LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 18 avril 2023
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le Canada qui nous regardent sur sencanada.ca. Je souhaite également la bienvenue à Kelly MacAuley, député d’Edmonton-Ouest.
Bienvenue à la séance, monsieur MacAuley.
Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.
[Français]
J’aimerais demander aux sénateurs et sénatrices de faire un tour de table et leur demander de se présenter en commençant par ma gauche, ce matin.
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, du Québec.
Le sénateur Loffreda : Bonjour et bienvenue aux témoins. Tony Loffreda, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Duncan : Bonjour à tous. Pat Duncan, sénatrice du Yukon. Bienvenue de nouveau parmi nous.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
Le président : Merci, sénateurs. Permettez-moi de formuler quelques commentaires. J’aimerais d’abord remercier le vice-président, le sénateur Forest, d’avoir pris la responsabilité de présider les réunions durant mon absence. Merci également au comité directeur pour son travail afin que le Comité sénatorial des finances nationales puisse assumer ses responsabilités et effectuer ses travaux, qui nous ont été assignés par le Sénat du Canada.
Personnellement, j’aimerais vous dire merci, sénateurs et sénatrices, pour les bons souhaits que vous m’avez fait parvenir, soit par courriel ou par l’entremise du sénateur Forest et de mon bureau. Vos petites marques d’affection ont été un engin motivateur pour revenir le plus vite possible.
Un merci spécial également aux membres du personnel : la greffière, les analystes, la traduction, les pages, les interprètes, les sténographes, le personnel technique et le personnel de nos bureaux. Ils sont toujours fidèles à la tâche pour nous appuyer afin que nous puissions réaliser le mandat qui nous a été confié par le Sénat du Canada.
[Traduction]
Honorables sénateurs, nous poursuivons l’étude du Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024, que le Sénat du Canada a renvoyé au comité le 7 mars 2023.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Yves Giroux, directeur parlementaire du budget. Il est accompagné de Robert Behrend, directeur, Analyse financière, et de Kaitlyn Vanderwees, analyste. Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Je profite de l’occasion pour ajouter que chaque fois que nous avons demandé au directeur parlementaire du budget de comparaître, il fait toujours en sorte que ce soit possible. Merci de manifester pareil leadership.
Votre témoignage est toujours très enrichissant, monsieur Giroux. Il aide toujours les représentants de tous les Canadiens, où qu’ils habitent, à mettre l’accent sur quatre grands principes, soit la transparence, la responsabilité, la fiabilité et la prévisibilité.
Nous allons maintenant entendre la déclaration liminaire de M. Giroux, qui sera suivie des questions des sénateurs.
[Français]
Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Nous sommes heureux d’être ici pour parler de notre rapport intitulé Le Plan des dépenses du gouvernement et le Budget principal des dépenses pour 2023-2024, publié le 3 mars dernier. Je suis accompagné de l’analyste ayant travaillé sur le rapport, Kaitlyn Vanderwees, et de Robert Behrend, directeur, Analyse financière.
Le Budget principal des dépenses du gouvernement pour 2023-2024 prévoit des autorisations de dépenses budgétaires de 432,9 milliards de dollars. Les autorisations votées, que le Parlement doit approuver, se chiffrent à 198,2 milliards de dollars. Les autorisations législatives, pour lesquelles le gouvernement a déjà obtenu l’approbation de dépenser du Parlement, totalisent 234,8 milliards de dollars. Comme dans les budgets de dépenses antérieurs, les sommes transférées aux autres ordres de gouvernement, aux particuliers et aux autres organismes représentent la majorité des dépenses prévues, totalisant 261,4 milliards de dollars.
[Traduction]
Viennent ensuite les dépenses de fonctionnement et en capital, qui se chiffrent à 133,7 milliards de dollars, et les paiements d’intérêt sur la dette publique, qui totalisent 37,8 milliards de dollars.
Parmi les grands secteurs de dépenses dans le Budget principal des dépenses figurent les prestations aux aînés, qui représentent 76,6 milliards de dollars ou un dollar sur six, et le Transfert canadien en matière de santé, qui représente 49,4 milliards de dollars, ou un dollar sur neuf. Les dépenses pour les services professionnels et spéciaux, englobant les contrats avec des consultants externes, atteindront près de 20 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 2,2 milliards de dollars ou de 13 % par rapport au Budget principal des dépenses de l’année dernière.
Le budget de 2023 ayant été déposé après le Budget principal des dépenses de 2023-2024, ce budget des dépenses ne comprend pas les nouvelles mesures budgétaires. Par conséquent, les autorisations budgétaires pour 2023-2024 augmenteront en fonction des demandes de financement qui devraient être présentées dans les budgets supplémentaires des dépenses.
Conformément aux dispositions législatives donnant au directeur parlementaire du budget, le DPB, le mandat de produire des analyses impartiales et indépendantes pour aider les parlementaires à s’acquitter de leur rôle constitutionnel, à savoir de demander des comptes au gouvernement, mon bureau publie des analyses du budget du gouvernement ainsi que des budgets supplémentaires des dépenses. Le 13 avril, mon bureau a publié le rapport Budget de 2023 : enjeux pour les parlementaires. Conçu pour aider les parlementaires dans leurs délibérations budgétaires, le rapport présente les principales questions qui ressortent du budget, lequel prévoit 69,7 milliards de dollars en nouvelles dépenses brutes.
Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions sur notre analyse du budget des dépenses ou sur d’autres documents produits par le DPB. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Giroux.
Passons aux questions. J’informe les sénateurs qu’ils auront un maximum de cinq minutes au premier tour et de trois minutes au deuxième.
La sénatrice Marshall : Monsieur Giroux, bienvenue à vous et à vos collaborateurs.
Dans votre déclaration liminaire, à propos du Budget principal des dépenses, vous avez parlé des documents budgétaires et signalé que le Budget principal des dépenses ne tient pas compte des nouvelles initiatives budgétaires. Nous avons étudié le Budget principal des dépenses, mais lorsque nous avons examiné certaines dépenses, j’ai cherché dans le budget s’il y en est fait mention.
L’une des dépenses de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada portait sur le règlement du recours collectif de la bande de Gottfriedson. Le Budget principal des dépenses prévoit 2,9 milliards de dollars, et c’est pour l’exercice 2023-2024. Mais j’ai constaté, dans le budget de 2023, que le gouvernement avait repoussé cette dépense — ou du moins il semble qu’il s’agisse de la même dépense — à l’exercice 2022-2023. Il y a quelques années, il y a eu une certaine controverse. Le gouvernement a rouvert les livres et repoussé à l’exercice antérieur une dépense de plusieurs milliards de dollars. Je veux m’assurer que, au total, on obtient un certain résultat.
Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette dépense? Elle apparaît dans deux exercices financiers. Elle se retrouve dans le nouvel exercice, et il s’agit d’un montant de près de 3 milliards de dollars.
M. Giroux : Je ne pourrai probablement pas parler des détails de cette dépense, mais en ce qui concerne les règlements conclus avec des Premières Nations et ces indemnisations, il n’est pas inhabituel — en fait, c’est assez fréquent — qu’en raison de la comptabilité d’exercice, ces passifs doivent être comptabilisés dans l’exercice au cours duquel ils sont admis — donc, selon l’évaluation juridique, lorsque est franchi un certain seuil de probabilité que le gouvernement soit tenu responsable.
Voilà pourquoi, souvent, la comptabilité d’exercice tient compte de ces passifs au cours d’un exercice donné, même s’il peut s’écouler quelques années avant que le montant ne soit effectivement versé. C’est probablement pour cela que dans ce cas-ci, comme dans bien d’autres, les documents budgétaires précédents ont fait état de ce passif de 2,9 milliards de dollars. Mais il y a un décalage entre le moment où le passif est admis et comptabilisé ou inclus dans les états financiers du gouvernement et celui où les fonds sont versés, c’est-à-dire le moment où le Budget principal des dépenses ou le Budget supplémentaire des dépenses demandent les fonds pour les verser aux Premières Nations.
La sénatrice Marshall : Il est déjà arrivé que le gouvernement inscrive deux fois un poste pour se donner une certaine marge de manœuvre. Si les 2,9 milliards de dollars sont en fait une dépense de l’exercice précédent, lorsque nous adopterons le Budget principal des dépenses, nous approuverons une dépense de 2,9 milliards de dollars et nous donnerons au gouvernement la possibilité de faire des dépenses supplémentaires. Est-il possible que ce soit pour cette raison que la dépense figure dans les comptes de deux exercices? Cela s’est déjà vu.
M. Giroux : Je ne pense pas que ce soit le cas dans un dossier comme celui des règlements conclus avec des Premières Nations. Le gouvernement a une certaine latitude pour comptabiliser le passif selon la comptabilité d’exercice. Il y a donc une certaine souplesse, comme vous l’avez dit, à propos d’éléments antérieurs, notamment les services à l’enfance et à la famille. Le gouvernement a alors comptabilisé 20 milliards de dollars et rouvert les livres. Il a donc une certaine latitude quant au moment où il comptabilise ce passif. Il y a également une certaine souplesse quant au moment où les fonds sont effectivement versés. Cependant, je ne pense pas qu’il ait comptabilisé deux fois la même dépense pour se ménager une marge de manœuvre.
La sénatrice Marshall : J’ai plusieurs questions à poser, mais voici la suivante. Il ne semble pas y avoir, dans le Budget principal des dépenses, une hausse appréciable du budget du ministère de la Défense nationale. Par contre, le budget fait état d’un certain nombre d’initiatives. Mais tout est indiqué en négatif, de façon à revenir à zéro parce que les fonds sont prévus dans le cadre financier.
Nous avons déjà parlé de gros montants de milliards de dollars qui apparaissent comme... On ne précise pas à quelles fins les fonds sont destinés, mais les montants sont là pour des engagements ultérieurs. On ne nous dit pas de quoi il s’agit. Pouvez-vous vérifier? Pour ce qui est des dépenses de défense dans le budget, nous avons des montants négatifs assortis de la mention « réservé dans le cadre financier », mais je ne les trouve pas dans le cadre financier. Pouvez-vous les y repérer? Il y a toute une page d’initiatives du ministère de la Défense nationale, et tout est indiqué comme « réservé dans le cadre financier ». On ne dit pas où, mais l’impact net est nul.
Êtes-vous au courant? Pouvez-vous nous dire où trouver les données? La pratique est courante non seulement à la Défense nationale, mais aussi dans un certain nombre d’autres ministères.
M. Giroux : Excellente question. Personne, même avec les meilleures intentions et les meilleures connaissances qui soient, ne peut trouver ces données dans les documents budgétaires. Nous pouvons seulement trouver d’où viennent ces dispositions en demandant les détails aux ministères des Finances et de la Défense nationale. C’est parce que les charges déjà prises en compte dans le cadre financier ne sont pas faciles à suivre, et elles ne sont pas toujours très transparentes et claires.
Il est tout à fait normal que vous ne puissiez pas vous y retrouver. Il vous faudrait des renseignements beaucoup plus détaillés que ceux qui figurent dans les documents publics.
La sénatrice Marshall : Me reste-t-il du temps? Je vais attendre le deuxième tour. Merci.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Giroux. C’est toujours un plaisir de vous retrouver au comité.
Vous comparaissez aujourd’hui pour discuter du Budget principal des dépenses. Je crois comprendre qu’on aura l’occasion de vous entendre de nouveau lorsque ce sera le temps du budget de 2023, que vous avez appelé Budget de 2023 : enjeu pour les parlementaires. Je trouve que c’est un bon titre, parce que lorsque vient le temps d’analyser le budget des dépenses du gouvernement, le Budget principal des dépenses ne contient pas les dépenses qui seront présentées dans le cadre du budget supplémentaire. D’ailleurs, à la page 3 de votre document, vous dites que le Budget principal des dépenses est de l’ordre de 10 milliards de dollars de moins que le budget des dépenses, à ce jour, pour 2022-2023.
Peut-on dire que c’est encore le cas? Dans le dernier budget, je pense qu’il augmente de 13 milliards de dollars pour l’année dernière. Est-ce une règle empirique, à savoir que c’est environ 90 ou 95 % des dépenses totales du Budget principal des dépenses? Selon votre expérience, est-ce que cela peut varier considérablement d’une année à l’autre? Quelles en sont les raisons?
M. Giroux : D’abord, au sujet de votre question, à savoir si on peut s’attendre à voir une différence, on compare le Budget principal des dépenses qui a été déposé récemment à celui de l’année dernière. C’est la différence que l’on voit. On compare des choses qui sont comparables d’une année à l’autre. Évidemment, le budget change les choses et l’une de nos recommandations, c’est d’avoir un budget à date fixe pour s’assurer que le Budget principal des dépenses que vous étudiez actuellement reflète le plus possible les initiatives budgétaires, ce qui n’est pas le cas.
En ce qui concerne la proportion des dépenses incluses dans le Budget principal des dépenses, 90 %, c’est une bonne règle; quoiqu’il puisse y avoir des variations importantes d’une année à l’autre, notamment dans le cas de dépenses extraordinaires — comme on l’a vu pendant la pandémie — ou de changements considérables dans certaines initiatives gouvernementales, où on voit un accroissement de certaines dépenses. Par exemple, un transfert de dépenses en santé accroîtrait les dépenses en matière de défense. On peut penser à toutes sortes d’exemples.
Il n’y a pas de règle comme telle, mais la moyenne, c’est qu’un bon 90 % des dépenses ont tendance à se retrouver dans le budget principal. Le reste, au fil des mois, se retrouve dans les budgets supplémentaires (A), (B) et (C), le cas échéant.
Le sénateur Gignac : Pour comparer des pommes avec des pommes, hier soir, je suis allé regarder les plans des dépenses sur le site du gouvernement. L’historique qui est présenté pour le Budget principal des dépenses s’étend sur une période de 10 ans.
Au fond, je voulais vérifier les dépenses par rapport à la période avant la pandémie, parce que cela a entraîné des dépenses extraordinaires, mais plusieurs dépenses non récurrentes. J’ai pris comme référence l’année 2019-2020, soit l’année financière avant la pandémie, et je constate que le Budget principal des dépenses est passé de 299 milliards de dollars à 432 milliards de dollars. Cela représente une augmentation de 45 % en quatre ans, soit une croissance à deux chiffres, en moyenne, par année.
Ma question est simple : le gouvernement a-t-il perdu le contrôle des dépenses? Quelle est votre opinion à ce sujet? Il s’agit quand même de dépenses assez importantes quand on parle d’une moyenne de 10 % par année ou 44 % de plus que l’année financière avant la pandémie. En quatre ans, c’est quand même beaucoup de dépenses par rapport à la croissance économique.
M. Giroux : Vous soulevez un bon point. Est-ce que le gouvernement a perdu le contrôle des dépenses? Je ne sais pas s’il a perdu le contrôle, mais je peux certainement dire que les dépenses augmentent à un rythme soutenu.
D’ailleurs, si on fait un graphique qui présente les prévisions pour les prochaines années, à chacun des budgets ou des énoncés économiques, on voit que les révisions aux dépenses d’un énoncé ou d’un budget à l’autre vont dans une direction, c’est-à-dire qu’en 2019, en 2020 ou en 2021, le gouvernement prévoit une certaine trajectoire pour ses dépenses pour les années futures, lors du dépôt de la mise à jour économique suivante ou du budget suivant. Pour les mêmes années, on voit que les dépenses augmentent. De plus, dans le budget récemment déposé, le gouvernement prévoit atteindre 500 milliards de dollars de dépenses d’ici deux à trois ans. Donc, on va franchir un seuil psychologique important.
Cela dit, est-ce que le gouvernement a perdu le contrôle? Je crois que c’est à dessein que le gouvernement augmente ses dépenses, donc je n’irais pas jusqu’à dire qu’on a perdu le contrôle. Je crois que c’est pour livrer des priorités en matière de politiques publiques, et que c’est un choix conscient que le gouvernement fait. Tout comme, d’ailleurs, lorsqu’on regarde la croissance de la taille de la fonction publique, où on a assisté à un ajout de plus de 60 000 fonctionnaires au cours des dernières années; je crois que c’est la conséquence de choix que le gouvernement a faits au cours des dernières années et qu’il continue de faire.
Le sénateur Gignac : À la page 7 de votre document, vous mentionnez qu’en ce qui concerne le Transfert canadien en matière de santé, on prévoit, dans la nouvelle entente, qu’il sera d’au moins 5 % pour les cinq prochaines années. Les provinces étaient heureuses d’apprendre cela puisqu’elles sont sur le front.
En tant que parlementaires, comme le Transfert canadien en matière de santé est comme la pension de la Sécurité de la vieillesse : on n’a pas vraiment à se prononcer puisque les postes législatifs sont automatiques, ce n’est pas discrétionnaire; ce sont des programmes qui sont prévus. Toutefois, on mentionne que cette somme de 60 milliards additionnels exclut un montant de 25 milliards de dollars qui a été réservé par le gouvernement pour des accords bilatéraux avec les provinces.
En tant que parlementaires, pourra-t-on se prononcer sur ce montant de 25 milliards, ou est-ce que ce sera comme la pension de la Sécurité de la vieillesse ou les Transferts canadiens en matière de santé, soit des programmes qui sont renouvelés automatiquement et sur lesquels on n’a pas à se prononcer?
Savez-vous si les accords bilatéraux feront l’objet d’un vote par les parlementaires?
M. Giroux : Les programmes bilatéraux vont, selon moi, devoir faire l’objet d’un vote ou de délibérations, soit par des modifications législatives pour la loi qui gouverne les transferts canadiens en matière de santé ou, encore, des budgets supplémentaires de dépenses au fur et à mesure que les ententes sont signées. Il est évident que les deux Chambres doivent considérer toutes les dépenses et voter. Est-ce que ce sera au moyen du projet de loi d’exécution du budget ou d’une législation distincte? Je ne le sais pas encore. Peut-être que les détails sont déjà connus, mais je n’ai pas ces renseignements. Cependant, il est évident que vous aurez l’occasion de vous prononcer, en tant que parlementaires, sur ces dépenses.
Le sénateur Gignac : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Monsieur Giroux, votre prédécesseur au poste de directeur parlementaire du budget, Kevin Page, a témoigné devant le Comité des banques et du commerce, en décembre 2022. Selon lui, le gouvernement fédéral devrait s’engager à appliquer un plan quinquennal ou de plus longue durée en matière de ressources humaines. Ce plan non seulement assurerait une plus grande transparence au sujet de l’utilisation des fonds publics, mais fournirait aussi plus d’information sur la façon dont la fonction publique appliquera les politiques du gouvernement fédéral à long terme.
Pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait appliquer un plan à long terme en matière de ressources humaines? Comment ce plan assurerait-il une plus grande transparence dans les dépenses fédérales?
M. Giroux : Voilà une question intéressante. En soi, la question pourrait faire l’objet d’une longue étude que pourraient réaliser ce comité-ci ou encore un autre. Serait-ce une bonne idée? Je suis convaincu que ce serait une bonne idée d’avoir un plan à long terme pour que le gouvernement puisse réunir les bonnes compétences dont il a besoin dans sa fonction publique et se doter de la capacité de respecter ses priorités stratégiques. Ce serait préférable à ce que nous avons vu récemment, c’est-à-dire une augmentation du nombre de fonctionnaires et un recours accru aux consultants et à l’entreprise sans qu’il puisse toujours offrir les services sur lesquels comptent les Canadiens.
Récemment — et encore aujourd’hui —, ceux qui demandent des prestations d’assurance-emploi ou divers services gouvernementaux peuvent avoir du mal à se faire servir dans les meilleurs délais. Il serait extrêmement avantageux d’avoir un plan clair qui tient compte des besoins du gouvernement en matière de ressources humaines, des compétences dont il a besoin et de la combinaison judicieuse de l’aide extérieure, du recours à des consultants et de l’apport des services internes. Peut-être le gouvernement a-t-il un tel plan dont je n’ai pas connaissance, ou peut-être s’agit-il d’un plan interne utilisé à des fins de planification interne, mais il serait rassurant pour les citoyens de voir que le gouvernement sait où il s’en va avec sa fonction publique et qu’il sait comment maximiser la productivité et l’utilisation de ces services.
Le sénateur Smith : Moi qui suis de l’extérieur et entends les réactions des divers ministères, il me semble noter de l’incohérence en ce qui concerne les résultats attendus. Certains ministères prévoient dépenser tant de milliards de dollars, mais ils ne le feront pas avant 2026, ou il arrive souvent que les résultats tardent beaucoup à se concrétiser.
Il semble y avoir un certain flottement dans l’exécution. Et la population en souffre. Le gouverneur de la Banque du Canada essaie de freiner l’inflation tandis qu’un ancien gouverneur d’une autre banque dit qu’il y a une pédale de frein et une pédale d’accélérateur et qu’un manque de coordination dans leur utilisation nous plongera dans des difficultés.
J’essaie de comprendre. Vous êtes dans ce milieu depuis un certain temps et vous le comprenez probablement mieux que la plupart des gens. Comment pouvons-nous assurer une gestion qui fasse que le gouvernement rende des comptes et soit crédible et capable d’obtenir des résultats afin que les Canadiens se sentent plus en sécurité dans cet environnement?
M. Giroux : Question très intéressante. Si nous disposions d’une heure ou deux, nous pourrions probablement consacrer tout ce temps à ce seul sujet.
Il y a plusieurs façons de faire. Il est possible de prévoir des journées budgétaires fixes qui permettraient au gouvernement de faire figurer ses nouvelles dépenses budgétaires dans le budget principal des dépenses afin que les ministères aient une meilleure idée des ressources qu’ils obtiendront avant le début d’un exercice plutôt que de commencer l’exercice avec un certain niveau de ressources prévues, quitte à obtenir des compléments tout au long de l’année.
Il pourrait aussi y avoir une budgétisation fondée sur le rendement, ce qui existe dans certains pays. Lorsqu’ils établissent leur budget, ils examinent le rendement de programmes précis et ils établissent les affectations en conséquence. Tel programme ou telle série de programmes ont-ils atteint leur objectif de rendement? Sont-ils assez robustes? Oui? Nous pouvons envisager d’augmenter les ressources. Non? Apportons des modifications pour que les ressources supplémentaires ou existantes soient bien utilisées.
Il y a plusieurs façons de faire, mais l’actuel dispositif disparate ne profite pas aux ministères : ils ont un niveau de financement de base venant du Budget principal des dépenses, notamment, et ils obtiennent des ressources supplémentaires au fil de l’exercice — Budget supplémentaire des dépenses (A), (B) ou même (C). Ensuite, ils doivent faire des pieds et des mains pour embaucher du personnel afin de faire ces dépenses de programme supplémentaires, ce qui n’est pas facile. Leur travail se complique. L’absence de plan à long terme ajoute à ces difficultés. Il y a beaucoup de réactions dans le système.
Le sénateur Smith : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : C’est toujours un plaisir de vous revoir, monsieur Giroux. J’aimerais revenir sur l’augmentation des dépenses en santé. Si l’on tient compte de nouveaux transferts aux provinces, de l’aide supplémentaire pour les aînés et du nouveau programme pour les soins dentaires, croyez-vous que le gouvernement actuel a un budget suffisant pour réaliser le tout, ou doit-on s’attendre à des déficits à combler dans les prochaines années? Parce qu’on sait que le régime des soins dentaires a été sous-estimé.
M. Giroux : C’est évident que le gouvernement, comme tous les gouvernements, a toujours la capacité d’augmenter les taxes et les impôts. C’est ce que le gouvernement a fait récemment en introduisant de nouvelles mesures de fiscalité, notamment pour les personnes à haut revenu ou au moyen de l’impôt minimum de remplacement. Il y a certaines mesures d’augmentation des revenus.
Ce qu’on a aussi vu dans le budget, c’est que les déficits seront là pour au moins les cinq prochaines années, selon les prévisions du gouvernement et aussi selon nos propres prévisions. Est-ce que le gouvernement a les moyens d’effectuer ces dépenses-là? La réponse est probablement oui, si on est à l’aise avec des déficits — des déficits qui ne sont pas très élevés considérant l’ensemble des dépenses —, mais aussi avec de possibles augmentations d’impôt qui financent en partie ces dépenses.
Tout cela pour dire qu’à la question de savoir si le gouvernement a les moyens de ces programmes-là, je répondrai que ça dépend de votre perspective. Jusqu’à maintenant, le gouvernement s’est engagé à avoir un ratio de la dette au PIB qui ira en décroissant à moyen terme — ce qui va se produire, sauf pour l’année en cours et l’année suivante. On va assister à un accroissement du ratio de la dette au PIB au cours des prochains mois, et par la suite, s’il n’y a pas de nouvelles dépenses, le ratio devrait continuer de descendre.
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre dans l’absolu, parce que ça dépend toujours du degré de confort des gens à qui on s’adresse à propos du déficit, et de l’appétit de certaines personnes ou de groupes de personnes à revenir à un budget équilibré; cela dépend aussi du niveau des dépenses avec lequel on est à l’aise. Donc, il s’agit de la place visible de l’État dans l’économie en général.
Le sénateur Dagenais : Maintenant, je vais vous parler des contrats de consultation. On sait que la firme McKinsey avait peut-être obtenu pas loin de 100 millions de dollars en contrats. Le budget actuel nous promet des réductions de dépenses en matière de services de consultation, entre autres pour les frais d’avocats, de déplacements, etc.
Sera-t-il possible pour vous de savoir comment et où cet argent sera économisé? Croyez-vous que le gouvernement pourrait économiser davantage que ce qu’il promet de faire? Croyez-vous qu’on est capable de vérifier si cet argent a vraiment été économisé?
M. Giroux : En ce qui concerne notre capacité de voir si cet argent a été économisé, je crois que ça va être possible, étant donné que les frais de consultation font partie d’une catégorie à part qu’on a été en mesure de suivre au fil des ans. Les frais sont passés de 13 ou 14 milliards à 20 milliards de dollars, donc on a été capable de suivre leur évolution. On va probablement être capable si le gouvernement rend compte fidèlement de ces dépenses, donc si le gouvernement les caractérise bien ou les catégorise bien; on va être capable de voir s’il y a effectivement une réduction des dépenses d’environ 15 %.
Est-ce que c’est possible? Je crois que oui, étant donné que la taille de la fonction publique a grossi considérablement. La capacité à livrer les programmes de la part de la fonction publique s’est améliorée, et le gouvernement a été capable de fonctionner, il y a quelques années à peine, avec des dépenses qui étaient d’environ le tiers moins élevées en matière de consultants. Ça devrait être possible de réduire ces dépenses de 15 % tout en ayant un gouvernement qui fonctionne assez bien au cours des prochaines années. Selon moi, ça ne devrait pas être difficile de suivre l’évolution de ces dépenses et de les réduire, sans qu’il y ait d’impact notable sur l’appareil fédéral.
Le sénateur Dagenais : Lorsqu’on interroge les sous-ministres et les hauts fonctionnaires à ce comité, le gouvernement actuel annonce assez souvent des dépenses à caractère politique et électoraliste, mais sans avoir consulté, à tout le moins, ou sans même avoir informé les ministères concernés. Ces ministères devront gérer quand même de nouvelles dépenses qui sont non prévues au budget et qui ne sont peut-être pas urgentes, comme c’était le cas pendant la pandémie qu’on a vécue. Êtes-vous capable de nous dire si ce que je qualifie de « valse des millions », qui semble parfois improvisée, peut avoir un effet déstabilisateur sur le budget global?
M. Giroux : Quand on ajoute des dépenses depuis plusieurs années, ça peut devenir difficile pour les ministères et les sous-ministres de gérer un afflux de financement lorsqu’il s’agit d’embaucher des centaines ou des milliers de fonctionnaires additionnels. Il arrive certainement un moment où c’est difficile — très difficile même — pour certains sous-ministres de gérer un appareil fédéral qui grossit, donc des ministères auxquels on ajoute des mandats, des ressources.
Selon moi, la plupart d’entre eux sont bien au courant de ce qui s’en vient avant que ça soit annoncé publiquement. Selon mon expérience dans la fonction publique, il est rare qu’un sous-ministre apprenne dans les nouvelles qu’il y a des centaines de millions de nouveaux fonds qui lui sont attribués. Que les sous-ministres disent qu’ils sont surpris et qu’ils soient informés à la dernière minute des dépenses, je ne crois pas que ce soit arrivé souvent. Ce n’est pas du tout l’expérience que j’ai eue dans l’appareil fédéral. Habituellement, des consultations ont lieu bien avant que les annonces ne soient faites publiquement.
Le sénateur Dagenais : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Je suis vraiment désolée. Mes collègues, la greffière et les témoins voudront bien excuser mon retard. Ce matin, j’ai essayé de caser un peu trop de réunions avant celle-ci. Je ne voulais manquer de respect à personne, mais c’est être irrespectueux que d’être en retard. Merci.
Je voudrais revenir sur des points que vous avez signalés et soulignés lors de séances précédentes du comité et au cours de témoignages antérieurs. Vous avez dit que votre capacité de mener des audits et des analyses est souvent limitée par l’information qui vous est fournie par les ministères. Vous avez notamment parlé de l’Agence du revenu du Canada, et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Dans une publication récente, vous avez écrit que, d’après l’analyse des résultats ministériels, moins de 50 % des cibles sont constamment atteintes au cours d’un même exercice. Sans un ensemble de données complet, comment pouvez-vous faire ce genre d’analyse? Je voudrais notamment savoir si le Conseil du Trésor a communiqué l’information dont vous avez besoin pour pouvoir présenter ces chiffres.
Je voudrais aussi vous poser une question sur une recommandation que vous avez faite la semaine dernière au sujet de la nécessité d’une plus grande transparence budgétaire de la part du gouvernement, en particulier à propos de ce que nous faisons — examiner le Budget principal des dépenses avant un budget — et du genre de difficultés que cela pourrait présenter non seulement pour vous, mais aussi pour nous, parlementaires. Quels sont les avantages du processus budgétaire que vous recommandez par rapport à celui qui est actuellement en place? J’ai remarqué que d’autres ont eu des réflexions à ce sujet dans les médias également, au sujet des difficultés que présente ce genre d’approche.
Ce sont mes deux premières questions. Si je n’arrive pas à poser la troisième, je pourrai le faire au deuxième tour.
M. Giroux : Merci, sénatrice. Cela fait beaucoup de questions en quelques secondes. J’ai pris des notes. Je suis désolé si certaines m’ont échappé. N’hésitez pas à me rappeler les éléments que j’aurais oubliés.
L’accès à l’information est un problème pour nous. La plupart des ministères collaborent très bien. Nous éprouvons parfois des difficultés, surtout lorsqu’il s’agit de renseignements que nous cherchons à obtenir de l’Agence du revenu du Canada. En effet, elle est assujettie à des restrictions strictes en ce qui concerne la communication de renseignements sur les contribuables. Elle prend grand soin de ne pas divulguer accidentellement des renseignements que nous pourrions relier à un contribuable en particulier, qu’il s’agisse d’un particulier, d’une société ou d’une fiducie. Du reste, ce n’est pas le type de renseignement que nous souhaitons obtenir.
Nous demandons une information agrégée. L’ARC est très prudente et nerveuse à l’idée de nous fournir des renseignements que nous pourrions relier à une personne ou à un contribuable en particulier en utilisant des sources externes. Par conséquent, l’information dont nous avons besoin est parfois incomplète. Cela entraîne également des retards, car l’ARC prend le temps de réunir des données agrégées à un niveau suffisamment élevé pour prévenir toute divulgation accidentelle.
Il serait utile d’apporter des modifications législatives pour nous permettre d’obtenir ce type de données sans que l’ARC soit trop préoccupée et inquiète à ce sujet. De toute façon, nous n’aurions jamais besoin des dossiers des contribuables. Une modification à la loi à cet égard soulagerait probablement l’ARC, car elle n’aurait pas à craindre d’enfreindre la loi.
Le Secrétariat du Conseil du Trésor a tendance à nous fournir l’information dont nous avons besoin — Mme Vanderwees ne sera pas forcément d’accord avec moi — parce que la loi ne lui impose pas les mêmes restrictions. Néanmoins, il subsiste toujours une certaine nervosité lorsqu’il s’agit de fournir de l’information au directeur parlementaire du budget, qui la transmettra au grand public ou l’utilisera pour produire des rapports. En général, il a tendance à très bien collaborer avec nous.
Sauf erreur, votre dernière question porte sur le fait que le Budget principal des dépenses ne comprend pas les postes budgétaires qui sont annoncés après son dépôt. Cela soulève des questions pour vous, parlementaires, mais aussi pour les Canadiens qui s’intéressent aux opérations gouvernementales.
On nous dit qu’il y a un budget. Il s’agit d’un important document de communication et de politique pour le gouvernement, car il y annonce ses priorités pour l’exercice à venir, mais le Budget principal des dépenses ne comprend pas ces nouvelles mesures. Il est donc très difficile pour vous, parlementaires, et pour tout Canadien qui s’intéresse aux opérations gouvernementales, de trouver dans le Budget principal des dépenses les changements apportés par rapport à l’exercice précédent. Il est très difficile de déterminer quelles sont les nouvelles priorités du gouvernement pour l’exercice simplement en examinant le Budget principal des dépenses. Il faut examiner le Budget principal des dépenses et les budgets supplémentaires des dépenses (A) et (B) au moins pour avoir une idée complète des dépenses du gouvernement prévues pour l’exercice. Mais les budgets supplémentaires des dépenses (A) et (B) sont le plus souvent déposés au début de l’exercice pour le Budget supplémentaire des dépenses (A) et à l’automne pour le Budget supplémentaire des dépenses (B).
Bref, on s’y perd. Les parlementaires ont beaucoup de mal à s’y retrouver. Une façon de contourner la difficulté consisterait à fixer des dates budgétaires se situant dans un créneau plus restreint — en février, par exemple —, de sorte que le Budget principal des dépenses puisse donner un portrait plus complet et plus exact des plans de dépenses du gouvernement pour l’exercice. Cela aurait des avantages énormes pour des parlementaires comme vous.
Le Budget principal des dépenses brosserait donc un tableau plus complet des plans de dépenses du gouvernement. Nous n’aurions plus ce méli-mélo de budgets principaux, de budgets supplémentaires des dépenses et de projets de loi distincts. Il vous serait plus facile de demander des comptes au gouvernement et de suivre ses dépenses.
La sénatrice Pate : Il y a une autre question qui m’intéresse. À propos des répercussions des mesures budgétaires sur les émissions de gaz à effet de serre et de ce que font d’autres pays, je voudrais avoir des exemples des méthodes qui sont utilisées ailleurs et qui nous permettraient d’évaluer réellement l’impact d’une façon que nous n’imaginons pas. Je crois comprendre qu’il y a dans d’autres pays des méthodes très différentes qui nous permettraient de mieux suivre et mesurer les impacts, d’un point de vue financier.
M. Giroux : Question intéressante.
Au Canada, des gouvernements successifs ont instauré pour leurs mesures budgétaires l’analyse comparative entre les sexes. Je remarque que certains pays, notamment la Corée du Sud, tiennent compte des effets des mesures budgétaires sur les émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement y est tenu de fournir une évaluation de l’effet sur les émissions attribuable aux propositions budgétaires, en particulier les mesures qui sont présentées comme ayant le potentiel de réduire ces émissions. En Corée du Sud, le gouvernement est tenu de mener une telle évaluation.
L’avantage de cette exigence, c’est qu’elle permet au gouvernement de cibler ses dépenses vers les secteurs qui sont plus susceptibles d’avoir les plus grandes répercussions sur les émissions de gaz à effet de serre.
Il y a aussi des inconvénients, parce que certains ministères ont tendance à essayer de déjouer le système en regroupant quelques mesures et en mettant l’accent sur celles qui sont susceptibles d’avoir les meilleurs effets sur les émissions. L’exigence ne s’applique pas aux propositions qui auront un effet négatif sur les émissions de gaz à effet de serre — des mesures qui les feront augmenter —, mais ce que fait la Corée du Sud est un très bon premier pas : elle exige une évaluation des effets sur les émissions des mesures qui sont susceptibles d’avoir un impact positif sur les émissions ou sont présentées comme telles.
La sénatrice Pate : Serait-il possible de nous communiquer les détails des méthodes sud-coréennes pour que nous puissions les étudier? Merci beaucoup.
M. Giroux : Tout à fait.
La sénatrice Duncan : Je remercie les témoins d’avoir accepté de comparaître. Mes propos de ce matin porteront sur votre rapport sur les enjeux pour les parlementaires.
J’ai remarqué à la page 2 qu’il est question de mesures de réduction des dépenses de 12,8 milliards de dollars. Ensuite, à la même page, je lis ceci : « décisions relatives aux recettes ou aux dépenses de plus de 12 milliards de dollars sur lesquelles aucun détail précis n’est donné ». Ensuite, à la page 9 : « Outre le fait de proposer de réduire les dépenses en services de consultation, en services professionnels et en déplacements... »
D’autres anciens ministres des Finances ici présents seront d’accord avec moi pour dire que la réduction des dépenses en déplacements est l’objectif facile à atteindre dans n’importe quel budget. La conséquence imprévue de cela, cependant, c’est que les fonctionnaires qui administrent les programmes restent dans la « bulle d’Ottawa », sans voir les répercussions des programmes ni pouvoir juger de leur efficacité dans les régions. Le Canada est un pays très vaste, comme je l’ai déjà dit, et les régions sont différentes les unes des autres. Une solution uniforme ne peut pas convenir à toutes.
À ma connaissance, il n’y a pas eu d’examen global des programmes depuis la création du Groupe de travail chargé de l’examen des programmes, aussi connu sous le nom de Groupe de travail Nielsen. Comment le gouvernement pourrait-il entreprendre un examen des dépenses? Comment le Comité des finances nationales du Sénat pourrait-il nous aider à réaliser un tel examen? Avez-vous une recommandation précise à formuler à ce sujet?
M. Giroux : Merci, sénatrice.
À propos des déplacements, je suis d’accord avec vous pour dire que le Canada est un vaste pays et qu’il faut sortir de la « bulle d’Ottawa ». Et cela vaut aussi pour moi, mais ce n’est pas toujours facile, car nous sommes complètement concentrés sur notre travail. Des gouvernements ont annoncé les uns après les autres une réduction des dépenses en déplacements, mais si ces engagements avaient été respectés au fil des ans, l’aéroport d’Ottawa devrait maintenant être fermé. Or, il est toujours ouvert. Les gouvernements ont promis de réduire les déplacements, et ils le font pendant un certain temps, mais pas vraiment.
Quant aux examens des programmes, je rappellerai également le Plan d’action pour la réduction du déficit, de 2011-2012, un travail important auquel j’ai participé de près dans la fonction publique. Pour qu’un examen de programme ait une chance de réussir, il faut l’entamer sans idée précise des postes ou des programmes à supprimer, mais il faut avoir une série de critères clairs dès le départ. Parmi eux, notons l’optimisation des ressources : par un programme donné, que tente de faire le gouvernement et obtient-il les résultats souhaités? Il s’agit d’examiner les indicateurs de rendement et de voir si le gouvernement fédéral est le mieux placé pour se charger de cette priorité, et s’il peut arriver à ses fins au moyen de lois ou de règlements plutôt que de dépenses. Il faut aussi voir si le programme en question a toujours son utilité.
Il y a donc une série de critères. La communication doit en être un, de même que les langues officielles et ainsi de suite. On peut en dresser toute une liste, mais quels que soient ceux du gouvernement, il faut les énumérer clairement dès le départ et s’assurer qu’il y a des délais à respecter et des cibles claires, et aussi que la responsabilité est confiée à un groupe de ministres ou de hauts fonctionnaires.
Vous, les parlementaires, pouvez nous aider à cet égard. Avec la richesse de l’expérience que vous avez acquise au gouvernement, mais aussi à l’extérieur du gouvernement — il est très important d’avoir des points de vue qui ne viennent pas seulement du gouvernement, mais aussi de l’extérieur —, vous pouvez donner des conseils et définir des critères pour le gouvernement afin qu’il sache quels repères doivent le guider dans un examen. Vous pouvez également fournir une liste de propositions au sujet de ce qu’il faut examiner au juste.
Vous avez dit qu’il fallait que les fonctionnaires sortent de la « bulle d’Ottawa ». L’une des recommandations que le comité pourrait faire porterait sur la décentralisation des opérations du gouvernement afin que ce ne soit pas seulement le point de vue d’Ottawa qui influence la prise de décisions. C’est à vous, parlementaires, qui avez des compétences et de l’expérience, d’établir des critères ou des cibles. Vous êtes bien placés pour proposer des cibles.
La sénatrice Duncan : Merci.
À propos de l’examen des dépenses, l’une des choses qui m’ont sauté aux yeux, c’est qu’il n’est question nulle part d’examen des biens immobiliers à l’échelle nationale. Votre bureau a-t-il songé à la possibilité de réaliser des économies dans les biens immobiliers qui sont actuellement vacants ou qui le seront un peu partout au Canada? Je remarque que Vancouver et Calgary ont abordé différemment la question de leurs bureaux vides. Calgary tend davantage à les utiliser pour loger les sans-abri, ce que Vancouver ne fait pas.
Que pensez-vous du parc immobilier? Votre bureau a-t-il étudié la question récemment?
M. Giroux : Nous n’avons pas examiné le parc immobilier du gouvernement récemment. Nous savons néanmoins qu’une rationalisation est en cours dans la fonction publique. Ce n’est qu’anecdotique, mais des collègues ou des hauts fonctionnaires nous ont dit, au gré de nos discussions, qu’une rationalisation s’opère à cause du travail hybride; il y a une réduction de l’empreinte de la fonction publique. Cela entraîne des frictions dans des secteurs précis où les fonctionnaires ont tendance à se réunir dans leurs bureaux les mardis et mercredis, et certains d’entre eux se retrouvent avec des locaux trop petits. Selon moi, il est possible d’atténuer le problème par de modestes rajustements.
La rationalisation est en cours, mais en même temps, la taille de la fonction publique augmente. Toutes choses égales par ailleurs, il se fait des économies, mais une fonction publique en croissance a besoin de plus de locaux. Il y a donc deux tendances opposées : le travail hybride et le télétravail font diminuer les besoins en locaux alors que la croissance de la fonction publique les fait augmenter.
Je sais qu’une certaine évolution se poursuit et que des efforts sont déployés pour mieux utiliser les biens immobiliers du gouvernement, mais nous n’avons pas examiné les chiffres.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Giroux, d’être parmi nous ce matin. Compte tenu de ce que vous avez vu jusqu’à maintenant dans le Budget principal des dépenses et dans les dépenses du gouvernement, maintenez-vous une déclaration que vous avez faite lors d’une séance précédente du Comité des finances nationales, en février? Je vais vous citer pour nous rafraîchir la mémoire et mettre tout le monde au courant de ce que vous avez alors dit :
Je me souviens que, lors de notre dernière discussion au sujet des prévisions économiques, certains membres du comité avaient qualifié nos prévisions d’« optimistes ». Pour le moment, nous n’avons pas terminé notre analyse des prochaines prévisions économiques et budgétaires, mais si tout va comme prévu, nous les publierons dans la première semaine de mars.
Je n’ai pas encore les résultats préliminaires. Cependant, au cours des dernières semaines, nous avons vu certains indicateurs économiques qui laissent supposer qu’un atterrissage en douceur est encore possible et qu’une récession n’est pas inévitable. Il est donc encore possible de l’éviter.
Vous avez ajouté :
D’ailleurs, le Fonds monétaire international prévoit que la plupart des économies de l’Union européenne éviteront une récession, à l’exception notable du Royaume-Uni. Cela nous porte à croire qu’il est toujours possible d’éviter une récession, malgré le fait que plusieurs économistes du secteur privé en anticipent une. Je vous donnerai plus de détails une fois que mes collègues et moi aurons terminé le travail nécessaire sur l’exposé de nos prévisions économiques et budgétaires.
Je rentre tout juste de Washington, où j’ai assisté à une réunion du Fonds monétaire international, ou FMI, et de la Banque mondiale. On a beaucoup parlé de la récession et de la tenue à venir de l’économie. Compte tenu de nos dépenses actuelles — le Budget principal des dépenses fait état des dépenses actuelles du gouvernement —, je voudrais que vous reveniez sur ces affirmations et y ajoutiez ce que vous pouvez nous dire de nouveau ce matin.
M. Giroux : Merci, sénateur. Je suis heureux que vous m’ayez cité, car j’estime que ce que j’ai dit à ce moment-là est toujours vrai pour le Canada. Il est rassurant de constater, avec deux mois de recul, que les faits ne m’ont pas donné tort. Merci. Comme je l’ai dit alors, nous avons publié nos perspectives économiques et financières la première semaine de mars, soit le 2 mars. Nous ne sommes donc pas en retard. C’est aussi une bonne chose que vous me citiez à ce sujet.
Jusqu’à présent, les indicateurs économiques montrent qu’un atterrissage en douceur est encore possible. Les indicateurs du marché du travail sont assez solides, malgré ce que certains croyaient ou laissaient entendre. L’indice des prix à la consommation, ou IPC, l’indicateur et la mesure de l’inflation, qui a été publié ce matin, donne aussi à penser que l’inflation est à la baisse et pourrait bien se replier à 3 % d’ici le milieu de l’année. Il est donc possible qu’il y ait un atterrissage en douceur et que la récession ne soit pas inévitable.
C’est au début de février que j’ai comparu devant le comité la dernière fois, et ce que j’ai dit tient toujours. Ce n’est peut-être pas tout à fait vrai pour d’autres économies comme les pays européens et les États-Unis, mais pour le Canada, nous sommes toujours convaincus qu’une récession peut être évitée.
Rob Behrend a peut-être quelque chose à ajouter.
Robert Behrend, directeur, Analyse financière, Bureau du directeur parlementaire du budget : Non, cela me convient. Merci.
Le sénateur Loffreda : C’est optimiste. Merci. J’ai une citation à propos d’un point que vous avez remis en question, mais je ne vais pas vous citer longuement. Vous aviez raison, et je vous en remercie. Voilà pourquoi je dis que vos rapports et vos interventions nous sont toujours éclairants et précieux.
Pour en revenir aux prévisions budgétaires et au niveau des dépenses, nous voyons maintenant, d’après le budget des dépenses à l’étude, que vous avez exprimé des réserves au sujet des imprévus et que vous vous êtes demandé si la marge de manœuvre était suffisante. Cela vous inquiète. Compte tenu de ce que vous avez vu au sujet de l’inflation et du niveau des dépenses, les imprévus demeurent-ils une grande source de préoccupation pour vous? Ou pensez-vous que le gouvernement, à ce stade-ci, a prévu des plans de dépenses permettant une bonne gestion des imprévus à l’avenir?
M. Giroux : Je dois admettre que c’est une question difficile. Il y a quelques questions qui m’intriguent, et c’est l’une d’elles.
Il y a plusieurs réponses possibles. N’importe qui peut prétendre que le gouvernement a une très large marge de manœuvre parce qu’il peut faire des déficits aussi importants qu’il le veut lorsque les conditions le justifient, comme nous l’avons vu pendant la pandémie. De la même façon, on pourrait dire que le gouvernement a un cap budgétaire à maintenir. Il a promis un déficit de 12 milliards de dollars en cinq ans, alors il doit s’y tenir.
Cela dépend des repères budgétaires du gouvernement. Il y a plusieurs années — il y a même quelques décennies —, le ministre des Finances a dit que nous allions équilibrer le budget coûte que coûte. C’est la norme que le gouvernement de l’époque s’est donnée. Maintenant, le gouvernement veut que le ratio de la dette au PIB diminue à moyen terme. Par conséquent, il pourrait toujours avoir un ratio de la dette au PIB en baisse et continuer de dépenser beaucoup plus, selon les circonstances, s’il devait faire face à des obstacles comme une récession mondiale ou une crise financière. Cependant, vu le niveau de dépenses qu’il a engagé ou qu’il est en train d’engager, chaque fois que le gouvernement dépense un peu plus, il diminue sa marge de manœuvre pour faire face à ces imprévus, comme une crise financière. Bien qu’aucune ne soit imminente, à mon avis. Mais lorsque le gouvernement consacre des fonds à ses priorités stratégiques et qu’il affirme que le ratio de la dette au PIB continuera de diminuer, il a moins de marge de manœuvre s’il consacre plus d’argent à ses priorités stratégiques. Cela dépend des objectifs à long ou à moyen terme du gouvernement et de la marge de manœuvre liée à ses repères budgétaires.
Le sénateur Loffreda : Vous avez parlé du ratio de la dette au PIB et du niveau de la dette. Je voudrais connaître votre opinion là-dessus. Lors des réunions auxquelles j’ai assisté à Washington avec la Banque mondiale et le FMI, il a été dit que certains pays deviendront insolvables et que les pays pauvres auront beaucoup de problèmes. Nous nous débrouillons assez bien si nous nous comparons à d’autres pays, même aux autres membres du G7 et du G20.
Nous parlons constamment des niveaux d’endettement, mais s’ils sont élevés, pendant combien de temps le seront-ils? J’examinerais les projections et je dirais que la capacité de remboursement est ce qui compte le plus.
Qu’en pensez-vous? Le ratio des frais d’intérêt par rapport aux revenus serait-il une meilleure mesure de notre capacité de rembourser la dette que le ratio de la dette au PIB, dont tout le monde parle? J’examinerais les projections et je dirais que si, dans deux ans, le ratio de la dette aux avoirs ou de la dette au PIB est ramené à un niveau raisonnable, nous pouvons conclure que nous nous en tirerons. Et c’est souvent le cas. Remarquez que je n’ai jamais vu de mauvaises projections. Elles sont toujours très bonnes.
Qu’en pensez-vous? On ne parle pas assez souvent du ratio des frais d’intérêt par rapport aux revenus. On ne parle pas assez souvent de la capacité de rembourser.
M. Giroux : Je suis heureux que vous ayez soulevé cette question, car nous incluons normalement les coûts du service de la dette dans nos rapports, et nous montrons que ces coûts ont eu tendance à diminuer ces dernières années. Même pendant la pandémie, les coûts du service de la dette étaient en baisse, se situant à 7 % ou 8 % des recettes fiscales. Ils ont augmenté sous l’effet de l’augmentation de la dette et des taux d’intérêt.
Il est vrai que c’est une bonne mesure de la viabilité et de la santé financières. Je pense que le défaut ou le côté négatif de l’examen des coûts du service de la dette, c’est qu’on ne peut pas les isoler pour les analyser. Il faut aussi examiner la dette pour être en mesure de juger de la capacité de n’importe quel gouvernement de composer avec une flambée des taux d’intérêt, comme nous l’avons vu ces derniers mois.
Je ne pense pas qu’il y ait un indicateur parfait qui convienne à toutes les circonstances. Vous avez raison de dire que les coûts du service de la dette sont un excellent indicateur. Mais je pense qu’il est bon d’examiner cela en combinaison avec la dette par rapport à la taille de l’économie pour aider quiconque se penche là-dessus à mieux comprendre l’exposition du gouvernement à une hausse soudaine des taux d’intérêt pour financer cela.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Marshall : Monsieur Giroux, je cherche encore à concilier le budget des dépenses avec le livre du budget, parce qu’il est maintenant impossible d’examiner le Budget principal des dépenses de façon isolée. Il faut tenir compte des changements que le gouvernement a apportés au Budget principal des dépenses.
Dans le chapitre sur un gouvernement efficace, le gouvernement s’attend à réaliser des économies d’environ 12 milliards de dollars sur les cinq prochaines années, mais je m’intéresse surtout à cette année en particulier parce qu’il est prévu des économies d’un demi-milliard de dollars pour les services professionnels et spéciaux. Pensez-vous que c’est possible, étant donné que l’exercice financier est déjà commencé.
Il prévoit également 3,5 milliards de dollars, au titre d’une réorientation des dépenses précédemment annoncées. Il semble que des économies sont réalisées quelque part. Vous savez peut-être d’où elles viennent. Moi, je l’ignore.
Il y a aussi des économies dans un autre chapitre intitulé « Incidence budgétaire nette » des mesures non annoncées. Ce qui se passe, semble-t-il, c’est qu’on prend plus d’un milliard de dollars et qu’on ramène les dépenses au dernier exercice, de sorte que les économies devraient figurer dans le nouvel exercice.
Savez-vous d’où proviennent ces économies et est-il réaliste de penser qu’elles se concrétiseront?
M. Giroux : Je vais essayer de répondre à toutes ces questions en gardant mon sérieux.
La sénatrice Marshall : Je les ai posées en gardant mon sérieux, moi.
M. Giroux : Je pense donc qu’il devrait être relativement facile de réduire les dépenses consacrées aux services de consultation, aux services professionnels et aux déplacements, compte tenu de la forte hausse que nous avons constatée ces dernières années et de l’augmentation de la taille de la fonction publique. Il est donc possible de garder dans la fonction publique une partie du travail que font les experts-conseils.
Les services de consultation et les services professionnels ont augmenté pendant la pandémie pour de bonnes raisons. Il y a des raisons très valables de faire appel à des experts-conseils, notamment pour assurer des services de santé aux communautés éloignées des Premières Nations, par exemple. Je ne pense pas que cela doive être éliminé, et je ne pense pas que cela le sera. Mais il y a toute une gamme d’autres services de consultation qui pourraient tout aussi bien se faire à l’interne pour peu que le gouvernement recrute la bonne personne, ce qui ne devrait pas être trop difficile.
Même si le nouvel exercice est commencé, les ministères ont probablement eu pour consigne, avant le dépôt au budget du gouvernement, de modérer leurs réponses avant le début de l’exercice. Il y a des façons, sans annoncer ni dévoiler ses cartes, de serrer la vis avant le dépôt du budget.
En ce qui concerne les autres secteurs de restrictions, de réductions et de réaffectations des dépenses, nous n’avons pas encore beaucoup de détails. Nous n’avons pas encore de critères. Peut-être en aurons-nous bientôt. Mais d’après ce que nous avons vu, l’examen de la politique stratégique ciblant des économies de 9 milliards de dollars, annoncé dans le budget de l’an dernier, vient effectivement d’être annulé avec le nouveau budget. Personnellement, je ne considérerais pas ces économies comme des économies fermes que le gouvernement peut mettre en banque.
La sénatrice Marshall : Le moment est probablement mal choisi, mais je dois le dire. Nous suivons tous ce qui se passera avec le syndicat en nous demandant s’il y aura une grève. Nous savons ce que le gouvernement a offert, et ce que le syndicat veut. Le nombre de fonctionnaires fédéraux a augmenté. Pensez-vous que le gouvernement pourra se permettre de maintenir l’augmentation et de conserver l’effectif de fonctionnaires qu’il emploie? Comment voyez-vous l’incidence financière de ce que le syndicat réclame?
M. Giroux : L’analyse de ce qu’il en coûterait au gouvernement pour passer d’une augmentation salariale annuelle de 2 ou 2,5 % à 4,5 % pour tous les fonctionnaires, et pas seulement ceux qui sont en position de grève, nous a fait conclure que cela coûterait 19 milliards de dollars sur cinq ans. Le gouvernement peut-il se permettre cela? Pour moi, un gouvernement qui s’apprête à dépenser 100 milliards de dollars par année peut se permettre 19 milliards de dollars sur cinq ans. Mais veut-il le faire? C’est une autre affaire, parce que s’il accorde ces augmentations salariales aux fonctionnaires, il devra dépenser un peu moins dans d’autres domaines. C’est le compromis que le gouvernement devra décider de faire ou pas.
La taille de la fonction publique est un autre domaine où le gouvernement dispose d’une certaine marge de manœuvre. De fait, selon les récents plans ministériels, les ministères comptent réduire leurs effectifs au cours des prochaines années. Quant à savoir s’ils le feront effectivement, cela dépendra des prochaines mesures que le gouvernement prendra dans son budget et dans son énoncé de l’automne. Mais il y a toujours une solution de compromis possible : le gouvernement pourrait consentir des augmentations salariales plus généreuses à ses employés, quitte à réduire la taille de la fonction publique afin que les coûts globaux de la rémunération n’augmentent pas. Le gouvernement pourrait aussi jouer avec les avantages sociaux. Personnellement, je serais mal à l’aise de maintenir autant de fonctionnaires à l’effectif, en leur accordant des augmentations qui pourraient être en deçà de l’inflation, au risque d’avoir trop de fonctionnaires qui n’ont pas assez à faire depuis la fin de la pandémie, maintenant que le besoin d’intervention rapide est chose du passé.
Il y a de nombreuses pièces sur l’échiquier, et je ne suis pas certain que le gouvernement a bien arrêté son plan global pour la fonction publique.
La sénatrice Marshall : D’après ce que nous avons vu, les chiffres vont toujours dans cette direction; en tout cas, le gouvernement trouve plus facile que les chiffres aillent dans cette direction.
Ai-je le temps de poser une dernière question?
Le président : Non.
La sénatrice Marshall : Je reviendrai au troisième tour.
Le président : Si nous avons un troisième tour, oui.
[Français]
Le sénateur Gignac : J’aurais deux questions pour les trois ou quatre minutes qui me sont allouées. Je vous demanderais d’en tenir compte dans votre temps de réponse, s’il vous plaît.
Lors de ma première intervention, je vous ai demandé si le gouvernement avait perdu le contrôle des dépenses, parce que le Budget principal des dépenses dépasse de 45 % celui de l’avant-pandémie. À juste titre, vous avez dit que c’était plutôt un choix politique et qu’on ne pouvait pas dire que le gouvernement a perdu le contrôle des dépenses.
Si on se penche sur le Budget principal des dépenses de cette année, il dépasse de 35 milliards celui de l’an passé, soit une hausse de 8,9 %. Nous sommes dans un contexte où l’inflation est le problème numéro 1 au pays. La politique monétaire fait tout son possible pour réduire le taux d’inflation. Je sais que vous êtes indépendant de la politique. Est-ce que, oui ou non, la politique budgétaire est inflationniste à Ottawa?
M. Giroux : Je pourrais faire référence au rapport sur la politique monétaire qui a été publié par la Banque du Canada la semaine dernière, dans lequel la Banque du Canada indique clairement que la croissance des dépenses gouvernementales contribue à stimuler la demande. C’est évidemment quelque chose qui renvoie non seulement au gouvernement fédéral, mais aussi aux gouvernements provinciaux. Les gouvernements ont une attitude concernant les dépenses qui stimule l’inflation. C’est la Banque du Canada qui le mentionne en des mots un peu plus élaborés que cela. Donc oui, les gouvernements, au Canada, stimulent la demande.
Le sénateur Gignac : En termes feutrés, je sais que les gens font attention au choix de vocabulaire, mais on peut dire que cela stimule l’inflation. D’ailleurs, on recevra au Comité sénatorial des banques, du commerce et de l’économie la Banque du Canada, et j’ai l’intention de revenir sur ce sujet.
Ma deuxième question porte sur l’efficacité de la gestion du gouvernement. Vous dites, à la page 4 de votre document, que les plans ministériels n’ont pas été déposés en même temps. Toutefois, vous vous penchez aussi sur les résultats ministériels et vous dites qu’au cours des quatre dernières années, en moyenne, pratiquement le quart des objectifs de rendement n’ont pas été atteints. Vous expliquez également dans vos documents qu’au fond, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui choisissent les objectifs. On pense qu’ils ne mettent pas des objectifs irréalistes, et en même temps, ce sont eux qui les analysent.
Utilisons une échelle de 1 à 10. On ne peut pas dire que le gouvernement a perdu le contrôle parce que ce sont des choix politiques, mais parlons donc de l’efficacité de la gestion financière. Vous n’êtes pas vérificateur, mais vous êtes directeur parlementaire du budget. Vous avez tellement d’expérience à Ottawa. Le quart des objectifs fédéraux qui n’ont pas été atteints au cours des trois ou quatre dernières années, est-ce que c’est nouveau ou est-ce que cela a toujours été le cas au cours des 15 ou 20 dernières années?
M. Giroux : Je ne pourrais pas dire sur 15 ou 20 ans, mais je peux demander à Mme Vanderwees si elle a des statistiques plus justes sur l’atteinte de résultats au cours des dernières années, à savoir si cela a changé, si cela s’est détérioré ou amélioré.
[Traduction]
Kaitlyn Vanderwees, analyste, Bureau du directeur parlementaire du budget : Avant 2018-2019, la façon dont le gouvernement évaluait les cibles et les résultats était différente. Si vous regardez le rendement avant cela, vous observerez une tendance différente, c’est-à-dire qu’il y avait beaucoup moins de cibles à atteindre.
Comparer les 25 % de cibles non atteintes à celles qui ont été atteintes auparavant, ce n’est pas tout à fait comparer la même chose; dans notre rapport, c’est la raison pour laquelle nous nous en tenons à quatre ans.
Le sénateur Smith : Monsieur Giroux, pour revenir au rapport d’analyse des dépenses en personnel, la grande question soulevée était l’explosion des dépenses de services professionnels, dont le taux de croissance annuel est estimé à 15 %. Le rapport imputait le gros des dépenses au ministère de la Défense nationale pour les services d’ingénierie et d’architecture.
Dans le cadre de vos recherches, le ministère a-t-il justifié les ressources externes considérables qu’il demande? Ces compétences ne sont-elles pas facilement accessibles à l’interne au sein de notre fonction publique fédérale?
M. Giroux : Nous n’avons pas étudié les raisons. Mme Vanderwees a peut-être plus d’information sur les raisons fournies par les ministères pour justifier ces services. Dans certains cas, c’est évident. Comme je l’ai déjà mentionné, les services de santé dans les collectivités isolées et rurales, notamment pour les Premières Nations, demandent une expertise difficile à trouver au sein de la fonction publique, surtout pour ces endroits.
Pour d’autres services, on s’attendrait de trouver au moins une partie de cette expertise dans la fonction publique, lorsqu’on voit qu’il faut ce type d’expertise année après année; le gouvernement devrait recruter ces experts, ingénieurs ou spécialistes des technologies de l’information, par exemple, le plus possible à l’interne, surtout en période de croissance de la fonction publique.
Ce que nous avons constaté, surtout par des anecdotes à l’égard de ceux qui vivent dans la « bulle d’Ottawa », c’est que le gouvernement a tendance à recruter des personnes qui n’ont pas nécessairement les compétences nécessaires. Il dit : « Même si vous ne connaissez pas Word ou Excel, ne vous en faites pas, nous allons vous former. »
J’imagine que c’est probablement la même réaction, lorsque le gouvernement recherche de l’expertise : il a tendance à embaucher des gens qui n’ont pas exactement les compétences nécessaires; lorsqu’il sait qu’il doit livrer la marchandise, il fait appel à des experts-conseils.
Le sénateur Smith : Compte tenu de l’évolution qui semble être en train d’exploser dans le domaine de l’intelligence artificielle, ou l’IA, pour la nouvelle génération, pour trouver les compétences dont vous parliez tout à l’heure — qui sont des compétences plus traditionnelles —, y a-t-il des discussions au sujet de l’augmentation du niveau de compétences en vue de cette nouvelle génération de technologies?
M. Giroux : C’est une très bonne question, sénateur. En l’absence de plan global pour la fonction publique, je ne peux pas vraiment dire s’il y a un élan ou une volonté d’aller dans cette direction à l’intérieur de la fonction publique.
Le sénateur Smith : Un changement d’orientation ou un ajout à l’orientation de création de ce type de plan de gestion du personnel qui sera lié à la politique?
M. Giroux : Je n’en ai vu aucune indication.
La sénatrice Pate : Merci encore à tous les témoins.
J’aimerais revenir sur certains renseignements que vous avez déjà fournis à notre comité. Lors de votre comparution du 7 février, vous avez dit que les cibles en matière de résultats ministériels étaient en grande partie déterminées par les fonctionnaires eux-mêmes, et vous vous êtes dit préoccupé par la façon dont elles sont fixées.
À la lumière des préoccupations que vous avez soulevées au sujet de la facilité avec laquelle bon nombre de ces objectifs sont réalisables, quelles sont vos recommandations sur la façon dont nous pouvons contribuer à l’élaboration d’un rendement plus transparent et responsable? Je sais que vous en avez déjà dit un mot, mais je voulais vous donner l’occasion de nous en dire plus à ce sujet, étant donné les considérations que ces questions vous ont inspirées.
Quelles seraient les stratégies possibles pour rendre plus efficaces, globalement, les rapports d’évaluation du rendement dans la fonction publique?
Quels renseignements pourrions-nous demander ou quelles recommandations pourrions-nous formuler pour vous aider à mieux remplir votre mandat?
M. Giroux : C’est une question très intéressante.
Votre comité, comme n’importe quel autre, a toujours la possibilité — si les parlementaires le désirent — de demander des indicateurs de rendement et de demander à des témoins de la fonction publique d’expliquer pourquoi ils ont choisi tel ou tel indicateur, comment les indicateurs sont mesurés et même comment les comités et les parlementaires en général peuvent suggérer et recommander des indicateurs de rendement particuliers. En tant que parlementaires, vous êtes les législateurs et les décideurs au bout du compte.
Si vous le souhaitez, vous pouvez certainement, ensemble, recommander certains indicateurs de rendement et interroger les fonctionnaires ou les ministres sur leur choix d’indicateurs de rendement et sur les cibles qu’ils atteignent, manquent ou n’arrivent pas à atteindre après la fin de l’année.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Duncan : J’aimerais poursuivre dans la même veine — sans viser de ministère en particulier : il y a un poste dans le budget des dépenses qui me laisse perplexe. Pour l’Administration du pipe-line du Nord, nous voyons constamment des dépenses d’un demi-million de dollars en 2020, en 2021 et en 2021-2022. Pourtant, elle demande toujours presque le double de ce montant, qui lui est accordé dans le budget. C’est moi, à titre personnel et à titre de sénatrice, qui peux chercher et voir ce qui se trouve dans un poste en particulier. Comment le directeur parlementaire du budget peut-il nous aider dans ce genre d’examen des ministères qui demandent constamment plus que ce qu’ils ont effectivement dépensé et, encore une fois, avez-vous des recommandations particulières sur la façon dont nous pourrions contribuer à cet examen des dépenses? Vous avez fait une recommandation précise au sujet de la date du budget. Avez-vous une recommandation précise au sujet de l’examen des dépenses?
M. Giroux : En ce qui concerne l’examen des dépenses, je pense que votre comité pourrait décider, s’il le souhaite, de fournir une liste de critères ou même de cibles à utiliser par le gouvernement pour effectuer ses propres examens des dépenses. Vous pourriez demander un rôle à jouer dans cet examen des dépenses.
C’est à vous, parlementaires, de décider si vous voulez participer ou non à ces examens, et dans quelle mesure.
Le gouvernement peut décider qu’il ne veut pas de la participation d’un comité sénatorial, mais rien ne vous empêche de faire une analyse et de déposer des recommandations sur les critères, les cibles ou les secteurs précis de réduction des dépenses.
C’est une question que vous me posez comme cela. Je pourrais probablement y réfléchir davantage et vous donner une réponse plus étoffée, si vous le souhaitez.
La sénatrice Duncan : Merci. J’apprécierais une réponse plus étoffée, effectivement.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Giroux, j’aimerais revenir sur la question de l’économie et sur la façon que le Budget principal des dépenses devrait toujours traiter des principales préoccupations, de l’économie et de l’inflation. Nous n’avons pas parlé de l’abordabilité du logement ni de l’endettement des ménages, et c’est une préoccupation importante. C’est toujours le cas. J’aimerais dire que le consommateur est toujours le moteur de chaque économie et vous allez voir où je veux en venir avec les chiffres que nous avons reçus ce matin, qui démontrent que l’inflation est passée de 5,2 % à 4,3 % de février à mars. Cette baisse s’explique en bonne partie par un recul de 6,9 % dans l’énergie, le maintien de 8,9 % dans l’alimentation, et une progression de 4,5 % au total, sans l’alimentation et l’énergie. Mais c’est important. Les voyages guidés et les achats de voitures sont les facteurs qui ont le plus contribué à la hausse des prix en mars.
Je me souviens qu’à l’époque où j’étais dans le secteur bancaire, la dernière chose que les clients cessaient de payer, c’était leur hypothèque. L’avant-dernière était la voiture. Lorsque les défauts de paiement ont commencé à augmenter, nous avions un problème. Je vois maintenant que les plus gros facteurs ont été l’achat de voitures et les voyages. Le consommateur est le moteur de toute économie, ce qui m’amène à vos prévisions — que j’ai devant moi. Je sais que vous les avez produites et qu’elles sont toujours le fruit d’une grande perspicacité. Vous avez deux grandes préoccupations lorsque vous examinez les risques et l’incertitude, l’une étant géopolitique — la guerre. Je suis d’accord. En ce qui concerne les risques à la hausse, selon votre rapport :
[...] le risque le plus important est que des dépenses des ménages dépassent les prévisions au Canada. Des niveaux élevés d’épargne des ménages, associés à un marché du travail résilient, pourraient entraîner des dépenses de consommation supérieures aux niveaux prévus dans notre projection de base.
Compte tenu de ces chiffres qui viennent tout juste d’être publiés, et compte tenu de ce que j’ai dit, pourriez-vous nous faire part de ce que nous réserve l’avenir sur ce plan? Nous n’avons pas le temps d’une projection révisée. Mais peut-être de nouveaux commentaires?
M. Giroux : Bien sûr. Il est vrai que la dette des ménages est élevée. Prenons la dette en proportion du revenu disponible des ménages, sans oublier que l’épargne des ménages pourrait les amener à dépenser davantage. Nous l’avons mentionné parce que nous avons jadis été surpris par le niveau de consommation des ménages pourtant endettés, si bien que la consommation nous a causé quelques surprises dans le passé, malgré l’endettement des ménages, car il y a aussi l’épargne. Lorsque nous disons que la dette des ménages en proportion du revenu disponible est élevée, ce n’est pas une base nette. Cela ne tient compte que de la croissance. En revanche, l’épargne a explosé pendant la pandémie. Les taux d’épargne sont probablement en baisse maintenant que la vie reprend son cours normal. C’est pourquoi nous avons parlé d’un risque potentiel. Nous pourrions être surpris s’il arrivait que les dépenses de consommation dépassent les prévisions.
Le président : Pas trop souvent, et il n’y a pas beaucoup de précédents pour un passage à un troisième tour. Cela dit, avant d’y arriver, j’ai une question.
[Français]
J’aimerais poursuivre sur la question du sénateur Loffreda.
Monsieur Giroux, on regarde les chiffres puis pour le commun des mortels, que ce soit de l’est à l’ouest, du sud au nord, il y a beaucoup d’inquiétudes. J’aimerais parler du dossier des plus vulnérables de notre société.
Ma question concerne la capacité du gouvernement fédéral à continuer à aider les Canadiens et les Canadiennes, surtout les plus vulnérables, au moment de leur retraite. Tout particulièrement, j’ai eu l’occasion de parler avec plusieurs personnes au cours des trois derniers mois, soit par téléphone ou dans des salles d’attente, en patientant. La Sécurité de la vieillesse, le Supplément de revenu garanti et les allocations de retraite sont financés par le gouvernement fédéral. C’est un constat, c’est la responsabilité de tous les gouvernements.
Est-ce que le gouvernement pourra continuer à financer des programmes encore longtemps, compte tenu de la façon dont il dépense maintenant?
M. Giroux : C’est une inquiétude qui est légitime, surtout lorsque les Canadiens voient le niveau de dépenses. Cela dit, je crois que cette inquiétude est compréhensible et légitime, mais je ne crois pas que les gens aient à s’inquiéter outre mesure.
Il y a quelques éléments de réponse à cette question. Le premier, c’est le Régime de pensions du Canada (RPC) et le Régime des rentes du Québec, qui sont viables financièrement au moins pour les 75 prochaines années, en tenant compte des projections démographiques. Donc, l’évolution de la population en âge de travailler et les fonds qui sont mis de côté, qui s’élèvent à des centaines de milliards de dollars, agissent comme une réserve pour faire face au vieillissement de la population. Ces fonds qui sont investis génèrent des revenus, qui servent en partie à payer les rentes actuelles, mais qui constituent aussi une réserve importante pour les rentes futures. Donc, cela, c’est pour le RPC et le Régime des rentes du Québec.
La Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti font partie du poste de dépense le plus important du gouvernement fédéral, mais ce sont des rentes pleinement indexées à l’inflation. Dans nos projets à long terme, on prévoit que le gouvernement fédéral aura les moyens financiers de payer ces rentes au cours des prochaines décennies.
C’est sûr que si le gouvernement devait faire face à une crise financière importante, il pourrait être tenté de réduire la générosité de certains de ces programmes. Cependant, ce qu’on a vu récemment, c’est que le gouvernement est allé dans la direction opposée, donc il a augmenté la générosité de ces programmes, notamment au moyen d’un supplément de 10 % pour les personnes âgées de 75 ans et plus.
Par conséquent, c’est sûr que dans l’éventualité d’une crise financière ou d’une crise de finances publiques, le gouvernement pourrait être tenté de réduire ces dépenses ou de les contraindre davantage, mais selon moi, il y a d’autres secteurs où le gouvernement pourrait réduire ses dépenses pour des segments de la population qui sont moins à risque avant de toucher à ces rentes — la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Ce ne sont pas des préoccupations pour moi. À chaque année qui passe, je me rapproche de l’âge de pouvoir toucher ces revenus, mais ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète personnellement.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Giroux, la question de la sénatrice Marshall a réveillé mon vieux fond de chef syndicaliste, puis je ne pense pas voir de la négociation ce matin.
Vous avez mentionné que la fonction publique a considérablement augmenté. On regarde les offres dérisoires que le gouvernement a faites à ses fonctionnaires. J’imagine qu’ils auront tôt ou tard l’obligation de s’entendre, et sûrement que le gouvernement a prévu faire des contre-offres. Vous avez prévu jusqu’à 4,5 %, peut-être que vous auriez intérêt à être assis à la table — on pourrait éviter une grève.
Cela étant dit, si le gouvernement arrive à une entente, est-ce que c’est une dépense qu’on va qualifier d’improvisée? Vous avez mentionné qu’on pourrait réduire la taille de la fonction publique, mais les employés syndiqués ne peuvent pas partir comme cela. Est-ce qu’on va procéder par attrition? Comment fait-on pour dire : « dans mon budget, j’ai des milliers d’employés à payer et voici ma capacité de payer »? On prévoit une marge de manœuvre, mais est-ce que tout ça va finir par une dépense improvisée, en disant que ce n’était pas prévu, pour nous amener à un plan B, un plan A ou C?
Comment fait-on pour vivre, avec cela? Parce que nous allons le vivre, et je ne pense pas que cette grève puisse durer deux ou trois semaines. Durera-t-elle un mois? Je ne le pense pas. Est-ce que le gouvernement a prévu des montants pour être capable de payer?
M. Giroux : C’est une bonne question. Peut-être que les fonds pour payer les résultats des négociations, dans l’éventualité où les offres salariales sont enrichies, sont des lignes mystérieuses, des lignes « provision pour décision non annoncée » ou qu’on anticipe à court terme. Il y a une certaine opacité concernant ces lignes mystérieuses pour lesquelles on n’a pas de détails.
Peut-être que cela va faire partie de ça et peut-être que le gouvernement va négocier des augmentations salariales à l’intérieur des paramètres financiers prévus dans le budget en étant, par exemple, plus généreux pour des paramètres non financiers. On peut penser au travail hybride et au télétravail.
C’est possible qu’il y ait déjà des provisions dans le cadre budgétaire du gouvernement en prévision d’offres un peu plus généreuses que ce qui a été déposé, mais on ne peut pas le savoir avec certitude, évidemment. Le gouvernement ne nous le révélera pas publiquement, parce que cela équivaudrait à miner sa propre position de négociation. Ce n’est pas quelque chose qui devrait être dit publiquement.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Giroux.
[Traduction]
La sénatrice Marshall : Monsieur Giroux, j’ai une question à propos du secteur bancaire. J’ignore si vous pourrez y répondre ou non. Nous parlons sans cesse de la vigueur de notre système bancaire, dont nous nous disons fiers. Le budget de l’an dernier a imposé deux taxes différentes aux banques, la première pour cinq ans et l’autre pour de bon. Cette année encore, une autre taxe frappe les banques. Les banques doivent subir des pressions du fait que leurs clients ont du mal à payer leur hypothèque. Nous avons vu des articles de la Banque CIBC sur les prêts personnels et les prêts aux entreprises.
Vous êtes-vous déjà penché sur la vulnérabilité du secteur bancaire et la possibilité que le gouvernement doive à un moment donné renflouer une ou plusieurs banques? Cela aurait un grand impact sur les résultats financiers. Je sais que la plupart des gens n’ont aucune sympathie pour les banques, à qui le gouvernement ne cesse pourtant de demander de l’argent.
Vous êtes-vous déjà penché là-dessus? Avez-vous déjà évalué la vulnérabilité et l’impact que cela aurait sur le gouvernement?
M. Giroux : Le secteur bancaire est régi par le ministère des Finances, qui est responsable du système financier, ainsi que par le Bureau du surintendant des institutions financières. La Société d’assurance-dépôts du Canada, la SADC, et la Banque du Canada s’en occupent également. Ces quatre institutions ont des dirigeants très compétents, si bien que nous n’avons pas évalué la solidité ou la robustesse du secteur bancaire canadien, mais je ne crois pas qu’il faille s’en inquiéter. Nous ne sommes pas dans la même situation que les États-Unis, par exemple, à cause de la concentration plus élevée entre les mains de cinq ou six des plus grandes institutions.
Le fait que de nouvelles taxes ont été instaurées pour ces banques entraînera l’une ou l’autre des deux choses suivantes ou les deux à la fois : une hausse pour qui fait affaire avec le secteur bancaire, c’est-à-dire à peu près tout le monde, ou une baisse du rendement pour les actionnaires. Les actionnaires, c’est à peu près nous tous, qui cotisons au Régime de pensions du Canada ou au Régime de rentes du Québec, ou qui détenons des fonds communs de placement. Je ne crois pas que cela aura une grande incidence sur la solidité et la robustesse du secteur bancaire canadien.
[Français]
Le sénateur Gignac : Le Budget principal des dépenses a été déposé au Sénat le 16 février dernier, nous l’avons reçu au comité le 7 mars. Le plan ministériel de 2023-2024 a été déposé par la présidente du Conseil du Trésor le 9 mars.
Pouvez-vous m’expliquer s’il s’agit d’une tradition ou d’une exception que les plans ministériels soient déposés près d’un mois après le Budget principal des dépenses? Parce qu’hier soir, je suis allé voir les différents plans, qui sont assez costauds. Pourquoi les plans ministériels et le Budget principal des dépenses ne sont-ils pas déposés en même temps? Est-ce qu’il y a des dates limites dont je ne suis pas au courant?
M. Giroux : Mme Vanderwees peut répondre à la question.
[Traduction]
Mme Vanderwees : Oui, pour répondre à votre question, il arrive souvent que le gouvernement dépose les plans ministériels après le Budget principal des dépenses. C’est un problème que nous avons soulevé à plusieurs reprises dans différents rapports, y compris notre note sur les enjeux pour les parlementaires. M. Giroux pourrait avoir d’autres commentaires à ce sujet.
[Français]
M. Giroux : Je ne pense pas qu’il y ait de raison fondamentale valable qui explique l’écart entre le dépôt des deux types de documents. Ça rend le travail des parlementaires un peu plus difficile d’avoir une succession de rapports qui devraient idéalement être déposés en même temps, parce qu’ils contiennent des informations qui sont nécessaires pour évaluer l’un et l’autre. Ce serait beaucoup plus simple pour vous et pour nous aussi, si ces documents étaient déposés à peu près en même temps.
Le sénateur Gignac : Je suis d’accord avec votre observation, parce que quand on commence à examiner le Budget principal des dépenses et qu’on n’a pas eu la chance ou qu’on nous donne peu de temps pour analyser les plans ministériels, c’est difficile de poser des questions pertinentes aux différents ministères qui viennent comparaître.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Une dernière question. Je regarde votre rapport, monsieur Giroux, sur le plan des dépenses du gouvernement et le Budget principal des dépenses 2023-2024. Je suis à la page 8. Les soins de santé sont toujours un important sujet d’intérêt national. On le voit partout au Canada en ce moment. Plusieurs provinces ont du mal à offrir des soins de santé convenables à leurs citoyens. Malgré le niveau élevé des dépenses et des transferts — et à la page 7, vous parlez des transferts canadiens en matière de santé destinés aux provinces qui, pour un bon nombre, réservent un fort pourcentage de leur budget aux soins de santé — nous pouvons passer ces chiffres en revue —, mais il y a un énoncé sur lequel j’aimerais que vous nous donniez plus de détails :
De plus, le TCS...
C’est le Transfert canadien en matière de santé.
... est encore versé aux provinces et aux territoires selon un montant égal par habitant. Il est donc possible que les fonds versés aux provinces et territoires où la population est plus âgée, en moins bonne santé et plus rurale ne soient pas proportionnés à ces pressions.
Avez-vous exprimé cette préoccupation en fonction des résultats que vous observez dans les services de soins de santé offerts partout au Canada, ou s’agit-il strictement de données démographiques? Et comment voyez-vous la viabilité de notre système de soins de santé et les montants des transferts et des paiements qui y sont versés, compte tenu de notre démographie et de notre population vieillissante? Vos projections indiquent-elles que ces montants seront durables et augmenteront considérablement?
M. Giroux : Ce commentaire est fondé sur des données démographiques. Nous savons, et les personnes qui ont étudié les dépenses de santé le savent aussi, que la dernière année de la vie est la plus coûteuse dans la perspective des soins de santé. La deuxième année la plus coûteuse est l’avant-dernière. Il y a une nette corrélation entre l’âge et les dépenses en soins de santé, et c’est pourquoi nous avons dit que, pour les populations plus âgées ou les provinces dont la population est plus âgée, les soins de santé coûtent plus cher, mais que le TCS ne tient pas compte des différentes structures démographiques des provinces. Voilà un premier point. C’est l’esprit de ce commentaire.
En ce qui concerne l’abordabilité des soins de santé, lorsque nous préparons chaque année notre rapport sur la viabilité financière des gouvernements fédéral et provinciaux, c’est l’un des facteurs qui expliquent pourquoi on ne s’attend pas à ce que certaines provinces soient financièrement viables au cours des prochaines décennies. Cela vaut en grande partie pour les dépenses en santé qui seront un important déterminant des dépenses provinciales.
Une population plus âgée signifie plus de dépenses pour les soins de santé, et c’est pourquoi on s’attend à ce que certaines provinces ne soient pas viables selon les paramètres stratégiques actuels. Nous en tenons compte dans nos projections financières à long terme.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le président : Honorables sénateurs, cela nous amène à la fin de notre réunion.
[Français]
Je remercie M. Giroux et son équipe d’avoir comparu aujourd’hui. Nous vous en sommes grandement reconnaissants.
[Traduction]
Comme nous le constatons toujours lorsque nous échangeons de l’information par les questions des sénateurs, c’est toujours instructif et éclairant.
J’aimerais vous rappeler de bien vouloir remettre vos réponses écrites à la greffière d’ici la fin de la journée du mardi 2 mai 2023.
Honorables sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu demain, le mercredi 19 avril, à 18 h 45, pour la suite de notre étude du Budget principal des dépenses de 2023-2024.
(La séance est levée.)