helen Semaganis, dans lequel elle expliquait que son père, malgré le fait qu’il soit autochtone, comprenait qu’il ne comprenait pas le contexte de Donelda Kay, une femme qu’il défendait. Mlle Kay a en fin de compte été acquittée alors que le contexte portait à croire qu’elle allait être condamnée, et tout le monde pensait qu’elle allait effectivement être condamnée. Mlle Worme a expliqué que c’est avec l’aide de sa mère, qui à l’époque étudiait en droit, qu’il a compris le contexte de cette maltraitance, qu’il a étudié la situation, qui l’a présentée au jury, et que le jury, en se fondant sur ces éléments de preuve, l’a acquittée et a compris le contexte.
Une des questions qui ont été soulevées par certains de mes collègues, c’est que bon nombre de ces femmes ont plaidé coupable. De nombreuses personnes qui ont été accusées injustement ont plaidé coupable. Par conséquent, lorsque nous examinons de nouvelles preuves, il faut se demander — madame Palmater et madame Talaga, vous le savez d’après votre travail dans de nombreux autres domaines — si les preuves étaient connues à l’époque; si oui, elles ne sont pas considérées comme de nouvelles preuves dont les cours d’appel peuvent se servir.
Je me demande si l’une d’entre vous pourrait nous parler un peu plus de l’importance de pouvoir présenter ce genre de preuves, parce que le projet de loi n’indique pas clairement ce qui serait permis — le ministre a précisé qu’il croit que cela pourrait être permis — et si vous pouviez également parler de l’importance de pouvoir examiner une série de dossiers comme ceux des 12 femmes, dans leur ensemble, pour comprendre qu’il s’agit non pas de cas isolés, mais d’une situation systémique.
Mme Palmater : Merci de poser la question. C’est une question très importante.
Je ne veux pas sembler trop négative parce que, en tant qu’avocats, nous sommes censés nous soutenir les uns les autres, mais parmi toutes les personnes avec qui j’ai travaillé en droit criminel, même si ces avocats étaient probablement bien intentionnés — ils étaient peut-être des experts; ils ont peut-être participé à la modification de codes criminels et à plein d’autres choses —, très peu d’entre eux ont pris le temps de s’informer, tout d’abord, sur tout ce qui s’était passé, mais également de connaître en détail l’histoire de la personne qu’ils représentent. Puis, étant donné que la majorité d’entre eux sont des hommes, les répercussions des situations de violence vécues par les femmes ainsi que toutes ces idées misogynes et racistes ont été tellement banalisées que ces avocats ne s’en rendent pas compte.
Malheureusement, certains de ces avocats n’admettraient pas aujourd’hui qu’ils n’ont pas aidé leurs clientes au mieux de leur capacité. Être une victime d’une erreur judiciaire... je déteste que cela soit le dernier ressort; nous ne devrions pas avoir à passer par toutes ces étapes. Il faut pouvoir examiner des preuves. Souvent, l’accusé ne connaît même pas les preuves parce qu’il y a tellement de négociations entre les procureurs et les avocats en coulisse, puis ces avocats expliquent à leur client qu’il s’agit de telle ou de telle chose, sans examiner les détails des preuves et juger de leur pertinence. Au lieu de se servir de son propre jugement, un avocat de la défense veut croire que son client sera probablement reconnu coupable sans vraiment passer en revue les preuves avec ce client qui n’a peut-être pas les connaissances juridiques nécessaires oui qui ne comprend peut-être pas les règles de la preuve.
Donc, ce type de commission, c’est notre dernier espoir de pouvoir examiner les informations, les contextes et les preuves que personne d’autre ne croyait importants, ne se souciait de présenter ou ne savait être d’une importance cruciale. Nous savons comment les choses se passent : les agents de police sont le groupe de relève, puis il y a les avocats. Puis, ils essaient de se présenter devant les juges. Les juges ne voient que ce qu’il y a devant eux. Il y a les plaidoyers. Je crois que, pour ce qui est des plaidoyers, cela est souvent plus susceptible de se produire.
Donc, oui, c’est d’une importance critique, parce que je n’ai pas entendu beaucoup d’avocats dire qu’ils auraient dû mieux venir en aide à ces femmes qui ont été agressées sexuellement et physiquement. Elles n’avaient nulle part où s’enfuir; elles n’avaient nul foyer où rentrer. Elles vivaient dans la pauvreté, et on allait leur enlever leurs enfants.
Elles n’avaient aucun choix, et, pourtant, nous les avons criminalisées en raison des moyens par lesquels elles ont tenté de naviguer dans ce champ miné du génocide.
Le président : Puis-je inviter Mme Talaga à réagir brièvement à ce point soulevé, si elle le souhaite?
Mme Talaga : Une commission chargée d’examiner les erreurs judiciaires devrait pouvoir présenter toute preuve qu’elle trouve. Le comité devrait examiner les règles de la preuve. Comment pourrait-il ne pas le faire? Je ne comprends pas comment il ne pourrait pas.
Une fois de plus, je ne suis pas avocate et je ne connais pas tout des règles de la preuve, mais peut-être qu’il faudrait les revoir. Comme je l’ai mentionné, il y a tellement de cas, comme vous le savez et comme Mme Palmater le sait, de personnes derrière les barreaux qui ont avoué avoir commis quelque chose dont elles ne sont pas coupables, de personnes qui n’ont pas fait correctement leur travail ou de dossiers qui n’ont pas été entièrement examinés comme ils auraient dû l’être. Comment cela se fait-il?
Cette commission doit être la dernière étape. C’est tout ce que nous avons. On devrait lui donner tous les pouvoirs possibles pour s’assurer que la vérité soit révélée et que justice soit faite.
La sénatrice Senior : Merci à vous deux d’être ici. Merci du travail important que vous avez fait durant des décennies et qui nous a permis d’en arriver ici, aujourd’hui.
Ma question ne concerne pas les améliorations ou les modifications qui pourraient être apportées, même si vous avez parlé des nombreuses choses que vous aimeriez voir arriver; il s’agit plutôt de la manière dont la commission fonctionnera. Je pense à la manière dont on pourra éviter de reproduire une approche coloniale. Lorsque je pense aux commissions qui ont été une réussite dans le passé, elles ont été menées par des personnes autochtones, qu’il s’agisse de la CVR ou de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées. Le travail effectué dans le passé au sein des commissions a été mené par des personnes qui ont été le plus touchées.
Je m’interroge au sujet des mesures qui peuvent être mises en œuvre pour décoloniser ce travail. Je veux également vous questionner au sujet de l’importance du genre, dont il n’a pas été question, je crois. Vous en avez parlé plus tôt. Si vous pouviez également en parler, ce serait bien. La question s’adresse à vous deux.
Le président : Nous allons d’abord commencer par Mme Talaga, puis nous allons passer à Mme Palmater.
Mme Talaga : Meegwetch, madame la sénatrice Senior. Merci de poser la question.
Ce sera presque impossible de ne pas reproduire une approche coloniale puisque nous travaillons dans un système colonial ayant des lois coloniales et un système judiciaire colonial. J’aimerais voir une Marion Buller à la tête de cette commission; j’aimerais voir un juge ou un avocat des Premières Nations à la tête de cette commission. Toutefois, le fait est que nous devons connaître la loi du colonisateur pour nous en servir afin de sortir nos gens de prison. J’aimerais dire que ce n’est pas le cas, mais c’est là où nous en sommes.
Nous pouvons toujours nommer une personne des Premières Nations à la tête de la commission, et peut-être que cette personne, une fois que le travail aura commencé, pourra travailler plus en profondeur pour comprendre comment nous nous sommes retrouvés dans cette situation au départ. C’est un travail long et ardu, et nous savons tous comment nous en sommes arrivés là; démêler la situation prendra beaucoup de temps. Beaucoup de personnes derrière les barreaux manquent de temps et elles méritent d’être libérées.
Mme Palmater : Je suis d’accord avec Mme Talaga. Ce sont des questions très importantes.
Mon analogie est la suivante : pourquoi les soi-disant comités externes de surveillance policière ne fonctionnent-ils pas? Parce que la grande majorité de ceux-ci sont composés d’agents de police, d’anciens agents de police et de sous-traitants qui travaillent avec des agents de police qui sont presque tous des hommes blancs et qui les forment. Donc, il n’y a pas vraiment de surveillance.
Nous avons la possibilité de faire les choses différemment. Ce que je ne voudrais pas qu’il arrive, c’est que le personnel de cette commission soit uniquement composé d’agents de police, d’anciens agents de police, d’avocats, de procureurs et de juges qui ont participé toute leur vie à des condamnations injustifiées de personnes noires et autochtones. Si c’est le cas, cela ne me donne pas beaucoup d’espoir.
Nous devons vraiment désigner des membres de la collectivité, des personnes qui ont des liens avec la communauté et des personnes qui ont une vue d’ensemble en dehors du droit criminel. Le droit criminel sera important, mais il est également question de lois connexes et de lois concernant les droits de la personne. Nous devons connaître l’histoire et le contexte. Nous devons faire les choses différemment pour éviter de simplement reproduire ce type de comités de surveillance policière.
J’oublie s’il y avait une deuxième partie à cette question; j’ai déjà dit que nous devons nous assurer d’avoir une représentation importante des femmes dans cette commission.
[Français]
La sénatrice Audette : Je vais poser mes questions en français à des femmes incroyables. Merci pour le travail que vous faites, la voix que vous portez et la force dont vous faites preuve à travers ce grand pays qu’on appelle le Canada.
Depuis quelques lunes, depuis trois ans, j’ai le privilège d’entendre des gens s’exprimer à ce comité, alors qu’avant, j’étais témoin. J’essaie d’honorer mon rôle de sénatrice. J’entends des collègues de l’autre Chambre, qui sont de différents partis politiques et qui nous demandent de dépolitiser les enjeux qui ont trait à la violence faite aux femmes autochtones ou aux femmes en général. Cela me touche. C’est ce que l’on doit faire comme travail.
Je suis d’accord avec ma collègue la sénatrice Batters, qui dit que nous avons un rôle de second examen pour faire en sorte qu’un projet de loi soit bien analysé, avec différents points de vue et des expertises variées. Nous en sommes à une étape où, peu importe quel gouvernement a présenté ce projet de loi, dans mon cœur... Je pense à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, à la Commission de vérité et réconciliation du Canada et au rapport de Mme Kimberly Murray, qui parle de l’amnistie de l’État. On ne parle plus seulement de génocide, mais d’amnistie de l’État.
Lorsque vous avez dit qu’on devrait adopter ce projet de loi sans amendement, cela m’a surprise. J’appuie votre position. Je vous connais comme guerrière, donc cela veut dire que l’heure est grave. Pensez-vous que dans ce cas, nous devons adopter le projet de loi, mais que nous aurons, sous un prochain gouvernement, le soutien requis pour l’améliorer?
Pouvez-vous me dire pourquoi, de l’autre côté, des élus ont le droit de proposer des amendements et un parti a voté contre le projet de loi, alors que nous sommes à l’heure où nous avons besoin d’actions concrètes? Les rapports sont rédigés, les preuves sont là. Pouvez-vous faire mieux pour la prochaine fois? En attendant, il faut passer au vote; avez-vous quelque chose à me dire là-dessus? Cela vient me chercher, je suis désolée.
[Traduction]
Mme Palmater : J’ai comparu devant le Sénat et la Chambre des communes pendant des années et des années au sujet d’innombrables projets de loi, règlements et politiques. Il est rare que je dise : « Vous savez quoi? Il y a des choses que je n’aime pas dans ce projet de loi ou il y a des choses qui manquent, mais adoptez-le quand même. » Mais la situation est complètement différente ici.
Il est question de femmes et d’hommes en prison qui n’auront pas droit à une deuxième chance. Il n’y aura pas 200 enquêtes Marshall. Nous savons que le système actuel ne fonctionne pas. Est-ce un problème si notre système n’est pas entièrement parfait? Oui, mais je dois réfléchir à la question non pas de mon point de vue d’avocate, mais de celui des personnes qui languissent en prison. Je me demande ce qu’elles se disent. Je suis certaine qu’elles sont là à se demander si elles peuvent s’adresser à quiconque est au courant de la situation, à quiconque leur en a déjà même parlé, pour lui demander : « S’il vous plaît, ne nous enlevez pas la dernière possibilité que nous ayons de faire réviser cette erreur judiciaire. » Autrement, je me présenterai ici pour vous dire, comme chaque fois, ce qu’il faut faire et ne pas faire.
Je ne sais pas si nous allons avoir une autre occasion de le faire, et la politique fait partie de la réalité. S’il se produit un changement de gouvernement et que le nouveau veut simplement réprimer la criminalité, je crains pour nos gens.
Le président : Chers collègues, certains d’entre vous aimeraient poursuivre la discussion, mais, pour que nous ayons amplement la possibilité de discuter avec le deuxième groupe de témoins, je crois que nous devons nous arrêter à ce stade-ci.
À cet égard, je tiens à remercier, au nom du comité, chacune d’entre vous qui êtes ici, madame Palmater d’être venue en personne et de nous avoir fait profiter de vos conseils et de votre sagesse ainsi que Mme Talaga, qui est en ligne. Merci d’avoir pris le temps de nous faire part de vos opinions et d’avoir répondu aussi directement aux questions de nos sénateurs et sénatrices.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons tout d’abord, par vidéoconférence, Zachary Al-Khatib de l’Association canadienne des avocats musulmans. Bienvenue, maître Al-Khatib. Nous souhaitons également la bienvenue, individuellement à Zilla Jones, co-auteure et avocate des droits de la personne, Stratégie en matière de justice pour les personnes noires. Bienvenue, maître Jones. Me Jones est avec nous en personne. De plus, nous accueillons, par vidéoconférence, Me Debra Parkes, professeure et titulaire de la chaire d’études juridiques féministes, à la Peter A. Allard School of Law, de l’Université de la Colombie-Britannique. Je crois que nous accueillons à nouveau Me Parkes.
Je voudrais vous souhaiter la bienvenue à vous trois et vous remercier de vous être joints à nous. Nous vous remercions de prendre le temps d’exprimer les points de vue que nous entendrons au cours des prochaines minutes.
Nous allons commencer par les remarques préliminaires, et je vous inviterais à parler durant environ cinq minutes, si vous le pouvez, et nous passerons ensuite aux questions et échanges avec les sénateurs et sénatrices.
Je vous inviterais, maître Al-Khatib, à prendre la parole pour environ cinq minutes.
Me Zachary Al-Khatib, avocat, Association canadienne des avocats musulmans : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de m’avoir invité à présenter des observations au sujet des modifications proposées au Code criminel.
Je m’appelle Zachary Al-Khatib. Je représente l’Association canadienne des avocats musulmans, qui est un organisme sans but lucratif destiné à faire défendre les intérêts de tous les Canadiens par les professionnels musulmans du droit. Nous comparaissons régulièrement devant le Sénat pour témoigner au sujet de diverses questions devant les comités permanents. Notre organisation mène des activités dans l’ensemble du pays et compte plus de 200 membres de tous les secteurs du milieu juridique.
Nous félicitons le gouvernement de prendre des mesures pour modifier le Code criminel et nous soutenons de manière générale l’adoption du projet de loi C-40. Les recommandations que je vais faire aujourd’hui sont fondées sur les principes de diversité et de représentation. Je tiens à vous remercier tous du travail que vous faites pour améliorer la justice pour tous les Canadiens.
J’ai travaillé à la Cour d’appel de l’Alberta et à la Cour suprême. Depuis, je travaille comme avocat de la défense. Je me concentre sur les droits civils, les questions policières et le travail relatif à la défense, dans les tribunaux de première instance et les tribunaux d’appel, où je tente fréquemment de convaincre les tribunaux de faire preuve d’équité envers une personne accusée. J’enseigne également le droit criminel et la procédure criminelle à l’Université de l’Alberta.
Ce projet de loi est important pour moi d’un point de vue personnel et professionnel, et je m’y suis investi. Je suis passionné par les questions qui sont en jeu ici.
J’aimerais aborder rapidement trois questions. La première est la suivante : Quel est le but du projet de loi proposé? La deuxième est : Pourquoi est-il nécessaire d’entendre les musulmans? La troisième est : Quels changements devraient être apportés afin que le projet de loi règle le problème des incarcérations injustifiées?
Pendant la dernière séance, un sénateur a demandé comment nous pourrions nous assurer que le projet de loi n’est pas colonialiste. Cela résume bien mes observations.
Il y a deux choses. Premièrement, nous devons nous assurer que le projet de loi offre réellement un mécanisme d’examen qui n’est pas restreint et technique. Je crois que c’est l’objectif du projet de loi, ce qui est bien. La deuxième chose est la représentativité. C’est là qu’entrent en jeu mes recommandations.
Quel est l’objectif du projet de loi? Le projet de loi reconnaît que le système judiciaire a manqué à son devoir de régler correctement les erreurs judiciaires, et je vais vous expliquer pourquoi. Il s’agit d’un concept universitaire appelé norme de contrôle dans le milieu judiciaire.
Essentiellement, la cour d’appel procède à un examen restreint et technique pour évaluer un fait qui est survenu pendant le procès. Très peu de motifs permettent d’annuler quelque chose comme une condamnation ou un plaidoyer négocié. C’est encore plus difficile pour les plaidoyers négociés. Pour répondre à la question de la sénatrice Simons, j’ai traité de ce type de cas. Dans un cas, un avocat avait dit à une personne de plaider coupable, ce qui était un mauvais conseil. La personne a fait ce que l’avocat lui avait conseillé et, plus tard, a découvert que cela aurait des répercussions importantes pour le reste de sa vie. Il était presque impossible de faire changer cela.
Je vous recommande fortement de lire le livre de Justin Brooks, le directeur du Innocence Project intitulé You Might Go to Prison, Even Though You’re Innocent, c’est-à-dire « tu pourrais te retrouver en prison même si tu es innocent. » Le premier chapitre du livre traite de ce sujet. Le livre dit, essentiellement, que la norme de contrôle — une approche restreinte et technique utilisée pour examiner les erreurs judiciaires — est responsable du sort de nombreuses personnes innocentes qui souffrent en prison.
Le projet de loi prévoit qu’une commission indépendante fera un deuxième examen lucide, d’une manière plus holistique et contextuelle que ce que font présentement les cours d’appel.
Sénatrice Pate, vous avez parlé du contexte, et vous avez posé des questions précises sur l’admission de nouveaux éléments de preuve, conformément à ce que l’on appelle le « critère de l’arrêt Palmer c. La Reine ». Ce critère revient constamment, dans les cours d’appel. L’arrêt Palmer de la Cour suprême dit que, dans les affaires pénales, les cours ne devraient pas évaluer l’admission de nouveaux éléments de preuve par les tribunaux, en adoptant une approche restreinte et technique. Elles ne devraient pas être strictes.
Malheureusement, les cours peuvent parfois être très strictes. Même si l’arrêt dit qu’elles ne devraient pas être strictes, son application n’a pas été aussi ambitieuse qu’elle aurait dû l’être. C’est pourquoi ce comité est nécessaire.
Donc, pourquoi est-ce que nous devrions entendre les musulmans? Les musulmans sont disproportionnellement représentés dans le système de justice pénale, tout comme les personnes noires et autochtones. La surreprésentation des musulmans est peut-être moins importante, mais elle est en hausse. Les statistiques le montrent. Selon le plus récent rapport de Statistique Canada, il y a eu une augmentation de 20 % des musulmans incarcérés entre 2014 et 2018. Pendant cette même période, les musulmans représentaient moins de 4 % de la population canadienne. Ils représentent au moins 8 % de la population carcérale, soit une population carcérale deux fois plus importante que leur présence dans la société, en pourcentage.
Des données sont sûrement sous-reportées. À Edmonton, l’Islamic Family & Social Services Association mène ses propres recherches à un institut ici, à Edmonton. Les musulmans représentent au moins 11 % de la population carcérale, si ce n’est pas plus. À Edmonton, les musulmans représentent environ 7 % de la population.
Pourquoi je parle de cela? Le projet de loi proposé reconnaît explicitement que les populations noires et autochtones ont souffert de discrimination systémique, et que les répercussions se font sentir dans l’ensemble du système judiciaire. Nous devons aussi reconnaître les minorités religieuses, comme les musulmans.
Ce que je demande est exprimé dans l’arrêt R. c. Jackson, qui dit que la voix de chaque communauté mérite d’être entendue, sans condition. Comme certains d’entre vous l’ont explicitement souligné, cela milite en faveur de représentation des minorités au sein de la commission.
Je demande donc à ce que les mots « chercher à », dans la première phrase du nouvel article 696.73, soient retirés :
Lorsqu’il formule des recommandations de nominations au poste de commissaire, le ministre doit... refléter la diversité de la société canadienne et tenir compte des facteurs comme l’égalité des genres et la surreprésentation...
Nous devrions remplacer « cherche à refléter la diversité de la société canadienne », par « doit refléter la diversité de la société canadienne ». Cela créerait une obligation de regarder la composition de la société et de la population carcérale et pour s’assurer que la commission est représentative.
Je vais expliquer brièvement pourquoi c’est nécessaire. Lorsque vous n’avez pas de contexte... quelqu’un parmi vous a posé une question très pertinente sur le manque de contexte. Le manque de contexte est souvent remplacé par des hypothèses et des stéréotypes erronés, ce qui prive les gens du droit à la présomption d’innocence et à un procès équitable. J’ai déjà vu cela.
Je vais vous donner rapidement un exemple. Même si un avocat offre une certaine représentativité, et que cela peut être utile, ce n’est pas une panacée. Par exemple, j’ai eu un client, un immigrant, et c’est très courant. Il avait deux noms; son nom de naissance et le nom qu’il utilisait dans la société canadienne. C’est important d’expliquer à la cour que c’est un phénomène normal dans les communautés immigrantes, parce qu’autrement cela pourrait être perçu comme une tentative pour échapper à leur responsabilité, entraînant une conclusion défavorable. C’est extrêmement difficile à renverser, en appel, voire impossible, parce que le juge d’un procès a compétence pour tirer ses conclusions et que les cours ne vont pas intervenir.
Puisque certains cas tournent entièrement autour de questions de crédibilité — à savoir si une personne est crédible —, cela peut avoir d’énormes répercussions. Cela peut être aussi simple qu’avoir plusieurs noms différents, parce que vous utilisez un nom dans votre langue maternelle et un nom dans la société canadienne que les gens ont plus de facilité à prononcer.
Le président : Je m’excuse, maître Al-Khatib, mais je dois vous interrompre. J’apprécie votre dernier argument. J’aurais eu des remords à vous interrompre avant que vous ayez pu décrire l’aspect contextuel de la chose.
Mais je vais inviter les deux autres témoins à prendre la parole. Puis, il y aura une période de questions et de réponses.
Maître Jones, allez-y, s’il vous plaît.
Me Zilla Jones, co-auteure et avocate des droits de la personne, Stratégie en matière de justice pour les personnes noires, à titre personnel : Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, bon après-midi. Merci de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui. En tant que femme noire et avocate criminaliste du territoire du Traité no 1, à Winnipeg, je suis honorée d’avoir été invitée par le ministre de la Justice à co‑rédiger le document intitulé Étapes pour un changement transformateur : Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires, qui examine la surincarcération des personnes noires au Canada et les répercussions du racisme anti‑noir dans le système judiciaire canadien.
L’héritage douloureux de l’esclavage et du colonialisme imprègne l’ensemble de notre système judiciaire, et cela a des répercussions sur la vie quotidienne des personnes noires et autochtones. Comme le reconnaît le projet de loi C-40, cela comprend les condamnations injustifiées s’appuyant sur des aspects liés à la race, par exemple la condamnation injustifiée notoire de Donald Marshall Jr, qu’on a mentionnée à la séance précédente.
La Nouvelle-Écosse a tenu une commission royale en 1990 pour examiner cette condamnation injustifiée remontant à 1971. Nombre des recommandations de cette commission n’ont toujours pas été mises en œuvre. Nombre d’entre elles font maintenant aussi partie des recommandations de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires.
Ce qui était vrai dans l’affaire Donald Marshall Jr est encore vrai aujourd’hui; les condamnations injustifiées suivent une vague d’autres injustices combinées. Le problème n’est pas que nous ignorons l’existence de ces choses; le problème est le manque de volonté politique à prendre les mesures nécessaires pour régler le problème.
La commission proposée pour les condamnations injustifiées est une bonne première étape. En écartant les fonctionnaires élus du processus d’examen des condamnations injustifiées, on dépolitise la chose et on accélère le processus. On prend soin de nommer des commissaires noirs et autochtones, puisque ce sont les groupes les plus surincarcérés, au Canada et qu’il est essentiel d’y prêter attention.
Il est important d’inclure le paragraphe 696.4(4), qui permet à la commission d’accepter une affaire qui n’a pas été portée en appel à la Cour suprême du Canada. Le paragraphe reconnaît que certains accusés font face à des obstacles systémiques pendant les procédures de la cour, et que ces obstacles sont encore plus importants pour les accusés noirs.
C’est encourageant de voir que le travail de la commission comprend la sensibilisation et l’éducation de la société en général et des demandeurs potentiels. La sensibilisation doit être faite dans les pénitenciers et les prisons du Canada, et je recommande spécifiquement d’inclure dans le libellé du projet de loi que la sensibilisation doit inclure les établissements.
L’alinéa 696.72b) prévoit que le commissaire a le pouvoir de présenter aux autorités et aux organismes publics concernés des recommandations visant à régler les problèmes systémiques susceptibles de mener à des erreurs judiciaires. Dans le cadre de notre travail pour la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires, nous avons entendu maintes fois parler de la lassitude des consultations. Beaucoup de commissions, d’enquêtes et de rapports, accompagnés de recommandations, ont été faits sur des choses comme le profilage racial. La Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires a présenté 114 recommandations au gouvernement fédéral. Nous n’avons pas besoin d’encore plus de recommandations. Nous avons besoin que des mesures soient prises pour les recommandations existantes.
Je note également que, même si le projet de loi traite de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, permettant qu’elle soit évaluée de la même façon qu’une demande de libération sous caution présentée par une personne qui fait appel d’une condamnation, il ne traite pas des conséquences en matière d’immigration potentielles pour un non-citoyen dont l’affaire a été acceptée par la commission. Selon le contexte du projet de loi, une telle personne est toujours considérée comme condamnée jusqu’à ce que la décision soit renversée.
Nous avons accordé la priorité aux consultations auprès des communautés noires de l’ensemble du Canada, pour la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires. L’un des enjeux qui ont été le plus souvent soulevés par les communautés était que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et le Code criminel peuvent, ensemble, interdire de territoire une personne et la renvoyer si elle est reconnue coupable de certaines infractions. Le projet de loi devrait également inclure des dispositions visant à accorder un sursis à la mesure de renvoi pour les non-citoyens qui ont dépassé les délais d’appel, qui ont purgé leur peine et qui ont fait une demande de réparation auprès de la commission, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue.
Pour finir, le paragraphe 696.84(2) autorise la commission d’examen des erreurs judiciaires à orienter les demandeurs vers des services de soutien. Présentement, il est évident que le Canada n’a pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins en matière de santé mentale des personnes noires et aux autres besoins de notre communauté. Une autre chose qui est ressortie de nos consultations sur la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires, c’est que les déterminants sociaux de la justice avaient une grande incidence sur la présence des personnes noires dans le système de justice pénale, surtout pour les jeunes noirs. Les inégalités et les divergences en matière de logement, d’éducation, de santé physique et mentale, d’emploi et de revenu doivent être réglées afin de prévenir les condamnations injustifiées.
Nous avons présenté un certain nombre de recommandations, à cet effet, y compris la création d’un ministère ou d’un organisme fédéral centralisé chargé de défendre les intérêts des personnes noires au Canada et de coordonner les efforts visant à promouvoir ces intérêts, d’établir un portefeuille de la justice pour les personnes noires au sein du ministère de la Justice et de créer une division du bien-être et de la sécurité de la communauté noire au sein de Sécurité publique Canada. Si la commission d’examen des erreurs judiciaires doit orienter les demandeurs vers des services de soutien, ces services doivent être accessibles, et des mesures comme celles que nous avons recommandées sont donc essentielles pour soutenir le travail de la commission.
Merci de m’avoir écoutée. Meegwetch.
Le président : Merci, maître Jones, et merci d’avoir fait attention au temps.
Maître Parkes, allez-y.
Me Debra Parkes, professeure et chaire d’études juridiques féministes, Peter A. Allard, School of Law, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bon après-midi à tous. Je ne vais pas tourner autour du pot; je travaille depuis plusieurs années sur la question des condamnations injustifiées, surtout chez les femmes. Le projet de loi et la commission sont très nécessaires. Le système actuel est terriblement défectueux et totalement inadéquat, mais je vais, pendant ma déclaration préliminaire, me concentrer sur certains aspects importants de la commission proposée, qui je crois, seront essentiels à sa réussite.
L’un de ces aspects est le mandat et la capacité de faire un examen et une analyse systémiques. Nous en avons parlé pendant la dernière séance. Le deuxième aspect est le mandat et la capacité connexe de faire des examens groupés. Je vais parler brièvement du troisième aspect, soit qu’il faut offrir la possibilité, si nécessaire, de recommander des mesures de redressement autres que le renvoi devant un tribunal.
Je me fonde sur une recherche que j’ai faite avec Mme Emma Cunliffe, sur les femmes condamnées injustement. Selon la recherche, les approches juridiques actuelles des condamnations injustifiées sont souvent incapables de cerner ou même de comprendre les erreurs judiciaires dont sont victimes les femmes, ainsi que les personnes noires, autochtones et racisées, et évidemment, le recoupement de ces expériences. Pour commencer, et ce qui est le plus accablant, c’est que les femmes n’arrivent pas à faire réexaminer leurs dossiers dans le cadre du processus ministériel. Habituellement, les cas de femmes victimes de condamnations injustifiées, dont nous avons connaissance, ont été découverts grâce à des examens groupés ponctuels, en particulier les cas impliquant le Dr Charles Smith et l’Examen indépendant de Motherisk.
Les examens systématiques et groupés des dossiers des femmes sont également nécessaires puisque les femmes sont davantage exposées au risque d’être condamnées à tort pour des crimes qui n’ont jamais été commis. Il n’y a pas eu de crime. Pensez à Maria Shepherd et à Tammy Marquardt et aux autres femmes qui ont été condamnées à tort, entre autres en raison des préjugés fondés sur le genre des acteurs de la justice pénale, alors que la mort de leurs enfants était le résultat d’un accident tragique ou d’une maladie.
Les femmes et les personnes autochtones qui ont fait l’objet d’une condamnation injustifiée, sont plus susceptibles de plaider faussement coupable. Les affaires des femmes sont plus susceptibles d’impliquer la mort ou des blessures causées à un membre de la famille, d’être liées à la responsabilité du fait d’autrui ou d’impliquer une solide allégation, qui est ignorée, concernant un moyen de défense pertinent. La peine minimale obligatoire pour meurtre et les plaidoyers négociés connexes ont un important rôle à jouer, ici. Je mène présentement des recherches sur les peines d’emprisonnement à perpétuité, et ce sont des éléments qui ressortent souvent.
Le rapport de la sénatrice Pate sur les 12 femmes autochtones met en relief des tendances systémiques semblables et montre pourquoi il n’est pas approprié de mettre l’accent sur l’innocence factuelle démontrable, c’est-à-dire ce qui est révélé par les preuves génétiques, pour régler les condamnations injustifiées. Cela fait partie du processus, mais ce n’est certainement pas suffisant. L’un des principaux problèmes est que les acteurs du système pénal ne comprennent pas le contexte systémique qui contribue à la criminalisation, y compris à la criminalisation injustifiée des femmes et des personnes autochtones et noires ainsi que des autres personnes qui sont surreprésentées dans les prisons canadiennes, mais sont sous-représentées parmi les personnes exonérées.
Il est important que le pouvoir de la commission d’examiner « une nouvelle question importante », en vertu de l’alinéa 696.4(4)d) soit interprété et appliqué largement pour inclure, en plus des éléments au dossier, qui ont été négligés par le conseil, de nouveaux éléments de preuve d’une nature davantage systémique. Je suis contente que l’on parle des nouveaux éléments de preuve, parce que les pouvoirs de la commission doivent, de toute évidence, être beaucoup plus larges que la définition actuelle des nouveaux éléments de preuve utilisée par les tribunaux.
Toutefois, ce matin, j’ai vu sur la page web du comité une lettre du ministre Virani, datée du 5 novembre, qui me redonne espoir. Par souci d’économie de temps, je ne vais pas la lire pour le compte-rendu, mais je veux souligner que le ministre Virani s’engage à ce que la commission d’examen des erreurs du système judiciaire adopte une approche systémique et il dit en particulier que les demandes soumises à la commission peuvent être groupées et examinées ensemble, et que la commission tiendra compte des nouveaux éléments de preuve suivants :
... une compréhension actualisée du contexte social, des analyses intersectionnelles de l’incidence négative du système de justice pénale sur des groupes racisés précis et sur d’autres groupes victimes de discrimination...
Honorables sénatrices et honorables sénateurs, le projet de loi doit être adopté et les engagements à l’égard des examens systémiques groupés doivent être formalisés afin qu’ils deviennent réalité.
Je vais parler rapidement des mesures de redressement prévues à l’article 696.6(2) du projet de loi, qui permettent seulement d’ordonner un nouveau procès ou de renvoyer l’affaire à la cour d’appel pertinente. Toutefois, il y a des cas où l’injustice — et nous connaissons tous ces cas — est si importante, si prolongée et si préjudiciable à la personne concernée qu’il doit y avoir une mesure de redressement personnalisée et directe afin de rendre justice. La Couronne et les ministres compétents jouissent d’un pouvoir discrétionnaire absolu, soit la prérogative royale de clémence, qui leur permet d’intervenir et, par exemple, d’autoriser la libération ou la libération conditionnelle d’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Je sais que le juge LaForme a dit, dans ses observations, que des mesures de redressement plus larges étaient nécessaires. Je suis d’accord.
L’on pourrait modifier la loi pour permettre au moins à la commission de recommander que la prérogative royale de clémence soit exercée. Il existe d’autres pouvoirs de réparation, mais si nous cherchons quelque chose de plus simple, cela pourrait être une solution parce que le renvoi à la cour, dans certains cas, ne permettra pas que justice soit rendue et prolongera l’injustice.
Je devrais également dire que je crois que c’est une erreur de ne pas prévoir un pouvoir pour l’examen des peines injustes en plus des condamnations injustifiées. Je pourrais en parler pendant la période de questions, mais, faute de temps, je me concentre, ici, sur les éléments qui sont, je crois, déjà inclus dans une certaine mesure dans le projet de loi, mais qui doivent être renforcés et confirmés et qui nécessitent un engagement et du financement de la part du gouvernement.
Plus de la moitié de la population féminine dans les prisons fédérales est autochtone, et je vois ces femmes chaque jour dans le cadre de mon travail. Il y a deux semaines, j’ai visité l’Établissement pour femmes de la vallée du Fraser. La commission d’examen des erreurs du système judiciaire ne doit pas les laisser tomber.
Je vous remercie de m’avoir écoutée et j’ai hâte d’entendre vos questions.
Le président : Merci, maître Parkes. C’est maintenant au tour des questions des sénateurs. Un grand nombre de sénateurs souhaitent discuter avec les témoins. Je vais essayer de limiter le temps de parole de chacun à cinq minutes, en commençant par le parrain du projet de loi. Merci de votre compréhension.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. Ma question s’adresse aux trois témoins.
Les personnes issues de communautés marginalisées qui demandent une révision à la suite d’une condamnation injustifiée font souvent face à des obstacles comme des ressources limitées ou un manque de confiance envers le système. Quelles démarches précises devrait entreprendre la commission pour assurer l’accessibilité et gagner la confiance des Canadiens noirs et autochtones et des autres Canadiens marginalisés?
Me Jones : C’est une excellente question. C’est pourquoi il est important d’adopter le projet de loi parallèlement aux autres recommandations qui ont été présentées. Par exemple, dans le cadre de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires, nous nous sommes penchés sur ces questions et nous avons traité du manque de confiance et de la façon dont le système a fait du tort aux gens.
C’est très large. Les accusés ne sont pas les seuls à voir leurs droits être violés par les tribunaux; cela arrive aussi aux victimes. Cela peut avoir des répercussions sur le déroulement du procès. Beaucoup de victimes et de témoins noirs nous ont dit avoir été traités de façon indigne par les tribunaux, avoir l’impression de ne pas avoir reçu d’aide, ont dit avoir été traités de façon indigne par la Couronne et ainsi de suite. Ils avaient peur de se présenter devant le tribunal.
Le déroulement d’une affaire commence très tôt. Pour traiter des condamnations injustifiées... Idéalement, il n’y aurait pas de condamnations injustifiées, et nous n’aurions pas besoin de faire cela. Je crois que nous ne commençons pas au bon endroit; nous devons revenir aux déterminants sociaux et à certains autres problèmes qui surgissent très tôt dans la poursuite, comme l’application de la loi. C’est là que nous pouvons gagner leur confiance.
Lorsque les gens verront ces changements, et lorsqu’ils verront les changements systémiques et transformateurs que nous avons souhaités — lorsqu’ils verront qu’il n’y a plus de racisme antinoir, ils feront confiance au système, mais cela commence avec nos jeunes, parce que beaucoup de personnes noires sont criminalisées pendant leur jeunesse.
Nous devons aimer ces jeunes, les soutenir et les éduquer. Nous devons ouvrir des débouchés afin d’éviter qu’ils se retrouvent dans le système de justice pénale.
Me Al-Khatib : Sénateur, je vous remercie de la question.
Pour que le public ait confiance en l’administration de la justice, il doit se sentir écouté. On ne se sent pas écouté jusqu’à ce que quelqu’un comprenne ce que l’on essaie de dire.
Quelles mesures précises doit-on prendre pour être certains que la commission d’examen des erreurs judiciaires donne vraiment aux gens l’impression d’être écoutés et que, peu importe les résultats, ils ont eu une chance égale et que le processus leur a permis de se défendre adéquatement?
Le premier accroc, selon moi, c’est la représentativité. En effet, sans représentativité, les gens ne se sentent pas écoutés comme il se doit. La deuxième chose, il faut un processus efficace. Me Parkes a suggéré plusieurs moyens d’améliorer le processus, pas seulement pour les individus, mais pour les groupes dans leur ensemble.
Donc, la représentativité et le processus sont mes réponses à votre question. Je vous remercie.
Le sénateur Arnot : Merci.
Me Parkes : Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit Me Jones sur la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires.
Il y a beaucoup de données probantes, et, à bien des égards, les gens doivent pouvoir participer réellement aux procédures, et cela passe par des ressources matérielles et la représentativité appropriée, parmi les membres et le personnel de la commission, de ceux qui eux-mêmes ont fait l’expérience du système de justice pénale et ont été condamnés injustement. Ces gens doivent être représentés dans les procédures, tout comme les personnes noires, autochtones et les autres groupes marginalisés qui sont surreprésentés.
Je ne veux pas parler trop longtemps, mais, oui, il y a beaucoup de travail important à faire au chapitre de la représentativité, de l’équité du processus et de l’investissement dans les communautés pour régler ces problèmes dès le départ.
Le président : Pour ceux qui nous regardent, la sénatrice Batters est vice-présidente du comité et porte-parole du projet de loi.
La sénatrice Batters : Merci à tous d’être présents aujourd’hui.
J’aimerais commencer par Me Jones, puisque vous êtes la co‑auteure de la Stratégie en matière de justice pour les personnes noires. Merci d’être ici.
Puisque vous travaillez sur le sujet, j’aimerais vous poser une question semblable à celle que j’ai posée au précédent groupe de témoins. Le rapport du juge LaForme et de la juge Westmoreland-Traoré recommande que la commission ait le pouvoir de renvoyer l’affaire en vue d’un pardon ou d’une suspension du casier judiciaire d’un demandeur, lorsque cela est justifié, mais la disposition n’a pas été incluse dans le projet de loi C-40.
Je me demandais si vous croyez que ce genre de mesures de redressement devraient être incluses dans l’ensemble des mesures de redressement offertes par la commission dans le projet de loi C-40.
Me Jones : C’est malheureux qu’on ait retiré le pouvoir d’accorder un pardon ou une suspension du casier judiciaire, parce que c’est un enjeu critique qui a également été soulevé dans la Stratégie en matière de justice pour les personnes noires : bien des personnes éprouvaient de la difficulté à s’orienter dans le processus des pardons. Même s’il a été simplifié et que cela coûte moins cher, et cetera, c’est souvent encore difficile. Ces personnes doivent savoir lire et parler anglais et pouvoir accéder aux formulaires grâce à un ordinateur ou à une personne qui les aide. Les gens n’obtiennent généralement pas du soutien de l’aide juridique pour cela. Les gens me demandent souvent de l’aide parce qu’ils ne sont pas capables de s’orienter là-dedans.
Il est donc malheureux que la commission ne jouisse pas de ces pouvoirs, qui lui permettraient de contourner le processus ou d’encadrer les gens, parce que le fait d’avoir un casier judiciaire est très mal vu. De nombreuses personnes que nous avons consultées nous ont dit — et je le savais déjà — que les gens ont de la difficulté à obtenir un logement ou un emploi en raison de leur casier judiciaire, ce qui limite le soutien qu’ils peuvent apporter à leurs enfants. Après quoi, ils se trouvent prisonniers du système.
Encore une fois, nous devons regarder les déterminants sociaux. Le pouvoir d’accorder un pardon est essentiel, tout comme le pouvoir de proposer d’autres mesures de redressement et d’exempter les gens de travaux communautaires, de conditions de probation ou de libération conditionnelle ou des choses de ce genre.
La sénatrice Batters : Merci de la réponse.
Maître Parkes, cette question est un peu similaire. Vous parliez d’un amendement qui pourrait être utile ici selon vous — je pense que je l’ai noté correctement —, selon lequel vous avez besoin d’un recours plus adapté, plus direct. Vous disiez que vous appuyez un amendement qui permettait à la commission d’au moins recommander la Prérogative royale de clémence.
Pensez-vous que le pardon et la suspension des casiers — la commission pourrait faire cela, comme il est recommandé dans le rapport des juges LaForme et Westmoreland-Traoré — pourraient être un autre recours direct et plus adapté, dans les cas appropriés? Appuieriez-vous aussi un amendement pour ce genre de situation?
Me Parkes : Oui. J’appuierais la mise en œuvre de recours plus larges, qui ne consisteraient pas simplement à retourner devant les tribunaux, parce que cela ne rend pas toujours justice dans certains cas, donc n’importe quel autre mécanisme serait plus rapide.
Je propose des amendements et des changements possibles au projet de loi en me disant que « le mieux ne devrait pas être l’ennemi du bien ». Ce projet de loi est important et il doit être adopté, mais je pense aussi qu’il est important que le Sénat envisage sérieusement d’apporter des amendements qui pourraient faire mieux le travail et régler les vrais préjudices sans retomber dans les problèmes du régime existant. Je pense que le Sénat devrait faire ce travail.
Compte tenu des témoignages présentés devant le Sénat par le passé, je sais que cela peut arriver dans certains cas, mais que la Chambre les rejette parfois. Toutefois, je crois qu’il est important d’avoir une discussion approfondie et de voir tant les aspects positifs de ce projet de loi que les aspects à améliorer.
La sénatrice Batters : Oui. En tant que porte-parole, j’étais d’avis que c’était à moi de tenter d’améliorer ce projet de loi si important, surtout dans des situations semblables. Nous ne voyons pas ce genre de choses tous les jours, donc nous devons nous assurer que tout se passe bien.
Les gens qui me voient siéger à ce comité depuis un certain temps sont nombreux à savoir que je n’aime pas la phrase « ne laissez pas le mieux être l’ennemi du bien », parce que je dis souvent que c’est en fait notre travail de parfaire les choses, ici. C’est un projet de loi du gouvernement, et le gouvernement a beaucoup de contrôle sur la façon dont il présente les choses. Oui, nous pouvons proposer des amendements ici, et s’ils sont adoptés, le gouvernement peut agir assez rapidement si tel est le message envoyé à la Chambre des communes.
Maître Parkes, je souhaite aussi vous poser une question. J’en ai parlé dans mon discours, à la deuxième lecture; je parlais du document sur l’analyse comparative entre les sexes plus que le gouvernement a préparé à cet égard. Compte tenu de votre perspective en tant que chaire d’études juridiques féministes à l’Université de Colombie-Britannique, je voulais vous en parler. C’est quelque chose que je vois plus régulièrement de la part du gouvernement, et c’est malheureux.
Ce que j’ai fait remarquer dans mon discours, c’est que ce document ne contient pas grand-chose au sujet des femmes, et qu’aucune statistique n’est même mentionnée au sujet du nombre de femmes qui sont victimes de crimes, même si on y donne ces chiffres pour d’autres groupes précis.
Après un bon bout de temps, le gouvernement m’a finalement communiqué ces statistiques, mais cela a pris du temps. Je voulais seulement savoir si c’était quelque chose qui vous préoccupait vous aussi. Vous avez sans doute consulté ces documents sur l’analyse comparative entre les sexes plus, et je me demandais si vous étiez préoccupée par le fait que ce genre d’information, de l’information essentielle au sujet des femmes, n’y figurait pas.
Me Parkes : Brièvement, je peux dire que cela me préoccupe, si ce n’est pas fait de façon exhaustive et qu’une approche intersectionnelle n’est pas appliquée.
Je dirais que, en ce qui concerne la victimisation, une des choses que l’on voit dans le travail que je fais, quand il est question d’inégalité de genre dans le système juridique pénal et des circonstances des femmes qui se retrouvent dans les prisons pour femmes, c’est que la victimisation et la criminalisation s’inscrivent dans un continuum et qu’il y a de vrais chevauchements. Nous ne parlons pas de groupes différents, les gens qui sont pour la plupart des victimes et les gens qui sont pour la plupart criminalisés. Il y a beaucoup de chevauchements dans tout cela. Je crois qu’il est vraiment important de comprendre ce genre de complexité, et j’aimerais qu’il y ait un jour une analyse plus complète de ces choses, mais je pense que, effectivement, nous avons beaucoup de ressources à notre disposition.
Encore une fois, grâce au travail que la sénatrice Pate a fait, en examinant les inégalités croisées touchant de nombreuses femmes autochtones et les façons très complexes dont le gouvernement a contribué à leur criminalisation injustifiée, je pense que vous avons des exemples pour nos inspirer afin d’encourager la commission à faire son travail de façon systémique.
Le président : Merci à vous deux.
Le sénateur Prosper : Merci à tous les témoins qui comparaissent devant nous. Ma première question s’adresse à Me Al-Khatib, parce que vous avez fourni des détails sur les statistiques relatives à l’incarcération des musulmans. Nous avons eu des discussions au sujet de la représentativité des Noirs et des Autochtones en tant que membres de la commission. Croyez-vous que la représentation dans la population carcérale devrait être proportionnelle à la représentation au sein de la commission?
Ma deuxième question s’adresse à tous les témoins ici présents. J’aimerais avoir tous les commentaires que vous pouvez faire au sujet de la langue et, pour que la commission puisse faire son travail, au sujet de l’importance pour la commission de tenir compte de la langue, afin que la population concernée puisse elle aussi tirer profit de ce projet de loi. J’aimerais vos commentaires à ce sujet, si possible.
Me Al-Khatib : Merci, sénateur Prosper. En ce qui concerne votre première question, je vous entends me demander « comment nous assurons la représentativité ». La réponse courte que je vous donnerais c’est, oui, il y en a, mais je dois apporter une petite nuance.
Je crois que ce n’est pas suffisant de tenir compte uniquement des proportions dans la population carcérale canadienne et de choisir un certain nombre de commissaires en fonction des pourcentages dans la population. Ce devrait être un peu plus compliqué que cela.
Présentement, honnêtement, ce que vous entendez constamment les témoins vous dire, c’est qu’ils veulent que le projet de loi soit adopté même si on n’y apporte pas de modifications, mais ils veulent aussi qu’il soit amélioré. Ils veulent que le projet de loi soit adopté parce que le système ne fonctionne pas comme il devrait. Il n’offre aucune réparation aux gens qui sont condamnés à tort. Il doit y en avoir, et ce serait au moins un pas dans la bonne direction.
En ce qui concerne le potentiel d’amélioration, je dirais que, en ce qui concerne la représentativité, je voudrais qu’il y ait un nombre minimum, et non pas un maximum. Je crois que c’est essentiel pour les Autochtones. Je pense que c’est essentiel pour les Canadiens noirs. Je pense que c’est essentiel pour toutes les autres minorités, comme les musulmans. Il devrait y avoir une représentativité minimale. Nous pouvons augmenter le nombre à partir de là. Nous pouvons continuer d’augmenter le nombre et de nous améliorer à partir de là, mais je pense que se contenter de dire que le ministre doit tenter de représenter ces groupes, ce n’est pas assez. Notre comité a amélioré le vocabulaire, par le passé, comme en enlevant les mots « cherche à » dans le projet de loi C-9, par exemple, et a obligé le ministre à faire quelque chose dans les faits.
En ce qui concerne la langue, je crois qu’il y a un lien. Le sénateur Arnaud a posé une question semblable au sujet de l’accessibilité et la nécessité de s’assurer que les gens sont entendus. L’une des raisons pour lesquelles le système est brisé et qu’il ne suffit pas d’avoir un système d’appel, c’est qu’il est très difficile de déposer un appel. Si vous ne faites que remplir et soumettre des formulaires, souvent, ils seront rejetés par l’administrateur et on finira par tourner en rond. Les gens restent pris dans les prisons parce qu’ils ne peuvent littéralement pas déposer leurs formulaires comme il se doit. Je suis avocat, et je peux vous dire que mes formulaires ont été rejetés à maintes reprises.
Ces petites formalités sont des obstacles à la justice, et la langue en fait partie. Les gens devraient écrire dans la langue dans laquelle ils sont à l’aise, que ce soit le français, leur langue autochtone ou une autre langue, et présenter leur demande de cette façon, et le comité devrait pouvoir y accéder.
Encore une fois, je soutiens les commentaires de mes collègues, qui ont dit qu’ils veulent que le projet de loi soit adopté, mais ils espèrent aussi que leurs propos augmenteront la mise en œuvre le potentiel réparateur du système de justice. Merci, monsieur.
Me Jones : Je soulignerais que beaucoup de détenus noirs sont musulmans, donc il y a de l’intersectionnalité. Je ne dirais pas qu’il y a une communauté musulmane et une communauté noire distincte. Nombre de ces détenus sont sans doute les détenus noirs dont nous nous sommes occupés.
En ce qui concerne la langue, c’est effectivement un enjeu, pour nous, qu’il s’agisse de prisonniers noirs anglophones noirs qui sont envoyés dans des prisons du Québec, alors qu’ils ne parlent pas français, ou inversement, et qui n’ont pas accès à un avocat parce qu’ils ne parlent pas la langue ou parce qu’ils parlent une troisième langue qui n’est ni l’anglais ni le français et qu’ils ont besoin d’un interprète. C’est un obstacle important pour de nombreux Canadiens noirs, donc il est important que la commission fournisse des interprètes et des services à cet égard parce que ce sera un problème.
Me Parkes : Brièvement, en ce qui concerne l’accessibilité et la question des gens qui sont incarcérés — et j’aurais dû le dire en réponse à la question du sénateur Arnot sur la nécessité d’une sensibilisation intensive et des soutiens aux gens qui sont incarcérés —, il est incroyablement important de pouvoir accéder à la commission, surtout parce que les gens incarcérés n’ont aucun accès à Internet, à un courriel ou à quoi que ce soit de ce genre. C’est incroyablement important aussi.
Le président : Merci à vous deux.
La sénatrice Clement : Merci à vous trois de mettre votre intelligence manifeste au service du système de justice. Je vous suis très reconnaissante.
Maître Jones, merci d’être présente. Mes collègues m’ont souvent entendu parler de la Stratégie en matière de justice pour les personnes noires. Je me suis fait un devoir de réagir à votre latitude touchant les consultations en mentionnant la Stratégie en matière de justice pour les personnes noires partout où je vais. Pas seulement ici, mais partout. Je vais continuer de le faire.
J’aimerais avoir vos commentaires sur la façon dont nous pouvons utiliser ce document et les 114 recommandations pour revoir les lois de façon systématique. C’est la première chose dont vous pourriez peut-être parler.
L’autre chose, c’est que nous parlons beaucoup de représentativité, du fait que la langue ne nous permettra peut-être pas d’arriver à nos fins, mais que nous devons adopter ce projet de loi...
Me Jones : Je ne suis pas d’accord avec vous.
La sénatrice Clement : Je comprends, mais c’est la pression que nous ressentons.
Nous aurons une commission. Nous espérons qu’il y aura de la représentativité — pas seulement de la représentativité au sein de la commission, mais aussi au sein du personnel, n’est-ce pas? À tous les niveaux de cette institution, il devrait y avoir de la représentativité. Mais les recommandations dans la Stratégie en matière de justice pour les personnes noires parlent de formation. Je ne parle pas d’une formation approximative. Les termes que vous utilisez sont clairs, et ils rendent compte de contextes historiques et contemporains du racisme antinoir, et les communautés noires ont participé à l’élaboration du programme.
Pourriez-vous nous dire si nous... Je ne sais pas. Je pense à une observation que l’on pourrait ajouter au sujet de l’importance de suivre une vraie formation pour nous assurer que, même si nous n’atteignons pas la représentativité voulue, nous faisons tout de même le travail, pour que les gens comprennent le contexte dans lequel nous menons nos activités. Pourriez-vous formuler des commentaires à ce sujet?
Vous avez aussi dit, et c’est intéressant, que la sensibilisation doit inclure les institutions. J’aimerais que vous m’en disiez plus.
Puis, maître Al-Khatib, vous avez mentionné l’augmentation de la représentation des musulmans dans le système de justice. Cela m’a brisé le cœur quand je l’ai appris, et j’ai essayé d’être une alliée à cet égard aussi. Pourriez-vous me faire un état de la situation? Est-ce différent de l’augmentation du nombre des Noirs dans le système de justice? Que devrions-nous faire de toute urgence, dans ce dossier?
Me Jones : Je vais essayer de répondre à ces deux questions, brièvement. Je vais commencer par la question de la représentativité.
Premièrement, il est très important de ne pas perdre de vue les deux groupes qui sont les plus incarcérés, à savoir les Autochtones et les personnes noires. Je suis un peu nerveuse lorsque nous commençons à parler d’autres groupes minoritaires, car statistiquement, ce sont ces deux groupes. Ces deux groupes sont ceux dont les rapports parlent toujours.
D’autre part, il s’agit de l’histoire. Si nous connaissons l’histoire du Canada, nous savons que les peuples autochtones ont été colonisés, chassés de leurs terres, que la GRC a été envoyée pour déplacer les peuples de manière violente, et cetera. Il y a toujours eu des interactions entre la loi et la colonisation ou l’assujettissement de peuples autochtones.
Il en va de même pour les Noirs et les Africains. C’est en raison des lois visant à faire entrer des esclaves au pays que la plupart des Noirs sont arrivés ici. Des choses comme la ségrégation dans les espaces publics... nous connaissons Viola Desmond. Il y a eu la ségrégation dans les écoles et les lois sur l’esclavage qui permettaient de tuer un esclave s’il tentait de s’enfuir. Tout cela fait partie de l’histoire du Canada. Cela est propre aux Noirs et aux Autochtones, alors, il ne faut pas perdre cela de vue. C’est la raison pour laquelle la loi doit être revue : en raison des inégalités systémiques qui perdurent depuis des centaines d’années pour ces deux groupes.
Donc, oui, la représentativité est extrêmement importante pour garder ces principes historiques à l’esprit. Cela rejoint un peu la question de la formation. Oui, la formation doit couvrir cette histoire et ce contexte en profondeur. Avoir des gens n’est pas suffisant — ma mère dit parfois : « la couleur de la peau ne fait pas nécessairement la parenté ». Ce n’est pas parce qu’une personne a la peau brune qu’elle comprend le contexte ou qu’elle l’approuve. J’ai entendu des Noirs s’opposer à la stratégie en matière de justice pour les personnes noires.
Nous devons nous assurer que ces personnes ont travaillé sur le terrain et dans la communauté, qu’elles sont acceptées par la communauté et qu’elles ont fait face à ces problèmes. Tout cela, en plus d’être des personnes de couleur.
Pour moi, il y a un danger, parfois, quand la représentativité devient superficielle et qu’elle ne concerne pas nécessairement les principes ou les valeurs des gens, les aspects qui doivent être présents.
En ce qui concerne la formation, la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires, nous étions en conflit. Nous voulions que la formation soit fondée sur des données probantes, et que c’est l’un de nos principes. De nombreuses études contradictoires ont montré que, parfois, la formation antiraciste pour la police ne fonctionne pas vraiment. C’est donc une recommandation que nous avons formulée de façon très conditionnelle, en prenant en compte tous ce qui se passe. Toutefois, c’est une chose que nous devrions essayer. Il est important d’avoir cette discussion.
Je donne des formations et, lorsque je me retrouve dans une salle avec de nombreux professionnels de la justice blanche et que je leur parle de ces questions, je vois les esprits s’ouvrir et une lumière s’allumer dans leurs yeux, ce qui veut dire que cela a de la valeur. La question de savoir si cela change nécessairement les résultats doit être étudiée. C’est pourquoi nous recommandons d’étudier cette question et d’obtenir des données, pour savoir si cela fonctionne et assurer un suivi. Ce serait important de le faire.
Enfin, en ce qui concerne les institutions, la raison pour laquelle j’ai dit qu’il fallait faire de la sensibilisation est liée à ce qu’a dit Me Parkes, ma professeure à l’école de droit : ils n’ont pas accès aux courriels, aux numéros de fax et à ce genre de choses, de sorte qu’ils n’ont souvent pas un avocat. Une fois que le dossier est clos avec l’aide juridique, il est parfois difficile de l’ouvrir. Ils ne savent pas vraiment ce qui se passe à l’extérieur ou dans le système de justice, à un moment ou à un autre, et c’est pourquoi il est important que les gens se rendent physiquement à la prison, pour donner des séances d’information et remettre des documents directement. Sinon, ils n’en sauront rien. Il est évident qu’un grand nombre de personnes condamnées à tort se trouvent dans ces institutions.
Le président : C’est maintenant à Me Al-Khatib, mais notons que Me Jones a fait une petite publicité pour l’Université du Manitoba, pour Me Parkes.
Me Al-Khatib : Merci. Premièrement, merci, chers collègues, pour votre question et pour votre solidarité.
J’aimerais commencer par les mots du juge Nakatsuru dans l’affaire Jackson, référence 2018 ONSC 2527. Il a dit que les voix des diverses communautés dans le système judiciaire doivent être entendues, sans conditions.
Le nombre de musulmans incarcérés dans le système judiciaire augmente de manière disproportionnée par rapport à leur croissance au Canada. Ces données proviennent de Statistique Canada, et je crois que mes observations écrites fourniront des références spécifiques à ce sujet.
En termes de solution, permettez-moi d’abord de dire qu’il existe au Canada un certain nombre de groupes malheureusement marginalisés qui ont souffert de discrimination historique et systémique dans ce pays, et cela va au-delà des catégories spécifiques indiquées dans ce projet de loi. Le juge Nakatsuru est lui-même issu de la communauté japonaise. Si vous allez sur la côte Ouest et ailleurs, cette communauté a une histoire et a fait l’objet de crimes similaires. Il y en a d’autres.
Les injustices du passé ne devraient pas nous rendre aveugles aux injustices du présent ou aux injustices potentielles de l’avenir; plutôt, ces injustices devraient nous éduquer et être un moyen pour nous non seulement de remédier à ces questions historiques, qui méritent absolument qu’on leur porte une attention particulière, mais aussi de créer une société plus juste pour tout le monde.
Selon moi, cela se fait comme mes collègues — comme Me Jones — ont dit : en collaborant avec ces communautés elles‑mêmes et leurs institutions. Être entendu sans conditions, cela veut dire entre autres pour ces personnes d’avoir l’occasion de dire de quelle manière elles veulent être mobilisées, entendues et perçues et de quelle manière le système lui-même devrait fonctionner.
Je comprends que cela aussi peut créer de la fatigue. Certaines solutions créent d’autres problèmes, et nous devons régler ceux‑là aussi; voilà mon humble réponse.
La sénatrice Senior : Merci à tous d’être présents et merci pour l’incroyable travail que vous faites avec vos divers moyens. Cela éclaire vraiment notre étude.
J’ai une question pour Me Al-Khatib, en ce qui concerne l’augmentation des populations musulmanes en prison que vous observez à Edmonton. Par ailleurs, ce que vous avez dit me rappelle étrangement certaines choses que nous voyions à Toronto, dans les années 1980 et 1990, avec les jeunes noirs, leur incarcération et bien pire encore en termes de vies arrachées.
Je suis curieuse de savoir si vous avez également des statistiques sur la proportion des musulmans qui sont également noirs. Je serais curieuse d’avoir cette statistique en particulier.
Une des choses qui m’a vraiment déçue, lorsque j’ai commencé à m’intéresser à ce projet de loi, c’est le manque d’inclusion au chapitre des peines. Maître Parkes, je sais que vous avez parlé de recherches que vous avez menées sur les peines à perpétuité. J’aimerais beaucoup que vous nous disiez comment, d’après vous, ces recherches pourraient éclairer le projet de loi tel qu’il est, en tant que ressources pour soutenir ou éclairer le travail de la commission.
Maître Jones, je m’interroge sur l’absence d’inclusion formelle des peines et sur la façon... C’est une question similaire à celle que j’ai posée à Me Parkes, si cela ne vous dérange pas.
Le président : Veuillez répondre tous les trois, mais ne dépassez pas une minute, afin que les autres sénateurs aient leur tour avant la fin de la séance.
Me Al-Khatib : Je tâcherai de vous communiquer les statistiques sur le nombre de musulmans qui font aussi partie de la communauté noire. Je n’ai pas ces statistiques en tête.
Comme l’a dit Me Jones, il y a une intersectionnalité; Me Parkes l’a également souligné. Ce qu’il faut, entre autres, c’est reconnaître que des préjugés systémiques se manifestent à plusieurs niveaux et dans plusieurs catégories.
À Edmonton, pour répondre à votre question, la Islamic Family & Social Services Association a étudié les niveaux d’incarcération des musulmans dans les prisons d’Edmonton et de l’Alberta, et, dans mes observations écrites, je prévois de fournir des références à leurs statistiques et à leurs informations. La tendance générale est malheureusement à la hausse, hausse qui n’est pas proportionnelle à l’augmentation des communautés, malgré l’expansion de toutes ces catégories dans la communauté.
En ce qui concerne votre question sur les peines, je suis tout à fait d’accord avec ce que vous et mes collègues avez dit. La question des peines doit être examinée. Lorsque nous contestons une peine, nous renvoyons généralement au fait qu’elle soit cruelle ou inusitée, quand nous voulons contester les peines minimales obligatoires, par exemple, et une peine est reconnue dans notre jurisprudence comme étant cruelle et inusitée est lorsqu’elle est excessivement longue ou lorsqu’elle entraîne l’incarcération quand il ne devrait pas y avoir incarcération. C’est la définition même d’une erreur judiciaire. Je crois que, si nous voulons être fondamentalement égaux dans notre jurisprudence, nous devrions reconnaître ces cas comme faisant partie du cadre des erreurs judiciaires.
Me Parkes : Merci de votre commentaire, madame la sénatrice. Oui, je travaille sur des condamnations à perpétuité et les preuves sont très claires. Cela ressort également de rapports antérieurs, tel que le rapport de la juge Lynn Ratushny sur l’examen de la légitime défense — je crois que c’était en 2000 ou en 2001 — qui examinait des dossiers d’examen de cas après qu’une affaire historique, l’affaire Lavallee, a reconnu le sexisme de la légitime défense et a apporté des changements. Ensuite, il y a eu un examen de cas qui impliquaient des femmes ayant reçu des condamnations et des peines injustes. Peu de femmes ont obtenu réparation, mais en fin de compte, c’est le type d’examen dont nous avons besoin. Nous avons constaté, et les recherches le montrent clairement, que la condamnation à perpétuité donne aux procureurs la possibilité d’exercer une pression incroyable, et c’est pourquoi la condamnation à perpétuité obligatoire pour meurtre est à l’origine de nombreuses condamnations injustifiées, parce que les gens plaident coupables à une accusation d’homicide involontaire ou même parfois de meurtre pour une période particulière d’admissibilité à la libération conditionnelle alors qu’ils ont en fait une défense valide ou même qu’ils sont innocents.
C’est un énorme problème, et je crois que la commission devrait avoir le pouvoir d’examiner les condamnations injustes. C’est certainement ce qui se fait dans bon nombre de commissions efficaces dans le monde.
Me Jones : Je crois que la plus grande injustice est commise au moment de la négociation de la peine, et je crois que de nombreux professionnels de la justice, avocats et juges, sous‑estiment l’impact d’une incarcération. Bien des gens pensent qu’il ne s’agit que de quelques mois et que cela n’a pas d’importance. Toutefois, nous n’accordons pas assez d’importance aux répercussions que peuvent avoir l’incarcération et un casier judiciaire sur la vie d’une personne. Nous avons tendance à nous concentrer sur ce point. Cela exerce une forte pression sur la personne, qui doit prendre une décision rapidement. Cela conduit véritablement à des injustices.
Les déterminants sociaux sont pertinents, car il y a beaucoup de personnes qui vont en prison parce qu’elles ne peuvent pas respecter les conditions de la probation ou d’une peine conditionnelle, car elles n’ont pas de téléphone ou de logement, donc elles n’obtiendront pas cela du juge. Elles ne peuvent pas être en probation, elles ne respectent pas les conditions. Elles finissent par être emprisonnées alors qu’il devrait s’agir d’une probation, mais elles ne peuvent tout simplement pas le faire.
On fait le calcul meurtre-homme dont Me Parkes a parlé, je crois. J’ai récemment eu une affaire de ce genre, avec un client autochtone. Le dossier de la Couronne était incomplet, et plusieurs témoins ne s’étaient pas présentés au tribunal. Il était question de meurtre au premier degré, mais on a proposé une peine de six ans pour homicide involontaire. Sachant que l’alternative est une peine de 25 ans, la perpétuité, il est très difficile, en tant qu’avocate, de dire lançons les dés et voyons si le témoin se présente. Alors le client accepte les six ans. Si le témoin n’a pas dit la vérité, il s’agit d’une condamnation injustifiée. Cela me préoccupe tous les jours. Est-ce que je condamne des gens à tort quand que je leur donne des conseils et que je les aide à rester le moins longtemps possible en dehors du système? Nous sommes tous soumis à une forte pression à cet égard.
La sénatrice Simons : J’ai une petite question pour Me Al‑Khatib. Vous avez souligné une raison pour laquelle le système d’appel ne fonctionne pas lorsque vous avez parlé de la complexité du processus de dépôt des documents, mais vous donnez d’autres raisons pour lesquelles le système d’appel ne fonctionne pas pour traiter les erreurs judiciaires. Quelles sont les erreurs du système d’appel que nous ne devrions pas reproduire et que vous ne voudriez pas voir intégrées dans le mécanisme du projet de loi C-40?
Me Al-Khatib : Merci beaucoup de cette question. Les manières dont le système d’appel perpétue la difficulté pour les personnes d’obtenir réparation sont multiples. Cela commence sur le plan administratif avec le niveau de compétences techniques nécessaire pour déposer un appel, pour formuler une plainte dans un langage juridique approprié afin qu’un tribunal puisse l’entendre. Il m’est arrivé que des documents soient rejetés parce que le ton du document d’accompagnement n’était pas correct et qu’il me soit renvoyé. Je suis avocat, donc je peux régler ce problème, mais un accusé qui se représente lui-même ne peut pas le faire.
C’est ainsi que cela commence, et cela se termine par... J’ai eu des juges en cour, lorsque je demandais réparation, en appel, qui m’ont dit : « Croyez-vous que si vous appelez cela ou que vous soulevez cela comme une question d’erreur judiciaire, nous allons simplement réexaminer toute l’affaire? » J’ai répondu : « Oui, c’est exactement ce que je veux. » Puis on m’a répondu : « Ce n’est pas ce que nous faisons ici. » Voilà le problème global de la Cour d’appel. La Cour d’appel ne considère pas que son rôle est de procéder à un examen holistique d’une affaire et de réévaluer si la personne aurait dû être jugée ou si elle aurait dû être emprisonnée. Ce n’est pas ce qu’elle considère être son travail.
Qu’est-ce que ce comité ne devrait pas faire? En somme, il ne devrait pas adopter une approche technique ou étroite, que ce soit dans la manière dont il reçoit les demandes, dans la manière dont les demandes sont formulées ou dont il les évalue. Les gens devraient pouvoir prendre un stylo et une feuille de papier et écrire pourquoi ils pensent qu’ils n’ont pas été traités équitablement dans le système judiciaire puis voir leur demande soumise à un comité qui la prendra au sérieux et qui examinera la question pour eux afin qu’ils aient au moins le sentiment que quelqu’un a reconnu la situation et évalué s’ils ont été victimes d’une injustice. Malheureusement, notre système judiciaire ne fait pas cela.
[Français]
La sénatrice Oudar : Monsieur le président, je voulais poser une question sur la prévention, parce que c’était une des recommandations du rapport des juges LaForme et Traoré, mais c’est une grande question qui exigerait qu’on y accorde beaucoup plus de temps, alors je cède mon temps de parole à ma collègue la sénatrice Pate pour le temps qu’il nous reste. On aura l’occasion de parler de prévention à un autre moment.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup, sénatrice Oudar.
[Traduction]
Je crois que je suis d’accord pour dire que la prévention dont vous alliez parler est importante.
J’aimerais d’abord commencer par Me Parkes, car je ne suis pas certain si quelqu’un d’autre a vu la lettre du ministre. Si vous avez — et même si vous n’avez pas...
Le président : Pourrais-je interrompre afin de la transmettre au comité? Voici la lettre que le ministre de la Justice nous a envoyée. Elle a été publiée sur le site Web pour que les gens puissent suivre.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
Étant donné le contexte politique dans lequel nous nous trouvons et des discussions que nous avons eues, je serais curieuse de savoir si Me Parkes croit que la lettre du ministre, liée au projet de loi, offre assez de flexibilité à une commission dûment nommée pour qu’elle puisse apporter le type de réparation et d’examen que vous et d’autres personnes avez recommandés?
Deuxièmement, et cela s’adresse à tout le monde, j’aimerais que vous parliez de la façon dont, selon vous, la commission devrait être constituée. L’un des enjeux évoqués par le juge LaForme, lorsqu’il a comparu devant nous, est qu’il y a trop peu de commissaires et trop peu de ressources. Pouvons-nous mettre en place des structures ou faire des recommandations en tant que comité pour que le gouvernement ou la commission mette en place des structures qui permettent la superposition de ces éléments? Je crois, maître Jones, que vous avez présenté quelques recommandations concernant la dotation en personnel et d’autres moyens d’assurer la représentativité, puisqu’il semble que nous pourrions n’avoir que cinq commissaires.
Peut-être que Me Parkes peut commencer, et nous poursuivrons à partir de là.
Me Parkes : J’essaierai de répondre brièvement. J’étais en train de me préparer et de regarder la documentation sur le site Web du comité sénatorial quand j’ai vu la lettre du ministre. Il y avait là un certain nombre de points que je souhaitais aborder, la nécessité d’un examen systémique, des réparations de groupe plus significatives que de retourner devant le tribunal. Il est possible de le faire, ce qui laisse entrevoir la volonté du gouvernement de le faire, mais, lorsque c’est sous cette forme, ce n’est certainement pas garanti.
Évidemment, en tant que professeur de droit constitutionnel, je sais que le bilan législatif et l’histoire font partie de l’interprétation de la loi, ce genre de chose, mais en fin de compte, pour ce qui est de contraindre le processus, ce serait mieux d’avoir des changements dans la loi elle-même que d’apporter des changements ici. Cependant, je trouve certainement encourageant de voir cela, mais cela dépendrait de la capacité du gouvernement à continuer s’il y avait des élections dans l’avenir.
Tout cela est un peu plus incertain, mais c’est assurément un engagement qui a été pris. J’encourage les sénateurs à faire tout ce qui est en leur pouvoir, dans le temps dont ils disposent, pour essayer de formaliser certains de ces engagements en renvoyant ce projet de loi.
Me Jones : Premièrement, je crois que le droit criminel est un domaine spécialisé du droit, alors il est très important qu’il y ait des personnes qui ont de l’expérience, que ce soit parce qu’ils travaillent dans le système ou qu’ils se sont retrouvés dans le système. Je crois que vous avez dit que ce serait le cas pour une moitié. Je dirais que même l’autre moitié devrait être composée de personnes qui ont une interaction quelconque avec le système de justice pénale à un autre titre.
J’écoutais Me Al-Khatib parler de la Cour d’appel; je pensais : « oui, je me rends en Cour d’appel. » Une partie du problème est la sélection des juges, qui ont d’abord été des avocats fiscalistes. L’un d’entre eux m’a demandé ce qu’était le ouï-dire, car il ne connaissait pas le droit pénal. C’est un domaine très spécialisé qui n’est souvent pas valorisé. Les gens pensent que tout le monde peut l’apprendre, que tout le monde peut le faire, mais, lorsque vous passez de nombreuses années à l’exercer, vous savez à quel point ce domaine est spécifique et spécialisé. C’est très important.
En ce qui concerne les structures, la dotation en personnel ne devrait pas se limiter aux commissaires, car il est fort probable que les personnes interagissent en premier lieu avec une personne chargée du soutien administratif ou de l’accueil, ou une autre personne de ce genre. Il faut que ce soit des personnes avec lesquelles elles se sentent à l’aise et en qui elles ont confiance.
Je crois qu’il serait important que la commission se déplace régulièrement et aille à la rencontre des communautés, pas nécessairement pour mener des consultations — car, comme je l’ai dit, il y a la fatigue liée aux consultations — mais pour leur expliquer ce qu’elle fait, voir si quelqu’un a besoin d’aide, demander ce qu’elle peut fournir à ces communautés. C’est important; il ne faut pas siéger uniquement à Ottawa, mais aller à la rencontre des Premières Nations et des différentes communautés.
Je proposerais également d’inclure quelque chose concernant le financement par le programme d’aide juridique. Je sais que le gouvernement fédéral a financé les évaluations de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle et qu’il a financé certains programmes pour s’assurer que ces évaluations aient lieu. Peut‑être devrait-il prévoir un financement pour les personnes qui souhaitent accéder à cette commission, pour qu’elles puissent bénéficier d’un avocat qui les aiderait à rassembler les documents et à présenter leurs arguments. Voilà peut-être un élément à prendre en compte à des fins d’accessibilité.
Me Al-Khatib : J’aimerais revenir sur certains commentaires de Me Jones. Le premier concerne le fait que le droit criminel est un domaine spécialisé et exige un certain niveau d’expertise ou de connaissances. Je suis tout à fait d’accord, mais j’ajouterais que nous essayons souvent de combler cette lacune en confiant ces postes aux personnes en qui nous avons confiance, c’est‑à‑dire des procureurs.
Normalement, les nominations judiciaires concernent plus souvent des avocats de la Couronne que des avocats de la défense. Le Sénat ne peut pas remédier à cela ici et maintenant. La représentativité exige aussi des personnes qui comprennent réellement le concept de doute raisonnable et qui vivent avec ce concept au quotidien, pour qui la présomption d’innocence et l’équité de la procédure sont le pain quotidien et qui se préoccupent de ces choses. C’est le genre de personne que l’on souhaite voir siéger au comité. C’est une question d’attitude et non pas seulement d’un type de qualification sur papier. Cela peut être prouvé par les antécédents, l’emploi et d’autres domaines, mais ce sont idéalement le genre de choses que j’aimerais voir.
Je suis également d’accord avec vos commentaires concernant le fait que, si nous avons un nombre limité de commissaires, cela crée nécessairement des limites à la représentativité. La seule solution que je vois est celle qu’elle a proposée, c’est-à-dire un financement suffisant et des possibilités de rencontre et d’éducation avec les communautés. Cela fonctionne vraiment.
J’ai eu une affaire dans laquelle un musulman a été condamné. La juge autochtone — qui venait de participer à un événement éducatif organisé par le Comité sur la formation des juges — a conclu qu’une condamnation avec sursis devrait prévoir une exception pour qu’il puisse participer à sa propre pratique spirituelle, dont elle avait connaissance. Le fait qu’elle ait pu anticiper cela et de l’inclure dans le dossier a énormément contribué au fait qu’il a eu le sentiment d’avoir obtenu un résultat juste dans le système et d’avoir été compris.
Ces choses font la différence et je suis également d’accord avec cette partie des commentaires de Me Jones.
Le président : Maître Parkes, il reste une minute et c’est vous qui aurez le mot de la fin.
Me Parkes : Oui. Il est décevant que le nombre de commissaires prévu ne soit que de cinq à neuf, au lieu de ce qui avait été recommandé par les juges LaForme et Westmoreland‑Traoré à l’issue de leur travail approfondi.
La clé, ce sera les ressources. La clé sera un engagement en faveur d’une représentativité significative, du type de ce qui a été évoqué, et pas seulement des personnes issues d’un groupe particulier, mais des personnes qui ont vraiment effectué ce travail au sein de la communauté ainsi que des personnes qui ont vécu l’expérience. Il faut qu’elles soient rémunérées convenablement et considérées comme ayant une expertise.
Le précédent groupe de témoins a parlé des personnes et des langues autochtones. Évidemment, c’est très important. Il y a plus de 70 langues autochtones qui sont parlées. La commission doit être dotée de ressources suffisantes pour avoir du sens.
On craint qu’il y ait peut-être un énorme afflux de dossiers. Je suppose que oui, les deux premières années, mais il y a des demandes accumulées, n’est-ce pas? La situation se stabilisera un peu par la suite, mais il est nécessaire de prévoir des ressources considérables, au début, pour que cela soit fait correctement et que les bonnes personnes soient impliquées.
Le président : Merci beaucoup. Nous n’aurons pas le temps de faire un deuxième tour de questions et nous avons déjà demandé aux témoins d’en faire un peu plus. Je sais que certains sénateurs ont des engagements. Je tiens à remercier la sénatrice Oudar pour avoir reporté ses questions pour que nous puissions conclure maintenant.
J’aimerais remercier Me Al-Khatib, Me Jones et Me Parkes pour le temps qu’ils ont passé avec nous pour répondre à nos questions. Vous avez pu constater l’enthousiasme et l’intérêt des membres du comité dans nos échanges.
Chers collègues, j’aimerais aussi vous remercier de votre diligence et de votre patience puisque nous avons dépassé un peu notre horaire habituel.
Je vous rappelle que nous commencerons demain votre étude article par article. Si vous avez des amendements ou des observations dans les deux langues officielles et que vous pouvez les distribuer à l’avance, ce serait extrêmement utile. Nous nous retrouverons demain à 11 h 30 pour commencer l’étude article par article. Je vous remercie.
(La séance est levée.)