LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 2 février 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 35 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, la question de l’intoxication volontaire, y compris l’intoxication extrême volontaire, dans le contexte du droit pénal, notamment en ce qui concerne l’article 33.1 du Code criminel.
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue à cette réunion du comité.
J’aimerais d’abord demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Marty Klyne, de la Saskatchewan.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate, et je viens d’ici, le territoire non cédé, non rendu, des Algonquins anishinabeg.
La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.
Le président : Je m’appelle Brent Cotter, et je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’intoxication extrême découlant du projet de loi C-28. Nous accueillons tout d’abord Benjamin Roebuck, qui est ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels depuis peu. C’est la première fois que vous venez témoigner à notre comité, monsieur, et nous vous souhaitons la bienvenue. Je vous demanderai de vous en tenir à environ cinq minutes pour vos remarques liminaires, à la suite desquelles nous passerons aux questions des sénateurs.
[Français]
Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels : Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui.
Nous sommes présents aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je reconnais notre responsabilité commune, ainsi que ma responsabilité personnelle, de travailler à la lutte contre le colonialisme, le racisme et l’oppression historiques et actuels des peuples autochtones. Pour ce faire, il faut s’employer, ensemble, à démanteler la criminalisation des peuples autochtones et apprendre de la résilience et du dynamisme des diverses cultures autochtones.
[Traduction]
J’ai été nommé ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels il y a trois mois. J’apprends beaucoup, et je suis reconnaissant d’avoir l’occasion de servir les victimes et les survivants d’actes criminels au Canada. Je suis reconnaissant de rencontrer les membres de ce comité, qui m’impressionnent beaucoup avec leur vaste expérience en matière de défense juridique, d’innovation, de justice et de compassion.
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels est une ressource indépendante pour les victimes au Canada. Notre bureau a été créé pour aider le gouvernement fédéral à honorer ses engagements envers les victimes d’actes criminels. Les victimes contactent notre bureau pour en apprendre sur leurs droits en vertu des lois fédérales, pour connaître les services fédéraux disponibles, ou pour porter plainte à propos d’organismes fédéraux ou de lois qui les concernent. Nous sommes là pour les aider à trouver des solutions lorsque leurs droits ont été enfreints, et nous travaillons de concert avec des intervenants d’un peu partout au pays pour déceler les tendances émergentes qui affectent les victimes d’actes criminels. Si le contexte s’y prête, nous offrons des recommandations pour veiller à ce que le processus législatif tienne compte des préoccupations des victimes.
Lorsque la Cour suprême du Canada a jugé dans l’affaire R. c. Brown que l’article 33.1 du Code criminel était inconstitutionnel, cela a eu des effets immédiats et néfastes sur les survivants de crimes violents. Le libellé de la loi et le langage utilisé par la Cour suprême sont difficiles à comprendre et ont mené à une désinformation généralisée sur des expériences hautement traumatisantes et personnelles de Canadiens.
Les organisations qui viennent en aide aux femmes ayant vécu de la violence sexospécifique et d’innombrables jeunes survivants d’agressions sexuelles, en particulier, ont cru que le gouvernement avait fait en sorte que l’intoxication devienne une défense admissible pour toute violence à l’encontre des femmes et des filles. Cela a provoqué énormément de détresse; certains souvenirs traumatisants sont revenus à la surface et il y a eu des manifestations dans des écoles secondaires, où de jeunes survivants ont raconté leurs expériences personnelles, et ce souvent sans les ressources nécessaires pour le faire en sécurité.
J’estime qu’il fallait réagir de toute urgence, et je suis heureux que le gouvernement se soit mobilisé rapidement en réponse à la décision de la Cour suprême. Je suis heureux que le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable David Lametti, ait été clair. Il a répété à maintes reprises que « le fait d’être ivre ou drogué n’est pas une défense pour commettre des actes criminels tels que des agressions sexuelles ». Je crois que c’était un signe d’empathie et d’espoir pour les autres préoccupations des victimes d’actes criminels.
Je comprends également que l’approche non conventionnelle consistant à adopter cette mesure législative avant qu’elle ne puisse être pleinement examinée et évaluée par nos comités parlementaires a créé une obligation de s’engager maintenant dans ce processus de manière importante.
L’intoxication causée par l’alcool et d’autres substances est courante dans de nombreux contextes menant à la victimisation criminelle. Dans ces situations désordonnées, les gens peuvent devenir plus ou moins conscients de leur comportement et de leur impact sur les autres, et il est donc difficile d’établir des critères objectifs de culpabilité. D’autres témoins ont déjà expliqué que ce sont surtout des hommes qui commettent des actes violents envers des femmes qui utilisent la défense d’intoxication extrême. Je crois qu’il s’agit d’une considération importante à la lumière du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre.
J’ai comparu au Comité permanent de la justice et des droits de la personne en novembre pour discuter du projet de loi C-28, et j’y ai fait trois recommandations simples, que je vais vous transmettre également. Premièrement, il faut que le langage soit clair. Si la désinformation se poursuit à propos du projet de loi, cela aura des conséquences sur les femmes et les filles. Le libellé du projet de loi C-28 est compliqué, et nous recommandons d’envoyer des messages clairs et répétés au public. Je suis heureux que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes ait recommandé qu’on organise une campagne de sensibilisation publique pour expliquer le projet de loi C-28 en langage clair.
Deuxièmement, il est nécessaire d’avoir des consultations sérieuses. Le projet de loi C-28 doit être basé sur les divers points de vue des Canadiens exprimés dans le cadre de cette étude. Nous recommandons que le projet de loi soit révisé au fur et à mesure que des préoccupations sont soulevées.
Troisièmement, il faut assurer un suivi de la situation. L’intoxication est très courante dans le contexte des crimes violents, et les groupes de femmes et les survivants se sont grandement inquiétés de la possibilité d’utiliser cette défense de façon abusive. Je sais que le Comité de la justice a recommandé un examen officiel après trois ans pour s’assurer que le projet de loi C-28 atteint les objectifs du Parlement et pour évaluer ses répercussions sur la criminalité. J’appuie également cette recommandation. Je vous remercie.
Le président : Merci, monsieur Roebuck.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à notre témoin. J’ai bien hâte de vous rencontrer. Je pense bien que nous nous rencontrerons d’ici quelques semaines. J’ai hâte de partager avec vous votre vision par rapport à l’aide aux victimes, et surtout par rapport à la Charte canadienne des droits des victimes.
Hier, les témoins au comité étaient des femmes professeures. Des groupes de femmes se sont également exprimés, et le Dr Chamberland s’est exprimé très clairement au sujet de cette loi — on ne peut plus l’appeler « projet de loi ». Beaucoup de gens s’inquiètent du fait que, dans un avenir proche, un plus grand nombre de délinquants vont utiliser la faiblesse de cette loi, que plusieurs ont soulignée, pour se prévaloir de la non-responsabilité criminelle afin de se soustraire à des peines plus sévères. Je voudrais avoir votre propre point de vue sur le point de vue du Dr Chamberland, entre autres.
[Traduction]
M. Roebuck : Je vous remercie de la question. Le seuil établi dans la loi demeure élevé, et il serait donc difficile d’invoquer cette défense correctement. Cela dit, je m’inquiète de l’impression que cela laisse aux survivants de crimes violents qui ont vécu des sévices et de la manipulation. Les agresseurs au fait de cette loi pourraient dire qu’il ne s’agit plus d’une violation claire. On pourrait en abuser, vous avez raison.
Pardonnez-moi, mais je reviens tout juste d’une formation très complexe sur le rôle d’ombudsman, et je commence à me remettre dans le bain. Je m’excuse.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Le Dr Chamberland est un éminent psychiatre responsable des services psychiatriques à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. L’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel est une institution psychiatrique qui reçoit, bon an mal an, des centaines de personnes qui sont ou qui pourraient être reconnues non criminellement responsables pour différentes raisons, comme la maladie mentale et l’intoxication. C’est un médecin qui a une très grande compétence et qui a vu beaucoup de cas depuis qu’il travaille dans le domaine de la psychiatrie — depuis 25 ans, je crois.
Contrairement à vous, il est convaincu que, à la suite de l’adoption de ce projet de loi, beaucoup plus de délinquants vont s’en prévaloir. Il a aussi admis — ce qui m’inquiète — que plus le crime sera grave ou plus l’infraction sera grave, plus les contrevenants voudront se servir de cette mesure. J’essaie de comprendre votre opinion. En qualité de défenseur des victimes, vous semblez dire que ce projet de loi ne présente pas de risques pour les victimes. Je voudrais que vous expliquiez cela.
[Traduction]
M. Roebuck : Je crois qu’il y a un risque, et, selon moi, les idées fausses posent un risque supplémentaire. Ce n’est pas clair pour les survivants dans ce contexte. Il devient plus difficile pour les gens de comprendre leurs droits et les protections qui leur sont offertes en vertu de cette mesure législative.
Je crois également, d’après mes propres recherches sur l’itinérance des jeunes, que beaucoup de gens se trouvent dans des situations qui pourraient être considérées comme une défense en vertu de ce projet de loi. On sait que les jeunes peuvent avoir des réactions indésirables à des médicaments mélangés à d’autres substances, et que cela se produit dans des contextes où il y a de la violence sexuelle, tels que des partys universitaires ou des relations. Je crois vraiment qu’il y a un risque. C’est pourquoi je pense qu’il est important d’attendre de voir ce qui va se passer, de surveiller la situation et d’en faire rapport. Il est un peu difficile de prévoir l’utilisation exacte d’une telle défense pour le moment. Je crois qu’il est vraiment important d’observer la manière dont elle est et sera utilisée.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bienvenue et félicitations pour votre nomination. Je sais que nous vous mettons dans une position difficile, car vous venez à peine d’arriver en poste et nous vous posons des questions difficiles. Vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes.
[Traduction]
Vous avez fait trois recommandations à l’autre endroit. Vous avez entre autres recommandé qu’il y ait un examen de la situation après deux ans. Le comité a plutôt opté pour un examen aux trois ans. Vous avez dit approuver cette recommandation. Pouvez-vous nous expliquer cela?
Ma première question est simple, mais la prochaine est plus substantielle. Vous avez recommandé que le langage soit plus clair. À quoi pensiez-vous en disant cela? Que proposeriez-vous pour rendre l’article 33.1 plus clair?
M. Roebuck : Je vous remercie de vos questions. Je pense que la recommandation d’assurer un suivi du projet de loi et de procéder à un examen aux trois ans se vaut, étant donné la lenteur du système de justice pénale dans certains cas. Nous voulons nous assurer de bien comprendre comment les mesures sont appliquées. Si nous examinons la chose dans deux ans, en nous disant que le projet de loi a été adopté, j’ai l’impression que ce sera trop tôt pour en relever les répercussions réelles qui nous permettraient de prendre une décision éclairée. Voilà pourquoi je suis en faveur d’un examen aux trois ans.
En ce qui concerne la clarté du langage, je peux vous donner un exemple du projet de loi :
... elle s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable, dans les circonstances, relativement à la consommation de substances intoxicantes.
C’est vraiment difficile à comprendre, surtout avec les idées fausses qui circulent. Ce n’est vraiment pas tout le monde qui se réfère au Code criminel pour juger de ses comportements et faire un choix rationnel, mais je crois que nous avons l’obligation de clarifier les choses pour le public.
On peut penser au libellé législatif ou à des efforts de sensibilisation auprès du public sur la signification du projet de loi, mais je pense qu’il a entre autres été utile que le ministre dise que l’intoxication extrême n’est pas une défense pour les agressions sexuelles et d’autres actes criminels. Je pense qu’il s’agit d’un message clair. Je n’ai pas de libellé à vous proposer pour l’instant, mais je crois qu’on pourrait clarifier le message de bien des façons.
Le sénateur Dalphond : À ce propos, d’autres témoins ont entre autres suggéré que ce serait peut-être bien de supprimer le paragraphe 2 et de s’en tenir davantage aux principes exprimés dans le paragraphe 1, qui traite de la norme de diligence d’une personne raisonnable dans des circonstances semblables. Seriez‑vous plus à l’aise avec cette solution, sachant qu’avec ou sans le paragraphe 2, on ne parviendrait à clarifier les choses que dans quelques années à la suite de divers jugements?
M. Roebuck : Oui, c’est vrai. Je crois qu’il est difficile de prédire un risque adéquatement, surtout en ce qui concerne les répercussions de diverses substances. Je pense que la Cour suprême a reconnu qu’il peut y avoir des circonstances dans lesquelles les individus n’ont aucune idée que quelque chose pourrait se produire. Encore une fois, si je me réfère à mon expérience avec les jeunes sans-abri que j’ai rencontrés, ce sont des gens qui peuvent vivre sans protection ou sécurité, qui prennent ou perdent souvent des médicaments pour leur santé mentale et qui se tournent vers des substances qu’ils trouvent dans la rue. Ils peuvent avoir vécu des traumatismes extrêmes, et, dans ces cas-là, cette défense pourrait être une voie de sortie. Elle pourrait éviter la criminalisation et permettre d’avoir une approche plus axée sur les traumatismes.
Je crois qu’il est complexe de prédire un risque. Cette défense pourrait-elle s’appliquer trop largement? Oui, peut-être, mais je crois qu’il faut évaluer la situation.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à notre témoin et le remercie de sa contribution. Pour faire suite à la question du sénateur Dalphond, il est vrai que le langage est complexe, je suis heureux que vous recommandiez qu’il soit clarifié.
J’aimerais parler du message envoyé au public. Que pourriez‑vous nous recommander à cet égard? Qu’est-ce qui permettrait de sensibiliser la population de façon efficace, selon vous? Je pense surtout aux victimes; on veut qu’elles comprennent comment interpréter le projet de loi, mais aussi que le seuil pour utiliser une telle défense a grandement diminué. Devrait‑on mener des campagnes de sensibilisation dans la population en général plutôt qu’auprès des victimes seulement? Le grand public devrait-il être entièrement au fait de la signification et de l’intention du projet de loi? Si oui, cela nous ramène à nouveau à l’idée de rendre le libellé plus vernaculaire, si je puis dire.
M. Roebuck : Pensons aux répercussions de la décision de la Cour suprême; elle a affecté les jeunes victimes d’agressions sexuelles de façon disproportionnée. Des élèves du secondaire ont manifesté, par exemple. Je crois qu’il serait éthiquement responsable de cibler tout particulièrement les jeunes, la population la plus vulnérable, pour clarifier et expliquer la signification et l’application de la loi. Peu importe la forme des campagnes de sensibilisation auprès du public, je recommanderais de cibler particulièrement les jeunes. Cela permettra d’ailleurs de jeter les bases en matière de sensibilisation publique pour l’avenir, car ces jeunes vieilliront.
Le sénateur Klyne : Merci.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je vous remercie d’être parmi nous, monsieur Roebuck. Je suis heureuse que vous ayez été nommé à ce poste, et je suis certaine que notre comité fera appel à vous à maintes reprises dans les années à venir.
Je reviens à l’idée d’avoir un examen aux deux ans. Votre recommandation précédente était de procéder à un examen tous les deux ans. Aujourd’hui, vous semblez dire que ce serait adéquat d’avoir plutôt un examen aux trois ans. Certains ont dit qu’il serait plus approprié d’avoir des examens moins rapprochés pour avoir des données plus complètes.
À ce propos, la professeure Isabel Grant, qui a comparu devant nous hier soir, a dit :
J’ai du mal avec ce raisonnement, car nous disons essentiellement aux victimes qu’elles ne pourront pas avoir recours au système de justice pénale pendant que nous déterminons si nous avons bien fait les choses ou non. Je préférerais que nous essayions de trouver une solution approximative.
Comment réagissez-vous à cela, étant donné que l’étude du projet de loi C-28 a été si précipitée? Si notre comité relève des problèmes après une étude plus approfondie, ne devrions-nous pas agir rapidement pour apporter les modifications législatives appropriées afin d’alléger le fardeau des victimes? Cela n’empêcherait pas, bien sûr, un examen législatif ultérieur.
M. Roebuck : Oui, je suis d’accord pour dire, tout comme vous, que les données sont importantes. En tant que chercheur, si je pense à un rapport dans trois ans sur ce sujet, cela signifie qu’on commencerait déjà à mettre les mécanismes de suivi en place pour veiller à recueillir des renseignements au fur et à mesure et classer leur utilisation, de sorte à avoir un portrait clair de la situation dans trois ans. Je pense qu’en agissant ainsi, on pourra intervenir si on décèle quelque chose de particulièrement alarmant au fur et à mesure que la situation évolue au cours des trois prochaines années pour en discuter. Pour l’instant, on ignore s’il y aura 30 cas en trois ans ou des centaines. Voilà pourquoi j’estime qu’il est important d’avoir un mécanisme de suivi qui servira pour le rapport dans trois ans.
La sénatrice Batters : Elizabeth Sheehy, qui a témoigné devant notre comité hier — ma collègue, la sénatrice Pate, en parlera plus en détail, ayant eu l’occasion d’examiner cette affaire — nous a appris qu’il y a peut-être déjà eu un premier cas d’acquittement fondé sur la défense d’intoxication extrême, qui aurait été prononcé par un juge de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique. Le rapport de cette décision a été publié hier, juste après la fin des travaux de notre comité. C’est assez alarmant, mais je laisserai la sénatrice Pate vous en parler plus en détail. Je présume que cela montre la nécessité d’avoir des mesures en place nous permettant d’agir avant trois ans.
De nombreux témoins, monsieur Roebuck, ont préconisé d’abaisser le seuil à la simple prévisibilité de la perte de contrôle plutôt qu’à la prévisibilité du préjudice. Je cite à nouveau la professeure Isabel Grant :
Lorsqu’il est prévisible que vous perdrez le contrôle de vos actions, vous devez assumer le risque que ces actions causent un préjudice grave à une autre personne. Cette charge ne devrait pas être placée sur les victimes qui sont, de manière disproportionnée, des femmes et des filles.
Que répondez-vous à cela, à titre d’ombudsman des victimes d’actes criminels?
M. Roebuck : Au sujet des répercussions sur les survivants d’agressions sexuelles, je conviens que les circonstances actuelles font déjà hésiter les victimes à signaler les infractions et à demander de l’aide. En effet, ils craignent qu’on ne les croie pas ou qu’on les couvre de honte pour leur malheur. Ces circonstances compliquent la situation des victimes.
Au-delà de ce texte de loi, il faut s’intéresser aux circonstances beaucoup plus larges entourant notre traitement des survivants, le respect de leurs droits et nos initiatives pour garantir aux victimes des interventions tenant compte des traumatismes. Ce projet de loi entraînera probablement des abus et des violations des droits des victimes qui se retrouveront sans recours. Je pense que nous devons aussi nous pencher sur ce tableau plus large de la situation. Bien souvent, on néglige l’élément central pour se concentrer sur l’aspect secondaire.
La sénatrice Batters : Merci.
La sénatrice Clement : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Roebuck, et je vous félicite pour votre nomination.
J’aimerais revenir aux questions qu’ont posées les sénateurs Dalphond et Klyne, et discuter du sujet abordé hier soir par le sénateur Arnot sur l’importance de renseigner et de sensibiliser la population.
Le manque de confiance envers nos institutions et notre gouvernement pour leur traitement des Noirs vulnérables, des Canadiens racisés et des femmes s’envenime. Qui devrait s’adresser à ces tranches de la population? Nous allons formuler des recommandations, mais nous nous colletons toujours avec la forme qu’elles prendront. Je comprends que les messages doivent être clairs. Sans vouloir manquer de respect à quiconque, je sais que nous, les avocats, ne communiquons pas clairement : nous nous comprenons entre nous, mais nos messages ne sont pas nécessairement limpides pour la population.
Cela dit, qui se chargera de la communication? Qui abordera les problèmes très réels de confiance?
M. Roebuck : Ce sont là des questions lourdes de sens. Dans la prochaine année, notre bureau va former un groupe de travail qui se penchera sur l’incidence de la violence collective à l’encontre des Canadiens noirs. La dynamique qui entraîne la criminalisation de populations précises est souvent responsable de la sous-représentation de ces personnes dans les services destinés aux mesures d’appui et au respect de leurs droits. Au Canada, beaucoup de discussions s’imposent, surtout au sujet de la façon dont des communautés racisées et autres sont touchées par la violence. Nous nous devons aussi de discuter de l’incidence collective des traumatismes.
Notre bureau a pour objectif de collaborer avec certains intervenants pour en apprendre davantage sur ces répercussions. J’espère que ces démarches créeront un réseau partout au pays pour aborder ces questions. Cette prise de conscience sensibilisera davantage la population à ses droits et aux moyens de les faire respecter. Ce contexte mettra en lumière les difficultés propres aux communautés racisées entourant l’exercice des droits des victimes et les mesures d’appui.
La sénatrice Clement : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci, monsieur Roebuck. Je remarque que votre mandat est assez limité, à certains égards, afin de respecter le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral. Ma question porte sur la sensibilisation. Je vois dans votre mandat que vous êtes responsable de sensibiliser le personnel du système de justice pénale et les responsables des orientations politiques. Un volet du mandat vous invite à cerner les nouveaux enjeux et les problèmes systémiques. Je trouve que votre mandat rejoint directement certains des enjeux que notre comité étudie aujourd’hui au sujet du projet de loi C-28.
Vous travaillez directement avec les victimes d’actes criminels, alors je crois que vous êtes en mesure de bien comprendre leurs préoccupations, la confusion, les idées erronées et peut-être même les fausses opinions de la population générale quant à certains enjeux. Vous seriez bien placé pour clarifier les campagnes publiques de sensibilisation.
Je me pose cette question : vous a-t-on consulté sur la campagne publique de sensibilisation qui sera lancée au sujet de cette loi et sur les préoccupations que certains ont soulevées? Serait-ce utile pour vous que ce comité recommande que vous soyez consulté pour la rédaction des messages et le choix des méthodes de communication avec le public? Vous vous trouvez en effet dans une position unique vous permettant de fournir des données essentielles pour la rédaction des messages et la mise en relief des préoccupations.
M. Roebuck : Je vous remercie de la question. Je suis d’avis que notre bureau pourrait fournir des commentaires précieux pour un plan de communication. Nous participons à divers cercles consultatifs avec des intervenants de partout au pays. Nous comptons un cercle consultatif de chercheurs, un autre de personnes autochtones et enfin un dernier de fournisseurs de services qui inclut des survivants d’actes criminels. Ces groupes peuvent aussi nous aider à tenir compte de commentaires tirés d’expériences réelles pour l’élaboration d’un plan de communications.
Si on me le permet, j’aimerais profiter de l’occasion pour souligner qu’une des grandes lacunes pour les victimes d’actes criminels réside dans le manque d’information. La Charte canadienne des droits des victimes, ou CCDV, ne garantit pas l’obtention de renseignements aux victimes d’actes criminels : il faut en faire la demande. Par conséquent, nos interventions en cas de victimation sont déséquilibrées. La Charte canadienne des droits et libertés garantit à une personne accusée d’avoir violé les droits d’autrui le droit d’obtenir de l’information, d’être représentée par un avocat et de contester les accusations devant un tribunal. Or, même la CCDV ne garantit pas aux victimes d’actes criminels qu’elles seront renseignées, représentées par un avocat ou en mesure de contester les faits en cour. L’enjeu des renseignements constitue ainsi un grand élément structurel que nous devons améliorer.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Je vous souhaite la bienvenue et vous félicite pour votre nomination en tant qu’ombudsman. Nous nous réjouissons de voir votre travail au fil des ans et nous vous remercions de votre comparution aujourd’hui.
Vous avez d’emblée affirmé que toute réalité alarmante devrait être prise en considération. Je vais y revenir dans un instant. Vous avez aussi relevé, à l’instar de certains de nos collègues, la complexité de la loi. J’ai consacré beaucoup de temps à l’enseignement et à tenter d’inciter les étudiants en droit et les avocats à simplifier les choses. Bien souvent, nous compliquons ce qui est en fait assez simple. J’avancerais que c’est ce qui s’est passé dans ce domaine juridique. Il ne fait aucun doute que la situation des hommes particulièrement bien nantis et non racisés est souvent privilégiée par rapport à celle, disons, des femmes victimisées, surtout si elles sont pauvres, racisées et qu’elles ont vécu des traumatismes.
Partout au pays, la réaction des femmes à l’arrêt Brown a été vive et immédiate. Selon moi, cet émoi n’est pas attribuable à un message compliqué. La réaction s’explique plutôt par le message très clair que cette décision a transmis à de nombreuses personnes — sur un sujet d’une perpétuelle actualité — sur le sérieux qu’on accorde à la violence contre les femmes et les enfants. Comme on l’a déjà soulevé, la décision a grandement miné la confiance de certains secteurs dans le système.
Ainsi, comme vous avez affirmé qu’il faut tenir compte des dénouements alarmants, je veux dire que, hier soir, j’ai reçu un jugement — comme certains de mes collègues — on ne peut plus alarmant. Il s’agit d’une décision rendue en Colombie-Britannique la semaine dernière. En raison de l’arrêt Brown, un homme a été acquitté dans une cause où sa femme et ses trois filles comprenaient manifestement le risque qu’il représentait puisque, tout de suite après les événements, elles ont coupé les ponts avec lui. Pendant tout le processus, l’incohérence de son interrogatoire et de ses témoignages à la police n’a pas suffi pour invalider sa crédibilité. En outre, les tribunaux ont accepté son évaluation — et certaines des évaluations de professionnels médicaux — voulant qu’il soit possible qu’il ait été suffisamment intoxiqué pour oublier ses actions ou pour s’être retrouvé dans un état d’automatisme.
Je suis curieuse de savoir si vous jugez qu’une décision, qui survient justement pendant notre étude, suffit pour que nous nous arrêtions et que nous envisagions les répercussions à long terme de ces enjeux. Je suggérerais aussi que la sensibilisation n’a pas tant besoin de viser la population, les femmes ou les personnes violentées, mais plutôt les juges qui doivent être conscients de ces contextes. Je me demande ce que vous en pensez. Êtes-vous au courant du jugement? Il s’agit de la décision Perignon de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.
M. Roebuck : Je vous remercie de porter cette décision à mon attention. Je suis ravi que vous ayez aussi abordé le concept de privilège dans notre discussion, qui est fort important. Si on pense au discrédit qui peut être jeté sur une loi, on peut souvent faire un lien avec les femmes qui sont balayées du revers de la main quand elles font les manchettes. Je crois que vous avez raison : les femmes et les filles ont très clairement manifesté leurs inquiétudes quant à ce projet de loi, et je pense qu’il faut considérer ces commentaires comme du discrédit jeté sur le texte de loi.
Dans les cas de violence conjugale, nous sommes peu doués, au Canada, pour reconnaître les indicateurs de comportement coercitif et contrôlant. Je crois qu’on ne devrait en aucun cas accepter ces arguments de défense dans les causes de violence conjugale impliquant des comportements passés violents, abusifs, coercitifs ou contrôlants. Si on considère seulement les agressions et la violence physique comme indicateurs de violence conjugale, on omettra parfois de la scruter dans toutes ses formes. Je trouve qu’il est essentiel de former les juges sur ces enjeux. Il est également important que nous discutions tous de la dynamique de la violence et de son incidence sur la vie des gens.
Comme vous l’avez souligné, il importe d’écouter les voix des femmes et des filles et de tenir compte de leurs préoccupations dans les textes de loi, qui sont souvent perçus comme étant rédigés pour les hommes.
La sénatrice Pate : Sachant que la décision était déjà rendue, change-t-elle votre avis quant aux recommandations de trois experts que nous avons entendues hier sur l’abrogation du paragraphe 2?
M. Roebuck : Il est difficile de me prononcer sur la cause sans en connaître tous les détails. Je crois que le seuil devrait être plus élevé pour la prévisibilité du risque dans les relations intimes. Il faudrait étudier avec le plus grand soin la pertinence d’appliquer cette partie du texte de loi dans ces circonstances. Je ne sais pas si ce devrait être permis.
Le président : Monsieur Roebuck, je poserai quelques questions, si vous me le permettez.
Cet amendement a entre autres donné lieu à des préoccupations bien réfléchies quant à sa qualité et la probabilité qu’il soit efficace. À certains égards, je crains même que ce type de conversations nourrissent le message voulant que cette loi sera inefficace et permettra à certains de se comporter de façon abjecte, de s’arroger tous les droits, etc.
Je mets de côté cette réflexion et je présumerai pour l’instant que cette loi peut être efficace. J’aimerais exprimer ma surprise : je me serais attendu à ce que le ministère de la Justice en partenariat, peut-être, avec des organisations et votre bureau — étant donné vos rôles — se rende immédiatement dans les écoles secondaires et aux endroits susceptibles d’accueillir des fêtes. J’aurais cru qu’on ne se serait pas seulement adressé, disons, aux jeunes femmes qui risquent d’être les plus vulnérables dans ces situations, mais aussi aux jeunes hommes, pour leur indiquer que ce texte de loi ne leur donne pas le droit d’adopter les comportements répréhensibles qu’on peut imaginer. La meilleure façon de protéger les victimes est de veiller à ce que les bourreaux potentiels et inconnus sachent que ce projet de loi ne leur permet pas de mal se comporter et d’agresser sexuellement autrui, notamment.
De telles initiatives ont-elles lieu? Le ministre Lametti n’est pas ici pour répondre à cette question : « D’entrée de jeu, qu’avez-vous fait pour sensibiliser la population afin que les événements dans les bars et les fêtes ayant lieu en septembre dans les écoles secondaires et ailleurs ne mènent pas à des tragédies? »
Je reconnais que vous avez entamé votre mandat il y a seulement trois mois, mais entrevoyez-vous la possibilité de nouer des partenariats avec les écoles secondaires et d’autres organisations — telles que les universités et les endroits où ces risques sont présents — afin de communiquer ce message?
M. Roebuck : La façon de transmettre les renseignements et de sensibiliser la population est une question très importante. J’en apprends de plus en plus sur les difficultés liées au partage des compétences, l’administration de la justice et l’éducation relevant toutes les deux des provinces. Cela dit, je pense que nous disposons aussi de mécanismes de compétence fédérale, comme la Semaine des victimes et survivants d’actes criminels, un événement qui mobilise les organisations d’un océan à l’autre et qui leur offre du financement à des fins de sensibilisation. À mon avis, la prochaine édition de cet événement, qui aura lieu au printemps, offre une excellente occasion de faire passer notre message. Mon bureau se penchera sur le rôle qu’il peut jouer dans le processus de planification.
Je veux aussi parler de la question de la perception. D’après moi, la perception influence fortement les actions. L’idée que les gens se font de la loi ou des modifications qui y sont apportées a une grande incidence sur leurs actions.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Dalphond : Je vais reprendre un sujet déjà abordé. Vous avez dit que le message du ministre, c’est que l’enivrement ne sert pas d’excuse à la perpétration d’une agression armée, d’une agression sexuelle ou de tout autre type d’agression. Il n’y a aucune latitude à cet égard. Vous avez dit que c’est le message fort que vous avez entendu et que vous voulez propager.
La Chambre des communes a publié son rapport en décembre, avant Noël. C’était donc il y a un mois et quelques semaines. Êtes-vous en train de mettre sur pied un programme, une stratégie ou un plan de sensibilisation? Le ministère de la Justice vous a-t-il aussi invité à participer à ce dossier? Vous occupez un rôle très particulier : vous êtes l’ombudsman des victimes.
Je présume que dans un monde idéal, l’ombudsman ne représenterait aucune victime, car notre objectif à tous — à nous comme à vous et au gouvernement —, c’est de ne plus avoir besoin d’un ombudsman des victimes. Nous voulons faire en sorte que les gens ne deviennent pas des victimes.
Quelle est votre stratégie? Si vous n’en avez pas, avez-vous l’intention d’aller frapper à la porte du ministère de la Justice pour lui demander de vous aider à faire quelque chose?
M. Roebuck : J’aimerais pouvoir m’attaquer à tous les problèmes, mais je dois tenir compte de notre mandat. Au bureau de l’ombudsman, nous portons des dossiers et de nouveaux enjeux comme celui qui nous occupe aujourd’hui à l’attention de la population. Nous tentons aussi de régler les problèmes des survivants qui communiquent avec nous. Si le ministère de la Justice et le gouvernement font appel à nous, nous pouvons les conseiller, mais je ne crois pas qu’il revienne à mon bureau de se charger de la planification et de la mise en œuvre de la stratégie.
Certes, nous pouvons continuer à parler de cet enjeu dans nos communications nationales et avec les parties prenantes, mais d’après moi, notre rôle n’est pas vraiment d’engager de telles actions.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.
Le président : Je ne sais pas ce que le sénateur Boisvenu allait demander, et il a dû s’absenter brièvement. Cela met donc fin à la première partie de la réunion, à moins que d’autres sénateurs aient des questions.
Monsieur Roebuck, je vous remercie de vous être joint à nous. J’espère que l’expérience n’a pas été trop difficile. En fait, j’espère qu’elle n’a pas été difficile du tout. Nous vous sommes très reconnaissants de vous être mis à notre disposition à court préavis pour parler du projet de loi. Nous serons ravis de vous inviter à nouveau pour discuter de divers dossiers se rapportant à votre travail et au nôtre.
Merci beaucoup. Je vous souhaite une bonne journée.
M. Roebuck : Merci à tous.
Le président : Poursuivons nos délibérations sur le projet de loi C-28. Dans notre second groupe de témoins, nous accueillons Steven Coughlan, professeur à la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie. Bienvenue, monsieur Coughlan. Vous avez la parole.
Steve Coughlan, professeur, Schulich School of Law, Université Dalhousie, à titre personnel : J’aimerais remercier tous les sénateurs pour la souplesse de leur calendrier. Je sais que le temps est compté et que vous êtes tous occupés, alors je vous témoigne ma reconnaissance.
J’aimerais d’abord faire une observation. À mon avis, il y a un bon degré de scepticisme au sein de la population au sujet des notions d’« automatisme » et d’« intoxication s’apparentant à l’automatisme ». On doute de leur existence même et, bien sûr, elles sont très mal comprises. Je ne suis ni neurologue, ni psychiatre, ni un expert de ces domaines pouvant confirmer l’existence de ces phénomènes ou affirmer au contraire qu’il s’agit de ruses ou de tromperies dont se servent certaines personnes. Toutefois, nos experts affirment qu’ils sont réels, et les tribunaux ont accepté leur existence; je crois donc que nous avons l’obligation d’agir de façon appropriée. Bien qu’il puisse être légitime pour un tribunal de douter des allégations d’un accusé en particulier qui affirme avoir été dans un état d’intoxication s’apparentant à l’automatisme, la loi encadrant la procédure lorsque de telles allégations sont établies ne devrait être teintée d’aucun scepticisme. Il nous faut traiter la question avec sérieux.
Les commentaires que je veux faire sur cet enjeu sont certainement ceux d’un juriste, mais j’espère avoir pris en compte des considérations réfléchies de politique publique. Certaines de mes remarques pourraient vous sembler assez élémentaires, et je ne vous apprendrai peut-être rien. Si c’est le cas, j’en suis désolé, mais je pense qu’il convient, pour commencer, de répéter certains principes fondamentaux pour vous expliquer mon raisonnement.
La version de l’article 33.1 qui a été promulguée en juin de l’année dernière prévoit qu’une personne peut être déclarée coupable même en l’absence de deux éléments : l’intention générale et la volonté. Il s’agit d’une réponse au jugement de la Cour suprême dans l’affaire Brown, qui a relevé des problèmes dans la façon dont l’ancien article 33.1 traitait ces notions.
Je veux aborder chacune d’entre elles dans l’ordre. Essentiellement, ma position est la suivante : la version modifiée règle le premier problème, mais pas le second.
Parlons d’abord de l’intention générale, dont le problème, à mon avis, a été réglé. En affirmant qu’une personne n’avait pas d’intention générale, on affirme qu’elle n’avait pas l’intention, par exemple, d’utiliser la force, de brûler l’édifice ou de casser la fenêtre, ou encore, de prendre la propriété de quelqu’un d’autre. En fait, ce n’est pas nécessairement un problème que de permettre qu’une personne soit déclarée coupable sans qu’il y ait eu d’intention générale. La situation se produit assez couramment. La plupart des infractions sont fondées sur la faute subjective, où une personne n’est pas coupable à moins d’avoir su que les biens étaient volés, mais on s’écarte de ce cas de figure. Il existe des crimes fondés sur la faute objective, comme la conduite dangereuse d’un véhicule ou la négligence criminelle. La plupart du temps, il n’y a vraiment pas de problème fondamental dans cette approche.
Le problème survient lorsqu’une infraction ne comporte pas d’élément de faute, qu’elle soit subjective ou objective, ce que la jurisprudence nomme la « responsabilité absolue ». Ce sont les cas où le système juridique dit : « Vous avez commis l’infraction, que vous en ayez eu l’intention ou non. Le fait que vous ayez ou non pris des précautions raisonnables pour ne pas la commettre n’a même pas d’importance. Tout ce qui compte, c’est que vous l’avez commise. » Je n’avance pas que notre système de justice ne recourt jamais à ce principe. La vitesse au volant en est l’illustration la plus simple. Il importe peu de savoir si une personne avait l’intention ou non de rouler trop vite, ou même si elle savait qu’elle roulait trop vite. Tout ce qui compte, c’est qu’elle l’a fait. Les tribunaux ont certainement dénoncé ce problème, parce que c’est une injustice fondamentale; malgré tout, le raisonnement est encore permis, bien que dans un éventail très limité de situations. Une contravention pour excès de vitesse, ce n’est pas la fin du monde. L’amende n’a ni conséquence à long terme ni incidence majeure sur quiconque. Ainsi, bien que ce soit un peu injuste pour la personne en cause, cette préoccupation a moins d’importance que l’intérêt général de la société à réduire la vitesse sur les routes.
D’un autre côté, quand il n’est pas uniquement question d’une contravention et d’une amende à payer, lorsque la sanction possible est l’incarcération, les tribunaux ont statué qu’il était incorrect de se fonder sur la responsabilité absolue. À mon avis, c’est logique. La loi devrait être intuitivement logique et correspondre à ce qui, selon nos impressions, est juste ou non. Je pense que c’est bien le cas sur cette question. La loi prévoit que, lorsque les enjeux sont faibles, le système peut être un peu moins rigide, mais quand ils sont élevés, le système doit être rigoureux dans son application de la justice. Fait peut-être plus important encore, elle prévoit de ne pas utiliser l’approche réservée aux enjeux faibles dans une situation où les enjeux sont élevés.
Il s’agit d’un des problèmes de la version de l’article 33.1 que la décision Brown a invalidée. Cette version prévoyait qu’une personne pouvait être déclarée coupable de l’infraction simplement si son comportement avait porté atteinte ou menacé de porter atteinte à l’intégrité physique d’une autre personne. Elle retirait tout critère d’élément de faute, tout critère d’état d’esprit répréhensible, et déclarait la personne coupable malgré tout. L’ancienne version traitait ainsi l’infraction comme une responsabilité absolue, même dans le cas d’infractions graves, comme l’agression sexuelle. Elle préconisait une approche devant être réservée aux enjeux faibles pour une situation à enjeux élevés, ce qui a été perçu à raison comme étant un problème.
Le nouvel article 33.1 exige que l’accusé s’écarte de façon marquée de la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans les circonstances, ce qui revient à insister sur la présence d’un certain élément de faute, plus précisément de faute objective. Cette approche est acceptable. L’article a ainsi créé un élément de faute qui sera suffisant sur le plan constitutionnel pour résoudre le problème cerné dans Brown.
Or, ce n’était pas le seul problème cerné dans Brown, ou même, antérieurement, dans l’affaire Daviault. L’autre problème concerne le caractère involontaire de l’acte. Je reviens à ce que je disais au sujet de la logique de la loi. Je pense que le terme « caractère involontaire » est souvent trompeur et détourne l’attention de l’essentiel; il empêche une bonne compréhension de la notion. Si quelqu’un me forçait à tenir un revolver et appuyait sur mon doigt pour me forcer à tirer sur mon voisin et que, ensuite, on me demandait pourquoi j’ai tiré sur lui, je ne répondrais pas que c’était involontaire. Je répondrais que ce n’est pas moi qui ai commis l’acte, mais l’autre personne. Si quelqu’un me ligotait et me lançait par la fenêtre, à la question : « Pourquoi avez-vous sauté par la fenêtre? », je ne répondrais pas que je n’en avais pas la volonté. Je dirais simplement que ce n’est pas moi qui me suis lancé. Nous faisons tous une distinction très claire entre les actes du corps et les actes de la personne.
En affirmant qu’une personne peut être reconnue coupable malgré le caractère involontaire de l’acte, la nouvelle version de l’article 33.1 prévoit que la personne peut être déclarée coupable d’une infraction, même si elle ne l’a — littéralement, sur le plan physique — pas commise. Son corps y a participé, c’est vrai, mais il est exact d’affirmer que la personne n’a pas commis l’infraction. Cela doit être perçu comme un problème.
Le président : Pardonnez-moi de vous interrompre. Je vous demanderais de terminer ici votre exposé. Je pense que nous aurons l’occasion d’approfondir ces points dans la conversation qui suit.
M. Coughlan : La dernière chose que je dirai, c’est que l’article 33.1 ne fait rien à propos de ce problème.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : Je laisserai à M. Coughlan l’occasion de clore son propos sur la question du caractère involontaire que l’article 33.1 ne permet pas de régler dans sa forme actuelle. Il y fait référence, mais d’une manière que vous jugez inadéquate.
Le président : On vous permet de terminer votre exposé, monsieur Coughlan.
M. Coughlan : C’est très aimable à vous, sénateur Dalphond. Je vous remercie. Permettez-moi de faire ici une analogie. Si je perds les clés de mon bureau et que quelqu’un s’en empare, m’embarre à l’extérieur de mon bureau et, pendant qu’il s’y trouve, commet une infraction, ou obtient mes informations de connexion et commet une infraction pendant qu’il utilise mon compte, il est légitime de me dire que j’aurais dû mieux prendre soin de mes clés ou mieux protéger mes informations. Il n’est toutefois pas légitime de me dire que je suis coupable de meurtre parce que cette personne a commis un meurtre pendant qu’elle était dans mon bureau ou que je suis coupable d’avoir formulé des menaces parce qu’elle en a formulé pendant qu’elle utilisait mes renseignements de connexion.
Voilà ce que fait l’article 33.1. Il tient la personne responsable non seulement de ses actes, de sa négligence, mais de l’autre infraction également. Si quelqu’un utilise mon ordinateur portable pour pirater un film ou télécharger de la pornographie juvénile, l’article me rend responsable de ces actes. C’est ce que je considère insensé.
Le sénateur Dalphond : D’autres témoins nous ont indiqué précédemment que pour éviter des différends quant à l’interprétation du paragraphe (2), il faudrait l’éliminer. Lors de son témoignage — je pense que c’était hier, et je ne sais pas si vous l’avez regardé —, Me. Roach a conclu que les tribunaux, y compris la Cour suprême, jugeraient fort probablement cette mesure inconstitutionnelle dans sa forme actuelle. Partagez-vous cette opinion? D’après ce que vous avez dit, je pense que l’enjeu serait de taille sans conclusion de faute.
M. Coughlan : Je pense que c’est exact. C’est au paragraphe (2) qu’il est question du niveau de faute, dans le passage sur le fait de s’écarter de façon marquée de la norme de diligence. Le paragraphe (1) parlerait encore de l’écart marqué, mais sans le paragraphe (2), il ne serait pas suffisamment clair que l’écart doit concerner la faute. Dans l’ancienne version, la personne devait simplement commettre un écart dans le comportement causant le résultat, sans référence à son état d’esprit. En l’absence du paragraphe (2), il ne sera pas clair qu’on parle maintenant d’un état d’esprit. En fait, cela ne réglerait pas non plus le problème de l’intention générale aux termes de la Charte.
Le sénateur Dalphond : J’aborderai l’autre point, soit celui du caractère involontaire. Vous nous dites qu’en fait, en ayant ce passage dans les dispositions, nous indiquons plus ou moins que l’état d’intoxication extrême est un crime, mais que les gens sont punis, pas parce qu’ils étaient dans cet état, mais en raison de ce qu’il s’est passé pendant qu’ils y étaient. Vous nous avez donné l’exemple de la clé, de la porte barrée et de l’infraction commise à l’intérieur du bureau, précisant que vous ne seriez pas coupable de la perte de vos clés, mais de ce qui s’est passé à l’intérieur du bureau.
M. Coughlan : Oui, exactement. Voilà où le bât blesse, selon moi, car cela rend l’enjeu disproportionné et ne résout pas le problème du caractère volontaire. Ce n’est pas ce qui s’est passé dans le bureau, mais la perte des clés qui était volontaire. Je considère qu’il serait beaucoup plus logique de punir le comportement blâmable, soit le fait de ne pas avoir suffisamment fait attention pour ne pas se retrouver dans un état d’intoxication extrême. Il y a ici une incohérence, pas parce que le nouvel article 33.1 indique que la personne est coupable d’une infraction, mais parce qu’il indique qu’elle la commet quand même.
Le sénateur Klyne : Bienvenue. L’article 33.1 du Code criminel modifié par le projet de loi C-28 stipule que pour décider si la personne s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence, le tribunal prend en compte la prévisibilité objective — dont nous venons de parler — du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême et amener la personne à causer un préjudice à autrui.
Comment un tribunal serait-il susceptible d’interpréter la prévisibilité objective du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême? Par exemple, comment prouver qu’une personne prudente ou un jeune adulte aurait dû connaître la substance intoxicante consommée et les effets qu’elle est susceptible d’avoir compte tenu de la quantité exacte consommée et de la quantité requise pour provoquer une intoxication extrême? Pour prévoir le risque de consommer une substance intoxicante, une personne doit-elle l’avoir déjà consommé et se souvenir d’avoir ressenti le besoin de causer un préjudice à autrui?
M. Coughlan : Je ne pense pas qu’une telle exigence subjective soit nécessaire ou que l’accusé doive avoir déjà consommé la substance intoxicante ou être familier avec la consommation de substances intoxicantes. J’ai une deuxième observation à formuler à ce sujet, mais pour ce qui est de ce que la loi exige, elle ne demande qu’un écart marqué par rapport à la norme de diligence d’une personne raisonnable, ce qui signifie simplement qu’il faut déterminer ce que la personne aurait dû savoir.
De fait, selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, c’est une norme assez uniforme. On ne se demande pas ce qu’un jeune saurait ou ce qu’une personne d’expérience saurait. On peut établir la même norme pour tous et indiquer : voici ce que tout le monde devrait savoir. Il faut que l’infraction ait été commise dans le contexte criminel d’un écart marqué, et ce n’est pas une norme subjective.
Selon ce que je comprends de la probabilité qu’une intoxication extrême survienne — et sans vouloir prendre la chose à la légère —, la plupart des gens qui consomment la quantité nécessaire pour en arriver à cet état mourraient d’intoxication alcoolique plutôt que d’entrer dans un état d’automatisme. Dans l’affaire Daviault initiale qui a invalidé cette disposition, le degré d’intoxication était tel que la plupart des gens seraient morts plutôt que d’entrer dans un état d’automatisme. Je pense donc qu’il faut tenir compte ici du fait qu’il est extrêmement improbable qu’une telle intoxication survienne.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Je vous remercie, monsieur Coughlan. Je veux revenir à quelque chose que vous avez dit lorsque vous avez témoigné devant nous quand nous examinions le projet de loi C-51 sur les dispositions relatives aux agressions sexuelles et la réforme du droit pénal. Vous aviez alors cité le sénateur Jacques Flynn quand il était ministre de la Justice en 1979, affirmant que le temps était venu de soumettre le Code criminel à un examen de fond. Dans ce contexte, bien sûr, vous parliez des lacunes fondamentales et de la réforme disparate qui avait empiré la situation dans la loi sur les agressions sexuelles.
Comme vous le savez peut-être, les médias ont parlé hier d’une décision rendue de vive voix la semaine par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Perignon. Vous avez émis un certain nombre d’hypothèses très intéressantes au sujet de la responsabilité absolue et du caractère involontaire. Je me demande ce que vous pensez de cette décision, compte tenu de ce que vous avez dit précédemment au sujet de la loi relative aux agressions sexuelles, vu que dans l’affaire Perignon, le juge a indiqué qu’il acceptait comme défense légitime le fait que l’homme qui a poignardé sa conjointe a appelé le 9-1-1, disant qu’il n’avait pas eu l’intention de lui causer de préjudice ou de la tuer et qu’il avait seulement voulu la blesser, que la blessure n’était pas mortelle et qu’il avait simplement commis un geste stupide. Il a ensuite été prouvé qu’il avait erronément dit avoir retiré le couteau de la plaie et l’avoir jeté au sol, alors que c’est sa conjointe elle-même qu’il l’avait fait. Le fait qu’au moment où l’affaire a été entendue, ni la conjointe ni les trois enfants adultes ne vivaient avec l’accusé rend le contexte assez évident, il me semble.
Selon vous, quelles pourraient être les implications de cette décision, alors que pas plus tard qu’hier soir, trois experts à la violence contre des femmes ont exhorté le comité à prendre au sérieux leurs craintes de voir survenir exactement ce qui s’est passé dans cette affaire?
M. Coughlan : Je formulerai quelques observations en réponse à cette question, sénatrice Pate. Sachez d’abord que la Cour suprême a indiqué à maintes reprises — et avec justesse, selon moi — qu’en évaluant les prétentions de quelqu’un qui affirme avoir été en état d’automatisme, il faut absolument déterminer s’il a un motif de mentir à ce sujet et si la personne qu’il a attaquée est, comme il l’affirme, responsable de son état d’automatisme, puisque cela devrait permettre de légitimement conclure, en se fondant simplement sur les faits, qu’une disposition comme l’article 33.1 ne s’applique pas en l’espèce et que la personne n’est pas visée par cet article.
Ce qu’il faut, c’est déterminer si la défense repose sur de fausses déclarations, car il arrive que des gens fassent effectivement de fausses affirmations pour se défendre. Je ne veux pas laisser entendre que l’article 33.1 ne pourrait pas faire partie de l’arsenal, mais dans les quelques occasions où cette défense a pu être invoquée après que l’article 33.1 a été invalidé à la suite de l’affaire Daviault et avant que l’article 33.1 initial ait été ajouté au code, ou pour une brève période en Ontario, on y a très rarement eu recours même si on y avait théoriquement accès parce que les situations dans lesquelles elle pourrait être pertinente sont inhabituelles. Voilà pourquoi l’affaire Daviault a mis 30 ans à revenir devant la Cour suprême du Canada. Les rares fois où cette défense a été invoquée, l’accusé a perdu sa cause.
Il y a ici deux préoccupations que nous pouvons distinguer. Si vous craignez que des personnes n’éludent les responsabilités auxquelles elles ne devraient pas échapper, eh bien, je pense qu’il n’y en a pas. De fait, rares sont ceux qui peuvent invoquer cette défense, car de telles situations sont peu susceptibles de se produire et si elles surviennent, la preuve est difficile à faire. Par conséquent, très peu de gens seraient jugés non coupables, mais je reste sceptique quant aux quelques personnes qui le seraient. Si ces personnes ont réellement agi de manière involontaire, alors c’est comme si elles étaient embarrées en dehors de leur bureau. Nous devrions respecter cette analogie.
Si on considère qu’il n’existe rien de tel qu’un état d’intoxication entraînant l’automatisme, nous devrions contester les données scientifiques et ne pas nous soucier le moindrement de l’article 33.1. Si nous n’acceptons pas qu’il s’agisse d’un état réel, nous ne devrions pas nous demander comment y réagir; nous devrions éliminer de la loi tout ce qui prétend que c’est un état. Si nous ne considérons pas qu’il s’agit d’un simple prétexte, alors nous devrions faire en sorte que la loi en tienne compte.
J’ai parlé d’une deuxième observation, car je me demande si vous craignez que des gens pensent à tort qu’ils disposent d’une défense et se laissent ainsi aller à un certain comportement. Je ne suis pas sûr que ce soit votre question, mais c’est une tout autre affaire.
Le sénateur Arnot : Monsieur Coughlan, vous avez indiqué que dans sa forme actuelle, le projet de loi résout un problème, soit celui de l’intention générale, mais pas l’autre problème.
Pourriez-vous fournir au comité le texte législatif exact qui réglerait la question de l’intention générale ainsi que le second aspect, soit celui du caractère volontaire? Comment formuleriez‑vous le libellé dans le Code criminel pour résoudre ces deux problèmes? Si vous avez une réponse à cette question, j’aimerais vraiment l’entendre. Je vous remercie.
M. Coughlan : Je le ferai volontiers. Je ne peux rédiger ce texte immédiatement, mais je peux vous indiquer exactement ce qu’il faut faire.
C’est parce que l’article 33.1 indique au début que la personne « commet l’infraction », que le problème du caractère involontaire n’est pas réglé, car la personne reste responsable de l’infraction sous-jacente plutôt que de l’acte jugé blâmable, soit celle de l’intoxication par négligence. La solution consisterait à créer une infraction criminelle indépendante d’intoxication par négligence de sorte qu’il n’y aurait pas une seule infraction criminelle en matière d’intoxication.
En droit, on adopte très souvent l’approche prise à l’égard de la conduite dangereuse d’un moyen de transport. Il s’agit d’une infraction, mais la conduite dangereuse d’un moyen de transport causant des lésions corporelles constitue une infraction plus grave assortie d’une peine plus sévère, et la conduite dangereuse d’un moyen de transport causant la mort est une infraction encore plus grave entraînant une peine encore plus sévère. Il n’y a aucune raison pour laquelle une infraction criminelle d’intoxication prévoyant ces trois niveaux de gravité ne puisse pas être créée. Cela réglerait la question de l’intention générale, puisque l’intention serait prouvée par l’intoxication, et celle du caractère volontaire, car cela prouverait que la personne a au moins décidé de faire ce qu’il fallait pour s’intoxiquer. En outre, cela éviterait que l’accusé reçoive une peine allégée en plaidant l’ivresse, comme le craignait le ministre de la Justice à l’époque de l’affaire Daviault, car on admettrait que les conséquences justifient en elles-mêmes une peine plus sévère.
Le sénateur Arnot : Je veux poursuivre sur le même sujet. À dire bien franchement, vous témoignez devant le comité fort d’une grande crédibilité. Je pense que vous avez proposé et expliqué une solution permettant de régler ce problème qui commande un examen très attentif.
Un mémoire comprenant les points que vous venez d’exposer et le libellé que vous recommanderiez comme solution à ce problème serait très convaincant. Je vous invite à en préparer un, si vous êtes prêt à le faire. Je pense que cela nous serait utile.
M. Coughlan : Je vous remercie, sénateur. Je pense probablement pouvoir le faire.
Le président : Je vous remercie, sénateur Arnot et monsieur Coughlan. Comme le sénateur Arnot a posé la question que j’entendais moi-même poser, nous passerons au deuxième tour. Sénatrice Pate, vous pouvez poursuivre votre conversation.
La sénatrice Pate : Je vous remercie beaucoup. Je veux effectivement donner suite à ce que vous disiez quand nous parlions. J’aimerais aborder un des problèmes qui ont été soulevés et qui me préoccupent : l’accès des personnes marginalisées en raison de leur condition économique ou de leur race. Il faut disposer de ressources substantielles pour monter ce genre de dossier et fournir les preuves exigées.
Avez-vous quelque chose à dire sur l’accessibilité du processus pour les personnes qui pourraient autrement... Ce n’est même pas la question de connaître le processus. Même si on le connaît, comment y a-t-on accès pour monter le dossier?
M. Coughlan : Oui. Une partie de la réponse à cette... Je réfléchis à la question en même temps que j’y réponds. Je veux être franc à ce sujet. Cela étant dit, je me demande si le concept d’infraction criminelle d’intoxication à trois paliers résout en partie la question, car sur le plan de la défense, on ne fait pas strictement peser le fardeau sur l’accusé, mais concrètement, on lui indique qu’il lui incombe de fournir toutes les preuves dans le dossier.
Au lieu de considérer que l’intoxication est une défense — et ce n’est pas net dans l’article 33.1 actuel —, il faut la voir comme une infraction. Cela renvoie le fardeau de la preuve à la Couronne, qui doit maintenant prouver qu’il y avait un niveau d’intoxication présentant un risque et qu’une personne raisonnable s’en serait manifestement aperçue, montrant ainsi que l’accusé, dans son incapacité à éviter le risque, s’est non seulement écarté de la norme de diligence d’une personne raisonnable, mais qu’il s’en est écarté de façon marquée.
Le fait de traiter l’intoxication comme une infraction pourrait améliorer la situation, tout simplement parce que le fardeau reviendrait à la Couronne. Je ne suis pas certain que cela résoudra la question, mais cela pourrait le faire.
La sénatrice Pate : Je crains toutefois que cela soit invoqué de façon disproportionnée contre des personnes racisées et que les mythes et les stéréotypes sur l’alcoolisme et la toxicomanie se multiplient, ce qui est déjà le cas.
M. Coughlan : Oui. Je ne pense pas du tout que ce soit une préoccupation déplacée, sénatrice Pate; je crois que vous avez parfaitement raison de craindre une telle éventualité. Cela va bien au-delà de cette seule infraction. Comme le montre la décision Barton, la Cour suprême du Canada est au moins consciente de cet enjeu et elle tente de sensibiliser les tribunaux pour qu’ils évitent les stéréotypes, surtout en ce qui concerne les Canadiens autochtones.
Certaines décisions récentes, comme l’arrêt Chouhan, qui portait sur la sélection des jurés, ont tenté de sensibiliser les tribunaux à ces questions. Vous avez tout à fait raison de vous en inquiéter. Il s’agit d’une préoccupation qui ne se limite pas seulement à la question à l’étude. En tout cas, vous n’avez pas tort de dire qu’elle s’applique à cet enjeu, et je suis d’avis que les recours doivent également être plus vastes.
Le président : Monsieur Coughlan, puis-je vous poser une question qui fait suite à votre discussion avec la sénatrice Pate? S’il y avait une disposition qui portait sur l’intoxication extrême par négligence criminelle causant A, B ou C, comme vous l’avez décrit, je crois, est-ce que cela éliminerait effectivement les moyens de défense applicables à l’intoxication extrême menant à l’automatisme? Cela rend-il cet argument non pertinent devant les tribunaux?
M. Coughlan : Je pense que oui, car comme on peut le constater dans l’arrêt Daviault ou Brown, le problème — essentiellement, celui auquel j’ai fait allusion en parlant du caractère volontaire —, c’est que le système cherche à condamner la personne pour la défense sous-jacente. L’accusé présente alors une défense en énumérant les raisons pour lesquelles on ne peut pas le condamner relativement à l’infraction sous-jacente. Toutefois, le Code criminel contient des dispositions qui empêchent l’accusé d’invoquer une telle défense dans le but d’éviter d’être condamné pour l’infraction sous-jacente. Par contre, si nous mettons l’accent uniquement sur l’intoxication par négligence, et non sur l’infraction sous-jacente, toutes ces questions deviennent alors secondaires; elles ne sont plus pertinentes.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Clement : Merci, monsieur, d’être des nôtres.
Je remarque dans votre biographie que vous avez enseigné à des non-juristes. Je me demande si vous pouvez nous dire quelques mots sur la façon dont des organisations de confiance pourraient parler aux communautés. Je pense vraiment que les organisations doivent se sentir plus investies de pouvoir à cet égard dans leurs entretiens avec les communautés qu’elles servent et avec les groupes vulnérables qui ont besoin de leur aide et qui leur font confiance. Comment pouvons-nous parler de cette question aux gens ordinaires?
M. Coughlan : Je suis d’accord pour dire que c’est tout un défi. D’ailleurs, en me joignant à la réunion vers la fin de votre discussion avec l’intervenant précédent, je me suis rappelé que de nombreux efforts sont déployés de façon proactive auprès des universités et des écoles secondaires — du moins, ici, en Nouvelle-Écosse — pour parler précisément des questions de relations sexuelles, de consentement et d’intoxication. On s’adresse tout particulièrement aux jeunes à une période de leur vie où ils commencent, dans certains cas, à être sexuellement actifs. L’objectif est donc de s’assurer qu’il n’y a pas de malentendus.
Les jeunes constituent en quelque sorte un auditoire captif, et il ne s’agit pas nécessairement d’un vaste échantillon dans le cas des universités. On obtient un échantillon plus représentatif dans le contexte des écoles secondaires, mais ce n’est là qu’une façon de rejoindre les jeunes.
Il me semble que le défi, comme toujours, c’est d’atteindre les gens qui ne cherchent pas à ce qu’on leur tende la main. Ceux qui souhaitent obtenir des renseignements pourront en trouver, mais malheureusement, il y a aussi beaucoup de désinformation, et les gens peuvent facilement se retrouver dans une chambre d’écho où ils n’entendent que ce qu’ils veulent entendre. Comme on peut le constater, la violence motivée par l’idéologie des « incels » constitue assurément un danger.
Comment rejoindre ceux qui ne sont pas ouverts au dialogue? Je n’ai malheureusement pas de bonne réponse à donner.
La sénatrice Clement : J’ai entendu vos échanges avec les sénateurs Arnot et Cotter sur le fait que certains éléments ne seront plus pertinents si nous optons pour l’infraction de négligence. J’attends avec impatience tout ce que vous pourrez nous fournir à ce sujet dans votre mémoire.
Cela dit, avez-vous des idées sur la façon dont l’intoxication « extrême » est définie ici, au paragraphe 33.1(4)? Je comprends que ce n’est peut-être pas pertinent, mais avez-vous des observations à faire sur la façon dont ce terme est particulièrement défini dans ce paragraphe?
M. Coughlan : Je suis désolé, mais je crois que je n’ai pas le même texte que vous. Tout ce que j’ai, c’est l’article 33.1, tel qu’il figure actuellement dans le Code, et il n’y a pas de paragraphe 4.
La sénatrice Clement : Je me reporte au paragraphe 33.1(4). Après les dispositions sur l’écart marqué et les infractions, il y a la définition d’intoxication « extrême ».
M. Coughlan : Je suis désolé. Je n’ai pas le libellé sous les yeux.
La sénatrice Clement : Permettez-moi de vous le lire :
Au présent article, extrême se dit de l’intoxication qui rend une personne incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite
M. Coughlan : Ce libellé ne me pose pas de problème dans l’immédiat. Il semble exprimer ce que les tribunaux ont à l’esprit lorsqu’ils traitent de cette question.
La sénatrice Clement : Je voulais seulement vérifier. Merci.
M. Coughlan : Sachez aussi que j’ai une difficulté d’ordre pratique, car je porte des lunettes spéciales qui me permettent de regarder un écran lors de réunions, et j’ai beaucoup de mal à lire quoi que ce soit, à moins que le texte ne soit exactement à la bonne distance.
La sénatrice Pate : Je vous remercie beaucoup d’avoir accepté de nous envoyer de plus amples renseignements sur ce que vous recommandez. J’aimerais que vous y abordiez également les conséquences liées aux préoccupations qui ont été soulevées quant à la façon dont la violence contre les femmes est actuellement traitée et, en particulier, les répercussions sur les accusés appartenant à une minorité raciale et ceux qui sont défavorisés sur le plan économique. Merci.
M. Coughlan : Merci, sénatrice Pate.
Le président : Notre réunion tire à sa fin. Je voulais simplement vous poser une question, qui a été soulevée hier lors de notre entretien avec Me Roach. Il s’agissait de l’idée selon laquelle il serait utile d’envisager un renvoi à la Cour suprême du Canada à ce sujet. Je crois que vous avez expliqué en quoi la nouvelle disposition pourrait être jugée inconstitutionnelle. Avez-vous des idées sur l’utilité d’une telle initiative?
M. Coughlan : Ma réponse à cette question est un peu complexe; c’est pourquoi j’ai du mal à la formuler.
Dans l’affaire Brown, la Cour suprême a relevé des problèmes liés à l’intention générale et au caractère involontaire. Elle a estimé que les deux contreviendraient à l’article 7. Elle s’est ensuite penchée sur l’article 1 et a conclu que ni l’un ni l’autre n’était justifié, mais elle a fait quelques observations sur ce qui, selon elle, pouvait être sauvegardé aux termes de l’article 1. À mon avis, le projet de loi qui a déjà été adopté est largement conforme à cette décision, ce qui m’amène à penser que la Cour suprême pourrait tout simplement dire qu’elle a déjà statué en ce sens dans l’affaire Brown. Ma préoccupation est la suivante : lorsque la Cour suprême a tiré cette conclusion dans l’affaire Brown et qu’elle a fait l’analyse de l’article 1, elle semblait elle-même se concentrer uniquement sur la question de l’intention générale, et non sur celle du caractère involontaire.
Personnellement, j’aurais préféré une analyse plus complète de l’article 1, c’est-à-dire une analyse qui examine les deux violations de l’article 7 dans l’affaire Brown. Je suppose donc que si un renvoi portait expressément sur ce point, il serait valable. De façon réaliste, le projet de loi qui a été adopté en juin reproduit assez fidèlement ce qui, selon l’arrêt Brown, serait probablement acceptable.
Le président : Je vous remercie.
Je crois que cela met fin à la série de questions. Monsieur Coughlan, je vous remercie beaucoup d’avoir été des nôtres et de nous avoir fait profiter de vos idées. Ce fut un dialogue agréable et, à certains égards, éclairant. Merci encore.
M. Coughlan : Merci beaucoup de l’invitation.
Le président : Nous allons maintenant passer aux discussions sur la teneur possible d’un rapport. La première question est celle de savoir si vous souhaitez en discuter à huis clos ou en séance publique, comme nous avons eu tendance à le faire dernièrement. Quelles sont vos préférences à cet égard? Poursuivre selon la même formule? Je vois des hochements de tête; c’est donc ainsi que nous procéderons.
Parlons maintenant de la question de savoir à quoi pourrait ressembler un projet de rapport, et discutons-en afin de pouvoir donner des conseils aux personnes qui vont nous aider à le rédiger. La parole est à vous, professeur... sénateur Dalphond.
Le sénateur Dalphond : J’ai été chargé de cours pendant un certain temps, mais je crois que c’est ce que je ferai dans ma prochaine vie.
Nous avons déjà le rapport de la Chambre des communes, qui, selon moi, est une bonne entrée en matière sur certaines de ces questions. D’ailleurs, certains des témoins étaient les mêmes. Je pense qu’il n’est pas nécessaire de réécrire la même affaire. À mon avis, nous avons là un bon point de départ. J’estime toutefois que nous approfondissons d’autres éléments qui n’ont pas été abordés — du moins, je ne les ai pas vus dans le rapport, et je n’ai pas lu toute la transcription des délibérations de la Chambre des communes. Par exemple, les aspects dont nous venons de discuter avec M. Coughlan à propos du caractère involontaire sont, je crois, quelque chose de nouveau.
La question de savoir s’il faut supprimer ou conserver le paragraphe 33.1(2) a également fait l’objet d’un débat, et il y a deux positions bien nettes à ce sujet. Certains plaident pour sa suppression, mais Me Roach et, je crois, M. Coughlan aussi, ce matin, sont d’avis que si l’on supprime cet aspect du concept de faute dans les cas d’agression, y compris peut-être dans les cas d’agression sexuelle — de graves infractions dans des affaires où les enjeux sont élevés —, et si quelqu’un est reconnu coupable, nous risquons de nous heurter à des problèmes.
Voilà le genre de sujets qui ne figurent pas dans le rapport et que j’aimerais que nous abordions, mais c’est d’après les recommandations qui ont été formulées jusqu’ici. Je voudrais relire la transcription parce que nous avons entendu beaucoup de choses ces deux derniers jours.
Le sénateur Arnot : J’ai une brève observation à faire, monsieur le président. Comme je ne siège pas au comité, je ne connais pas les tenants et aboutissants de ce dossier, mais je voulais demander l’avis du comité sur deux points. Le premier concerne les activités de sensibilisation dans le cadre de la mise en œuvre de cette nouvelle disposition. Nous avons entendu de bonnes intentions. Toutefois, je ne suis pas sûr que le ministère de la Justice possède un excellent bilan en matière de programmes ou de communication de cette nature, et je me demande... Vous avez voulu savoir si le ministère ou le ministre pourraient répondre à un besoin qui, en l’occurrence, semble très clair. Ils parlent d’élaborer — du moins, je l’espère — un programme de sensibilisation solide en utilisant un langage clair pour aborder ces questions. Au fond, je ne sais pas si le travail du comité est terminé. C’est ce que je cherche à dire.
Deuxièmement, à la lumière des observations de M. Coughlan — et, d’ailleurs, il a été très circonspect face à l’analyse de l’article 1 effectuée par la Cour suprême du Canada, analyse qui pose peut-être problème —, je me demande si le comité ne devrait pas attendre le mémoire que M. Coughlan compte nous remettre. À mon avis, il s’agit là d’un autre aspect que le comité aurait peut-être intérêt à examiner attentivement. Je suis sûr que vous n’y manquerez pas. Je fais donc ces deux remarques parce que le comité pourrait, me semble-t-il, bénéficier des observations du témoin et les mettre à contribution d’une manière très instructive.
Le président : Puis-je simplement faire une petite intervention à ce sujet, sénateur Arnot?
L’une des choses qui ressortent du rapport de l’autre endroit, c’est cette idée d’une campagne de sensibilisation auprès du public et, à la fin du rapport, il y a une demande de réponse du gouvernement — on « demande au gouvernement de déposer une réponse globale au présent rapport » —, ce qui, je présume, comprend l’engagement à sensibiliser la population. Nous pourrions réitérer l’importance de ce point et faire la même demande. Quant à la question de savoir si nous devrions rappeler les gens du ministère de la Justice pour qu’ils répondent d’une certaine manière à cette demande, cela me paraît un peu embêtant, mais j’appuie, pour ma part, la recommandation de renforcer le message concernant la sensibilisation du public. Je vais peut-être trop loin. Je suis relativement nouveau pour ce qui est de savoir ce que nous pouvons faire pour la suite des choses.
L’autre dilemme ici, c’est que nous travaillons en ce moment à respecter notre date limite du 10 mars. Nous ne disposons donc que d’un temps limité pour poursuivre nos délibérations, à moins que nous ne demandions une prolongation.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai également pris connaissance du rapport de la Chambre des communes. Par contre, je dois avouer que je le trouve un peu général. Ce qui me préoccupe par rapport aux témoignages — ceux d’hier en particulier —, c’est la prévision du Dr Chamberland. C’est un praticien qui travaille sur le terrain. Il fait ce type d’évaluation de la responsabilité ou de la non-responsabilité criminelle tous les jours.
L’autre endroit nous dit que le ministère de la Justice recueille des données. Il nous faut plus que cela. Il nous faut observer un état de veille où le ministère de la Justice devrait continuellement tenir compte du nombre de dossiers où la défense plaiderait la non-responsabilité criminelle, afin d’avoir des données à jour et en temps réel. De cette façon, si dans un an il y a un débordement inattendu, on pourra réagir rapidement sans attendre trois ans, pour ne pas que ce soit les victimes elles‑mêmes qui en souffrent ultimement.
Je préconise un système de veille où le ministère de la Justice connaîtrait le nombre de cas en temps réel. Si jamais, dans un laps de temps plus court que trois ans, il y a un débordement, on pourra réagir rapidement, comme législateurs, pour modifier la loi et fournir l’encadrement nécessaire.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Je ne suis pas contre cette idée; comme nous l’avons entendu hier soir, le défi est de savoir combien de cas seront retirés à cause de cette mesure, et j’ignore s’il y a une façon concrète de recueillir cette information.
J’ai très hâte de voir ce que M. Coughlan nous remettra. Cette approche étant l’une des solutions envisagées après l’arrêt Daviault, je crois que les témoins qui nous ont parlé hier soir aimeraient, eux aussi, avoir l’occasion de se pencher là-dessus et de fournir des commentaires, car il s’agissait de certaines des options prises en compte il y a maintenant plus de 20 ans. Qu’est-ce qui a changé depuis?
Dans le rapport de l’autre endroit, on parle des répercussions particulières sur les femmes autochtones et les femmes racisées, mais ensuite, plus rien — aucune recommandation. Tout ce processus en matière de sensibilisation du public me semble un peu insuffisant. Oui, nous sommes tous en faveur de l’idée de sensibiliser la population. Dans ce dossier, toutefois, je pense que cela sert souvent à détourner l’attention du fait que nous ne nous attaquons pas au cœur du problème, à savoir l’incapacité du système à prendre au sérieux la violence contre les femmes et les autres personnes marginalisées. Ces moyens de défense ont tendance à privilégier ceux qui sont déjà les plus privilégiés. J’estime que notre rapport doit aborder ce truisme fondamental, si je peux m’exprimer ainsi. Il ne s’agit pas seulement d’une théorie. C’est la réalité, car c’est ainsi que les lois ont été élaborées. Nous continuons de parler de complexité, alors qu’il s’agit plutôt de différents facteurs de discrimination qui se recoupent, qui ont des conséquences et qui nous donnent du fil à retordre sur le plan juridique. C’est, en partie, ce que nous devons relever.
J’ignore à quoi pourrait ressembler un renvoi à la Cour suprême du Canada. Je me demande aussi ce que cela pourrait signifier, mais les questions sont nombreuses. Je comprends que nous n’avons pas beaucoup de temps, et je reconnais que cette disposition législative est déjà en vigueur. Je sais qu’un certain nombre d’entre vous ont lu ce document et ont été tout aussi perplexes face à ce qui a déjà été mis en évidence dans la toute première affaire que nous connaissons depuis l’affaire Brown. Toutes les préoccupations soulevées, et même davantage, sont confirmées par la décision Perignon. Je crois que nous devons faire quelque chose de concret, mais encore faut-il que nous soyons conscients de ce que nous pouvons accomplir dans un tel contexte.
La sénatrice Batters : C’est exactement ce que je voulais soulever. Étant donné que cette affaire qui traite exactement de ces questions vient d’être publiée, je n’ai pas encore eu le temps d’en prendre connaissance. Je me sentirai mieux outillée lorsque j’aurai eu l’occasion de l’examiner.
Hier, en raison de l’heure, nous avons dû déplacer Me Roach et trois professeures. D’une certaine manière, cela aurait mieux fonctionné si nous avions pu conserver l’ordre initial, mais je comprends parfaitement pourquoi nous ne l’avons pas fait. Je serais également curieuse d’entendre leur réaction à certaines des choses qu’il a dites dans son témoignage.
Nous avons trois semaines de séance complètes avant cette date limite, en plus des semaines de relâche, alors je pense que cela nous donne un peu de temps pour évaluer la situation avant d’aller de l’avant et de savoir exactement à quoi notre rapport devrait ressembler.
Le sénateur Dalphond : Je suis plutôt d’accord avec tout ce qui a été dit jusqu’à présent. Je pense que cela devrait être considéré comme une œuvre en devenir. En effet, nous sommes presque en train de faire le rapport en temps réel en fonction des choses qui surgissent, comme le jugement d’hier qui a été porté à notre attention par Mme Sheehy. Soit dit en passant, ce jugement a été rendu dans une période transitoire, après que la Cour suprême ait invalidé l’ancien article 33.1, mais avant que le nouvel article 33.1 n’entre en vigueur. Il y a donc eu un intervalle où il n’y avait rien, c’est-à-dire plus d’article 33.1. Il y avait là un court laps de temps dont on a tiré parti.
Ceci étant dit, je suis d’accord avec le sénateur Boisvenu lorsqu’il dit que la période de trois ans est censée permettre une réévaluation normale de la situation, mais qu’il faudrait surveiller en permanence comment les choses vont évoluer. Si des problèmes surgissent rapidement, nous devrions conseiller au gouvernement de les surveiller de près et d’être prêt à réagir promptement. Nous avons besoin de temps pour lire la transcription, pour lire les propositions du professeur Coughlan et pour lire le jugement qui a été rendu en Colombie-Britannique.
Nous pourrions peut-être commencer le rapport par un aperçu des idées principales, mais en restant ouverts à l’idée qu’autre chose puisse s’y ajouter.
En ce qui concerne l’information, ce à quoi vous avez fait référence, sénateur Arnot, je vous soutiens assurément. C’était les deux premières propositions de l’autre endroit, à savoir qu’il devrait y avoir une campagne avec beaucoup de publicité et d’information sur ce que signifie cette nouvelle disposition. Je suis favorable à ce que nous disions cela. C’est impératif.
Le président : Si je peux faire une suggestion sur ce que je pense être une sorte de modèle ici, tout d’abord, je dirais que c’est frustrant pour nous et même pour le gouvernement d’avoir donné le feu vert à la construction d’une loi qui doit s’adapter. D’une certaine manière, il y a deux pistes qui se dessinent ici. D’une part, nous devons surveiller cette loi avec passablement de discipline afin de tenir compte des affaires qui se présentent et des incidences négatives que cela pourrait avoir sur le traitement de certaines personnes. L’autre piste, c’est de dire que ce n’est pas une très bonne loi et que nous devrions faire des propositions sur la façon dont on devrait la remplacer par une autre. Je pense que nous pouvons parler des deux pistes, mais nous devrions peut-être essayer de réfléchir à ces deux aspects quant à ce que pourraient être nos recommandations.
Je respecte à la fois les observations de la sénatrice Pate sur la possibilité d’examiner d’autres idées et l’argument de la sénatrice Batters selon lequel ces choses surgissent presque en temps réel pour nous et que nous avons besoin de temps pour y réfléchir. Je ne pense pas nécessairement que nous devrions nous sentir absolument liés par la date du 10 mars si nous voulons prendre le temps de réfléchir posément et de produire quelque chose qui tient la route. Je crois que nous devrions réfléchir à ce qui pourrait commencer à définir ce à quoi un rapport pourrait ressembler, comme l’a proposé le sénateur Dalphond, notamment en ce qui a trait aux bases de certaines références au travail que la Chambre des communes a jetées, ce qui à mon avis était du bon travail. Ensuite, nous devrons peut-être décider si nous allons réserver une heure, dans deux semaines, afin d’examiner tout cela et de voir ce que nous pourrions faire au regard d’un consensus. Donc, dans, disons, deux semaines, sous réserve de votre disponibilité, sénateur Arnot — je sais que vous êtes un membre invité du comité aujourd’hui —, nous pourrions revenir là-dessus et vous pourriez nous aider à mettre tout cela au point.
La sénatrice Pate : La seule autre chose que je voudrais ajouter — et j’en ai parlé avec le professeur Coughlan — c’est que nous avons fait des recommandations à maintes reprises au sujet de la commission du droit et de la nécessité de revoir le Code criminel. Je ne peux pas penser à un exemple plus clair que celui-là quant à la nécessité d’agir rapidement. Quoi que nous fassions, il doit s’agir d’une recommandation réitérée.
Le président : C’est un exemple de cela. De toute évidence, des contraintes de temps se profilaient à l’horizon, du moins pour le gouvernement, mais cette question nécessitait une réflexion beaucoup plus poussée qu’elle ne l’a été. Nous tâchons maintenant de fournir cette réflexion après coup, tout en réfléchissant à ce que cette loi pourrait réellement faire.
Cela vous semble-t-il être une façon raisonnable de procéder? Êtes-vous d’accord pour réserver une heure dans deux semaines, après que nous aurons eu la chance de voir ce que le professeur Coughlan pourrait nous montrer et, peut-être, d’entendre d’autres sons de cloche à ce sujet. Cela lui serait-il acceptable? Nous aurons l’occasion d’examiner ce que nous recevons et de voir si nous pouvons finaliser des pans significatifs du rapport, ce qui pourrait nous aiguiller sur des recommandations. La pression va monter dans deux semaines, mais au moins nous pouvons profiter de cette période pour réfléchir. Êtes-vous à l’aise avec cette façon de procéder?
Y a-t-il d’autres questions que nous devons aborder aujourd’hui, pendant que nous sommes en séance publique? Comme il n’y en a pas, je vais mettre un terme à la réunion.
(La séance est levée.)