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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 4 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 20 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-321, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre une personne qui fournit des services de santé ou un premier répondant); et pour étudier, pour en faire rapport, le rapport sur la Loi sur l’abrogation des lois pour l’année 2024.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs.

[Traduction]

Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’inviterai mes collègues à se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Paul Prosper, du Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Audette : Kuei. Bonjour. Michèle Audette, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, chers collègues.

Avec l’indulgence des témoins avec lesquels nous parlerons dans quelques instants, nous devons nous occuper d’un petit point qu’il importe de régler aujourd’hui, car nous devons présenter un rapport au Sénat d’ici demain. Il nous faut étudier, pour en faire rapport, le rapport sur la Loi sur l’abrogation des lois pour l’année 2024 et examiner une ébauche de rapport. Honorables sénateurs, avant de passer à l’objet principal de la réunion, je voudrais que nous prenions un moment pour régler ce point et obtenir votre bénédiction pour procéder.

Vous vous souviendrez que lors de la dernière réunion, nous avons convenu de joindre des observations à notre rapport, et des observations préliminaires destinées à l’examen du comité ont été étudiées par le comité directeur et distribuées avant la réunion d’aujourd’hui. Si des membres du comité ont des commentaires à formuler, c’est le bon moment pour les exprimer. Je crois qu’il y avait consensus sur ce que nous avons rédigé, mais je voudrais vous donner l’occasion d’intervenir si vous avez des réserves ou des préoccupations au sujet du texte des observations.

Personne ne se manifeste. Je vous remercie, chers collègues.

Plaît-il au comité que je dépose le rapport sur la Loi d’abrogation des lois pour l’année 2024 et la liste des lois ou dispositions de lois que nous proposons de ne pas abroger, avec des observations, au Sénat dans les deux langues officielles au plus tard le 5 décembre? C’est demain. Êtes-vous d’accord? Merci beaucoup. Nous présenterons un rapport au Sénat demain par l’entremise de la présidence.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à l’objet principal de la réunion d’aujourd’hui et reprendre notre étude du projet de loi C-321, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre une personne qui fournit des services de santé ou un premier répondant).

C’est avec plaisir que nous recevons notre premier groupe de témoins, qui comparaissent tous par vidéoconférence : Chad Drover, président du conseil d’administration de l’Association des paramédics du Canada; Adriane Gear, présidente de la BC Nurses’ Union; et Denise Waurynchuk, conseillère exécutive par intérim de la BC Nurses’ Union. Bienvenue à tous.

Nous vous inviterons dans quelques instants à faire une déclaration préliminaire, après quoi il y aura des questions et un dialogue avec les sénateurs. Nous vous entendrons dans l’ordre suivant : M. Drover, Mme Gear et Mme Waurynchuk. Je vous invite à limiter vos exposés à cinq minutes chacun, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Monsieur Drover, vous avez la parole.

Chad Drover, président du conseil d’administration, Association des paramédics du Canada : Bonjour, monsieur le président, honorables sénateurs et distingués invités. Je vous remercie de m’avoir offert l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. En plus d’être président du conseil d’administration de l’Association des paramédics du Canada, je suis également membre du comité directeur de la Nova Scotia Paramedic Professional Association et paramédic en ambulance terrestre en Nouvelle-Écosse.

L’Association des paramédics du Canada, qui représente des ambulanciers paramédicaux des quatre coins du pays, et la Nova Scotia Paramedic Professional Association appuient sans réserve le projet de loi C-321 dans le but de prévenir la violence contre les premiers intervenants.

À dire vrai, j’ai eu beaucoup de difficulté à trouver ce que je devais dire pour avoir le plus d’impact dans le cadre de ces procédures. Mes collègues se sont exprimés avec éloquence et justesse, et il serait vain de répéter leurs paroles. Dans notre industrie, on dit souvent que « personne ne connaît le travail d’un paramédic sauf un paramédic. ». Je vous raconterai donc quelques incidents dont j’ai eu vent.

Imaginez-vous à l’arrière d’une ambulance, en train d’évaluer un patient. Soudainement, ce patient vous agrippe par le bras, le poing prêt à frapper. Alors que vous vous libérez et tombez au sol, vous pouvez voir dans les yeux de l’homme que vous allez mourir.

Imaginez-vous à l’arrière de l’ambulance, en train de traiter votre patient, lorsque celui-ci vous empoigne par les cheveux et commence à vous frapper la tête contre la paroi de l’ambulance. La seule façon de vous échapper consiste à prendre le pouce du patient et à le tirer vers l’arrière jusqu’à ce qu’il lâche. Pensez qu’à l’arrière d’une ambulance, il y a peu d’issues et beaucoup de choses qui vous empêchent de sortir rapidement. Il n’y a rien entre vous et le patient, et pour que votre partenaire puisse vous aider, il doit arrêter le véhicule, sortir et courir jusqu’à l’arrière pour ouvrir les portes. Cela peut prendre 30 secondes. C’est assez long pour qu’une carrière ou une vie se termine.

Imaginez-vous dans un couloir d’hôpital, attendant de décharger votre patient lorsque celui-ci, exaspéré par le temps d’attente et fatigué de se faire dire qu’il doit attendre son tour, sort un couteau de son sac à dos. Vous et votre partenaire devez lui arracher le couteau avant que la sécurité n’arrive.

Imaginez-vous marchant avec un patient qui, frustré de devoir attendre dans un couloir d’un hôpital, vous attrape par le bras en brandissant le poing. Songez à la frustration des gens face à l’engorgement des hôpitaux et à la rapidité avec laquelle nous pouvons résoudre ce problème.

Imaginez-vous dans un camp de sans-abri, en train de parler à un patient, quand un autre résidant vous attaque avec une aiguille hypodermique. Tout ce qui empêche l’aiguille de pénétrer votre peau, c’est le badge sur votre épaule, qui est fait d’un matériel plus épais que votre chemise.

Imaginez-vous en train de parler à un patient sans domicile fixe qui devient agité lorsque vous l’informez qu’il faut aller à l’hôpital pour procéder à une évaluation. Il décide de vous lancer l’objet le plus proche et de vous abreuver d’injures des plus colorées. Pensez à tout ce dont il faut tenir compte quand on veut réduire le nombre de sans-abri et leur fournir des résidences sûres.

Imaginez-vous assis au volant de votre ambulance, attendant que votre partenaire vous donne le feu vert pour partir vers l’hôpital, lorsqu’un membre de la famille sort en courant de la résidence, ouvre la porte du conducteur et vous sort de là en vous frappant.

Imaginez-vous agenouillé près d’un patient qui vient de recommencer à respirer après que vous ayez renversé une surdose. Le patient se rend compte que l’effet de la drogue s’est dissipé et commence à vous attaquer.

Imaginez-vous sortir en trombe d’une maison quand un membre de la famille entre dans la pièce avec un fusil.

Imaginez une femme paramédic qui ne peut compter le nombre de fois où on a eu envers elle des gestes ou des paroles de nature sexuelle.

Certains de ces incidents étaient dus à un problème médical ou comportemental. Quelques-uns d’entre eux me sont arrivés, alors que d’autres ont été vécus par mon épouse. Un des paramédics qui a subi un de ces incidents ne travaille plus dans l’industrie.

Ces incidents constituent une part infime des incidents violents dont sont victimes les paramédics.

Imaginez maintenant que vous êtes au travail quand quelqu’un devient furieux et violent, et qu’on vous dit qu’il est inutile de porter des accusations contre lui. Interrogez des paramédics et ils vous fourniront un certain nombre de raisons pour lesquelles ils ont choisi de ne pas signaler un incident. Une des réponses que j’ai entendues le plus souvent, c’est que cela n’en vaut pas la peine. On dit souvent aux paramédics qu’il ne sert à rien d’intenter une poursuite, car les conséquences ne justifient pas l’effort. Certains se sont fait dire que c’était leur erreur qui était à l’origine de l’incident, et on nous a tous dit que « cela fait partie du travail ».

Tout cela étant dit, en tant que paramédicaux, nous ne voulons pas envoyer en prison un patient de 90 ans souffrant de démence. Ce que nous voulons, c’est faire en sorte que les gens qui décident de s’en prendre violemment à des paramédics réfléchissent deux fois avant d’agir. Pouvons-nous éliminer du jour au lendemain les problèmes de société qui font que des gens agissent ainsi? Je ne crois pas. Ce projet de loi peut cependant aider ceux et celles qui mettent leur santé mentale et physique en danger pour autrui à savoir qu’il y a des gens qui font un effort pour les aider à accomplir cette tâche.

Merci à tous d’avoir pris le temps de nous écouter aujourd’hui et merci des efforts que vous faites pour protéger ceux et celles qui vous protègent.

Le président : Merci, monsieur Drover. J’inviterai Mme Gear et Mme Waurynchuk à faire leur exposé ensemble. L’une d’entre vous pourrait prendre la direction des choses pendant cet exposé de cinq minutes.

Adriane Gear, présidente, BC Nurses’ Union : Je m’appelle Adriane Gear et je suis présidente de la BC Nurses’ Union, ou BCNU, qui représente plus de 48 000 infirmières professionnelles et travailleurs des soins de santé affiliés de la Colombie-Britannique. Ma collègue Denise Waurynchuk m’accompagne aujourd’hui. À titre de conseillère exécutive de la BCNU, elle supervise les stratégies provinciales en matière de santé et sécurité et les stratégies de santé mentale du syndicat.

Nous témoignons pour vous exposer toute l’incidence que l’épidémie de violence contre les infirmières a sur les membres que nous représentons en Colombie-Britannique. Pour des raisons évidentes, il s’agit d’un enjeu important pour nous dans le cadre de notre travail.

Étant une infirmière autorisée qui a passé 31 ans sur le terrain, je comprends personnellement ce que vivent quotidiennement les infirmières alors qu’elles s’efforcent d’offrir les meilleurs soins sécuritaires possibles aux patients.

Je voudrais vous donner deux exemples récents de violence en milieu de travail.

Janice, infirmière formée à l’urgence possédant 40 ans d’expérience, travaillait au service des urgences de l’hôpital Surrey Memorial — le service d’urgence le plus achalandé du pays — jusqu’à ce qu’elle soit sauvagement attaquée par un patient en juin dernier. L’histoire de Janice commence comme bien d’autres. Elle travaillait pendant un quart de travail occupé, en manque de personnel, mais elle était déterminée à fournir les meilleurs soins possibles. Elle s’occupait d’un jeune homme sous l’influence d’une substance non prescrite lorsqu’il l’a agrippée par son uniforme et lui a martelé le visage à coups de poing.

Janice, une femme de 60 ans, a fait ce qu’elle pouvait faire pour se défendre, mais elle a subi de graves blessures à la tête et au visage. Ses collègues qui l’ont entendue crier sont accourus à son secours et ont déclenché un code blanc, mais il était trop tard. Le traumatisme crânien a été dévastateur. Depuis cet incident, elle continue de souffrir de nausées, d’étourdissements et de vision double. Aujourd’hui, elle doit porter un cache-œil. Elle ne peut ni lire et ni travailler à cause de ses blessures. En fait, elle pourrait ne jamais être capable de travailler à nouveau.

L’agresseur de Janice a été inculpé et a passé deux mois en prison, une peine que Janice juge non proportionnelle au crime.

Elle a dit que ce n’était malheureusement pas la première fois qu’on l’agressait en 40 ans de carrière en tant qu’infirmière. Elle m’a dit qu’on l’avait mordue, qu’on lui avait craché dessus, qu’on lui avait tiré des déjections humaines et qu’on l’avait tripotée à maintes reprises.

Il y a deux semaines, une attaque terrifiante contre une élève‑infirmière a fait la une des journaux en Colombie‑Britannique. Un patient au comportement erratique lui a été confié. Ce dernier a sorti un couteau de poche et lui a infligé deux coupures, une au menton et une au bras. Cette élève‑infirmière se rétablit, mais les cicatrices physiques et émotionnelles auront certainement un impact durable. Elle pourrait ne jamais reprendre ses études.

Comme ma collègue, Mme Waurynchuk, peut le confirmer, les histoires de mes membres s’accumulent, au point où nous avons commandé notre propre sondage auprès des membres au printemps dernier pour mieux comprendre à quelle fréquence et dans quelle mesure les infirmières étaient exposées à de graves risques pour la santé et la sécurité.

J’aimerais maintenant céder la parole à Mme Waurynchuk, qui parlera des résultats du sondage et des grands thèmes systémiques qui en sont ressortis.

Denise Waurynchuk, conseillère exécutive, BC Nurses’ Union : Merci, madame Gear. Bonjour à tous.

Nous avons promis aux membres que leurs réponses appuieraient les efforts de sensibilisation nécessaires pour rendre les milieux de travail plus sûrs, et en m’adressant à vous tous aujourd’hui, je tiens cette promesse envers les quelque 4 000 infirmières qui ont pris le temps de répondre.

Les résultats sont révélateurs. Des personnes interrogées, 39 % ont déclaré être exposées à des armes au moins une fois par mois et 60 % ont dit être exposées à des substances illicites. La moitié d’entre elles subissent des violences physiques au moins une fois par mois et près d’un tiers font quotidiennement l’objet de violence verbale ou émotionnelle. Un impressionnant 99 % des répondantes ont déclaré avoir vécu des incidents pouvant être signalés. Pourtant, plus de la moitié d’entre elles ont dit qu’elles n’avaient rien signalé à leur employeur parce qu’elles ne croyaient pas que quelque chose serait fait à ce sujet.

Grâce aux efforts de sensibilisation des infirmières de la Colombie-Britannique, on est beaucoup plus conscient de la violence dans le domaine des soins de santé et certaines mesures bénéfiques prises dans la bonne direction. En 2021, nous avons applaudi l’adoption du projet de loi C-3, qui a modifié le Code criminel pour faire de la perpétration d’une infraction contre une personne qui fournissait des services de santé un facteur aggravant dans la détermination de la peine.

En 2024, nous avons maintenant l’occasion de renforcer encore la loi afin de protéger davantage les infirmières et d’autres travailleurs de la santé.

Merci de votre attention. Je rendrai maintenant la parole à Mme Gear.

Mme Gear : Merci, madame Waurynchuk.

Alors que nous continuons de plaider en faveur d’une culture de sécurité en milieu de travail pour nos membres, votre appui à ce projet de loi enverra à toutes les infirmières un message indiquant que lorsqu’il s’agit de violence au travail, le système de justice les voit et les apprécie à leur juste valeur à titre de professionnelles chargées de s’occuper des plus vulnérables de notre société.

Vers la fin de ma conversation avec Janice, l’infirmière des urgences du Surrey Memorial Hospital a résumé la situation en termes simples :

Je suis une infirmière titulaire d’une maîtrise qui doit maintenant faire face au fait que ma carrière est terminée en raison d’une attaque non provoquée. Ma vie ne sera plus jamais la même. Nous devons en faire davantage pour protéger les personnes qui prodiguent des soins.

Au nom de toutes les infirmières de la Colombie-Britannique, je vous remercie d’avoir pris le temps de nous entendre aujourd’hui.

Le président : Je vous remercie toutes deux de votre exposé. Les sénateurs commenceront maintenant à vous poser des questions, en commençant par la sénatrice Batters.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous de comparaître devant notre comité aujourd’hui et de tout le travail que vous accomplissez chaque jour pour, comme l’a dit M. Drover, nous protéger. Il convient tout à fait de dire protéger. Il nous a remerciés des efforts que nous faisons pour protéger ceux et celles qui nous protègent. Vous nous protégez et nous aidez, souvent dans les moments les plus difficiles de la vie des gens. Nous vous en remercions.

Tout d’abord, j’aimerais poser une question à Denise Waurynchuk. Madame Waurynchuk, vous avez parlé des importantes statistiques que vous avez reçues de vos membres dans votre sondage. Il est sidérant que la moitié des infirmières subissent de la violence physique une fois par mois.

J’ai reçu quelques statistiques à cet égard. Compte tenu des résultats de votre sondage, il y avait 5 825 postes d’infirmières vacants à la fin du troisième trimestre de 2023. Compte tenu des statistiques que vous avez vues et des réponses que vous avez reçues dans le cadre de votre sondage, pensez-vous que la violence en milieu de travail joue un rôle dans les difficultés de recrutement et de maintien en poste du personnel infirmier? Quelles répercussions précises — peut-être en avez-vous entendu parler dans le sondage — la violence en milieu de travail a-t-elle sur le moral, la productivité et la santé mentale des infirmières?

Mme Waurynchuk : Je pense que la violence en milieu de travail joue un rôle important dans le maintien en poste des infirmières dans nos lieux de travail. Je pense qu’elle a aussi une incidence générale dans le domaine des soins infirmiers et des soins de santé. Personne ne veut travailler dans un environnement où on sera quotidiennement exposé à la violence. Parfois, il y a ce que nous avons coutume d’appeler des microtraumatismes, soit les agressions verbales auxquelles sont confrontés les infirmières et les travailleurs de la santé. Il suffit qu’un petit acte de violence verbale se répète encore et encore, puis que s’ajoute une violence émotionnelle pour que l’infirmière craque. Alors elle part. Nous constatons qu’un nombre considérable d’infirmières sont en arrêt de travail et reçoivent des prestations de WorkSafeBC ou sont en congé d’invalidité de longue durée à cause des répercussions de la violence physique et psychologique qu’elles subissent au travail.

Je pense qu’en améliorant nos environnements de travail, en examinant ce que la Colombie-Britannique fait au chapitre des ratios infirmières-patients et en assurant des niveaux de dotation adéquats pour mieux prendre soin de nos patients, cela aura un effet positif en réduisant la violence, car les infirmières pourront passer plus de temps au chevet des patients pour discuter avec eux et connaître leurs besoins. Elles auront aussi du personnel supplémentaire pour les aider quand elles doivent intervenir auprès d’un patient qui se montre agressif.

La sénatrice Batters : Madame Gear, vous avez parlé de l’aspect législatif. Croyez-vous que l’adoption du projet de loi C-321 enverrait un message clair, à savoir que la violence à l’encontre des professionnels de la santé et des premiers répondants ne sera plus tolérée?

Mme Gear : Le message serait sans équivoque. Pour revenir à ce que disait M. Drover, le but n’est pas de s’en prendre aux personnes âgées atteintes de démence ou aux personnes qui sont incapables de prendre des décisions. Ces gens n’agissent pas de manière intentionnelle. En revanche, ce que nous observons, et cela est appuyé par de nouveaux éléments probants provenant de WorkSafeBC, c’est une hausse de la violence délibérée. Les problèmes de santé mentale et la frustration sont monnaie courante. Il y a aussi d’autres facteurs, comme le temps d’attente dans les salles d’urgence et la pénurie de personnel dans tout le système de soins de santé.

Qu’il s’agisse de soins prodigués dans les hôpitaux ou à domicile, dans les milieux communautaires ou les établissements de soins de longue durée, tout le monde est à bout de nerfs. Les usagers n’ont pas accès aux soins dans un délai raisonnable. Les infirmières et les autres professionnels de la santé se trouvent sur la ligne de front.

Par l’entremise du projet de loi, on viendrait dire aux usagers qu’il est normal d’avoir des frustrations, mais qu’il n’est pas acceptable de s’en prendre aux infirmières, aux ambulanciers paramédicaux, aux préposés ou à toute autre personne. On enverrait un message clair et positif aux travailleurs et aux professionnels de la santé qui, chaque jour, font de leur mieux, un message qui indiquerait que le gouvernement du Canada prend la chose au sérieux, se soucie de leur sort et valorise leur travail.

La sénatrice Batters : Monsieur Drover, je vous remercie d’avoir précisé que, dans de nombreux cas, lorsqu’il s’agit de travailleuses, une composante sexuelle vient souvent exacerber la violence ou envenimer la situation. De nombreux incidents commis à l’encontre du personnel paramédical ne sont pas signalés. Vous avez fait allusion aux raisons qui pourraient expliquer ce phénomène, mais pourriez-vous expliquer pourquoi les ambulanciers paramédicaux hésitent à signaler ce genre d’agression? Comment cela se répercute-t-il sur les statistiques concernant la violence?

M. Drover : Les ambulanciers paramédicaux se sont fait dire, et je l’ai moi-même entendu il y a de cela un bon moment, qu’il est inutile de porter des accusations contre l’agresseur, qu’il ne vaut pas la peine de faire l’effort de déposer des accusations. C’est moins commun de nos jours, mais par le passé, les employeurs étaient réticents à entamer des procédures judiciaires contre des patients. Il faudrait demander aux employeurs pourquoi ils agissent de la sorte. Les raisons sont multiples, mais on entend souvent dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle ou que cela leur donne mauvaise presse. Ce phénomène nuit également au recrutement; on essaie d’attirer des candidats et du même souffle, on leur dit qu’ils risquent de se faire agresser et qu’on ne peut pas y faire grand-chose.

Il y a de la stigmatisation : si on n’arrive pas à composer avec ce genre de situation, c’est qu’on est faible. Cette perception ne date pas d’hier. Mes collègues et d’autres professionnels de la santé sont nombreux à avoir tenté récemment de s’attaquer à cette stigmatisation, mais elle perdure. Si les récits demeurent anecdotiques, c’est tout simplement parce que les travailleurs n’osent pas signaler ces incidents de crainte de subir des représailles ou d’être dépeints comme étant faibles.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

Le sénateur Prosper : J’aimerais d’emblée remercier les témoins de tous les services qu’ils nous rendent. C’est pour moi un privilège de pouvoir entendre vos témoignages et d’avoir l’heure juste concernant les défis auxquels vous êtes confrontés chaque jour. C’est un véritable honneur de vous compter parmi nous, et nous vous sommes reconnaissants de votre travail.

Mes questions vont dans le même sens que celles de la sénatrice Batters. Madame Gear, vous avez parlé d’une épidémie de violence à l’encontre des infirmières. Vous avez évoqué les raisons qui pourraient être à l’origine de cette épidémie : le temps d’attente plus long dans les hôpitaux, le manque de ressources, etc.

J’aimerais donc renchérir sur la question de la sénatrice Batters. Vous travaillez dans le domaine depuis plus de 30 ans et j’imagine que vous avez pu observer un changement pendant votre carrière. À l’origine, il ne s’agissait pas d’une épidémie, mais les choses ont évolué dans cette direction. J’inviterais Mme Gear et les autres témoins à nous expliquer ce qui a changé au fil du temps et à nous donner un peu plus de contexte.

La sénatrice Batters a également demandé pourquoi les travailleurs ne dénonçaient pas ces incidents. Madame Waurynchuk, en citant le sondage, vous avez indiqué que plus de la moitié des travailleurs ne signalent pas certains incidents, car ils sont persuadés que cela ne mènerait à rien.

J’inviterais nos témoins à nous en dire plus long au sujet de ces deux enjeux. Je vous remercie.

Mme Gear : Je peux commencer.

Je crois que la question est en fait la suivante : est-ce que les choses empirent vraiment, vu que nous avons parlé d’une épidémie? Si l’on se réfère au sondage et au fait que 39 % de nos membres ont rapporté avoir été exposés à des armes et que, chaque jour, les infirmières affirment devoir composer, peut-être pas avec de la violence physique, mais avec des agressions verbales, des menaces et d’autres comportements du genre, alors je dirais qu’il s’agit bel et bien d’une épidémie.

Je crois que les travailleurs sont davantage sensibilisés, mais cela ne se répercute pas dans le nombre de signalements. Cela s’explique du fait que les mécanismes de signalement des employeurs sont passablement lourds. Il est difficile pour une infirmière qui travaille en situation de sous-effectif et qui tente de bien s’occuper de ses patients de prendre le temps de remplir un rapport dont elle n’aura aucun écho et sans savoir si son signalement mènera à un changement.

Je dirais que bien des incidents ne sont pas rapportés, et cette affirmation est appuyée par de nombreux écrits. Ce phénomène n’est pas propre au domaine des soins de santé, mais il y est très répandu.

Au cours de mes quelque 30 années de carrière, l’une des corrélations directes observées, et des études l’ont aussi démontré, relie le refus ou le report d’un traitement à un risque accru de violence. Je ne vous apprends rien si je vous dis que notre système de santé est actuellement en grande difficulté. Nous chérissons notre régime public de soins de santé, et pourtant, ce régime ne tient qu’à un fil. Il n’y a pas suffisamment de professionnels pour assurer les soins requis.

Je dirais que c’est l’une des principales raisons qui expliquent l’augmentation des actes de violence et d’agression. Les gens souffrent. Les patients sont extrêmement anxieux, ils ont parfois des problèmes de santé mentale et ils ne reçoivent pas les soins dont ils ont besoin dans un délai acceptable. Parfois les soins sont reportés et le patient peut interpréter cela comme un refus de service et perdre le contrôle.

Je crois que le problème a pris une telle ampleur que nous pouvons désormais parler d’une épidémie. Si l’on regarde les statistiques de WorkSafeBC — et chaque province a son propre organisme de réglementation en matière de santé et de sécurité —, nous constatons que les périodes d’inactivité forcée les plus longues sont liées à des cas de violence. Non seulement il y a des blessures, mais ces blessures nous privent de travailleurs pendant de plus longues périodes. Aussi, il y a souvent des répercussions psychologiques.

Si l’on pense au fait que nous devons renforcer notre système de soins de santé et attirer plus de travailleurs, il faut bien constater que les infirmières — et je vais parler pour les infirmières — sont une ressource limitée. Je ne sais pas pourquoi les employeurs ne font pas tout en leur pouvoir pour nous protéger. La réalité, c’est que le nombre d’infirmières blessées augmente et que des infirmières quittent la profession.

Ce qui est malheureux, c’est qu’il reste des places dans les programmes en soins infirmiers en Colombie-Britannique. Lorsque j’étais jeune et que je voulais devenir infirmière, la liste d’attente s’étendait sur une période de trois ans. De nos jours, il reste des places et pourtant, nous connaissons une pénurie provinciale, nationale et internationale; c’est inquiétant. À mon avis, cette situation est attribuable aux conditions de travail, lesquelles font en sorte que de nombreuses infirmières ne se sentent pas en sécurité.

La sénatrice Simons : J’aimerais remercier tous les témoins. Vos récits sont effrayants, et les données sont presque tout aussi choquantes.

Vous dites que le projet de loi remonterait le moral des troupes, ce que je peux comprendre. Je ne m’oppose pas au projet de loi, mais ce qui me préoccupe, c’est que ce projet de loi n’est utile que si les personnes fautives se font prendre, arrêter, accuser d’un crime et condamner. Ce n’est que dans ces circonstances que le projet de loi sera utile. Les gestes ainsi posés seront pris en compte en tant que facteur aggravant au moment de la détermination de la peine.

Si j’ai bien compris ce que vous dites, il est très difficile de porter des accusations, surtout dans le cas où les travailleurs sont agressés par des gens qui ne sont pas en mesure d’avoir une intention criminelle. Il peut s’agir de personnes qui vivent une psychose ou un délire découlant de la consommation de drogues, ou encore de gens dont la santé mentale ou neurologique est compromise au point où aucun procureur n’acceptera d’intenter des poursuites.

Voici la question que j’aimerais vous poser à tous. Que doit-on faire pour resserrer la sécurité et prévenir les agressions à votre endroit?

Monsieur Drover, devrait-on s’assurer qu’un policier ou un shérif accompagne les ambulanciers paramédicaux qui répondent aux appels, particulièrement dans les zones à risque élevé? La sécurité dans les hôpitaux en Colombie-Britannique devrait-elle être renforcée, puisque le projet de loi, et ce n’est pas que je m’y oppose, ne fait pour ainsi dire que réduire les dommages une fois que le mal est fait?

Monsieur Drover, puis madame Gear.

M. Drover : C’est ce que nous faisons déjà d’une certaine manière. Lorsque nous recevons un appel et que la situation est jugée à risque ou potentiellement dangereuse, des policiers sont dépêchés sur les lieux avant l’arrivée des ambulanciers. Ils nous préparent le terrain en quelque sorte. Les ambulanciers attendent alors l’arrivée des policiers avant de se rendre sur les lieux.

Certains endroits ont déjà fait l’objet de signalements et, lorsque nous recevons un appel pour l’un de ces endroits, les ambulanciers attendent l’arrivée des policiers avant d’intervenir. Nous avons régulièrement recours à cette façon de faire. Lorsque les ambulanciers paramédicaux lisent les notes relatives à l’appel, s’ils ne se sentent pas en sécurité, ils peuvent choisir de rester à l’écart jusqu’à ce que des policiers arrivent sur les lieux.

Les patients qui ne sont pas en mesure de prendre des décisions, soit parce qu’ils ont un problème de santé mentale ou physique, comme le diabète, ne font pas partie des individus visés par le projet de loi. On cible plutôt le patient qui commet un acte de violence délibéré envers une personne qui lui fournit des soins, à lui-même ou à quelqu’un à proximité. C’est davantage ce genre de patient qui nous préoccupe.

C’est une mesure dissuasive et, lorsque les choses dérapent, une sanction est imposée. Actuellement, comme ambulanciers paramédicaux, nous avons l’impression d’être des cibles faciles.

Le président : Je vais demander à Mme Gear de s’exprimer sur ce sujet.

Merci beaucoup, monsieur Drover.

Mme Gear : Merci. Je vous remercie pour cette question et je remercie également M. Drover pour la réponse qu’il a donnée.

Que nous faut-il de plus? S’agit-il de la réponse? Ce n’est pas toute la réponse. Ce n’est qu’un élément de la solution.

De quoi avons-nous besoin? Nous devons améliorer les niveaux de dotation en personnel. Le personnel doit être informé sur la façon de gérer les patients agressifs et violents, d’où l’importance de la formation à la prévention de la violence.

Devons-nous améliorer la sécurité, renforcer la sécurité et former les agents de sécurité à l’humilité culturelle et au désamorçage? Tout à fait.

Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est que les employeurs appliquent la politique de tolérance zéro à l’égard de la violence, ce qu’ils choisissent souvent de ne pas faire. Nous devons absolument améliorer les mécanismes de signalement et, tout aussi important, nous devons procéder à des enquêtes et à un suivi appropriés. Cette responsabilité incombe à l’employeur. Je pense que l’organisme de réglementation peut en faire plus.

Si nous adoptons ce projet de loi, je pense qu’il aura un effet dissuasif. Les mesures seront-elles prises après-coup? Tout à fait. Cela signifie que quelqu’un a été agressé au travail, sinon nous n’aurions même pas cette conversation et nous n’envisagerions même pas ce projet de loi.

Ce n’est qu’un élément de la solution. Il s’agit d’une mesure dissuasive, mais je pense que cet élément est très important. Il envoie un message fort à la société, ainsi qu’aux travailleurs et aux professionnels de la santé. Nous leur montrons ainsi qu’ils sont importants et que nous ne tolérerons pas ce genre de choses.

[Français]

La sénatrice Oudar : Je souscris totalement aux objectifs du projet de loi. J’ai passé les huit dernières années de ma vie à la tête d’une organisation au Québec, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Je peux vous dire que les statistiques reflètent également la situation au Québec. Il y a des hausses fulgurantes de violence physique et psychologique envers non seulement les travailleurs de la santé, mais aussi ceux du secteur de l’enseignement. C’est un autre dossier sur lequel je n’ouvrirai pas la porte, parce qu’on a beaucoup de choses à dire de ce côté.

Je souscris totalement aux objectifs de ce projet de loi. Les témoins nous ont dit que c’est un premier pas en avant et une reconnaissance de ce qui se passe dans les milieux de travail. Ma question porte davantage sur l’absence de dénonciation. C’est quelque chose sur quoi l’on travaillait beaucoup. Il reste beaucoup de travail à faire dans toutes les provinces pour qu’il n’y ait pas de sous-déclaration.

La sous-déclaration est attribuable à plusieurs facteurs. Le premier est le climat de confiance qui doit exister entre l’employeur et les employés. Dans chacun de vos domaines d’activité, avez-vous ce que j’appelle un programme de prévention, qui est développé de concert avec les employés et l’employeur et qui prévoit de la formation et des mesures pour contrer les éléments de violence? Il pourrait potentiellement identifier des facteurs de risque, comme le fait de travailler avec une certaine clientèle, et prévoir non seulement des mécanismes de signalement, mais aussi d’accompagnement des victimes et, bien entendu, des mécanismes d’indemnisation des membres du personnel.

Je voulais entendre chacun des témoins plus spécifiquement sur les programmes de prévention.

[Traduction]

Le président : Qui souhaite répondre en premier?

Allez-y, madame Gear.

Mme Gear : Oui, et merci pour cette question.

Je répondrais oui à toutes ces questions. Les établissements de soins de santé de la province de Colombie-Britannique disposent-ils de certains des éléments d’un programme de prévention de la violence? Oui. J’estime que ce programme est dépassé. Je pense que les personnes qui ont accès à la formation la trouvent assez utile. Ce n’est qu’un élément de la solution.

Disposons-nous d’un organisme de réglementation? Oui. Effectue-t-il des inspections sur les lieux de travail et assure-t-il un certain suivi? Oui, mais ce n’est pas suffisant.

Mme Waurynchuk est probablement mieux placée que moi pour en parler, mais la réglementation exige que chaque employeur dispose d’un comité mixte de santé et de sécurité au travail. Il est très difficile pour les infirmières d’y participer lorsqu’elles ne sont pas assez nombreuses pour prodiguer les soins aux patients. Il est très difficile de quitter ses patients pour participer à des programmes de santé et de sécurité. C’est un véritable problème.

Je pense que nous disposons de tous les éléments dont vous avez parlé, mais ils ne répondent probablement pas à la norme requise.

Mme Waurynchuk pourrait peut-être nous faire part de son expérience.

Mme Waurynchuk : Lorsque je parle aux infirmières de toute la province, elles me disent qu’elles aimeraient participer et apporter des changements positifs. Elles veulent que leur environnement de travail s’améliore et assurer leur sécurité et celle de leurs collègues.

Le problème est qu’elles travaillent en sous-effectif. Elles ne peuvent pas assister aux réunions des comités mixtes de santé et de sécurité au travail pour participer à la recherche de solutions. Elles ne peuvent pas être proactives.

Je constate, dans le cadre de mes fonctions, que lorsque je travaille avec des infirmières, nous sommes très réactives; nous regardons ce qui s’est passé. Oui, nous cherchons à prévenir les problèmes à l’avenir, mais nous ne les anticipons pas. Nous n’examinons pas vraiment les facteurs de risque associés à certaines populations et la manière dont nous devons procéder à l’évaluation des risques sur le lieu de service pour assurer notre sécurité. Comment l’employeur assure-t-il notre sécurité sur le lieu de travail pour que nous puissions nous y rendre en sachant que quelqu’un nous appuiera et disposera des connaissances, de la formation et de l’information nécessaires pour soutenir les infirmières à trois heures du matin dans un établissement situé en milieu rural, où je n’ai qu’une autre infirmière avec moi? Si quelque chose se produit, mon employeur dira alors qu’il soutient ma démarche et qu’il soutient ma décision de porter plainte. Ce n’est pas ce que nous entendons actuellement; il y a beaucoup de signalements, mais nous n’observons aucun changement et l’employeur n’offre aucun soutien réel aux infirmières qui souhaitent porter plainte.

Le président : Monsieur Drover, quel est votre point de vue?

M. Drover : Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons mis en place des dispositifs en vertu desquels, lorsque nous recevons des appels, la détection de certains mots clés indique aux répartiteurs qu’il pourrait y avoir de la violence ou un risque de violence à cet endroit. La police nous accompagne alors sur les lieux.

Le problème est que notre lieu de travail est différent pour chaque intervention. Tous les éléments sur lesquels nous pouvons nous baser pour envoyer la police dépendent de l’appel téléphonique et de la véracité des renseignements fournis au répartiteur. En outre, les choses peuvent changer très rapidement si le traitement d’un patient ne se passe pas bien, si l’état d’un patient évolue ou toute autre chose de ce genre.

Notre processus de signalement était autrefois compliqué, ce qui pose un énorme problème à toute personne qui essaie de prendre un moment pendant son quart de travail pour signaler un incident. Nous avons récemment constaté des améliorations, mais là encore, elles sont difficiles à concrétiser. Il faudra du temps pour résoudre les problèmes auxquels les ambulanciers paramédicaux sont confrontés. Les personnes que nous repérons ne sont généralement pas celles qui posent problème; les patients qui changent rapidement de comportement sont des personnes que nous n’avions pas repérées. Nous apprenons des techniques de désamorçage, mais les effets du désamorçage sont limités, surtout dans les situations inattendues.

Le président : Merci.

La sénatrice McBean : Merci à tous de nous faire part de tous ces renseignements et de faire preuve de patience à notre égard. Je suppose que ce n’est pas la première fois que vous dites à quelqu’un qu’il y a un problème. J’ai l’impression que nous creusons une dune du Sahara avec une pelle d’enfant.

Vous avez tous indiqué que le problème concernait un type de violence particulier. Pouvez-vous nous expliquer comment vous faites la différence? Nous envisageons d’ajouter des éléments au processus de détermination de la peine — aux chefs d’accusation — et j’aimerais savoir comment vous feriez la différence entre l’intention ou la capacité de la personne qui vous blesse. Cette question s’adresse à vous tous. Vous avez tous donné les mêmes exemples. Je vais commencer par M. Drover.

M. Drover : Je me fie à mon évaluation et à mon expérience pour déterminer si quelqu’un pourrait commettre des actes de violence, et c’est à peu près tout. J’ai plus de 20 ans de métier, mais je suis encore pris au dépourvu par certaines personnes. Dans le cadre de notre formation, nous apprenons que certaines conditions dont souffre un patient peuvent parfois engendrer de la violence, mais tout dépend en fait de l’évaluation et de l’expérience de chacun. Je suis sûr que la plupart des infirmières vous diront la même chose.

Mme Gear : Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires de M. Drover.

Je pense que vous demandez comment ce projet de loi pourrait s’appliquer. Nous sommes tous conscients que, pour certains patients, il ne serait pas approprié de porter plainte ou d’appliquer ce projet de loi. Est-ce là votre question?

La sénatrice McBean : Oui, mais j’aimerais aussi savoir comment nous pourrions l’appliquer de manière équitable et peut-être sans préjugé ou autre.

Mme Gear : La question est de savoir si des accusations sont portées et si la personne est condamnée. Ces choses ne dépendant pas des professionnels de la santé, mais du système judiciaire.

Si j’ai bien compris, si ces personnes sont reconnues coupables, on considère qu’il s’agit d’une circonstance aggravante. C’est une prolongation de quelque chose qui existe déjà. C’est notamment le cas des patients atteints de démence. Dans le cas d’une personne âgée résidant dans un établissement de soins de longue durée, les antécédents d’agression sont généralement bien documentés. On connaît les éléments déclencheurs, etc. Ça ne s’applique donc pas à cette population de patients, mais aux personnes qui décident sciemment de commettre un acte de violence à l’encontre d’un professionnel de la santé.

Je ne peux pas parler pour le reste du Canada, mais en Colombie-Britannique, nous constatons une augmentation des activités liées aux gangs, par exemple. Cette situation se répercute dans nos établissements hospitaliers. Des criminels se livrent au trafic de substances illicites dans les hôpitaux. Ils y introduisent des armes.

Ce projet de loi cible ce type de violence. Il ne vise pas à s’attaquer aux personnes atteintes de démence ou de maladie mentale, et qui ne sont pas capables d’avoir ce type d’intention.

Ce type de violence a-t-il des répercussions sur les gens? Bien sûr que oui, mais ce projet de loi ne va pas régler ce problème. Pour y remédier, nous devons disposer d’effectifs suffisants et d’une formation renforcée pour faire face à ces types de comportements réactifs chez les personnes âgées, par exemple, qui sont désorientées ou atteintes de démence.

Ce projet de loi vise les personnes qui choisissent de commettre des actes de violence. Elles sont frustrées et s’en prennent à une infirmière ou à un ambulancier paramédical. Je comprends leur frustration, mais il doit y avoir des conséquences lorsque ces personnes ne contrôlent pas leurs impulsions.

La sénatrice McBean : L’autre aspect est donc le signalement. Comment pouvons-nous créer un mécanisme de signalement efficace? C’est la base du problème. Si certaines personnes ne signalent pas les faits — si personne ne les signale suffisamment — comment pouvons-nous créer un processus de signalement efficace afin que toutes les violences passent par le système et qu’on les repère par la suite?

Mme Gear : C’est sur le lieu de travail que nous devons déployer le plus d’efforts. C’est là que nous constatons un manque de signalement, parce qu’il n’y a pas de suivi.

Il y a de nombreuses années, quand j’étais une jeune infirmière, un incident s’est produit et je me souviens encore que le gestionnaire m’a regardée et m’a dit : « Qu’avez-vous fait pour provoquer cette attaque? » Il y a beaucoup à faire pour changer la culture de la sécurité. Dans d’autres secteurs, la sécurité est mise en avant. Elle est synonyme de profits. Un chantier serait fermé s’il n’était pas sûr.

Dans le domaine des soins de santé, on se contente de hausser les épaules et on continue. Nous devons changer cette culture.

Les gouvernements provinciaux ont assurément un rôle à jouer. J’estime que le rôle des organismes de réglementation est de veiller à l’établissement de mécanismes de signalement appropriés et à leur accessibilité, car une partie du problème réside dans le fait qu’ils ne sont même pas accessibles, par exemple. Il arrive par exemple qu’ils ne fonctionnent que de 9 heures à 17 heures. Les soins de santé fonctionnent 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Il faut encourager les gens à signaler les incidents et les remercier de l’avoir fait, au lieu de leur dire : « Oh, vous avez signalé un incident. Moi, je ne l’aurais pas fait. Ce n’est pas si grave. » C’est malheureusement le type de conversation que mes membres ont avec leur employeur.

Je vais prendre l’exemple de l’exposition à des substances illicites. Je sais qu’il s’agit d’un tout autre sujet, mais les infirmières se présentent en disant : « Je m’inquiète pour ma sécurité », et on utilise ces déclarations contre elles. Certaines personnes disent : « Vous n’êtes donc pas en faveur de la réduction des méfaits? » Ce n’est pas ce que nous disons. Je ne veux pas être exposée à des substances illicites. Ces conversations sont similaires. Certaines personnes disent : « Le patient ne l’a pas fait exprès » ou « Cela fait partie du travail ». Nous avons une tâche monumentale à accomplir. Nous devons absolument changer la culture.

Comme je l’ai dit dans mes réponses précédentes, la responsabilité revient à l’employeur et à l’organisme de réglementation. Il leur incombe de veiller à ce que les mécanismes de signalement soient accessibles, à ce que l’on procède à une enquête adéquate, à ce qu’il y ait un suivi et à ce que l’on valorise réellement le fait que les gens fassent part de leurs préoccupations en matière de sécurité, au lieu de leur donner l’impression qu’ils sont un fardeau. Les choses doivent changer. Absolument, voilà comment nous pouvons aborder la question. Nous pourrons ainsi prévenir les blessures. Mais nous n’en sommes pas là pour l’instant. Les infirmières de la Colombie-Britannique vivent une tout autre expérience.

Le président : Merci. Je vais moi-même poser quelques questions, si vous le permettez. J’aimerais tout d’abord faire quelques observations.

Le travail que vous et vos collègues accomplissez est héroïque. Il est bénéfique pour les personnes qui sont souvent en situation de vulnérabilité, qu’il s’agisse des premières interventions, des difficultés rencontrées dans les hôpitaux ou autres. Le fait que certaines personnes vous traitent si mal, vous et vos collègues, dans ce genre de circonstances, reste pour moi un mystère tragique.

Certains membres de ma famille font le type de travail que vous avez décrit. Je me sens personnellement concerné par une grande partie de ce que vous avez dit. Je pense que c’est le cas de beaucoup de personnes dans notre pays.

Ce que vous nous avez dit est déprimant et nous éclaire, en quelque sorte, sur le travail que vous accomplissez. D’autres témoins ont exprimé le même point de vue. Dans vos dernières remarques, en particulier, madame Gear, vous avez indiqué que ce problème concernait l’ensemble du système et qu’il nécessitait des interventions de toutes sortes. Toutefois, cette intervention arrive à la toute fin du processus.

Je soutiens ce projet de loi et je suis certain que c’est également le cas de mes collègues. Je tiens toutefois à vous dire qu’il est peu probable qu’il modifie beaucoup les comportements. Tout d’abord, vous avez dit que bon nombre de ces incidents surviennent à la dernière minute, de manière soudaine et imprévisible. Monsieur Drover, je pense que vous l’avez très bien décrit. Ils concernent également, dans de nombreux cas, des personnes qui ne sont pas, permettez-moi l’expression, dans leur état normal. Par conséquent, comme l’a indiqué la sénatrice Simons, il est très difficile pour les procureurs de prendre cette décision.

Je pense également que les personnes que vous avez décrites et qui s’en prennent sciemment à vous et à vos collègues ne sont pas susceptibles de lire le Code pénal et de se dire : « Oh, mon Dieu. Il risque d’y avoir des circonstances aggravantes si je suis condamné. » Dans la plupart des cas, ce n’est pas ce qui se passe.

Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’espoir que ce projet de loi ait un effet dissuasif. Il peut être efficace pour obliger certaines personnes à répondre à juste titre du type de comportement qu’elles adoptent, et je comprends tout à fait ce point. Mais convenez-vous, sur la base de ce que je viens de dire, que cette mesure arrive au bout du processus pour ce qui est de la responsabilisation et que son effet dissuasif sera limité si nous n’abordons pas un grand nombre des autres éléments que vous avez mentionnés?

Mme Gear : Je suis tout à fait d’accord avec vos commentaires. Toutefois, si cela permet d’éviter une, deux voire dix agressions en un mois ou un an, je pense que cela vaut la peine. C’est un début. C’est une pièce du casse-tête. C’est un début pour opérer une transformation pour en faire un système où régnera vraiment une culture de la sécurité.

J’aimerais saisir l’occasion pour faire valoir un autre point : si le système de soins de santé n’est pas sécuritaire pour les gens qui assurent la prestation des soins, il ne l’est pas davantage pour ceux qui ont besoin de soins. Il y a également des histoires très malheureuses de violence contre des patients.

Je pense que c’est un aspect. Je suis d’accord avec vous. Cela aura-t-il une incidence énorme? Probablement pas. C’est un début. Cela envoie un message clair à la société. Cela envoie un message clair aux professionnels de la santé. Je pense que c’est tout ce que je peux dire.

Le président : Je pense que votre dernier point est convaincant, à savoir que le système, du moins cette partie du système, appuie votre travail, à vous et vos collègues, de façon importante en envoyant un message à ces individus. Ce que je crains, c’est que cela ne réglera pas le problème ou ne sera pas assez dissuasif pour beaucoup. Monsieur Drover, avez-vous un commentaire?

M. Drover : Je pense que c’est une partie d’un problème plus important, comme vous l’avez dit. En outre, même si cela n’a pas d’effet dissuasif ce mois-ci ou le mois prochain, une fois que la loi aura été adoptée, que des individus auront été accusés et que les accusations seront plus lourdes, cela va se savoir. Non seulement les individus susceptibles de commettre de tels gestes le sauront, mais nos ambulanciers paramédicaux et nos premiers répondants sauront aussi que la question est prise au sérieux, que le travail difficile qu’ils font est reconnu et que les auteurs de violence seront punis.

Le président : L’autre avantage — je ferai cette dernière observation, puis je céderai la parole à la sénatrice Clement —, c’est que lorsque vos supérieurs, dans vos domaines respectifs, constateront que ces incidents seront considérés comme plus graves, comparativement à aujourd’hui, cela pourrait les inciter à prendre la question au sérieux et à vous offrir un meilleur soutien lorsque cela se produit. Je ne peux pas le prédire, mais cela me semble une possibilité, à tout le moins.

La sénatrice Clement : Bonjour à vous tous. Je vous remercie pour vos carrières. J’ai des infirmières et des ambulanciers paramédicaux parmi mes amis. Vous êtes un groupe de gens remarquables, évidemment, pour le travail que vous faites.

Lorsque j’étais mairesse de Cornwall, les ambulanciers paramédicaux étaient parmi mes employés préférés. Je m’inquiétais constamment pour vous. J’ai peu de temps; je vais m’adresser à M. Drover.

Cela fait peut-être suite aux propos de la sénatrice McBean. La culture de la ténacité et du refus d’admettre ses faiblesses, en particulier dans ce genre de travail, est un problème. J’approuve ce projet de loi, ainsi que tous les commentaires et toutes les questions. Quelles mesures l’association prend-elle à cet égard, le cas échéant? De quoi auriez-vous besoin, de l’un ou l’autre des ordres de gouvernement, pour vous attaquer à ce problème? Et ma dernière question est la suivante : avez-vous réalisé un sondage comme celui dont Mme Waurynchuk a parlé, et qui est instructif? Faites-vous aussi de tels sondages?

M. Drover : Il y a là plusieurs questions. Concernant le sondage, j’ai demandé des statistiques sur la violence à mon employeur. On m’a répondu que les statistiques que nous avons n’ont pas encore été vérifiées et que la communication de ces données à une autre industrie ou organisation ne serait pas autorisée.

Ils ont commencé à apporter des améliorations dans le traitement des cas de violence contre les ambulanciers, mais cela ne fait que commencer et il faudra du temps pour bien implanter ces mesures.

Pour ce qui est des statistiques, je sais que l’Ontario a une approche plus rigoureuse de la collecte de données depuis un certain temps. Je pense que M. Mausz en parlera lorsqu’il en aura l’occasion. Je ne voudrais pas lui ravir la vedette. Ils font du bon travail, notamment en simplifiant la production de rapports, en générant ces statistiques pour aider les employeurs et les parties intéressées, et en cherchant des façons de contribuer à améliorer les choses.

Ce dont nous avons besoin de la part des gouvernements, comme tout le monde, c’est une loi et du financement. Ce financement servirait à offrir de la formation supplémentaire, par exemple de la formation pour mieux reconnaître les situations de violence, une formation sur les techniques de désamorçage voire les techniques d’autodéfense.

Une loi, cela signifie que oui, nous allons faire quelque chose à ce sujet. C’est la reconnaissance du problème. C’est la reconnaissance du stress que subissent les gens et des répercussions sur les gens, leur lieu de travail et leur vie privée.

Je vous garantis que l’ambulancier paramédical qui est victime de violence ne dort pas bien la nuit pendant un bon bout de temps. C’est ce que je dirais.

Cette mesure législative est un message, non seulement aux auteurs de violence, mais aussi aux victimes de violence. On va non seulement punir ceux qui commettent ces actes, mais nous protégerons aussi les gens qui font leur travail.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : Je vous remercie tous les deux.

Chers collègues, c’est là-dessus que se termine cette partie avec le premier groupe de témoins. En mon nom personnel et celui de mes collègues, je tiens à remercier M. Drover de s’être joint à nous. Je remercie également Mmes Gear et Waurynchuk de nous avoir éclairés sur les circonstances difficiles du travail qu’elles accomplissent et de leurs observations sur l’importance de cet amendement.

Avant de passer au deuxième groupe, chers collègues, permettez-moi de souligner que nous avons eu des problèmes de connexion avec Mme Poirier. Elle nous fera parvenir un mémoire écrit, avec ses observations. Donc, le deuxième groupe ne comprendra que deux témoins.

Merci, chers collègues. Nous poursuivons l’étude du projet de loi C-321. Pour le deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir M. Justin Mausz, clinicien-chercheur aux Services paramédicaux de la région de Peel et professeur adjoint au Département de médecine familiale et communautaire à l’Université de Toronto. M. Mausz se joint à nous par vidéoconférence.

Nous accueillons également Mme Elizabeth Anne Donnelly, professeure à l’École de travail social à l’Université de Windsor, qui est ici en personne. Madame Donnelly, merci d’être des nôtres ici à Ottawa.

Comme je l’ai mentionné, la connexion avec Mme Poirier ne satisfait pas aux critères pour les services d’interprétation. Nous avons discuté avec elle, et elle fera parvenir ses observations par écrit au comité par l’intermédiaire du greffier.

J’invite d’abord M. Mausz à faire sa déclaration, pour environ cinq minutes, puis nous entendrons Mme Donnelly. Ensuite, nous passerons aux séries de questions et à la discussion avec les sénatrices et sénateurs.

[Français]

Justin Mausz, clinicien-chercheur, Services paramédicaux de la région de Peel, professeur adjoint, Département de médecine familiale et communautaire, Université de Toronto, à titre personnel : Bonsoir et merci pour l’invitation, monsieur le président.

[Traduction]

Je suis reconnaissant de l’occasion de parler avec vous aujourd’hui. Je m’appelle Justin Mausz. Je suis ambulancier paramédical en soins avancés aux Services paramédicaux de la région de Peel et professeur adjoint au Département de médecine familiale et communautaire à l’Université de Toronto.

J’ai un peu moins de 20 ans d’expérience clinique comme ambulancier paramédical dans la région de Peel. Depuis que j’ai obtenu un doctorat, en 2022, mon rôle a changé, et je me concentre principalement sur la recherche.

En collaboration avec ma collègue, la professeure Donnelly, je mène des recherches sur les questions de santé et de bien-être au travail qui touchent les ambulanciers paramédicaux. Ces travaux portent en grande partie sur la prévention de la violence au travail.

Je tiens d’abord à dire que les ambulanciers paramédicaux sont un élément essentiel des services de sécurité publique et de soins de santé au Canada. Nous prodiguons des soins aux Canadiens de partout au pays qui ont des maladies ou des blessures qui mettent leur vie en danger.

Dans les années précédant la pandémie de COVID-19, on a constaté que les ambulanciers paramédicaux présentaient des taux de maladie mentale liée au travail parmi les plus élevés chez le personnel de la sécurité publique. On parle notamment du trouble de stress post-traumatique, de la dépression, de l’anxiété, des troubles du sommeil, de la douleur chronique, de l’exposition à des traumatismes et, tragiquement, du suicide.

Dans une étude antérieure menée dans la région de Peel, mes collègues et moi avons constaté que dans notre organisme, pas plus tard qu’en février 2020, un ambulancier paramédical en service actif sur quatre, ou 25 %, répondait aux critères de dépistage des symptômes actuels du trouble de stress post‑traumatique, de dépression majeure ou de trouble anxieux généralisé. En outre, 7 % des ambulanciers paramédicaux avaient pensé au suicide ou à l’automutilation au cours des 14 jours précédents. Il s’agit donc d’une main-d’œuvre à risque, vulnérable à la détérioration de son état de santé en raison de la violence.

Nous savons, d’après la recherche existante, que les situations comportant des menaces à la sécurité physique, comme la violence, entraînent un accru de trouble de stress post‑traumatique et d’autres problèmes de santé mentale.

J’aimerais attirer votre attention sur une étude récente du Bureau of Labor Statistics des États-Unis. Cette étude a révélé qu’aux États-Unis, le risque de blessure nécessitant des soins médicaux et entraînant une perte de jours de travail à la suite d’un incident de violence est cinq fois plus élevé chez le personnel des services médicaux d’urgence que chez la population américaine en général, plus de six fois plus élevé que chez les pompiers, et 60 % plus élevé que chez d’autres professionnels de la santé, notamment les infirmières.

Malheureusement, des données semblables dans un contexte canadien sont plutôt rares et difficiles à obtenir. D’autres recherches sur les incidents violents révèlent que le nombre d’attaques violentes contre les professionnels de la santé est en augmentation depuis la pandémie de COVID-19.

Comme les témoins précédents, nous savons, d’après les recherches — et d’après leurs témoignages —, que la majorité des incidents de violence contre les travailleurs de la santé ne sont pas signalés. Cela signifie que la véritable ampleur du problème est difficile à déterminer et demeure en grande partie inconnue.

Une étude réalisée en 2014 a révélé un problème généralisé de sous-déclaration chez les ambulanciers paramédicaux au Canada. La création de mécanismes de déclaration des incidents visant à documenter les incidents de violence a été recommandée. C’est à cela que s’est employée mon équipe de la région de Peel avec tant de diligence, en collaboration avec des collègues chercheurs.

Les Services paramédicaux de la région de Peel, en partenariat avec des experts de l’industrie et de la communauté, ont mis au point un nouveau processus de déclaration intégré au dossier électronique de soins aux patients, dans lequel nos ambulanciers paramédicaux sont invités à remplir un rapport d’incident de violence s’ils subissent de la violence lors d’une intervention en réponse à un appel au 911.

Cela génère des données concrètes inédites sur la prévalence de la violence. Nous avons mené des recherches liées à ce type de données. Dans le cadre d’une étude de deux ans, de 2021 à 2023, nous avons constaté que 48 % de notre personnel paramédical en service actif a été exposé à la violence. Quarante pour cent des signalements documentaient une agression physique ou sexuelle, tandis que 25 % des signalements faisaient état de violence fondée sur l’identité, notamment le sexe, la race, l’ethnicité ou l’orientation sexuelle, par exemple des insultes racistes ou sexistes. Au total, 211 ambulanciers paramédicaux ont indiqué avoir été touchés émotivement ou avoir ressenti de la détresse émotionnelle en raison des incidents, et 81 ambulanciers paramédicaux ont indiqué avoir subi une blessure physique lors d’un incident violent. Les résultats, si l’on fait la moyenne sur la durée de l’étude, sont les suivants : un ambulancier paramédical est exposé à la violence toutes les 18 heures, est agressé physiquement ou sexuellement toutes les 46 heures, et subit une blessure à la suite d’une attaque violente tous les neuf jours.

Le processus de signalement que nous avons mis au point dans la région de Peel a été adopté depuis par plus de 20 services paramédicaux dans l’ensemble de la province. Notre équipe analyse actuellement près de 3 000 signalements de violence provenant des données fournies par plus d’une dizaine de services dans le cadre d’une étude de recherche collaborative sur la violence. Quarante-quatre pour cent des 3 000 signalements — plus de 1 200 — font état d’une agression physique ou sexuelle contre un ambulancier paramédical, et 265 signalements font état de blessures physiques subies à la suite d’une agression.

Je vous prie de garder à l’esprit qu’il s’agit de résultats préliminaires qui n’ont pas encore été examinés par des pairs.

Cela a des répercussions sur la santé et le bien-être de nos membres. Cette exposition à la violence au travail, désormais bien documentée, entraîne un risque de blessures physiques et psychologiques importantes. Notre équipe mène actuellement une nouvelle étude pour réévaluer la santé mentale des ambulanciers paramédicaux alors que notre pays sort de la pandémie de COVID-19. L’étude est réalisée auprès des ambulanciers paramédicaux de deux services en Ontario, encore une fois, pour des symptômes compatibles avec le TSPT et d’autres problèmes de santé mentale.

Nos premières constatations, bien que préliminaires, indiquent que les taux de TSPT, de dépression, d’anxiété et d’idées suicidaires ont augmenté de 10 % à 15 % par rapport à notre étude réalisée avant la pandémie, en 2019.

En conclusion, je dirai qu’alors que le rôle et les responsabilités des ambulanciers paramédicaux dans le système canadien des soins de santé continuent de s’élargir, plus de Canadiens comptent sur eux pour combler les lacunes en soins de santé primaires et en services sociaux. Toutefois, dans un contexte où les taux élevés de maladies mentales liées au travail sont aggravés par des taux élevés de violence, il est primordial d’assurer la sécurité et le bien-être des ambulanciers paramédicaux, en tant que ressources humaines en santé, pour veiller à ce que les Canadiens puissent compter sur les ambulanciers paramédicaux pour la prestation de soins de santé et de soins d’urgence de grande qualité avec compétence et compassion.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Mausz.

Nous passons à Mme Donnelly.

Elizabeth Anne Donnelly, professeure, École de travail social, Université de Windsor, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup de l’invitation à comparaître pour vous parler aujourd’hui.

Je comparais devant vous en tant que personne qui est technicienne en soins médicaux d’urgence autorisée à l’échelle nationale depuis 25 ans. Au cours des 15 dernières années de ma vie professionnelle, je me suis concentrée sur la santé du personnel paramédical, et j’ai le privilège de travailler avec M. Mausz sur le projet de lutte contre la violence à l’égard des travailleurs paramédicaux, entre autres.

Dans la même veine des thèmes abordés par le précédent groupe de témoins, je tiens à souligner que la violence dans ce milieu est un problème d’une grande complexité qui préoccupe la communauté paramédicale au plus haut point.

Le milieu reconnaît que de multiples changements sont nécessaires. Par conséquent, les Chefs ambulanciers paramédicaux du Canada ont rédigé, en 2019, un énoncé de position articulé autour de quatre demandes distinctes : la tenue de recherches visant à mieux comprendre l’ampleur du problème et l’incidence sur les ambulanciers paramédicaux; l’élaboration de stratégies fondées sur des données probantes pour protéger le personnel; la sensibilisation accrue du public sur les répercussions de la violence. Je ne saurais vous dire combien de fois, dans des discussions à ce sujet, les gens me posent la question : « Les ambulanciers paramédicaux se font attaquer? ». Je leur réponds : « Oui, absolument. » Actuellement, ce problème n’est pas encore dans notre conscience publique. Enfin, ils ont demandé — et c’est là que vous intervenez — des modifications aux politiques et à la loi.

Le milieu paramédical cherche très activement à résoudre ces  problèmes. Mon collègue a parlé des recherches que nous menons pour tenter d’en saisir l’ampleur. De plus, nous explorons diverses stratégies de prévention, comme différentes façons de signaler les risques, ou encore la possibilité d’associer des numéros de téléphone aux adresses présentant un risque. Nous examinons aussi différents moyens de former les gens et de leur fournir les outils nécessaires pour comprendre les menaces et pour se retirer des situations dangereuses.

Nous avons établi une relation de collaboration unique avec des services paramédicaux des quatre coins de l’Ontario. Ces services ont accepté de nous fournir leurs rapports d’incidents violents pour nous aider à comprendre ce qui se passe, non seulement dans la région de Peel, mais également partout en Ontario. Notre travail a aussi suscité l’intérêt d’autres provinces.

Ces efforts s’inscrivent dans le changement de culture absolument nécessaire dont nous avons parlé. Nous améliorons l’accès aux rapports et nous mettons les données à profit. Ainsi, les services peuvent réagir en temps réel afin d’assurer la sécurité de leur personnel.

Pourquoi les services sont-ils préoccupés? Parce que les ambulanciers paramédicaux souffrent. M. Mausz a présenté des statistiques et il a parlé des conséquences psychologiques des préjudices subis par les ambulanciers paramédicaux. D’importantes corrélations ont été établies chez d’autres groupes entre l’exposition à la violence et la dépression, l’anxiété, l’épuisement professionnel et divers effets sur la santé mentale.

Par ailleurs, bien qu’elles ne proviennent pas du milieu paramédical, des données montrent que l’exposition à la violence est liée à l’intention de quitter la profession. Comme dans le domaine des soins infirmiers, il n’y a pas suffisamment d’ambulanciers paramédicaux pour pourvoir tous les postes. Dans ce secteur aussi, on peine à attirer du personnel.

En réalité, ce ne sont pas seulement les ambulanciers paramédicaux qui souffrent, c’est l’ensemble de la communauté. Cet enjeu représente une menace à la santé publique.

Les ambulanciers paramédicaux aiment aider les autres. Ils veulent rendre service à leur communauté. Ils viennent à notre secours nuit et jour, beau temps mauvais temps, peu importe les circonstances.

Pourriez-vous donner le meilleur de vous-même si des gens vous insultaient et vous menaçaient, vous et vos proches? Pourriez-vous exceller dans votre travail? Est-ce réaliste de s’attendre à ce que les ambulanciers paramédicaux vous fournissent le meilleur service possible, à vous et à votre famille, tout en étant exposés à une telle violence? À elle seule, la loi ne réglera pas le problème. C’est compliqué.

Nous tentons de mettre en œuvre d’autres solutions. Nous menons des recherches, nous parlons de la situation et nous essayons d’opérer un changement de culture.

Le gouvernement canadien peut nous aider à résoudre le problème en apportant des modifications aux politiques et aux dispositions législatives. Les modifications législatives auront plusieurs effets importants. D’abord, un rapport publié en 2019, le rapport no 29, Violence subie par les travailleurs de la santé au Canada, recommande de modifier la loi.

Le projet de loi répond à la recommandation émise dans ce rapport. Il envoie aussi le message au personnel de la sécurité publique que l’on reconnaît son importance et l’importance de son travail.

Ensuite, les modifications législatives sensibilisent et instruisent le public. L’important, ce n’est pas nécessairement que les criminels lisent le Code criminel; c’est l’attention médiatique qui sera portée à cet enjeu grâce aux modifications législatives. Le projet de loi contribuera à accroître la sensibilisation du public. Vous en avez un exemple ici : vous êtes en train de vous instruire sur cet enjeu parce que vous nous avez invités à venir vous en parler.

Le projet de loi envoie le message aux forces de l’ordre et à la Couronne que c’est un enjeu sérieux qui mérite d’être pris en considération. Il signale également que cet enjeu représente une menace à la sécurité publique. Par conséquent, je vous encourage fortement à appuyer le projet de loi.

C’est une mesure modeste, mais absolument nécessaire pour régler ce problème.

Merci.

Le président : Merci, madame Donnelly.

La sénatrice Batters : Plus j’entends de témoignages à ce sujet, plus je suis fière de mon collègue du caucus national, M. Todd Doherty, d’avoir proposé ce projet de loi, car vous avez raison : le public n’est pas au courant de ce problème.

Je vous remercie infiniment tous les deux pour les services que vous rendez dans vos rôles très éprouvants. Votre travail est ardu; chaque jour, vous faites face à des situations difficiles auxquelles viennent s’ajouter encore plus d’épreuves. Les choses que vous voyez, les gens... Vous travaillez habituellement auprès de gens qui connaissent la pire journée de leur vie, et vous devez composer avec les membres de leur famille et surmonter toutes sortes de défis. C’est un milieu très dur. Voilà pourquoi nous devons essayer de faire ce que nous pouvons.

Madame Donnelly, je suis heureuse que vous ayez parlé de la sensibilisation du public, car à mes yeux, il s’agit d’un élément important du projet de loi. Nous venons de recevoir les témoignages de représentants d’organisations importantes — des associations nationales ou provinciales. Je présume que la mesure fera parler d’elle et dans les médias traditionnels et dans les médias sociaux, mais il se peut également que ces associations fassent de la publicité, au besoin, pour faire passer le message.

Ma première question s’adresse à M. Mausz. J’ai été profondément attristée d’apprendre que 7 % de vos collègues avaient pensé au suicide au cours des 14 jours précédents. C’est inconcevable.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les répercussions psychologiques et émotionnelles que vous avez observées à la suite d’agressions comme celles dont vous avez parlé aujourd’hui? Quel effet ont-elles sur la capacité des ambulanciers paramédicaux de continuer à accomplir leurs tâches? Que fait-on actuellement pour venir en aide aux personnes qui subissent de telles agressions et qui souffrent de problèmes de santé mentale?

M. Mausz : Merci beaucoup pour la question, sénatrice Batters.

Comme vous l’avez suggéré, par sa nature même, ce travail a de graves répercussions psychologiques. Les ambulanciers paramédicaux font souvent face à des situations traumatisantes, et les recherches montrent que ces situations ont des effets sur le personnel de la sécurité publique. Je le répète, au Canada, les ambulanciers paramédicaux ne sont surpassés que par les agents de la GRC ou les agents correctionnels pour ce qui est de la prévalence de symptômes associés à la maladie mentale.

Le taux de 7 % que vous avez mentionné provient d’une étude que nous avons réalisée en 2019. Nous répétons actuellement cette étude. Je le répète, les données sont préliminaires et elles n’ont pas encore été évaluées par des pairs; nous sommes toujours en train de les collecter. Cela étant dit, les premières données liées spécifiquement aux idéations suicidaires montrent que le taux est maintenant de 10 %; il aurait donc augmenté au fil des années. Pour le moment, il est difficile de cerner avec certitude les causes de la hausse, mais il y a certainement lieu de s’inquiéter.

Pour répondre à votre deuxième question, je vais parler spécifiquement de l’Ontario parce que je connais un peu mieux le contexte local. En Ontario, des programmes et des services sont bien établis, d’autres sont en cours d’élaboration et d’autres encore été ont mis en œuvre récemment pour soutenir la santé mentale et le bien-être du personnel de la sécurité publique, les ambulanciers paramédicaux y compris. Toutefois, il y a des défis à surmonter.

La violence — pour revenir à cet enjeu particulier — exacerbe le risque. Il y a des niveaux de risque de base et des problèmes de santé mentale au sein de ce groupe, mais nous comprenons que la violence les aggrave. L’atténuation du risque aura donc un effet positif. Merci.

La sénatrice Batters : Merci.

Pour revenir à la dernière partie de ma question, la prévention du suicide est une cause qui m’est chère depuis de nombreuses années, en raison d’une situation personnelle. Vous vivez des situations extrêmement difficiles; je veux donc savoir ce qu’on fait actuellement pour soutenir les gens de votre milieu après qu’ils connaissent des incidents de la sorte.

M. Mausz : Ma réponse sera partiale, mais honnête : je vous dirais que les Services paramédicaux de la région de Peel représentent un modèle d’excellence en matière de promotion de la santé et de la sécurité psychologiques auprès du personnel et en matière de prévention de la violence au travail. En conséquence de l’étude que nous avons réalisée en 2019, nous avons commencé à offrir une formation en intervention en cas de suicide à tous nos superviseurs, ainsi qu’à nos délégués syndicaux, car nous collaborons très étroitement avec notre syndicat.

De plus, nous avons créé un nouveau programme en partenariat avec Trillium Health Partners. Grâce à ce programme, nos membres peuvent accéder rapidement aux services d’évaluation de la santé mentale et de traitement de maladies mentales liées au travail. Par voie de négociations collectives, nous avons augmenté la couverture des soins psychologiques offerte à l’ensemble des membres à temps plein.

Le service a pris plusieurs mesures concrètes pour soutenir la santé et la sécurité psychologiques des ambulanciers paramédicaux. Parmi ces mesures, certaines ont été élargies à l’échelle de la province.

Souvent, cependant, les mesures de la sorte sont mises en œuvre à l’échelon local. Chaque service fait les choses à sa façon. Nombre de mesures relèvent soit des services paramédicaux de la région, soit des programmes de soins de santé existants gérés par le gouvernement de la province. Les mesures ont tendance à varier d’un service à l’autre.

La sénatrice Batters : Je suis ravie d’entendre que votre service représente un modèle d’excellence. J’espère que beaucoup d’organisations d’ambulanciers paramédicaux et d’autres premiers répondants qui sont à l’écoute aujourd’hui envisageront la possibilité d’employer ce type de méthodes pour venir en aide à leurs membres. Je vous remercie.

Le sénateur Prosper : Je remercie les deux témoins de leur apport et de leur présence.

J’ai quelques questions. La première est pour M. Mausz. Vous avez mentionné que d’après vos recherches, la majorité des incidents ne sont pas signalés. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette constatation? Qu’est-ce qui explique cette situation?

Madame Donnelly, vous avez parlé d’une approche à quatre volets : la recherche, l’élaboration de stratégies fondées sur des données probantes, la sensibilisation du public et le rôle des politiques et des lois. Vous avez dit que c’était un enjeu complexe et qu’à votre avis, le projet de loi aura des effets réels. Pourquoi pensez-vous que la mesure législative aura des effets concrets et positifs sur le terrain?

J’invite M. Mausz à répondre en premier, suivi de Mme Donnelly. Merci.

M. Mausz : Je vous remercie pour la question, sénateur Prosper.

Nous avons réalisé une étude en 2019. Nous avons demandé aux membres des Services paramédicaux de la région de Peel s’ils avaient vécu des incidents violents, s’ils les avaient signalés, et s’ils ne les avaient pas signalés, pourquoi. Nous avons ensuite procédé à une analyse qualitative des réponses et nous avons élaboré un cadre qui reflète bien, à nos yeux, la culture organisationnelle de l’ensemble du milieu. La violence est tellement généralisée et chronique qu’elle est considérée comme inévitable.

Je trouve particulièrement pertinent de souligner, dans le contexte du projet de loi à l’étude, que les ambulanciers paramédicaux ont l’impression que les gens peuvent poser des gestes violents impunément. Si l’on établit des liens entre ces trois propositions — la violence est généralisée et chronique, elle est inévitable et elle est sans conséquence —, on en vient à la conclusion et à l’attente implicite que pour bien faire le travail d’ambulancier paramédical, il faut savoir ignorer les incidents violents ou les mettre derrière soi. Ainsi, la tolérance de la violence est normalisée et considérée comme une compétence professionnelle nécessaire.

À notre avis, cette culture organisationnelle nuit à la prévention de la violence. Beaucoup des recherches que nous avons menées et des efforts organisationnels que nous avons déployés dans la région de Peel et ailleurs commencent à ébranler cette culture.

Le sénateur Prosper : Merci.

J’ai aussi posé une question à Mme Donnelly.

Mme Donnelly : Juste pour ajouter à la réponse de M. Mausz, en remettant en question l’idée qu’il y a peu de valeur à signaler les incidents violents, on va à l’encontre de la culture organisationnelle qui domine depuis 40 ans. Il n’y a aucun doute que le nombre réel d’incidents dépasse largement le nombre d’incidents signalés parce que les ambulanciers paramédicaux croient toujours que ce n’est pas si grave, qu’ils devraient pouvoir endurer les incidents de la sorte et qu’il ne vaut pas la peine de les signaler.

Le nombre d’incidents violents signalés va continuer d’augmenter. Est-ce que c’est une bonne chose? Nous allons en entendre parler davantage. Est-ce que c’est la violence qui augmente ou le nombre de cas signalés? Ce sera une question intéressante à poser.

Quoi qu’il en soit, il faut changer la culture.

Je tenais à ajouter cette observation à la réponse de M. Mausz et à mentionner qu’il y a beaucoup de travail à faire pour changer les mentalités.

En ce qui concerne la valeur du projet de loi, on parle d’ébranler la culture et de changer les mentalités. En reconnaissant la particularité des ambulanciers paramédicaux et en créant une mesure législative qui oblige à considérer comme un facteur aggravant le fait que la victime d’une agression criminelle est une personne exerçant ce métier, le gouvernement du Canada envoie un message puissant et positif aux ambulanciers paramédicaux.

Le projet de loi pourrait contribuer à ébranler la culture, ainsi qu’à accroître la sensibilisation du public à cet enjeu, car pour l’instant, cet enjeu passe pratiquement inaperçu.

Nous devons poursuivre la collaboration et les discussions avec les services de police municipale à propos des accusations, ainsi qu’avec les autorités locales de la Couronne sur les gestes qui devraient être considérés comme criminels et qui devraient donner lieu à des accusations. Il faut avoir ces discussions, d’abord pour leur faire comprendre que les ambulanciers paramédicaux ne sont pas des policiers. Ce sont des gens différents qui font un travail différent; par conséquent, les gestes de violence qu’ils subissent devraient entraîner des interventions différentes. Ensuite, il faut sensibiliser les autorités de la Couronne à cet enjeu pour qu’elles comprennent que de telles situations se produisent et qu’elles doivent être prises au sérieux.

En ce qui concerne l’effet dissuasif, j’aime beaucoup l’argument qui a été présenté durant la première partie de la réunion : si l’on dissuade 10 personnes de poser un geste violent, c’est tant mieux, car cela se traduit par 10 agressions de moins contre mes collègues. Toutefois, ce ne sont pas les seules conséquences que subissent les ambulanciers paramédicaux et tous les autres premiers répondants. Il y a beaucoup d’ambulanciers paramédicaux ici aujourd’hui, mais les pompiers et les autres intervenants de première ligne sont aussi touchés, y compris tout le personnel du milieu des soins de santé.

La mesure contribuera largement à modifier ce à quoi nous pouvons nous attendre dans nos lieux de travail.

[Français]

La sénatrice Oudar : Merci aux deux témoins. Vous avez apporté un éclairage qui est fort pertinent pour nous. Je crois également que le projet de loi va poser un geste fort, qui est celui de la tolérance zéro envers la violence. La tolérance zéro signifie qu’on doit aussi accepter les plaintes dans l’organisation, et même les encourager.

J’ai parlé au témoin précédent de l’importance de bâtir des programmes de prévention qui couvrent l’ensemble des éléments de violence. Il y a deux facteurs de risque parmi de nombreux facteurs sur lesquels je ne reviendrai pas, qui sont moins identifiés dans la littérature. Les deux témoins en ont parlé.

Le premier facteur de risque qui a été identifié, que je n’ai pas vu ailleurs dans toute la littérature, ce sont les défis que pose le système public de soins de santé. On croyait tous qu’il y aurait moins de gestes de violence après la pandémie. Je constate que, au contraire, selon ce que j’ai appris de mon travail au cours des huit dernières années, ces incidents sont en augmentation. Selon l’Association des commissions des accidents du travail du Canada, avec qui j’ai travaillé, ce sont les mêmes statistiques.

Le deuxième facteur de risque identifié est la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs d’activité dont on discute, notamment les soins de santé.

J’aimerais vous entendre plus spécifiquement sur ces deux facteurs de risque, c’est-à-dire la dégradation du système de soins de santé, qui engendre ces événements de violence de la part de la clientèle, et la pénurie de personnel, qui devient aussi un enjeu de facteur de risque.

Est-ce que vous partagez les mêmes constatations que les témoins précédents à ce sujet?

[Traduction]

Le président : Je pense que la question s’adresse à vous, madame Donnelly.

Mme Donnelly : Je ne sais pas si je peux bien y répondre. Les recherches que j’ai faites et le milieu que j’occupe ne touchent pas aux questions générales d’ordre structurel. Je suis ravie que vous posiez de telles questions; cela témoigne de la nécessité de mener plus de recherches.

Je ne sais pas si mon collègue a quelque chose à ajouter. Pour ma part, je n’ai pas d’éléments de preuve à soumettre pour établir des liens entre ces facteurs de risque et l’exacerbation du risque de violence.

M. Mausz : Comme ma collègue, j’hésite à aller trop loin et à formuler des observations sur des choses pour lesquelles nous n’avons pas de données fiables à l’appui.

Nous avons utilisé un indicateur dans notre étude de 2023 pour examiner la fréquence de la violence. Une chose que nous avons constatée et qui pourrait se rapporter indirectement à cela, peut‑être, c’est que lorsque les paramédicaux doivent attendre à l’hôpital avant qu’un patient soit reçu aux urgences, nous voyons que le risque de violence augmente lorsque le délai dépasse 30 minutes. Lorsque le temps de prise en charge dépasse 30 minutes, le risque d’agression fait plus que doubler.

Je devrais souligner qu’il s’agit d’augmentations relatives du risque, et le risque absolu est encore plutôt faible, mais il y a quelque chose là. Cette hausse était statistiquement importante. Je pense que le délai avant la prise en charge à l’hôpital est le symptôme des pressions exercées sur le système de santé. Ce n’est peut-être pas une question de chiffres absolus, mais plutôt une réalité attribuable à un déséquilibre entre les besoins existants et ce que le système de santé, y compris les paramédicaux, est en mesure de livrer. Je pense qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que cela crée un conflit et à ce que le conflit dégénère jusqu’à de la violence.

Le président : Merci.

[Français]

La sénatrice Oudar : Effectivement, je crois qu’il n’y a pas de données précises, mais vous mettez le doigt sur quelque chose d’important, soit l’impact des périodes d’attente, qui crée une charge mentale ou émotionnelle plus forte sur la clientèle qui provoque ces débordements. On ne comprend pas non plus pourquoi, après une période pandémique durant laquelle on a mis la bienveillance à l’avant-scène et alors qu’on ne devrait pas voir ces gestes de violence, les statistiques montrent le contraire, puisque ces gestes de violence sont, malheureusement, en augmentation. Il faut chercher les causes ailleurs. On va faire un premier pas avec ce projet de loi qui, je l’espère, va envoyer un message fort. Par contre, on devra trouver ensuite les raisons de ce problème, pour ne pas que cela arrive.

[Traduction]

Le président : Je vois certaines personnes acquiescer d’un signe de tête. Je crois qu’elles ont interprété votre observation comme une question, et elles sont d’accord.

La sénatrice McBean : Merci. J’aimerais bien croire que nous prenons des mesures pour protéger les paramédicaux, les infirmières et les premiers répondants, mais j’ai l’impression que c’est une réponse. La réponse dépendra toujours des signalements, car il est question ici des sanctions. C’est ce que nous faisons. Il y a une incidence sur les sanctions, en fonction des accusations qui sont établies selon les gestes signalés.

Je me demande, madame Donnelly, si vous avez une idée de la façon dont les établissements devraient mieux appuyer le personnel et mieux utiliser le processus de signalement.

Mme Donnelly : Je pense que cela doit commencer dans les établissements. Je ne suis pas certaine... parlez-vous des établissements qui emploient les gens ou...?

La sénatrice McBean : Les premiers répondants ou les paramédicaux victimes de violence ont besoin d’un meilleur système. Il faut qu’ils se sentent plus à l’aise et mieux appuyés. Une témoin a dit pendant la première heure qu’ils veulent que les signalements soient valorisés, et à vrai dire, elle a dit qu’il serait bien que les gens soient reconnaissants lorsque quelqu’un signale un cas plutôt que le contraire.

Dans vos travaux de recherche, avez-vous réfléchi à la façon de signaler les incidents? Si nous essayons de faire en sorte que les gens se sentent mieux par rapport à tout le processus, en ayant également des personnes qui reconnaissent que c’est une réalité, pensez-vous qu’on a la moindre idée de la façon de procéder pour créer un meilleur mécanisme de signalement?

Mme Donnelly : Je serai heureuse de répondre à la question, mais je souligne que je vais parler de la situation dans la région de Peel, et M. Mausz peut donc également donner son avis à ce sujet.

La décision d’essayer de s’attaquer à ce problème provenait de l’établissement, des dirigeants. Les dirigeants ont appuyé Mandy Johnston, une employée, pour qu’elle élabore cet outil de signalement des cas de violence.

On a apporté des changements stratégiques et offert une formation. On a également fait des travaux de recherche initiaux pour comprendre pourquoi les gens ne veulent pas signaler les cas, puis on a créé ce programme pour répondre à toutes ces préoccupations.

L’un des mécanismes qu’on a intégrés dans cette structure de signalement, c’est l’obligation pour les superviseurs de donner suite à tous les cas. Ils peuvent demander à l’employé s’il a besoin d’aide pour remplir les formulaires ou s’il veut discuter de la possibilité de contacter la police, ou ils peuvent lui dire qu’ils regrettent ce qui s’est produit.

L’établissement s’engage à faire un suivi auprès des paramédicaux et à leur faire comprendre que les signalements sont pris au sérieux et qu’ils ne sont pas relégués aux oubliettes. L’établissement s’engage à dire : « Je vous entends; merci d’avoir signalé l’incident. »

Une autre conséquence vraiment chouette de cette structure de signalement, c’est que les paramédicaux disent parfois — et c’est secondaire; je répète quelque chose que Mandy Johnston m’a dit — qu’ils se sentent beaucoup mieux après avoir rempli un formulaire. Ils écrivent dans le rapport ce qu’ils ont vécu et ils peuvent ensuite le divulguer. C’est presque une expérience cathartique que de pouvoir documenter l’événement et de savoir que quelqu’un va en prendre connaissance, qu’ils seront entendus et respectés et que cette partie de leur expérience sera valorisée.

Qu’il y ait des accusations ou non au bout du compte, il est formidable d’avoir l’impression qu’une organisation est là pour nous. Je viens vraiment de voler la vedette à M. Mausz et à Mme Johnston, car c’est essentiellement le travail qu’ils font.

Monsieur Mausz, voulez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?

M. Mausz : Merci d’avoir posé la question. Je serai très bref. Dans le cadre de notre étude de 2019, lorsque nous avons demandé aux gens s’ils signalent les incidents, moins de 40 % ont dit le faire. Dans notre service, en particulier sous la direction de Mandy Johnston, qui est maintenant commandante, il a fallu déployer un effort herculéen pour élaborer des programmes complets de prévention de la violence et pour obtenir du nouveau matériel, des nouvelles procédures, de nouvelles politiques et toutes les autres nouvelles choses nécessaires.

Nous avons sondé nos membres deux ans après cet effort, et leur volonté de signaler les incidents avait plus que doublé pour atteindre plus de 80 %.

J’aimerais vous lire une citation qui provient de ce sondage et que nous attribuons à ce changement de culture et aux avantages concrets qui ont amélioré la sécurité des paramédicaux.

La personne a dit :

Je comprends l’importance des signalements pour appuyer des changements dans la profession, même si je ne suis pas touché personnellement, je [remplis des rapports] pour assurer la sécurité de mes collègues de travail. Je vois les efforts déployés par le service pour s’attaquer à la violence et j’en suis reconnaissant. Lorsque je signale des incidents, je fais mon travail.

Merci.

La sénatrice McBean : Merci beaucoup de la réponse.

Le président : Je vous remercie encore une fois tous les deux.

La sénatrice Clement : Merci aux témoins. Je vous remercie de votre travail. Je pense que vous avez écouté les échanges de la première heure, et vous m’avez donc entendu dire que les paramédicaux font partie des gens que j’aime le plus.

Je veux vous poser une grande question, mais je vais la garder pour la fin.

Ma première question porte sur l’intersectionnalité. Monsieur Mausz, vous avez dit que l’intersectionnalité peut faire en sorte que certaines personnes sont touchées de manière disproportionnée. Pouvez-vous en parler?

Je tiens à dire que, en tant que sénatrice de l’Ontario, je suis très fière du travail fait dans la région de Peel. Je suis avocate de l’aide juridique de profession et j’ai évolué dans le domaine des services sociaux. Dans le cadre de mon travail, j’ai toujours admiré la région de Peel et tout ce milieu compte tenu des efforts déployés pour faire de la recherche et pour innover. Je tiens à dire que j’en suis très fière en tant que sénatrice de l’Ontario. Je ne suis pas du tout surprise qu’on fasse ce genre de travail dans la région de Peel.

Pour revenir à la question sur l’intersectionnalité, l’un de vous a-t-il des commentaires à ce sujet?

M. Mausz : Je suis fier de vivre dans la région de Peel. Nous avons été extrêmement avant-gardistes en appuyant ce genre de travaux de recherche, en particulier sur cette question et sur d’autres sujets. Ces efforts font considérablement progresser notre profession et la qualité du service que nous offrons.

Pour répondre plus précisément à votre question sur l’intersectionnalité, c’est une référence à une étude que nous avons publiée cette année et qui portait sur l’analyse des cas de violence signalés au cours d’une année. Nous avons demandé à deux superviseurs d’examiner qualitativement les descriptions en texte libre de ces signalements. Lorsqu’un paramédical soumet un rapport, il y a un espace pour décrire librement et de manière détaillée ce qui s’est produit. On encourage les gens à inclure des citations. Deux superviseurs ont examiné les rapports présentés sur une période d’un an et ont analysé qualitativement chacun d’eux pour voir s’il y avait des allusions flagrantes à l’intersectionnalité ou des connotations en ce sens, c’est-à-dire tout ce qui touche à des motifs protégés liés à l’identité conformément à ce qui est expliqué dans le Code des droits de la personne de l’Ontario, en particulier le sexe, l’orientation sexuelle, la race et l’ethnicité. Nous avons constaté que 25 % des rapports remplissaient ces critères. Ils contenaient une forme de violence verbale fondée sur ces motifs liés à l’identité.

Par ailleurs, les rapports indiquent si le paramédical était en détresse émotionnelle lors du signalement. Nous avons constaté que comparativement à d’autres formes de violence, les paramédicaux étaient plus susceptibles, dans une proportion de 60 %, d’indiquer qu’ils étaient en détresse émotionnelle au moment du signalement lorsque le rapport documentait une violence fondée sur un de ces motifs protégés liés à l’identité, ce qui est plus élevé que dans les cas d’agression physique, par exemple. Est-ce utile, sénatrice? Merci.

La sénatrice Clement : Ce n’est pas surprenant d’après certains autres travaux de recherche sur le racisme systémique que j’ai vus et même d’après ma propre expérience.

Madame Donnelly, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Donnelly : Je suis très reconnaissante que nous ayons pu faire ce travail, car ce type de violence, cette violence subtile ainsi que les mots et le langage utilisés n’ont pas été documentés avant dans le milieu. Les répercussions sont énormes. En tant que femme ayant travaillé dans des ambulances, j’ai fait de mon mieux lorsqu’on m’adressait des commentaires sexistes ou misogynes. Je me disais que ce n’était pas la meilleure personne au monde avec qui passer du temps et que j’allais essayer de procéder rapidement. En même temps, c’est éprouvant.

La sénatrice Clement : Ces choses pèsent sur la conscience.

La grande question, je pense, porte sur la hausse de la violence en général, car je sais que vous citez un passage de l’étude de 2019, mais je me demande si, depuis la pandémie, vous avez remarqué plus de violence en général.

Je suppose que la question se pose également, car, madame Donnelly, vous avez dit que c’est une menace à la santé publique et que cela nuit à tout le monde dans la communauté. Je soupçonne que nous sommes davantage aux prises avec un problème collectif — je ne sais pas pourquoi je souris, car c’est terrible. Je me demande si vous pouvez me dire si vous voyez plus de violence depuis la pandémie et pourquoi vous pensez qu’il y en a plus de manière générale.

Mme Donnelly : Je ne peux pas répondre à votre question puisque c’est la première fois que nous recueillons ces données tout de suite après l’événement. On a fait des enquêtes dans le passé, mais on demandait, par exemple, combien de fois cela s’était produit au cours des 12 derniers mois ou au cours de la vie de la personne. Dans le cadre du projet sur lequel M. Mausz et moi-même avons le privilège de travailler, c’est la première fois que nous sommes en mesure de décrire les incidents et la fréquence de la violence dans la communauté paramédicale.

Je ne peux pas parler d’une hausse des cas d’après nos données. Je sais toutefois que nous pouvons maintenant décrire les événements et que nous continuons à recueillir des données. À l’avenir, nous pourrons donc dire si le nombre de signalements augmente et en quoi ils consistent.

Cela dit, c’est un projet de recherche très récent pour la communauté paramédicale, et il m’est donc difficile de me prononcer.

La sénatrice Clement : Monsieur Mausz, avez-vous d’autres observations sur la hausse de la violence en général et sur les éventuelles répercussions...

M. Mausz : J’aimerais avoir une meilleure réponse pour vous, mais comme l’a dit ma collègue, la professeure Donnelly, nous commençons tout juste à nous faire une idée de la situation en ce qui concerne le groupe des paramédicaux.

Des études portent sur d’autres professions du domaine de la santé, et elles signalent une augmentation de la violence. Dans bien des cas, on mène des sondages. Comme l’a expliqué la professeure Donnelly, les sondages sont utiles pour attirer l’attention sur un problème, mais ce qui rend l’approche de la région de Peel unique, c’est que nous recueillons des données associées à des événements qui sont documentées par les paramédicaux après l’appel au 911.

C’est certainement utile du point de vue de la recherche, et nous nous en servons, mais c’est aussi de la plus grande utilité pour les programmes de prévention de la violence. Nous pouvons maintenant voir quelle tendance se dégage, et nous pouvons cerner les facteurs de risque. Nous pouvons essayer de prévenir leur propagation. Nous pouvons également élaborer de nouvelles politiques et de nouveaux programmes. Nous pouvons monter des dossiers qui serviront dans la formation et en ce qui concerne l’équipement. Nous pouvons collaborer avec des partenaires de la police. C’est là que nous voyons sans cesse la valeur réelle de ces données. C’est la raison pour laquelle nos membres sont deux fois plus disposés à remplir des rapports de signalement lorsqu’ils voient les résultats.

Cela dit, je suis désolé de ne pas pouvoir vous dire s’il y a une augmentation parce que c’est tout nouveau.

La sénatrice Clement : Vous montrez également ces données à des gens de l’extérieur de l’Ontario. C’est ce que j’ai cru comprendre. Je sais que les choses se font localement, mais vous... quoi? Désolée?

M. Mausz : Nous essayons certainement de le faire. Tout à fait.

La sénatrice Clement : Vous essayez. Merci.

Le président : J’ai une question, mais je vais situer un peu le contexte avant de la poser. L’une des choses qu’il faut déterminer, c’est si cette mesure législative peut être efficace. Un aspect qui fonctionne, comme nous en avons discuté, c’est le message psychologique que le projet de loi envoie aux premiers répondants, aux infirmières et aux soignants, à savoir que le Parlement du Canada se préoccupe d’eux et qu’il commence à comprendre les défis et l’environnement dans lequel vos collègues et vous travaillez. Ce n’est pas facile à mesurer. Ce n’est pas peu important, mais ce n’est pas mesurable.

Une autre question est : cette mesure législative, seulement grâce au message qu’elle envoie, modifie-t-elle la façon dont les gens agissent envers les premiers répondants, les infirmières et ainsi de suite?

La troisième question est : voyons-nous plus de personnes être tenues responsables de la circonstance aggravante de ce qui constitue essentiellement une attaque ou une agression contre un travailleur de première ligne? Je ne suis pas entièrement certain si le système de justice mesure précisément cela. Je me demande, monsieur Mausz, puisque vous connaissez mieux les chiffres et l’information recueillie, s’il est probable dans les années à venir qu’on voit une façon de déterminer si, par exemple, les premiers répondants dans votre domaine déposent des plaintes qui mènent à des sanctions pénales contre des personnes dans la mesure où on s’attend à ce que cette mesure législative permette de le faire.

J’essaie de prévoir si les personnes qui se pencheront là-dessus à l’avenir, comme vous, verront que cette mesure législative a des effets positifs qui correspondent à ce que vous espérez voir.

M. Mausz : Chose certaine, je comprends et je reconnais que, d’un côté, ce n’est pas essentiellement une mesure préventive, mais je pense que cela peut avoir une incidence importante. Nous avons vu plus tôt que nos membres ne signalent pas les incidents parce qu’ils estiment qu’il n’y aura pas de conséquences pour les auteurs des actes de violence, et que cela ne vaut donc pas la peine de signaler ces actes. Je pense que nous pouvons voir un effet ici. C’est mesurable à l’aide des données, même s’il faut un peu de temps.

Cela dit, du point de vue de la prévention, il faut que ce soit fait en même temps que des efforts organisationnels au niveau du service, au niveau des gouvernements provinciaux et municipaux, pour savoir quels appels au 911 dans notre contexte présentent un risque de violence et pour élaborer des stratégies proactives afin d’atténuer ce risque. Je pense que nous réalisons également des progrès à cet égard.

Le président : Madame Donnelly, avez-vous des observations à propos de la mesure du succès, si je puis dire?

Mme Donnelly : Je pense que si vous prôniez un certain financement et des demandes de recherche, nous pourrions le mesurer.

Le président : Vous parlez comme une professeure. Je donnerais la même réponse à votre place. Merci. C’est convaincant. C’est important de toutes sortes de façons.

À vrai dire, le fait même que nous voulions savoir à quel point cela fonctionne envoie le message que c’est un dossier qui nous tient à cœur. Vos témoignages et ceux des autres témoins que nous avons entendus en étudiant ce projet de loi nous permettent de mieux connaître et de mieux apprécier votre travail, mais aussi d’être plus conscients des vulnérabilités auxquelles le système ne s’attaque pas adéquatement en ce moment.

Je ne pense pas qu’il y a d’autres questions. Par conséquent, je vais saisir l’occasion pour remercier à l’avance Mme Poirier pour le mémoire qu’elle va nous remettre. Nous n’avons malheureusement pas pu l’entendre en personne aujourd’hui. Je veux remercier M. Mausz pour son exposé et pour avoir — même s’ils ne sont pas terminés — parlé des travaux de recherche que d’autres personnes et lui ont entamés.

Madame Donnelly, merci d’être venue comparaître en personne pour nous faire part de vos réflexions, de vos points de vue et de vos observations d’experte, et merci également d’avoir bien répondu à nos questions, comme chacun d’entre vous, pour nous aider à mieux comprendre le dossier.

Je rappelle à mes collègues que nous avons l’intention de passer demain à l’étude article par article du projet de loi. J’espère que nous aurons une bonne participation et une bonne discussion. J’ai un peu l’impression que la réunion sera de courte durée. Je pense que plus elle sera courte, plus notre appui aux premiers répondants et au personnel infirmier sera positif.

Maintenant que j’ai fait ma prédiction, je vais lever la séance et vous remercier tous encore une fois. À demain.

(La séance est levée.)

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