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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 7 février 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Je suis le sénateur Boisvenu, vice-président de ce comité en remplacement de la présidente qui n’est pas ici aujourd’hui, mais qui sera ici demain.

[Traduction]

Je vais demander aux sénateurs et aux sénatrices de se présenter.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, du territoire du Traité no 4.

Le sénateur Prosper : Sénateur P. J. Prosper, de la Nouvelle-Écosse, du territoire ancestral des Mi’kmaqs.

La sénatrice Pate : Je suis Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin Anishinaabe.

La sénatrice Simons : Paula Simon, de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.

Le sénateur Cotter : Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs et sénatrices, nous nous réunissons pour poursuivre l’étude du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, parrainé par notre collègue la sénatrice Pate.

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir un habitué : Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada.

[Traduction]

Bienvenue, et merci d’être avec nous aujourd’hui. Vous pouvez commencer vos déclarations préliminaires. Vous avez 10 minutes, et après, nous donnerons la parole aux sénateurs et aux sénatrices qui auront des questions à vous poser.

[Français]

Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, Bureau de l’enquêteur correctionnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de faire des commentaires sur le projet de loi.

Comme vous le savez, le projet de loi S-230 porte sur quatre enjeux clés. Pour chacun de ces enjeux, je mettrai l’accent sur les préoccupations évoquées dans les rapports annuels de mon bureau.

Le premier enjeu porte sur les solutions de rechange à l’incarcération pour les personnes souffrant de troubles mentaux importants.

Depuis de nombreuses années, mon bureau affirme clairement que certaines personnes incarcérées souffrant de graves problèmes de santé mentale ne devraient pas être détenues dans des pénitenciers.

Nous avons recommandé à plusieurs reprises que les personnes souffrant de troubles mentaux graves, celles qui s’automutilent de façon répétée ou celles qui sont suicidaires soient transférées dans des hôpitaux psychiatriques communautaires externes.

Bien que le Service correctionnel du Canada (SCC) soit investi actuellement du pouvoir légal de transférer des individus vers des établissements psychiatriques provinciaux externes, il ne fait pas un usage judicieux de cette option, selon moi. Le SCC gère cinq centres régionaux de traitement (CRT), qui servent principalement d’établissements psychiatriques pour patients hospitalisés. Aujourd’hui, il y a moins de 200 lits d’hôpitaux psychiatriques pour les hommes et 20 pour les femmes purgeant une peine de ressort fédéral.

Le ratio global du personnel clinique par rapport au nombre de lits psychiatriques est bien inférieur aux normes communautaires attendues ou acceptables pour les soins psychiatriques aux patients hospitalisés.

[Traduction]

Le deuxième enjeu du projet de loi concerne les unités d’intervention structurée, les UIS. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime d’isolement préventif, en 2019, le Bureau a documenté de multiples préoccupations, dont les suivantes : les problèmes de collecte de données, qui rendent difficile de s’assurer de la conformité avec la loi; les lacunes en matière de conformité avec la loi en ce qui concerne le temps passé en dehors des cellules et les contacts humains significatifs; la surreprésentation des Noirs et des Autochtones ainsi que la discrimination systémique dans ces unités; et le fait que les examinateurs indépendants effectuent leurs examens sur papier, ce qui empêche de garantir la conformité, l’équité et l’application régulière de la loi. En fin de compte, leurs recommandations ne sont pas contraignantes et peuvent être ignorées.

De nombreux détenus sont placés dans des unités où les conditions de détention sont semblables, voire plus austères, que celles des UIS, sans pour autant bénéficier des avantages, des services et des mesures de protection des UIS.

Ces conclusions ont été confirmées à la fois par le Comité consultatif indépendant et créées pour surveiller la conformité avec le projet de loi C-86 et présidé par mon prédécesseur, M. Howard Sapers, et par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne dans son récent rapport sur les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral.

Le troisième enjeu concerne l’élargissement de l’accès aux articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC. Ces dispositions législatives ont été établies en 1992 pour réduire la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel fédéral.

Comme je l’ai indiqué dans ma dernière enquête systémique et dans ma mise à jour sur une question de spiritualité — je vous ai aussi fourni des copies supplémentaires de ce document —, le Service correctionnel du Canada, le SCC, n’a pas pleinement mis en œuvre ces dispositions.

Par exemple, nous avons constaté que les pavillons de ressourcement créés en vertu de l’article 81 manquaient de ressources par rapport aux pavillons gérés par le SCC, et que le nombre de places restait très limité. Ces préoccupations ont été soulevées à de nombreuses reprises au fil des ans, par nous‑mêmes et par d’autres intervenants, y compris dans l’Enquête sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées ainsi que par la Commission de vérité et de réconciliation, le Bureau du vérificateur général, de nombreux comités du Sénat et de la Chambre des communes et également par le gouvernement du Canada dans ses lettres de mandat.

Mon bureau a également formulé de nombreuses recommandations visant à mieux financer les services correctionnels communautaires et les solutions de rechange à l’incarcération. Alors qu’environ 42 % des délinquants sous responsabilité fédérale résident sous surveillance dans la collectivité, moins de 9 % des membres du personnel du SCC sont affectés à la surveillance communautaire. En outre, seulement 6 % environ du budget total du SCC est consacré aux services correctionnels communautaires.

Enfin, le dernier enjeu concerne la réduction des peines. Cet enjeu témoigne des frustrations persistantes découlant des violations répétées des droits de la personne et du non-respect de la loi par le Service correctionnel du Canada.

Après avoir constaté des violations flagrantes des droits de la personne, en 1996, Mme la juge Arbour a recommandé au ministère de la Justice d’étudier une solution qui permettrait aux tribunaux de réduire la période d’emprisonnement en cas de transgression de la loi, de mauvaise gestion ou d’iniquité de la part du SCC. Le ministère de la Justice n’a jamais donné suite à son engagement d’examiner cette recommandation.

Par coïncidence, quelques mois auparavant — nous sommes en 1996 —, conformément à l’article 24 de la Charte, un tribunal du Nouveau-Brunswick, dans l’affaire R. c. MacPherson, avait réduit la peine de prisonniers purgeant une peine de ressort provincial qui avaient subi des traitements cruels et inusités de la part des services correctionnels provinciaux. À ma connaissance, cette approche n’a jamais été reproduite avec succès.

Pour conclure, le bureau a également reconnu que la réduction de la peine est une solution possible dans des cas extraordinaires. Par exemple, pendant la pandémie, mon bureau a indiqué que, puisque la COVID avait réduit considérablement l’accès aux programmes, la plupart des prisonniers n’avaient plus accès aux programmes de base, dont l’accès pouvait améliorer leurs chances de bénéficier d’une libération conditionnelle anticipée. Sans qu’il y ait eu faute de leur part, cela les a conduits à purger une peine d’emprisonnement plus longue. Les conditions de détention dans le cadre de la COVID étaient beaucoup plus dures qu’en temps normal, ce qui se traduisait par une libération retardée dans certains cas.

Je répondrai volontiers à vos questions.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Zinger.

Le sénateur Dalphond : À la page 1 de votre présentation, vous dites qu’il y a 200 lits d’hôpitaux psychiatriques dans le système carcéral fédéral. Il y en a déjà eu plus de 600 il y a quelques années. Pourquoi a-t-on réduit de façon plus que substantielle les deux tiers des lits? Est-ce à cause des installations vétustes ou par manque de personnel?

M. Zinger : Cela fait plus d’une dizaine d’années. Service correctionnel Canada essayait de financer des unités de soins intermédiaires et n’avait pas le financement requis. À l’époque, le service avait fait une étude qui était, à mon avis, très superficielle pour déterminer le nombre approprié pour servir la population carcérale pour ce qui est des lits hospitaliers, des services intermédiaires et des services primaires. Ils avaient conclu qu’ils n’avaient pas besoin de 600 lits et que bâtir une infrastructure de services intermédiaires serait plus approprié. C’est la raison pour laquelle ils ont réduit le nombre de lits. Ils ont simplement réalloué les ressources pour financer les soins intermédiaires.

À l’époque, nous avions décrié cette situation en disant qu’il était impossible qu’il y ait 600 personnes dans les lits d’hôpitaux dont plus de 250, à l’époque, n’auraient pas dû être hospitalisées dans de tels établissements. C’est un peu l’historique de cette diminution.

Le sénateur Dalphond : Des soins sont-ils offerts dans ces 200 lits d’hôpitaux? Cela représente-t-il un, deux ou trois centres? Est-ce comme un hôpital fédéral comme il y avait autrefois pour les militaires, les hôpitaux pour les vétérans? Est-ce séparé de la province?

M. Zinger : Non, ce sont des centres de traitement. Il y en a un dans chaque région de Service correctionnel Canada, soit cinq : l’Atlantique, le Québec, l’Ontario, les Prairies et le Pacifique. Ces centres sont désignés par les provinces en tant que centres hospitaliers. Ils ont une certaine capacité. Cependant, comme j’ai souligné, cette capacité est inférieure à celle qui prévaut dans les hôpitaux provinciaux de santé mentale.

Le sénateur Dalphond : A-t-on une idée des coûts? Combien coûte un lit d’hôpital psychiatrique dans un de ces centres par opposition au système provincial?

M. Zinger : Ce fut tout un débat. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles Service correctionnel Canada a toujours refusé d’envoyer des détenus pour les placer, parce qu’ils ont l’autorité nécessaire pour les placer dans des centres hospitaliers provinciaux.

Ils disaient pendant toutes ces années que c’était beaucoup trop coûteux et que c’était beaucoup moins cher de les garder au fédéral. Selon nous, c’est un vrai problème.

Le vice-président : Avez-vous une idée du coût? Combien coûte un patient qui est incarcéré dans une aile psychiatrique à plein temps, comme à l’Établissement Archambault du gouvernement fédéral? Certaines personnes souffrent de démence et de maladies dégénératives et sont en infirmerie à plein temps. Combien coûte ce patient par rapport à un patient qui n’est pas traité?

M. Zinger : La question devrait être posée à Service correctionnel Canada. On peut certainement faire des recherches et vous transmettre l’information, mais il serait préférable de le leur demander directement. Le problème avec les coûts et avec l’argument selon lequel ça coûte plus cher que de les envoyer au provincial... Mon bureau n’a jamais accepté la façon dont les services correctionnels calculaient ces coûts. Il y a toutes sortes de coûts qui ne sont pas comptabilisés par les services. On parle non seulement du coût pour les soins de santé, mais aussi des coûts sur le plan de l’utilisation de la force, les revues de l’utilisation de la force, les transferts multiples, et cetera. Dans des cas extrêmes, comme dans le cas d’Ashley Smith, par exemple, le directeur du budget avait fait une étude et avait estimé que cela avait coûté au moins un million de dollars pour la garder incarcérée pendant 11 mois et demi. Ce sont des choses qu’il faudrait regarder attentivement. Il y a des coûts accessoires et d’autres coûts; par exemple, les agents correctionnels et les employés de service sont mal formés pour gérer ce genre de cas et c’est très difficile. Il y a beaucoup d’épuisement professionnel.

Le vice-président : D’accord. Je suis obligé de vous arrêter.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Merci d’être parmi nous, monsieur Zinger, et de nous présenter un aperçu de certains des enjeux visés par notre étude.

J’aimerais creuser la question des UIS. Vous dites, au troisième point, que les Noirs et les Autochtones sont surreprésentés et qu’ils subissent de la discrimination systémique dans ces unités. Pourriez-vous nous expliquer de façon générale la nature de cette discrimination systémique et aussi nous donner des exemples un peu plus concrets?

M. Zinger : À mes yeux, il est clair qu’il y a de la discrimination systémique dans la façon dont sont traités les délinquants autochtones dans le système carcéral fédéral. Je n’ai qu’à souligner que les résultats correctionnels des détenus autochtones sont différents de ceux des détenus non autochtones, et cela vaut aussi pour les Canadiens noirs qui sont incarcérés.

Les détenus autochtones purgent souvent une plus longue partie de leur peine derrière les barreaux que les non-Autochtones. Ils purgent souvent aussi leur peine dans des établissements à niveau de sécurité plus élevé. On a aussi plus souvent recours à la force dans leur cas. Les cas d’automutilation sont plus fréquents. Ils font plus de tentatives de suicide que les détenus non-autochtones, ils sont plus susceptibles de faire l’objet d’un transfèrement non sollicité. Ils sont plus susceptibles que les non-Autochtones de faire l’objet d’une suspension ou d’une révocation de leur mise en liberté sous conditions. Pour ce qui est des IUS, encore une fois, ils sont placés en UIS plus souvent que les non-Autochtones. Tout cela prouve qu’il y a de la discrimination systémique.

Le sénateur Prosper : Merci d’avoir exposé ces faits. J’imagine que c’est ce qui ressortirait d’un examen des données. Lorsque vous avez fait votre analyse et avez tiré ces conclusions, les agents correctionnels vous ont-ils donné des justifications ou même seulement une réponse, pour expliquer les données dont vous venez de parler?

M. Zinger : Je pense que le système correctionnel dira toujours qu’il ne fait qu’imposer ce qui est nécessaire, et qu’il semble que les Autochtones entrent dans le système avec des risques et des besoins plus élevés, et que c’est pour cela qu’ils n’obtiennent pas de bons résultats. C’est ce que dirait le système correctionnel.

Si on s’attarde à certaines des politiques du SCC qui peuvent paraître neutres, comme l’évaluation des risques, on découvre que les outils d’évaluation des risques utilisés par le système correctionnel afin d’établir, lors de l’entrée de la personne, dans quel établissement et à quel niveau de sécurité elle doit être placée, ces outils qui semblent neutres et impartiaux, ont en réalité des conséquences défavorables pour les Autochtones. Ces outils n’ont jamais été correctement validés et ne peuvent pas être utilisés de manière fiable avec la population autochtone.

La Cour suprême du Canada elle-même est d’accord à ce sujet. Malheureusement, aujourd’hui, plus de cinq ans après que la Cour suprême du Canada a fait cette déclaration, le personnel du système correctionnel continue d’utiliser les mêmes outils, qui sont considérés comme non valides et non fiables, pour ce segment de la population carcérale.

Le sénateur Prosper : Merci, monsieur Zinger.

La sénatrice Simons : Monsieur Zinger, j’ai pu visiter l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton en janvier dernier. J’ai été très surprise quand on m’a fait visiter les unités d’intervention structurée et que j’ai parlé aux membres du personnel. Ils m’ont dit qu’ils ne peuvent plus envoyer des patients qui ont des problèmes de santé mentale dans les hôpitaux de l’Alberta. Ils ont dit que le protocole d’entente entre le Service correctionnel du Canada et le gouvernement provincial était expiré. Quand j’ai demandé combien il y avait de détenus avec des problèmes de santé mentale dans les UIS, on m’a assuré qu’il n’y en avait aucun. Dès qu’ils déterminent qu’un détenu a un problème de santé mentale, ils le transfèrent à Saskatoon, à cinq heures de route en camionnette.

Depuis, mon bureau essaie d’obtenir une confirmation pour savoir si c’est bien ce qui se passe. Pouvez-vous me dire si, à votre connaissance, c’est bien le cas? À Edmonton, et en Alberta en général, n’a-t-on plus le droit d’envoyer des détenus se faire traiter dans un établissement de santé provincial?

M. Zinger : En fait, je me suis rendu à l’Établissement d’Edmonton la semaine dernière, et j’ai visité l’UIS. Je refuse de croire qu’il n’y a personne ayant des problèmes de santé mentale dans les UIS. Ce n’est pas vrai.

Les unités d’intervention structurée accueillent, malheureusement, beaucoup de gens qui ont des problèmes de santé mentale, des gens qui, parce que leurs symptômes ont des répercussions sur leur vie, ne sont pas tolérés, soit par le personnel correctionnel, soit par les autres détenus. Donc, les personnes ayant des problèmes de santé mentale sont toujours surreprésentées dans les UIS — c’est un fait —, et cela a été démontré par des études qui ont plus de 30 ans. Pour ce qui est du protocole d’entente, je n’en suis pas certain; je ne sais pas. Nous pouvons certainement essayer de nous renseigner, puis nous communiquerons avec votre bureau.

La sénatrice Simons : Cela m’a beaucoup préoccupée, étant donné que l’hôpital de l’Alberta se trouve très près de l’Établissement d’Edmonton et que l’on m’a dit qu’il n’était plus permis d’envoyer des détenus là-bas pour recevoir des soins, ni vers n’importe quel autre établissement de santé mentale.

M. Zinger : Par le passé, en vertu de la disposition, le système correctionnel pouvait transférer une personne vers un établissement psychiatrique provincial — un hôpital psychiatrique sécuritaire — conformément à un protocole d’entente. Le président a mentionné l’Institut Pinel; cet établissement signe et signe encore depuis plus de 20 ans un protocole d’entente. Je ne sais pas si l’Alberta a ce genre de protocole d’entente, si son protocole d’entente est expiré et si la province cherche d’autres solutions.

La sénatrice Simons : Si j’ai le temps pour une autre petite question, quand on m’a fait visiter les UIS, j’ai été favorablement impressionnée par le fait que les cellules étaient plus grandes et que bon nombre de détenus n’étaient pas confinés et étaient actifs; j’ai pu rencontrer un certain nombre d’entre eux et discuter avec eux. Cependant, il y avait un homme qui était détenu dans une structure pas beaucoup plus grande qu’une cabane à chien — une cage en métal —, et il lui était seulement permis de me parler pendant qu’il était confiné dans cet espace. Je me demandais si, quand on affirme que les détenus peuvent sortir pendant au moins quatre heures, cela était compté dans son temps de sortie? Je veux dire, il n’était pas dans sa cellule, mais il était confiné dans un espace encore plus petit que sa cellule.

M. Zinger : Oui.

Ce genre de petites structures sont problématiques, et nous avons documenté les problèmes que pose ce que vous avez appelé une cage pour la dignité humaine. Nous avons documenté ce phénomène dans des rapports annuels précédents. Nous essayons de garantir des contacts humains significatifs, comme l’exige la loi, c’est-à-dire qu’il faut prévoir deux heures de contacts sur les quatre heures où les détenus peuvent sortir de leur cellule. Cela revient à... cela ne préserve certainement pas leur dignité, je dirais.

La sénatrice Simons : Le personnel a dit que c’était pour ma protection, lorsque je lui ai parlé, parce qu’il avait supposément menacé de lancer des fluides corporels sur le personnel, mais je n’ai pas pu m’empêcher de me demander, à ce moment-là... Je veux dire, il a eu une interaction significative avec moi, c’est‑à‑dire que nous avons eu une longue discussion, mais je ne sais pas si cela était compté dans ses quatre heures.

M. Zinger : Le problème en est un d’application, c’est-à-dire qu’il y a de nombreux endroits dans le système correctionnel fédéral où il y a une salle d’entrevue appropriée, avec un séparateur et du Plexiglas, et, s’il y a des risques, il faut qu’ils soient gérés. C’est quand même une salle adéquate, alors il n’y a rien d’humiliant. Le système correctionnel a construit beaucoup de ces petites cages dans les salles d’entrevue. Il les a aussi construites pour faciliter les déplacements : de cette façon, il peut placer une personne dans une enceinte temporaire — qui ressemble à une cabine téléphonique — de la taille d’une cage, pendant que la personne est déplacée ou doit attendre.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Le sénateur Klyne : Bienvenue, monsieur Zinger. Merci de votre déclaration préliminaire et du document que vous nous avez communiqué à ce sujet.

Dans votre déclaration et dans ce document, on expose de nombreuses préoccupations ainsi que des conclusions et des recommandations. Pour ce qui est du projet de loi S-230, va-t-il dissiper les préoccupations que vous avez soulignées, et y voyez-vous quelque chose à modifier ou à corriger pour l’améliorer? À la lumière de vos conclusions, de vos recommandations et de vos observations, le projet de loi aurait-il pu être allé plus loin afin de s’attaquer à ces problèmes? Je pourrais peut-être poser la question différemment : croyez-vous que les changements proposés au projet de loi S-230 auront une incidence sur les pratiques et les politiques correctionnelles, en permettant surtout de lutter contre les problèmes de santé mentale et de préconiser un traitement juste et humain, alors que les services correctionnels n’ont pas réussi à assurer le suivi de la mise en œuvre des unités d’intervention structurée? Les services correctionnels vont-ils respecter et atteindre les objectifs très précis de ce projet de loi? Êtes-vous confiant?

M. Zinger : Je crois plutôt que j’aurais des questions à poser au comité au sujet de presque chacun des quatre enjeux évoqués dans le projet de loi; il y a peut-être un aspect sur lequel vous voudriez que je formule des commentaires en premier, parce que je ne veux pas prendre trop de temps.

Le sénateur Klyne : Eh bien, je poserai simplement une question générale : ce projet de loi va-t-il assez loin? Va-t-il porter sur certains problèmes de santé mentale et sur d’autres politiques et pratiques? En fait, la question est la suivante : les services correctionnels peuvent-ils atteindre ces objectifs très précis du projet de loi?

M. Zinger : Laissez-moi répondre, et vous verrez ensuite si vous voulez que je continue.

Pour ce qui est de la santé mentale, le projet de loi prévoit le transfèrement des personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. C’est très large, cela englobe beaucoup de personnes. Si vous considérez la prévalence des maladies mentales, jusqu’à 80 % des prisonniers des établissements correctionnels fédéraux ont un trouble de santé mentale. Ce chiffre est très élevé parce que cela comprend entre autres les personnes qui ont un trouble de personnalité ou un trouble lié à la toxicomanie. On peut réduire la prévalence, par exemple, en tenant compte seulement des troubles de l’ancien Axe I, qui concernent, par exemple, les personnes qui ont perdu contact avec la réalité, qui font une dépression majeure ou qui sont schizophrènes; dans leurs cas, la prévalence se situe entre 6 et 8 % au maximum.

Je crois que, pour bien comprendre la prévalence des troubles mentaux dans les services correctionnels, il faut savoir que l’on évalue la santé mentale des personnes au moment de leur admission et que l’on découvre ensuite que plus de 30 % des hommes et environ 50 % des femmes ont besoin d’un suivi psychologique ou psychiatrique. Donc, c’est à cet égard que je vois mal ce qui pourrait être fait, et je crains que cela ne force les services correctionnels à prendre des mesures qu’ils devraient déjà prendre, puisqu’ils ont l’autorité légale de faire ces transfèrements et que, pour une raison quelconque, ils ne les font pas. Je ne sais pas si, comme je le dis, c’est parce qu’ils croient qu’ils peuvent le faire mieux eux-mêmes ou qu’ils veulent garder leurs ressources pour eux.

Voilà un premier point, mais je peux continuer si vous le voulez.

Le sénateur Klyne : Je vais vous paraphraser, avant de vous redonner la parole.

La mise en œuvre et l’exécution seront essentielles, dans tout cela, et je pourrais même en déduire que — et je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche —, selon l’historique et les pratiques, ils en sont incapables.

M. Zinger : Prenez, par exemple, les UIS; certaines préoccupations ont été soulevées lorsque la nouvelle loi est entrée en vigueur, et c’est pourquoi un examen quinquennal est prévu dans les dispositions.

Cela allait un peu plus loin. Le gouvernement de l’époque avait en fait chargé un comité consultatif indépendant d’évaluer les dispositions concernant les UIS. Rien de positif n’en est sorti, en passant. Je crois qu’il y aura bientôt un rapport qui critiquera, une fois de plus, la manière dont les dispositions ont été mises en œuvre.

Le secret, c’est la mise en œuvre, et c’est là où les services, malheureusement, ont tendance à échouer.

Le sénateur Cotter : Merci, monsieur, de votre exposé et de vos réponses aux questions.

J’avais une question dans la même veine que celle du sénateur Klyne, mais je voulais d’abord poser une question beaucoup plus générale. À votre avis, globalement, quelle est la raison ou quelles sont les raisons pour lesquelles le Service correctionnel du Canada répond toujours si mal à vos attentes et à celles des autres personnes?

M. Zinger : C’est une question piège, mais la culture qui règne au sein des services correctionnels est certainement bien enracinée. Malheureusement, c’est une organisation extrêmement difficile à réformer, et les réformes ne sont jamais venues de l’interne; elles ont toujours été imposées en réponse à des litiges, à des enquêtes publiques, à un rapport du coroner ou à quelque chose d’autre venant de l’extérieur.

Une preuve que cette culture... Souvent, lorsqu’il est question de culture, les gens pensent que la culture est uniquement problématique chez les agents correctionnels. Je crois que la culture est problématique à tous les échelons. À mon avis, la réticence à accepter les conseils de l’extérieur prouve à elle seule que cette culture est problématique. Le SCC est bombardé année après année de recommandations réfléchies d’organismes externes, et il n’aime tout simplement pas être surveillé de près ou se faire dire quoi faire. C’est pour moi un véritable problème.

Lorsqu’il est question d’entreprendre des réformes et d’accroître l’ouverture, la responsabilisation et la transparence, le SCC a beaucoup de mal à réagir, et il refuse de les adopter et de suivre le courant pour améliorer l’ensemble de l’organisation.

Le sénateur Cotter : Sans vouloir être trop négatif au sujet du projet de loi de la sénatrice Pate, cela veut-il dire que le projet de loi fera à peine bouger les choses parce que la culture ne fera qu’une bouchée de la bonne volonté?

M. Zinger : Je crois que le projet de loi tente de contrer cela et que ses dispositions sont tout à fait vigoureuses. C’est peut-être ce qu’il faut — je ne sais pas—, même si ça ne devrait pas être le cas. Une organisation saine devrait écouter les organismes de surveillance externes, comme le Bureau du vérificateur général, l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, mon bureau ou le Sénat, qui a publié un rapport portant sur les personnes purgeant une peine de ressort fédéral, et apporter des changements en fonction de ce qu’ils disent.

Je crois donc que ces dispositions sont vigoureuses parce qu’elles concernent la surveillance judiciaire après 48 heures, le transfèrement de personnes à l’extérieur des établissements parce qu’elles ne reçoivent pas les services en santé mentale dont elles ont besoin, les violations répétées des droits de la personne par les agents correctionnels, qui justifient une réduction de peine; mais cela ne s’arrête pas là. Le projet de loi porte sur la loi, mais aussi sur la violation des politiques au lieu de s’attaquer aux cas flagrants ou à quelque chose du genre.

Comme je l’ai dit, c’est peut-être ce qu’il faut. Mon avis est partagé sur cette approche, mais je crois qu’il vaut tout à fait la peine de l’envisager. Je crois que de nombreux témoins — j’ai lu certains de leurs témoignages — approuvent le projet de loi.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Merci d’être ici, monsieur Zinger, et merci de votre témoignage important.

Tout d’abord, pour ce qui est de l’expression « troubles mentaux invalidants » qui figure dans le projet de loi, s’agit-il d’un terme défini ailleurs dans la loi ou d’un terme qui a été créé pour ce projet de loi en particulier? S’il est défini ailleurs, comment est-il défini? Lorsque vous parliez plus tôt, je me demandais si la définition englobait quelque chose comme un trouble lié à la toxicomanie. Vous supposiez que c’était le cas et que, par conséquent, ce trouble expliquait le pourcentage très élevé de détenus concernés et avait une très grande incidence sur le système.

M. Zinger : Je poserais la même question au comité. J’aimerais peut-être obtenir certaines précisions sur...

La sénatrice Batters : Ce n’est pas le projet de loi du comité.

M. Zinger : ... il pourrait être pertinent d’ajouter cette définition; il faut définir précisément ce que ces mots veulent dire.

La sénatrice Batters : C’est défini dans le projet de loi, non? En fait, je vous demande si vous savez si c’est défini, non pas dans le projet de loi, mais dans la loi que ce projet de loi modifie.

M. Zinger : Je n’ai jamais vu de référence à ces mots auparavant.

La sénatrice Batters : D’accord.

M. Zinger : À mon avis, oui, la santé mentale est un problème, mais il faut aussi se rappeler qu’il y a une très forte prévalence de troubles cognitifs chez les personnes incarcérées dans les établissements fédéraux. C’est un autre problème qu’on oublie souvent. Les personnes qui ont un des troubles causés par l’alcoolisation fœtale ne réagissent pas bien et ne s’en tirent pas bien dans les établissements correctionnels. Il y a des personnes qui ont une lésion cérébrale, un trouble du déficit de l’attention, un déficit ou un trouble d’apprentissage et une déficience intellectuelle, et elles ne composent jamais bien avec l’incarcération.

En raison de tous ces déficits qui ne peuvent être traités... ces personnes peuvent apprendre à composer avec ces problèmes et il y a différentes manières de les gérer, mais il faut que le SCC s’en occupe de manière proactive. Mais une autre couche complique les choses. Les maladies mentales, malheureusement, viennent rarement seules. Il peut y avoir des diagnostics de troubles concomitants...

La sénatrice Batters : Oui, elles sont souvent accompagnées de consommation...

M. Zinger : ... en plus des troubles cognitifs. Il faudrait que la définition prévoie le signalement.

La sénatrice Batters : C’est fréquemment accompagné de toxicomanie, souvent à des fins d’automédication.

Je voudrais vous poser une question au sujet des transfèrements vers les hôpitaux. Selon l’information donnée par le Service correctionnel du Canada, environ 1 200 professionnels de la santé travaillent au sein du SCC. On effectue actuellement dans les 24 heures des évaluations rapides des besoins en santé mentale des délinquants. Le SCC a dit que des centres régionaux de traitement répondent aux besoins plus urgents.

Mais on dit que, dans ces unités d’intervention structurée, 18 % des détenus ont besoin des soins de santé mentale primaires offerts dans l’établissement et que 10 % ont besoin des soins intermédiaires offerts dans les établissements du SCC.

Que pensez-vous donc du transfèrement de cette catégorie de détenus vers des hôpitaux externes, qui n’ont peut-être pas la capacité nécessaire pour accueillir de nouveaux détenus, compte tenu des exigences connexes en matière de sécurité et de la capacité des établissements à fournir des soins adéquats? Je pose la question, tout en étant parfaitement au courant, malheureusement, des importantes lacunes en matière de soins de santé mentale au Canada, y compris de l’importante pénurie de places dans les hôpitaux psychiatriques du Canada.

M. Zinger : Oui. Il reviendrait au service correctionnel, une fois la définition arrêtée, de déterminer combien de personnes sont concernées. De plus, y a-t-il une capacité? Le gouvernement fédéral et le service correctionnel souhaitent-ils financer les places supplémentaires qui seraient nécessaires? Je ne crois pas qu’ils veulent accaparer le financement réservé à des places dans les établissements provinciaux.

Il y a plusieurs années, mon prédécesseur et moi-même sommes allés à l’Institut Pinel. Pinel avait l’espace et la capacité nécessaires pour accueillir certaines femmes, et il était prêt à le faire à un coût qui nous semblait plutôt raisonnable. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’Institut Pinel avait accepté de les accueillir — il en va de même pour Brockville — seulement s’il obtenait un financement permanent pour mettre sur pied une équipe pouvant répondre adéquatement aux besoins de ces femmes. Pour ces personnes — qui s’automutilent de façon chronique, par exemple —, il faut un personnel très qualifié qui déploie beaucoup d’efforts pour les stabiliser et les aider à gérer leur trouble.

Je ne sais pas quoi vous dire au sujet des chiffres. Comme l’a indiqué mon bureau — et peut-être qu’il y a aussi un problème de définition —, nous croyons que certaines personnes souffrent d’une maladie mentale grave, s’automutilent de façon chronique ou sont suicidaires; ces trois catégories de personnes ne devraient pas se retrouver dans des établissements correctionnels. Les établissements fournissent à peine le type de soins dont ces personnes ont besoin.

Combien y en a-t-il? Le service correctionnel dispose d’un système lui permettant de vraiment surveiller certains de ces cas difficiles. Il les appelle les cas complexes. L’administration centrale, par exemple, a un comité qui fournit des conseils techniques et du soutien aux institutions. Peut-être que ce sont ces personnes qu’il faudrait transférer ailleurs. Je crois que, si vous discutez avec le service, il sera peut-être en mesure de vous donner des chiffres précis.

La sénatrice Pate : Merci, monsieur Zinger. Merci de votre travail et du travail que fait votre bureau chaque jour.

La définition que nous examinons est celle de l’article 37.11 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui a été inclus entre autres pour que nous sachions ce qui arrive quand quelqu’un est placé dans une unité d’intervention structurée, une UIS, et il y a une décision qui concerne une évaluation supplémentaire de la santé mentale.

J’aimerais savoir si cette définition respectait... préférez-vous que je vous laisse le temps de regarder, avant de me donner une réponse? Si vous avez des recommandations au sujet de la définition, cela nous aiderait beaucoup que vous nous les fassiez parvenir, si cela vous convient. C’est la définition que nous examinons et qui montre qu’il y a déjà un placement.

Ma prochaine question revient sur ce qu’a dit la sénatrice Simons. J’ai parlé aux autorités de la santé mentale et aux autorités sanitaires provinciales de tout le pays. C’est essentiellement Service correctionnel Canada qui a choisi de ne pas renouveler les protocoles d’entente.

On a offert de construire des unités complètes en Nouvelle-Écosse, en Ontario, au Québec — et sans doute en Colombie-Britannique et en Alberta —, mais l’idée a été abandonnée pour les raisons que vous avez données.

Pouvez-vous nous dire ce qui est advenu des ressources qui avaient été allouées avec le projet de loi C-83 pour du soutien professionnel spécifique ainsi que pour la défense des droits en matière de santé mentale et des ressources qui avaient été allouées précisément pour permettre à Service correctionnel Canada d’intégrer les composantes relatives à la santé mentale prévues dans le projet de loi C-83?

M. Zinger : Oui, le projet de loi C-83 nous a effectivement donné accès à beaucoup de ressources pour financer entre autres les mesures de soutien en santé mentale.

Présentement, je dois vous dire que nous parlons des UIS. À l’heure actuelle, chaque jour, il y a habituellement moins de 200 personnes dans des UIS. La quantité de ressources que nous utilisons pour ces 200 personnes est assez importante. Dans les UIS qui sont gérées comme il se doit, essentiellement, il y a trois fois plus de personnel. Il n’y a pas de pénuries de ressources.

Le problème, c’est que nous avons peut-être oublié le reste de la population carcérale qui a aussi besoin de certains de ces services. Selon moi, les UIS ne sont que la pointe de l’iceberg.

Il y a tellement de personnes qui se retrouvent dans une forme ou une autre de logement restrictif. Ces logements ont différents noms : unités sécurisées pour les femmes, garde préventive — ce n’est pas un terme utilisé par les services, mais c’est ce que c’est — besoins particuliers, unités de transition et unités thérapeutiques, etc.

Souvent, les conditions de confinement dans ces unités sont telles qu’elles sont aussi restrictives que les UIS, voire plus. Les détenus n’ont pas accès à tous les services offerts dans les UIS : la visite quotidienne d’une infirmière, du responsable de l’établissement ou du directeur; du temps garanti à l’extérieur de leur cellule; et la capacité de poursuivre leur plan correctionnel. Tout cela n’est pas possible à l’extérieur des UIS.

Selon moi, les UIS, c’est un peu une diversion. Ce que nous devons faire, c’est nous pencher sur le logement restrictif et le service correctionnel dans leur ensemble pour savoir quels détenus — certains d’entre eux — sont réellement en isolement cellulaire, point. Je vais le dire. C’est le défi. C’est pourquoi, si le projet de loi C-83 fait l’objet d’un examen quinquennal, on pourra, je l’espère, finalement savoir ce qui se passe.

La sénatrice Pate : Pour ce qui est de savoir ce qui se passe, vous avez mentionné nombre et nombre de rapports; votre bureau en publie régulièrement.

Y a-t-il autre chose que des ordonnances des tribunaux qui peuvent influer sur les actes du service correctionnel — des lois ou des ordonnances des tribunaux?

M. Zinger : Eh bien, même les ordonnances des tribunaux, les jugements; ce sont les contestations qui ont créé les UIS. C’était, et c’est toujours problématique, parce que personne n’a été consulté lorsqu’elles ont été créées.

Mon bureau a supplié qu’on le consulte. Le vice-ministre de la Sécurité publique a refusé. J’ai été jusqu’au ministre. Je n’ai pas pu me faire préciser ce qui allait être proposé. J’ai dit : « Je serais plus que ravi de vous aider dans le respect du secret du Cabinet. » La loi elle-même est problématique. C’est en réponse aux contestations.

J’ai pris connaissance des recommandations initiales de Mme la juge Arbour, qui datent de 28 ans maintenant, ou quelque chose comme cela, et il était question de surveillance judiciaire. Elle savait que cela allait être difficile à faire accepter. Elle a dit qu’une bonne solution de rechange serait d’avoir un processus décisionnel indépendant. Nous n’en avons jamais eu.

La loi actuelle prévoit un examen par des examinateurs indépendants. C’est un examen sur papier; ce n’est pas une audience en bonne et due forme. Ils n’ont pas de pouvoir contraignant. Cela ne fait tout simplement pas l’affaire, puisque nous ne pouvons pas nous assurer que la loi est respectée, que les processus sont appliqués en bonne et due forme et que le processus décisionnel est indépendant et équitable. C’est tout un défi.

[Français]

Le vice-président : Ma question fait suite à celle de la sénatrice Simons. Nous savons qu’au Québec, les services psychiatriques sont l’enfant pauvre du système de soins de santé. Les parents qui sont aux prises avec des enfants qui souffrent de troubles mentaux ont de la difficulté à faire interner leur enfant. Ces enfants — qui sont souvent de grands garçons — se retrouvent souvent en situation d’itinérance. L’année 2023 a été une année record au Québec pour le nombre d’homicides commis par des gens qui souffrent de troubles mentaux.

J’essaie de voir la compatibilité entre ce projet de loi et les services psychiatriques dans les provinces, surtout au Québec, où l’on ne réussit même pas à traiter tous les gens qui souffrent de troubles mentaux à cause du manque de places. Prenons Pinel, qui a un problème majeur : il manque quatre psychiatres à l’institut Pinel à l’heure actuelle, et les délais pour remettre les rapports à la cour dépassent tous les 60 jours prévus au Code criminel. C’est un problème majeur.

Comment peut-on vouloir transférer des patients dans un système de santé qui ne traite déjà pas ceux qui n’ont pas de passé criminel? Est-ce qu’on ne va pas créer des problèmes majeurs dans le système de santé? Je parle notamment du Québec.

M. Zinger : Ce que vous dites est important. Vous dites qu’il y a des personnes qui ne sont pas soignées, qui ne reçoivent pas de soins de santé mentale adéquats et qui peuvent se retrouver à commettre des crimes très, très graves, comme un homicide. Pour la sécurité publique, je pense qu’il est important pour les services correctionnels de s’assurer de donner des soins adéquats pour réduire la probabilité que quelqu’un soit en libération conditionnelle sans avoir reçu les soins appropriés.

Pour répondre à votre question spécifique, je crois que c’est une question de réallocation de fonds. Service correctionnel Canada a un budget extraordinaire : il dépense autour de 226 000 $ par année pour chaque détenu. Sur le plan mondial, on est vraiment à la fine pointe de...

Le vice-président : Mais au Québec, on manque de lits.

M. Zinger : Service correctionnel Canada peut créer de nouveaux lits.

Le vice-président : Il existe un programme qui s’appelle Chez Soi, où l’on soutient des groupes communautaires qui prennent ces gens à leur charge et s’occupent de leur médication, de leur hygiène sociale et de leur couvre-feu. Selon les données recueillies pour ces projets, qui sont subventionnés par le gouvernement fédéral, on réduit la récidive jusqu’à 90 %.

Plutôt que d’incarcérer ces gens ou de les hospitaliser dans des conditions qui ne sont pas souvent optimales, ne serait-il pas préférable de subventionner des groupes communautaires qui s’occupent de cette clientèle en les suivant et en les encadrant, surtout sur le plan de la médication?

M. Zinger : Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais il faut faire les deux. Ceux qui ont besoin d’une hospitalisation doivent y avoir accès. Le modèle d’hospitalisation dans les services correctionnels est différent de celui qui existe dans la communauté. Si vous êtes à Pinel et que vous êtes un patient, les gens qui vont répondre à vos symptômes et faire des interventions sont des professionnels de la santé mentale. Dans un pénitencier, même dans les centres de traitement du SCC, la plupart du temps, ce sont des agents correctionnels. À partir de 16 heures jusqu’au lendemain et les week-ends, c’est assurément un agent correctionnel. Les agents de première ligne ne sont pas des professionnels de la santé.

Voilà la grande différence entre ce que le service offre et ce que la communauté peut offrir. Je suis tout à fait d’accord pour dire que le financement de ces lits doit être fait par le SCC, avec l’argent du service, l’argent du gouvernement fédéral, et que le SCC ne doit pas compétitionner avec le milieu psychiatrique dans les provinces qui, selon les provinces, peut être en souffrance.

Le vice-président : Monsieur Zinger, merci beaucoup. Vos propos ont été très éclairants. Mes collègues ont beaucoup apprécié votre témoignage. Je vous dis à la prochaine.

M. Zinger : Merci beaucoup.

Le vice-président : Pour notre deuxième groupe de témoins, qui comparaissent par vidéoconférence, nous avons le plaisir d’accueillir, de la Commission de la santé mentale du Canada, Me A.J. Grant-Nicholson, avocat principal, et Krystal Kelly, gestionnaire de programme, Promotion de la santé mentale. Du Syndicat des agents correctionnels du Canada, nous accueillons Jeff Wilkins, président national, et Frédérick Lebeau, vice-président national. De la Société de la côte Ouest pour la justice dans les prisons, nous accueillons Debra Parkes, membre du conseil d’administration, Prisoner’s Legal Services.

[Traduction]

Bienvenue. Merci à vous tous d’être présents cet après-midi pour l’étude de ce projet de loi.

[Français]

Nous allons commencer avec vos présentations d’ouverture. Vous disposez de cinq minutes par groupe. Nous allons commencer avec la Commission de la santé mentale du Canada. Maître Grant-Nicholson et madame Kelly, la parole est à vous.

[Traduction]

A.J. Grant-Nicholson, avocat principal, Commission de la santé mentale du Canada : Bonsoir, honorable président et honorables sénateurs et sénatrices. Je m’appelle A.J. Grant-Nicholson. Je suis avocat et conseiller en politique en matière de santé mentale et de justice.

Je suis heureux de pouvoir vous parler aujourd’hui depuis Toronto, qui est le territoire traditionnel et non cédé de nombreuses nations, y compris des Mississaugas de Credit, des Anishinaabés, des Chippewas, des Haudenosaunees et des Wendats. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Ma pratique porte surtout sur les lois sur la santé mentale, et je représente des détenus qui ont des troubles mentaux.

Je suis accompagné aujourd’hui par Mme Krystal Kelly, gestionnaire de programme à la Commission de la santé mentale du Canada, qui travaille à l’élaboration d’un plan d’action national de soutien en santé mentale des personnes qui interagissent avec le système de justice pénale canadien. Il s’agit d’une initiative qui s’étend sur plusieurs années et qui s’est inspirée des constants appels à l’action des dirigeants et des experts de la santé mentale et des systèmes de justice pénale, qui veulent voir de véritables changements. Je soutiens ce travail en tant que conseiller de projet.

Le plan d’action devrait être annoncé en 2025, donc il est tout à fait à propos de discuter des modifications proposées dans le projet de loi S-230, puisque l’une des priorités du plan d’action est de cerner les modifications qui devraient être apportées aux lois et aux politiques pour mieux soutenir la santé mentale dans le contexte de la justice pénale.

Des intervenants de partout au pays ont été consultés au sujet du plan d’action, et ils nous ont dit que les gens qui sont dans le système de justice ont besoin de plus de soutien en santé mentale à l’intérieur des établissements correctionnels. Dans son rapport d’enquête sur la mort de Soleiman Faqiri, un homme qui a fait une crise de santé mentale pendant qu’il était détenu dans une prison de l’Ontario, le coroner a souligné l’importance d’avoir suffisamment de soutiens en santé mentale en milieu carcéral, par exemple un accès rapide à des évaluations de la santé mentale et un transfert dans un hôpital au besoin.

De plus, les intervenants nous ont dit que des gens avec des troubles mentaux étaient placés en isolement préventif ou cellulaire et que cela avait des effets néfastes sur leur état. Nous sommes heureux que le projet de loi prévoie une limitation bien précise de la détention dans des unités d’intervention structurée.

Enfin, il est encourageant de voir que les communautés marginalisées sont incluses dans les amendements proposés. Le plan d’action national vise à inclure les voix et les points de vue de tous les groupes qui méritent l’équité et qui sont souvent surreprésentés dans le système de justice ou qui ont divers besoins bien précis. En Ontario, les Noirs ayant des problèmes mentaux sont surreprésentés dans notre système pénal. Selon moi, l’un des facteurs importants qui l’expliquent, c’est la difficulté d’accéder à du soutien en santé mentale dans la collectivité. La disposition proposée qui permet à des groupes communautaires qui servent les collectivités marginalisées de proposer des plans de mise en liberté pourrait aider les gens marginalisés à accéder plus facilement aux services de santé mentale dans leurs collectivités, ce qui améliorera leurs résultats en matière de mise en liberté. J’espère que cela fera en sorte qu’ils risqueront moins de récidiver.

Merci.

Jeff Wilkins, président national, Syndicat des agents correctionnels du Canada : Merci, monsieur le président, distingués sénateurs et distinguées sénatrices membres du comité. Bon après-midi.

Même si j’occupe actuellement le poste de président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada, je suis principalement agent correctionnel à l’Établissement de Springhill, un établissement à sécurité moyenne de la Nouvelle-Écosse. Je suis agent correctionnel depuis 22 ans.

Je suis accompagné aujourd’hui par le vice-président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada, M. Fréd Lebeau, qui est aussi agent correctionnel dans la région de Québec.

Nous comparaissons aujourd’hui devant vous à titre de représentants de 7 500 agents correctionnels et sommes chargés d’une tâche de la plus haute importance, celle de vous faire part de nos réflexions sur le projet de loi C-230 et sur les conséquences qu’il pourrait avoir sur la mission de Service correctionnel Canada, qui est de garantir la sécurité publique tout en favorisant la réinsertion sociale des délinquants dans un environnement sûr et humain.

Dans le mémoire que nous avons présenté au comité, nous exposons certaines préoccupations clés concernant le projet de loi proposé, et nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions pour vous aider à mieux comprendre notre position.

En nous préparant pour ce témoignage, nous avons effectivement profité de l’occasion pour revoir les témoignages de précédents témoins. En faisant cet examen, nous avons constaté que les mots « isolement » ou « isolement cellulaire » avaient été utilisés pour qualifier nos UIS et que l’on avait même parlé de torture, ce qui nous a grandement troublés. Nous devons souligner que le cadre législatif actuel, y compris le modèle des unités d’intervention structurée mis en place en 2019, interdit formellement de telles pratiques.

Le nouveau modèle d’UIS, qui a été mis en œuvre pour respecter les principes des Règles Nelson Mandela et répondre aux nombreuses procédures judiciaires, avait pour but de nous assurer que les délinquants incarcérés dans des institutions fédérales aient accès aux mêmes programmes, à la même éducation, aux mêmes soins en santé physique et mentale ainsi qu’à quatre heures à l’extérieur de leur cellule, dont deux où ils ont des contacts humains significatifs.

La règle 44 des Règles Nelson Mandela définit le confinement cellulaire en ces termes : « [...] l’isolement d’un détenu pendant 22 heures par jour ou plus, sans contact humain réel. » On poursuit en disant que « l’isolement cellulaire prolongé signifie l’isolement cellulaire pour une période de plus de 15 jours consécutifs ». Ce n’est qu’à la règle 43 qu’il est indiqué que des périodes d’isolement cellulaire d’une durée indéfinie ou prolongée seraient assimilables à de la « [...] torture ou autres peines [...] cruel[les] ». Je dois donc rappeler au comité que, comme nous n’avons plus le pouvoir de placer les délinquants en isolement préventif ou disciplinaire, ces règles ne s’appliquent plus, et je dénonce catégoriquement toute insinuation que nos membres sont complices de torture.

Comme j’occupe la position de président national depuis presque cinq ans, j’ai été témoin de la transition entre l’isolement et les unités d’intervention structurée du point de vue de la gestion du travail. Notre transition de l’isolement au modèle des UIS nous a apporté son lot de défis. Quoi qu’il en soit, nos membres ont su s’adapter de façon exemplaire, priorisant la sécurité et les obligations législatives tout en facilitant la participation des détenus.

Cependant, il y a toujours des enjeux opérationnels, notamment en ce qui concerne les infrastructures, la compatibilité des détenus et la capacité des unités par rapport à la taille de la population. Nos membres qui s’occupent des unités d’intervention structurée travaillent extrêmement dur, et ces unités sont remplies de délinquants des plus dangereux et des plus agressifs. Il est primordial de continuer d’investir, tant au chapitre de la dotation que des infrastructures.

De plus, comme l’a exprimé le syndicat par le passé, lorsque l’on déresponsabilise les délinquants, la violence en établissement augmente. Depuis 2019, et l’abolition de l’isolement, nous avons remarqué que la violence a augmenté sur nos lieux de travail, tant dans les UIS qu’à l’extérieur. Il est impératif que le service examine son régime disciplinaire et trouve des façons de responsabiliser davantage les détenus afin de ne pas perdre espoir quant à notre priorité numéro un : la sécurité publique et la réinsertion sociale des personnes incarcérées.

J’aimerais terminer mes remarques liminaires en vous disant à quel point je suis fier du travail constant qu’effectuent nos agents correctionnels chaque jour dans des contextes très difficiles. J’aimerais faire remarquer non seulement qu’il y a une crise en santé mentale dans la population carcérale et au Canada en général, mais aussi que cette crise affecte de façon disproportionnée les services correctionnels ou le groupe CX.

En 2018, on a mis en œuvre l’Institut canadien de recherche et de traitement en sécurité publique en tant qu’équipe multidisciplinaire chargée d’étudier les effets sur la santé mentale d’une personne de diverses professions liées à la sécurité publique. Jusqu’ici, les conclusions de ce travail nous ont ouvert les yeux. On dit souvent que les agents correctionnels subissent les effets les plus dommageables pour la santé mentale en raison de leur occupation stressante et dangereuse. Or, chaque jour, nos membres se lèvent le matin, enfilent leur uniforme et font leur travail malgré ce danger, se sacrifiant personnellement pour accomplir leur mission de protéger le public et de changer la vie des personnes sous leurs soins et sous leur garde.

Je vous remercie de m’avoir permis de présenter ma déclaration liminaire. Nous sommes heureux de pouvoir aider à clarifier toute question que vous pourriez avoir.

Debra Parkes, membre du conseil d’administration, Prisoners’ Legal Services, Société de la côte Ouest pour la justice dans les prisons : Merci, honorables sénateurs et sénatrices, de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui. Je me joins à vous depuis les terres non cédées des Musqueams, des Squamish et des Tsleil-Waututh.

Je suis membre du conseil d’administration de la Société de la côte Ouest pour la justice dans les prisons, qui gère les Prisoners’ Legal Services. Je suis aussi professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, où j’enseigne et je mène des recherches sur la détermination de la peine, le droit carcéral, ainsi que le droit constitutionnel et les droits de la personne.

La Société de la côte Ouest pour la justice dans les prisons est favorable au projet de loi S-230.

Mes commentaires porteront principalement sur deux aspects du projet de loi, mais je suis prête à répondre à des questions au sujet d’autres aspects. Les deux parties dont je traiterai concernent la mise en œuvre de la surveillance judiciaire des prisons fédérales.

Le premier aspect est la nécessité d’une surveillance judiciaire pour prévenir l’isolement inconstitutionnel imposé dans les prisons fédérales. J’utilise le terme « isolement inconstitutionnel » — et il pourrait être utile à la lumière des commentaires que je viens de formuler — pour inclure les placements dans des unités d’intervention structurée ainsi que d’autres formes d’isolement qui continuent d’être documentées par l’enquêteur correctionnel et d’autres. Ces formes d’isolement inconstitutionnel portent des noms comme « association limitée volontaire », « unités de garde en milieu fermé », « détention temporaire », « observation médicale », « régimes de mouvements restrictifs » et d’autres encore.

Ce qui est important, c’est que les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario ont rendu des conclusions juridiques touchant le gouvernement qui établissent les limites constitutionnelles à l’utilisation de toute forme d’isolement en prison.

Je vais les rappeler. Il est inconstitutionnel pour le SCC de détenir des gens en isolement, peu importe comment cela s’appelle, pendant 22 heures par jour ou plus sans contact humain réel. Il est inconstitutionnel que ces placements soient d’une durée indéterminée, sans limite de temps. Il est inconstitutionnel de ne pas prévoir une surveillance indépendante réelle de ces placements en isolement, et il est inconstitutionnel de ne pas fournir aux détenus placés en isolement le droit à un avocat.

Il importe de souligner que la loi actuelle sur les UIS, même si elle a été parfaitement mise en œuvre, ne satisfait pas aux normes constitutionnelles, et je garde à l’esprit que cet organe même — le Sénat — a essayé de modifier le projet de loi C-83 pour éviter que cela n’arrive. Il n’y a pas de plafond ferme au temps passé en isolement, et l’examen par un décideur externe indépendant, ou DEI, ne sera requis que si la personne a passé 90 jours en isolement, même selon les termes de la loi.

De plus, vous avez maintenant à votre disposition les faits bien documentés dans les rapports du propre Comité consultatif sur la mise en œuvre des UIS du gouvernement, selon lequel les placements dans les UIS équivalent à un isolement inconstitutionnel, du moins dans certains cas. Le tribunal a jugé qu’au moins le tiers des personnes placées dans des UIS se retrouvent dans des conditions assimilables à un isolement inconstitutionnel, contrairement aux décisions des tribunaux. Pour ce qui est de la surveillance, dans plus de 30 % des cas où les gens ont été détenus dans des UIS pour plus de 75 jours, leur affaire n’a tout simplement pas été soumise à un DEI. Il n’y a pas eu d’examen externe.

Même lorsque ces affaires se rendent jusqu’au DEI, il ne s’agit que d’un examen du cas par voie d’étude du dossier, et le SCC contrôle effectivement les documents que le DEI reçoit et ceux que la personne en isolement reçoit et que son avocat reçoit, si elle en a un. Le tribunal a également documenté que les décisions du DEI ordonnant le retrait d’une personne placée dans une UIS ne sont tout simplement pas respectées dans certains cas. Il ne s’agit pas d’ordonnances exécutoires, et c’est l’interprétation qu’a faite le Service correctionnel du Canada. Notre organisation a également fait état du refus du droit à l’avocat pour les personnes placées dans des UIS. Il s’agit d’un droit constitutionnel.

Pour ces raisons et d’autres, nous soutenons les dispositions établissant une surveillance judiciaire des placements en isolement, tel que le prévoit le projet de loi. Faire autrement revient à enfreindre sans recours les droits constitutionnels. En plus d’être plus opportun et véritablement indépendant, un examen par un tribunal exige la divulgation de documents et le droit à un avocat. Les juges ont également le pouvoir de rendre des ordonnances qui sont contraignantes pour le SCC, contrairement aux DEI, dont les décisions ne sont pas toujours mises en œuvre.

Cela nous ramène à notre deuxième point concernant le projet de loi S-230, soit la nécessité d’un recours judiciaire pour toute injustice dans l’administration de la peine. Il s’agit de la disposition 11 du projet de loi. Les juges imposent des peines d’emprisonnement d’un certain nombre d’années pour toute peine prévue par la loi. Si cette peine devient illégale, l’État inflige désormais des sanctions arbitraires. La personne victime de cette illégalité a droit à un recours. Fait tout aussi important, la réduction des peines est susceptible d’amener le SCC à s’asseoir et à prendre conscience de la manière dont le recours prévu par la Charte d’exclure les éléments de preuve obtenus de manière illégale a eu un effet dissuasif important sur les pratiques et les comportements policiers, et c’est bien documenté.

Chaque année, l’enquêteur correctionnel et notre bureau documentent les conditions de détention et le traitement réservé aux détenus qui constituent des violations graves de la loi et de leurs droits. Bon nombre de ceux-ci ne font pas l’objet de recours.

J’enseigne le droit constitutionnel, et mes étudiants savent ceci : les droits non assortis de recours sont absurdes. Les lois qui ne sont pas appliquées sont non seulement absurdes dans le contexte carcéral, mais elles permettent que se poursuivent les abus sanctionnés par l’État. Légiférer concernant un recours judiciaire explicite pour des peines devenues illégales est conforme à la règle de droit.

Je vous remercie.

[Français]

Le vice-président : D’entrée de jeu, je remercie nos témoins pour leur présentation très informative. Ma question s’adresse à vous, monsieur Lebeau. On parle de transférer des gens qui ont commis des crimes et qui sont incarcérés dans un pénitencier vers un milieu hospitalier normal. Selon vous, le fait de transférer ces gens d’un milieu carcéral à un milieu hospitalier normal augmentera-t-il le risque pour le personnel?

Frédérick Lebeau, vice-président national, Syndicat des agents correctionnels du Canada : Merci, monsieur le sénateur. C’est une excellente question. On le voit dans nos établissements; on constate, en travaillant au Centre régional de santé mentale ou à l’Établissement Archambault, que les patients et les détenus que nous avons sous notre garde sont enclins à la violence. Pour nous, le fait de voir ce transfert s’effectuer dans des hôpitaux comme l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel ou des hôpitaux sous compétence provinciale soulève de nombreux questionnements. Le projet de loi S-230 ne répond pas à toutes ces questions. Comment va-t-on faire pour établir la garde de ces détenus? Qui va s’occuper de leurs soins en matière de sécurité? Il y a de dangereux délinquants qui sont placés sous notre garde. Effectivement, ces questions demeurent sans réponse.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Merci aux témoins; c’est toujours intéressant.

Ma question s’adresse aux représentants du Syndicat des agents correctionnels du Canada, M. Wilkins ou M. Lebeau. Je vous remercie de votre mémoire assez détaillé. Ce que je retiens de votre mémoire, c’est que si ce projet de loi doit devenir réalité, il y aura des difficultés opérationnelles des plus importantes, notamment un manque de ressources. Je comprends que ce que vous préférez, c’est plutôt d’accorder des ressources internes plus importantes plutôt que d’aller à l’extérieur, avec tous les tracas administratifs que cela peut impliquer. Pouvez-vous commenter un peu plus en détail là-dessus?

[Traduction]

M. Wilkins : Je m’excuse. Je suis anglophone et je vais répondre dans ma langue, si cela vous va. En ce qui concerne la santé mentale des détenus, il ne fait aucun doute que nous avons besoin de plus de ressources dans nos établissements. Il faut que plus de ressources soient mises à la disposition des détenus de la population générale ainsi qu’à ceux se trouvant dans les UIS.

À la lecture du projet de loi proposé, je trouve que la question du professionnel de la santé mentale n’est pas très claire, mais dans la situation actuelle, des détenus entrent dans les établissements par transfèrement ou après avoir été admis dans les 24 heures par un professionnel de la santé. Lorsqu’ils se trouvent dans une UIS, ils sont évalués dans les 24 heures par un professionnel de la santé, mais les mots utilisés à l’admission et au transfèrement sont « au besoin ».

Bien sûr, je pense que tout le monde devrait être soumis à cette évaluation. Cela ne fait aucun doute, mais lorsque je pense aux ressources dans notre province, je pense à nos membres qui souffrent de taux élevés de trouble de stress post-traumatique et qui essaient d’obtenir les ressources dans les collectivités pour se faire évaluer, et ils attendent pendant des mois. Je me demande sérieusement comment on pourrait le faire, compte tenu du pourcentage de détenus sous nos soins en ce moment qui souffrent de troubles mentaux.

Le sénateur Dalphond : Je comprends d’après votre mémoire que vous ne pensez pas que ce soit gérable du point de vue administratif, que les délais sont trop courts, qu’ils supposeraient un transport vers des établissements extérieurs pour lequel vous n’avez pas les ressources. Est-ce bien ce que vous dites?

Veuillez également vous prononcer sur l’utilisation de l’unité spéciale, car vous avez dit que de nombreuses personnes l’utilisent à des fins de protection pour s’isoler d’une source de menace, qu’elles doivent rester plus de 48 heures et qu’elles n’ont pas besoin d’une administration judiciaire pour y rester, mais elles sont là parce qu’elles veulent rester plus longtemps.

M. Wilkins : J’entends deux parties dans cette question. Premièrement, lorsque nous parlons du transfèrement d’un détenu ou de son admission sous notre garde, nous proposons de l’accompagner dans les 30 jours chez un psychologue, un psychiatre ou un autre professionnel de la santé dans la collectivité pour qu’il subisse une évaluation. Bien sûr, cette escorte a besoin de ressources, et il faut une opération pour que cela se produise. Je ne dis pas que ce ne peut pas être le cas, mais je pense que les ressources seraient plus utiles à l’intérieur de nos établissements. On s’assurerait ainsi que les évaluations appropriées sont effectuées.

En ce qui concerne les UIS et l’évaluation qui doit être faite, nous ne voyons pas de problème à l’heure actuelle. Ces évaluations sont effectuées.

Lorsque nous parlons du transfèrement des détenus aux prises avec des problèmes de santé mentale invalidants dans nos collectivités, nous devons réfléchir au portrait global. Qui sera responsable de surveiller la sécurité du public?

Dans un cas particulier, dans la région des Prairies, c’est tout à fait le contraire. Nous avons sous notre garde un détenu qui ne purge pas une peine de ressort fédéral et qui n’a pas été géré par la collectivité là-bas, par ces ressources. Il se trouve sous notre contrôle en raison des risques qu’il présente pour la sécurité.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Prosper : Merci à tous les témoins de comparaître devant nous.

Ma question s’adresse à M. Wilkins ou à M. Lebeau et porte sur les unités d’intervention structurée. Nous avons certainement entendu des témoignages concernant les problèmes de collecte de données, où il est vraiment difficile de vérifier la conformité avec la loi et où il y a essentiellement des lacunes sur le plan de la conformité juridique liées au temps passé à l’extérieur des cellules et aux contacts humains réels. Pourriez-vous réagir à certaines de ces conclusions et déclarations?

M. Wilkins : Certainement. Bien sûr, lorsque les UIS ont été mises en œuvre pour la première fois, nos membres et les systèmes ont dû se presser de rattraper le retard. Il existe ce qu’on appelle l’évolution à long terme, ou LTE, un réseau dont nous disposons dans l’établissement. Nos membres portent un téléphone cellulaire dans la rangée. Ils documentent sur ce téléphone des détails qui sont téléchargés sur l’ordinateur, et cela comprend toutes les périodes passées à l’extérieur de la cellule et les contacts humains réels dont les détenus ont bénéficié.

L’une des choses qu’il ne faut pas oublier, c’est que l’offre est là. Le détenu peut saisir l’occasion de quitter sa cellule ou de passer du temps avec d’autres détenus dans la cour d’exercice, dans la zone commune ou avec l’agent de libération conditionnelle ou l’enseignant. La question est de savoir s’il se prévaut de cette option.

Fait intéressant, je sais que le syndicat a envoyé un sondage à tous nos membres qui travaillent dans les UIS. C’était il y a assez longtemps, en décembre 2020. Nous avons posé la question suivante : « Combien de fois les détenus refusent-ils de sortir de leur cellule pour leurs quatre heures ou les deux heures de contacts humains significatifs? » Ils refusent de le faire dans environ 52,5 % des cas. C’était en 2020, bien sûr, durant la pandémie.

C’est compliqué lorsqu’ils ne veulent pas sortir. C’est peut-être ce qui va être documenté. C’est ce qui va être signalé, et c’est ce que nous observons.

Le sénateur Prosper : J’ai une question de suivi, monsieur Wilkins, et je reconnais que, comme vous l’avez mentionné, il a fallu un peu de temps pour rattraper ce nouveau régime. Est-ce que, lorsque les données sont enregistrées ou consignées et que la réponse est « Eh bien, non, pas aujourd’hui », lorsqu’ils ne veulent pas se prévaloir de ces droits constitutionnels, on laisse les choses telles quelles? Fait-on d’autres demandes de renseignements pour savoir pourquoi les détenus ne saisissent pas ces occasions?

M. Wilkins : Je crois savoir que, dans le cadre des Directives du commissaire et de la loi, ces suivis sont censés se faire. Même lorsqu’une personne décide de ne pas s’en prévaloir, quelque chose serait signalé à nos décideurs indépendants. Si elle décide de ne pas s’en prévaloir à ce moment-là, je présumerais et dirais que les professionnels de la santé devraient faire un suivi. Ils sont tous les jours dans ces unités, où ils parlent avec chaque délinquant. Nos membres parlent tous les jours avec chaque délinquant, mais, à un moment donné, s’il fait froid et qu’il neige dehors, ils ne veulent parfois peut-être pas aller dans la cour d’exercice.

Nous devons maintenir un certain niveau de sécurité dans ces unités. Il n’y a que tant de temps dans la journée pour s’assurer que les gens sont à l’extérieur. S’il y a des problèmes d’incompatibilité, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, cela rend le travail vraiment difficile.

Le sénateur Prosper : Merci, monsieur Wilkins.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour M. Grant-Nicholson, de la Commission de la santé mentale du Canada. La Commission de la santé mentale du Canada préconise-t-elle des mesures juridiques visant à assurer l’équité en matière de santé mentale pour les personnes issues de populations défavorisées ou en situation minoritaire au sein du système de justice pénale? Soulève-t-elle des préoccupations concernant de possibles difficultés juridiques, des obstacles ou des complexités pour atteindre l’équité en matière de santé mentale? Comment évaluez-vous les répercussions juridiques des services correctionnels communautaires tels qu’ils sont décrits dans le projet de loi, en particulier en ce qui concerne le soutien en matière de santé mentale et le fait de veiller aux droits des personnes qui retournent dans la collectivité?

M. Grant-Nicholson : Je vous remercie de la question, sénateur Klyne. En ce moment, la Commission de la santé mentale du Canada entreprend un plan d’action national, qui devrait être publié en 2025. Elle est en train de formuler des recommandations. Il y a eu quelques... je les désignerais comme des conclusions ou des suggestions préliminaires que nous avons entendues. Je peux en parler.

Pour ce qui est des conclusions préliminaires, nous entendons dire qu’il est nécessaire d’améliorer l’accès aux services de santé mentale des communautés marginalisées dans la collectivité une fois qu’elles sont libérées de la détention.

Certes, c’est quelque chose que je vois dans ma pratique. On s’inquiète — j’ai entendu également des collègues en parler — du fait que des personnes soient libérées dans la collectivité et que leur accueil ou leur transition ne se fasse pas en souplesse et qu’elles ne reçoivent pas les mesures de soutien adéquates dans la collectivité à leur libération. Cela entraînerait une récidive.

Comme j’ai entendu ces types de commentaires, cela pourrait être quelque chose à inclure dans le plan d’action national une fois que les recommandations seront formulées.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour Krystal Kelly.

Le projet de loi en question, le projet de loi S-230, comprend quatre objectifs particuliers, dont un est de permettre à des groupes communautaires et à d’autres services de soutien similaires d’assurer la prestation de services correctionnels aux personnes issues de populations défavorisées ou en situation minoritaire et de proposer des plans pour la libération de ces personnes et leur réintégration dans la collectivité.

Compte tenu des répercussions potentielles des traumatismes sur les personnes dans le système de justice pénale, comment peut-on intégrer des approches axées sur les traumatismes dans les services de santé mentale, tant au sein des établissements correctionnels que dans les programmes communautaires?

Krystal Kelly, gestionnaire de programme, Promotion de la santé mentale, Commission de la santé mentale du Canada : Merci de cette question. À la Commission de la santé mentale du Canada, nous ne sommes pas les experts dans ce domaine. Notre rôle consiste vraiment à nous réunir avec les experts, et c’est pourquoi je suis accompagnée d’A.J. Grant-Nicholson, un avocat qui a joué un rôle déterminant dans la formulation du plan d’action. Si je le peux, je laisserais le soin à M. Grant-Nicholson de répondre à cette question.

M. Grant-Nicholson : Merci. Comme j’y ai fait allusion dans ma déclaration liminaire, nous avons constaté, à tout le moins en Ontario, des obstacles et des difficultés de la part de certaines communautés marginalisées pour ce qui est d’accéder à des services de soutien en santé mentale dans la collectivité. Ces obstacles augmentent ensuite la probabilité que les gens aient des démêlés avec le système de justice et finissent par se retrouver dans le système correctionnel.

Ce que j’espère avec le projet de loi, c’est que cette disposition particulière, soit inclure des communautés ou des groupes communautaires qui desservent des populations marginalisées, si on peut les inclure dans la planification de la libération, pourrait donner de meilleurs résultats, à savoir garantir que les obstacles dont j’ai parlé sont surmontés pour permettre l’accès aux services dans la collectivité.

Par exemple, en Ontario, nous avons vu une surreprésentation des personnes noires dans le système de justice, dans le système de santé mentale pénal. Encore une fois, à mon avis, une partie de cela tient au fait qu’il existe des obstacles dans le système de santé mentale dans la collectivité qui les empêchent d’accéder facilement à ce service. Si nous pouvons inclure des programmes adaptés sur le plan culturel et une planification de la libération, j’ai bon espoir que cela puisse permettre de surmonter ces obstacles et ces difficultés et de réduire les récidives. Je vous remercie.

La sénatrice Simons : Ma question s’adresse également à M. Wilkins. Vous êtes un homme populaire aujourd’hui.

Lorsque j’ai eu l’occasion de visiter l’Établissement d’Edmonton le mois dernier, nous avons rencontré un certain nombre de vos membres, y compris votre vice-président régional des Prairies, Jake Suelzle. Vos membres nous ont parlé avec beaucoup de franchise, nous disant qu’il existe une culture du silence qui persiste dans le système correctionnel et empêche le personnel de parler des violations dont ils ont été témoins contre les détenus. Je me demande ce que vous pourriez répondre à cette affirmation de la part de certains de vos propres membres.

M. Wilkins : Pour être honnête avec vous, on ne m’a jamais fait part de cette déclaration, donc vous m’en voyez un peu surpris. Je peux vous dire que, pour ce qui est des témoins de violations, je suis sûr que nos membres se manifestent et les signalent lorsque c’est nécessaire, et j’imagine que cela serait toujours nécessaire. Je n’ai pas vraiment de réponse à vous donner.

La sénatrice Simons : Permettez-moi de poser une question différente. Les unités d’intervention structurée, celles que j’ai vues à Edmonton... les gens qui y travaillaient semblaient vouloir de bonne foi fournir des interventions significatives. Donc permettez-moi de vous donner l’occasion de nous dire que si une unité d’intervention structurée fonctionne bien — je déteste cette expression, intervention structurée, c’est un euphémisme —, quelles sont les interventions offertes qui sont utiles pour les détenus? À quel moment fonctionnent-elles le mieux?

M. Wilkins : Elles fonctionnent le mieux lorsqu’il y a des contacts humains réels. De nombreuses interventions différentes se font dans ces unités au quotidien, que ce soit les agents de liaison autochtones qui entrent, les aumôniers, les agents de libération conditionnelle qui s’assoient, se réunissent et discutent de cas, discutent de ce qui s’en vient pour le détenu dans son plan correctionnel, les enseignants qui entrent dans l’unité et fournissent une éducation ou des programmes différents. Bien sûr, ce sont les choses qui gardent tout le monde occupé et c’est ce qui, selon moi, garantit la réussite, plutôt que ce qui était autrefois un modèle un peu plus limité dans le cadre du régime d’isolement préventif.

La sénatrice Simons : Les prisonniers... pouvez-vous me donner une description de ce qui amène une personne à se retrouver dans une UIS?

M. Wilkins : Il y a trois raisons différentes : ils présentent un risque pour eux-mêmes; ils présentent un risque pour autrui dans l’établissement; il y a une enquête en cours ou ils y vont pour assurer leur propre protection.

La sénatrice Simons : Cela se veut-il, selon vous, une méthode disciplinaire — une punition — ou bien n’est-ce pas l’intention?

M. Wilkins : Ce n’est pas l’intention. Vous pourriez dire cela, je pense, dans le cas d’un détenu qui agresse grièvement un agent. C’est une des raisons pour lesquelles il irait dans une UIS... ou s’il agresse un autre détenu. Il s’agit de s’assurer qu’il se tient à l’écart de la population générale. On contrôle dans une certaine mesure les déplacements de ce détenu afin qu’il n’aille pas agresser d’autres membres du personnel ou d’autres détenus; des évaluations sont faites et des conversations ont lieu pour connaître les raisons. Lors de cette enquête, on se demandera alors s’il convient peut-être de le déplacer dans un établissement différent ou une unité différente.

La sénatrice Simons : Vous pouvez voir pourquoi cela serait considéré comme une mesure punitive aux yeux de certaines personnes.

M. Wilkins : Non, en fait. Je ne vois pas pourquoi cela serait considéré comme une mesure punitive. Nous parlons de responsabilisation des détenus. Lorsqu’il est question d’un détenu qui agresse un membre du personnel ou un autre détenu, il doit y avoir un certain niveau de responsabilisation; il s’agit non pas de punir, mais d’aller au fond des choses.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d’être ici aujourd’hui, et je vais adresser mes questions à la Commission de la santé mentale du Canada. C’est une cause qui est très chère à mon cœur et qui me touche de près, alors je vous remercie tous de votre important travail pour un si grand nombre de Canadiens qui souffrent de maladie mentale.

Tout d’abord, dans le premier groupe de témoins que nous avons reçu aujourd’hui — je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de les voir — j’ai posé une question concernant la définition de problèmes de santé mentale invalidants qui est contenue dans le projet de loi, et la sénatrice Pate — la marraine du projet de loi — a dit qu’elle souhaitait que cette définition s’aligne sur l’article 37.11 de la Loi sur le service correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je viens d’avoir brièvement la possibilité d’y jeter un œil, et je note que cela comprend les critères suivants : le refus d’interagir avec les autres, les actes d’automutilation, les symptômes de surdose de drogue et les signes de détresse émotionnelle ou un comportement qui donne à penser qu’il y a un urgent besoin de soins de santé mentale.

Je me demande si vous pensez que la définition est appropriée pour orienter les décisions sur le transfèrement des détenus dans un hôpital, dans le contexte du projet de loi C-230, ou pensez-vous qu’il y a une définition différente des problèmes de santé mentale invalidants qui conviendrait mieux?

M. Grant-Nicholson : Cette définition traite d’une personne en proie à une crise de santé mentale. Il est certain que si une personne subit une crise de santé mentale, il doit y avoir une évaluation afin que l’on puisse mieux comprendre l’étendue de cette crise, le diagnostic ou les diagnostics.

Ce que je dirais, c’est que toute définition utilisée devrait être suffisamment large pour que l’on s’assure de ne pas passer à côté d’une personne qui est en proie à une crise de santé mentale et pourrait avoir besoin d’une évaluation ou d’un traitement rapidement. Je vous remercie.

La sénatrice Batters : Croyez-vous toutefois qu’elle est trop large et qu’elle engloberait un trop grand nombre de catégories de gens, ce qui, manifestement, entraînerait des transfèrements dans des hôpitaux et surchargerait le système de soins de santé mentale du Canada qui est déjà très surchargé?

M. Grant-Nicholson : Je suppose que cela pourrait être une préoccupation. Par ailleurs, je pense que nous devrions peut-être éviter une définition très étroite qui pourrait passer à côté de certains cas qui ont besoin de plus d’évaluations médicales ou d’autres évaluations médicales devant être faites rapidement.

La sénatrice Batters : On nous a dit que le Service correctionnel du Canada emploie environ 1 200 professionnels de la santé qui effectuent des évaluations rapides des besoins en matière de santé mentale des délinquants, apparemment dans les 24 heures, et qu’il possède, bien sûr, ces centres de traitement régional pour les cas plus complexes. La Commission de la santé mentale du Canada pense-t-elle que ces ressources suffisent à répondre efficacement aux besoins de santé mentale des délinquants incarcérés, et sinon, quelles ressources supplémentaires suggérez-vous que le gouvernement mette en place?

M. Grant-Nicholson : En fonction du plan d’action national et de la mobilisation que nous avons faite, je pense qu’il est juste de dire que, de manière générale, le système de santé mentale dans le contexte correctionnel et dehors, dans le public, ne suffit pas à répondre à la demande. Certes, il y a toujours place à d’autres investissements financiers, à plus de soutien dans le contexte correctionnel ou carcéral ainsi que dans la collectivité.

La sénatrice Batters : Oui, tout à fait. Quels sont les types de ressources qui vous préoccupent le plus et les besoins particuliers auxquels on doit répondre pour produire les meilleurs résultats?

M. Grant-Nicholson : Je veux dire, la liste est longue. Il doit certainement y avoir plus de places, plus de places en santé mentale dans le public où les personnes incarcérées peuvent être transférées si elles en ont besoin dans des unités sécurisées. Il existe quelques modèles de cela. Il y a en Ontario un modèle de lits de stabilisation de soins actifs qui est un partenariat entre le ministère de la Santé et le ministère du Solliciteur général. Ce pourrait être un bon exemple à examiner comme ressource pour aider des personnes souffrant d’une crise de santé mentale dans le contexte correctionnel.

Mais encore une fois, vous savez, il y a tout simplement un manque chronique de ressources, selon ce que j’ai entendu. Jusqu’ici, il y a un manque de ressources de façon générale, tant dans le contexte correctionnel que dans les milieux carcéraux, ainsi que dans le public. Cela entraîne certains problèmes pour ce qui est de savoir où les gens vont lorsqu’ils sont en crise et de leur fournir un accès opportun aux services.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

Le vice-président : Dans le même ordre d’idées, maître Grant-Nicholson, lorsqu’un détenu qui souffre de troubles mentaux demande une libération, est-ce la Commission des libérations conditionnelles du Canada, Service correctionnel Canada ou la Commission de la santé mentale du Canada qui étudie le dossier?

[Traduction]

M. Grant-Nicholson : La Commission de la santé mentale du Canada ne s’occuperait pas, je suppose, de ces types de réclamations ou de demandes.

Sénateur Boisvenu, demandez-vous qui serait l’organe?

[Français]

Le vice-président : Ma question est la suivante : si on transfère un détenu sous responsabilité fédérale dans un hôpital de responsabilité provinciale et que ce détenu souffre de troubles de santé mentale, sa remise en liberté se fera-t-elle selon la compétence fédérale ou la compétence provinciale?

[Traduction]

M. Grant-Nicholson : Je pense que cela dépendrait de la province particulière et du protocole d’entente entre ces deux entités différentes.

L’un des défis que nous constatons, c’est qu’il y a une déconnexion entre le ministère responsable de la prestation des services correctionnels et le ministère responsable de la prestation des soins de santé. C’est un gros problème.

J’ai fait référence plus tôt à l’enquête sur Soleiman Faqiri. L’une des recommandations de cette enquête était de faire examiner la prestation de services de soins de santé par un organisme provincial de soins de santé plutôt que par le service correctionnel ou l’organisme correctionnel provincial. Parfois, la séparation fédérale et provinciale ou les différences dans la prestation de services peuvent créer des écarts et des problèmes.

Une autre lacune qui a été recensée et dont nous avons entendu parler dans le cadre du plan d’action national est qu’il y a parfois des écarts dans les régimes civils de santé mentale de la province elle-même plutôt que ce qui est prévu, disons, dans le Code criminel fédéral ou les lois fédérales.

Nous devons prendre en considération le portrait d’ensemble. De plus, nous devrions examiner les lois provinciales dans le contexte des soins de santé et de la santé mentale, ainsi que les lois fédérales, et nous assurer qu’elles concordent et se complètent les unes les autres.

La sénatrice Pate : Merci à nos témoins.

J’ai des questions pour Mme Parkes et M. Grant-Nicholson.

Madame Parkes, vous avez dit que vous enseignez dans ce domaine et que vous faites ce travail depuis longtemps. Pouvez-vous en dire plus sur l’importance de la surveillance judiciaire plutôt que de la surveillance indépendante qui est effectuée, que ce soit par les conseillers externes indépendants ou d’autres qui pourraient exister? Je pensais aussi aux présidents qui siègent dans les tribunaux pour des accusations graves.

Mme Parkes : Le président indépendant, oui.

La sénatrice Pate : Le président indépendant, merci.

Aussi, j’aimerais connaître votre expérience concernant le recours et la raison pour laquelle c’est important.

Peut-être que pour vous aussi, mais pour M. Grant-Nicholson... j’ai eu récemment une conversation plutôt dérangeante. Lors de l’élaboration du projet de loi, nous avons consulté de nombreux groupes.

Je veux clarifier les choses. La disposition relative à la santé mentale dans un contexte carcéral — en fait, le syndicat y a fait référence — l’une des difficultés est que — cela a été documenté à maintes reprises, que ce soit dans l’enquête sur Soleiman Faqiri ou dans d’autres — la sécurité passe toujours à l’avant-plan, et tout type de besoins de traitement doit être relégué à l’arrière-plan, par rapport aux problèmes de sécurité qui sont recensés. Il n’y a aucun moyen de remettre cela en question, de l’étudier, à moins que vous vous retrouviez devant un tribunal, dans le cadre d’une enquête ou de toute autre enquête réalisée après coup.

La directrice d’un centre de santé qui a été mis en place juste à côté d’une prison quittait l’administration de cette unité psychiatrique essentiellement en raison de — je crois que ce sont ses mots — l’infection toxique du système correctionnel dans cette unité d’hôpital.

Elle a dit que, même lorsqu’elle est administrée par une autorité sanitaire, si l’unité est située très près de l’établissement correctionnel, de sorte qu’il y a une interaction constante entre le système correctionnel qui n’est pas indépendant... il est très difficile d’éviter que ce type de mentalité ne prenne le dessus.

Je ne sais pas si l’un d’entre vous aimerait dire quelque chose à ce sujet. Nous pourrions peut-être commencer par Mme Parkes concernant la responsabilisation, et si vous voulez aussi ajouter quelque chose à ce sujet, je vous en prie.

Mme Parkes : Je vous remercie.

Je pense que je ne suis plus toute jeune. Je travaille depuis plus de 25 ans sur des questions de responsabilisation de l’incarcération à titre d’universitaire, et auparavant, en tant qu’avocate.

Vous avez entendu l’enquêteur correctionnel. J’ai eu le privilège de pouvoir assister à cette séance également, d’entendre l’enquêteur correctionnel parler de la résistance totale à mettre en œuvre même ce que prescrit la loi.

Nous avons des ordonnances des tribunaux qui disent que le régime d’isolement existant à l’époque était inconstitutionnel à ces égards mêmes. Puis, le projet de loi qui est finalement adopté ne règle même pas ce problème de manière adéquate.

C’est la raison même pour laquelle nous avons besoin d’une surveillance judiciaire, car la responsabilité arrête quelque part. Vous ne pouvez pas continuer de dire, eh bien, nous allons adopter une nouvelle politique, nous allons mettre des ressources ici, nous allons faire cela.

Au bout du compte, si on enfreint les droits des gens, comme le démontrent des cas bien documentés... vous n’avez qu’à lire les rapports du Comité consultatif sur les UIS. Lisez les rapports de l’enquêteur correctionnel chaque année. Ce sont des cas nombreux et bien documentés de violation des droits constitutionnels, de gens qui sont lésés et de lois qui ne sont pas respectées. Si vous allez devant le tribunal, vous pouvez en fait obtenir un recours.

Bon, je ne dis pas que tout est réglé tout le temps lorsque l’on se présente devant un tribunal. Madame la juge Arbour a vu en 1996 que le fait de disposer de lois sans véritable organe externe pour les appliquer... que l’on doit en fait exiger qu’elles soient mises en œuvre ou prévoir un recours si elles ne le sont pas.

Le recours, si vous obtenez des preuves de manière illégale en tant que policier... ces preuves sont tirées d’un procès pour meurtre; il s’agit parfois de l’arme du meurtre. C’est évidemment un coup très dur pour les efforts des forces de l’ordre. Parfois, nous avons besoin de ces recours importants pour dire que, en fait, ces lois comptent.

De même, dans le contexte carcéral, si vous n’avez pas de recours, une réduction de la peine est l’une des choses qu’elle avait recommandées dans un tel cas. Nous voyons cela en détention présentencielle. Cela a eu des répercussions sur les conditions de la détention présentencielle, que les juges disent, en fait, je vais donner à cette personne une peine plus faible pour tenir compte du fait qu’elle a purgé sa peine, la première partie de sa peine, dans des conditions illégales. C’est pourquoi nous avons besoin d’un recours comme celui-ci.

Je vais m’arrêter ici.

Le sénateur Klyne : Madame Parkes, j’ai une question pour vous. En tant que membre du conseil d’administration des Prisoners’ Legal Services, selon vous, le projet de loi a-t-il intégré les mesures de protection juridiques nécessaires pour protéger les droits des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, surtout concernant les transfèrements proposés dans les hôpitaux, tels qu’ils sont décrits dans le projet de loi S-230?

Mme Parkes : Merci. Notre organisation a des défenseurs et des avocats qui travaillent aux premières lignes avec des détenus chaque jour. Ce qu’ils voient chaque jour, ce sont des gens aux prises avec de graves problèmes de santé mentale, des maladies mentales déshabilitantes, qui sont victimes de préjudices en prison.

Notre organisation soutient fortement toutes les dispositions du projet de loi qui visent à amener les gens vers l’évaluation et le traitement appropriés dont ils ont besoin dans un environnement thérapeutique.

Cela revient à la question soulevée précédemment concernant la double loyauté. Notre bureau travaille en ce sens avec les plaintes faites au Collège des médecins et chirurgiens du Canada et à l’Ordre des infirmières et infirmiers concernant le personnel médical correctionnel, parce qu’il a cette mentalité axée sur la sécurité.

En fin de compte, le projet de loi prévoit que les gens puissent réellement recevoir le traitement thérapeutique dont ils ont besoin. Souvent, cela devrait se faire à l’extérieur du contexte carcéral en raison de la mentalité axée sur la sécurité qui prévaut à l’intérieur de l’établissement. Nous avons aussi entendu cela récemment dans l’enquête sur M. Faqiri.

Nous avons bon espoir qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction pour respecter les droits de nos clients.

Le vice-président : Merci. Il nous reste deux sénateurs.

Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse aux représentants du syndicat. Dans votre mémoire, vous avez écrit ceci :

Il est fréquent que des détenus interpellent les agents correctionnels pour demander volontairement d’être envoyés en UIS... Les UIS servent ainsi de soupape de sécurité pour certains détenus, et de nombreux événements violents sont ainsi évités.

Dans un tel cas, la limite de 48 heures n’est pas nécessaire; elle serait même contre-productive.

Quel est le pourcentage de personnes détenues dans des UIS? Y sont-ils à leur demande pour des raisons de sécurité? Avez-vous une idée d’un pourcentage approximatif?

M. Wilkins : Si je devais essayer de deviner, je dirais qu’au moins la moitié de la population carcérale y est pour sa propre protection.

Tout à fait, l’imposition d’une limite judiciaire de 48 heures à cette détention ne serait tout simplement pas raisonnable pour un détenu qui essaie de s’éloigner d’une situation dangereuse dans la population générale. S’il n’a pas droit à une prolongation, il devra alors retourner dans la population générale, ce qui serait dangereux pour lui.

Le sénateur Dalphond : Dans un tel cas, vous dites que ces personnes ont l’intention de renoncer à la limite de 48 heures parce que cela ne servirait à rien; elles ont besoin de plus de temps, pour leur sécurité, et doivent rester à l’intérieur de cette unité.

M. Wilkins : C’est exact. Pour la plupart, les détenus qui restent pendant une plus longue période à l’intérieur de nos UIS sont ceux qui recherchent une détention protégée. Ceux qui y sont parce qu’ils ont agressé un membre du personnel ou un autre détenu y sont habituellement pour des périodes plus courtes.

La sénatrice Pate : J’aimerais fournir à M. Grant-Nicholson l’occasion de répondre à la question que j’ai posée plus tôt.

Aussi, pour revenir sur cette dernière question, l’une des réalités, c’est que — c’est bien documenté par l’enquêteur correctionnel — plus les conditions sont austères ou punitives, plus les taux de violence dans les établissements carcéraux augmentent, et il y a un manque de programmes. Si l’un d’entre vous souhaite dire quelque chose à ce sujet, ce serait aussi très bien, mais monsieur Grant-Nicholson, voulez-vous le faire?

M. Grant-Nicholson : Oui. C’est une chose positive de voir que les amendements dans le projet de loi S-230 sont contraignants ou fournissent quelques outils judiciaires pour qu’il y ait une surveillance. Un tribunal qui peut rendre une ordonnance ou simplement être au courant de ces questions et réagir en conséquence augmenterait la transparence concernant l’utilisation d’UIS. Il faut espérer que cela puisse améliorer leur utilisation pour ce qui touche les répercussions sur les détenus, surtout ceux aux prises avec des problèmes de santé mentale sévères ou graves.

Je suis désolé, quelle était l’autre partie de la question?

La sénatrice Pate : Je m’intéressais à la question de ce qui se passe... La question pour vous serait un peu plus directe : avez-vous documenté la question de savoir combien de — en plus des personnes qui se présentent avec des problèmes de santé mentale — problèmes de santé mentale sont engendrés par les conditions carcérales? Je pense que les Prisoners’ Legal Services ont peut-être cette donnée aussi.

M. Grant-Nicholson : Des études se sont penchées sur cette question. La prison ou tout type d’incarcération aura des conséquences négatives sur la santé mentale d’une personne. Si vous avez une maladie mentale préexistante, selon mon expérience, cela peut causer une autre décompensation, surtout si cette personne a été mise en isolement ou en isolement cellulaire. Son état s’aggraverait. En tant qu’avocat, je trouve que cela peut être assez difficile de même se porter à leur défense, car il devient encore plus difficile d’obtenir des instructions.

Si l’on y réfléchit simplement du point de vue des personnes qui travaillent dans ces environnements, nous avons vu dans l’enquête sur M. Faqiri que ces types de situations peuvent causer des traumatismes pour les agents correctionnels aussi.

J’ai espoir qu’avec le projet de loi, on va améliorer la situation des personnes incarcérées, mais aussi produire un effet sur l’amélioration de l’état général des personnes qui travaillent dans les établissements correctionnels également.

Le vice-président : Merci.

[Français]

J’ai une dernière question pour M. Lebeau.

On sait qu’on ferait affaire avec deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial; on sait également que, dans le cas d’un détenu qui séjourne dans une prison au Québec et qui est condamné à une peine fédérale, il n’y a aucune information qui est communiquée au fédéral, parce que les dossiers provinciaux ne sont pas informatisés.

On a le même problème sur le plan de la santé au Québec, car les dossiers santé ne sont pas informatisés. Donc, dans le cas d’un détenu qui serait transféré du fédéral vers un hôpital québécois, s’il revient dans le milieu carcéral, vous allez possiblement vous retrouver avec un manque d’information sur son traitement, car tout se fait encore sur papier au Québec.

Comment ce transfert d’information entre les deux institutions, l’une qui est informatisée au fédéral et l’autre qui ne l’est pas au provincial, va-t-il se gérer?

M. Lebeau : La question, c’est qu’il faudrait que ce soit vraiment établi dans un cadre ou dans un protocole d’entente, comme on l’appelle. Il faudrait avoir des balises claires et bien définies pour la transmission d’informations.

Comme vous dites, les deux systèmes ne se parlent pas présentement, donc je pense qu’on est loin de cette solution. Comment arrimer tout cela ensemble? Cela fait partie des défis et des questions qui restent à préciser au moyen des travaux de ce comité.

Il faut absolument avoir une communication saine et efficiente au sujet des détenus revenant dans un établissement fédéral ou partant vers des établissements provinciaux, justement pour ne pas aggraver le traitement des détenus qui souffrent de troubles de santé mentale.

La société ne serait pas très avancée si on n’avait pas cette capacité de bien colliger les informations. Je crois que ce n’est pas le cas actuellement et c’est difficile. On envoie beaucoup de détenus dans des hôpitaux provinciaux pour le traitement de cancers et pour toutes sortes d’autres traitements, et souvent, ils reviennent avec des prescriptions papier et de la documentation du médecin. Il n’y a rien d’informatisé.

Le vice-président : Merci beaucoup. Je crois que tous les sénateurs se joindront à moi pour vous remercier.

Honorables sénateurs, cette réunion est ma dernière avec vous en tant que membre du comité et vice-président.

Je tiens d’abord à remercier les citoyens qui ont suivi nos travaux depuis 14 ans que je suis membre du comité. Je tiens à remercier le personnel du comité, qui nous a toujours donné un soutien professionnel des plus appréciés.

Les traducteurs et traductrices sont toujours fidèles au poste. Il faut dire que les traducteurs ne sont pas là seulement pour nous, mais aussi pour les citoyens qui suivent les débats. Ils représentent donc un service essentiel.

J’ai passé 14 belles années à ce comité. Je le quitte avec des souvenirs impérissables et avec belle une expérience — j’ai presque acquis mon doctorat, sinon mon baccalauréat en droit.

Je tiens à vous remercier infiniment, honorables sénateurs et sénatrices, de votre appui. Lorsque j’ai pris la relève des présidents, vous avez aussi été d’un grand soutien. Merci beaucoup; je souhaite à tout le monde une bonne continuation.

Le sénateur Dalphond : J’aimerais, au nom de mes collègues à cette table... La présidente vient d’arriver, c’est peut-être à elle de dire ces mots.

Je suis ici depuis six ans, et je siège au Comité des affaires juridiques depuis six ans. J’ai été membre du comité directeur, le sous-comité, pendant de nombreuses années. Ce fut toujours un plaisir de travailler avec vous. Nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, mais je dois dire que ce fut agréable malgré tout, car malgré nos divergences, nos rapports sont toujours restés cordiaux. Je vous remercie en mon nom personnel, mais aussi au nom des membres du comité qui ont bien apprécié votre style.

Merci.

Le vice-président : Bienvenue, sénatrice.

La sénatrice Jaffer : Merci pour tout le travail que vous avez fait, sénateur. Vous travaillez très fort, trop fort. Je vais parler en anglais, car quand je suis émue, c’est impossible de parler français.

[Traduction]

Vous avez été mon voisin, et vos employés m’ont été très utiles...

Le vice-président : Ceux qui sont silencieux.

La sénatrice Jaffer : Vos employés ont toujours été très utiles pour moi et mon personnel. Je vais m’ennuyer de vous pour cette raison.

Mais le comité va s’ennuyer de vous. Personne ne doute de votre sincérité à l’égard du travail que vous faites. Comme le sénateur Dalphond le dit, nous n’approuvons pas toujours votre approche, et vous le savez, mais nous convenons toujours de votre sincérité. Je peux vous dire en toute sincérité que vous nous manquerez au comité.

Au nom de l’ensemble du comité, nous vous souhaitons bonne chance dans l’avenir. Nous savons que c’est la perte de vos deux magnifiques filles qui vous a poussé à agir. Vous nous avez tous marqués en nous montrant à quel point c’est important de protéger nos filles. Je peux vous assurer que, lorsque nous ferons du travail dans l’avenir, nous nous rappellerons votre message : nous devons protéger nos enfants. Merci beaucoup de tout le travail que vous avez fait.

La sénatrice Batters : Sénateur Boisvenu, je vous dis au revoir. Nous sommes habituellement sur la même longueur d’onde. J’ai beaucoup aimé tout le travail que vous avez fait pendant un si grand nombre d’années. Je siège au Sénat depuis 11 ans, et vous y avez été pendant quelques années de plus. Je siège au comité depuis presque tout le temps que je suis au Sénat, et habituellement, vous et moi finissons par nous asseoir côte à côte, en travaillant fort pour certaines causes très importantes. Je tiens à vous remercier de votre travail pendant si longtemps pour les victimes, les femmes et ces causes importantes. Je sais que vous poursuivrez ce travail et que votre héritage perdurera à cet égard. Merci.

Le vice-président : Merci.

[Français]

La sénatrice Clement : Sénateur Boisvenu, merci de toujours parler avec amour. C’est important pour les gens de voir des hommes en position de pouvoir parler avec amour, transparence et émotion. Il ne faut pas éviter de pleurer et de montrer ses émotions en public quand on est en position de pouvoir, et je vous en remercie.

Le vice-président : Je ne veux pas oublier mon adjoint, Jordan. J’étais en train de l’oublier. Je vais en parler un peu plus demain. Jordan est avec moi depuis cinq ans. Il a été d’une très grande utilité. Il travaille maintenant au bureau du leader de l’opposition, le sénateur Plett. Ce dernier est chanceux de l’avoir comme adjoint.

Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie beaucoup. Je vous souhaite une bonne continuation et surtout la santé. Je pense que si l’on peut se rendre à 75 ans avec l’énergie que j’ai encore, c’est un cadeau qu’il faut protéger. Merci beaucoup. Je lève donc la séance avec mon dernier coup de marteau.

(La séance est levée.)

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