LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 20 mars 2024
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit avec vidéoconférence aujourd’hui à 18 h 45 (HE) pour poursuivre son étude du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’aux téléspectateurs partout au pays qui nous regardent sur le site Web sencanada.ca.
[Français]
Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.
La sénatrice Galvez : J’ajoute que vous êtes aussi tous des joueurs de basketball ou de hockey. Sénatrice Galvez, du Québec.
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Kim Pate. J’habite ici, sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabes.
La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, sénatrice de l’Île‑du-Prince-Édouard.
Le sénateur Loffreda : Je suis le sénateur Tony Loffreda, de Montréal, au Québec. Soyez les bienvenus.
[Français]
Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, sénatrice de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Ross : Krista Ross, sénatrice du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Smith : Je suis le sénateur Larry Smith, de Montréal, au Québec.
Le président : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs.
Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
[Français]
Nous avons avec nous aujourd’hui un grand groupe de témoins — des témoins extraordinaires.
[Traduction]
Nous désirons prendre le temps de souhaiter la bienvenue à tous les témoins et de les remercier d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales.
Comme vous êtes nombreux, je vous demande de vous présenter. Nous commencerons par M. Bester. Après les observations de M. Bester, chacun d’entre vous se présentera et formulera ensuite ses observations, afin de maximiser le temps dont nous disposons et de pouvoir vous interroger plus longuement.
Keldon Bester, directeur général, Projet canadien anti-monopole : Je remercie le comité de m’avoir invité à vous entretenir de ce sujet important.
Je suis directeur général du Projet canadien anti-monopole, un groupe de réflexion qui se consacre à la lutte contre les préjudices causés par les monopoles et à la construction d’une économie plus démocratique. Pour reprendre le message que j’ai adressé à ce même comité l’année dernière, la politique de la concurrence au Canada traverse une période passionnante.
Le projet de loi C-59 comporte plusieurs éléments qui, selon moi, amélioreront la concurrence au sein de l’économie canadienne, mais je me concentrerai aujourd’hui sur les modifications apportées à la Loi sur la concurrence, qui sont mentionnées et expliquées en détail dans le mémoire que nous avons présenté par écrit au comité.
L’un des changements les plus importants que le projet de loi C-59 apporte à la Loi sur la concurrence, c’est le fait que des affaires privées peuvent être portées devant le tribunal en vertu de la Loi sur la concurrence. Contrairement aux États-Unis, où chaque entreprise peut porter plainte contre les sociétés qui nuisent à la concurrence, au Canada, presque toutes les affaires relatives au droit de la concurrence émanent du Bureau de la concurrence. Malgré tous ses efforts, le Bureau de la concurrence dispose de ressources limitées et ne peut pas surveiller tous les recoins de l’économie canadienne, qui est de l’ordre de 2 billions de dollars. Un cadre solide pour les affaires privées est un complément important au travail d’expert que le Bureau de la concurrence accomplit. Le projet de loi C-59 jette les bases de ce cadre en élargissant la conduite qui peut faire l’objet d’affaires privées et en permettant aux entreprises de réclamer des dommages-intérêts pour les préjudices causés par cette conduite.
Un autre aspect du projet de loi C-59 que j’aimerais souligner porte sur les changements importants apportés à la façon dont la Loi sur la concurrence traite les fusions. À l’heure actuelle, la Loi sur la concurrence minimise le rôle que la structure du marché — c’est-à-dire le nombre et la taille relative des acteurs du marché — joue dans la concurrence. Elle le fait notamment en rejetant la structure du marché en tant qu’indicateur d’une atteinte potentielle à la concurrence. En supprimant le libellé qui rejette l’indicateur lié à la structure du marché et en introduisant la hausse de la concentration du marché comme indicateur potentiel de préjudice concurrentiel, le projet de loi C-59 donne à notre droit de la concurrence des outils supplémentaires pour se défendre contre les fusions dans des marchés où les Canadiens font déjà face à des choix limités.
Le projet de loi C-59 comble également une lacune du droit sur les fusionnements, qui exclut de l’analyse une partie importante de notre économie. Même si nous considérons souvent la concurrence sous l’angle des consommateurs, les Canadiens bénéficient d’une économie plus concurrentielle non seulement en tant que consommateurs, mais aussi en tant qu’entrepreneurs et travailleurs. Bien que le droit de la concurrence prenne depuis longtemps en compte le coût de la consolidation pour les consommateurs et les entreprises, il reste largement silencieux au sujet des effets que la consolidation peut avoir sur les travailleurs. Heureusement, cette situation est en train de changer. Elle est en train de changer au niveau national, avec l’introduction de dispositions relatives à la fixation des salaires et au non-débauchage entre employeurs en vertu du droit canadien de la concurrence, et elle est en train de changer à l’étranger, grâce à l’inclusion par la commission fédérale du commerce des États-Unis des effets des fusionnements sur les travailleurs et grâce aux plaintes qu’elle a déposées contre le fusionnement des épiceries Kroger-Albertsons. En incluant les effets sur les travailleurs comme facteur d’examen, le projet de loi C-59 constitue un pas en avant vers une vision plus complète des coûts de la consolidation.
Les amendements proposés dans le projet de loi C-59 permettent au droit canadien de la concurrence de rattraper son retard par rapport aux lois sur la concurrence adoptées par nos pairs internationaux. En ce qui concerne l’idée de tirer des enseignements de ces pairs, le comité devrait envisager la possibilité que le projet de loi C-59 aille plus loin sur le plan de la protection des Canadiens contre les fusions dans des marchés déjà concentrés. Lorsqu’un marché est très concentré, toute consolidation supplémentaire est plus susceptible de nuire aux Canadiens et à la concurrence dont ils dépendent. C’est pourquoi il convient d’intégrer dans le droit canadien de la concurrence un préjugé défavorable aux fusionnements dans des marchés déjà concentrés, souvent appelé « présomption structurelle ». En vertu de cette présomption, les parties à la fusion devront déployer davantage d’efforts pour démontrer qu’une fusion profitera aux Canadiens et les fusions dans les secteurs présentant des niveaux élevés de concentration devraient être purement et simplement interdites. Comme d’autres personnes l’ont souligné, au Canada, le droit de la concurrence actuel a permis à plusieurs reprises à des fusions d’aboutir à un monopole littéral et d’éliminer ainsi la concurrence et des choix pour les Canadiens. C’est là la conséquence d’un droit de la concurrence qui ne prend pas au sérieux la structure du marché. Le projet de loi C-59 donne l’occasion de renverser cette tendance.
Le projet de loi C-59 est un élément important de la réforme globale du droit de la concurrence au Canada. Je pense que votre comité a l’occasion de renforcer cette réforme et de la rendre encore plus complète.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter, et je suis impatient de répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur Bester.
W. Scott Thurlow, conseiller principal, Dow Canada : Bonsoir, monsieur le président. J’aimerais saluer chaleureusement les membres du comité.
Je suis fier de parler aujourd’hui au comité de Dow Canada. Dow exploite deux sites de production, à Fort Saskatchewan et dans le comté de Lacombe, en Alberta. Les sites de l’Alberta convertissent le gaz naturel en éthane, en éthylène et enfin en polyéthylène. Notre principal produit en Alberta, le polyéthylène, est vendu à des clients partout au Canada et dans le monde entier pour la fabrication de biens durables, d’emballages et de certains produits de consommation. Nous fournissons également à l’industrie de la région d’autres dérivés pétrochimiques. En Ontario, nous avons deux sites de production : l’un à West Hill, à Scarborough, et l’autre près de Sarnia. Ces installations produisent respectivement des émulsions et des résines plastiques spéciales.
Le 29 novembre, le conseil d’administration de Dow a approuvé une décision finale en matière d’investissement dans le premier complexe de production d’éthylène et de dérivés carboneutre — du point de vue des émissions de portée 1 et 2 — au monde, situé à Fort Saskatchewan, en Alberta. D’un point de vue économique, cet investissement permet à Dow d’accroître sa production de deux millions de tonnes métriques par an, ce qui revient à tripler notre production. Au point culminant du projet, nous nous attendons à ce qu’environ 7 000 emplois soient créés dans le secteur de la construction sur ce site. Sur le plan environnemental, cet investissement permettra d’éliminer un million de tonnes de CO2, même en tenant compte de cette croissance supplémentaire. Nous y parviendrons en convertissant en carburant propre l’hydrogène des effluents gazeux du craqueur, tout en captant et en stockant le reste du CO2. Cet investissement ouvrira la voie à l’ensemble du portefeuille d’emballages et de plastiques spéciaux de Dow. L’avantage d’être la première entreprise à le faire nous permettra de répondre à la demande croissante de solutions à faible teneur en carbone. Il permet à Dow d’être à l’avant-garde en ce qui concerne la construction du premier site entièrement intégré de calibre mondial, qui est carboneutre du point de vue des émissions de portée 1 et 2.
Fort Saskatchewan est un site stratégique et avantageux, car à cet endroit, nous avons accès à de l’éthane peu coûteux. Le site compte aussi des infrastructures ferroviaires et d’exportation qui seront développées pour soutenir nos ventes à l’échelle mondiale. Nous bénéficions en outre d’un soutien gouvernemental, y compris des subventions qui compensent une partie de nos coûts d’investissement, et ce site est également l’un des rares endroits au monde où il existe des infrastructures pour le transport et le stockage du carbone. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous avons l’avantage d’être les premiers à proposer des solutions à faible teneur en carbone.
La certitude liée à l’environnement d’investissement dans lequel nous évoluons est également un avantage clé. Voilà pourquoi je suis ici aujourd’hui pour offrir le soutien de Dow Canada au projet de loi C-59 et, en particulier, aux crédits d’impôt proposés pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, ou CUSC. Ces crédits ont été annoncés pour la première fois dans le budget de 2021, alors il est grand temps de les adopter. Des mesures semblables ont été présentées, débattues, adoptées et mises en œuvre en vertu de la loi américaine sur la réduction de l’inflation en moins de deux mois.
Je soutiens également de tout cœur la création d’un crédit d’impôt similaire pour le déploiement des technologies de l’hydrogène. Comme pour les crédits d’impôt pour le CUSC, cette mesure a été mentionnée pour la première fois dans un budget antérieur. RNCan a publié une étude approfondie sur le potentiel de ce secteur en 2020. Nous attendons donc avec impatience que ces technologies soient intégrées dans la loi.
Nous exhortons le Parlement à adopter rapidement ce projet de loi afin que la certitude requise pour que nous puissions compter sur ces crédits d’impôt à l’investissement puisse être intégrée directement dans nos modèles d’investissement. Ces crédits d’impôt contribuent à la décarbonisation de nos activités à Fort Saskatchewan et à la remise en service de ce site d’ici 2030.
Je tiens à répéter un point essentiel : ces crédits conduiront à des réductions définitives des émissions. Pour que le Canada atteigne ses cibles de réduction des émissions, nous avons besoin d’investissements transformateurs tels que ceux effectués par Dow. C’est grâce aux progrès réalisés dans le secteur de la chimie que ces importantes réductions d’émissions se produiront.
Je répondrai volontiers aux questions des membres du comité.
Le président : Je vous remercie, monsieur.
[Français]
Francis Bradley, président et chef de la direction, Électricité Canada : Je m’appelle Francis Bradley et je suis président-directeur général d’Électricité Canada. Électricité Canada est la voix nationale de l’électricité dans le pays. Nos membres produisent, transportent et distribuent de l’électricité dans chaque province et territoire.
[Traduction]
Je suis accompagné aujourd’hui de Paul Cheliak.
Paul Cheliak, vice-président, Stratégie et livraison, Association canadienne du gaz : Bonsoir à tous. Les membres de l’Association canadienne du gaz, ou ACG, exploitent le système d’infrastructures du gaz naturel qui fournit 40 % de l’énergie consommée au Canada.
M. Bradley : Ensemble, Électricité Canada et les membres de l’ACG fournissent 55 % de l’énergie consommée au Canada.
[Français]
Aujourd’hui, nos commentaires se concentrent sur les règles de restriction sur des dépenses excessives d’intérêt et de financement et leur impact sur l’abordabilité de l’énergie pour les Canadiens.
[Traduction]
Avant de poursuivre, nous tenons à saluer les efforts déployés par le ministère des Finances du Canada pour rédiger les règles proposées sur la restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement, ou RDEIF. Ces règles visent à harmoniser ce régime canadien avec le projet BEPS de l’OCDE, ce qui constitue une étape positive vers la promotion d’un cadre fiscal mondial équitable. Nous approuvons tout à fait la nécessité d’avoir un système fiscal mondial équitable. Tout en saluant ces efforts, nous devons attirer votre attention sur le fait que la mesure législative aura, par inadvertance, une incidence sur l’accessibilité de l’énergie pour les Canadiens de diverses régions du pays et rendra les projets de construction liés à une économie carboneutre encore plus difficiles à mettre en œuvre.
Comme certaines entreprises de services publics réglementées au Canada sont assujetties à des impôts fédéraux et possèdent des actifs à l’étranger, elles seront soumises aux règles sur la RDEIF, alors que d’autres ne le seront pas, par exemple celles qui sont constituées en sociétés d’État provinciales. En raison de leur structure réglementaire et de la manière dont les tarifs sont établis, les entreprises de services publics ont l’obligation de refiler les coûts fiscaux aux clients. Par conséquent, les entreprises de services publics touchées par la loi sur la RDEIF verront les coûts qu’elles refilent aux clients augmenter de manière considérable en raison des intérêts encourus sur toutes les dettes existantes et nouvelles. Ces coûts s’ajoutent aux tarifs qu’il a déjà fallu hausser pour soutenir les efforts que notre pays déploie pour devenir carboneutre et pour maintenir la fiabilité des services publics face à la croissance des phénomènes météorologiques extrêmes causés par le changement climatique.
M. Cheliak : Nous comprenons qu’une large exemption sectorielle va parfois à l’encontre de l’esprit de la mesure législative. C’est pourquoi nous avons proposé une exemption ciblée d’intérêt public pour les entreprises de services publics réglementées et leurs sociétés de portefeuille. Cette approche cadre avec celle que d’autres pays ont adoptée, notamment les États-Unis, l’Irlande et le Royaume-Uni. Une telle exemption est appropriée pour notre secteur, car les entreprises de services publics à tarifs réglementés sont uniques à plusieurs égards.
Tout d’abord, le secteur est très réglementé, exige beaucoup de capitaux et doit maintenir des niveaux d’endettement élevés pour garantir que les coûts de nos projets sont répartis sur leur longue période de vie utile. Il convient de noter que les niveaux d’endettement des services publics sont prescrits, et non choisis. Ils sont prescrits par un organisme de réglementation provincial. La dette représente environ 50 à 60 % de la structure des capitaux d’une entreprise de services publics.
Deuxièmement, les entreprises de services publics sont soumises à un contrôle important de la part des organismes de réglementation provinciaux. Chaque dollar dépensé ou facturé à un client par une entreprise de services publics réglementée est soumis à un processus transparent et responsable.
Troisièmement, en raison de la structure réglementaire, les entreprises de services publics doivent refiler certains coûts directement aux clients, y compris les impôts payés, telles que ceux prévus par les règles proposées sur la RDEIF.
Il est important de noter que les règles sur la RDEIF créeraient une mosaïque de services publics qui aurait des répercussions différentes sur les factures d’énergie des Canadiens de l’ensemble du Canada en fonction du statut fiscal et du propriétaire de leur entreprise locale de services publics. Dans certaines provinces, les clients paieront les coûts liés à la RDEIF; dans d’autres, ils ne les paieront pas, ou ils paieront les coûts liés à la RDEIF sur leur facture de gaz, mais pas sur leur facture d’électricité, et vice versa. En l’absence d’exemption, la RDEIF créera une mosaïque de gagnants et de perdants en matière de prix de l’énergie.
Nous vous encourageons à consulter les documents que nous vous avons présentés pour obtenir de plus amples renseignements sur les raisons pour lesquelles les services publics réglementés sont uniques et méritent une exemption ciblée relative à la RDEIF. Nous insistons sur le fait que cela garantira l’équité et évitera que les factures d’énergie des Canadiens grimpent à un moment où le coût de la vie est une préoccupation majeure. Une telle exemption cadrerait également avec ce que font les pays de l’OCDE, les États-Unis, l’Irlande et le Royaume-Uni.
M. Bradley : Nous vous remercions du temps que vous avez passé à nous écouter et de votre attention. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions. Derek Smith, vice-président de l’impôt sur les sociétés à Emera Inc. se joint aussi à nous virtuellement et sera peut-être mieux à même de répondre à certaines de vos questions plus techniques. Emera Inc. est une entreprise de services publics membre d’Électricité Canada dont les clients de la Nouvelle-Écosse subiront les conséquences négatives des règles sur la RDEIF, si aucune exemption n’est autorisée.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Le président : Merci, monsieur Bradley.
[Traduction]
Matthew Holmes, premier vice-président, Politique et relations gouvernementales, Chambre de commerce du Canada : J’ai le plaisir de comparaître à nouveau devant vous au nom de 400 chambres de commerce situées partout au pays et de plus de 200 000 entreprises de toutes les tailles et de tous les secteurs.
Ce soir, la principale préoccupation de la Chambre de commerce du Canada, c’est le fait que la compétitivité économique du Canada se dégrade et que notre productivité a baissé au cours de 11 des 12 derniers trimestres. Cela signifie que les Canadiens sont globalement plus pauvres, qu’ils ont moins d’occasions de réaliser leurs objectifs personnels et qu’ils doivent dépenser davantage d’argent simplement pour poursuivre les activités quotidiennes de leur vie. Le gouvernement doit considérer les entreprises de toutes tailles comme des partenaires essentiels de notre réussite collective, des partenaires capables de stimuler l’investissement et la croissance et de contribuer à renverser la vapeur en ce qui concerne nos problèmes de productivité.
Le comité a déjà reçu notre mémoire officiel et les amendements que nous proposons d’apporter au projet de loi C-59. Ce soir, nous concentrerons nos observations sur la politique de la concurrence, les crédits d’impôt à l’investissement et la taxe sur les services numériques, ou TSN.
Comme nous l’avons souligné au cours de votre étude du projet de loi C-56, nous restons préoccupés par l’approche ponctuelle adoptée pour modifier la Loi sur la concurrence, et nous encourageons le gouvernement à continuer de consulter les entreprises au sujet des modifications qu’il propose d’apporter à la loi.
En particulier, le projet de loi C-59 pourrait submerger le Tribunal de la concurrence et les entreprises de plaintes frivoles, en accordant de nouveaux droits au secteur privé en matière de poursuites. Le mémoire de la Chambre de commerce du Canada recommande que des mesures de protection particulières conformes aux lois canadiennes sur les recours collectifs soient prises afin de s’assurer que les plaintes sont évaluées de manière uniforme et que les fonds sont correctement distribués aux consommateurs touchés par la conduite plutôt qu’à leurs avocats.
Récemment, on a beaucoup parlé de la présomption structurelle dans le cadre de l’examen des fusions. Nous avons vu le Bureau de la concurrence déposer un mémoire auprès de votre comité pour plaider en faveur de son inclusion dans le projet de loi C-59 et pour suggérer que le gouvernement s’inspire des lignes directrices américaines sur les fusions. Nous avons pris connaissance de la lettre que la Chambre de commerce des États-Unis a adressée au comité à propos de cette question, et nous vous encourageons à l’étudier attentivement, car la présomption structurelle n’est pas codifiée dans le droit américain et le Congrès américain ne tente pas sérieusement d’intégrer la présomption structurelle dans la loi. Les organismes responsables de la concurrence devraient continuer d’examiner de manière approfondie les effets probables qu’une fusion aurait sur la concurrence et les consommateurs, y compris les arguments selon lesquels la fusion serait bénéfique pour les consommateurs.
En ce qui concerne les crédits de taxe sur les intrants, ou CTI, la Chambre de commerce du Canada applaudit dans l’ensemble les nouveaux crédits d’impôt à l’investissement, ou CII, tels que le CII pour le CUSC, qui sont des outils qui aident à débloquer les investissements du secteur privé dans une économie à faibles émissions de carbone. Afin de maximiser l’incidence du crédit d’impôt pour la fabrication de technologies propres et du crédit d’impôt à l’investissement, nous recommandons qu’ils soient affinés pour inclure les investissements dans les biens incorporels et l’exploitation minière. En outre, nous pensons que le CII sur les technologies propres devrait être élargi pour inclure les compagnies d’assurance-vie, de manière similaire à l’inclusion des fonds d’investissement immobilier dans la déclaration économique d’automne. Les compagnies d’assurance-vie gèrent souvent des actifs pour le compte de régimes de retraite, mais comme les régimes de retraite sont des entités non imposables, les investisseurs à long terme ne peuvent pas utiliser le CII sur les technologies propres, ce qui entravera l’investissement à long terme dans la décarbonisation de l’économie canadienne.
Compte tenu de l’incertitude qui entoure actuellement l’environnement lié à l’octroi de permis au Canada, nous recommandons également de prolonger le délai de suppression progressive du CII dans la fabrication de technologies propres et du CII pour l’électricité propre afin de garantir des investissements importants dans les secteurs canadiens de l’exploitation minière, de l’industrie manufacturière et de l’électricité.
Enfin, il est impératif que tous les nouveaux CII soient mis en œuvre dès que possible, en clarifiant la procédure de déclaration et l’admissibilité, afin que le secteur privé puisse alimenter la prochaine vague d’investissements à long terme dans notre économie. Comme l’ont souligné d’autres témoins, nous devons agir plus rapidement à cet égard.
L’ironie, c’est qu’au moment même où nous envisageons d’accorder des CII pour stimuler l’investissement, l’innovation et la croissance du secteur privé, une série de nouveaux impôts qui visent les entreprises menace d’éloigner les investissements, de créer de l’incertitude et de décourager les nouveaux acteurs d’entrer sur le marché canadien. Plus précisément, nous demandons au gouvernement d’éviter d’imposer une taxe sur les services numériques, ou TSN. La TSN est particulièrement préoccupante, car elle prévoit une taxe rétroactive à 2022 sur les services en ligne sur lesquels les Canadiens comptent, alors que plus de 120 pays, dont les États-Unis, ont accepté de retarder l’imposition de telles taxes. Nous nous opposons fermement au concept de rétroactivité fiscale, qui prive les entreprises de la certitude dont elles ont besoin pour réaliser des investissements productifs dans l’innovation et la croissance. Deuxièmement, nous nous opposons à toute mesure qui accroîtra les coûts assumés par les entreprises et les Canadiens alors qu’ils affrontent tous deux des vents économiques contraires. Cette nouvelle taxe touchera bien plus que les grandes sociétés multinationales; elle créera une onde de choc dans l’ensemble de l’économie canadienne. Enfin, nous devons déclencher la sonnette d’alarme relativement au fait que les administrations qui se sont succédé à Washington ont signalé que l’adoption d’une TSN pourrait provoquer des représailles commerciales préjudiciables. Des entreprises de nombreux secteurs autres que celui des services numériques nous font part de leur inquiétude quant à la possibilité que leurs produits soient touchés par des mesures de rétorsion commerciale.
Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie.
Alexander Vronces, directeur général, Fintechs Canada : Fintechs Canada est une association industrielle qui regroupe les entreprises de technologie financière les plus novatrices du Canada. Bien que la plupart des Canadiens ne connaissent pas le mot « fintech », nous ne devrions pas confondre cette méconnaissance avec un manque d’adoption. Collectivement, nos membres servent quotidiennement des millions de Canadiens.
Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous pour discuter du projet de loi C-59. Une partie de ce projet de loi est très importante pour nous, et c’est la raison pour laquelle c’est un privilège de pouvoir vous faire part de notre point de vue à son sujet aujourd’hui. Nous voulons que le projet de loi C-59 aille de l’avant, car il élargira l’accès au système de paiements canadien.
Paiements Canada est un organisme peu connu qui a été créé par le gouvernement fédéral dans les années 1980. Il possède et exploite le système de paiements. Chaque fois que vous glissez une carte de débit dans un lecteur, payez une facture, déposez un chèque ou recevez votre salaire, vous utilisez le système de paiements canadien. L’année dernière, le système de Paiements Canada a accepté et réglé 112 billions de dollars de transactions.
Paiements Canada alimente l’économie canadienne, mais aussi le secteur financier. La plupart des technologies financières ne peuvent effectuer des transactions dans le secteur financier si elles n’ont pas accès au système de paiements. Vous avez besoin du système de paiements pour débourser un prêt, traiter un paiement ou transférer des fonds entre les comptes de vos clients.
Toutefois, l’accès au système de paiements est restreint par la loi, de sorte que seules les plus grandes banques du Canada peuvent y avoir accès. Toutes les autres entreprises accèdent au système de paiements par l’intermédiaire de ces banques. Leurs concurrents se trouvent donc dans une position intenable. Ils doivent faire des affaires avec leurs concurrents pour pouvoir entrer en concurrence avec eux. Comme l’a écrit il y a 10 ans un groupe de travail gouvernemental chargé d’étudier le système de paiements, le système de paiements canadien est contrôlé par les grandes banques du pays, et leurs intérêts sont mieux servis en tenant à distance les nouveaux venus dans le système, ceux-là mêmes qui apporteraient les innovations dont les Canadiens ont besoin.
Le projet de loi C-59 n’est qu’une partie de la solution au problème. Lorsqu’il sera adopté, il permettra aux nouveaux venus réglementés par la Banque du Canada d’accéder directement au système de paiements sans devoir passer par leurs concurrents. Toutefois, pour que les Canadiens profitent de ce changement, nous avons également besoin d’un système de paiements auquel ils puissent accéder.
Depuis 2016, Paiements Canada s’efforce de moderniser le système de paiements canadien pour accélérer les transferts d’argent et rattraper le reste du monde. C’est également à ce système que les nouveaux venus auront accès. Selon la Banque mondiale, le Canada est l’un des rares pays du monde entier à ne pas disposer d’un système de paiements rapide et moderne. Les Canadiens attendent toujours l’arrivée de ce système.
Nous devons faire adopter le projet de loi C-59, mais nous devons également moderniser le système de paiements. Les autres pays qui l’ont fait bénéficient d’avantages dont nous ne jouissons pas — des frais moins élevés pour les consommateurs et les entreprises qui transfèrent de l’argent à l’intérieur et à l’extérieur des frontières du pays, une meilleure gestion des risques financiers qui pourraient se matérialiser et déstabiliser le système bancaire, une réduction des frais imposés pour les chèques sans provision, une croissance du PIB découlant du fait que les entreprises ont accès à leur argent plus rapidement, l’investissent et font croître l’économie, et un accès en temps réel aux salaires gagnés, ce qui réduirait la dépendance à l’égard des prêts prédateurs.
L’infrastructure de notre secteur financier, les lois et la technologie que nous utilisons pour transférer des fonds ont été élaborées avant l’avènement d’Internet. Comme l’a dit l’un de nos membres, c’est comme si nous étions coincés sur une ligne commutée dans un univers à large bande. Nous sommes heureux de constater que des changements commencent à se produire, mais nous devons terminer le travail. Cela signifie qu’il faut mettre en œuvre le projet de loi C-59 et moderniser le système de paiements qui alimente l’économie canadienne.
Je vous remercie encore une fois de nous avoir invités à participer à votre séance d’aujourd’hui.
Le président : Je vous remercie.
[Français]
Eric Gagnon, vice-président des affaires corporatives et réglementaires, Imperial Tobacco Canada Ltd : Bonsoir. Je m’appelle Eric Gagnon et je suis vice-président des affaires corporatives et réglementaires chez Imperial Tobacco Canada. Je ferai mon allocution en anglais, mais c’est avec plaisir que je répondrai à vos questions en français, bien entendu.
[Traduction]
Je suis heureux de vous parler aujourd’hui du projet de loi C-59 ainsi que des droits de recouvrement des coûts proposés dans le cadre des mesures de lutte contre le tabagisme et le vapotage. Je tiens d’abord à souligner que le Canada est l’un des marchés les plus réglementés au monde pour ce qui est des produits du tabac. Pourtant, bien qu’il n’ait jamais été aussi faible, le taux de tabagisme au Canada n’est pas inférieur à celui de pays comme les États-Unis, où les mesures de lutte contre le tabagisme sont beaucoup moins strictes.
Ce constat remet en question l’efficacité de la stratégie de lutte contre le tabagisme du Canada, qui est guidée par des groupes de santé antitabac. Ces groupes parcourent le monde et se targuent de présenter le Canada comme un chef de file en matière de lutte contre le tabagisme, mais ils oublient toujours de mentionner qu’un tiers du marché canadien du tabac ne respecte aucun des règlements en vigueur, notamment en ce qui concerne les mises en garde sur la santé, les taxes ou les preuves d’âge. On pourrait penser que le fait que des cigarettes bon marché, illégales et non réglementées soient accessibles aux enfants constituerait une préoccupation majeure de ces groupes de santé, mais on préfère se pencher sur la création de nouveaux droits pour l’industrie légale du tabac.
Il convient de rappeler que le gouvernement fédéral perçoit déjà plus de 3 milliards de dollars par an en taxes sur le tabac, ce qui est plus que suffisant pour payer les 66 millions de dollars actuellement consacrés à la lutte contre le tabagisme. La lutte contre le tabac illégal pourrait générer des recettes suffisantes pour financer 40 fois la stratégie canadienne de lutte contre le tabagisme.
Les gouvernements du Canada continuent d’imposer des mesures supplémentaires à l’industrie du tabac légal, et il en va de même pour les produits de vapotage. Nous soutenons les mesures visant à lutter contre le vapotage chez les jeunes, mais des problèmes semblables sont en train d’émerger. Souvent, ces nouveaux règlements semblent utiles en théorie, mais ils ne font pas grand-chose pour empêcher que les produits n’atterrissent entre les mains des jeunes. Le dernier exemple en date est celui du Québec, où l’interdiction récente des arômes sur les produits de vapotage a rendu 50 % du marché illégal du jour au lendemain.
Le gouvernement fédéral ne peut pas raisonnablement demander plus d’argent à l’industrie légale avant de s’attaquer au problème du tabac et du vapotage illégaux. Les entreprises légales paient déjà le prix fort pour la non-application des règlements actuels par le gouvernement, et il est inacceptable de leur réclamer un chèque en blanc sans s’engager à régler ces problèmes.
Avant d’envisager l’imposition de droits de recouvrement des coûts à l’industrie légale, Imperial Tobacco Canada propose ce qui suit :
Tout d’abord, la part du tabac illégal au niveau national est de 32 %, et il faut en tenir compte dans l’imposition de droits de recouvrement des coûts. L’industrie légale ne doit pas être obligée d’assumer tous les coûts alors qu’un tiers du marché est illégal. Toute surtaxe imposée à l’industrie doit tenir compte de ce fait, faute de quoi la conception et l’administration des droits de recouvrement soulèvent des problèmes d’équité fondamentaux.
Deuxièmement, en ce qui concerne le vapotage, il existe des centaines d’entreprises au Canada, et il convient d’en tenir compte pour déterminer la manière d’appliquer les droits de recouvrement des coûts.
Troisièmement, le principal problème lié au tabac et au vapotage reste le marché noir, qui est très prospère. Nous devons tenir compte de ce fait dans l’établissement de tout droit de recouvrement et veiller à ce que des fonds suffisants soient consacrés à l’application des règlements en vigueur.
Enfin, il convient d’entreprendre une étude en comité afin d’attirer l’attention sur l’activité la plus lucrative du crime organisé au Canada. Votre comité pourrait effectuer ce travail de façon très compétente.
En conclusion, le gouvernement et les groupes de santé publique doivent décider s’ils préfèrent avoir une industrie du tabac légale, réglementée et taxée, ou une industrie illégale, non réglementée et non taxée. Je tiens à souligner le contraste avec le cas du cannabis, dans lequel l’élimination du marché illégal et la promotion d’une industrie légale constituent une priorité gouvernementale. Un ministre dirige même un groupe de travail chargé de promouvoir cette industrie. Dans le cas du tabac, l’objectif semble être de mettre en faillite l’industrie légale et de confier ce marché au crime organisé. Le gouvernement doit nous expliquer pourquoi il en est ainsi, et les groupes de santé publique doivent expliquer leur silence sur cette question.
[Français]
Merci de m’avoir écouté et au plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci.
Brendan Frank, directeur des politiques et de la stratégie, Clean Prosperity : Bonsoir, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis ici pour demander l’adoption et la mise en œuvre rapides du crédit d’impôt à l’investissement pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone prévu dans le projet de loi C-59.
Clean Prosperity est un organisme national canadien de politique climatique. Nous nous concentrons sur les politiques axées sur le marché visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre du Canada et à veiller à ce que le Canada saisisse une part importante d’une occasion historique : l’économie à faibles émissions de carbone. Notre organisme est indépendant, non partisan et sans but lucratif.
J’aimerais soulever deux points essentiels. Premièrement, la finalisation et la mise en œuvre du crédit de taxes sur intrants pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, le captage direct de l’air et l’infrastructure connexe, prévu dans le projet de loi C-59, est une question urgente. Deuxièmement, la mise en œuvre de ce crédit de taxes sur intrants est le début d’un long cheminement vers la garantie de la compétitivité du Canada au sein de l’économie à faibles émissions de carbone qui se développe rapidement.
Tout d’abord, le captage, l’utilisation et le stockage du carbone sont essentiels à l’atteinte des objectifs climatiques à court terme du Canada. Ils sont essentiels à l’implantation des industries dont nous aurons besoin pour parvenir à la carboneutralité d’ici 2050, et pour garantir que le Canada prenne des mesures adéquates à court terme pour s’emparer de cette part importante de l’économie à faibles émissions de carbone.
J’insiste ici sur le fait que le captage du carbone n’est pas une technologie unique. Il s’agit d’un ensemble de technologies, qui s’appliquent à tous les secteurs de l’industrie lourde allant de la production de pétrole et de gaz à l’électricité, en passant par la fabrication d’acier et de ciment, les produits pétrochimiques et les engrais. La création d’un secteur du captage, de l’utilisation et du stockage du carbone solide au Canada aura également des retombées positives sur d’autres nouveaux secteurs dont le Canada aura besoin pour parvenir à la carboneutralité, notamment pour éliminer le dioxyde de carbone.
En 2024, l’industrie lourde générera plus d’un tiers des émissions du Canada. Nous ne pouvons pas atteindre nos objectifs pour 2030 sans la collaboration de l’industrie lourde, et cette dernière ne peut pas faire sa juste part sans le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, ou du moins pas à temps pour 2030. Nos analyses indiquent que ce crédit de taxes sur intrants sera un élément clé de l’ensemble des capitaux nécessaires à toute une série de projets à faibles émissions de carbone.
Ce crédit de taxes sur intrants est également devenu un point de repère pour les investisseurs dans les projets à faibles émissions de carbone. Le Canada dispose de cinq crédits de taxes sur intrants principaux qui en sont à différents stades de développement, et le crédit de taxes sur intrants pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone a été annoncé en premier et est le plus avancé dans son processus de mise en œuvre. Il a déjà subi de nombreux retards, ce qui contribue à rendre l’environnement d’investissement de plus en plus incertain.
Cette pression est particulièrement forte depuis l’adoption de l’Inflation Reduction Act des États-Unis, qui est entrée en vigueur il y a près de 18 mois. Nos analyses ont également montré que le crédit de taxes sur intrants pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone est un élément essentiel d’une réponse concurrentielle à l’Inflation Reduction Act des États-Unis. Qu’il s’agisse de la mise en œuvre des politiques ou de la réalisation de projets, le Canada est en retard et le sera de plus en plus.
Les retards dans la mise en œuvre des crédits de taxes sur intrants ont déjà des conséquences importantes et concrètes et retardent des projets qui sont prêts à être mis en œuvre. La lenteur de la mise en œuvre du crédit de taxes sur intrants pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone et d’autres politiques climatiques a également servi de signal plus général, de symbole des difficultés du Canada à honorer ses engagements en matière de politique climatique. Pour remédier à cette situation, nous pouvons commencer par mettre en œuvre le projet de loi C-59, mais nous ne devons assurément pas nous arrêter là.
Deuxièmement, le captage, l’utilisation et le stockage du carbone sont nécessaires, mais pas suffisants. Les cinq principaux crédits de taxes sur intrants du Canada constituent une réponse judicieuse à l’Inflation Reduction Act, mais ils ne représentent qu’une partie de la solution. Plus particulièrement, le crédit de taxes sur intrants pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone présente des risques importants s’il n’est pas mis en œuvre sur des marchés du carbone stricts et robustes. Les modèles que nous avons commandés à Navius Research indiquent que les crédits de taxes sur intrants seuls ne produisent que des avantages économiques et environnementaux limités. Ils doivent être associés à des engagements en faveur d’une rigueur accrue sur les marchés industriels du carbone et à un vaste programme de contrats sur le carbone pour les différences. En l’absence de marchés du carbone solides, le crédit de taxes sur intrants pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone ne produira pas les retombées économiques ou la réduction des émissions escomptées.
Le pire des scénarios serait de bâtir ces projets d’infrastructure massifs et qu’ils soient inutilisés. Des marchés du carbone faibles garantiraient ce type de résultat néfaste. C’est pourquoi nous réitérons notre appel en faveur d’une rigueur accrue sur tous les marchés provinciaux du carbone et d’un élargissement du programme fédéral de contrats sur le carbone pour les différences. Je me ferai un plaisir de développer ce point si vous avez des questions sur les contrats sur le carbone pour les différences en particulier, mais, en résumé, ils peuvent renforcer la durabilité des marchés du carbone et fournir les incitatifs structurels à long terme nécessaires pour garantir que le crédit de taxes sur intrants pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone ne crée pas d’actifs inutilisés.
Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Frank.
Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer : Nous vous remercions de nous donner l’occasion de comparaître devant vous.
En résumé, nous avons trois recommandations : Exhorter les sénateurs à appuyer les articles 217 et 218 du projet de loi relatifs aux droits de recouvrement des coûts; nous recommandons un amendement de renforcement; et troisièmement, nous exhortons les sénateurs à soutenir les articles 145 à 167 relatifs à l’administration de la taxe sur le vapotage et aux dispositions liées à l’application de la loi.
En ce qui concerne les droits de recouvrement des coûts, le projet de loi prévoit l’adoption de règlements obligeant les fabricants de tabac et les entreprises de vapotage à rembourser au gouvernement fédéral le coût annuel de 66 millions de dollars de la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme. Tous les Canadiens ne devraient pas avoir à payer pour cette stratégie visant à réduire le tabagisme, et maintenant, plus particulièrement, le vapotage chez les jeunes. En vertu du principe de responsabilité, du principe du pollueur-payeur, cette responsabilité devrait revenir à l’industrie du tabac. Celle-ci est à l’origine de l’épidémie. Elle est responsable des coûts engendrés par la lutte contre le tabagisme. L’industrie du vapotage a bénéficié d’importants avantages financiers générés par le taux élevé de vapotage chez les jeunes, et nombre de ces adolescents sont aujourd’hui des adultes. Ils sont parfois dépendants de la nicotine. Même s’ils veulent arrêter, ils seront peut-être des clients à vie. Il convient de noter que les fabricants de tabac sont des acteurs majeurs de l’industrie du tabac et de l’industrie du vapotage.
Les droits de recouvrement des coûts ne datent pas d’hier. Lors des élections fédérales de 2021, ils figuraient dans les programmes du Parti libéral, du Parti conservateur et du Parti néo-démocrate. Ils figuraient également dans la lettre de mandat de la ministre de la Santé. En 2021, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a recommandé leur création. Aux États-Unis, ils sont en place depuis 2009 et sont administrés par la Food and Drug Administration. Ils exigent des fabricants de tabac qu’ils remboursent 712 millions de dollars par an sur la base de leur part de marché, soit plus de 900 millions de dollars canadiens. Si les États-Unis peuvent établir des droits de recouvrement des coûts, nous pouvons assurément faire la même chose au Canada pour l’industrie du tabac. Ici, au Canada, nous avons créé des droits de recouvrement des coûts pour l’industrie du cannabis depuis 2018. Si nous pouvons le faire pour les entreprises de cannabis, nous pouvons le faire pour les fabricants de tabac et les entreprises de vapotage.
En moyenne, sur une période de neuf ans et demi, l’industrie du tabac a augmenté ses prix de 30,40 $ par cartouche, taxe non comprise. Elle a augmenté ses prix de 180 % alors que l’inflation cumulée n’était que de 28 %. Ils ont donc généré 2 milliards de dollars de recettes supplémentaires par an, voire plus. Peuvent-ils se permettre de verser 66 millions de dollars par an au gouvernement fédéral? La réponse est oui. Ils soulèvent souvent la question de la contrebande, mais n’ont aucune crédibilité en la matière. Imperial Tobacco et deux autres grandes entreprises ont été reconnues coupables de contrebande et ont dû payer des amendes et des amendes civiles d’un montant de 1,7 milliard de dollars. Ils ont eux-mêmes nettement augmenté leurs prix.
En ce qui concerne l’amendement, pour faciliter l’application des droits de recouvrement des coûts, nous insistons sur la nécessité d’exiger des entreprises qu’elles paient à l’avance, et de ne les autoriser à vendre leurs produits que si elles ne paient pas leurs droits. C’est ainsi que fonctionne la taxe d’accise. Le gouvernement ne devrait pas avoir à courir après les entreprises.
En ce qui concerne l’application de l’administration de la taxe sur les produits de vapotage, il est important de s’assurer que la taxe sur les produits de vapotage fonctionne correctement. Nous savons que l’augmentation des prix a un effet sur les jeunes. Le vapotage chez les jeunes est un énorme problème. Je tiens à souligner que cette catégorie de produits, les cigarettes électroniques jetables, est très populaire chez les jeunes et que la consommation de ces produits au Canada a nettement augmenté ces deux dernières années.
Le nombre de bouffées augmente dans toutes ces cigarettes électroniques. Je vais vous montrer les produits d’Imperial Tobacco. Voici une cigarette électronique qui contient 500 bouffées, introduite en 2022. En voici une autre de 1 500 bouffées, une de 5 000 bouffées, et maintenant une de 8 000 bouffées. Le coût par bouffée diminue. Il était de 2,2 cents par bouffée, puis de 1,3 cent par bouffée, de 0,6 cent par bouffée, puis de 8 000 bouffées à 0,37 cent par bouffée, et enfin, d’autres entreprises offrent 10 000 bouffées, à 0,3 cent. Le coût par semaine et par mois diminue. Le coût du produit contenant 10 000 bouffées ne représente que 14 % de la cigarette électronique introduite en 2022.
Il est important de disposer d’une taxe efficace pour réduire le vapotage. Imperial Tobacco a même encouragé une augmentation du taux de la taxe.
Voilà ce que nous souhaitions communiquer au comité. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur.
Honorables sénateurs, pour le premier tour, vous disposerez de cinq minutes chacun pour poser vos questions.
[Français]
Si le temps le permet pendant la deuxième ronde, ce sera trois minutes.
[Traduction]
Compte tenu du nombre de témoins présents aujourd’hui, veuillez indiquer à quelle personne vous souhaitez adresser votre question.
La sénatrice Marshall : J’aimerais parler de l’abordabilité de l’énergie. Ma question porte sur la règle concernant la restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement. Ma question s’adresse à M. Bradley, M. Cheliak, et je pense qu’il y a un M. Smith d’Emera.
Pouvez-vous nous expliquer de quelle façon et pourquoi les clients seront touchés par ces amendements? On pense à tort que les taxes supplémentaires seront absorbées par les services publics ou par les actionnaires. Dans l’une de vos observations liminaires, vous avez mentionné que l’augmentation des coûts fiscaux doit être transférée au client, ce qui fera une différence. Les clients sont des familles individuelles, je suppose, et des entreprises. Pouvez-vous clarifier ce point? J’aurai ensuite d’autres questions.
M. Bradley : Monsieur le président, je remercie la sénatrice pour cette question très importante.
Au bout du compte, il s’agit d’une question d’abordabilité pour les consommateurs d’électricité. Le régime réglementaire fonctionne de la façon suivante : en échange de l’autorisation de desservir ces clients, certaines catégories de coûts sont considérées comme recouvrables, et elles comprennent ces types de coûts. Une entreprise ne choisit pas d’inclure ou non ces coûts dans ses coûts recouvrables. Il s’agit d’une catégorie de coûts qui entre expressément dans la base tarifaire. Comme nous l’avons souligné plus tôt, cela crée non seulement un problème d’abordabilité, mais aussi un ensemble de mesures disparates. Cela s’applique dans certaines administrations, mais pas dans d’autres.
La sénatrice Marshall : Toutes les taxes doivent donc être transférées aux clients.
Je pense que les entreprises servent des clients différents. Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de clients qui subiront une augmentation de leur facture d’électricité, et pouvez-vous quantifier les conséquences financières pour ces clients? Pouvez-vous nous donner une idée de cette augmentation?
M. Bradley : Oui. Cette mesure s’appliquera aux clients situés dans des administrations particulières, et nous avons inclus dans nos documents un aperçu de ce qu’il en est dans chaque province.
La sénatrice Marshall : Pouvez-vous nous donner un exemple? S’agira-t-il de 50 cents sur une facture moyenne ou de 20 $?
M. Bradley : Notre collègue d’Emera à Halifax peut parler plus précisément de l’expérience de la Nouvelle-Écosse.
Derek Smith, vice-président, Fiscalité, Emera Inc., membre d’Électricité Canada, Électricité Canada : Plus particulièrement, si l’on prend l’exemple des services publics réglementés de la Nouvelle-Écosse, Nova Scotia Power, nous prévoyons une augmentation de la charge fiscale d’environ 50 millions de dollars au cours des trois prochaines années, qui sera répercutée sur les clients. Cette somme sera répartie sur un groupe d’environ 500 000 clients soumis à ces tarifs.
La sénatrice Marshall : Pouvez-vous nous donner une idée de l’augmentation moyenne? J’essaie de savoir s’il s’agit de 50 cents ou de 20 $. Pouvez-vous nous donner une idée de l’ampleur des répercussions?
M. Smith : L’augmentation serait d’environ 100 $ par client sur trois ans.
La sénatrice Marshall : Sur une période de trois ans?
M. Smith : Oui.
La sénatrice Marshall : Il s’agit donc d’une somme moyenne de 30 $ par an.
J’ai lu dans l’un des documents d’information que nous avons reçus que cette augmentation aurait une incidence sur l’entretien du réseau électrique. Je ne comprends pas, car comment l’entretien du réseau électrique peut-il être affecté si les taxes sont facturées aux clients? L’un de vous peut-il me fournir une explication ou ai-je mal compris ce que j’ai lu?
M. Cheliak : Le principe est le même pour le gaz naturel. Lorsque vous demandez à un régulateur d’approuver vos tarifs, il y a une certaine tolérance et un certain seuil, si vous voulez, pour la hausse des tarifs. Si vous prenez de l’argent qui serait autrement réinvesti dans votre entreprise pour construire, entretenir et améliorer vos actifs, et que cet argent va au Trésor fédéral, vous avez moins de capital pour faire fonctionner votre entreprise, c’est-à-dire pour remplacer des pipelines ou des câbles, construire le projet de réduction des émissions de prochaine génération ou autre. Si cet argent va aux impôts, ce capital n’est pas investi dans l’entreprise.
La sénatrice Marshall : Si... mon temps de parole est-il écoulé?
Le président : Oui. Vous pourrez poursuivre au deuxième tour. Si vous n’avez pas reçu de réponse satisfaisante à votre question, nous pouvons leur demander de répondre par écrit.
[Français]
Le sénateur Forest : J’aimerais poursuivre sur la question de ma collègue la sénatrice Marshall. Je crois comprendre que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Irlande ont choisi d’appliquer cette exemption du service public réglementé à leurs sociétés de portefeuille. Habituellement, le gouvernement canadien a plutôt tendance à copier les politiques fiscales de ses principaux partenaires. Pourquoi aurait-il choisi de ne pas le faire dans ce cas-ci, selon vous?
[Traduction]
M. Bradley : Monsieur le président, c’est une excellente question. J’aimerais avoir la réponse. J’ai posé cette question aux fonctionnaires du ministère des Finances.
Il nous semblerait logique de suivre l’exemple de nos principaux partenaires commerciaux et de traiter cette question de la même manière qu’eux, mais ce n’est pas le cas. Je ne saurais dire pourquoi. Nous préférerions de loin traiter cette question de la même manière que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Irlande.
[Français]
Le sénateur Forest : Selon vous, l’impact de ces changements sur le prix de l’énergie, quand on estime qu’il est d’environ 100 $ sur trois ans à Halifax, est-ce un ordre de grandeur qui vous semble logique, autant pour le Québec que pour la Colombie-Britannique?
[Traduction]
M. Bradley : Encore une fois, la situation sera très différente selon l’administration dans laquelle vous vous trouvez, qu’il s’agisse de l’électricité ou d’un investissement dans votre propre entreprise ou dans une société d’État, selon que cette mesure s’applique ou non. L’exemple qui nous a été donné concernait plus particulièrement l’électricité en Nouvelle-Écosse. Cela s’appliquera plus largement au secteur du gaz naturel et au gaz naturel dans un plus grand nombre d’administrations que cela ne s’appliquera à l’électricité.
Monsieur Cheliak, vous pourriez peut-être nous dire ce qu’il en est pour le gaz naturel.
M. Cheliak : Merci, monsieur Bradley.
En ce qui concerne le gaz naturel, toutes les entreprises de distribution du Canada, sauf deux, seraient concernées. Les deux seules entreprises qui ne seraient pas concernées sont Manitoba Hydro, qui est une société mixte de distribution d’électricité et de gaz naturel, et SaskEnergy, qui est une société de distribution de gaz naturel en Saskatchewan. Dans tous les autres cas, les entreprises de distribution seraient soumises à cette mesure.
En outre, il existe de grands pipelines qui fournissent de l’énergie aux petites entreprises de services publics. Ces grands pipelines sont également soumis à la restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement. Selon leur accord, les coûts de leurs intérêts sont répercutés sur les tarifs, qui sont ensuite répercutés sur les nôtres, puis sur les consommateurs. Il y a un effet en cascade qui va des grands pipelines aux petits pipelines et au consommateur final.
[Français]
Le sénateur Forest : J’ai une question pour M. Holmes concernant le projet de loi C-59, qui met en œuvre la taxe sur les produits numériques. Cette taxe a été annoncée en 2020 et la loi prévoit qu’elle entrera en vigueur rétroactivement à partir de janvier 2022. Vous dénoncez l’aspect rétroactif de cette taxe. Quelle est la logique derrière cette décision du gouvernement, si on ne sait pas à quel moment cette taxe sera mise en œuvre?
[Traduction]
M. Holmes : Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur.
Nous ne savons pas exactement pourquoi le gouvernement choisit d’aller de l’avant de manière aussi musclée à ce stade-ci. L’économie numérique et plus particulièrement la taxe sur les services numériques font l’objet d’une vaste approche intergouvernementale. Près de 130 pays ont accepté d’aller en ce sens, dans le cadre du pilier un de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE. Cette initiative est en cours. Nous avons demandé à plusieurs reprises au gouvernement de participer à cette approche multilatérale, ce qu’il a fait et pourtant, il a encore cet étrange texte législatif. Cette question a été soulevée par de hauts fonctionnaires de l’administration d’aujourd’hui et possiblement de demain. Notre ambassadeur actuel aux États-Unis a également exprimé son inquiétude sur le fait que le Canada aille de l’avant à ce chapitre.
Nous pensons qu’une taxe sur les services numériques touchera non seulement les grandes entreprises multinationales de l’économie numérique au Canada, mais aussi les consommateurs ordinaires. Cette taxe a été introduite dans d’autres pays. L’administration américaine considère qu’elle est discriminatoire et perturbe le commerce. Nous avons également constaté son incidence directe sur les consommateurs, puisqu’elle augmente les prix des services numériques de manière générale et de tout ce qui a trait aux voyages — les personnes qui réservent des voyages en ligne avec des marges très faibles.
L’autre problème que pose cette taxe est bien sûr qu’il ne s’agit pas d’un impôt sur le revenu des particuliers ou des sociétés. Elle s’applique en fait aux ventes elles-mêmes, ce qui en fait une taxe régressive.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue encore une fois aux témoins. Je vais faire un suivi avec M. Holmes. Ce qui m’inquiète, c’est le côté rétroactif. Beaucoup de Canadiens utilisent Booking et Expedia. Est-ce qu’on pourrait voir une situation semblable à ce qui s’est produit avec un autre projet de loi, où il y a eu des conséquences et où les gens ont été privés de nouvelles sur leurs réseaux sociaux? Est-ce que cela pourrait vouloir dire qu’Expedia et Booking pourraient ne plus être disponibles pour les Canadiens s’ils refusent de payer rétroactivement? Nous sommes petits pour ces compagnies et vous dites que cela n’est pas conforme à l’Accord Canada—État-Unis—Mexique. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, s’il vous plaît?
[Traduction]
M. Holmes : Je vous remercie encore une fois.
Je ne peux pas parler des décisions commerciales que les entreprises membres peuvent prendre individuellement à ce sujet. Je sais que c’est une grande source de préoccupation pour de nombreuses entreprises, en particulier en raison de sa rétroactivité. Nous conseillerions au minimum de supprimer l’élément rétroactif. Nous trouvons inadmissible que le gouvernement remonte dans le temps et crée une taxe qui n’existait pas au moment où l’entreprise a vu le jour, et qu’il l’applique rétroactivement. Il faudra attendre deux ou trois ans avant que cette taxe soit mise en place. Rien que le fardeau administratif de la conformité imposé aux entreprises, qui doivent revenir en arrière et évaluer ce qu’elles doivent rétroactivement au gouvernement, est absurde et coûteux. Cette mesure va absolument refroidir les investissements des entreprises au pays.
Le sénateur Gignac : [Difficultés techniques]
M. Holmes : Absolument.
Le sénateur Gignac : Et vous proposez d’amender cet aspect rétroactif?
M. Holmes : Tout à fait, comme nous l’avons proposé.
Le sénateur Gignac : Je vais changer de sujet et m’adresser à M. Frank.
Puisque vous êtes ici et que c’est complexe, j’aimerais comprendre les contrats sur différence pour le carbone, ainsi que les 7 et 17 milliards de dollars gérés par le Fonds de croissance du Canada. Pourriez-vous m’expliquer en termes simples de quoi il s’agit exactement? Que se passera-t-il si, dans deux ou trois ans, la situation du Canada change, par exemple avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement qui abolit la taxe sur le carbone? Qu’adviendra-t-il de tout l’argent que nous avons dépensé pour cela?
M. Frank : Tout d’abord, un contrat sur différence pour le carbone est essentiellement une entente entre deux parties qui fixe le prix du carbone à une certaine valeur pour une période donnée. Le premier contrat que le Fonds de croissance du Canada a signé avec Entropy en décembre prévoit un prix d’exercice de 86,50 $. Cette garantie a permis de prendre une décision finale d’investissement pour un projet précis en Alberta.
Nous envisageons un vaste programme dans le cadre duquel ce type de contrat serait accessible à tout émetteur répondant à des critères initiaux donnés. Cette mesure renforcerait systématiquement la confiance à l’égard des marchés du carbone si elle s’accompagne d’une plus grande rigueur sur ce marché. En gros, si le gouvernement respecte ses engagements en matière d’encadrement, les contrats ne présentent qu’un risque fiscal minime pour lui.
Le sénateur Gignac : Le risque passe du secteur privé au secteur public parce que les entreprises considèrent essentiellement que cette mesure leur offre une zone de confort. Que se passe-t-il avec l’incertitude, concernant la possibilité que la taxe sur le carbone soit abolie? Les entreprises n’auraient-elles plus besoin de cette mesure? Voyez-vous déjà un certain effet sur l’incertitude advenant un changement de cap du gouvernement dans ce dossier? Je suis curieux de savoir si nous perdrons beaucoup d’argent avec ce programme en cas de changement.
M. Frank : Si la tarification au détail devait être abrogée, il n’y aurait aucun effet sur les marchés industriels du carbone. Ces programmes sont administrés par les provinces. Il est important de faire la distinction entre la tarification du carbone au détail et celle du secteur industriel. Les systèmes industriels sont gérés par les provinces.
Le sénateur Gignac : Mais quelqu’un subira une perte, n’est-ce pas?
M. Frank : Si le marché est de plus en plus rigoureux au fil du temps, il n’y aura pas de perte.
Le sénateur Gignac : Le Fonds de croissance du Canada ne perdra donc pas d’argent avec cette initiative?
M. Frank : Eh bien, il octroie des contrats qui...
Le sénateur Gignac : Je vois.
Pour terminer rapidement, monsieur Thurlow, est-il important d’avoir une taxe sur le carbone de votre point de vue? N’a-t-elle pas une influence sur vos investissements et votre planification? N’est-elle pas une source d’incertitude pour votre entreprise et vos affaires, ou pas vraiment?
M. Thurlow : Lorsque le plan a été annoncé pour la première fois en 2021, une condition préalable à son volet économique était d’avoir un marché du carbone du côté industriel. En vertu de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, les provinces, comme l’a souligné mon collègue, gèrent un système qui est considéré comme équivalent. Dans l’éventualité où le marché devait changer à l’avenir en raison d’une modification dont vous venez de parler, le système sur l’innovation technologique et la réduction des émissions de l’Alberta, que nous utilisons actuellement, continuerait d’exister.
Le sénateur Gignac : Je vous remercie.
Le sénateur Smith : Monsieur Bester, il semble que vous soyez en faveur des modifications que ce projet de loi apporte à la Loi sur la concurrence. Vous faites remarquer dans votre mémoire que nos lois sur la concurrence traitent le Bureau de la concurrence du Canada comme une partie privée, ce qui signifie que, dans certains cas, il peut être tenu responsable d’une partie des frais juridiques des défendeurs. Vous estimez que cela décourage le bureau de porter plainte contre les mauvais acteurs potentiels. Pourriez-vous nous en dire plus, s’il vous plaît, sur la suppression de l’adjudication de frais au Bureau et sur les raisons pour lesquelles vous pensez que cela aura un effet positif sur la concurrence?
M. Bester : Je vous remercie de cette question.
Je dois souligner que le Bureau de la concurrence est une organisation gouvernementale qui travaille dans l’intérêt public, qui porte des affaires à l’attention du public, qui est toujours traitée comme une partie privée et qui est sujette à des adjudications de frais. Tout récemment, dans le cadre de la fusion de Rogers et Shaw, si je me souviens bien des chiffres, le bureau a été condamné à payer environ 13 millions de dollars pour les frais de justice de Rogers.
Ce qui nous préoccupe dans cette approche, c’est que non seulement elle fait fi de la mission du Bureau de la concurrence, qui a pour mandat d’assurer l’intérêt public, mais qu’elle le dissuade également de s’attaquer à des adversaires mieux dotés en ressources et capables de dépenser de l’argent. Si vous regardez l’affaire de Rogers et Shaw, les parties impliquées ont dépensé plus que le budget annuel total du bureau pour se battre dans cette affaire. La fonction d’adjudication de frais poussera le bureau à être plus réticent à s’attaquer à certaines des plus grandes sociétés et à choisir des acteurs plus modestes qui n’ont pas les mêmes ressources juridiques.
Le sénateur Smith : Que suggériez-vous pour résoudre ce problème particulier que vous observez?
M. Bester : Le projet de loi C-59 réduit la possibilité d’attribuer des frais. Nous pensons qu’il faut carrément éliminer cette possibilité, compte tenu du mandat d’intérêt public du bureau et du fait que la décision de poursuivre une affaire est, en soi, très importante et qu’elle n’est pas prise à la légère. Nous estimons qu’il s’agit là d’un moyen efficace de dissuader les affaires dites frivoles, sans pour autant décourager les plaintes portées contre certaines des plus grandes sociétés du Canada et du monde.
Le sénateur Smith : À votre avis, ceux qui s’opposent au changement ne soutiendraient-ils pas qu’il existe des circonstances raisonnables et légitimes où le bureau peut se tromper, mais où les défendeurs en paient le prix parce qu’ils n’ont aucun recours relativement à la décision du commissaire? Que répondriez-vous à ceux qui craignent que cela donne plus de pouvoir au commissaire sans qu’il y ait vraiment de répercussions disciplinaires?
M. Bester : Il ne faut pas oublier que la décision de poursuivre une affaire, même sans attribution de frais, est une décision qui demande beaucoup de ressources et qui n’est pas prise à la légère par le commissaire. Les gens ne savent pas, par exemple, combien de ressources ont été consacrées à l’affaire Rogers-Shaw, mais, encore une fois, la notion d’affaire sans fondement ne tient pas du tout compte de la réalité des ressources et du sérieux de ces poursuites.
Le sénateur Smith : Merci, monsieur.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie tous d’être des nôtres ce soir. Vous avez une grande et excellente équipe.
Ma question s’adresse également à M. Bester. Le Canada bénéficierait d’une concurrence accrue dans divers secteurs. Nous sommes d’accord sur ce point. Nous avons des défis à relever en matière de productivité. Vous avez fait part de vos préoccupations concernant la Loi sur la concurrence et l’examen minutieux des fusions dans des marchés déjà concentrés. J’ai quelques questions auxquelles vous pourrez peut-être répondre au premier tour ou, si le temps ne nous le permet pas, au deuxième tour.
J’aimerais tout d’abord que vous précisiez les éléments clés ou les modifications qui, selon vous, manquent dans la Loi sur la concurrence aux termes des projets de loi C-56 et C-59.
Je voudrais également que vous nous parliez de l’assouplissement des critères dans nos évaluations des fusions et des acquisitions — résultat de l’ALENA et, maintenant, de l’ACEUM — en vue de favoriser la croissance, l’expansion ou la consolidation des entreprises canadiennes pour qu’elles puissent faire concurrence à leurs homologues américains de plus grande taille. Est-ce l’une des principales raisons? Le cas échéant, cette indulgence est-elle toujours justifiée? Dans quelle mesure la pénurie de concurrence au Canada multiplie-t-elle nos problèmes de productivité ou y contribue-t-elle? Les fusions sont-elles le principal facteur à l’origine du manque actuel de concurrence au Canada? Y a-t-il d’autres facteurs qui, selon vous, devraient être pris en compte?
Dernière question, mais non la moindre : quelle est l’ampleur de la concentration des marchés au Canada? Vous pourriez peut-être nous faire part de vos réflexions à ce sujet et définir ce qu’est un marché concentré. Dans certaines des fusions et acquisitions que nous avons vues, les gens avaient du mal à définir en quoi consistait un marché concentré.
M. Bester : Je vous remercie beaucoup pour cette excellente liste de questions. Je vais y répondre une par une.
En ce qui concerne les accords commerciaux, la Loi sur la concurrence de 1986 a instauré des idées datant des années 1960 et 1970 — un peu dans le sens de ce que vous avez dit —, à savoir que si nous autorisions les entreprises canadiennes à fusionner, elles seraient alors en mesure de soutenir la concurrence à l’échelle mondiale. Ainsi, nous compenserions le manque de concurrence au pays grâce à ces acteurs nationaux ou internationaux. C’était un des grands arguments pour justifier la défense fondée sur les gains en efficience, chose que le projet de loi C-56 a supprimée.
Ce que nous avons constaté dans l’intervalle, c’est que les entreprises qui utilisaient ce moyen de défense, ce raisonnement, étaient essentiellement des entreprises canadiennes qui ne participaient pas aux marchés internationaux. Je pense que les 40 dernières années nous ont appris que si nous sacrifions la concurrence à l’échelle nationale, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ces acteurs cherchent ensuite de nouveaux débouchés ailleurs lorsqu’ils disposent d’un bon marché où ils ne font face à aucune concurrence à l’intérieur du pays. Je crois qu’il s’agit là d’un constat bien établi, et je pense que c’est — pour répondre à la deuxième question — une pièce du casse-tête de la productivité.
Que n’avons-nous pas encore essayé? Nous avons adopté un certain nombre de méthodes stratégiques au fil des ans, mais nous avons maintenant l’occasion de nous concentrer réellement sur la concurrence et de voir si c’est la pièce manquante du casse-tête, comme l’ont fait des pays comme l’Australie dans les années 1990. Cela va au-delà d’une simple politique en matière de concurrence; c’est fondamentalement une question de compétitivité.
En ce qui concerne les fusions et l’ampleur de la concentration au Canada, ainsi que la façon dont nous la mesurons, c’est là une bonne question. Il y a beaucoup de réponses différentes. Nous pouvons utiliser le nombre d’acteurs, leur taille, la présence de marges bénéficiaires, mais la part de marché est une variable représentative et un indicateur utile à cet égard. Lorsque nous réfléchissons à l’ampleur de la concentration au Canada, nous observons que, depuis des années et même des décennies, nous avons tendance à avoir des marchés plus concentrés dans les secteurs de l’épicerie et des télécommunications. Un certain nombre de marchés au Canada sont, en moyenne, plus concentrés que ceux de nos pairs. Si c’est le cas, que ce soit grâce aux fusions ou à l’évolution naturelle des marchés, je dirais que nous devons prendre encore plus au sérieux cette concurrence et le pouvoir de ces entreprises, justement en raison de cette forte concentration. Encore une fois, j’emploie un terme technique, mais le nombre d’acteurs, leur diversité et leur taille relative sont autant de mesures de la concentration.
Le sénateur Loffreda : Oui, mais est-ce le facteur principal? Diriez-vous que le manque de concurrence est principalement attribuable à nos fusions et acquisitions et au fait que nous n’ayons pas fait preuve d’assez de rigueur dans ce dossier?
M. Bester : C’est un des facteurs. Est-ce le facteur principal? Ce pourrait être le cas dans certains marchés. Si nous examinons un secteur comme celui de l’épicerie, qui attire beaucoup d’attention depuis un an, il y avait huit acteurs importants dans les années 1980. Aujourd’hui, il n’y en a plus que cinq. Ce processus s’est accompagné d’un certain nombre de mesures de consolidation. Lorsque nous regardons les marchés qui comptaient plus d’acteurs il y a 10, 20 ou 30 ans et qui sont aujourd’hui réduits, notre laxisme à l’égard des fusions doit avoir contribué en partie à cette situation.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.
La sénatrice MacAdam : Monsieur Cunningham, le projet de loi C-59 vise à modifier la Loi sur le tabac et les produits de vapotage afin, notamment, d’autoriser la prise de règlements concernant les frais ou les redevances payables par les fabricants de tabac et de produits de vapotage afin de recouvrer les coûts engagés par le gouvernement pour l’application de la loi, ainsi que l’adoption de mesures connexes d’administration et d’exécution, et cetera. Outre ces dispositions relatives au recouvrement des coûts, y a-t-il d’autres modifications que la Société canadienne du cancer aurait aimé voir dans le projet de loi en ce qui concerne la promotion, la lutte contre le tabagisme ou le prix des produits du tabac et des produits de vapotage?
M. Cunningham : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Nous sommes en faveur d’une stratégie globale de lutte contre le tabagisme, stratégie qui comprend des taxes, des lois et des programmes.
Oui, ce n’est peut-être pas dans l’énoncé économique de l’automne, mais que pourrait faire de plus le gouvernement? Il pourrait augmenter les taxes sur le tabac. Il pourrait porter à 21 ans l’âge minimum pour l’achat de tabac et de cigarettes électroniques, à l’instar des États-Unis et de l’Île-du-Prince-Édouard. Il pourrait également interdire toute promotion encore permise. Nous n’en voyons pas autant qu’avant, mais il y a des dépenses très importantes; par exemple, les fabricants de tabac versent des primes aux détaillants qui vendent ou commandent plus de produits, ou ils offrent des rabais à certains magasins. Ces types d’incitations ne devraient pas exister. Nous pourrions investir davantage dans les programmes de lutte contre le tabagisme. Il n’y a toujours pas d’interdiction frappant tous les produits du tabac aromatisé. Nous interdisons déjà le menthol, de même que l’aromatisation des cigarettes. Certaines provinces et certains territoires ont interdit les arômes dans tous les produits du tabac. Nous pourrions faire de même à l’échelle fédérale. Ce sont là quelques exemples, parmi d’autres.
La sénatrice MacAdam : Je vous remercie.
J’ai une question à poser au représentant d’Imperial Tobacco Canada Ltd. Vous avez mentionné dans votre déclaration liminaire que vous aviez pris des mesures visant à lutter contre le vapotage chez les jeunes. Je me demande si vous pouvez nous en dire davantage à ce sujet.
M. Gagnon : Bien sûr.
Tout d’abord, dans les provinces où nous vendons nos produits en ligne, parce que certaines provinces nous autorisent à le faire, nous vérifions l’âge des clients à trois reprises. Lorsque vous allez sur le site Web, vous devez déclarer que vous êtes un adulte. Si vous passez une commande, il faut confirmer que vous êtes un adulte au moyen d’une vérification par un tiers. Puis, au point de vente, on s’assure que vous êtes un adulte.
Dans les conditions générales que nous appliquons pour chaque détaillant, nous prévoyons une formation. Nous veillons à ce que les détaillants ne vendent pas nos produits aux jeunes. Si un magasin se fait prendre à le faire, nous retirerons tous nos produits contenant de la nicotine. Je peux vous dire qu’un dépanneur qui ne vend pas de cigarettes, de produits de vapotage ou de produits contenant de la nicotine fermera ses portes très rapidement. Un certain nombre de mesures sont prises.
Ce qui est drôle, c’est que nous sommes tout à fait d’accord avec M. Cunningham et son association à bien des égards. La seule chose sur laquelle nous ne nous entendons pas concerne l’application de la loi. La Société canadienne du cancer ne veut pas reconnaître que lorsque la réglementation entrera en vigueur, une partie du marché sera illégale. Ce n’est pas nous. Ce n’est pas Imperial Tobacco.
Imperial Tobacco Canada Ltd est une société productrice de tabac et il est facile de s’en prendre à elle. Le Québec en est un parfait exemple. Nous avons fourni au ministre de la Santé du Québec la liste de toutes les boutiques de vapotage qui vendent des produits illégaux. Nous nous rendons dans les magasins. Nous dressons la liste. Nous la remettons au ministère et il n’applique pas la loi. Toutefois, le ministre participe à l’émission Tout le monde en parle et accuse les fabricants de tabac. À un moment donné, il faut arrêter de nous blâmer pour tout.
Nous faisons beaucoup de choses et je veux bien discuter avec M. Cunningham et la Société canadienne du cancer, parce que nous ne voulons pas que les enfants fument et vapotent. Je peux vous dire que mon travail est un peu plus compliqué lorsque des enfants ont accès à des produits qui contiennent de la nicotine.
La sénatrice MacAdam : Merci.
La sénatrice Kingston : Mes questions s’adressent aux représentants d’Électricité Canada, donc à MM. Bradley et Cheliak, je crois.
Vous avez parlé de la Nouvelle-Écosse et d’Emera. Le Nouveau-Brunswick a également une entreprise de services publics. Pourriez-vous parler des répercussions sur le Nouveau-Brunswick, à la fois sur le consommateur et sur les actifs, notamment, dont vous avez parlé, qui seraient touchés parce que du capital serait grugé, si je puis m’exprimer ainsi? Pourriez-vous seulement nous expliquer quelles seraient les répercussions sur le Nouveau-Brunswick et sur le service d’utilité publique de la province?
M. Bradley : Bien sûr. En ce qui concerne l’électricité, il n’y aurait pas de répercussions, car il s’agit d’une société d’État et les règles relatives au régime de restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement ne s’appliqueraient donc pas aux principales compagnies d’électricité du Nouveau-Brunswick, ni à Énergie NB, ni à la Ville de Saint John. Et qu’en est-il du gaz naturel, monsieur Cheliak?
M. Cheliak : L’entreprise de gaz au Nouveau-Brunswick est petite. Il s’agit encore d’une entreprise émergente dans cette province, mais ce serait le cas. Liberty, qui appartient à Algonquin Power & Utilities Corp. exploite des actifs aux États‑Unis et au Canada. Elle ne serait donc pas visée. Il s’agit d’une entreprise privée. Je ne dispose pas des chiffres. Je me risque à parler d’autres lieux, mais pourquoi ne pas inscrire une note au dossier et je pourrai faire un suivi auprès de vous, sénatrice.
La sénatrice Kingston : Est-ce possible, monsieur le président?
Ma prochaine question s’adresse à MM. Vronces et Gagnon. Dans votre exposé, vous avez dit que selon vous, les produits de vapotage réduisent, en fait, la consommation de tabac. J’aimerais savoir si vous avez des preuves pour étayer cette affirmation. Je pense en particulier aux jeunes, car j’ai toujours cru comprendre qu’ils aiment le vapotage — ils le préfèrent au tabagisme. Puis, il y a les arômes — je vois un de ces produits devant moi —, comme mélange de baies, puis gomme à mâcher et toutes sortes d’autres choses. Je me demande comment vous pouvez affirmer que le vapotage réduit le tabagisme.
M. Gagnon : Il y a deux ou trois éléments.
Le vapotage est une solution de rechange qui est moins nocive que le tabagisme. Au Royaume-Uni, Public Health England, l’équivalent de Santé Canada, affirme que le vapotage est 95 % moins nocif que le tabagisme. Sur son site Web, Santé Canada indique que, si vous êtes fumeur, il vaut mieux vapoter. Les preuves sont là. Je pense que même M. Cunningham dirait que si l’on est fumeur, les produits de vapotage sont moins nocifs que le tabac.
Aujourd’hui, le taux de tabagisme chez les jeunes au Canada n’a jamais été aussi bas. Il est presque inexistant. Il n’y a plus d’enfants qui fument, ce qui est une bonne chose. Le vapotage chez les jeunes pose un problème. Nous devons en être conscients.
Y a-t-il trop d’arômes sur le marché? Bien entendu. Nous n’avons pas besoin de tous ces arômes. Ce que M. Cunningham a oublié de dire, cependant, c’est qu’il y avait une crise du vapotage chez les jeunes au Canada avant qu’Imperial Tobacco Canada n’arrive sur le marché. Avant mai 2018, 100 % du marché était illégal. C’est nous qui avons plaidé pour la légalisation du marché. Il y avait des produits et des boutiques de vapotage à gauche et à droite. Les jeunes pouvaient acheter ces produits. Rien n’était réglementé. Nous avons plaidé pour que ce marché soit réglementé.
Est-ce donc un produit moins nocif que le tabac? Certainement. M. Cunningham a dit que je n’étais pas crédible. Je travaille pour un fabricant de tabac. Je suis capable de vivre avec cela. Ne me croyez pas. Fiez-vous aux données et aux connaissances scientifiques. De nombreux groupes de santé crédibles affirment que si vous êtes fumeur, il vaut mieux que vous vapotiez.
Cependant, on doit améliorer la réglementation. Tout d’abord, il faut une meilleure mise en application. De nombreux produits qui sont offerts sur le marché sont illégaux. Ils ne sont conformes à aucun des règlements actuels en ce qui concerne les arômes, la nomenclature, l’accise, etc. Il faut s’attaquer à ce problème. Ce n’est pas la faute d’Imperial Tobacco.
La sénatrice Kingston : Ai-je le temps de poser une autre question?
Le président : Lorsque vous avez posé votre dernière question, sénatrice, avez-vous mentionné qu’elle s’adressait également à M. Cunningham?
La sénatrice Kingston : J’ai une autre question à poser à M. Cunningham.
Le président : Oui, vous avez une autre question.
La sénatrice Kingston : Merci.
Monsieur Cunningham, il y a de plus en plus de preuves des effets néfastes du vapotage, si l’on veut. Pourriez-vous m’en parler un peu?
M. Cunningham : Il est clair que le vapotage crée une dépendance. Il existe de nouvelles preuves en ce qui concerne, en particulier, les maladies respiratoires et cardiovasculaires. Le vapotage crée une dépendance. Si l’on prend le vapotage et le tabagisme, la consommation totale de nicotine chez les jeunes augmente considérablement. C’est une porte d’entrée pour les jeunes. Les cigarettes électroniques sont-elles moins nocives? Si l’on abandonne complètement le tabac, oui. Mais elles ont des effets néfastes importants. De nombreuses personnes consomment les deux produits. Santé Canada dit que ce n’est pas établi si l’on continue à fumer tout en vapotant.
Le président : Monsieur Cunningham, si vous voulez poursuivre votre réponse par écrit, nous vous serions reconnaissants de le faire par l’intermédiaire de la greffière, s’il vous plaît.
La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à M. Holmes.
Lorsque M. Greene, qui est conseiller exécutif principal à la Direction de la politique de l’impôt du ministère des Finances, est venu témoigner, je lui ai parlé de vos préoccupations concernant le caractère rétroactif de la taxe sur les services numériques proposée. Je vais vous lire sa réponse à ma question :
La mesure s’applique rétroactivement, mais les entreprises connaissaient déjà les règles et elles savaient que cette mesure serait appliquée. En ce sens, elle n’est pas rétroactive et je ne pense pas que quiconque puisse prétendre être surpris.
J’aimerais savoir ce que vous pensez de ce qu’a dit le conseiller exécutif principal à la Direction de la politique de l’impôt en réponse à vos préoccupations.
M. Holmes : En principe, il ne s’agit pas d’une taxe et elle n’existe pas tant que la loi n’a pas été promulguée, de sorte que le gouvernement a fait part de son intention d’instaurer une taxe qui serait rétroactive. Il a utilisé cette méthode pour, je suppose, maintenir la pression sur d’autres partenaires autour de la table tandis que la plupart des autres pays continuent, en toute bonne foi, à négocier dans un cadre multilatéral. L’objectif est d’adopter une approche cohérente pour régler la question de manière à créer des règles du jeu équitables pour les entreprises afin qu’elles puissent mener des activités numériques partout dans le monde. Si nous sortons tous des rangs et que nous prenons des mesures unilatérales et rétroactives, ce sera le chaos total et nous assisterons à la mise en place de structures tarifaires et à des représailles tarifaires dans de nombreux pays.
La sénatrice Ross : J’aimerais ajouter une brève question. Pourquoi pensez-vous que l’on envisage de procéder de cette manière?
M. Holmes : Je ne peux pas parler de la raison d’être de cette mesure. Ce qui est clair pour nous, en revanche, c’est que de sérieuses inquiétudes ont été soulevées à cet égard. Au moment où le gouvernement signale qu’il souhaite entreprendre une tournée d’amitié aux États-Unis et s’assurer que notre principal partenaire commercial nous prend au sérieux, voilà que nous lui servons un avertissement. Il me semble que c’est contre-productif, c’est le moins que l’on puisse dire.
La sénatrice Ross : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : Je vous remercie tous de votre présence.
Ma question s’adresse à M. Vronces. Dans le mémoire que vous avez préparé dans le cadre des consultations prébudgétaires de 2024, vous avez indiqué ce qui suit :
Parce que les Canadiens n’ont pas de moyen de communiquer leurs renseignements financiers de manière sûre et efficace, le gouvernement fédéral devrait présenter, dans le budget de 2024, une loi-cadre régissant les services bancaires pour les gens, comme il s’est engagé à le faire dans l’Énoncé économique de l’automne 2023. Le cadre législatif doit être conforme à l’Énoncé de politique sur les services bancaires pour les gens que le gouvernement a publié à la fin de l’année dernière.
Ce comité a entendu à maintes reprises que des personnes dans le besoin n’ont toujours pas accès aux ressources du gouvernement ou aux mesures de soutien du revenu auxquelles elles sont admissibles. Une grande partie de ces gens n’ont pas facilement accès à, par exemple, des comptes bancaires, au dépôt direct ou ne peuvent même pas encaisser un chèque à part lorsqu’il s’agit d’horribles prêts usuraires. Avez-vous des observations à formuler sur la manière dont un système bancaire ouvert pourrait aider les personnes marginalisées, y compris les personnes sans abri ou démunies, qui sont confrontées à des obstacles systémiques les empêchant d’accéder aux services bancaires traditionnels, et sur la manière dont il pourrait aider les gouvernements à s’assurer que les personnes marginalisées ont accès aux prestations?
M. Vronces : Je parlerai des points successivement.
Je dirai tout d’abord que les services bancaires pour les gens ne sont pas une panacée. Ils ne permettront pas d’offrir des services financiers à tout le monde.
Je devrais probablement dire aussi que la population canadienne dispose d’assez bons services bancaires, mais qu’un nombre important de personnes ne bénéficient pas de services bancaires suffisants. Il y a des gens qui n’obtiennent pas les services dont ils ont besoin ou qu’ils souhaitent obtenir de la part de leurs institutions financières. Comme l’a récemment révélé une enquête de CBC, il y a aussi des gens qui se font exploiter par leur principale institution financière. Le système bancaire ouvert aiderait un grand nombre de fournisseurs à aider les Canadiens marginalisés.
J’aimerais vous donner quelques exemples de Canadiens qui n’ont peut-être pas les moyens de s’acheter une propriété. Il peut s’agir d’un nouveau Canadien dont le dossier de crédit est peu étoffé et à qui une banque refuse de prêter de l’argent. Il peut s’agir d’un étudiant qui est en train de se constituer un dossier de crédit. Il existe des applications que l’on peut utiliser pour communiquer ses renseignements financiers pour, par exemple, signaler ses paiements de loyer à une agence d’évaluation du crédit afin de se constituer un dossier de crédit. Avant qu’un membre de Fintechs Canada ne le fasse, soit Borrowell, personne au Canada ne le faisait pour aider les Canadiens qui ont le plus besoin d’aide.
Un autre segment de la population que les banques canadiennes négligent beaucoup est celui des petits entrepreneurs. En tant que dirigeant d’une petite entreprise, je peux en témoigner. L’un de nos membres dispose de bonnes données sur les difficultés que rencontrent les petites entreprises de nos jours, et il s’agit en fait d’un manque d’accès à leur argent et de la lenteur des mouvements d’argent. Ils sont alors contraints d’emprunter et de s’endetter.
Si nous pouvions moderniser un peu plus l’infrastructure de notre secteur financier, nous parviendrions à servir beaucoup mieux certains Canadiens qui ont un accès limité aux services bancaires. Cela dit, il y aura probablement encore des Canadiens dont l’accès à ces services est limité, qui ont besoin d’aide, pour qui de telles initiatives n’amélioreront pas leur situation.
La sénatrice Pate : Merci.
Le projet de loi contient également des dispositions relatives au blanchiment d’argent qui prévoient qu’un tribunal peut déduire l’existence de la connaissance, de la croyance ou de l’insouciance requise à l’égard de l’infraction de recyclage des produits de la criminalité. Trop souvent, ce sont les personnes les plus marginalisées, plutôt que celles qui profitent le plus du blanchiment d’argent, qui finissent par être tenues pour responsables en vertu du droit criminel. Compte tenu du développement continu de la technologie financière, disposons-nous de nouvelles mesures qui permettent de mieux concentrer les efforts d’application de la loi sur ces gros joueurs, et non sur ceux qui sont les plus faciles à attraper?
M. Vronces : Tout à fait. Une grande partie des crimes financiers sont commis au moyen d’anciennes méthodes de paiement, en espèces. Ces transactions ne peuvent pas être retracées. Étant donné la place grandissante que prend le numérique dans le comportement économique, nous disposons d’outils plus avancés pour détecter les crimes financiers et empêcher qu’ils ne se produisent.
Notre association appuie les efforts que le gouvernement déploie pour moderniser notre régime de lutte contre le blanchiment d’argent. Contrairement à bien d’autres associations, nous sommes très favorables à la réglementation parce que nous occupons une place de plus en plus importante dans le secteur financier. Nous pensons que la meilleure façon de gagner la confiance des Canadiens et de tout le monde est d’avoir un cadre fortement réglementé dans lequel tout le monde sait que ce qui se passe est fait selon les normes d’intégrité et de résilience les plus rigoureuses. Compte tenu de l’importance grandissante du numérique dans le comportement économique, de nouvelles façons de faire apparaîtront certainement et nous sommes heureux d’aider le gouvernement à sévir contre la criminalité financière.
La sénatrice Pate : Pensez-vous qu’il s’agirait notamment de pouvoir s’attaquer aux sociétés à dénomination numérique, en particulier à celles qui cachent des gains illicites derrière des structures d’entreprise complexes?
M. Vronces : Oui, c’est quelque chose qui se produit aujourd’hui. Nous pensons qu’il devrait y avoir plus de transparence. Comme je l’ai dit, nous collaborons étroitement avec les fonctionnaires et les représentants politiques du gouvernement pour les aider à lutter contre la criminalité financière.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Galvez : Plusieurs de mes questions ont déjà été posées. Je vais donc me concentrer sur l’écoblanchiment. Ma question s’adresse à MM. Bester, Frank et Thurlow.
Certains d’entre nous ont reçu une lettre de 12 pages de la part du commissaire à la concurrence dans laquelle il disait qu’il souhaiterait disposer de pouvoirs accrus pour lutter contre l’écoblanchiment. Le problème, selon lui, est que la majorité des plaintes pour écoblanchiment que le bureau reçoit ne concernent pas des déclarations à propos de produits. Elles concernent plutôt des déclarations environnementales plus générales, axées sur l’avenir, d’entreprises ou de marques qui prétendent, par exemple, qu’elles atteindront la carboneutralité d’ici 2030.
Nous savons tous que nous sommes engagés dans cette course vers la carboneutralité. M. Frank dit qu’il veut une réduction d’impôt très rapidement pour le captage et le stockage du carbone, en dépit du fait que, bien que cette technologie soit en développement depuis 40 ans, elle n’a pas fait ses preuves. M. Thurlow déclare être carboneutre pour ce qui est des émissions de types 1 et 2, mais nous ne savons rien pour les émissions de type 3 parce que vous exportez probablement vos plastiques.
Ma question est la suivante. Pourquoi ne pas donner plus de pouvoirs au commissaire? Est-ce trop peu, trop tard?
M. Thurlow : Les déclarations de l’industrie chimique sont faites conformément aux principes de la Gestion responsable. Elles sont vérifiées sur place de manière indépendante par des intervenants externes, par des tiers, qui s’assurent que les réductions d’émissions et les activités de l’industrie respectent les codes de Gestion responsable.
Faudrait-il accorder des pouvoirs supplémentaires pour examiner des déclarations? Je pense que vous devriez poser cette question au ministre de la Justice, car il n’incombe pas à l’industrie de déterminer si les déclarations doivent être assujetties à une norme différente. Nos déclarations sont étayées par une rigueur scientifique.
Notre entreprise s’est engagée à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Notre conseil d’administration a déclaré que cela allait se produire. Nous avons une obligation envers nos actionnaires et nous avons nos propres obligations.
M. Frank : L’Agence internationale de l’énergie a déclaré à plusieurs reprises qu’entre 30 et 40 % des technologies dont nous aurons besoin pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 sont encore à l’état du prototype ou en cours d’élaboration. Je conteste le fait que le captage du carbone n’ait pas fait ses preuves. Certains des produits d’essai que nous avons vus n’ont pas fonctionné comme prévu, mais il ne semble pas y avoir de solution de rechange évidente. Nous disposons d’une modélisation qui montre que le Canada aura besoin de 50 à 100 mégatonnes de captage, d’utilisation et de stockage du carbone d’ici 2040, et peut-être même davantage d’ici 2050.
La sénatrice Galvez : Ces déclarations ne doivent-elles pas, dans tous les cas, être appuyées par des objectifs et des plans de transition fondés sur des données scientifiques? Nous sommes tous engagés dans une course. On a mentionné l’Inflation Reduction Act des États-Unis. Ma question s’adresse au représentant de Dow Chemical. Avez-vous un plan de transition pour atteindre la carboneutralité? Avez-vous atteint vos objectifs?
M. Thurlow : J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. La toute première étape pour notre entreprise a lieu au Canada, et nous exporterons cette technologie à l’ensemble des activités que nous menons dans le monde entier.
Votre question est excellente, et il nous appartient vraiment de faire montre d’assurance dans les collectivités dans lesquelles nous travaillons. Je suis d’accord avec mon collègue, M. Frank. L’efficacité du captage, de l’utilisation et du stockage du carbone est prouvée depuis 50 ans. Certaines technologies peuvent certainement être améliorées, mais on reconnaît, dans le monde entier, qu’il s’agit d’une bonne façon de s’attaquer au problème. Le carbone entre et le carbone sort. C’est grâce à cette efficacité démontrée que nous aurons l’acceptabilité sociale nécessaire pour mener nos activités dans le monde entier, dans tous ces pays. Soyons clairs. Le fait de ne pas atteindre nos objectifs dans le cadre de la LCPE constituerait une infraction criminelle. Nous nous imposerons donc des normes très strictes pour nous assurer de respecter ces lois.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Merci à nos invités. C’est très intéressant de les entendre. Ma première question s’adresse à la Chambre de commerce. Monsieur Holmes, vous avez dit que la taxe qui est imposée aux services numériques est une taxe rétroactive. Il me semble avoir compris qu’en 2021, le gouvernement a annoncé que s’il n’y avait pas d’entente à la fin de 2023 — c’est qui s’est produit —, ces services feraient l’objet d’une imposition à compter de 2024. Vous nous dites que certaines entreprises ont été prises par surprise. Dois-je comprendre qu’aucune n’a fait de provisions pour prévoir cette éventualité, qui avait quand même été annoncée?
[Traduction]
M. Holmes : Merci beaucoup de la question, honorable sénateur.
Tous les pays concernés, dont le Canada, ont pris la décision de prolonger les négociations menées par l’OCDE sur cette question. On s’attendait donc à ce que l’entrée en vigueur de cette taxe soit reportée, comme dans d’autres pays. Cependant — et c’est là où le bât blesse —, la proposition du gouvernement canadien est d’aller de l’avant avec une taxe et de la rendre rétroactive. C’est contradictoire. Le Canada s’inscrit dans l’approche multilatérale et participe à cette prolongation des négociations, mais, en même temps, il applique une taxe de façon unilatérale pour ensuite la rendre rétroactive.
Le fardeau administratif et le fardeau d’observation rétroactive sont considérables pour les entreprises. Cette taxe n’existait pas au moment où ces revenus étaient perçus. La juricomptabilité qui sera requise pour revenir en arrière, appliquer cette taxe et la verser au gouvernement sera considérable. Cette mesure semble donc punitive.
Ensuite — et c’est ce qui nous préoccupe —, cette taxe ne fera qu’attiser l’inflation avec laquelle nous sommes déjà aux prises. Les entreprises et les particuliers qui utiliseront les services en ligne auxquels ils sont habitués, comme pour réserver des voyages en ligne, seront directement frappés par cette taxe. Il n’y a pas que les grandes entreprises que l’on aime ennuyer. Les entreprises familiales seront touchées. Cette taxe nuira aux personnes qui, en pleine crise de l’abordabilité...
Le sénateur Dalphond : Je suis désolé de vous interrompre, mais nous n’avons pas beaucoup de temps. Le gouvernement vous demande-t-il de remonter plus loin que 2021, plus loin que les trois dernières années?
M. Holmes : Si j’ai bien compris, cette taxe sera rétroactive à 2022.
Le sénateur Dalphond : Il s’agit donc de deux années, 2022 et 2023. La mesure a été annoncée en 2021. Vous nous dites que personne n’a pensé à mettre en place des procédures comptables qui faciliteraient le calcul dans le cas où la taxe serait appliquée?
M. Holmes : Je ne peux pas parler des pratiques comptables individuelles des entreprises membres, mais je pense qu’il s’agit d’une taxe punitive qui est rétroactive, ce qui, en soi, est un problème. Prenez l’impôt sur le revenu des particuliers. Nous serions tous mécontents d’apprendre que nous devons soudainement payer des impôts de manière rétroactive.
Le sénateur Dalphond : Selon le principe du droit fiscal, lorsque la motion des voies et moyens est déposée, la loi peut être adoptée un an plus tard, mais elle sera applicable au moment de l’annonce.
Ma prochaine question porte sur les changements à la Loi sur la concurrence. Dans une lettre conjointe au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, vous vous plaignez du peu de consultations menées avant de proposer ces changements. Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet? M. Bester pourrait également répondre à la question, s’il y a eu peu de consultations. Peut-être que certains ont été consultés et d’autres non? Je n’en sais rien. Je souhaite simplement obtenir des précisions.
M. Holmes : Je vous remercie.
Nous sommes très satisfaits du niveau de consultation auquel le gouvernement a eu recours, en particulier de la table ronde ouverte et du mécanisme de consultation, ainsi que du document intitulé « Ce que nous avons entendu » qui a été publié, je crois, un jour avant que les modifications législatives ne soient présentées. Toutefois, nous n’avons pas eu l’occasion — par exemple, pour le projet de loi C-56 — d’être consultés sur ce projet de loi.
Au cours des deux dernières années, nous avons vu des projets de loi omnibus, comme les lois d’exécution du budget de 2022, l’énoncé économique de l’automne dont nous discutons ce soir, ainsi que le projet de loi C-56, qui contiennent une foule de petits et grands changements à la Loi sur la concurrence. Ces changements sont présentés de façon désorganisée; pas nécessairement de façon désorganisée, mais d’une manière qui ne nous permet pas de savoir quel est l’objectif final du gouvernement.
Cela a trait au processus. Nous sommes heureux d’avoir été consultés. Nous remercions le gouvernement d’avoir publié un document sur ce qu’il a entendu. Cependant, des changements ont ensuite été présentés de façon ponctuelle dans d’autres mesures législatives. Cela fait en sorte qu’il est difficile d’avoir une idée claire de la vision audacieuse de ce gouvernement au chapitre de la concurrence au Canada.
Le président : Vous pourriez compléter votre réponse par écrit et l’envoyer à la greffière. Puisque le sénateur Dalphond a également posé sa question à M. Bester, il pourrait peut-être lui aussi examiner cette question et envoyer une réponse écrite à la greffière. Je vous donnerai l’échéancier plus tard. Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Fintechs Canada. C’est large, les fintechs. Cela va du courtage en ligne à la banque en ligne et à plein de différents domaines. Je me posais la question suivante : qui représentez-vous? Qui sont vos principaux membres? Vous avez parlé des banques, mais les banques offrent de plus en plus leurs services en ligne, y compris le courtage. Elles développent elles-mêmes des parties fintechs des filiales. J’aimerais savoir qui vous représentez surtout.
Je comprends que vous avez mené des consultations prébudgétaires. On va voir si la ministre vous a entendus lors du budget qui sera déposé, mais en ce qui a trait au projet de loi C-59 , qu’est-ce qui vous touche de façon plus particulière?
[Traduction]
M. Vronces : Vous avez raison. La technologie financière englobe beaucoup de choses. La définition économique classique de la technologie financière s’applique à tout : elle peut inclure un boulier, une calculatrice ou encore une personne qui utilise un tableau Excel.
Fintechs Canada représente, plus concrètement, les chefs de file du marché de la technologie financière au Canada, ceux dont vous entendez parler dans les nouvelles, comme Wealthsimple, Borrowell, KOHO et Flinks. Nous représentons les institutions financières favorables à la technologie financière, les entreprises qui aiment travailler avec cette technologie, comme EQ Bank, ATB, Peoples Group et DC Bank, les entreprises technologiques qui alimentent l’espace des coopératives de crédit, comme Central 1, Celero et Everlink, les entreprises mondiales de technologie financière comme Stripe, Block et Wise, et les réseaux de paiements comme Visa et Interac.
Le dénominateur commun de ce groupe hétéroclite d’entreprises est qu’elles se sont toutes ralliées à notre mission, qui est de rendre le secteur financier plus compétitif et plus novateur. Elles croient toutes sincèrement qu’il existe des obstacles à l’entrée qui empêchent les jeunes entreprises de réussir ici, et que le gouvernement peut supprimer ces obstacles en toute sécurité et de manière responsable. Nous représentons ces entreprises.
Ce sont les amendements à la Loi canadienne sur les paiements — dans le projet de loi C-59 — qui nous toucheront plus précisément. Depuis longtemps, les entreprises de technologie financière — dont les activités associées aux paiements de détails seront supervisées par la Banque du Canada — doivent passer par les banques pour accéder au système de paiements. Cela veut dire qu’elles ont dû faire des affaires avec leurs concurrents pour leur faire concurrence, ce qui les a placées dans une position désavantageuse et a rendu les règles du jeu dans le secteur des services financiers très inégales.
Les amendements à la Loi canadienne sur les paiements contenus dans le projet de loi C-59 rendront ces entreprises admissibles à Paiements Canada, ce qui signifie qu’elles pourront accéder au système national de paiements pour transférer de l’argent au service de leurs clients. Nous sommes en faveur de cette mesure et nous aimerions qu’elle soit adoptée dans le projet de loi C-59.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons le temps pour une deuxième série de questions. Vous disposerez de deux minutes seulement.
[Français]
Si les témoins ne peuvent pas répondre immédiatement, ils peuvent certainement le faire par écrit.
[Traduction]
La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à M. Bradley, ou peut-être à M. Smith, d’Emera, s’il est toujours là.
Vous avez déclaré que cette taxe supplémentaire aura une incidence sur l’entretien du réseau électrique. Pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par là? Avec de plus en plus de véhicules électriques, nous devons compter sur le réseau électrique. Quelle sera l’incidence de cette taxe sur le réseau électrique?
M. Bradley : Je remercie la sénatrice de cette excellente question.
Comme l’a dit M. Cheliak un peu plus tôt, les organismes de réglementation limiteront le montant des augmentations qui seront permises. Par conséquent, cela limitera les investissements qui pourront être réalisés. Au lieu d’être investi, cet argent servira à payer cette taxe. Si un organisme de réglementation limite l’augmentation des taux à un montant donné, les investissements possibles seront limités. Cette taxe écarte une partie de ces investissements.
La sénatrice Marshall : Cette taxe les réduira.
M. Bradley : Oui. Comme nous l’avons dit plus tôt, cela se fera de façon inégale, selon l’endroit où vous vous trouvez, même au sein d’une province. Je vous donne un exemple. En Colombie-Britannique, si vous êtes client de l’entreprise privée qui dessert la région de Kelowna, cette mesure vous touchera, mais elle ne vous touchera pas si vous êtes client de BC Hydro.
La sénatrice Marshall : Je comprends. Ce sera ainsi, car les sociétés d’État ne seront pas touchées par la taxe.
M. Bradley : C’est exact. Oui, tout à fait.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci de votre présence. Monsieur Holmes, je faisais référence à votre mémoire, et je reviens à l’aspect assez particulier de la rétroactivité. On sait que l’annonce a été faite en 2020. On parle d’une rétroactivité en 2022. Dans votre mémoire, vous dites que bien que d’autres taxes sur des services numériques aient été mises en œuvre dans le monde entier, aucune ne remonte aussi loin rétroactivement que ce que le Canada propose. Ce qui me semble tout à fait particulier, c’est de venir taxer à contre-courant des services que j’ai consommés, par exemple pour une application en 2024 ou 2025, donc il y a deux ou trois ans. Avez-vous vérifié l’aspect légal de cette mesure fiscale?
[Traduction]
M. Holmes : La question sur la légalité est complexe. Le gouvernement a exprimé son intérêt, son intention de réglementer cela dans un communiqué de presse, mais il a ensuite présenté cette mesure, par écrit, dans l’énoncé économique de l’automne que nous examinons ici, en 2024. Votre comité et la Chambre se penchent maintenant sur un projet de loi concret qui mettrait en place une taxe qui s’appliquerait rétroactivement. C’est un principe avec lequel la Chambre de commerce du Canada ne peut pas être d’accord.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Nous arrivons à ce moment de la série de questions où il est temps de poser une question qui s’adresse à tous les témoins. Nous allons développer un peu l’esprit d’équipe au sein de notre groupe de témoins. Vous avez peut-être compris que j’ai passé un peu de temps avec des équipes.
Ma question est très simple et vous pouvez y répondre par oui ou non. Le gouvernement vous a-t-il assez consulté sur les changements incorporés au projet de loi C-59 qui vous concernent? Bien que je vous demande de répondre par oui ou non, vous pouvez fournir une brève explication si vous le souhaitez. Des améliorations pourraient-elles être apportées? Êtes-vous totalement satisfaits? Je pense qu’il nous serait utile d’obtenir vos réponses individuelles, courtes et directes, une à la suite de l’autre. Je vous en serais reconnaissant. Nous vous posons ces questions, c’est intéressant, mais vous comprendrez que nous ne pouvons pas tous vous poser autant de questions que nous le souhaiterions. Le gouvernement vous a-t-il assez consultés relativement au projet de loi C-59, oui ou non? Veuillez nous donner une réponse d’une ou deux phrases sur les éléments positifs et négatifs, si vous le voulez bien. Pourriez-vous faire cela, messieurs? Vous me regardez, monsieur Gagnon, de Imperial Tobacco Canada Ltd.
Le président : Vous n’avez que 10 secondes.
M. Vronces : Je peux commencer, sénateur Smith. Le ministère des Finances nous a consultés sur le régime d’estampillage des produits de vapotage, mais il ne nous a pas consultés au sujet du recouvrement des coûts pour les soins de santé.
M. Bradley : C’est une question intéressante. Nous ont-ils consultés? Oui. Nous ont-ils entendus? Oui. Nous ont-ils écoutés, ou nous ont-ils entendus? Voilà la question. Ils ont peut‑être entendu une de nos demandes bien simples, mais, manifestement, ils n’en tiennent pas compte.
M. Thurlow : Oui. Peut-être un peu trop. Il faut adopter le projet de loi plus rapidement.
M. Cunningham : Ils nous ont consultés, oui. Cependant, nous avons un amendement qui, selon nous, pourrait renforcer la question des droits de recouvrement des coûts.
Le président : On a répondu à votre question.
Le sénateur Smith : M. Holmes a esquivé la question assez rapidement ici.
M. Holmes : Puisque le Sénat m’a invité aujourd’hui, je vais répondre « oui ». Mais c’est la première fois qu’on me consulte directement sur le projet de loi C-59.
M. Bester : Je dirais simplement que oui. ISDE a mené de vastes consultations sur les questions qui portent sur la concurrence. Je tiens à souligner que ce ministère a fait un très bon travail en la matière.
Le président : Monsieur Frank, voulez-vous répondre?
M. Frank : Je dirais que oui. Certaines caractéristiques de conception du crédit d’impôt à l’investissement pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone pourraient être améliorées, mais nous répétons qu’il faut agir plus vite.
La sénatrice MacAdam : Ma question s’adresse à M. Frank. L’énoncé économique de l’automne vise à mettre en œuvre un crédit d’impôt à l’investissement de 30 % dans les technologies propres admissibles. Le crédit serait prêt à être mis en service en mars 2023 sous réserve d’une élimination progressive en 2035. Le taux de crédit serait réduit à 15 % en 2034. Cette mesure s’applique au matériel d’énergie solaire, au matériel de stockage d’électricité, à certains types de matériel d’énergie géothermique et aux petits réacteurs nucléaires. Bien que ce crédit d’impôt à l’investissement soit attrayant au point d’encourager le recours aux technologies propres, pensez-vous que cette mesure va assez loin vu le niveau élevé d’émissions de gaz à effet de serre par habitant au pays et les engagements nationaux à lutter contre les changements climatiques?
M. Frank : Merci pour la question.
Oui. Les crédits d’impôt à l’investissement constituent pour les promoteurs de ces projets une part importante des sources de revenus provenant des politiques. Quant aux projets à faibles émissions de carbone, les crédits de carbone dans les marchés du carbone provinciaux sont la source de revenus la plus avantageuse. Les deux programmes sont complémentaires.
La sénatrice Kingston : Ma question fait suite à la discussion de la sénatrice Marshall avec M. Bradley et M. Cheliak.
Je n’ai pas vraiment compris ce qui a été dit à propos d’Emera et du montant de 100 $. Il a été question de coûts supplémentaires facturés aux consommateurs sur une période de trois ans. J’en déduis que les services publics refilent la taxe aux consommateurs. Pourquoi alors dites-vous que les 100 $ auraient une incidence sur les investissements? Il me semble que deux choses clochent.
M. Bradley : Dans l’exemple que vous a donné mon collègue, les 100 $ versés en taxes ne peuvent pas être investis dans le système.
La sénatrice Kingston : Vous ne transférez donc pas les coûts directement aux consommateurs.
M. Bradley : Ce montant serait ajouté au tarif de base. Ce serait en effet les consommateurs qui paieraient la facture.
La sénatrice Kingston : L’argent serait ensuite investi dans l’infrastructure. Voilà où je voulais en venir.
M. Cheliak : Je vais expliquer les choses sous un autre angle, sénatrice. C’est compliqué.
Les services publics ne fonctionnent pas comme la plupart des entreprises. Nous déterminons d’abord le montant d’argent nous avons besoin pour remplir notre mandat, puis nous établissons nos tarifs. Si l’évaluation initiale révèle que nous avons besoin de 1 000 $ pour remplir notre mandat et que 100 $ de ce montant sont prélevés pour les taxes, il nous reste 900 $. Si le montant à verser en taxes augmente à 150 $, nous avons alors 50 $ de moins pour la prestation de services et le fonctionnement de l’entreprise. La somme qui a été approuvée initialement est fixe. Elle ne peut que diminuer advenant des prélèvements.
La sénatrice Kingston : N’empêche que vous allez facturer 100 $ de plus au consommateur pendant les trois prochaines années.
M. Cheliak : C’est exact. Par contre, dans votre système, cet argent ne peut pas être facturé au consommateur pour les dépenses en immobilisations.
La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à M. Vronces. Vous avez parlé de la nécessité de moderniser le système de paiements canadien. Vous avez dit que le Canada était l’un des rares pays qui n’ont pas modernisé leur système. Toutes les entreprises qui utilisent le système sont touchées, de même que les clients, mais certaines petites entreprises sont encore plus pénalisées. Pourriez-vous parler brièvement des risques pour la cybersécurité posés par la non-modernisation? Quels pourraient être les impacts?
M. Vronces : Les répercussions pourraient s’avérer énormes. Avant que le gouvernement n’adopte en 2021 la Loi sur les activités associées aux paiements de détail, qui s’inscrit dans cette chose plus grande qu’est la modernisation des paiements dans l’industrie, des milliers de paiements n’étaient pas du tout réglementés selon la Banque du Canada. Nous passons d’un marché en grande partie déréglementé à un marché réglementé. Les entreprises auront à recenser tous les risques opérationnels liés au fonds pour clients et à la cybersécurité. Elles devront démontrer à la banque que les fonds sont gérés au goût de la banque. Le système sera sûrement plus robuste.
Les systèmes sont la cible de commentaires sarcastiques de la part de certains utilisateurs. Une blague qui circule dans l’industrie est de dire que les systèmes de paiements de détail sont des feuilles de calcul Excel glorifiées. La modernisation nous amènera au XXIe siècle. Le système sera beaucoup plus riche en données, sécuritaire, robuste et efficace pour tous les utilisateurs.
La sénatrice Ross : Merci.
La sénatrice Pate : Mes questions s’adressent à M. Bester. Le projet de loi C-59 renferme des modifications à la Loi sur la concurrence qui encouragent les parties privées à intenter des poursuites pour contester les comportements anticoncurrentiels. Les actions intentées aux États-Unis démontrent que les litiges antitrust privés peuvent entraîner des dépenses substantielles. De votre point de vue, l’intégration dans les lois sur la concurrence de possibilités de poursuites privées permettra-t-elle d’éviter que les grandes entreprises qui ont le plus de moyens financiers dominent les litiges, surtout si elles sont poursuivies par des entreprises plus petites ou moins bien établies? Existe-t-il de nouvelles options de règlement, particulièrement pour ceux qui n’ont pas de ressources juridiques et financières et qui se considèrent comme affectés à un niveau individuel par des comportements anticoncurrentiels tels que les prix excessifs?
M. Bester : Vous avez soulevé un point très important, qui est l’écart entre les ressources juridiques de chacun. Voilà pourquoi, comme je le disais dans ma déclaration liminaire, j’estime que l’accès privé compléterait les ressources et l’expertise du Bureau de la concurrence. Cet accès ne viendra pas à bout du déséquilibre entre les ressources, mais il fournira aux entreprises qui se retrouvent, comme je le dirais, du mauvais côté du monopole un autre outil pour rétablir l’équilibre. Des modifications viennent d’être apportées pour élargir les lois sur l’accès privé. De fait, ces lois sont déjà utilisées pour accélérer l’accès aux médicaments génériques et aux biosimilaires afin de créer des choix concurrentiels. Même si cela n’éliminera pas les écarts entre les ressources juridiques — qui persisteront —, je crois que cet accès donnerait aux entreprises désavantagées — qui sont par ailleurs assez bien établies et relativement grandes — un autre levier contre le comportement anticoncurrentiel.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Galvez : Je vais poursuivre avec M. Bester sur le sujet abordé par la sénatrice Pate.
Le projet de loi se fonde sur le principe voulant que les présomptions structurelles rendent les litiges en matière de fusions plus efficaces et permettent d’économiser des ressources en faisant assumer aux parties à la transaction le fardeau de la preuve. Je me demande si l’expérience des États-Unis illustre bien ce principe. De plus, comment les parties à la transaction vont-elles s’acquitter du fardeau de la preuve sans détenir le pouvoir d’exiger des renseignements de tiers tels que les concurrents, les clients ou les fournisseurs?
M. Bester : Je veux préciser que les présomptions structurelles ne figurent pas dans le projet de loi C-59, mais que nous réclamons leur inclusion. Vous avez justement énoncé l’une des raisons de les inclure, soit l’application plus rapide et plus efficace de la loi sur la concurrence.
Le problème de l’accès à l’information des parties privées perdure. Les parties n’auront pas les pouvoirs que le projet de loi C-56 a octroyés au Bureau de la concurrence. Ces parties devront compter sur leur expérience sur le terrain et sur leurs interactions avec celles qu’elles accusent d’adopter un comportement anticoncurrentiel. Il faudra se pencher, plus tard, sur les pouvoirs de collecte de renseignements qui seront intégrés au cadre sur l’accès privé.
La sénatrice Galvez : Merci.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je vais y aller simplement.
[Traduction]
Je vais demander à M. Bester de répondre à la question que j’ai posée un peu plus tôt. Je lui éviterai peut-être de rédiger une lettre.
M. Bester : Non. Je pense que... Pour revenir au manque de consultations...
Le sénateur Dalphond : Il y avait aussi le manque de vision.
M. Bester : Je discerne en fait une vision sous-jacente, mais je ne voudrais pas parler à la place des fonctionnaires. Il y a un renforcement général du droit sur la concurrence au Canada, comme en témoignent ces entreprises qui exploitent leur position dominante, de même que les fusions et les pratiques commerciales déloyales liées à l’écoblanchiment. À propos de la vision des projets de loi C-56 et C-59, notamment les modifications proposées en 2022, je vois une reconnaissance accrue non seulement de questions qui sont débattues depuis un an ou deux, mais aussi de certaines autres qui le sont depuis des décennies. Je pense particulièrement à la défense fondée sur les gains en efficience.
Encore une fois, je félicite les fonctionnaires d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada d’avoir tenu des consultations publiques, de même que l’ancien sénateur Wetston, qui avait mené des consultations moins formelles. Je réitère le caractère primordial de ces processus. Disons simplement que c’est une conversation à plusieurs niveaux qui progresse depuis plusieurs années.
Le sénateur Loffreda : Ma question s’adresse à la Chambre canadienne de commerce. Je vais poursuivre la discussion sur la taxe sur les services numériques. Je veux que vous continuiez à décrire ce que serait selon vous l’incidence de cette taxe sur le marché canadien et sur les Canadiens. Vous aviez commencé à nous en parler. De quelle manière la taxe influera-t-elle sur des aspects tels que la disponibilité, les coûts ou les produits et services fournis par les entreprises qui y sont assujetties? Étant donné qu’elle s’applique de façon égale aux entreprises canadiennes et étrangères, pensez-vous tout de même que la taxe est discriminatoire?
M. Holmes : Merci de la question, sénateur.
Les consommateurs ressentiront immédiatement les effets inflationnistes de la taxe. Lorsqu’une taxe similaire a été mise en œuvre en France, les fournisseurs de services en ligne qui y étaient assujettis ont transféré les augmentations de prix directement aux consommateurs. Comme j’avais commencé à l’expliquer, la taxe touchera les personnes qui lancent leur propre entreprise en pleine crise de l’abordabilité, dont bon nombre utilisent des plateformes numériques pour vendre des biens et des services. Cette taxe s’appliquera à ces entreprises.
La taxe touchera fort probablement les points de voyage des Canadiens, de même que les aspects que les Canadiens aiment vraiment des programmes de fidélité et les points bonus obtenus par l’entremise de divers fournisseurs de services et de services financiers. Cette taxe pourrait aussi influer sur la valeur des produits et des services achetés au moyen de ces programmes.
Le champ d’application de la taxe sera très vaste. Autant les grands services, dont les services de diffusion en continu de contenu canadien et étranger, que les entreprises individuelles seront visés. Des préoccupations particulières ont également été soulevées par le secteur du voyage en ligne.
Le président : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aussi aux représentants de la Chambre de commerce. Je regarde la loi et j’essaie de comprendre à qui elle va s’appliquer. Je n’ai pas vu le seuil. Je suis inquiet pour les médias. Si je prends le quotidien La Presse, par exemple, il tombe sous la définition, parce que ses publicités viennent du numérique. Le montant de 3 % devra donc être facturé, à moins qu’il y ait un seuil tellement élevé que cela va leur échapper. Ils devront le repayer aussi parce qu’ils reçoivent des factures de la part de Google, qui fait la promotion de leur contenu. Ils doivent donc payer pour du positionnement.
J’ai l’impression que nos médias risquent d’être affectés solidement par cette taxation sur les produits numériques. Faites-vous aussi cette lecture, ou suis-je dans le champ?
M. Holmes : Merci, monsieur le sénateur.
[Traduction]
Je pourrais peut-être faire un suivi par écrit sur l’application de la taxe aux entreprises médiatiques, mais je dirais d’emblée que ce sera une taxe omniprésente qui touchera l’ensemble de l’économie numérique, particulièrement les grandes plateformes. Vous en avez nommé quelques-unes qui comptent grandement sur les revenus publicitaires. Celles-là seront visées également.
Nous devons aussi nous demander quel signal nous voulons envoyer. Nous parlons abondamment des engagements multilatéraux et de notre engagement envers les lois commerciales. Nous semblons en même temps agir de façon unilatérale en opposition directe par rapport à notre plus grand partenaire commercial, qui a exprimé clairement ses inquiétudes à cet égard.
Le président : Vous pourrez faire un suivi par écrit.
Je voudrais vous poser une question à titre de président même si je m’aventure en terrain inconnu. Ma question s’adresse à Fintechs Canada et à la Chambre de commerce du Canada.
Le gouvernement a récemment présenté la Loi de 2022 de mise en œuvre de la Charte du numérique, dont l’objet est de créer un cadre législatif national sur la protection de la vie privée et l’intelligence artificielle. Tous les témoins qui assistent à la réunion d’aujourd’hui suivent sans doute la progression du projet de loi. Dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement fédéral s’est engagé à adopter des dispositions sur les services bancaires orientés vers les consommateurs dans le budget de 2024. Comment l’intelligence artificielle influe-t-elle sur le secteur ou les secteurs que vous représentez? La future loi sur le secteur bancaire ouvert devrait-elle renfermer des dispositions sur l’intelligence artificielle? Je laisse répondre Fintechs Canada.
M. Vronces : Tous les témoins soutiennent le projet de loi C-27 principalement en raison de la disposition qui confère aux Canadiens le contrôle de leurs données. Les Canadiens pourront ainsi ordonner aux organisations de communiquer leurs données à d’autres organisations de leur choix. L’association n’a pas de point de vue sur la partie du projet de loi portant sur l’intelligence artificielle, mais cette technologie est déployée dans un grand nombre de secteurs. Nous appuyons avec enthousiasme les efforts du gouvernement pour légiférer l’utilisation et la communication de données dans le secteur financier. En principe, nous n’avons aucune raison de nous y opposer, mais les problèmes pourraient se trouver dans les détails.
M. Holmes : Le projet de loi C-27 se compose de deux grands volets. Le premier est la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs, qui est indispensable, car elle permettra aux institutions financières d’agir rapidement. L’autre volet est la Loi sur l’intelligence artificielle et les données, qui n’est pas encore accompagnée de règlements. Pour des raisons évidentes, le milieu des affaires est inquiet, puisqu’il ne sait pas comment il sera réglementé. L’intelligence artificielle aura des conséquences qui toucheront tous les secteurs. Il faut voir l’IA comme une occasion à saisir. Il faut également recenser les compétences et les talents dont les petites entreprises auront besoin pour être concurrentielles et prendre part au mouvement. Le gouvernement doit exercer un leadership pour soutenir ces secteurs.
Le président : Un excellent rapport a été produit. J’ai accompagné le président du Sénat récemment lors d’une mission diplomatique en Europe. Sachez qu’un pays se penche sérieusement et ouvertement sur l’intelligence artificielle. Je vous suggère de lire le rapport produit par le gouvernement de l’Irlande sur les impacts de l’IA. J’ai cru bon de vous faire part de cette source d’informations accessibles au public.
M. Holmes : Je vais sûrement lire le rapport. J’ai eu le grand privilège la semaine dernière d’assister à la réunion ministérielle du G7 à Verona, où j’ai eu la chance de prononcer devant les ministres du G7 un discours sur l’intelligence artificielle. Nous demandons principalement que soit instaurée une interopérabilité entre les pays. Nous pourrons ainsi mettre en place des lignes directrices, des règles éthiques et des règlements uniformes afin que les entreprises soient concurrentielles et qu’elles puissent participer à cette économie émergente à la fois vaste et importante.
Le président : Le rapport du gouvernement irlandais sur l’intelligence artificielle dans le milieu de travail a été produit par le comité mixte de l’entreprise, du commerce et de l’emploi en octobre 2023. Il est intitulé Report on Artificial Intelligence in the Workplace.
Au nom du comité et des sénateurs, j’aimerais remercier les témoins, qui étaient beaucoup plus nombreux que les groupes auxquels nous sommes habitués. Vous avez tous fourni des commentaires instructifs et pertinents en respectant les contraintes de temps imposées par la greffière. Merci beaucoup.
Vous avez une date butoir. Vous avez jusqu’à la fin de la journée le jeudi 4 avril 2024 pour envoyer vos réponses écrites à la greffière.
Au nom du comité des finances, je remercie la greffière et le personnel du comité pour le travail incroyable qu’ils ont accompli. Vous avez permis aux sénateurs de bien collaborer avec les témoins et d’exécuter l’ordre de renvoi donné par le Sénat du Canada au comité des finances.
Le sénateur Smith : Pour surfer sur la vague de remerciements, nous devrions remercier le président pour son excellent travail à toutes les réunions. Merci.
Des voix : Bravo!
Le président : C’est un travail d’équipe, et je ne fais que vous suivre. Merci.
(La séance est levée.)