LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 6 décembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 15 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour discuter de la teneur du projet de loi C-32, Loi portant exécution de certaines dispositions de l'énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 3 novembre 2022 et certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’aux téléspectateurs et aux Canadiens de partout au pays qui nous regardent sur sencanada.ca.
[Français]
Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant faire un tour de table et demander à mes collègues de se présenter.
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, division sénatoriale Kennebec, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, sénatrice du Québec.
La sénatrice Pate : La sénatrice Kim Pate, d’ici, sur les rives du Kitchissippi, le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.
[Français]
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Tony Loffreda, du Québec.
La sénatrice Duncan : Pat Duncan, du Yukon
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le président : Nous poursuivons notre étude de l’objet du projet de loi C-32, Loi portant exécution de certaines dispositions de l'énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 3 novembre 2022 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022, qui a été renvoyé au comité le 17 novembre 2022, par le Sénat du Canada.
Nous accueillons, honorables sénatrices et sénateurs, de nombreux organismes pour nous aider dans l’étude du projet de loi C-32. De Canadiens pour une fiscalité équitable, Katrina Miller, directrice générale. De Generation Squeeze, Paul Kershaw, fondateur.
Nous accueillons également par vidéoconférence Rita Rahmati, spécialiste en relations gouvernementales, et Kevin Lawlor, analyste principal des politiques, du Syndicat des métiers de la construction du Canada.
Je vous remercie tous d’avoir accepté notre invitation à témoigner sur le projet de loi C-32. Nous allons maintenant entendre les déclarations préliminaires dans l’ordre suivant. Katrina Miller, suivie de Paul Kershaw. Nous allons conclure avec Rita Rahmati.
Madame Miller, vous avez la parole.
Katrina Miller, directrice générale, Canadiens pour une fiscalité équitable : Merci. Je remercie les membres du comité de me donner l’occasion de m’adresser à eux aujourd’hui. J’aimerais parler de deux éléments du projet de loi C-32, soit le Dividende pour la relance du Canada et la surtaxe de 1,5 % qui l’accompagne pour les banques et les compagnies d’assurance, et l’élimination progressive des actions accréditives pour les activités pétrolières, gazières et houillères. Ces mesures tiennent franchement compte de l’ère dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, c’est-à-dire de l’augmentation des marges bénéficiaires des sociétés, des taux d’imposition des sociétés historiquement bas et des problèmes d’abordabilité auxquels font face un plus grand nombre de Canadiens. Un objectif central du régime fiscal canadien, comme vous le savez, est de redistribuer la richesse que nous gagnons en tant que société pour nous assurer que tout le monde en profite. Malheureusement, nous ne faisons pas un excellent travail en ce qui concerne la fiscalité des sociétés au Canada.
Le printemps dernier, nous avons signalé que les marges bénéficiaires des sociétés ont presque doublé pendant la pandémie, passant d’un niveau d’environ 9 % avant la pandémie à 16 % en 2021. Dans le secteur des finances et de l’assurance, la marge bénéficiaire moyenne est passée à 22 % en 2021. En même temps, nos taux d’imposition des sociétés n’ont jamais été aussi bas. Notre taux fédéral et provincial combiné moyen n’est que de 26,5 %. Mais ce n’est pas l’un des principaux problèmes. L’un des principaux problèmes est l’écart fiscal. L’écart fiscal est le montant des recettes fiscales que nous perdons entre le taux d’imposition prévu par la loi — le taux figurant au livre — et le taux d’imposition réel payé par les sociétés, mesuré par les bénéfices avant impôt.
Lorsque nous avons publié un rapport en octobre, nous avons été stupéfaits de constater que l’écart fiscal pour 2021 s’était creusé jusqu’à une perte de 30 milliards de dollars pour les gouvernements canadiens en une seule année. C’est plus du double de la perte que nous subissions avant la pandémie. De toute évidence, la hausse de la marge bénéficiaire des sociétés par rapport à nos taux d’imposition des sociétés qui n’ont jamais été aussi bas a grugé les recettes dont nous disposons pour investir au Canada à l’heure actuelle. C’est un problème important.
Un autre problème important est le niveau d’évitement fiscal dans notre pays, et il s’agit souvent d’évitement très légal en raison des diverses échappatoires et déductions qui ont été inscrites dans notre code fiscal au cours des dernières décennies. Les actions accréditives des sociétés pétrolières, gazières et houillères sont l’une des échappatoires fiscales que nous sommes heureux de voir éliminer. C’est malheureusement l’une des nombreuses mesures que le Canada doit prendre pour éliminer d’autres échappatoires fiscales, surtout pour les sociétés pétrolières et gazières, mais, franchement, pour tout le monde. Un exemple d’échappatoire fiscale qu’il faut éliminer est celle relative aux gains en capital. Il s’agit d’une échappatoire de l’impôt sur le revenu des particuliers et l’impôt des sociétés qui coûte environ 20 milliards de dollars par année au Canada.
J’aimerais revenir un instant au Dividende pour la relance du Canada et expliquer pourquoi il est axé uniquement sur les finances et les banques, et comment il pourrait être étendu à d’autres secteurs de l’économie, en particulier à notre secteur pétrolier et gazier. Le pétrole et le gaz sont extrêmement rentables au Canada depuis quelques années. Au cours de la dernière année seulement, les 10 plus grandes sociétés pétrolières et gazières ont réalisé des profits de plus de 66 milliards de dollars. Ce n’est pas un problème propre au Canada. À l’échelle mondiale, nous voyons ce problème comme une crise, et c’est pourquoi plus d’une demi-douzaine de pays imposent une taxe — une taxe très semblable à notre Dividende pour la relance du Canada — aux géants du pétrole et du gaz. Nous croyons que le Canada devrait emboîter le pas et étendre le Dividende pour la relance du Canada aux sociétés pétrolières et gazières, puis envisager de l’étendre à d’autres secteurs de l’économie.
En fin de compte, le taux d’imposition des sociétés au Canada n’a jamais été aussi bas. Nous devons améliorer la fiscalité des sociétés en augmentant les taux d’imposition des sociétés, en éliminant les échappatoires fiscales et en améliorant le niveau de transparence et de reddition de comptes des sociétés. Le projet de loi C-32 prévoit de très petites mesures à cet égard. Nous devons prendre des mesures beaucoup plus vigoureuses si nous voulons récupérer une partie des revenus qui peuvent nous aider à bâtir une société durable.
Merci beaucoup.
Le président : Merci, madame.
M. Kershaw sera le prochain intervenant, suivi de M. Bourque. Monsieur Kershaw, vous avez la parole.
Paul Kershaw, fondateur, Generation Squeeze : Merci beaucoup. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant le comité.
Au nom de Generation Squeeze, un groupe de réflexion et de changement qui fait la promotion de l’équité pour toutes les générations, j’aimerais commencer par vous faire quelques éloges de ce qui est inclus et exclu dans l'énoncé économique de l’automne.
Pour ce qui est de ce qui est inclus, nous aimerions applaudir l’engagement continu et historique de diriger le financement pour la mise en œuvre d’améliorations des services de garde d’enfants dans tout le pays. Nous sommes particulièrement ravis que le gouvernement du Canada ait adopté un montant de 10 $ par jour pour son investissement public historique, car c’est une marque que le laboratoire Generation Squeeze a créée pour notre recommandation nationale sur la garde d’enfants il y a plus d’une décennie. En cette période d’inflation galopante, la transition vers des services de garde à 10 $ par jour est une rare bonne nouvelle financière pour les nouveaux et futurs parents canadiens.
Pour ce qui est de ce qui est exclu, nous aimerions féliciter le gouvernement du Canada d’avoir résisté à l’appel de l’opposition officielle de se retirer de la tarification de la pollution. Oui, les Canadiens sont confrontés à un certain nombre de problèmes liés au coût de la vie en raison de l’inflation, mais nous ne pouvons tout simplement pas régler nos problèmes de portefeuille en négligeant nos problèmes climatiques.
En plus de ces éloges, nous aimerions souligner une occasion manquée dans l'énoncé économique de l’automne, car il ne tient pas compte d’un changement de politique clé, presque sans frais, que nous croyons essentielle pour lutter contre l’inflation au pays. Plus précisément, l'énoncé économique de l’automne ne reconnaît pas que Statistique Canada, ou StatCan, sous-estime l’inflation du marché de l’habitation depuis des décennies, et a ainsi nui aux jeunes Canadiens en ne sonnant pas l’alarme de l’inflation il y a de nombreuses années. Je pense que bon nombre d’entre vous savent que Statistique Canada oriente notre dialogue national sur l’inflation parce que c’est lui qui calcule l’indice des prix à la consommation, ou IPC, dont la Banque du Canada tient compte lorsqu’elle évalue son succès à contenir l’inflation. Beaucoup d’entre vous seront peut-être surpris d’apprendre que l’IPC ne tient pas vraiment compte de l’importance du prix des logements pour les jeunes Canadiens et les nouveaux arrivants de tous âges qui veulent acheter une maison. C’est parce que le calcul de l’IPC n’englobe pas l’importance de la mise de fonds dont les acheteurs d’une première maison ont besoin pour épargner, ni du montant total que les acheteurs doivent emprunter à la banque.
Ces lacunes, ainsi que plusieurs autres relevées par le Business Council of British Columbia, donnent lieu à un décalage très troublant entre les données et la réalité. Depuis 2000, le prix moyen des maisons au Canada a augmenté de 318 %, ce qui est énorme, selon les données de l’Association canadienne de l’immeuble. En revanche, Statistique Canada a signalé que l’inflation totale au cours de la même période a augmenté de 48 %. Par conséquent, pour bon nombre de ces années, l’IPC indiquait que l’inflation annuelle était généralement inférieure au seuil de 2 % fixé par la Banque du Canada pour les hausses de taux d’intérêt, ce qui a découragé la banque centrale de relever les taux d’intérêt, du moins jusqu’à ce que la pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie contribuent à la montée en flèche des prix de l’énergie et des aliments au cours de la dernière année.
Mais l’écart entre le prix moyen des maisons et l’IPC est préoccupant pour quiconque a de la difficulté à se payer un logement, et il devrait inquiéter le gouvernement du Canada parce que la sous-estimation de l’inflation du marché de l’habitation par Statistique Canada qui dure depuis des décennies a trahi les jeunes Canadiens en encourageant la Banque du Canada à maintenir les taux d’intérêt à des creux historiques. C’est un problème parce que les faibles taux d’intérêt font baisser le coût d’un emprunt hypothécaire plus important et que les acheteurs qui sont en mesure d’emprunter davantage font augmenter le prix des maisons.
Statistique Canada ne saisit pas adéquatement la hausse des prix dans nos données sur l’inflation, et la boucle de rétroaction négative ainsi créée alimente les prix des maisons, de plus en plus élevés, bien au-delà de ce que le dur labeur peut rapporter et qui dévalorise l’argent pour les jeunes, les nouveaux arrivants et les locataires.
Je sais que vous constaterez qu’il y a des acheteurs d’une première maison qui veulent absolument que les frais d’intérêt soient les plus bas possible afin de contracter un emprunt hypothécaire d’une ampleur effarante pour qu’ils puissent combler l’écart énorme entre le prix des maisons et les revenus locaux. Mais leur désir de cette stratégie individuelle d’adaptation dans notre système de logement dysfonctionnel renforce les tendances qui nuisent aux acheteurs d’une première maison parce qu’ils ne sont pas les seuls à emprunter. Les propriétaires actuels qui ont plus de capital que les acheteurs d’une première maison utilisent régulièrement des taux d’intérêt peu élevés pour faire une offre meilleure que celle de leurs rivaux novices. C’est pourquoi les données de Statistique Canada révèlent que les maisons nouvellement construites sont de plus en plus achetées par des investisseurs et ensuite louées à des jeunes. C’est pourquoi un propriétaire canadien sur six possède maintenant plusieurs propriétés.
En bref, la façon dont Statistique Canada mesure l’inflation du logement accorde la priorité à l’expérience des propriétaires actuels et elle sous-estime les défis auxquels font face ceux qui espèrent acheter pour la première fois. Ce problème contribue directement à l’injustice intergénérationnelle dont la ministre des Finances Freeland a parlé plus tôt cette année au Canada.
Tout comme les bons panneaux routiers contribuent à assurer notre sécurité en rendant la circulation plus claire et plus prévisible, les bons signaux économiques aident à orienter nos systèmes financiers vers la stabilité, la prospérité et l’équité. Malheureusement, les signaux d’inflation envoyés par Statistique Canada dans le secteur de l’habitation nous ont donné le feu vert pour accélérer de façon imprudente dans toutes les intersections, ce qui nous met, nous et les autres, en danger. Si nous avions reçu les bons signaux il y a des années, nous aurions pu reconnaître plus tôt les dangers de l’inflation du logement, épargnant ainsi aux jeunes générations le défi de faire face à des niveaux d’inabordabilité écrasants.
Il n’y a pas de solution miracle pour rétablir l’abordabilité du logement ou réduire l’inégalité de la richesse en matière de logement, mais il existe une solution sous forme d’un tir groupé. L’augmentation de l’offre de logements, la refonte des politiques fiscales et la protection des locataires sont tous des éléments importants, tout comme le fait de veiller à ce que des renseignements exacts sur l’inflation orientent notre politique monétaire, car cette politique est essentielle pour stimuler ou ralentir le prix des maisons.
Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Kershaw.
M. Michael Bourque sera le prochain intervenant, suivi de Mme Rahmati. Monsieur Bourque, vous avez la parole.
Michael Bourque, directeur général, Association canadienne de l’immeuble : Merci, monsieur le président et membres du comité, de nous donner l’occasion de vous faire part de nos réflexions au sujet des mesures du projet de loi C-32 qui ont une incidence sur le logement.
L’Association canadienne de l’immeuble représente plus de 150 000 membres d’un bout à l’autre du pays qui sont actifs dans leur collectivité, en tant que gens d’affaires et à titre de personnes qui se soucient des besoins des Canadiens en matière de logement. Les courtiers en immeubles appuient l’accès au logement, qu’il s’agisse de refuges d’urgence, de logements subventionnés, de logements locatifs ou d’accession à la propriété. Depuis plusieurs années, les courtiers en immeubles militent en faveur d’une augmentation spectaculaire de l’offre de logements dans tout le continuum. Nous savons qu’il y a une importante pénurie de logements aujourd’hui. La Société canadienne d’hypothèques et de logement, la SCHL, a déclaré que 3,5 millions de logements doivent être construits d’ici 2030. L’insuffisance de l’offre de logements est un problème qui dure depuis des décennies.
Les causes ont été étudiées à fond, et je conviens avec M. Kershaw qu’il n’y a pas de solution simple. Nous avons maintenant besoin d’une approche globale à l’échelle de la société pour apporter des changements qui permettront de régler les problèmes d’offre et d’accroître la réactivité de l’offre à la demande de logements.
Le projet de loi C-32 renferme de bonnes idées, et nous sommes heureux de voir que le gouvernement va de l’avant avec toute la gamme d’initiatives visant à appuyer l’accession à la propriété. En particulier, nous nous réjouissons de l’introduction du compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, du crédit d’impôt pour la rénovation d’habitations multigénérationnelles et des changements apportés au crédit d’impôt pour l’achat d’une première habitation. Les prix élevés des logements, conjugués à la hausse des taux d’intérêt, ont frappé le plus durement les Canadiens et les nouveaux arrivants. Ces initiatives incitent les Canadiens à épargner pour le coût d’une mise de fonds pour leur maison sans s’endetter davantage. Nous croyons également que la limite de retrait du régime d’accession à la propriété devrait correspondre à la limite du compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété.
Dans le projet de loi C-32, le gouvernement reconnaît les besoins des ménages multigénérationnels au Canada. L’instauration d’un crédit d’impôt pour la rénovation d’habitations multigénérationnelles aidera à compenser les coûts, à créer de l’espace supplémentaire pour les proches et à libérer l’autre partie de l’habitation pour la location ou la vente.
Permettez-moi maintenant de parler de la règle sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels. En termes simples, l’exemption d’impôt pour la vente de votre résidence principale n’a jamais été conçue pour être utilisée à des fins spéculatives. Oui, nous voulons que les gens rénovent des maisons, créent des appartements dans des sous-sols et transforment un duplex en triplex, mais si vous êtes un entrepreneur qui se spécialise dans ce genre d’activités, vous devriez payer un impôt sur les gains en capital.
Notre organisation a vigoureusement appuyé le maintien de l’exonération des gains en capital pour les résidences principales afin que les Canadiens qui accumulent passivement de la richesse en vivant dans leur maison ne soient pas indûment pénalisés par une lourde facture d’impôt lorsqu’ils choisissent ou sont forcés de la vendre.
En ce qui concerne la taxe sur les logements sous-utilisés, elle a déjà été instaurée dans certaines administrations où la taxe peut servir d’incitatif pour les propriétaires à mettre des logements vides à la disposition du marché. Mais nous aurions dû introduire cette taxe et la laisser agir pendant un certain temps pour confirmer si elle réglait ou non le problème. Au lieu de cela, nous interdisons aussi aux acheteurs étrangers d’acquérir une propriété. Ces deux lois sont inextricablement liées, et je dois commenter la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens.
Cette loi xénophobe nuit à l’image de marque du Canada en tant que nation multiculturelle qui accueille des gens de partout dans le monde. Nous connaissons les avantages de l’accession à la propriété, et bon nombre des immigrants qui viennent ici partagent le rêve de posséder une maison et de bâtir une collectivité. Nous devrions faire en sorte qu’il soit plus facile de le faire, et non plus difficile. Outre notre réputation de pays ouvert sur le monde, le Canada a besoin d’immigration pour soutenir son marché du travail.
Pour ce qui est de la compétition mondiale pour le talent, nous venons de nous tirer dans le pied. L’interdiction imposée aux acheteurs étrangers rendra les maisons encore moins abordables pour deux raisons. Les promoteurs comptent sur les préventes pour financer la construction. Ils devront donc choisir entre moins d’acheteurs et, par conséquent, construire moins de logements ou payer l’amende de 10 000 $ comme coût d’exploitation. Ces deux choix ajoutent au coût du développement immobilier et, au bout du compte, à l’abordabilité du logement.
Nous n’avons pas le temps d’entrer dans les détails de cette terrible mesure législative, mais j’aimerais dire un mot sur sa mise en œuvre. Nous sommes aujourd’hui le 6 décembre et mes membres n’ont pas encore reçu d’information sur les règles, les exemptions ou les détails des règlements puisqu’ils n’ont pas été rendus publics. Il leur incombera de s’y conformer d’une façon ou d’une autre à compter du 1er janvier ou de payer une amende de 10 000 $. Entretemps, nous nous attendons à ce que les règlements soient rédigés de telle façon que le citoyen moyen ne pourra pas s’y conformer sans les conseils d’experts juridiques.
Il y a une crise du logement au Canada qui découle d’une pénurie de logements dans tout le continuum. Résoudre notre problème de logement devrait être une priorité. Cependant, nous sommes préoccupés par le fait que les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux tentent tous de s’attaquer à la crise du logement de leur propre chef, en vase clos, sans faire beaucoup d’efforts pour en arriver à une approche globale et coordonnée. C’est pourquoi nous avons demandé au gouvernement fédéral de jouer un rôle de chef de file et de tenter de coordonner les différents intervenants. Le gouvernement fédéral le fait dans le domaine de l’agriculture, des transports et dans bien d’autres domaines.
Si le gouvernement fédéral utilisait son pouvoir de convocation pour réunir les autorités provinciales, territoriales et municipales ainsi que les constructeurs, les professionnels de l’immobilier, la société civile, les organisations autochtones et ainsi de suite pour évaluer les besoins, nous aurions une meilleure idée de la nature de la pénurie dans chaque marché et nous pourrions simplifier les approches. Cela pourrait même aider le gouvernement fédéral à déterminer où le financement des infrastructures devrait être utilisé pour inciter les municipalités à stimuler l’offre de logements.
Le projet de loi C-32 renferme de bonnes idées, mais nous avons encore beaucoup de travail à faire. Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Bourque. Pour conclure, madame Rahmati. La parole est à vous.
Rita Rahmati, spécialiste en relations gouvernementales, Syndicats des métiers de la construction du Canada : Bonjour, monsieur le président. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à votre comité au sujet du projet de loi C-32. Je m’appelle Rita Rahmati. Je suis spécialiste en relations gouvernementales aux Syndicats des métiers de la construction du Canada, et je suis accompagnée aujourd’hui de mon collègue, Kevin Lawlor, analyste principal des politiques.
Les Syndicats des métiers de la construction du Canada représentent 14 syndicats internationaux de la construction et plus de 600 000 membres qui travaillent dans 60 métiers spécialisés différents au Canada. Notre mission consiste à représenter tous les gens de métier de l’industrie de la construction, de la fabrication et de l’entretien et à diriger les efforts fédéraux visant à améliorer leurs conditions de travail et leur qualité de vie, ce qui, au bout du compte, favorisera la création d’emplois pour la classe moyenne et la croissance de l’économie canadienne.
Dans le budget du printemps dernier, le budget de 2022, les Syndicats des métiers de la construction du Canada se sont réjouis de voir que le gouvernement inclut une déduction pour la mobilité de la main-d’œuvre pour les gens de métier. C’était un gain important pour les travailleurs. Les gens de métier qualifiés ont toujours dû se déplacer pour obtenir un emploi, et la déduction fiscale allégera le fardeau financier des travailleurs qui doivent se déplacer en accordant aux gens de métier et aux apprentis une reconnaissance fiscale des frais de déplacement admissibles et des frais de réinstallation temporaire. Ce changement de politique est bon pour tous les travailleurs de la construction et, par extension, crée un Canada plus fort.
À l’aube de 2023, le gouvernement doit offrir plus de soutien et prendre plus de mesures pour soutenir les travailleurs canadiens et l’ensemble de l’économie canadienne. Dans l’Énoncé économique de l’automne 2022, les Syndicats des métiers de la construction du Canada se réjouissent du soutien continu du gouvernement du Canada aux travailleurs, y compris les investissements visant à faire croître notre économie et à contrer l’inflation.
Aujourd’hui, nous nous concentrerons sur les crédits d’impôt verts et sur les investissements dans la création d’emplois durables d’Emploi et Développement social Canada. Notamment pour l’industrie et pour l’avenir des emplois durables au Canada, l'énoncé économique de l’automne comprend des crédits d’impôt et des subventions pour les nouvelles technologies au moyen du crédit d’impôt à l’investissement pour les technologies propres et du crédit d’impôt à l’investissement pour l’hydrogène propre.
Dans le cadre de nos efforts de défense des droits, nous avons dit haut et fort que les investissements du gouvernement sous forme de crédits d’impôt doivent être liés à de bons emplois syndiqués, et nous sommes heureux de dire que le gouvernement nous a entendus en établissant un lien entre ces crédits et de bonnes conditions de travail. Les crédits d’impôt pour les technologies propres et pour l’hydrogène propre sont réduits de 10 points de pourcentage si les conditions de travail ne sont pas respectées. Mais il est possible de faire mieux.
Kevin Lawlor, analyste principal des politiques, Syndicats des métiers de la construction du Canada : L’Inflation Reduction Act des États-Unis rattache ses crédits pour les technologies propres à de bons emplois, quand on sait par exemple que le crédit pour la production d’énergie nucléaire, le crédit à l’investissement pour l’électricité propre et le crédit pour la séquestration d’oxyde de carbone sont multipliés par cinq si les exigences en matière de salaires courants et de stages sont respectées. Les États-Unis définissent le salaire courant comme une combinaison du taux horaire de base et des avantages sociaux des travailleurs comme l’assurance-vie, l’assurance-maladie, les régimes de retraite, les indemnités de vacances et les congés de maladie payés.
Cependant, le Canada n’a pas de définition claire du salaire courant, et il est possible de s’assurer que le financement gouvernemental sous forme de crédits d’impôt ou d’une autre façon relève la barre pour tous les travailleurs en définissant mieux le salaire courant et en rattachant ces crédits à un salaire courant élevé. Le salaire courant devrait être défini comme le salaire total déterminé par les conventions collectives interentreprises dans les régions établies.
Afin de s’assurer que les crédits d’impôt canadiens sont concurrentiels et qu’ils favorisent vraiment la création de bons emplois, les crédits de l'énoncé économique de l’automne doivent être plus solides, comme les prestations qui sont multipliées par cinq dans l’Inflation Reduction Act des États-Unis.
Les Syndicats des métiers de la construction du Canada et nos 14 affiliés ont hâte de participer aux prochaines consultations sur ces crédits d’impôt afin de s’assurer qu’ils maximisent les possibilités de créer de bons emplois pour la classe moyenne.
Les Syndicats des métiers de la construction du Canada se réjouissent également de l’engagement de 250 millions de dollars sur cinq ans envers Emploi et Développement social Canada pour aider les travailleurs canadiens à prospérer dans une économie mondiale en évolution. Soutenir les travailleurs pendant la transition vers la carboneutralité est essentiel pour notre avenir commun.
Des engagements comme le nouveau volet des emplois durables dans le cadre du Programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical et la création d’un Centre de formation pour les emplois durables et d’un Secrétariat des emplois durables sont des pas dans la bonne direction. Nous avons hâte d’intégrer la prestation de la formation pour les nouveaux emplois de l’avenir à nos 195 centres de formation partout au pays.
Au-delà de l’Énoncé économique de l’automne 2022, les Syndicats des métiers de la construction du Canada continueront de travailler avec le gouvernement canadien à la création du Secrétariat et à la présentation d’un projet de loi sur la transition équitable axé sur les travailleurs à la Chambre des communes dans le budget de 2023.
Nous continuerons également de travailler avec le gouvernement pour améliorer la disponibilité de la main-d’œuvre dans le secteur de la construction, notamment en apportant des changements au système d’immigration du Canada pour mieux répondre aux besoins de la construction et en facilitant la mobilité transfrontalière de nos membres aux États-Unis.
Au nom des 600 000 professionnels des métiers spécialisés qui font partie des Syndicats des métiers de la construction du Canada et de nos 14 syndicats internationaux affiliés, je tiens à remercier le comité de m’avoir donné l’occasion de témoigner. Nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Lawlor. Il ne fait aucun doute que des questions vous seront posées.
Cela dit, j’aimerais rappeler aux sénatrices et aux sénateurs qu’au premier tour, nous aurons cinq minutes chacun, et au deuxième tour, trois minutes chacun.
La sénatrice Marshall : Je vais commencer par M. Bourque, parce que le logement est un gros problème, et vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que nous avons une crise du logement. Le secteur de l’habitation est un point vulnérable clé de l’économie canadienne. Pourriez-vous faire le point sur ce qui se passe actuellement sur le marché du logement? J’ai une question très injuste à vous poser. Vers où se dirige le marché du logement selon vous dans l’avenir? Vous avez parlé des nouvelles prestations qui sont définies dans le projet de loi C-32, mais les prix des maisons sont si élevés. Si l’on s’attend à ce que les jeunes puissent économiser jusqu’à 40 000 $ pour le nouveau compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, voire 35 000 $ dans leur REER, à mon avis, ils auront tout un défi à relever. Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de la situation actuelle et de la direction que nous prenons avec les nouvelles dispositions du projet de loi C-32?
M. Bourque : Merci, sénatrice. Vous avez posé beaucoup de questions. Permettez-moi d’abord de vous expliquer où nous en sommes.
De toute évidence, les prix ont chuté considérablement depuis le sommet atteint par la COVID-19. Emprunter ne coûtait presque rien, puisque les taux d’intérêt étaient très bas ou presque nuls, et tous les taux d’intérêt, essentiellement, étaient intégrés à la valeur des actifs. Cette dernière a donc été gonflée, et maintenant que les taux d’intérêt remontent, les prix baissent. Il est également beaucoup plus difficile pour les acheteurs de se payer une première maison parce que les taux d’intérêt sont élevés et que les prix sont encore très élevés.
Ils sont élevés parce que nous manquons de logements. La raison pour laquelle j’en parle, c’est que je pense que si vous voulez savoir où nous allons, nous sommes en période d’adaptation. Les gens ne savent pas s’ils devraient inscrire leur maison. Ils ne savent pas s’ils devraient acheter une maison parce que les taux d’intérêt semblent augmenter. Il y a beaucoup d’incertitude et les prix baissent, alors il y a beaucoup de gens qui attendent. Mais lorsque tout le monde s’adapte à un nouvel environnement de taux d’intérêt, qu’ils soient de 3, 4 ou 5 %, vous savez — je suis assez vieux pour me rappeler que mon premier emprunt hypothécaire avait été négocié à 12 %. Lorsque les gens s’adapteront à cette nouvelle réalité, le marché reprendra, mais il est difficile de prévoir quand cela se produira, car nous faisons face à une récession. Nous savons encore que la Banque du Canada va augmenter un peu plus les taux d’intérêt, et je pense que les gens attendent de voir ce qui va se passer.
La réalité fondamentale sous-jacente, c’est que nous vivons une pénurie très importante. Comme je l’ai mentionné, la Société canadienne d’hypothèques et de logement, la SCHL, prévoit que nous aurons besoin de trois millions et demi de logements supplémentaires, et cette pénurie continuera de faire grimper les prix des logements locatifs et des maisons.
En ce qui concerne le projet de loi C-32 et les dispositions, encore une fois, il y a de bonnes idées ici, mais le crédit d’impôt pour la rénovation d’habitations multigénérationnelles est vraiment le seul élément dont je peux parler qui concerne l’approvisionnement, parce que si vous pouvez construire un ajout à votre maison et que votre parent aîné emménage avec vous, alors c’est une maison qui devient disponible sur le marché. Mais nous devons faire beaucoup plus pour éliminer les obstacles bien documentés qui empêchent la construction de maisons neuves.
Je pense aussi que nous devons faire preuve de beaucoup plus d’innovation, car je suis certain que les gens des métiers de la construction ici présents vous diront que, peu importe les augmentations que nous pourrons réaliser dans le domaine des métiers, je ne pense pas que nous puissions répondre à la demande dans le secteur de la construction. Nous devons commencer à innover et à construire des maisons de façon plus moderne. Aujourd’hui, nos méthodes sont à peu près les mêmes qu’il y a 50 ans. J’aime toujours dire que si vous sortiez d’une machine à remonter le temps, vous pourriez entrer dans un projet de construction et commencer à balancer un marteau, et vous remarqueriez à peine une différence.
La sénatrice Marshall : Que pensez-vous des dispositions? Le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété. Le maximum est de 40 000 $. Dans votre déclaration préliminaire, je crois que vous avez suggéré que le Régime d’accession à la propriété, dont le retrait maximal est fixé à 35 000 $, soit porté à 40 000 $. Je ne sais pas si cela relève ou non de votre champ d’expertise, mais cela me semble beaucoup d’argent. Nous parlons surtout de jeunes qui essaient de se payer une maison, qui doivent donc travailler, qui ont probablement de jeunes enfants et qui doivent mettre de côté de tels montants, ce qui semble tout un défi. Quand je regarde la situation, je pense que cela n’aidera pas beaucoup la majorité des jeunes.
M. Bourque : Je crois que le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété est un excellent outil. Personnellement, je peux dire que j’encourage mes deux garçons à mettre de l’argent dans ce moyen de placement dès qu’il sera disponible. Chaque fois que vous pouvez épargner sans payer d’impôts, c’est merveilleux. Oui, il est limité à 40 000 $, mais comme il n’entre pas en conflit avec le compte d’épargne libre d’impôt existant, je pense que c’est une très bonne chose.
En ce qui concerne le Régime d’accession à la propriété, le retrait maximal est actuellement fixé à 35 000 $. Nous suggérons qu’il y ait une contrepartie de 40 000 $, et il s’agit de deux marchés différents, sénatrice. Les gens qui utilisent leur REER sont rarement des acheteurs d’une première maison. Techniquement, ils peuvent être admissibles de cette façon, mais, par exemple, vous voyez beaucoup de gens qui vivent une séparation, un divorce ou qui, après le décès d’une personne, utilisent leur REER pour acheter une maison. Il s’agit de deux publics différents, et de moyens très importants pour aider les gens à épargner en vue d’une mise de fonds.
La sénatrice Marshall : Le Régime d’accession à la propriété qu’il faut rembourser dans un délai de 15 ans. Mon temps est écoulé. Merci.
La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à M. Kershaw et porte sur le déploiement des services de garde. Vous disiez que vous trouviez que c’était une bonne mesure parce qu’elle était incluse. J’aimerais savoir si vous considérez que c’est une bonne idée d’avoir des règles concernant l’accès à ces services de garde. Devrait-elle fonctionner en marché libre ou devrait-elle cibler différents groupes de familles ou différents besoins des familles?
M. Kershaw : C’est une excellente question. J’encourage absolument tous les sénateurs à s’attendre à ce que les investissements dans les services de garde soient universels, accessibles à toutes les familles et assortis de frais maximaux de 10 $, et non seulement de frais moyens. Ceux qui vivent dans des ménages à revenu élevé contribueront davantage au coût global de ce programme au cours de leur vie en payant les impôts progressifs propres à notre régime fiscal, bien que je comprenne l’argument de Katrina Miller selon lequel nous pourrions approfondir la réflexion concernant l’équité et la progressivité de notre régime fiscal en général.
Si nous ne faisons pas cela, sénatrice, si nous envisageons de permettre à certaines provinces d’investir des fonds fédéraux de manière à soutenir certaines familles, mais pas toutes, il y aura toute une série de problèmes. Premièrement, cela créera une injustice intergénérationnelle. Ce n’est pas ce que nous faisons actuellement en ce qui concerne les soins médicaux. Les soins médicaux sont un programme très important qui profite à tous les Canadiens, mais nous y avons recours de façon disproportionnée lorsque nous sommes plus âgés. Or, beaucoup d’aînés sont bien nantis. En fait, Statistique Canada nous apprend que nos aînés sont parmi les mieux nantis, mais nous ne leur faisons pas payer plus cher dans le cabinet du médecin. Pourquoi appliquerions-nous une logique différente pour les garderies? Si c’était le cas, nous introduirions une tension intergénérationnelle.
Nous mettrions également en péril la viabilité politique du système au fil du temps, car lorsque nous établissons ces importants biens publics, comme les services de garde que nous essayons maintenant d’instaurer — ou les soins médicaux ou l’école primaire —, l’appui du public à leur égard est maintenu lorsque la grande majorité des Canadiens voient leurs intérêts servis. Mais si vous concevez des services de garde d’enfants dès le début et que vous allez exempter certaines familles plus riches de la possibilité de profiter des mêmes réductions, vous les encouragez immédiatement à chercher ailleurs. Cela privera le nouveau programme de la stabilité politique qui doit être maintenue au fil du temps à titre de bien public.
La sénatrice Moncion : Merci. J’irai plus loin avec la question. À l’heure actuelle, le Québec envisage d’apporter des changements à l’accessibilité parce que, souvent, les familles qui ont moins de moyens financiers ont moins accès à des services de garde à 8 $, je crois, au Québec. Il y a aussi des enfants handicapés qui n’ont pas le même accès que d’autres enfants. Je voulais savoir ce que vous pensiez de ce genre de critères.
M. Kershaw : Je peux répondre rapidement, car je sais que nos cinq minutes achèvent probablement.
Vous avez raison. Lorsque nous mettons en œuvre un système et que nous avons un nombre insuffisant de places pour répondre aux besoins de la population, un groupe de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure y a davantage accès que les autres. Nous devons absolument porter attention aux obstacles à l’accès à des services de grande qualité pour les personnes à faible revenu et pour les familles qui ont des besoins supplémentaires en matière de soutien, que ce soit pour les adultes ou les enfants. Il s’agit d’une caractéristique de conception essentielle à intégrer au programme, mais cela indique que même au Québec, qui est en avance sur les autres provinces pour ce qui est de faire des services de garde d’enfants un bien public, cela ne se compare pas encore à d’autres systèmes vraiment solides à l’échelle internationale. Utilisons les fonds fédéraux au Québec pour répondre à certaines des préoccupations que vous avez soulevées.
La sénatrice Moncion : Merci.
[Français]
Le sénateur Gignac : Mes questions s’adressent à M. Bourque de l’Association canadienne de l’immeuble.
J’aimerais poursuivre la discussion qui a été lancée par ma collègue la sénatrice Marshall sur la situation actuelle dans l’immobilier.
Est-ce le même portrait d’un océan à l’autre, dans les régions métropolitaines autant que dans les régions rurales? Pouvez-vous expliquer les déséquilibres ou les pressions que vous entrevoyez, à l’heure actuelle, dans l’immobilier?
M. Bourque : Merci, sénateur. Je m’excuse, mais je vais vous répondre en anglais pour être clair.
[Traduction]
La question porte sur la situation dans différentes régions. L’une des vérités fondamentales de l’immobilier est que tous les marchés sont régionaux et locaux. Il n’y a pas de marché national. C’est différent partout où vous allez.
Cela dit, la pénurie de logements est presque un problème national qui existe dans toutes les collectivités. Bon nombre des raisons qui expliquent la pénurie de logements sont courantes et sont principalement liées à la réglementation et aux coûts à l’échelle locale, qui existent dans toutes les municipalités du Canada.
Le problème est plus aigu lorsque la population est plus élevée. Il y a des différences régionales. Par exemple, à Montréal, il y a plus de logements locatifs qu’ici, à Ottawa, mais il y a encore une pénurie de logements et, en particulier, un problème aigu d’itinérance dans plusieurs communautés partout au Canada.
Le sénateur Gignac : Le gouvernement augmentera l’objectif d’immigration annuelle pour atteindre un demi-million de personnes par année au cours des prochaines années. Trouvez-vous qu’il est trop agressif et que cela exacerbera la tension dans le domaine du logement? Selon ce que vous avez décrit, je ne vois pas de solution de sitôt en ce qui concerne la réglementation des municipalités locales.
Quelle est votre opinion ou votre association a-t-elle une opinion sur la cible en matière d’immigration, qui est la plus ambitieuse du G7?
M. Bourque : Il est vrai qu’il y a un très grand nombre de nouveaux Canadiens chaque année, et l’objectif de 500 000 par année crée une très grande ville en seulement quelques années. Le fait est, cependant, que nous avons besoin d’immigrants pour bâtir notre économie, et nous sommes donc très favorables à ces cibles. En même temps, ce qu’il nous faut, c’est un effort plus concerté, plus ciblé et plus délibéré de la part du gouvernement fédéral, ainsi que des autres ordres de gouvernement, pour éliminer les obstacles à la construction et laisser les gens construire pour que nous puissions loger ces nouveaux arrivants.
Il faut l’encourager, mais en même temps, nous ne sommes pas prêts parce que nous agissons trop lentement et qu’il n’y a pas assez d’urgence à fournir de nouvelles maisons.
Le sénateur Gignac : C’est exactement ce qui me préoccupe. Puisque les obstacles sont là, l’augmentation de la cible pourrait aggraver le problème. On verra.
Enfin, pourriez-vous nous en dire davantage sur le fait que vous avez parlé de l’interdiction imposée aux acheteurs étrangers? Vous ne semblez pas appuyer cela, mais corrigez-moi si je me trompe. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a dit que c’était un outil pour éviter la spéculation dans certaines villes en particulier. Vous n’êtes pas d’accord avec cette approche. Pourriez-vous nous en dire davantage?
M. Bourque : Je suis totalement en désaccord avec cette approche. Le fait est que les acheteurs étrangers représentent un très faible pourcentage des acheteurs de maisons. Franchement, je suis heureux que des gens d’autres pays veuillent acheter et investir au Canada.
Le problème que cela a créé, c’est que bon nombre de ces logements ont été laissés vides. La taxe sur les immeubles vides et sur les logements vides est une façon beaucoup plus efficace de régler ce problème.
Ce qui me préoccupe vraiment au sujet de l’interdiction visant les acheteurs étrangers, c’est qu’elle s’attaque à la marque du Canada. Cela envoie un message qui menace nos relations en Amérique du Nord. Ces relations reposent sur des décennies de liens avec certains propriétaires. Nous avons un accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique. Ces relations commerciales ont permis d’améliorer la compréhension de nos cultures respectives, ce qui a mené à ces accords commerciaux, à la défense et à la sécurité conjointes et à des arrangements concernant les frontières et la chaîne d’approvisionnement qui ont profité au Canada.
Je suis tout à fait contre l’interdiction des acheteurs étrangers. Je pense que c’est une mesure xénophobe qui envoie le mauvais message, et qui va nuire au Canada. Elle nuit aux gens qui essaient d’attirer des travailleurs au Canada. Si vous ne pouvez pas acheter de maison pour faire venir votre famille au Canada, vous irez peut-être plutôt en Australie ou au Royaume-Uni.
C’est une très mauvaise mesure législative et une politique non moins mauvaise. Je suis très déçu que le gouvernement l’appuie.
Le sénateur Smith : Je m’adresse à Mme Rahmati et à M. Lawlor, des Syndicats des métiers de la construction du Canada. L’engagement récent du gouvernement fédéral de faire passer les niveaux d’immigration à 500 000 par année à l’avenir est une mesure qui, selon lui, aidera à atténuer les graves problèmes de pénurie de main-d’œuvre auxquels sont confrontés tous les secteurs d’activité. Les métiers spécialisés attirent moins de travailleurs. De quelle façon le gouvernement fédéral peut-il augmenter le nombre d’immigrants qui se lancent dans des métiers spécialisés?
M. Lawlor : Je vous remercie de la question. Nous sommes très heureux de voir le plan d’immigration de 500 000 personnes qui a en fait été annoncé dans l’un de nos centres de formation.
Ce qui nous préoccupe le plus — et cela rejoint bon nombre des points que nous avons déjà abordés aujourd’hui —, c’est qu’il y a manifestement un besoin de main-d’œuvre supplémentaire au Canada, surtout dans le secteur de la construction.
Nous sommes heureux de voir ce chiffre de 500 000, mais le plus important, consiste à modifier le système d’immigration pour mieux répondre aux besoins du domaine de la construction. À l’heure actuelle, le système d’immigration est orienté vers les personnes qui ont un niveau de scolarité plus élevé. Puisque nous envisageons d’augmenter l’immigration, nous devons veiller à ce qu’il y ait une immigration économique, et c’est le genre de travailleurs qualifiés dont nous avons besoin pour construire des maisons et bâtir l’infrastructure dont nous profitons tous les jours. Merci.
Mme Rahmati : Pour ajouter à ce que mon collègue vient de dire, je dirais qu’il faudrait utiliser davantage des programmes comme Entrée express pour faire venir plus de travailleurs qualifiés et des travailleurs d’autres régions du pays dont nous avons grandement besoin. Nous nous employons à communiquer ces codes précis de la CNP au gouvernement et dans le cadre des consultations en cours sur ce programme également.
Comme mon collègue, M. Lawlor, l’a mentionné dans son allocution tout à l’heure, nous souhaiterions voir un peu plus de mobilité transfrontalière et certains changements au Programme des travailleurs étrangers temporaires, de même que la possibilité de parrainer des travailleurs pour qu’ils restent au Canada comme résidents permanents et deviennent un jour immigrants.
Le sénateur Smith : Pensez-vous réaliste de s’attendre à ce que les gens qui viennent au Canada puissent présenter une demande et obtenir l’accréditation nécessaire pour obtenir les titres de compétence requis pour travailler dans les métiers précis dont nous avons besoin pour construire?
Mme Rahmati : Je crois que oui. D’après les conversations que nous avons eues avec nos 14 affiliés, bon nombre d’entre eux s’intéressent à la formation, et s’il y a un besoin de perfectionnement ou de certains titres de compétence, on pourrait en faire la mise à jour lorsque les travailleurs viennent au Canada. Ils veulent les appuyer parce qu’ils savent qu’ils ont besoin de cette main-d’œuvre pour que leurs bureaux syndicaux puissent continuer et bâtir l’infrastructure du Canada. Nous sommes prêts à collaborer pour que cela se produise.
Voilà aussi pourquoi ces conversations sur la disponibilité de la main-d’œuvre et les pénuries de main-d’œuvre, à savoir que l’immigration ne peut pas se faire sans un examen de notre capacité de formation et des programmes comme le Programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical et le programme Service d’apprentissage sont tous des pas dans la bonne direction pour appuyer cela, pour soutenir les Canadiens, ainsi que les nouveaux immigrants et les autres travailleurs auxquels on aurait recours pour prendre de l’expansion.
Le sénateur Smith : Avez-vous un plan précis pour pressentir les provinces? De toute évidence, c’est un enjeu fédéral-provincial que de faire accréditer les gens, de savoir s’ils peuvent être enregistrés par province et par quelles provinces, etc. Avez-vous également pressenti directement les provinces ou est-ce que c’est surtout le gouvernement fédéral qui est visé?
Mme Rahmati : Chez les Syndicats des métiers de la construction du Canada, notre mandat continue d’être davantage axé sur le fédéral, mais nous travaillons en étroite collaboration avec nos homologues provinciaux. Nous avons des conseils provinciaux dans chaque province.
Le Canada a un programme d’accréditation, le programme du Sceau rouge, qui fonctionne très bien et qui, à mon avis, facilite le déplacement des travailleurs d’une province à l’autre.
Le sénateur Smith : Merci.
Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins de leur présence. Ma question s’adresse à M. Kershaw, de Generation Squeeze, et à M. Bourque, de l’Association canadienne de l’immeuble. Nous avons entendu divers points de vue de différents panélistes et de divers experts sur le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété et sur le crédit d’impôt pour l’achat d’une habitation.
Beaucoup sont favorables, mais certains disent que cela contribuera à la hausse du prix des maisons, que cela ne profitera pas aux acheteurs d’une première habitation et que cela alimentera l’inflation. Avez-vous d’autres réflexions sur ces mesures? Nous pourrions peut-être commencer par M. Kershaw ou M. Bourque.
M. Kershaw : Je vais commencer. D’une part, il est louable que le gouvernement du Canada veuille s’attaquer au fait que le système de logement actuel est particulièrement dysfonctionnel pour les acheteurs d’une première habitation, les jeunes ou les nouveaux arrivants de tout âge. Notre système de logement n’est pas dysfonctionnel si vous pensez que l’objectif est de produire de la richesse pour les propriétaires actuels.
Vous devriez connaître mon histoire, par exemple. L’an dernier seulement, B.C. Assessment m’a fait savoir que la valeur de ma maison avait augmenté de 500 000 $. C’est grâce à des gens comme moi, et des propriétaires en majorité, qui retirent régulièrement des gains substantiels dans notre système de logement depuis de nombreuses années, qu’il n’y a pas d’indignation soulevée du fait que le prix des maisons a laissé les revenus loin derrière. Étant donné les répercussions sur l’âge, il est approprié que le gouvernement du Canada songe à quelque chose comme le crédit d’impôt pour l’achat d’une première habitation, que l’on est en train de mettre sur pied.
Il aura des effets inflationnistes, cela ne fait aucun doute. À partir du moment où il est plus facile pour les gens d’épargner et de créer une surenchère pour un logement qui contribue à un facteur lié à la demande, je ne pense pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter. Je pense que la principale raison de s’en inquiéter, c’est que de nombreux jeunes — pour revenir à une question posée plus tôt aujourd’hui — auront de la difficulté à tirer effectivement parti de ces mesures. N’oublions pas que lorsque ma mère est arrivée sur le marché du logement, il fallait cinq ans de travail à temps plein pour amasser une mise de fonds de 20 % sur une maison à prix moyen. Il faut maintenant 17 ans. Comme de plus en plus de jeunes n’ont pas accès à la propriété et doivent louer pour de plus longues périodes de leur vie — et les loyers moyens ont augmenté de plusieurs milliers de dollars —, il est plus difficile de trouver l’argent nécessaire pour profiter des allégements fiscaux que nous créons pour les acheteurs d’une première habitation. Cela crée donc des règles du jeu inégales entre les locataires et les propriétaires potentiels, de sorte que nous pouvons créer des inégalités chez les jeunes. Même si nous mettons l’accent sur l’achat d’une maison pour les jeunes, nous devons harmoniser les règles du jeu pour les locataires, car les jeunes sont beaucoup plus souvent locataires pendant de plus longues périodes de leur vie. Je vais maintenant céder la parole à M. Bourque.
M. Bourque : Merci, sénateur. C’est une très bonne question. Du côté de l’épargne libre d’impôt, il y a certainement un argument selon lequel le gouvernement devrait ouvrir l’épargne libre d’impôt et permettre à tous d’y cotiser plus, puis les laisser dépenser ces économies supplémentaires libres d’impôt comme bon leur semble. Mais le fait est que tout le monde a besoin d’un endroit où vivre, et ce sont d’excellents moyens d’aider les gens à économiser de l’argent. Si nous les appuyons, c’est parce que ces mécanismes permettent aux gens d’économiser de l’argent et de se payer une maison.
Je tiens à souligner qu’il s’agit d’une pratique de longue date au Canada pour les gouvernements d’appuyer l’accession à la propriété. L’orientation stratégique en faveur de l’accession à la propriété n’a rien à voir avec la partisanerie ou l’avantage politique. Elle repose sur la compréhension des avantages de l’accession à la propriété pour les particuliers, les collectivités et le pays. Il y a beaucoup de preuves qui montrent que le fait d’être propriétaire d’une maison ne contribue pas seulement à sa propre sécurité financière, mais aussi à une vaste gamme d’avantages civiques et sociétaux plus larges. Il y a beaucoup de recherches à l’appui. En particulier, il y a des preuves qui appuient l’affirmation selon laquelle l’accession à la propriété est essentielle pour sortir les familles de la pauvreté et créer une richesse intergénérationnelle.
En fait, c’est la principale motivation des immigrants qui veulent venir au Canada, car l’accession à la propriété n’est pas possible dans de nombreux autres pays. Ces politiques jouent un rôle important dans la promotion de l’accession à la propriété au Canada, ce qui s’est révélé très bénéfique non seulement pour les particuliers, mais aussi pour la société en général.
Le sénateur Loffreda : Merci. À mon avis, s’il y en avait suffisamment pour qu’un aussi grand nombre d’acheteurs d’une première maison stimulent l’inflation, ce serait une bonne nouvelle pour les acheteurs d’une première maison et la jeune génération. Je ne pense pas qu’il y aura suffisamment d’acheteurs d’une première maison pour vraiment stimuler l’inflation, mais il se peut que je me trompe — et corrigez-moi si je me trompe tous les deux. Avec ces mesures, nous ne nous attendons pas à ce que les jeunes générations ou les acheteurs d’une première habitation achètent une maison au cours de la première, de la deuxième ou de la troisième année, mais pourtant les cotisations et les placements sont déductibles d’impôt, alors vous contribuez au patrimoine d’une jeune génération, n’est-ce pas? Est-ce bien ce que vous voyez tous les deux? En ma qualité d’ancien banquier, j’examine toujours le risque et l’atténuation des risques ainsi que le rendement et les avantages. Est-ce que le risque serait plus grand que les avantages futurs ou est-ce que les avantages sont beaucoup plus grands que les risques?
M. Bourque : Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’effort ici devrait porter sur l’augmentation de l’offre, parce que si l’offre augmentait de façon spectaculaire, les prix baisseraient. Jusqu’à ce que nous puissions le faire, ces programmes qui aideront les gens à économiser de l’argent — je suis d’accord avec vous, je pense qu’il pourrait y avoir un effet inflationniste, mais je pense que c’est mineur. En fin de compte, cela aidera les gens à économiser de l’argent, ce qui est une bonne chose.
M. Kershaw : J’ajouterais, à titre de rappel, qu’il n’y a pas de solution miracle. Mais si nous pensons à la « solution miracle », nous pouvons contrer certains des risques inflationnistes modestes qui découlent du programme dont vous parlez en faisant autre chose. Par exemple, dans ma déclaration préliminaire, j’ai déjà attiré l’attention sur le fait que l’un des principaux facteurs inflationnistes de notre système de logement est en fait la sous-estimation de l’inflation liée au logement par Statistique Canada, qui soutient ensuite le système de crédit bon marché par lequel les gens peuvent emprunter davantage et créer une surenchère dans le prix des maisons. Statistique Canada ne tient pas compte de cela, ce qui crée un cycle malsain.
En même temps, nous pouvons envisager de demander à ceux qui ont le plus profité de la hausse vertigineuse du prix des maisons — des gens comme moi qui possède une maison de plus de 1 million de dollars — de contribuer un peu plus par le biais de l’impôt, et de réduire une partie de l’abri fiscal pour l’accession à la propriété parmi ceux qui ont le plus gagné, ce qui aura une influence modératrice, en particulier sur les valeurs des maisons qui atteignent des niveaux que nous jugeons malsains.
Chaque politique comportera une composante inflationniste ou déflationniste, mais en moyenne, ce dont nous avons besoin, c’est d’une stratégie énergique qui dit que notre objectif est de faire en sorte que le prix des maisons stagne indéfiniment, sinon baisse de façon modérée, et de donner aux revenus une chance de rattraper leur retard. Si ce n’est pas notre objectif pour l’avenir du système de logement, alors nous perdons de vue que le logement devrait être d’abord pour les maisons et les placements ensuite.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier nos invités de leur présence et à m’excuser d’avoir manqué vos déclarations préliminaires. Il se passe trop de choses en même temps.
Mon commentaire ou ma question s’adresse à M. Kershaw. J’ai eu l’occasion de lire le mémoire que vous avez rédigé au sujet de l'énoncé économique de l’automne qui ne met pas à jour grand-chose pour l’équité générationnelle. Si ma question porte sur ce que vous avez dit dans votre déclaration préliminaire, veuillez m’en excuser.
Vous avez mentionné cinq enjeux dans votre document, et je me rends compte que nous parlons du logement. Je vais donc pousser un peu plus loin l’analyse budgétaire que vous avez faite, et je sais qu’au cours des quatre dernières années, vous avez publié un certain nombre d’articles sur la façon dont le gouvernement a sous-investi dans les jeunes pendant 40 ans, et sur l’injustice intergénérationnelle dans les finances publiques canadiennes. Vous parlez de rendre la vie plus abordable, et vous dites que nous ne pouvons pas nous attaquer à l’abordabilité en réduisant les mesures de lutte contre les changements climatiques, en particulier la tarification de la pollution.
Comme mes collègues le savent, je reviens tout juste de la COP 27, où ce sont les interventions des jeunes qui m’ont renversée; elles étaient formidables. Vous avez dit que c’est injuste sur le plan intergénérationnel lorsque les jeunes générations font face à la part du lion des risques climatiques.
À la lumière de notre conversation cet après-midi, je me demande si vous pourriez m’éclairer un peu plus.
M. Kershaw : Vous avez tout à fait raison de dire qu’une population plus jeune hérite actuellement d’un legs assez alarmant, qu’il s’agisse de la façon dont la société a joyeusement surexploité la capacité limitée de l’atmosphère d’absorber le carbone et laissé en héritage des conditions météorologiques extrêmes, ou de la façon dont nous avons tellement retiré de richesse de notre système de logement que nous laissons l’inabordabilité en héritage, ou encore de la façon dont nous retirons en fait tellement de dollars des contribuables aujourd’hui et les investissons de façon disproportionnée plus tard sur le cours d’une vie, sous-investissant dans ce qui fait que les jeunes sont en santé et en forme, et leur laissant d’importants déficits gouvernementaux.
C’est la réalité de la politique canadienne des dernières décennies. Ce n’est pas une déclaration partisane. C’est dire à quel point la culture canadienne a toléré ce système générationnel dysfonctionnel.
En ce moment, lorsqu’il s’agit de lutter simultanément contre les changements climatiques et l’inflation, nous nous trouvons dans une situation difficile parce que vous entendrez plusieurs politiciens dire : eh bien, réduisons la taxe sur l’essence ou le prix de la pollution parce que cela nuit aux mères dont les enfants jouent au soccer et au hockey. Mais nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes de portefeuille en négligeant nos problèmes climatiques. C’est comme jouer à la roulette russe avec nos enfants, et je ne connais pas beaucoup de mères qui diraient : « Je vais mettre une balle dans le revolver et voir si cela va causer des problèmes », parce que nous savons parfaitement bien que les changements climatiques constituent le plus grand risque pour la santé humaine au XXIe siècle. Réglons donc nos problèmes de logement abordable et nos problèmes d’abordabilité pour les familles. Cela facilitera alors la gestion des coûts de la lutte contre les changements climatiques pour les Canadiens.
La sénatrice Bovey : Concernant l'énoncé économique de l’automne, que recommanderiez-vous au gouvernement?
M. Kershaw : D’abord et avant tout, nous n’aurons pas conscience d’un problème de dysfonctionnalité du système intergénérationnel tant que nous ne commencerons pas à faire rapport sur les grandes tendances qui se dessinent dans le budget. Par exemple — et c’est vrai —, ce qui a été historique dans les budgets fédéraux de 2021 et 2022, c’était l’investissement dans la création d’un nouveau programme social, les garderies à 10 $ par jour. Vous avez peut-être pensé que c’était la plus forte augmentation des dépenses que le budget proposait. Pas du tout. En comparaison, l’augmentation prévue pour la Sécurité de la vieillesse sera presque trois fois plus élevée que ce que nous proposons pour des garderies à 10 $ par jour.
Cette réalité n’a pas été soulignée dans le discours du budget. Cette réalité n’a pas été soulignée dans le communiqué de presse. Par conséquent, bon nombre de nos députés talentueux ne savent pas que c’est prévu dans le budget. Il faut vraiment que notre gouvernement nomme une personne chargée d’examiner les tendances intergénérationnelles dans notre budgétisation, de façon que nous établissions un budget pour toutes les générations et pour le bien-être dès la petite enfance.
Comme première mesure ne coûtant rien, nommons un ministre ou un sous-ministre responsable de l’équité intergénérationnelle. Nous avons une ministre responsable des aînés et une ministre responsable des jeunes adultes et toutes sortes d’autres choses, mais nous devons vraiment inscrire ces deux aspects dans le débat. Pour quelqu’un qui revient tout juste de la COP 27, où les changements climatiques sont probablement considérés comme la plus grande injustice intergénérationnelle existentielle, nous avons désespérément besoin, au Canada, de nous pencher sur ces tensions parce qu’elles dressent les générations les unes contre les autres, alors que ce que nous voulons, c’est un Canada qui fonctionne pour toutes les générations.
La sénatrice Bovey : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : J’aimerais commencer par Mme Miller, de Canadiens pour une fiscalité équitable. Plus tôt, je lisais un article d’Avi Lewis dans le Canada’s National Observer. J’ai été frappée par la citation suivante :
Je pense que les dimensions de l’inégalité et le rôle central de la richesse et du pouvoir des sociétés dans le blocage des progrès sur les crises qui se déroulent autour de nous sont assez bien compris ces jours-ci, comme en témoignent les nombreuses campagnes et initiatives qui se succèdent. Oui, nous devrions avoir un impôt sur les bénéfices exceptionnels, un impôt sur la fortune et un impôt sur les grandes pétrolières (et nous devrions les poursuivre pendant que nous y sommes). Nous devrions nous attaquer aux paradis fiscaux, dénoncer la « cupidiflation », exiger une transition vraiment équitable vers l’abandon des combustibles fossiles et veiller à ce qu’aucun lobbyiste des combustibles fossiles ne fasse de nouveau partie d’une délégation canadienne sur le climat.
J’aimerais savoir ce que vous en pensez et ce qu’en pensent les autres témoins. Quelles autres mesures? Vous avez mentionné certaines des choses que vous appuyez dans ce projet de loi, mais quelles autres mesures aimeriez-vous voir pour créer le genre de processus fiscal équitable dont bon nombre d’entre vous ont parlé? Merci.
Mme Miller : Je vous remercie de l’occasion et de l’excellente question. Avi Lewis ne mâche jamais ses mots. Je pense qu’il a raison. Nous avons besoin d’un examen complet de notre régime fiscal pour comprendre comment, au cours des quatre dernières décennies en particulier, il est devenu orienté en vue de fournir essentiellement du pouvoir et de la richesse à une élite de particuliers et de grandes sociétés, tout en refilant le fardeau fiscal en grande partie aux travailleurs moyens et aux familles de notre pays.
Pour être vraiment précise au sujet de quelques mesures, dans mon exposé j’ai parlé de la nécessité d’un impôt sur les bénéfices exceptionnels du secteur pétrolier et gazier, semblable à notre dividende pour la relance au Canada, et peut-être une surtaxe permanente sur ces sociétés également parce que leurs marges de profit ont été énormes — 66 milliards de dollars en un an pour les 10 plus grandes sociétés pétrolières et gazières du Canada —, très peu de cet argent n’étant investi en retour dans notre bien-être économique et social comme pays, maintenant et à l’avenir, et investi dans une transition vers une économie sans carbone.
Nous le voyons dans les chiffres parce que nous avons examiné ce qu’ils remettent ensuite sous forme de dividendes et de rachats d’actions. Nous avons découvert que la plus grande partie de ces 66 milliards de dollars est consacrée en réalité à des mesures de création de richesse et de concentration de la richesse, comme des dividendes et des rachats.
Nous devons prendre la maîtrise de la situation grâce à de meilleures mesures fiscales — un impôt sur les bénéfices exceptionnels, certainement; une augmentation du taux d’imposition des sociétés. En fait, les États-Unis viennent tout juste d’adopter une mesure vraiment intéressante dans le cadre de leur loi sur la réduction de l’inflation, où ils prélèvent un impôt minimum de 15 % sur les bénéfices comptables. Les bénéfices comptables sont, bien sûr, ce que les sociétés déclarent à leurs actionnaires, mais pas ce qu’elles déclarent à l’Agence du revenu du Canada, ce qui représente un niveau de profits complètement différent. Le prélèvement d’un impôt minimum sur les bénéfices comptables nous aide à éliminer certains des problèmes que nous voyons dans les mesures d’évasion fiscale et les stratagèmes fiscaux utilisés pour éviter [Difficultés techniques].
M. Kershaw : Je tiens à souligner que cette année marque le 50e anniversaire de la plus importante dépense que le gouvernement du Canada ait jamais faite en matière de logement, soit l’abri fiscal pour l’accession à la propriété. Nous avons déjà entendu Mme Miller dire que, de façon générale, les gains en capital bénéficient d’un statut fiscal très favorable. Qui plus est, l’abri fiscal pour l’accession à la propriété, qui exempte de toute forme d’imposition un gain provenant des résidences principales, est encore plus important.
Il y avait peut-être des raisons à cela il y a 50 ans, mais au cours des cinq dernières décennies, le prix moyen des maisons a augmenté de plusieurs centaines de milliers de dollars, ce qui a créé des occasions de richesse pour beaucoup de gens, surtout en Colombie-Britannique et en Ontario. Cela crée une injustice régionale. Pensez à la veuve à Fredericton qui a un revenu modeste et dont la valeur de la maison n’a pas beaucoup augmenté. Pensez ensuite au même revenu pour une veuve à Vancouver. Elles paient normalement les mêmes impôts sur leur revenu, mais la veuve de Vancouver vit probablement dans une maison qui vaut maintenant 1, 2 ou 3 millions de dollars. Leur situation financière n’est pas la même, mais nous les traitons de la même façon.
M. Bourque : À ce sujet, je dirais qu’un nouvel impôt sur la valeur de votre maison aggraverait la crise de l’abordabilité, car toute modification de l’impôt sur les gains en capital dissuaderait quiconque de vendre sa maison, ce qui aggraverait l’offre de logements. Par exemple, les Canadiens y penseraient à deux fois avant de déménager ailleurs au pays pour occuper un emploi, ce qui exercerait plus de pression sur les grands centres urbains. Les retraités n’auraient aucune raison de renoncer à leur avoir net et retarderaient leur décision de rationaliser, ce qui serait très inefficace. La plupart des Canadiens ont fait des hypothèses au sujet de leur retraite en fonction de la valeur de leur maison. C’est la raison pour laquelle ils peuvent se permettre de vendre leur maison et d’emménager dans une maison pour personnes âgées ou dans un établissement de soins quelconque.
Ce genre de changement que M. Kershaw ne cesse de proposer détruirait ces hypothèses instantanément et remettrait en question la stabilité financière présumée des propriétaires. Un tel impôt pourrait très bien exercer une pression à la hausse sur les prix des logements au lieu de les freiner. Ce serait un suicide politique pour quiconque de suggérer cela, et ceux qui le font présideraient probablement à vos funérailles politiques.
Mme Rahmati : Je serai brève. Je n’ai pas eu l’occasion de lire l’article de M. Lewis, mais ce que nous dirons, c’est que nous avons besoin d’un régime fiscal qui appuie l’investissement et les travailleurs, et qui attire au Canada des projets dans les secteurs traditionnels de l’énergie et dans la sphère et l’avenir de la transition équitable qui appuie des mesures incitatives pour améliorer la main-d’œuvre et les conditions de travail, comme celles qui sont incluses dans l'énoncé économique de l’automne. Comme nous l’avons dit, il est possible de les renforcer.
La sénatrice Galvez : On a répondu à ma question sur l’immobilier. Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Pate, avec Katrina Miller.
Vous êtes en faveur de l’élimination progressive des actions accréditives pour le secteur pétrolier et gazier, et vous saluez également l’introduction du dividende pour la relance au Canada. Vous avez parlé d’éliminer les échappatoires permettant l’évasion fiscale, et vous avez dit que nous perdons 30 milliards de dollars par année dans un écart fiscal.
L’autre jour, l’Association du Barreau canadien a témoigné devant nous. Dans le dernier énoncé économique de l’automne, de nouvelles règles obligent un vaste groupe de fiducies à produire des déclarations. Les avocats s’y opposent, mais nous savons que l’évasion fiscale et l’évitement fiscal sont attribuables à la participation d’avocats. Avez-vous une position pour ou contre ces nouvelles règles?
Mme Miller : Nous avons participé à une campagne pour demander au gouvernement du Canada de mettre de l’avant ce qu’on appelle la fiducie de bénéficiaires effectifs, à laquelle vous faites allusion, je crois. Il s’agit d’un registre public des propriétaires réels d’entreprises qui tirent parti des profits qu’elles génèrent. C’est une conversation qui se déroule à l’échelle mondiale alors que pays par pays, les organisations et les gouvernements essaient de comprendre qui possède les sociétés qui existent dans ces pays et qui en tire parti. Il est absolument essentiel que nous puissions le faire au Canada.
La sénatrice Galvez : Merci. Vous êtes également en faveur de l’impôt sur les bénéfices exceptionnels du secteur pétrolier et gazier. Avez-vous une idée du pourcentage que nous devrions appliquer? J’ai entendu dire qu’en Europe, c’est environ 15 %. Avez-vous un chiffre en tête?
M. Kershaw : Comme je l’ai dit, plus d’une demi-douzaine de pays d’Europe ont appliqué ou mis en œuvre une telle mesure. Les taux varient entre 15 et 40 %. La mesure la plus simple au Canada serait essentiellement d’ajouter les sociétés pétrolières et gazières à notre dividende pour la relance au Canada, qui est de 15 %.
La sénatrice Galvez : Ma dernière question porte sur les subventions que reçoivent les sociétés pétrolières et gazières. Une partie d’entre elles sont accordées sous forme de réduction d’impôt, mais il y a de nombreuses autres formes de subventions, et la fourchette est étendue. Les entreprises peuvent recevoir de 8 à 12 milliards de dollars par année. Que pensez-vous de ces subventions?
Mme Miller : En fait, je crois qu’il faudrait examiner cela de très près. Nous croyons comprendre que certaines entreprises ont reçu jusqu’à 15 milliards de dollars en 2022, par exemple. Nous savons qu’elles les reçoivent en partie sous forme de mesures fiscales.
Quant aux mesures fiscales, qui sont notre domaine d’expertise, nous pensons qu’il faudrait effectuer un examen détaillé du régime fiscal. Il faut examiner comment l’industrie des combustibles fossiles est subventionnée et de quelle manière nous commencerons à éliminer progressivement ces mesures pour assurer une transition équitable dans l’économie canadienne.
La sénatrice Duncan : Je remercie tous les témoins qui ont comparu devant nous aujourd’hui. J’aimerais adresser ma question à l’Association canadienne de l’immeuble. J’aimerais parler de la disposition du projet de loi C-32 relative à l’impôt sur le logement, qui est sous-utilisée.
Cette taxe de 1 % sur la valeur des immeubles résidentiels appartenant à des non-résidents, à des non-Canadiens, qui sont considérés comme vacants ou sous-utilisés, vise, je crois, les chalets ou peut-être les terrains riverains, ce genre de propriétés. Est-ce ainsi que vous comprenez cette disposition? C’est ma première question.
M. Bourque : En fait, nous avons expressément recommandé d’exclure les propriétés de type chalet. Je crois qu’à l’origine, cette taxe visait surtout les étrangers qui avaient acheté des appartements de copropriété et qui les laissaient vides. Ils s’en servaient comme coffret de sûreté et accaparaient ainsi l’offre de logements nécessaires. Cette taxe, qui est déjà en vigueur dans certaines municipalités, s’avère donc très efficace pour inciter les propriétaires à louer ces appartements. C’est une bonne chose.
Les capitaux étrangers qui entrent au pays ne posent pas de problème, à condition que nous sachions qui en est propriétaire. Je pense aussi qu’il faut établir un registre de la propriété effective afin de nous assurer que ces propriétés ne servent pas au blanchiment d’argent. Il est bon que les gens investissent au Canada, mais nous voulons que ces unités soient disponibles sur le marché des logements locatifs, et cette taxe peut y contribuer. Je ne crois pas qu’il faille l’appliquer partout au pays parce que, je le répète, ces marchés sont locaux, et un grand nombre d’entre eux ne posent pas de problème. Les municipalités et les provinces ont le pouvoir de créer ce genre de taxes.
La sénatrice Duncan : Je comprends cela. Cependant, l’Association canadienne de l’immeuble connaît bien ce domaine, alors je me demande si vous êtes au courant des investissements étrangers dans l’immobilier partout au pays, particulièrement dans les régions rurales du Canada.
M. Bourque : On a mené un grand nombre d’études à ce sujet. Par exemple, dans de petites régions de la côte Est du Canada, les Allemands achètent des chalets qu’ils utilisent une période de l’année. Nous nous inquiétons surtout du fait que des propriétaires n’occupent pas leurs propriétés, qu’ils achètent simplement à des fins d’investissement. Cela peut contribuer à la hausse des prix de l’immobilier. En fait, selon un certain nombre d’études menées à ce sujet, environ 2 % de ces acquisitions servent au blanchiment d’argent. Cela n’a pas de répercussions importantes sur le marché immobilier, mais nous tenons à savoir qui sont ces propriétaires afin de nous assurer qu’ils ne le font pas pour blanchir de l’argent ou à d’autres fins répréhensibles.
La sénatrice Duncan : Je comprends cela. Mais ces études, monsieur, englobent-elles le Canada rural, particulièrement le Nord canadien? Je soupçonne que non.
M. Bourque : Je ne peux pas répondre à cette question, mais je me ferai un plaisir de me renseigner.
La sénatrice Duncan : Merci. Si vous pouviez fournir cette réponse par écrit à la greffière, je vous en serais très reconnaissante. Où exactement les étrangers investissent-ils dans l’immobilier au Canada?
Pourriez-vous aussi décrire comment l’Association canadienne de l’immeuble collabore avec des organismes locaux comme la GRC, les services de police municipaux ou ceux qui s’intéressent à la participation d’acteurs étrangers au Canada?
M. Bourque : Contrairement à la profession juridique, le secteur immobilier relève du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, qui oblige les courtiers immobiliers à remplir ses formulaires. Je peux vous dire que ce fardeau administratif est extrêmement lourd pour les agents immobiliers, mais il est obligatoire, alors nous le faisons. Notre alliance consacre beaucoup de temps et de ressources à la formation des agents immobiliers sur la conformité au CANAFE. C’est un domaine important pour nous. Les amendes sont lourdes, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour aider nos membres à se conformer à ces règlements.
La sénatrice Duncan : Merci.
Le sénateur Cardozo : Ma première question s’adresse à Mme Katrina Miller, de Canadiens pour une fiscalité équitable. Madame Miller, vous avez parlé d’un impôt sur les bénéfices exceptionnels.
D’autres intervenants nous ont dit ce matin que cet impôt ferait fuir les investisseurs et sous-entendrait que le Canada n’est pas ouvert aux investissements étrangers ou locaux. Que répondez-vous à cela?
Mme Miller : Je vous remercie pour cette question, sénateur. Nous entendons souvent cette critique lorsque nous suggérons d’augmenter l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Je vous dirai franchement que la réduction de cet impôt qui a eu lieu au cours de ces quatre dernières décennies n’a pas incité les sociétés à accroître leurs investissements dans notre économie. Nous avons plutôt constaté une augmentation des profits réalisés grâce au versement de dividendes et au rachat d’actions, surtout au cours de ces 10 dernières années.
En réalité, nous avons constaté une concentration toujours plus forte de la richesse des sociétés et des particuliers. Il faut vraiment corriger cela. Notre régime fiscal est un outil incroyablement puissant pour redistribuer la richesse. En fin de compte, ces entreprises bénéficieront d’une société stable, saine et durable. C’est ce qui rend le Canada concurrentiel. Notre société est stable et saine. Notre main-d’œuvre est formidable, instruite et protégée par un bon filet de sécurité sociale. Nous ne pourrions pas nous permettre cela si nous n’avions pas un bon régime fiscal qui génère les recettes nécessaires.
Le sénateur Cardozo : Je suppose que nous devons maintenir cet équilibre en poussant le taux d’imposition autant que possible.
Mme Miller : En effet. Notre taux d’imposition des sociétés n’a jamais été aussi bas, alors je pense que nous avons une bonne marge de manœuvre. Notre taux d’imposition fédéral est de 15 %. C’est six points de moins que celui des États-Unis à l’heure actuelle. Alors même en soutenant la concurrence de notre voisin direct, il nous reste une assez bonne marge de manœuvre pour augmenter un peu le taux d’imposition des sociétés.
Le sénateur Cardozo : J’ai une question pour les Syndicats des métiers de la construction du Canada au sujet du crédit d’impôt à la mobilité dont vous avez parlé. Votre organisme mérite toutes nos félicitations pour avoir concrétisé cela dans le dernier budget. Vous poussiez ce rocher de Sisyphe depuis très longtemps.
J’aimerais vous poser une question sur les pénuries de main-d’œuvre dont vous avez parlé. Vous avez mentionné le financement que vous et vos membres avez reçu. Il avait été annoncé dans l'énoncé économique de l’automne. Comment axez-vous ces programmes sur les groupes sous-représentés? Je pense aux Autochtones, aux nouveaux arrivants et aux femmes qui travaillent dans le domaine de la construction.
Mme Rahmati : Je vous remercie pour cette question, sénateur, et je vous félicite de votre récente nomination.
Les Syndicats des métiers de la construction du Canada soutiennent activement les groupes sous-représentés. Certains investissements du gouvernement s’accompagnent de critères précis pour appuyer les groupes sous-représentés. Par exemple, dans le cadre du programme du Service d’apprentissage, nous avons reçu une subvention créée cet automne. Elle verse 5 000 $ aux employeurs qui embauchent un apprenti, mais elle verse 5 000 $ de plus s’ils embauchent un apprenti d’un groupe sous-représenté. Cette subvention encourage les employeurs et le secteur privé à placer ces personnes dans les lieux de travail.
Nous disposons aussi d’un certain nombre de programmes. Par exemple, dans le cadre du Programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical, nous avons été en mesure d’agrandir le Bureau pour l’avancement des apprenties. Ce bureau offre de la formation et du soutien aux femmes qui travaillent dans la construction, reconnaissant qu’elles font face à des défis très particuliers auxquels les membres habituels de l’industrie ne se heurtent pas. Il les aide également à trouver de l’emploi. Nous sommes très fiers d’utiliser ces programmes et ce financement pour soutenir les groupes sous-représentés et les groupes qui méritent l’équité.
Nous pensons que le gouvernement pourrait utiliser d’autres mécanismes pour soutenir davantage les groupes sous-représentés. Par exemple, il pourrait conclure des ententes sur les avantages communautaires des projets. La Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse sont des chefs de file à cet égard. Le pourcentage de groupes sous-représentés a considérablement augmenté grâce à certains des programmes que ces provinces ont mis en place à l’aide des avantages communautaires des projets.
Le sénateur Cardozo : Merci, madame Rahmati, d’avoir parlé si rapidement. Vous nous avez fourni beaucoup d’excellents renseignements.
Ma dernière question s’adresse à M. Paul Kershaw. Vous avez dit que le gouvernement devrait maintenir fermement sa taxe sur le carbone et son remboursement. Je parle de taxe et de remboursement, parce que ce sont deux choses qui vont de pair. Les gens oublient souvent le volet de remboursement. Face à l’augmentation de l’inflation, le gouvernement devrait maintenant abandonner ce programme ou le mettre de côté pendant un certain temps. Comment allez-vous soutenir que nous devrions maintenir la taxe sur le carbone et le remboursement, alors que l’inflation rend la vie si difficile pour les familles?
M. Kershaw : Je vais essayer de parler aussi rapidement.
Nous ne pouvons pas régler nos problèmes financiers en négligeant nos problèmes climatiques. La meilleure façon de faire face au problème de l’inflation est de rétablir l’abordabilité du logement, de veiller à ce que les services de garde d’enfants ne coûtent pas aussi cher que le loyer et de s’attaquer à certains des facteurs de pauvreté qui sont en jeu dans ce projet de loi. Les Canadiens pourront ainsi mieux gérer les adaptations économiques nécessaires pour lutter contre les changements climatiques, qui préparent une crise existentielle pour les jeunes et les générations futures.
Au fond, il ne s’agit de choisir l’un ou l’autre. Vous avez raison de dire que la grande majorité des jeunes qui vivent dans des provinces qui ont le filet de sécurité fédéral retirent une plus grande remise de la tarification de la pollution. Mais même si ce n’était pas le cas, je recommanderais tout de même de résoudre les pressions financières qui existent pour le logement et les services de garde, puis de mieux nous positionner pour faire face aux changements climatiques, qui posent la plus grande menace pour la santé humaine au XXIe siècle.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Le président : Honorables sénateurs, avant de passer au deuxième tour, j’aimerais poser une question à chacun des témoins.
Je pense aussi que nous aurons besoin de l’acceptation sociale et que vous devez participer aux discussions. Cela dit, avez-vous été suffisamment consultés dans le cadre du processus d’élaboration du projet de loi C-32? J’aimerais que chacun d’entre vous me réponde brièvement.
Mme Miller : Merci beaucoup pour cette question. Ma réponse sera brève. Non, je ne pense pas que nous ayons été suffisamment consultés. Je pense que sur les mesures fiscales prévues dans le projet de loi C-32, et en particulier sur la façon dont elles touchent notre société en général, nous devrions mener un débat public plus approfondi. Nous devrions aussi mener une conversation beaucoup plus transparente sur notre régime fiscal. Il contient des mesures importantes. Nous appuyons certaines d’entre elles, mais d’autres nous laissent indifférents. À mon avis, il faut que les Canadiens participent davantage à cette conversation.
M. Kershaw : Eh bien, je pense que votre question repose sur le constat général que nous devons tous nous engager à revitaliser la démocratie au Canada. C’est un défi de taille pour les gouvernements que de pouvoir tendre la main à tous les intervenants. Toutefois, plus nous pourrons permettre aux intervenants de se montrer proactifs dans leurs conseils — je n’ai pas de critique particulière à formuler à ce stade sur les possibilités que nous avons eues de donner notre point de vue dans le cadre de divers processus, mais je crois que de façon plus générale, nous devons rétablir une certaine confiance, en particulier chez les jeunes, dans l’idée que la démocratie ne se limite pas au simple fait de venir voter. Nous devons façonner nos budgets année après année, et c’est là que se fait une grande partie du travail démocratique.
Je dirais que c’est un message général pour vous et vos collègues.
M. Bourque : En général nous n’hésitons pas à faire connaître notre point de vue, sénateur, alors je dirais que nous avons veillé à ce que notre point de vue sur ce projet de loi soit connu. Bon nombre des dispositions du projet de loi sur le logement n’émanaient pas de nous. Nous avons été surpris lorsqu’elles ont été annoncées. Mais depuis, nous avons eu l’occasion de faire des commentaires.
Je répète que nous attendons la réglementation en lien à l’interdiction visant les acheteurs étrangers. Elle entrera en vigueur le 1er janvier, mais nous n’avons pas le règlement et nous ne savons pas comment nos membres vont s’y conformer. Ce système n’est pas toujours parfait, surtout à l’étape de la réglementation.
Mme Rahmati : Nous estimons avoir été suffisamment consultés au sujet du projet de loi C-32. Nous avons eu des conversations continues à ce sujet depuis que le projet de loi a été présenté, ainsi que sur quelques autres questions. Cela a particulièrement été le cas avec quelques ministères avec lesquels notre organisation a davantage d’échanges. Je vais vous donner l’exemple du Centre de formation pour les emplois durables et des autres programmes d’emplois durables annoncés dans l'énoncé économique de l’automne. Ce sont des organisations comme la nôtre qui ont expliqué au gouvernement pourquoi nous ne voulions pas qu’ils s’intitulent « centres d’emplois propres », et le gouvernement nous a entendus, nous a consultés et a apporté ces changements. Nous apprécions ces efforts.
Le président : Merci aux témoins.
Honorables sénateurs, nous allons passer au deuxième tour de questions.
La sénatrice Marshall : Ma prochaine question s’adresse à Mme Miller, de Canadiens pour une fiscalité équitable. On a parlé brièvement de l’écart fiscal, qui s’élève maintenant à plus de 40 milliards de dollars. J’ai vu un document qui montre que l’évitement fiscal et l’évasion fiscale des sociétés représentent 16 milliards de dollars, et que les impôts sur le revenu impayés s’élèvent à 17 milliards de dollars. Vous avez parlé du registre public, et le gouvernement s’est engagé à le mettre en œuvre d’ici l’an prochain. L’organisme Canadiens pour une fiscalité équitable a-t-il déjà formulé des recommandations précises sur la façon dont le gouvernement devrait s’attaquer au recouvrement de ces impôts non perçus?
Mme Miller : Je vous remercie de la question et, effectivement nous avons formulé des recommandations. Nous pensons que l’Agence du revenu du Canada a besoin d’un meilleur financement et de ressources supplémentaires pour lutter contre les champions de l’évasion fiscale, à savoir les grandes entreprises. L’ARC doit avoir le personnel nécessaire pour le faire, mais elle doit aussi avoir la compétence législative adéquate. À l’heure actuelle, le Canada est en train de revoir ses règles générales anti-évitement afin de les mettre à jour et, espérons-le, de les renforcer afin que le Canada soit mieux armé pour s’attaquer aux mesures d’évitement fiscal utilisées par les sociétés. Nous appuyons cette mesure et nous espérons qu’elle sera la plus forte possible.
La sénatrice Marshall : Avez-vous déjà fait des recommandations au sujet des déclarations? Le montant de l’évitement fiscal semble être caché et, de temps à autre, il pointe son nez. Il semble donc que ce chiffre augmente continuellement, mais nous ne savons jamais si les mesures ont des répercussions et si le montant diminue. Avez-vous déjà fait des recommandations concernant les déclarations?
Mme Miller : Oui, nous pensons que le Canada devrait exiger que ses sociétés fournissent des déclarations pays par pays sur les finances et les revenus. Cela nous donnerait un aperçu beaucoup plus clair de l’endroit où une société comptabilise ses profits et de la méthode employée, ainsi que de l’endroit où elle paie ses impôts et comment elle s’y prend. C’est une mesure essentielle.
Nous devons également travailler à l’échelle internationale avec nos partenaires par l’entremise de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, le G20, l’Organisation des Nations unies et utiliser toutes ces méthodes pour examiner les mesures de transparence mondiale dans le cadre desquelles nous avons des exigences entre pays pour nous assurer que la transparence des entreprises est la même dans chaque pays et que, par conséquent, il n’est pas possible de cacher de l’argent ici où là.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma question est pour M. Bourque et porte sur l’étape de la réglementation. Qu’est-ce que vous anticipez pour cette étape?
M. Bourque : Nous allons voir ce qui sera fait pour la taxe, et les exceptions s’appliquant à la taxe en particulier. Comme je l’ai mentionné, pour ce qui est des résidences comme les chalets, que les gens utilisent seulement l’été, nous sommes d’avis que cela ne devrait pas être inclus, mais nous n’avons pas beaucoup de visibilité à ce point-ci en ce qui concerne les règlements.
La sénatrice Moncion : Est-ce que vous vous attendez à être consulté là-dessus ou à recevoir le tout cuit?
M. Bourque : Nous espérons que le processus sera meilleur que celui concernant l’autre partie de la législation qui traite des acheteurs étrangers.
La sénatrice Moncion : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Gignac : Ma question s’adresse à Mme Miller. Ce matin, nous avons entendu le témoignage de l’Association des banquiers canadiens, qui estime que l’augmentation du fardeau fiscal des banques aura un effet négatif sur les investisseurs et les clients en raison des frais plus élevés. Si nous alourdissons le fardeau de l’industrie pétrolière et gazière — et je dirais que cette approche suscite beaucoup de sympathie autour de la table —, qu’est-ce qui empêchera cette industrie de nous faire payer ce coût à la pompe lorsque nous ferons le plein? Pour l’essentiel, comme la concurrence n’est pas aussi importante au Canada qu’aux États-Unis, ce coût se répercutera directement sur le client. Qu’en pensez-vous?
Mme Miller : Je suis désolée. Je n’ai pas entendu si la question m’était destinée. Est-ce le cas?
Le sénateur Gignac : Oui, ma question s’adressait à Mme Miller. Ce matin, l’Association des banquiers canadiens a fait valoir que le fardeau fiscal que nous imposons aux banques a un effet négatif sur les investisseurs, mais aussi sur les clients, car les frais sont plus élevés. Aux États-Unis, il y a des milliers de banques. Au Canada, vous avez six grandes banques, alors il n’y a pas la même concurrence qu’aux États-Unis. Qu’arrivera-t-il au pétrole et au gaz si vous augmentez le fardeau de cette industrie, et beaucoup de gens sont d’accord avec vous pour dire qu’elle doit en faire plus? Mais si vous n’avez pas le même niveau de concurrence, est-il possible que les grandes entreprises augmentent le prix de l’essence à la pompe si vous augmentez le fardeau de l’industrie pétrolière et gazière? Qu’en pensez-vous? Avez-vous une proposition à faire?
Mme Miller : J’ai en tout cas un commentaire. Nous constatons en ce moment que l’industrie pétrolière et gazière augmente déjà son prix à la pompe. Ce secteur subit certainement des pressions inflationnistes, mais il augmente les prix de façon à améliorer sa marge bénéficiaire. Soixante-six milliards de dollars, c’est ce que cette industrie a encaissé en bénéfices avant impôt — rien que pour les 10 plus grandes sociétés pétrolières et gazières au Canada — au cours de cette année. C’est le double des bénéfices annuels constatés sur le pétrole et le gaz ces 10 ou 20 dernières années.
Le montant des profits qu’elles réalisent est vraiment très élevé, et elles utilisent la plus grande partie de ces profits pour racheter des actions ou verser des dividendes. À vrai dire, elles ont une marge bénéficiaire qui leur permet d’assumer le fardeau d’une taxe supplémentaire et de ne pas la répercuter sur le prix à la pompe. Si elles choisissent de le faire, c’est leur prérogative d’entreprise, mais je pense qu’il y a des façons de s’y attaquer également en assurant une plus grande concurrence et en imposant éventuellement des contrôles des prix.
Le sénateur Gignac : Merci.
Le sénateur Smith : Ma question s’adresse à M. Bourque. Selon le gouvernement, la nouvelle règle anti-revente précipitée proposée dans le projet de loi C-32 vise à réduire la spéculation sur le marché du logement et à aider à stabiliser les prix. J’essaie de comprendre si la revente précipitée est effectivement un problème majeur sur le marché du logement, et si cette nouvelle proposition va permettre de réduire la spéculation et de stabiliser les prix.
M. Bourque : Je vous remercie de la question, sénateur. C’est toujours un plaisir de vous voir. La question de la spéculation est difficile parce que nous ne voulons pas que les particuliers se servent de l’exemption pour gains en capital pour revendre leur maison. C’est le cas lorsqu’une personne emménage dans une maison et, en très peu de temps, la rénove, la vend, utilise l’exemption pour gains en capital et recommence encore et encore. C’est un usage abusif d’une mesure conçue pour l’accession à la propriété. Dans ce cas, la personne est en affaires et devrait payer un impôt sur les sociétés.
Le gouvernement a récemment commencé à recueillir davantage de renseignements auprès des personnes qui vendent une maison dans le but de prévenir ce genre d’abus, mais cela aurait dû être fait il y a longtemps.
Par contre, nous voulons que les gens rénovent leurs maisons. Le plus gros problème, c’est l’offre de logements, et le plus gros obstacle, ce sont les gouvernements, surtout au niveau local, qui mettent des bâtons dans les roues des entrepreneurs et des promoteurs qui veulent construire. Si nous parvenons à faciliter la construction pour les entrepreneurs, le plus grand nombre de nouveaux logements viendra des personnes qui transforment une maison unifamiliale en duplex ou en triplex, ou qui prennent un terrain vide et installent un quadruplex. C’est le genre de choses que nous voulons encourager, mais nous devons établir une distinction très claire afin que l’exemption pour gains en capital ne soit pas utilisée à cette fin.
Le sénateur Smith : Selon le document d’information du gouvernement, cette mesure touchera environ 3 300 contribuables et augmentera les recettes de 15 millions de dollars par année.
Que pensez-vous de cette projection du gouvernement?
M. Bourque : Je ne sais pas d’où vient ce chiffre. Cela semble être une goutte d’eau dans l’océan, alors je ne sais pas à quel point c’est important.
Je préférerais que l’on s’efforce de collaborer avec les autres ordres de gouvernement pour éliminer ces obstacles. Si nous pouvons accroître considérablement l’offre de logements, cela aura des répercussions plus importantes sur les Canadiens. C’est l’offre et la demande. Si nous pouvons augmenter l’offre, nous réduirons les prix. Cela aidera les propriétaires, les locataires et l’ensemble des acteurs du continuum du logement.
La sénatrice Bovey : J’aimerais poursuivre ma discussion, si vous me le permettez, avec M. Kershaw. Je vous remercie d’avoir utilisé les mots « bien-être » et « équité », et vous avez parlé de la nécessité d’avoir plus de données.
Dans le document que j’ai sous les yeux et que nous avons trouvé sur Internet, vous saluez l’avancée que constitue l’élimination des intérêts sur les prêts étudiants, mais vous dites qu’il faut aller plus loin. Pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par là?
Si vous en avez discuté avant mon arrivée, je m’en excuse. Peut-être pourriez-vous simplement me l’envoyer pour que je puisse m’assurer d’en avoir une copie, en mettant en évidence certaines des choses qui seraient très utiles.
M. Kershaw : Je vous remercie de la question. Je vous remercie de l’attention que vous portez à notre analyse de l'énoncé économique de l’automne.
Je dois avouer que comme organisation, nous parlons beaucoup avec les étudiants universitaires et ceux qui ont récemment obtenu leur diplôme. Lorsque les diplômés quittent l’université, ils font l’amer constat que leur dette étudiante n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg que représente la détérioration du produit du travail pour les jeunes Canadiens. Je pense que les efforts visant à réduire les coûts de la dette que les étudiants doivent endosser sont tout à fait appropriés, mais, en effet, les plus grands défis auxquels font face les jeunes sont la hausse du prix des maisons et le fait que les revenus ont en réalité diminué de plusieurs milliers de dollars après prise en compte de l’inflation. Nous devons nous attaquer à la dévalorisation du travail dans notre économie.
Il est intéressant que je fasse partie du groupe de témoins d’aujourd’hui au côté de M. Bourque. Nous sommes d’accord à bien des égards, mais nous devons simultanément nous demander ce que nous attendons du système de logement. Voulons-nous que le système de logement soit avant tout dédié à la création de logements pour les gens, c’est-à-dire des logements qui correspondent à ce que les jeunes gagnent ou à ce que tout un chacun gagne? Ou voulons-nous que notre système de logement soit considéré comme un produit d’investissement, une façon de s’enrichir?
Dans le cas des plus jeunes, pour lesquels le travail ne rapporte plus autant qu’auparavant, notre société doit renouveler son engagement et demander au gouvernement du Canada d’affirmer que l’objectif du système de logement est de faire en sorte que le prix des logements n’augmente plus. Nous encouragerons les Canadiens à accumuler de la richesse dans d’autres secteurs de notre économie, ce qui, soit dit en passant, se traduira par des gains de productivité plus élevés et une augmentation des recettes pour les gens.
Voici un dernier chiffre : la location de biens immobiliers représente 14 % de l’économie canadienne. Moins de 2 % des Canadiens gagnent leur vie dans cette industrie. C’est une façon de stimuler l’économie.
En voici les avantages : les propriétaires de maison comme moi profitent d’une manne. Les agents immobiliers gagnent très bien leur vie. Tous les autres se voient moins payés de leur travail parce que leur premier poste de dépenses augmente plus rapidement que leur revenu. C’est ce que subissent les jeunes Canadiens.
C’est pourquoi il faut en faire davantage. Il ne s’agit pas seulement du niveau d’endettement des étudiants; il s’agit de savoir comment nous pouvons revaloriser le travail. L’écart entre le prix des logements et les revenus paralyse les jeunes Canadiens tout en enrichissant ceux qui sont arrivés plus tôt sur le marché du logement.
La sénatrice Pate : Merci encore aux témoins. J’aimerais permettre à chacun d’entre vous, en commençant par Mme Miller, de nous en dire plus sur le modèle d’équité fiscale qui, selon vous, pourrait combler certaines des lacunes fiscales que vous avez soulevées, ainsi que les pertes de revenus.
Mme Miller : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer. Je serai brève, car j’ai déjà abordé beaucoup de sujets.
Nous devons faire passer le taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés de 15 à 20 % et mettre en place un impôt minimum sur les bénéfices de 15 %, au moins, afin d’endiguer une partie de l’évasion fiscale et de tirer un revenu globalement plus équitable de nos sociétés au Canada.
De plus, nous devons éliminer un grand nombre d’échappatoires fiscales. Au cours des 40 dernières années, un trop grand nombre d’entre elles ont été intégrées au système. Nous avons besoin d’un examen approfondi de nos échappatoires fiscales pour savoir si elles présentent des avantages économiques et sociaux pour les autres Canadiens.
Je vais m’arrêter ici. Merci beaucoup.
M. Kershaw : Tandis que M. Bourque a laissé entendre tout à l’heure que Generation Squeeze est en faveur de l’élimination de l’exonération des gains en capital pour les résidences principales, ce n’est pas ce que nous proposons. Nous proposons de revoir les seuils et de demander aux Canadiens qui font partie des 10 % de propriétaires de logements les plus riches — dont je fais partie — de manifester leur allégeance au rêve canadien selon lequel le prix d’un bon logement devrait correspondre à ce que le travail peut rapporter.
Dans le cadre de cette allégeance, nous leur demanderions de payer une contribution modeste pour réduire l’inégalité en matière de logement en imposant une surtaxe sur les logements dont la valeur dépasse 1 million de dollars — ce qui exempterait environ 90 % des ménages canadiens — et nous demanderions aux 10 % de ménages qui font partie de la tranche supérieure de contribuer un peu plus. Dans la première tranche, pour un logement valant 1,1 million de dollars, ce serait très modeste, presque symbolique : quelques centaines de dollars par année. Au-delà, la taxe augmente, et vous pouvez consulter les détails de notre recommandation. Cela nous permettrait de recueillir environ 5 milliards de dollars par année, que nous pourrions investir dans des logements très abordables, des logements locatifs très abordables, des logements coopératifs et qui nous permettraient de répondre à certains des besoins en soins de santé de la population vieillissante. Le plus souvent, c’est la population vieillissante qui possède la plus grande partie de la richesse en matière de logement — entre autres avantages.
Je me ferai un plaisir de vous en parler plus en détail.
M. Bourque : Je ne veux pas me laisser entraîner dans un débat avec M. Kershaw à ce sujet. Nous avons une politique de longue date au Canada d’appui à l’accession à la propriété en raison des avantages sociaux que cela présente. Malheureusement, les restrictions politiques, surtout au niveau local, ont créé une situation où il est très difficile pour nous de construire des maisons et de répondre à la demande. C’est le problème sous-jacent.
Je ne pense pas que cela soit utile d’imposer les gens. La proposition d’impôt me rappelle qu’on ne peut pas être à moitié enceinte. Soit vous imposez, soit vous ne le faites pas. Cela a un impact sur les gens.
Nous devons concentrer nos efforts — si nous voulons être justes envers les gens et leur donner la possibilité d’avoir un toit — sur l’élimination de ces restrictions au logement. Il y en a beaucoup trop. Elles ont été très bien documentées par l’Institut C.D. Howe et d’autres.
M. Lawlor : Je vous remercie de la question. Je dirais que les Canadiens s’attendent à un important rendement du capital investi lorsque l’on utilise des fonds gouvernementaux. Par conséquent, pour revenir à ce dont je parlais dans ma déclaration préliminaire, c’est-à-dire l'énoncé économique de l’automne et les crédits d’impôt pour les technologies propres et l’hydrogène, si le gouvernement renonce à des recettes fiscales sous forme de crédits d’impôt ou d’autres mesures de soutien, alors cela doit être lié à la création d’emplois, à l’innovation et aux investissements qui profiteront à tous les Canadiens et à tous les travailleurs canadiens. Merci.
La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à Mme Rahmati. Nous avons entendu le témoignage de l’Alberta Federation of Labour sur la transition équitable. L’Alberta Federation of Labour a dit qu’elle préférait ne pas être associée à la transition équitable. Elle préfère parler de modernisation de la politique industrielle. La transition équitable consiste, d’après les définitions que j’ai lues, à préparer la main-d’œuvre à participer pleinement à l’économie sobre en carbone tout en réduisant au minimum les répercussions de la transition sur le marché du travail. Elle tient compte des principes de bien être, de travail enrichissant, d’autodétermination, de répartition équitable, et ainsi de suite.
Pouvez-vous nous dire si votre association est en faveur d’une transition équitable, et quels sont les principes qui sous-tendent cette transition équitable selon vous? Merci.
Mme Rahmati : Je vous remercie de cette question.
Je dirais que le Syndicat des métiers de la construction du Canada est moins préoccupé par la terminologie exacte utilisée, mais nous soutenons l’idée d’une transition équitable et les efforts du gouvernement à cet égard. Nous savons qu’au cours des derniers mois, le gouvernement a commencé à utiliser le terme « emplois durables » et qu’il présentera un plan en ce sens.
Nous appuyons ce libellé d’autant plus qu’il rassure notre main-d’œuvre en lui disant qu’elle continuera d’avoir des emplois, ce qui, au bout du compte, est notre principale préoccupation et notre priorité. S’agissant d’une transition équitable, nous voulons nous assurer que les gens ont de bons emplois, qu’ils sont bien rémunérés et que les travailleurs n’ont pas besoin de périodes de chômage au cours de cette transition. Nous sommes d’accord avec la terminologie relative à la transition équitable, mais nous appuyons clairement la terminologie relative aux emplois durables qui a été utilisée, et je dirais que notre priorité est que les travailleurs doivent être à l’avant-plan de ces conversations sur la transition équitable.
La sénatrice Galvez : Merci.
Le sénateur Cardozo : Je n’ai qu’une question pour Katrina Miller, de Canadiens pour une fiscalité équitable. En ce qui concerne les prêts sans intérêt pour les étudiants, nous avons entendu les témoins nous donner des arguments pour et contre cette idée. Je me demande ce que vous en pensez : est-ce un outil précis et utile pour aider les étudiants qui ont vraiment besoin d’aide? Ou est-ce trop répandu, et est-ce que les étudiants qui n’ont pas besoin d’aide en tirent trop d’avantages?
Mme Miller : Je vous remercie de votre question sénateur.
Sans entrer dans les détails — je serai franche, nous n’avons pas fait de recherches détaillées à ce sujet —, je me ferai l’écho des commentaires de M. Kershaw au sujet de l’universalité des programmes. Je crois que des programmes comme celui-ci doivent être universellement accessibles et que nous devrions chercher à récupérer des recettes fiscales auprès des mieux lotis de notre société grâce au régime fiscal, grâce à nos mesures fiscales générales, comme notre impôt sur le revenu, et au moyen d’un système d’impôt sur le revenu progressif afin de s’assurer qu’ils payent leur juste part. Je pense que d’essayer de soumettre ce genre de mesures à des conditions de revenu finit par être un fardeau administratif et a souvent des répercussions involontaires sur ceux qui ne peuvent vraiment pas se le permettre.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Le sénateur Loffreda : Ma dernière question s’adresse à l’Association canadienne de l’immeuble. Monsieur Bourque, compte tenu des mesures contenues dans le projet de loi C-32 — la règle anti-revente anticipée, la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisée — et l’augmentation des taux d’intérêt, estimez-vous que l’abordabilité et l’accessibilité des maisons au Canada s’en trouvent améliorées, et quand et comment pourra-t-on les ramener à un niveau acceptable?
M. Bourque : Eh bien, je comprends, sénateur, pourquoi vous parrainez le projet de loi. Il y a beaucoup de choses positives dans ce projet de loi, et je pense que le compte libre d’impôt et certaines autres mesures sont excellentes.
J’insiste à nouveau sur le fait que le gouvernement doit s’efforcer d’accroître l’offre. Par exemple, nous devons accorder beaucoup plus d’attention à l’innovation, car même si nous faisons ce que nous pouvons pour attirer des travailleurs qualifiés, nous ne serons pas en mesure de suivre le rythme. Si nous avions des approches novatrices en matière de construction de logements résidentiels, nous pourrions atteindre nos objectifs en matière de changements climatiques beaucoup plus rapidement parce que nous pourrions le faire beaucoup plus efficacement.
Par conséquent, je pense qu’il est très difficile pour un jeune d’essayer d’accéder au marché du logement. Que vous soyez locataire ou acheteur, les coûts sont très élevés. Je ne sais pas quand les choses vont s’améliorer. Je pense que ces mesures sont utiles. Mais ce qui va vraiment aider, c’est si nous pouvons travailler ensemble comme société — toute la société, ce qui n’est pas le cas actuellement — pour augmenter l’offre de logements de façon très spectaculaire. La SCHL parle de 3,5 millions de logements. C’est beaucoup de logements à construire si nous voulons atteindre cet objectif.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le président : Merci aux témoins, il ne fait aucun doute dans mon esprit que vos remarques ont été très instructives. Vos réponses aux questions permettront certainement au Comité des finances nationales de rappeler aux Canadiens ce que sont la transparence, la reddition de comptes, la fiabilité et la prévisibilité.
Avant de lever la séance, j’aimerais rappeler aux témoins de bien vouloir soumettre leurs réponses écrites à la greffière d’ici la fin de la journée du vendredi 9 décembre 2022. Sommes-nous d’accord pour ce qui est des questions?
Avant de lever la séance, j’aimerais remercier toute l’équipe de soutien du comité. Ceux qui sont dans la salle, ainsi que ceux qui sont en coulisse et qui ne sont pas visibles, je vous remercie tous pour votre travail, qui contribue énormément à celui des sénateurs.
(La séance est levée.)