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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 23 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-32, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 3 novembre 2022 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices, et aussi à tous les Canadiens qui nous regardent sur sencanada.ca.

Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant faire un tour de table et demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Gignac : Clément Gignac, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.

Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

Le sénateur Loffreda : Sénateur Tony Loffreda, du Québec.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci, honorables sénatrices et sénateurs. Ce soir, nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-32, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 3 novembre 2022 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022, qui a été renvoyé par le Sénat du Canada au Comité des finances le 17 novembre 2022.

[Français]

Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Franco Terrazzano, directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables. Il est accompagné de M. Nicholas Gagnon, directeur de la Fédération canadienne des contribuables, qui est le représentant du Québec. À vous deux, merci de votre présence.

[Traduction]

Également par vidéoconférence, de l’Association du Barreau canadien, nous accueillons Steeves Bujold, président, et Stephen Bowman, membre. Bienvenue à tous les témoins et merci d’avoir accepté notre invitation à participer à l’étude du projet de loi C-32.

[Français]

Nous allons maintenant entendre les remarques liminaires de la Fédération canadienne des contribuables, suivies de celles de l’Association du Barreau canadien.

[Traduction]

Franco Terrazzano, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables : Je m’appelle Franco Terrazzano. Je représente la Fédération canadienne des contribuables, ou FCC, et je suis ici au nom des contribuables canadiens qui n’appuient pas la culture du gaspillage, des déficits sans fin et des hausses d’impôt. La culture du gaspillage n’aide pas les Canadiens. Plus le gouvernement dépense d’argent pour des voyages de luxe, moins nous avons d’argent pour embaucher plus d’infirmières. Plus le gouvernement se donne d’augmentations de salaire, moins les parents ont d’argent pour inscrire leurs enfants au hockey. Plus la dette est élevée, plus les frais d’intérêt sont élevés et plus les impôts sont susceptibles d’augmenter.

Malheureusement, la mise à jour budgétaire perpétue cette culture du gaspillage. Elle montre que le gouvernement est déjà sur la bonne voie pour dépasser son budget de 20 milliards de dollars. C’est étonnant, car nous n’en sommes qu’à la moitié de l’année budgétaire. Voici la partie la plus étonnante. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a qualifié sa mise à jour budgétaire de prudente; les chiffres laissent pourtant entendre le contraire.

Mme Freeland avait dit dans le budget d’avril que le gouvernement dépenserait 452 milliards de dollars. Dans la mise à jour budgétaire, Mme Freeland dit maintenant que le gouvernement dépensera 472 milliards de dollars. En sept mois, Mme Freeland a réussi à dépenser 20 milliards de dollars de plus que prévu. Et le budget d’avril n’était pas un budget d’austérité, loin de là.

Le budget d’avril de Mme Freeland prévoyait 90 milliards de dollars de dépenses supplémentaires par rapport à ce qu’il était avant la pandémie, et le gouvernement dépensait déjà des sommes record avant la pandémie, même en tenant compte de l’inflation et des différences démographiques. Or, Mme Freeland dépense 20 milliards de dollars de plus que ce budget de dépenses. Pour mettre les choses en contexte, 20 milliards de dollars équivaut à une réduction de deux points de la taxe de vente. Mme Freeland pourrait ramener la taxe de vente de 5 % à 3 % sans augmenter le déficit. Mme Freeland n’aurait qu’à maintenir des dépenses égales à son budget d’avril.

Les Canadiens ont besoin d’aide, mais ils paient trop d’impôts parce que le gouvernement gaspille trop d’argent. Selon un récent sondage Ipsos, 72 % des Canadiens disent payer trop d’impôt. De nombreux autres pays réduisent les impôts. Ottawa augmente les taxes sur l’essence, les charges sociales et les taxes sur l’alcool. Le gouvernement imposera une deuxième taxe sur le carbone l’an prochain au moyen de règlements sur les carburants. La mise à jour budgétaire promet un budget équilibré en 2027, mais les contribuables ont toutes les raisons d’être sceptiques. Tout d’abord, c’est après les prochaines élections.

Les chiffres du directeur parlementaire du budget brossent un tableau moins rose. Le directeur parlementaire du budget ne publie les projections budgétaires que quelques semaines avant la mise à jour du budget. Celles-ci montrent que Mme Freeland exagère les revenus et sous-estime les frais d’intérêt. Le directeur parlementaire du budget prévoyait que les revenus diminueraient de 11,1 milliards de dollars en 2027 et que les frais d’intérêt augmenteraient de 2,8 milliards de dollars. En fin de compte, le déficit en 2027 serait de 9,4 milliards de dollars si l’on se fie aux chiffres du DPB concernant les revenus et les intérêts. Il s’agit d’un déficit plus important que le scénario à la baisse présenté dans la mise à jour budgétaire.

Plus le gouvernement emprunte, plus l’argent des contribuables est perdu au profit des gestionnaires de fonds d’obligations. Dans la mise à jour budgétaire, on estime que les frais d’intérêt coûteront 252 milliards de dollars aux contribuables d’ici 2027. Cela représente un coût de 6 300 $ pour chaque Canadien. Mme Freeland prétend que la mise à jour budgétaire est prudente, mais elle accorde 42 millions de dollars de plus à CBC/Radio-Canada, cela après que la société d’État a versé 51 millions de dollars en primes et en augmentations pendant la pandémie.

Le gouvernement vient de dépenser 1,3 million de dollars pour un voyage d’une semaine de la gouverneure générale et de son entourage, et 6 000 $ par nuit pour une seule chambre d’hôtel à l’occasion des funérailles de la reine. Trois cent mille bureaucrates du gouvernement ont obtenu une augmentation tandis que leurs voisins ont subi une diminution de salaire pendant le confinement.

Heureusement, il y a de bonnes nouvelles. Le gouvernement pourrait équilibrer le budget l’an prochain en ramenant les dépenses aux niveaux sans précédent d’avant la pandémie, même en tenant compte de l’inflation et de la croissance démographique. Au lieu de dépenser 20 milliards de dollars de plus que le budget prévu, la Fédération canadienne des contribuables recommande d’équilibrer le budget en limitant légèrement les dépenses. Le gouvernement pourrait accorder des allégements fiscaux dont nous avons grandement besoin et cesser d’alourdir la dette sur le dos des enfants et des petits-enfants des Canadiens. Il suffirait d’une modeste compression des dépenses. Merci.

Le président : Merci, monsieur Terrazzano.

Nous allons maintenant entendre les commentaires de l’Association du Barreau canadien. Maître Bujold, vous avez la parole.

Me Steeves Bujold, président, Association du Barreau canadien : Bonsoir, monsieur le président et honorables sénatrices et sénateurs. Merci. Je m’appelle Steeves Bujold et je suis président de l’Association du Barreau canadien, ou ABC, et associé principal chez McCarthy Tétrault, à Montréal. Je suis accompagné ce soir de Stephen Bowman, membre de l’ABC, expert en fiscalité et vice-président de Bennett Jones LLP.

[Français]

L’ABC regroupe plus de 37 000 juristes de partout au pays. L’ABC est la voix de la profession juridique. Ses principaux objectifs sont l’amélioration du droit et de l’administration de la justice.

[Traduction]

Je vous remercie de nous avoir invités à discuter du projet de loi C-32. Nous sommes ici pour vous faire part de nos préoccupations au sujet de certaines parties du projet de loi qui compromettent l’important principe du secret professionnel de l’avocat.

[Français]

Je tiens à préciser d’emblée que notre association soutient les objectifs du projet de loi. Cependant, nous considérons que des changements sont nécessaires pour maintenir le principe fondamental du secret professionnel de l’avocat.

[Traduction]

En quoi consiste le secret professionnel et pourquoi est-il si important? En pratique, le secret professionnel permet à des gens de tous les milieux de communiquer librement avec leurs avocats dans un environnement de confiance. La protection de communications complètes et franches entre les avocats et leurs clients permet aux clients de recevoir les meilleurs conseils juridiques possible. Le maintien d’une relation de confiance entre l’avocat et son client est dans l’intérêt public.

À l’ABC, nous croyons que les obligations de reddition de compte des fiducies proposées dans le projet de loi C-32 ne résisteraient pas à un examen constitutionnel, compte tenu des décisions de la Cour suprême du Canada sur des questions semblables. Notre plus haut tribunal a examiné le secret professionnel de l’avocat dans environ 18 affaires depuis 1999. L’ABC est intervenue avec succès dans plusieurs de ces appels. La Cour suprême du Canada a statué que l’État ne peut imposer aux avocats des obligations qui minent leur engagement à l’égard des causes de leurs clients. Autrement dit, le gouvernement ne peut pas contraindre des avocats de manière à obtenir des renseignements auxquels il n’a pas droit parce que ces renseignements sont protégés par le secret professionnel de l’avocat. C’est un principe de justice fondamentale. Or, les modifications législatives proposées menacent ce principe fondamental.

Le projet de loi C-32 reconnaît l’importance du secret professionnel et exempte les comptes en fiducie généraux des avocats, d’une part. Par contre, les comptes en fiducie propres aux clients ne sont pas exemptés. Les fiducies propres au client seraient tenues de produire des déclarations de revenus annuelles pour déclarer l’identité de tous les fiduciaires et bénéficiaires de la fiducie. Les nouvelles obligations, telles qu’elles sont rédigées, compromettent le secret professionnel de l’avocat.

En terminant, nous sommes conscients que les autorités ont besoin de renseignements suffisants pour déterminer les obligations fiscales des contribuables afin de lutter efficacement contre l’évitement fiscal abusif, l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et d’autres activités criminelles. Toutefois, ces mesures doivent être équilibrées avec la nécessité de respecter le secret professionnel et de permettre aux avocats de s’acquitter de leur obligation de loyauté envers leurs clients. Le gouvernement peut atteindre ses objectifs stratégiques sans impliquer les avocats.

Comme la Cour suprême du Canada l’a répété dans l’arrêt Blood Tribe en 2008 :

Le secret professionnel de l’avocat est essentiel au bon fonctionnement du système de justice [...] Toutefois, nous savons par expérience que les personnes aux prises avec un problème juridique se refuseront souvent à dévoiler la totalité des faits à un avocat s’ils n’ont pas une garantie de confidentialité « aussi absolue que possible ». Sans cette garantie, l’accès à la justice et la qualité de la justice dans notre pays seraient sérieusement compromis. Il est dans l’intérêt public que la libre circulation des conseils juridiques soit favorisée.

C’est pourquoi nous recommandons de modifier l’alinéa 150(1.2)c) pour exempter de l’obligation de déclaration des comptes en fiducie tenus par un avocat ou un notaire conformément aux règles de conduite professionnelle qui les régissent.

Au nom de l’ABC, je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de témoigner aujourd’hui. Me Bowman et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, maître Bujold.

Honorables sénatrices et sénateurs, avant de passer aux questions, j’aimerais vous dire que le premier tour sera de cinq minutes, et le deuxième, de trois minutes. Par conséquent, veuillez poser vos questions directement. Je demanderais aux témoins de répondre brièvement. La greffière m’informera lorsque le temps sera écoulé.

La sénatrice Marshall : Merci à nos témoins d’être ici ce soir. Ma première question s’adresse à M. Terrazzano. Elle concerne le Fonds de croissance du Canada. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais le gouvernement a décidé de mettre sur pied le Fonds de croissance du Canada. Sans trop entrer dans les détails, on dit que le Fonds de croissance aura pour mandat de faire des investissements qui attireront des investissements importants du secteur privé dans des entreprises et des projets canadiens afin d’aider à saisir les occasions offertes par une économie carboneutre.

Le projet de loi d’exécution du budget prévoit précisément 2 milliards de dollars pour permettre à la ministre d’acquérir des actions dans une filiale afin de lancer le Fonds de croissance du Canada. Ne pensez-vous pas que ce serait une bonne façon de dépenser des fonds publics?

M. Terrazzano : Merci beaucoup, sénatrice, de cette question. Non. Ce fonds nous donne vraiment l’impression de favoriser les entreprises parasites.

Très franchement, je ne pense pas que ces politiciens et ces bureaucrates pourraient équilibrer le budget d’un kiosque de limonade. Nous ne voulons certainement pas qu’ils prennent l’argent des contribuables pour jouer aux banquiers d’investissement.

Si notre gouvernement veut encourager l’investissement et la croissance économique, réduisons les impôts. Les impôts ont continué d’augmenter pendant la pandémie. Au lieu de ce qui ressemble à une nouvelle vague d’aide aux entreprises parasites, nous aimerions qu’il réduise les impôts.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de ce commentaire. Je reviendrai probablement à vous avec une autre question, mais ma prochaine question s’adresse aux avocats au sujet de la lettre qu’ils ont envoyée pour demander des amendements au projet de loi C-32.

Pourriez-vous me dire si vous avez présenté des instances au gouvernement ou si vous avez participé à un processus de consultation? Une fois qu’une proposition est incluse dans un projet de loi, il devient très difficile de l’amender. J’aimerais savoir ce que vous avez fait jusqu’à maintenant en ce qui concerne la partie du projet de loi que vous aimeriez voir modifier.

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice Marshall.

Nous avons fait des démarches depuis 2018, puisque les dispositions pour lesquelles nous faisons des démarches ce soir sont présentes depuis 2018. Nous avons écrit à l’époque au ministre responsable et nous avons écrit plus récemment au ministre de la Justice et à la ministre des Finances pour faire valoir des démarches semblables à celles que nous vous avons fait parvenir hier par l’entremise du président de votre comité. Les démarches que nous faisons sont également appuyées par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, qui a fait des démarches semblables.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à Me Bujold et Me Bowman. Vous avez parlé de l’exemption dont la portée est ambiguë. Dans votre lettre, vous parlez d’ambiguïté et vous affirmez que l’exemption est inadéquate et peu pratique, et qu’elle risque également de placer les juristes en conflit d’intérêts avec leurs clients. Pourriez-vous donner davantage de précisions sur la question de l’ambiguïté et de la formule inadéquate?

Me Bujold : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice Moncion. En fait, cette disposition attaque directement et de front le secret professionnel de l’avocat. La Cour suprême du Canada, au cours des 20 dernières années, a répété à de nombreuses reprises que le secret professionnel de l’avocat est un droit quasi constitutionnel, qui contribue à renforcer notre système de justice. Évidemment, on s’entend tous pour dire que notre système de justice est un élément fondamental de notre démocratie. En venant attaquer le secret professionnel, on vient attaquer notre système de justice.

La sénatrice Moncion : D’accord. Je vais pousser ma question plus loin.

Dans le cas qui nous occupe actuellement, on parle surtout d’identifier les propriétaires de fiducie pour contrer l’évasion fiscale. Je comprends le besoin du secret professionnel. Je l’ai toujours vu bien plus du côté criminel que du côté des affaires, notamment dans le cas des fiducies. C’est là que je vois peut-être une nuance par rapport à l’ambiguïté qui peut être identifiée dans une telle mesure.

Avez-vous un commentaire à formuler au sujet de mon énoncé?

Me Bujold : C’est une très bonne question. En fait, ce que la Cour suprême nous enseigne, c’est que le domaine de droit ou la raison pour laquelle vous consultez un avocat ou un notaire au Québec n’est pas un élément déterminant pour établir la force ou la présence du secret professionnel. Le secret professionnel s’applique à tout moment.

Dans l’analyse à laquelle on doit procéder, il ne faut pas se demander si on doit mettre en équilibre les objectifs poursuivis par la loi et le secret professionnel, puisqu’ils ne sont pas au même niveau. En fait, on ne doit porter atteinte au secret professionnel de l’avocat qu’en des circonstances tout à fait exceptionnelles, quand c’est la seule mesure disponible.

Je vais vous donner un exemple pour illustrer ce qui arrive quand la sécurité publique est en cause. En 1999, il y a eu une cause très célèbre, Smith c. Jones. Selon cette décision, on peut transmettre des informations pour porter secours à quelqu’un qui est en danger immédiat. C’est la seule mesure possible et claire si l’on veut passer outre au secret professionnel et transmettre des informations qui sont autrement protégées par le secret professionnel.

Ici, on n’est pas du tout dans des circonstances de ce genre. Le gouvernement a plusieurs autres mécanismes lui permettant d’obtenir les informations qu’il recherche autrement qu’en faisant des avocats et des notaires des agents de l’État, puisque c’est véritablement ce qu’on fait ici. On nous place dans des circonstances où l’on nous demande de transmettre au gouvernement des informations qui nous sont confiées dans le cadre d’un mandat professionnel de représentation juridique.

Les fonds ne peuvent être détenus en fiducie que dans le cadre d’un mandat. C’est ce que prévoit la réglementation dans toutes les provinces partout au Canada. Vous savez probablement que nous sommes hautement réglementés. Nous sommes redevables à nos ordres professionnels en ce qui a trait à l’identité des clients, aux détails des transactions et à la provenance des fonds. Nous faisons régulièrement l’objet d’inspections et d’enquêtes et nous sommes passibles de sanctions importantes si ces réglementations ne sont pas respectées. Nous sommes dans un système d’autoréglementation. Les ordres professionnels voient à l’application de ces règlements ou de ces lois qui assurent le bon fonctionnement du système.

Comme je l’ai dit précédemment, le secret professionnel de l’avocat, c’est un élément de la solution pour renforcer notre système juridique. Ce n’est pas un obstacle au respect et à l’application des lois. C’est un élément qui participe à la solution. C’est extrêmement important de bien comprendre cet aspect.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup.

Le sénateur Gignac : Merci aux témoins d’être parmi nous ce soir.

Ma question s’adresse à Me Bujold. Si je comprends bien, la partie 1 de la Loi de l’impôt sur le revenu vise à clarifier les règles applicables en matière de vérification par l’Agence du revenu, notamment en ce qui concerne l’exigence des contribuables de fournir de l’aide raisonnable et de répondre aux questions pertinentes. Or, si on propose de faire ce changement, ce doit être parce qu’il y a eu des lacunes juridiques. Je crois qu’il y a eu un jugement de la cour qui limitait possiblement l’Agence du revenu à ce chapitre.

Est-ce que ces pouvoirs renforcés devraient susciter des inquiétudes de notre côté? Si oui, en quoi cela devrait-il nous préoccuper?

Me Bujold : Je vous remercie de votre question, sénateur Gignac. Notre association n’a pas de démarches à faire sur les autres dispositions de la loi. Nos démarches portent spécifiquement sur les amendements à l’article 150 de la Loi sur l’impôt sur le revenu et les paragraphes (1.1) à (1.4), qui sont des attaques directes au secret professionnel de l’avocat. Toutefois, nous ne prenons pas position comme association professionnelle sur les autres dispositions du projet de loi.

Le sénateur Gignac : Je comprends, mais pouvez-vous m’éclairer à ce sujet? Si je comprends bien, cette décision judiciaire a permis de déterminer dans quelle mesure les fonctionnaires de l’agence peuvent exiger des réponses à des questions pertinentes. Si vous ne pouvez pas nous aider, à qui devrions-nous nous adresser pour comprendre cette décision? C’est quand même un tribunal qui a pris cette décision et qui a dit qu’on ne pouvait pas le faire, et l’énoncé économique va donner plus de pouvoir à l’Agence du revenu pour qu’elle agisse.

Je suis économiste de formation et je ne pensais pas m’adresser à l’Association des économistes pour m’éclairer à ce sujet. Vous êtes des avocats. Or, si vous ne vous prononcez pas, vers qui devrions-nous nous tourner pour déterminer s’il ne s’agit pas d’une violation de la Charte des droits et libertés ou autre chose?

Vous comprenez un peu ma question. Vous pouvez peut-être nous fournir une réponse par écrit plus tard. J’aimerais tout de même que vous nous éclairiez un peu au sujet de cette décision judiciaire.

Me Bujold : Merci de votre précision, monsieur le sénateur Gignac. Je crois que vous faites référence à la décision Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, le jugement [2016] 1 RCS 336. C’est une affaire dans laquelle notre association était intervenue, et nous étions représentés par Mahmud Jamal, qui siège maintenant à la Cour suprême du Canada. Cette décision déterminait des principes qui sont assez similaires à ceux dont nous sommes saisis aujourd’hui. Dans cette affaire, on avait perquisitionné les notaires. On leur demandait de fournir des informations au Québec et la Chambre des notaires s’était portée devant les tribunaux pour qu’on déclare que ces saisies étaient abusives, puisqu’elles portaient sur des informations protégées par le secret professionnel.

Les trois instances, soit la Cour supérieure, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada, ont déclaré que les dispositions sur lesquelles s’appuyait l’Agence du revenu du Canada étaient inconstitutionnelles, puisqu’il s’agissait de perquisitions visant des informations protégées par le secret professionnel, qu’elles n’avaient pas été autorisées pour les tribunaux ou qu’il n’y avait pas de mécanismes suffisamment forts.

Je vous avoue qu’on a l’impression de refaire aujourd’hui la même bataille que l’on a faite dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, puisque ce sont les mêmes principes qui sont en jeu. Dans cette affaire, la Cour suprême a déclaré que le secret professionnel doit demeurer « aussi absolu que possible ». C’est le critère qui a été défini, et la cour a affirmé que le secret professionnel n’est pas seulement un principe ou un concept, mais une règle de droit fondamentale et substantielle. C’est un droit substantiel qu’on nous accorde, comme le droit à l’égalité, le droit à la sécurité, etc. On déclare finalement que toute règle de droit qui porterait atteinte au secret professionnel et qui n’est pas absolument nécessaire est abusive.

La loupe à travers laquelle il faut analyser tout cela, c’est qu’il faut que ce que l’on fait soit absolument nécessaire et qu’il n’existe pas d’autres moyens. On voit bien ici que cela n’est pas applicable; il existe d’autres moyens d’obtenir des informations des contribuables quant aux transactions qui peuvent être instrumentées par un professionnel à qui de l’argent est confié.

Mon collègue pourra vous préciser que les transactions dont on parle ici sont, d’une manière ou d’une autre, transmises aux autorités fiscales par le biais du contribuable. Par exemple, si des intérêts sont encourus sur des fonds déposés auprès d’un cabinet d’avocats ou d’un notaire, il y a un relevé qui est émis au contribuable, qui doit le transmettre aux autorités fiscales. Ce n’est pas l’avocat ou le notaire qui est un agent de l’État, c’est le professionnel lui-même, le client lui-même, le contribuable qui doit transmettre l’information aux autorités fiscales, comme tout le reste de ses revenus.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Smith : J’ai une question pour l’Association du Barreau canadien. Dans votre mémoire, vous demandez au gouvernement de trouver une approche équilibrée entre la lutte contre l’évitement fiscal, l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent et le respect du secret professionnel de l’avocat. Vous soutenez également que les fiducies gérées par des avocats et des notaires devraient être expressément exemptées des obligations de déclaration. Pouvez-vous expliquer en quoi il s’agit d’une approche équilibrée? De quelles autres façons le gouvernement peut-il lutter contre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale par le recours aux fiducies?

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup pour votre question, monsieur le sénateur.

En fait, nos démarches ne portent pas sur tous les titres de fiducie ou de trust. Elles portent véritablement sur ceux qui sont détenus par des avocats ou des notaires.

Comme je l’ai dit, et sans vouloir me répéter, il n’y a pas d’indication ou de preuve montrant que les comptes en fiducie des avocats et des notaires sont des instruments qui contribuent à augmenter l’évasion fiscale. L’élément de preuve ne nous a pas été communiqué. Au contraire, ce que nous affirmons, c’est que les transactions qui sont effectuées par des avocats et des notaires sont hautement réglementées par les ordres professionnels et sont tenues à des inspections, des enquêtes et des rapports. Nous devons produire des rapports comptables sur ces transactions.

Monsieur le sénateur, si vous retenez mes services pour faire une transaction immobilière pour régler un litige, je devrai obtenir vos pièces d’identité auprès de vous pour confirmer votre identité et avoir votre adresse. Je ne peux pas recevoir d’argent comptant de votre part, pas au-delà de 7 500 $, donc vous devrez me transmettre des fonds à même un compte bancaire canadien. Je suis limité quant à la façon dont je peux utiliser ces fonds; je dois seulement les utiliser dans le cadre du mandat que vous m’avez confié. Si le dossier est réglé, je vais le transmettre à un autre bureau d’avocats, qui va le transmettre à la personne avec qui nous faisons affaire. Si c’est une transaction, ce sera la même chose, on fera affaire avec un autre bureau.

Donc, ce sont des transactions qui sont hautement sécuritaires et fortement réglementées. Nous ne sommes pas du tout dans une situation où l’on se retrouve avec des transactions occultes ou difficilement traçables, ou dans lesquelles on va perdre de l’information si cette information n’est pas transmise au gouvernement au fur et à mesure. Au contraire, nous sommes tenus de garder tous les détails de ces transactions pour au moins sept ans, avec des registres extrêmement explicites, et ces registres sont régulièrement inspectés.

Ce que nous visons avec la disposition législative sur laquelle nous faisons des démarches, c’est de montrer qu’elle est inutile, puisque plusieurs autres mécanismes existent et que, par le fait même, on porte préjudice à un droit fondamental qui a été évoqué à de nombreuses reprises par la Cour suprême du Canada. En fait, chaque fois qu’on a fait des démarches sur des dispositions qui attaquaient le secret professionnel, la quasi‑totalité des juges ont déclaré ces dispositions inconstitutionnelles.

On fait ces démarches aujourd’hui pour ne pas avoir à mener encore une fois cette bataille devant les tribunaux pour faire invalider les dispositions.

[Traduction]

Le sénateur Smith : J’ai une question plus générale pour la Fédération canadienne des contribuables. Monsieur Terrazzano, vous avez exprimé très fermement vos sentiments et vos opinions sur le budget et les prévisions. Je me demandais si vous pouviez nous donner votre propre version de ce que vous feriez si vous étiez à la place du gouvernement pour essayer de rééquilibrer, comme vous le disiez, la situation économique dans laquelle nous nous trouvons. Et combien de temps faudrait-il pour le faire?

M. Terrazzano : Merci beaucoup de votre question, sénateur. Nous avons présenté au Comité des finances notre mémoire de 80 pages sur le budget qui décrit exactement ce que nous ferions. J’ai toutefois souligné beaucoup de mauvaises nouvelles dans la mise à jour budgétaire. Mais comme je l’ai dit, il y a aussi de bonnes nouvelles.

Le sénateur Smith : J’aimerais entendre la bonne nouvelle, pour équilibrer notre discussion.

M. Terrazzano : Je vous comprends. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne faudrait que des compressions très modestes des dépenses pour équilibrer le budget au cours du prochain exercice. Très modestes. Quand je parle de très modestes compressions, je parle simplement de ramener les dépenses de programmes aux niveaux sans précédent de 2018-2019, même en tenant compte de l’inflation et de la croissance démographique. Ce faisant, vous équilibrez le budget tout en conservant une marge de manœuvre suffisante pour annuler certaines des hausses d’impôt qui nous ont été imposées pendant la pandémie. C’est donc ce que nous ferions à la place du gouvernement.

Encore une fois, notre mémoire de 80 pages a été présenté au Comité des finances, et je me ferai un plaisir de le communiquer à toutes les personnes présentes dans cette salle si vous le souhaitez.

Le sénateur Boehm : J’aimerais reprendre là où mon collègue, le sénateur Smith, s’est arrêté, monsieur Terrazzano. Dans un communiqué de presse de la Fédération canadienne des contribuables daté du 4 novembre et intitulé Les dépenses excessives de Freeland dilapident l’argent des contribuables, vous soulignez l’écart de 20 milliards de dollars entre ce qui était prévu dans le budget de 2022 et ce qui est prévu dans l’énoncé économique de l’automne. Mais je tiens à souligner, tout d’abord, que les projections ne sont justement que des projections. Nous en établissons depuis des décennies, même avant la création du DPB. Parfois, elles surestiment les prévisions et parfois, elles les sous-estiment. Mais à la fin de votre communiqué de presse, vous affirmez « Il est grand temps que Freeland cesse de gaspiller l’argent des contribuables et qu’elle s’engage à réduire leurs impôts », mais vous ne précisez pas où exactement se trouve le gaspillage. Ma question est donc la suivante : qu’est-ce que vous supprimeriez de l’énoncé économique de l’automne et pourquoi?

M. Terrazzano : Merci beaucoup de la question. Je tiens à reconnaître que les projections ne sont effectivement que des projections, mais nous travaillons avec les meilleures données publiques disponibles du gouvernement et du directeur parlementaire du budget.

Maintenant, où pourrions-nous trouver des économies? Premièrement, le leadership commence au sommet. Cela signifie que les députés n’auraient pas dû accepter une augmentation de salaire après l’autre pendant que les gens qu’ils sont censés représenter subissaient des réductions de salaire, perdaient leur emploi ou même leur entreprise pendant la pandémie.

Le leadership au sommet signifie également que nous devons nous pencher sur Rideau Hall. Nous accordons aux ex‑gouverneurs généraux un compte de dépenses à vie pouvant aller jusqu’à 200 000 $ par année, jusqu’à concurrence de six mois après leur décès.

Cela signifie également qu’il faut réussir les gestes très simples, et cela signifie qu’il faut examiner le Fonds culturel des missions. Savez-vous que nous avons dépensé 8 800 $ pour une exposition de jouets sexuels en Allemagne? Il est inacceptable de dépenser ainsi des fonds publics. Vous voulez un autre exemple de petite dépense? La gouverneure générale et son entourage ont dépensé 1,3 million de dollars pour un voyage d’une semaine au Moyen-Orient.

Bien sûr, nous ne pouvons pas réussir que les gestes très simples. Nous devons aussi bien nous comporter à plus grande échelle.

Pendant la pandémie, 300 000 employés du gouvernement ont reçu au moins une augmentation de salaire; aucun employé du gouvernement n’a subi de réduction de salaire. Une tonne d’entreprises parasites ont également obtenu des fonds. Voici quelques exemples d’annonces : le gouvernement a annoncé un octroi de 295 millions de dollars pour la société Ford. Le gouvernement a annoncé un octroi de 420 millions de dollars pour Algoma Steel, 12 millions de dollars pour Loblaws, 20 millions de dollars pour les Aliments Maple Leaf, 110 millions de dollars pour Toyota et 372 millions de dollars pour Bombardier. Dans ce mémoire budgétaire de 80 pages, nous donnons de nombreux autres exemples de dépenses que nous aimerions réduire. Nous donnons des détails, mais nous présentons aussi des cibles de haut niveau, comme...

Le sénateur Boehm : Je comprends. Je peux vous dire que la dépense en Allemagne dont vous venez de parler n’a pas été engagée lorsque j’étais ambassadeur là-bas.

Ce que je voulais vraiment dire, c’est qu’il y a des facteurs, des événements imprévus, qui peuvent influer sur les dépenses, n’est-ce pas? Nous ne pouvions pas prévoir que la Russie envahirait l’Ukraine le 24 février, et cet événement a eu une incidence sur toute la situation mondiale. Nous ne pouvions pas prévoir une pandémie ayant eu des répercussions aussi graves. Nous avons un rôle à jouer dans le monde. Notre gouverneure générale et notre premier ministre voyagent. Il est vrai qu’il pourrait probablement y avoir une meilleure mesure des dépenses, mais pour avoir participé à l’examen des programmes mené sous le premier ministre Chrétien, au Plan d’action pour la réduction du déficit établi sous le premier ministre Harper, et maintenant à un autre processus d’examen dirigé par le Conseil du Trésor, je pense que de meilleures mesures sont en voie d’être adoptées.

Et je pense que certaines obligations contractuelles ne devraient pas faire partie de votre examen. Je suis heureux que vous ayez mentionné que ce sont les députés qui ont obtenu des augmentations, et non les sénateurs, mais les sénateurs reçoivent aussi des augmentations, et elles sont prévues dans la loi. Mais je pense qu’il faut faire attention à ce que vous ciblez et suggérez. Les postes budgétaires importants sont les programmes sociaux, les dépenses consacrées à la défense et ainsi de suite, et on ne voudrait pas les réduire. Mais nous devons veiller à ce que les Canadiens qui ne sont pas aussi chanceux que nous, qui sommes assis autour de cette table, aient aussi toutes les chances possibles. C’est pourquoi je vous demande plus de précisions.

Je ne parle pas des gestes très simples — qui peuvent et doivent être corrigées, vous avez tout à fait raison —, mais bien des gestes importants, je pense que nous devons être très prudents dans nos affirmations.

M. Terrazzano : Sénateur, je conviens qu’il faut faire attention. Si vous avez d’autres recommandations d’économies, nous sommes prêts à vous écouter. Comme nous l’avons dit au comité de la Chambre, nous sommes prêts à collaborer avec tous les partis pour réaliser d’autres économies. Dans notre mémoire budgétaire, nous avons également parlé de l’examen des programmes qui a été couronné de succès dans les années 1990. N’oublions pas non plus qu’avant la pandémie, le gouvernement fédéral dépensait des sommes record, même après avoir tenu compte de l’inflation et des différences démographiques, ce qui signifie qu’en 2018-2019, le gouvernement Trudeau a dépensé plus d’argent que le gouvernement fédéral pendant les années de la Seconde Guerre mondiale.

Pendant la pandémie, je pense que la plupart des Canadiens comprennent — si je peux me permettre une analogie — que si le toit coule, il faut le réparer. On ne dépense pas l’argent qu’on n’a pas pour un nouveau téléviseur à écran plat et quelques BMW. Nous avons entendu la ministre des Finances dire que si nous voulons de nouveaux programmes dans le budget, il faut trouver des économies dans d’autres secteurs pour les financer. Or, la mise à jour budgétaire montre ensuite que Mme Freeland ne peut même pas respecter ses propres objectifs de dépenses du dernier budget; en fait, elle dépasse le budget de 20 milliards de dollars.

Le sénateur Boehm : Ma question s’adresse à Me Bujold ou à Me Bowman.

J’ai écouté les commentaires que vous avez faits au sujet de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec comme étant une décision clé, et vous en avez parlé plus longuement — merci beaucoup —, et aussi sur la question de l’évitement fiscal, de l’évasion fiscale, du blanchiment d’argent, de l’érosion de la base d’imposition, du transfert de bénéfices, et d’autres crimes financiers. D’autres organisations sont-elles d’accord avec votre position à ce sujet et, le cas échéant, pourriez-vous nous dire lesquelles?

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup pour votre question, sénateur Boehm.

Effectivement, à notre connaissance, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, qui regroupe tous les ordres professionnels d’avocats, de notaires et de parajuristes au Canada, partage exactement les mêmes préoccupations que nous.

Nous avons 37 000 membres dans notre profession, soit des avocats, des notaires et des professeurs de droit. À notre connaissance, les grands cabinets canadiens sont également très préoccupés par les dispositions introduites par ce projet de loi.

Je n’ai pas entendu dire que qui que ce soit dans le monde juridique et légal est d’avis contraire à celui que nous vous avons transmis dans la lettre d’hier et que nous faisons valoir ici aujourd’hui.

Les nombreuses décisions de la Cour suprême du Canada des 25 dernières années vont toutes dans la même direction. Pour nous, il ne s’agit pas d’une position juridique controversée que nous faisons valoir; il s’agit plutôt de l’état du droit pour éviter une contestation constitutionnelle subséquente à l’adoption du projet de loi.

Le sénateur Boehm : Merci beaucoup, monsieur Bujold.

[Traduction]

La sénatrice Duncan : Merci beaucoup. Toutes mes excuses pour mon arrivée tardive. Je m’appelle Pat Duncan, et je suis sénatrice pour le Yukon. Je remercie les témoins de leurs présentations aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Terrazzano.

Dans votre déclaration préliminaire, vous n’avez pas parlé des détails fournis dans le projet de loi C-32 sur des mesures comme la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés, qui, selon les fonctionnaires qui nous ont présenté un exposé, permettra de recueillir 835 millions de dollars auprès de non-résidents. La Fédération canadienne des contribuables a-t-elle fourni au gouvernement des documents d’orientation ou une position sur cette mesure ou sur d’autres mesures précises qui lui permettront de générer des revenus?

M. Terrazzano : Merci, sénatrice. Nous avons fourni au gouvernement une analyse très détaillée de la taxation des maisons des Canadiens. Nous sommes très préoccupés par cette question et nous considérons qu’il s’agit d’une pente très glissante vers une taxe sur la valeur nette des propriétés au Canada.

Même si M. Trudeau et M. O’Toole ont dit au cours du dernier débat des chefs qu’ils n’imposeraient pas de taxe sur la valeur nette des propriétés, malheureusement, la Société canadienne d’hypothèques et de logement a continué d’utiliser l’argent des contribuables pour financer et promouvoir la recherche au sujet de la taxe sur la valeur nette des propriétés. Nous voulons que le gouvernement se penche sur la proposition relative à la taxe sur la valeur nette des propriétés, c’est-à-dire qu’il supprime l’exigence de déclaration de l’ARC. En 2016, le gouvernement a instauré une exigence de déclaration selon laquelle si vous vendez votre propriété, vous devez déclarer la vente à l’ARC. Nous considérons qu’il s’agit d’une autre pente très glissante vers une taxe sur la valeur nette des propriétés, et c’est l’une des propositions que nous recommandons au gouvernement d’abandonner.

La sénatrice Duncan : Excusez-moi, monsieur Terrazzano, il s’agit d’une taxe imposée aux Canadiens non résidents sur les logements sous-utilisés. Ma question était de savoir si vous avez soumis une proposition précise sur cette mesure.

M. Terrazzano : Eh bien, nous avons soumis des propositions, des documents et des communiqués qui incluent cette mesure. Encore une fois, avec tout le respect que je vous dois, sénatrice, ce que nous voyons, c’est qu’il s’agit d’une autre pente glissante. Pas seulement la taxe dont vous parlez, mais aussi la soi-disant taxe pour lutter contre les reventes précipitées, nous voyons tout cela comme une mesure qui nous fait doucement glisser vers une taxe sur la valeur nette des propriétés. Ce serait tellement dommageable pour tant de Canadiens. Pour nos parents qui comptent sur la vente de leur propriété pour financer leurs dernières années, une taxe sur la valeur nette serait préjudiciable. Pour les jeunes Canadiens qui espèrent utiliser la vente de leur première propriété pour acheter leur première demeure familiale, encore une fois, une taxe sur la valeur nette de leur propriété serait très pénible. Nous considérons qu’il s’agit d’une pente très glissante qui mène à une telle taxe.

La sénatrice Duncan : Avec tout le respect que je vous dois, il s’agit encore une fois d’une mesure sur les logements sous‑utilisés. Par le passé, la Fédération canadienne des contribuables a fait valoir au Comité des finances nationales qu’une refonte de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou LIR, s’imposait depuis longtemps. La dernière mouture, je crois, remonte à 2019 — je pourrais me tromper à ce sujet. Ma question précise est la suivante : y a-t-il un document de travail à jour? S’il y en a un, pourriez-vous nous le fournir par écrit, d’ici la date limite que le président vous donnera? Merci.

M. Terrazzano : Sénatrice, je vous remercie beaucoup de cette question. C’est un dossier que nous continuons de défendre. Nous n’avons mis à jour aucun document d’orientation à ce sujet, mais en ce qui concerne l’évitement fiscal, nous constatons que la meilleure façon de le minimiser consiste à simplifier le régime fiscal.

La sénatrice Duncan : Excusez-moi, avez-vous bien dit que vous n’avez pas de document à jour?

M. Terrazzano : Nous n’avons pas mis à jour le document dont vous devez parler.

La sénatrice Duncan : Vous ne l’avez donc pas mis à jour, d’accord. Merci.

Le président : Le sénateur Loffreda, parrain du projet de loi.

Le sénateur Loffreda : Je remercie nos témoins de leur présence. Ma question s’adresse à l’Association du Barreau canadien. À l’heure actuelle, une fiducie qui ne gagne pas de revenu ou ne fait pas de distributions pendant un an n’est généralement pas tenue de produire une déclaration annuelle de revenu T3. Les mesures actuelles que nous envisageons pour les fiducies modifieraient cette exigence et obligeraient généralement la plupart des fiducies résidentes canadiennes à produire une déclaration de revenus, sous réserve d’un certain nombre d’exceptions précises pour certains types de fiducies.

Compte tenu des risques et des menaces croissants et continus que sont la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement des activités terroristes, l’évitement fiscal, l’évasion fiscale et plus encore, que vous avez mentionnés, les avantages d’une telle mesure ne dépasseraient-ils pas les coûts, surtout aujourd’hui, compte tenu de l’environnement géopolitique? Je comprends l’argument de la nécessité absolue; il n’est pas nécessaire de le répéter. Ne pensez-vous pas que cette mesure est absolument nécessaire?

Si nous nous comparons à nos principaux partenaires commerciaux, comme les États-Unis et d’autres pays, la plupart d’entre eux n’imposent-ils pas une telle exigence?

Me Stephen Bowman, membre, Association du Barreau canadien : Je vous remercie pour cette question, sénateur. La portée de cette disposition, comme vous l’avez dit, élargit les obligations de reddition de comptes des fiducies, particulièrement des fiducies au porteur et des fiducies qui sont ce que j’appellerais inactives en ce sens qu’elles ne génèrent pas de revenu pour le moment. La déclaration de revenus requise pour une fiducie est raisonnablement onéreuse, et l’on exigera des renseignements supplémentaires au-delà de ce qui était exigé auparavant. Tout cela contribuera à préciser la propriété bénéficiaire, à réduire l’évitement fiscal international et à lutter contre le blanchiment d’argent. Cela appuiera toute la série de programmes que le Canada et ses partenaires internationaux mènent conjointement.

Nos observations de ce soir portent précisément sur l’application de cette déclaration élargie aux comptes en fiducie confiés à des avocats. Nous soutenons que la relation avocat client dans n’importe quel contexte — qu’il s’agisse d’une affaire criminelle, civile ou matrimoniale, quel que soit le domaine de droit — repose fondamentalement sur la confiance et sur le caractère confidentiel de la relation entre l’avocat et son client. Il est essentiel que leur communication soit ouverte et entièrement confiante. Si un avocat dit à un nouveau client qu’il pourrait le mentionner dans sa déclaration d’impôt de l’année suivante, le client lui demandera ce qu’il inclura dans cette déclaration. Si l’avocat lui répond qu’il ne le sait pas encore et que cela dépendra du secret professionnel, le client se sentira très mal à l’aise. Plus tard, l’avocat sera encore plus mal à l’aise en essayant de déterminer ce qu’il pourra ou non divulguer. Cette situation sera très déplaisante pour les deux parties et elle nuira à leur relation.

L’autre aspect de la question est le fait que la profession juridique nous impose des obligations sévères, à nous les avocats et à nos barreaux. Nous devons produire des rapports annuels qui exposent avec exactitude l’argent reçu en espèces et la gestion des comptes en fiducie. Ces rapports sont régulièrement audités. Nous ne sommes pas autorisés à recevoir plus de 7 500 $ en espèces sans en expliquer la raison. Certaines exigences nous obligent aussi à indiquer avec précision qui nos clients sont réellement.

Enfin, nos comptes en fiducie ne peuvent être utilisés que dans le cadre de la prestation de services juridiques. Nous ne pouvons pas simplement les utiliser comme compte bancaire utile qui échapperait d’une façon ou d’une autre à la surveillance du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE, et à d’autres organismes de ce genre. Nous ne pouvons accepter de l’argent que lorsque nous offrons des services juridiques, et pour ce faire, nous devons entretenir de bonnes relations avec nos clients.

Ce soir, nos présentations portent sur les effets qu’auront ces dispositions sur les avocats et sur la façon dont elles s’appliqueront à leurs comptes en fiducie.

Le sénateur Loffreda : Merci. J’ai besoin d’une précision au sujet des chiffres. Comme vous l’avez mentionné, le projet de loi C-32 reconnaît l’importance du secret professionnel entre avocat et client et exempte les comptes en fiducie généraux des avocats; cependant, les comptes en fiducie propres à un client ne sont pas exemptés.

Quel pourcentage des comptes en fiducie que gèrent les avocats sont des comptes généraux? À quel type de population de clients appartiennent les comptes en fiducie qui leur sont propres? Quelle est la différence entre ces deux types de comptes?

Je voudrais aussi que vous nous donniez votre avis sur un autre enjeu. Je ne m’attends pas à ce que vous l’ayez vu, mais comme vous le savez tous deux, le ministre publie toujours un énoncé concernant la Charte au sujet des projets de loi. Celui-ci a été déposé à la Chambre des communes le 21 novembre 2022. Il est donc très récent. Vous savez en quoi consistent les énoncés de la Charte, mais je vais l’expliquer pour les membres du public qui nous écoutent. L’une des responsabilités les plus importantes du ministre de la Justice est d’examiner les projets de loi pour y cerner toute incompatibilité avec la Charte canadienne des droits et libertés. Il y mentionne les exigences supplémentaires en matière de déclaration pour les fiducies :

Les pouvoirs d’obliger la production de renseignements pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est fondée sur un système d’auto-évaluation, ont été confirmés comme raisonnables en vertu de l’article 8 de la Charte.

Et ainsi de suite. Je suppose que vous n’êtes pas d’accord avec cela, n’est-ce pas? Ma question s’adresse à l’Association du Barreau canadien.

Me Bujold : Oui. Merci, sénateur Loffreda. Je n’ai pas vu le document dont vous parlez, car il a été publié hier. Si vraiment on y lit ces choses, alors oui, nous sommes en désaccord avec l’énoncé parce que c’est tout à fait contraire au...

Le sénateur Loffreda : Vous ne l’avez pas encore vu?

Me Bujold : Non, nous ne l’avons pas encore vu. Mais si le ministère de la Justice émettait un avis sur la décision dont nous parlons aujourd’hui, cet avis affirmerait qu’elle va à l’encontre de la masse de décisions rendues par la Cour suprême du Canada au cours de ces 25 dernières années.

[Français]

Pour répondre à votre question précédente, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes a été revue par les tribunaux à la demande de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Cela s’est rendu jusqu’à la Cour suprême qui, en 2015, a rendu une décision très claire quant à l’exemption des avocats des dispositions qui s’appliquaient à eux conformément à la loi et au règlement. On parle ici des dispositions qui mettaient en œuvre le système du CANAFE, que vous connaissez très bien.

Encore une fois, on a parlé des mêmes dispositions. On doit absolument protéger le secret professionnel, et ce n’est que dans des situations tout à fait exceptionnelles, quand il n’y a pas d’autres solutions, qu’on peut se permettre de faire en sorte que les avocats deviennent des agents de l’État et transmettent des informations aux autorités gouvernementales.

[Traduction]

Je vais cependant demander à mon collègue de répondre à votre question sur le nombre de comptes en fiducie généraux. Votre question portait d’abord sur les comptes en fiducie généraux par rapport aux comptes en fiducie particuliers. Si vous le voulez bien, Me Bowman complétera ma réponse.

Me Bowman : Oui. Merci, maître Bujold.

Les comptes en fiducie sont généralement plus importants. Ils durent généralement plus longtemps et découlent de situations plus complexes. Il peut y avoir des entrées et des sorties, alors nous devons effectuer une comptabilité précise. Nous devons aussi en faire rapport au client et aux intervenants concernés.

À tout moment, dans un grand cabinet d’avocats, il peut y en avoir des dizaines ou des centaines et même beaucoup plus au bout d’un an, car ces comptes ne durent pas éternellement. L’obligation de faire rapport ne s’applique qu’à ceux qui durent plus de trois mois.

Dans notre lettre, nous faisons allusion au secteur particulier des condominiums qui, dans les provinces de common law, sont régis par des lois provinciales qui exigent la tenue de comptes en fiducie. Dans ces cas, un compte est habituellement ouvert pour un promoteur dans le cadre d’un grand projet de copropriété. Tous les acheteurs de ce projet, qui peut en réunir des centaines, versent leurs paiements anticipés dans ce compte en fiducie. Cela crée beaucoup, beaucoup de transactions, et il faut en rendre compte. Selon les gens à qui j’ai parlé, ils doivent en rendre compte à leurs clients et à chacun des propriétaires. Dans certains cas, il n’est pas tout à fait clair s’il s’agit de centaines de fiducies pour un projet de copropriété ou d’une fiducie pour des centaines de bénéficiaires, mais quoi qu’il en soit, ces fiducies créent énormément de transactions.

La sénatrice Bovey : Je remercie les témoins. J’ai une question pour l’Association du Barreau canadien, si vous me le permettez.

Dans le document que nous avons reçu et qui est daté du 22 novembre, vous mentionnez les fiducies détenues par des organismes de bienfaisance enregistrés. Vous soulignez que l’alinéa 150(1.2)d) proposé exempterait une fiducie qui est un organisme de bienfaisance enregistré, mais vous poursuivez ainsi : « Il n’est pas clair si les nouvelles règles de déclaration des fiducies s’appliquent aux fiducies à but non lucratif à vocation charitable restreinte qui sont détenues à l’interne par les organismes de bienfaisance enregistrés, comme les fonds de dotation », et ainsi de suite. J’ai travaillé avec grand nombre d’organismes de bienfaisance, et un bon nombre d’entre eux disposent de ces fonds de dotation.

Je me demande si vous pourriez me donner plus de précisions. Je croyais qu’il s’agissait d’une exemption, mais vous semblez demander s’ils ne sont peut-être pas exemptés. Je me demande si vous pouvez m’éclairer à ce sujet.

Me Bowman : Merci beaucoup, sénatrice. À notre avis, cette question est ambiguë. Vous avez tout à fait raison, les organismes de bienfaisance ont leur propre régime, et ces règles ne visent pas à les entraver. Mais comme vous l’avez fait remarquer, bon nombre des grands organismes de bienfaisance — en fait, probablement la plupart d’entre eux — ont des fonds de dotation distincts ou des fonds affectés distincts. Je connais un organisme de bienfaisance de taille moyenne qui a environ 180 comptes distincts. Un donateur verse de l’argent pour une chose, un autre pour une autre chose, et quelqu’un d’autre leur accorde une subvention pour encore autre chose. Ceux des universités et des hôpitaux seraient beaucoup plus importants que ceux de cet exemple.

La question qui préoccupe ces organismes et que nous soulignons dans notre lettre est de savoir s’ils devraient présenter une demande pour les comptes distincts, les fiducies distinctes qui détiennent les fonds d’un donateur. Les fonds ne sont généralement pas séparés, mais ils font l’objet d’un suivi distinct et sont assujettis à différentes obligations, ce qui peut en faire des fiducies distinctes.

Donc, nous voudrions nous assurer que la protection de la déclaration ou le statut de déclaration de l’organisme de bienfaisance dans son ensemble englobe l’ensemble de ses activités. Il ne serait pas nécessaire de produire des rapports distincts pour chaque activité. Ce serait redondant de toute façon, puisque tout se passe à l’interne, au sein de l’organisme de bienfaisance.

La sénatrice Bovey : Comme vous le dites dans votre document et comme je l’ai constaté au fil des ans, ces fonds affectés sont présentés dans des rapports annuels. On dirait qu’au fil des ans, les façons de les déclarer deviennent toujours plus complexes.

Vous voulez savoir si les organismes de bienfaisance doivent présenter une demande spéciale d’exemption, c’est cela?

Me Bowman : Oui. Serait-il possible de préciser l’intention du projet de loi, soit en y ajoutant un énoncé clair — un amendement au projet de loi —, soit en y ajoutant un énoncé qui précise ces choses?

La sénatrice Bovey : Cela ferait-il partie du règlement?

Me Bowman : Je ne pense pas, parce que la loi est la loi, et à ma connaissance, il n’y a pas de pouvoir réglementaire d’exemption, alors il faudra peut-être ajouter cela au contenu de la loi.

Il y a aussi la question des pratiques administratives de l’Agence du revenu du Canada. Toutefois, l’ARC détermine souvent ses pratiques administratives plus tard.

La sénatrice Bovey : Comme vous l’avez dit, certains de ces organismes ont de nombreux fonds, qui sont souvent très importants. Certains petits organismes ont des fonds de dotation peu élevés, mais ils ciblent différentes directions...

Me Bowman : Oui.

La sénatrice Bovey : ... et ils sont évidemment audités et déclarés à l’ARC. Vous considérez donc qu’il s’agit d’un nouvel échelon de bureaucratie.

Me Bowman : Oui, et je n’y vois pas non plus d’avantages, puisque la déclaration des dons que présente un organisme de bienfaisance indique d’où vient l’argent, quelle est la source des fonds.

La sénatrice Bovey : Oui. Merci.

[Français]

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup aux témoins qui nous rendent visite ce soir.

[Traduction]

Ma première question s’adresse à l’Association du Barreau canadien. Je pense qu’on ne peut pas nier ou éviter de reconnaître l’importance et l’ampleur de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale. Chaque année, un nouveau scandale éclate, comme les dossiers Panama Papers, Paradise Papers, Pandora Papers et Luxembourg Papers. L’OCDE évalue à 11,3 billions de dollars américains la valeur de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale. Le Canada a la réputation de tarder à mesurer l’ampleur de ces pertes fiscales.

Au Sénat, nous en discutons depuis de nombreuses années et nous avons fait pression sur l’ARC pour qu’elle mesure ces pertes fiscales. Nous avons estimé que le Canada perd 15 milliards de dollars, qui disparaissent chaque année dans des paradis fiscaux.

Vous avez dit que vous vous autodisciplinez et que vous surveillez l’éthique de vos avocats. Toutefois, l’International Consortium of Investigative Journalists affirme que l’évitement fiscal et l’évasion fiscale ne survivent que grâce à la tolérance des avocats. En fait, on s’en rend compte tout de suite en lisant la documentation. On se demande comment les avocats fiscalistes canadiens d’expérience pourraient contribuer à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. On y lit que l’ARC peut utiliser tout ce que les contribuables accusés de fraude fiscale disent à leur comptable. Évidemment, le secret professionnel empêche l’ARC d’accéder à ce que les accusés confient à leurs avocats. Toutefois, l’agence peut saisir tous les dossiers que les comptables possèdent sur ces individus.

Si j’ai bien compris, dans des circonstances très particulières, nous pouvons violer le secret professionnel entre avocat et client. Mais à mon avis, les pertes dues à l’évitement fiscal sont tellement élevées qu’il faut absolument que nous trouvions une solution. Les temps changent. Je comprends que par le passé, les juges favorisaient les avocats, mais j’ai bien l’impression que nous allons devoir trouver un moyen d’assouplir le secret professionnel pour récupérer cet argent.

Quelles solutions proposez-vous? Vous dites qu’il y a d’autres moyens. Quels sont-ils?

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup pour votre question, madame la sénatrice Galvez.

Notre association appuie les objectifs du gouvernement pour lutter contre l’évasion fiscale; c’est un sujet extrêmement important. La résolution de ce problème mène à beaucoup plus d’équité sur le plan de la fiscalité.

Je reviens un peu sur ce que j’ai dit plus tôt. Le rôle des avocats est absolument essentiel dans l’administration du système de justice. Afin de lutter contre l’évasion fiscale, il nous faut des tribunaux solides, indépendants et impartiaux. Il nous faut des avocats des deux côtés, puisque la plupart de nos tribunaux sont contradictoires. Il faut donc des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense qui peuvent travailler dans des circonstances qui sont reconnues selon les normes les plus élevées. Sans ce système de justice solide, notre démocratie n’est plus ce qu’elle est aujourd’hui.

Les avocats ne sont pas un obstacle à l’application de la loi. Les avocats font partie de la solution. La Cour suprême du Canada l’a bien dit dans l’affaire Lavallee, qui porte sur la perquisition de documents dans un bureau d’avocats. On peut y lire ceci :

En effet, le privilège est une caractéristique positive de l’application de la loi, et non pas un obstacle à celle-ci.

Lorsqu’une personne se présente auprès d’un professionnel du droit pour planifier un crime de façon évidente, il n’y a pas de privilège et il n’y a pas de secret professionnel, puisqu’il n’y a pas de relation professionnelle. Les professionnels du droit ne sont pas en affaires pour planifier des infractions. Les professionnels du droit sont là pour conseiller les gens. Les clients peuvent arriver avec de mauvaises idées, avec des plans qui ne respectent pas la loi. Notre rôle est justement de leur expliquer : « Votre projet n’est pas possible, votre projet est illégal. Cependant, voici ce qui est possible si l’on se conforme à la loi. »

C’est le rôle des avocats. On ne peut pas prendre des exemples extrêmes — même s’ils sont déplorables et sanctionnables — et les imposer à l’ensemble des avocats, dont la vaste majorité est formée d’avocats honnêtes qui aident chaque jour les gens à se conformer à la loi, et faire en sorte que ces avocats deviennent des agents de l’État.

En prenant l’exemple extrême que nous connaissons tous, qui est tout à fait déplorable, on vient causer un préjudice énorme à un système de justice au Canada que nous avons, qui est envié par la vaste majorité des pays du monde entier, par le professionnalisme des juges, leur indépendance et leur impartialité, par la formation des avocats, leur haut niveau éthique. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire mieux, qu’il ne faut pas avoir les yeux ouverts, qu’il ne faut pas être prudent, oui il faut l’être et il ne faut pas porter ombrage et attaquer le système que nous avons en poursuivant un objectif bien précis, puisque ce faisant nous ferions certainement marche arrière.

C’est le même débat qui a été fait au moment de l’adoption de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes au sujet des perquisitions auprès des bureaux de notaires. Chaque fois, la Cour suprême est venue dire : « Oui, vous poursuivez un bon objectif, mais le moyen utilisé n’est pas le bon. » Il y a déjà beaucoup de mesures en place, et les exemples comme ceux que vous avez cités sont tout de même rarissimes au Canada.

Il y a des avocats qui sont sanctionnés, si on lit les décisions des comités de discipline des ordres professionnels. Chaque fois qu’une transaction douteuse est identifiée, il y a automatiquement une enquête. Lorsqu’il y a des malversations, les avocats sont sanctionnés et lorsque ces malversations sont de nature criminelle, il y a des mécanismes qui existent entre les ordres professionnels et les forces de l’ordre pour partager les informations afin que l’enquête puisse se poursuivre dans un autre forum, selon la preuve qui est recueillie. Ces mécanismes existent pour que les organismes responsables de l’application de la loi puissent partager des informations. Évidemment, cela peut aller jusqu’à enquêter sur le client ou sur la personne qui est à l’origine des instructions remises à l’avocat; tous ces mécanismes existent.

Le président : Nous passons maintenant à la deuxième ronde de questions.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : J’ai une autre question pour M. Terrazzano. Je dois dire que ce que vous nous dites est excellent. Je suis d’accord avec la majeure partie de ce que vous dites, et il faut que nous l’entendions. Personnellement, j’ai besoin de l’entendre.

Je suis d’accord avec ce que vous dites au sujet de la taxe sur la revente d’une résidence principale. Le premier ministre prétend qu’on ne l’imposera pas et les ministres disent qu’on ne l’imposera pas, mais elle percole sous la surface et de temps à autre on aperçoit son visage odieux.

Ma question est la suivante : pensez-vous que ce gouvernement réussira un jour à équilibrer son budget, à réduire ses dépenses et à rembourser sa dette? Je vous pose cette question, parce que je surveille la dette et ses frais d’intérêt, qui ne vont que dans une direction, à la hausse. Le projet de loi C-32 apporte de nombreuses modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu, mais si l’on calcule ce qu’elles coûteront au gouvernement et les recettes qu’elles généreront, eh bien, devinez quoi? C’est un gain net de plus de 4 milliards de dollars pour le gouvernement. Les impôts sur le revenu augmenteront de 4 milliards de dollars.

Alors, pensons-y un peu. Croyez-vous que ces chiffres iront un jour dans l’autre sens?

M. Terrazzano : Merci beaucoup pour cette question, sénatrice. Entre nous, je ne crois pas que le gouvernement parvienne un jour à équilibrer le budget. J’espère me tromper, mais je ne vois aucune preuve que le gouvernement prend cela au sérieux.

Si vous me le permettez, je vais faire quelques projections différentes. Écoutez, nous ne faisons qu’ajouter les revenus et les intérêts du directeur parlementaire du budget à la mise à jour budgétaire, et le déficit en 2027 sera de 9,4 milliards de dollars. La raison pour laquelle c’est si important, c’est qu’il s’agit d’un déficit plus élevé que le scénario à la baisse de la mise à jour budgétaire. Un déficit plus élevé — le simple fait de tenir compte des revenus et des frais d’intérêt du directeur parlementaire du budget entraîne un déficit de 9,4 milliards de dollars, ce qui est plus élevé que le scénario à la baisse.

Mais au-delà de cela, nous n’avons pas vraiment vu de cible budgétaire que le gouvernement actuel n’a pas dépassée. Nous nous souvenons tous que lorsque M. Trudeau s’est présenté pour la première fois comme premier ministre en 2015, il a dit qu’il enregistrerait quelques modestes déficits, puis qu’il équilibrerait le budget en 2019. Eh bien, même avant la pandémie, il a raté son objectif d’un budget équilibré de 20 milliards de dollars. Je vous renvoie au Rapport sur la viabilité financière de 2022 du DPB. Il prévoit un déficit. Il dit que, selon la trajectoire actuelle, avec les meilleures données disponibles, le gouvernement n’équilibrera pas le budget avant 2041, ce qui prédit deux autres décennies de déficits.

La sénatrice Marshall : Je pense que c’est un scénario optimiste, pour être honnête avec vous. Mais ce qui me préoccupe aussi, c’est ce que nous faisons à la prochaine génération. En effet, un bon nombre de programmes gouvernementaux aident les jeunes, et ce sont eux qui, à un moment donné, devront rembourser ce dont ils profitent maintenant. Avez-vous des commentaires à ce sujet? Cela m’inquiète beaucoup pour mes enfants et mes petits-enfants.

M. Terrazzano : Nous effectuons une tournée nationale du Compteur de la dette. Nous allons dans tout le pays pour sensibiliser les gens à cette question. Nous avons un grand écran démontrant que la dette augmente chaque seconde. L’une des grandes préoccupations exprimées par les Canadiens d’un bout à l’autre du pays, c’est qu’ils craignent que leurs enfants et leurs petits-enfants croulent sous une pareille dette. À l’heure actuelle, chaque Canadien assume une part d’environ 30 000 $ de cette dette du gouvernement fédéral. Cela ne tient pas compte de la dette du gouvernement provincial, qui y ajouterait environ 20 000 $, suivant l’endroit où l’on se trouve.

Donc il est sûr que cela nuira à la prochaine génération, mais cela nuit aussi aux Canadiens aujourd’hui. Nous avons vu des dépenses effrénées. Nous avons vu la Banque du Canada imprimer environ 300 milliards de dollars comme s’ils sortaient du chapeau d’un magicien. Elle a ainsi acheté en grande partie la dette du gouvernement, ce qui a contribué à alimenter l’inflation que nous ressentons aujourd’hui.

La sénatrice Marshall : J’avais aussi une question sur la Banque du Canada, mais je suis sûre que mon temps est écoulé. Soit dit en passant, votre Compteur de la dette ne tient pas compte de celle des sociétés d’État, alors vous devriez peut-être l’ajouter. Merci.

[Français]

Le sénateur Gignac : Merci. J’avais deux questions pour les représentants de la Fédération canadienne des contribuables. Au début de la pandémie, vous avez publié un plan de relance économique qui prévoyait des baisses d’impôt de l’ordre de 20 milliards de dollars. Le plan prévoyait en contrepartie des compressions des dépenses fédérales de 30 milliards de dollars, compressions qui auraient inclus une réduction des salaires des sénateurs et des députés. Or, au début de la pandémie, les gens qui ont été les plus touchés par les mesures, ce sont les gens à faible revenu qui ne paient pratiquement pas d’impôts, parce qu’ils travaillent au salaire minimum dans les restaurants, les hôtels et les commerces. On sait qu’il y a 35 % des contribuables qui ne paient pas d’impôts.

Or, deux ans plus tard, au moment où l’on se parle, tout le monde peut changer d’idée. Croyez-vous que c’était un bon plan de relance à proposer? Les études montrent que si vous aviez fait cela, on aurait, ni plus ni moins, aggravé la récession et répété l’expérience des années 1930, avec une dépression économique. Lorsque les gens sont inquiets, ils ne dépensent pas et ce sont les gouvernements qui doivent le faire. Donc tout le monde a le droit de changer d’idée ou de commettre des erreurs. Je suis seulement, curieux deux ans plus tard, de savoir si vous êtes toujours du même avis. J’aurai une seconde question.

[Traduction]

M. Terrazzano : Sénateur, je tiens d’abord à dire, avec tout le respect que je vous dois, que je vais faire de mon mieux pour répondre à votre question. J’ai besoin d’améliorer mon français, je vous prie de m’excuser.

J’espère que j’ai bien compris votre question. Il est évident que nous sommes préoccupés par les dépenses effectuées dans certains domaines pendant la pandémie. Il y a eu beaucoup d’aide sociale accordée à des entreprises parasites. Je ne parle pas de l’aide accordée à un gymnase ou à un petit resto local pour lui permettre de survivre le confinement imposé par le gouvernement. Je parle de certaines autres choses plus importantes qui sont survenues, comme Air Canada.

Nous nous inquiétons aussi, par exemple, du fait que les partis politiques se prévalent d’une subvention salariale qui ne leur était pas destinée. Bien sûr, le Bloc québécois ne l’a pas fait, et nous lui avons rendu hommage pour cela.

Nous nous inquiétons vraiment de voir les nouvelles dépenses de 200 milliards de dollars annoncées pendant la pandémie. Ces dépenses n’avaient rien à voir avec la COVID-19, d’autant plus qu’elles s’ajoutent au budget présenté avant la pandémie, alors que le gouvernement dépensait déjà des sommes record. C’est ce qui nous préoccupe beaucoup.

Nous sommes très préoccupés par les nouveaux fonds qui ont été créés pendant la pandémie et qui font hausser les prix. Cela rend la vie très difficile pour les gens qui avaient déjà de la difficulté à joindre les deux bouts avant l’inflation. J’espère avoir bien répondu à votre question.

Le sénateur Gignac : Je pense que la réduction des impôts n’est pas toujours la meilleure solution. Cela dépend de la situation. La plupart du temps, je conviens — et nous sommes d’accord avec une grande partie de votre travail — que le gouvernement devrait dépenser plus prudemment. Je suis tout à fait d’accord là-dessus. Je me reporte à l’expérience récente du Royaume-Uni, où le premier ministre et le ministre des Finances ont dû démissionner parce que la devise était en forte baisse. Les caisses de retraite avaient subi d’énormes pertes sur leurs obligations et sur leurs actions parce que le gouvernement, dans un esprit très dogmatique, croyait qu’il résoudrait la situation en réduisant les impôts des entreprises et des particuliers. Il semble que les gens aient compris ces choses d’une façon différente.

Ma deuxième question est la suivante. Dans votre site Web, on peut lire que votre fédération a pour mission de cerner les dépenses excessives et qu’elle exige plus de transparence. Toutefois, je n’ai pas trouvé dans votre site Web de rapport sur votre rémunération. On n’y mentionne même pas si les membres de votre conseil d’administration sont rémunérés ou non. Vous avez reçu 5 millions de dollars des contribuables l’année dernière, alors puisque vous assumez parfois le rôle de copilotes en expliquant au gouvernement comment gérer l’argent, je voudrais que vous nous expliquiez, pour que les gens, les contribuables, en aient une bonne idée, avec quelle efficacité vous gérez l’argent de votre fédération. Nous voudrions savoir si vous avez gelé votre rémunération pendant la pandémie, puisque vous recommandez de réduire les salaires. Je m’interroge sur votre transparence. Je ne sais pas si la fédération vous donne accès à ces renseignements, mais j’aimerais bien avoir cette information.

M. Terrazzano : Oui, je peux répondre, mais je dois aussi apporter une correction, avec tout le respect que je vous dois, sénateur. Nous ne recevons pas un sou du gouvernement, pas un sou des contribuables. Nous n’avons jamais reçu de cet argent et nous n’en recevrons jamais. Je tenais à préciser cela.

Au début de la pandémie, j’ai subi une réduction de salaire assez importante, mais je fais partie des chanceux, surtout dans le secteur privé, parce que beaucoup de gens ont subi d’énormes réductions de salaire, et certains ont même perdu leur emploi. J’ai moi-même des amis propriétaires de petites entreprises qui craignaient de ne pas réussir à sauver leur entreprise, même en y injectant leurs économies. Ils se sont sentis terriblement insultés lorsqu’ils ont appris que les gens qui devaient les représenter recevaient augmentation de salaire sur augmentation de salaire.

Pour ce qui est de savoir qui nous finance — je vous remercie d’avoir posé cette question —, vous le trouverez dans notre site Web. En 2020-2021, nous avons amassé 4,8 millions de dollars grâce aux 39 792 dons que nous avons reçus. Ces dons s’élevaient en moyenne à 120 $. Nous avons 30...

Le sénateur Gignac : Désolé de vous interrompre. J’ai lu cela. J’ai accès à tout cela. Je voudrais plus de renseignements sur la façon dont vous avez dépensé ces 5 millions de dollars reçus l’an dernier. Quel montant avez-vous affecté à la rémunération? Les membres de votre conseil d’administration sont-ils rémunérés ou non? J’appuie un bon nombre de vos activités, soit dit en passant, parce qu’il faut que les contribuables canadiens sachent comment l’argent est dépensé. Je reconnais que vous n’acceptez pas d’argent du gouvernement, et je vous en remercie, mais certains organismes, par souci de transparence, publient un rapport annuel sur leurs dépenses et divulguent la rémunération de leurs cadres et des membres de leur conseil d’administration.

Êtes-vous prêts à faire de même?

M. Terrazzano : Eh bien, nous avons...

Le président : Par souci de clarté, je vous prie de ne pas prolonger votre réponse. Vous faites bien les choses. Veuillez répondre à la question, s’il vous plaît.

M. Terrazzano : Dans notre rapport annuel, nous présentons également les échelles salariales. Mon patron sait exactement combien je gagne. Nous pouvons continuer à nous livrer à une lutte acharnée au sujet de ce que fait notre fédération, mais nous sommes ici pour représenter 235 000 contribuables canadiens qui sont extrêmement préoccupés par le fait que le gouvernement — qui a présenté le plus gros budget de dépenses de l’histoire — dépense maintenant 20 milliards de dollars de plus.

Le sénateur Gignac : Puisque vous recommandez aux députés et aux sénateurs de réduire leur salaire, je pense que si vous nous donnez une idée de ce que vous gagnez, les contribuables seront en mesure de juger si les sénateurs — vous comprenez, c’est juste une question de transparence. Je vais m’arrêter ici. Si ces renseignements ne sont pas disponibles, très bien. Arrêtons-nous ici.

M. Terrazzano : Comme je l’ai dit, nous avons les fourchettes dans notre rapport annuel. Je peux aller dans Google et vous les trouver.

Le sénateur Gignac : Pourquoi ne pas les afficher dans votre site Web? Ce serait une bonne idée, puisque je n’ai pas pu les trouver. Merci.

M. Terrazzano : Excusez-moi, mais même le gouvernement ne les affiche pas. Le gouvernement fédéral, contrairement à la grande majorité des provinces, n’a même pas de liste des traitements dans le secteur public, alors nous ne voyons même pas cela de la part de notre propre gouvernement. Les contribuables paient les factures, et nous n’avons même pas la liste des traitements dans le secteur public fédéral.

Le président : Monsieur Terrazzano, s’il y a d’autres renseignements... s’il vous plaît, sénateur Loffreda, vous êtes sur la liste des questions.

Monsieur Terrazzano, en ce qui concerne les questions posées par le sénateur, si vous voulez fournir plus de précisions, je vous invite à les envoyer par écrit à la greffière, car nous partageons le même dénominateur commun. C’est une question de transparence, de reddition de comptes, de prévisibilité et de fiabilité. Ce comité respecte ces choses, et votre objectif est là — nous avons ce dénominateur commun, et je crois que, oui, vous avez le droit de faire des commentaires et des recommandations aux gouvernements. Nous avons le droit de poser des questions pour obtenir des précisions et des preuves de diligence raisonnable, et c’est ce que nous faisons ce soir. Je vous remercie d’être venu.

Le sénateur Smith : J’ai une question pour l’Association du Barreau canadien.

Dans votre mémoire, vous indiquez qu’il existe déjà de nombreuses réglementations internes et directives professionnelles encadrant le travail des avocats dans le cas des comptes en fiducie de leurs clients. Toutefois, et la sénatrice Galvez et d’autres ont soulevé la question, je pense que le problème tient à ce que, en fin de compte, on ne sait pas si les avocats refusent effectivement de représenter des acteurs illégaux. Loin de moi l’idée de m’en prendre à l’association. C’est un fait : on ne peut pas juger de ce qu’on ne connaît pas, et ce changement ferait la lumière sur cette question. Il pourrait permettre d’exposer des acteurs criminels.

Seriez-vous d’accord pour dire que ce degré de surveillance additionnelle pourrait contribuer à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales?

Me Bowman : Je vous remercie de cette question, sénateur. Je comprends très bien votre point de vue. Dans le régime fiscal actuel, les gens honnêtes remplissent leurs déclarations chaque année, leur signature atteste que les renseignements sont exacts et que la déclaration est dûment remplie, ce que les délinquants ne font pas.

Au sein de la profession juridique, des dizaines de milliers de personnes ont l’obligation de produire leurs déclarations de revenus. Ils ont des obligations vis-à-vis du barreau et, comme les autres contribuables, ils sont soumis à des contrôles de l’Agence du revenu du Canada.

Nous recommandons de rendre le signalement obligatoire pour l’ensemble de la profession — sous réserve des questions de secret professionnel — et nous savons que la grande majorité des avocats le feraient au meilleur de leurs connaissances et dans les délais prévus, comme ils le font pour leurs impôts personnels.

La difficulté dans ce cas réside dans le fait que cela impose un fardeau à l’ensemble de la profession, tandis qu’il s’agit de mettre la main sur une poignée de fautifs, des contrevenants qui, vraisemblablement, ne respectent pas leurs obligations professionnelles et, de ce fait, ne devraient pas disposer de la protection offerte par la profession.

La question est donc de trouver l’équilibre.

L’incidence sur la relation potentielle de tous les avocats avec un grand nombre de leurs clients représente un coût que devra assumer toute l’administration de la justice, cela pour essayer de coincer ceux qui se refusent à agir comme il faut, ceux qui évoqueront faussement le secret professionnel ou qui trouveront des stratagèmes pour y échapper. Essayer de mettre la main sur les délinquants de cette façon perturberait la profession et les relations avec les clients, et n’inciterait probablement pas ces mêmes délinquants à agir correctement.

Le sénateur Smith : Prenons le secteur de l’immobilier, en Colombie-Britannique par exemple, où les marchés ont surchauffé pendant la pandémie. Le rapport de 2019 du gouvernement de la Colombie-Britannique nous apprend que quelque 5,3 milliards de dollars ont été blanchis sur le marché immobilier de la province au cours de l’année précédente. Pourrait-on faire en sorte que tout le monde au sein de la profession fasse corps avec les Canadiens en vue de réduire — ne serait-ce que cela — l’ampleur du phénomène? Je ne cherche pas à m’en prendre au barreau ou à la profession juridique.

Me Bowman : Non.

Le sénateur Smith : Mais n’y a-t-il pas un moyen de travailler ensemble pour que la situation s’améliore, car il semble que cela perdure depuis un certain temps?

Le président : En 30 secondes.

Me Bowman : L’un des éléments de la proposition est l’autre section de la déclaration qui concerne les fiducies simples détenant des titres de propriété. Pour les propriétés détenues par des structures fiduciaires qui ne sont pas des comptes en fiducie d’avocats, mais de simples fiducies enregistrées sur le titre de propriété, il faudra faire une déclaration. C’est ce qui résultera de cette proposition si elle est adoptée, soit une déclaration détaillée dans le cas des fiducies à l’exception de celles qui concernent la profession juridique.

Le président : Merci, maître Bowman.

La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à M. Franco Terrazzano. Je conviens avec vous que nous devons utiliser chaque dollar des contribuables de façon optimale. Les dépenses et les frais excessifs engagés par les fonctionnaires ne sont certainement pas tolérables et il ne faudrait pas non plus que l’argent du gouvernement soit utilisé pour permettre le versement de primes aux PDG. Je suis tout à fait d’accord.

Vous avez également mentionné que le gouvernement a donné de l’argent aux entreprises sidérurgiques, à Loblaws, aux sociétés automobiles, et vous avez affirmé à la sénatrice Marshall que le fonds de croissance n’est pas nécessairement le meilleur moyen de stimuler ou de promouvoir la croissance économique.

Ma question est la suivante : ces exemples sont erronés, il ne s’agit pas de gros montants. Les gros montants concernent les subventions accordées à l’industrie pétrolière et à l’industrie gazière, où l’on parle de montants se situant entre 8 et 12 milliards de dollars par année. Êtes-vous d’accord pour dire que si nous souhaitons agir de manière optimale avec l’argent des contribuables, nous devrions aussi envisager de réduire les subventions accordées aux secteurs pétrolier et gazier?

M. Terrazzano : Sénatrice, permettez-moi de vous dire que nous ne voulons certainement pas voir des entreprises parasites tirer profit de la situation. Nous disons simplement qu’il faut réduire les impôts et les formalités administratives. Nous ne voulons pas de subventions pour quelque industrie que ce soit, mais j’imagine que la question est de savoir ce qu’est une subvention.

Nous nous intéressons aux crédits d’impôt qui correspondent à un certain créneau, soit des crédits d’impôt ultraciblés. Nous considérons les prêts, les garanties de prêts, les subventions comme étant des aides directes. Le cas échéant, nous demandons qu’elles soient éliminées. Cela se trouve à la première page du tableau sur les entreprises parasites.

Vous avez parlé de petits montants, mais je ne crois pas avoir parlé de petits montants. Dans notre rapport — que je serai heureux de vous faire parvenir si vous le souhaitez —, nous avons recensé quelque 38,4 milliards de dollars qui ont été accordés en aide à des entreprises parasites depuis 2017. Dans le cadre de cet exercice, nous avons pu déterminer — je l’ai quelque part ici — qu’environ 1,6 milliard de dollars ont été accordés en subventions au secteur de l’énergie de l’Alberta en 2018. La question n’est pas de savoir si certaines compagnies paient moins d’impôt que ce que le gouvernement demande. On parle ici de subventions spécifiques, comme des crédits d’impôt ultraciblés, des prêts, des garanties de prêts ou des subventions directes.

Je tiens à souligner que nous avons également identifié — et il s’agit de coûts de fonctionnement annuels — 3,1 milliards de dollars en crédits d’impôt fédéraux annuels pour les entreprises en 2023. Ce chiffre est tiré du rapport de 2022 du gouvernement sur les dépenses fiscales fédérales.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le président : Merci.

Le sénateur Boehm : Merci beaucoup, monsieur le président. Monsieur Terrazzano, vous avez fait allusion à maintes reprises à votre mémoire, mais nous ne l’avons pas reçu. Je crois qu’il a été envoyé à l’autre endroit, que l’on nomme la Chambre des communes. Nous avons bien hâte de l’obtenir, et je m’attends à ce que le président vous pose la même question.

Nous avons entendu le directeur parlementaire du budget le mentionner hier. S’agissant de comptes publics, il y a obligation de produire des rapports. C’est une exigence du FMI, et nous avons accusé de nombreux retards à cet égard. Les comptes publics de cette année n’ont été déposés que le 27 octobre, soit sept mois après la fin du dernier exercice, le 31 mars. Le FMI, bien sûr, a des directives assez strictes en matière de rapports financiers. La pandémie et d’autres facteurs ont eu des répercussions.

Je vais vous poser une question très précise : quelles mesures concrètes la Fédération canadienne des contribuables recommanderait-elle au gouvernement d’adopter afin d’améliorer la transparence financière et l’efficacité dans la transmission des rapports?

M. Terrazzano : Une date fixe pour la transmission des rapports publics serait probablement un début. Je me souviens que c’était encore plus tard l’an dernier.

Le sénateur Boehm : J’ajouterais que c’est un problème qui s’est posé sous bien des gouvernements. Merci, monsieur le président.

La sénatrice Duncan : Ma question a déjà été posée. Merci, monsieur le président.

La sénatrice Bovey : Je tiens simplement à dire que j’apprécie vos commentaires au sujet des augmentations de salaire que les députés et les sénateurs ont reçues pendant la pandémie de COVID-19. Comme l’a dit mon collègue, le sénateur Boehm, elles sont prévues par la loi. Si vous me permettez de faire une mise en garde, je suis parfaitement consciente que bon nombre de mes collègues ont décidé de verser ces augmentations à des organismes de bienfaisance, alors je pense qu’il faut faire la différence entre le salaire et le revenu net, car je sais qu’un très grand nombre de parlementaires ont fait don de cet argent. Je voulais seulement apporter cette précision.

M. Terrazzano : Dois-je répondre?

La sénatrice Bovey : Ce n’est pas une question, mais vous pouvez tenter une réponse.

M. Terrazzano : Je comprends que c’est prévu par la loi. Nous ne croyons pas pour autant que cela soit équitable envers les contribuables, mais nous reconnaissons que les gens ont donné de l’argent à des organismes de bienfaisance pendant la pandémie. Nous croyons que les dons de charité sont une bonne chose, mais ils demeurent subventionnés, lorsqu’ils proviennent d’une hausse de salaire payée par les contribuables. Ce que nous réclamons, c’est quelque chose de semblable à ce qui s’est fait en réponse à la récession de 2008-2009, où, à tout le moins, des gels des salaires ont été légiférés.

Le président : Merci. Pour la dernière question, nous allons passer au sénateur Loffreda, qui est le parrain du projet de loi C-32.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur le président. Vous me pardonnerez, mais parfois je me laisse emporter par la passion de notre travail. J’irai voir M. Terrazzano après la réunion pour obtenir des précisions ou des réponses sur certains points.

J’ai une question importante à poser au sujet du projet de loi C-32 et de nouveau à l’Association du Barreau canadien. Le sénateur Gignac a parlé d’un cas précis et il a demandé si l’on en avait discuté avec le gouvernement. Nous avons reçu la lettre que vous avez adressée à notre président. Vous apportez certaines précisions à la page 3 :

Une exception pour tous les comptes en fiducie des avocats ne nuirait pas à la capacité de l’ARC d’appliquer la LIR, et une telle exception est appropriée compte tenu de l’importance constitutionnelle de la protection du secret professionnel.

Dans quelle mesure en avez-vous discuté avec les représentants du gouvernement? Vous n’avez peut-être pas eu assez de temps pour le faire. En avez-vous discuté avec l’Agence du revenu du Canada pour savoir quelles options s’offraient à vous, avant de présenter une telle recommandation?

Je suis conscient que la note explicative contenue dans l’énoncé concernant la Charte n’a été publiée qu’hier et je ne m’attends pas à ce que vous l’ayez avec vous. J’apprécierais toutefois que vous la lisiez, si possible, et que vous nous fassiez part de votre opinion à ce sujet. J’aime à dire qu’écouter à 80 %, c’est savoir écouter, et j’essaie de m’en tenir à cela. Examinez l’avis et revenez nous dire ce que vous pensez des commentaires du ministre de la Justice, et pourquoi il a exprimé un désaccord. C’est très important, parce que je respecte votre opinion, et c’est pour cette raison que je pose la question.

Dans quelle mesure avez-vous fait cela et pourquoi pensez-vous que cela se fait encore? Pourquoi est-ce nécessaire? J’ai expliqué pourquoi j’estimais que c’était nécessaire au début de la première série de questions. J’aimerais qu’on m’explique pourquoi ce ne le serait pas et pourquoi les Canadiens ne doivent pas s’encombrer de ces préoccupations, spécialement dans cet environnement géopolitique. Je peux vous dire que je reçois chaque jour de nombreux courriels qui nous reprochent de ne pas en faire assez.

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup, sénateur Loffreda. Je vous remercie de nous avoir proposé de vous transmettre nos commentaires par écrit sur le document auquel vous faites référence. Ce sera fait dans un délai dont nous conviendrons avec le président de votre comité.

Depuis 2018, nous avons fait tout ce qu’il est possible de faire comme association, comme je l’ai dit, au moyen d’une lettre que nous avons envoyée. Je ne l’ai pas mentionné, mais c’était une lettre conjointe avec des comptables de l’association correspondante des comptables. Récemment, nous avons fait des démarches conjointes avec la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et nous sommes en discussion avec le ministère des Finances. Nous avons également eu des échanges avec le ministère de la Justice.

Évidemment, le gouvernement a ses priorités. Plusieurs projets de loi avancent en parallèle. Nous sommes ravis d’être ici aujourd’hui pour en parler avec vous et nous espérons que les choses vont débloquer du côté de la Chambre des communes, pour qu’on puisse avoir la même discussion et faire des démarches semblables.

Au risque de me répéter, cela nous semble une question juridique très claire, qui ne souffre pas d’exception, et ces dispositions ont déjà été invalidées à l’unanimité par la Cour suprême. Elles vont malheureusement l’être de nouveau, à cause de la façon dont le texte de loi est actuellement rédigé. C’est pour cette raison que nous faisons cette intervention devant vous aujourd’hui.

Nous allons vous fournir le document auquel vous avez fait référence et nous serons heureux de poursuivre la discussion, au besoin, pour trouver des solutions.

Le sénateur Loffreda : Merci.

[Traduction]

Le président : Voilà qui nous amène au terme de notre réunion, chers collègues et témoins. Je dirai aux témoins que leurs témoignages, commentaires et réponses nous aideront certainement à nous rappeler les quatre principes qui guident la pratique de notre comité, soit la transparence, la reddition de comptes, la fiabilité et la prévisibilité. Si vous voulez ajouter quelque chose aux questions qui ont été posées, vous pourrez le faire par écrit, mais seulement si vous souhaitez ajouter quelque chose à une de vos réponses.

Je vais maintenant m’adresser à M. Terrazzano. Veuillez nous soumettre votre rapport de 80 pages. Il n’a pas été porté à notre attention et n’a pas été remis aux membres du Comité sénatorial des finances. On m’informe que vous l’avez soumis à la Chambre. Nous vous saurions gré de nous le faire parvenir le plus tôt possible. Le délai pour la réception des réponses écrites est la fin de la journée du mardi 29 novembre 2022.

Merci beaucoup aux témoins d’avoir accepté notre invitation. Il ne fait aucun doute que, dans l’examen du projet de loi C-32, nous devons faire preuve de diligence et garder à l’esprit que les Canadiens veulent des réponses. Nous sommes une courroie de transmission et le rapport que produira le Sénat du Canada devra faire état des observations des sénateurs dans le cadre de ce débat sur le projet de loi C-32.

Cela étant dit, honorables sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu mardi prochain à 8 h 30. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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