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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 30 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui , avec vidéoconférence, à 10 h 33 (HE), afin d’étudier la teneur des éléments des sections 1, 21 et 22 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion hybride du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Français]

Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente ou au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

Je vous présente les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : le sénateur Boisvenu, vice-président; la sénatrice Batters; la sénatrice Boniface; le sénateur Campbell; la sénatrice Clement; le sénateur Cotter; le sénateur Dalphond; la sénatrice Dupuis; le sénateur Harder; la sénatrice Pate; le sénateur White.

[Traduction]

Nous accueillons également aujourd’hui le sénateur Quinn. Merci de vous joindre à nous, monsieur le sénateur Quinn.

Sénateurs et sénatrices, veuillez le signaler au greffier en utilisant la fonction de main levée si vous avez une question, et vous aurez quatre minutes chacun.

Mesdames et messieurs les sénateurs, aujourd’hui nous poursuivons notre étude des sections 1, 21 et 22 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi no 1 d’exécution du budget de 2022. Chers sénateurs, à titre de rappel, la section 1 de l’article 5 porte sur la taxation de CP Rail. La section 21 concerne l’ajout de la négation de l’Holocauste dans le Code criminel, et la section 22 traite de la rémunération des juges.

Honorables sénateurs, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui James Clements, vice-président principal, Planification stratégique et transformation technologique, du Canadien Pacifique. Nous recevons Jody Berkes, président sortant, Section de la justice pénale, de l’Association du Barreau canadien. Le commissaire Giroux, du Commissariat à la magistrature fédérale, pourrait se joindre à nous plus tard.

Mesdames et messieurs les sénateurs, M. Clements doit partir à 11 h 30, et j’aimerais donc vous demander de vous assurer de lui poser vos questions avant cette heure. Monsieur Clements, nous sommes heureux de vous recevoir à nouveau. Merci beaucoup de vous être rendu disponible une fois de plus.

James Clements, vice-président principal, Planification stratégique et transformation technologique, Canadien Pacifique : Merci, madame la présidente et membres du comité.

Le Canadien Pacifique est reconnaissant de l’occasion qui lui est donnée de s’adresser à vous et heureux que le Sénat entende des témoignages sur cette question importante.

Comme vous vous en souvenez peut-être, le CP a comparu devant le comité en mars lorsqu’il étudiait la proposition de modification constitutionnelle visant à abroger l’article 24 de la Loi sur la Saskatchewan avec effet rétroactif à août 1966.

Bien entendu, le CP respecte le droit du Parlement de modifier des lois, mais nous soutenons que les modifications apportées aux lois devraient reposer sur des principes solides et des faits vérifiables. De même, les modifications proposées qui sont fondées sur de fausses prémisses, qu’il s’agisse de principes ou de faits, devraient être rejetées.

Notre objectif aujourd’hui est de mettre en lumière deux considérations sur l’abrogation statutaire proposée par le gouvernement de l’exemption fiscale historique du CP. Premièrement, le CP aimerait souligner que l’abrogation fédérale proposée de l’article 16 rétroactivement à 1966 est justifiée par une fausseté. Le CP n’a pas renoncé à son exemption fiscale historique en 1966 — et la Cour fédérale en convient elle-même — un changement législatif qui ne repose sur aucun fondement factuel est arbitraire.

Deuxièmement, pour évaluer s’il faut modifier une partie d’une loi, il convient pour le Parlement de se demander si un changement doit en entraîner d’autres pour préserver l’intégrité de l’ensemble du régime législatif. L’exemption fiscale historique du CP faisait partie d’un marché conclu pour que la Colombie-Britannique reste au sein du Canada. L’exemption fiscale a été accordée en échange de l’acceptation par le CP d’exploiter la ligne principale historique à perpétuité. Si une moitié de ce marché doit être abrogée sous prétexte qu’elle est dépassée, alors l’autre moitié devrait être examinée afin que l’on détermine si elle est également dépassée.

Aujourd’hui et dans l’avenir, le CP exploitera son chemin de fer dans le cadre législatif et réglementaire actuel. C’est le cadre au sein duquel tous les concurrents du CP fonctionnent. Le CP ne devrait pas être soumis à une obligation opérationnelle dépassée qui n’a aucune justification actuelle. Le CP fait valoir respectueusement que l’exemption fiscale ne devrait pas être abrogée en fonction d’une fausse prémisse. Si elle doit tout de même être abrogée, alors l’application réciproque devrait aussi être abrogée pour maintenir l’équité fondamentale, et le dossier devrait être corrigé pour refléter le fait que le CP n’a pas renoncé à l’exemption en 1966, comme l’a confirmé la Cour fédérale.

Permettez-moi d’aborder la fausse prémisse sur laquelle repose l’aspect rétroactif de la proposition de modification législative. Le paragraphe 174(1) du projet de loi C-19 stipule que l’article 16 « est réputé inopérant, en date du 29 août 1966 ». C’est la date à laquelle le gouvernement prétend faussement que le CP a renoncé à son droit à l’exemption fiscale. La question même de ce qui s’est passé en 1966 a été examinée et tranchée en faveur du CP par la Cour fédérale. La citation de la décision est 2021 CF 1014.

Au paragraphe 696 de cette décision, le juge Diner a conclu ceci :

Après avoir pris en considération les éléments de preuve documentant les négociations de 1960, le Canada ne m’a pas convaincu que l’article 16 a été abrogé, de telle sorte que le CP a renoncé à l’exemption dans son intégralité, y compris à l’égard de l’impôt fédéral, dans la période précédant l’adoption par le Canada de la Loi sur les transports nationaux. Au contraire, la preuve montre clairement que la demanderesse a renoncé à son exemption à l’égard de la taxation municipale (ou « locale »); elle ne montre pas que les parties ont convenu d’abroger l’exemption visant la taxation fédérale.

Puis, au paragraphe 702, le juge Diner a déclaré ceci :

En somme, je suis d’accord avec le CP pour dire qu’il a accepté de renoncer à l’exonération de taxes municipales en échange d’une réforme législative des frais de transport du grain, ainsi que du traitement des paiements comme des déductions de dépenses d’affaires aux fins de l’impôt sur le revenu. Autrement dit, la contrepartie pour le Canada a pris la forme de la Loi sur les transports nationaux, qui a suivi de près l’entente entre le CP et le Canada pour mettre fin à l’exemption de l’article 16 pour les taxes municipales, mais non fédérales.

Le gouvernement n’a pas interjeté appel de ces conclusions judiciaires claires.

Le Parlement sapera la prémisse fondamentale d’une législation responsable s’il choisit de faire fi de ces conclusions en prétendant maintenant abroger l’article 16, de manière rétroactive depuis quelque 56 ans, en raison de la prémisse manifestement fausse que le CP a renoncé à ses droits à l’exemption fiscale en 1966. La Cour fédérale a conclu que ce n’était tout simplement pas le cas.

Le fait de légiférer en s’appuyant sur des faussetés notoires mine la règle de droit, mine le respect de la cour et constitue une violation flagrante de l’attente fondamentale des Canadiens que leur Parlement n’agira qu’à partir des faits et non de faussetés, ce qui est particulièrement important dans un monde de désinformation.

Le CP soutient respectueusement que la fonction du Sénat est de fournir un second examen objectif qui évitera de tels faux pas législatifs. La suppression de l’exemption historique de manière rétroactive n’est aucunement justifiée.

Si l’intention du législateur en retirant l’exemption fiscale historique est de mettre fin à l’avantage perpétuel que le CP a reçu en fournissant au Canada une partie essentielle de son infrastructure parce qu’il est devenu anachronique, alors le Parlement devrait éliminer l’obligation perpétuelle imposée au CP parce qu’elle est également devenue anachronique. L’obligation d’exploiter le chemin de fer à perpétuité était une réponse aux scandales ferroviaires des années 1800, où des fonds publics avaient été obtenus pour construire un chemin de fer qui a été abandonné peu après que tous les avantages ont été reçus.

L’obligation stipule ceci : « ... la compagnie devra par la suite et à jamais entretenir, faire fonctionner et exploiter efficacement le Chemin de fer du Canadien Pacifique. »

Le CP ne cherche en aucun cas à cesser d’exploiter son chemin de fer. Nous l’exploitons fièrement depuis plus de 140 ans et nous continuerons fièrement d’exploiter le chemin de fer qui est l’épine dorsale de l’économie canadienne. C’est la raison d’être du CP, et rien ne changera cela. Mais il n’en demeure pas moins que cette obligation perpétuelle constitue une contrainte juridique dépassée imposée à la façon dont le CP gère son réseau et ses actifs.

De plus, le CP — comme d’autres chemins de fer sous réglementation fédérale — est largement réglementé par, entre autres, la Loi sur les transports au Canada, qui comprend des dispositions régissant la cessation des activités sur l’infrastructure ferroviaire. Tous les concurrents du CP exercent leurs activités dans un cadre législatif et réglementaire moderne. Le CP devrait être placé dans une situation similaire. Il ne devrait pas être soumis à une contrainte supplémentaire perpétuelle consistant à devoir exploiter le chemin de fer qui a été construit dans les années 1880, sans pouvoir le modifier pour répondre à l’évolution des besoins et à l’efficacité opérationnelle.

Les intérêts du Canada et du CP sont alignés pour que l’on puisse avoir le réseau ferroviaire le plus efficace possible. Cet objectif n’est pas favorisé par le fait de lier ce réseau à une structure routière datant des années 1800. Aujourd’hui, les gouvernements et les expéditeurs disposent d’un ensemble de droits et de recours en vertu de la LTC, qui garantissent que le niveau de service le plus approprié est fourni par un réseau efficace d’exploitants.

Si le Parlement considère l’exemption fiscale historique comme dépassée, ce qui justifie son abrogation, il devrait de même considérer l’obligation d’exploiter la voie ferrée historique à perpétuité comme étant tout aussi anachronique et l’abroger dans l’avenir. Autrement, le CP fait face à des obligations légales qui vont au-delà de celles exigées par la LTC dans le cas de tout autre chemin de fer sous réglementation fédérale. Pour dire les choses simplement, si le Parlement est d’avis qu’un avantage doit être abrogé parce qu’il est dépassé, il devrait en être de même pour le fardeau correspondant qui, selon nous, a été dépassé par un cadre législatif et juridique moderne.

Madame la présidente, je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Clements.

Monsieur le commissaire Giroux, je suis vraiment désolée que nous ne puissions pas vous entendre, parce que vous n’avez pas le bon casque et que nos interprètes ne seraient pas en mesure de faire l’interprétation. Nous vous remercions vraiment d’avoir fait l’effort d’être ici. Je sais que vous avez essayé vraiment fort. Merci beaucoup. Vous nous avez déjà envoyé quelque chose par écrit, donc merci beaucoup. Je suis vraiment désolée. Merci, monsieur le commissaire.

Nous allons maintenant passer à Jody Berkes, président sortant, de la Section de la justice pénale. Monsieur Berkes, allez-y.

Jody Berkes, président sortant, Section de la justice pénale, Association du Barreau canadien : Bonjour, madame la présidente et honorables sénateurs. Je m’appelle Jody Berkes et je suis le président sortant de l’Association du Barreau canadien, Section de la justice pénale. Je me joins à vous aujourd’hui en provenance du territoire traditionnel de la nation huronne-wendate, de la nation Anishinabek, de la Confédération Haudenosaunee, des Mississaugas de la Première Nation de New Credit et de la nation métisse. Ce territoire est couvert par le traité Dish With One Spoon. Je vous remercie d’avoir invité l’ABC à participer à l’étude du comité sur les modifications proposées à l’article 319 du Code criminel.

La Section de la justice pénale de l’Association du Barreau canadien est unique en ce sens qu’elle est la seule organisation composée d’avocats de la Couronne et de la défense. À ce titre, nous apportons une perspective différente sur la façon dont la législation pénale proposée fonctionne dans le monde réel. En ma qualité de représentant de l’Association du Barreau canadien, je présente les trois points suivants à l’attention du comité.

J’aimerais discuter de la fonction de gardien que joue le procureur général, tant dans l’article 319 du Code criminel que dans la modification proposée. J’aimerais discuter de l’utilisation du terme « minimiser » dans la modification proposée. Troisièmement, j’aimerais discuter de la question de savoir si la disposition proposée est déjà couverte par d’autres lois.

Premièrement, l’article 319 actuel, tout comme les modifications proposées, requiert le consentement du procureur général avant le dépôt de poursuites en vertu du Code criminel. C’est une différence dans la façon dont les accusations sont normalement traitées en vertu du Code criminel. Dans le cours normal des choses, la police ou le bureau de la Couronne porte des accusations en vertu du Code criminel. La section de l’ABC admet que le consentement du procureur général est approprié dans ce domaine, mais le consentement ou le refus du consentement aux poursuites doit être exercé selon les principes.

Nous recommandons que les procureurs généraux ou, dans les administrations où ils existent, les directeurs des poursuites publiques adoptent des critères pour le refus du consentement aux poursuites afin que les poursuites ne puissent pas essuyer un refus arbitraire sans explication. Le pouvoir discrétionnaire des procureurs n’est pas soumis à un contrôle judiciaire. Par conséquent, les procureurs doivent s’assurer que leur pouvoir discrétionnaire est exercé de manière appropriée et qu’il est guidé par des principes adéquats.

Le consentement ou le refus de consentement des procureurs généraux pour des crimes de discours haineux doit être soumis à des critères publics clairs. Des raisons doivent être données advenant que l’on accorde ou refuse le consentement; notamment il faut expliquer les raisons pour lesquelles les critères ont été remplis ou pas. Un bref exposé des motifs doit être rendu public lors du refus du consentement et être rédigé en assurant la protection de tout matériel privilégié contenu dans l’évaluation initiale de la question.

En ce qui concerne le libellé de la teneur des infractions proposées, le terme « minimiser » dans la législation proposée actuellement est sujet à une interprétation large qui entraînera des difficultés à la fois pour qui veut intenter des poursuites à l’égard de l’infraction proposée et la défendre. Les infractions pénales pour actes manifestement interdits sont bénéfiques pour tous les acteurs du système de justice pénale. La Couronne tout comme la défense peut présenter ses arguments clairement, ce qui permet aux juges de fournir des motifs clairs et bien formulés concernant des déclarations de culpabilité ou des acquittements. Cela non seulement profite aux participants du système de justice pénale, mais aussi cela contribue à la compréhension de l’administration de la justice par le public.

Le terme « minimiser » se situe sur un spectre qui peut aller d’une négation mineure à une négation complète de l’Holocauste. Les juristes ne s’entendent pas tous sur la question de savoir à quel endroit du spectre les actes seront criminalisés, ce qui entraîne une confusion et des litiges permanents pour définir ce terme. Il convient d’envisager d’exclure ce terme ou de choisir un terme plus étroitement définissable.

Enfin, le libellé de la disposition proposée est presque identique à celui de l’infraction prévue au paragraphe 319(2). Le paragraphe 319(2) interdit les déclarations qui fomentent la haine contre un groupe identifiable. Par ailleurs, la modification proposée concerne une déclaration particulière, la négation de l’Holocauste, et un groupe identifiable, le peuple juif. Par conséquent, une poursuite pour négation de l’Holocauste pourrait théoriquement être engagée en vertu de l’un ou l’autre des paragraphes, puisque les deux interdisent la même activité. La seule différence possible est que la législation proposée considère que la négation de l’Holocauste continue de l’antisémitisme sans que la Couronne ait à en faire la preuve. Autrement dit, la législation proposée semble être un raccourci de preuve permettant à la Couronne de prouver l’antisémitisme lorsque les déclarations concernent la négation de l’Holocauste.

Je vous remercie. J’ai hâte de répondre aux questions du comité.

La présidente : Merci, monsieur Berkes. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le sénateur Cotter.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup aux témoins de leurs exposés. J’ai trois questions en tout, mais vu le temps limité de M. Clements, je pourrais peut-être lui poser des questions au cours de ce tour-ci.

Monsieur Clements, merci de votre exposé. Je vous remercie encore une fois de votre présence et surtout du point de vue que vous avez proposé sur le déséquilibre dans l’initiative législative. Je vais commencer par une question factuelle. Lorsque vous étiez ici précédemment, j’ai fait quelques lectures sur le CP, et je me souviens que la ligne principale est un générateur de revenus central pour le CP. Ai-je raison de le dire... la ligne principale qui traverse les Prairies de l’Ouest? C’est la première de mes deux questions.

M. Clements : Oui, c’est exact. L’exploitation à travers les Prairies est fondamentale pour nos activités globales.

Le sénateur Cotter : C’est ce que je pensais. La deuxième question est, je crois, une question factuelle. Vous avez mentionné les préoccupations et les problèmes concernant la rétroactivité à 1966. Si je me souviens bien, la preuve montre que — je ne conteste pas votre point de vue — en 1966, le CP fonctionnait selon l’exemption visant les taxes municipales en vigueur, c’est-à-dire qu’il ne payait pas de taxes municipales. Cependant, en 1966, je dirais que, nonobstant l’exonération, il payait des impôts provinciaux et fédéraux. Ai-je raison?

M. Clements : Encore une fois, les paiements d’impôt que nous faisons... L’exonération concerne très précisément la ligne de fret principale historique. Nous avons toujours eu certaines taxes qui faisaient partie de la portée de nos activités. Ce que je ne peux pas affirmer clairement pour l’instant, c’est que les taxes provinciales payées en 1966 étaient liées à la ligne qui bénéficiait de l’exonération. Nous payions certainement des taxes et nous en avons toujours payé pour nos activités en dehors de la ligne principale historique.

Le sénateur Cotter : Merci.

Le sénateur Quinn : Merci de vos exposés, et je tiens à remercier mes collègues de m’avoir invité aujourd’hui et de me permettre de poser des questions.

La raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui, c’est que, lorsque j’ai lu le contexte de cette question particulière, cela m’a beaucoup intéressé, parce que mon tout dernier emploi était au sein d’une entité fédérale, une administration portuaire, et des contrats à long terme avaient été conclus à l’administration portuaire avant mon arrivée. Quand je dis à long terme, ce n’est pas à perpétuité comme ce qui est envisagé aujourd’hui, mais pour 40 ans. Je peux vous dire que j’aurais aimé avoir la possibilité d’éliminer rétroactivement des parties de ces contrats, mais il s’agissait de contrats, et ils seront traités au fur et à mesure que les dates d’anniversaire arriveront.

Je n’avais pas de loi d’exécution du budget à ma disposition pour insérer quelque chose traitant d’un élément d’un contrat, ce que j’ai trouvé intéressant. Je pense, monsieur Clements, que vous avez très bien décrit la position du CP, et je ne conteste pas du tout cette position.

Un des éléments qui me préoccupent, en tant qu’ancien dirigeant d’une entité fédérale ayant conclu de nombreux accords avec le gouvernement fédéral, c’est que, dans 10 ans, si le gouvernement fédéral décidait de changer quelque chose que j’avais conclu avec lui, viendrait-il éliminer quelque chose de façon rétroactive? Quel effet cela aurait-il sur la réputation du gouvernement du Canada pour ce qui est de traiter avec les entités fédérales ou des entités du secteur privé en concluant un contrat, puis en ayant la possibilité de le modifier au moyen d’un processus parlementaire?

Monsieur Clements, avez-vous la même préoccupation que moi quant à ce que le gouvernement peut faire d’autre que d’utiliser ce que je considère comme un outil extraordinaire — une LEB — qui comporte de nombreux éléments au-delà des budgets? J’aimerais connaître vos réflexions sur cette question.

M. Clements : Merci, monsieur le sénateur, et il est certain que notre position générale, surtout en ce qui concerne la rétroactivité, c’est que l’exemption ne devrait pas être abrogée, à cause de la fausse prémisse... nous n’avons pas accepté de renoncer à l’exemption en 1966. Cependant, comme vous le dites, l’utilisation de ces pouvoirs extraordinaires pour revenir en arrière en s’appuyant sur cette fausse prémisse sape réellement ce qui est proposé en matière d’intégrité législative. Oui, le projet de loi soulève ensuite, je pense, des préoccupations générales sur la façon de faire des affaires avec le gouvernement.

Je répète que cela faisait partie d’un marché où l’avantage s’accompagnait d’une obligation. Ce n’était pas seulement un avantage à sens unique pour le Chemin de fer Canadien Pacifique. Encore une fois, si des changements sont apportés à l’avenir, nous devrions être libérés de l’obligation qui était liée à cet avantage.

Il faut donc examiner les conditions contractuelles en question, et les examiner dans leur intégralité, s’il doit y avoir un changement afin qu’elles soient aussi équilibrées et justes que possible lorsque ce changement se fera.

Le sénateur Quinn : Merci.

La sénatrice Batters : Nous procédons un peu à l’envers en raison de cette étude particulière de la loi d’exécution du budget, parce que nous n’avons pas encore entendu le ministre. De façon générale, il nous expose tout, et ensuite nous recevons des témoins qui ajoutent des choses, mais nous n’avons pas encore eu cela.

Monsieur Clements, pourriez-vous donner une explication aux personnes qui nous regardent? La dernière fois que vous avez comparu devant nous, nous nous sommes penchés sur une résolution particulière qui avait été adoptée par l’Assemblée législative de la Saskatchewan, la Chambre des communes, puis le Sénat a fini par adopter également une résolution qui modifierait la partie de la Constitution traitant de la Loi sur la Saskatchewan et de l’exemption fiscale historique du CP.

Maintenant, le gouvernement fait quelque chose de différent. Il déclare de manière réglementaire que votre exemption est nulle et non avenue à partir de la date de 1966. Ai-je raison de comprendre que — puisque la question de la Saskatchewan a déjà été réglée — cette mesure s’appliquerait essentiellement aux autres provinces? Nous avons entendu des gens de l’Alberta et du Manitoba dire : « Hé, et nous? » Est-ce l’intention principale de ce projet?

Il semble que vous ne soyez pas satisfaits de la méthode particulière que le gouvernement a choisie pour traiter votre exemption fiscale historique. Quelle méthode préférez-vous — peut-être aucune des deux; je ne suis pas sûre — la résolution constitutionnelle ou cette méthode?

M. Clements : Merci, sénatrice Batters. Je vais commencer par le commentaire sur ce qu’ils font. Je dirai que je ne suis pas avocat, donc je n’entrerai pas dans les détails techniques et juridiques sur ce point. Mais lorsque j’ai comparu devant vous précédemment, comme vous l’avez bien décrit, il s’agissait d’une modification de la Constitution qui changerait une partie particulière de la Loi sur la Saskatchewan. Aujourd’hui, nous examinons une modification législative qui fonctionne à l’échelon fédéral.

Quand je regarde cela, je dirais que la question de la Saskatchewan n’est pas entièrement réglée. Il y a un litige en cours en Saskatchewan. Je pense que les modifications constitutionnelles qui ont été apportées et que certaines des questions relatives à la rétroactivité seront abordées là-bas. Il y a également une certaine législation en Saskatchewan qui, je pense, sera également prise en considération dans l’affaire judiciaire en Saskatchewan. Je pense qu’il s’agit vraiment d’une question qui se situe à l’échelon fédéral et qui concerne très particulièrement l’impôt fédéral et qui ne s’applique pas à l’impôt provincial.

Pour ce qui est de l’approche, qu’il s’agisse de rétroactivité, et je pense qu’il y a une portée différente sur le plan constitutionnel ou pour la rétroactivité à l’échelon législatif, nous sommes préoccupés par les deux. Nous reconnaissons toutefois et respectons le fait que le gouvernement peut apporter des modifications législatives rétroactives si c’est ce qu’il souhaite faire, comme dans le cas présent. Ce qui nous préoccupe ici, lorsque vous parlez de la méthode, c’est qu’elle est fondée sur la date de 1966, et nous pensons que c’est une fausse prémisse, surtout en ce qui concerne les impôts fédéraux.

En 1966, nous avons conclu un accord selon lequel nous commencerions à payer des taxes municipales ou locales en échange de certains changements de la Loi sur les transports nationaux. Ce changement suppose que c’était aussi la date à laquelle nous avons accepté de renoncer à notre exemption de taxes fédérales, et comme la Cour fédérale l’a constaté, nous ne l’avons pas fait. Nous n’avons jamais dit que nous l’avions fait. Nous avons dit que nous allions apporter les changements à l’échelon municipal, et notre préoccupation la plus fondamentale, c’est que le gouvernement légifère de manière rétroactive en s’appuyant sur une fausse prémisse et que, pour cette raison, il ne devrait pas adopter une loi construite sur une fausse prémisse.

La sénatrice Batters : Je comprends votre argument sur ce point, mais si vous pouviez juste préciser, parce que je veux être sûre que c’est très clair pour les gens qui pourraient regarder cela, parce que nous n’avons pas eu, d’une certaine façon, l’explication initiale à ce sujet. Il s’agit potentiellement de remédier à tout effet résiduel qu’il pourrait y avoir concernant l’exemption constitutionnelle de la Saskatchewan, mais est-ce que cela s’applique également à toute autre province qui pourrait être dans le même bateau avec le CP, comme l’Alberta et le Manitoba? Est-ce que c’est ce qui se passe actuellement?

M. Clements : Non. En fait, je dirais que cela n’atteint pas la Saskatchewan, le Manitoba ou l’Alberta. La disposition élimine tout ce qui se rapporte à l’impôt fédéral; c’est ce qui se passe ici dans la loi d’exécution du budget.

La sénatrice Batters : Vous affirmez que même après l’adoption de cette loi, la province de la Saskatchewan a encore des problèmes potentiels avec le CP qui font l’objet de cette affaire judiciaire?

M. Clements : Oui. Cette affaire judiciaire, à mon avis, déterminera l’élément de rétroactivité.

Nous sommes d’accord pour dire que les changements constitutionnels et législatifs s’appliqueront de manière prospective, mais la nature rétroactive pour ce qui est de la Saskatchewan devra être réglée dans le cadre de l’affaire de la Saskatchewan, et selon nous, ces décisions ne sont pas encore réglées.

La sénatrice Batters : Qu’en est-il de l’Alberta et du Manitoba, des taxes, parce que certains habitants de ces provinces ont soutenu qu’ils devraient également pouvoir bénéficier de ce type d’exemption? La Saskatchewan a fait toutes les démarches nécessaires pour que cela se produise pour eux, mais ils n’en bénéficient toujours pas. Est-ce que cela s’applique à eux, c’est ce que j’essaie de savoir.

M. Clements : Non, ce n’est pas le cas. Désolé, je n’ai peut-être pas été clair...

La sénatrice Batters : Cela concerne seulement...

M. Clements : Seulement au fédéral.

La sénatrice Batters : Je sais que c’est uniquement au fédéral, mais cela ne traite pas de la question que la Saskatchewan a mise sur la table. Il ne s’agit pas d’autres — je sais que vous avez parlé de taxes provinciales — de sorte que les provinces de l’Alberta et du Manitoba pourraient avoir les mêmes préoccupations que la Saskatchewan, mais cette disposition qui serait mise en œuvre ici n’a aucune répercussion sur elles?

M. Clements : Non, il n’y en a pas.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

J’ai d’autres questions pour l’autre témoin, mais peut-être au prochain tour.

Le sénateur Harder : Merci à nos témoins. Comme mes collègues, je vais poser mes questions à M. Clements pour ce tour.

Il est bon de vous revoir. Je suis certain que vous en profitez autant que la dernière fois. Je souhaite poursuivre dans la même veine que le sénateur Quinn en ce qui concerne les questions, le ton et les préoccupations soulevés.

La dernière fois que nous avons abordé cette question dans le contexte de l’amendement constitutionnel, même si je comprenais vos arguments, en toute franchise, j’étais d’avis et, en fin de compte, le Sénat était d’avis que la question qui nous était posée relativement aux amendements constitutionnels était, en fait, conforme à la demande de l’Assemblée législative de la Saskatchewan et de la Chambre des communes. J’ai donc voté en faveur de l’ensemble des amendements tout en ayant à l’esprit les préoccupations que vous avez exprimées.

Vous me donnez maintenant une autre occasion. Malheureusement, étant donné toutes les difficultés découlant d’un projet de loi budgétaire, le fait de devoir décider si cette mesure est appropriée ou non... et je tiens à vous faire part de ma préoccupation quant au fait que les projets de loi budgétaires, si je peux le dire ainsi, sont comme un train qui avance sur des rails et qu’il est très difficile pour le Sénat d’apporter des amendements.

Ma question pour vous est la suivante : cette mesure devrait-elle être incluse, évidemment, dans le projet de loi budgétaire qui nous occupe, et si elle est adoptée, quelles sont les mesures que le CP est prêt ou capable d’envisager en vue de régler les préoccupations que vous avez soulevées? Ou bien allez-vous simplement céder et l’accepter?

M. Clements : Je vous remercie, monsieur le sénateur. Il s’agit un peu d’une question piège, et peut-être que je serais le premier à dire que je partage certainement vos préoccupations quant à l’utilisation de la loi d’exécution du budget d’une manière aussi large alors qu’il s’agit d’une question fiscale.

Pour ce qui est de la question de savoir si nous allons céder, je dirais que non. Comme je l’ai précisément mentionné en réponse aux questions de la sénatrice Batters, il existe une affaire en instance devant les tribunaux de la Saskatchewan, et nous continuerons à faire valoir nos positions et nos préoccupations à ce sujet et à voir où cette affaire judiciaire nous mènera. Nous continuerons d’exprimer nos préoccupations quant à la rétroactivité et à certains éléments qui ont été faits.

En ce qui concerne ce que j’appellerais la grande aubaine et l’équité, nous continuerons certainement, si le projet est adopté tel quel, à demander que soit examiné l’article 7 et qu’à un moment donné dans l’avenir, une modification soit apportée afin de nous mettre sur un pied d’égalité avec les autres chemins de fer sous réglementation fédérale. Nous allons continuer à faire pression afin d’obtenir les changements que nous demandons ici.

Le sénateur Harder : Monsieur Clements, avez-vous été consultés, vous ou le CP, avant de dépôt du projet de loi d’exécution du budget concernant cette mesure?

M. Clements : Non, nous n’avons pas été consultés.

Le sénateur Harder : Merci.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins de leur présence.

Monsieur Clements, quand vous étiez parmi nous il y a plus de deux mois, je vous ai posé quelques questions concernant la relation avec les Premières Nations et les traités des Premières Nations, et je suis curieuse de savoir si vous avez des réponses à ces questions maintenant.

Pour vous rafraîchir la mémoire, il était question de savoir combien de taxes perçues étaient liées à des terres faisant l’objet d’un traité et combien avaient trait à des territoires non cédés, et si vous ou le CP aviez un plan, sachant qu’il n’y avait pas de protections constitutionnelles à l’époque, pour partager une partie de ces revenus avec les Premières Nations de manière permanente?

M. Clements : Non, je n’ai pas les pourcentages précis de la ligne principale historique qui touche les territoires faisant l’objet d’un traité ou les territoires non cédés. De manière générale, les terres de la Colombie-Britannique sur lesquelles nous exerçons nos activités ne sont pas cédées. Le reste des provinces et des territoires de l’Ouest ont tendance à être des terres visées par des traités; en fait, c’est le cas de tout le territoire de l’Alberta, du Manitoba et de la Saskatchewan.

Quant à la collaboration avec les Premières Nations locales, nous travaillons avec elles depuis de nombreuses années. Nous avons conclu un certain nombre d’accords avec les Premières Nations concernant le partage de divers revenus liés à la ligne principale historique, et nous continuons à travailler de la sorte sur les terres non cédées où nous exerçons nos activités.

La sénatrice Pate : Avez-vous plus de détails à ce sujet? Lors de votre comparution il y a presque neuf semaines, vous avez dit que vous n’aviez pas encore analysé cela. Est-il possible d’obtenir cette analyse?

M. Clements : Encore une fois, nous n’avons pas fait une analyse approfondie de cet élément précis.

La sénatrice Pate : Serait-il possible d’avoir quelques informations de votre part à cet égard?

M. Clements : Nous pouvons prendre cela en délibéré et vous fournir quelques informations, sénatrice.

La sénatrice Pate : Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Clement : Monsieur Clements, merci d’être de nouveau parmi nous et de comparaître. Je veux me faire l’écho de la demande de la sénatrice Pate concernant les détails. Bien sûr, j’ai accepté d’aller de l’avant avec cette question jusqu’à maintenant, mais je dois dire que je suis très mal à l’aise avec le manque d’information et le manque de discussion au sujet des accords conclus avec les Premières Nations et le fait que nous parlons de terres et que nous devons avoir des détails et poser des questions.

Ma question, en plus de ces commentaires, c’est que je vous ai entendu dire que l’obligation réciproque devrait être levée. Si le gouvernement va de l’avant avec ce projet, alors l’obligation réciproque concernant le CP devrait être levée. Pouvez-vous, d’un point de vue pratique, expliquer ce que cela veut dire? Je ne saisis pas tout à fait ce que cela suppose d’un point de vue pratique si vous allez dans cette direction.

M. Clements : Merci, sénatrice. De manière pratique, je dirais que la Loi sur les transports au Canada comporte aujourd’hui un certain nombre de dispositions qui prévoient des exigences en matière de niveau de service ainsi que des mesures obligatoires si nous devions cesser l’exploitation d’un chemin de fer ou en confier la responsabilité à un tiers.

Notre interprétation est que ce fardeau, si vous voulez l’appeler ainsi, soit l’autre côté de l’exemption de taxes, est que nous avions l’obligation de continuer l’exploitation, donc nous ne pouvions jamais demander la fermeture, comme le permet la Loi sur les transports au Canada, de la moindre partie de la ligne. Nous devions toujours avoir une structure en place pour assurer l’exploitation continue de la ligne principale historique. Nous ne pourrions pas vendre une partie de la ligne, par exemple, à un exploitant de courts tronçons ou à un autre transporteur ferroviaire sous réglementation fédérale.

En pratique, cela suppose que vous supprimez certaines des obligations les plus lourdes qui nous incombent et que vous nous assujettissiez — comme la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada et d’autres transporteurs ferroviaires sous réglementation fédérale — à la Loi sur les transports au Canada moderne, dont les dispositions permettent la cession et la cessation d’exploitation, qui ont été élaborées pour permettre la reconfiguration du réseau afin de garantir que le système de transport canadien est aussi efficace et efficient que possible pour tous les expéditeurs et les utilisateurs du réseau.

Pour l’instant, je tiens à rappeler que nous exploitons la ligne principale historique depuis 140 ans. Nous n’avons pas l’intention de cesser d’en exploiter une partie. Comme me l’a demandé l’un des sénateurs, la ligne principale historique est un élément important de notre réseau ferroviaire transcontinental.

La sénatrice Clement : Je vous remercie de terminer sur cette note, monsieur Clements.

La présidente : Sénatrices et sénateurs, M. Clements a été très généreux de son temps. Il s’agit de sa deuxième comparution devant nous en quelques mois. Avez-vous d’autres questions à poser à M. Clements?

Monsieur Clements, je vous remercie beaucoup. Je sais que vous devez vous rendre ailleurs, alors merci beaucoup de nous avoir accommodés deux fois. Merci d’être là.

Nous passons maintenant aux questions adressées à M. Berkes. Monsieur Berkes, merci beaucoup de votre patience. J’ai agi de manière peu orthodoxe en gardant toutes les questions pour vous pour la fin. Je m’en excuse. Je ne voulais pas être impolie envers vous.

Le sénateur Cotter : Merci, monsieur Berkes, et merci de votre comparution. J’ai lu le mémoire et je pense être d’accord avec beaucoup des points que vous avez soulevés.

L’une des questions que je me pose tient au fait que certaines des préoccupations que vous avez exprimées concernant ces amendements — et si je peux dire, il s’agit d’un endroit un peu étrange où trouver ces amendements, comme nous en avons discuté un peu plus tôt avec M. Clements dans le cas de l’amendement lié au CP —, mais ai-je raison de dire que certains de ces amendements s’appliqueraient à la disposition existante ainsi qu’au nouvel amendement proposé? Je pense ici à certaines des préoccupations concernant le libellé que vous avez déjà évoquées.

Ma deuxième question est la suivante : selon moi, votre observation concernant l’exercice du pouvoir du procureur général, qui n’est pas en mesure d’être révisé advenant qu’il choisisse de ne pas procéder à une poursuite est judicieuse, mais aurais-je raison de penser qu’il serait plus approprié de présenter ces observations, si perspicaces soient-elles, dans les manuels de politiques destinés aux services de poursuites ou que le procureur général les rende accessibles dans ces manuels de poursuites que nous avons parfois l’occasion de consulter? Merci.

M. Berkes : Merci beaucoup, madame la présidente. Le sénateur a soulevé des questions intéressantes. En ce qui concerne mes commentaires sur la modification proposée à la loi, je ne dirai rien à propos du reste. La loi en vigueur actuellement a été examinée par les tribunaux, et il en est question dans la jurisprudence.

J’aimerais surtout parler du consentement du procureur général. L’ABC estime que, dans certaines circonstances, lorsque les décisions peuvent avoir une saveur politique, la décision du procureur général d’intenter une action en justice peut avoir des conséquences profondes pour le public et sur la perception du public quant à l’administration de la justice. Le procureur général devrait examiner l’action en justice et décider s’il faut ou non poursuivre.

L’ABC est en faveur d’une administration transparente de la justice, pour que le public comprenne à quoi la justice ressemble et comment cela se déroule. Ce ne devrait pas être comme les saucisses, produites en cachette, on ne sait pas trop comment. La justice devrait être faite ouvertement. Quand un juge rend un jugement, il le rend sur une tribune publique afin que le public puisse comprendre les motifs de sa décision.

Puisque le pouvoir discrétionnaire du procureur général d’intenter une poursuite ne peut faire l’objet d’un examen par les tribunaux, il faudrait que le procureur général, quand il décide de ne pas intenter une poursuite, publie une courte déclaration publique. Un peu comme l’a dit le sénateur Cotter, sa décision devrait s’aligner sur une politique, cette politique devrait être publiée, et le public devrait pouvoir consulter cette politique et voir si la décision est en harmonie avec ladite politique. Voilà ma réponse, rapidement.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Est-ce bien M. Berkes? Est-ce que je prononce correctement?

M. Berkes : Oui, c’est ça. En fait... c’est du hongrois anglicisé au fil des ans.

La sénatrice Batters : Je comprends. J’ai des racines ukrainiennes, alors je sais comment cela arrive. On l’a probablement raccourci, à un moment ou à un autre.

J’ai deux ou trois questions. D’abord, est-ce que l’expression « minimiser » apparaît ailleurs, pour n’importe quelle autre infraction prévue dans le Code criminel?

M. Berkes : Je ne m’attendais pas à jouer à Quelques Arpents de Piège. Je ne crois pas qu’on utilise l’expression « minimiser » ailleurs dans le code, même si je dois reconnaître que je ne connais pas chacune des dispositions du Code criminel.

La sénatrice Batters : D’accord. Je ne l’ai jamais vu, en ce qui me concerne. Il me semble que c’est très inhabituel d’utiliser cette expression pour décrire une infraction criminelle, comme vous le disiez plus tôt, et cela pourrait créer des problèmes.

En passant, si vous pouviez trouver... Si vous aviez l’occasion de vérifier plus tard, je serais curieuse de savoir si c’est la première fois où on l’utilise dans le Code criminel ou non, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

M. Berkes : Je vais vérifier, maintenant. Vous avez piqué ma curiosité.

La sénatrice Batters : Bien. Voici mon autre question : Que pensez-vous du fait que le gouvernement fédéral a choisi de s’attaquer au problème important de l’antisémitisme et d’utiliser le Code criminel pour lutter contre cela par l’intermédiaire d’une loi d’exécution du budget qui fait 440 pages, ce qui restreint davantage la capacité des parlementaires, dans ce processus, de débattre et de discuter de ce genre de modification au Code criminel?

M. Berkes : Merci de la question, madame la présidente. La sénatrice a soulevé une question très importante. L’Association du Barreau canadien affirme depuis longtemps que le droit criminel mérite sa propre loi, qui serait axée spécifiquement sur le droit criminel. Pour être bon, le droit criminel doit être examiné adéquatement, de près, et doit faire l’objet d’un débat afin qu’on puisse prendre les décisions qui aideront l’ensemble du système de justice pénale et l’ensemble de la société.

Nous ne raffolons pas des projets de loi omnibus. Nous ne croyons pas que c’est approprié de modifier le droit criminel par l’intermédiaire d’un projet de loi omnibus ou de modifications dans une loi d’exécution du budget, comme c’est le cas présentement.

La sénatrice Batters : Merci. Je comprends.

La présidente : Chers collègues, la sénatrice Dupuis a quelques difficultés aujourd’hui, alors je vais lire sa question :

Monsieur Berkes, vous avez dit que la défense de la vérité ne s’appliquerait pas nécessairement en pratique. Vous avez laissé entendre qu’il ne devrait y avoir qu’une défense, celle-ci, de bonne foi, il voulait attirer l’attention, afin qu’il y soit remédié, sur des questions provoquant ou de nature à provoquer des sentiments d’antisémitisme envers les Juifs. Pouvez-vous approfondir ce que cela veut dire, monsieur Berkes?

M. Berkes : Merci beaucoup, madame la présidente. La sénatrice soulève une question intéressante.

D’un point de vue pratique, si l’infraction est la négation de l’Holocauste, il est absurde d’invoquer une défense indiquant qu’il faut prouver que la négation de l’Holocauste est vraie. Manifestement, on peut difficilement imaginer un argument religieux de bonne foi ayant comme prémisse la négation de l’Holocauste.

Je dirais qu’il pourrait y avoir un débat public sur certains aspects de l’Holocauste et ses interprétations. Peut-être que cela est défendable, mais l’activité visée par la modification proposée est certainement déjà criminalisée par le paragraphe 319(2), et dans les cas où le procureur général donne son feu vert à une poursuite en justice, les quatre moyens de défense pourraient certainement être utilisés.

L’une des raisons pour lesquelles ces moyens de défense sont intégrés, c’est aux fins de la constitutionnalité de la disposition. La Cour suprême du Canada a décidé que, peut-être, sans ces moyens de défense, il y aurait une limite déraisonnable à la liberté d’expression, mais ces moyens de défense utilisables ont sauvé la disposition.

Il est important que cette disposition existe pour le procureur général. Merci beaucoup de la question.

La sénatrice Pate : Merci, monsieur Berkes. Juste pour donner suite à la question de la sénatrice Dupuis, croyez-vous que cette disposition ajoute quelque chose, qu’elle sert davantage de façade ou qu’elle crée le genre de protection réelle qui devrait exister en premier lieu?

Deuxièmement, quand un témoin de l’Association canadienne des libertés civiles a comparu devant nous, nous avons discuté un peu de la possibilité que cela puisse, en fait, donner une plus grande tribune à ceux qui veulent nier l’Holocauste. Je serais curieuse de savoir ce que vous pensez de ces préoccupations.

M. Berkes : Merci beaucoup, madame la présidente. La sénatrice pose une question très importante.

L’Association du Barreau canadien peut seulement s’exprimer à propos du mécanisme des composantes des nouvelles dispositions pénales qui sont proposées. Je ne peux pas me prononcer sur la question de savoir si, comme la sénatrice l’a dit, il s’agit d’une disposition de façade.

Cependant, je peux certainement formuler des commentaires et dire que les poursuites au criminel soulèvent des questions difficiles. Souvent ou même très souvent, il s’agit d’une conduite jugée odieuse par la société. Nous avons des ordonnances de non-publication pour protéger les parties plaignantes dans diverses poursuites. Certains des éléments de preuve qui sont présentés ne sont pas montrés au public, de par leur nature. Si le procureur général agit en tant que protecteur dans ce genre de poursuites, cela compense l’idée que tout ce que nous allons faire, c’est donner une tribune aux gens pour qu’ils puissent exposer leurs théories complotistes.

Si le procureur général juge qu’il convient d’intenter une poursuite en justice, dans une situation donnée, parce que les activités atteignent le seuil où il faut poursuivre et peut-être imposer des sanctions pénales, je crois que cela l’emporte sur toute préoccupation supposant que cela donnerait d’une façon ou d’une autre une tribune pour — à défaut d’autres mots — cracher sa haine. Merci de la question, madame la sénatrice.

La présidente : Monsieur Berkes, j’ai quelques questions de nature technique pour vous également. Selon vous, qu’est-ce qui est réputé être une conversation privée?

M. Berkes : Merci, madame la présidente. C’est une question vraiment importante. À l’époque où le paragraphe 319(2) est entré en vigueur, Internet n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. J’admets que j’ai fait un peu de recherche, quand j’ai lu les questions qui ont été posées précédemment. Je sais que c’était votre dernière question, à la dernière séance sur le sujet, alors j’ai pu y réfléchir un peu.

Honnêtement, je dois demander de l’aide à mon épouse. Elle est beaucoup plus intelligente que moi. Quand j’étudie ces questions où je suis incapable de sortir de la matrice universitaire du droit criminel, je lui demande de m’expliquer comment le monde réel fonctionne, et évidemment, elle joue le jeu. Elle adore les romans d’amour, mais ils ont aussi des groupes Facebook. Ce sont des groupes fermés, alors n’entre pas qui veut. Pour faire partie du groupe, vous devez répondre à deux ou trois questions pour montrer que vous êtes amateur de ce genre de littérature, puis on vous donne accès.

Dans mes observations, respectueusement, j’ai mentionné qu’un groupe Facebook fermé n’est pas nécessairement une conversation privée, même si vous avez limité les parties qui ont accès à l’information. Selon l’interprétation, une conversation est un dialogue, un échange, entre des gens.

S’il s’agit d’un bulletin électronique ou même de groupes sur WhatsApp, qui comptent des centaines de gens, ou d’un appel Zoom avec une dizaine de personnes, je pense qu’une fois qu’il n’y a plus la dynamique de la conversation et de l’échange, alors cela veut dire certainement qu’il ne s’agit plus d’une conversation purement privée.

Il en va de même pour quelque chose auquel le public aurait accès simplement en payant le prix d’entrée. Pour faire un lien avec l’article 163 du Code criminel, les dispositions législatives sur l’obscénité, le fait de montrer un film pornographique en privé chez soi est considéré comme quelque chose de privé. Mais, si vous le diffusez dans un cinéma, où les gens peuvent payer un prix et y avoir accès, alors c’est un forum public.

Une analogie similaire qui pourrait être faite, avec le texte législatif actuel, c’est que si une personne peut s’inscrire et recevoir de l’information simplement en s’inscrivant à une liste de courriels ou en participant à un appel Zoom, et que cette personne jouit d’un certain anonymat, je dirais que ce n’est pas une conversation privée, parce qu’il n’y a pas cette dynamique de l’échange.

Je pense que c’est la façon longue de dire que cette expression peut être définie, mais qu’elle fera l’objet d’un litige à un moment ou à un autre. Merci de la question.

La présidente : J’ai une autre question. J’y ai réfléchi longtemps, et j’aimerais avoir votre aide. C’est à propos de la mens rea et de l’actus reus en lien avec l’infraction. L’accusé avait-il une mens rea suffisante — une intention coupable —, et a-t-il commis les actes énoncés dans l’infraction? Pouvez-vous expliquer?

Je suis certaine que vous y avez réfléchi. Comment exprimeriez-vous cela devant un tribunal? Je m’excuse si c’est une question difficile, mais j’ai de la difficulté à comprendre.

M. Berkes : Dans les modifications législatives, c’est beaucoup plus simple, en fait. Il faut démontrer que la personne, en commettant l’acte, soit savait qu’il y aurait des conséquences antisémites, soit a fait preuve d’aveuglement volontaire. En droit criminel, l’aveuglement volontaire est assimilable à la connaissance. C’est quand vous avez de très forts soupçons, mais que vous décidez consciemment de ne pas vous poser de question, parce que la réponse vous donnerait inévitablement cette connaissance.

L’une des choses que je ferais, si j’étais procureur, ce serait certainement de montrer la réaction du public. J’irais chercher des éléments de preuve sur les médias sociaux pour savoir quelles sont les déclarations des gens si les réactions étaient d’user de la violence.

Je n’aime pas utiliser trop d’exemples provenant des États-Unis, mais, quand une certaine personne au gouvernement fait un discours et que la réaction est que tous les gens qui ont assisté au discours marchent sur le siège du pouvoir et saccagent l’édifice, on peut dire que la personne aurait dû savoir que ses paroles allaient avoir cet effet. Cela s’appliquerait de façon similaire dans le cadre d’une poursuite.

Si j’étais responsable de la défense, puisque je suis avocat de la défense, je dirais que les déclarations avaient été faites de bonne foi et qu’elles ne visaient pas à inciter à la violence. Je mettrais en relief les parties de la déclaration de mon client qui montrent que c’était simplement théorique et que cela n’atteint pas le seuil de l’exhortation, surtout une exhortation à la violence.

La présidente : Je vous ai écouté très attentivement au sujet des critères selon lesquels le procureur général donne son consentement ou refuse, selon les nouvelles dispositions. Selon vous, quels critères devraient être appliqués?

M. Berkes : Merci de la question.

La présidente : Peut-être que cela vous met dans une position difficile. Vous pouvez ne pas répondre, si vous n’êtes pas à l’aise.

M. Berkes : Il revient aux procureurs généraux d’établir les critères. Je crois que le sénateur Cotter a souligné qu’il y a souvent des manuels de poursuites qui énoncent les politiques générales. Il devrait y avoir des consultations à ce sujet avec les divers groupes d’intervenants — certaines des personnes qui ont justement comparu devant vous —, puis des consultations avec le procureur général, et ensuite le procureur général établirait conséquemment un ensemble de critères. Je crois que, d’un point de vue pratique, c’est ce qui devrait être fait.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Berkes. Le sénateur Cotter a une question.

Le sénateur Cotter : Merci, monsieur Berkes, et pour donner suite au dernier échange avec la présidente, j’imagine qu’il n’a pas été question de ces dispositions législatives dans les discussions qu’il y a souvent à la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada avec les procureurs fédéraux et provinciaux et les avocats de la défense. Je me demandais si vous pouviez le confirmer, si vous le savez.

Deuxièmement, en ce qui concerne la discussion que vous venez de proposer sur l’élaboration des critères stratégiques — advenant que le gouvernement du Canada soit ouvert à discuter des critères ou d’expliquer et de motiver ses critères —, est-ce vraiment un endroit utile pour avoir cette discussion? Merci.

M. Berkes : Madame la présidente, merci énormément de m’avoir invité ici. Le sénateur Cotter soulève des questions importantes. Je n’ai pas participé, personnellement, à la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, mais les membres de la Section de la justice pénale de l’Association du Barreau canadien y assistent régulièrement. D’après mes discussions avec eux, je crois comprendre que ce n’est pas nécessairement un forum où on débat de nouvelles questions; c’est plutôt un endroit où on débat du droit criminel et de certaines questions de procédure, et lorsque certains problèmes concernant des aspects du droit sont soulevés, on propose des solutions.

Il y a certaines questions importantes qui sont débattues. Il y a eu de très grands débats sur les peines minimales obligatoires à la Conférence pour l’harmonisation des lois, et il va de soi que, en soulevant des questions sur le droit criminel à la conférence, cela donne au gouvernement un accès facile aux meilleurs experts en la matière au Canada. Ce serait évidemment un excellent endroit où soulever n’importe quelle question relative au droit criminel.

Mais pour ce qui est des divers intervenants, il faut que la discussion soit plus large et plus générale, et il faut vraiment que le bureau du ministre organise potentiellement des tables rondes, des réunions avec divers groupes pour solliciter leurs opinions.

Le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de leader dans l’élaboration des pratiques exemplaires. Bien sûr, les procureurs généraux relèvent des provinces, et ils ne sont pas tenus d’obéir au gouvernement fédéral, mais, si le gouvernement fédéral propose des critères, cela servirait certainement à éclairer les discussions provinciales.

Personne ne m’a posé cette question jusqu’ici, mais le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans l’application de la loi envers ce genre de crimes haineux. Je n’ai pas demandé l’autorisation à Mme Terrien de l’ABC de le dire, alors je suis sûr que je vais en entendre parler, mais nous avons une force policière fédérale. Peut-être que, à Ottawa, on pourrait rédiger un manuel de formation pour les enquêtes sur ce genre de crimes. Une discussion que j’ai souvent avec mon épouse porte sur le fait que le public ne semble pas comprendre que la moitié d’une affaire au criminel repose sur les éléments de preuve et que ces éléments de preuve, c’est la police qui les obtient. Ce serait inestimable d’avoir une force policière avec une formation spécialisée à long terme sur la façon de recueillir le genre d’éléments de preuve nécessaires à une poursuite en justice, de préparer les témoins pour qu’ils puissent témoigner d’une façon compréhensible et qui touche au cœur des questions dans ce genre de poursuite; cela permettrait de veiller à ce que le droit criminel fonctionne comme il se doit et qu’il sert le public. Je crois que cela aiderait énormément l’administration de la justice si la GRC créait une unité spécialisée sur les crimes haineux, qu’elle formait ses agents et que ces agents restaient en poste à long terme parce que, s’ils comprennent ces enjeux, ils pourront former d’autres forces policières.

Personne ne m’a posé cette question, et je vais probablement me faire réprimander d’en avoir parlé sans y être sollicité, mais voilà. Merci.

Le sénateur Cotter : Pour votre défense, vous pourriez dire que l’un d’entre nous a posé la question rétroactivement. Merci.

Le sénateur White : Je vous remercie de cette réponse, étant donné qu’on avait posé une question similaire aux témoins précédents à propos de la coordination. Nous avons 198 services de police au pays, comptant de 5 à 32 000 personnes par service, et je crois qu’il y a un manque de coordination ainsi qu’un manque de formation. Je doute que le Collège canadien de police joue vraiment un grand rôle pour ce qui est de former les agents sur les crimes haineux.

En ce qui concerne surtout la coordination, le gouvernement fédéral du Canada n’établit pas de normes sur les activités policières au Canada. Chaque administration décide de ses propres normes, ce qui crée des difficultés à de nombreux égards, et, je crois, à celle-ci en particulier.

Puisque nous nous demandons si la GRC devrait avoir des équipes spécialisées — parce que les services policiers n’ont pas accès aux mêmes nombres de ressources dans chaque province —, ne serait-ce pas logique, à tout le moins, que tous les services aient la responsabilité d’en faire rapport à la GRC, pour que la GRC puisse ensuite s’assurer que les enquêtes sont menées de façon appropriée?

M. Berkes : Merci beaucoup de la question. Un des problèmes qui se posent, dans le cadre de poursuites criminelles, c’est que les procureurs provinciaux de la Couronne sont chargés d’intenter des poursuites pour des infractions au Code criminel et que les procureurs fédéraux sont chargés d’intenter des poursuites pour des infractions à d’autres lois, par exemple la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi de l’impôt sur le revenu et les autres lois qui y sont liées, les diverses lois concernant les chemins de fer, et cetera. Il faut être prudent et bien départager les compétences.

Bien sûr, si la GRC pouvait jouer un rôle de premier plan pour élaborer des techniques correctes pour recueillir des éléments de preuve, pour préparer le cas et pour offrir une formation aux forces de police locales qui n’ont peut-être pas les ressources. Le gouvernement fédéral, dans les cas où une force policière locale est trop petite pour créer une unité spécialisée sur les crimes haineux, pourrait avoir un dialogue ouvert avec cette unité locale et pourrait transmettre l’information à l’unité fédérale de la GRC, qui a plus de ressources, plus d’expérience, et qui aiderait alors à recueillir des éléments de preuve; ce ne serait pas nécessairement inapproprié, et ils pourraient être utilisés.

Le sénateur White : Si on regarde ce qui se fait d’un bout à l’autre du pays, à l’exception peut-être de l’Unité provinciale de contrôle des armes à feu de l’Ontario, la GRC a assumé un rôle, avec ses équipes nationales de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu, d’un bout à l’autre du pays pour soutenir les services — autant les détachements de la GRC que les autres services de police — pour que le gouvernement ait une certaine assurance que les enquêtes sont exécutées de la même manière à St. Albert, en Alberta, qu’à Sydney, en Nouvelle-Écosse.

Ce n’est pas la première fois qu’ils font cela. La GRC a la responsabilité, en tant que service de police national, d’assumer des rôles lorsqu’il n’y a personne d’autre pour les fournir, par exemple en ce qui a trait aux laboratoires. J’imagine que je devrais le formuler sous forme de question. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas comme si nous n’avions jamais rien fait de tel. Il y a la question des ressources fédérales de la GRC. C’est la responsabilité de quelqu’un d’autre.

Si on adopte une loi et qu’on établit des attentes, on devrait fournir les outils pour que les gens fassent leur devoir, et pas seulement leur donner une responsabilité. N’êtes-vous pas d’accord? Voilà.

M. Berkes : La seule mise en garde... En principe, je suis d’accord pour dire qu’on devrait enquêter sur les activités criminelles au meilleur de nos compétences, avec le plus de professionnalisme possible. Au bout du compte, c’est le système qui en sort gagnant : les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense, les juges et l’administration de la justice.

La seule caractéristique unique de ce type de loi, c’est que, encore une fois, ce sont les procureurs généraux provinciaux qui vont devoir autoriser les poursuites en justice. Le seul hic que je vois, c’est que la GRC, qui relève du fédéral, enquête, puis les éléments de preuve sont remis, et la décision de poursuivre ou non relève du provincial.

Le sénateur White : Mais c’est ce qui est fait par rapport aux armes à feu — excusez-moi, madame la présidente — en Ontario et au Québec également; c’est la province qui a la responsabilité d’intenter une poursuite, même si c’est un organisme fédéral qui soutient les services locaux pour l’enquête et la poursuite.

M. Berkes : Exact. Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je veux dire qu’en Ontario, la police dépose les chefs d’accusation, puis la Couronne les examine et décide ou non d’intenter une poursuite. Le procureur général ne joue pas le rôle de protecteur.

Le sénateur White : Comme c’est le cas en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick?

M. Berkes : En Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, la Couronne doit approuver les chefs d’accusation, dont c’est légèrement différent qu’en Ontario. En Ontario, un agent de police va déposer le chef d’accusation, puis la Couronne l’examine. En Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, la Couronne va approuver l’accusation dès le départ. Ce n’est pas la police qui va déposer les chefs d’accusation. C’est la seule question qu’il faudrait régler. Je ne pense pas que ce soit insurmontable. Merci de la question.

Le sénateur White : Merci beaucoup. Merci d’être avec nous, monsieur Berkes.

La sénatrice Boniface : Merci d’être avec nous, monsieur Berkes. La question du sénateur White m’a fait penser à l’autre principe que vous avez mentionné, la politique sur ce qui devrait être rendu public. Ai-je raison de dire que la décision de ne pas intenter une poursuite en justice relativement à un crime haineux devrait être encadrée par le fédéral, du moins en ce qui concerne les motifs de ne pas poursuivre, pour éviter des situations incohérentes d’un procureur général à un autre? Parce que je me dis que c’est l’une des préoccupations que les gens vont avoir [Difficultés techniques].

M. Berkes : Je suis désolé, madame la présidente, mais j’ai de la difficulté à comprendre la question de la sénatrice.

La présidente : Je tiens à vous remercier chaleureusement, monsieur Berkes. Vous avez fait preuve de patience avec nous aujourd’hui, et nous avons appris énormément de choses grâce à vous.

Aussi, j’aimerais vous demander de dire à l’Association du Barreau canadien, lorsque vous rentrerez, que notre comité se fie énormément à votre association pour appuyer son travail. Vous ne nous avez jamais laissé tomber, et vos membres ont toujours été, vous y compris, des témoins formidables. Merci beaucoup, et s’il vous plaît, dites au président de l’Association du Barreau canadien que nous sommes extrêmement reconnaissants de votre soutien. Merci d’avoir été avec nous aujourd’hui, monsieur Berkes.

Chers collègues, voilà qui met fin à la réunion d’aujourd’hui. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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