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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 8 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 17 (HE), avec vidéoconférence, pour faire l’étude du projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime).

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : J’aimerais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma droite.

[Traduction]

La sénatrice Batters : La sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Pate : Kim Pate, d’ici, sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne. Bonjour et bienvenue. Sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour. Bernadette Clement, de l’Ontario.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.

[Traduction]

Le président : Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’aimerais souhaiter la bienvenue au sénateur Manning à nos délibérations d’aujourd’hui.

Honorables sénateurs, nous commençons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime). Honorables sénateurs, nous avons récemment terminé notre étude du projet de loi S-205 du sénateur Boisvenu, et ce projet de loi porte sur un sujet semblable et traite de la surveillance électronique.

Pour notre premier groupe de témoins d’aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir la marraine du projet de loi, la députée Anju Dhillon, qui est accompagnée de deux autres députées qui ont travaillé fort dans ce dossier et qui ont parrainé des projets de loi antérieurs sur le sujet, soit Pam Damoff, députée d’Oakville-Nord—Burlington; et Ya’ara Saks, députée de York-Centre.

Soyez les bienvenues. Je vous invite à commencer votre exposé. Nous vous avons demandé de partager le temps de parole entre vous, quelle que soit la stratégie qui vous convient, cinq minutes, suivies d’une série de questions de la part des sénateurs. La parole est à vous.

[Français]

Anju Dhillon, députée, Dorval—Lachine—LaSalle, marraine du projet de loi : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à remercier de tout cœur l’honorable sénateur Dalphond d’avoir accepté de parrainer cette mesure législative si importante, en ce qui concerne les mesures concrètes qui contribuent à aider les victimes à briser le cercle de la violence conjugale.

Quand j’étais étudiante en droit, puis avocate, je dévorais ses jugements toujours caractérisés par une rigueur et un raisonnement juridique impeccable. Le sénateur Dalphond était un des juges que j’admirais le plus, toutes instances confondues. Le fait que ce soit monsieur le juge Dalphond qui parraine ce projet de loi, estimés collègues, est pour moi la réalité qui dépasse la fiction.

Je tiens également à souligner le travail remarquable que mes collègues les députés Pam Damoff et Ya’ara Saks ont fait pour que le projet de loi C-233 arrive devant vous aujourd’hui. Leur dévouement à l’égard de ce projet de loi a été sans borne et je leur en suis profondément reconnaissante.

Finalement, j’envoie mes bonnes pensées et je lève mon chapeau à la Dre Jennifer Kagan-Viater, la mère de Keira Kagan, la petite fille qui a donné son nom au projet de loi C-233.

Dans ma pratique à titre de juriste, j’ai constaté à quel point il était compliqué pour les victimes de violence conjugale et leurs enfants d’échapper à cette horreur. Plusieurs de ces victimes sont réticentes à l’idée de dénoncer leur agresseur. Malheureusement, le système de justice, tant du côté criminel que familial et du côté de la protection de la jeunesse, n’est pas toujours en mesure de venir en aide adéquatement à ces personnes vulnérables.

Plusieurs raisons expliquent ce fait. Le manque de formation sur les réalités de la violence conjugale figure parmi les principales. À titre d’exemple, on saisit toujours mal ce qui constitue le contrôle coercitif qui n’est pas criminalisé au Canada. Il y a encore des intervenants sociaux et judiciaires qui croient que la violence prend fin avec la séparation du couple. Cette fausseté s’avère parfois fatale. Cette incompréhension explique en partie pourquoi les statistiques en matière de féminicide et de filicide sont aussi sombres au Canada. Au Québec, le bureau du coroner a analysé dernièrement plusieurs cas de filicide. Dans quelques-uns de ces cas, on a remarqué qu’il y avait déjà eu de la violence contre l’autre parent, mais pas contre les enfants tués.

Une étude démontre que 20 % à 22 % des féminicides commis par des partenaires intimes ont lieu dans les 18 premiers mois de la séparation. C’est pourquoi il est impératif que de meilleures protections soient mises en place pour les victimes de violence conjugale. Je vous soumets que la « loi de Keira », le projet de loi C-233, fait partie de ces protections indispensables.

Merci. Je partage mon temps avec mes collègues.

[Traduction]

Pam Damoff, députée d’Oakville-Nord—Burlington : Keira, quatre ans, était une étoile brillante, qui avait toute la vie devant elle. Demain marquera le troisième anniversaire de sa mort aux mains de son père biologique, un homme qui avait été reconnu comme un mari violent par un juge, qui n’a toutefois pas accordé suffisamment d’importance aux répercussions de la violence sur la fille de cet homme.

Keira n’est plus ici, mais elle continue de briller par l’intermédiaire du projet de loi dont vous êtes saisis aujourd’hui. Sa mère, Jennifer Kagan-Viater, a communiqué avec moi en novembre 2020 pour me demander comment nous pourrions faire avancer la formation des juges sur la violence familiale et le contrôle coercitif. Grâce à la députée Dhillon, vous avez devant vous aujourd’hui un projet de loi qui fera en sorte que l’héritage de Keira sauvera des vies. La « loi de Keira » a reçu l’appui de tous les partis à la Chambre et celui des Canadiens d’un océan à l’autre. Travaillons ensemble pour adopter le projet de loi C-233 et sauver des vies. Rendons hommage à Keira et veillons à ce qu’aucun autre enfant n’ait à subir ce qu’elle a enduré.

Je vais céder la parole à ma collègue, Ya’ara Saks.

Ya’ara Saks, députée de York-Centre : Je vous remercie, sénateurs, du temps que vous m’accordez aujourd’hui. Une grande partie du travail qui se fait dans le cadre d’un processus législatif, ce sont les nombreuses discussions, les nombreux témoins et les nombreux débats comme ceux-ci qui permettent de poser les questions difficiles. Je me joins à mes collègues ici aujourd’hui et aux membres du comité pour dire que ce processus a ouvert grand la porte à un dialogue national sur le contrôle coercitif, une discussion qui vise à sensibiliser les gens et à leur fournir des outils pour protéger les victimes. Dans le cadre de ce processus, nous avons cherché à faire la lumière sur la définition et la compréhension du contrôle coercitif. Une partie importante de ce projet de loi vise à sensibiliser les gens au fait que, même si les formes physiques de violence entre partenaires intimes ou de violence conjugale sont bien connues et faciles à détecter, il existe d’autres formes cachées de violence psychologique qui n’ont pas toujours été reconnues comme étant des formes de violence.

Les modifications apportées à la Loi sur le divorce en mars 2021 reconnaissent maintenant que la violence familiale est un facteur essentiel et qu’elle doit être prise en compte dans l’intérêt supérieur de l’analyse, et sa définition comprend non seulement les comportements violents, mais aussi l’exploitation psychologique et financière.

Le projet de loi C-233 a reçu le consentement unanime de la Chambre des communes. Nous savons que ce qu’il propose est une première étape, mais une étape importante. Il y a certainement plus de travail à faire; il y en aura toujours. Mais nous devons commencer et nous l’avons fait.

Grâce à ce projet de loi, le contrôle coercitif et sa compréhension feront partie intégrante du libellé de nos mécanismes législatif et judiciaire, et nous aurons les outils nécessaires pour nous renseigner à ce sujet, pour l’identifier, et les juges pourront, devant leur tribunal, savoir qu’il existe des outils dissuasifs pour prévenir l’escalade de la violence et sauver des vies.

Ce processus nous a permis de clarifier les choses, et les Canadiens nous ont demandé de ne pas détourner le regard. J’encourage le comité à nous poser des questions sur notre travail.

Le président : Merci à vous trois pour vos exposés.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Bienvenue à nos témoins au Sénat.

[Traduction]

C’est peut-être leur première visite dans l’édifice du Sénat, alors bienvenue au Sénat.

Je vous remercie de m’avoir demandé de parrainer ce projet de loi au Sénat. Je pense que le projet de loi comporte deux aspects importants. L’un touche la formation des juges et l’autre la protection sous l’angle du dispositif de surveillance, surtout pendant la période suivant la séparation, au cours de laquelle une ordonnance de cautionnement pourrait être rendue et pourrait inclure un tel dispositif.

Je ne sais pas laquelle d’entre vous aimerait parler en premier de l’importance de la formation des juges et des raisons pour lesquelles vous jugez important que la Loi sur les juges fasse spécifiquement référence à la violence familiale, au contrôle coercitif et aux questions connexes.

Mme Damoff : Je vais commencer, sénateur Dalphond. Je tiens à vous remercier sincèrement du leadership dont vous avez fait preuve pour faire adopter ce projet de loi au Sénat.

Nous ne pouvons pas dire à la magistrature quoi faire. Nous ne voulons pas et ne devrions pas le faire, mais nous pouvons envoyer un signal. J’ai déjà entendu des gens qui travaillent dans les tribunaux de la famille dire qu’ils parlent de la « loi de Keira », même si ce projet de loi n’a pas été adopté. Je sais que l’Ontario a récemment adopté une motion intitulée « loi de Keira », qui fera en sorte qu’il y ait plus d’éducation sur la violence familiale et le contrôle coercitif. Je pense qu’en tant que législateurs, nous pouvons envoyer un message à la magistrature, mais aussi, de façon plus générale, aux tribunaux et aux Canadiens eux-mêmes, pour leur dire à quel point c’est important et pour les sensibiliser à une question qui est souvent négligée. C’est pourquoi nous trois et tout le monde, les 338 députés de la Chambre des communes, avons estimé qu’il était important d’adopter une loi qui suggère — ce n’est pas obligatoire — des séminaires pour les juges qui incluent la violence conjugale et le contrôle coercitif.

Mme Saks : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose aux observations de ma collègue, la députée Damoff, la formation sur le contrôle coercitif est spécifique en ce sens que nous examinons souvent la violence familiale pour trouver des marqueurs physiques, qu’il s’agisse de rapports de médecins ou de rapports criminels qui ont été déposés. Ce que nous savons, c’est que la pathologie du contrôle coercitif est vraiment une question de contrôle. Et plus l’agresseur perd le contrôle, habituellement après la séparation, plus la violence atteint rapidement un niveau mortel. Souvent, les marqueurs sont là, et nous avons constaté à maintes reprises, tant du côté pénal que du côté familial, que ces marqueurs ont peut-être été oubliés.

Il s’agit d’une occasion d’encourager les juges à apprendre quels sont ces indicateurs afin que, lorsque des familles sont devant eux, lorsque des enfants sont devant eux et qu’ils cherchent une protection, ils sachent comment interpréter les signaux. C’est ce que nous ont demandé des familles canadiennes de partout au pays, des hommes et des femmes, qui se sont adressés à moi et à mes collègues, les larmes aux yeux, pour nous remercier d’avoir soulevé la question de cette forme de violence.

Le sénateur Dalphond : Je suis d’accord avec ce que vous dites, en ce sens que non seulement on demande aux juges d’avoir plus de formation sur ces questions, mais on envoie aussi le signal à tous les intervenants du système judiciaire — les procureurs de la Couronne, les policiers, les travailleurs sociaux, tous ceux qui s’occupent de questions familiales — de se rendre compte de la situation, parce que celle qui prend la décision est au courant de la situation, et qu’elle peut s’attendre à ce que les gens soient au courant.

Est-ce que c’est ce que l’Ontario et d’autres provinces envisagent?

Mme Dhillon : C’est exactement cela. Il est important que le juge devant qui les faits sont présentés puisse bien déterminer s’il y a un danger ou non et ce qu’il doit imposer pendant les conditions du cautionnement. La formation des juges dans ces domaines est essentielle pour aider à reconnaître ces signaux.

Comme nous le savons, toute éducation ou formation continue vise toujours à mieux enseigner aux apprenants et à appliquer les changements apportés à la loi et à ce que nous voyons changer dans notre société dans son ensemble. Il est très important d’inclure ces éléments dans cette formation pour reconnaître les signes de violence potentielle, qu’elle soit psychologique ou physique. Ce sont les faits sur lesquels le juge doit se prononcer; ce sont eux qui décident de l’affaire.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Manning : Vous savez que je suis le porte-parole pour ce projet de loi, mais je tiens à féliciter chacun d’entre vous de l’avoir présenté. Cela remet notre rôle de porte-parole en perspective.

J’ai présenté un projet de loi au Sénat, le projet de loi S-249, qui demande au gouvernement d’élaborer une stratégie nationale sur la violence entre partenaires intimes. J’ai donc hâte de travailler avec certains d’entre vous à ce sujet à une date ultérieure.

En ce qui concerne ce projet de loi en particulier, la violence entre partenaires intimes est à la hausse, comme nous le savons tous, selon les plus récentes données disponibles. Au cours des sept dernières années, en particulier, nous avons constaté une augmentation importante. Je crois que ce projet de loi est un premier pas important, comme vous l’avez déjà souligné.

En ce qui concerne la lutte contre la violence entre partenaires intimes et toutes les questions connexes, du point de vue du gouvernement, seriez-vous en mesure de nous en dire davantage sur ce que le gouvernement envisage en ce qui concerne une approche plus large maintenant que la violence entre partenaires intimes a été présentée comme un problème de santé mondial?

Mme Saks : Je vous remercie de la question, sénateur.

Le projet de loi C-233 va de pair avec les lois de nombreux pays du monde qui explorent des façons d’évaluer et d’étudier plus à fond la violence entre partenaires intimes, en particulier en ce qui concerne le contrôle coercitif. Cela comprend l’Australie, l’Espagne et de nombreux autres pays. Je crois que le sénateur Dalphond, dans ses observations antérieures à la Chambre rouge, a fait allusion à l’orientation que prennent les pays aux vues similaires lorsqu’ils examinent les options législatives et les étudient attentivement.

Pour ce qui est du gouvernement, la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres a récemment annoncé un plan exhaustif pour lutter contre la violence familiale partout au pays. Le processus de consultation a commencé. En tant que gouvernement, nous sommes tout à fait déterminés à examiner non seulement le processus législatif devant les tribunaux, mais aussi les déterminants sociaux associés à la violence entre partenaires intimes, qu’il s’agisse de veiller à ce qu’il y ait un abri sûr, des logements de transition ou des mesures de soutien en santé mentale pour les familles en crise.

C’est vraiment une approche pangouvernementale que nous appliquons à cet égard, de concert avec nos partenaires provinciaux et municipaux, pour assurer la sécurité des familles et des enfants.

Mme Damoff : Je pourrais vous donner un exemple de l’impact de ce projet de loi. Samedi soir, mon collègue de London, Peter Fragiskatos, m’a dit que le Lightning de London, une équipe de basket-ball, avait organisé une partie en violet afin de recueillir des fonds pour le London Abused Women’s Centre. C’était aussi « La soirée de Keira », et ils ont rendu hommage à Keira Kagan et à Jennifer Kagan-Viater. Une équipe sportive a donc souligné les problèmes de violence entre partenaires intimes et ce qui était arrivé à Keira, et elle a recueilli des fonds pour une organisation formidable de London, en Ontario, qui fait vraiment du bon travail.

Quand vous entendez dire que le leadership que nous assumons ici à Ottawa peut se rendre jusqu’à une équipe de basket-ball à London, en Ontario, pour aider à faire passer le mot, c’est ainsi que nous pouvons commencer à faire une différence dans la société. Cela se produit lorsque ces messages sont transmis aux Canadiens, en particulier aux jeunes hommes, pour qu’ils participent au mouvement et qu’ils modifient leur attitude à l’égard des femmes.

En fait, cela m’a beaucoup inspirée.

Le sénateur Manning : Merci beaucoup.

L’éducation est la clé, et plus on commence jeune, mieux c’est. À Terre-Neuve-et-Labrador, il y a quelques semaines, un jeune de 14 ans a été accusé de violence contre sa petite amie. Cela commence donc jeune.

Il n’y a pas si longtemps, j’ai participé à une table ronde avec un groupe de victimes dans certains cas, et dans d’autres, avec des dirigeants communautaires. Une partie de la discussion portait sur les dispositifs de surveillance. Le projet de loi a été soulevé au cours de la discussion. Certaines personnes autour de la table étaient un peu préoccupées par le faux sentiment de sécurité qui pourrait en découler. Certaines de ces personnes ont des histoires d’horreur à raconter.

Je ne savais pas vraiment comment répondre à cette question parce que je ne connaissais pas tout ce qu’ils faisaient.

Pouvez-vous me donner une réponse que je pourrais transmettre?

Mme Dhillon : Merci beaucoup de cette question, sénateur Manning. C’est une question très importante. Ce sont des choses dont nous devons tenir compte.

Pour ce qui est de l’importance d’avoir de tels dispositifs, tout d’abord, cela nous fait déjà franchir un pas de plus. Ce n’est pas parfait; ce ne sera pas une solution parfaite. Il y avait quelqu’un dans un refuge pour femmes au Québec qui en a parlé. Le Québec a adopté le même type de loi en mai dernier. Elle a parlé de la façon dont elle est utilisée, et elle a dit que, dans ce refuge pour femmes, on a un peu plus l’impression que l’option de surveillance est disponible. Elle permet à la victime de voir si la personne se trouve à proximité. Disons qu’il y a une certaine distance qu’ils ne devraient pas franchir ou qu’ils devraient rester loin de la maison ou de la garderie — c’est un aspect qui aidera à atténuer le stress qu’une plaignante peut ressentir. Cela donne une tranquillité d’esprit.

Ce ne sera pas parfait, mais c’est un point de départ très important pour permettre aux victimes d’avoir cette liberté, d’être en mesure de se déplacer et de vérifier dans leur application où se trouve cette personne et si elle est trop près d’elle. Ce n’est pas un faux sentiment de sécurité; c’est en fait quelque chose qui leur donnera la tranquillité d’esprit, qui les protégera davantage et qui mettra fin à ce cycle de violence ou au potentiel de violence.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, madame Dhillon, madame Damoff et madame Saks, pour cette initiative très importante. Je vous salue. Cela demande beaucoup de travail. Je m’intéresse à cette question — je ne vous dirai pas depuis combien de temps, car vous sauriez mon âge —, mais je tiens à vous remercier.

Il y a environ 25 ou 30 ans, je donnais cette formation aux juges du Conseil canadien de la magistrature et du Conseil de l’Ouest sur la violence entre partenaires intimes. Il y a déjà des articles sur la formation des juges dans la Loi sur les juges. J’aimerais que vous me disiez quels sont les pouvoirs du Conseil dans la Loi sur les juges. Le paragraphe 60(2) proposé porte sur « [...] la violence entre partenaires intimes, le contrôle coercitif dans les relations entre partenaires intimes et dans les relations familiales [...] » Plus loin, on parle de séminaires sur la violence entre partenaires intimes et le contrôle coercitif dans les relations entre partenaires intimes.

Il est déjà question de la formation des juges et celle-ci a déjà été faite, mais d’après vos recherches, vous avez dû vouloir ajouter quelque chose. C’est déjà là, alors que pouvons-nous ajouter? C’est une très bonne initiative, et je vous en remercie.

Mme Damoff : Peu importe qu’elle y soit ou non, elle ne fonctionne pas, sinon Keira Kagan serait encore parmi nous aujourd’hui. Keira n’est pas le seul cas. Nous avons toutes les trois eu des femmes qui ont fait appel à nous. C’est déchirant d’entendre leurs histoires et d’entendre comment elles retournent constamment devant les tribunaux. Elles savent que leurs enfants sont en danger.

Donc, le fait que cela existe indique qu’il y a une faille dans notre système.

Cela dit, nous ne pouvons pas dire aux juges à quoi doit servir leur formation. J’espère sincèrement qu’ils communiqueront avec des gens comme Mme Kagan-Viater et d’autres personnes qui sont passées par le système pour leur demander sur quoi ils devraient se concentrer, parler aux survivants de violence conjugale et de contrôle coercitif et travailler avec eux.

Comme vous le savez, madame la sénatrice, nous ne pouvons pas leur dicter ce qu’ils doivent faire, mais je répète qu’il y a manifestement des lacunes dans le système. C’est ce que nous essayons de souligner. C’est semblable à ce que nous avons fait avec le projet de loi C-3 sur la formation en matière d’agression sexuelle parce que nous savons qu’il y a des lacunes dans le système judiciaire.

J’ai dit que j’espère que même les juges entêtés qui ne veulent pas suivre de formation entendront leurs collègues sur le terrain de golf parler de Keira Kagan et seront curieux de se renseigner sur cette affaire, et j’espère que cela se reflétera dans leurs discussions par la suite.

Au-delà de la formation des juges, le fait que ce projet de loi ait été présenté au Parlement et que vous en soyez maintenant saisis au Sénat change la nature des discussions. Je n’ai aucun doute que l’Institut national de la magistrature est à l’écoute et suit probablement notre réunion aujourd’hui, et j’espère qu’il communiquera avec les survivants et adaptera sa formation pour s’assurer qu’elle est efficace.

La sénatrice Jaffer : Madame Damoff, je ne peux pas être en désaccord avec ce que vous dites — je suis entièrement d’accord —, mais la formation que les juges recevaient à ce moment-là, ils écoutaient aussi les survivants. Je suis parfaitement d’accord avec vous à ce sujet, cela ne fait aucun doute.

Là où je pense que nous avons besoin d’argent — et vous avez dit que le gouvernement était à l’écoute —, c’est au niveau des ressources fournies pour assurer la formation. C’est là-dessus que nous devons vraiment nous concentrer, et c’est un aspect que le gouvernement peut contrôler.

L’autre chose dont vous avez parlé, c’est la surveillance. J’ai vraiment aimé ce que Mme Dhillon a dit au sujet de la surveillance et de la sécurité.

Le problème que pose la surveillance — et je suis d’accord avec vous; je dis simplement que je veux qu’elle soit encore meilleure, alors ne vous méprenez pas —, c’est ce que nous avons entendu la semaine dernière, il y a quelques semaines, c’est-à-dire qu’il n’y a tout simplement pas assez de dispositifs de surveillance, surtout dans les régions rurales, et le problème, encore une fois, réside dans l’insuffisance des ressources.

Je vous exhorte à fournir les ressources nécessaires. Le gouvernement du Québec a fait preuve de leadership en achetant beaucoup de dispositifs de surveillance. C’est ce dont nous avons besoin. Autrement, les régions rurales et d’autres régions n’auront pas ces appareils. Avez-vous examiné la question?

Le président : Pourriez-vous limiter votre réponse à environ une minute?

Mme Saks : Bien sûr. Je vais diviser ma réponse en deux parties. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Je dirai d’abord que « si l’on prend les mesures qui s’imposent, les résultats suivront ».

En jumelant la surveillance électronique prévue dans le projet de loi avec la compréhension du contrôle coercitif, l’idée est de sensibiliser les gens au fait qu’il s’agit d’un outil dissuasif qui se trouve déjà dans la boîte à outils judiciaire, mais qui n’a peut‑être pas été envisagé dans un contexte comme le contrôle coercitif.

En ce qui concerne votre travail dévoué relativement à la formation sur la violence familiale et entre partenaires intimes, comme je l’ai dit dans mes commentaires précédents, traditionnellement, celle-ci est utilisée comme marqueur physique. Ce que nous encourageons les juges et le système juridique en général — qu’il s’agisse des travailleurs sociaux, des procureurs ou des avocats — à faire consiste à examiner les signes avant-coureurs invisibles et à comprendre que, devant les tribunaux de la famille, on détermine souvent qu’ils se présentent sous la forme de l’exercice d’un contrôle financier, de l’isolement, du harcèlement criminel, de ne pas donner assez à manger ou de ramener les enfants à la maison tardivement par principe pour créer de l’anxiété, de sorte que le système judiciaire sait donc quels comportements surveiller.

Nous pouvons toujours faire mieux et faire plus, mais si nous ne mettons pas cartes sur table et n’encourageons pas la magistrature à tenir compte de ces comportements dans ses propres délibérations, la demande de ressources financières ne sera pas présentée. Mais je suis d’accord avec vous, il faut des ressources.

La sénatrice Pate : Merci à chacune d’entre vous d’être ici, ainsi qu’à la mère et à la famille de Keira.

J’apprécie et j’appuie certainement les intentions qui sous‑tendent ce projet de loi. Le projet de loi me pose toutefois trois problèmes majeurs. Premièrement, l’essentiel de cette question, d’après mon expérience d’une quarantaine d’années — je ne suis pas aussi expérimentée que ma collègue.

La sénatrice Jaffer : Elle est plus jeune que moi.

La sénatrice Pate : ... le problème, c’est qu’on ne croit pas les femmes. On ne les croit pas lorsqu’elles signalent la violence, et on ne les croit pas lorsqu’elles signalent les risques pour leurs enfants. C’est ce problème qui est au cœur de ce qui est arrivé à Keira.

Rien dans ce projet de loi, s’il avait existé maintenant, n’aurait empêché ce qui est arrivé à Keira, et c’est une horrible réalité à affronter. Mais si nous n’y faisons pas face, nous créons un faux sentiment de sécurité que ce genre d’options crée parfois pour les femmes. Nous savons que, dans les collectivités rurales et les communautés des Premières Nations en particulier, la capacité d’avoir accès à ces services — et pour avoir travaillé au cas d’Helen Naslund, qui vivait à 40 minutes du poste de police le plus près, ce n’était pas seulement un contrôle coercitif, mais personne ne croyait ce qui se passait.

Lorsque nous connaissons cette réalité, il ne s’agit pas seulement d’éducation; il s’agit de remettre en question les mythes et les stéréotypes, comme nous le savons. Nous avons dû composer avec cette difficulté dans le droit relatif aux agressions sexuelles et en toute franchise, nous devons encore y faire face.

Deuxièmement, le fait que nous procédions à une réforme graduelle du droit, au lieu de nous pencher fondamentalement sur la façon dont nous traitons les lois qui ont été élaborées à une époque où les femmes étaient considérées comme étant la propriété de leurs maris et les enfants, comme la propriété des hommes qui les avaient élevés, explique fondamentalement pourquoi nous continuons d’apporter ces changements progressifs, à mon humble avis. C’est ce que nous devons faire.

Je suis curieuse de savoir ce que le gouvernement fait dans ces deux domaines, car je pense qu’il peut donner de la formation aux juges. Nous avons parlé de la façon dont nous faisons de l’éducation et de la sélection des candidats à la magistrature.

Troisièmement, les groupes de femmes et celles qui fuient la violence se sont toujours entendus sur le fait qu’il faut davantage de ressources. J’aimerais savoir quelles mesures sont prises en ce qui concerne les questions sociales, économiques et d’égalité en matière de santé pour permettre aux gens de fuir dans de telles situations. Je sais qu’il se fait beaucoup de travail avec les refuges, mais nous devons aussi nous pencher sur les problèmes d’inégalité économique des femmes.

Mme Dhillon : Je vous remercie, madame la sénatrice Pate, de votre question. Je suis entièrement d’accord avec ce que vous avez dit. Au moment de la création de ces lois, les femmes et les enfants étaient considérés comme des biens. Il reste encore beaucoup à faire, et cela se fait progressivement, mais avec ce projet de loi et, espérons-le, son adoption, je pense que nous avancerons beaucoup plus vite que par le passé. Des mesures concrètes sont prises pour s’assurer que les femmes ont un sentiment de sécurité.

Je sais que vous avez également dit qu’il pourrait y avoir un faux sentiment de sécurité ou que, dans les régions rurales, l’Internet n’est pas très bon. Même s’il est sporadique — c’est mon opinion personnelle — pourvu qu’il donne à quelqu’un une chance de survie de 1 %, je ne pense pas que nous devrions nous en priver.

L’autre chose, c’est que cela aide aussi les femmes ou les gens qui accusent quelqu’un de ce genre de violence à ne pas subir d’autres traumatismes psychologiques. Cela a un effet préventif. Ce sont deux choses dont nous avons vraiment besoin pour lutter contre ce fléau qu’est la violence familiale. Je ne sais pas si mes collègues veulent ajouter quelque chose.

Mme Damoff : Je tiens d’abord à vous féliciter pour le travail que vous faites, sénatrice Pate, et pour vos efforts de sensibilisation. Je vous l’ai dit personnellement, mais je tiens à vous remercier publiquement du travail que vous faites et vous faire savoir que c’est apprécié. Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit. Je pense que nous le sommes tous. On ne croit pas les femmes. Jennifer n’a pas été crue lorsqu’elle s’est présentée devant les tribunaux et a dit que son ex-mari était une menace.

Lorsque nous avons étudié le projet de loi de Rona Ambrose, alors qu’il s’agissait encore d’un projet de loi d’initiative parlementaire, je siégeais au Comité de la condition féminine à l’époque, et une procureure de la Couronne a comparu devant le comité. Elle a dit que le plus grand changement est probablement la façon dont les juges sont nommés maintenant et qui est nommé à la magistrature.

Il faudra du temps avant que cela se concrétise, mais cela m’a frappée lorsqu’elle en a parlé. Elle a fait valoir qu’une seule loi ou qu’un seul changement ne permettra pas de corriger le système. Un certain nombre de choses doivent se produire.

Ce que j’entends constamment dans cette salle, au Parlement, dans ma collectivité et partout au Canada, c’est que nous parlons désormais de ces problèmes et que les femmes exigent des changements. Les femmes ne font plus du surplace et elles ne sont plus traitées comme des biens. Les femmes n’ont pas toutes la même voix. Les femmes autochtones n’ont toujours pas la même voix que moi, et c’est inacceptable. Nous devons être à l’écoute de toutes les femmes, mais je pense que c’est un pas dans la bonne direction pour faire en sorte que les femmes soient crues.

Nous avons absolument besoin de ressources. Il ne fait aucun doute que nous avons besoin de plus de ressources pour les femmes qui fuient la violence entre partenaires intimes, les femmes qui sont victimes de violence à la maison dans leur collectivité. Je ne pense pas que quiconque soit en désaccord avec vous à ce sujet. Nous devons continuer à travailler en ce sens. Je me ferai un plaisir de travailler avec vous et d’autres à cet égard.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup d’être ici. Je tiens à féliciter mon collègue, le sénateur Boisvenu, qui accompagne le comité cette semaine, d’avoir été le premier à essayer d’inscrire la formation des juges sur la violence entre partenaires intimes dans le projet de loi C-3 en 2021. À l’époque, le leader adjoint du gouvernement, lorsqu’il parlait au nom du gouvernement, avait dit que cet amendement apporterait peu de valeur ajoutée au projet de loi. Je suis heureuse de constater aujourd’hui que le gouvernement a changé d’idée et qu’il reconnaît l’importance des modifications proposées dans le projet de loi dont nous sommes saisis.

De votre point de vue, j’aimerais savoir quelle est la valeur ajoutée de ces nouvelles exigences en matière de formation des juges. Lorsque je parle des exigences en matière de formation des juges, le projet de loi n’en fait pas vraiment une exigence; il exige seulement que des séminaires de formation pour les juges soient établis sur ces sujets. Rien n’exige que les cours essentiels pour les juges soient suivis.

Comme la sénatrice Jaffer l’a souligné il y a quelque temps, ces séminaires sont offerts aux juges depuis des années. Quelle est donc la valeur ajoutée de cette partie de votre projet de loi?

Mme Saks : Je vous remercie, sénatrice Batters, de votre question. Je tiens à souligner que, lors des délibérations précédentes sur le projet de loi du sénateur Boisvenu, un autre gouvernement avait déjà pris position — le contexte dans lequel ce débat a eu lieu — parce qu’il est essentiel, à mon avis, de comprendre pourquoi le gouvernement de l’époque n’a pas nécessairement appuyé au Sénat les amendements qui étaient proposés.

Pour ce qui est de votre question d’aujourd’hui sur la valeur ajoutée, je reviens à notre compréhension du contrôle coercitif dans le discours public. Auparavant, dans le système des tribunaux de la famille, lorsqu’il y avait de l’exploitation financière ou psychologique, les délibérations du tribunal de la famille se résumaient souvent à conclure qu’il s’agissait d’un divorce difficile, et qu’il y avait de l’antagonisme entre les partenaires. Le juge devait se prononcer dans l’intérêt supérieur de l’enfant, sans toujours comprendre qu’il y avait des marqueurs de contrôle coercitif dans cette dynamique.

La valeur ajoutée, c’est que ces discussions n’avaient pas lieu auparavant. On pensait que ce type d’abus était courant dans les cas de divorce. On pensait qu’il relevait du dysfonctionnement d’une famille et non d’une forme d’abus. Ce que nous avons entendu de la part des Canadiens de partout au pays — des hommes et des femmes, dois-je ajouter — c’est que ce type d’abus n’était pas reconnu dans le cadre de leur propre processus de recours aux tribunaux de la famille ou aux tribunaux criminels et de leur capacité de se protéger et de protéger leurs enfants.

Nous avons fait évoluer le dialogue, la discussion et la compréhension profonde jusqu’au point où les femmes et les hommes qui se protègent et qui protègent leurs enfants ont la capacité de présenter des preuves devant le tribunal. Auparavant, il fallait avoir des ecchymoses ou des fractures et déposer un rapport de police pour justifier une allégation de violence familiale. Compte tenu de la définition du contrôle coercitif dans le débat public, il existe d’autres outils pour se protéger lorsqu’on comparaît devant un juge. En ajoutant l’éducation et la formation, c’est la valeur ajoutée.

La sénatrice Batters : J’ai pratiqué le droit de la famille en Saskatchewan pendant de nombreuses années avant d’arriver au Sénat et je dirais que certains de ces aspects étaient certainement connus depuis un certain temps. Je siège au Sénat depuis maintenant 10 ans. Je pense que bon nombre de ces éléments sont connus depuis longtemps, mais oui, je tiens absolument à ce que ces discussions importantes se poursuivent. Je veux simplement m’assurer que cela compte vraiment lorsque nous sommes témoins de situations terribles comme celle qui a été à l’origine de ce projet de loi d’initiative parlementaire et d’autres situations que j’ai vécues, y compris celle de ma propre adjointe juridique, qui a été assassinée par son ex-mari.

Oui, nous avons beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Je veux simplement m’assurer que ces choses comptent vraiment. C’est pourquoi j’essaie de m’assurer que notre projet de loi est aussi bon que possible.

J’aimerais passer à la question de la technologie de surveillance électronique. Nous avons entendu récemment au comité des critiques de ce type de technologie de surveillance électronique, qui affirment qu’elle peut donner un faux sentiment de sécurité aux victimes de violence. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Dhillon : Je vous remercie de votre question. Comme je l’ai déjà dit, le sentiment de sécurité qui en découle a plus de poids qu’un expert qui dit qu’il y a un faux sentiment de sécurité. J’ai déjà parlé des personnes qui sont victimes de violence ou qui pourraient être victimes de violence encore plus grave, et cela leur procurera la tranquillité d’esprit. Cela leur permettra d’être à un certain endroit ou de ne pas être à un certain endroit, de se protéger si cette personne vient trop près d’eux. Souvent, lorsqu’un juge ordonne à quelqu’un de s’éloigner de sa conjointe, il fait exactement le contraire. Il commence à la traquer. Il commence à la suivre partout, à la harceler. Grâce à ce genre de mécanisme, elle peut voir sur une application à quel point cette personne est proche et prendre des mesures pour prévenir d’autres préjudices pour elle-même et ses enfants.

Il y a eu un cas au Québec où une femme a tout fait pour se protéger. Elle a changé d’adresse, elle a changé d’emploi, et je crois qu’il l’a suivie en partant du tribunal et qu’il a découvert où elle vivait. Il a attendu à l’extérieur de la maison. C’était aux alentours de Noël. Elle a quitté la maison pour aller chercher des décorations dans le garage. Lorsqu’elle est entrée, il se cachait déjà dans la maison. Il s’était frayé un chemin. Il l’a violée devant leur enfant de deux ans. Elle s’est enfuie et s’est cachée dans les toilettes avec l’enfant, et il allait les tuer toutes les deux, mais elle l’a supplié au nom de sa fille. Lorsqu’elle est ressortie des toilettes, il s’était suicidé.

Ce genre de mécanisme permet à une personne de voir où se trouve celui qui constitue un danger et de prendre des mesures préventives. Elle aurait pu appeler la police. Peut-être qu’elle ne serait pas allée au garage et peut-être qu’elle n’aurait pas laissé la porte d’entrée déverrouillée. Il y a tellement de « peut-être » avec le recul, mais au moins, on donne la chance à une personne de survivre, même si ce n’est qu’une seule personne, comme je l’ai dit.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invitées et merci de votre exposé. J’avais une série de questions à poser, mais j’aimerais revenir sur ce que les sénateurs Jaffer, Manning et Pate ont dit. J’aimerais voir ces bracelets comme un moyen de dissuasion. J’espère qu’ils auront un effet dissuasif complet, mais l’autre aspect de la question est la prévention — c’est une question qui se pose.

En ce qui concerne certains des amendements, à propos de la prévention, envisage-t-on de sensibiliser et de former les agents de police pour qu’ils sachent que, lorsque cela se produit, c’est le temps d’agir et ce n’est pas comme si le ciel nous tombait sur la tête. Non, c’est quelque chose de concret qu’il faut surveiller. Peu importe ce que vous en pensez, si ça sonne, vous devez partir. Il y a peut-être des occasions où l’inaction n’est pas attribuable à des tergiversations, mais plutôt à des priorités concurrentes. À mon avis, ce serait une priorité absolue. Je m’interroge à ce sujet.

De plus, en ce qui concerne les régions rurales, serait-il possible d’envisager un éventail de restrictions raisonnablement plus large pour tenir compte d’un délai d’intervention plus long?

Mme Damoff : Je vais peut-être parler de la formation des policiers parce que j’ai dit plus tôt que l’Ontario a adopté une motion de mon homologue, Effie Triantafilopoulos, sur ce type d’éducation. Il ne s’agit pas seulement de surveillance électronique; il s’agit de réagir aux incidents de violence entre partenaires intimes. Nous savons que, parfois, la police ne prend pas la chose au sérieux et ne réagit pas de la même façon.

J’espère qu’avec l’adoption de ce projet de loi, avec une plus grande sensibilisation du public et avec des provinces comme l’Ontario et le Québec — le Québec fait un travail formidable en ce qui concerne la violence sexuelle et la violence familiale —, nous verrons un changement dans la façon dont la police est formée et dont les gens des services à l’enfance et à la famille sont formés. Le gouvernement fédéral ne forme pas spécifiquement les services de police locaux. Le seul service de police dont nous sommes responsables est la GRC. Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas offrir plus de formation à la GRC parce que, dans certaines collectivités, c’est le service de police qui intervient, mais nous devons tenir un dialogue général. Vous avez parfaitement raison en ce qui concerne la formation.

Mme Saks : Il y a des modèles dont nous pouvons nous inspirer. Comme je l’ai dit plus tôt dans ma déclaration préliminaire, nous travaillons de concert avec d’autres pays qui examinent les divers outils disponibles pour régler ce problème. Dans le système espagnol, par exemple, on a adopté une approche beaucoup plus globale dans le cadre de laquelle le public est sensibilisé au sort des femmes et des familles par l’entremise des services à l’enfance et à la famille, des hôpitaux et des services de police pour qu’ils puissent exercer une surveillance si elles ne se sentent pas en sécurité. Le système espagnol des services sociaux comporte également une nature coopérative, qui fait que l’on travaille avec les services policiers une fois que la surveillance électronique a été mise en place. Il existe certainement des modèles que nous pouvons examiner et encourager nos administrations respectives et nos homologues à explorer.

Au Québec, où il y a de la surveillance, des études sont faites sur sa mise en œuvre au cours des 10 dernières années pour en vérifier l’efficacité, c’est-à-dire qui reçoit l’ordre d’utiliser des bracelets et à quel point ils fonctionnent bien dans ces contextes. Les données et l’analyse qui en découleront permettront également de mieux informer les administrations sur la meilleure façon de travailler avec les outils à leur disposition.

Mme Dhillon : Le Québec est l’une des seules provinces à avoir lancé ce programme. Cela favorisera également l’uniformité à l’échelle du pays. Comme vous l’avez dit, parfois, ce n’est peut-être pas une question de se traîner les pieds, mais on priorise les incidents. Cela permet à la personne — la plaignante, la victime — de prendre des mesures elle-même. Peut-être va-t-elle demander à un membre de sa famille de les aider; peut-être va-t-elle quitter cet endroit et aller ailleurs pour l’instant si elle voit la personne qui rôde en voiture autour de la maison. Nous avons entendu des histoires où la victime ou la plaignante regarde par la fenêtre et voit l’accusé assis dans sa voiture, qui observe la maison, ou elle voit le véhicule qui fait le tour de la maison. Cela lui donne le pouvoir d’agir dans un tel cas. Merci.

Le président : Merci.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour et bienvenue.

[Traduction]

Je tiens à vous dire qu’il est bon de voir des femmes en politique. C’est une source d’inspiration personnelle et profonde pour moi. Je vous en remercie.

Madame Saks, vous avez parlé des discussions avec les intervenants et de vos partenariats avec différents ordres de gouvernement, y compris les administrations municipales. J’écoute toujours les municipalités. En tant qu’ancienne mairesse, j’ai toujours appuyé cette idée parce que la violence entre partenaires intimes touche des familles et des victimes en particulier, mais elle touche aussi des collectivités entières. La santé de collectivités entières est touchée.

De toute évidence, ce projet de loi fait l’objet d’un large consensus. Nous en sommes conscients. J’aimerais que vous alliez au-delà de cela et que vous vous en teniez à vos discussions avec les intervenants. Je m’inquiète beaucoup de la confiance que les Canadiens accordent à notre système juridique en général, à la magistrature et à toutes les facettes de notre système de justice pénale. Les femmes, en particulier, ne font pas confiance au système. Qu’avez-vous entendu et que devrions-nous faire de plus? Nous avons parlé de ressources, mais je vous demande d’approfondir le sujet. Dites-nous ce que vous avez entendu.

Mme Saks : Les discussions que j’ai entendues depuis que j’ai présenté ce projet de loi vont des femmes qui sont venues me voir à l’extérieur de l’édifice de l’Ouest pour me remercier et me dire que j’avais changé leur vie parce que leur ex-mari s’était fait dire qu’il devait savoir que ce projet de loi allait être présenté et que s’il ne cessait pas de la maltraiter financièrement et psychologiquement pendant leur processus de séparation, il pourrait se retrouver avec un bracelet à la cheville. Ce n’est pas l’intention du projet de loi, mais le fait est que les avocats en parlent, les familles en parlent et les femmes nous en remercient.

Si je peux me permettre d’être un peu directe et parler sur un plan plus personnel, en tant que femme divorcée qui a dû s’y retrouver dans le système des tribunaux de la famille, je dirais qu’il faut y affecter davantage de ressources. Les délais sont énormes. C’est décourageant pour de nombreuses cheffes de famille monoparentale qui essaient de naviguer en toute sécurité, que ce soit sur le plan financier, émotionnel ou autre, dans un système qui ne répond pas à leur appel.

Je suis une femme privilégiée qui vit dans un centre urbain, mais j’étais au Nunavut cet été et j’ai passé du temps avec votre collègue, le sénateur Patterson, au refuge pour femmes d’Iqaluit. J’ai compris le parcours du combattant d’une femme qui devrait quitter sa communauté pour se mettre à l’abri dans le seul refuge de tout le territoire et ce qu’il lui faudrait faire pour s’y rendre avec ses enfants, sans parler du risque d’une tempête de neige ou d’un retard d’avion, ou du risque que quelqu’un à l’aéroport appelle son conjoint pendant qu’il est à la chasse et l’avertisse de venir chercher sa conjointe à l’aéroport.

Nous avons beaucoup de travail à faire pour bâtir la confiance et les ressources ici, mais je sais aussi qu’au Nunavut, les juges circulent dans les 26 communautés pour entendre les causes. Cela me permet de savoir que nous avons fait quelque chose en équipant mieux un juge qui se rendra dans cette collectivité éloignée, de sorte que lorsque la femme qui n’a pas pu se rendre au refuge d’Iqaluit se présente devant lui, elle puisse parler de violence coercitive. J’espère que le juge, après avoir suivi la formation ou entendu nos délibérations, en tiendra compte pour assurer sa sécurité et celle de ses enfants.

J’ai entendu des conjoints qui sont venus me remercier également parce qu’ils comprennent que les cycles de violence qui se produisent ne visent pas toujours les femmes. Ils se produisent dans le contexte d’une relation dysfonctionnelle, où les victimes ne sont pas toujours celles que nous croyons. Nous avons entendu parler des considérations sexospécifiques en comité. La violence peut faire des victimes chez les hommes comme chez les femmes. Il y en a qui nous ont remerciés de reconnaître que cela peut se produire dans n’importe quel contexte familial. Nous avons entendu beaucoup de choses.

Nous avons également entendu des représentants de la Saskatchewan, qui aimeraient suivre les traces de l’Ontario et de mon homologue de cette province et envisager l’adoption de la « loi de Keira », parce qu’à l’heure actuelle, en Saskatchewan, le contexte n’y est pas favorable en ce qui concerne les lois sur la famille. Les familles suivent le dossier. Les femmes le suivent aussi de près. Les avocats se tiennent aussi au courant. Si nous avons pu faire avancer le dossier en ouvrant beaucoup plus la porte à la dynamique de la violence qui se produit derrière des portes closes dans les familles, je sais que nos efforts n’ont pas été vains.

Le président : Merci, madame Saks. Il reste un peu de temps pour un deuxième tour.

La sénatrice Jaffer : Encore une fois, je tiens à vous remercier tous de votre travail. Nous pouvons avoir tant de discussions, mais tout se résume à la question des ressources pour moi. Mme Damoff disait que les femmes se lèvent maintenant. Je peux vous dire que nous nous sommes toutes levées. Je lutte contre la violence faite aux femmes depuis de nombreuses années. Nous avons pris position et nous avons eu un panel national à ce sujet. Nous avons fait beaucoup de travail. Je vous salue tout de même parce que là où vous êtes, vous avez du pouvoir et, avec cela, vous pouvez apporter des changements. Je vous en remercie.

J’ai deux choses à dire. Premièrement, lorsque nous parlons de violence entre partenaires intimes, n’oubliez pas que le Canada dans lequel nous vivons actuellement est diversifié. Lorsque vous avez parlé de ressources, nous devons nous pencher sur des questions très difficiles pour les femmes en situation minoritaire.

Deuxièmement, je veux parler du modèle du Minnesota — et j’en parle depuis de si nombreuses années — où, dès que l’homme est accusé de violence contre sa partenaire intime, un défenseur arrive pour la conjointe et la guide dans le système. C’est un modèle qui fonctionne très bien. Il est appliqué depuis des années. Puis-je vous demander, lorsque vous parlerez à la ministre des Femmes et au ministre de la Justice, de leur dire que c’est de ce modèle du Minnesota dont nous avons besoin pour lutter contre la violence faite aux femmes? Merci pour tout votre travail. Merci beaucoup.

Le président : Je vous invite à répondre que vous êtes d’accord avec la sénatrice Jaffer dans ses observations, puis je céderai la parole à la sénatrice Pate.

Mme Damoff : Je ne voulais pas laisser entendre, sénatrice Jaffer, que vous n’aviez pas été... Vous êtes un modèle pour moi, alors...

La sénatrice Jaffer : Allons.

Mme Damoff : ... et pour de nombreuses autres femmes qui mènent ce combat depuis longtemps.

La sénatrice Jaffer : Je ne voulais tout simplement pas quitter le ...

Mme Damoff : Non, non. Pas du tout.

La sénatrice Jaffer : Non, je sais que ce n’était pas votre intention.

Le président : Merci, madame Damoff.

La sénatrice Pate : Merci, madame Saks, d’avoir parlé d’Iqaluit. La dernière fois que j’y suis allée, non seulement le refuge était débordé, mais on emprisonnait des femmes pour leur propre protection parce qu’il n’y avait plus de place dans le refuge. J’en ai encore des frissons. De plus, la plupart des femmes que je connais qui se sont retrouvées dans cette situation sont aujourd’hui mortes.

Il faut discuter de la façon dont s’exerce la surveillance. Les femmes dont j’entends parler acceptent cette situation parce que c’est tout ce qui est offert, et non parce que c’est ce qu’elles pensent qui va fonctionner. Elles devaient auparavant attendre des années avant d’obtenir des ordonnances judiciaires et des ordonnances de non-communication. Les mêmes arguments invoqués aujourd’hui en faveur de la surveillance électronique étaient les mêmes que pour les ordonnances de non-communication, mais ce sont les mêmes femmes — les femmes pauvres, les femmes noires, autrement racisées et autochtones — qui ne sont pas crues. Si j’appelais, je n’ai aucun doute que j’obtiendrais probablement le dispositif de surveillance. Je pourrais le payer moi-même si je le devais. Ce n’est pas tout le monde qui est dans cette situation.

Les données démographiques sont également importantes et, pour revenir à la question dont vous avez parlé plus tôt au sujet des mécanismes émancipateurs qui doivent être mis en place en général — et je ne dis pas que cela ne vous intéresse pas, parce que je sais que vous l’êtes tous —, mais dans ce cas-ci, je pense que certaines demandes, on s’attend à ce que vos homologues, les membres du Cabinet, veillent à ce que les données soient saisies et à ce que l’examen du droit pénal qui a été promis se fasse, ainsi que l’examen du processus de nomination — toutes ces choses doivent faire partie du processus, à mon avis. Je suis curieuse de savoir s’il y a des mesures en cours pour s’assurer que les changements se produisent vraiment. Je sais que la Commission du droit est envisagée, mais nous l’attendons encore.

Mme Saks : Je vous remercie de votre question. Comme l’a dit la députée Damoff à la sénatrice Jaffer, vous êtes une inspiration pour moi.

J’apprécie le travail de sensibilisation que vous faites auprès des communautés racisées, marginalisées et autochtones, en particulier les femmes et les enfants. Je dirais que l’une des choses que nous constatons, dans le processus de réconciliation dans lequel nous sommes engagés en tant que gouvernement, ce sont les services de police autochtones, qui seront un élément important dans la mise en place du mécanisme de direction des communautés pour pouvoir les identifier. Nous avons l’obligation de nous assurer que les outils et les ressources pour la formation et le dialogue que nous envisageons pour notre magistrature sont disponibles dans les nouvelles structures que nous mettons en place.

Je sais que dans le cadre de mon propre travail sur le dossier de l’apprentissage des jeunes enfants autochtones, nous cherchons des façons de soutenir et d’améliorer la structure familiale, car parfois, c’est dans une garderie que les éducateurs de la petite enfance voient les premiers signes d’un problème, mais nous comprenons aussi que, dans le cadre de la réconciliation, nous sommes ici pour offrir des ressources et du soutien, mais la voix de la communauté passe en premier lorsqu’il s’agit de comprendre comment elle veut gérer au mieux sa sécurité, sa résilience et sa croissance. C’est une voie que nous suivons ensemble.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : J’aimerais revenir à un commentaire que vous avez fait plus tôt, madame Dhillon, lorsque vous avez dit que même avec un Internet sporadique, nous pourrions avoir une chance de survie de 1 %, mais que diriez-vous si nous tentions d’augmenter considérablement cette chance de survie de 1 % attribuable à un Internet sporadique? Votre gouvernement a déjà fait des promesses importantes concernant l’amélioration de la large bande en milieu rural, et cela pourrait avoir un impact énorme sur cette question. Dans la foulée de ce projet de loi, allez-vous le dire à votre gouvernement?

Mme Damoff : Tout d’abord, sénatrice Batters, je sais que vous défendez la « loi de Keira » depuis très longtemps, et je tiens à vous en remercier personnellement. Je travaille avec Jennifer Kagan-Viater depuis novembre 2020, et nous avons essayé, comme vous l’avez dit, de modifier le projet de loi C-3 au Sénat, mais sans succès. Nous avons ici un projet de loi d’initiative parlementaire, et certains des commentaires que vous avez tous faits... Je sais que la députée Dhillon aurait inclus beaucoup plus de choses dans ce projet de loi, comme les ressources, mais nous ne sommes pas autorisés à le faire. Nous sommes très limités.

La sénatrice Batters : Je ne vous demande pas de l’inclure dans le projet de loi. Je vous demande simplement d’aller voir votre gouvernement et de lui dire qu’il doit donner suite à cette promesse.

Mme Damoff : Absolument. Mais je voulais vous remercier. Nous allons repartir d’ici et exercer des pressions. Ce n’est pas seulement pour la surveillance que nous avons besoin d’Internet dans les communautés autochtones et rurales. C’est un engagement que nous avons pris, et nous exerçons des pressions en ce sens. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Cela nous amène à la fin de la session. Je tiens à vous remercier toutes les trois d’être venues, de votre exposé et de vos réponses franches aux questions. Habituellement, les sénateurs autour de cette table ne reçoivent pas autant d’applaudissements que cet après-midi, et je suis certain que les sénatrices qui ont reçu des félicitations pour leur excellent travail en sont très reconnaissantes. Ce travail et votre leadership, particulièrement en ce qui concerne un projet de loi d’initiative parlementaire, méritent d’être applaudis, et nous en discuterons de façon attentive et réfléchie au cours des prochains jours. Je tiens à vous remercier du temps que vous avez passé avec nous cet après‑midi.

Pour notre deuxième groupe de témoins d’aujourd’hui, j’aimerais souhaiter la bienvenue, par vidéoconférence, à Jennifer Kagan-Viater et Philip Viater, ainsi qu’à Jo-Anne Dusel, directrice générale de l’Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan.

J’invite Mme Kagan-Viater à prendre la parole en premier, pour environ cinq minutes, si vous le voulez bien. Je vais essayer de vous faire signe si jamais vous semblez prendre trop de temps. Une fois que chacun d’entre vous aura fait son exposé, les sénateurs vous poseront des questions. Madame Kagan-Viater, vous avez la parole.

Jennifer Kagan-Viater, à titre personnel : Bonsoir, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à venir vous parler du projet de loi C-233. Je vais surtout vous parler de la partie du projet de loi qui porte sur la « loi de Keira », c’est‑à‑dire l’éducation et la formation des juges sur la violence familiale et le contrôle coercitif, puisque c’est ce sur quoi nous nous sommes concentrés pour défendre cette cause. Cependant, mon mari, Me Viater, et moi appuyons le projet de loi C-233 dans son ensemble. Je suis également accompagnée de Me Viater, mon conjoint, qui a pratiqué le droit de la famille pendant plus de 14 ans et à qui vous pourrez aussi poser des questions.

Comme bon nombre d’entre vous le savent peut-être, nos efforts en faveur de ce projet de loi découlent de notre tragédie personnelle. Le 9 février 2020, soit trois ans jour pour jour demain, nous avons perdu notre fille — ma fille biologique, la belle-fille de Philip — Keira, assassinée par son père biologique, un agresseur qui avait des antécédents connus de violence familiale.

Lors de mon précédent court mariage, j’ai vécu plusieurs types de violence familiale, dont le contrôle coercitif. Lorsque j’ai quitté ce court mariage en 2016, j’ai demandé la protection de notre fille, Keira, par l’entremise du système des tribunaux de la famille. J’ai supplié et imploré de nombreux professionnels du système d’aider à protéger notre fille.

En plus de ses antécédents de violence à mon égard, mon ex‑mari a enlevé Keira à plusieurs reprises, il a régulièrement enfreint des ordonnances du tribunal et il a été pris à essayer de tromper le tribunal à de nombreuses reprises. Nous avons comparu devant 10 juges différents et avons obtenu 53 ordonnances du tribunal. Le juge de notre procès de 11 jours sur la garde et le droit de visite avait une formation en droit du travail et de l’emploi. Lorsque j’ai essayé de témoigner devant le tribunal au sujet de la violence, le juge m’a interrompu, a déclaré que la violence n’avait rien à voir avec le rôle parental et qu’il n’allait pas en tenir compte. Keira a dû passer du temps sans supervision avec son père.

Au moment du meurtre de Keira, au moins 22 facteurs de risque d’homicide entre partenaires intimes figuraient dans notre dossier, selon le rapport final du Comité d’examen des décès dus à la violence familiale. Ce même comité a déclaré dans son rapport que la présence de sept facteurs de risque ou plus correspond à des cas jugés prévisibles et évitables. Pourtant, ces 22 facteurs de risque n’ont pas été examinés ni pris en considération comme ils auraient dû l’être par le tribunal ou d’autres intervenants du système du droit de la famille, même s’ils sont bien établis pour aider à prévenir la létalité dans les nombreuses recherches effectuées en matière de violence familiale.

Les taux de féminicide et de filicide au Canada sont hallucinants. Une femme est tuée quelque part au Canada environ tous les deux jours, et de 30 à 40 enfants sont tués chaque année par un parent violent. Bon nombre de ces enfants sont tués après avoir été mis en danger par le système des tribunaux de la famille. Bien que le meurtre soit l’exemple le plus extrême de préjudice, il y a de nombreux enfants au Canada qui sont victimes de mauvais traitements de la part d’un parent — des mauvais traitements et des expériences négatives dans l’enfance qui auront des conséquences à vie sur leur santé mentale et physique.

Keira n’est pas la seule victime d’un système qui, à première vue, est censé protéger les enfants. Il y a beaucoup de victimes. J’aimerais rappeler ici aujourd’hui, au Sénat, les cas de Chloe et d’Aubrey Berry. Ces belles filles, âgées de quatre et six ans, ont été tuées par leur père le jour de Noël, en 2017, après qu’un juge ait confié leur garde au père, qui avait des antécédents de violence. Je pense à leur mère, Sarah Cotton, et à leur gardienne d’enfants, Suzanne Merrifield, qui ne connaissent que trop bien la douleur de la perte d’un enfant, parce que le juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique n’a pas donné suite à leurs préoccupations au sujet du père des enfants.

Il y a un important déficit de confiance dans le public quant à savoir si le système actuel des tribunaux de la famille est en mesure de traiter les cas de violence familiale et de protéger les enfants. Nous croyons qu’une première étape importante consiste à éduquer les décideurs, notamment les juges, au sujet des comportements qui causent des préjudices aux enfants.

La Loi sur le divorce a été modifiée en mars 2021 pour accorder une attention particulière à la violence familiale et au contrôle coercitif dans le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants par le tribunal. Cependant, il manque un élément, à savoir la formation des juges sur ce à quoi ressemblent la violence conjugale et le contrôle coercitif. Trop souvent, de vieux mythes et stéréotypes continuent d’être utilisés devant les tribunaux pour répondre aux allégations d’abus.

Dans le cadre de l’examen des cours offerts aux juges pour la formation préliminaire et continue, les cours liés à la violence familiale semblent comporter des lacunes et ne pas être offerts de façon exhaustive, le cas échéant. Si le juge dans l’affaire de Keira avait reçu une formation sur la violence conjugale et le contrôle coercitif, cela aurait fait toute la différence pour Keira.

Nous avons été heureux de constater qu’en juin 2022, à peine quatre mois après la présentation du projet de loi C-233 à la Chambre des communes, 326 députés de tous les partis ont voté en faveur de celui-ci. Les Canadiens comptent sur nos honorables sénateurs pour adopter ce projet de loi en temps opportun et faire un pas important pour sauver des vies. Nous ne pouvons pas attendre.

Mon mari et moi ne sommes pas les seuls à nous inquiéter. La « loi de Keira » a reçu un appui massif du public et de nombreux organismes qui travaillent avec les femmes et les enfants, notamment Women’s Shelters Canada, Battered Women’s Support Services, Luke’s Place, l’Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan, l’Association médicale canadienne, le London Abused Women’s Centre, la Barbra Schlifer Commemorative Clinic et le London Centre for Research on Family Violence, entre autres.

Nous appuyons le projet de loi C-233 dans son ensemble. Les dispositifs de surveillance électronique bilatéraux sont également un outil important pour aider à protéger les victimes. C’est une option pragmatique que les juges ont déjà à leur disposition, mais qu’ils n’envisagent pas régulièrement. Le projet de loi C-233 signalera cet outil aux juges et aux juges de paix qui déterminent les conditions de la mise en liberté sous caution et qui aident à sauver des vies. L’utilisation de la surveillance électronique bilatérale accroît le sentiment de sécurité des victimes et leur donne un sentiment de contrôle renouvelé sur leur propre vie. Des études menées dans diverses administrations montrent une réduction du nombre de crimes violents liée à leur utilisation.

Bien que de nombreuses interventions soient nécessaires pour lutter contre la violence familiale, le projet de loi C-233 constitue un point de départ raisonnable et envoie un bon message pour aider à établir un changement de culture vers une meilleure compréhension de la violence familiale, en tenant dûment compte des victimes et de leurs enfants.

Nous vous remercions de nous avoir invités aujourd’hui et nous sommes prêts à répondre aux questions des membres du comité.

Le président : Madame Kagan-Viater, je vous remercie de cet exposé très touchant et très bien circonscrit. Le comité vous en est très reconnaissant.

Mme Kagan-Viater : Merci beaucoup.

Le président : J’invite maintenant Mme Dusel à prendre la parole. Vous avez environ cinq minutes.

Jo-Anne Dusel, directrice exécutive, Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser aux membres du comité sénatorial.

J’ai travaillé dans un refuge pour victimes de violence familiale pendant 20 ans avant d’accepter un poste à l’Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan, il y a huit ans. Lorsque j’étais travailleuse de première ligne dans un refuge, j’ai côtoyé des milliers de victimes et de survivantes. De nombreuses survivantes nous disent qu’elles ne veulent pas faire appel à la police ou témoigner par crainte de représailles de la part de leur agresseur. Beaucoup considèrent qu’une ordonnance de non‑communication n’est qu’un bout de papier qui ne peut les protéger. La victime est constamment dans un état de peur, de crainte de quitter sa maison ou de laisser ses enfants jouer dans la cour. Elles ne ressentent pas le même niveau de sécurité de base que la plupart d’entre nous tiennent pour acquis dans ce pays.

Cette crainte n’est pas sans fondement. Au Canada, une femme est tuée par un partenaire intime, actuel ou passé, environ tous les six jours.

La recherche indique que la surveillance par GPS réduit considérablement les tentatives des agresseurs de communiquer avec leurs conjointes. Les États américains qui ont mis en œuvre la surveillance électronique ont constaté une réduction draconienne des homicides liés à la violence familiale. La surveillance électronique peut assurer le respect des ordonnances de protection, permettre de consigner les preuves de violations, d’améliorer la surveillance et d’assurer la sécurité, la liberté et le choix pour les survivantes.

L’outil de surveillance bilatérale actuellement utilisé au Québec, en particulier, est utile pour ce qui est de fournir un système d’alerte rapide aux personnes qui pourraient être à risque de la part d’un partenaire intime. Nous considérons que c’est un outil très important pour accroître la sécurité des survivantes et de leurs enfants. En fait, lorsque le programme de surveillance électronique a été annoncé au Québec, la survivante Christine Giroux s’est adressée aux médias. Voici ce qu’elle a dit :

Aujourd’hui, c’est [seulement] ma 11e sortie à l’extérieur en quatre ans. Donc, le bracelet électronique va carrément changer ma vie. Je vais pouvoir aller à l’extérieur. Je vais pouvoir vivre ma vie comme tout le monde a droit de vivre sa vie.

Toutefois, il est important de noter que la surveillance électronique ne devrait pas être considérée comme un substitut à l’incarcération dans les cas à risque élevé. Les décisions relatives à l’utilisation de la surveillance électronique devraient être fondées sur une évaluation des risques pour le délinquant et la victime et sur une compréhension approfondie de la dynamique de la violence entre partenaires intimes, y compris le contrôle coercitif.

Au cours des dernières années, des progrès importants ont été réalisés dans la recherche sur la violence entre partenaires intimes, y compris la détermination des facteurs de risque d’homicide conjugal, dont certains sont liés aux antécédents criminels, mais beaucoup ne le sont pas. Dans un tribunal de la famille ou un tribunal pénal, les facteurs non liés à l’interaction antérieure d’un délinquant avec le système judiciaire peuvent ne pas être pris en compte à moins que le juge ne connaisse et ne comprenne les signes avant-coureurs et les facteurs de risque pertinents.

Les examens des décès liés à la violence familiale ont fait ressortir le moment de la séparation, où les victimes sont les plus susceptibles de s’adresser aux tribunaux judiciaires et familiaux, comme une période de risque accru, ce qui donne à ces institutions l’occasion d’intervenir pour accroître la sécurité. Pour ce faire, les acteurs du système de justice doivent posséder les connaissances fournies par la recherche et avoir entendu la voix des fournisseurs de services de première ligne et des survivantes.

En l’absence d’accès à la victime principale après la séparation, le délinquant peut se concentrer sur les enfants. Suivant mon expérience de travailleuse dans un refuge, j’ai reçu de nombreux appels de femmes en détresse qui avaient subi différents types de violence et de mauvais traitements, mais jamais je ne me suis sentie aussi impuissante que lorsque je recevais de nombreux appels de survivantes de violence conjugale qui avaient reçu l’ordre par un tribunal de confier leur enfant à un parent ayant des antécédents de violence familiale.

À ce jour, il semble que trop de juges ne reconnaissent pas les torts causés aux enfants lorsqu’un parent a maltraité l’autre. Pourtant, lorsque les victimes de violence entre partenaires intimes soulèvent cette question devant le tribunal de la famille, cela peut réduire le temps que le parent non violent est autorisé à passer avec son enfant. Même lorsque les juges reconnaissent les cas d’abus, ils les considèrent souvent comme des incidents isolés, et estiment que cela ne se reproduira plus, que c’est du passé, ou que c’est une caractéristique typique d’une relation très conflictuelle.

Les résultats d’une étude canadienne menée récemment par Sheehy et Boyd ont révélé que les allégations d’aliénation parentale réussissent de plus en plus à détourner l’attention de la violence par un partenaire intime lors de la détermination du temps parental. Cette tendance observée dans les jugements rendus par les tribunaux de la famille souligne la nécessité de tenir continuellement des séminaires éducatifs pour accroître la sécurité des personnes survivantes et de leurs enfants.

Dans le cadre des travaux de l’Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan, nous avons élaboré un programme de formation de 15 heures sur la dynamique de la violence par un partenaire intime que nous offrons aux professionnels du droit de la famille. Depuis plus de trois ans, les quelque 200 personnes qui ont suivi ce programme, particulièrement les avocats en droit de la famille, soulignent le plus souvent que les juges devraient eux aussi suivre cette formation.

Je vous remercie sincèrement de l’attention que vous portez à ce problème. Je n’exagère pas en affirmant que si ce projet de loi est adopté, il sauvera des vies. Merci.

Le président : Merci, madame Dusel.

Nous allons passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Manning : Permettez-moi tout d’abord d’exprimer mes plus profondes condoléances pour la perte tragique que vous avez subie. La douleur que cause la perte d’un enfant est indescriptible. J’admire le courage et la vaillance dont vous faites preuve en luttant avec diligence pour réparer notre système défaillant.

Un rapport de Justice Canada publié en 2021 décrit les facteurs de risque qui menacent les enfants en situation de violence familiale dans le contexte d’une séparation ou d’un divorce. Ce rapport révèle que ces risques se dédoublent. En effet, les individus qui maltraitent leur partenaire intime posent un risque accru à leurs enfants. Ces risques se décuplent en cas de divorce ou de séparation, car le parent victime de la violence ne peut plus surveiller la situation et intervenir.

À votre avis, néglige-t-on cette corrélation? Dans l’affirmative, d’où vient cette négligence, selon vous?

Mme Dusel : Je vais répondre à cela, si vous voulez bien.

Je suis convaincue que l’on néglige cette corrélation. Dans le cadre de notre travail avec les avocats en droit de la famille en Saskatchewan, nous constatons que les écoles de droit ne donnent que très peu de formation sur la violence par un partenaire intime. Pourtant, de nombreuses études de recherche comme celles que vous venez de mentionner ont été publiées. Elles ne cessent de dévoiler de l’information.

À l’heure actuelle, les juges ne disposent pas d’un mécanisme diffusant les nouveaux résultats de recherche et les facteurs de risque à mesure qu’on les cerne. Par conséquent, les juges ne négligent pas vraiment ces facteurs de risque, puisqu’ils n’en ont pas connaissance.

Me Philip Viater, à titre personnel : Je pourrais ajouter une chose, si vous me le permettez, parce que je suis moi-même avocat en droit de la famille et que je suis régulièrement engagé devant le tribunal.

Les juges ne semblent pas être au courant des facteurs de risque. De plus, les évaluations des risques sont pratiquement inexistantes. Lorsque je souligne des facteurs de risque devant les tribunaux, je peux vous dire que je me fais souvent rabrouer, parce que les juges n’y croient pas. Il y a un manque flagrant d’éducation à ce sujet.

Le président : Merci. Il vous reste un peu de temps, sénateur Manning, si vous souhaitez en profiter.

Le sénateur Manning : Je suis père et grand-père, alors tous ces problèmes me touchent profondément. Je tiens à vous remercier une fois de plus pour votre courage et votre vaillance.

Madame Kagan-Viater, je voudrais que vous nous parliez un peu de Keira.

Mme Kagan-Viater : Vous êtes très gentil. Vous me faites monter les larmes aux yeux.

Keira était une enfant adorable. À bien des égards, c’était une petite fille de 4 ans comme toutes les autres. Elle aimait jouer, elle aimait passer du temps avec ses amis. Elle était impétueuse et elle avait du cran. Elle disait ouvertement ce qu’elle pensait. Elle disait souvent qu’elle voulait changer le monde, qu’elle voulait transformer la vie des gens. Nous lui avons inculqué la valeur d’aider les personnes les plus vulnérables et d’essayer vraiment d’apporter sa contribution dans le monde, aussi fou que ce monde puisse nous sembler, de nos jours.

C’était une petite fille brillante, et je suis convaincue que si elle en avait eu l’occasion, elle aurait atteint son plein potentiel et accompli de grandes choses.

Le sénateur Manning : J’ai aussi une fille, alors je sais ce que vous voulez dire par impétueuse. Merci.

Le président : Merci à tous les deux.

[Français]

Le sénateur Dalphond : D’abord, je voudrais, comme le sénateur Manning, remercier beaucoup Jennifer Kagan-Viater et les témoins qui sont devant nous aujourd’hui. Ils ont vécu une terrible épreuve dont ils ne guériront jamais complètement. Ils ont toutefois décidé de faire valoir des moyens pour éviter que d’autres vivent ce genre d’épreuve. Si on peut épargner un certain nombre de personnes, on aura, grâce à vous, accompli beaucoup.

[Traduction]

J’ai deux questions à vous poser. La première concerne la formation des juges. Je suis absolument convaincu qu’il s’agit d’un élément essentiel du projet de loi.

Voyez-vous une évolution dans la façon de penser? Par exemple, j’ai remarqué qu’en mai de l’an dernier, en 2022, dans l’affaire Barendregt c. Grebliunas, la Cour suprême du Canada, qui ne s’est pas nécessairement penchée sur la violence familiale, a fait le commentaire suivant à ce sujet :

La suggestion selon laquelle les abus et la violence familiale n’ont pas d’incidence sur les enfants et n’ont rien à voir avec la capacité parentale de celui qui en est l’auteur est intenable.

C’est un message de la Cour suprême sur le système. J’ai aussi lu des jugements de la Cour d’appel du Québec et d’autres provinces qui renvoyaient les causes aux juges de première instance parce qu’ils n’avaient pas tenu compte de la violence conjugale ou de la violence par un partenaire intime en effectuant leur évaluation familiale.

Pensez-vous qu’il reviendra aux juges de première instance de s’adapter pour comprendre l’importance de tenir compte de ces facteurs? N’oublions pas qu’il y a quelques années, on a ajouté à la Loi sur le divorce un chapitre sur la violence familiale qui les force à en tenir compte.

Me Viater : Je vous remercie pour cette question, sénateur. Je m’en voudrais de ne pas ajouter que, dans cette même décision de la Cour suprême du Canada, la cour indique aussi au paragraphe 144 :

Il est notoire que les allégations de violence familiale sont difficiles à prouver [...] Ainsi, la preuve, même d’un seul incident, peut soulever des préoccupations en matière de sécurité pour la victime, ou elle peut chevaucher ou accroître l’importance d’autres facteurs, comme la nécessité de limiter les contacts ou de garantir que la victime aura accès à du soutien.

Pour répondre plus directement à votre question, cette situation est un peu aléatoire. Je pense que l’objectif de ce projet de loi est d’amorcer un changement de culture afin que les gens comprennent la violence familiale et le contrôle coercitif ainsi que les répercussions qu’elles ont sur la famille, sur les victimes et surtout sur les enfants.

Quand je présente des causes comme celle de la Cour suprême, certains juges en tiennent compte, mais d’autres n’ont toujours suivi pas la formation nécessaire pour savoir comment l’appliquer. On constate une tendance à l’amélioration chez certains juges, mais pas chez d’autres. Je continue de voir et d’entendre des décisions horribles dans ma propre pratique.

Je suis convaincu qu’il faut former les juges, surtout si cela favorise la croissance de cette culture.

Le sénateur Dalphond : Merci. Ma prochaine question s’adresse à Mme Dusel. Vous êtes directrice générale d’un important organisme qui s’occupe des maisons de transition en Saskatchewan.

Selon votre expérience, les appareils de surveillance électronique sont-ils efficaces? On nous dit qu’ils sont plus efficaces dans les villes que dans les régions rurales, parce que l’accès à Internet y est médiocre, par exemple. Mais voyez-vous que les personnes — que nous appellerons les victimes — se sentent rassurées lorsque ces appareils sont disponibles?

Mme Dusel : Je ne peux pas vous le dire. De mes 28 ans d’expérience dans ce secteur en Saskatchewan, je ne connais aucune personne survivante de violence par un partenaire intime à qui l’on ait offert la surveillance électronique bilatérale qui l’avertirait si l’individu qu’elle craint se trouve à proximité.

Je peux seulement vous répondre que si j’étais dans une situation où je sursaute chaque fois que j’entends un bruit dehors ou des grincements qui me réveillent la nuit en me demandant si mon ex-partenaire s’introduit dans ma maison, le simple fait de pouvoir fuir sans craindre de subir tous les sévices qui ont été mentionnés, je pense, serait très bénéfique.

Maintenant, pour ce qui est de la question de la différence de disponibilité ou d’accès dans les régions urbaines et rurales, c’est effectivement un problème. On parle souvent d’assurer une couverture Wi-Fi adéquate partout au Canada, en particulier dans les régions rurales et éloignées, et il s’en trouve beaucoup en Saskatchewan. Il faut installer ces infrastructures pour que le Wi‑Fi soit pleinement accessible à tous les Canadiens.

Parlant de ces infrastructures, il est tout aussi vrai qu’une personne qui fait une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral dans une région urbaine a accès à une intervention plus immédiate et efficace qui pourra lui sauver la vie, alors qu’une personne qui vit dans une région rurale n’a pas accès à ces services en temps opportun. Mais je ne pense pas que l’on dirait qu’il ne faut pas fournir l’accès à des services en temps opportun aux gens qui vivent dans une région où ils sont disponibles.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités. Je vous présente moi aussi mes profondes condoléances. J’espère que vous pourrez les accepter. Merci.

Ma première question s’adresse à Mme Kagan-Viater et à son mari, Me Viater. Je suis sûr que vous connaissez ce projet de loi. Croyez-vous qu’avec les modifications proposées, il réduira la violence contre les partenaires intimes à un niveau acceptable? Ou alors, quelles autres améliorations devrions-nous y apporter?

Mme Kagan-Viater : Vous mentionnez des amendements proposés. Nous ne sommes pas au courant des amendements proposés, mais le projet de loi lui-même semble considérablement renforcer la protection des femmes et des enfants qui vivent dans des situations de violence familiale.

Le mieux est l’ennemi du bien. Ce projet de loi est important. Il va sauver des vies, et pour reprendre les observations déjà faites au sujet de l’examen des données provenant d’autres administrations sur la prévention du féminicide, nous pensons qu’il renouvellera le sens de contrôle des femmes qui vivent en situation de violence par un partenaire intime. Ce projet de loi leur laissera plus de liberté pour vaquer à leurs affaires quotidiennes en sachant que si leur alarme sonne, elles auront le temps de s’enfuir. C’est un outil important.

Évidemment, notre pays a encore beaucoup à faire pour régler la crise de la violence conjugale. Il devra accroître la stabilité économique des femmes qui quittent une situation de violence familiale. Il doit s’attaquer aux causes profondes de la violence familiale, examiner les programmes destinés aux agresseurs ainsi que tous les autres aspects de la crise de la violence familiale. Toutefois, ce projet de loi est important en soi, et selon nous, il marque d’importants progrès.

Quant aux difficultés que j’ai éprouvées devant les tribunaux, elles proviennent surtout du manque d’éducation et de formation sur la violence familiale. Partout au Canada, les personnes victimes et survivantes de la violence craignent de ne pas pouvoir se protéger elles-mêmes et, surtout, de protéger leurs jeunes enfants.

Le sénateur Klyne : Je voulais juste préciser que nous parlions des modifications d’une loi existante. Le comité n’a pas encore proposé d’amendements. Merci.

J’ai une question pour Mme Dusel. Vous travaillez directement auprès des victimes de violence conjugale, en particulier auprès des femmes. Est-ce que ce projet de loi et le projet de loi du sénateur Boisvenu suffisent pour protéger les femmes contre ce genre de violence? Nous pourrions peut-être nous concentrer sur ce projet de loi plutôt que sur celui du sénateur Boisvenu. Je vous pose donc la même question : est-il suffisant? Que pourrait-on envisager d’autre pour l’améliorer?

Mme Dusel : Ma réponse sera semblable à celle de Mme Kagan-Viater. Il faut souvent apporter des changements graduels pour progresser. La violence par un partenaire intime est incroyablement complexe. Les causes sont complexes, tout comme les solutions. Je ne peux vraiment pas penser à des améliorations qui relèveraient de la compétence du gouvernement.

En fait, je crois que l’on devrait exiger que les écoles de droit ajoutent à leurs programmes une formation sur la violence par un partenaire intime, sachant que les étudiants en droit deviennent avocats et que les avocats deviendront juges. Je le répète, il faut remonter en amont et encourager les gens qui entrent dans ce domaine à bien comprendre la violence conjugale avant qu’ils commencent à travailler.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous trois d’être venus. Madame Kagan-Viater, je tiens à vous remercier personnellement pour votre courage et à vous offrir mes condoléances. En vous écoutant, j’ai l’impression que nous vous avons laissée tomber. J’en suis désolée. Je tiens à vous remercier de vous efforcer de sauver la vie d’autres enfants avec tant de courage et de vaillance.

En vous écoutant, je ne cessais de repenser à ce que vous aviez dit au sujet des juges. La solution consiste-t-elle à donner des cours sur la violence familiale aux juges qui se spécialisent en ces enjeux? Avez-vous pensé à cela?

Mme Kagan-Viater : J’ai vu des cours spécialisés en violence conjugale offerts au Québec et ici. Je suis en contact avec beaucoup de victimes sur le terrain. À mon humble avis, le niveau d’éducation et de formation dans ces tribunaux n’est pas ce qu’il devrait être, et cela m’inquiète beaucoup. Les femmes qui se présentent devant les tribunaux font toujours face aux mêmes types de problèmes et d’obstacles. On ne répond pas à leurs préoccupations, et elles n’obtiennent aucun résultat.

Je crois que ce problème est répandu dans tout le pays. Peut‑être que Me Viater serait mieux placé que moi pour vous expliquer la logistique des tribunaux selon la région où ils se trouvent. Je ne suis pas sûre qu’un tribunal spécialisé s’attaquera nécessairement à ce problème, qui est si courant dans tout le pays.

Me Viater : J’aimerais ajouter quelque chose à ce que Mme Kagan-Viater vient de dire. À l’heure actuelle, nous avons déjà des tribunaux unifiés de la famille, ce qui est très semblable à ce que vous décrivez. Tous les juges viennent d’un contexte différent. À l’heure actuelle, même les avocats en droit de la famille ne sont pas tenus de suivre une formation sur la violence familiale. Il y a une grande disparité entre les avocats qui possèdent des connaissances sur la maltraitance et ceux qui n’en ont aucune.

C’est peut-être un outil utile, mais en pratique, nous avons encore des juges qui n’ont pas reçu la formation en tant que telle et qui continuent d’appliquer des stéréotypes désuets. Il y a donc encore des problèmes qui nécessitent un perfectionnement professionnel continu.

De plus, de nombreux juges ne savent pas en quoi consiste la violence familiale dans la société d’aujourd’hui. Ils la définissent encore en fonction des ecchymoses et des yeux au beurre noir et non comme un comportement coercitif et contrôlant, ce qui, dans bien des cas, est encore plus dangereux.

J’espère que cela vous aidera.

La sénatrice Jaffer : Oui. Madame Dusel, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Mme Dusel : Je suis tout à fait d’accord. Je pense que les tribunaux de la violence familiale sont très utiles lorsqu’ils sont disponibles. Il y en a trois en Saskatchewan, dans trois régions urbaines.

L’idée d’un tribunal unifié est très prometteuse, à mon avis. Bien souvent, les familles qui vivent une séparation difficile dans un contexte de violence par un partenaire intime défendent des causes concurrentes devant le tribunal pénal et le tribunal de la famille. Si le juge du tribunal de la famille n’est pas au courant de ce qui est en instance devant un tribunal pénal, la personne victime et survivante aura de la peine à prouver qu’elle a subi des actes de violence. Je le répète, la violence — même par un partenaire intime — n’est pas nécessairement physique.

Pour ce qui est de l’éducation des juges au fil des ans, nous constatons maintenant que les sévices que subissent les personnes victimes et survivantes évoluent eux aussi. Les agresseurs utilisent par exemple la technologie pour traquer et harceler leurs victimes. Certains filment et diffusent sans permission des vidéos intimes. Ces actes de pouvoir et de contrôle sont relativement nouveaux. Les agresseurs s’en servent souvent pour empêcher leur partenaire de les quitter.

Je me suis peut-être écartée du sujet, mais je vous remercie d’avoir posé cette question.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, tout d’abord, madame Kagan-Viater, je vous remercie de nous avoir mentionné l’événement de demain. Cette épreuve est tellement récente pour vous. Je penserai à vous demain, je penserai à Keira, et je vous enverrai mentalement de la force. Je sais à quel point il est difficile de traverser ces journées d’anniversaire.

Je voudrais que vous nous parliez plus en détail du concept de contrôle coercitif. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez que l’ajout d’une formation sur la violence par un partenaire intime aux cours de formation judiciaire obligatoires prévus dans le projet de loi ne serait pas suffisant?

Mme Kagan-Viater : Je vous remercie beaucoup pour cette question et pour vos aimables remarques au sujet de Keira.

Le contrôle coercitif est en fait la forme prédominante de maltraitance dont j’ai été victime pendant mon mariage. C’est le préjudice le plus souvent infligé aux femmes et aux enfants. Il se traduit par des menaces, de l’intimidation et de l’humiliation. L’agresseur cherche à contrôler et à blesser, et sa victime devient sa possession. Quand elle veut le quitter, elle est coincée. L’agresseur lui dit ainsi : « Comment oses-tu me quitter? Tu es un outil, et je te contrôle ». Tout cela s’accompagne d’une rage féroce, et l’agresseur se met à surveiller et à harceler la victime. S’ils ont un enfant, l’agresseur commet encore plus de violence après la séparation.

C’est un comportement très particulier que les cliniciens reconnaissent clairement. Les gens du système peuvent aussi apprendre à le reconnaître. Cette maltraitance ne se traduit pas par des cris et des hurlements, comme on a tendance à le croire. C’est un comportement très dangereux. Quand nous le voyons, et quand j’entends les récits des survivants et le nombre de facteurs de risque de létalité, je peux distinguer les cas à haut risque des cas à faible risque, car à ce point-ci, je connais ces situations à fond. Je suis sûre que Mme Dusel, qui travaille dans ce secteur depuis de nombreuses années, a la même perception quand quelqu’un vient la voir. Les indices sont évidents.

Voilà donc le genre de formation que nous devons donner aux juges. Je suis convaincue qu’ils peuvent l’apprendre. J’espère qu’ils ont la volonté de l’apprendre. Pour ce qui est du contrôle coercitif, je pense qu’il faut vraiment le présenter avec exactitude.

J’espère que cela répond à votre question. La fin de mon intervention a peut-être été coupée. La formation doit porter tout particulièrement sur le contrôle coercitif, parce que nous constatons que les professionnels du système ne traitent pas ces sévices adéquatement. Je ne comprends pas pourquoi on les ignore si aisément. C’est une question de vie ou de mort pour les femmes et les enfants. Il est donc essentiel que ce concept figure dans le texte du projet de loi.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je suis très heureuse que vous comparaissiez aujourd’hui devant le Comité sénatorial des affaires juridiques. Je pense que c’est une merveilleuse façon d’honorer Keira.

Mme Kagan-Viater : Merci.

La sénatrice Batters : Je vous en prie.

Ma prochaine question s’adresse à Mme Dusel. Je suis vraiment heureuse de vous voir. Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour tout le travail que vous avez accompli au fil des ans pour aider les victimes de violence familiale en Saskatchewan et à Moose Jaw.

Je voulais vous demander, madame Dusel, ce qu’il faudrait faire pour que les agents de police du Canada soient bien formés sur la façon de réagir aux signaux de surveillance électronique envoyés par ces appareils qui servent à assurer la sécurité des survivants.

Mme Dusel : Merci, sénatrice. Je pense qu’il serait très important que les agents de police connaissent et comprennent toute la dynamique de la violence par un partenaire intime, y compris le contrôle coercitif. À l’heure actuelle, l’Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan offre de la formation à tous les élèves-officiers de la GRC qui passent par le Dépôt de Regina. Elle dure un peu moins de deux heures, mais nous savons qu’ils reçoivent une autre formation à ce sujet.

Pour ce qui est de l’avantage d’une compréhension véritable et approfondie de la dynamique de la violence, une grande partie de ce que nous avons déjà mentionné est importante. Il y a beaucoup de mythes à ce sujet, et j’ai entendu des policiers dire que, selon eux, les victimes survivantes de violence mentent, qu’elles inventent les mauvais traitements afin de punir leur partenaire.

J’aimerais qu’on me donne l’occasion de décrire tous les indices de violence que l’on peut déceler sans même écouter les plaintes des partenaires. Les policiers peuvent simplement examiner la dynamique de la relation. Qui détient le pouvoir économique? Qui a le pouvoir social? Autrement dit, qui a l’appui de la collectivité? Quel est le statut économique et social de leurs proches? L’un des partenaires a-t-il une caractéristique qui l’empêche de se défendre? Est-il par exemple membre d’une communauté marginalisée, racisée, autochtone ou un nouvel arrivant au Canada qui n’a pas encore sa résidence permanente? Un partenaire pourrait se servir de toutes ces caractéristiques contre l’autre. Regardez les comptes bancaires : qui y a accès? Regardez les maisons et les propriétés : qui en est propriétaire?

Il y a bien des façons de détecter un contrôle coercitif sans se fier uniquement au témoignage des deux parties. Il faut faire comprendre cela aux policiers.

Il faut aussi que les agents de police reconnaissent, comme nous l’avons dit, que le contrôle coercitif est souvent un facteur de risque plus grave qu’un ou deux incidents de violence physique. C’est pourquoi il existe des outils d’évaluation des risques. On effectue depuis plus de 10 ans des examens des décès dus à la violence conjugale, comme celui qui a lieu en Ontario. Ces examens documentent tous les facteurs de risque et les signes avant-coureurs décelés dans une multitude d’homicides familiaux. Ces renseignements sont précieux pour déterminer les facteurs qu’il faut prendre au sérieux.

De plus, chaque fois qu’une personne appelle la police pour obtenir de l’aide, il faut que les services de police aient les capacités nécessaires. Je ne parle pas du nombre d’agents qui pourront ou non intervenir, mais d’un nombre suffisant de policiers dans toutes les régions du Canada pour intervenir rapidement et sauver des vies.

Le président : Merci, madame Dusel.

La sénatrice Pate : Merci, madame Kagan-Viater et monsieur Viater, Jennifer et Philip. Je suis heureuse de vous revoir, mais pas parce que cela nous rappelle la situation horrible que vous avez vécue et le décès de votre fille. Je vous félicite de tout ce que vous faites pour vous attaquer à ce problème et pour empêcher que cette tragédie ne se reproduise. Je vous en remercie et je vous remercie de continuer à vous occuper de cet enjeu.

Je suis également heureuse de vous voir, madame Dusel. Susan — pardon, Jo-Anne —, désolée, je pense à une autre personne qui travaillait à l’Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan. Merci pour le travail que vous avez accompli.

J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit. Si je comprends bien, l’une des préoccupations dont j’entends parler, surtout de la part des groupes de femmes et de celles qui sont elles-mêmes survivantes, est que le problème n’est pas seulement un manque d’éducation, mais le fait que l’on ne croie pas les témoignages des femmes. Vous avez cerné et souligné ce problème. Il ne se produit pas dans les autres domaines du droit. Lorsqu’il est question de violence misogyne et de violence contre les femmes et les enfants, de violence par un partenaire intime, quel que soit le nom par lequel on désigne ces sévices, lorsque les femmes décrivent les risques qu’elles courent avec leurs enfants, bien souvent personne ne les croit.

Cela se produit dans les cas de violence physique et d’agression sexuelle. Nous ajoutons maintenant le contrôle coercitif. Je suis extrêmement inquiète, comme bien des gens avec lesquels j’en discute, que l’on offre cette solution. Si je parle de « faux sentiment de sécurité », je ne veux pas dire qu’il ne vaut pas la peine de sauver une vie. Toutefois, je ne pense pas que cela réglera d’une façon ou d’une autre les problèmes qui doivent être réglés. Certaines des femmes autochtones que je viens de rencontrer en Saskatchewan s’inquiétaient tout particulièrement du fait que ces mesures puissent se retourner contre elles de façon disproportionnée. Elles s’inquiètent aussi du fait que l’on ne s’attaque pas aux inégalités sociales, économiques, raciales et sanitaires très réelles auxquelles elles font face.

Je ne sais pas si vous êtes à l’aise de parler de cela, madame Dusel, du fait que cela attire l’attention sur les problèmes plus importants que nous devons aussi nous efforcer de régler. Je suis extrêmement préoccupée par le fait que nous continuons à appliquer des mesures très modestes. Je vous dirai franchement que je ne les trouve même pas progressives. L’éducation du public qu’offrent M. et Mme Kagan-Viater est beaucoup plus efficace, car les gens entendent les récits de personnes qui veulent vraiment changer les choses. Mais ce genre de changement législatif, nous en avons tellement vu. Comme vous le savez tous les deux, j’ai participé à l’élaboration de cours de formation pour des juges, des avocats et des étudiants en droit. J’aimerais savoir quelles prochaines étapes vous nous suggérez.

Mme Dusel : Merci, sénatrice Pate. Je suis heureuse de vous voir, moi aussi. Susan était en fait ma sœur, alors vous avez probablement travaillé avec elle dans le passé.

Encore une fois, je vais comparer la question que vous avez soulevée, qui est très importante, au traitement inégal des communautés minoritaires, en particulier des femmes autochtones, dans nos tribunaux et dans le système judiciaire. Il est évident. Nous constatons une surreprésentation des femmes autochtones dans les prisons. Je vais aussi répéter l’exemple de la disparité entre les services de santé dans les centres urbains et dans les autres régions. On ne veut surtout pas éliminer un service qui pourrait être utile. Revenons en arrière. L’accroissement des connaissances sur le contrôle coercitif et la mise en œuvre de bracelets de surveillance électronique sont deux éléments qui peuvent aider les personnes survivantes, quelle que soit leur identité.

Maintenant, la question que vous soulevez, qui est effectivement importante, c’est que nous avons aussi de très graves problèmes de culture au Canada. Nous avons un grave problème de culture au sein des services de police, où se reflètent parfois ces idées misogynes et racistes. Même si nous hésitons à le croire, j’ai bien peur que cela se passe aussi au Canada. Les faits le démontrent. Cependant, ne confondons pas les deux choses. D’une part, attaquons-nous à ces problèmes de racisme et de misogynie dans tout le pays, particulièrement au sein des institutions qui sont censées soutenir les citoyens canadiens et les personnes victimes et survivantes de la violence, comme la police et la GRC. Il suffit de regarder les nouvelles pour savoir que ces institutions ont des problèmes.

Je ne pense pas que ces problèmes, dont le fait qu’au Canada, les personnes de différentes identités qui se recoupent obtiennent de moins bons résultats lorsqu’elles traitent avec des organismes gouvernementaux, devraient nous empêcher de progresser, même de façon graduelle. Toutes les mesures que nous prenons apportent du changement.

Je dois dire que ces deux dernières années, j’ai passé de nombreuses heures à présenter mon opinion et mes commentaires au Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Je suis surprise de ne pas en entendre parler ici, car plusieurs des recommandations que nous présentons ici pour apporter du changement, y compris le fait de reconnaître la nécessité d’adopter une approche intersectionnelle pour éliminer les répercussions de la violence fondée sur le sexe au Canada, sont cruciales pour notre succès. Il s’agit d’une approche très vaste qui vise le système de justice, le soutien aux personnes victimes et survivantes, les infrastructures habilitantes ainsi que l’importance de concevoir des mesures particulières pour soutenir les femmes, les hommes et les communautés autochtones. J’ai dû me faire remplacer au plan d’action national.

Je le répète, il est possible d’aborder ces deux enjeux séparément, car cela n’entrave pas nos progrès, même si ces problèmes ne sont pas encore résolus.

Le président : Merci, madame Dusel.

La sénatrice Clement : Merci, madame Dusel, pour toute votre carrière et vos travaux.

Madame Jennifer Kagan-Viater, je vous remercie de nous avoir parlé de Keira. Lorsque vous l’avez décrite, nous avons pu imaginer cette petite fille impétueuse et tout son potentiel. Je vous remercie de votre éloquence.

J’aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Pate et revenir sur certains des commentaires que Mme Dusel vient de faire au sujet de la culture. Maître Viater, je crois que vous avez parlé d’un changement de culture. Nous allons légiférer, mais que devrions-nous faire d’autre pour changer la façon de percevoir la violence faite aux femmes et aux enfants? Que devrions-nous faire d’autre que légiférer?

Me Viater : Je vais essayer de commencer à répondre. Ce changement de culture ne se produira pas demain, la semaine prochaine, l’année prochaine, mais dans quelques années, espérons-le. Il faudra du temps pour effectuer un véritable changement de culture. Ma conjointe et moi continuons à préconiser une meilleure éducation de certains membres du système des tribunaux de la famille et du système de justice pénale.

Comme vous le savez peut-être, il y a une division des pouvoirs. Une bonne partie de ces domaines sont administrés par les provinces, comme le travail social et la Société d’aide à l’enfance. Les services de police relèvent généralement aussi des provinces. Il y a beaucoup de choses à faire, mais nous devons fixer un certain délai pour changer tout ce processus, même de 5, 10 ou 20 ans. Je sais que nous ne voulons pas attendre si longtemps, mais il le faut. À l’heure actuelle, nous avons un banc de juges qui ont peut-être leurs propres opinions, et nous essayons de les aider à comprendre, mais il faudra peut-être cinq ans pour que la prochaine génération de juges comprenne la nouvelle culture. Ils comprendront qu’ils doivent non seulement aborder la mésentente des deux parents, mais la violence familiale et les problèmes qu’elle produit.

Mme Kagan-Viater : Je sais que toutes les personnes qui se trouvent dans cette salle sont déjà au courant de ce que nous leur disons. Pour ce qui est de l’éducation des étudiants et de la modification des programmes d’études, je crois comprendre que les programmes d’études primaires et secondaires incluent déjà le thème de la violence par un partenaire intime. Je ne sais pas dans quelle mesure cet enseignement est sérieux et efficace. J’ai grandi dans une banlieue de la région du Grand Toronto. Je ne savais pas grand-chose de la violence familiale, à part les coups et les ecchymoses, et je n’avais jamais entendu parler de contrôle coercitif. Je pense que le financement d’une vaste campagne de santé publique menée à la télévision serait utile. Il faut aussi penser à éduquer les femmes.

Nous poursuivons nos activités de défense des droits, et je reçois de nombreuses idées de personnes victimes et survivantes de tout le pays. Il faut poursuivre la conversation. Oui, nous ne sommes que deux personnes présentant l’expérience d’une petite fille, mais je constate le mouvement et les efforts énormes qui sont déployés à la base pour faire progresser cet enjeu.

Il est un peu décourageant d’entendre les défenseurs de cette cause affirmer qu’ils s’efforcent d’apporter ces changements depuis plus de 20 ans et que rien n’a changé. Ces recommandations sont présentées chaque année depuis tellement de temps, et mon enfant n’est plus avec nous.

Nous y avons consacré beaucoup d’efforts, et nous ne nous arrêterons pas, mais nous sommes soulagés de voir que les discussions vont bon train. Je pense que nous devons tous continuer à souligner ces problèmes, car il est difficile d’en parler. Dans les sociétés et dans les collectivités, il n’est pas facile de parler de violence conjugale et d’homicide domestique. Il faut en faire une conversation plus générale. C’est la raison pour laquelle j’étais si reconnaissante que les honorables sénateurs consacrent tout ce temps pour discuter de ces problèmes.

Le président : Je vais mettre fin à cette conversation et remercier tous les sénateurs pour leurs questions. Je vous remercie tout particulièrement d’être venus nous parler de ce sujet si important. Entre autres choses, vous nous avez rappelé qu’il y a de nombreux centres de décision dans le système et que les décideurs sont souvent très insensibles aux points critiques que vous avez soulevés.

Madame Dusel, j’ai été doyen de la Faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan, et il aurait été bon que nous discutions de ces enjeux il y a 20 ans. Nous avons accompli certaines choses, mais nous n’en avons pas fait assez pour éduquer les avocats, les décideurs, les policiers et les juges. Maître Viater, vous nous dites que la route sera longue, parfois triste et tortueuse, mais que nous devons continuer à lutter sur les différents éléments de cet enjeu.

Madame Kagan-Viater, nous procéderons demain à l’étude article par article de ce projet de loi. Vous ne serez pas avec nous, mais en nous penchant sur cet enjeu, nous serons avec vous en pensée. Je tiens à souligner que la plupart de mes collègues et moi-même sommes des parents. Il est presque impossible de comprendre la tragédie et la perte que vous avez vécues. En ce qui me concerne, je n’aurais pas la force dont vous faites preuve pour transformer cette tragédie en une initiative constructive. Nous vous en sommes tous reconnaissants. Nous en bénéficions tous et nous n’allons pas l’oublier.

Je rappelle aux sénateurs que nous procéderons demain à l’étude article par article. Si vous avez des propositions d’amendement ou des observations, veuillez les transmettre le plus rapidement possible à M. Palmer afin que nous puissions les examiner sans tarder. Je vais maintenant mettre fin à la séance. Merci à chacun d’entre vous d’être venus aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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