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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 15 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous.

J’aimerais inviter les sénateurs qui participent à la réunion à se présenter.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate, et je viens d’ici, du territoire non cédé et non abandonné des Algonquins anishinabes.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

Le président : Merci à tous de participer à la réunion. C’est un unique honneur pour moi d’accueillir une collègue sénatrice en première ligne. J’aimerais ainsi souhaiter la bienvenue, comme premier témoin, à la marraine du projet de loi S-212, la sénatrice Kim Pate. Sénatrice Pate, comme vous le savez, vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration liminaire, après laquelle nous vous poserons des questions.

L'honorable Kim Pate, marraine du projet de loi : Merci beaucoup. C’est avec plaisir que je comparais devant vous pour vous entretenir du projet de loi S-212, qui porte sur l’expiration du casier judiciaire pour des condamnations.

J’aimerais d’emblée remercier Michaela Keenan-Pelletier et Julian Walker, nos merveilleux analystes, pour leurs yeux de lynx. Ils ont repéré une erreur de frappe pour laquelle je proposerai un amendement pendant l’étude article par article, mais sachez que l’erreur en est une de numérotation à l’article 61.1. Actuellement, on voit un 3 où on devrait lire 61.1(8). Je voulais simplement vous aviser qu’il s’agit d’une coquille. Nous allons corriger l’erreur pendant l’étude article par article, mais je voulais la porter à votre attention. Notre bureau et le légiste sont désolés de ne pas l’avoir remarquée. Nous remercions les analystes de l’avoir repérée.

Je vais vous expliquer la raison d’être de ce projet de loi. Comme vous le savez, vous avez sous les yeux sa troisième version. Nous savons qu’environ un Canadien sur dix détient un casier judiciaire, mais qu’une infime proportion d’entre eux demande une suspension, et ce, même si les pardons sont offerts depuis des décennies. Nous savons également, entre autres choses, qu’un casier judiciaire mine directement la capacité des détenteurs à intégrer la communauté à long terme sur le plan de l’emploi, du bénévolat, du logement et même, de plus en plus, de l’accès aux établissements de soins de longue durée.

Il importe donc qu’on permette aux personnes touchées de tourner la page.

L’une des critiques visant les versions antérieures — et je remercie la sénatrice Batters, en particulier, d’avoir veillé à ce que nous nous penchions sur la question — portait sur notre proposition d’englober toutes les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et toutes les infractions punissables par mise en accusation. Nous proposons toujours qu’elles soient visées par le projet de loi, mais elles se retrouveraient dans des catégories distinctes, un peu comme ce que proposait le gouvernement dans le projet de loi C-31, qui est mort au Feuilleton. Les renseignements seraient toujours accessibles pour les vérifications de l’aptitude à travailler auprès des personnes vulnérables. En fait, toutes les questions entourant ces vérifications seraient exclues des changements.

De plus, grâce au projet de loi, l’évaluation des situations des personnes ayant un casier judiciaire ne dépendrait plus de leurs moyens financiers ou de leur capacité à s’y retrouver dans le processus de demande. Comme vous le savez, le gouvernement et le ministre Mendicino, à juste titre, ont réduit les coûts du processus. Pratiquement tout le monde leur en a été très reconnaissant. Ainsi, ce processus n’entraînerait plus de frais : il se produirait automatiquement, gratuitement, et ne nécessiterait pas de demande. Les frais de demande, devenus exorbitants, constituent un des deux plus importants obstacles rapportés.

Si vous avez récemment regardé La facture, vous avez probablement appris que l’autre problème fréquent a trait aux compagnies, qui se sont multipliées, qui prennent l’argent des personnes assez nanties sans pour autant les aider réellement. Les clients perdent donc leur argent. L’enjeu des coûts en est un d’envergure.

Nous savons également que de nombreux groupes ont manifesté leur appui envers le projet de loi, y compris des groupes de défense des femmes et des groupes luttant contre la violence. En fait, la coalition Nouveau départ a vu le jour précisément afin de réaliser les objectifs que le gouvernement a promis de concrétiser après son arrivée au pouvoir, mais qui se font toujours attendre. J’espère entendre les témoignages de certains représentants.

Nous savons également que cet objectif faisait partie du programme du gouvernement, et je crois qu’il y figure encore peut-être. Nous espérons que cette initiative aidera le gouvernement à réaliser ses objectifs ainsi qu’une portion du programme de son parti.

Je vous recommande également les documents d’information que nous vous avons fournis. Nous avons tenté de rédiger un résumé, puisqu’il est difficile en cinq minutes de rendre justice à l’intégralité du processus. Je crois que vous avez tous devant vous, dans les deux langues officielles, un aperçu des éléments clés du projet de loi et une explication des étapes ayant mené à sa version actuelle.

Si vous vous inquiétez des changements aux délais d’attente, sachez que, en 2012, ils ont été prolongés. Le délai d’attente de deux ans pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire nous ramène à l’époque de la création des pardons. Il est passé à trois ans dans les années 1990, puis à cinq ans en 2012. Actuellement, le délai d’attente pour une infraction punie par voie de mise en accusation s’élève à 10 ans. J’ai compilé de nombreux témoignages à ce sujet que je peux vous transmettre si vous êtes intéressés. Depuis le dépôt de ce projet de loi, nous avons reçu de nombreux appels de personnes qui nous ont signalé qu’elles attendent impatiemment ce changement, qu’elles pourraient demander un pardon ou qu’elles seraient directement touchées par l’adoption du projet de loi. Elles nous ont relaté ne pas pouvoir se trouver d’emplois, ne pas pouvoir poursuivre leur scolarité et vivre d’autres difficultés à cause de leur casier judiciaire.

C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président : Je vous remercie de votre autodiscipline pour le respect du temps alloué, sénatrice Pate.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, sénatrice Pate.

Ma première question porte sur les ressources. Actuellement, les gens qui font une demande de pardon s’adressent à la Commission des libérations conditionnelles. Si votre projet de loi est adopté, la commission devra étudier tous les dossiers des criminels qui seront remis en liberté pour déterminer si ces gens sont admissibles à une vérification de leur casier judiciaire.

Avez-vous vérifié auprès de la commission si elle a les ressources nécessaires pour faire ce travail?

[Traduction]

La sénatrice Pate : Vous posez une excellente question, sénateur Boisvenu.

Oui, j’ai vérifié auprès d’elle. Le système électronique représente une des difficultés, mais près de tous les dossiers se trouvent déjà dans le système du Centre d’information de la police canadienne, ou CPIC, qui est lié au processus de la Loi sur le casier judiciaire et au dépôt. Il y a des pépins quant à certaines infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire qui pourraient en être absentes. Il faudrait une entente entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour convenir de les inclure dans le dépôt.

Des personnes à qui j’ai parlé m’ont dit que certaines de ces infractions seraient tellement banales ou potentiellement tellement anciennes — puisqu’elles ne figurent pas dans le système du CPIC — qu’elles pourraient ne pas avoir d’importance. Quoi qu’il en soit, le système informatique actuel pourrait résorber cet enjeu.

Mon interprétation de la situation, ainsi que de la part de la Commission des libérations conditionnelles, est la suivante : bien qu’elle examinerait si des renseignements ont été signalés, ils seraient seulement signalés si la personne avait été portée à l’attention des autorités intermédiaires. Je ne parle pas nécessairement de nouvelles accusations, mais une nouvelle accusation empêcherait catégoriquement les démarches.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Avez-vous vérifié, auprès de la commission, le taux d’erreurs qu’il pourrait y avoir, puisqu’elle sera appelée à évaluer tous les dossiers sans avoir accès aux casiers judiciaires? Avez-vous vérifié auprès de la commission le taux d’erreurs qu’il pourrait y avoir si des gens sont remis en liberté sans qu’on ait vérifié au préalable leurs antécédents criminels? Avez-vous une idée du taux d’erreurs qu’il pourrait y avoir?

[Traduction]

La sénatrice Pate : S’il y avait un taux d’erreurs, ce serait après le signalement des personnes. Si elles faisaient l’objet d’un signalement et qu’elles n’avaient pas fourni tous les renseignements, ou qu’il y avait une quelconque irrégularité, le mécanisme d’examen pourrait s’enclencher.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Au Canada, ceux qui commettent des crimes à caractère sexuel écopent d’une peine de moins de deux ans. C’est le cas au Québec dans les prisons provinciales, toutes proportions gardées, où il y a quatre fois plus de prédateurs sexuels que dans les pénitenciers fédéraux. C’est la province qui va décider de remettre ces gens en liberté. Au Québec, on remet encore des gens en liberté après qu’ils ont purgé le sixième de leur peine.

Comment le lien entre le fédéral et les provinces, le Québec notamment, se fera-t-il lorsque ces gens seront remis en liberté avec des conditions spécifiques? Comment allez-vous faire le lien pour vous assurer que le Centre du pardon national, qui devra gérer les demandes de pardon... Comment ce lien complexe va-t-il se faire entre les provinces et le gouvernement fédéral?

[Traduction]

La sénatrice Pate : Si quelqu’un est incarcéré pour une infraction figurant à l’annexe 1 ou 2, ses empreintes digitales sont consignées, et la personne a un dossier dans le système du CPIC. Aucun document provincial, du Québec, n’aurait besoin d’être transmis.

J’aimerais cependant rectifier les faits. Beaucoup de temps s’est écoulé — et ces scénarios sont très rares — depuis que quelqu’un a été libéré au sixième de la peine, en particulier pour une infraction de nature sexuelle. Je comprends toutefois votre point de vue, sénateur Boisvenu, et nous avons abordé l’enjeu ici à quelques reprises, surtout dernièrement et dans le contexte de votre projet de loi : il est légitime de s’inquiéter du peu de sérieux accordé par le passé à la violence faite aux femmes et aux enfants. L’existence d’un casier judiciaire n’empêche pas nécessairement cette situation. En fait, cette réalité fait en sorte que bien des délinquants n’ont pas de casiers judiciaires. De plus, le taux de récidive que la Commission des libérations conditionnelles...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Selon le projet de loi, même les délinquants qui ont récidivé pourront être admissibles à une suspension de leur dossier. Cela m’inquiète beaucoup, surtout en ce qui concerne les crimes contre les enfants.

Selon les statistiques, le taux de récidive chez les prédateurs sexuels — les pédophiles — est très élevé après la libération conditionnelle ou durant la période d’attente pour la remise en liberté sous condition. Dans le cas des pédophiles, par exemple, dès qu’ils finissent leur période de probation, qui dure deux ou trois ans, il y a automatiquement une suspension du casier judiciaire.

Cela dit, deux éléments me préoccupent. Premièrement, le taux de récidive après les périodes de probation est très élevé chez les pédophiles. Deuxièmement, les policiers n’auront plus accès aux dossiers.

Au fond, deux systèmes permettent aux policiers d’aller chercher de l’information à partir d’une plaque d’immatriculation. Pour le Québec, c’est le Centre de renseignements policiers du Québec, ou CRPQ, et au fédéral, c’est le Centre d’information de la police canadienne, ou CPIC.

Dans le cas d’un criminel qui reçoit une absolution ou dont le dossier est suspendu, l’information liée à son dossier sera-t-elle disponible dans l’autopatrouille du policier?

[Traduction]

La sénatrice Pate : À l’heure actuelle, même s’il y a suspension des casiers judiciaires, ils ne sont pas nécessairement effacés. Ils sont conservés par les autorités policières, judiciaires ou provinciales, mais il y a lieu de croire qu’ils doivent être gardés à part.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question ne concerne pas cet aspect.

Je comprends bien que le dossier n’est pas effacé. C’est la GRC qui gère les dossiers de pardon. Ce que je dis et ce qui m’inquiète, c’est que le taux de récidive chez les pédophiles, entre autres, est très élevé après la période de probation, parce que, souvent, ils ne se sentent plus surveillés. Ils ont donc tendance à récidiver.

Si un policier patrouille autour d’une école et s’il vérifie la plaque d’immatriculation d’un individu qui a été condamné à plusieurs reprises — parce que votre projet de loi prévoit la suspension du dossier des récidivistes —, cela veut dire que les policiers n’auront plus accès au casier judiciaire de l’individu parce qu’il n’est plus accessible auprès du Centre d’information de la police canadienne, ou CPIC. C’est un peu comme le registre des prédateurs sexuels : la seule façon d’avoir accès à l’information, c’est si un crime est commis. Les policiers peuvent aller chercher l’information. Toutefois, si aucun crime n’est commis, mais que les policiers veulent surveiller un rôdeur autour d’une école, car ils savent qu’il s’agit d’un prédateur sexuel ou d’un récidiviste multiple, par exemple, l’information ne sera plus accessible.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Si une personne était multirécidiviste, et que l’on suppose qu’elle récidive à la fréquence que vous suggérez, elle n’aurait jamais accès à l’expiration de son casier judiciaire.

En fait, le taux de récidive des délinquants sexuels est relativement faible. Les données de la Commission des libérations conditionnelles et du Service correctionnel...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce n’est pas ce que prévoit votre projet de loi. Votre projet de loi prévoit qu’un criminel récidiviste peut voir son dossier suspendu. C’est ce que votre projet de loi prévoit, si je l’ai bien lu.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Seulement si cinq ans se sont écoulés depuis qu’il a terminé de purger sa dernière peine. La réalité est qu’une personne qui reçoit régulièrement l’attention des policiers serait probablement signalée dans le cadre de ce processus, parce que les annexes 1 et 2 feront probablement l’objet d’un réexamen.

Vous avez raison, le projet de loi ne prévoit pas le signalement obligatoire de ces criminels, mais ils sont signalés. Ainsi, il est probable que leur dossier soit réexaminé.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : En ce qui a trait à un prédateur sexuel qui a reçu un pardon ou dont le dossier a été effacé, selon votre projet de loi, la question est claire. Si un policier vérifie sa plaque d’immatriculation, est-ce que le policier aura dans sa voiture l’information selon laquelle il a devant lui une personne à haut risque, c’est-à-dire un prédateur sexuel?

[Traduction]

La sénatrice Pate : Uniquement s’il a obtenu l’expiration de la condamnation. Mais puisque le dossier est signalé, il serait réexaminé, et si le comportement n’était pas résolu... Le projet de loi exige entre autres que les personnes adoptent un comportement respectueux de la loi et que l’expiration du casier ne soit pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. On présume que, si ces aspects devaient inquiéter les policiers, ceux-ci feraient un signalement. L’expiration ne pourrait être accordée. Ensuite, la personne a la possibilité de faire une demande séparément, ce qui exigerait une enquête plus approfondie.

Alors non, l’expiration ne se fera pas automatiquement si une personne récidive plusieurs fois, ou même une seule fois. Et si elle attire l’attention des policiers pour un motif différent, cette personne fera aussi l’objet d’un signalement.

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Pate, merci beaucoup pour votre travail dans ce dossier. Je vous ai souvent entendue au sujet de personnes qui ont été vraiment punies par cette absence de suspension de casier. D’après ce que je comprends, le système actuel de suspensions est incroyablement problématique, particulièrement pour les personnes les plus marginalisées et les plus désavantagées au Canada. Elles n’ont pas les ressources ou le soutien pour passer par un système lourd et punitif et doivent donc composer avec la stigmatisation et la difficulté d’avoir un casier judiciaire. Le système actuel fait en sorte qu’il est, de manière réaliste, presque impossible pour la plupart des gens d’obtenir un pardon.

Pourriez-vous en dire davantage aux membres du comité au sujet de personnes que vous avez rencontrées et qui se heurtent à des obstacles en raison du système actuel? De plus, quels avantages, à votre avis, ces personnes tireraient-elles de ce projet de loi?

La sénatrice Pate : Certainement. Comme je l’ai mentionné au début, un certain nombre de personnes ont communiqué avec moi depuis le simple dépôt du projet de loi. J’ai parfois abordé le nombre de femmes que je connais, en particulier — mais aussi des hommes — qui souhaitent, par exemple, avoir des enfants, entraîner une équipe sportive ou faire du bénévolat dans une école.

Une personne est venue témoigner, bien que ce n’ait pas été au sujet de ce projet de loi précis. La dame souhaitait devenir opératrice d’ascenseur, ce qui représentait un excellent emploi. Elle a dû franchir toutes sortes d’étapes et obtenir l’approbation et le soutien de toutes sortes de personnes avant même de pouvoir étudier pour accéder à cet emploi. Puis, quand il a été question d’aller à l’école de son fils — son fils a des besoins particuliers —, l’école a exigé une vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables. On n’en a pas exigé pour ses études, mais on a exigé des références. Elle a été honnête quant à son casier, alors il lui a fallu du temps pour être admise à la formation. Mais quand elle a voulu faire du bénévolat à l’école de son fils, elle n’a pas pu. L’enseignant voulait qu’elle soit bénévole. Elle a été entièrement transparente avec tout le monde au sujet des motifs de son casier judiciaire. Elle a vendu de la drogue pour payer l’épicerie et le loyer après la naissance de son enfant. L’enseignant l’a défendue. L’école l’a défendue, mais elle n’a pas pu être admise. Le dixième anniversaire arrive dans un an ou deux, et elle pourra faire une demande à ce moment-là. Par contre, son enfant n’est aujourd’hui plus à l’école. Il n’a pas pu profiter de l’avantage d’avoir sa mère pour le soutenir, à un moment où il n’y avait pas de personnel de soutien dans sa classe et où sa mère n’avait pas d’emploi et tentait de reprendre sa vie en main. Voilà donc un exemple.

Il y a également une dame qui est ici à l’université, en train de finir son doctorat. À la suite d’une blessure, elle a développé une dépendance. Je ne pourrai pas raconter son histoire mieux que ne l’a fait le sénateur Campbell hier soir. Elle s’est blessée. Elle a pris des opioïdes. Elle est devenue dépendante. Elle a fini par vendre de la drogue. Elle était dans une relation de violence conjugale. Elle a fini en prison. Dans un an, elle deviendrait admissible à une expiration de sa condamnation si ce projet de loi entrait en vigueur, mais en vertu de la loi actuelle, elle doit attendre six autres années. Entretemps, elle est à l’école et étudie, mais ce sera difficile pour elle de progresser et d’obtenir un emploi si elle a toujours un casier judiciaire.

La sénatrice Clement : D’abord, j’aimerais vous remercier pour votre travail et pour votre présence parmi nous.

J’aimerais que vous approfondissiez le sujet des personnes vulnérables, abordé par La facture. La question ne concerne pas uniquement le coût de la demande, mais le processus dans son ensemble. Les personnes pauvres, vulnérables ou appartenant à la communauté noire, autochtone ou à une communauté racisée voient toutes sortes d’obstacles se dresser devant elles, pas uniquement des obstacles financiers. Plus ces personnes restent incapables de participer à la société, plus elles sont susceptibles, semble-t-il, de demeurer dans ce cercle de pauvreté et de désespoir.

Sur quelles données et quelles études vous êtes-vous appuyée pour ce projet de loi? Pourriez-vous expliquer de quelle manière ce phénomène touche davantage les communautés noire, racisée et autochtone, le cas échéant?

La sénatrice Pate : Les études proviennent du Service correctionnel du Canada, du ministère de la Sécurité publique et de la Commission des libérations conditionnelles. Dernièrement, nous avons obtenu des études très récentes en raison de la légalisation du cannabis et de la purge LGBTQ2S+, et nous avons constaté que peu de personnes se prévalent du processus pour différentes raisons. Le processus de demande lui-même est un de ces motifs. Certaines personnes avec qui j’ai échangé ou qui ont abordé la question avec les agents de la Commission des libérations conditionnelles ont affirmé que le processus coûte moins cher, c’est vrai, mais il reste la stigmatisation. Certaines personnes ont été condamnées avant Internet, et elles craignent que leurs demandes ne déterrent leur passé. Elles sont parfois des grands-mères ou des grands-pères, et leurs propres enfants ne savent peut-être pas qu’elles ont eu un casier judiciaire ou qu’elles ont été éjectées de l’armée à cause de leur homosexualité ou d’une autre raison.

Dans les groupes racisés, nous savons que l’intersection entre la pauvreté et l’origine raciale prédomine quant à l’identité de la population carcérale. Bien sûr, de nombreuses personnes dont a parlé La facture disposaient de certaines ressources — pas beaucoup —, mais il s’agissait de manière disproportionnée de personnes non racisées qui pouvaient tout de même se permettre de payer les frais exigés.

Pour une personne qui tente de survivre au moyen de l’aide sociale, des frais de 50 $ peuvent représenter la moitié d’un panier d’épicerie. Alors c’est inabordable. On y porte peu d’attention, parce que 50 $ semblent raisonnables, contrairement aux frais de plus de 600 $ quand le processus de pardon a d’abord été établi.

Bien des personnes ne font pas la demande, ce qui les maintient de manière disproportionnée en situation de pauvreté. Même celles qui ont un peu d’argent... Je connais une autre femme, qui avait un casier assez lourd, obtenu il y a de nombreuses années. Elle était sortie de prison depuis 20 ans quand elle a enfin décidé de demander un passeport pour voyager. Elle est née aux Pays-Bas. Ses parents étaient canadiens et travaillaient là-bas. Elle voulait se rendre aux Pays-Bas pour rendre visite à sa famille. Pour obtenir un passeport, elle devait obtenir un pardon. Alors, elle en a fait la demande. Elle a versé des milliers de dollars à l’un de ces services, parce qu’elle n’arrivait pas à s’y retrouver dans tous les documents. À la toute fin du processus, on lui a dit qu’elle avait probablement une amende à payer quelque part. Personne n’a pu déterminer où. C’était une amende de 100 $ que personne ne pouvait retrouver. Elle avait été en prison très jeune et tout le monde, y compris la Commission des libérations conditionnelles, s’est entendu sur le fait qu’il était probable que l’amende ait été remboursée par son temps d’incarcération. Tout le monde s’entendait là-dessus. Toute personne qui connaît le système a affirmé que, si elle avait été en prison après avoir eu l’amende, il était impossible que l’amende n’ait pas été prise en compte. Elle n’aurait pas été libérée sans avoir réglé la question de l’amende. Dans ce contexte, elle a dû faire une déclaration sous serment. Le processus a dû être repris et, en fin de compte, la Commission des libérations conditionnelles a été en mesure d’user de sa discrétion. Mais le processus a mis presque cinq ans à aboutir. Depuis 20 ans, cette femme ne consommait pas de substances et œuvrait au sein de la collectivité... et cette femme est autochtone.

L’effet est le suivant. Plus les intersections de pauvreté, de race, de sexe et de classe sociale sont présentes, plus il est probable de se retrouver dans ce type de situation. Et si la personne a des problèmes de santé mentale et des défis au sein de la collectivité, ce sont des difficultés qui s’ajoutent. C’est un énorme défi, en effet.

La sénatrice Clement : Avez-vous eu des discussions avec des membres de la société civile pour savoir quelle était leur réaction à ce type de projet de loi? On nous demande toujours ce qui est possible. Est-ce qu’on vous a parlé de l’opinion des Canadiens sur ce type de mesure législative et de ce qu’ils en comprennent?

La sénatrice Pate : Merci de poser la question. Je suis désolée, je suis si enthousiaste à propos de votre question que je vous ai presque interrompue.

Oui, la société civile nous soutient, mais elle croit que le projet de loi ne va pas assez loin. Un certain nombre de personnes croient qu’il devrait aller beaucoup plus loin et régler également d’autres questions. Le projet de loi n’aborde pas, par exemple, le registre des délinquants sexuels. Il devrait aller plus loin. Certaines personnes croient qu’il devrait y avoir un droit de disparaître, en somme une exigence d’effacer des renseignements sur Internet. Ces idées vont bien au-delà de toutes les dispositions de ce projet de loi.

La société civile, particulièrement les membres qui travaillent dans ce domaine, tant avec les victimes qu’avec les personnes qui ont été condamnées, a énoncé clairement que le fait d’offrir à quelqu’un la possibilité de refaire sa vie n’aide pas uniquement cette personne, mais évite de victimiser davantage les familles et la collectivité auxquelles cette personne pourrait autrement être capable de contribuer.

La sénatrice Batters : Merci, sénatrice.

J’ai un certain nombre de questions. Premièrement, vous avez déclaré que cela n’entraînera pas de peines plus clémentes, mais nous savons tous que les antécédents criminels d’un délinquant sont souvent déterminants dans les décisions relatives à la détermination de la peine. Dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la deuxième lecture, le sénateur Boisvenu a fait état de plusieurs décisions et avis juridiques à cet égard, notamment dans l’affaire R. c. Angelillo, au sujet de laquelle le juge Charron, ancien juge de la Cour suprême du Canada, a écrit :

Les objectifs de la détermination de la peine ne peuvent être pleinement réalisés que si le tribunal dispose des informations pertinentes pour l’appréciation de la situation, du caractère et de la réputation de l’accusé.

[...] Il ne fait aucun doute que le tribunal peut prendre en compte l’existence de condamnations antérieures pour déterminer la peine appropriée. [...] La peine infligée risque d’être plus sévère dans le cas d’un délinquant récidiviste, mais cette conséquence ne porte pas atteinte au droit de ce délinquant de ne pas être puni de nouveau. Dans les limites de la proportionnalité, la peine infligée dans un tel cas n’est que le reflet du processus individualisé de la détermination de la peine.

Nous pouvons donc à juste titre comprendre les difficultés que les délinquants condamnés peuvent avoir en matière de logement et d’emploi, mais lorsqu’il s’agit d’une condamnation criminelle, surtout pour un délit grave, l’expiration du casier n’effacerait-elle pas des renseignements essentiels, peut-être au détriment d’une victime?

La sénatrice Pate : Je pense que cela dépendrait de la nature de l’accusation. Les commentaires du juge Charron sont pris dans le contexte de la question : la peine devrait-elle être plus longue s’il y a un casier? C’est la norme générale, oui.

Dans cette situation, s’il était démontré qu’il y a une raison pour laquelle les antécédents devraient être pris en considération, il existe des dispositions qui vous permettent de le faire et de revoir ces dossiers. Je pense que la plupart des procureurs de la Couronne, comme ils le font maintenant, demanderaient à quelqu’un de leur bureau de chercher le nom sur Google, et que cette recherche ferait ressortir des choses qui, même s’il y avait une expiration du dossier, seraient évidentes.

Il est très peu probable... Les registres ou les données, que Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles ont recueillis, ont montré que lorsqu’une personne a passé quelques années dans la collectivité sans commettre d’infraction, la probabilité qu’elle commette une autre infraction est la même que pour n’importe lequel d’entre nous, que pour toute autre personne qui n’a jamais été condamnée pour une infraction.

Y a-t-il un risque que quelque chose se produise? Oui. Je pensais que l’un d’entre vous pourrait citer l’exemple de Graham James, qui a été à l’origine des modifications apportées à la loi sous le régime Harper. Selon cette disposition — ou la façon dont nous avons formulé le projet de loi —, si quelqu’un avait la possibilité de voir sa déclaration de culpabilité expirer et ne divulguait pas l’information — disons qu’une enquête était en cours —, ce serait un motif pour réexaminer son dossier.

Il est important d’examiner les décisions de la Cour fédérale et de la Cour suprême du Canada, qui ont souligné l’importance de la radiation comme moyen d’aider les gens à se refaire. Il convient aussi d’examiner un autre principe de détermination de la peine. En effet, la réadaptation fait également partie de ce que nous souhaitons voir se produire.

La sénatrice Batters : Sénatrice Pate, dans la réponse que vous venez de donner, vous avez dit que nous pourrions compter sur les procureurs de la Couronne pour aller chercher des renseignements sur Google plutôt que de vérifier le casier judiciaire. Ne serait-il pas plus approprié de détenir des renseignements exacts plutôt que d’avoir à se fier au fait qu’un article a été écrit à ce sujet ou à quelque information que quelqu’un pourrait trouver dans Google? Est-ce que ce ne serait pas une meilleure façon de procéder?

La sénatrice Pate : Si c’était le seul outil disponible, absolument. J’essayais d’utiliser l’exemple que si l’improbable se produisait et qu’il s’écoulait 10 à 20 ans après que le dossier d’une personne ait été expurgé, alors... Et, rappelez-vous, il s’est écoulé cinq ans après la fin de sa peine. Il peut se passer une très longue période avant le moment où une personne termine sa peine ou elle sort de prison, si elle y est. Il peut donc s’agir d’une très longue période.

Maintenant, c’est 10 ans; le même argument pourrait être évoqué pour 10 ans.

La sénatrice Batters : Une autre question que j’ai concerne le paragraphe 4(2) de votre projet de loi, qui souligne l’absence de délai pour l’expiration du casier pour les enfants. Voici ce qu’on y lit :

Le casier de la personne visée au paragraphe 3(1) qui était un enfant au moment où elle a commis l’infraction expire à [...]

... il n’y a pas de délai.

Je présume que le terme « enfant » désigne les personnes de moins de 18 ans. Donc, cela s’appliquerait-il même à quelqu’un qui avait, oui, peut-être moins de 18 ans au moment où il a commis l’infraction, mais qui, pour une raison ou une autre — un crime très grave ou quelque chose comme ça —, a été condamné comme un adulte? Aux termes de votre projet de loi, cela s’appliquerait-il également dans cette situation?

La sénatrice Pate : Pas s’ils ont été condamnés en tant qu’adultes, mais s’ils ont été condamnés aux termes de... En fait, cela remonte à la façon dont le système fonctionnait avant la Loi sur les jeunes contrevenants, c’est-à-dire lorsque c’était la Loi sur les jeunes délinquants, aux termes de laquelle le casier était effacé dès que la personne atteignait sa majorité, et ce, sans égard pour ce qu’il contenait.

La raison en est que l’on reconnaît qu’il arrive souvent que les gens fassent des choses lorsqu’ils sont enfants, mais qu’ils ne continuent pas nécessairement à faire par la suite. Nous savons que l’augmentation des chiffres, en particulier pour les jeunes Noirs et les jeunes Autochtones, s’explique en partie par le fait qu’ils ont parfois des casiers relativement mineurs, mais qu’une accumulation de délits les suit dans le système adulte, ce qui les expose plus facilement à des peines de prison. C’est ce qui se passe dans le contexte où l’on avait l’habitude de traiter tout le monde comme un délinquant primaire lors du passage du système pour mineurs au système pour adultes.

C’est ce que nous examinons. Le projet de loi s’inspire des recommandations ou du virage que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a pris pour permettre l’effacement des antécédents judiciaires.

La sénatrice Batters : Vous pourriez peut-être le faire plus tard, mais j’aimerais que vous me montriez où l’on fait la distinction entre les personnes afin que je puisse constater que cette disposition particulière n’effacerait pas, sans période d’attente, le casier d’une personne qui avait moins de 18 ans, mais qui avait été condamnée en tant qu’adulte?

La sénatrice Pate : Ce serait sous l’ancienne Loi sur les jeunes contrevenants.

La sénatrice Batters : D’accord. Donc, cela n’a pas d’incidence sur cet article particulier?

La sénatrice Pate : C’est exact.

La sénatrice Batters : D’accord. Très bien.

Ma dernière question pour cette série — et j’aimerais peut-être passer à la deuxième série —, c’est qu’on s’est inquiété que cela puisse en fait renverser le fardeau de la preuve pour la Commission des libérations conditionnelles, puisqu’on lui demanderait de prouver pourquoi le casier d’un délinquant ne devrait pas être effacé. Considérez-vous qu’il s’agit d’un renversement du fardeau de la preuve et voyez-vous un risque accru pour la sécurité publique, particulièrement dans les cas de délinquants violents récidivistes?

La sénatrice Pate : Non, je ne pense pas du tout qu’il s’agisse d’un renversement du fardeau de la preuve.

Cela a été mis en place parce que c’était l’une des recommandations qu’un certain nombre d’organismes avaient faites pour rationaliser le processus en utilisant les capacités de données actuelles pour dire que les personnes allaient être fichées. La seule raison pour laquelle elles pourraient être portées à l’attention de la Commission des libérations conditionnelles et requérir un examen subséquent de cette dernière serait qu’elles ont été fichées. Ce sera le cas de certaines personnes, comme de celles qui ont été arrêtées pour des choses qui ne sont pas des infractions criminelles. Toutefois, cela permet à la commission d’examiner ces cas s’il y a lieu de s’inquiéter d’un comportement. Comme nous le savons, des personnes pourraient avoir été repérées sans nécessairement avoir été condamnées. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risque perçu. C’est donc ce que prévoit la loi.

Le sénateur Dalphond : Pour ce qui est de la procédure, vous proposez d’abaisser le délai de 10 à 5 ans pour les condamnations les plus graves, et de 5 à 2 ans pour les infractions sommaires. Sur quelle base se fondent ces chiffres?

La sénatrice Pate : Lorsque le processus de réhabilitation a été présenté, c’était les délais qui avaient été prévus, c’est-à-dire deux ans pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire et cinq ans pour un acte criminel. Le délai pour les infractions sommaires a été porté à trois ans dans les années 1990. En 2012, le délai est passé de trois à cinq ans pour les infractions sommaires, et de cinq à dix ans pour les autres. En réalité, il s’agit de revenir aux délais d’origine. Il y a aussi le fait que c’est un tel obstacle que d’avoir à attendre cinq ou dix ans respectivement avant que le processus ne s’amorce.

Le sénateur Dalphond : Cela a-t-il été recommandé par un groupe ou un organisme quelconque, ou dites-vous simplement que vous avez essayé de revenir à ce que c’était au début?

La sénatrice Pate : Cela a été recommandé par un certain nombre de personnes de la société civile. J’essaie de me souvenir. La coalition « Nouveau départ » est du nombre. Il s’agit d’une coalition de 60 groupes comprenant des groupes de femmes, des groupes de lutte contre la violence, des groupes travaillant avec des personnes sortant de prison et s’occupant de réinstallation, des universitaires et des chercheurs également. Je pense qu’elle a recommandé un processus plus libéral que celui que nous avons ici.

Le sénateur Dalphond : Vous avez fait référence à la politique du gouvernement précédent visant à augmenter les délais, mais le gouvernement actuel s’est-il exprimé à ce sujet?

La sénatrice Pate : Oui. Le gouvernement n’a pas réduit le délai avec le projet de loi C-31, mais il proposait des changements qui allait simplifier le processus. Or, ce projet de loi est mort au Feuilleton. Le gouvernement avait l’intention de revenir au processus de réhabilitation, ce qui aurait signifié un retour à trois et cinq ans. Alors, c’est cette position qui a été retenue. Il faudra que je retourne en arrière et que je vérifie. Je sais que l’Association du Barreau canadien s’est également exprimée à ce sujet à l’occasion, mais je ne sais pas si elle l’a fait récemment. C’est le sous-groupe, le groupe des avocats des prisons, qui a travaillé sur cette question.

Le sénateur Dalphond : Vous faites référence au consensus en faveur d’un changement attribué à l’ancien ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale. La citation ici est un extrait de ce qu’il a dit.

Ses observations disent-elles que nous devrions revenir à ces délais d’origine? Lorsque vous avez dit que le délai était passé de deux à trois ans, puis de trois à cinq ans, était-ce sous le même gouvernement?

La sénatrice Pate : Non, ce ne l’était pas.

Le sénateur Dalphond : Je crois savoir que le gouvernement Chrétien l’a fait passer de deux à trois ans, et que le gouvernement Harper l’a fait passer de trois à cinq ans.

La sénatrice Pate : Puis de cinq à dix ans.

Le sénateur Dalphond : Et ce passage de cinq à dix ans est-il le fait des libéraux ou des conservateurs?

La sénatrice Pate : C’est celui des conservateurs.

Le sénateur Dalphond : Il est resté à cinq ans lorsqu’ils sont passés de deux à trois ans?

La sénatrice Pate : Oui.

Lorsqu’il a comparu devant ce comité au sujet du projet de loi sur le cannabis et de la radiation relative à des infractions liées au cannabis, l’ancien ministre Goodale a dit qu’il aimerait voir un processus simplifié, mais que l’un des problèmes était que tout ne figurait pas dans les casiers. L’un des changements apportés à ce projet de loi, par rapport à la dernière version, est de dire que pour qu’une infraction soit comptabilisée dans un casier judiciaire, elle doit être dans le système du Centre d’information de la police canadienne, ou CIPC.

Le sénateur Dalphond : Je veux revenir sur les questions que le sénateur Boisvenu a posées au début, non pas sur les procédures, mais sur les articles 6 et 6.1 proposés, la radiation et son effet.

Je comprends que s’ils trouvent l’empreinte digitale de quelqu’un quelque part, ils pourraient aller plus loin dans le système pour récupérer des choses qui ne sont plus récupérables. Je comprends le besoin d’accès au travail, d’accès à un logement correct et toutes ces choses. Je comprends cela, je pense. Quelle serait l’incidence de cette mesure sur une enquête de police? Des « empreintes digitales » laissent entendre qu’un crime ou quelque chose a été commis. Vous relevez des empreintes digitales et vous découvrez des choses, puis vous faites des associations. Sauf qu’avant cela, il peut y avoir des moyens d’empêcher un crime de se produire.

La police aura-t-elle accès à ces dossiers ou non? C’est dans la ligne des questions du sénateur Boisvenu, je pense. J’aimerais en savoir plus à ce sujet.

La sénatrice Pate : Le modèle que nous avons essayé d’utiliser est semblable à ce qu’aurait fait le projet de loi C-31, qui a été présenté par M. Blair, le ministre de la Sécurité publique de l’époque. Or, ce projet de loi est mort au Feuilleton. Il aurait permis la rétention d’information à certaines fins, par exemple pour une enquête policière, notamment aux termes des annexes 1 et 2.

S’il y avait une enquête — et, comme nous le savons, une enquête ne se fait pas seulement avec des empreintes; il y a aussi les renseignements — et qu’on découvrait que quelqu’un avait caché de l’information ou avait omis de divulguer des renseignements, cela serait un motif pour mettre fin à l’expiration de la condamnation, si vous voulez. C’est l’une des façons d’essayer de couvrir cet aspect.

Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Dalphond : Pas vraiment, car je comprends qu’il puisse y avoir des effets négatifs. Le fait est qu’il y a une enquête policière en cours et qu’ils essaient d’identifier une personne ou quelque chose.

Le sénateur Boisvenu a donné l’exemple d’une personne qui se garerait à côté d’une cour d’école. Un enseignant se rend compte que cette personne est garée là tous les jours à la même heure, et elle appelle la police pour le signaler. La voiture de police arrive et le policier vérifie dans sa base de données. La plaque d’immatriculation de la voiture lui révélera le nom de son propriétaire. Toutefois, si ce dernier a un casier judiciaire qui a été radié, apparaîtra-t-il qu’il a été condamné il y a sept ans pour quelque infraction sexuelle ayant à voir avec les enfants?

La sénatrice Pate : Pour des infractions sexuelles, oui, et à plus forte raison si elles ont trait à des enfants.

Le sénateur Dalphond : Est-ce que la police aurait accès à cela immédiatement, simplement en vérifiant la plaque d’immatriculation?

La sénatrice Pate : Oui. C’est pourquoi il y a toujours la possibilité de vérifier les antécédents des personnes vulnérables. Ces renseignements apparaîtront. En fait, je retire ce que j’ai dit. Je ne connais pas les pratiques de la police. Je ne sais pas comment fonctionne la vérification d’une voiture, qu’il s’agisse de votre voiture ou d’une voiture de location. Je ne sais pas ce que la police peut trouver comme renseignements à partir d’une plaque d’immatriculation.

Ayant été impliquée dans un contexte différent autour de certains de ces cas — à la fois comme parent, dans les écoles et en tant que personne ayant travaillé avec des personnes condamnées pour ces infractions —, la police ne procéderait probablement pas à une vérification de la plaque. Il est probable qu’elle parlerait à la personne et qu’elle chercherait à la rencontrer. Or, si cette personne refusait de le faire, cela fournirait probablement aussi un motif d’enquête supplémentaire.

Le sénateur Dalphond : Mon temps est peut-être écoulé. Au prochain tour, j’aimerais que l’on parle du paragraphe 6.1(2) proposé et de l’effet de l’expiration du casier. Ce paragraphe stipule que même l’existence du casier ne peut être révélée à quiconque. Je ne sais pas si cela signifie que même la police n’y a pas accès. C’est là ma question. Je m’excuse si mes questions n’étaient pas assez claires.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci d’être ici aujourd’hui, sénatrice Pate. J’ai une question concernant l’article 7 de votre projet de loi, qui concerne l’ordonnance après vérification, soit le paragraphe 4.1(1). La commission doit, sur demande, ordonner l’expiration du casier lorsqu’elle est convaincue qu’une telle ordonnance soutiendrait la réadaptation du demandeur en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société. Il y a deux conditions. La deuxième condition serait qu’il ne serait pas susceptible de « déconsidérer l’administration de la justice ». Je comprends le paragraphe 4.1(4) suivant, qui dit que le demandeur a le fardeau de convaincre la commission que l’expiration du casier soutiendrait sa réadaptation. Dans le cas de la deuxième condition, soit qu’il « ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice », vous établissez des critères qui ne sont pas clairs et qui sont énumérés au paragraphe 4.1(5). Il y a trois critères que la commission doit examiner pour déterminer si l’expiration du casier serait ou non susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Si on revient à la première condition, vous n’avez pas établi de quels critères. Donc, si je veux faire une telle demande, comment dois-je faire pour convaincre la commission que l’expiration de mon casier soutiendrait ma réadaptation?

Autrement dit, on donne des critères qui aident à rendre une décision dans le cas de la déconsidération de la justice; on donne des critères pour guider la commission, mais on ne donne pas de critères pour guider la personne qui veut faire une demande. Comment la personne soutiendrait-elle sa réadaptation? Pourriez-vous m’expliquer ce que cela pourrait représenter, si vous avez eu l’occasion d’y réfléchir? Autrement dit, comment aider les gens qui vont faire cette demande, pour qu’ils aient une idée de ce qu’ils doivent invoquer pour obtenir la suspension de leur casier? S’ils ne le font pas, ils ne l’obtiendront pas.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Cela s’applique aux personnes qui voudraient le faire à l’avance. Disons qu’ils veulent pouvoir passer la frontière. L’une des questions soulevées par la Commission des libérations conditionnelles est le nombre de ces personnes, des hommes qui sortent de prison et qui ont la possibilité de travailler comme camionneur. Ils doivent pouvoir passer la frontière. Il y aurait des situations de ce type dans lesquelles une personne pourrait présenter une demande, et la décision serait laissée à la discrétion de la commission. Le but serait vraisemblablement l’obtention d’un emploi. Vous soulevez un point intéressant. Il serait peut-être bon de le signaler en vue de son intégration à la réglementation ou à la procédure.

À l’heure actuelle, il n’existe aucune ligne directrice claire. Toutefois, puisque nous introduisons une disposition visant à permettre la présentation précoce d’une demande lorsque la personne concernée à de bonnes raisons de le faire, nous essayons de signaler que ces demandes seraient présentées à des fins de réhabilitation, donc vraisemblablement pour l’accès à un traitement, l’obtention d’un logement, ou pour certains motifs qui seraient aujourd’hui exclus par l’existence d’un casier.

La question la plus fréquemment soulevée, et c’est en partie la raison pour laquelle nous avons introduit cet élément, est le nombre de cas dans lesquels l’existence d’un casier judiciaire empêche une personne d’obtenir un emploi particulier pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, bien que les agents de libération conditionnelle, la police et tout le monde y soient favorables.

Le président : Merci.

Ma question, sénatrice Pate, est assez directe et factuelle. Dans la documentation que vous avez fournie, vous avez indiqué que la baisse du nombre de demandes était due au degré de difficulté du processus et à son coût, si j’ai bien compris. Pouvez-vous nous donner une idée de la probabilité qu’une demande soit accordée? S’agit-il d’une simple formalité? Sont-elles souvent rejetées?

La sénatrice Pate : J’ai cette information. J’ai demandé des renseignements plus récents à la Commission des libérations conditionnelles.

Le président : Si vous ne les avez pas sous les yeux, vous pourriez nous fournir une note plus tard.

La sénatrice Pate : Oui, je m’excuse. Je ne veux pas vous donner de mauvais renseignements. J’ai demandé cette information, et je la cherche.

Le taux d’approbation est évidemment relativement élevé, mais ce n’est pas automatique. L’une des principales raisons du refus des demandes, me dit-on, est qu’en vertu du processus actuel, des choses comme les amendes — comme dans l’exemple que je vous ai mentionné de la femme qui avait une amende de 100 $ — la découverte du paiement d’amendes, remettent le compteur à zéro. Même s’il s’agit d’une erreur administrative commise au palais de justice ou ailleurs, en raison de laquelle l’amende n’a pas été enregistrée ou a été enregistrée de manière incorrecte — par exemple une amende enregistrée comme étant payée alors qu’elle n’a été que partiellement payée — là encore, le compteur repartirait de zéro.

Je sais qu’en ce qui concerne l’expiration des condamnations... La dernière fois que j’ai vérifié, il y avait environ 400 condamnations pour des infractions liées à la marijuana, alors qu’ils avaient prédit que jusqu’à 10 000 personnes pourraient être admissibles. Pour ce qui est de la radiation des dossiers de condamnation pour des infractions criminelles liées à une activité sexuelle consensuelle avec un partenaire du même sexe, il y avait des centaines de cas admissibles, et je pense que sept personnes ont présenté une demande. Et elles ont toutes été acceptées.

Le président : Je ne m’intéresse pas vraiment au nombre et à la quantité de refus. J’essaie plutôt de déterminer si le taux d’approbation des demandes est si élevé que cet exercice constitue plutôt une formalité. Si la Commission des libérations conditionnelles dispose de ces catégories et que vous êtes en mesure de nous les communiquer, nous vous en serions reconnaissants.

La sénatrice Pate : Je vais vérifier avec eux. Je ne sais pas s’ils viendront, mais si c’est le cas, nous pouvons également leur demander de nous les fournir. Je vais vérifier.

Le président : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce projet de loi m’inquiète beaucoup. La sénatrice nous dit qu’elle ne connaît pas beaucoup les opérations policières, alors que ce projet de loi affectera énormément les opérations policières en ce qui a trait à la prévention de la criminalité.

Sénatrice, actuellement, lorsqu’un criminel reçoit un pardon, l’information disparaît du radar des policiers. Donc, le policier, dans son autopatrouille, n’a plus accès aux antécédents du criminel. Toutes les informations sont consignées à la GRC. La seule façon pour un policier d’obtenir de l’information sur les antécédents d’un criminel qui a reçu un pardon est de contacter la GRC, si et seulement si un crime a été commis. Sinon, les policiers ne peuvent pas poser de questions sur le dossier de la GRC. C’est un peu comme le registre des prédateurs sexuels : on ne peut poser des questions liées au registre que si un crime est commis dans une région donnée. Ma question est la suivante : comment la commission pourra-t-elle faire des vérifications pour éviter l’expiration d’un casier sans qu’un criminel fasse une demande?

[Traduction]

La sénatrice Pate : Ce serait signalé en cas d’implication criminelle ou de nouvelle condamnation, mais ce processus serait automatique au cinquième anniversaire de la fin de la peine. La personne pourrait alors indiquer qu’elle n’a pas de dossier et, en vertu de la loi, un avis serait envoyé aux autres organismes leur indiquant qu’ils doivent mettre ses dossiers sous séquestre ou ne pas les divulguer.

Je dois revenir en arrière. Lorsque j’ai dit que je ne savais pas quels renseignements pouvaient être consultés au moment de la vérification d’une plaque d’immatriculation. Lorsque je travaillais avec la GRC, il serait faux de dire qu’ils n’avaient pas accès à ces renseignements. Ils doivent indiquer pourquoi ils veulent obtenir ces renseignements, puis on les leur fournit.

Dernièrement — et c’est peut-être ce à quoi vous faites référence, sénateur Boisvenu — certaines forces de police se sont inquiétées de la divulgation de renseignements avant une condamnation ou avant que l’on dispose de suffisamment de renseignements. Cette question a été soulevée en particulier par les communautés autochtones et noires, qui craignent d’être stigmatisées si l’on apprend qu’elles ont été accusées. La police est devenue parfois plus prudente quant à la divulgation de noms, et publie plutôt des descriptions, comme nous le savons. Cependant, si la situation en question comporte des risques pour un enfant ou un risque immédiat pour la sécurité d’une personne, ces renseignements sont divulgués.

La sénatrice Batters : Tout d’abord, j’aimerais faire un bref commentaire sur le projet de loi C-31, que vous avez mentionné plus tôt, la réforme de la Loi sur le casier judiciaire du gouvernement fédéral. Oui, ce projet de loi est mort au Feuilleton, mais il a été déposé à la fin de cette session parlementaire particulière, en juin 2021. C’était peut-être même au cours de la dernière semaine de cette session législative particulière. Cet été-là, le gouvernement fédéral a ensuite déclenché des élections. Ce projet de loi n’a jamais été réintroduit, et un an et demi se sont maintenant écoulés depuis le début de la présente législature. Je voulais simplement faire cette remarque.

Lorsque la sénatrice Clement vous a posé une question plus tôt sur la réaction de la « société civile » et que vous avez répondu que la société civile avait eu une réaction positive, parliez-vous du grand public canadien? Parce que je me demande sur quoi vous vous basez pour affirmer que le public canadien aurait une réaction positive à la suspension automatique et gratuite du casier judiciaire des grands criminels après une période assez courte. Compte tenu de ce que nous avons vu dernièrement, je pense qu’une grande partie de la population canadienne aurait une réaction très négative à cette mesure, en particulier avec tous les crimes graves qui sont commis dans tout le Canada, y compris récemment et dans nos plus grandes villes.

La sénatrice Pate : Par société civile, j’entends les groupes à but non lucratif qui se sont constitués, ainsi que les groupes de femmes, les groupes de victimes et les gens qui travaillent avec les personnes qui sortent de prison, comme la Société John Howard et les sociétés Elizabeth Fry...

Je vous remercie de revenir sur le projet de loi C-31, car j’ai vérifié les chiffres. Ils allaient passer de dix à cinq ans et de cinq à trois ans.

La sénatrice Batters : Mais ils ne l’ont pas réintroduit.

La sénatrice Pate : Ils ne l’ont pas encore réintroduit, c’est vrai.

La sénatrice Batters : La réintroduction de ce projet de loi figure-t-elle dans la lettre de mandat de l’un des ministres?

La sénatrice Pate : Je sais que le ministre Mendicino s’intéresse au processus de vérification des relevés de condamnation et qu’il a manifesté de l’intérêt pour l’automatisation du processus, mais non, il n’a pas déposé ce projet de loi à ce stade.

La sénatrice Batters : Vous avez dit que des groupes de femmes soutenaient ce projet. De quels groupes s’agit-il? Ces femmes ne sont-elles pas préoccupées par cette situation?

La sénatrice Pate : Comme vous le savez probablement, beaucoup des femmes qui sont en prison ont également été des victimes. Il s’agit de femmes qui travaillent avec des femmes battues et dans des refuges, des groupes comme la Barbra Schlifer Clinic et Luke’s Place, qui luttent contre la violence faite aux femmes, mais aussi de femmes qui ont elles-mêmes été victimisées et criminalisées.

La sénatrice Batters : Ce sont donc surtout des groupes de femmes qui traitent avec des personnes condamnées et pas seulement des victimes. Exact?

La sénatrice Pate : Mais le bureau de M. Roebuck, l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, nous a fait part de son soutien à l’égard d’un processus d’examen criminel amélioré.

Je pense que Sécurité publique a mené des consultations en janvier 2017. Ils ont alors constaté que le grand public — neuf personnes consultées sur dix — était favorable à l’adoption d’un processus simplifié de réduction des frais. Encore une fois, le gouvernement a le mérite d’avoir ramené les frais à ce qu’ils étaient avant les augmentations de 2012, mais ils sont encore...

Le président : Je vais vous interrompre, sénatrice Pate. Certains de ces éléments figurent également dans la fiche d’information. Je veux m’assurer que les autres sénateurs aient la possibilité de poser des questions. Il nous reste trois minutes.

Le sénateur Dalphond : Vous vous souvenez peut-être de mes questions, mais nous n’avons pas eu le temps d’y répondre.

La sénatrice Pate : Désolée. Je les ai oubliées.

Le sénateur Dalphond : Elles concernaient la possibilité pour la police d’accéder à un casier dans le cadre d’une enquête.

La sénatrice Pate : Oui. Si l’on a des raisons de croire qu’il avait été caché ou s’il y a un autre problème, et qu’il s’agissait d’une infraction de nature sexuelle, oui, ils pourront y accéder.

Bien sûr, s’il s’agit d’un délit très grave passible d’une peine de prison à vie ou d’une peine pour une période indéterminée, ce n’est jamais une possibilité.

Le sénateur Dalphond : Je ne suis pas sûr que nous parlions de la même chose. Vous semblez parler de ce qui se passe après coup. Je parle de ce qui se passe avant les faits, afin d’empêcher un crime.

Quoi qu’il en soit, j’ai d’autres questions. Ne pensez-vous pas que nous devrions faire une distinction entre les crimes les plus graves, les actes criminels et les délits mineurs? Nous pourrions peut-être disposer d’un régime automatique pour les délits mineurs, mais pas pour les actes criminels. Peut-être que dans ces cas-là, la personne devrait présenter une demande. La personne a été accusée d’un crime plus grave. La Couronne a décidé d’accuser la personne d’un acte criminel plutôt que d’un délit mineur, alors qu’il s’agissait d’une infraction mixte. Donc, si la Couronne a exercé son pouvoir discrétionnaire d’opter pour une accusation plus sévère — une condamnation pour acte criminel plutôt qu’une condamnation pour délit mineur, parce qu’elle a estimé qu’il s’agissait de faits plus graves —, serait-il préférable de laisser la personne présenter la demande?

La sénatrice Pate : Comme nous l’avons vu lorsque nous nous sommes penchés sur les infractions exigeant une peine minimale obligatoire, bon nombre des personnes dont parlait la sénatrice Clement sont des personnes racisées ou pauvres, qui peuvent avoir été condamnées dans un contexte où elles réagissaient à la violence. Les femmes surtout — les femmes autochtones en particulier — sont souvent condamnées pour des infractions de violence commises en réaction à la violence dont elles étaient victimes.

Compte tenu de l’évolution des chiffres — pour être franche, c’était l’une des priorités principales et la raison pour laquelle il est important de leur donner la possibilité de reprendre leur vie en main —, le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’emploi, au logement ou...

Il y a de cela deux étés, je m’occupais d’une femme atteinte de démence, qui ne pouvait pas accéder à une maison de retraite.

Le président : Merci, sénatrice Pate, pour vos réponses franches aux questions qui vous sont posées. Vous allez pouvoir prendre place pour le prochain tour.

Je tiens à remercier les sénateurs pour la discipline dont ils ont fait preuve pendant la ronde de questions.

Pour notre deuxième groupe de témoins, je souhaite la bienvenue à Dave Blackburn, ancien membre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui est ici avec nous en personne, et la professeure Sheila Wildeman, professeure agrégée à l’École de droit Schulich de l’Université Dalhousie, qui se joint à nous par vidéoconférence. Madame, je sais que vous n’avez eu qu’un court préavis. Nous vous remercions d’être des nôtres ce soir.

Je vais demander à M. Blackburn de commencer sa présentation. Vous disposez de cinq minutes chacun pour votre présentation. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

[Français]

Dave Blackburn, ancien commissaire à la Commission des libérations conditionnelles du Canada, à titre personnel : Monsieur le président, honorables sénatrices et honorables sénateurs, tout d’abord, je tiens à vous remercier profondément de m’inviter aujourd’hui à votre comité afin de me permettre, à titre personnel, de vous présenter quelques réflexions, enjeux et éléments à considérer en ce qui concerne le projet de loi à l’étude.

Je m’appelle Dave Blackburn et je suis actuellement doyen à l’Université du Québec en Outaouais. Auparavant, j’ai été directeur de département, professeur et chercheur dans le domaine de la santé mentale à la même université. Je suis docteur en sciences sociales avec une spécialisation en sociologie de la santé. Je possède aussi une maîtrise en service social et un baccalauréat en criminologie.

Je suis un ex-officier supérieur des services de santé des Forces armées canadiennes. J’ai été déployé en Afghanistan en 2006, j’ai été responsable des services de santé mentale en Europe de 2007 à 2011 et j’ai été gestionnaire national de l’éducation et de la formation en santé mentale au sein des Forces canadiennes.

Toutefois, c’est en raison de mon expérience à titre d’ancien commissaire au bureau du Québec de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, de 2015 à 2018, que je suis parmi vous aujourd’hui.

Pendant mon mandat à la Commission des libérations conditionnelles, j’ai contribué à l’étude, à l’analyse et à la prise de décisions dans des cas de demandes de suspension de casier judiciaire, tout particulièrement pendant la période de rattrapage de 2016 à 2017.

D’entrée de jeu, je dois admettre que j’ai des réserves importantes en ce qui concerne le projet de loi à l’étude, pour ce qui est des répercussions substantielles que son adoption pourrait avoir dans la société canadienne, dans nos communautés et pour certaines personnes, en l’occurrence les victimes d’actes criminels.

Bien que je salue l’intention et les fondements du projet de loi, qui sont de tenter de diminuer les éléments de stigmatisation envers des personnes qui ont un casier judiciaire, notamment en matière de logement et d’employabilité, je suis obligé de reconnaître que ce projet de loi, dans la forme présentée, viendra fragiliser de manière importante un maillon du filet de protection du public. Ce filet représente la mosaïque des mesures en place pour protéger monsieur et madame Tout-le-Monde, donc les collectivités, et pour assurer que les personnes qui ont commis des gestes criminels progressent et se réintègrent socialement.

Le processus de suspension du casier judiciaire est l’un des maillons du filet de protection du public. Il n’est certainement pas parfait, mais il est opérationnel et fonctionnel.

À mon humble point de vue, la suspension automatique des casiers judiciaires après deux ou cinq ans m’apparaît problématique et contribuera directement à affaiblir le filet de protection et à préconiser une approche universelle. Il vient contrecarrer deux notions essentielles dans le processus d’une réintégration sociale réussie et durable, c’est-à-dire l’autonomisation et la responsabilisation des personnes.

La réintégration sociale est un processus d’adaptation individuel, multidimensionnel et à long terme. Dans tous les cas, ce processus ne se termine pas à la fin d’une sentence et ne devient pas de facto pleinement réalisé deux ou cinq ans plus tard. La commission d’un acte criminel est le résultat d’une multitude de facteurs contributifs sur lesquels la personne doit cheminer et s’accomplir. Ce cheminement et cet accomplissement peuvent prendre du temps en fonction des personnes et sont directement influencés par le degré d’autonomisation et de responsabilisation.

En proposant l’expiration automatique du casier judiciaire, ce projet de loi élimine cette dernière étape d’autonomisation et de responsabilisation pour les personnes qui ont commis des actes criminels. Pire encore, le projet de loi transfère la responsabilité et le fardeau de la preuve de l’individu, qui devait auparavant faire la démonstration qu’il est un citoyen respectueux des lois, vers la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui en a déjà plein les bras avec les dossiers de libération sous condition. D’un point de vue mécanique et opérationnel, il est déjà prévisible que l’adoption de ce projet de loi mettra du sable dans l’engrenage.

J’ai personnellement étudié et rendu des décisions dans de nombreux dossiers de demandes de suspension du casier judiciaire, et la grande majorité des demandes que j’ai traitées ont été acceptées, car la personne qui avait jadis commis un crime a été en mesure de faire la démonstration de son cheminement, de ses réflexions sur ses gestes passés et sur les répercussions de ses gestes sur les victimes ou la société en général. En somme, cette personne avait pu prouver sa responsabilisation et son autonomisation à l’égard de gestes qui avaient été commis, tout en se projetant dans l’avenir pour assurer la durabilité de sa réintégration sociale.

Pourquoi le Canada cesserait-il de privilégier un système qui fonctionne adéquatement? N’y a-t-il pas lieu d’améliorer le processus actuellement en place pour faciliter l’accès à la suspension du casier judiciaire, et ce, à des coûts raisonnables?

En terminant, je ne peux pas passer sous silence le manque de considération de ce projet de loi pour les victimes d’actes criminels. Ces victimes sont souvent marquées à vie par le geste dont elles ont fait l’objet; ces douleurs, ces détresses, ces impacts psychologiques ou physiques ne viennent pas à échéance deux ou cinq ans après la fin de la peine de celui ou celle qui les a infligés. Ils sont souvent présents pour la vie et font des victimes collatérales. Les victimes doivent absolument être au cœur du système de justice pénale, du processus de libération conditionnelle et, dans le présent cas, du processus de suspension des casiers judiciaires.

Ce projet de loi est, à mon avis, une occasion ratée de bien faire les choses et de considérer ces femmes et ces hommes comme les victimes au premier plan et comme des acteurs de responsabilisation et d’autonomisation.

Je vous remercie de prendre en considération ces quelques réflexions.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Blackburn. Madame Wildeman, la parole est à vous. Allez-y.

Sheila Wildeman, professeure agrégée, École de droit Schulich, à titre personnel : Merci. Je viens de la Nouvelle-Écosse, du Mi’kma’ki, le territoire ancien et non cédé des Micmacs. C’est la première fois que je comparais devant un comité sénatorial. Je vous suis reconnaissante de m’avoir invitée à témoigner, même si je n’ai reçu qu’un préavis de 24 heures. Je m’excuse donc si ma présentation de ce soir comporte des lacunes. Je pense que je vais introduire des preuves et des arguments qui seront certainement présentés par d’autres témoins en cours de route.

Je suis professeure de droit à l’Université Dalhousie, et je présume qu’on m’a invitée en raison des travaux que j’ai effectués dans les domaines du droit administratif, du droit des personnes handicapées et du droit pénitentiaire, ainsi que de mon rôle de coprésidente d’une organisation communautaire appelée East Coast Prison Justice Society. Il s’agit d’un collectif de personnes et d’organisations qui travaillent au service et à la défense des intérêts des détenus. Nous travaillons sur des questions liées aux droits fondamentaux de la personne, notamment par l’entremise d’une ligne téléphonique que nous avons établie avec les prisons provinciales et qui nous permet de recueillir des rapports et d’interagir avec les détenus de ces prisons. Nous recevons donc des rapports sur les conditions de détention. Dans une semaine environ, nous allons publier un rapport annuel sur ces travaux.

Une grande partie du travail que j’effectue avec la East Coast Prison Justice Society et des recherches que je mène portent sur les obstacles et les formes d’exclusion auxquelles les détenus sont confrontés lorsqu’ils sortent de prison et de pénitenciers fédéraux, et sur le type d’enjeux complexes qui reflètent des formes d’oppression intersectionnelles et des types d’oppression intersectionnelle qui, nous le savons bien, touchent la grande majorité des personnes qui se trouvent dans nos prisons et nos pénitenciers.

Je souhaite attirer votre attention sur trois points clés dans le cadre de votre réflexion sur les mérites de ce projet de loi. Le premier est l’importance de mettre l’égalité réelle intersectionnelle au centre de nos préoccupations. Je vais essayer de développer ce point plus loin dans mes remarques, mais je veux dire que nous devons nous concentrer sur les droits de la personne, la primauté du droit et les obligations de l’État de remédier aux types de préjudices systématiques profonds subis par la majorité des personnes qui se trouvent dans les prisons et les pénitenciers. Je fais référence, en partie, au grand nombre d’Autochtones qui se trouvent dans les prisons et les pénitenciers du Canada. Dans certaines provinces, ils représentent la grande majorité des personnes qui se trouvent dans les prisons provinciales, mais on y trouve tout un éventail d’expériences et d’identités marginalisées.

Mon premier point est donc la nécessité de nous concentrer sur l’égalité réelle intersectionnelle.

Mon deuxième point porte sur les risques. J’ai hâte de discuter de certains des bons points qui ont été soulevés et de poser quelques-unes de mes questions. Il faut être très prudent quand il s’agit de répondre aux préoccupations concernant les risques et veiller à ce que cela repose sur la primauté du droit, et à ce que l’élaboration des politiques et des lois repose sur des données probantes. Il faut être prudent en mettant à la disposition d’une foule de gens qui ont accès aux casiers judiciaires — employeurs, propriétaires, etc. — des renseignements qui vont servir à guider leurs choix et qui seront basés sur leurs préoccupations liées aux risques et non sur des faits et des données probantes.

Mon deuxième point concerne donc les risques.

Mon troisième point est que le projet de loi ne va sans doute pas assez loin. Je vous demande, en particulier, de penser à l’exigence voulant que le remboursement d’une amende imposée dans le cadre d’une peine soit une condition préalable à l’expiration du casier judiciaire. Je pense que c’est un autre obstacle que nous avons ici l’occasion de lever.

Il ne me reste plus beaucoup de temps, et je veux vous raconter une histoire à propos de mon père. Je l’ai appelé après avoir été invité à venir témoigner. Je voulais qu’il me rappelle l’histoire qu’il avait l’habitude de raconter au sujet d’un impair qu’il avait commis un été lorsque j’avais trois ans. Il avait commis cet impair en voulant défendre sa famille et affirmer sa rigueur face au respect des règles. C’est ce qui l’a amené à avoir des démêlés avec la justice. Les habitants de son quartier et ses amis l’ont appuyé et guidé dans les procédures pénales pendant la courte période qu’a duré l’affaire. Tout le monde a presque oublié ce qui s’était passé. À un moment donné, il a reçu un document disant que cela avait été effacé de son casier judiciaire. Je suis persuadée que si je suis en mesure de témoigner ici aujourd’hui, c’est dû à ce moment pivot quand mon père, en raison de sa position et des gens autour de lui qui l’ont guidé dans les procédures pénales, a pu faire lever la sanction ou les accusations criminelles, peu importe ce que c’était, qui pesaient contre lui. Je pense que c’est cette situation très concrète qui m’a permis d’être ici aujourd’hui. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie, madame Wildeman. Nous allons entamer la période des questions, et la sénatrice Pate, marraine du projet de loi, sera la première intervenante.

La sénatrice Pate : Madame Wildeman, vous avez dit que le projet de loi ne va pas assez loin. Vous avez écrit le livre Habeas Corpus Unbound, dans lequel vous dites que, sur le plan démographique, l’emprisonnement a un lien avec plusieurs indices de dépendance sociale. Vous avez parlé de l’identité autochtone et de la racialisation. Je sais que vous avez mené une foule de recherches sur le handicap lié à la santé mentale, la pauvreté, l’itinérance, le faible niveau de scolarité, et en particulier, les répercussions de cela sur les personnes qui s’identifient comme femmes.

Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet et nous faire part de vos recommandations, étant donné que vous en avez parlé dans votre déclaration? De plus, quels sont les services et les ressources qui existent actuellement pour aider les gens à faire effacer leur casier judiciaire?

Mme Wildeman : Oui, bien sûr. Je vous remercie.

Votre question comporte de nombreux éléments. Les formes croisées d’oppression qui caractérisent les gens qui se retrouvent dans le système de justice pénale, et en particulier ceux qui sont emprisonnés, ont été corroborées dans une grande variété de forums.

Je me base souvent sur les travaux de recherche de... Elle s’appelle Fiona, et son nom de famille commence par un K, mais je le prononce toujours très mal, parce qu’il est très long. C’est une Ontarienne qui a mené beaucoup de recherches sur les obstacles auxquels se heurtent les prisonniers qui veulent avoir accès à des soins de santé. Ses recherches, et les recherches du Bureau de l’enquêteur correctionnel, ont corroboré de manière détaillée le lien qui existe entre les taux de faibles revenus et les taux élevés de handicaps liés à la santé mentale. Dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé du fait que les Noirs et les Autochtones sont très surreprésentés dans les systèmes carcéraux provinciaux et fédéral. En Nouvelle-Écosse, en 2021-2022, les Autochtones représentaient 6 % de la population, mais 15 % des personnes en détention préventive avant procès, et 8 % des personnes condamnées. Au cours de la même année, les Néo-Écossais d’origine africaine représentaient 2 % de la population, mais 10 % des personnes en détention préventive avant procès, et 11 % des personnes condamnées. Pour ne pas perdre trop de temps ici sur les statistiques, etc., je serais heureuse de vous faire parvenir de l’information à ce sujet après la réunion si vous le souhaitez.

Je veux vous parler des amendes, de l’obligation de les avoir payées comme condition préalable à l’expiration, et du fait que cela ajoute un poids à la population que ce projet de loi vise à aider.

Dans un sens, le projet de loi tient compte des obstacles documentés par la Société John Howard. Je crois que vous allez peut-être entendre le témoignage de Mme Samantha McAleese, qui a rédigé une thèse sur ses travaux empiriques qui documentent les divers types d’obstacles auxquels se heurtent les gens qui demandent une suspension de leur casier judiciaire. Un de ces obstacles concerne la littératie et la capacité de naviguer dans ce qui est devenu un processus comportant de multiples étapes très complexes. Cela vient s’ajouter aux problèmes déjà existants que les gens qui vivent dans la pauvreté connaissent au quotidien.

Je donne un cours qui porte sur le droit et la pauvreté. Nous avons intitulé un volet du cours « Pauvreté : le fardeau administratif », dans le cadre duquel nous parlons aux étudiants de droit et d’aide sociale. Nous démontrons que les gens qui vivent dans la pauvreté doivent porter un fardeau administratif énorme pour satisfaire leurs besoins de subsistance. Cela veut dire documenter leur vie dans les moindres détails, tous les achats, tous les cadeaux, etc.

Je vois que ce projet de loi tient compte de ce fardeau administratif en automatisant l’expiration des casiers judiciaires. C’est un élément extrêmement important. Comme je l’ai mentionné, je ne vais pas vous parler des données probantes, mais Mme McAleese et d’autres ont documenté comment ces complexités ont tendance à s’ériger en obstacles.

Le paiement des amendes comme condition préalable...

Le président : Madame Wildeman, je dois vous arrêter ici. Nous avons de nombreux intervenants. La sénatrice Pate demandera sans doute une deuxième série de questions.

Mme Wildeman : Parfait. J’en parlerai plus tard, mais je vais simplement dire que l’obligation de payer les amendes sera un fardeau de plus pour les gens qui vivent dans la pauvreté.

Le président : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur Blackburn, et merci d’être avec nous cet après-midi. J’ai deux questions à vous poser.

La première concerne le nouveau processus qui se trouve dans le projet de loi. Vous avez très bien expliqué que le fardeau de la preuve, qui appartenait au criminel — qui était auparavant responsable de faire sa demande et de prouver qu’il est un bon citoyen — sera maintenant la responsabilité de la commission, qui devra déterminer si l’expiration du casier judiciaire pose problème ou non sur le plan de la sécurité publique.

En tant qu’ancien commissaire, croyez-vous qu’il est raisonnable de croire que la commission... Croyez-vous que la commission pourra réellement faire toutes les vérifications nécessaires en temps réel, notamment auprès des corps policiers, pour s’assurer que l’individu respecte tous les critères de la loi? Considérant la lourde charge de travail des commissaires, croyez-vous vraiment que la commission pourra disposer de toute l’information en temps réel pour prendre une bonne décision?

M. Blackburn : Je peux parler du temps où j’étais là. Hypothétiquement, si des ressources humaines et financières sont attitrées à cela et qu’il y a une excellente coordination avec les corps policiers, cela pourrait peut-être se faire. Dans le contexte que j’ai vécu, il y a un délai entre chacune des actions pour ce qui est d’obtenir l’information. À l’époque, le délinquant devait montrer lui-même les preuves de son cheminement. Une préanalyse était faite par l’équipe à Ottawa qui s’occupait des dossiers de pardon et de suspension du casier, donc il y avait un délai à ce moment-là. Ensuite, il y avait un autre délai attribué au commissaire. Ce ne sont pas tous les commissaires qui peuvent suspendre des casiers judiciaires, mais seulement certains commissaires qui ont reçu une formation particulière — après un certain temps — et qui ont œuvré dans des dossiers liés à la libération sous condition. Il y a un nombre limité de commissaires par bureau régional qui travaille sur ce type de dossier. Encore là, cela exige du temps.

À mon époque, on tentait, avec toutes les informations en main, de traiter environ 20 dossiers pendant une journée de sept heures et demie, ce qui était parfois un défi lourd et difficile. Il y a des dossiers très simples et très clairs. Il y en a d’autres, comme je le mentionnais d’entrée de jeu, pour lesquels une approche universelle ne fonctionne pas, parce qu’il y a plein de types de dossiers à examiner.

L’analyse des commissaires peut prendre un certain temps, à moins d’avoir une équipe qui prépare les dossiers pour les commissaires et leur remet une analyse préliminaire. En plus, il faut assurer une coordination entre les différents corps policiers. On sait très bien qu’ils ne fonctionnent pas nécessairement tous de la même façon. Je travaille avec des corps policiers en matière de santé mentale; ils ont une pénurie de main-d’œuvre, ils manquent d’effectifs. Pour certains corps policiers, il faudrait plus de temps pour obtenir cette information. De façon réaliste, ce pourrait être très difficile. Si je me fie au moment où j’étais là, je ne pense pas que ce serait réaliste.

Le sénateur Boisvenu : Mon autre question est la suivante : le projet de loi prévoit qu’il n’y a aucune possibilité de révoquer une demande ou de supprimer un dossier judiciaire si un délinquant récidive après la date d’expiration. Sachant que les individus qui pourraient récidiver après cette date ne seront pas considérés comme des récidivistes dans le système de justice, parce qu’ils ont obtenu un pardon et qu’ils ont un fichier vierge, est-ce que cela ne pourrait pas provoquer une augmentation du taux de récidive pour certains crimes? Je pense surtout aux prédateurs sexuels, pour lesquels le taux est déjà assez élevé.

M. Blackburn : Pour les crimes de nature sexuelle, les études l’ont démontré. D’ailleurs, tout récemment, le professeur Lussier, de l’Université Laval, a fait une méta-analyse qui a montré qu’actuellement, le taux de récidive pour les crimes sexuels se situe autour de 7 %. Oui, la récidive est là, oui, cela existe.

Évidemment, il y a des enjeux qui se posent de ce côté. Par le passé, la commission jouait un rôle plus limité en matière de responsabilité pour ce qui est de rendre une décision dans les dossiers. Nous étions en mesure d’obtenir de l’information de la part de la personne qui faisait une demande, car elle devait justifier ce qu’elle avait fait au cours des dernières années pour montrer qu’elle voulait se réhabiliter et qu’elle voulait vraiment réussir sa réintégration sociale sur une période continue. Si toute l’information liée au dossier n’est plus là, à mon avis, cela soulève des enjeux de sécurité publique. On le sait, certaines personnes ne réintègrent pas nécessairement le système de justice pénale, et elles peuvent commettre d’autres délits ou continuer de privilégier un mode de vie criminalisé.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous craignez le taux d’erreur? La commission ne pourra pas revoir tous les dossiers. Croyez-vous que le taux d’erreur sera élevé?

M. Blackburn : C’est possible. Il est plausible qu’il y ait des erreurs, évidemment. N’oublions pas que les dossiers prioritaires pour la commission sont la libération sous condition. Le travail principal est fait si la commission a le temps nécessaire pour étudier ces dossiers et bien les évaluer, si toute la mécanique est bien ficelée. Sinon, je vois difficilement comment la commission, avec 75 commissaires au Canada et des équipes relativement limitées dans les bureaux régionaux et à Ottawa, peut arriver à bien ficeler tout cela pour qu’on puisse étudier ces dossiers en temps réel, en fonction des intermédiaires qui ont un rôle à jouer dans le processus.

Le sénateur Dalphond : Merci à nos participants, et merci à ceux — et surtout à celle — qui ont accepté l’invitation au pied levé. Ma question s’adresse à M. Blackburn. Vous venez de mentionner qu’il y a 7 % de récidive, d’après des études de métadonnées en matière d’infractions de nature sexuelles. L’analyse est-elle plus fine et nous montre-t-elle que le taux de récidive est plus élévé parmi ceux qui ont demandé un pardon et l’ont obtenu, notamment en matière d’infractions de nature sexuelle? Est-ce comparable?

M. Blackburn : Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. La méta-analyse du professeur Lussier ne va pas aussi loin. C’était une étude portant sur les études menées au cours des 70 ou 80 dernières années au Canada sur 55 000 cas et qui visait à évaluer l’évolution du taux de récidive.

Le sénateur Dalphond : Ma question pourrait être formulée autrement. Selon votre expérience à la commission, avez-vous refusé des demandes après cinq ans où la personne avait fait l’objet d’une condamnation pour des infractions de nature sexuelle, parce que vous craigniez qu’il y ait une récidive? Le taux de 7 % de récidivisme existe. Est-ce que vous avez tenté d’identifier les récidivistes en étudiant les dossiers?

M. Blackburn : Oui. Je peux vous dire qu’il y en a qui ont été refusés. En une journée, nous traitons 20 dossiers. Il peut y avoir différents motifs de refus. Autrefois, on demandait de démontrer plus particulièrement la contribution positive de la personne à la société et on se questionnait sur les modes de vie qui sont plus associés à des comportements criminels; il fallait que les demandeurs justifient leur cheminement, qu’ils acceptent leur responsabilité pour les crimes commis. On évaluait aussi les mesures prises pour gérer les risques de récidive.

Dans le document qu’ils nous fournissaient lors de l’analyse, il pouvait arriver que, si certaines sections n’étaient pas remplies ou si elles étaient remplies incorrectement, cela soulevait des doutes pour les commissaires, qui pouvaient en arriver à prendre une décision négative dans le dossier. Il y a d’autres cas dont je me souviens, où certains essayaient d’obtenir la suspension de leur casier, mais où les comportements étaient, selon toute vraisemblance, délictuels, et à ce moment-là, il y avait un refus. Je ne dirais pas qu’il y avait un refus dans la majorité des dossiers, mais il y en avait un certain pourcentage sur 20 dossiers qui étaient étudiés pendant une journée.

Le sénateur Dalphond : Vous dites qu’il y a une mesure de protection qui mène à un refus. Vous avez dit plus tôt qu’il faudrait plutôt proposer des améliorations au système actuel. Quelles améliorations proposeriez-vous si vous étiez à notre place?

M. Blackburn : Je sais qu’un des éléments qui limite les personnes à faire une demande est la lourdeur administrative du processus. Ce n’est pas simple et pour plusieurs, cela exige un accompagnement par des ressources externes. Il faudrait un processus simplifié, plus clair, et il faudrait prendre en considération les antécédents des personnes, que ce soit leur niveau de scolarité ou les ressources qu’elles ont à leur disposition pour être en mesure de suivre les étapes du processus. Je fais référence aux ressources financières. Si la procédure coûte 600 $ ou plus et, dans certains cas, s’il faut fournir des empreintes digitales, ce n’est pas tout le monde qui a accès à cela.

Le sénateur Dalphond : Est-ce que vous souhaiteriez que ce soit gratuit?

M. Blackburn : Pas nécessairement gratuit, mais peut-être un montant symbolique. Le lien avec l’introduction, c’est toute la question de la responsabilisation et de l’autonomisation des personnes. Quand elles remplissaient le document, qu’elles avaient cheminé et qu’elles avaient réintégré socialement des activités non criminelles, elles étaient capables de faire une belle introspection et de mettre leur cheminement sur papier. Tout ce processus permettait de boucler la boucle du parcours passé, qui était dans la voie criminelle. Il y avait une plus-value à ce type de procédure quand le fardeau reposait sur la personne criminalisée.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Monsieur Blackburn, ma question s’adresse à vous.

Le projet de loi S-212 contient un système de repérage d’incidents lorsqu’un délinquant sexuel qui a été condamné dans le passé postule pour travailler ou faire du bénévolat auprès d’enfants ou d’autres gens vulnérables. Une vérification du casier judiciaire permettrait de détecter et de signaler les condamnations pour agressions sexuelles. Selon vous, est-ce suffisant pour les condamnations de ce genre? Et veuillez nous expliquer pourquoi.

[Français]

M. Blackburn : Il s’agit des dossiers les plus difficiles en lien avec les crimes sexuels, tout particulièrement ceux qui concernent des enfants. J’en ai étudié comme commissaire. Ils sont complexes et difficiles et même s’il y a eu une amélioration au cours des dernières décennies en matière de traitements et de programmes, ce sont des dossiers où il n’y a, somme toute, jamais rien de certain dans le processus de réinsertion ou de réintégration sociale.

À mon avis, plus il y a de mesures protectrices pour la société, plus on a un filet de sécurité solide pour s’assurer justement que monsieur et madame Tout-le-Monde et les enfants sont protégés. Dans ce type de cas en particulier, je pense qu’il en faut plus que moins sur le plan des mesures.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Pour aller un peu plus loin, comme le sénateur Dalphond vient de le dire, la sénatrice Pate, qui a présenté le projet de loi, nous a dit que le processus de demande pour faire suspendre un casier judiciaire est lourd et coûteux. Selon vous, est-il important de conserver un processus de demande? Vous venez de dire, je crois, que c’est le cas et que c’est un élément important. Pourriez-vous nous parler plus en détail, si possible, des problèmes que vous avez vus dans le système et des autres façons de l’améliorer? Vous en avez parlé un peu, mais j’aimerais savoir si, avec un peu plus de temps pour y réfléchir, vous avez autre chose à ajouter.

[Français]

M. Blackburn : De mon point de vue, comme je l’ai mentionné au sénateur, le processus de demande représente une étape supplémentaire pour la personne qui travaille à sa réintégration sociale. Il permet de faire une analyse de sa situation, de sa vie et d’où elle en est par rapport à ce qu’elle a fait par le passé. Comme je le disais d’entrée de jeu, la réintégration sociale est multidimensionnelle et s’échelonne souvent sur une très longue période. Une série de facteurs explique le fait qu’une personne décide de passer à l’acte et d’adopter des comportements criminels. Ce sont parfois des antécédents familiaux qui sont en cause, et ceux-ci prennent beaucoup de temps à traiter. Toutefois, les possibilités sont là.

J’ai vu des histoires de succès à la commission et des dossiers où les gens sont passés à travers le processus et les étapes de la libération sous condition. Ces personnes sont retournées dans la collectivité, ont suivi une formation professionnelle ou autre, occupent un emploi et sont capables de très bien fonctionner en société. Cette partie de leur vie, où elles ont commis des délits et des crimes, fait partie désormais de leur passé.

De mon point de vue, le processus de demande comporte un travail d’introspection et de mise en perspective sur ce qui s’est produit qui permet de fermer ce chapitre de la vie d’un individu tout en considérant les victimes. Je parle de la victime, de la société, du crime de façon générale, mais aussi des victimes qui ont subi des torts beaucoup plus grands. Dans certains cas, on voit même, pendant le processus, du travail effectué avec les victimes ou un rapprochement auprès des victimes en lien avec les crimes commis. À mon avis, cela doit continuer d’exister.

D’un point de vue financier, je trouve les coûts très élevés. Il faut comprendre que ce n’est pas tout le monde qui réussit le processus de libération sous condition et qui réintègre pleinement la société. Dans certains cas, les personnes n’auront pas les moyens de payer les frais associés à toute cette démarche. Cela créera des barrières dans certains contextes. Je crois que le processus de demande doit rester et que les frais entourant ce processus doivent prendre une forme symbolique.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je vous remercie pour tout le travail que vous faites dans ce domaine. Je vous en suis reconnaissante, et je vous remercie de vos précieux commentaires aujourd’hui.

La sénatrice Jaffer : Je remercie nos deux témoins d’être avec nous. Monsieur Blackburn, je vais commencer par vous. Ce que vous avez dit m’intéresse beaucoup. Vous êtes assurément d’accord avec l’idée que le temps d’attente est long. Comme vous avez travaillé à l’intérieur du système, pensez-vous que certaines personnes n’ont pas à passer par ce long processus, notamment celles qui ont commis des infractions sommaires ou des infractions qui pourraient être traitées comme le mentionne la sénatrice Pate? On aurait ainsi plus de temps pour s’occuper des affaires graves. Quelle est la solution? Le système actuel ne fonctionne pas, alors quelle est la solution pour remédier à cela?

[Français]

M. Blackburn : Vous posez une très bonne question. C’était un peu l’objet de mon commentaire, d’entrée de jeu, pour ce qui est de l’approche universelle. L’approche ne peut pas être la même pour tout le monde dans ce contexte.

La sénatrice Jaffer : Je suis d’accord avec vous. C’est pourquoi je vous pose la question.

M. Blackburn : Certains crimes sont mineurs. Par exemple, la simple possession de marijuana en 1980, alors que la personne n’y touchera plus jamais, est bien différente des cas où on parle de voies de fait ou d’un délit impliquant de la violence sexuelle. Pour les crimes que l’on considère comme moins graves, moins importants ou pour lesquels les dommages sont moins considérables pour la société ou pour la victime, cette période de cinq ans peut paraître très longue en ce moment.

Dans le contexte de crimes plus graves, je continue de dire qu’il faut une demande comportant un cheminement et une démonstration de ce qui a été fait pour obtenir ce privilège. En effet, c’est un privilège que de voir son casier judiciaire suspendu. Une approche que l’on pourrait appeler « à deux vitesses » plutôt qu’une approche universelle me semble beaucoup plus appropriée que de mettre tous les crimes, sauf ceux qui sont énumérés à l’annexe 1, dans le même bateau.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Pour revenir à ma question, j’ai déjà travaillé comme avocate criminaliste. Les affaires liées à la marijuana inondaient les tribunaux, et je suis certaine qu’il en était de même à la Commission des libérations conditionnelles. Comme ce n’est plus le cas, existe-t-il des affaires pour lesquelles la méthode proposée dans le projet de loi de la sénatrice Pate pourrait être utilisée?

[Français]

M. Blackburn : Possiblement pour certains crimes, comme vous l’avez mentionné, car il y en a beaucoup. Je ne vous cacherai pas que, parmi les demandes de pardon ou de suspension du casier que recevait la commission, plusieurs étaient liées à la possession de marijuana, pour laquelle l’approche était très restrictive et criminalisée. Pour ce type de criminalité, qui n’est plus applicable aujourd’hui parce que les règles ont changé, ce pourrait être un choix à considérer.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Monsieur Blackburn, comme vous êtes venu ici et avez beaucoup réfléchi à la question, si vous avez le temps, pourriez-vous faire parvenir de l’information au greffier pour nous dire à quel type de crime ou d’infraction le projet de loi de la sénatrice Pate pourrait s’appliquer?

Je ne connais pas tout le processus de la Commission des libérations conditionnelles. Vous avez dit évaluer si une personne avait un emploi. Je vous ai entendu dire cela. Ce que j’ai entendu dire, c’est qu’il est très difficile de trouver un emploi lorsqu’une personne a un casier judiciaire. Que fait-on pour remédier à ce problème? Cela devient un cercle vicieux. Pour se rendre au bout du processus de libération conditionnelle, il faut avoir un emploi, mais la personne ne peut trouver un emploi en raison de son casier judiciaire. Comment s’en sort-on?

[Français]

M. Blackburn : Cela s’inscrit peut-être, comme le commentaire précédent l’évoquait, dans une approche plus simple et une connaissance plus fine chez les personnes qui ont un casier judiciaire. Ce n’est pas tout le monde qui remplit une demande. Avant de comparaître, je regardais les chiffres sur les demandes de suspension. La majorité des demandes de suspension, à l’époque où j’étais à la commission, venaient de personnes qui avaient reçu des sentences à purger dans des prisons provinciales, donc de deux ans moins un jour. En général, c’était pour des crimes moins graves.

Il y a assurément une partie de l’information qui ne se rend peut-être pas aux personnes qui ont reçu des sentences à purger dans des prisons fédérales, car très peu font la demande. Dans certains cas, elles ont dépassé les délais imposés de 5 ou 10 ans. Une meilleure connaissance du programme et un programme plus simple amèneraient ces gens à demander la suspension de leur casier judiciaire. En ce moment, je crois que c’est l’enjeu principal.

Les demandes de suspension ne sont peut-être pas conformes aux normes optimales, comme elles pourraient l’être si les délinquants avaient une meilleure connaissance du programme ou si le processus était plus simple. Il faut considérer le fait que certains criminels ont peu d’éducation et n’ont pas nécessairement accès à de l’aide. Plusieurs organismes les aident dans la suspension d’un casier judiciaire. Toutefois, cela implique des frais. Or, ces personnes ne peuvent peut-être pas se le permettre. Un accompagnement pourrait peut-être même se faire pour certaines personnes, afin de les aider à obtenir une réponse favorable si tous les critères sont respectés.

La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur Blackburn. J’apprécie beaucoup votre travail.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Je remercie nos deux témoins d’être avec nous et de leur travail. Je vais poser mes questions et laisser le champ libre.

J’ai une question pour chacun de vous. Selon la compréhension que vous avez du projet de loi, s’il était adopté, y aurait-il des modifications apportées aux facteurs que la Commission des libérations conditionnelles doit prendre en compte avant d’autoriser l’expiration d’un casier judiciaire? Le projet de loi modifie-t-il cela d’une façon ou d’une autre?

Ma deuxième question s’adresse à Mme Wildeman. Vous avez parlé des risques et de l’élaboration des politiques basée sur les risques. C’est une question qui m’inquiète aussi. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’élaboration des politiques basée sur les risques, et j’ajouterais sur la peur, plutôt que sur des données probantes?

[Français]

Je remercie M. Blackburn. J’ai souvent représenté des clients dans les processus de demande de pardon. Ils ont purgé leur peine. Ils sont dans mon bureau parce qu’ils se sont responsabilisés et qu’ils veulent travailler. Ils ont purgé leur peine, ils ont travaillé sur eux-mêmes, ils vivent dans la communauté et ils veulent travailler pour appuyer et encourager leur famille. Souvent, le processus est tellement difficile qu’ils vont me dire : « Madame Clement, on est découragé, on va passer à autre chose. » Autre chose, je ne sais pas ce que c’est, mais je peux vous dire qu’il y a un découragement profond. Je ne sais pas quels sont vos commentaires à ce sujet.

[Traduction]

La première question s’adressait à vous deux. Ensuite, il y avait une question pour Mme Wildeman et une question pour M. Blackburn.

Le président : Pour simplifier les choses, monsieur Blackburn, pourriez-vous répondre aux deux questions en deux minutes, d’abord celle concernant les critères de la Commission des libérations conditionnelles, puis la deuxième concernant les obstacles? Puis, madame Wildeman, veuillez répondre à la première, la question concernant les critères de la Commission des libérations conditionnelles, et ensuite à celle sur les risques.

[Français]

M. Blackburn : Pour ce qui est des critères de la Commission des libérations conditionnelles, il y en a actuellement qui sont en place pour prendre la décision d’accorder ou non la suspension du casier. De mon point de vue, ces critères répondent à l’ensemble du dossier que nous avons quand vient le temps de siéger et de prendre la décision; cet ensemble d’information permet... Oui, il y a le document que la personne remplit, il y a les informations policières et il y a d’autres documents attachés à tout cela au besoin. Donc, actuellement, je suis d’avis qu’il y a des critères qui permettent de prendre des décisions éclairées et qui sont dans la mouvance du critère prépondérant de la loi, qui est la protection du public et la réintégration sociale.

Mon commentaire est le suivant : changer cette approche qui fonctionne, mais qui comporte des aspects qui font que c’est difficile pour la personne de naviguer à travers tout cela, d’entamer le processus et d’obtenir une suspension du casier judiciaire, comme vous l’avez mentionné dans votre deuxième question... Je pense que c’est cela qu’il faut modifier, la façon de travailler et de rendre le processus plus agile, plus flexible et plus accessible, plutôt que de modifier les critères qui sont actuellement en place et qui permettent aux commissaires de prendre des décisions éclairées, qui assurent autant la protection de la société que la réintégration de l’individu.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie, monsieur Blackburn.

Madame Wildeman, c’est à votre tour de répondre aux deux questions posées par la sénatrice Clement.

Mme Wildeman : Je vous remercie.

Au sujet des facteurs que la commission doit prendre en considération, je veux vous ramener à la mesure par défaut, soit la suspension automatique après une certaine période. D’une certaine manière, cela revient à dire qu’une fois la période écoulée, nous savons que la peine imposée était judiciairement proportionnée et qu’elle a atteint son objectif. C’est donc terminé.

Je pense qu’il est important d’être conscient de ces autres questions voulant qu’après cette période, pour une raison ou une autre — et nous pourrions en discuter — la commission continue de s’occuper de l’affaire. Je regarde le paragraphe 4(3), qui dit :

La Commission doit, sur demande, ordonner l’expiration du casier lorsqu’elle est convaincue qu’une telle ordonnance soutiendrait la réadaptation du demandeur en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société et ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Si la commission est convaincue pour ces motifs que l’expiration du casier judiciaire favoriserait la réadaptation, elle devrait l’ordonner. Il faut situer le tout en contexte.

Je regarde un document du ministre de la Sécurité publique, le cadre fédéral visant à réduire la récidive, qui fait suite à la Loi sur le cadre visant à réduire la récidive de 2021. On y reconnaît que le manque d’accès aux déterminants sociaux de la santé est lié aux déterminants sociaux de la criminalisation, et c’est ce que j’essayais de dire plus tôt en parlant de Fiona Kouyoumdjian et de ses recherches, qui sont fantastiques.

Ce document parle des gens qui sont emprisonnés et des problèmes auxquels ils se heurtent dans le cadre de leur réinsertion : l’accès au logement, à l’emploi et à d’autres éléments de base de la réinsertion sociale.

Dans ce document, on dit :

[...] environ 30 % des personnes libérées d’un établissement fédéral ou provincial feront face à l’itinérance dans les deux années suivant leur mise en liberté. [...] l’itinérance accroît le risque d’infraction criminelle, et la mise en liberté d’une personne n’ayant pas de logement stable et sûr mène à un risque de récidive accru.

Le président : Je dois vous interrompre ici, madame Wildeman.

Mme Wildeman : Je m’excuse. Ai-je parlé trop longtemps? Vous comprenez ce que je veux dire...

Le président : Assez bien, oui. Je vous remercie.

Le sénateur Klyne : Je remercie les témoins de leur déclaration liminaire et de leur participation active.

Ma question s’adresse à Mme Wildeman. Madame Wildeman, votre recherche est axée, dans une certaine mesure, sur l’exclusion sociale. Peu de choses vont pousser plus à l’exclusion qu’un casier judiciaire. Le fait d’avoir un casier peut retarder la réinsertion sociale, ou empêcher des gens d’y arriver, et diminuer les probabilités de participer à la vie citoyenne ou de trouver un emploi, un appartement ou un poste de bénévole.

Est-ce qu’autoriser l’expiration des casiers judiciaires réduirait certains problèmes d’exclusion sociale que connaissent des personnes qui tentent de se réintégrer dans la communauté et de reprendre leur vie en main?

Mme Wildeman : Certainement, et cela ne fait aucun doute. Nous nous appuyons sur des travaux menés aux États-Unis concernant l’adoption de mesures législatives sur l’expiration des casiers judiciaires, de même que dans d’autres pays qui ont adopté des mesures similaires.

Au sujet des risques, nous devons nous interroger sur le lien entre casier judiciaire et protection de la société contre les risques. Je ne vois pas le lien. Je vois un lien beaucoup plus profond à ce que vous venez de mentionner, soit l’existence d’un casier judiciaire et les obstacles de toutes sortes qui nuisent aux personnes, tout particulièrement dans les premières années qui suivent leur libération, mais aussi par la suite. Certains disent qu’un casier judiciaire équivaut à une condamnation à vie à la pauvreté, et cela nuit à la résilience économique non seulement de la personne, mais de toute sa famille. Des études ont mesuré le pourcentage de personnes à faible revenu après une libération, les niveaux élevés de chômage, le manque d’accès à l’éducation et au logement, et comme je l’ai dit, à un moment où tous reconnaissent que l’accès à ces éléments de base de la résilience et du succès est essentiel, tant pour éviter la recriminalisation et les récidives que pour contribuer positivement à la communauté.

Pour résumer, je ne vois pas de lien entre casier judiciaire et protection contre les risques. Nous avons des régimes comme le régime applicable aux délinquants dangereux et le régime des délinquants à contrôler. Ils ont des problèmes, mais ils sont judiciairement imposés en se basant sur des justifications, et non pas à partir d’un postulat général voulant que les gens qui ont un casier judiciaire présentent, en quelque sorte, des risques pour les employeurs, les propriétaires, etc. Je vous remercie d’avoir posé cette question.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à nos deux témoins. Quelque chose m’a frappée dans vos deux témoignages, monsieur Blackburn et professeure Wildeman, et c’est votre insistance sur la notion de l’autonomisation et de la responsabilisation à travers le processus de libération conditionnelle. J’aimerais commencer par poser une question à la professeure Wildeman.

Pouvez-vous revenir sur ce que vous nous avez expliqué comme cas d’espèce à partir de l’expérience de votre père? Ce qui m’a frappée dans ce que vous avez présenté, c’est qu’il y a une espèce de filet de soutien à la personne qui est aux prises avec des problèmes sur le plan de la justice. Je ne sais pas si on peut imaginer qu’on pourrait instaurer ce genre... Autrement dit, un certain nombre de personnes qui sont, par ailleurs, réhabilitées ne vont pas lire les informations qui circulent sur la façon de faire suspendre un casier.

Ils n’ont jamais, pour une raison ou pour une autre, affronté d’obstacles pour obtenir un travail. Tout à coup, ils apprennent qu’ils ne peuvent plus continuer leur contrat pour des emplois spécialisés... Je parle d’un cas concret, celui d’un sous-traitant qui travaille pour un ministère fédéral qui construit une prison provinciale. Est-ce qu’il n’y aurait pas quelque chose d’autre à mettre en place?

Vous avez parlé d’organismes communautaires, monsieur Blackburn, qui peuvent fournir de l’accompagnement. Peu importe le motif que l’on vise, que ce soit l’autonomisation ou le soutien à la personne qui veut se réhabiliter, est-ce qu’il n’y a pas quelque chose à intégrer dans ce régime à un moment donné? Ce n’est pas qu’une question d’argent. Même s’il n’y avait aucuns frais, cela ne veut pas dire qu’il aurait plus de gens qui feraient une demande. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose d’autre à prévoir? J’aimerais faire référence à la mise en place de l’aide juridique pour les gens qui, pour toutes sortes de raisons, n’exerçaient pas les recours qu’ils auraient pu exercer.

Ma question pour la professeure Wildeman est plus précise : que retenez-vous du cercle de soutien qui a accompagné votre père dans ses démêlés avec la justice?

[Traduction]

Mme Wildeman : Je vous remercie.

Le président : Vous disposez d’une minute et demie chacun, si possible. Madame Wildeman, allez-y d’abord.

Mme Wildeman : Vous avez raison. C’est une histoire qui raconte comment, pendant les premières étapes de sa vie, mon père a été en mesure de trouver ce que l’on pourrait appeler un cercle de soutiens naturels, c’est-à-dire des voisins qui l’entouraient, et d’être soutenu par eux.

Je veux faire très attention de revenir sur mon argument fondamental. Je ne vois pas l’intérêt de prolonger la durée de validité des casiers judiciaires au-delà de la période prévue par le projet de loi. Je considère que la suspension automatique est une utilisation efficace des ressources.

Il est tout à fait vrai qu’il existe des organismes comme l’organisme Elizabeth Fry qui, ici à Halifax, organisent des cliniques pour aider les gens à obtenir une suspension de leur casier judiciaire. Il y a d’autres organisations qui font cela, mais je ne peux m’empêcher de penser aux autres façons dont ces ressources pourraient être utilisées pour fournir un logement aux gens ou pour les aider à en trouver un. Nous investissons dans ce que j’appellerais un système bureaucratique kafkaïen. Ce que nous ne nous demandons pas, c’est la valeur que cela ajoute réellement. Ce que le système ajoute, c’est un mécanisme par lequel les propriétaires, les employeurs et d’autres personnes peuvent appliquer ce qui est effectivement des critères discriminatoires pour refuser aux gens l’accès aux types de soutien social et aux déterminants du bien-être personnel et communautaire dont ils ont besoin.

Je vais maintenant rediriger juste un peu la conversation. Je vous suis très reconnaissante de votre question au sujet des cercles de soutien, mais la question que je vous pose en retour est la suivante : un soutien pour quoi?

Le président : Merci, madame Wildeman.

[Français]

M. Blackburn : Il y a d’autres groupes qui ont des problèmes avec l’employabilité et les logements. Je pense aux personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Je travaille avec eux, j’ai fait de la recherche avec eux. Donc, oui, cette considération est importante. Le lien avec les organismes communautaires est une partie de la solution.

Je vais vous donner un exemple rapide. Quand j’étais dans les Forces armées canadiennes, on avait des problèmes de transition de la vie militaire à la vie civile. Nos militaires sortaient des forces, ils retournaient dans la vie civile et ils étaient complètement perdus. Ils avaient eu un certain mode de vie pendant 5, 10, 20 ou 25 ans. Qu’est-ce qui s’est passé? La problématique a été étudiée. On a pu identifier les besoins des militaires dans la réintégration à la vie civile. Des programmes ont été mis en place. On a fait la promotion active de ces programmes et on les a fait connaître. Dans l’entrevue de fin de carrière, le gestionnaire de cas en parlait. Plusieurs initiatives ont permis d’instaurer des programmes très efficaces pour faciliter la transition entre la vie militaire et la vie civile. Ces programmes fonctionnent. Aujourd’hui, on en voit les impacts positifs chez les militaires qui retournent dans la société pour travailler.

Je pense que oui, le développement d’un mécanisme faciliterait la connaissance du processus de suspension du casier; par contre, il faudrait rattacher ce mécanisme à des programmes communautaires et à des organismes communautaires qui œuvrent dans la réhabilitation sociale. Il y en a dans toutes les régions. Au Québec, il y a même une association qui s’occupe de cela. L’un des principaux enjeux, c’est qu’elle est sous-financée. Elle n’a pas d’argent et a de la difficulté à rejoindre sa clientèle. Ces gens se battent littéralement pour la survie de leur organisme.

L’investissement dans un programme communautaire et dans les organismes communautaires, à mon avis, c’est aussi une partie de la solution pour aider les gens qui essaient de se réintégrer socialement.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Blackburn. Je sais qu’il y a un certain nombre d’autres personnes qui ont des questions à poser. Je pense qu’il est tout à l’honneur de nos témoins d’avoir suscité la participation de tous les sénateurs cet après-midi. Toutefois, cette série de réunions est maintenant terminée.

Je tiens à remercier M. Blackburn de s’être déplacé pour participer à la réunion en personne et Mme Wildeman qui, malgré notre invitation de dernière minute, a assisté à la réunion afin de faire part de ses idées au comité.

Je rappelle aux membres du comité que nous nous réunirons de nouveau demain pour entendre d’autres témoignages au sujet du projet de loi qui nous occupe pendant la première heure de la réunion. Au cours de la deuxième heure, nous, les membres du comité, passerons du temps à délibérer sur la forme que prendra le rapport que nous sommes tenus de produire au sujet du projet de loi C-28. J’ai hâte de vous retrouver tous demain, en fin de matinée.

Le sénateur Dalphond a posé en douce une petite question — si je peux l’appeler ainsi — qui était en fait une suggestion qu’il adressait particulièrement à vous, madame Wildeman, à savoir si vous disposiez des études liées aux autres pays, auxquelles vous avez fait allusion. Si c’est le cas, et si vous pouviez les faire parvenir au comité, je crois que cet ajout à notre travail serait le bienvenu.

Je vous remercie encore une fois tous les deux d’avoir comparu devant nous aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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