LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 3 décembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 19 h 6 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-78, Loi concernant l’allègement temporaire du coût de la vie (abordabilité).
Le sénateur Claude Carignan (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir, honorables sénateurs et sénatrices. Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre coopération.
Bienvenue à tous les sénateurs et à toutes les sénatrices ainsi qu’à tous les Canadiens qui nous regardent sur sencanada.ca. Mon nom est Claude Carignan, je suis un sénateur du Québec et je suis président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Forest : Bonsoir et bienvenue. Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.
Le sénateur Gignac : Bonsoir. Clément Gignac, du Québec.
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
Le sénateur Loffreda : Bonsoir. Tony Loffreda, du Québec.
Le sénateur Moreau : Bonsoir. Pierre Moreau, du Québec.
La sénatrice Moncion : Bonsoir. Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Soyez les bienvenus. Kim Pate, je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué des Algonquins Anishinabeg.
La sénatrice MacAdam : Soyez les bienvenus. Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Ross : Bonsoir. Krista Ross, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Smith : Larry Smith, de Montréal, au Québec.
[Français]
Le président : Merci beaucoup. Aujourd’hui, nous commençons notre étude sur le projet de loi C-78, Loi concernant l’allègement temporaire du coût de la vie (abordabilité), qui a été renvoyé à ce comité par le Sénat du Canada le 3 décembre 2024.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir parmi nous aujourd’hui Jessica Brandon-Jepp, directrice principale, Politique fiscale et des services financiers, Chambre de commerce du Canada; Karl Littler, vice-président principal, Affaires publiques, Conseil canadien du commerce de détail; Maximilien Roy, vice-président, Fédéral et Québec, Restaurants Canada.
Nous allons maintenant entendre les déclarations préliminaires de Mme Brandon-Jepp, qui seront suivies de celles de M. Littler et de M. Roy. Madame Brandon-Jepp, la parole est à vous.
[Traduction]
Jessica Brandon-Jepp, directrice principale, Politique fiscale et des services financiers, Chambre de commerce du Canada : Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité. Je suis ravie de comparaître devant vous au nom de 400 chambres de commerce, et de plus de 200 000 entreprises de toutes tailles, de tous les secteurs de l’économie et de toutes les régions du pays.
La Chambre de commerce du Canada reconnaît que les Canadiens ne sont pas optimistes au sujet de notre économie et de l’abordabilité des biens et services dont ils ont le plus besoin. Bien que cette suspension de TPS ait été annoncée rapidement et sans consultation, la crise de l’abordabilité ne s’est pas produite du jour au lendemain, et la régler prendra du temps. Les causes profondes des problèmes d’abordabilité au Canada ne peuvent pas être corrigées par des demi-mesures impulsives ou des allégements temporaires mis en œuvre avec un préavis de moins d’un mois.
Bien que l’annonce d’un « congé de TPS » du 14 décembre au 15 février soit problématique pour plusieurs raisons, elle est également représentative d’une approche préoccupante de la politique fiscale en général.
Le régime fiscal est le fondement de notre société. Dernièrement, le gouvernement s’est servi de la politique fiscale pour mettre en œuvre son programme politique, sans tenir compte de l’horizon à long terme et de la certitude dont les entreprises et les Canadiens ont besoin pour ajuster leurs affaires. Les Canadiens et les entreprises sont encore ébranlés par l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital et par une nouvelle taxe sur les services numériques, ce qui augmentera les coûts pour les entreprises et les consommateurs et pourrait entraîner des représailles commerciales de notre plus important partenaire commercial.
Bien que l’ARC ait publié rapidement des directives sur le congé de TPS, la mise en œuvre de cette suspension demeure fastidieuse. Les entreprises sont obligées de faire des pieds et des mains pour s’adapter à ces changements avec un préavis de moins d’un mois, puis de faire machine arrière deux mois plus tard. L’Agence du revenu du Canada sera forcée de réaffecter des ressources qui servent aujourd’hui à fournir des conseils sujets à d’autres modifications fiscales, comme l’augmentation proposée du taux d’inclusion des gains en capital.
Au lieu de soutenir les entreprises dans l’ensemble de l’économie, la suspension de la TPS désigne des gagnants et des perdants, avec un panier de produits très précis et apparemment aléatoire. Bien qu’il ne fasse aucun doute que certaines entreprises tireront un avantage temporaire de cette mesure, d’autres souffriront grandement des défis liés à la mise à jour de leurs systèmes de terminaux de point de vente afin de répondre aux critères d’admissibilité complexes pour les produits. De même, bien que certains consommateurs bénéficieront d’un allégement fiscal modeste et temporaire, d’autres ne tireront que peu d’avantages en raison de la composition de leur famille ou de leurs habitudes de dépenses.
Même si de nombreuses entreprises ne voient pas les avantages de la suspension de la TPS, les défis se répercutent sur les chaînes d’approvisionnement du Canada. Des fabricants nous ont fait part de leurs préoccupations au sujet de la création d’une hausse artificielle et inhabituelle de la demande pour des biens sur lesquels les Canadiens comptent, comme les couches, ce qui pourrait entraîner des pénuries. La suspension de la TPS ne servira à rien si les Canadiens ne peuvent pas trouver et acheter les biens dont ils ont besoin.
La ministre a fait remarquer que les Canadiens devraient avoir une opinion positive de notre économie parce que l’inflation est revenue à 2 %. Bien que l’inflation commence à se stabiliser, les Canadiens et les entreprises sont encore aux prises avec les effets cumulatifs de la hausse de l’inflation des dernières années. Il est important de noter que l’inflation ne s’est pas inversée. Elle continue tout simplement de croître, mais à un rythme plus lent. Les Canadiens demeurent beaucoup plus pauvres qu’auparavant. Tout cela arrive à un moment précaire, avec la chute du dollar canadien et les tensions avec notre principal partenaire commercial.
Bien que l’économie canadienne ait progressé de 1 % sur une base annualisée au troisième trimestre, cette croissance était encore inférieure aux attentes de la Banque du Canada. L’économie canadienne continue d’afficher des performances inférieures à celles de ses pairs et n’atteint pas son potentiel, le PIB réel par habitant ayant reculé pour le sixième trimestre consécutif.
Des indicateurs économiques complexes ne peuvent pas changer ce que vivent les Canadiens à la maison, c’est-à-dire leur incapacité de joindre les deux bouts. Bien que les entreprises aient certainement un rôle à jouer pour assurer l’abordabilité des produits pour les Canadiens, elles ne peuvent pas s’attaquer seules aux causes profondes des défis auxquels les Canadiens sont confrontés. Ce qu’il nous manque pour relever nos défis économiques à long terme, c’est un plan clair pour relancer notre économie au profit de tous les Canadiens, un plan qui habilite les nouvelles entreprises à se lancer, aide celles qui existent déjà à croître et à créer des emplois, qui veille à ce que les grands projets soient réalisés et à ce que les chaînes d’approvisionnement continuent de fonctionner sans interruption constante et sans augmentation des coûts. Il est temps d’abandonner les politiques d’augmentation des impôts et de dépenses et les tracasseries administratives qui font grimper le coût des biens et des services pour se tourner vers une économie qui crée de véritables possibilités pour tous les Canadiens.
Le récent mémoire prébudgétaire de la Chambre de commerce du Canada décrit les mesures stratégiques concrètes que le gouvernement peut prendre pour faire d’une économie qui fonctionne une réalité.
Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci. Monsieur Littler, vous avez la parole.
Karl Littler, vice-président principal, Affaires publiques, Conseil canadien du commerce de détail : Merci, monsieur le président. Je crois pouvoir dire que c’est le préavis le plus court qu’on nous ait donné pour comparaître devant un comité parlementaire. J’espère donc que mes observations préliminaires seront pertinentes.
Les détaillants sont heureux d’avoir l’occasion aujourd’hui de présenter leur point de vue plutôt unique sur le congé de TPS‑TVH qui s’en vient. Après avoir lu les commentaires récents de mes collègues et entendu la déclaration préliminaire de la représentante de la Chambre de commerce, je pense qu’il y aura des divergences d’opinions.
Permettez-moi tout d’abord de dire que, de façon générale, nous appuyons cette initiative politique visant à accorder un congé de TPS et que nous voyons des avantages réels et importants pour les consommateurs et les détaillants. Il y a certains défis, bien sûr, et il ne faut pas les sous-estimer, tant en ce qui concerne la rapidité et l’effort requis pour se préparer à ces changements qu’en ce qui concerne deux ou trois éléments de conception précis sur lesquels je reviendrai.
Ces difficultés n’enlèvent rien au fait que l’exonération de la TPS permettra aux consommateurs d’économiser environ 1,6 milliard de dollars. Nous ne nous faisons pas d’illusions et nous savons que nous ne sommes pas les principaux bénéficiaires. Cette mesure est conçue et mise en œuvre comme une mesure de soutien du consommateur, mais nous sommes d’importants bénéficiaires auxiliaires.
Ceux qui vendent des produits nouvellement détaxés auront une clientèle qui trouvera le prix de ces produits plus abordable. Certains secteurs comme les restaurants, les dépanneurs et les magasins de vêtements pour enfants se démarquent. La totalité ou une très grande partie de leurs produits seront nouvellement détaxées. Pour d’autres l’avantage portera sur une portion moindre, mais quand même importante, de leurs offres.
Mais même ceux qui ne vendent pas les biens concernés pourraient en tirer un avantage, car ces mesures réduiront la pression sur le portefeuille des consommateurs, et viendront s’ajouter aux paiements directs de 250 $ aux particuliers, parallèlement à cette mesure stratégique, ce qui libérera des fonds pour toutes sortes d’achats. C’est l’avantage du côté de la demande.
Mais il y a un autre avantage pour les détaillants, sur le plan des liquidités, et je n’ai pas encore vu de couverture médiatique ou de commentaires de la part des décideurs à ce sujet. Étant donné que ces produits seront détaxés, cela signifie que les détaillants eux-mêmes auront une plus grande valeur de crédits de taxe sur les intrants, ce qui réduit la TPS autrement payable au gouvernement. Cet avantage est calculable et réel pour chaque détaillant.
Certains aspects de la conception de la politique, même si le gouvernement a travaillé fort pour les résoudre, posent des défis en ce qui concerne les définitions relatives aux vêtements pour enfants et aussi, surtout, à l’exigence de mise en œuvre dans un délai de deux mois.
Telle qu’elle était formulée à l’origine, la politique exigeait que les marchandises soient livrées au plus tard le 15 février. Le Conseil canadien du commerce de détail a signalé au gouvernement que cette exigence, si elle avait été appliquée rigoureusement, aurait entraîné de graves disparités entre les prix tout compris dans le commerce électronique et les ventes en magasin vers la fin du congé fiscal, à des disparités pour les régions éloignées et nordiques et cela aurait également provoqué toutes sortes de maux de tête liés aux méthodes d’expédition, qu’elles soient choisies par le commerçant ou par les consommateurs eux-mêmes, chacune assortie d’un décompte inévitable des jours avant la date limite du 15 février pour l’admissibilité à l’exonération fiscale. À la suite de nos discussions avec le ministère des Finances, les lignes directrices de l’ARC suivent maintenant notre suggestion de traiter la livraison comme un transfert à un service d’expédition, à un service de messagerie ou à une poste. En résumé, un article sera considéré comme ayant été livré dès qu’il est expédié.
Il reste encore du travail à faire en ce qui concerne les problèmes de livraison les deux derniers jours et sur les méthodes de livraison exclusives, mais le système a été grandement amélioré par rapport à l’annonce initiale. Il faut donc rendre à César ce qui appartient à César.
Même si je pense que je suis le seul partisan de cette politique au sein de ce groupe de témoins et peut-être du suivant, je serais heureux d’approfondir les points qui ont été soulevés.
Merci.
Le président : Merci, monsieur Littler.
[Français]
Nous poursuivons avec M. Roy.
Maximilien Roy, vice-président, Fédéral et Québec, Restaurants Canada : Honorables sénatrices et sénateurs, je suis très heureux de m’adresser à vous aujourd’hui dans le cadre de l’étude du projet de loi C-78.
[Traduction]
Je m’appelle Maximilien Roy et je suis vice-président, au niveau fédéral et au Québec, de Restaurants Canada, le porte-parole des exploitants de services alimentaires partout au pays.
Notre mission est de défendre l’industrie de la restauration en préconisant des politiques qui favorisent le succès, créent des liens et fournissent un soutien à nos membres. Notre vision est de voir un secteur de la restauration et des services alimentaires dynamique et prospère dans toutes les collectivités du Canada.
[Français]
D’entrée de jeu, permettez-moi de souligner l’importance de notre industrie.
[Traduction]
Avec plus de 100 000 établissements dans tout le pays, l’industrie de la restauration apporte 114 milliards de dollars par année à l’économie canadienne et 26 milliards de dollars en impôts. Nous employons près de 1,2 million de personnes. Cela représente environ 6 % de la main-d’œuvre nationale. C’est plus que la foresterie, l’immobilier, la pêche, l’agriculture, les services publics et l’extraction pétrolière et gazière réunis. De plus, pour chaque million de dollars de production, notre industrie crée 17,6 emplois, comparativement à la moyenne de 7,4 emplois dans d’autres secteurs. Chaque jour, nos membres servent fièrement 23 millions de Canadiens, ce qui fait de nous un élément essentiel de la vie quotidienne au Canada.
[Français]
Cependant, ces dernières années ont été particulièrement éprouvantes pour notre secteur.
[Traduction]
Le nombre de faillites dans notre industrie a augmenté de 45 % au cours des huit premiers mois de 2024, comparativement à la même période en 2023. De plus, 53 % des restaurants fonctionnent à perte ou arrivent à peine au seuil de rentabilité, ce qui met en évidence les immenses défis auxquels nos exploitants sont confrontés. Les marges de profit se situent généralement entre 3 et 5 %, ce qui est peu. Par contre, au cours des deux dernières années, le coût total de l’alimentation a augmenté de 25 %, le coût de la main-d’œuvre de 18 %, celui de l’assurance de 24 % et celui des services publics de 20 %.
Pour ce qui est de l’abordabilité, les restaurateurs se battent aux côtés des Canadiens.
[Français]
Il est extrêmement important de considérer la période du congé de TPS. Plusieurs familles ont espoir de passer un joyeux temps des Fêtes avec leur famille et leurs amis. En même temps, ils sont inquiets de leur situation financière. Le congé de TPS leur permettra d’en profiter un peu plus que ce qu’ils croyaient faire auparavant.
[Traduction]
Le mois de janvier et les premières semaines de février sont habituellement les plus difficiles pour les restaurants. Les consommateurs, conscients de leurs dépenses pendant la période des fêtes — et parfois en lien aux résolutions du Nouvel An —, ne vont tout simplement pas manger autant au restaurant qu’à d’autres périodes de l’année et ils y dépensent moins. Pour notre industrie, le moment de l’exonération de la TPS/TVH ne pourrait pas être mieux choisi.
[Français]
C’est là que le projet de loi C-78 peut jouer un rôle transformateur.
[Traduction]
Ce congé offre un soulagement opportun et significatif, il encourage les Canadiens à manger au restaurant plus souvent et à appuyer les restaurants dans leur collectivité ainsi que l’ensemble de notre main-d’œuvre. C’est une solution gagnant-gagnant. Pour les restaurateurs, il s’agit d’un allégement fiscal temporaire qui pourrait faire la différence entre garder leurs portes ouvertes ou fermées.
Pour les travailleurs, les 1,2 million de Canadiens qui travaillent dans l’industrie des services alimentaires, cela offre une plus grande sécurité d’emploi et un espoir renouvelé, surtout à l’approche des Fêtes. Cela signifie également que certains travailleurs à temps partiel pourront obtenir plus d’heures à mesure que la demande augmentera, ce qui leur permettra d’augmenter leurs revenus. Pour les Canadiens, c’est l’occasion de renouer avec leurs proches au cours d’un repas tout en allégeant le fardeau financier que beaucoup ressentent actuellement.
[Français]
Selon notre économiste en chef, cette pause fiscale pourrait générer près de 1,5 milliard de dollars en ventes additionnelles pour notre industrie pendant cette période. Ce chiffre témoigne de l’impact positif qu’un tel geste peut avoir, non seulement pour les restaurateurs, mais aussi pour l’ensemble de l’économie.
[Traduction]
Bref, le projet de loi C-78 est plus qu’une mesure temporaire; c’est une bouée de sauvetage pour une industrie en difficulté et un catalyseur pour la reprise économique. C’est bon pour les entreprises, pour les travailleurs et pour les Canadiens. Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Roy. Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons essayer de nous en tenir à un maximum de quatre minutes pour la question et la réponse. Nous devrons être concis. Notre temps est contraint parce que nous avons un autre groupe à 20 heures.
[Français]
Le sénateur Forest : Pouvez-vous nous illustrer ce que représenterait, pour un détaillant, l’effort de reprogrammer ses terminaux de point de vente sur les plans du coût, du temps et de la main-d’œuvre?
[Traduction]
M. Littler : Oui, il s’agit d’une question importante et, évidemment, si les gens n’ont pas de ressources à l’interne, c’est encore plus difficile parce qu’il y a beaucoup de concurrence pour les services de consultation. Ce n’est pas négligeable. Franchement, je pense que c’est la principale source d’objections, ainsi que certaines questions de définition dans les catégories de biens qui ont été communiquées. Je ne veux en minimiser l’importance d’aucune façon.
Je connais assez bien la politique fiscale. Les changements ne sont généralement pas annoncés longtemps à l’avance pour toutes sortes de raisons, notamment parce qu’ils peuvent, s’ils sont suffisamment importants, faire bouger les marchés. Il n’est pas rare que des changements importants soient apportés à court terme sur le plan de la politique fiscale, mais cela ne concerne généralement pas la taxe d’accise. C’est assez inédit. J’essaie de me rappeler s’il y avait quelque chose en lien au bogue de l’an 2000. Je ne pense pas. Il me semble que c’est la première fois qu’on parle de la TPS/TVH, mais il n’est pas rare que les gens réagissent à des mesures fiscales dans le sillage immédiat d’un budget.
Par ailleurs j’ai parlé à beaucoup de collègues d’autres associations commerciales apparentées à la nôtre, et ils ont tous des préoccupations à ce sujet à cause de ce que leur disent leurs membres. J’ai dit à mon collègue, sur le ton de la blague, que s’ils étaient si inquiets, nous pourrions peut-être exercer des pressions pour exclure leurs produits de l’exonération et il m’a répondu : « Eh bien, non, en réalité, nous voulons cette mesure. Mais c’est une tracasserie. » Je pense que les gens ne sont pas ravis du fardeau administratif, qui pèse dans la balance, mais ils peuvent accueillir favorablement le résultat substantiel de cette mesure.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci. Ma deuxième question s’adresse à M. Roy.
On sait que les temps ont été très difficiles pour l’industrie de la restauration. D’ailleurs, le ministre des Finances du Québec disait craindre que, compte tenu de la difficulté pour ce secteur, autant au plan humain qu’au plan de l’approvisionnement, l’espace libéré par le congé de taxe soit récupéré par les restaurateurs et que le consommateur, en fin de compte, ne verrait pas la différence.
Pensez-vous que c’est une hypothèse qui est plausible?
M. Roy : Je crois que c’est important de nuancer cette question.
Est-ce qu’une certaine portion pourrait être retenue? Possiblement. Cependant, si on regarde ce qui se passe dans l’industrie actuellement pour ce qui est de l’inflation des prix sur le menu par opposition à la hausse de la marge de profit, ce qu’on a vu au cours des dernières années, c’est vraiment une réduction de la marge de profit. Nos restaurateurs sont bien conscients que le consommateur n’a pas les moyens qu’il avait précédemment en raison de tout ce qui se passe avec l’inflation. Ce qu’on a vu, c’est une réelle disparité entre ces deux chiffres.
Je ne veux pas répondre dans l’absolu dans les deux cas; cela dit, pour une grande majorité, ce que nous voyons, c’est qu’il faut attirer le plus possible de consommateurs chez nos restaurateurs. Pour nous, l’objectif est donc d’avoir le plus de gens dans nos restaurants, plutôt que d’essayer de profiter de ce changement de taxe.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Monsieur Littler, à combien sont estimés les coûts de mise en conformité pour les détaillants et le Conseil canadien du commerce de détail croit-il qu’ils dépassent les avantages potentiels d’une augmentation des ventes pendant la période des fêtes?
M. Littler : Je ne crois pas que nous envisagions quelque chose qui dépasserait l’avantage de l’augmentation des ventes. Ce n’est certainement pas ce que nous disent nos membres et, au bout du compte, le plus important pour nous est de savoir si cela les inquiète au point de dire que cela ne vaut pas la peine. Nous n’avons pas entendu cela, mais ce sera important de rester à l’écoute. Il y a aussi la question de la reprogrammation.
Il y a beaucoup de considérations qui n’ont pas été abordées directement, et le gouvernement a pris des mesures pour régler certaines d’entre elles. Par exemple, si un détaillant facture un produit avant la période du congé, mais qu’il ne débite pas la carte avant l’expédition, il lui faut alors un système en place pour tenir compte du fait que l’achat a eu lieu pendant dans la période du congé.
Des difficultés se posent au début et à la fin du processus. Je ne les minimise pas, mais aucun de nos membres ne m’a laissé entendre qu’il considère que les inconvénients dépassent les avantages.
Le sénateur Smith : Comment le Conseil canadien du commerce de détail voit-il l’impact global du projet de loi C-78 sur le secteur de la vente au détail, particulièrement en ce qui concerne la concurrence entre les grands et les petits détaillants?
M. Littler : Nous avons des membres à tous les niveaux. Évidemment, dans la mesure où vous opérez dans plusieurs juridictions, il peut y avoir des ajustements supplémentaires. Je tiens toutefois à souligner que, jusqu’à présent, aucune province n’a suivi le mouvement en dehors des provinces harmonisées, de sorte que les complexités ne sont pas nécessairement multipliées.
Le problème pour les petits détaillants, c’est qu’ils n’ont pas de TI à l’interne. Ils ont tendance à faire appel à des consultants pour les systèmes comptables et ainsi de suite. Ce sera un peu compliqué. Je ne sais pas si cela changera fondamentalement l’équilibre de la compétitivité entre les grandes et les petites entreprises, mais il est certain que les défis liés à la mise en conformité pourraient être plus importants pour certaines des petites entreprises membres de notre organisation qui doivent compter sur des parties externes pour être entièrement conformes.
Le sénateur Smith : Madame Brandon-Jepp, vous avez parlé des répercussions d’une inflation élevée qui se fait encore sentir partout au pays. La Banque du Canada a pris des mesures très énergiques pour faire baisser l’inflation, et ces mesures commencent tout juste à influer sur la baisse des taux d’intérêt. Craint-on que le gouvernement, avec ces mesures fiscales et la possibilité de remboursements de 250 $, puisse effacer une partie du travail accompli par la Banque du Canada pour réduire la demande et l’inflation? Pensez-vous que c’est une préoccupation valable en ce qui concerne le projet de loi C-78?
Mme Brandon-Jepp : Je vous remercie de la question. Oui, je pense que c’est une préoccupation valable. Nous craignons que si ce congé de TPS fonctionne comme prévu et a un effet positif, l’inflation pourrait poser des problèmes. Je pense que les avantages potentiels de cette mesure pourraient être assumés par les Canadiens, car les taux d’intérêt demeureraient plus élevés qu’ils ne l’auraient été autrement. Je pense que vos préoccupations sont fondées et valables.
Le sénateur Smith : Vos clients vous ont-ils beaucoup parlé de cette question en particulier?
Mme Brandon-Jepp : Il est certain que nos membres sont très préoccupés par les conditions économiques en général. Il convient de souligner que la Chambre de commerce du Canada, contrairement à bon nombre de nos collègues qui sont ici aujourd’hui, examine l’ensemble de l’économie et représente des entreprises de toutes tailles et de tous types. Donc, certains de nos membres pourraient en bénéficier, mais bon nombre d’entre eux ont des réticences vis-à-vis de ce projet de loi, et nous entendons des inquiétudes au sujet de la santé économique à long terme du Canada et de notre capacité d’aider les entreprises à faire croître notre économie et à réduire les coûts pour les Canadiens.
Le président : Merci.
Le sénateur Dalphond : Bienvenue à nos témoins. Je vais passer directement à M. Littler, qui est le vice-président principal du Conseil canadien du commerce de détail. J’ai vu sur votre site Web que vous vous présentez comme étant la principale voix du commerce de détail au Canada et vous dites que vos membres sont la plus grande association de commerce de détail au Canada. Combien de membres avez-vous?
M. Littler : Au total, nous représentons 45 000 magasins de détail, mais en plus, nous représentons des restaurants à service rapide, souvent en collaboration avec Restaurants Canada. Cela représente donc 15 000 membres supplémentaires.
Le sénateur Dalphond : Si je vous comprends bien, 55 000 de vos membres sont des commerçants...
M. Littler : Des commerces ayant pignon sur rue. Le nombre de membres dépend de la façon dont on le mesure.
Le sénateur Dalphond : Certains de vos membres peuvent avoir de nombreux magasins, c’est ce que vous voulez dire?
M. Littler : Pour ce qui est des magasins, nous en avons plus de 55 000.
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Roy, vous dites que vous avez 100 000 membres à travers le pays?
M. Roy : Oui, 100 000 restaurants à travers le pays. Nous avons 35 000 membres. Ce n’est pas équivalent, parce que certains de nos membres ont de grandes chaînes qui peuvent compter des centaines de restaurants. Nous couvrons donc environ la moitié de tous les restaurants à travers le pays.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Madame Brandon-Jepp, j’essaie de comprendre. Ces entreprises sont-elles membres de la Chambre de commerce du Canada par l’entremise d’une des chambres de commerce?
Mme Brandon-Jepp : Oui, le réseau des chambres de commerce alimente la Chambre de commerce du Canada et oriente notre position stratégique. Nous parlons donc au nom de 400 chambres de commerce de partout au Canada.
Le sénateur Dalphond : Je comprends, mais il semble qu’il y ait 100 000 membres qui ne sont pas d’accord avec votre position.
Mme Brandon-Jepp : C’est intéressant.
Le sénateur Dalphond : C’est ce que je pense; c’est intéressant. J’essaie simplement de comprendre.
[Français]
Monsieur Roy, de la façon dont vous parliez, vous disiez que cette mesure permettrait de faire, pendant deux mois, des ventes additionnelles qui pourraient atteindre 1,5 milliard de dollars, selon vos estimations. Je présume que vous avez beaucoup de clients qui sont dans la restauration rapide?
M. Roy : C’est varié, mais oui, on a de la restauration rapide, comme on a aussi des restaurants indépendants.
Le sénateur Dalphond : Si on va dans un St-Hubert, un McDonald’s ou un Swiss Chalet, on achète un plat pour le dîner ou le souper pour 20 $ et les taxes sont comprises. On va économiser au maximum 3 $ si on a la taxe harmonisée et on va économiser beaucoup moins, soit 1 $, si on n’a pas la taxe harmonisée et seulement la TPS. Cela permettra d’acheter plus de choses, et le dollar ou les trois dollars vont donner 1,5 milliard de dollars à la fin?
M. Roy : Oui, c’est le calcul pour l’ensemble de l’industrie à travers le pays. On parle de 1,5 milliard de dollars. Si l’on va par restaurant, il s’agit d’une augmentation des ventes d’environ 5 % pour les restaurateurs. C’est quand même considérable pour nos membres.
Le sénateur Dalphond : Donc, pour vous, c’est une mesure de relance de la restauration?
M. Roy : Absolument, c’est une bouffée d’air frais bien méritée et très attendue depuis longtemps.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Le sénateur Moreau : Monsieur Roy, vous avez décrit une tempête parfaite pour les restaurateurs. Vous avez eu la pandémie; vous avez eu deux fois des fermetures totales imposées. Vous avez de la difficulté à recourir à du personnel additionnel. Vous avez une augmentation des coûts. Au fil des années, étant donné que la pandémie a commencé en 2019, vous avez constaté une réduction de la marge de profit. J’ai un peu de difficulté à croire que vos membres n’en profiteront pas. Je ne remets pas en question votre réponse, mais j’aimerais que vous nous en disiez un peu plus. Quand vous avez répondu à la question de mon collègue le sénateur Forest, vous avez affirmé avec une certaine assurance qu’il n’y aurait pas de transfert entre la réduction de la taxe et une tentation, dirais-je, presque naturelle pour les restaurateurs d’augmenter les coûts, étant donné que le consommateur ne verra aucune différence.
M. Roy : C’est un bon point. Ce qu’on a beaucoup vu, c’est cette pensée persistante chez le consommateur qui a en tête que lorsqu’il va au restaurant, il dépensera un maximum de 20 $ ou de 50 $ pour son repas. Maintenant, c’est une barrière psychologique. Quand on dépasse 50 $, on voit moins de gens qui disent qu’ils n’iront pas ou qu’ils vont réfléchir aux plats qu’ils vont prendre pour avoir une facture un peu plus basse.
Cependant, dans l’esprit des gens, il y a vraiment une barrière, et quand on la dépasse, les gens ne vont pas de l’avant, ils ne vont pas dépenser; au contraire, ils retournent chez eux. Ce serait une erreur pour nos membres de penser qu’ils vont gagner plus d’argent en demandant plus cher. Ce qu’on entend de la part de nos gens et ce que notre économiste en chef nous indique, c’est que le mieux serait d’avoir plus de gens qui viennent au lieu d’augmenter les prix et les profits.
Le sénateur Moreau : Dans votre calcul, vous estimez une augmentation des revenus de 1,5 milliard de dollars. Est-ce que vous avez une estimation du taux d’augmentation de la clientèle, c’est-à-dire les gens qui ne fréquentaient pas les restaurants mais qui, en raison de cette mesure, seraient intéressés à donner des sous de plus aux restaurateurs?
M. Roy : Je n’ai pas ces données-là; je peux vous revenir là‑dessus, si vous voulez.
Le sénateur Moreau : Est-ce que vous estimez que, dans ce montant de 1,5 milliard, il y a de nouveaux clients, ou est-ce une augmentation du nombre de fois où un client va se présenter au restaurant?
M. Roy : C’est un mélange des deux. On a vu beaucoup que dans les foyers où le salaire est de 50 000 $ ou moins, il y a eu une baisse allant jusqu’à 21 % quand il y a eu une inflation accélérée au cours de la dernière année. Le nombre de ces gens qui fréquentaient les restaurants a baissé. Certains ont décidé d’arrêter d’aller au restaurant.
Le sénateur Moreau : J’avais cette discussion cet après-midi avec la sénatrice Moncion et j’aimerais vous entendre là-dessus. Si je vais dans un restaurant de restauration rapide, il y a peut‑être une incitation, ou alors la mesure vise une clientèle qui est défavorisée, donc des Canadiens qui ont besoin d’aide. Est‑ce que vous estimez que dans les restaurants indépendants, cette mesure vise la même clientèle? Par exemple, si je vais au Toqué à Montréal, il est évident que je vais bénéficier davantage d’une réduction qu’une personne qui a beaucoup plus besoin d’une réduction de taxe que la clientèle typique du Toqué. J’aimerais vous entendre sur la justesse ou l’équité de cette mesure.
M. Roy : Rapidement, la TPS a toujours un plus grand impact sur les gens qui ont des revenus moindres. Alors si tout se tient, ce devrait être surtout les plus petits restaurateurs qui vont en bénéficier sur le plan du pourcentage, évidemment.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Ma question s’adresse à vous, madame Brandon-Jepp. Vous avez parlé des préoccupations de vos clients et de vos membres. Je suis curieux de savoir quel genre d’analyse vous avez faite sur l’incidence des prix sur les consommateurs, s’il y a une possibilité que cela se traduise par des prix plus élevés également, et quelles analyses vous avez faites dans ces domaines.
Mme Brandon-Jepp : Il s’agit d’une nouvelle politique, et les entreprises travaillent à s’y adapter depuis qu’elles ont été avisées que cela serait mis en application dans moins d’un mois. Je pense que les entreprises essaient de comprendre les répercussions réelles de ce projet de loi, et la Chambre de commerce participe à cette réflexion.
En ce qui concerne les prix, les défis sont importants et nous les avons soulignés dans un certain nombre de mémoires, y compris notre mémoire prébudgétaire, et il y a beaucoup de choses qui contribuent aux problèmes d’abordabilité pour les Canadiens. C’est très difficile. Il y a notamment eu la grève des postes, par exemple, qui a nui à la capacité d’un grand nombre d’entreprises de fournir des produits et des services aux consommateurs. Elles doivent alors trouver d’autres façons d’expédier leurs produits. Ce n’est qu’un exemple.
Il est important de noter que cela pourrait aider les consommateurs de façon temporaire, mais après le 15 février, les Canadiens vont à nouveau faire face aux mêmes défis qu’ils ont dû relever tout ce temps, sans avoir une vision à long terme permettant la croissance et l’amélioration de notre économie.
La sénatrice Pate : Que recommanderiez-vous au gouvernement?
Mme Brandon-Jepp : Jetez un coup d’œil à notre mémoire prébudgétaire; il y a beaucoup de mesures concrètes pour faire fonctionner notre économie dans l’intérêt des Canadiens à long terme. La Chambre de commerce du Canada se concentre sur nos relations commerciales avec notre plus important partenaire commercial, les États-Unis. Cela pourrait créer toutes sortes de défis pour les entreprises et l’ensemble des Canadiens.
À l’heure actuelle, nous mettons l’accent sur notre politique économique à long terme et nous veillons à ce qu’après le 15 février, les Canadiens aient une économie qui fonctionne à leur avantage.
La sénatrice Pate : Merci.
Le sénateur Woo : Ma question s’adresse surtout à M. Littler et à M. Roy.
À votre avis, dans quelle mesure les avantages de ce projet de loi pourraient-ils être réduits si les consommateurs décidaient de retarder leurs achats ou d’avancer leurs achats pour pouvoir profiter du congé fiscal sur les achats qu’ils auraient faits de toute façon? M. Littler peut commencer.
M. Littler : C’est un problème pour nos membres, c’est certain, et il y a des cas où des gens renvoient des produits avec l’intention de les acheter à nouveau. Nous prévoyons qu’une forte hausse en février entraînera probablement un ralentissement des ventes en mars, et nous constatons que les gens décident maintenant de reporter certains achats.
Mais, il y a une plus grande abordabilité et il ne faut pas l’oublier. Pendant le congé, les gens trouveront plus de produits abordables que d’habitude. Donc, dans l’ensemble, ils seront gagnants.
Plus généralement, en ce qui concerne cette politique — parce que nous parlons d’une politique globale qui pourrait affecter nos relations commerciales mondiales ou d’une approche plus complète du système fiscal ou de l’accessibilité financière — nous devons mettre les choses en perspective. Il s’agit d’économies fiscales estimées à 1,6 milliard de dollars sur une période de deux mois dans le contexte d’une économie de plus de 2 billions de dollars. Ce n’est pas une panacée pour le gouvernement. Nous ne voyons pas non plus cette mesure comme une panacée; nous la voyons comme une mesure positive en elle-même. Il s’agit d’une politique relativement discrète visant à favoriser l’abordabilité pendant la période des fêtes et aux alentours. C’est dans ce contexte que nous voyons les choses.
M. Roy : Nous n’avons pas le même genre de problème que certaines entreprises dans la vente au détail...
Le sénateur Woo : Les clients ne peuvent pas obtenir de remboursement.
M. Roy : Non, nous n’avons pas ce problème.
Le moment est très bien choisi pour nous et notre industrie, parce que janvier est toujours un mois très lent pour notre industrie. Jusqu’à la Saint-Valentin, pour nous, c’est une bonne transition. En ce qui nous concerne, le moment est bien choisi.
Je ne vois pas beaucoup de gens qui ne vont plus au restaurant. Il se peut qu’il y en ait, mais ce ne sera pas si important.
Le sénateur Woo : Merci.
Le sénateur Loffreda : Merci d’être ici. Il ne fait aucun doute que les Canadiens ont besoin d’un répit, alors le projet de loi sera bien accueilli par beaucoup de gens, mais il y a des préoccupations. À l’heure actuelle, nous empruntons de l’argent pour stimuler la consommation courante, mais il est très difficile de déterminer les avantages futurs.
Ma question s’adresse aux représentants du Conseil canadien du commerce de détail et de la Chambre de commerce. Pouvez‑vous nous en dire plus? Pensez-vous que c’était la mesure opportune pour les Canadiens? Aurait-on pu faire quelque chose de plus efficace? Au Canada, nous avons un problème de productivité. Aurait-on pu faire quelque chose pour la productivité? Il est très difficile d’accroître la concurrence par des mesures de relance, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Je m’adresse à M. Roy, je crois que le sénateur Woo a posé les bonnes questions sur le moment choisi, mais vous pourriez peut‑être nous donner plus de détails. N’êtes-vous pas inquiet? Le pouvoir de dépenser des Canadiens est limité, et une fois que cet allégement temporaire prendra fin, ne pensez-vous pas qu’alors, les Canadiens se retiendront d’aller au restaurant? Pensez-vous qu’il puisse y avoir une augmentation des prix, parce que, historiquement, lorsque la TPS a été réduite, les prix ont augmenté. Le passé est le meilleur garant de l’avenir, comme on dit.
M. Littler : Je ne veux pas trop insister, mais je pense qu’il est important de répéter que ce n’est pas une panacée; c’est une mesure de stimulation temporaire. Ce n’est pas énorme.
Cependant, il y a eu un problème d’abordabilité, et cette mesure vise clairement les consommateurs qui sont confrontés à ces problèmes. À certains égards, en particulier pour les familles qui ont des enfants, les effets sont visibles.
De nombreuses autres mesures auraient ma préférence. Je préférerais qu’il y ait un allégement tarifaire. Nous sommes assujettis à un fardeau tarifaire très important, ce qui est intéressant dans le contexte des signaux récents envoyés par les États-Unis, mais nous payons la majeure partie de près de 5 milliards de dollars en droits de douane au gouvernement fédéral. Il y a des vestiges de la politique protectionniste nationale du passé. Nous aimerions que cela soit supprimé. Ce serait un avantage permanent. C’est un domaine dans lequel nous aimerions que le gouvernement fédéral prenne des mesures.
Je le répète, nous considérons qu’il s’agit d’une mesure de relance temporaire qui, dans le contexte du budget fédéral, n’entraîne évidemment pas des coûts colossaux, car cette dépense survient à un moment où les consommateurs ont du mal à payer. À notre avis, tant que cette mesure et ses effets attendus restent à cette échelle, nous pensons que c’est une mesure positive qui devrait être appuyée.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Mme Brandon-Jepp : Je vous remercie de la question.
Je dirais que nous essayons de tuer un dragon avec un couteau à beurre. Comme vous l’avez souligné à juste titre, monsieur le sénateur, le Canada a un énorme problème de croissance économique, de santé économique et de productivité à long terme. Par exemple, l’énoncé économique de l’automne, que les Canadiens peuvent lire pour savoir où en sont les finances du pays, n’a toujours pas été publié. Je crois savoir que cela se fera bientôt; j’espère que ce sera avant les Fêtes.
Mais il y a eu beaucoup de questions au sujet du coût de cette proposition. La Chambre de commerce du Canada a été sans équivoque : les Canadiens ont du mal à joindre les deux bouts. Nous reconnaissons cela, mais une mesure temporaire ne réglera pas le cœur du problème, c’est-à-dire que notre pays n’a pas mis l’accent sur des politiques qui favorisent la croissance économique et augmentent les recettes fiscales du gouvernement de façon organique plutôt que punitive, et qui font en sorte que nous puissions nous mettre au travail et faire des affaires ici en créant des emplois et des débouchés pour les Canadiens.
En fait, nous espérons voir une solution à long terme pour les Canadiens plutôt qu’une mesure temporaire ponctuelle.
La sénatrice MacAdam : Ma question s’adresse à M. Littler.
J’ai lu votre communiqué de presse au sujet des améliorations que vous avez apportées au congé de TPS/TVH pour les détaillants après de multiples discussions avec le ministère des Finances du Canada. Avez-vous amorcé ces discussions et pourriez-vous nous en dire davantage sur les améliorations que vous avez apportées?
M. Littler : Bien sûr. Les membres de notre organisation ont posé un certain nombre de questions, auxquelles se sont ajoutées d’autres difficultés qui nous sont venues à l’esprit. Le problème le plus important concerne la livraison. La déclaration initiale du 21 novembre indiquait que le paiement et la livraison devraient avoir lieu pendant la période visée, et certains éléments de la livraison échappent entièrement au contrôle des détaillants, évidemment. Vous pouvez imaginer, avec la grève de Postes Canada, à quel point ce contrôle est maintenant ténu.
Cela aurait donné lieu à des situations dans lesquelles la structure fiscale serait différente pour quelqu’un qui achète quelque chose à Tuktoyaktuk plutôt que dans une région urbaine. Il aurait fallu que vous anticipiez votre vente pour que la livraison se fasse dans les délais. Cela posait toutes sortes de problèmes.
Le gouvernement a été très réceptif à cet égard. Nous avions un problème avec les vêtements pour enfants, en particulier les vêtements de sports ou de loisirs, parce qu’on craignait que des vêtements qui peuvent être portés au quotidien soient disqualifiés parce qu’ils ont un élément sportif ou récréatif, et le gouvernement a adopté une approche très sensée à cet égard.
Il y a donc encore des choses à régler, parce qu’il pourrait y avoir une accumulation à la fin de la période. On peut s’attendre à ce que les produits vendus à la toute fin ne se retrouvent pas instantanément dans un service de messagerie ou de livraison, alors nous devons trouver une solution. Il y a quelques autres difficultés, mais dans l’ensemble, les discussions aboutissent à des solutions sensées.
Je pense que ce sont probablement les principaux problèmes auxquels nous faisons face à l’heure actuelle. Nous avons des discussions sur la définition de catégories de produits très spécifiques — quel type de barres protéiques, et ce genre de choses —, mais dans l’ensemble, cela a été une discussion productive.
La sénatrice MacAdam : Vous avez dit que de nombreuses autres questions pourraient être soulevées et que vous êtes prêt à obtenir des précisions sur ces points et à préconiser un changement ou une certaine souplesse de la part de l’ARC. Dans quelle mesure croyez-vous que l’ARC sera accessible et disponible pour répondre à ces questions en temps opportun?
M. Littler : Nous avons demandé à communiquer directement avec l’ARC. La plus grande partie de notre travail s’est faite dans le cadre de discussions avec les cabinets des ministres à ce stade-ci, et il est évident que le moteur de la politique a été le ministère des Finances — ou qu’il joue traditionnellement ce rôle — et l’ARC joue davantage un rôle d’interprétation, bien qu’elle ait agi rapidement cette fois-ci. Je pense que nous allons continuer à poser des questions.
On m’a demandé si une console de réalité virtuelle était éligible. Et ce n’est pas le genre de choses auxquelles je peux répondre spontanément. Et je ne suis pas certain que le cabinet du ministre puisse répondre à cette question. Nous prévoyons donc qu’il y aura des questions tout au long de ce processus, surtout dans la période précédant son lancement le 14 décembre, et le comportement de l’ARC jusqu’ici nous permet d’espérer qu’elle soit assez réactive.
La sénatrice MacAdam : Une petite question, si vous me le permettez. Vous avez parlé des crédits de TPS sur les intrants, ce que je comprends. Je me demande si des estimations ont été faites à ce sujet, ou avez-vous une idée de la valeur en dollars que cela représente?
M. Littler : Tout dépend du coût des biens parce que, bien sûr, les crédits de taxe sur les intrants ne figurent pas sur le prix de vente final, mais ils s’appliquent sur tous les éléments qui entrent en ligne de compte dans la vente, y compris le coût des biens et évidemment d’autres coûts accessoires. Je suppose que ce serait de l’ordre de 700 à 800 millions de dollars pour tous les grands détaillants, mais c’est vraiment hypothétique. Et, bien sûr, cela dépend du pourcentage de produits nouvellement détaxés que chaque détaillant aura dans sa gamme.
La sénatrice Ross : J’ai une brève question pour chacun d’entre vous, puis une autre pour M. Roy : avez-vous consulté vos membres pour obtenir des données, des opinions fondées sur des données réelles, ou s’agit-il de choses que vos économistes ont mises au point? Et si vous avez consulté vos membres, avez‑vous consulté à la fois les petites et les grandes entreprises pour avoir une idée des répercussions du projet de loi C-78 pour elles?
M. Littler : De toute évidence, nous n’avons pas eu l’occasion de parler à tous nos membres dans l’intervalle. Nous avons envoyé des avis aux membres qui ont sollicité notre point de vue, et les petites, moyennes et grandes entreprises nous ont fait part de leurs commentaires tout au long de cette période. Je ne pense pas que nous ayons beaucoup de données provenant des membres. Jusqu’ici il s’agit essentiellement de questions de rédaction juridique et de conformité plutôt que d’un exercice axé sur les données.
Mme Brandon-Jepp : Nous avons entendu les inquiétudes d’un certain nombre de chambres de commerce, y compris celles qui représentent une région géographique plus restreinte. Elles sont optimistes à l’idée que cela pourrait aider à stimuler les ventes de certaines entreprises à certains endroits, mais je pense que, dans l’ensemble, le message clé que nous avons retenu est que nous avons besoin d’une vision à long terme pour faire croître notre économie.
Nous avons également entendu des fabricants qui, comme je l’ai dit dans mon exposé, sont très préoccupés par les pics artificiels de demande pour les produits, et ils essaient de trouver une façon d’atténuer cela. Il y a habituellement des pics saisonniers, mais c’est artificiel en un sens et inhabituel, ce qui suscite des inquiétudes.
Nous avons également eu des contacts directs avec des entreprises qui sont préoccupées par les critères d’admissibilité. Comme je l’ai mentionné, cela exclut certains produits et services et, pour certains, cela peut sembler arbitraire ou trop précis. Les boîtes de LEGO en sont un exemple; sont-elles destinées aux enfants ou aux adultes?
Je pense donc que nos entreprises, au lieu de passer du temps à déterminer si une boîte de LEGO est destinée aux adultes ou aux enfants, sont davantage intéressées à essayer de créer des emplois pour notre économie et à créer des retombées pour leurs collectivités locales.
M. Roy : Nous avons eu des discussions avec des entreprises de toutes les tailles partout au pays, tant avec notre conseil d’administration qu’avec nos vice-présidents régionaux. Nous avons tendu la main, et nous avons eu un aperçu de ce que les gens ressentaient. Il ne s’agit donc pas de données statistiques, mais plutôt d’avoir une idée du sentiment des exploitants à ce sujet.
Pour ce qui est des chiffres que nous avons sur les ventes, ils sont fondés sur les données dont nous disposons et qui remontent à 1991, année où la TPS a été introduite, pour en mesurer l’impact, et savoir comment nous pouvons calculer à partir de là.
La sénatrice Ross : J’ai une question pour vous, monsieur Roy. J’ai eu des échanges directs avec des propriétaires de restaurants au Nouveau-Brunswick, et j’aimerais vous faire part des commentaires d’une personne qui possède plusieurs établissements. Je vais vous lire ce que cette personne a dit :
Je ne pense vraiment pas que deux mois sans impôt soient très utiles. De nos jours, la plupart des marges des restaurants sont inférieures à 5 %. Une augmentation de 5 % des ventes sur deux mois pourrait représenter un chiffre d’affaires supplémentaire de 100 000 $, ce qui représente un montant supplémentaire de 8 000 $ à 10 000 $ par restaurant sur deux mois et un profit de 500 $. Est-ce que cela en vaut la peine?
Cette augmentation n’est pas suffisante pour augmenter le nombre d’heures de travail des employés, ni pour soutenir les fournisseurs, mais elle pourrait aider certaines grandes entreprises, mais les indépendants n’en profiteront pas beaucoup.
Cette personne m’a dit qu’en plus de cela, à cause de ce qui se passe actuellement dans l’économie et des problèmes d’abordabilité, elle offre constamment des rabais de plus de 15 %, mais ne remplit pas ses restaurants.
Vous avez également parlé de 1,5 milliard de dollars. Comment en êtes-vous arrivé à ce chiffre?
M. Roy : Ces chiffres sont tirés de graphiques circulaires créés lors de l’introduction de la TPS en 1991. Nous avons également un service client proactif ainsi que des données de Statistique Canada qui nous indiquent si les consommateurs sont sensibles aux baisses de prix ou à la réduction des taxes. Voilà où nous avons obtenu ces chiffres.
Il est évident que l’on entend beaucoup d’opinions différentes. Certaines sont positives, et d’autres moins. Dans l’ensemble, nos membres nous ont dit que c’était une grande victoire pour notre industrie.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à Mme Brandon-Jepp.
[Traduction]
Vous avez dit qu’il faut choisir les gagnants et les perdants. Qui voyez-vous comme des gagnants et qui considérez-vous comme des perdants?
Mme Brandon-Jepp : Je trouve que le gouvernement a expliqué assez clairement la variété des produits et des services inclus. Bon nombre d’entre eux semblent avoir être sélectionnés pour des raisons précises.
Je pense que chaque fois qu’une politique gouvernementale sélectionne des produits ou des services, elle procure un avantage à certains secteurs de l’économie et à certaines entreprises. Il y aura des gagnants et des perdants, j’en suis sûre. Comme vous l’avez entendu, mon collègue de Restaurants Canada estime que cette initiative aidera certains de ses restaurants membres, mais que d’autres secteurs ne la trouveront pas utile.
La sénatrice Moncion : Merci.
[Français]
Le sénateur Gignac : Ma question s’adresse à M. Roy, mais ce sera la même question pour M. Littler.
Je fais l’hypothèse que le gouvernement est bien intentionné et qu’il souhaite aider à réduire le coût de la vie pour les Canadiens, mais j’essaie de comprendre l’impact que cela peut avoir dans la région d’Ottawa. Je serai assez précis. Je comprends que les Québécois de la région de Gatineau, s’ils viennent ici manger au St-Hubert ou au Pizza Hut, qui sont des restaurants accessibles pour les gens de la classe moins aisée — ou peu importe, tout le monde qui y va —, vont épargner 13 %.
Du côté du Québec, ils devront payer la taxe de vente provinciale, étant donné que la taxe n’est pas harmonisée. S’ils veulent faire des économies, ils pourront le faire en allant au Pizza Hut ou au St-Hubert du côté d’Ottawa. Est-ce que je me trompe?
M. Roy : Nous avons soulevé ce point vendredi dernier auprès du gouvernement du Québec et nous leur avons suggéré de faire un peu comme l’ont fait nos voisins du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario, soit retirer la taxe provinciale pour ne pas créer d’iniquités à ce moment-ci.
Le sénateur Gignac : Nous ne parlons pas ici de la taxe sur l’essence, mais bien de la taxe sur les produits et services. Ce n’est donc pas évident à appliquer.
M. Roy : Tout à fait. C’est une chose à surveiller.
Le sénateur Gignac : Pour une famille de quatre, les commandes peuvent s’élever facilement au-dessus de 100 $. Vous n’avez pas encore eu trop de réactions de la part des restaurateurs de la région de Gatineau? Manifestement, nous sommes d’accord pour dire qu’ils risquent de perdre des clients, qui préféreront traverser à Ottawa pour économiser facilement 15 $ ou 20 $ sur leur facture.
M. Roy : Absolument. J’ai eu des sons de cloches des gens de la région et nous avons eu des discussions avec le gouvernement du Québec. À ce moment-ci, ils ont fermé la porte, mais on tente de rouvrir les discussions.
Le sénateur Gignac : Si un résidant du Québec fait livrer son poulet à partir d’un restaurant situé à Ottawa, c’est comme une pratique de microgestion.
[Traduction]
J’ai une petite question de suivi. Costco se trouve de part et d’autre de la rivière des Outaouais. Donc les gens qui voudront économiser parce qu’ils ont des enfants et beaucoup d’autres dépenses auront intérêt à faire leurs achats du côté d’Ottawa plutôt qu’à Gatineau, n’est-ce pas?
M. Littler : Il serait difficile d’affirmer le contraire. Ils économiseront 13 % dans les magasins du côté d’Ottawa et 5 % du côté de Gatineau. Cela dépend un peu de la quantité des achats. Il faut tenir compte de l’essence et de toutes sortes d’autres facteurs.
Dans le cas des commandes électroniques, il n’y aura pas de différence. Où que se trouve le distributeur, s’il livre au Québec, les acheteurs paieront les taxes du Québec. Il n’y aura donc pas de différence dans le cas du commerce électronique. Mais si les gens traversent la rivière des Outaouais, alors oui, sans tenir compte des autres facteurs, leurs achats seront moins chers du côté d’Ottawa.
Le sénateur Gignac : Je comprends la question du commerce électronique, mais si les gens se rendent à Ottawa pour chercher leur commande, ils économiseront de l’argent.
M. Littler : Cette initiative favorisera Ottawa.
Le sénateur Gignac : Il faut se rendre à Ottawa pour économiser de l’argent. Pour les achats livrés, il faudra payer les taxes. Je comprends.
M. Littler : Oui, je pense que c’est exact.
Le sénateur Gignac : Je crois que c’est la première fois de ma vie que je m’occupe de finances nationales, de la TPS et de ce genre de choses. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour constater que dans les provinces qui ne l’ont pas harmonisée, cela crée une certaine disparité. Merci.
[Français]
Le président : Je remercie les témoins de leur présence. C’est vraiment apprécié, surtout compte tenu du très court préavis. Nous vous en remercions. Vous êtes, de toute évidence, des professionnels et vous avez fait un excellent travail.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Si je peux me permettre, M. Roy est diplômé de l’Université Bishop, alors nous nous sommes bien entendus dès le départ. Mme Brandon-Jepp s’est blessée au genou hier soir. Elle a intercepté un coup frappé et a marqué un but, mais elle s’est déchiré le genou. Ils marchent tous les deux assez bizarrement, alors nous devons les féliciter d’être venus témoigner. Merci.
[Français]
Le président : Nous sommes maintenant heureux d’accueillir, du Centre canadien de politiques alternatives, M. David Macdonald, économiste principal. De la Fédération canadienne des épiciers indépendants, nous accueillons M. Gary Sands, vice-président principal. De la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, nous recevons M. Dan Kelly, président et chef de la direction.
Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître ce soir avec un si court préavis.
Nous allons maintenant entendre les déclarations préliminaires de M. Macdonald. Elles seront suivies de celles de M. Sands et de M. Kelly.
Monsieur Macdonald, la parole est à vous.
[Traduction]
David Macdonald, économiste principal, Centre canadien de politiques alternatives : Je remercie le comité de m’avoir invité à parler du projet de loi C-78.
Je vous dirai que s’il a 1,6 milliard de dollars à dépenser, et même beaucoup plus si nous comptons la partie provinciale de la TVH, le gouvernement fédéral pourrait peut-être l’investir dans des initiatives plus urgentes. Ce changement, qui ne durera que quelques mois, n’est pas ciblé. Il est peu probable qu’il améliore de façon mesurable les finances des gens qui éprouvent de grandes difficultés pendant le temps des Fêtes.
En janvier et en février, nous en verrons les répercussions dans les statistiques sur l’inflation. Il est probable qu’elles indiqueront que le volume d’aliments achetés en magasin passera de 2 à 0 % au cours de ces deux mois. Les statistiques sur l’inflation des aliments de restauration pourraient bien continuer à diminuer et se transformer en une situation déflationniste où les prix seront légitimement un peu plus bas qu’ils ne l’étaient à la même période l’an dernier.
Mais après cette période de deux mois, ces deux statistiques reviendront à leur point de départ. Nous constaterons une inflation de 2,5 % pour les aliments en magasin et de 3,5 % pour les aliments des restaurants.
Nous avons déjà constaté une déflation sur les vêtements et les chaussures. Ces prix ont chuté de 3 à 4 % l’année dernière, et l’élimination de la TPS sur les tailles d’enfants entraînera probablement une baisse des prix un peu plus rapide dans ces secteurs.
On pense que cette somme de 1,6 milliard de dollars reviendra aux consommateurs, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Il ne sera pas nécessaire de maintenir les prix courants pendant ce congé de TPS. Si les prix chutent effectivement de 5 % avec cette exonération de la TPS, rien n’empêchera les magasins d’augmenter leurs prix de 1 ou 2 % pour encaisser eux-mêmes une partie de cette diminution de 5 %. Ils pourraient aussi ne pas offrir les rabais qu’ils offrent habituellement, surtout en janvier et en février, comme ils l’ont fait l’an dernier. Le fait de ne pas payer la TPS est une méthode courante d’escompte que les magasins ne pourront pas utiliser cette année. Par conséquent, ce congé de la TPS générera des revenus et même des profits plus élevés pour les grandes sociétés.
Si les prix des aliments ne diminuent pas, mais qu’en fait ils continuent d’augmenter au cours de cette période, nous saurons que les entreprises auront récupéré une partie de la réduction de la TPS en augmentant leurs prix. Cette réduction n’ira donc pas aux consommateurs, mais aux entreprises qui fournissent les biens et services.
Il est tout à fait possible, dans le cadre financier actuel, de dépenser 1,6 milliard de dollars en 2024 sans modifier les perspectives budgétaires. Il est très probable que nous puissions dépenser environ 5 milliards de dollars tout en maintenant le déficit à environ 40 milliards de dollars, comme le prévoyait le budget du printemps.
Le budget de 2024 était particulièrement pessimiste quant à la croissance de cette année. Il prévoyait une récession généralisée. Aujourd’hui, nous savons que cela ne s’est pas produit. Par conséquent, nous dépasserons probablement d’un point le PIB réel projeté, ce qui se traduira par une augmentation des recettes fédérales et une diminution des transferts de revenus, notamment ceux de l’assurance-emploi. Nous aurons environ 5 milliards de dollars de plus à dépenser en 2024. Il faudra attendre l’énoncé économique de l’automne pour le confirmer, le cas échéant. Il est presque certain que nous pourrons offrir cette exonération de la TPS, et même un peu plus, sans modifier le cadre budgétaire.
Bien que je ne sois pas nécessairement en faveur de cette mesure, je suis convaincu que la crise de l’abordabilité est réelle. Toutefois, elle frappe des gens plus durement que d’autres. Dans certains secteurs, comme les services professionnels — nous pensons aux comptables et aux conseillers en TI —, les salaires sont bien supérieurs aux niveaux d’avant la pandémie, même après correction de l’inflation. Toutefois, cette évolution est compensée dans d’autres secteurs où les salaires restent bien en dessous de leur niveau d’avant la pandémie, surtout en termes réels.
À une époque où le taux de chômage n’est pas en crise, nous assistons à un recours sans précédent aux banques alimentaires. L’augmentation rapide des coûts du logement, surtout la hausse des loyers de l’année dernière, a grugé le reste du budget des ménages. Il est évident que cela entraîne un recours aux banques alimentaires, qui a atteint des sommets records. Cela crée aussi un nombre considérable de sans-abri visibles et invisibles dans des endroits comme les campements partout au pays. Le loyer mange avant les locataires, comme on dit. Pour les gens qui ont perdu leur logement ou qui vivent dans une province où il n’y a pas de contrôle des loyers, le fait de devoir déménager en n’ayant qu’un court préavis les plonge dans l’itinérance, car les loyers ont tellement augmenté l’année dernière qu’il est trop difficile de retrouver un logement.
Cette exonération de la TPS de 1,6 milliard de dollars, ou probablement de 5 milliards de dollars en marge fiscale brute en 2024, pourrait être beaucoup plus ciblée et réellement aider les personnes qui font face à une insécurité alimentaire grave et à l’itinérance. Un rabais efficace de 5 % sur environ la moitié des aliments et des articles d’épicerie n’aura pas d’incidence sur l’utilisation des banques alimentaires pendant le temps des Fêtes. D’un autre côté, un transfert ciblé vers les personnes à faible revenu — par exemple vers un sous-ensemble de bénéficiaires du crédit pour la TPS — verserait des centaines de dollars dans les poches des personnes les plus à risque pendant le temps des Fêtes.
À plus long terme, nous pourrions créer un supplément à l’Allocation canadienne pour enfants — ce que nous réclamons depuis longtemps — qui permettrait de verser jusqu’à 8 500 $ par enfant aux familles les plus pauvres et qui réduirait de moitié le taux de pauvreté chez les enfants. Le coût de ce supplément serait en fait légèrement inférieur au coût combiné du congé de TPS et des chèques de 250 $ que l’on envoie maintenant en retard aux personnes qui ont un revenu d’emploi.
Ces petits changements qui visent à offrir une très petite prestation à tout le monde n’aident aucunement les personnes les plus à risque pendant le temps des Fêtes. Si l’on dépensait cette même somme d’argent d’une façon beaucoup plus ciblée pour aider les gens qui vivent dans la pauvreté, qui ont recours aux banques alimentaires et qui sont sans abri, il aurait un impact beaucoup plus significatif. Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Macdonald.
Gary Sands, vice-président principal, Fédération canadienne des épiciers indépendants : Oui, merci. Je vais me faire l’écho de ce que mon collègue Karl Littler a dit au sujet des courts préavis. Je n’en reçois que quand ma femme m’ordonne d’exécuter une tâche domestique. Je n’ai pas préparé de notes pour cette déclaration préliminaire. Je vais simplement souligner quelques points importants.
Il y a 6 900 épiciers indépendants au Canada, et bon nombre d’entre eux se trouvent dans des collectivités rurales ou éloignées. Nous sommes également le plus important fournisseur d’aliments aux communautés autochtones du Canada. Nous travaillons en première ligne avec les consommateurs. Nos membres ne travaillent pas dans des sièges sociaux dans différentes régions. Ils font affaire directement avec les consommateurs. Il est évident que les consommateurs se préoccupent de l’abordabilité.
J’ai peut-être mal compris ce que disait M. Macdonald, mais nos fournisseurs ne cessent d’augmenter leurs coûts. Nos fournisseurs sont les fabricants des produits alimentaires que nous vendons. Nous les comprenons. Nous savons qu’un certain nombre de facteurs échappent à leur contrôle et font augmenter leurs coûts. Cependant, ces coûts ne cessent d’augmenter. Nous appuyons cette initiative, parce que nous savons que nos clients et les consommateurs l’appuieront.
Cette initiative ne vise pas à aider les entreprises, nous le savons bien. Je ne pense pas qu’elle augmentera le volume de vente de nos épiceries. La nourriture n’est pas une dépense facultative. Nous ne saurons qu’après coup si cette initiative augmentera les volumes de vente. Toutefois, nous l’appuyons parce que nous savons qu’elle favorisera les consommateurs et qu’elle les aidera un peu.
Cette initiative présentera-t-elle des difficultés? Ferons-nous face à des défis? Oui, bien sûr, nous ferons face à des défis très importants. La rampe de lancement sera très courte, et la rampe de sortie sera abrupte. Je dirais que ces défis seront assumés de façon disproportionnée par les petites et moyennes entreprises et non par les grandes. Elles ne disposent pas des mêmes ressources et du même soutien interne. Elles n’ont pas les mêmes infrastructures que les grandes entreprises sont les seules à avoir. Je ne mentionne pas de secteur en particulier.
Nos membres ont posé de nombreuses questions. Je remercie profondément les fonctionnaires du bureau de la vice-première ministre Freeland. Nous communiquons avec eux, nous leur demandons les précisions que nos membres veulent obtenir en soulignant que nous en avons besoin rapidement. Ils nous aident beaucoup, et nous en sommes très reconnaissants. Nous avons encore d’autres questions à poser. C’est très important quand nous manquons de ressources. Je le répète, ces fonctionnaires nous ont beaucoup aidés, et nous en sommes reconnaissants.
En conclusion, nous appuyons cette initiative. Nous pensons qu’elle a été conçue, non pas pour aider les entreprises, mais les consommateurs. D’après ce que les clients ont dit à nos membres, c’est une initiative que nous estimons devoir appuyer.
Le président : Merci.
Dan Kelly, président et chef de la direction, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Merci beaucoup, honorables sénateurs, de m’avoir invité à me joindre à vous ce soir. Au nom de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante et de nos 97 000 petites et moyennes entreprises membres, nous allons vous présenter quelques commentaires tirés d’un récent sondage que nous avons mené auprès de nos membres. Comme la grève de Postes Canada crée un problème majeur pour beaucoup de petites entreprises, nous avons mené d’urgence un sondage rapide auprès de nos membres les 26 et 27 novembre. En 24 heures, nous avons reçu les réponses de plus de 3 500 petites entreprises situées partout au pays.
Que nous ont-elles dit? Bien que certains croient que cette exonération de la TPS/TVH augmentera le volume de vente des entreprises, seulement 4 % des propriétaires de petites entreprises pensent que cette initiative leur serait profitable. En fait, la majorité de nos membres s’opposent à cette initiative. Ils viennent même de certains secteurs dont la majorité des produits seront exemptés. La majorité de mes membres qui sont propriétaires de petits restaurants s’opposent à l’exonération de la TPS/TVH. Les entreprises du secteur de la vente au détail et de l’hôtellerie qui devraient aussi appliquer cette mesure s’y opposent même en plus grand nombre. De plus, 62 % des entreprises dont les produits sont déjà détaxés s’opposent à cette initiative.
Nous avons recueilli d’autres données. Elles indiquent que les trois quarts des répondants pensent que la mise en œuvre de cette exemption sera coûteuse et compliquée. Ils estiment qu’en moyenne, elle leur coûtera 1 000 $ pour reprogrammer leurs systèmes de point de vente. De plus, 65 % des répondants ont dit qu’ils n’auront pas assez de temps pour le faire; 71 % ont dit que cela avantagera surtout les grandes entreprises et les géants du Web et non les petits indépendants; 68 % ont dit qu’il serait difficile de déterminer quels articles sont temporairement exemptés; 66 % des détaillants croient que les consommateurs retarderont leur magasinage; et plus de la moitié, soit 54 %, pensent que les clients retourneront leurs achats pour les racheter ensuite pendant le temps des Fêtes. En fait, certains de nos membres nous ont dit qu’ils voient déjà des clients retourner leurs achats pour les acheter à nouveau pendant l’exemption.
J’ajouterai cependant que, bien qu’il soit formidable que vous ayez des témoins de plusieurs associations des secteurs du commerce de détail, de la restauration et des services alimentaires, nous remarquons que les fabricants, les fournisseurs et les distributeurs ne savent même pas que cette exemption s’appliquera aussi à leurs produits. Elle ne s’applique pas seulement à la vente au détail. Les fabricants et les distributeurs de ces produits n’ont pas non plus le droit de facturer la TPS ou la TVH pendant cette période de deux mois. Par conséquent, la plupart des entreprises avec lesquelles nous avons parlé ne savent pas qu’elles devront commencer à le faire dans 11 jours.
Je vais vous donner quelques exemples. Les représentants d’une petite chaîne de dépanneurs nous ont fait savoir qu’elle comprend 50 magasins franchisés. Ils estiment qu’il faudra 16 heures pour reconfigurer le système de chaque magasin, soit 800 heures pour toute la chaîne. Ils estiment que cela coûtera 50 000 $.
Pour que vous compreniez bien, les propriétaires de ces magasins devront reprogrammer leur système le vendredi soir, alors qu’ils ferment déjà très tard, pour qu’il soit prêt dès l’ouverture le lendemain matin. À la mi-février, ils devront consacrer tout un week-end pour reprogrammer leur système. Ils ne peuvent pas le faire à l’avance, parce qu’une grande partie de cette programmation est manuelle et doit se faire à la même heure dans tous les magasins du pays.
C’est un cauchemar logistique qui a transformé ce qui devrait être la bonne nouvelle d’une exemption de taxes en une difficulté presque insurmontable.
Je vais conclure en vous présentant un autre exemple. Le propriétaire d’un magasin d’artisanat et de bricolage nous a dit qu’il vend 3 500 articles. Il devra passer en revue chacun de ces articles pour déterminer lesquels il devra exempter. Aujourd’hui même, l’Agence du revenu du Canada, l’ARC, nous a suggéré quelques réponses aux questions que ce marchand se pose. Il devra déterminer l’application de l’exemption entre les boîtes de LEGO pour adultes et celles pour enfants, entre les poupées pour enfants et les poupées de collection, entre les modèles d’avions conçus pour les enfants et les modèles d’avions pour adultes, et il en sera de même pour les trains. Il doit reprogrammer ses machines. Il devra ensuite les reprogrammer le 15 février, éduquer son personnel et traiter les plaintes des clients. Il devra veiller à ce que son personnel rembourse la TPS aux clients qui retourneront des articles après le 14 décembre. En février, ses employés devront veiller à ne pas rembourser la TPS ou la TVH aux clients qui retourneront des articles achetés pendant le temps des Fêtes.
Ce ne sont là que quelques-uns des problèmes que les entreprises ont maintenant 11 jours pour démêler, alors que le projet de loi n’est même pas encore adopté. Il a fallu cinq ans au gouvernement pour trouver une formule de remboursement de la taxe sur le carbone aux petites entreprises. Maintenant, il leur donne 11 jours pour apporter un changement de cette ampleur.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Kelly.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci d’avoir répondu à notre invitation dans un si court délai. Monsieur Macdonald, lorsqu’on regarde la liste des produits ciblés, et dans l’hypothèse où le congé de taxes s’appliquerait pleinement et ne serait pas majoré sur le coût, quelle classe de citoyens canadiens en profitera, selon vous? Ce ne sont certainement pas les clients des banques alimentaires.
[Traduction]
M. Macdonald : L’éventail des produits est très étendu. L’exemption sur la nourriture et sur les restaurants, par exemple, s’applique autant aux restaurants-minute qu’aux restaurants de fine cuisine.
Dans les épiceries, cette exemption s’applique aux rayons des croustilles, des jus de fruits et des boissons gazeuses, mais aussi aux rayons des chocolats fins. Par conséquent, les gens de tous les niveaux de revenu pourraient en profiter.
Il est certain que les personnes à faible revenu ont tendance à dépenser la plus grande partie ou la totalité de leur revenu. Comme ils n’épargnent pas, ils en profiteront un peu plus. Il est cependant difficile de dire de façon générale quels niveaux de revenu en bénéficieront le plus.
[Français]
Le sénateur Forest : Selon votre expérience, quelle catégorie de Canadiens ou de Canadiennes profitera majoritairement de ce genre de congé de taxes? J’imagine qu’il s’agit de la classe moyenne supérieure; ce ne sont pas les gens les plus démunis qui vont aller au restaurant, s’acheter du chocolat fin ou des jeux vidéo.
[Traduction]
M. Macdonald : Il est évident que les gens qui dépendent des banques alimentaires n’iront pas au restaurant. Les gens qui vivent dans la pauvreté et les sans-abri ne sortent pas pour aller manger au restaurant.
Pour ce qui est de l’épicerie, environ la moitié des magasins sont déjà exemptés de la TPS. L’autre moitié le sera donc aussi pendant cette période. Cette exemption s’avérera peut-être plus avantageuse. Il est évident que cela dépend beaucoup de ce que les gens mangent. Les gens à faible revenu ont déjà du mal à acheter certains produits exonérés de la TPS, comme les aliments frais et les viandes fraîches. Ce n’est pas le genre de produits que l’on achète face à un budget serré. Ces gens-là préféreront probablement les allées où les produits seront exemptés de la TPS pendant cette période.
C’est difficile à dire, cependant. Cette initiative profitera à un bon nombre de Canadiens. Toutefois, elle ne s’adresse pas exclusivement à des personnes d’un niveau de revenu particulier.
[Français]
Le sénateur Forest : Monsieur Kelly, vous avez fait votre sondage les 26 et 27 novembre, juste avant l’annonce du programme. Pensez-vous que cela a influencé les réponses? Ensuite, dans votre sondage, vous dites que 66 % des détaillants qui vendent des articles admissibles disent que les consommateurs ne feront que reporter leurs achats, mais ce qui est le plus préoccupant, c’est que 54 % des détaillants croient que les gens qui ont fait leurs achats dans le cadre de la vente du Vendredi fou pourraient ramener leurs achats pour les racheter pendant la période sans taxes. Pensez-vous que c’est crédible comme perception?
[Traduction]
M. Kelly : Je tiens à préciser que 66 % des répondants ont dit qu’ils s’attendaient à ce que les consommateurs retardent leur magasinage pendant le temps des Fêtes; 54 % croient que les consommateurs retourneront leurs produits pour les racheter pendant la période d’exemption.
On nous a raconté qu’aussitôt que la nouvelle est sortie, des clients ont carrément abandonné leur chariot dans des magasins de jouets et de vêtements pour enfants. Un détaillant en ligne a dit que les gens avaient commencé à vider leur panier électronique pour racheter leurs articles plus tard. Les propriétaires de magasins de jouets pour enfants ont dit que certains clients avaient retourné tous leurs achats en un bloc. N’oublions pas que la TVH est considérable sur un achat de jouets de 300 $. Je comprends les gens qui font cet effort supplémentaire. Évidemment, ils risquent de ne plus retrouver ces jouets quand ils retourneront les acheter le 14 décembre.
Pour les détaillants en ligne, la grève des postes complique encore plus les choses, car maintenant que les consommateurs retardent leurs achats, dans certains cas, jusqu’au 14 décembre, mais veulent quand même les recevoir avant Noël, les détaillants ont beaucoup de peine à trouver des livreurs disponibles.
Le sénateur Smith : Monsieur Kelly, vous avez souligné les nombreuses préoccupations de vos membres, dont le bref délai de mise en œuvre des politiques et la confusion qui entoure cette reconfiguration. Pourriez-vous nous parler des conseils ou des précisions que vos membres demandent au gouvernement, notamment à l’ARC, sur la mise en œuvre de ce projet de loi?
M. Kelly : À l’heure actuelle, je crois que l’ARC fait de son mieux pour fournir de l’orientation. Dès que cette politique a été annoncée, nous avons communiqué avec le ministère des Finances pour obtenir des réponses. Depuis que l’ARC est intervenue, il me semble que nous obtenons de meilleures réponses. Nous en avons reçu quelques-unes aujourd’hui.
Prenons l’exemple de la dégustation de vin. La dégustation du vin comprend un produit et un service, le vin et la dégustation. Le ministère des Finances nous a dit qu’en fait, seul le vin est exempté. Cependant, les caves vinicoles ne ventilent pas les prix pour les consommateurs. Comment vont-elles facturer la dégustation? Aujourd’hui même, l’ARC a fourni plus de directives sur la façon de procéder.
Dans un autre exemple, les propriétaires de magasins d’artisanat et de bricolage affirment que les modèles d’avions conçus pour les enfants sont exemptés. Qu’en est-il de la colle et de la peinture qu’on applique à ces modèles? Sont-elles exemptées? Nous avons posé la question, mais nous n’avons pas encore reçu de réponse.
Pour les détaillants qui doivent reprogrammer les 3 500 articles de leur magasin et qui doivent demander à mon association d’obtenir des réponses du ministère des Finances ou de l’ARC, ce processus sera presque insurmontable. Voilà donc dans quelle situation nous nous trouvons.
Le sénateur Smith : La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante représente plus de 95 000 petites et moyennes entreprises. Si l’on multiplie ce chiffre par ceux que vous venez d’évoquer, cela ne fait qu’accroître les préoccupations. Craignez‑vous que ce type de confusion ne cause des problèmes de conformité pour les petites entreprises, en particulier si l’ARC ne fait pas preuve de souplesse?
M. Kelly : Je suis très heureux que vous posiez cette question, sénateur. Je crois que toutes les entreprises du pays feront des erreurs. Je ne pense pas qu’il y ait une seule entreprise qui soit capable de mettre cela en œuvre de façon impeccable sans commettre d’erreurs. Ce sera peut-être plus facile pour les restaurants. Les établissements alimentaires, comme les membres de l’association de M. Sands, auront plus de facilité que les autres entreprises, mais je crois que personne ne le fera avec 100 % d’exactitude.
J’ai entendu des propriétaires de restaurants et de bars qui, en lisant dans le document d’orientation initial que la bière, le vin et l’alcool de moins de 7 % seraient exemptés, pensaient qu’il s’agissait des bières et des vins d’une teneur en alcool de moins de 7 %. Ils ont passé la nuit à examiner chaque bouteille pour essayer de déterminer quelles bières étaient exemptées et comment ils allaient exempter certaines bières et pas d’autres. Mais quand ils ont enfin reçu des éclaircissements, ils ont appris que l’exemption ne s’appliquait qu’aux panachés dont la teneur d’alcool est inférieure à 7 %. Voilà donc les choses qui se produisent.
Nous avons posé deux ou trois questions au ministère des Finances, mais nous n’avons pas reçu de réponse. Tout d’abord, j’aimerais demander un crédit de 1 000 $. Si vous pouviez convaincre le gouvernement de l’accorder, ce serait merveilleux. Le montant médian de nos coûts de mise en conformité — uniquement les coûts matériels, pas les coûts immatériels — s’élève à 1 000 $. Si le gouvernement pouvait accorder un crédit de 1 000 $ au compte de TPS/TVH des entreprises touchées par ce changement pour couvrir ces coûts élevés, vous les aideriez énormément.
Deuxièmement, je veux que la ministre des Finances ordonne à l’Agence du revenu du Canada d’appliquer cette mesure avec circonspection en mars et en avril, quand débuteront les audits. À moins d’avoir la preuve qu’une entreprise cherche délibérément à contourner la loi, l’Agence doit annuler les taxes, les intérêts et les pénalités, pas seulement des pénalités et des intérêts. Je veux que les taxes en souffrance soient également annulées pour les entreprises qui ont fait une erreur à cause des délais serrés qui leur ont été imposés.
Le sénateur Smith : Nous allons recevoir pas mal d’appels la semaine prochaine.
M. Kelly : Je pense que oui.
Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à M. Sands, de la Fédération canadienne des épiciers indépendants. Combien d’épiciers représentez-vous?
M. Sands : Désolé, pouvez-vous répéter votre question? Je ne l’ai pas bien entendue.
Le sénateur Dalphond : Combien de membres avez-vous dans votre groupe, combien d’épiciers indépendants?
M. Sands : Il y a 6 900 épiciers indépendants au Canada. Nous sommes une association à adhésion volontaire et nous comptons entre 4 000 et 4 500 membres.
Le sénateur Dalphond : Vous avez dit que vous comptiez environ 7 000 membres. Vos membres sont donc favorables à cette mesure parce qu’ils estiment qu’elle est bonne pour leurs clients. Vous avez entendu le représentant d’une autre fédération décrire la situation cauchemardesque que vivent ses membres. Est-ce que vos membres ont l’impression que le même cauchemar les attend?
M. Sands : Je n’ai pas entendu le mot « cauchemar ». Je suis très à l’écoute, et je suis certain que Dan Kelly l’est aussi. Quand nos membres ont des problèmes, ils viennent rapidement nous en parler, c’est certain.
Mes membres m’ont très clairement fait savoir que le court délai prévu pour la mise en place de cette mesure leur pose un problème de taille et la plupart d’entre eux sont des propriétaires de petites et moyennes entreprises. Je le répète, le fardeau est beaucoup plus lourd pour eux que pour une grande entreprise, mais je ne les ai pas entendus parler de cauchemar.
Les épiciers indépendants — et je ne suis pas en train de faire de la publicité — sont en étroit contact avec les consommateurs, avec leurs clients. Ils vivent au sein de la collectivité, ils embauchent des gens qui y vivent et ils font partie intégrante de la collectivité. Le problème de l’abordabilité est donc très réel et touche de près nos clients. Voilà pourquoi nos membres sont en faveur d’une forme d’allégement pour leurs clients.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse à vous. Vos membres s’inquiètent vivement de la hausse du coût de la vie. Je comprends cela. Est-ce qu’ils s’engagent à ne pas augmenter les prix et à ne pas tirer avantage de la baisse des prix de 5, 13 ou 15 %?
M. Sands : Il est hors de question que les épiciers indépendants augmentent leurs prix parce que les taxes sont réduites. Comme je le disais dans ma déclaration préliminaire — et je pense qu’on l’oublie parfois, pour être honnête avec vous —, quand les gens parlent de la hausse des prix des aliments, ils pointent du doigt les détaillants, alors qu’en réalité, les prix augmentent tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Je vais vous poser une question. Supposons que vous êtes un épicier indépendant et que votre marge bénéficiaire est de 2 %. Votre fournisseur décide d’augmenter le prix d’une boîte de fèves de 4 ou 5 %. Que faites-vous? Vous devez refiler cette hausse, sinon vous ne seriez pas un épicier indépendant. Vous ne seriez pas dans les affaires.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.
M. Sands : Permettez-moi d’ajouter que je ne blâme pas les fournisseurs. Nous savons ce qui fait grimper les prix, mais ils ne cessent d’augmenter.
Le président : C’est clair, monsieur Sands. Merci.
La sénatrice Ross : Je tiens d’abord à remercier tous nos témoins d’être ici ce soir. J’ai une question pour vous, monsieur Kelly. Le Conseil canadien du commerce de détail nous a dit que les entreprises profiteraient des crédits de taxes sur les intrants. Ce que vous êtes en train de nous dire, c’est que les fabricants et les distributeurs auront également droit au congé de taxe. L’effet serait donc nul. Comment les entreprises arriveront-elles à gérer cela, à gérer leurs stocks? Vous attendez-vous à ce qu’elles fassent le plein de produits auprès de leurs fournisseurs durant le congé fiscal pour éviter de payer les taxes ou après le 15 février quand elles pourront percevoir des taxes ou vice‑versa? À votre avis, comment est-ce que cela va fonctionner?
M. Kelly : Pour être honnête, j’ai été un peu surpris que le Conseil canadien du commerce de détail souligne ce point, mais de nombreux propriétaires d’entreprise nous ont posé des questions à ce sujet. Ils nous disent avec inquiétude : « J’ai payé la TPS ou la TVH sur mes produits en stock et je les vends maintenant dans mon magasin sans percevoir la taxe. » Dans leur esprit, et ils ont raison, les détaillants facturent la taxe de 15 % et ensuite, ils peuvent évidemment déduire la TPS ou la TVH qu’ils ont payée sur leurs stocks. L’effet serait donc nul pour l’entreprise.
Ils s’inquiétaient beaucoup de ne pas pouvoir déduire les crédits de taxe sur les intrants — ou la TPS ou la TVH — qu’ils ont payés. Le gouvernement a clairement dit, et c’est tout à son honneur, que s’ils ont payé ces taxes sur leurs produits en stock, ils puissent déduire ce montant, qu’ils aient facturé ou non la taxe. Il n’y a donc aucune incidence pour les détaillants pour le moment. Et durant la période d’allégement fiscal, les fournisseurs ne percevront pas la TVH sur ces produits.
On peut bien sûr se demander si les détaillants vont acheter plus de produits que d’habitude durant cette période. Je ne le crois pas, parce qu’ils ne récupéreront l’argent que s’ils ont payé la taxe au départ. Pour être juste, je ne vois pas cela comme une perte nette et je ne pense pas non plus que cela représente un gain net pour les entreprises. À cet égard, il n’y a ni gain ni perte. Par contre, beaucoup de fournisseurs ne sont même pas au courant que cette responsabilité leur incombe. C’est l’une des raisons pour lesquelles, à mon avis, plusieurs milliers d’entreprises ne feront rien, parce qu’elles ne savent pas que cette mesure s’applique.
La sénatrice Ross : Monsieur Kelly, si vous aviez une boule de cristal et que vous pouviez prédire s’il existe un meilleur moyen qu’un congé de TVH et de TPS pour donner un répit aux consommateurs, quelle mesure proposeriez-vous pour aider les consommateurs aux prises avec la hausse du coût de la vie?
M. Kelly : Comme toutes les associations d’entreprises, nous avons établi notre propre liste de réductions fiscales que nous souhaiterions voir se concrétiser. Si je faisais la même chose pour les consommateurs ou aux contribuables, je privilégierais — et je crois que beaucoup d’associations d’entreprises seraient d’accord avec moi — la réduction des charges sociales, ce qui aurait un effet très bénéfique. Autrement dit, vous pourriez réduire les cotisations à l’assurance-emploi et au Régime de pensions du Canada. Ces cotisations ont augmenté au cours des dernières années, surtout celles du RPC. Ce serait un bon point de départ.
Si vous décidez d’apporter des changements à la TPS ou à la TVH, de grâce, faites en sorte que ces changements soient permanents. Je suis assez vieux pour me souvenir de l’entrée en vigueur de la TPS. Je peux vous dire que la règle des six produits n’est pas arrivée du jour au lendemain. Il a fallu du temps, de l’expérience et des échanges avant que les groupes trouvent cette formule, mais au moins c’est une règle permanente, pas temporaire. Si nous voulons réduire la quantité de produits sur lesquels s’appliquent la TPS et la TVH, faisons-le une fois pour toutes en n’y touchons plus.
[Français]
Le sénateur Moreau : Ma question s’adresse à M. Macdonald.
Monsieur Macdonald, le gouvernement nous dit que derrière cette mesure, il y a une volonté d’agir rapidement, c’est-à-dire de permettre aux Canadiens d’avoir rapidement accès à une réduction de leur fardeau fiscal. On peut être pour ou contre la mesure, mais c’est le message du gouvernement. Vous indiquez dans vos remarques que si on utilisait la somme de 1,6 milliard de dollars en question, par exemple en augmentant le supplément aux familles pour les enfants, on atteindrait davantage la clientèle ciblée. N’est-il pas exact de dire que l’idée de recourir à l’augmentation du supplément n’aurait pas un effet aussi immédiat que ce qui est recherché par le gouvernement sur le plan des effets? Si j’ai raison, avez-vous d’autres mesures à proposer qui pourraient avoir un effet aussi immédiat, avec les mêmes sommes d’argent?
[Traduction]
M. Macdonald : L’une des leçons que nous avons retenues de la pandémie, c’est que l’Agence du revenu du Canada est capable de transférer rapidement des fonds aux Canadiens, puisqu’elle a une liste de personnes à qui les envoyer. Les bénéficiaires du crédit pour TPS en sont un exemple, et ce crédit est déjà basé sur le revenu. Vous pourriez utiliser ces 1,6 milliard de dollars pour aider une sous-catégorie de ce groupe. Ainsi, au lieu de réduire de 5 ou 10 $ le coût d’un repas, vous pourriez offrir des centaines de dollars à des personnes vivant au seuil de la pauvreté ou dans la pauvreté.
Pour ce qui est de la rapidité des versements, l’ARC a fait de grands progrès pour mettre en œuvre rapidement ce genre de programmes. À mon avis, cette mesure pourrait être mise en place rapidement, s’il y avait un intérêt à cet égard. Ce n’est pas exactement le but de cette mesure, mais c’est l’un des avantages découlant de la mise en place relativement rapide par l’ARC de plusieurs prestations ponctuelles. Nous pourrions faire cela encore plus rapidement parce que le versement de certaines de ces prestations durant la pandémie a permis à l’ARC d’acquérir l’expérience et de se doter des outils nécessaires.
[Français]
Le sénateur Moreau : Ce que vous dites, c’est qu’on aurait des mesures immédiates. Toutefois, pourrait-on penser à une autre mesure que d’envoyer des chèques? On sait que ce qui est proposé, c’est d’envoyer des chèques. Nos économistes nous disent tous que cela a un effet immédiat sur les pressions sur l’inflation.
[Traduction]
M. Macdonald : Ce chèque de 250 $ est relativement modeste parce qu’il est offert à trop de gens. En gros, le plafond de revenu de 150 000 $ qui a été proposé englobe pratiquement tout le monde parce que 95 % des gens gagnent 150 000 $ ou moins. Les 5 % des Canadiens ayant un revenu supérieur sont évidemment exclus, mais en gros, toutes les personnes qui ont un revenu d’emploi recevraient ce chèque.
Si vous preniez le même montant, soit 250 $ par personne ou 500 $ par famille, et si vous le versiez à un groupe beaucoup plus restreint de personnes, vous auriez alors des milliers de dollars que vous pourriez distribuer aux clients des banques alimentaires, aux personnes à risque de se retrouver à la rue ou à celles qui n’arrivent pas à payer leur loyer. Ce serait une solution beaucoup moins inflationniste, car l’argent serait probablement réinjecté dans l’économie. Si vous envoyez des chèques de 250 $ à des gens qui gagnent 150 000 $ par année, ils pourraient très bien mettre l’argent de côté au lieu de le dépenser.
C’est l’autre problème que pose le fait d’envoyer de l’argent à tout le monde dans un but de relance économique. Cet argent risque probablement d’être mis de côté. Si vous l’offrez à des personnes qui se trouvent au bas de l’échelle, elles vont le dépenser pour acquérir des biens et des services de base. Des banques alimentaires ferment leurs portes parce qu’elles ne peuvent plus répondre à la demande. Il serait préférable que les clients des banques alimentaires aient suffisamment d’argent pour aller à l’épicerie comme tout le monde et acheter les aliments de leur choix.
[Français]
Le sénateur Moreau : En réalité, votre proposition ne porte pas tellement sur la mesure, mais sur l’importance du nombre de personnes qui pourraient bénéficier de cette mesure; est-ce bien cela?
[Traduction]
M. Macdonald : La hausse du coût de la vie et des prix a touché tout le monde, mais elle a surtout poussé certaines personnes vers l’itinérance visible et invisible, vers les banques alimentaires — dont la fréquentation atteint des sommets —, même si le taux d’emploi n’atteint pas un niveau record. Le coût de la vie augmente, mais il est encore loin du niveau de crise. Ces personnes ont été plus durement touchées que quiconque par la hausse des prix, surtout en raison de l’augmentation des loyers et du coût d’achat d’une maison.
Vous payez d’abord le loyer, ensuite la nourriture. Au troisième et au quatrième rang viennent les sorties au restaurant et les cadeaux de Noël pour les enfants. Vous devez payer votre loyer, faute de quoi, vous serez évincés. Cette augmentation rapide des loyers fait émerger trois crises en même temps, l’inabordabilité des loyers, l’itinérance et la fréquentation des banques alimentaires.
Si nous avons 5 milliards de dollars à dépenser, nous devons l’investir là où il rapportera le plus. Où pouvons-nous dépenser cet argent et obtenir un rendement optimal, tout en aidant les personnes qui sont les plus touchées par la crise de l’abordabilité?
La sénatrice Pate : Monsieur Macdonald, je vais poursuivre dans la même veine. Comme vous l’avez mentionné, nous avons constaté les énormes retombées économiques générées par les dépenses des Canadiens durant la pandémie grâce à la PCU qu’ils percevaient.
Le congé de deux mois de TPS et de TVH prévu dans le projet de loi C-78 coûtera 1,6 milliard de dollars. Si nous ajoutons à cela l’envoi prévu de chèques de 250 $, nous arrivons à quelque 6 milliards de dollars.
Le directeur parlementaire du budget a dit que les coûts nets annuels — sans inclure les économies en aval découlant de la prestation d’une forme de revenu de base à tous ceux qui ont besoin d’aide au Canada — seraient d’environ 3 milliards de dollars. Selon vous, quel est l’avantage de mettre en place une telle mesure? Je sais que vous avez examiné les coûts en aval. Selon vous, quelles seraient les économies de coûts en aval sur un revenu de base par rapport à celles que généreraient les mesures qui ont été mises en place?
M. Macdonald : Nous avons déjà toute une gamme de programmes de revenu de base pour la plupart des Canadiens, mais ils ne ciblent pas les personnes en âge de travailler qui n’ont pas d’enfants. Il n’existe pratiquement aucune mesure de soutien pour elles. La prestation canadienne pour personnes handicapées comblera une partie de cette lacune, mais elle est extrêmement modeste par rapport aux autres. Par contre, l’Allocation canadienne pour enfants constitue une forme de revenu de base pour les familles qui ont des enfants. Elle établit un seuil de revenu.
Les prestations combinées de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti pour les aînés établissent un seuil de revenu d’environ 20 000 $ pour les aînés, un montant qui peut ensuite augmenter en fonction des programmes provinciaux, du Régime de pensions du Canada et d’autres programmes.
Nous avons déjà des programmes de revenu de base pour des groupes particuliers, et je pense sincèrement que nous ne devons pas les abandonner. Utilisons-les. Ils sont déjà en place, ils existent déjà. L’ARC envoie des chèques, les gens perçoivent l’argent. Nous ne devons pas nous débarrasser de ces programmes, mais les utiliser. Pourquoi ne pas les bonifier, notamment en ciblant les personnes vivant dans la pauvreté la plus abjecte dans un effort pour réduire véritablement les taux de pauvreté?
Pendant la pandémie, les taux de pauvreté ont chuté grâce à la PCU et d’autres transferts gouvernementaux aux personnes ayant une forme quelconque de revenu d’emploi. Par la suite, les taux de pauvreté sont remontés à leur niveau d’avant. Nous nous étions fixé l’objectif de réduire de moitié les taux de pauvreté de moitié à compter de l’année 2015. Nous avons atteint cet objectif en 2020. Le but n’était pas d’y arriver avant 2030, mais nous l’avons atteint en 2020, et nous devrions répéter l’exercice.
Pour ce qui est de l’Allocation canadienne pour enfants, nous avons proposé un supplément pour hausser ce montant à 8 500 $ par enfant, en particulier pour les personnes qui n’ont à peu près aucun revenu. Malheureusement, la prestation canadienne pour personnes handicapées est terriblement faible et les gens auront de la difficulté à l’obtenir. Nous pourrions la rendre beaucoup plus accessible si nous utilisions d’autres définitions selon les provinces. Selon les définitions fédérales de l’incapacité, une personne handicapée n’était pas tenue d’obtenir un certificat pour le CIPH et la prestation était donc plus généreuse. Pour les personnes âgées, nous avons mis l’accent sur la prestation de la Sécurité de la vieillesse, alors que nous aurions pu accorder plus d’importance au Supplément de revenu garanti parce qu’en dépensant le même montant vous obtenez un meilleur rendement en matière de réduction de la pauvreté.
Nous pourrons mettre en place une panoplie de mesures pour aider les gens à ne pas tomber dans la pauvreté et à mieux composer avec la hausse des prix des aliments et des services, surtout du prix du logement. Nous pourrions ainsi atténuer la crise de l’abordabilité qui les a si durement frappés.
La sénatrice Pate : Et qu’en est-il des économies en aval, des soins de santé, du système de justice pénale, de ce genre de choses?
M. Macdonald : Ce qui est intéressant, c’est que le palier de gouvernement qui dépense l’argent n’est pas nécessairement celui qui en retire les bénéfices.
Vous allez certainement finir par en retirer un avantage, en ce sens qu’il pourrait y avoir une baisse du recours au système de soins de santé, une utilisation réduite des logements sociaux, une réduction de la dépendance à l’égard des aides sociales provinciales, ce qui est plus ou moins la dernière étape, surtout pour les personnes handicapées. Les systèmes provinciaux d’aide sociale sont devenus essentiellement des systèmes de soutien aux personnes handicapées.
Autre point intéressant à noter, c’est que si le gouvernement fédéral consacre plus d’argent à la prestation canadienne pour personnes handicapées, cela permettra aux provinces de faire des économies sur le plan de l’aide sociale. Il y a certes des répercussions en aval, mais elles profitent davantage aux provinces qu’au gouvernement fédéral.
Le sénateur Loffreda : Je remercie nos témoins de leur présence. J’ai quelques questions à poser, et la première s’adresse à M. Sands, de la Fédération canadienne des épiciers indépendants. Vos épiciers sont-ils en mesure de s’adapter sur le plan administratif, et de corriger les prix durant ce congé fiscal temporaire, ou est-ce que cela leur imposera un fardeau, puisqu’il s’agit d’une mesure temporaire? Quand les épiciers recommenceront à percevoir la TPS, est-ce que cela leur imposera un fardeau ou des frais supplémentaires? Les épiciers sont-ils en faveur de cette mesure? D’après ce que nous a dit M. Kelly, 62 % des détaillants sont contre cette mesure et pensent que 66 % des clients repousseront leurs achats et que 54 % retourneront des produits. Quels sont les chiffres pour vos épiciers indépendants?
J’aimerais ensuite poser une question à M. Kelly, s’il me reste du temps.
M. Sands : Il ne fait aucun doute, je le répète, que cela représente un fardeau pour nos membres d’apporter ce changement pour ensuite revenir à la normale. Il n’y a aucun doute là-dessus. Je vous fais toutefois remarquer que nos épiciers indépendants sont très étroitement présents au sein de leur collectivité et ils savent pertinemment que leurs clients sont frappés par la crise de l’abordabilité. Même si cette mesure représente un fardeau administratif et que nous ne savons pas quelle sera son incidence sur les ventes, étant donné que notre secteur est très différent des autres, ils n’ont pas le choix; les clients doivent acheter de la nourriture. Même s’ils n’ont pas de problème de retour de marchandise et de report des achats, nos membres appuient cette mesure parce qu’ils savent qu’elle va aider les personnes qui fréquentent leur épicerie tous les jours. C’est pour cette raison que nous appuyons cette mesure. Ce n’est pas une panacée, loin de là. Nous avons une foule d’autres idées pour aider nos clients à composer avec la hausse du coût de la vie, mais nous devons quand même appuyer cette mesure parce que c’est une bonne chose pour aider les consommateurs.
Le sénateur Loffreda : C’est faisable, et les épiciers seront capables de tout mettre en place à temps.
M. Sands : M. Kelly a soulevé un bon point. Nos membres nous posent encore des questions et veulent avoir des éclaircissements de la part de l’ARC. Je trouve que ce qu’il a dit tout à l’heure est tout à fait juste. Nous devons avoir l’assurance — surtout ceux d’entre nous qui représentent de petites et moyennes entreprises — que cette mesure s’appliquera avec circonspection. Je suis d’accord avec lui en ce qui concerne tout problème occasionné par un manque de clarté des directives; il ne devrait y avoir aucune conséquence pour l’entreprise concernée, et je pense que nous sommes tous d’accord là-dessus.
Je dois avoir l’assurance que le gouvernement sera également d’accord.
Le sénateur Loffreda : J’ai une question pour Dan Kelly. Cette mesure est mise en place pour aider les consommateurs, n’est-ce pas?
M. Kelly : Oui.
Le sénateur Loffreda : J’ai répété les chiffres et nous avons parlé des banques alimentaires et de l’itinérance. Avez-vous l’impression que les réponses au sondage ou vos propres réponses sont représentatives des entreprises qui servent des consommateurs qui bénéficieront de cette mesure? Je peux comprendre que les entreprises disent que c’est un fardeau pour elles, mais ce ne sont pas ces gens que nous ciblons. Nous ciblons ceux qui en bénéficieront véritablement.
M. Kelly : Sénateur, j’entends ce que vous dites. Les petites entreprises veulent que leurs clients en profitent. Si c’est bon pour le consommateur, au bout du compte, ce le sera aussi pour les entreprises. En général, quand les consommateurs ont plus d’argent dans leurs poches, ils le dépensent en partie dans les petites et moyennes entreprises, et les propriétaires en profitent.
Les détaillants ne veulent pas empêcher les consommateurs de profiter d’un allégement fiscal temporaire ou permanent, mais cette mesure est le moyen le plus compliqué de parvenir à ce but. Le moment est mal choisi. Si nous voulons bien faire les choses, nous devrions donner aux entreprises un délai de six mois pour mettre la mesure en place. Nous devrions leur donner des conseils et répondre à toutes leurs questions dès le départ pour éviter d’avoir à courir après le gouvernement pour avoir les réponses.
Je crois aussi savoir que le Sénat n’a pas eu assez de temps non plus. Au terme de votre examen du projet de loi, les entreprises auront à peine 10 jours pour mettre en œuvre la mesure législative. C’est tout simplement injuste.
La sénatrice MacAdam : Dans le cadre de votre sondage éclair, les petites entreprises ont dit que ce changement leur coûterait en moyenne 1 000 $ de plus pour reprogrammer leurs systèmes de terminaux de point de vente. D’après vous, est-ce qu’il y aura d’autres frais supplémentaires? Avez-vous des chiffres à ce sujet?
M. Kelly : Oui, je vous ai donné l’exemple d’exploitants d’une petite chaîne de dépanneurs qui ont évalué que les coûts réels liés à la mise en œuvre de la mesure s’établiraient à 50 000 $. C’est seulement pour une petite chaîne.
Les propriétaires d’entreprise me disent qu’ils passent la nuit à essayer de comprendre et de deviner l’intention du gouvernement. Dans le cas du jeu vidéo Play Station 4, l’utilisateur peut acheter un petit couvercle pour la manette. Est‑ce que ce couvercle sera exonéré de la TPS ou non? C’est le genre de coûts accessoires qui soulève des questions; les propriétaires d’entreprise doivent prendre ces décisions. Le ministère des Finances et l’ARC ont beau avoir beaucoup d’employés, ils ne pourront jamais dresser la liste de tous les produits vendus au Canada durant cette période et vous dire avec certitude lesquels sont taxables et lesquels ne le sont pas.
Prenons l’exemple des cadeaux préemballés que les clients achètent à l’épicerie et qui contiennent des produits durables, comme une tasse de café, et des produits alimentaires. Est-ce que ces cadeaux sont taxables ou non? Est-ce que cela va dépendre du pourcentage de nourriture qu’ils contiennent? Ce sont là que quelques-unes des questions d’ordre administratif que les commerçants nous posent et auxquelles nous n’avons pas de réponse tant que nous ne les poserons pas au ministère. Il faudra alors peut-être attendre plusieurs jours avant d’avoir une réponse. Les entreprises n’ont pas de temps pour cela.
La sénatrice MacAdam : D’accord, je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, sénatrice Adam.
[Français]
Je vous remercie vraiment beaucoup de votre disponibilité malgré ce court délai; c’est vraiment impressionnant et très apprécié. Nous vous respectons beaucoup et nous vous remercions énormément votre présence. Nous sommes désolés, mais nous pouvons vous dire que cela en valait la peine.
La prochaine réunion aura lieu demain, à 16 h 15, pour la suite de l’étude du projet de loi, avec la vice-première ministre et ministre des Finances ainsi que les hauts fonctionnaires qui l’accompagneront.
Merci à tous. Merci à toute l’équipe; nous sommes reconnaissants du travail de notre greffière et de nos analystes. C’est un vrai tour de force de tenir ce genre de rencontre dans un si court délai. Merci beaucoup et à demain.
(La séance est levée.)