LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 18 mai 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour l’étude du projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures).
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, avant de passer à l’étude du projet de loi S-4, nous devons régler une question budgétaire. Nous sommes saisis d’un budget de 6 000 $, que nous demandons chaque année pour acheter des Codes criminels à jour. Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour adopter le budget de 6 000 $ et le présenter au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration?
Des voix : D’accord.
La présidente : Merci, honorables sénateurs.
Chers collègues, la plupart d’entre vous connaissent déjà la procédure, mais je vais rappeler à tout le monde certains points.
Si à un moment ou un autre, un sénateur n’est pas certain de savoir où nous en sommes dans le processus, il ne doit pas hésiter à demander des précisions. Je veux m’assurer que nous sachions tous, en tout temps, où nous en sommes dans le processus. Je vais essayer d’y aller lentement, mais si je vais trop vite, n’hésitez pas à me demander de ralentir.
Je vous rappelle que, en comité, si un sénateur s’oppose à un article en entier, le processus approprié est de voter contre l’article.
Il serait utile si un sénateur qui propose un amendement désigne au comité d’autres articles du projet de loi sur lesquels cet amendement pourrait avoir une incidence.
Enfin, je tiens à rappeler aux honorables sénateurs que, s’ils ont le moindre doute quant aux résultats d’un vote par oui ou non, ou à main levée, la meilleure façon d’intervenir est de demander un vote par appel nominal, qui aboutira évidemment à des résultats sans ambiguïté.
Les sénateurs savent qu’en cas d’égalité des voix, la motion est réputée rejetée.
Honorables sénateurs, des fonctionnaires du ministère de la Justice du Canada sont ici aujourd’hui pour répondre aux éventuelles questions techniques : Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil et cheffe d’équipe, et Norm Wong, avocat-conseil et chef d’équipe, Section de la politique en matière de droit pénal.
Honorables sénateurs, avez-vous des questions? Comme il n’y a pas de questions, je vais poursuivre.
Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que le comité procède à l’étude article par article du projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures)?
Des voix : D’accord.
La présidente : Honorables sénateurs, je propose que nous regroupions les articles et que nous nous entendions sur des groupes de 10 articles. Si nous savons à l’avance qu’un amendement sera présenté pour un article, celui-ci ne sera pas regroupé avec les autres. Est-ce acceptable, honorables sénateurs? D’accord.
L’étude du titre est-elle reportée?
Des voix : D’accord.
La présidente : Les articles 1 à 10 sont-ils adoptés?
Des voix : D’accord.
La présidente : Les articles 11 à 20 sont-ils adoptés?
Des voix : D’accord.
La présidente : Les articles 21 à 30 sont-ils adoptés?
Des voix : D’accord.
La présidente : Je n’ai pas entendu « adoptés ». Je présume qu’ils sont adoptés.
Les articles 31 à 40 sont-ils adoptés?
Des voix : D’accord.
La présidente : Les articles 41 à 45 sont-ils adoptés?
Des voix : D’accord.
La présidente : Honorables sénateurs, l’article 46 est-il adopté?
La sénatrice Batters : J’ai un amendement à proposer. Il concerne l’article 6, aux pages 21 et 22 :
Que le projet de loi S-4 soit modifié à l’article 46 :
a) à la page 21, par suppression des lignes 5 à 17;
b) à la page 22, par substitution, à la ligne 3, de ce qui suit :
« déoconférence lors de toute procédure — à l’exception d’un procès pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou pour un acte criminel — à l’égard de la- ».
La présidente : Pouvez-vous attendre un instant, madame la sénatrice? Je tiens à m’assurer que tout le monde a l’amendement sous les yeux. Est-ce que tout le monde a l’amendement en main? Oui, d’accord.
La sénatrice Batters : Honorables sénateurs, compte tenu des témoignages importants que le Comité sénatorial des affaires juridiques a entendus, je propose cet amendement au projet de loi S-4 pour éliminer les parties de celui-ci qui permettraient à un prévenu de comparaître et de témoigner par vidéoconférence lors de son procès criminel.
Au titre de la présente mesure législative, tous les procès criminels, tant dans les cas d’infractions punissables par procédure sommaire que dans les cas d’actes criminels, pourraient être conduits ainsi, peu importe la gravité de l’infraction commise. J’estime que, lors des procès criminels, où il est toujours très difficile pour les juges de vérifier la crédibilité des accusés, les témoignages par vidéoconférence sont insuffisants. Il peut y avoir de nombreux problèmes techniques, mais j’estime que l’un des problèmes majeurs de cette pratique est celui de la crédibilité.
Je ne propose absolument pas d’empêcher tous les accusés d’avoir recours à la vidéoconférence. Plusieurs dispositions du projet de loi portent sur cet élément. La vidéoconférence serait toujours autorisée au titre de mon amendement pour d’autres types de procédures ou de comparutions pénales, notamment les mises en liberté sous caution, les enquêtes préliminaires, les plaidoyers de culpabilité, les déterminations de peines et d’autres types de procédures. Seuls les procès seraient exclus du projet de loi.
En plus des préoccupations concernant la crédibilité, selon moi, plusieurs témoins ont donné des témoignages utiles lors de nos réunions. Je tiens à parler de certains d’entre eux parce qu’ils ont apporté une perspective différente et très importante dans ce dossier. Je commencerai par Emilie Coyle, directrice générale de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Son témoignage portait en partie sur la question des préjugés dont sont victimes les accusées. Quand j’ai eu l’occasion de questionner Mme Coyle, je lui ai demandé ceci : « Je me préoccupe de la façon dont le projet de loi S-4 permet à un accusé de témoigner par vidéo dans les cas d’infractions punissables par procédure sommaire. » Je sais maintenant que la mesure législative comprend aussi les actes criminels. J’ai ajouté ceci :
Je crois que dans votre déclaration préliminaire — et vous en avez parlé un peu plus en détail tout à l’heure —, vous nous avez bien expliqué le contexte. Si une personne témoigne à partir de la prison, le juge se dira peut-être qu’elle devrait rester là, et aura peut-être tendance à la reconnaître coupable.
Mme Coyle a répondu ceci :
Merci. Je suis heureuse que vous posiez la question, madame la sénatrice. Je crois que nous ne tenons pas compte de la stigmatisation lorsque nous parlons de la vidéoconférence [...]
Au début de mon témoignage, j’ai dit que notre société jugeait les gens qui étaient en prison sans comprendre leur histoire [...]
Comme nous avons cette idée que les gens en prison sont de mauvaises personnes, ce jugement pourrait donner lieu, dans le cas d’un procès, à un résultat qui aurait peut-être été différent si la personne n’était pas en prison.
Elle aurait peut-être pu mettre un complet donné par sa famille. Ses proches pourraient être assis derrière elle dans la salle d’audience. Ces différences subtiles ont une incidence sur nos préjugés.
Ensuite, quand j’ai questionné M. Knox, du Conseil canadien des avocats de la défense, ou CCAD, je lui ai proposé de présenter un amendement visant à supprimer du projet de loi S-4 les dispositions permettant de témoigner par vidéoconférence dans les cas d’infractions punissables par procédure sommaire et, bien sûr, dans les cas d’actes criminels tout en y laissant les dispositions concernant les autres types de procédures judiciaires. M. Knox a répondu ceci :
Je suis d’accord avec vous. Si nous nous éloignons de ce modèle, qui a été mis sur pied il y a plus de 150 ans, nous pourrons avoir recours à d’autres méthodes et voir comment elles fonctionnent.
Ensuite, ce fut au tour de Mme Tache-Green, de la Commission des services juridiques du Nunavut, de témoigner. Vous vous rappellerez qu’elle a eu beaucoup de difficultés à témoigner devant le comité. Je lui ai dit ceci :
[...] [D]ans votre déclaration liminaire, vous avez dit que vous nous encouragez à la prudence, et vous avez donné des points de vue très importants, tant dans les propos que vous avez tenus que dans la façon dont vous avez livré votre témoignage. Dans un premier temps, vous avez dit que 24 des 25 communautés du Nunavut n’ont pas la technologie nécessaire pour prendre part à une audience par vidéoconférence, ce qui est assez alarmant. Ensuite, au milieu de votre témoignage, votre visage s’est figé et nous avons reçu le message selon lequel la bande passante du réseau était faible. C’est à ce moment-là que la présidente a eu la sagesse de vous demander de désactiver votre vidéo pour que nous puissions quand même vous entendre, et nous vous avons bien entendue avec l’audio seulement. Vous travaillez dans un bureau d’aide juridique, alors j’imagine qu’il dispose d’une connectivité généralement décente, et il est probable que beaucoup de clients ne disposent pas de ce genre de choses. Je me demande si vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet.
Puis, j’ai ajouté ceci :
[...] [J]e suis assez préoccupée par l’idée d’avoir des procès vidéo complets où l’accusé pourrait être soumis à ce genre de situations. Je me demande ce que vous pensez de la possibilité, plutôt que ou avant d’utiliser la vidéo pour un procès sommaire, de ne pas le faire si c’est pour différentes comparutions comme la libération sous caution, les plaidoyers de culpabilité, la détermination de la peine et des audiences qui sont généralement plus brèves qu’un procès complet. Que pensez-vous de cette possibilité?
Me Tache-Green, de la Commission des services juridiques du Nunavut, a répondu ceci :
Je m’intéresse beaucoup à vos observations sur la possibilité d’attendre avant de rendre la vidéoconférence disponible pour les procès et de commencer peut-être avec des procédures qui sont moins risquées [...]
Je suis très préoccupée par la possibilité que des procès se déroulent avec un accusé qui est, bien sûr, la personne qui a le plus à perdre, et qui risque d’être exclue de la procédure en raison d’une défaillance technologique.
Ainsi, plusieurs raisons expliquent pourquoi il est peut-être préférable de commencer par les procédures moins risquées quand nous renforçons notre capacité à se doter de la technologie nécessaire pour les procédures importantes comme les procès, comme Me Tache-Green l’a indiqué, par exemple les plaidoyers de culpabilité, les libérations sous caution, les enquêtes préliminaires et les déterminations de peines. Au titre de l’amendement que je propose, il serait possible de mener toutes ces procédures par vidéoconférence, mais tout simplement pas les procès.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’ai une question de précision, madame la présidente.
D’après ce que je comprends, la sénatrice Batters a déposé trois amendements. Est-ce qu’elle peut nous donner le numéro de l’amendement dont elle discute actuellement?
[Traduction]
La sénatrice Batters : Il s’agit de l’amendement qui a été envoyé individuellement, soit l’amendement no DB-S4-46-21-4. J’ai aussi présenté un ensemble de trois amendements, mais c’est le sénateur Carignan qui en parlera. Je suis désolée.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien, on parle du numéro 46-20-19, c’est cela?
[Traduction]
La sénatrice Batters : Non, il s’agit de l’amendement no 46-21-4.
La sénatrice Dupuis : Il s’agit de l’amendement no 46-21-4. D’accord.
La sénatrice Batters : Cet amendement a été envoyé individuellement, puis je crois que M. Pearson a envoyé un deuxième courriel contenant trois amendements ensemble.
La présidente : L’avez-vous trouvé?
La sénatrice Dupuis : Je le cherche encore.
[Français]
La présidente : Sénatrice Dupuis, Marc vous l’a envoyé encore une fois.
La sénatrice Dupuis : Parfait, merci.
La présidente : De rien. Dites-le-moi, s’il vous plaît, si vous ne l’avez pas reçu.
[Traduction]
Le sénateur White : M. Pearson, pouvez-vous me l’envoyer aussi, si cela ne vous ennuie pas?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Pour avoir une discussion ordonnée, pourrait-on avoir le nombre d’amendements, et chacun pourrait-il identifier le numéro de l’amendement dont nous discutons? Merci.
La présidente : Je pense que la sénatrice Batters l’a fait.
[Traduction]
Sénatrice Batters, pouvez-vous répéter le numéro?
La sénatrice Batters : Bien sûr. Il s’agit de DB-S4-46-21-4.
La présidente : Mais il s’agit bien de l’article 46.
La sénatrice Batters : Oui, l’article 46, aux pages 21 et 22.
Le sénateur Campbell : À la page 21, par suppression des lignes 5 à 17, et à la page 22, par substitution, à la ligne 3, de ce qui suit? D’accord, excellent. Merci.
La sénatrice Batters : Oui, c’est celui que nous cherchons.
[Français]
La présidente : Est-ce que vous avez d’autres questions, sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Non, madame la présidente.
[Traduction]
Le sénateur White : J’ai une petite question pour la sénatrice Batters. Vous soutenez essentiellement que toutes les procédures pourraient être menées par vidéoconférence, sauf les procès criminels?
La sénatrice Batters : La fin de votre question a été coupée. Ce que le gouvernement propose dans le projet de loi est de permettre le recours à la vidéoconférence pour différentes procédures pénales, alors que moi, je propose simplement...
Le sénateur White : D’exclure les procès.
La sénatrice Batters : Exactement.
Le sénateur White : Est-ce que votre amendement inclurait les procès non pénaux, comme ceux régis par les lois provinciales? Ces procès seraient-ils inclus ou exclus?
La sénatrice Batters : Mon amendement vise simplement la partie du projet de loi qui modifie la disposition du Code criminel qui prévoit que les accusés doivent être présents en personne tout au long du procès, tant dans les cas d’infractions punissables par procédure sommaire que dans les cas d’actes criminels, pour leur permettre de témoigner par vidéoconférence si le juge accède à leur demande, bien sûr.
Le sénateur White : Je comprends. Merci de ces précisions.
Le sénateur Wetston : Sénatrice Batters, je tiens à confirmer que la principale raison pour laquelle vous présentez cet amendement, c’est parce que vous êtes préoccupée par les conclusions sur la crédibilité, ce qui est valable pour tout procès criminel, mais tous les cas ne reposent pas sur la crédibilité. Je voulais vous demander pourquoi vous estimez que la crédibilité est l’élément principal qui justifie l’inclusion de toutes les procédures, sauf les procès, y compris les procès par procédure sommaire. Pouvez-vous me donner des précisions à ce sujet? Je pense que vous convenez que ce n’est pas toujours une question de crédibilité. Bien sûr, les contre-interrogatoires sont une partie importante de la procédure. Cela explique peut-être en partie pourquoi vous allez dans cette direction.
La sénatrice Batters : Tout d’abord, comme je l’ai expliqué lors de la dernière séance du comité, vendredi dernier, le projet de loi ne concerne pas seulement les procès par procédure sommaire : il concerne aussi les procès relatifs à des actes criminels. J’étais sous la fausse impression que le gouvernement avait limité la capacité à témoigner par vidéoconférence aux procès par procédure sommaire, mais non, la vidéoconférence pourrait aussi être permise pour les procès relatifs à des actes criminels.
J’ai commencé par la question de la crédibilité. Certes, ce n’est pas toujours le cas, mais dans la grande majorité des procès criminels, la crédibilité de l’accusé est assurément une question importante.
Toutefois, ce que j’ai présenté dans mon exposé d’aujourd’hui, c’est que les témoins très compétents que nous avons entendus nous ont fait réfléchir aux autres problèmes importants qui pourrait survenir et à d’autres raisons valables de procéder lentement avec ce genre de mesures au lieu de permettre rapidement leur mise en œuvre pour toute la gamme des procédures, notamment les procès, qui présentent différentes difficultés et, évidemment, plus de risques pour les accusés. Cela semble être une bonne raison pour permettre cette pratique seulement pour les autres types de procédures, mais pas encore pour les procès.
Le sénateur Wetston : Je vous remercie.
Le sénateur Cotter : Je pense comprendre vos préoccupations, et ce que j’appellerais leurs limites, si je peux me permettre. La disposition existante, avant votre amendement, garantit que, sauf dans le cas d’un accusé sous garde pour une infraction punissable par voie sommaire, le poursuivant, la défense et le juge ont le pouvoir discrétionnaire de ne pas accepter un procès par vidéoconférence. Si un juge considère que la crédibilité pourrait être un enjeu et qu’il est pertinent de tenir un procès en personne, le juge conserve le pouvoir discrétionnaire d’exiger un procès en personne. Il me semble que de ce point de vue — et je répète un peu ici le point du sénateur Wetston —, on supprimerait le pouvoir discrétionnaire du juge lorsqu’il considère pouvoir gérer le procès de manière adéquate et que la question de la crédibilité, s’il s’avère que c’est un enjeu, peut être bien examinée par vidéoconférence. Je m’inquiète des arguments qui sous-tendent le fait de retirer au juge le pouvoir d’utiliser ce mécanisme.
C’est une semi-question, sénatrice Batters. Permettez-moi simplement d’ajouter ceci : je serais plus favorable à l’idée de procéder lentement si nous n’avions pas eu l’expérience de la COVID, pendant laquelle, par nécessité, les tribunaux ont dû prendre des mesures énergiques pour trouver et utiliser des outils technologiques afin de continuer à administrer la justice. J’ai l’impression que nous avons beaucoup appris de cette expérience, et la magistrature et l’Association du Barreau canadien semblent être très favorables à cette idée. Il me semble que cette marque de confiance, combinée au maintien du pouvoir discrétionnaire des juges, en fait une mesure raisonnablement sûre à adopter à ce stade-ci. C’est une semi-question un peu décousue, mais je serais heureux d’avoir votre point de vue à ce sujet.
La sénatrice Batters : J’ai quelques points à soulever. Oui, nous pouvons encore utiliser la vidéoconférence pour mener une myriade de procédures. Les procès, à mon avis, seraient les instances où il pourrait potentiellement y avoir les conséquences les plus graves si cela n’a pas été vraiment... et également où la crédibilité est évaluée et où il y a le plus de risques relativement au constat de culpabilité, etc.
Je voudrais également faire quelques remarques. Dans la version actuelle de la loi, le procureur de la Couronne n’a pas à donner son consentement pour les infractions punissables par voie sommaire lorsque l’accusé est sous garde, des infractions généralement plus graves que pour les infractions punissables par voie sommaire lorsque l’accusé n’est pas sous garde, pas toujours, mais souvent. De plus, le représentant de l’Association du Barreau canadien qui a témoigné n’avait pas l’impression au départ, jusqu’à ce que je lui pose les questions et que je lui lise la disposition, que les procès étaient inclus. Dans tous les commentaires qu’il a faits à cet égard, il avait l’impression que c’était pour les plaidoyers et d’autres types de situations qui n’incluaient pas les procès, et ce, jusqu’à ce que je lui lise ces dispositions.
Le sénateur Dalphond : Je n’ai pas de question. Je vais expliquer pourquoi nous devrions rejeter cet amendement, donc à moins qu’il y ait encore des questions, je vais attendre.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’avais compris qu’on avait des objections et que certains témoins qu’on a entendus se disaient préoccupés par le fait qu’on passait d’un système qui a été mis en place dans l’urgence à un système que l’on souhaite rendre pérenne. On nous suggérait de faire des études pour estimer cela.
Est-ce que je comprends que ce que vous proposez comme amendement, sénatrice Batters, c’est de revenir en arrière par rapport à l’expérience que l’on mène depuis deux ans dans les procédures judiciaires pour ce qui est des procès, que ce soit par procédure sommaire ou par acte criminel?
En ce sens, j’essaie de comprendre pourquoi on ferait cela à ce moment-ci. Je comprends la question de la preuve testimoniale, mais j’ai de la difficulté à voir comment on pourrait justifier ce qui nous amènerait à faire cela aujourd’hui, plutôt que de s’organiser et de faire une étude sérieuse.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Ce serait le bon moment de faire les études.
Un témoin nous a dit, précisément, que nous devrions prendre le temps de faire plus d’études, etc., avant d’autoriser pleinement la vidéoconférence pour le témoignage des accusés lors des procès. Cela n’a pas été fait parce que les choses ont bougé très vite. L’élément principal de ce projet de loi est une réponse à la COVID, de sorte que son principal objectif à l’origine, et assurément la première fois qu’il a été présenté, était de composer avec la COVID.
Nous allons sortir, espérons-le, de cette période. Pendant la pandémie, les choses ont été faites d’une manière qui n’était pas idéale, parce que c’était une nécessité et une urgence.
Bien entendu, lorsqu’il semble possible de faire des avancées, lorsque ce type de technologie est avantageux, il vaut la peine d’aller de l’avant. C’est pourquoi je propose que seuls les procès n’en fassent pas partie. Je ne dirais certainement pas qu’il s’agit de revenir en arrière. Je veux simplement m’assurer que nous n’avançons pas à la vitesse grand V sans mener les études nécessaires et sans faire preuve de la diligence requise pour nous assurer que cela est fait de la façon la plus efficace possible pour toutes les personnes concernées : les victimes, les accusés et le système judiciaire en général.
Le sénateur Dalphond : Je vais prendre quelques minutes pour vous donner un portrait global de l’amendement proposé.
Ces deux dispositions, ce qui est proposé, concernent les procès par procédure sommaire et les actes criminels. Le résultat final de l’amendement, si nous l’adoptons, et comme l’a expliqué clairement la sénatrice Batters, fera en sorte que tout procès lors duquel des témoignages vont être présentés, devra se tenir en personne.
Est-ce exact, sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Ces deux dispositions ne concernent que l’accusé.
Le sénateur Dalphond : Donc le résultat final, si nous adoptons votre amendement, est que nous aurons un procès lorsqu’une personne est accusée d’un acte criminel et que des témoins seront appelés à témoigner. Le procès devra se tenir en public dans une salle d’audience, car une question de preuve serait en jeu.
La sénatrice Batters : Non. Dans ces deux dispositions, il est dit expressément : « Le tribunal peut permettre à l’accusé de comparaître par vidéoconférence à son procès pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. »
Dans la deuxième, on dit : « Avec le consentement du poursuivant et de l’accusé, le tribunal peut permettre à ce dernier de comparaître. » Il s’agit simplement de la possibilité pour l’accusé de témoigner de cette façon. Cela n’enlève pas la possibilité, telle qu’elle existe actuellement, d’avoir des témoins vulnérables qui peuvent témoigner par d’autres moyens.
Le sénateur Dalphond : Ma question concerne les témoins. Si votre amendement est adopté, l’accusé devra être présent dans la salle d’audience.
La sénatrice Batters : Oui, dans le cas d’un procès.
Le sénateur Dalphond : Il ne sera pas possible pour l’accusé d’avoir un procès par vidéo pour un acte criminel ou une infraction punissable par procédure sommaire.
La sénatrice Batters : L’accusé doit être présent. On ne dit rien à propos des autres témoins.
Le sénateur Dalphond : Non. Je pose seulement la question concernant l’accusé. L’accusé devra être présent dans la salle d’audience. C’est le but de votre amendement.
La sénatrice Batters : Dans le cas d’un procès, oui, c’est exact.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie. Nous allons en parler.
Dans le système actuel, vous vous souviendrez qu’en 2019, nous avons modifié le Code criminel — le projet de loi C-75 — pour ajouter une nouvelle partie, la partie XXII.01, qui est très courte, seulement quatre articles. Elle s’intitule « Présence à distance de certaines personnes ». C’est ce qui est à l’origine du régime de comparutions à distance dans certains cas.
L’une des dispositions que nous avons adoptées à l’époque prévoit qu’une personne peut comparaître par vidéo. Ce n’est pas aussi précis que dans le projet de loi actuel. Nous avons d’autres dispositions sur les comparutions par vidéo qui sont disséminées un peu partout dans la loi. L’objectif du projet de loi est de rassembler toutes ces dispositions dans cette partie du code afin d’avoir un régime presque complet pour les comparutions par audioconférence et par vidéoconférence.
Pendant la COVID, sur la base des dispositions générales qui se trouvent dans ces quatre articles, les juges ont interprété cela comme signifiant qu’ils avaient sans doute le droit de procéder par vidéoconférence pour les actes criminels et les procès par procédure sommaire, y compris lorsqu’il y avait des témoins.
Avant ce qui a été proposé aujourd’hui, il était possible d’avoir des procès par procédure sommaire par vidéo lorsque la preuve n’était pas présentée avec témoins. Ce qui nous est proposé, c’est de faire en sorte d’en étendre la portée pour inclure les procès par procédure sommaire où il y aura des témoignages. Il s’agit de refléter la pratique en vigueur pendant la COVID, car les juges de nombreuses provinces et territoires ont considéré que ces dispositions générales leur permettaient de recourir à la vidéo et d’avoir des comparutions s’il était approprié de le faire.
Nous allons donc revenir en arrière par rapport à ce que nous avons fait au cours des deux dernières années. C’est mon premier commentaire.
Mon deuxième commentaire concerne le fait que cela ne s’appliquera pas aux enquêtes préliminaires, pour lesquelles le code est également modifié pour permettre les enquêtes préliminaires par vidéo, si l’accusé y consent, y compris les dépositions des témoins. On aura donc des témoignages, et cela continuera à être possible par vidéo.
L’autre point est que cela ne s’appliquera pas lorsque l’accusé enregistre un plaidoyer, même si des témoins sont entendus. Cela ne s’appliquera pas à la détermination de la peine, même si des témoins sont entendus.
Ce que la sénatrice Batters cible, ce sont seulement deux dispositions, les procès par procédure sommaire et les procès pour les actes criminels. Il y a d’autres cas où il y aura des témoignages et où la vidéo sera utilisée, mais pas pour les procès.
Je me demande si c’est la voie à suivre. Je pense que cela portera à confusion.
Les témoins qui ont comparu devant le comité, surtout en provenance des régions éloignées et du Nord, et je me souviens fort bien du témoignage de l’avocat représentant l’Association du Barreau autochtone, n’ont pas manqué de nous dire que le recours à la vidéoconférence est une amélioration d’importance, surtout pour les procédures sommaires. Sans cela, on oblige des gens à parcourir 500 kilomètres pour se présenter devant un tribunal afin d’assister à la présentation de la preuve, alors qu’ils auraient très bien pu le faire à distance en demeurant dans leur région.
Il a donné cet exemple d’un chasseur ontarien accusé d’avoir chassé en dehors de la saison au Québec. Cet homme devrait faire un trajet de 200 kilomètres pour entendre la preuve — si cet amendement est adopté —, car il lui serait impossible de le faire par vidéoconférence.
J’estime que l’on irait à l’encontre des principes de l’accès à la justice et de la volonté de faciliter les choses à tous les intéressés. Il en va de même des infractions punissables par voie de mise en accusation. Non seulement ferions-nous un pas en arrière, mais nous ferions aussi obstacle à l’accès à la justice en exigeant la comparution de ceux qui choisissent de subir leur procès par vidéoconférence. Il ne faut pas oublier qu’une telle solution n’est pas envisageable sans le consentement de l’accusé, aussi bien pour les procédures sommaires que pour les infractions punissables par mise en accusation. Je vous remercie.
Le sénateur Campbell : Je ne pense pas que nous revenions en arrière. Au fait, je ne crois pas que nous ayons beaucoup progressé grâce à la pandémie et à notre capacité d’utiliser la plateforme Zoom.
Je ne voudrais surtout pas m’interposer entre un juge et un avocat, mais je peux vous dire que pour un non-initié comme moi, un procès ce n’est pas une mince affaire, surtout pour celui qui est accusé.
Le sénateur White : [Difficultés techniques].
Le sénateur Campbell : Nous devons prendre acte du sérieux de la situation. L’un des principes fondamentaux de la justice canadienne réside dans la possibilité de vous retrouver devant la personne qui vous accuse. Je ne sais pas si une telle confrontation a une incidence sur les considérations que l’on pourrait notamment associer à la crédibilité, mais il n’en demeure pas moins qu’elle revêt une importance capitale.
J’ai moi-même témoigné lors de nombreux procès, et je comprends bien ce concept.
Autre élément aussi important, j’estime que tous les Canadiens — et je sais qu’il n’y a rien d’acquis à ce chapitre — devraient avoir droit à un traitement équitable. Après cette démonstration à laquelle nous avons pu assister à partir d’un endroit où la connectivité offerte est sans doute jugée acceptable au Nunavut, comme le soulignait la sénatrice Batters, nous constatons que ce n’est tout simplement pas le cas. Et le problème ne se limite pas au Nunavut. Si vous vous rendez sur la côte ouest de la Colombie-Britannique ou à Vancouver, vous n’aurez pas à vous éloigner beaucoup pour éprouver des problèmes de connexion.
J’estime que tous les Canadiens devraient avoir le droit de comparaître en personne. On irait peut-être trop loin en faisant l’affirmation contraire. Je ne suis cependant pas persuadé que nous disposons d’ores et déjà de la technologie nous permettant de le faire sans difficulté ou sans problème.
On nous donne cet exemple du chasseur ontarien. Ce n’est pas ce dont il est question ici. Nous parlons de gens qui vivent dans des collectivités où l’on retrouve des juges et des avocats, et où on peut se rendre en avion au besoin. C’est peut-être l’ancienne façon de faire les choses, mais nous n’en sommes pas encore rendus au point où nous pouvons nous en passer, tout au moins pour le procès.
Par contre, pour les audiences sur le cautionnement, le prononcé de la peine et tout le reste, nous allons pouvoir perfectionner ces outils. Un de ces jours, la comparution à distance deviendra même possible, mais nous n’en sommes pas encore là.
Je ne crois pas que l’on puisse écarter la question de la crédibilité. Je pense qu’elle est primordiale dans tous les cas. Aussi bien pour l’accusé que pour les témoins et toutes les personnes concernées, il est impossible sans crédibilité d’avoir gain de cause ou d’être disculpé. À mes yeux, c’est vraiment crucial.
Je vais voter en faveur de cet amendement. Je ne crois pas que ce soit un pas en arrière. Je pense que l’on protège ainsi les Canadiens des aléas d’une technologie qui n’est pas encore suffisamment perfectionnée. Nous en sommes sans cesse témoins au Sénat. Je vais appuyer l’amendement.
Le sénateur White : Mes inquiétudes vont un peu dans le sens de celles du sénateur Campbell, mais s’en distinguent également du fait que je me préoccupe davantage du sort des victimes. J’ai travaillé près de 19 ans dans les trois territoires du Nord. Les gens de ces communautés se plaignent surtout de ne pas pouvoir comparaître lors d’un procès.
Même lorsqu’on tentait de tenir un procès dans un endroit comme Iqaluit, Cambridge Bay, Yellowknife ou Whitehorse, on se plaignait parce que les membres de la communauté ne pouvaient pas y assister. Il était souvent impossible pour les victimes de participer au procès, en particulier lorsqu’elles n’étaient pas considérées comme des témoins.
Je me préoccupe du sort des victimes et je me demande si l’on tient bien compte de leur situation dans ce processus. Je suis conscient qu’il faut également prendre en considération les intérêts de l’inculpé, mais je penche davantage du côté des victimes. J’estime qu’il faut apprendre à marcher avant de songer à courir. Je ne suis pas convaincu que nous avons pu démontrer au cours des deux dernières années que nous pouvions marcher sans difficulté.
Je suis en faveur de cet amendement. Merci.
Le sénateur Cotter : J’aurais trois ou quatre éléments à vous soumettre.
Cet amendement aurait pour effet d’exiger que l’accusé se présente au tribunal pour subir son procès. Cela ne répondrait pas vraiment aux préoccupations du sénateur Campbell, car la présence des accusateurs dans la salle d’audience ne serait pas requise. Ceux-ci ont la possibilité de témoigner par vidéoconférence, si c’est la façon de procéder que le juge estime la plus appropriée.
Si vous tenez tellement à ce que les inculpés puissent se retrouver en face de ceux qui les accusent, il faudrait proposer un amendement obligeant tout le monde à se présenter au tribunal. C’était donc mon premier élément.
Par ailleurs, si l’inculpé souhaite pouvoir être confronté à la personne qui l’accuse comme vous le proposez, il peut toujours insister pour être présent au procès. La loi le lui permet. J’ai l’impression que cela répond tout à fait à la préoccupation soulevée par le sénateur Campbell.
Poussons la réflexion un peu plus loin. Il a beaucoup été question de crédibilité. Permettez-moi de vous rappeler une chose concernant notre système de justice pénale. L’accusé n’est pas tenu de témoigner. Examinons un peu les stratégies employées par les avocats de la défense.
Pour la défense, il s’agit dans la plupart des cas d’obliger la Couronne à démontrer que les accusations sont fondées. Dans un nombre considérable de causes, l’accusé n’est donc pas appelé à témoigner, et ce, pour des raisons évidentes dont nous pourrions débattre sur d’autres tribunes. Pour établir la crédibilité, il s’agit généralement de se demander si la preuve est suffisamment probante pour justifier une condamnation.
Si vous considérez que la crédibilité est importante, vous devriez exiger que tous les témoins soient là en personne. Mais ce n’est pas ce que nous sommes en train de proposer. Nous disons plutôt que c’est l’accusé qui doit se présenter devant le tribunal, car nous désirons implicitement déterminer si nous pouvons faire confiance à cet individu qui, le plus souvent, ne va même pas témoigner. Il est plutôt étrange de vouloir ainsi jauger la crédibilité, alors que c’est en fait la qualité de la preuve produite par la poursuite qui est évaluée dans la plupart des causes.
Je peux vous parler en terminant de ma propre expérience, car j’ai été criminaliste au début de ma carrière. Je me suis spécialisé dans les observations au sujet de la peine, une autre façon de vous dire que la plupart de mes clients ont été reconnus coupables. La sénatrice Batters n’a donc peut-être pas tort de mettre en doute mes compétences d’avocat de la défense.
Mais voici où je veux en venir. Dans un très grand nombre de causes, c’est la détermination de la peine qui fait foi de tout. Bien des accusés plaident coupables. C’est au juge qu’il incombe alors de déterminer dans quelle mesure l’inculpé est crédible quant à son repentir, sa quête d’un pardon, ses excuses et tout le reste. Nous n’influons pas sur ces éléments avec ce qui est proposé ici. Nous sommes persuadés que tout va bien se dérouler, même par vidéoconférence, voire par audioconférence si la vidéoconférence n’est pas possible.
Si nous décidons que la comparution en personne est requise, nous allons mettre de côté une grande partie de ces éléments en prétextant qu’ils ne sont pas vraiment importants. Je crois que nous devons nous engager à fond en la matière. J’ai l’impression que les différents intervenants jugent suffisants les progrès réalisés au sein du système.
Grâce au rôle de régulation que peuvent jouer le juge, le procureur ou l’avocat de la défense en exigeant une comparution en personne, nous semblons être à l’abri des risques que certains ont évoqués.
Je vais m’opposer à cet amendement, même si je sais qu’il a été proposé en toute bonne foi. J’estime toutefois que nous avons suffisamment progressé pour pouvoir aller de l’avant avec le projet de loi dans sa forme actuelle.
La sénatrice Batters : J’aimerais réagir rapidement à quelques-uns des arguments que nous venons d’entendre. Je ne suis pas certaine d’être d’accord avec le sénateur Cotter lorsqu’il affirme que la plupart des inculpés ne sont pas appelés à témoigner. C’est ce qui arrive parfois, mais pas nécessairement dans la majorité des cas. Il est toutefois bien certain que la Couronne doit toujours démontrer que sa preuve est fondée. C’est absolument essentiel.
Mais l’approche que je propose est basée sur la prudence. C’est en quelque sorte une solution de compromis. Je pense qu’il y a effectivement des situations dans lesquelles, et tout le monde l’a fait valoir, il est possible pour le juge au moment de la détermination de la peine — comme vient de nous l’indiquer le sénateur Cotter — d’exiger que l’inculpé comparaisse en personne, plutôt que par vidéoconférence. Rien dans ce projet de loi n’empêche cela d’aucune manière. Il n’en demeure pas moins que le procès est l’étape vraiment cruciale où les principaux enjeux connaissent leur dénouement.
Je veux revenir à l’intervention du sénateur Dalphond concernant un témoin qui s’est prononcé en faveur d’une telle mesure, question de faciliter grandement l’accès à la justice. Le témoin en question était Me Bartleman de l’Association du Barreau autochtone.
Je lui ai posé une question au sujet de la situation dans le Nord de la Saskatchewan, une région où vivent de nombreux Autochtones et qui est bien sûr aux prises avec de graves problèmes du point de vue technologique. Il a convenu qu’il y avait des lacunes majeures sur ce plan. Il a indiqué que, dans un sens, l’Association du Barreau autochtone se réjouissait que le projet de loi favorise un meilleur accès à la justice au moyen de la vidéoconférence.
Il a cependant dit craindre par ailleurs que ces efforts tombent à l’eau si les engagements pris dans le projet de loi ne sont pas assortis d’investissements conséquents dans la technologie, et ce, non seulement pour combler les lacunes quant à la connectivité Internet — comme d’autres sénateurs l’ont souligné —, ce qui pourrait prendre un certain temps, mais aussi pour la formation notamment quant à la façon d’utiliser cette technologie pour en arriver à un point où cela ne pose plus de difficultés véritables. Il a dit que, sans cela, le projet de loi ne sera pas aussi efficace qu’il pourrait l’être. Il s’agit là d’une mise en garde importante dont nous avons certes pris bonne note.
Je tiens par ailleurs à souligner que la plateforme Zoom nous a causé des difficultés non seulement avec ce témoin du Nunavut lors d’une séance du comité, mais aussi au Sénat lui-même. Nous avons vu des sénateurs participant depuis Montréal et Toronto connaître de sérieux problèmes avec Zoom. Nul besoin donc de s’en remettre aux exemples des petites localités rurales ou des communautés du Nord. Nous avons été témoins de problèmes majeurs dans les plus grandes villes canadiennes.
Je crois que nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour mettre au point la technologie dont nous avons besoin. Je veux bien croire que le gouvernement s’est engagé à apporter des améliorations technologiques et à étendre l’accès au service Internet à large bande à la grandeur du pays, mais rien de tout cela ne s’est encore concrétisé.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai écouté attentivement ce qu’ont dit les sénateurs Dalphond, Campbell et White.
Quelque chose m’interpelle à ce sujet. Lorsqu’un juge est venu témoigner, je lui ai demandé s’il existait des études sur la gestion des procès par vidéoconférence, et il ne semblait pas y en avoir; des directives ont été émises, mais aucune étude n’a été faite.
Le sénateur Dalphond dit qu’il y a une possibilité pour les juges, depuis l’adoption du projet de loi C-75, de faire des procès ou des comparutions par vidéoconférence. Je crois que c’est exact, mais existe-t-il des études pour démontrer qu’il n’y a pas eu de faille à cet égard? Au fond, ce que la sénatrice Batters nous propose, c’est d’adopter une approche plus prudente. Je suis inquiet parce que, au cours des deux dernières années durant lesquelles il était possible d’effectuer de telles comparutions, on n’a pas fait d’étude à ce sujet.
La sénatrice Dupuis : L’amendement proposé nous demande de revenir au système en personne pour l’étape du procès; on veut retirer la partie du procès du système actuel, qui a été mis en place en raison de la pandémie de COVID-19.
On semble tenir pour acquis que le système en personne fonctionne très bien. Ce n’est absolument pas le cas, ni dans les régions rurales, ni dans les communautés éloignées, ni dans les communautés autochtones. En tout cas, je peux vous dire que c’est le cas pour le Québec.
Si le système en personne fonctionnait si bien, que nous en étions tous convaincus et que des études le démontraient, ce serait une chose. Or, les études prouvent le contraire; cela ne fonctionne pas bien.
On veut maintenant éliminer une partie du système actuel, qui prévoit le recours à la vidéoconférence — le sénateur Dalphond y a fait référence —, qu’on avait proposée en 2018-2019, et ce, même si on n’a pas du tout fait d’études sur les effets du retrait de la possibilité de tenir un procès par vidéoconférence.
On fait des reproches en raison de l’absence d’études et c’est exactement ce qu’on nous demande de faire : retirer une partie du système actuel sans qu’on ait eu l’occasion d’étudier les impacts de ce retrait.
Je termine en disant que nous avons appris, depuis 40 ans, à partir de la jurisprudence sur les droits de la personne, que l’égalité réelle entre les gens ne veut pas dire que tous doivent bénéficier du même traitement, de la même manière, et que nous devons tous être traités de la même manière.
L’égalité réelle peut vouloir dire, dans certains cas, que le procès se tient en vidéoconférence ou se tient en personne. En ce sens, on ne peut pas dire que vous serez traité équitablement parce que vous assistez au procès en personne, mais que vous serez traité inéquitablement si vous y assistez par vidéoconférence; ce n’est pas ce que la jurisprudence nous a enseigné.
Je ne suis donc pas en mesure d’appuyer cet amendement.
Le sénateur Dalphond : J’enchaîne sur ce que la sénatrice Dupuis vient de dire; l’article 715.23 actuel du Code criminel autorise la comparution par audioconférence ou vidéoconférence lorsque le tribunal l’ordonne. C’est cette disposition qui a fait l’objet d’une utilisation plus créative pendant la période de la pandémie et qu’on propose de remplacer par des dispositions codifiées, précisant que cela pourrait se faire uniquement avec l’autorisation de l’accusé, et de la Couronne dans la plupart des cas.
Deuxièmement, il faut se rendre compte de ce qu’est un procès sommaire. Ce n’est pas nécessairement une grosse affaire qui durera deux heures; ça durera peut-être 15 minutes devant un juge. C’est une preuve documentaire qui sera faite; un témoin viendra peut-être déposer des documents, mais il ne sera même pas interrogé longuement sur le contenu de ces documents. Maintenant, on veut imposer aux accusés, dans tous ces cas, d’être présents au palais de justice le plus près de chez eux. Ce qui va se passer, c’est que lorsque le fardeau que l’on veut imposer aux accusés sera trop lourd, ils vont tout simplement plaider coupables sans se présenter, parce qu’ils peuvent encore plaider coupables sans être à la cour.
L’article sur les plaidoiries par vidéoconférence est encore valide; la sénatrice Batters ne propose pas de l’amender. On en arrivera donc au résultat suivant : on va forcer des gens qui ne veulent pas perdre une journée ou deux de travail pour aller quelque part ou qui ont des contraintes physiques, ainsi de suite, à plaider coupable.
Il me semble que la logique veut que l’on rejette l’amendement. Je comprends l’intention et la raison pour laquelle on se pose la question, mais le train est parti, comme disait le sénateur Wetston, il y a déjà un certain temps. Ce qui est proposé ici, ce n’est pas de rendre tous les procès virtuels; il n’y a pas d’inquiétude à ce sujet, car le principe général se trouve encore à l’article 715.21 du Code criminel :
Sauf disposition contraire de la présente loi, quiconque comparaît ou participe à une procédure, ou la préside, le fait en personne.
Le principe continue de privilégier le procès en personne, avec des exceptions possibles accordées avec l’autorisation de l’accusé. Je pense qu’on a là un système qui représente le meilleur des deux mondes.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Je souscris à la volonté qui anime cette proposition. Je me demande si d’autres amendements à venir ne pourraient pas mieux garantir ces protections procédurales qui semblent être au cœur de ce que vous proposez. En effet, je crains moi aussi — une préoccupation clairement ressortie de certains témoignages que nous avons pu entendre — que ces changements soient d’abord et avant tout apportés pour faciliter l’administration de la justice du point de vue de l’État sans mettre nécessairement l’accent sur la protection de l’accusé et des autres parties prenantes.
Je sais que cela sort sans doute du cadre de cet amendement-ci, mais nous pourrons peut-être discuter de ces enjeux en intervenant au sujet de certaines propositions à venir si l’interprétation que j’en fais est la bonne.
La présidente : Maître Morency, vous vouliez dire quelque chose?
Me Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada : Je suis désolée, madame la présidente, mais je n’ai pas pu bien entendre la plus grande partie de l’intervention de la sénatrice Pate. Si cela vous convient, je pourrais demander à ma collègue, Me Davis-Ermuth, de vous donner un aperçu de ce que prévoit la loi en vigueur. Je pense que cela pourrait aider à clarifier les choses relativement à la position de départ que l’on cherche à maintenir avec le projet de loi S-4, comme le faisait valoir le sénateur Dalphond.
Me Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil et cheffe d’équipe, ministère de la Justice du Canada : Merci. Comme Me Morency vient de vous l’indiquer, le sénateur Dalphond a évoqué les dispositions en question. J’aimerais pour ma part vous entretenir des quelques répercussions que pourrait avoir l’adoption de cet amendement d’un point de vue strictement technique.
Ainsi, la motion aurait pour effet de supprimer les dispositions concernant les procès qui seraient modifiées et déplacées dans la nouvelle partie traitant des comparutions à distance. Il y a un article à ce sujet qui a déjà été adopté. Il s’agit de l’article 38 qui abrogerait en partie le paragraphe 650(1.1).
Dans sa forme actuelle, ce paragraphe autorise expressément l’accusé à comparaître à distance lors d’un procès, sauf durant la présentation de la preuve. Comme l’article correspondant a été adopté, cette disposition ne figurera plus dans le projet de loi à moins d’une décision dans le sens contraire. On pourrait donc considérer que l’on fait un pas en arrière à ce chapitre, car cette disposition est en vigueur depuis 1994.
Comme la motion supprimerait les changements prévus dans le projet de loi S-4 concernant les procès, aussi bien par voie sommaire que par mise en accusation, les tribunaux ne seraient plus autorisés à permettre à des accusés de comparaître de cette manière comme c’est le cas actuellement.
On peut se tourner maintenant vers un article du projet de loi qui n’a pas encore été mis aux voix, soit l’article 51 qui vise à modifier le paragraphe 800(2.1) du Code criminel. Cette disposition permet actuellement à un accusé qui est incarcéré de comparaître à distance pour certaines portions de son procès. Cela doit se faire avec le consentement du défendeur et l’autorisation du tribunal. Dans sa forme actuelle, cette disposition n’exige pas le consentement de la poursuite.
C’est la raison pour laquelle on établit dans l’article 715.232 proposé la distinction entre a) les cas où l’accusé n’est pas sous garde et le consentement de la poursuite est requis, et b) ceux où il est sous garde et ce consentement n’est pas exigé. Cela s’explique du fait que c’est ce que prévoit le Code criminel depuis 1997. Le projet de loi ne propose aucun changement à cet égard, car les procureurs n’ont fait état d’aucune préoccupation quant à l’impossibilité pour eux de donner leur consentement dans certains cas particuliers.
Comme je l’indiquais, il faut notamment considérer le fait que cette motion aurait pour effet d’abroger certaines autorisations expresses actuellement prévues dans le Code criminel pour la tenue de procès lorsque certains témoignages ne sont pas entendus ainsi que, comme le soulignait également le sénateur Dalphond, dans le contexte de la pandémie.
Deux considérations entraient en jeu pendant la pandémie. Les conditions associées à la pandémie elle-même nous ont amenés à bien examiner les dispositions du Code criminel autorisant la comparution à distance pour différentes procédures judiciaires et à différentes fins. Par la suite, les modifications apportées dans le cadre du projet de loi C-75 ont élargi les possibilités de comparaître à distance.
Jusqu’à maintenant, de nombreux tribunaux ont jugé être habilités en vertu des dispositions actuelles du Code criminel à tenir des procès entiers avec comparution à distance des accusés. Ils peuvent notamment pour ce faire invoquer l’alinéa 650(2)b) du Code criminel qui permet à l’accusé de s’absenter du tribunal pendant une partie de son procès dans certaines circonstances. Ils peuvent également le faire en vertu de l’article 715.23 du Code criminel, qui a été promulgué au moyen du projet de loi C-75 en 2019, en combinant parfois ces deux dispositions, mais pas nécessairement.
Si je peux me permettre cette observation, comme un grand nombre de ces procès sont déjà entendus, le comité pourrait considérer que le projet de loi S-4, en proposant l’ajout de ces deux dispositions dans la partie du code qui traite des comparutions à distance, présente l’avantage d’enchâsser cette pratique dans la loi. Il fournit ainsi une procédure claire, le tout dans le contexte des autres mesures de protection prévues dans cette partie qui traitent de choses comme l’accès à un avocat et indique de manière limpide le genre de facteurs que le tribunal devrait considérer.
Cela ne signifie pas que les tribunaux ne considèrent pas ces facteurs et qu’ils ne savent pas de quoi ils doivent tenir compte. Ils considèrent déjà de nombreux principes de justice et ils doivent le faire en exerçant leur discrétion. Cependant, les facteurs proposés dans l’article 715.23 proposé du Code criminel s’appliqueraient certainement lorsque les tribunaux prennent leurs décisions, et certaines des autres dispositions du Code criminel dont j’ai parlé ne fournissent pas expressément ce genre d’orientation aux tribunaux en ce qui concerne les facteurs à considérer quand ils prennent ce genre de décision. Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie. Sénateurs, souhaitez-vous adopter la motion d’amendement?
La sénatrice Batters : Tout d’abord, en ce qui concerne ce que la fonctionnaire du ministère de la Justice disait à l’instant, elle a affirmé qu’il est exact que le procureur de la Couronne est apparemment autorisé à accorder son consentement dans le cas d’une procédure sommaire et quand l’accusé est incarcéré. Mais si c’est vrai, alors même l’Association du Barreau canadien s’y perd, car elle a indiqué dans son mémoire qu’elle considère que cette modification devait être apportée pour que le procureur de la Couronne puisse accorder son consentement quand l’accusé est incarcéré dans le cas d’une procédure sommaire. Je voulais simplement le faire remarquer.
En outre, c’est exactement la raison pour laquelle la sénatrice Dupuis, dans ses observations récentes, a indiqué que le système de comparution en personne actuel ne fonctionne pas parfaitement et qu’il pourrait être amélioré à maints égards. Voilà pourquoi je propose ce genre d’approche prudente, qui permet la tenue de vidéoconférences pour un éventail de procédures pénales, comme des plaidoyers, la détermination de la peine et les enquêtes préliminaires. Je pense simplement que l’élargissement de cette mesure aux procès va un peu trop loin actuellement.
De plus, le sénateur Carignan m’a fort justement rappelé que le Barreau du Québec, composé de personnes qui travaillent quotidiennement sur le terrain dans le système de justice, s’oppose à ce que l’accusé comparaisse par vidéoconférence lors du procès. Je vous remercie.
La présidente : Plaît-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion d’amendement?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Non.
[Traduction]
La présidente : Nous allons procéder à un vote par appel nominal.
M. Palmer : Le vote porte sur la motion d’amendement. La motion est-elle adoptée?
L’honorable sénatrice Jaffer?
La sénatrice Jaffer : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Campbell?
Le sénateur Campbell : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Clement?
La sénatrice Clement : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Cotter?
Le sénateur Cotter : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Harder?
Le sénateur Harder : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Pate?
La sénatrice Pate : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Wetston?
Le sénateur Wetston : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur White?
Le sénateur White : Oui.
M. Palmer : Il y a 4 oui contre 8 non.
La présidente : Honorables sénateurs, la motion est rejetée.
Honorables sénateurs, je vais devoir demander au greffier ce qu’il convient maintenant de faire, car il y a des amendements pour la même disposition. Lisez le prochain amendement, sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Je pense que je commencerai par lire le numéro du prochain amendement pour que tout le monde soit au bon endroit. Il s’agit de l’amendement DB-S4-46-20-19.
Je le lirai, puis je demanderai au sénateur Carignan, qui l’a préparé...
La présidente : Juste pour éclaircir les choses pour tout le monde, la sénatrice Batters propose la motion parce qu’elle est membre du comité, mais c’est le sénateur Carignan qui l’expliquera.
La sénatrice Batters : Je vous remercie. Il est le porte-parole chargé d’analyser ce projet de loi. Cette motion concerne l’article 46, qui figure à la page 20 :
Que le projet de loi S-4 soit modifié à l’article 46, à la page 20 : a) par substitution, à la ligne 20, de ce qui suit :
715.23 (1) Avant de rendre une décision permettant ou exi—; b) par substitution, à la ligne 33, de ce qui suit : e) la nature et la gravité de l’infraction; f) la disponibilité de la technologie pour assurer une connexion stable permettant la présentation des pièces et la pleine participation aux procédures; g) l’accessibilité des procédures par le public; h) la sécurité des procédures et des participants à celles-ci; i) la possibilité d’établir les conditions permettant au tribunal et aux parties d’évaluer la crédibilité des témoins. (2) Le tribunal qui permet ou exige que l’accusé ou le contrevenant comparaisse par audioconférence ou vidéoconférence peut établir toutes les conditions appropriées dans les circonstances en lien avec cette comparution.
[Français]
Le sénateur Carignan : Avant de poursuivre avec cet amendement, j’avais un autre amendement. Peut-être que dans l’ordre logique ce serait l’autre amendement, soit celui visant à faire un ajout à l’article 715.223, qui vise à donner la possibilité de renoncer au consentement.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Le sénateur Carignan disait qu’il est plus logique de commencer avec un autre. Je suis désolée que vous ayez eu à m’écouter lire ce long amendement. Celui-ci est plus court et porte le numéro DB-S4-46-20-17 :
Que le projet de loi S-4 soit modifié à l’article 46, à la page 20, par adjonction, après la ligne 18, de ce qui suit :
« 715.223 (1) Si une disposition de la présente partie exige le consentement du poursuivant, de l’accusé ou du délinquant, ce consentement peut être révoqué à tout moment.
(2) La révocation du consentement au titre du paragraphe (1) ne porte pas atteinte à la validité des procédures engagées avant la révocation. ».
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci, sénatrice Batters, de présenter cet amendement. En 12 ans, c’est la première fois que je ne peux pas proposer un amendement comme membre du comité.
Lorsque j’ai écouté les témoins et lu les transcriptions, je me suis beaucoup interrogé sur la nature du consentement libre et éclairé. Pour avoir parlé à des avocats en pratique et pour avoir pratiqué moi-même, parfois les gens qui participent à un procès sont surpris du fonctionnement des procédures. Alors, ils peuvent donner un consentement, mais j’ai souvent entendu des gens dire : « Avoir su, je ne suis pas certain que... », « Avoir su, j’aurais probablement... ». Lorsque cela se produit dans le processus d’un procès au criminel, il est peut-être trop tard pour dire : « Avoir su, je n’aurais pas procédé... », « Avoir su que les moyens techniques n’étaient pas en place, que cela aurait causé des problèmes de crédibilité... ». Même si une personne est conseillée par un avocat — dans certains cas, il n’y a même pas d’avocat —, en voyant comment se passent les procédures, les gens réalisent que cela pourrait les affecter ou qu’il pourrait y avoir de plus grandes répercussions qu’ils ne l’imaginaient.
Pour ce qui est des problèmes pratiques qui ont été soulevés par le Barreau du Québec, notamment par Me Marchand lors de son témoignage devant le comité, je pense qu’il est important d’avoir une disposition spécifique qui permet de révoquer le consentement. Cela évite d’entrer dans la notion de consentement libre et éclairé. Tout simplement, l’accusé ou le poursuivant réalise qu’il y a des problèmes, qu’il n’est pas à l’aise avec le processus, puis il décide de renoncer à son consentement. Alors, tout le processus se poursuit en personne et il n’y a pas d’annulation de ce qui a été fait auparavant.
Je pense que c’est une façon adéquate de résoudre le problème. Peut-être qu’on va me dire que le juge peut mettre fin au processus. Le juge peut mettre fin au processus, mais il n’est pas tenu de le faire. L’évaluation du juge ne sera peut-être pas celle que l’accusé voudra bien en faire. Dans le cadre d’un procès juste et équitable, il me semble que le poursuivant et l’accusé doivent avoir la possibilité de révoquer leur consentement.
[Traduction]
La présidente : Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite intervenir?
Le sénateur Dalphond : Je comprends l’esprit et l’intention sous-jacents comme le sénateur Carignan les a expliqués, mais je juge que cet amendement est superflu et pourrait en fait avoir de curieux effets.
Il est proposé d’ajouter des dispositions supplémentaires aux dispositions générales. Or, le projet de loi contient déjà, à la page 20, une nouvelle disposition intitulée Cessation. Il s’agit de l’article 715.222, qui stipule ce qui suit :
S’il permet ou exige la comparution ou la participation d’une personne par audioconférence ou vidéoconférence au titre de la présente partie, le tribunal peut, en tout temps, mettre fin à l’utilisation du moyen en cause et prendre toute mesure qu’il estime indiquée dans les circonstances en vue de la comparution ou de la participation de la personne.
Cette disposition s’appliquera donc à l’accusé et à toute personne, qu’il s’agisse d’un témoin ou même d’une tierce partie qui participe au procès.
La question est laissée à la discrétion du tribunal. Selon ce qui a été expliqué, si un accusé ou le procureur change d’avis, c’est automatique. Je pense qu’il vaut mieux laisser le tribunal s’occuper de la question, particulièrement quand un procès tire à sa fin après trois jours et qu’il est temps de présenter les arguments, et qu’une partie déclare qu’elle ne veut plus participer par vidéoconférence, faisant valoir qu’il serait bon d’ajourner le procès et de revenir au palais de justice dans deux semaines ou dans deux mois. Je préférerais qu’on laisse la décision au tribunal ou au juge plutôt que d’accorder un droit absolu à une partie, y compris la Couronne, qui pourrait décider qu’elle veut que l’accusé soit maintenant présent en cour parce qu’elle veut l’obliger à se rendre au tribunal pour un motif quelconque.
Je comprends le concept, mais cette mesure est déjà intégrée dans le système. Je conclurai en disant qu’il faut se rappeler qu’avant les principes généraux, il y a une disposition intitulée « Principes », où l’on trouve le principe voulant que tout se fasse en personne à moins d’autorisation contraire. Ainsi, si l’accusé déclare qu’il ne veut plus comparaître par vidéoconférence et qu’il souhaite être présent en cour, le principe s’applique et le juge devra agir en conséquence.
Je pense que je préfère laisser la question à la discrétion du tribunal plutôt que d’accorder un droit absolu à la Couronne ou à l’accusé.
La sénatrice Batters : J’appuie cet amendement. Je pense qu’il s’agit d’une mesure judicieuse qui fait en sorte que nous procédons de manière plus prudente. Et je pense à ce que le sénateur Dalphond a dit. Oui, ce serait le tribunal qui déciderait s’il met fin aux comparutions à distance. C’est donc le juge — et non l’accusé, dont nous sommes censés nous préoccuper le plus — qui déciderait, y compris si la situation technologique est très mauvaise, mais que le tribunal décide qu’il n’approuve pas la demande et qu’on ne s’arrêtera pas là parce que les procédures sont très avancées. Il pourrait y avoir une multitude de raisons. Ce n’est pas le procureur de la Couronne, qui peut accorder son consentement en certaines situations, mais le tribunal qui tranche. Dans la plupart des cas, tout pourrait bien aller, mais je peux certainement prévoir des situations où ce ne serait peut-être pas le cas. Je pense donc que c’est un bon filet de sécurité.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’ai une question pour le sénateur Carignan.
Comment peut-on réconcilier l’article 715.222 du projet de loi S-4, qui assure une discrétion au tribunal pour mettre fin à l’utilisation du moyen en cause et prendre toute mesure qu’il estime indiquée dans les circonstances, avec votre deuxième paragraphe? Dans cet amendement, vous ajoutez : « La révocation du consentement du paragraphe 1 ne porte pas atteinte à la validité des procédures engagées avant la révocation. »
Comment réconciliez-vous cet ajout que vous faites au paragraphe 2 avec la discrétion qui est déjà accordée au tribunal de juger de l’effet et de l’impact qu’aura, par exemple, la cessation de la vidéoconférence?
Le sénateur Carignan : C’est un élément essentiel dont le juge doit tenir compte par rapport à l’effet. La question du consentement est un ingrédient essentiel qui ne doit pas être laissé à la discrétion du juge. Je ne sais pas si je réponds à votre question.
Au paragraphe 2, on dit que la révocation du consentement ne porte pas atteinte à la validité des procédures engagées avant la révocation. Ici, on veut éviter l’effet dont parlait le sénateur Dalphond. En d’autres mots, cela n’annulera pas la partie du procès qui a été engagée jusqu’à maintenant et ne remettra pas l’ensemble du procès en cause. On ne pourra pas utiliser cette disposition pour créer des délais et tenter de reprendre le processus à zéro ni pour invoquer l’arrêt Jordan pour expliquer des délais. Ces délais ne seraient pas attribuables à la justice, ni à l’administration de la justice, ni au poursuivant, mais plutôt à la décision de l’accusé. C’est un peu l’idée qui se trouve derrière cette notion au paragraphe 2.
Vous voyez peut-être deux écoles de pensée : celle du sénateur Dalphond, qui a été juge et qui fait confiance au juge et au jugement de ses collègues ou anciens collègues, et celle du praticien, qui est davantage la mienne, où je vais m’assurer de savoir ce qui est bon pour moi. Cela ne dépendra que de moi. De toute façon, je serai celui qui subira les conséquences de mes décisions. Ce sont deux visions complètement différentes. Mon amendement vise à s’assurer que le consentement est libre et éclairé. Dans le cas d’imprévus qui affectent l’accusé ou le poursuivant dans la façon de mener le procès, on s’assure que le consentement peut être révoqué. Le juge est alors lié par la décision de la Couronne ou de la défense de renoncer au consentement.
La sénatrice Dupuis : Sénateur Carignan, dans le cas où le poursuivant aurait donné son consentement, que se passe-t-il sur le plan de l’application du paragraphe 2? Quand on dit que cela ne porte pas atteinte à la validité des procédures engagées avant la révocation, que se passerait-il si le poursuivant avait consenti et qu’il retirait son consentement?
Le sénateur Carignan : L’idée est de ne pas recommencer à neuf. Disons que le poursuivant décide de renoncer à son consentement parce qu’il a eu des discussions avec la victime. La preuve est en cours, plusieurs témoins ont été entendus et on craint pour la crédibilité du procès, on craint l’impact que cela peut avoir, par exemple, sur les victimes, et on décide de poursuivre le procès en personne plutôt que par visioconférence. Cela n’a pas pour effet d’annuler les témoignages. Ce qui a été fait n’est pas effacé.
La sénatrice Dupuis : On vient de recevoir le texte, alors je réfléchis avec vous.
Le sénateur Carignan : Je comprends et je tente de vous l’expliquer.
La sénatrice Dupuis : Votre réponse m’éclaire. D’après la façon dont on l’exprime au premier paragraphe, si une disposition de la présente partie exige le consentement du poursuivant, est-ce qu’il y a une disposition de la présente partie qui exige le consentement?
Le sénateur Carignan : Il y a certaines dispositions, oui.
La sénatrice Dupuis : Certaines dispositions prévoient la possibilité de comparaître par vidéoconférence. On dit qu’il faut que ce soit avec le consentement de la personne.
Le sénateur Carignan : Donc, cela exige un consentement.
La sénatrice Dupuis : Cela prévoit la possibilité qu’un accusé y consente.
Le sénateur Carignan : Exact.
La sénatrice Dupuis : Mais cela n’exige pas son consentement. C’est peut-être un problème de rédaction.
Le sénateur Carignan : D’après la formulation du projet de loi — et le sénateur Dalphond ou les fonctionnaires pourront nous éclairer —, je comprends que le consentement est exigé. C’est une condition essentielle. Sans le consentement, il ne peut pas y avoir de vidéoconférence.
La sénatrice Dupuis : C’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir de vidéoconférence si l’accusé n’est pas d’accord.
Le sénateur Carignan : Ou le poursuivant.
La sénatrice Dupuis : Dans certains cas, le poursuivant aussi. D’accord. Cela répond à mes questions. Merci.
[Traduction]
Le sénateur White : Je vous remercie beaucoup de vos explications, sénateur Carignan. Je veux m’assurer de bien comprendre. Si un procès est commencé depuis trois jours, selon votre amendement, si l’accusé décide qu’il veut continuer le procès en personne, alors ces trois jours ne sont pas perdus. Le procès se poursuivrait comme d’habitude, sauf que ce serait en personne? Est-ce ce que vous dites? Le travail accompli jusque là ne sera pas perdu?
Le sénateur Carignan : Oui.
Le sénateur White : C’est une bonne réponse succincte.
Pour la deuxième partie, je vous mettrai un peu plus à l’épreuve. De façon réaliste, il est question ici des droits de l’accusé de prendre des décisions et de changer d’avis, comme c’est souvent le cas lors de procès, lorsqu’il décide de plaider coupable au lieu de non coupable ou d’opter pour une des autres solutions qui s’offrent maintenant à lui. Il nous semble que c’est une nouvelle stratégie. Je pense que bien des gens ne comprendront pas entièrement dans quoi ils s’engagent. Ils pourraient se retrouver dans la salle de vidéoconférence d’une prison, sans leur avocat, qui serait également à l’écran et avec lequel ils ne pourraient pas discuter en particulier, et au cours du procès, ils pourraient dire qu’ils n’ont pas l’impression d’avoir un procès aussi juste et aussi complet que ce à quoi ils s’attendraient d’un procès en personne, et ils changeraient d’avis. C’est vraiment ce que vous proposez essentiellement ici pour améliorer les droits de l’accusé?
Le sénateur Carignan : Oui.
Le sénateur White : J’appuie votre amendement. Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : Je pense qu’il importe de comprendre ces nouvelles dispositions. Il existe d’anciennes dispositions applicables actuellement qui, dans certains cas, peuvent même forcer le recours aux vidéoconférences, mais ce n’est pas ce dont nous parlons ici. Il est question d’un nouveau régime qui autorise l’accusé à demander de comparaître par vidéoconférence. Si l’accusé est incarcéré, son seul consentement est requis et le juge doit approuver la comparution à distance et en déterminer les conditions. Il doit donc tenir compte d’une multitude de facteurs.
Dans d’autres cas, toutefois, à moins que l’accusé soit incarcéré, la Couronne doit également acquiescer à la demande de l’accusé. Si elle refuse d’accorder son consentement, la motion ne peut être présentée au juge pour qu’il l’autorise. La Couronne peut donc empêcher la tenue de vidéoconférences, le résultat étant qu’elle fera clairement comprendre que l’accusé doit se présenter en personne en cour au lieu de comparaître à distance. C’est le principe. C’est toujours l’accusé qui est au cœur du processus.
Ici, avec cet amendement, la Couronne pourrait décider qu’elle révoque son consentement et que l’accusé perd ce qui lui a été accordé initialement, même s’il ou elle voudrait continuer de comparaître par vidéoconférence. Je pense que cela va à l’encontre de l’esprit de ce que nous tentons d’accomplir ici.
Je vous rappelle que le grand principe qui nous guide, c’est toujours l’article 715.21, qui stipule que l’accusé comparaît en personne. La comparution à distance constitue une exception qu’il faut demander et qui exige le consentement de la Couronne dans la plupart des cas. Il faut procéder avec l’autorisation du tribunal et sous certaines conditions.
Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Carignan : Évidemment, si vous proposez un sous-amendement pour retirer la question du poursuivant, je ne m’y opposerai pas. Je tiens pour acquis que ceux pour qui il serait plus difficile d’obtenir un consentement libre et éclairé, ce sont l’accusé et le délinquant.
Je suppose que le consentement du poursuivant est normalement assez libre et éclairé, et il devrait connaître les éléments. Cependant, je ne peux pas exclure qu’il puisse y avoir des situations difficiles à prévoir. En effet, comme vous avez pu le lire dans le témoignage de Me Marchand, du Barreau du Québec, qui est sur le terrain, toutes sortes de situations imprévues peuvent se produire, comme des problèmes techniques ou des problèmes de logistique.
Je ne peux pas exclure que le procureur de la Couronne ne vive pas ce genre de problèmes qui pourraient peut-être, selon lui, affecter le procès. L’esprit de mon amendement est surtout de prévoir le consentement libre et éclairé de l’accusé ou du délinquant. On inclut le poursuivant parce que cela peut se produire également, quoique beaucoup plus rarement.
Sénateur Dalphond, si vous proposez un sous-amendement pour retirer la question pour le poursuivant, je ne m’y opposerai pas, mais je pense que cela peut se produire des deux côtés.
Le sénateur Dalphond : Je ne propose pas d’amendement. Je comprends qu’on est obligé de rédiger à la hâte et qu’on n’a pas le temps d’examiner chaque aspect des articles. Ce que je vous dis, c’est que cet article ne s’inscrit pas dans la logique législative proposée.
Le sénateur Carignan : C’est le problème en première [Difficultés techniques] en S, plutôt que dans une deuxième Chambre de réflexion.
[Traduction]
Le sénateur Cotter : Cet amendement me convient. J’aime particulièrement le principe proposé et la description que le sénateur Carignan en a faite, indiquant que cet amendement vise principalement à répondre aux besoins d’un accusé qui serait beaucoup moins susceptible de participer aux procédures que les procureurs, qui connaissent les règles du jeu. Ils pourraient dire d’emblée s’ils pensent qu’une vidéoconférence fonctionnerait ou pas dans ce genre d’affaires.
La seule chose qui me préoccupe, c’est la révocation du consentement. Parfois, ce pourrait être le procureur qui le révoque, mais l’accusé pourrait le faire pour des raisons tactiques. Je ne sais pas quoi en penser. La Cour suprême a adopté un processus relatif aux avocats et au conflit d’intérêts appelé « refus déraisonnable de donner son consentement ». C’est alors au juge de trancher. Il s’agit d’un contexte différent qui concerne les avocats et le conflit d’intérêts. C’est une bonne idée, mais je ne sais pas si elle fonctionnerait ici. Si c’est le cas, il faudrait probablement laisser l’affaire entre les mains d’un juge.
Peut-être parce qu’il est question d’un accusé, nous ne devrions pas juger si c’est raisonnable ou non. Ce qui me préoccupe, c’est la mesure dans laquelle quelqu’un peut décider de révoquer son consentement pour perturber les procédures. Si je peux résoudre ce point, je pense que j’appuierais sans réserve l’amendement du sénateur Carignan. Si lui ou d’autres sénateurs ont des réflexions à ce sujet, j’aimerais les entendre.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je pense que si, dans l’histoire ou dans la pratique, on réalise que cela est utilisé à des fins dilatoires ou de tactique, on pourra toujours apporter un amendement et revenir sur notre position. Il y a des amendements qui proposent de mener une étude sur l’application du projet de loi. J’ai l’impression que cet amendement sera adopté. Je ne veux pas anticiper les événements, mais ce pourrait être sujet à étude, s’il y a des problèmes dans la mise en œuvre.
La sénatrice Dupuis : Sénateur Carignan, on pourrait dire, à l’inverse, qu’on laisse l’expérience de l’article 715.222, qui accorde au tribunal la discrétion d’accorder la révocation, pour une raison ou pour une autre. On pourrait faire l’étude et le suivi sur la manière dont cette discrétion judiciaire est appliquée dans les faits.
Peut-on demander aux représentants de Justice Canada de nous dire quel serait l’impact de cet amendement sur le projet de loi? Plus précisément sur l’article 715.222, mais pas exclusivement?
[Traduction]
La présidente : Avant d’entendre les fonctionnaires du ministère de la Justice, nous accorderons la parole au sénateur White.
Le sénateur White : J’allais poser la même question. Nous pourrons demander aux témoins du ministère de la Justice de répondre, mais je n’ai rien à ajouter.
Me Morency : Me Davis-Ermuth répondra.
Me Davis-Ermuth : Je vous remercie beaucoup
Je ferais respectueusement remarquer à tous les sénateurs qu’un certain nombre des effets que nous avons considérés ont été examinés assez profondément. Nous nous sommes principalement attardés à la possibilité que ce mécanisme soit utilisé pour perturber les procédures. En général, les juges nous ont indiqué pendant la pandémie qu’ils considéraient qu’ils pourraient avoir plus de contrôle sur l’efficacité des procédures si plus d’éléments étaient laissés à leur discrétion et si moins de choses dépendaient du consentement des parties. Ils avaient l’impression qu’ils auraient plus de contrôle sur les procédures — le genre de contrôle qu’ils avaient traditionnellement — si les parties pouvaient leur présenter les raisons pour lesquelles elles voulaient procéder d’une certaine manière, mais qu’au bout du compte, ce serait eux qui avaient la discrétion de prendre des décisions.
Ils ont habituellement le pouvoir inhérent de contrôler les procédures, et ils doivent soupeser un certain nombre de facteurs dans l’exercice de ce pouvoir, notamment l’équité des procédures, l’accès à la justice et des autres facteurs dont nous avons discuté.
En outre, quand on examine la motion, il faut tenir compte des effets du paragraphe (2), dont il a été question pendant la discussion et au cours des questions qui ont été posées. Ce paragraphe indique que la révocation du consentement ne porte pas atteinte à la validité des procédures engagées avant la révocation. Nous ne sommes pas certains si la signification de ce paragraphe peut avoir des effets non intentionnels ou semer la confusion. Il se peut que si la personne révoque son consentement en raison de difficultés techniques ou de problèmes survenus au cours des procédures, elle ait des motifs de contester la validité des procédures. Ce paragraphe ne garantit donc pas que la validité ne sera pas contestée.
Je pense que cette disposition vise probablement à faire en sorte que les procédures ne reprennent pas depuis le début si quelqu’un révoque son consentement. Ce n’est peut-être pas clair. Il faudra peut-être quelques litiges pour en être certain.
Après avoir entendu certaines questions posées par la sénatrice Dupuis, je me demande également si la présence, dans l’article 715.233 proposé, d’une disposition sur la validité, mais l’absence d’une telle disposition dans l’article 715.222, signifie que la décision du juge de modifier le mode utilisé pour les procédures a un effet sur la validité. Faudrait-il ajouter la même disposition à l’article 715.222? Y a-t-il un déséquilibre entre les deux articles? Pourquoi la disposition en question ne se trouve-t-elle qu’à un endroit?
Le ministère n’a pris connaissance des dispositions que récemment, mais ce sont là les deux effets principaux sur lesquels nous voulons attirer l’attention du comité.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Carignan, ma question s’adresse à vous. J’imagine que si nous arrivons au bout d’une procédure et que l’accusé décide d’ajourner, cela aura un impact sur les victimes. Je veux bien comprendre : est-ce que l’amendement que vous apportez sera davantage en faveur de la partie défenderesse, donc de l’accusé, que de la Couronne ou de la victime?
Le sénateur Carignan : C’est impossible de répondre, parce que cela n’a rien à voir avec la question d’être en faveur de l’un ou de l’autre; il s’agit de voir la situation.
Je pense que l’objectif d’un procès est que justice soit rendue, et que les gens aient l’impression que justice a été rendue. Donc, s’il se produit des problèmes technologiques ou pratico-pratiques qui font en sorte que ni l’un ni l’autre n’est à l’aise avec la façon de procéder, mieux vaut avoir la possibilité de renoncer.
On peut imaginer que, pour la personne qui revendiquera ces éléments comme étant la cause d’un problème d’équité ou portant atteinte à son procès, la Cour d’appel pourrait lui dire : « Vous aviez la possibilité de renoncer et vous ne l’avez pas fait. » Cela peut fermer la porte à des appels abusifs pour invoquer des problèmes liés à la technologie si la personne a le pouvoir de renoncer ipso facto.
Si on laisse cela à la discrétion du juge, comme le suggère le sénateur Dalphond, cela donne un motif d’appel supplémentaire, parce que cela demande une décision d’un juge supplémentaire. Cela donne à l’accusé un motif supplémentaire de contester la décision d’un juge.
Vous voyez, on peut le prendre d’un côté ou de l’autre. C’est toujours possible de trouver des espaces. L’objectif est de s’assurer qu’il y a une équité dans le procès. Si l’accusé ou le poursuivant voit qu’il y a des éléments avec lesquels il n’est pas confortable et que, s’il avait su certaines choses, il n’aurait pas consenti, il doit pouvoir révoquer son consentement. On revient au principe d’un procès en présentiel. Le sénateur Dalphond l’a dit à plusieurs reprises : on retourne au principe de base.
Le sénateur Boisvenu : Je n’ai pas fait de cours de droit comme vous, mais je comprends que c’est la défense qui peut prendre cette décision.
Le sénateur Carignan : Absolument.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que ce principe peut s’appliquer aussi à une victime directe, par exemple, une victime d’agression sexuelle qui assiste au procès? Est-ce qu’elle peut avoir la même possibilité de dire que la vidéoconférence ne fonctionne pas et alors, le procureur de la Couronne pourrait dire que le procès reprendra en mode présentiel?
Le sénateur Carignan : C’est pour cela que j’ai prévu d’inclure le poursuivant. Ce sont notamment les raisons que j’ai expliquées tout à l’heure. Si la victime n’est pas à l’aise, elle va pouvoir discuter avec le procureur de la Couronne, et ce dernier pourra renoncer au consentement, à ce moment-là, justement pour que la victime soit plus à l’aise. Voilà l’objectif d’inclure également le poursuivant.
Le sénateur Boisvenu : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Dans ses commentaires sur l’amendement, le sénateur White a fait allusion à l’importance de la possibilité pour l’accusé et son avocat d’être en relation directe durant les procédures — d’être en mesure de se parler immédiatement, en personne et côte à côte, durant le procès. Les témoignages par vidéoconférence élimineront cette possibilité. Comme un de mes collègues l’a dit tout à l’heure, les procureurs de la Couronne et les avocats savent comment les choses se passent. Or, cette façon de faire pourrait tout changer, et il se peut que l’accusé accueille favorablement la possibilité de témoigner par vidéoconférence, qu’il préfère participer au procès de cette manière plutôt qu’en mode présentiel. Toutefois, il pourrait se rendre compte, une fois le procès commencé, que c’est très difficile et que la situation ne s’améliore pas.
Comme le sénateur Carignan l’a expliqué, les procédures engagées avant ne seraient pas perdues, mais à partir de ce moment, l’accusé et l’avocat pourraient être en relation directe grâce au mode présentiel, s’ils le jugent nécessaire.
Le sénateur Harder : Je n’ai jamais exercé la fonction ni de juge ni d’avocat, mais je trouve que le projet de loi est fondé sur de bons principes et qu’il est bien équilibré. Je n’appuierai pas l’amendement parce qu’il rompt l’équilibre du projet de loi. Je suis pour le mécanisme d’examen proposé par le sénateur Carignan, car il permettra d’évaluer le travail des juges et leur exercice du pouvoir discrétionnaire. Toutefois, il m’apparaît que la misanthropie du sénateur Carignan à l’égard des juges est le même sentiment qui a mené aux peines minimales obligatoires excessives.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je pense qu’il faut toujours lire ces dispositions dans l’ensemble législatif proposé.
Le principe de base est celui de la comparution en personne, avec une série d’exceptions qui ne peuvent être possibles que si l’accusé le demande. Lorsque l’accusé le demande et l’obtient, le juge doit s’assurer, en vertu de l’article 715.243, que l’accusé ou le contrevenant qui comparaît par audioconférence ou vidéoconférence et qui est représenté par un avocat doit avoir la possibilité de communiquer en privé avec lui.
On a entendu beaucoup de témoignages, auxquels la sénatrice Batters a fait référence, selon lesquels il n’y avait parfois pas de vidéoparloir qui permettait au détenu de s’entretenir avec son avocat en toute confiance et à l’abri des oreilles des gardiens ou d’autres personnes. Il est évident que si ce n’est pas possible, ces choses doivent être prises en considération par le juge avant d’autoriser la vidéoconférence.
S’il s’avère que, pendant le procès, il n’est plus possible d’avoir des communications avec l’avocat, le juge devrait évidemment, de lui-même, mettre fin à la comparution par vidéoconférence et exiger que l’accusé soit devant lui.
Je pense qu’il ne faut pas oublier cela : le principe directeur est toujours celui selon lequel l’accusé doit participer au procès en personne, à moins qu’il ait demandé de ne pas le faire. Il faut se rappeler que 95 % de toutes ces accusations et ces procédures seront faites devant des juges de cours provinciales, notamment dans le cas des infractions sommaires. Cela signifie que, s’il y a un dérapage, on peut aller immédiatement devant la Cour supérieure par voie d’appel pour faire arrêter le procès et obtenir l’ordonnance appropriée pour le reprendre.
Je pense donc qu’il y a des garanties suffisantes dans le système. Je fais confiance aux juges, sénateur Carignan, mais je fais aussi confiance aux paliers d’appel pour corriger les erreurs des premiers.
[Traduction]
La présidente : Plaît-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion d’amendement?
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
La présidente : Nous allons procéder à un vote par appel nominal.
M. Palmer : Le vote porte sur la motion d’amendement.
L’honorable sénatrice Jaffer?
La sénatrice Jaffer : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Campbell?
Le sénateur Campbell : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Clement?
La sénatrice Clement : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Cotter?
Le sénateur Cotter : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Harder?
Le sénateur Harder : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Pate?
La sénatrice Pate : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Wetston?
Le sénateur Wetston : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur White?
Le sénateur White : Oui.
M. Palmer : Il y a cinq voix pour et sept voix contre.
La présidente : Honorables sénateurs, la motion est rejetée.
Il y a une autre motion visant la même disposition. Honorables sénateurs, nous devons lever la séance à 18 h 15. Puis-je demander aux membres du comité directeur de rester après la levée de la séance?
Le sénateur White : Madame la présidente, j’ai une autre réunion à 18 h 15.
La présidente : Sénateur Boisvenu, pouvez-vous rester?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Oui.
La présidente : Sénateur Dalphond? Pas longtemps.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Oui.
[Français]
Puisque c’est par vidéoconférence...
La présidente : Franchement!
[Traduction]
La sénatrice Batters : Le prochain amendement est le DB-S-4-47-23-4. Comme il est très long et que je l’ai déjà lu, je ne le relirai pas. C’est celui qui commence par : « Que le projet de loi S-4 soit modifié à l’article 46, à la page 23, par adjonction, après la ligne 4, de ce qui suit ». C’est celui que j’ai lu tout à l’heure. Je vais laisser au sénateur Carignan le soin de l’expliquer.
[Français]
Le sénateur Carignan : C’est la recommandation de l’Association du Barreau canadien d’ajouter des éléments dont le juge doit tenir compte, notamment la disponibilité des technologies et l’accessibilité des procédures. Il faut que le procès soit public, évidemment, et vous savez que je mets beaucoup l’accent sur le caractère public. Pour ce qui est des autres éléments, on parle de la sécurité des procédures et des participants et de la possibilité d’établir des conditions pour permettre d’évaluer la crédibilité. Il se peut que certains critères soient sous-entendus, par exemple, le procès public et équitable pour ce qui est des droits de l’accusé, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Je souscris à la recommandation de l’Association du Barreau canadien, donc j’ai fait préparer les amendements découlant de leurs recommandations.
Je pense que c’est important d’être à l’écoute des membres du barreau. On parle d’un organisme qui représente des dizaines de milliers de procureurs qui, tous les jours, sont devant les tribunaux, ont vécu avec les technologies et la pandémie et ont vu les différentes difficultés pratiques. Ils ont donc une grande expérience du terrain et ils nous ont fait des recommandations sur des critères permettant de s’assurer de couvrir l’ensemble des situations qui sont susceptibles de se produire. Compte tenu de leur crédibilité et de la nature raisonnable de leur demande, je propose cet amendement.
Il s’agit de l’amendement à l’article 715.23, qui propose d’ajouter les alinéas f), g), h), i) et le paragraphe 2. Le concept est proposé sur la recommandation de l’Association du Barreau canadien.
La sénatrice Dupuis : Que veut dire le paragraphe 2 de cet amendement?
Le sénateur Carignan : En fait, il s’agit de prévoir l’imprévisible.
La sénatrice Dupuis : J’ai une question par rapport à la liste que vous avez ajoutée, car il y a déjà une liste dans l’article 715.23, soit les alinéas a) à e), à la page 20 du projet de loi. Si je comprends bien, vous proposez d’ajouter, après l’alinéa e), les alinéas f), g), h) et i), qui seraient un ensemble de conditions ou de circonstances dont le tribunal devrait tenir compte pour évaluer la question.
Le sénateur Carignan : C’est exact.
La sénatrice Dupuis : Vous ajoutez donc, dans le paragraphe 2, que le tribunal peut établir toutes les conditions appropriées dans les circonstances par rapport à cette comparution; qu’est-ce que cela veut dire?
Le sénateur Carignan : Voici un exemple : nous sommes en vidéoconférence, et on se demande si le témoin est seul dans la pièce, s’il se fait suggérer des réponses, si quelqu’un lui remet des notes. On demande ceci : est-il possible d’avoir une vue de 360 o avec une caméra, de façon à s’assurer que la personne est seule dans la pièce? Lors de l’ajournement, sur le plan de la crédibilité des témoins, est-ce qu’on s’assure que le témoin n’est pas contaminé et qu’il ne parle pas à quelqu’un d’autre? En effet, lorsqu’on exclut des témoins, ces derniers ne peuvent pas discuter de la cause avec quelqu’un d’autre, donc le juge doit-il mettre en place des mesures particulières pour s’assurer que le témoin ne communique pas avec quelqu’un de l’externe et qu’on exerce une certaine surveillance, compte tenu de la nature de la cause? Il s’agit du pouvoir accordé au juge de fixer les conditions appropriées aux circonstances.
La sénatrice Dupuis : Est-ce que je peux savoir pourquoi, dans le paragraphe 1, on dit ce qui suit : « [...] le tribunal doit estimer si la comparution par ces moyens est indiquée eu égard aux circonstances »? Cela veut dire notamment que selon la liste actuelle, les alinéas a) à e), à laquelle on veut ajouter les alinéas f), g), h) et i), le tribunal peut tenir compte du fait que les moyens étaient indiqués, donc eu égard à ces circonstances. J’essaie de comprendre ce que le paragraphe 2 ajoute; il me semble que cela n’ajoute rien, même avec la liste allongée, dans le sens où le tribunal peut déjà tenir compte de toutes les conditions et de toutes les circonstances qu’il veut, notamment la liste énumérée à l’article 715.23... Cela semble introduire une disposition d’une nature différente. Donc, est-ce que nous venons de parler des conditions appropriées dans les circonstances au paragraphe 715.23, ce qui serait votre paragraphe 1 avec les ajouts que vous proposez? Ensuite, on ajoute quelque chose qui a l’air d’introduire des circonstances ou des conditions différentes...
Le sénateur Carignan : Je comprends votre interrogation. Dans le paragraphe 1, « eu égard aux circonstances » a trait à la décision du juge d’autoriser ou non le processus par vidéoconférence. Dans le dernier alinéa, au paragraphe 2, qui mentionne « approprié dans les circonstances », on traite des modalités de l’application de la décision sur la vidéoconférence, comme des éléments techniques ou des mesures visant à encadrer l’exercice de la vidéoconférence. Dans le paragraphe 1, il s’agit d’une condition visant à autoriser la vidéoconférence et dans le paragraphe 2, il s’agit d’une condition de l’exercice de la vidéoconférence.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous n’aurons indubitablement pas le temps de terminer aujourd’hui. Normalement, je préférerais renvoyer la question au comité directeur. Le greffier a remué ciel et terre pour trouver du temps demain, mais on nous a dit non. Ne tirez pas sur le messager, mais il y aurait vendredi. Si ce n’est pas vendredi, ce ne sera pas à notre retour parce que nous n’arrivons même pas à trouver deux heures pour l’examen de la loi d’exécution du budget. Il faudra donc attendre à la semaine suivante.
Je m’en remets à vous. Voulons-nous nous réunir vendredi ou attendre à notre retour?
La sénatrice Dupuis : Attendre à notre retour.
La présidente : D’accord.
Je vais arrêter la discussion maintenant puisque nous la reprendrons probablement du début. Honorables sénateurs, vous avez tous fait preuve d’une grande patience. Nous avons eu une discussion productive et respectueuse. Je remercie chacun et chacune d’entre vous. Je suis désolée que nous n’ayons pas terminé aujourd’hui. Nous nous reverrons dans une semaine. Merci, honorables sénateurs.
(La séance est levée.)