LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 16 février 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, et pour examiner, afin d’en faire rapport, la question de l’intoxication volontaire, y compris l’intoxication extrême volontaire, dans le contexte du droit pénal, notamment en ce qui concerne l’article 33.1 du Code criminel.
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Nous allons commencer la réunion maintenant. J’aimerais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.
La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante de la division sénatoriale des Laurentides, au Québec.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, de Lorimier, au Québec.
La sénatrice Clement : Bernardette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Kim Pate. Je viens d’ici, c’est-à-dire le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.
Le président : Je suis Brett Cotter, président du comité et sénateur de la Saskatchewan. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.
Aujourd’hui, nous accueillons trois témoins par vidéoconférence. De la Société John Howard du Canada, nous entendrons Catherine Latimer, directrice générale. Nous accueillons également Samantha McAleese, professeure de recherche auxiliaire et instructrice, Département de sociologie de l’Université Carleton, à titre personnel. Enfin, de l’Association canadienne des libertés civiles, nous accueillons Laura Berger, avocate-conseil à l’interne.
Sénateurs, nous consacrerons environ une heure à cette discussion, puis nous aurons une discussion sur les mesures législatives sur l’intoxication extrême. Je rappelle aux témoins qu’elles disposent d’environ cinq minutes chacune pour faire une déclaration préliminaire. Nous aurons ensuite une ou plusieurs séries de questions des sénateurs.
Madame Latimer, je vous invite à faire votre déclaration préliminaire.
Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Je vous remercie, sénateur Cotter. Je suis très heureuse d’être ici ce matin et je vous suis reconnaissante de me donner l’occasion de vous faire part du point de vue de la Société John Howard du Canada sur le projet de loi S-212.
Comme vous le savez probablement déjà, la Société John Howard du Canada est un organisme de bienfaisance qui se voue à l’élaboration d’interventions efficaces, justes et humaines face aux causes et aux conséquences de la criminalité en favorisant la sécurité publique par la réinsertion sécuritaire des anciens détenus dans nos collectivités. Nous savons que les casiers judiciaires expirés représentent un obstacle pour les personnes qui mènent une vie exempte de crime.
Nous avons mené de nombreuses recherches sur ce sujet. Nous avons reçu des fonds de l’Association du Barreau canadien. Il y a quelques années, nous avons mené des consultations sur la sécurité publique, et nous avons de très bonnes idées sur la façon de régler ce problème. Nous sommes reconnaissants à la sénatrice Pate d’avoir proposé ce projet de loi, car il vise à réduire les actes discriminatoires en matière de logement, d’emploi et d’engagement dans l’expérience communautaire auxquels font face les personnes qui ont entièrement purgé leur peine pour leurs actes criminels et qui vivent ensuite comme des membres respectueux de la loi dans nos collectivités pendant de nombreuses années. Nous reconnaissons que la protection des personnes contre cette forme de discrimination devrait se faire par l’entremise d’une application de la loi sans frais élevés, sans processus de demande complexe et sans résultats arbitraires.
Nous souhaitons ardemment la mise en place d’un régime efficace pour la suspension des casiers judiciaires. Une fois que le casier judiciaire a été suspendu, gracié ou autre, la Loi canadienne sur les droits de la personne et les codes des droits de la personne de tout le pays offrent une protection contre la discrimination dans des domaines importants. Il ne fait aucun doute que ce sont les personnes démunies et marginalisées qui répondent souvent aux critères de suspension du casier judiciaire, mais qui n’ont pas les fonds ou le savoir-faire nécessaires pour présenter une demande, qui sont laissées pour compte dans ce processus. Nous espérons que la collaboration du Parlement au cadre fédéral de réduction de la récidive prévoira l’élimination de la discrimination inutile à l’encontre des personnes qui ont démontré leur engagement à vivre sans commettre d’acte criminel. Cette réforme législative soutiendrait également les stratégies en matière de justice pénale pour les Autochtones et les Noirs.
Depuis des décennies, la restriction de l’accès au casier judiciaire par des processus législatifs est appliquée de manière efficace dans le cadre du système de justice pour les jeunes au Canada. Nous pouvons donc nous appuyer sur ce précédent. Nous croyons que certains amendements au projet de loi S-212 pourraient répondre aux préoccupations liées à la gestion efficace des processus, des ressources et de la sécurité publique. J’aimerais donc proposer quatre amendements en ce sens.
Tout d’abord, la GRC, par l’entremise du Centre d’information de la police canadienne, aussi connue sous le nom de CIPC, devrait administrer le système des casiers judiciaires. Les directives prévues par la loi devraient énoncer clairement qui a accès aux casiers judiciaires et pendant combien de temps. Si une personne commet un autre crime avant l’expiration de la période sans perpétration de crime, le casier judiciaire reste accessible jusqu’à ce que la nouvelle peine ait été purgée et que la nouvelle période sans perpétration de crime ait été respectée. Il n’est pas nécessaire de faire appel à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Si la personne commet une nouvelle infraction, elle perd son admissibilité.
Deuxièmement, les services de police locaux ne devraient pas être autorisés à communiquer les casiers judiciaires à des fins autres que celles d’enquête, sauf si le crime a été enregistré auprès du CIPC. Une fois qu’il devient un dossier du CIPC, le casier peut être consulté pour des vérifications du casier judiciaire, des vérifications à des fins d’emploi, et ainsi de suite, s’il s’agit d’un casier judiciaire actif selon le CIPC.
Troisièmement, une fois la peine purgée et la période sans perpétration de crime respectée, le dossier est fermé et il est interdit à la police de communiquer tout renseignement sur le casier judiciaire, sauf à des fins d’enquête et d’administration de la justice.
Quatrièmement, si la personne commet un crime après la fin de la période sans perpétration de crime, le dossier est rouvert. Il ne peut être refermé qu’une fois la peine purgée et la période subséquente sans perpétration de crime respectée. Ce régime de gestion des dossiers proposé ne modifie pas le registre du secteur vulnérable.
En conclusion, la Société John Howard du Canada appuie l’orientation du projet de loi S-212. L’objectif premier de notre organisme est de libérer des obstacles que représente un casier judiciaire suspendu les personnes qui ont purgé leur peine et qui ont démontré leur volonté de réintégrer la société. Un système fondé sur la loi qui ferme les casiers judiciaires des personnes qui sont admissibles sans imposer un processus de demande coûteux et complexe représente une approche beaucoup plus équitable et efficace. Des dispositions pourraient être prises dans la loi pour garantir que l’accès au casier judiciaire à des fins d’enquête et de justice légitime puisse être préservé. Je vous remercie beaucoup.
Le président : Je vous remercie, madame Latimer. Madame McAleese, vous avez la parole.
Samantha McAleese, professeure de recherche auxiliaire et instructrice, Département de sociologie, Université Carleton, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui. Je tiens à remercier la sénatrice Pate de sa persévérance à présenter ces réformes indispensables à la Loi sur le casier judiciaire.
Je me joins à vous depuis le territoire non cédé de la nation algonquine, et j’exprime cette reconnaissance territoriale non pas comme une formalité passagère, mais comme une façon de prendre un temps d’arrêt pour réfléchir aux préjudices historiques et actuels infligés aux peuples et aux communautés autochtones par les diverses institutions et les divers processus qui composent le système de justice pénale au Canada.
Je tiens également à souligner que nous sommes au milieu du Mois de l’histoire des Noirs. Pendant que nous reconnaissons et célébrons l’excellence et les réalisations des Noirs, nous ne devons pas oublier que les Noirs dans les collectivités sont également touchés de façon disproportionnée et marquante par la surveillance, le maintien de l’ordre, les peines, l’incarcération et la criminalisation.
Maintenant, j’aimerais vous parler un peu de moi. J’ai récemment terminé mon doctorat en sociologie à l’Université Carleton, où j’ai reçu une médaille du Sénat pour mes recherches sur les conséquences collatérales des stratégies correctionnelles au Canada. Dans ma thèse, j’ai examiné comment les travailleurs de première ligne du secteur sans but lucratif s’efforcent, parfois avec difficulté, de soutenir les personnes qui ont un casier judiciaire dans leur collectivité. Cette recherche a été motivée par mes propres expériences de travail dans le secteur pendant une période où de nombreuses politiques punitives ont été adoptées par le gouvernement fédéral. Dans le cadre de ma thèse, je me penche sur une décennie de plaidoyers au sujet des casiers judiciaires, ce qui signifie que j’ai travaillé avec des organismes comme la Société John Howard du Canada, avec des professionnels du droit qui ont remporté des contestations constitutionnelles contre le régime de suspension des casiers judiciaires et, plus récemment, avec la Coalition Nouveau Départ, un groupe de plus de 85 organismes et particuliers de partout au Canada qui appuie la mise en œuvre d’un processus automatique de suspension des casiers judiciaires.
Je suis également ici à titre de membre du conseil d’administration de la Société Saint-Léonard du Canada, de coprésidente du Réseau communautaire de la justice pour adultes d’Ottawa, de professeure de recherche associée et d’instructrice contractuelle à l’Université Carleton, d’instructrice à temps partiel à l’Université Saint Mary’s et à titre de personne qui continue de militer pour une révision de la Loi sur le casier judiciaire.
Pendant le reste du temps qui m’est imparti, je souhaite apporter dans cet espace les paroles des personnes qui m’ont fait confiance, au fil des années, pour communiquer leurs expériences auprès des personnes qui ont le pouvoir de changer les choses.
Je vais d’abord vous parler de Sabrina.
Lorsque j’étais travailleuse de première ligne à la Société John Howard du Canada, Sabrina a été la première personne que j’ai aidée à obtenir une réhabilitation. Elle devait obtenir la suspension de son casier judiciaire pour pouvoir faire son stage pratique et terminer sa formation d’infirmière. Sabrina estime qu’elle a été chanceuse d’obtenir sa réhabilitation avant que des changements soient apportés à la Loi sur le casier judiciaire en 2012. En préparation d’un forum public en réaction à ces changements que j’avais planifié avec d’autres défenseurs des droits, universitaires et personnes ayant une expérience vécue, Sabrina a écrit ce qui suit:
Les erreurs du passé ne déterminent pas qui nous sommes. Nous ne vivons qu’une seule vie et nous faisons parfois des mauvais choix, mais nous ne devrions pas en payer le prix pour toujours. La vie est déjà assez difficile comme ça, et lorsque nous tentons d’améliorer notre sort, on devrait nous fournir du soutien plutôt que de nous mettre des bâtons dans les roues.
Les mots de Sabrina me touchent encore aujourd’hui, car ils reflètent la violence structurelle subie par les personnes qui ont un casier judiciaire. Le fardeau persistant d’un casier judiciaire s’ajoute au fardeau administratif du processus de demande de suspension du casier, qui empêche de nombreuses personnes d’améliorer leur sort.
Lorsque j’ai mené des entrevues avec d’autres travailleurs de première ligne, ils m’ont décrit en détail les impacts très réels du système actuel, en utilisant des mots et des expressions comme « décourageant », « une claque en pleine face », « déprimé », « désespoir », « démoralisant » et « retourner le couteau dans la plaie ». On a l’impression que les gens sont pris en otage par leur collectivité et qu’ils ne pourront jamais se libérer. Ils disent que c’est un cauchemar.
J’ai parlé à des travailleurs des services de logement qui n’arrivent pas à trouver un logement pour ces gens, à des travailleurs du secteur de l’emploi qui n’arrivent pas à leur trouver des emplois et à des conseillers en intervention d’urgence qui ont de plus en plus de mal à sortir les gens de leur état de détresse. Pour ces raisons et bien d’autres, j’appuie pleinement le processus automatique décrit dans le projet de loi et les possibilités qu’il offrira à un grand nombre de personnes qui tentent de se sortir d’une mauvaise situation.
Le régime actuel favorise la discrimination et l’exclusion, et le projet de loi offre une solution importante à cette triste réalité.
Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, madame McAleese.
Madame Berger, vous avez la parole.
[Français]
Mme Laura Berger, avocate-conseil à l’interne, Association canadienne des libertés civiles : Merci monsieur le président. Bonjour à tous.
Je m’appelle Laura Berger et je suis avocate au sein de l’Association canadienne des libertés civiles. Je suis heureuse de participer à ces discussions aujourd’hui. Je ferai la majorité de mes commentaires en anglais, mais je serai heureuse de répondre à vos questions dans les deux langues officielles.
L’Association canadienne des libertés civiles est l’un des membres fondateurs de la coalition « Nouveau départ », qui regroupe plus de 85 organismes partout au Canada, afin de promouvoir des réformes importantes de la Loi sur le casier judiciaire. La coalition inclut des organismes qui luttent contre la pauvreté, les troubles de santé mentale, l’itinérance et la violence basée sur le genre.
[Traduction]
Tous ces groupes ont pu constater par eux-mêmes que notre approche actuelle en matière de casiers judiciaires crée des obstacles injustes et inutiles pour les Canadiens avec lesquels ils travaillent.
Permettez-moi de dire que je crois réellement que l’examen du projet de loi S-212 représente une occasion en or pour votre comité. L’Association canadienne des libertés civiles, ou l’ACLC, croit que le fait de changer la façon dont le Canada administre les casiers judiciaires pourrait avoir un effet transformateur sur les personnes et les collectivités. La mise en place d’un système automatique d’expiration des casiers judiciaires permettrait de lutter immédiatement contre la discrimination systémique au sein du système judiciaire, du marché du travail, du marché du logement et au-delà.
Je pense que tous ceux qui abordent cette question peuvent s’entendre sur les valeurs fondamentales qui devraient sous-tendre notre système judiciaire. Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’une infraction, notre système s’efforce d’infliger des peines justes et appropriées. Ensuite, une fois que les personnes ont purgé leur peine, les objectifs principaux de la loi régissant les casiers judiciaires devraient être de favoriser la réinsertion efficace, la réhabilitation et la sécurité de la collectivité tout en luttant contre la discrimination systémique dans le système judiciaire.
Un examen rigoureux des données probantes en sciences sociales dégage quatre éléments importants qui, selon nous, devraient se trouver au cœur de toute modification de la Loi sur le casier judiciaire. Tout d’abord, il devrait s’agir d’un système automatisé. Comme vous l’avez entendu, le système fondé sur les demandes est complexe et inaccessible aux groupes de personnes les plus marginalisées. Deuxièmement, nous pensons qu’il faut mettre l’accent sur l’absence de nouvelles condamnations comme critère d’admissibilité. Toute personne qui a purgé sa peine et qui a respecté la période d’attente sans nouvelle condamnation devrait être admissible à une suspension du casier judiciaire. Ce n’est pas un critère parfait, mais nous craignons que d’autres considérations possibles, comme l’absence de contacts avec la police, ne fassent que renforcer la discrimination systémique et n’aient un impact disproportionné sur les personnes issues de collectivités déjà fortement surveillées et patrouillées par la police. Troisièmement, nous soutenons certainement la réduction des temps d’attente. Nous sommes favorables au raccourcissement des délais, et nous croyons également qu’il faut s’assurer que le non-paiement d’une amende ou le non-respect d’une autre partie administrative mineure de la peine ne remette pas le compteur à zéro pour la période d’attente.
Enfin, nous appuyons un régime législatif où toutes les catégories et tous les types de condamnations seraient admissibles à une suspension automatique du casier judiciaire. Les données probantes appuient l’inclusion de tous les types d’infractions dans un système automatique, car ces données ne laissent pas croire qu’une catégorie d’infractions ou une autre présente des risques plus élevés de récidive.
Je serais heureuse de fournir plus de détails sur chacun de ces points, mais j’ai pensé qu’il serait utile de donner un aperçu de la position adoptée par l’Association canadienne des libertés civiles. J’ai hâte de répondre aux questions du comité.
Le président : Je vous remercie, madame Berger. Nous allons maintenant passer aux questions.
La sénatrice Pate : Je remercie tous nos témoins d’être ici et d’avoir travaillé toute leur vie dans ce domaine.
Si vous avez d’autres renseignements que vous n’avez pas déjà communiqués au comité, je vous demanderais respectueusement de nous les faire parvenir le plus tôt possible, car ils nous seraient extrêmement utiles.
Ma première question s’adresse à Mme Latimer. Puisque vous avez travaillé comme avocate au ministère de la Justice et contribué à l’élaboration de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, j’aimerais beaucoup savoir si vous avez élaboré des dispositions législatives qui tiennent compte des recommandations que vous avez formulées. Si c’est possible, pourriez-vous nous parler plus en détail de ces dispositions et les fournir au comité?
Mme Latimer : Je le ferai avec plaisir, sénatrice Pate.
Selon moi, le plus grand changement qu’il faudrait apporter pour accroître l’efficacité du régime décrit dans votre projet de loi serait de retirer la commission de libération conditionnelle du processus. Une fois les critères satisfaits — et ils devraient être clairement établis —, il faudrait vérifier s’il y a une condamnation ultérieure. Dans le cadre du système de justice pour les jeunes, nous avons observé que les gestionnaires du CIPC administraient très efficacement le régime et l’accès, ce qui représente un élément essentiel, à mon avis. Ce sont les forces policières qui ont un accès important au CIPC qui déterminent habituellement qui a accès à un casier judiciaire.
Le véritable préjudice aux perspectives d’emploi, aux possibilités d’éducation des gens et à d’autres domaines est notamment causé par les vérifications de casier judiciaire administrées par la police. Je pense que la police est la bonne voie à suivre, c’est-à-dire les gestionnaires du CIPC à la GRC, plutôt que les autorités responsables des libérations conditionnelles qui ont l’habitude de travailler dans le cadre de l’administration d’une peine ou d’interférer avec une décision judiciaire pour la prérogative royale de clémence. Ce n’est pas la même chose. La responsabilité pénale de la personne a déjà été acquittée, et je pense qu’ils ne sont pas dans l’état d’esprit approprié pour faire ce travail efficacement.
La sénatrice Pate : À l’intention de mes collègues qui ne connaissent peut-être pas la manière dont la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents fonctionne, pourriez-vous expliquer comment vous procédez?
Mme Latimer : C’est un régime plus complexe, car nous tentons de protéger les droits à la vie privée des adolescents. La loi contient de nombreuses définitions sur les personnes qui ont accès aux casiers judiciaires. Il existe une multitude de dossiers, notamment ceux de la police, du tribunal, des services correctionnels et j’en passe. Le régime est plus complexe, mais il permet de contrôler l’accès. Il fait essentiellement la même chose que le vôtre.
Une fois la période sans crime terminée et la peine purgée, le casier judiciaire est essentiellement scellé dans le dossier du Centre d’information de la police canadienne, CIPC, et personne n’y a plus accès. Il ne peut être utilisé de manière préjudiciable pour le jeune. Si ce dernier commet une nouvelle infraction, le dossier sera rouvert. Il serait là pour les besoins du prononcé de la sentence ou pour toute autre fin jugée nécessaire en cas d’accusations subséquentes.
La sénatrice Pate : Personne ne s’étonnera que le projet de loi s’inspire de ce processus. Ce sont les avocats qui nous conseillaient qui nous ont recommandé de faire appel à la Commission des libérations conditionnelles. Je suis donc très intéressée d’entendre cela.
J’aimerais connaître l’opinion de Mme McAleese. Félicitations pour votre doctorat. Je ne vous ai pas vue depuis que vous l’avez obtenu. Je vous félicite également pour la médaille.
Mme McAleese : Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Que pense l’Association canadienne des libertés civiles de la proposition de Mme Latimer?
Mme McAleese : Oui. Je peux intervenir en premier. Je vous remercie de la question.
J’appuie la proposition de la Société John Howard du Canada.
Pendant mon exposé, j’ai brièvement parlé des répercussions du fardeau administratif sur les personnes qui ont un casier judiciaire. Tout ce que nous pouvons faire pour alléger ce fardeau et simplifier le processus sera le bienvenu, car les gens pourront reprendre le cours de leur vie après avoir purgé leur peine officielle.
Je vous rappelle que nous parlons de personnes qui ont purgé leur peine. Ainsi, tout changement dans le projet de loi qui aurait pour effet de réduire les irritants serait le bienvenu.
Le président : Vous pouvez répondre brièvement, maître Berger.
Mme Berger : Ce n’est pas une proposition que nous avons envisagée.
Selon nous, toutes les possibilités de discrétion dans le régime pourraient causer des problèmes aux gens. Nous préconisons un régime où le seuil prévu pour l’expiration du casier judiciaire est aussi automatique que possible.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : Je remercie les membres du groupe de témoins. C’est très intéressant.
Ma question s’adresse à Mme Latimer. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le système du CIPC auquel vous avez fait référence? Vous nous avez conseillé de ne pas faire intervenir la Commission des libérations conditionnelles, car elle a une tâche différente à accomplir et n’est pas en mesure de comprendre ce que nous tentons de faire ici. En outre, le processus est lourd, complexe et long. Vous proposez essentiellement de laisser la GRC surveiller la situation.
Pouvez-vous nous fournir plus d’explications?
Mme Latimer : Bien sûr.
Le sénateur Dalphond : Quel résultat cette mesure aurait-elle? Hier, j’étais perplexe. Je veux faire une distinction entre l’accès à un logement et à un emploi convenables, la discrimination et tout cela, et les demandes d’information et les enquêtes de la police.
Dans mon esprit, ce sont des domaines distincts. Je crains que cette mesure n’empêche la police de faire adéquatement son travail parce qu’elle n’a plus accès à certains renseignements.
Mme Latimer : Oui, c’est une préoccupation légitime.
Les dossiers du CIPC contiennent essentiellement des empreintes digitales et des renseignements justes sur l’activité criminelle. Ils peuvent aisément être mis à jour et surveillés en cas de condamnations criminelles subséquentes.
Des forces de police locales feront valoir que le dossier du CIPC ne contient pas toutes les condamnations.
Je considère que si les forces de police locales veulent pouvoir transmettre des casiers judiciaires pour d’autres motifs que les enquêtes ou le maintien de la paix, elles doivent les communiquer au CIPC pour qu’il les mette en banque.
Une fois qu’ils sont en banque, des règles strictes régissent l’identité des personnes qui y ont accès et la durée de cet accès. La GRC est fort compétente. Elle surveillera la situation. Si une autre condamnation est infligée, elle prolongera la période nécessaire sans perpétration de crime et la sentence. Elle indiquera au dossier quand il pourra être fermé après chaque occurrence.
Il ne me semble pas pertinent de demander à la Commission des libérations conditionnelles de vérifier si d’autres infractions ont été commises. Certains mettent du temps à s’extirper de leurs cycles de criminalité.
Le problème avec la Loi sur le casier judiciaire dans sa forme actuelle, c’est qu’elle porte préjudice aux personnes qui vivent une vie exempte de crime. Elles se sont reprises en main, mais ne peuvent se libérer du poids de leur casier judiciaire.
Pour ce qui est des personnes qui continuent de s’adonner au crime, on ne souhaite rien d’autre qu’une réaction juste, équitable et proportionnelle à l’activité criminelle. On ne veut pas nécessairement cacher des renseignements importants à la police ou au système de justice pénale.
Le régime législatif que vous pouvez instaurer pourrait protéger ces objectifs légitimes, tout en prévenant la divulgation de renseignements pouvant nuire aux futures occasions d’emploi, d’éducation ou de bénévolat et en permettant aux gens de se libérer du poids de leur casier judiciaire, de mener une vie exempte de crime et de contribuer à notre communauté.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup aux trois témoins de leur présence.
J’aurais aimé entendre un mot de la part de vous trois sur les victimes. Dans le débat que nous tenons ici, je pense qu’on oublie complètement les victimes qui sont derrière tous ces gens qui ont été condamnés.
Madame Latimer, vous savez que le projet de loi de la sénatrice Pate permettrait à des pédophiles récidivistes d’obtenir, après la période d’attente de cinq ans, une suspension de leur casier judiciaire. On sait que la pédophilie, cela ne se guérit pas; cela se contrôle.
Ne croyez-vous pas que le fait d’avoir des pédophiles qui ont récidivé à quelques reprises... Le casier judiciaire des pédophiles pourrait disparaître du radar des policiers, parce qu’il faut comprendre, comme je l’ai expliqué hier, que lorsqu’on obtient un pardon dans le régime actuel, comme dans le régime que propose la sénatrice Pate, les casiers judiciaires ne sont plus accessibles aux policiers patrouilleurs. Il faut faire appel à la GRC, qui autorisera l’accès aux dossiers. Si un crime est commis, l’approche de la sénatrice Pate viendrait éliminer toute forme de prévention dans le travail des policiers. C’est la première lacune.
Dans le cas de criminels comme les pédophiles, ne croyez-vous pas que le fait d’appliquer ce système de pardon automatique après une période de trois ou cinq ans fait en sorte que ce dossier disparaîtra du Centre d’information de la police canadienne, parce qu’il fera désormais partie des dossiers confidentiels de la Gendarmerie royale du Canada, ce qui mettra la vie des enfants en danger?
[Traduction]
Mme Latimer : Je pense que nous nous préoccupons tous de la sécurité des enfants et voulons qu’ils soient adéquatement protégés. À mon avis, il y a beaucoup de fausses informations sur les taux de récidive pour les crimes sexuels, mais je ne m’embarquerai pas là-dedans. Je pense qu’un témoin a indiqué hier que le taux de récidive serait de 7 %, qui est très faible. Pour sa part, Service correctionnel Canada, ou SCC, évalue ce taux à 23 % et souvent plus.
Je pense que pour des raisons de sécurité publique, les agents de police devraient à avoir aisément accès aux renseignements dans le cadre de leurs enquêtes. Ce qui me préoccupe, c’est qu’après qu’une personne se soit bien comportée pendant une longue période, la police puisse communiquer des renseignements pouvant nuire à son accès au logement, à son placement dans une résidence pour aînés ou à autre chose. Je prendrai votre exemple d’hier sur une personne qui se plaint qu’une automobile est continuellement stationnée à côté de...
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame Latimer, j’aimerais que l’on s’en tienne au travail des policiers. Je comprends que la situation du logement, comme l’a dit plus tôt le sénateur Dalphond, est problématique. J’aimerais parler du travail des policiers. Actuellement, les policiers ont accès au dossier de pardon si un crime a été commis. Je parle ici de prévention. Un policier qui fait de la patrouille et voit une automobile rôder autour d’une école primaire ou autour d’une garderie tentera de voir, au moyen de la plaque d’immatriculation, si un individu a un dossier criminel. Si l’individu a obtenu un pardon, l’information ne sera plus disponible pour le policier.
Je repose ma question : si c’est le cas dans le projet de loi de la sénatrice Pate, ne croyez-vous pas qu’on devrait exclure de cette mesure les agresseurs sexuels, les pédophiles qui ont récidivé à de multiples reprises?
[Traduction]
Mme Latimer : Je ne proposais pas de supprimer les casiers, mais de les conserver dans un département distinct du CIPC. À mon avis, la police locale et d’autres forces policières devraient généralement avoir accès aux casiers judiciaires. Ce qu’il faut prévenir, c’est la communication de renseignements aux gestionnaires d’immeubles et à d’autres entités. L’objectif devrait être de limiter l’accès à l’information, mais on peut avoir un régime législatif permettant à la police de continuer d’avoir accès aux renseignements dont elle a besoin pour offrir des services de prévention du crime efficaces.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Au Québec, il y a 24 corps policiers. Dans les provinces anglophones, il y a un corps policier : la Gendarmerie royale du Canada. Il faudrait s’assurer que l’information est disponible pour les policiers même si un délinquant a obtenu un pardon, au moins dans les cas de crimes graves contre les enfants, ne croyez-vous pas?
[Traduction]
Mme Latimer : Je pense que les autorités d’exécution de la loi devraient avoir accès aux renseignements pertinents aux fins d’enquête ou de justice, mais qu’elles ne devraient pouvoir les communiquer qu’à un nombre restreint d’entités.
Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos invitées et je les remercie de leurs allocutions d’ouverture. Ma première question s’adresse à Mme McAleese. Vous avez déclaré aux médias — et je paraphrase ici — que le Canada devrait adopter un modèle d’élimination automatique et gratuit des casiers judiciaires en vertu duquel ils expireraient si les personnes ont purgé leur peine et vivent dans la communauté depuis des années sans recevoir de nouvelles condamnations criminelles.
Vous avez fait valoir dans les médias que le pardon automatique et gratuit se révèle efficace dans le cas de pays comme le Royaume-Uni et de mécanismes comme le système de justice pour adolescents du Canada. Pendant la deuxième lecture du projet de loi, la sénatrice Pate a fait référence aux formes automatiques d’expiration du casier judiciaire qu’ont adoptée la France, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande. Madame McAleese, pouvez-vous brièvement énumérer des études, des données et des précédents d’autres pays sur l’efficacité et les inconvénients de l’expiration automatique des casiers judiciaires?
Mme McAleese : Je pourrais prendre note de vous envoyer ces informations. Il s’agit certainement de renseignements et de recherches cités dans ma dissertation au sujet de ce qui se fait dans d’autres pays. Je me ferai un plaisir de vous faire parvenir l’information dont je dispose à ce sujet.
Le sénateur Klyne : D’accord. Nous vous saurions gré de l’envoyer au greffier.
La prochaine question s’adresse à Me Berger et à l’Association canadienne des libertés civiles. Cette dernière a demandé au gouvernement fédéral d’instaurer un régime de suspension en vertu duquel le casier judiciaire d’une personne serait automatiquement scellé si elle a purgé sa peine et vit dans la communauté sans faire l’objet d’autres condamnations criminelles. Dans un communiqué que la coalition Nouveau départ a publié le 17 novembre 2021, l’Association canadienne des libertés civiles a fait valoir qu’un tel régime favorise la réinsertion et la participation au marché du travail, et améliore la sécurité au sein de la communauté.
L’annexe 1 de la Loi sur le casier judiciaire énumère une série d’infractions très graves, notamment des crimes sexuels contre des enfants et la traite de personnes. À votre avis, les casiers judiciaires des contrevenants qui ont purgé leur peine après avoir commis de telles infractions devraient-ils expirer quand même ou faudrait-il prévoir un autre processus en cas de crimes graves? Sur quelles recherches, données et considérations stratégiques fondez-vous votre opinion?
Mme Berger : Je vous remercie de ces questions. Lors des débats sur le sujet, on entend souvent proposer d’instaurer un régime à deux paliers dans le cadre duquel certaines infractions plus légères donneraient lieu à une suspension ou à une expiration automatique du casier judiciaire, alors qu’il faudrait présenter une demande pour d’autres infractions.
Permettez-moi d’expliquer brièvement pourquoi je considère qu’il faudrait qu’il y ait un seul régime automatique pour toutes les infractions.
Au Canada, au moment du prononcé de la sentence, c’est un régime individualisé qui s’applique afin de tenir compte de la culpabilité morale de l’accusé et des circonstances de l’infraction. Nous savons que les infractions qui figurent dans le Code criminel peuvent englober un large éventail de comportements. Voilà pourquoi les peines minimales obligatoires sont si problématiques et sont parfois mises de côté par les tribunaux, car la même infraction peut être commise dans une situation qui la rend relativement moins grave ou plus sérieuse, condamnable ou préjudiciable.
Lors du prononcé de la sentence, les juges déterminent la durée et la lourdeur de la peine en fonction de la personne. Une fois que cette personne a purgé sa peine, qu’elle a payé sa dette envers la société et qu’elle a vécu plusieurs années dans la communauté sans commettre d’actes criminels, nous ne considérons pas qu’il soit justifié de traiter les diverses infractions différemment, car le traitement individualisé s’est déjà appliqué au moment du prononcé de la peine.
Il est également intéressant de souligner que quand on examine les données en matière de science sociale, rien ne vient démontrer que le taux de récidive est plus élevé pour cette catégorie d’infractions ou d’autres genres d’infractions. De façon générale, il semble que le risque de récidive décroît au fil du temps. Autrement dit, la personne est moins susceptible de commettre une autre infraction criminelle grave. C’est vrai pour toutes les catégories. Nous avons parlé à des criminologues et examiné les données, et constaté qu’il est faux que les risques de récidive sont plus élevés pour toutes les infractions violentes, par exemple.
Nous savons que l’un des facteurs de protection les plus efficaces contre la récidive, c’est d’occuper un emploi, de trouver un logement stable et de bénéficier de contacts prosociaux au sein de la communauté. Le meilleur moyen de protéger la sécurité de la communauté consiste à éliminer l’obstacle qui constitue un casier judiciaire et à aider les gens à réintégrer la société, à trouver un moyen de subvenir à leurs besoins et à établir des liens. Les données montrent que c’est ainsi qu’on peut tenter de réduire la criminalité et la récidive.
Le président : Je vous remercie, maître Berger.
La sénatrice Batters : Mes questions s’adressent à l’Association canadienne des libertés civiles. Sachez d’abord que la semaine dernière, notre comité a entendu Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, qui a déclaré ce qui suit :
En ce qui concerne les infractions visées à l’annexe 1 comportant des crimes sexuels contre des enfants ou des crimes violents répétés, je pense que cinq ans, ce n’est pas nécessairement suffisant, surtout dans le cas de crimes contre des enfants ayant fait de multiples victimes. Souvent, nous n’en connaissons pas toute l’ampleur avant qu’un certain temps se soit écoulé et que nous apprenions qu’il y a eu d’autres victimes.
Comment réagiriez-vous à ces préoccupations?
Mme Berger : C’est probablement un point au sujet duquel notre organisation aurait une position ou un point de vue différents de ceux de M. Roebuck. En effet, nous considérons que c’est au moment du prononcé de la sentence qu’il convient d’agir, puisque le juge prend en compte l’ensemble de la situation de la personne concernée. Il examine la preuve déposée devant lui et les antécédents criminels de la personne. Si elle a fait plusieurs victimes ou eu un comportement très grave, elle recevra une peine beaucoup plus longue. C’est à ce moment qu’une approche individualisée s’applique et que le système de justice tente d’imposer des peines équitables et proportionnelles.
Je pense qu’il est également très important de réfléchir à l’objectif des casiers judiciaires, n’est-ce pas? La peine a pour rôle de punir et de dissuader. Quand une personne a purgé sa peine, quel est le rôle du casier judiciaire ou de sa vérification potentielle dans un contexte d’emploi, d’assurance, de logement ou de bénévolat? De fait, les gens s’en servent parce qu’ils pensent que c’est un outil qui permet d’atténuer le risque. Ils vérifient les antécédents des bénévoles ou des employés potentiels parce qu’ils pensent que cela leur permettra d’identifier les mauvais citoyens ou les gens qui ont peut-être un comportement violent ou prédateur. Malheureusement — ou heureusement —, les données montrent que les vérifications des casiers judiciaires aux fins d’emploi ou dans le cadre de procédures normalisées ne sont pas vraiment utiles, car ce ne sont pas de bons outils pour prédire qui pourrait causer des ennuis dans l’avenir.
Cela étant dit, je crois comprendre que le projet de loi ne ferait pas disparaître la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, qui continuera d’exister et qui constitue une sorte d’exception dans notre régime de pardon ou de suspension du casier judiciaire. Ces vérifications s’effectuent quand les gens postulent un emploi qui leur conférerait une position d’autorité ou de confiance auprès des jeunes. Par exemple, j’ai récemment fait l’objet d’une telle vérification parce que je travaille comme instructrice bénévole dans le cadre d’un programme de ski adapté les fins de semaine. C’est une situation dans le cadre de laquelle il conviendrait d’effectuer une vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables.
La sénatrice Batters : Vous avez indiqué que c’est au moment du prononcé de la sentence qu’il faudrait examiner ces facteurs. Comment s’assurer alors que les condamnations criminelles d’une personne soient vues si son casier judiciaire a été suspendu? Nous avons entendu dire hier que les procureurs de la Couronne devront peut-être effectuer des recherches sur Google pour voir ce qu’ils peuvent y trouver. Ne convenez-vous pas que lors de la détermination de la peine, il importe de veiller à ce que la sentence tienne compte du casier judiciaire, même s’il a été suspendu?
Mme Berger : Certainement, et je ferais la même distinction que celle que Mme Latimer a faite. Je pense qu’il est assurément possible d’établir un régime législatif dans le cadre duquel les casiers judiciaires sont accessibles pour les processus internes du système de justice. Les intervenants du système de justice comme les procureurs de la Couronne et les juges peuvent avoir accès aux casiers judiciaires et s’en servir pour prendre des décisions. Cela ne signifie pas nécessairement que les casiers judiciaires doivent également pouvoir faire l’objet d’une demande standard de vérification quand quelqu’un veut louer un logement ou obtenir un emploi de premier échelon. Je ne vois pas pourquoi, dans ce projet de loi ou cet effort de réforme, on ne pourrait pas faire cette distinction et permettre aux intervenants du système de justice comme les procureurs de la Couronne d’avoir accès aux casiers judiciaires. Je considère certainement qu’il convient d’examiner les casiers judiciaires au moment du prononcé de la sentence.
La sénatrice Clement : Je vous remercie toutes les trois d’être venues témoigner et je vous félicite pour vos carrières.
Madame McAleese, je vous remercie de votre allusion au Mois de l’histoire des Noirs. J’y suis sensible, en ma qualité de Canadienne et de Noire. Ce mois coïncide avec beaucoup de travail émotionnel, et je suis sensible à votre reconnaissance.
Madame Latimer, je vous remercie d’avoir exposé quatre étapes très pratiques. Je suis simplement fascinée par votre discussion sur le Centre d’information de la police canadienne, CIPC, pour le considérer comme gestionnaire. Hier, j’ai dû me colleter avec les témoins pour parvenir à comprendre pourquoi la demande de pardon était également considérée comme faisant partie de la peine.
[Français]
Ils n’ont pas purgé leur peine.
[Traduction]
Vous avez parlé de mentalité. Celle de la Commission des libérations conditionnelles n’est peut-être pas la bonne.
Vous avez fait une observation sur la protection contre la discrimination qu’accordent les commissions des droits de la personne. J’aimerais vous entendre en dire plus à ce sujet, parce que, d’après mon expérience personnelle de ces commissions, la loi est seulement aussi bonne que les ressources dont dispose la commission pour aider les personnes à aller au bout du processus. Pourriez-vous formuler des observations à ce sujet?
Madame McAleese, pourriez-vous faire une observation sur l’intersectionnalité, l’action croisée des facteurs de discrimination? J’ai souvent représenté des clients dans le processus de demande en ma qualité d’avocate de l’aide juridique. Mes clients, pour la plupart, étaient également des victimes. Je sais qu’il est beaucoup question de mettre le système de justice pénale au service des victimes. Eh bien, mes clients étaient tous eux-mêmes des victimes. Pourriez-vous formuler une observation à ce sujet et préciser comment le projet de loi y répond?
Mme Latimer : Il importe beaucoup de disposer d’un processus très équitable et impartial pour suspendre ou fermer le casier, quel que soit le choix du terme décrivant le résultat final de ce régime automatique. C’est que, en effet, ça déclenche — que ce soit entièrement efficace ou non ou qu’il y ait des conséquences pour les ressources — des mécanismes de protection des droits de la personne sous le régime de différents codes. L’accès aux mesures de protection des droits de la personne ne devrait pas dépendre de la capacité cognitive de la personne qui remplit un formulaire complexe de demande ni de sa possession des 680 $ ou quelque soit la somme — même 50 $ sont une sous-estimation très importante de ce qu’il en coûte réellement pour le faire.
J’estime qu’il est extrêmement important d’avoir un système équitable qui conduise à ces mesures de protection des droits de la personne.
La sénatrice Clement : Merci.
Mme McAleese : Merci de votre question et d’avoir fait de la place pour une discussion nuancée sur le binôme victime-délinquant.
En réponse, je parlerai de mon expérience de bénévole pour les cercles de soutien et de responsabilité, un programme faisant appel au bénévolat qui a cours dans des communautés du pays, pour soutenir les membres de la communauté ayant un casier judiciaire pour des infractions sexuelles. J’ai constaté, à cette époque, que les coupables avaient également été des victimes dans leur jeunesse. Ils vivaient avec le traumatisme de cette violence et des préjudices subis ainsi qu’avec les traumatismes et la violence infligés à la faveur de la punition.
C’est rarement aussi net que nous le voudrions et c’est ce qui rend les discussions difficiles, mais importantes. Voilà pourquoi j’estime que les discussions doivent s’éloigner des processus qui aggravent les torts — nous devons nous rappeler que punition signifie littéralement infliction d’une peine — et vise à créer un espace de guérison, ce à quoi le projet de loi S-212 contribue en partie, également.
Merci pour votre question.
Le président : Merci. Je me prévaux de la prérogative de la présidence de poser une question.
Nous avons entendu un certain nombre d’exposés et de sujets de préoccupation sur le projet de loi. Des idées et d’éventuelles solutions ont été lancées. Je tenais à remercier les trois témoins de leur apport à ce dialogue.
Partant des principes de base, je vous destine ma question à vous d’abord, madame McAleese. Vous avez rédigé un papier, il y a environ un an, dans lequel vous décriviez le processus des casiers judiciaires comme une deuxième punition. Cela m’amène à vous demander d’abord comment nous devrions nous représenter la nature du prononcé de la peine et les peines ainsi que la « préservation » des peines, parce que ce mécanisme même et l’accès aux peines à l’intérieur du système constituent, permettez-moi de le dire ainsi, des contraintes pour la liberté qui, d’une certaine manière, équivalent à une deuxième punition. Il semble que, sous certains rapports, notre société le tolère, mais comment devrions-nous y réfléchir ou réfléchir à la façon d’y mettre fin pour les besoins de la réinsertion, de la dissuasion et de notions analogues? Ça me semble faire partie de votre travail de doctorat, et je suis désireux de connaître votre point de vue à ce sujet.
Mme McAleese : Merci pour la question et merci de faire de la place à une discussion sur ce qui est souvent considéré comme une punition secondaire ou une double incrimination. Dans les publications universitaires, on l’assimile aux conséquences collatérales de la punition. Récemment, une recherche a précisément été consacrée aux conséquences de la criminalisation et des casiers judiciaires dans les familles. C’est souvent qualifié, dans les publications, de préjudice symbiotique, qui se répand autour de la personne possédant le casier judiciaire, pour atteindre les êtres les plus proches dans sa vie et les communautés où ils vivent.
Quand nous discutons des conséquences permanentes d’un casier judiciaire et de la honte que ce casier transporte, nous devons considérer les conséquences qui touchent plus que la personne dont il est question, le préjudice que ça continue d’exercer ainsi que les difficultés et la discrimination qui s’attachent aux gens.
Dans ce cas également, cette première punition infligée à quelqu’un au moment du prononcé de la peine est également l’infliction d’un préjudice. La peine est la peine, mais ce n’est pas souvent pris en considération. En 2017, l’Association canadienne du Barreau a publié un rapport dans lequel elle demandait aux professionnels du droit de prendre en considération les conséquences collatérales de la punition. Je ne suis pas trop certaine des échos que le rapport a suscités, mais je suis une partisane convaincue de la nécessité, pour les avocats, les magistrats et les agents qui interviennent au début du processus, dans le système, à prendre en considération ces formes persistantes et très courantes de punition à long terme qui continuent de frapper des personnes.
Le président : Merci.
Puis-je vous inviter, madame Latimer et maître Berger, à bien vouloir consacrer une minute à cette question, c’est-à-dire comment réfléchir à la dimension assimilable à une punition de la préservation des casiers judiciaires?
Mme Latimer : Bien sûr. Je me contenterai de seulement dire carrément que tant qu’il n’y aura pas de suspension, personne n’est à l’abri de la discrimination à l’emploi. On peut donc toujours s’en prendre, de façon discriminatoire, aux personnes qui n’ont jamais commis de crimes et dont l’apport à la société est positif. Tant que nous n’aurons pas un système de casiers judiciaires plus équitable et qui ménage les personnes marginalisées, notre système continuera d’être discriminatoire.
Le président : Merci. Et vous, maître Berger?
Mme Berger : Oui, je serais d’accord. C’est au moment de la détermination de la peine que notre société réfléchit à la punition, à la dissuasion et à la dénonciation de l’infraction. Que ce soit laissé à la discrétion du juge chargé d’imposer la peine de prolonger la punition au-delà du temps pendant lequel le prisonnier a purgé sa peine, ça me semble enfreindre les libertés et les droits fondamentaux inscrits dans notre système de justice. Quand quelqu’un a purgé sa peine, a remboursé sa dette à la société et qu’il refait sa vie, j’estime que nous devons plutôt nous focaliser sur la communauté et la sécurité du public. Les faits montrent qu’aider ces gens à trouver de l’emploi et à se réinsérer est ce qui favorise la sécurité collective.
Le président : Merci beaucoup.
Avant d’inviter la sénatrice Dupuis à intervenir, je tiens à préciser que nous trouverons un peu de temps pour un deuxième tour. Nous pouvons prolonger un peu la réunion. Quatre noms figurent sur ma liste, et je demande à ces sénateurs de bien vouloir limiter à deux minutes la durée de leurs interventions. La sénatrice Dupuis a droit aux cinq minutes prévues.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci aux trois témoins d’être ici ce matin. J’aimerais poursuivre à partir de la question du président. Ma question s’adresse aux trois témoins.
Avec la position élaborée par Mme Latimer, on fait bien ressortir la distinction entre l’étape de la sentence, l’accomplissement de la peine, et ainsi de suite.
Le fait même d’avoir la Loi sur le casier judiciaire, comme elle est rédigée à l’heure actuelle, ne représente-t-il pas une forme de discrimination systémique à l’endroit de toutes les personnes qui ont fini de purger leur peine? Non seulement ces personnes sont susceptibles de faire l’objet de discrimination en matière d’emploi et de logement, mais n’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie dans le fait qu’on établit une autre forme de discrimination plus sous-jacente au fait même d’exiger ce que l’on exige à l’heure actuelle conformément à la Loi sur le casier judiciaire?
[Traduction]
Mme Latimer : Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris la question, mais je dirai que la Loi sur le casier judiciaire fonctionne de façon absolument discriminatoire. J’ai participé à de nombreuses consultations — et je suis sûre que Mme McAleese en a fait autant — auxquelles les Autochtones disent ne pas s’inscrire. Ils mènent souvent des vies désorganisées. Ils ont un casier judiciaire dans différentes juridictions et ils ne peuvent pas le rassembler en un dossier unique et cohérent ou, encore, ils n’ont pas l’argent pour le faire. C’est donc un problème.
J’ai aussi fait partie d’un comité pour un prisonnier noir qui satisfaisait à tous les critères mais dont on a carrément rejeté la demande. Il existe une tendance — peut-être que Mme McAleese pourra le confirmer — qui est, si la personne a commis une infraction accompagnée de violence, de d’abord refuser la suspension du casier sous le prétexte très étrange que ça jetterait le discrédit sur l’administration de la justice.
Actuellement, le système fonctionne de manière extrêmement discriminatoire. Voici que se présente aux sénateurs l’occasion merveilleuse d’apporter des retouches au projet de loi et de contribuer à supprimer la discrimination active dans notre pays. J’espère vraiment qu’ils la saisiront.
Mme McAleese : Je me focaliserai sur une partie précise du processus actuel de demande qui facilite cette discrimination, particulièrement aux dépens de personnes qui, peut-être, n’ont pas accès aux ressources qui leur permettraient de remplir cette demande. Il s’agit du formulaire « Bénéfice mesurable », plus précisément le genre de dissertation exigée du demandeur, qui doit se rappeler les événements concomitants de l’infraction ou des infractions et qu’il revive toute la situation. Ces événements sont traumatisants pour certains : personnes qui ont un casier judiciaire pour violence familiale; personnes souffrant de maladie mentale; toxicomanes. On leur demande de revivre là une grande partie du traumatisme. C’est souvent un motif d’abandon de la demande, pour éviter de le revivre.
[Français]
Mme Berger : Oui, absolument. J’ajouterais tout simplement que le casier judiciaire ouvre la porte à une discrimination exercée par des individus ou des organismes qui ont peut-être de bonnes intentions, mais qui ne comprennent pas comment notre système de justice fonctionne. Lorsqu’ils reçoivent un document des services policiers qui indique que la personne a un casier judiciaire, ils croient que cela veut dire que la personne n’est pas fiable ou qu’elle est violente, et que les policiers donnent cette information parce que c’est important. La discrimination est exercée par des employeurs ou des organismes qui ont de bonnes intentions, mais qui ne comprennent pas notre système de justice ni à quel point il est important de permettre à des individus qui ont un casier judiciaire de se réintégrer.
[Traduction]
Le président : Merci, madame Berger.
Entamons maintenant le deuxième tour.
La sénatrice Pate : Merci encore à vous toutes pour vos témoignages et pour l’étendue ainsi que la profondeur de vos connaissances.
Madame Latimer, je reviens à la charge, en raison de l’un des problèmes soulevés par l’ancien ministre Goodale, de la Sécurité publique, à sa comparution sur un projet de loi antérieur — nous avions alors discuté de cette sorte de processus automatique. Il avait mis en relief les difficultés d’harmoniser les façons de faire des territoires, des provinces et des services fédéraux.
Récemment, on a appris que M. Mendocino, l’actuel ministre de la Sécurité publique, aurait dit qu’il était à la recherche d’un processus plus automatisé. Quelle a été votre stratégie contre les incompatibilités entre les trois systèmes pendant la rédaction des dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents?
Mme Latimer : Merci pour la question. Nous avons eu de nombreuses et longues discussions avec des gardiens de casiers judiciaires dans les provinces, avec la police, des administrateurs de tribunaux, etc. Nous avons aplani les difficultés et trouvé une solution efficace. Franchement, personne, vraiment, ne s’est plaint du système de gestion des dossiers sous le régime de cette loi qui est en vigueur depuis maintenant 20 ans. Le ministre et d’autres pourraient examiner ce précédent peut-être correct pour obtenir l’accord des provinces. Ce devrait être assez facile. À bien des égards, ça protège les polices locales contre les erreurs de non-communication de l’information. Ça clarifie les règles, ce qui n’est pas de refus pour elles.
À bien des égards, ça protège les polices locales contre les erreurs de non-communication de l’information. Ça clarifie les règles, ce qui n’est pas de refus pour elles.
Le sénateur Klyne : Madame Berger, dans votre réponse à ma question, vous avez abordé la réinsertion, dont on offre souvent des programmes aux détenus pour se préparer à leur retour dans la société après leur libération. Avez-vous des observations à faire sur l’éventuelle efficacité de ces programmes? Leur en offre-t-on même de bons et s’y mettent-ils?
Mme Berger : Excellente question! Ça dépend souvent de l’établissement. L’accès aux programmes est toujours difficile, particulièrement pour des détenus dont la peine est courte, parce qu’il faut se rappeler que, dans les établissements provinciaux et territoriaux, incroyablement bondés, les détenus purgent de courtes peines pour des infractions moins graves, ils peuvent ne pas avoir accès aux programmes, ce qui fait que le système les recrache. C’est une partie du problème.
Mais, d’après les organismes qui s’occupent de ce travail incroyablement important, après la libération, c’est le casier judiciaire qui constitue un obstacle majeur, comme l’ont répété à maintes reprises les fournisseurs de services avec qui Mme McAleese a travaillé.
Le sénateur Klyne : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à Mme Latimer.
Conformément à la loi actuelle, si un délinquant récidive après la période de suspension, la suspension est annulée et lorsqu’il se présentera devant la cour, son acte criminel sera considéré comme une récidive s’il appartient à la catégorie des premiers crimes.
Le projet de loi de la sénatrice Pate ferait en sorte que même si un crime est commis après la suspension, le casier judiciaire serait toujours suspendu. Si un criminel se présente devant la cour pour un crime qu’il a commis, la cour ne le considérera pas comme un récidiviste. Il n’y aura pas de facteurs aggravants.
Êtes-vous d’accord sur ce principe?
[Traduction]
Mme Latimer : Comme je l’ai dit, il existe des motifs légitimes pour la justice pénale et les enquêteurs de rendre consultables les casiers judiciaires ou les dossiers des peines. Si j’ai bien compris, une récidive permet de nouveau de consulter le casier. Il ne devrait donc pas être difficile, au moment du prononcé de la peine, d’obtenir un aperçu de tout le casier criminel du délinquant pour s’assurer que la peine sera proportionnée au degré de responsabilité qu’il aura démontré.
Le président : Merci.
La sénatrice Batters : Madame Latimer, je conteste votre affirmation selon laquelle très peu de Canadiens se sont inscrits en faux contre les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. J’ai souvent entendu dire que c’était une pomme de discorde.
Je pose ma dernière question à Me Berger. On a déjà fait remarquer que le processus de demande de suspension du casier est lourd et coûteux. Pourtant, hier, un ancien membre de la Commission des libérations conditionnelles est venu nous dire que le processus de demande avait du bon. Le sénateur Dalphond a également lancé l’idée, dans la réunion d’hier, que, peut-être, il faudrait demander la suspension du casier dans les cas suffisamment graves pour être qualifiés d’actes criminels.
Si la demande de suspension de dossier était simplifiée et que les coûts étaient soit réduits, soit supprimés, seriez-vous d’accord pour dire qu’il y a du bon dans un processus de vérification ou une demande concernant les condamnations les plus graves au criminel?
Mme Berger : Non. Comme nous l’avons indiqué, nous estimons logique d’avoir un système automatisé pour toutes les condamnations, une fois, bien sûr, que la peine a été purgée et que l’individu trouvé coupable d’une infraction criminelle a vécu cinq ans dans la collectivité sans commettre de crime.
Je rappelle que les infractions les plus graves sont assorties de peines à perpétuité ou d’une durée indéterminée souvent très longue. En présumant qu’un individu a purgé la totalité de sa peine et vécu sans commettre de crime au sein de la collectivité, nous ne voyons pas la nécessité qu’il fasse une demande étant donné que, lorsqu’utilisé aux fins d’un logement, d’un emploi ou d’une police d’assurance, par exemple, le casier judiciaire n’est pas un outil permettant de garantir la sécurité à venir au sein de la collectivité.
Le président : Merci, madame Berger. Le moment est venu pour moi de remercier nos trois témoins pour leurs réponses très éclairantes ainsi que mes collègues sénateurs pour leurs questions mûrement réfléchies. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir bien voulu nous consacrer du temps pour nous faire bénéficier de vos points de vue concernant cet important projet de loi.
Sur ce, nous allons reprendre nos échanges au sujet du projet de loi C-28.
Nous allons maintenant discuter de la forme que prendra le rapport que nous allons produire concernant le projet de loi C-28. Vous vous souviendrez que c’est un processus quelque peu inhabituel étant donné que ce projet de loi a été adopté par les deux chambres du Parlement et que les nouvelles dispositions législatives qu’il renferme sont d’ores et déjà en vigueur. Nous effectuons en quelque sorte un examen rétrospectif. Disons simplement que l’autre chambre a terminé son travail et que nous pouvons maintenant nous employer à conclure le nôtre.
D’abord et avant tout, je voudrais que nous déterminions si cela vous convient de poursuivre la discussion en séance publique ou si vous préféreriez que nous passions à huis clos. Je ne suis pas au fait de l’historique et de la culture du comité en la matière, mais je sais que nous optons généralement pour les délibérations publiques. La sénatrice Batters vient d’ailleurs tout juste de me rappeler que la première partie de cet échange a eu lieu en séance publique et qu’on semble vouloir continuer dans la même veine, à moins bien sûr que quelqu’un s’y oppose ou ait une préoccupation à nous soumettre à cet égard.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : C’est une loi très importante qui a été adoptée. Il faut montrer le plus de transparence possible. Je préférerais rester en séance publique.
La sénatrice Dupuis : Je n’ai pas d’objection à ce qu’on le fasse en séance publique. J’observe, par ailleurs, que selon ce que l’on présente comme les pratiques du Sénat, cela varie. On a considéré que, pendant un certain temps, on faisait les choses en public, mais parfois, les choses se faisaient en privé. J’apprécie beaucoup qu’on ait l’occasion de se prononcer chaque fois sur notre volonté de faire les choses en public ou non.
[Traduction]
Le président : Merci pour ces observations. Nous pouvons donc entreprendre notre discussion. Vous devriez avoir reçu un plan général préparé par l’équipe de soutien du comité. Je pense que c’est un document de deux pages. J’inviterais notre analyste à nous le présenter brièvement pour que nous puissions ensuite en débattre. Nous aurons ainsi une idée de la forme que pourrait prendre notre rapport, question de guider notre réflexion.
Julian Walker, analyste, Services d’information et de recherches parlementaires, Bibliothèque du Parlement : Bonjour à tous. Je vais prendre une minute pour vous présenter le document que vous avez reçu. Vu le délai fixé dans l’ordre de renvoi initial, nous savions que nous n’avions pas le temps de rédiger une ébauche à proprement parler. Nous voulions tout de même vous soumettre un document bilingue pour vous donner un aperçu des sujets qui ont été abordés.
La pratique habituelle pour les rapports de comité consiste à présenter un résumé des témoignages entendus, suivi d’observations et de recommandations. Nous n’avons pas pour l’instant reçu de directives en ce sens, mais nous avons souhaité vous remettre ce document exposant les grands thèmes que nous avons cernés. Il va de soi que certains sujets plus secondaires ne figurent pas dans ce condensé, mais celui-ci pourra vous servir d’aide-mémoire et de modèle possible pour la structure du rapport que nous pourrions rédiger. Je tiens toutefois à vous rappeler que nous n’avons toujours pas reçu d’instructions de votre part. Nous veillons pour l’instant à nous préparer pour pouvoir nous mettre au travail dès que nous saurons à quoi nous en tenir quant au contenu souhaité.
Le président : La parole est à vous pour vos commentaires et vos réflexions. J’en ai moi-même quelques-unes, mais je vous invite à partir le bal.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Le seul commentaire que je veux faire, je l’ai fait lors de nos séances de travail : c’est la période après laquelle le projet de loi sera réévalué par les parlementaires. Je trouve que trois ans, c’est trop. On le voit avec le projet de loi C-5 : à l’origine, on devait renvoyer les agresseurs sexuels purger leur peine chez eux seulement dans quelques exceptions.
On le voit au Québec : il y a une douzaine d’individus qui ont commis ce type de crime et qui sont retournés à la maison. Ce qui m’inquiète, comme l’a dit le Dr Chamberland, c’est qu’il risque d’y avoir beaucoup de cas. Il faut qu’il y ait un système de suivi en temps réel du nombre de délinquants qui vont se prévaloir de ce nouvel article, pour déterminer si on dépasse largement les cas que l’on avait historiquement ou si le nombre de cas va se maintenir à peu près au même niveau.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Je ne suis pas membre de ce comité, mais j’ai assisté à certains des témoignages. Disons d’abord que j’estime que les préoccupations exprimées par les représentants de la société civile, et notamment par Elizabeth Sheehy et Kerri Froc, ont été corroborées et même exacerbées par l’affaire Perignon en Colombie-Britannique. Le comité devrait donc examiner de près ces préoccupations.
Par ailleurs, Steve Coughlan a soulevé quelques considérations très importantes lorsqu’il a témoigné devant le comité il y a deux semaines. Il a ainsi notamment recommandé l’ajout d’une nouvelle disposition au Code criminel de telle sorte que le fait de commettre un crime grave — et il a cité ceux visés par les articles 271, 272 et 273 — dans un état d’intoxication extrême volontaire soit considéré en soi comme une infraction criminelle. J’y vois une façon intéressante de répondre aux préoccupations exprimées par la société civile. À mes yeux, les suggestions de M. Coughlan étaient mûrement réfléchies et tout à fait sensées. Cette approche différente nous offre une piste de solution que je juge intéressante. Je vous soumets par conséquent qu’il faudrait se pencher sérieusement sur les recommandations formulées par ce témoin, et ce, dans les plus brefs délais.
Je conviens avec le sénateur Boisvenu que l’on ne peut pas se permettre d’attendre trois ans dans un contexte semblable. Il faut poser des gestes concrets parce que la situation est vraiment critique. S’il existe un moyen d’accélérer la prise en compte des suggestions de M. Coughlan, on devrait s’en prévaloir.
Le président : Il y a peut-être une information que je devrais vous transmettre. Vous vous souviendrez qu’il était impossible pour le sénateur Dalphond de participer à cette discussion, mais je peux vous dire qu’il nous exhorte lui aussi à prendre en considération le mémoire de M. Coughlan. Je suggérerais donc en guise de conclusion que l’on ajoute la prise en compte de ces recommandations parmi les éléments énumérés dans la section F du document portant sur une nouvelle infraction liée à l’intoxication. Je pense que cette proposition va tout à fait dans le sens de votre intervention, sénateur Arnot. Je me suis fait la même observation, mais il était trop tard pour l’intégrer au document.
La sénatrice Batters : J’abonde dans le même sens que le sénateur Arnot. Ce groupe de témoins composé notamment de Mmes Sheehy, Grant et Froc nous a effectivement présenté une analyse très pertinente de la situation tout en nous fournissant de précieuses indications sur la manière dont les femmes, tout particulièrement, sont traitées dans l’application de cette disposition, et quant aux incidences qu’une infraction semblable peut avoir sur les victimes — principalement des femmes, mais pas uniquement — et aux répercussions importantes que pourrait avoir le cas survenu en Colombie-Britannique. Nous pouvons nous estimer chanceux, si je puis m’exprimer ainsi, que ce jugement ait été rendu avant que nous ayons terminé notre examen, car nous pouvons ainsi constater les répercussions très concrètes de ces dispositions. Il faut que ce soit un élément central de notre rapport.
Je suis persuadée que c’est une considération déjà omniprésente, mais je veux seulement m’assurer que nous insistions bien dans ce rapport sur les effets ressentis par les femmes. Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’aurais une première remarque à faire; elle porte sur la formulation habituelle des rapports. Je comprends que c’est un processus particulier pour notre comité de réexaminer rétroactivement une loi qui a été adoptée, mais il me semble qu’on devrait retrouver certains éléments des témoignages que nous avons entendus. Il y a des témoignages qui sont très, très clairs et qui devraient ressortir clairement quant aux effets de la situation actuelle et à l’impact du jugement.
Je ne suis pas certaine de retrouver cela; peut-être que cette information s’y trouve déjà, mais je souhaiterais que la force des témoignages que nous avons entendus soit traduite dans le rapport que nous allons faire de la situation actuelle.
[Traduction]
Le président : Je crois que c’est une très bonne suggestion. Nous pourrions donc peut-être nous attarder aux témoignages entendus de façon un peu plus détaillée, en cherchant moins à mettre l’accent sur les éléments liés à la mise en œuvre de cette loi qui sont énoncés aux paragraphes d) et e) — dont nous pourrons peut-être tout de même traiter brièvement. Ce serait à mes yeux un signe de respect envers ceux et celles qui ont accepté de venir nous rencontrer dans ce contexte plutôt inhabituel. Je crois d’ailleurs que certains ont demandé à quoi cela pouvait servir étant donné que la loi est déjà en vigueur. Ces gens-là ont véritablement fait ce qu’il fallait pour appuyer notre travail.
Si cela convient à tout le monde, nous pourrions orienter notre ébauche de rapport dans cette direction, c’est-à-dire en nous intéressant un peu moins à la loi elle-même et davantage aux préoccupations exprimées par nos témoins. Nos analystes pourront déterminer la meilleure façon de structurer le tout.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Cela permettra aussi de préciser la nature du problème. Nous avons entendu plusieurs témoins livrer un certain nombre de témoignages, mais comme il s’agit d’une situation relativement complexe et technique, nous voulons permettre à ceux qui liront le rapport de comprendre exactement la position sous-jacente des témoignages que nous avons entendus et les raisons pour lesquelles nous faisons certaines recommandations. Nous voulons aussi que ce rapport serve à convaincre le gouvernement de bouger. Il ne s’agit pas seulement de faire le constat d’une situation; nous allons faire des recommandations pour que les choses bougent dans un sens ou dans l’autre.
Je crois que c’est dans ce sens que les témoignages seront très importants.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Je souscris à cette façon de faire.
Je ne sais cependant pas trop comment il faut s’y prendre. Des collègues qui sont ici depuis plus longtemps que moi, comme la sénatrice Batters, pourront certes me corriger si je fais fausse route. J’aimerais savoir s’il est possible d’intégrer au rapport un document que Mme Sheehy nous a transmis après sa comparution concernant cette affaire dont il est question. C’est selon moi un outil qui pourrait grandement nous aider à contrer la désinformation qui est véhiculée. Je crois que tout le monde a reçu une copie de ce document qui porte directement sur les enjeux dont nous traiterons dans notre rapport. Je dois dire également que j’appuie sans réserve la proposition du sénateur Arnot.
La sénatrice Batters : Je pense que c’est une excellente idée. Cela nous serait très utile.
Le président : J’ajouterais seulement que cette approche aurait notamment pour avantage de nous donner l’occasion de discuter une dernière fois des recommandations que nous pourrions adresser au gouvernement. Tout cela nous ramène aux réflexions du sénateur Boisvenu quant à la nécessité de procéder à un examen plus rapidement que ce qui est prévu. Nous pourrions notamment à ce titre…
Permettez-moi d’abord une observation. Je crois que nous avons tous voté en faveur de ce projet de loi étant donné l’urgence de la situation en juin dernier, mais certains parmi nous — et je m’inclus dans le lot — avaient des réserves quant à l’efficacité de la future loi. Certains auraient plutôt voté contre; je ne m’en souviens pas. Je suis désolé, sénatrice Pate. Disons donc que nous avons presque tous voté en faveur de ce projet de loi, certains avec plus de réticence que d’autres, mais il ne nous est pas vraiment possible d’apposer un qualificatif à notre vote.
Il y avait ainsi certaines réserves quant à l’efficacité de la loi. Nous pourrions entre autres, sans attendre un an, trois ans ou cinq ans que les cas potentiellement problématiques s’accumulent, demander au gouvernement d’envisager dès maintenant des solutions de rechange à cette loi qui pourraient donner de meilleurs résultats.
Je ne crois pas que cela puisse être considéré comme une critique à l’encontre de qui que ce soit, et il est même possible que ceux qui ont voté contre le projet de loi se rangent derrière cette proposition. Quoi qu’il en soit, si nous avons des idées susceptibles d’améliorer les choses à l’égard de ces enjeux cruciaux, nous pourrions exhorter le gouvernement à les prendre en considération sans qu’il ait à s’appuyer sur une foule de preuves quant aux problèmes pouvant découler de la loi adoptée.
Je ne suis pas en train de dire que nous devrions en décider dès aujourd’hui, mais il s’agit tout au moins d’un geste que nous pourrions poser, plutôt que de simplement réclamer un examen plus rapide.
La sénatrice Pate : La section des observations est la dernière sur laquelle nous allons nous pencher, mais j’estime important de bien faire comprendre au gouvernement qu’il doit consulter les gens qui ont de l’expertise dans ce domaine. Si Mme Sheehy et moi-même avons pu mettre au point le cours « Defending Battered Women on Trial », c’est d’abord et avant tout grâce à sa grande compétence et à sa capacité d’effectuer aussi rapidement ce genre d’analyse, et ce, même si elle avait déjà beaucoup de travail par ailleurs. C’est exactement le genre de spécialiste que le gouvernement devrait consulter. Je n’hésiterais d’ailleurs pas à lui recommander de s’adresser aux gens qui s’y connaissent vraiment, car on se contente souvent de consulter un universitaire qui n’est pas nécessairement un expert des questions auxquelles on s’intéresse.
Le président : Au fil de l’élaboration de cette loi, il n’a pas été possible de s’en remettre au modèle de la conférence pour l’harmonisation des lois ou à un dialogue soutenu avec les provinces et les territoires. Nous pourrions formuler une recommandation un peu dans ce sens-là. Différents représentants des instances en question ont eu la générosité de comparaître devant nous, et nous devrions en quelque sorte leur renvoyer l’ascenseur.
J’espère que nous avons pu donner à nos analystes suffisamment d’indications pour leur permettre de rédiger une ébauche de rapport. Il s’agit en fait de restructurer certains éléments et d’y intégrer du contenu.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’aimerais poursuivre votre raisonnement et faire une suggestion. Il y a déjà un des éléments, le point f), qui évoque l’option de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Brown. Il y a des arguments en faveur et des arguments contre. Dans notre discussion à ce sujet, on peut justement retenir cela comme l’un des éléments qui amènent le comité à recommander que la loi soit modifiée dès maintenant, plutôt que d’attendre d’en faire la révision dans trois ans.
[Traduction]
Le président : Voilà une considération importante à garder à l’esprit.
Pour ce qui est de l’échéancier, je dirais que nous devrions tenter de finaliser le tout à notre retour, pendant la première semaine de mars.
Est-ce que ce délai convient à tout le monde?
Mark Palmer, greffier du comité : L’échéance est actuellement fixée au 10 mars, mais j’ai déjà rédigé une motion pour qu’elle soit reportée dans l’éventualité où la présidence et le comité en décideraient ainsi.
Le président : Pensez-vous qu’il nous suffira d’une heure pendant la semaine qui se terminera le 10 mars pour conclure ce dossier, ou devrions-nous demander plus de temps?
La sénatrice Batters : Nous pourrions essayer, puis demander un délai supplémentaire si cela ne fonctionne pas.
Le président : Si cela se révèle nécessaire. Est-ce une façon de faire que vous jugez acceptable?
Ne mettez pas tout de suite votre motion au rebut, monsieur Palmer. Il est possible que nous en ayons besoin.
Nous allons tenter de consacrer une heure à cette question le jeudi suivant notre retour. Nous aurons ainsi amplement le temps de digérer tout cela, mais peut-être que cela ne sera pas suffisant pour régler toutes les questions.
M. Walker : Il y a toujours la traduction qu’il faut prendre en considération. Nous ne pouvons pas distribuer un document qui n’est pas traduit. En outre, les membres du comité directeur voudront le voir d’abord, si bien que nous risquons de manquer de temps.
Le président : Il se peut bien que nous ayons finalement besoin de cette motion.
Êtes-vous d’accord pour que nous nous réunissions pendant une heure le mercredi ou le jeudi de la semaine où nous serons de retour pour essayer de finaliser ce dossier? Si jamais nous n’y parvenons pas, nous demanderons à ce qu’on nous accorde plus de temps.
Puis-je considérer que c’est la conclusion de nos échanges quant à la suite des choses pour ce rapport du comité? Y a-t-il d’autres observations ou interventions?
Merci à tous. Merci, sénateur Arnot, d’avoir été des nôtres aujourd’hui pour participer à ces délibérations.
(La séance est levée.)