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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 1er juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Avant de commencer, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

Le président : Et Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan, du territoire du Traité no 6 et de la patrie des Métis. Bienvenue, sénateurs et sénatrices.

J’aimerais commencer dans un instant par souhaiter la bienvenue à nos témoins. Ce matin, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Nous avons deux groupes de témoins aujourd’hui. Je souhaite la bienvenue tout d’abord, dans le premier groupe, à Tareq Bawwab, membre du Comité d’expertise communautaire, de la Coalition nouveau départ, qui se joint à nous par vidéoconférence; à Khaldah Salih, travailleuse juridique communautaire, du Black Legal Action Centre; et à Rachel Fayter, doctorante, à titre personnel. Bienvenue à vous trois.

Comme on vous l’a rappelé avant notre séance, je vous donnerai la parole pour cinq minutes chacun et chacune, après quoi les sénateurs et les sénatrices qui assistent à la réunion d’aujourd’hui discuteront avec vous et vous poseront des questions.

Je vous prie de commencer, monsieur Bawwab.

Tareq Bawwab, membre, Comité d’expertise communautaire, Coalition Nouveau départ : Merci, sénateur. Bonjour à tous. Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Mesdames et messieurs, j’aimerais d’abord me présenter. Je m’appelle Tareq Bawwab et je suis membre de la Coalition Nouveau départ, qui représente les personnes ayant du vécu. Je suis diplômé de l’Université de Toronto avec double majeure en histoire et en sciences politiques. Je travaille avec la coalition depuis près de deux ans à l’avancement de notre campagne. En tant que membre du Comité d’expertise communautaire formé de membres de la collectivité ayant du vécu qui sont touchés par la Loi sur le casier judiciaire, je vis avec les obstacles systémiques découlant du système actuel.

Je félicite la sénatrice Kim Pate des efforts qu’elle a consacrés pendant toutes ces années à la réforme du régime de suspension du casier. Ce régime pose divers problèmes et obstacles importants à la réinsertion sociale des ex-délinquants. J’ai été inculpé il y a une dizaine d’années et condamné peu après pour une infraction que j’ai commise en raison d’une crise de santé mentale.

Comme mes collègues l’ont fait valoir, les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur, ainsi que les personnes atteintes de maladie mentale, sont considérablement surreprésentés dans le système de justice pénale.

J’aimerais par ailleurs souligner certains des principaux enjeux et obstacles liés à notre régime de suspension du casier et expliquer comment le projet de loi S-212 répond à nos préoccupations.

Tout d’abord, les temps d’attente sont passés de 3 à 5 ans pour les infractions punissables par procédure sommaire et de 5 à 10 ans pour celles punissables par mise en accusation, soit deux fois plus longtemps, ce qui va à l’encontre des principes fondamentaux de justice. La personne qui doit attendre 10 ans après l’imposition de sa peine — ce qui peut comprendre la probation — devra souvent attendre encore plus de 10 ans pour obtenir son pardon. Cela augmente le risque de nouveau contact avec la police et de discrimination dans le système actuel.

Comme l’a fait valoir un de mes collègues, une réduction de cinq ans du temps d’attente permettrait peut-être à l’intéressé de décrocher un grade universitaire et de poursuivre ses études en attendant son pardon. Mais un temps d’attente de 10 ans aurait un effet négatif sur sa santé mentale et le plongerait dans le désespoir.

Il existe de nombreux facteurs pour expliquer comment le fait de doubler les temps d’attente augmente les chances d’interaction avec la police et les chances de récidive à cause du caractère déraisonnable d’une période d’attente de plus d’une décennie. Pas d’accès à l’emploi, pas de possibilité de bénévolat ou de contribution positive à la société. Pas de soutiens, pas d’emplois valorisants et incapacité de voyager : aussi bien imposer une double peine inconstitutionnelle en tuant l’esprit de l’intéressé avec une peine d’une décennie consécutive à la peine initiale purgée pour le même crime. L’intéressé se voit privé de ses besoins humains fondamentaux à cause de la rigidité et de la complexité du processus de demande du régime de suspension du casier.

Tout démêlé avec la justice après la déclaration de culpabilité initiale ne doit pas être traité comme une nouvelle déclaration de culpabilité, avec réinitialisation des temps d’attente, ni avoir d’incidence sur l’admissibilité au pardon. En cas de surveillance policière excessive dans certaines collectivités et en cas d’absolution ou de retrait des accusations, il ne devrait pas y avoir de réinitialisation du temps d’attente pour un pardon. En même temps, il n’y a pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins des personnes atteintes d’une maladie mentale afin de les empêcher de récidiver.

Cela m’amène à la disposition sur la bonne conduite. Si l’intéressé a purgé sa peine, qu’il a attendu le temps prévu, mais qu’il a eu des démêlés avec la justice, par exemple pour un délit de conduite automobile, la Commission des libérations conditionnelles du Canada peut lui refuser le pardon en vertu de la disposition sur la bonne conduite du régime actuel. De plus, si l’on découvre que l’ex-contrevenant n’a pas payé l’amende ou la suramende compensatoire, les temps d’attente sont réinitialisés. Ainsi, même s’il n’a pas réglé une amende de seulement 10 $ d’il y a 10 ans, il doit attendre encore 10 ans pour obtenir son pardon à cause du non-paiement d’amende. C’est une attente de 20 ans pour un pardon en raison de la disposition de réinitialisation qui se trouve dans le régime actuel. C’est comme une condamnation à perpétuité.

C’est pourquoi je salue la façon dont le projet de loi S-212 cherche à corriger le racisme systémique, la discrimination et la surveillance policière excessive des minorités noires, autochtones et raciales, ainsi que des personnes atteintes de maladie mentale, en permettant un pardon s’il n’y a pas de nouvelles condamnations. De plus, les amendes ou les portions administratives mineures d’une peine ne réinitialisent pas les temps d’attente. Le processus de demande actuel comporte des obstacles infinis à la réadaptation des ex-délinquants. Par conséquent, un système automatisé de pardons corrigerait la façon dont les groupes marginalisés seraient libérés des contraintes et des complications du processus de demande.

Si vous avez d’autres questions, je me ferai un grand plaisir d’y répondre. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Bawwab.

Puis-je maintenant inviter Khaldah Salih à prendre la parole?

Khaldah Salih, travailleuse juridique communautaire, Black Legal Action Centre : Bonjour à tous. Je m’appelle Khaldah Salih. Je suis travailleuse juridique communautaire au Black Legal Action Centre, ou BLAC. Je vous remercie de m’avoir invitée à cette audience et je remercie la sénatrice Kim Pate de son leadership à l’égard de ce projet de loi.

Le Black Legal Action Centre a été créé en 2017. Il est une clinique juridique communautaire indépendante à but non lucratif en Ontario qui lutte contre le racisme individuel et systémique envers les Noirs. BLAC s’acquitte de sa mission en offrant des services juridiques gratuits, en effectuant des recherches, en produisant des ouvrages de vulgarisation juridique et en œuvrant à des causes types et à la réforme du droit. BLAC est le successeur de l’African Canadian Legal Clinic, qui est accréditée auprès de la Conférence mondiale de 2001 des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.

BLAC travaille avec d’autres organisations et groupes de défense dans le cadre de la Coalition Nouveau départ et avec l’Association des avocats noirs du Canada pour réclamer une réforme du système de casiers judiciaires.

Nous sommes extrêmement préoccupés par le système actuel de casiers judiciaires en raison de la réalité et des impacts de la criminalisation continue des Noirs. Les taux disproportionnés documentés de Noirs dans les prisons fédérales illustrent le racisme systémique inhérent au processus de justice pénale, qu’il s’agisse de l’intensification du maintien de l’ordre dans les collectivités noires ou de la probabilité accrue que les Noirs écopent de peines plus sévères.

Ces préoccupations sont également mises en évidence dans la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires actuellement en cours au gouvernement fédéral.

L’impact de la criminalisation est accentué par les casiers judiciaires, de sorte qu’il est plus difficile de se trouver un emploi ou un logement et d’avoir accès à l’éducation, même pour ceux qui ont fini de purger leur peine. Nous pensons qu’un nouveau système de casiers judiciaires devrait être automatique, abréger les temps d’attente et s’appliquer à toutes les condamnations, et que l’admissibilité devrait être fondée sur l’absence de nouvelles condamnations plutôt que sur les contacts avec la police, par exemple. Il faut un système automatique pour toutes les condamnations pour atténuer les impacts de la criminalisation et, en particulier, pour atténuer les impacts du racisme systémique contre les Noirs.

Il n’est pas inutile de noter qu’un nouveau système n’exige pas de contact avec la police pour faire expirer un casier judiciaire. Nous avons une plus grande probabilité de contact entre la police et les Noirs en raison du resserrement de la surveillance policière dans les collectivités noires. Les Noirs ayant un casier judiciaire seraient confrontés à un obstacle discriminatoire pour profiter de cette expiration du casier judiciaire. Par conséquent, l’accent devrait être mis sur les nouvelles condamnations.

Un système automatique réduirait les temps d’attente et les obstacles auxquels on fait face pour commencer sa vie et réintégrer la société. Les obstacles nés de ce système perpétuent les conditions susceptibles de mener à la criminalisation elle‑même, ce qui touche de façon disproportionnée les collectivités noires.

Nous devons considérer que, lorsqu’une personne a un casier judiciaire et qu’elle doit vivre avec les conséquences pendant des années, ce n’est pas seulement cette personne qui en souffre, mais aussi sa famille et sa collectivité. Telle est la nature de la discrimination systémique; ses effets se font sentir dans toute la société.

Rien ne prouve que l’existence d’un casier judiciaire réduirait la récidive ou accroîtrait la sécurité publique. On ne peut pas dire, sur la foi d’un vieux casier, si une personne est plus susceptible de commettre un acte de violence plus tard. Après quelques années — beaucoup moins que les 10 ans imposés par le système actuel —, la personne qui a un casier judiciaire ne risque pas plus d’avoir des démêlés avec la justice que si elle n’avait pas de casier judiciaire.

Ce que nous savons, par contre, c’est qu’un casier judiciaire peut bloquer l’accès à l’éducation, à l’emploi et au logement, et que ces obstacles financiers et sociaux perpétuent les impacts du racisme systémique contre les Noirs, qui peut mener à la criminalisation dès le départ. Merci de votre temps.

Le président : Merci, madame Salih. J’invite maintenant Rachel Fayter à prendre la parole.

Rachel Fayter, doctorante, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Merci de m’avoir invitée. Je m’appelle Rachel Fayter. Je suis doctorante en criminologie. Je suis aussi une femme criminalisée qui a purgé une peine de cinq ans dans une prison fédérale. Un processus automatique d’expiration du casier judiciaire permettrait de soutenir et de renforcer ma capacité de continuer à contribuer activement à la société en réduisant les obstacles à l’inclusion dans la collectivité.

Je suis sortie de prison en 2017. La stigmatisation de l’incarcération et le fait d’avoir un casier judiciaire, ainsi que les vérifications constantes du casier judiciaire, ont compliqué ma réinsertion dans la collectivité. Je n’avais pas de casier judiciaire avant cette condamnation, et j’ai eu la chance d’avoir un solide réseau de soutien social, ainsi qu’une maîtrise en psychologie et 10 ans d’expérience en travail social, ce qui est extrêmement rare pour qui sort de prison. Malgré ces atouts, je n’ai pas pu trouver de travail dans mon domaine, après avoir envoyé plus de 100 curriculum vitæ et m’être prêtée à des dizaines d’entrevues. Après plusieurs mois, j’ai été obligée de prendre deux emplois à temps partiel au salaire minimum, le premier pour vendre des burritos le jour et le second pour remplir les tablettes d’une épicerie la nuit. Cela a été pénible pour ma santé physique et mentale.

Même après avoir purgé ma peine et obtenu une libération conditionnelle en respectant toutes les conditions, j’ai continué de me heurter à des obstacles pour accéder à un logement et à un emploi et pour voyager à l’extérieur du Canada. À Ottawa, comme dans bien d’autres villes du pays, les propriétaires et les sociétés de gestion immobilière exigent une vérification du casier judiciaire avant de consentir un bail. Même si j’étais doctorante et me tirais bien d’affaire dans la collectivité, j’ai eu une difficulté extrême à me trouver un appartement, et j’ai dû demander à mes professeurs des lettres de recommandation pour m’aider à obtenir un logement.

En tant que porte-parole du milieu universitaire et de la justice sociale, je dois souvent voyager pour des recherches, des conférences, des ateliers et d’autres activités, au Canada et à l’étranger. Mais je ne peux pas entrer aux États-Unis, et dans plusieurs autres pays, à cause de mon casier judiciaire.

Mon casier judiciaire m’a également rendue vulnérable au harcèlement policier. La police m’a interceptée après un contrôle de ma plaque d’immatriculation, sans autre raison que de vérifier si je faisais quelque chose d’illégal. Par mes recherches et mes activités de défense des droits, je suis souvent en contact avec d’autres anciens détenus, dont certains connaissent la pauvreté, l’itinérance, la maladie mentale, la toxicomanie et la criminalisation continue. Mon casier judiciaire m’a valu d’être suivie par la police après avoir rencontré d’autres personnes criminalisées qui faisaient l’objet d’une enquête. J’ai déjà été agressée et menacée par la police, de sorte que j’éprouve beaucoup d’anxiété et suis toujours traumatisée lorsque cela se produit.

Le processus actuel de suspension du casier judiciaire est extrêmement lourd, long, traumatisant et coûteux, même avec les frais gouvernementaux réduits de 50 $, ce qui le rend inaccessible à la plupart des personnes criminalisées.

Le système pénal nous condamne à l’échec et crée un cycle de criminalisation dont il est difficile de sortir. Le manque d’accès à un logement, à un emploi et à l’éducation, et les obstacles à l’obtention de soins de santé, et de soins de santé mentale ou de traitement de la toxicomanie, forcent parfois les gens à enfreindre la loi pour survivre, à s’engager dans des relations malsaines et abusives ou à retourner en prison pour obtenir de la nourriture, des vêtements et un abri. Ce cycle de criminalisation coûte aux contribuables des milliards de dollars par année qui pourraient être mieux dépensés pour bâtir des collectivités saines et bien dotées en ressources, ce qui réduirait le nombre d’infractions à la loi. Il exclut également les personnes les plus marginalisées de la société, ce qui est une honte dans un pays qui prône des valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion.

Ces politiques et pratiques punitives ne contribuent pas à la sécurité publique. Ne suis-je pas considérée comme un membre du public? Le gouvernement canadien est censé veiller à ce que le Canada soit une société juste et respectueuse des lois, dotée d’un système de justice accessible, efficace et équitable. Cependant, le système juridique punitif actuel emprisonne des populations déjà marginalisées et défavorisées, détruit des vies et tue des gens. J’ai tout perdu lorsque j’étais incarcérée et j’ai vu des gens mourir en prison et en libération conditionnelle à cause de la violence systémique. J’ai peut-être maintenant réussi à m’en sortir, mais je suis une exception. Je me sens constamment vulnérable et je me remets encore du traumatisme de l’emprisonnement. Merci.

Le président : Merci, madame Fayter.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à nos témoins. Ma question est pour Mme Fayter. Vous avez dit avoir été incarcérée pendant cinq ans. Quel crime aviez-vous commis à ce moment-là?

[Traduction]

Mme Fayter : Oui. J’ai été incarcérée pour trafic de drogue.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’accord. Le projet de loi qui est devant nous ne fait pas de distinction, lorsqu’il y aura effacement ou disparition du dossier criminel, entre les délinquants qui ont commis des délits plutôt mineurs et ceux qui représentent un haut risque pour la société. Je pense, entre autres, aux délinquants sexuels.

Est-ce que votre opinion fait en sorte que les délinquants sexuels multirécidivistes devraient être traités de la même façon qu’un délinquant qui a commis des délits mineurs?

[Traduction]

Mme Fayter : Je vous remercie de votre question. Tout d’abord, les condamnations pour ces actes de violence représentent une très faible proportion des condamnations pénales. Je ne pense pas qu’un système juridique devrait être conçu en fonction de ces rares exemples. La violence sexuelle, de même que le meurtre, sont souvent liés à un traumatisme intergénérationnel, au fait de vivre dans des quartiers non sécuritaires, et à la violence systémique ou structurelle. Nous vivons actuellement dans une société qui perpétue la violence faite aux femmes et aux personnes de diverses identités de genre, ainsi que le racisme et le sensationnalisme des médias.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais reprendre ma question. Vous dites que les agressions sexuelles sont une minorité, mais 30 % des causes dans les palais de justice traitent d’agressions sexuelles et 30 % traitent de violence conjugale. Dans plusieurs cas, les accusés sont des multirécidivistes.

Je répète ma question : vous êtes une femme, vous habitez dans un quartier. Vous sentiriez-vous en sécurité si le système faisait en sorte que tous les criminels, peu importe la gravité des crimes commis — je pense, entre autres, aux prédateurs sexuels —, sortaient de prison et que quelques années plus tard, leur dossier disparaissait complètement du radar des policiers? Est-ce que, comme femme, vous vous sentiriez en sécurité?

[Traduction]

Mme Fayter : Je n’approuve aucunement les agressions sexuelles. J’ai été victime de violence familiale et de nombreuses années d’abus. Dans mon propre cas, lorsque la police est intervenue, cela m’a exposée davantage à la violence parce que l’agresseur n’a pas nécessairement été arrêté ou parce que cela l’a mis en colère. Quand j’étais incarcérée, j’ai vu beaucoup de femmes en prison qui étaient agressées sexuellement par des gardiens. Je connais aussi des gens qui ont été agressés sexuellement par la police. Je pense qu’il y a d’autres choses que nous pouvons faire pour assurer la sécurité des gens dans ces situations.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question.

Ce que je veux dire, c’est que le projet de loi actuel ne fait pas de distinction entre un dossier qui serait complètement effacé — car il faut comprendre qu’un dossier qui disparaît, c’est un dossier sur lequel les policiers n’ont plus d’informations.

Donc, je le dis encore, vous habitez dans un quartier, on libère des prédateurs sexuels très dangereux — parce qu’il en a qui sortent de prison et qui sont encore très dangereux. Est-ce que vous êtes pour que ce projet de loi fasse une distinction entre un pardon automatique pour un petit délinquant et un pardon automatique pour quelqu’un qui est dangereux lorsqu’on le libère?

[Traduction]

Mme Fayter : Je ne suis pas certaine de la meilleure façon de répondre à cette question, parce que cela soulève beaucoup de questions complexes. En tant que femme, je ne me sens pas souvent en sécurité dans la collectivité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Ma première question s’adresse à Mme Fayter. Pour en revenir à votre casier judiciaire, il est évident qu’il vous a causé des difficultés pour réintégrer la société et jouir de certains de ses privilèges. Vous avez mentionné un certain nombre de choses, mais comment le projet de loi S-212 répond-il aux problèmes ou aux éléments que vous avez vécus, et en quoi aidera-t-il d’autres personnes que vous connaissez dans d’autres circonstances semblables aux vôtres?

Mme Fayter : Un temps d’attente plus court faciliterait certainement l’accès au logement, à l’emploi, comme je l’ai dit. De plus, cela faciliterait mon travail de recherche et de défense des droits. Il m’est difficile d’avoir accès aux prisons, de rencontrer des personnes qui sont en liberté conditionnelle. De plus, le fait d’avoir un processus automatique d’expiration des casiers faciliterait beaucoup les choses pour les gens.

Je serai bientôt admissible à une suspension de casier, et j’ai examiné le processus. Même si je suis une étudiante de deuxième cycle, c’est très compliqué et difficile. Il y a de nombreuses étapes. Je vais aussi devoir me rendre dans des postes de police et communiquer avec les tribunaux, et ce sont des endroits où je ne me sens pas nécessairement en sécurité. Je reconnais que je suis très privilégiée et qu’il y a d’autres personnes qui ont de la difficulté à lire et à écrire, qui n’ont pas accès à la technologie ou qui n’ont pas d’argent. À l’heure actuelle, c’est très difficile. Beaucoup de gens méritent d’avoir accès à l’éducation. J’ai plusieurs amis qui ont un casier judiciaire et qui n’ont pas pu s’inscrire à différents programmes universitaires pour cette raison.

Le sénateur Klyne : Merci.

J’ai une question pour Khaldah Salih. J’ai une brève question au sujet de la stigmatisation liée à un casier judiciaire qui met en péril l’avenir des personnes marginalisées qui cherchent un emploi, comme nous l’avons entendu, et de celles qui espèrent obtenir un logement, comme nous l’avons également entendu, dans leurs collectivités respectives. Du point de vue de votre organisation, pouvez-vous nous dire comment le projet de loi S-212 pourrait améliorer l’accès au logement et à l’emploi pour les personnes marginalisées qui ont fait l’objet d’une condamnation?

Mme Salih : Je vous remercie de votre question. Essentiellement, la stigmatisation liée à un casier judiciaire, l’idée que ce casier expirerait dans un délai plus court, que ce serait également automatique et qu’une personne n’aurait pas à en faire la demande, tout cela renforcerait vraiment la capacité de quelqu’un à réintégrer la société et d’avoir accès à ces choses.

Ce que nous savons des rapports sur ces enjeux, c’est que les Noirs, les personnes racisées et les Autochtones... bien entendu, notre organisation se concentre sur les communautés noires. Nous savons que les communautés noires ont de la difficulté à accéder à un logement, par exemple, parce que les propriétaires font preuve de discrimination lorsqu’ils louent un logement. Cela, en plus de la stigmatisation associée au casier judiciaire, augmente la discrimination à l’égard d’une personne et limite sa réintégration dans la société. De même, quand il s’agit d’obtenir un emploi, comme l’a déjà mentionné la Canadian Association of Black Lawyers et le Black Legal Action Centre lors d’une autre réunion, il y a des rapports montrant qu’un Noir qui n’a pas de casier judiciaire est moins susceptible de se faire embaucher qu’un Blanc qui a un casier judiciaire.

Les Noirs sont victimes de discrimination, même s’ils n’ont pas de casier judiciaire, lorsqu’ils tentent d’obtenir un emploi. Encore une fois, la stigmatisation accrue associée au casier judiciaire limite l’accès à l’emploi, ce qui, bien sûr, limite évidemment l’accès à la liberté financière, la capacité de faire vivre sa famille, toutes ces choses. Évidemment, nous savons que les possibilités de logement, d’emploi et d’éducation sont extrêmement importantes.

L’intersection d’un casier judiciaire et de la racisation est ce qui accroît la stigmatisation et la discrimination et se répercute sur la collectivité, la société et tous ceux dont une personne pourrait être responsable ou à qui elle pourrait être liée. C’est la dimension communautaire.

Le sénateur Klyne : J’ai une brève question à poser si je peux obtenir une réponse brève; notre temps est limité. Encore une fois, madame Salih, pouvez-vous expliquer comment la modification du système canadien de suspension du casier offrirait un soutien aux victimes de violence familiale et d’agressions sexuelles?

Mme Salih : Je ne crois pas être experte en la matière. Mon travail est davantage axé sur les personnes racisées. Mme Fayter pourrait peut-être vous en dire davantage à ce sujet, mais je ne pense pas pouvoir le faire. Cependant, je peux préparer une déclaration, si c’est préférable, et vous l’envoyer.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins de comparaître aujourd’hui. J’aimerais que chacun d’entre vous me dise ce que nous pourrions faire d’autre, en tant que sénateurs, à propos du processus d’intégration et des casiers judiciaires, étant donné que chacun d’entre vous a indiqué à quel point les casiers entravent ce processus, mais aussi les intersections et la mesure dans laquelle la connaissance d’un casier assure réellement la sécurité des gens. Nous savons que, comme le sénateur Boisvenu l’a souligné, de nombreux cas d’agression sexuelle ne sont même pas signalés à la police. Je sais que certains d’entre vous se sont penchés sur la présomption selon laquelle le fait d’avoir connaissance d’un casier nous protégera. Si chacun d’entre vous se sentait à l’aise pour en parler, ce serait formidable.

M. Bawwab : En raison de mon casier judiciaire, j’essaie de postuler un emploi intéressant et rémunérateur depuis maintenant une décennie. Ma candidature a souvent été rejetée. Après avoir passé de nombreuses entrevues, la vérification du casier judiciaire suffit à m’empêcher d’obtenir un emploi intéressant et rémunérateur. Avant ma condamnation, j’avais obtenu un diplôme de l’Université de Toronto avec une double spécialisation en histoire et en sciences politiques, mais j’ai été incapable de postuler et d’obtenir un emploi intéressant dans mon domaine. J’ai été privé de nombreuses opportunités parce que j’ai fait l’objet d’une simple vérification de mon casier judiciaire. Même les emplois les plus simples à l’extérieur de mon domaine — les seuls que j’ai pu obtenir étaient des emplois manuels et n’avaient rien à voir avec mes études universitaires.

À mon avis, cela n’assure pas la sécurité des gens. C’est simplement discriminatoire pour quiconque fait l’objet d’une vérification du casier judiciaire, au lieu d’assurer la sécurité des gens, surtout si la condamnation n’est pas liée à l’emploi et à ce qu’il implique.

Mme Salih : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. Je me fais l’écho d’une bonne partie des propos de M. Bawwab. J’aimerais également ajouter que c’est essentiellement au cours du processus de détermination de la peine qu’on détermine la « punition » qu’une personne est censée subir en raison de sa condamnation. Le processus du casier judiciaire accroît la criminalisation et les répercussions sur la personne.

Il a été démontré tout au long de ces réunions — et aussi par l’entremise de mes collègues ici présents — qu’il s’agit vraiment de la stigmatisation liée au casier judiciaire, de l’idée que la société se sent en sécurité, plutôt que de savoir si cela mènera réellement à la sécurité.

Ce que d’autres ont également démontré, c’est que cela augmente la probabilité qu’une personne puisse, par exemple, se livrer à des activités criminelles si elle est incapable de trouver un emploi valorisant ou un logement sûr, et les conséquences de la précarité financière qui en découle. Il y a aussi le risque qu’une personne s’engage davantage dans la criminalisation, ce qui a un impact sur la sécurité publique. L’idée que les gens vont se sentir en sécurité lorsque, comme l’a dit M. Bawwab, cela n’a rien à voir avec l’emploi en question, ne tient pas. Merci.

Mme Fayter : Je n’ai rien à ajouter à ce que les deux autres témoins ont dit. J’aurais dit exactement la même chose et je suis d’accord avec ce qu’ils ont dit tous les deux.

La sénatrice Pate : Ma question s’adresse à Mme Fayter. Félicitations pour le travail continu que vous faites.

Seriez-vous surprise d’apprendre que j’entends souvent des personnes que je connais depuis des années dire que leur incapacité à trouver du travail les fait souvent retomber dans la pauvreté; que, parfois, ce sont les seuls emplois qu’elles peuvent obtenir. Si elles ne peuvent pas obtenir un emploi — comme nous l’a déjà dit M. Bawwab —, elles finissent par faire des choses qui pourraient les traumatiser davantage, qu’il s’agisse du strip-tease, de la prostitution, ou dans d’autres domaines où elles ressentent souvent le besoin de s’anesthésier pour faire face au traumatisme passé qui en découle.

Cela vous surprend-il? Connaissez-vous d’autres personnes qui ont été confrontées à ce genre de choix? N’importe lequel d’entre vous voudra peut-être en parler également, mais je vais commencer par Mme Fayter.

Mme Fayter : Je vous remercie de votre question, sénatrice Pate. Je suis d’accord. D’après mon expérience, cela ne me surprend pas. Le système actuel et le fait d’avoir un casier judiciaire, comme nous l’avons entendu, favorisent la stigmatisation et la discrimination et excluent les gens de la société. Des gens sont dans la rue parce qu’ils ne peuvent pas trouver de logement. Ils sont frustrés parce qu’ils n’ont pas accès à l’éducation. Ils ne sont pas en mesure d’obtenir un emploi régulier et intéressant. Je connais de nombreuses personnes qui ont été forcées de se prostituer, ou de faire du strip-tease. Parfois, les gens vivent des crises de santé mentale, sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou risquent de se retrouver dans des relations malsaines, comme je l’ai dit plus tôt. Certaines personnes pourraient se lancer dans le trafic de drogue ou le vol pour survivre, nourrir leur famille, avoir un abri et ce genre de choses.

M. Bawwab : J’abonde dans le même sens que Rachel Fayter.

Beaucoup de gens finissent par se livrer à des activités criminelles parce qu’ils ne peuvent obtenir aucune forme d’emploi. Même dans les milieux où ils travaillent, il pourrait y avoir des influences négatives. Ils pourraient avoir des problèmes de santé mentale ou être aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Cela les entraîne dans un cercle vicieux de récidive et d’autres interactions avec la loi. L’accès à l’expiration du casier judiciaire atténuerait le besoin ou la tendance à la récidive en général.

La sénatrice Clement : Bonjour à tous. Je désire faire une déclaration. Je suis une fière avocate de clinique juridique depuis 32 ans. Je demeure en contact avec la clinique juridique Roy McMurtry à Cornwall. Je tenais à le dire publiquement parce que je pourrais discuter de ces questions avec Mme Salih.

Je tiens également à souligner que vous nous avez parlé en vous appuyant sur votre expérience vécue. Dans ce comité, nous avons souvent des témoins qui le font et c’est très puissant. J’ai des frissons chaque fois. Je tiens à vous en remercier et à reconnaître que cela a un coût personnel. Merci de votre courage.

Vous avez tous parlé en faveur d’un processus automatique d’expiration des casiers judiciaires. La participation saine à la collectivité est la clé d’une vie saine en tant qu’être humain, et vous l’avez tous souligné de façon très convaincante.

J’aimerais vous poser une question précise au sujet de la Commission des libérations conditionnelles et vous demander si vous estimez qu’elle est l’organisme approprié pour administrer un processus efficace d’expiration des casiers. La Commission des libérations conditionnelles a une fonction très précise. Pensez-vous que c’est elle qui devrait le faire? J’aimerais entendre tous vos commentaires à ce sujet.

Vous pourriez peut-être aussi nous dire si vous pensez que la GRC serait en mesure de mener ce processus parce qu’elle détient les casiers et qu’elle a de l’expérience dans ce domaine. Si vous pouviez aborder ces questions, je vous en serais reconnaissante.

M. Bawwab : Je trouve problématique que la Commission des libérations conditionnelles du Canada participe à ce processus parce qu’elle a certaines politiques discriminatoires en ce qui concerne le processus de demande comme tel. L’un des principaux obstacles, c’est qu’il incombe à l’ex-délinquant d’expliquer pourquoi il bénéficierait d’un pardon.

Tout le monde connaît les obstacles systémiques — le manque d’emplois, de logements, d’opportunités, de possibilités de bénévolat et de déplacements à l’extérieur du Canada, par exemple aux États-Unis.

De plus, il y a un élément du processus de demande appelé la clause de « bonne conduite » qui prévoit que si vous avez eu des contacts avec la police — même les infractions au code de la route sont incluses. Si vous avez des contraventions de stationnement impayées, on peut vous refuser un pardon pour cette seule raison. Les contacts avec la police sont le lot des communautés marginalisées, des personnes atteintes de maladie mentale en particulier, ainsi que des minorités raciales. C’est très courant dans ces communautés. Elles sont trop surveillées et ciblées.

Une personne qui n’est pas saine d’esprit peut avoir une interaction avec la loi qui peut entraîner soit une libération en raison de son état de santé mentale à ce moment-là, soit un retrait complet des accusations, et ce, pendant la période d’attente. Ce qui contribue au cercle vicieux de l’interaction avec la police pour une personne qui est déjà vulnérable et qui a un problème de santé mentale, c’est le fait qu’elle peut présenter des symptômes de sa maladie mentale parce qu’elle est traumatisée par l’incapacité d’accéder à un emploi et de réintégrer la société et, comme vous l’avez dit, d’avoir une relation saine dans la société.

De plus, surtout pendant la pandémie, il y avait un manque de ressources pour les personnes souffrant d’une maladie mentale, alors vous constatez que bon nombre d’entre elles ont des démêlés avec la justice après leur condamnation. C’est en train de devenir incontrôlable.

Le projet de loi S-212 offre une solution à ce problème en retirant la Commission des libérations conditionnelles de l’équation en raison de ses a priori et en retirant les autres interactions avec la loi, s’il n’y a pas de nouvelles condamnations. Ce devrait être la seule façon de décider s’il y a lieu de ne pas accorder un pardon dans ces cas-là. C’est une chose à laquelle je tiens fermement en tant que membre de la Coalition Nouveau départ et d’après mon expérience personnelle.

Mme Salih : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. Je ne vais pas répéter ce que M. Bawwab a dit. La seule chose que je voudrais ajouter, c’est qu’il faut examiner ce que vivent les communautés noires et racisées. Le système actuel exige une interaction accrue avec les institutions de justice pénale et, en plus du fait que cela puisse être de nouveau traumatisant, il y a déjà une surveillance accrue des communautés noires, des communautés racisées, des personnes qui vivent dans la pauvreté et des personnes atteintes de maladie mentale. Un système qui accroît l’interaction avec ces institutions et ces aspects de la surveillance est extrêmement nuisible, perpétue la discrimination et explique en partie pourquoi certaines communautés sont plus susceptibles d’être criminalisées que d’autres. Un système automatique et la limitation de l’interaction avec ces institutions sont importants et essentiels.

Mme Fayter : Je ne crois pas que la Commission des libérations conditionnelles soit le bon endroit pour considérer l’expiration du casier judiciaire parce que, comme mes collègues l’ont dit, elle a des politiques discriminatoires. De plus, il n’y a pas beaucoup de diversité parmi ses membres. La plupart d’entre eux sont des Blancs, et un bon nombre sont d’anciens policiers ou des gens qui ont travaillé dans le système.

À ce sujet, la GRC ne serait pas non plus un bon endroit. S’il devait y avoir une sorte de comité qui déciderait en la matière, je pense qu’il devrait s’agir d’un groupe diversifié de personnes, d’intervenants différents dans des domaines différents à l’extérieur du système de justice pénale.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux trois témoins.

Pour ma première question, je voudrais revenir à ce que Rachel Fayter a dit. J’invite aussi les autres témoins à ajouter des commentaires par la suite.

Est-ce qu’on devrait établir un système où ce sont des gens qui sont en dehors de la justice criminelle ou de la police qui géreraient la question des casiers judiciaires? Vous avez répondu à cette question-là.

Toutefois, j’aimerais revenir à ce que vous avez dit. J’ai été assez frappée par l’expression que vous avez utilisée lorsque vous vous êtes présentée comme une outlier. J’aimerais comprendre et peut-être que vous pourrez nous l’expliquer : comment évaluez-vous la façon dont la personne que vous étiez — que vous décrivez comme une outlier —, a réussi à faire son chemin, après cinq ans de prison, à revenir dans la société, à trouver un travail et à être acceptée à l’université?

J’aimerais mieux comprendre ce à quoi vous attribuez le fait que, en fin compte, vous avez réussi à être acceptée dans un programme de doctorat, par exemple. Je ne connais pas votre parcours dans le milieu universitaire, qui n’est pas reconnu pour être un milieu facile non plus.

Accepteriez-vous d’être un peu plus précise sur ce qui, à votre avis, vous a permis de passer à travers, jusqu’ici?

[Traduction]

Mme Fayter : Je vous remercie de votre question. D’après mon expérience, ce qui m’a vraiment aidée à réussir, c’est d’avoir accès à l’éducation pendant que j’étais en prison grâce à un programme appelé Walls to Bridges, qui fait venir des professeurs d’université et des étudiants dans la prison pour apprendre ensemble avec d’autres personnes incarcérées. Avant ce programme, je pensais que ma carrière universitaire était terminée, que ma vie était pratiquement finie, mais j’ai pu rencontrer des personnes qui me respectaient et m’appuyaient. En fait, j’ai rencontré ma directrice de thèse actuelle dans le cadre de ce programme et j’ai correspondu avec elle pendant mon incarcération. À l’université, des gens ont été en mesure de m’aider lorsque j’ai été libérée, et d’autres personnes de la communauté Walls to Bridges m’ont apporté beaucoup de soutien social et d’assistance, ce qui est extrêmement rare pour la plupart des personnes criminalisées.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur Bawwab, puis-je vous poser la même question?

[Traduction]

M. Bawwab : En ce qui me concerne, j’ai terminé mon diplôme juste avant ma crise de santé mentale, qui était peut-être liée aux facteurs de stress de la dernière année d’université. Lorsque la crise a dégénéré, j’ai été criminalisé dans le système. Pendant mon incarcération, j’étais dans un état maniaque, ce qui signifie que je n’étais pas sain d’esprit, et la décision que j’ai prise de plaider a mené à ma condamnation. Si j’avais été dans le bon état d’esprit, j’aurais peut-être eu une chance de renverser l’accusation, étant donné que j’ai la preuve que j’étais sous l’influence d’une maladie mentale au moment de ma condamnation.

Une fois que vous avez obtenu votre diplôme et que vous avez un casier judiciaire, vous ne pouvez pas vous intégrer dans la société. Vous ne pouvez pas la réintégrer. Une période d’attente de plus de 10 ans vous laisse complètement démuni.

J’ai eu d’autres problèmes de santé mentale en raison de mon incapacité à obtenir un emploi rémunérateur et du soutien. J’ai eu des problèmes de logement, j’ai fait face à l’itinérance et j’ai été hospitalisé. Tout cela est attribuable à mon incapacité de réintégrer la société en raison de l’obstacle systémique que constitue un casier judiciaire selon le système actuel.

Je crois que le projet de loi S-212 va enfin me donner une chance avec un temps d’attente réduit. La condition est qu’il n’y ait pas de nouvelles condamnations au lieu de toute interaction avec la loi qui vous empêche d’obtenir un pardon dans le cadre du régime actuel. Le fait de ne pas pouvoir réintégrer la société vous laisse traumatisé et sans soutien devant ces obstacles.

Le président : Merci.

Le sénateur D. Patterson : J’aimerais remercier les témoins et me faire l’écho de ce que la sénatrice Clement a dit, à savoir que le partage de vos expériences personnelles avec nous est apprécié et respecté.

Je tiens à dire que j’appuie le projet de loi. Je viens d’une région qui compte la plus grande majorité d’Autochtones au pays, et de loin. Qu’il s’agisse de la surveillance policière excessive, comme certains diraient, ou du traumatisme intergénérationnel omniprésent des pensionnats, nous avons une très forte proportion de citoyens qui ont un casier judiciaire. En fait, cela constitue un tel obstacle à l’emploi, par exemple, que les employeurs omettent souvent de vérifier si une personne a un casier judiciaire ou non, sans quoi ils ne seraient pas en mesure de trouver des candidats. Je connais très bien la question.

Il y a une chose qui m’intrigue. Mme Fayter et d’autres ont décrit les répercussions importantes qu’ont ces demandes de vérification du casier judiciaire, selon leur expérience, en matière de logement, d’éducation et d’emploi. Je sais que le projet de loi ne porte pas là-dessus, mais je me demande si vous avez des observations à faire sur la justification d’une demande de casier judiciaire dans tous les domaines que vous avez mentionnés — le logement, l’emploi, l’éducation. Acceptez-vous que ces institutions puissent avoir des raisons valables de demander le casier judiciaire? Je pourrais peut-être demander à Mme Fayter et à M. Bawwab, en particulier, si vous êtes prêts à faire un commentaire à ce sujet.

Mme Fayter : Je vous remercie de cette question. Pour ce qui est de l’accès au logement, je ne crois pas qu’il y ait de raison de vérifier le casier judiciaire. Je pense que chaque être humain a le droit fondamental d’avoir un abri. Je dirais la même chose pour l’éducation.

Maintenant, en ce qui concerne l’emploi, je reconnais que la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables a une certaine valeur. À l’heure actuelle, c’est un peu difficile et il faudrait peut-être envisager des changements, mais si les gens travaillent auprès de jeunes enfants ou de personnes âgées, il faut qu’il y ait des mesures de protection pour s’assurer qu’ils ne seront pas exposés à la violence.

Cela dit, je pense que c’est la même chose pour les gens qui travaillent comme policiers ou gardiens de prison, parce que j’ai vécu la violence de ces gens. Je l’ai vue à plusieurs reprises, et ils sont encore autorisés à travailler dans ces établissements.

M. Bawwab : Merci beaucoup de votre question. Je dirais tout d’abord que, dans certains domaines d’emploi où il y a des enfants ou des personnes vulnérables, la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, qui est également prévue dans le projet de loi, est suffisante pour évaluer les personnes qui peuvent représenter un risque pour les personnes vulnérables.

En ce qui concerne le logement, j’aimerais faire écho aux propos de ma collègue, à savoir que tout le monde mérite d’avoir un logement. J’ai déjà entendu des objections au sujet des personnes qui ont commis des infractions sexuelles et de la question de savoir si elles devraient figurer dans un registre. C’est déjà maintenu. Qu’elles obtiennent un pardon ou non, elles figurent toujours sur la liste des délinquants en ce qui concerne le risque pour les collectivités.

Essentiellement, le projet de loi n’enlève rien aux renseignements de la police sur des personnes. Ce qu’il fait, c’est qu’il garde les casiers séparés en ce qui concerne les possibilités d’emploi, peut-être pour voyager aux États-Unis, pour obtenir un logement ou un emploi, ou pour poursuivre des études.

Après ma condamnation, j’ai essayé de faire une demande pour poursuivre mes études à l’université, et on m’a dit qu’en raison de ma condamnation, je n’avais pas le droit d’aller sur le campus. Il y a un processus très discriminatoire qui consiste à vérifier le casier judiciaire même pour l’admission dans une école. Si vous essayez de suivre le droit chemin en reprenant vos études et en vous réinsérant dans la société, il y a de nombreux obstacles liés au fait d’avoir un casier judiciaire, selon le système actuel.

Le président : Merci à vous deux. J’ai moi-même une brève question à poser. Ma question s’adresse à Mme Salih.

Votre centre traite-t-il avec des clients qui ont de la difficulté à régler leur casier judiciaire et à obtenir une suspension? Nous avons entendu de nombreuses personnes, notamment Mme Fayter, dire qu’il s’agit d’un processus complexe, même pour des gens instruits qui connaissent peut-être mieux le système. J’aimerais savoir si cela se reflète dans le travail que vous faites et si, d’une certaine façon, cela alourdit le fardeau administratif dans une clinique qui a probablement déjà beaucoup de clients sans cela.

Mme Salih : Je vous remercie de la question. Non, nous ne travaillons pas directement avec les clients qui demandent la suspension de leur casier judiciaire, mais ce que vous dites est exact. Je pense que nous n’avons pas la capacité voulue pour pouvoir faire ce travail.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à nos témoins. Ma question s’adresse à Mme Fayter. Vous avez dit quelque chose de très intéressant. Vous avez dit que pour des gens qui travaillent avec des personnes âgées ou des enfants, ces organismes qui les emploient devraient avoir accès à l’information sur les antécédents criminels, surtout si ce sont des prédateurs sexuels.

Au Canada, dans presque toutes les provinces, il y a la loi de Clare, donc les femmes qui ont des liens avec un homme qui a des comportements violents peuvent maintenant aller vers les policiers et connaître les antécédents de violence de ces hommes pour se protéger et parfois même sauver leur vie.

Ce projet de loi va dorénavant empêcher les policiers de donner cette information, parce qu’elle ne sera plus disponible. Croyez-vous encore que ce projet de loi risque de mettre en danger certaines femmes ou certains organismes, comme les garderies, si ces informations ne sont plus disponibles? Je rappelle que contrairement à ce que M. Bawwad a dit, pour les crimes à caractère sexuel, le pardon sera automatique; ils ne seront pas dans le système.

Madame Fayter, est-ce que le projet de loi peut être à risque pour des gens dans les garderies ou les femmes ayant un lien avec un homme qui a des antécédents violents?

[Traduction]

Mme Fayter : Merci. Je ne sais pas si je peux vraiment faire des commentaires à ce sujet, car je ne me suis pas concentrée sur cet aspect du projet de loi. De toute évidence, les enfants et les personnes vulnérables, comme les femmes, doivent être protégés. Je ne peux pas vraiment me prononcer là-dessus. Je suis désolée.

M. Bawwab : J’aimerais intervenir, si c’est possible, pour apporter une rectification.

Selon ce projet de loi, un système automatisé de réhabilitation ne supprimerait pas les renseignements que la police possède sur ce genre de personnes, car il maintient la vérification du casier judiciaire en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables. Il y aurait de l’information policière sur ce genre de personnes, comme le sénateur l’a dit ou proposé.

Les gens qui ont commis des infractions sexuelles ou qui sont des prédateurs seraient toujours contrôlés par la police. La seule chose que fait ce projet de loi, c’est qu’il garde les casiers en dehors du CIPC, dont seulement les données pourront être vues par les employeurs, à la frontière, pour une demande de logement ou toute autre vérification. En ce qui concerne les forces policières, elles ont toujours accès à l’information à des fins d’enquête.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Pour poursuivre dans la même veine, j’aimerais que vous me donniez tous des renseignements tirés de vos recherches et de vos expériences sur le nombre de fois où les agressions sexuelles font l’objet de plaidoyers en vue d’obtenir des peines moins sévères, et que vous me disiez si vous avez envisagé d’autres façons d’assurer la sécurité. Je pense à des choses comme la double dotation en personnel dans les centres de la petite enfance, à certaines des façons dont les différentes institutions ont envisagé de régler ce problème, en reconnaissant le faible taux de signalement, de condamnation et de suivi en pareil cas.

Le président : Qui veut commencer?

M. Bawwab : Pour ce qui est de la vérification du casier en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, c’est l’objet même de cette partie du projet de loi. C’est pour protéger les personnes vulnérables contre les auteurs d’agressions sexuelles. Étant donné le faible taux de signalement de ces infractions, les poursuites peuvent être minimes dans le système actuel, bien qu’il faille faire d’autres recherches à ce sujet. Le taux de récidive de ces délinquants est faible comparativement à celui des personnes qui ont un casier judiciaire ou non. Je pense que nous devons faire plus de recherche sur cette partie de l’enquête. Nous devons souligner que la vérification du casier en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables existe et que les renseignements sur ces personnes ne sont pas inaccessibles à la police. C’est ainsi qu’on protège les gens. Il y a d’autres moyens, comme l’a suggéré l’honorable sénatrice Kim Pate.

La sénatrice Pate : Je suis beaucoup plus âgée que chacun d’entre vous, mais seriez-vous surpris d’apprendre que mes premiers contacts avec des personnes purgeant une peine de ressort fédéral a eu lieu dans le cadre de refuges, de foyers pour personnes ayant une déficience intellectuelle, de résidences pour personnes âgées et de l’aménagement de mobilier et d’autres centres d’activités pour les garderies? C’était au milieu des années 70. Cela vous étonne-t-il?

Le président : Personne n’est assez vieux pour le savoir, je suppose, sénatrice Pate.

La sénatrice Pate : Et le fait qu’en 1992, l’enseignement postsecondaire était offert et qu’il y avait des campus satellites dans la plupart des pénitenciers fédéraux.

Le président : Je pense que cela met fin à notre liste de questions et de réponses et de conversations avec vous. Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir fait part de vos expériences personnelles. Elles sont, j’en suis sûr, difficiles, et nous sommes, je l’espère, très sensibles à cela et très reconnaissants que vous nous ayez fourni ce contexte dans le cadre de l’étude de ce projet de loi. Nous vous remercions de vous être joints à nous aujourd’hui et d’avoir répondu à nos questions avec autant d’ouverture, de franchise et d’honnêteté.

Nous allons poursuivre avec notre deuxième groupe de témoins, qui se joignent à nous pour nous aider dans notre étude du projet de loi S-212. Dans ce groupe, nous accueillons Laurel McBride, membre du collectif du Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter, et Jennifer Dunn, directrice générale du London Abused Women’s Centre. Comme on vous l’a dit, nous vous invitons à prendre la parole pendant environ cinq minutes chacune, après quoi les sénateurs vous poseront des questions et discuteront avec vous.

Laurel McBride, membre du collectif, Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui. Je m’appelle Laurel McBride et je suis membre du collectif et travailleuse de première ligne au Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter. Je me joins à vous aujourd’hui à partir du territoire non cédé des peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.

Nous appuyons sans réserve l’objectif du projet de loi S-212, qui est de promouvoir l’intégration dans la collectivité en éliminant les obstacles aux besoins essentiels comme le logement et l’emploi. Compte tenu des inégalités fondées sur la classe sociale et la race qui sévissent dans notre système de justice pénale, l’intention du projet de loi de soulager les personnes qui ont été criminalisées du fardeau de l’obtention d’une suspension de leur casier judiciaire est louable.

Pour renforcer ce que d’autres ont dit, ce que nous entendons de la part des femmes qui ont des antécédents de criminalisation, c’est qu’elles n’ont pas les ressources nécessaires pour faire face aux coûts et aux complexités liés à la demande de suspension du casier, et que, pour cette raison, elles n’en bénéficient pas.

Nous nous réjouissons de voir une disposition qui interdira la divulgation des condamnations dans le cadre de la vérification du casier judiciaire pour des infractions qui sont maintenant décriminalisées. Notre Code criminel, à juste titre, ne criminalise plus — pour la plupart — les femmes qui se prostituent. Cependant, en raison de nos lois antérieures, bon nombre d’entre elles ont été injustement aux prises avec des casiers judiciaires qui continuent de nuire à leur capacité de quitter l’industrie du sexe, de trouver un emploi intéressant et de contribuer à la société en faisant du bénévolat. Nous faisons partie de la Women’s Equality Coalition et nous réclamons la radiation de tous les dossiers de condamnations en vertu des articles 210.1 et 213(1)c) du Code criminel, qui ont depuis été abrogés.

Lorsque nous examinons la crise des féminicides au Canada, il est clair que l’approche de l’État à l’égard des hommes violents est erronée et qu’elle rend les femmes vulnérables aux homicides commis par leurs partenaires masculins. Nous sommes d’accord avec la sénatrice Pate pour dire que la vérification du casier judiciaire ne sera jamais, à elle seule, un moyen efficace de protéger les personnes contre les dangers.

Nous constatons à maintes reprises que des hommes accusés d’avoir commis des voies de fait et d’avoir proféré des menaces sont remis en liberté dans la collectivité sans qu’il y ait de surveillance réelle pour s’assurer qu’ils ne donnent pas suite à ces menaces. L’an dernier, en Colombie-Britannique, cinq femmes ont été assassinées par leur conjoint actuel ou leur ex‑partenaire masculin, qui avait été libéré sous certaines conditions. Ces ordonnances ne les protégeaient pas. Nous avons désespérément besoin de mécanismes robustes pour nous assurer que les femmes et leurs enfants sont protégés contre les hommes qui présentent de graves risques pour eux.

De plus, la réaction de l’État à l’égard des femmes qui signalent des agressions sexuelles contre elles est absolument lamentable. Moins de 5 % des cas d’agression sexuelle enregistrés par la police au Canada donnent lieu à un procès. Seulement 3,5 % des cas d’agression sexuelle enregistrés par la police au Canada donnent lieu à une condamnation de l’agresseur. Il est évident que l’État ne tient pas les hommes qui choisissent de violer ou d’agresser sexuellement responsables de leurs actes, et ce sont les femmes qui font les frais de cette décision.

Nous croyons depuis longtemps que les hommes peuvent changer, que la misogynie qui imprègne nos relations sociales et nos institutions n’est pas inhérente et peut être modifiée grâce à une volonté politique et individuelle suffisante. Le système de justice pénale doit être transformé pour rendre justice, pour faire face à la fréquence et à l’omniprésence de la violence des hommes et pour enfin envoyer le message à ceux qui commettraient de tels actes contre les femmes que cela ne sera pas toléré.

Nous sommes satisfaites de voir que le projet de loi prévoit une exception à l’expiration permanente et définitive des casiers. Les femmes nous disent régulièrement que leur motivation à signaler une agression sexuelle à la police est de protéger les autres femmes contre leurs agresseurs. Le système leur dit que même s’ils ne débouchent pas sur une condamnation, leurs efforts ne seront pas vains parce que la police saura que l’agresseur a fait l’objet d’une enquête pour agression sexuelle si une autre femme porte plainte. De plus, la police pourrait prendre une plainte plus au sérieux, sachant que ce n’est pas la première fois.

Les questions de sécurité publique dominent actuellement le discours public. Bien que les causes de la violence soient complexes et multifactorielles, il existe de nombreuses politiques publiques qui peuvent améliorer la vie de nombreux Canadiens et réduire la prévalence de la violence dans notre société.

La mise en œuvre d’un solide filet de sécurité sociale devrait comprendre un revenu de subsistance garanti, un logement sûr, abordable et à long terme, des programmes de traitement volontaire sur demande de la toxicomanie et un soutien en santé mentale, le soutien concret et la reconnaissance du droit des femmes autochtones d’élever leurs enfants et la fin de la détention et de la déportation des migrants. Un changement de paradigme s’impose au Canada. Nos politiques actuelles d’austérité emprisonnent les gens dans la pauvreté et souvent dans la criminalité, au lieu de leur donner un coup de main.

Le coût des biens essentiels augmentant à un rythme effréné, de plus en plus de gens sont poussés vers la précarité économique. Les programmes qui répondent à leurs réalités ne sont pas des luxes exorbitants qu’il serait agréable d’avoir; ils représentent des exigences minimales pour une société saine qui valorise tout le monde. Merci.

Le président : Merci, madame McBride.

Madame Dunn?

Jennifer Dunn, directrice générale, London Abused Women’s Centre : Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis la directrice générale du London Abused Women’s Centre, ici à London, en Ontario. Nous sommes une organisation féministe qui appuie et préconise des changements personnels, sociaux et systémiques visant à mettre fin à la violence masculine envers les femmes et les filles. Nous sommes une organisation non résidentielle qui fournit aux femmes et aux filles de plus de 12 ans qui ont été victimes de violence, de voies de fait, de harcèlement, d’exploitation, de traite ou de torture non étatique, un accès immédiat à des services de counselling, de défense des droits et de soutien à long terme, adaptés aux traumatismes et axés sur les femmes.

Dans l’ensemble, le London Abused Women’s Centre considère le projet de loi S-212 comme un bon outil pour éliminer les obstacles qui empêchent d’avancer après une condamnation au criminel. En novembre 2021, l’honorable sénatrice Kim Pate a déclaré :

Un casier judiciaire n’est pas un portrait complet d’une personne; c’est un instantané d’un moment — habituellement le pire — de sa vie.

Nous croyons que c’est vrai.

Je tiens à souligner que nous nous réjouissons de voir que les infractions sexuelles ne sont pas prises en compte dans le projet de loi S-212. Des témoins qui ont comparu au sujet de ce projet de loi ont dit que notre système de justice pénale était extrêmement discriminatoire, et nous sommes d’accord. Mais nous aimerions également ajouter que le système de justice pénale est patriarcal à un degré alarmant. Nous le voyons tous les jours. Habituellement, on voit sur le terrain que les femmes souffrent à cause du système de justice pénale alors que les hommes ont le bénéfice du doute. Des femmes nous ont dit que, parfois, on accorde toute l’attention voulue à leurs agresseurs, et qu’elles ont l’impression que ce qui leur est arrivé n’a pas d’importance.

Historiquement, nous savons par notre travail, que les tribunaux de la famille et les tribunaux pénaux ne travaillent pas ensemble. Beaucoup de femmes sont affectées par le fait que le tribunal de la famille ne tient pas compte du casier judiciaire des hommes. Les femmes que nous servons craignent que l’expiration automatique du casier judiciaire puisse leur être préjudiciable, surtout dans les affaires relevant des tribunaux de la famille.

Des victimes, souvent des femmes, purgent des peines d’emprisonnement à perpétuité à cause de la violence dont elles sont victimes. Elles comptent sur des services comme le nôtre pour les aider lorsqu’un événement traumatisant se produit. Pour prendre l’exemple du tribunal de la famille, vous devriez savoir que celui de London, en Ontario, a deux intervenantes en soutien qui peuvent aider les femmes à s’y retrouver dans le système — deux, dans une ville de près d’un demi-million d’habitants.

Évidemment, pour avoir un casier judiciaire, il faut d’abord qu’il y ait eu une condamnation. Les femmes ont de la difficulté à dénoncer ce qui leur est arrivé parce qu’il faut des années pour en arriver à une condamnation, si tant est qu’il y en ait une. En fin de compte, les femmes qui font appel à nos services veulent que leurs agresseurs soient tenus responsables de leurs actes. Les condamnations sont si rares, que lorsqu’il y en a une, le casier est important pour témoigner peut-être d’un certain mode de comportement, surtout devant une instance comme le tribunal de la famille.

Nous sommes fermement convaincues que le projet de loi S-212 est un outil nécessaire pour éliminer les casiers judiciaires des personnes qui ont été accusées dans le passé d’infractions qui ne sont plus criminalisées maintenant. Un exemple serait une infraction liée à la prostitution avant l’adoption de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, en 2014. C’est à cet égard que nous croyons que la radiation automatique sans demande ou frais serait de la plus haute importance. Il faut réduire les obstacles à la réintégration dans la vie de tous les jours. En général, les gens devraient être en mesure de contribuer à leur collectivité et d’avoir de réelles possibilités. Nous savons que la vérification du casier judiciaire est exigée pour les emplois et les postes de bénévoles. La divulgation de casiers montrant une implication dans le commerce du sexe, par exemple, à des employeurs éventuels peut avoir des conséquences négatives et entraîner une stigmatisation inutile.

En conclusion, le London Abused Women’s Centre aimerait proposer les recommandations suivantes pour examen. Premièrement, le gouvernement supprimera automatiquement tous les dossiers de condamnation pour les personnes qui ont été accusées par le passé d’infractions qui ne sont pas criminalisées à l’heure actuelle, surtout en ce qui concerne les condamnations avant l’adoption de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation en 2014. Deuxièmement, le gouvernement du Canada investira dans la sensibilisation et l’éducation du public afin de s’attaquer aux problèmes systémiques entourant la violence faite aux femmes par les hommes, et ce, pour contribuer à la prévention de la violence faite aux femmes, ce qui permettra d’avoir un système de justice pénale où les obstacles sont réduits pour tous. Troisièmement, le gouvernement du Canada investira dans des organismes qui aident les gens à naviguer dans le système. Merci.

Le président : Merci, madame Dunn. Merci à vous deux de vos contributions précises, opportunes et ciblées pour lancer notre discussion.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie les témoins pour leur présence. Madame Dunn, actuellement les dossiers criminels pour les crimes à caractère sexuel qui apparaissent à l’annexe 1 du Code criminel ne sont pas admissibles à la suspension du dossier. Le projet de loi S-212 amène un changement radical et désormais, l’expiration des dossiers criminels pour les crimes figurant à l’annexe 1 sera automatiquement abolie.

Où avez-vous lu dans le projet de loi que les crimes à caractère sexuel ne sont pas touchés par l’abolition du pardon?

[Traduction]

Mme Dunn : Je vous remercie de votre question. Je regarde mes notes ici, et j’ai beaucoup d’éléments d’information surlignés dans tous les documents que j’ai lus au sujet du projet de loi.

J’ai lu qu’en raison des obstacles au signalement des agressions sexuelles, le projet de loi S-212 prévoit une exception à l’expiration permanente du casier concernant les agressions à caractère sexuel visées à l’annexe 1 et à l’annexe 2.

Je crois comprendre que les infractions d’agression sexuelle ne sont pas visées par le projet de loi. J’interprète peut-être mal, mais c’est ce que nous avons compris.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je pense que vous avez raison, vous avez mal interprété et le témoin précédent a aussi mal interprété l’information. Je trouve dommage que vous ayez une connaissance partielle de ce projet de loi.

Mon autre question s’adresse aux deux témoins. Actuellement, dans les cas de violence sexuelle graves contre des enfants, contre des femmes, surtout dans les cas de récidive, il y a impossibilité pour les gens qui ont commis ce type de crimes d’obtenir un pardon.

Demain, ils pourront obtenir un pardon. La conséquence d’obtenir un pardon, c’est que ces personnes disparaissent complètement du radar des policiers. Pour qu’un policier ait accès de nouveau à leur dossier, qui sera consigné à la Gendarmerie royale du Canada, il faudra qu’un crime soit commis. Si aucun crime n’a été commis, le policier n’aura pas accès à ce dossier; c’est la condition pour réouvrir le dossier d’un criminel qui a obtenu un pardon.

Considérez-vous qu’il est sécuritaire pour les femmes et les enfants qu’un récidiviste et prédateur sexuel dangereux obtienne un pardon et que cette information ne soit plus accessible pour les policiers?

[Traduction]

Mme McBride : Je vous remercie de la question. Je répéterai ce que j’ai dit plus tôt au sujet du manque de sensibilité du système de justice pénale vis-à-vis des crimes de violence contre les femmes. La proportion des personnes qui sont criminalisées est infime par rapport à ce qui se passe dans notre société. Nos efforts devraient viser à faire en sorte que toutes les femmes reçoivent une réponse appropriée et qu’il n’y ait aucune tolérance à l’égard des crimes de violence contre les femmes. Nous devons vraiment mobiliser les ressources du système de justice pénale pour réagir efficacement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il y a des hommes qui ont des déviances qui ne se guériront jamais. Il faut les contrôler à long terme ou de façon permanente. Êtes-vous d’accord pour dire que, dans notre système de justice et de sécurité publique, il devrait y avoir une distinction entre ceux qui sont dangereux et ceux qui ne le sont pas?

[Traduction]

Mme McBride : Merci, sénateur. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous croyons que les hommes sont capables de changer, que ce n’est pas quelque chose d’inhérent ou d’immuable. C’est possible, et nous devrions agir en pensant que c’est possible.

Cependant, il faut aussi trouver un juste équilibre en veillant à ce que les femmes soient protégées. Comme je l’ai dit plus tôt, lorsque des femmes appellent la police, trop souvent, elles ne sont pas prises au sérieux; on fait peu de cas des hommes et on les renvoie dans la collectivité à la condition qu’ils ne communiquent pas avec ces femmes sans s’assurer qu’ils respectent les ordonnances. C’est dans ces situations que nous voyons si souvent que des femmes sont assassinées, où le système de justice pénale intervient déjà, mais ne protège pas les femmes. C’est vraiment important pour nous.

Le sénateur Klyne : Mes questions s’adressent aux deux témoins. À l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-212, la sénatrice Kim Pate a déclaré que, du point de vue de la sécurité publique, il est plus efficace que le casier judiciaire expire simplement après un certain temps. Pouvez-vous nous faire part du point de vue de votre organisation à ce sujet?

Mme Dunn : Merci beaucoup de la question. Notre réponse comporte deux volets, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

Nous croyons que la réinsertion sociale doit être considérée comme une priorité et qu’il n’y a pas suffisamment de ressources dans la collectivité par l’entremise d’organismes de financement et de programmes communautaires. Tout le monde se bat pour garder la tête hors de l’eau. Il est très important que les personnes qui ont eu des démêlés avec le système de justice pénale, qui sont vulnérables, aient moins d’obstacles lorsqu’elles essaient d’avoir accès à toutes sortes de choses; l’accès au service pour avoir accès à la possibilité d’un pardon pour leur peine. L’expiration automatique pour certaines infractions et l’absence de frais à payer seraient de la plus haute importance.

Cela dit, j’ai l’impression — et cela a trait à ma déclaration et à ce que j’ai dit au sujet de nos systèmes — qu’à ce jour, en 2023, étant très patriarcaux, nous n’en sommes pas encore là. Nous ne sommes pas à un point où on croit les femmes. Les femmes doivent endurer beaucoup pour arriver au point de même signaler ce qui leur est arrivé, si c’est ce qu’elles décident de faire au départ.

C’est une façon de voir les choses. J’ai mentionné plus précisément la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. Laurel McBride avait mentionné les articles 210 et 213 et la radiation automatique du casier. Dans ce cas, ce serait de la plus haute importance, car ces personnes ne sont plus criminalisées. À quoi cela sert-il d’avoir un casier judiciaire pour quelque chose qui n’est même plus considéré comme criminalisé? C’est seulement préjudiciable.

Mme McBride : J’abonde dans le même sens que Mme Dunn. Nous croyons fermement à la réinsertion sociale et nous comprenons l’esprit du projet de loi qui vise à rendre cela beaucoup plus possible et à éliminer bon nombre des obstacles auxquels font face les gens qui essaient de faire ce travail.

Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous entendons des femmes nous dire à quel point il est difficile, une fois qu’elles ont été criminalisées, de ne pas avoir cette épée au‑dessus de leur tête. Nous comprenons l’intention du projet de loi de transférer le fardeau de la personne à l’appareil gouvernemental. Nous appuyons cet aspect du projet de loi.

Le sénateur Klyne : Le projet de loi S-212 faciliterait la réinsertion sociale des détenteurs de casier judiciaire une fois qu’ils ont purgé leur peine, dans le but de permettre un retour à la vie presque normale. Votre organisation peut-elle commenter cet objectif proposé et l’incidence qu’il pourrait avoir sur la prestation des services de soutien aux victimes?

Mme Dunn : Je vous remercie de la question. Je peux parler de ce que nous voyons chaque jour dans le cadre de notre travail.

Il est de la plus haute importance de tenir compte de l’utilité — je vais parler des femmes en particulier — pour les femmes de ne pas pouvoir faire fausse route, si vous voulez, et d’avoir toutes les possibilités, moins d’obstacles, de réintégrer leur vie quotidienne « normale ». Les femmes méritent un soutien global. Les femmes méritent l’éducation, l’accès aux soins de santé, l’accès au logement et un revenu abordable garanti. Sans ces choses, il y a de fortes chances que les femmes aient à faire quelque chose qui ne devrait jamais être un choix.

Je crois que deux ou trois témoins dans le groupe précédent ont abordé cette question également. C’est à ce moment-là qu’on risque de faire quelque chose qui pourrait constituer un crime. Je pense que le travail que nous faisons au London Abused Women’s Centre est très utile pour aider les femmes là où elles se trouvent et avec ce dont elles ont besoin. Nous en voyons tous les jours les avantages et l’avantage pour une femme qui est vulnérable, qui vit dans la pauvreté et qui ne peut pas subvenir à ses besoins de base ou qui a besoin d’un repas pour survivre. L’avantage est énorme.

Lorsque vous parlez de ce dont nous parlons en ce moment, dans l’ensemble, il est vraiment important d’avoir toutes les possibilités de réinsertion sociale et de faire partie à nouveau de la société et de la collectivité.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Merci à nos deux témoins et je vous remercie du travail que vous faites tous les jours. Ma question s’adresse à vous deux. C’est l’une des questions que vous avez soulevées, madame Dunn, lorsque vous avez comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, au sujet des peines minimales obligatoires, et vous y avez fait allusion aujourd’hui également. Il y a souvent un problème de déni de justice lorsqu’on examine la façon dont les femmes réagissent à la violence dont elles sont victimes.

L’une d’entre vous est-elle à l’aise de parler de la nature des accusations obligatoires, de la violence fondée sur le sexe, de la violence entre partenaires et de la violence faite aux femmes? L’accent mis sur les accusations obligatoires a-t-il entraîné une criminalisation accrue des femmes? Pensez-vous que les casiers judiciaires pourraient exacerber les situations de violence dans lesquelles les femmes se trouvent?

Mme McBride : Merci, sénatrice Pate. En ce qui concerne les accusations obligatoires, je pense que vous faites référence aux femmes qui sont victimes de violence et qui sont, partant, accusées d’avoir été elles-mêmes victimes de violence. Nous voyons assurément des cas où cela s’est produit. Ce n’est pas quelque chose que nous voyons très souvent. Comme je l’ai dit plus tôt, il y a très peu d’accusations liées à la violence faite aux femmes. Bien sûr, des accusations sont portées contre les hommes, mais nous avons des exemples de femmes qui sont accusées elles-mêmes d’avoir signalé des actes de violence ou d’être interpellées par la police.

Je ne sais pas si j’aurais quoi que ce soit de concluant en ce qui concerne les politiques d’accusation obligatoire ou les casiers judiciaires eux-mêmes.

Les femmes avec lesquelles nous travaillons ont des casiers judiciaires pour toutes sortes de crimes, souvent liés à la pauvreté. Comme Mme Dunn et d’autres témoins l’ont indiqué, le fait d’être dans l’industrie du sexe et de se prostituer signifie que les femmes ont elles-mêmes un casier judiciaire.

Le président : Merci. Madame Dunn?

Mme Dunn : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Pate. J’ai l’impression que ce sera une autre de ces réponses à deux volets. Et je me sens un peu comme un disque rayé quand je dis que notre système est encore très patriarcal.

Il est facile de dire, pour les femmes que nous servons, que lorsqu’elles sont accusées ou ont un casier judiciaire, nous voyons la valeur de ce dont nous parlons maintenant — l’expiration automatique du casier judiciaire et des choses de ce genre et la réinsertion dans la collectivité.

En ce qui concerne les politiques d’accusation obligatoire — excusez-moi, j’ai l’air de m’éparpiller —, je suis d’accord avec Mme McBride. Nous ne voyons pas souvent, dans notre centre, des femmes accusées de violence familiale. Ce sont souvent des hommes qui sont accusés, mais cela ne veut pas dire que cela n’arrive pas. Je me souviens d’une situation où une femme a été accusée. Comme notre système est encore très patriarcal, c’est très difficile pour ces femmes. Souvent, il n’est pas logique qu’une femme soit accusée.

Mais la valeur de la réinsertion et du soutien — je crois l’avoir déjà mentionné, l’approche « sans fausse route » et les services complets pour ces femmes sont de la plus haute importance.

Le président : Merci, madame Dunn.

La sénatrice Pate : Je veux clarifier. Je présente mes excuses à mes collègues et aux témoins. Nous en sommes à la troisième ou la quatrième mouture du projet de loi. Bien que la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables ne soit pas explicitement prévue dans le projet de loi, elle est survenue après y avoir été mise en place à deux reprises. Nous avons entendu les critiques de groupes de femmes et d’autres groupes qui travaillent avec des personnes dans le système et qui disent que cela créerait un faux sentiment de sécurité. Nous avons veillé à ce qu’il n’y ait pas de période de criminalité. Il y a aussi le signalement et les préoccupations si les gens prétendent faussement qu’ils n’ont pas été impliqués dans un comportement antérieur. Cela peut être avancé. Je tenais à le préciser aux fins du compte rendu.

Le président : C’était une question de pure forme.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux deux témoins. J’aimerais m’assurer que je comprends bien ce que vous dites, toutes deux, de façon différente.

Selon votre expérience auprès des femmes, dans des situations réelles, dans vos deux organisations, vous avez rencontré des femmes victimes de violence et vous avez aussi rencontré des femmes qui ont été criminalisées, mais qui ne l’ont pas été pour des crimes violents.

Quelque chose me frappe dans vos deux témoignages. Je crois que vous n’êtes pas la seule, madame Dunn, à dire que le système de justice criminel est patriarcal et discriminatoire contre les femmes. Dans tous les coins du pays, on s’en rend compte. Ce qui me frappe dans vos témoignages, ce sont les raisons pour lesquelles les femmes viennent vous voir. Je pense avoir entendu que celles qui viennent vous voir pour des crimes de violence contre elles sont la majorité, et lorsque des femmes criminalisées viennent vous voir, elles ne sont pas coupables de crimes violents. Vous ai-je bien comprises?

[Traduction]

Mme McBride : Je vous remercie de la question, sénatrice. Notre mandat est de soutenir les femmes victimes de violence faite par des hommes. C’est le principal travail que nous faisons. Cependant, les femmes avec lesquelles nous travaillons sont souvent ciblées par de multiples forces. Il y a la violence faite par des hommes, mais aussi la pauvreté, le racisme, le colonialisme. Tous ces facteurs font en sorte que la femme peut être criminalisée. Nous soutenons des femmes de divers milieux, y compris des femmes qui ont des antécédents de criminalisation.

Mme Dunn : Je vous remercie de la question. Ma réponse est presque identique à celle de Mme McBride. Nous appuyons surtout les femmes qui ont été victimes de violence, de mauvais traitements, d’agressions et de harcèlement de la part d’hommes, ainsi que les femmes qui ont été victimes de traite et d’exploitation. Mais nous appuyons aussi les femmes qui pourraient avoir un casier judiciaire, mais, vous avez raison, ces casiers concernent surtout des infractions non liées à la violence.

Nous soutenons également les femmes pendant leur incarcération. L’une de nos conseillères se rend une fois par semaine au Centre de détention d’Elgin-Middlesex pour soutenir les femmes qui s’y trouvent. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Clement : Je tiens à vous remercier toutes les deux d’être venues aujourd’hui. Je tiens à vous remercier du travail que vous faites et de vos carrières. Je dois dire que vous faites preuve d’une très belle éloquence. Vous brossez toutes les deux un tableau très clair. Je vous en suis reconnaissante. Merci.

J’aimerais poser une question à Mme McBride en particulier, parce que dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que nous parlons beaucoup de sécurité publique, du point de vue de la loi et de l’ordre, mais pas suffisamment des questions de pauvreté, de logement et de toutes ces autres questions. Il me semble que vous êtes en faveur d’un processus automatique, d’un processus d’expiration de casier judiciaire et que vous utilisez l’expression transférer le fardeau de la personne à l’appareil gouvernemental. J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet. Ce qui est proposé, c’est que la Commission nationale des libérations conditionnelles prenne en charge cette expiration automatique. Mais d’autres témoins nous ont dit qu’il y avait de la discrimination systémique au sein de ces institutions. Selon vous, qui est le mieux placé pour mettre en œuvre le projet de loi? Qui est le mieux placé pour s’occuper de l’expiration automatique?

Mme McBride : Merci, sénatrice Clement.

À mon avis, il est un peu difficile de dire qui serait le mieux placé pour surveiller et mettre en œuvre l’expiration automatique du casier. Je pense que les témoins précédents ont peut-être un peu plus d’expertise dans ce domaine. Mais ce que j’ai retenu de cette conversation, ce sont, comme vous l’avez dit également, les préjugés qui sont intégrés au système. Je pense que le fait d’avoir, comme l’a dit Mme Fayter, une diversité de personnes qui font partie de ce groupe, y compris des civils, pourrait être utile pour contrer certains des défis qui ont été soulevés dans les versions précédentes de l’administration des suspensions de casier.

La sénatrice Clement : Pour revenir à votre déclaration préliminaire, comment devrions-nous réorienter la conversation au lieu de mettre l’accent sur la loi et l’ordre et la sécurité publique? Comment devrions-nous faire pour que d’autres enjeux occupent plus de place?

Mme McBride : C’est une excellente question. C’est un sujet dont nous parlons beaucoup et que nous essayons toujours d’intégrer dans notre travail de sensibilisation du public. Outre la lutte contre la violence faite aux femmes par des hommes et les aspects patriarcaux du système dont Mme Dunn a parlé, nous devons améliorer notre filet de sécurité sociale. Les Canadiens ont besoin de plus. Il est évident qu’il y a tellement de personnes sans logement que les femmes dans notre maison de transition ont de la difficulté à trouver un logement après avoir fui un partenaire violent. Le système d’aide au revenu ne répond pas aux besoins essentiels de la vie, de sorte que les femmes et leurs enfants se retrouvent dans la misère et doivent trouver les ressources nécessaires pour subvenir à leurs besoins. Nous ne pouvons pas tolérer cela. Je pense que lorsque nous parlons de sécurité publique, nous devons penser à la sécurité dans un sens vraiment holistique, qui comprend les éléments essentiels à la vie.

Merci.

La sénatrice Clement : Madame Dunn, avez-vous une réaction ou un commentaire à ce qui a été dit?

Mme Dunn : Merci beaucoup. J’ai un commentaire. J’ai l’impression que je ne peux pas vraiment parler de la Commission nationale des libérations conditionnelles par rapport à une autre organisation pour s’occuper de cela. Je ne peux pas me prononcer là-dessus.

J’aimerais dire que, peut-être, et cela s’appliquerait à l’échelle municipale, alors je ne sais pas comment cela fonctionnerait, alors peut-être que c’est à côté de la plaque, mais il pourrait être utile d’avoir un comité consultatif d’organismes communautaires sur le terrain — peut-être pour aider à examiner les politiques et les procédures concernant l’expiration automatique du casier. Je sais qu’ici, à London, par exemple, il y a un comité d’examen des cas d’agression sexuelle qui travaille avec la police et qui aide à examiner les cas d’agression sexuelle au fur et à mesure qu’ils se présentent. Voilà où je voulais en venir. Je ne sais pas si c’est possible. Mais j’ai l’impression que lorsque vous avez la voix des femmes qui ont l’expérience vécue, ou de personnes qui ont l’expérience vécue, c’est toujours bénéfique. Je pense qu’il serait très utile d’examiner la façon dont ce système serait mis en œuvre.

La sénatrice Clement : Vous êtes toutes les deux formidables. Merci.

Le président : J’ai une brève question. Je me demande si chacune d’entre vous peut parler de la question de savoir s’il y a ou s’il devrait y avoir des limites en ce qui concerne le processus de révocation automatique. À votre avis, y a-t-il des infractions qui devraient être exclues du processus visé par le projet de loi? Sans même parler de ce que le projet de loi fait ou ne fait pas, compte tenu du travail que vous faites et du travail que vous faites au nom des communautés très vulnérables, comment réagissez-vous à cette question? Peut-être Mme McBride d’abord, puis Mme Dunn.

Mme McBride : Merci, sénateur. Nous croyons qu’il est utile que la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables soit exacte lorsque nous envisageons d’engager une personne qui travaille auprès de personnes vulnérables, qu’il s’agisse d’enfants, ou dans des foyers de soins ou des hôpitaux.

Mais je dirais encore une fois et, comme la sénatrice Pate y a fait allusion, le faux sentiment de sécurité, que même si cette vérification est faite, elle n’attrape pas nécessairement tous ceux et celles qui ont commis ces crimes, seulement ceux et celles qui ont été reconnus coupables de tels crimes. Ce n’est pas représentatif de ceux et celles qui ont des antécédents de violence ou qui pourraient représenter un risque pour la population.

Merci.

Le président : Madame Dunn.

Mme Dunn : Merci beaucoup de la question. Ma réponse sera un peu différente de celle de Mme McBride. Compte tenu de la façon dont notre système est structuré à l’heure actuelle et du fait qu’il est si difficile pour les femmes, les jeunes femmes, de signaler une agression sexuelle, par exemple, je dirais que les infractions à caractère sexuel devraient être exclues en ce qui concerne l’expiration automatique.

Je pense qu’il serait peut-être avantageux d’avoir un processus de demande qui permet d’avoir une vue d’ensemble. C’est ainsi que j’aimerais répondre à cette question.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, merci à nos deux invitées.

Ma question s’adresse aux deux témoins. Connaissez-vous la loi de Clare?

La loi de Clare prévoit qu’une femme qui engage une relation affective avec un homme qui a des comportements violents a le droit d’aller voir un corps policier et de connaître les antécédents de cet homme pour sauver sa vie.

Si ce projet de loi est adopté, les femmes ne pourront plus avoir accès à ces informations. Êtes-vous d’accord pour mettre ces femmes en danger en ne leur donnant pas ce moyen de protection?

[Traduction]

Mme McBride : Je m’excuse. Il y a eu un retard dans la traduction et je croyais que vous aviez terminé plus tôt. Je vais maintenant répondre à votre question. Je ne vis pas dans une province où la loi de Clare a été mise en œuvre. Je peux parler de ce que je comprends du mécanisme. Je crois que cela pourrait être utile dans certaines situations. Cependant, nous tenons à réitérer que nous voulons nous assurer que les femmes qui appellent la police obtiennent une réaction proactive et que le tribunal met en place des mesures de protection pour s’assurer que ces hommes ne puissent pas récidiver dès lors que les femmes ont besoin de la protection de l’État à cet égard et que quelque chose comme le fait de connaître les antécédents d’un homme ne protège pas nécessairement les femmes. Nos priorités seraient un peu différentes. Merci.

Mme Dunn : Tout d’abord, je vous remercie de la question. Je suis d’accord avec Mme McBride, mais je crois que, compte tenu de la situation actuelle et de la façon dont nos systèmes sont établis, il est vraiment important d’assurer la sécurité des femmes et des filles. Un registre, un bout de papier, une condition ne va pas nécessairement empêcher un agresseur de faire quelque chose. Nous avons vu cela tellement de fois. Dans les cas où une condition stipule qu’une personne accusée n’est pas censée se trouver dans une certaine zone géographique où se trouve la victime, et nous avons eu un cas où une femme a reçu un message texte de son agresseur dans lequel il disait qu’il se trouvait dans le stationnement pendant qu’elle obtenait un service. Ce genre de choses ne donne rien. Mais qu’une femme sache ce qui s’est passé ou en soit informée et qu’elle se tienne au courant des accusations, des condamnations et de ce genre de choses, c’est important. Dans notre système, nous ne sommes pas encore en mesure de croire que ce qui est fait l’est dans l’intérêt des femmes et des filles, malheureusement.

Parfois, nous constatons que le meilleur indicateur du comportement futur est malheureusement le comportement passé. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. En même temps, nous convenons que des mesures de soutien, des ressources et des possibilités adéquates aideraient à surmonter ces types d’obstacles.

La sénatrice Pate : Je crois comprendre que vos deux organisations travaillent également en particulier avec des femmes autochtones et d’autres femmes racisées. Je dis cela parce que, comme vous le savez peut-être, les taux d’incarcération et de criminalisation des femmes racisées sont à la hausse. Je suis curieuse de savoir combien des femmes avec lesquelles vous travaillez et qui viennent demander de l’aide parce qu’elles ont été victimisées sont racisées et ont également un casier judiciaire, si vous le savez.

Mme Dunn : Je peux commencer, si cela vous convient. Merci beaucoup, sénatrice Pate. Je n’ai pas de chiffres en tête pour vous les présenter, mais par l’entremise du greffier, je peux fournir au comité des statistiques de notre organisme si cela peut vous être utile.

La sénatrice Pate : Excellent, merci.

Mme McBride : Je vous remercie de la question. Je n’ai pas non plus les chiffres en tête, mais je dirais qu’un grand nombre des femmes avec lesquelles nous travaillons sont noires, autochtones ou racisées. En particulier, pour les femmes qui utilisent notre maison de transition, ce sont les femmes qui ont le moins de ressources au monde, et qui comptent vraiment sur l’existence de notre maison de transition et d’autres ressources communautaires de ce genre pour pouvoir fuir un homme violent et s’établir de façon indépendante dans la collectivité.

Malheureusement, nous n’avons pas grand-chose en ce qui concerne le fait d’être criminalisé.

La sénatrice Pate : À titre de précision, et j’aurais probablement dû le dire un peu plus clairement, refuseriez-vous un service à une femme parce qu’elle a un casier judiciaire, même s’il s’agit d’une infraction avec violence?

Mme McBride : Non.

Mme Dunn : Absolument pas.

Mme McBride : Nous sommes toutes les deux sur la même longueur d’onde.

La sénatrice Pate : Merci.

Le président : Je pense que cela met fin aux questions. Au nom du comité, je tiens à vous remercier, madame McBride et madame Dunn, de vous être jointes à nous et d’avoir été aussi précises, claires et utiles dans vos exposés et dans vos réponses à nos questions. C’est un projet de loi et une étude importants que nous entreprenons, et vous nous avez beaucoup aidés aujourd’hui.

Honorables sénateurs, cela met fin à notre discussion d’aujourd’hui sur le projet de loi S-212. Je vous rappelle que la semaine prochaine, nous nous pencherons sur le projet de loi S-12, parrainé par la sénatrice Busson, et que nous accueillerons à cette occasion le ministre de la Justice, l’honorable David Lametti. Sur ce, je vous remercie de votre contribution aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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