LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 30 janvier 2023
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’immigration francophone en milieu minoritaire; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
[Traduction]
Avant de commencer, je souhaite inviter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.
[Français]
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le président : Merci et bienvenue à tous. Je souhaite la bienvenue parmi nous à Angus Wilson, le nouveau greffier du comité.
Je vous souhaite à tous la bienvenue. Bienvenue aux téléspectateurs et téléspectatrices du pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle aujourd’hui font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple anishinabe algonquin.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire. Notre réunion se divisera en deux parties d’environ une heure chacune. En première partie, nous sommes heureux d’accueillir Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, et Stephen Thompson, directeur des relations gouvernementales, de la politique et de la recherche du Quebec Community Groups Network.
Merci d’être parmi nous. Je vous souhaite à tous et à toutes la bienvenue au comité. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations liminaires, qui seront suivies d’une période de questions de la part des sénateurs et des sénatrices. La parole est à vous, madame Martin-Laforge.
Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, Quebec Community Groups Network : Bonjour, sénateur Cormier, sénatrice Poirier et tous les honorables membres du comité. C’est un plaisir de témoigner à nouveau devant vous. Notre présidente, Eva Ludvig, vous transmet ses meilleures salutations. M. Thompson et moi passerons la prochaine heure avec vous.
Les membres du Quebec Community Groups Network sont toujours heureux d’être invités à participer aux études menées par les comités parlementaires. Une partie de notre mandat consiste à aider les parlementaires à comprendre les priorités et les préoccupations de la communauté minoritaire de langue anglaise du Canada dans la formulation des lois et des politiques nationales.
Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de contribuer à cette étude sur l’élaboration, pour reprendre vos termes, d’une « stratégie nationale ambitieuse d’immigration francophone dans tout le pays » pour soutenir les communautés francophones minoritaires du Canada. Le Québec anglophone est un allié authentique et naturel des communautés francophones de langue officielle en situation minoritaire.
Dans le cadre d’une stratégie nationale d’immigration francophone, par exemple, notre communauté pourrait jouer un rôle en aidant la majorité anglophone à comprendre le besoin de renouvellement démographique des communautés francophones de langue officielle en situation minoritaire et à les appuyer. Nous pouvons également continuer de soutenir les activités de recherche et les forums portant sur l’immigration au sein des communautés de langue officielle en situation minoritaire et l’adhésion à ces communautés.
Les établissements postsecondaires anglophones du Québec sont d’importants vecteurs d’immigration. Ici, on pourrait envisager que les gouvernements du Canada et du Québec tirent parti de l’attrait de ces établissements pour y inclure davantage de programmes d’immersion française et de français langue seconde afin de favoriser l’acquisition de compétences en français reconnues par le gouvernement. Ces établissements pourraient également être utilisés pour aider à enseigner le français aux nouveaux arrivants et pour offrir une formation en français adaptée à l’emploi. Ce pourrait, par ricochet, être une source importante de renouvellement démographique pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Malheureusement, le Québec anglophone n’est pas pris en compte dans les politiques fédérales d’immigration pour deux raisons, à notre avis.
La première explication est que la vision politique est trop étroite, axée sur le renouvellement démographique, l’immigration étant perçue comme un outil pour freiner et renverser le déclin numérique et proportionnel. La population anglophone du Québec est, pour sa part, en croissance. En revanche, la population des communautés francophones hors Québec est malheureusement en déclin. Or, le renouvellement démographique n’est que l’un des six indicateurs de vitalité.
L’immigration dans une communauté de langue officielle en situation minoritaire ne fait pas qu’augmenter le nombre d’habitants dans la communauté. Selon l’ordre de renvoi à l’origine de l’étude du comité, celui-ci est chargé d’examiner l’incidence d’une stratégie nationale d’immigration francophone sur le développement et l’épanouissement des communautés anglophones du Québec.
Une autre question aurait pu se poser: pourquoi sommes-nous laissés de côté? Nous démontrons dans notre mémoire pourquoi le Québec anglophone a sa place dans la politique d’immigration du Canada.
Stephen Thompson, directeur des relations gouvernementales, de la politique et de la recherche, Quebec Community Groups Network : La deuxième raison pour laquelle le Québec anglophone n’est pas pris en compte dans les politiques d’immigration fédérales, c’est que le gouvernement du Canada a une très grande aversion aux risques dans la mise en œuvre de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubins.
Nous croyons qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, ne respecte pas ses obligations juridiques envers notre communauté par crainte d’être accusé de contrevenir à cet accord. Nous en parlons de façon plus détaillée dans notre mémoire, mais le temps et l’objectif du comité ne permettent pas une étude exhaustive de la question. Nous recommandons au gouvernement de faire davantage de recherches et de consultations à ce sujet et nous croyons que ce serait un objet d’étude intéressant pour le Parlement. Ce serait pertinent pour les communautés linguistiques tant francophones qu’anglophones dans la foulée de la décision de la Cour d’appel fédérale de l’an dernier dans l’affaire Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Emploi et Développement social), compte tenu de l’incidence des conclusions de la cour sur les accords intergouvernementaux depuis.
Mme Martin-Laforge : Nous croyons que le Québec anglophone pourrait jouer un rôle important et appuyer une stratégie nationale fédérale d’immigration francophone. Les Québécois d’expression anglaise ont toujours été à l’avant-garde du bilinguisme canadien et sont la preuve vivante que le multiculturalisme ne menace pas, mais améliore la nation francophone du Québec. Nous pouvons jouer un rôle et défendre l’immigration dans les communautés minoritaires francophones en milieu majoritairement anglophone. Je pense que c’est très important.
La protection et la promotion du français sont chères au cœur des Québécois anglophones, mais l’avenir doit se fonder sur les valeurs canadiennes du bilinguisme, au minimum, et du multiculturalisme — des valeurs très présentes au sein du Québec anglophone.
M. Thompson : IRCC est trop timide et trop peu enclin à prendre des risques dans la mise en œuvre de l’accord. Le ministère comprend mal les effets de l’accord sur les obligations juridiques et constitutionnelles du gouvernement du Canada en matière de langues officielles, surtout envers le Québec anglophone. Cette situation perdure parce que la politique d’Ottawa privilégie l’immigration francophone dans une optique de renouvellement démographique et démolinguistique, plutôt que de s’appuyer sur une vision plus globale qui intègre tous les indicateurs de vitalité et les avantages de l’immigration sur la relation Ottawa-Québec.
Mme Martin-Laforge : Voilà qui clôt notre déclaration préliminaire. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup pour votre exposé. Nous allons maintenant commencer les questions et réponses.
[Français]
Je demanderais aux personnes se trouvant autour de la table de s’éloigner des micros pour ne pas créer d’interférences, si cela venait à se produire.
La sénatrice Gagné : Madame Martin-Laforge et monsieur Thompson, bienvenue et merci de votre présence ici ce soir. Je veux vous faire part de mon appréciation pour ce qui est de la teneur du mémoire que vous avez fait parvenir aux membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Il est clair que les communautés anglophones du Québec veulent jouer un rôle de premier plan à l’échelle du Québec et du Canada. Par l’entremise de votre mémoire, vous l’avez très bien exprimé. Vous avez également bien développé l’argumentaire qui sous-tend votre souhait de participer au développement de la stratégie en matière d’immigration, surtout pour les nouveaux arrivants au sein la société québécoise, grâce aux institutions et aux communautés d’expression anglaise. Selon vous, cela permettrait de rehausser la vitalité des communautés que vous représentez.
Vous voulez être consultés et faire partie de la stratégie. Le gouvernement fédéral a tout de même annoncé une augmentation des niveaux d’immigration récemment.
[Traduction]
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez, au sein de votre réseau, de l’augmentation des seuils d’immigration annoncée par le gouvernement du Canada et si cela aura une incidence positive ou négative sur les communautés anglophones du Québec? Vous pouvez commencer par cela, et j’aurais d’autres questions à vous poser ensuite.
Mme Martin-Laforge : Il y a plusieurs années, nous avons présenté un mémoire à l’Assemblée nationale sur les seuils d’immigration au Québec. Notre communauté croyait fermement qu’il fallait augmenter les seuils d’immigration au Québec. C’était pour la province de Québec. Nous n’avons pas fait de sondage récemment à ce sujet, mais, en général, notre communauté, les Québécois anglophones, est très diversifiée. Nous venons de divers pays et avons toujours eu tendance à être une société d’accueil au Québec.
Vous entendrez probablement M. Jedwab et peut-être aussi M. Belkhodja vous dire que la majorité des Québécois anglophones seraient favorables à des niveaux d’immigration plus élevés en raison de notre diversité inhérente, au Québec. Les Québécois anglophones descendent de plusieurs générations de personnes venues de partout dans le monde. Notre population est très diversifiée.
M. Thompson : Par contre, des niveaux d’immigration plus élevés peuvent être une arme à double tranchant. Vous savez déjà que les anglophones du Québec sont confrontés à l’insécurité économique, à l’insécurité d’emploi, qu’ils sont surreprésentés dans la tranche des personnes à faible revenu et qu’ils ont un revenu médian inférieur à celui de la majorité. Par conséquent, nous sommes surreprésentés aussi parmi les sans-abri et les personnes qui n’ont pas de domicile ou d’abri sûr. Nous faisons venir beaucoup de nouveaux immigrants ici, ce qui est bon pour les affaires et bon pour nous. C’est bon pour le développement économique et c’est bon pour la province. En même temps, cela crée une pression en matière de logement, surtout sur le parc de logements locatifs, et sur le système de santé. Bien sûr, le Québec anglophone a un rôle à jouer en tant que communauté très diversifiée, comme l’a dit Sylvia. Cependant, cela fait ressortir l’importance d’une coopération étroite entre les gouvernements fédéral et provincial dans la mise en œuvre de la politique d’immigration pour que les nouveaux arrivants aient accès à des services.
La sénatrice Gagné : Il y a aussi des municipalités du Québec déterminées à conserver leur statut bilingue. Comment pourraient-elles contribuer à attirer des immigrants sur leur territoire? Sont-elles bien organisées non seulement pour les attirer, mais aussi pour intégrer et retenir les immigrants?
Mme Martin-Laforge : Au Québec, les municipalités sont sans contredit des créatures du gouvernement provincial. Nous sommes ravis que 47 municipalités travaillent à conserver leur statut bilingue, parce que les citoyens de ces municipalités sont très attachés à leurs services en anglais. Je ne suis pas sûre du rôle — et peut-être M. Thompson peut-il m’aider à ce sujet — que les municipalités jouent à l’Assemblée nationale avec le gouvernement pour créer un espace et une politique pour les immigrants.
Nous savons que de nombreux immigrants arrivent d’abord à Montréal. On espère qu’ils iront dans ces régions. Les Québécois anglophones pourraient offrir des programmes pour aider à « franciser » les nouveaux arrivants dont la première langue officielle est l’anglais. Depuis des décennies et des générations, nous sommes une société d’accueil. Nous savons comment accueillir les nouveaux arrivants et créer de l’attachement en eux. Je ne suis pas sûre — peut-être que M. Thompson peut m’aider à ce sujet — du rôle que jouent les municipalités dans la formulation des programmes et des services offerts sur leur territoire.
M. Thompson : Je vais vous donner deux exemples, brièvement. Le premier est assez anecdotique et vient de l’endroit où je vis. J’en suis assez fier. Je ne suis pas un Montréalais; je suis de la Montérégie. Ma communauté anglophone locale se situe à Otterburn Park, où vit maintenant une petite population en déclin d’anglophones âgés. Je viens de lire dans mon journal local l’histoire d’Otterburn Park, qui a fièrement adopté une résolution pour rester une municipalité protégée par l’article 29.1 pouvant offrir des services en anglais. La raison invoquée par le maire, c’est que c’est bon pour la communauté. C’est bon pour les francophones et les anglophones de cette communauté de maintenir leur statut bilingue et d’avoir accès à des services dans les deux langues, non seulement pour prendre soin de la population vieillissante, mais aussi pour attirer des entreprises à Otterburn Park.
Le deuxième grand exemple, bien sûr, est celui de Voice of English-speaking Québec et de son programme pour les nouveaux arrivants. Il y a quelques années, ses représentants ont comparu devant le comité. J’y ai fait allusion dans mon mémoire. Ils n’ont pas réussi à obtenir de financement du gouvernement fédéral ni du gouvernement provincial pour leur programme pour les nouveaux arrivants. C’est la Ville de Québec qui l’a financé. L’administration municipale a payé ce programme pour les nouveaux arrivants. Pourquoi? Des représentants de VEQ siégeaient à la table de développement économique régional de la Ville de Québec, qui considérait les anglophones comme un levier important pour attirer des travailleurs des TI dans la région de Québec, au moment où cette dernière était en train de développer son industrie de l’animation. Bien sûr, l’industrie de l’assurance, à Québec, compte aussi beaucoup sur la présence d’une communauté anglophone pour attirer de nouveaux talents. Ce sont là deux exemples.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma question porte sur l’immigration des anglophones vers le Québec. J’aimerais vous entendre à ce sujet, parce que vous avez mentionné que la population anglophone du Québec n’était pas en déclin, mais plutôt en croissance. Parmi les stratégies en matière d’immigration que vous avez mentionnées, lesquelles pourraient être utiles pour le Quebec Community Groups Network (QCGN)?
[Traduction]
Mme Martin-Laforge : Puis-je m’assurer que je comprends bien la question? Vous demandez quelles stratégies sont importantes pour la communauté anglophone compte tenu de notre réalité démographique, puisque nous sommes en croissance. Est-ce bien votre question, sénatrice?
La sénatrice Moncion : Oui, et je m’interroge sur l’immigration aussi parce que cette étude porte sur l’immigration. Quelle incidence a-t-elle sur vos communautés? Vous avez dit dans vos commentaires que la population anglophone du Québec était en croissance. D’un autre côté, l’immigration francophone est en baisse, alors je veux juste vous entendre à ce sujet.
Mme Martin-Laforge : Nous vous répondrons probablement en deux temps, M. Thompson travaillant au deuxième volet de cette question.
En ce qui concerne l’immigration, ce qui est particulièrement intéressant pour nous lorsque nous voyons le succès modeste mais important des francophones dans le reste du Canada, c’est qu’ils ont réussi à faire en sorte que les nouveaux arrivants, les immigrants, s’attachent aux communautés de langue française des différentes villes. Les francophones du reste du Canada veulent que les immigrants qui arrivent développent un attachement culturel et linguistique avec la communauté, mais 4 %, ce n’était pas suffisant; la FCFA vise plutôt 12 %.
Au Québec — et il s’agit d’une longue tradition dans l’histoire du Québec anglophone — les gens qui arrivent ne viennent pas nécessairement pour faire partie de la communauté anglophone; ils viennent pour des raisons différentes. L’attachement à l’idée, au concept et au cadre du Québec anglophone n’est pas...
[Français]
— ce n’est pas au cœur de la stratégie.
[Traduction]
Depuis 50, 60 ans, la communauté anglophone se voit de plus en plus comme une communauté minoritaire, car il y a 60 ans, je ne pense pas que beaucoup de Québécois anglophones considéraient faire partie d’une minorité.
De nos jours, au Québec, de plus en plus de Québécois d’expression anglaise se considèrent comme une minorité. Ce ne sont pas des anglophones à proprement parler; ce sont des Grecs, des Italiens, des Chinois et des Punjabis. Ils sont d’origine tellement diversifiée que le sentiment d’appartenance à la communauté minoritaire n’est plus tout à fait le même. Donc, la stratégie pour les communautés anglophones du Québec n’est pas... Nous avons besoin de recherches approfondies à ce sujet. Nous disons à IRCC qu’il faut réfléchir au sens à donner à la stratégie de connexion à la communauté au Québec. Cela ne peut pas être la même chose que dans le reste du Canada, même si nous croyons en ce que le reste du Canada fait.
[Français]
Cela suppose de s’attacher à la communauté d’expression française.
[Traduction]
Au Québec, si nous voulions faire la même chose, ce serait différent parce qu’ils ne peuvent pas venir dans nos écoles à cause de la loi 101. L’intégration à la communauté anglophone se fait différemment, donc nous avons besoin de notre propre stratégie.
Cela fait des années que nous demandons à IRCC de nous aider à déterminer ce que cela signifierait au Québec d’avoir une politique d’immigration. Je ne pense pas que nous la qualifierions de « politique d’immigration ». Même le terme serait probablement différent. Nous sommes très différents, mais nous appuyons cette démarche dans le reste du Canada parce que nous ne voulons pas de ce déclin dans le reste du pays. Ce qui se fait dans le reste du Canada ne peut pas se faire au Québec.
Le président : Je vais poser ma première question en français.
[Français]
J’aimerais mieux comprendre. Par exemple, vous avez parlé de l’immersion et du fait que les institutions postsecondaires pourraient contribuer à l’immersion au Québec. Pouvez-vous m’en dire davantage à ce sujet? Quelle est la situation à l’heure actuelle? Quelle contribution serait-il possible de faire? Comment le gouvernement fédéral pourrait-il aider les personnes qui ne parlent pas le français et qui arrivent au Québec à avoir accès à l’immersion? Vous savez qu’au Nouveau-Brunswick, les cours d’immersion viennent d’être éliminés, au grand dam des communautés francophones et anglophones. J’aimerais vous entendre sur cette question.
[Traduction]
M. Thompson : J’aimerais clarifier la question, monsieur le sénateur. Dans notre mémoire, nous abordons le rôle de nos établissements postsecondaires pour offrir une immersion bilingue ou en français aux étudiants, permettant ainsi de former un bassin de candidats potentiels qui pourraient quitter le Québec et renouveler la population dans les communautés francophones minoritaires à l’extérieur du Québec. Cette option existe encore pour nous, mais la possibilité est de moins en moins aisée.
Je rappelle au comité les nouvelles restrictions limitant l’inscription aux cégeps anglophones des étudiants non admissibles. Les universités en sont épargnées, pour l’instant, mais rien n’empêche le gouvernement d’imposer les mêmes mesures au niveau universitaire.
Tant que la possibilité existe, le Québec compte des établissements postsecondaires offrant des services postsecondaires en anglais dans des programmes d’immersion en français. Ce système permet de former des diplômés bilingues maîtrisant le français.
Le président : Merci de votre réponse. Ma deuxième question porte sur le critère que vous avez mentionné au début de votre exposé. Dans sa version actuelle, le projet de loi C-13, par exemple, néglige-t-il les effets de l’immigration sur d’autres indicateurs clés de la vitalité d’une communauté, comme la capacité d’une communauté à participer à un environnement linguistique plus large?
En plus de prévoir une politique d’immigration francophone, croyez-vous que la Loi sur les langues officielles devrait prévoir l’adoption d’une politique d’immigration pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire afin d’englober tous les indicateurs de vitalité?
[Français]
On parle souvent des défis démographiques.
[Traduction]
Vous vous êtes prononcé sur l’autre critère. J’aimerais en apprendre davantage sur le critère que je viens de mentionner et savoir comment les aborder.
M. Thompson : Mon travail consiste, entre autres, à discuter du Québec anglophone avec les institutions fédérales. Les indicateurs de vitalité se trouvant dans notre mémoire ont probablement été élaborés il y a cinq, six ou même sept ans dans le cadre d’un excellent processus mené par le ministère du Patrimoine canadien. Le processus faisait participer tous les intervenants : il incluait les francophones, les anglophones et les chercheurs des deux établissements. Ce processus inclusif avait pour objectif de formuler les six indicateurs qu’on retrouve à la première page de notre mémoire.
Lorsque je m’adresse aux grandes institutions fédérales telles qu’EDSC et le ministère de l’Industrie, je constate que leurs représentants n’ont pas entendu parler de ces indicateurs. Le problème, qui perdure dans le projet de loi C-13, est que le gouvernement n’a pas réglé l’enjeu du commandement et du contrôle dans la partie VII. Qui prend les décisions? Vers quelle entité faut-il se tourner lorsqu’un problème survient? Dans la loi, on emploie encore des termes tels que « coordination ». Elle demeure donc très permissive. C’est malheureux, parce que les organisations décident donc de prendre leurs distances et de mener leurs propres recherches et consultations afin d’interpréter les indicateurs de vitalité de leur propre façon. Au sein des communautés, on se demande pourquoi l’exercice a été répété alors qu’il vient d’être terminé. Dans d’autres cas, nous exposons les indicateurs à des organisations qui nous présentent les leurs.
Je ne sais pas quoi vous dire. Je pense que les problèmes inhérents à la partie VII ont toujours existé. Ils remontent très certainement à la période suivant la rédaction des dispositions en question, en 1992. Le comité mixte s’y est penché. Ces problèmes sont bien connus. Comme nous l’indiquons clairement dans notre mémoire, nous ne pensons pas que le projet de loi C-13 va assez loin pour les régler — et certainement pas aussi loin que le prescrivait la décision de la Cour d’appel fédérale, que j’ai mentionnée dans notre déclaration préliminaire.
Mme Martin-Laforge : J’ajouterais que nous avons souvent parlé d’asymétrie lors de la mise en œuvre de lois avec lesquelles nous n’étions pas d’accord — vous nous avez d’ailleurs déjà entendus à ce propos —, mais nous en parlons même lors des activités d’application de la loi. Il a été déterminé il y a longtemps que les questions d’immigration à l’égard des francophones et du reste du Canada étaient à ce point épineuses qu’il fallait mettre en place une stratégie nationale d’immigration. Personne n’a pensé à l’époque, en 2000 ou en 2002, à mettre sur pied quelque chose d’équivalent — mais pas identique — pour la communauté anglophone. C’est peut-être parce que dans une perspective législative et politique, en 1992, ils avaient conclu l’entente Cullen-Couture qui aurait pu peut-être faire une place aux anglophones du Québec. Nous ne l’avons pas indiqué dans notre mémoire. Quelqu’un a peut-être pensé à cette possibilité, mais personne n’y a donné suite.
Alors, le projet de loi C-13 et n’importe quelle orientation du gouvernement fédéral renfermant la notion d’asymétrie doit être novatrice, efficace, juste et équitable pour la communauté anglophone du Québec. Il est important de bien réfléchir à cet aspect.
Le président : Merci de votre réponse.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question pour Mme Martin-Laforge sera en français.
J’ai cru comprendre que vous avez dit tout à l’heure que certains immigrants issus de plusieurs pays et de plusieurs origines, de la Chine et de partout, ne se considèrent pas comme faisant partie d’une population minoritaire quand ils arrivent ici. Est-ce que cela veut dire qu’ils se sentent tellement à l’aise en anglais et tellement bien immergés dans la population anglophone du Québec qu’ils ne se voient pas comme faisant partie d’une population minoritaire? Avez-vous une petite idée là-dessus?
Mme Martin-Laforge : Des académiciens comparaîtront après nous et pourront vous répondre plus en détail; je pense en particulier à M. Bourhis.
Je vous dirais que ces nouveaux arrivants viennent au Québec pour des raisons économiques, familiales et autres. Je donnerai l’exemple de la communauté chinoise, que je ne connais pas beaucoup. Je sais toutefois que ces personnes viennent au Québec parce qu’elles sont invitées à investir au Québec. Elles ont peut-être des amis, mais elles font partie de leur propre minorité. L’attrait pour des immigrants n’est pas tout à fait le même que lorsqu’on est Franco-Ontarien, Franco-Manitobain ou Acadien. Il y a quelque chose qui les attend en Ontario ou en Acadie. Il y a une communauté qui est fortement soutenue par des fonds provenant du gouvernement fédéral, qui est là et qui les attend. Cela leur procure un sentiment d’attachement qui les amène au pays.
Au Québec, nous n’avons pas cela. Les gens viennent ici et sont attachés à leur propre communauté chinoise, punjabi ou autre. La situation au Québec est différente de celle des gens dont la langue est l’anglais. Ces personnes peuvent aller partout au Canada et elles n’ont pas besoin de venir au Québec. Ces immigrants viennent pour différentes raisons.
Je disais aussi qu’on a besoin de faire plus de recherche à ce sujet. Il est souvent mal vu de la part du gouvernement du Québec d’essayer de tendre la main aux nouveaux immigrants pour qu’ils fassent partie de notre communauté.
[Traduction]
C’est un jeu à somme nulle au Québec.
[Français]
On fait partie de la communauté francophone ou de la communauté anglophone. Dans le projet de loi no 96, comme on l’a vu récemment, les barrières sont de plus en plus présentes pour les anglophones et les francophones. Tu parles anglais ou tu parles français.
La sénatrice Mégie : J’avais une deuxième question qui pourrait rejoindre celle-là, mais je vais la réserver pour notre autre invité. De nos jours, étant donné que la voie d’accès à l’immigration passe par les voies temporaires, surtout pour les étudiants étrangers, la loi 101 n’agit pas sur eux lorsqu’ils vont à l’université quand ils arrivent au Québec.
Comment verriez-vous le rôle du QCGN, même si vous venez de me dire que le gouvernement du Québec ne veut pas que vous leur tendiez la main? Vous avez dit, d’autre part, que vous seriez partie prenante d’un plan de francisation pour que l’anglais et le français cohabitent. Comment voyez-vous le rôle du QCGN, qui pourrait peut-être aider à la francisation de ces personnes qui arrivent au pays? Est-ce possible ou non?
Mme Martin-Laforge : C’est absolument possible. Stephen a parlé il y a quelques minutes du programme Voice of English-speaking Québec. En fait, ce programme a été financé par la municipalité.
Je suis anglophone et je parle français. Il existe plusieurs personnes qui, comme moi, parlent français bien qu’elles soient anglophones.
Nous sommes des enfants-vedettes pour la francisation. Nous ne parlons pas nécessairement français à la maison en nous brossant les dents. Vous avez entendu le ministre Roberge nous parler la semaine dernière de se brosser les dents en français. Toutefois, nous parlons français. Que signifie faire partie de la communauté anglophone au Québec? Un anglophone, c’est une personne qui parle français, qui peut travailler en français, qui regarde la télévision en français, mais qui peut aussi la regarder en anglais. Lorsque je parle de zero-sum game ou de jeu à somme nulle pour les Québécois d’expression anglaise, cela signifie que nous sommes là et que nous pouvons faire de la francisation. Nous sommes un élément extraordinaire d’accueil et de francisation.
Apprendre le français avec l’appui d’une personne comme moi, pour qui le français n’est pas la langue première, cela donne du courage; il y en a plein d’autres comme moi qui veulent en faire autant.
Quand il a été question d’accueillir les Ukrainiens dans nos écoles de langue anglaise, le Québec a dit non.
Aussi longtemps que le gouvernement fédéral jouera à ce jeu qui consiste à dire qu’au Québec, c’est un jeu à somme nulle et que vous n’avez pas besoin de faire ceci ou cela, il en sera ainsi. Les Ukrainiens qui se sont déplacés et qui parlent anglais, pour une grande majorité, ne peuvent pas fréquenter nos écoles de langue anglaise quand ils viennent au Québec, et ce, même temporairement. Même si nos écoles sont plus vides que celles des francophones, même si les écoles de langue française sont pleines à craquer, ils ne peuvent pas avoir accès à nos écoles. Ce n’est pas faute d’essayer; c’est qu’il s’agit d’un zero-sum game.
La sénatrice Mégie : Puisque vous avez dit que la minorité anglophone au Québec n’était pas en déclin, pourquoi est-ce que cela dérange tellement que le Québec aille vers la voie de la francisation, puisque c’est le français qui est en déclin? Dans tout et dans la vie, c’est ce qui nous manque que l’on va chercher. Quand on n’en manque pas et que l’on en a suffisamment, on n’y touche pas. Qu’est-ce que vous en pensez?
Mme Martin-Laforge : Stephen est mon gourou des chiffres. Moi, je vous dirais que le français... Les anglophones qui parlent français sont en augmentation; la langue de travail dans les entreprises est stable ou, à certains endroits, cela se passe mieux. Ce qui est en déclin, c’est la langue parlée à la maison. Il y a des aspects du français qui sont en déclin, mais dans l’ensemble de l’œuvre au Québec, il y a de plus en plus d’immigrants qui réussissent à parler français parce qu’ils sont allés à l’école et qu’ils ont des cours en français.
Je vous dirais que, chez moi, je vois des gens qui travaillent dans les services dans notre appartement et ils viennent de partout ailleurs.
[Traduction]
Ils viennent d’Asie et d’Amérique du Sud et ils parlent tous français. C’est excellent.
[Français]
Cependant, quand ils se parlent entre eux, si ce sont deux garçons ou deux filles qui parlent espagnol, ils ne se parlent pas en français. Ils se parlent en anglais pour se dire que le balai est là-bas ou je ne sais trop.
Alors voilà : le problème du déclin du français est très complexe — je n’ai pas besoin de vous le dire —, mais tout cela affecte les éléments importants par rapport à une stratégie en matière d’immigration où les anglophones du Québec et la communauté d’expression anglaise pourraient aider à la francisation.
Le président : Avant de donner la parole encore une fois à la sénatrice Moncion, je vais essayer de comprendre très clairement. En fait, est-ce qu’on doit comprendre qu’une stratégie nationale en matière d’immigration francophone a un impact négatif sur la communauté anglophone du Québec? Est-ce que vous entrevoyez un impact négatif, ou l’enjeu se situe-t-il plutôt sur le plan des ressources auxquelles vous pourriez avoir accès et qui vous permettraient de contribuer à une stratégie nationale?
Mme Martin-Laforge : Il s’agit de deux choses, monsieur le président. On pourrait contribuer, dans le reste du Canada, à promouvoir le fait que, dans le reste du Canada, il devrait y avoir plus de français. Cela, c’est certain. Parler français, parler plusieurs langues et parler le français dans un pays bilingue, c’est absolument — ce n’est pas essentiel, mais c’est souhaitable.
Là où on a de la difficulté, c’est qu’une stratégie nationale n’est pas une stratégie nationale — c’est une stratégie nationale par rapport aux francophones. Ce n’est pas une stratégie nationale pour les communautés de langue officielle. Il n’y en a pas de stratégie nationale, en tout cas à notre avis, pour les communautés en situation minoritaire, parce que la stratégie s’adresse aux francophones hors Québec, et non aux anglophones du Québec. On vous parle en deux temps, au moins deux temps.
Le président : Que devrait contenir une stratégie nationale sur les langues officielles qui vous permettrait de servir et de contribuer? Il s’agit de voir comment vous pourriez contribuer à cette grande stratégie.
Mme Martin-Laforge : Immigration Canada devrait nous aider à avoir les ressources requises, ou alors les francophones hors Québec pourraient nous interpeller pour que nous participions à leur chef-d’œuvre, qui vise à accueillir 12 % d’immigrants francophones. On pourrait, en quelque sorte, participer à tout cela, mais en même temps, Immigration Canada pourrait nous aider à voir comment faire au Québec, sur le plan de la recherche, pour avoir un vis-à-vis, si l’on veut, et pour qu’IRCC puisse faire ce qu’il doit faire pour les immigrants anglophones qui viennent au Québec.
[Traduction]
Dans sa présentation, M. Thompson a parlé de la responsabilité du gouvernement fédéral à l’égard des populations vulnérables qui arrivent au Québec et qui ont comme première langue officielle parlée une langue qui n’est pas visée dans l’entente.
Nous demandons à IRCC de se pencher sur ce type de lacune. Nous voulons savoir comment nous pourrions aider ou promouvoir la stratégie nationale francophone, mais nous voulons aussi un élément de stratégie pour les nouveaux arrivants, ceux qui immigrent au Québec, qui souhaiteraient créer des liens avec les locuteurs de la langue officielle minoritaire au Québec.
Il y a des angles morts dans l’entente.
[Français]
Le président : Merci beaucoup de cette réponse.
Le sénateur Dalphond : Merci, c’est très intéressant. Vous soulevez des problèmes complexes.
Je note que, dans le mémoire de mai 2022 que vous avez déposé à la Chambre des communes, vous mentionniez que le recensement de 2016 indiquait qu’il y avait 1 100 000 anglophones ou personnes d’expression anglaise au Québec. Dans le récent communiqué de presse que vous avez publié en décembre, en vous basant sur le dernier recensement, vous mentionniez qu’il y avait plutôt 1 300 000 anglophones ou personnes d’expression anglaise. Selon votre mémoire et selon votre communiqué de décembre, il y a eu une progression de 200 000 personnes en cinq ans. À quoi attribuez-vous cette augmentation importante de la population qui dit s’exprimer en anglais?
[Traduction]
Mme Martin-Laforge : Je vais demander à M. Thompson de répondre à la question.
M. Thompson : Bien sûr. Je ne vais pas mentionner les chiffres précis indiqués dans les communiqués ou des données que nous utilisons. Ce sont des calculs très complexes. Personne ne s’entend sur les chiffres, comme vous le savez. Par contre, deux experts vont témoigner dans la prochaine heure. Vous pourrez leur demander des chiffres précis si vous le souhaitez.
Nos données sont très simples. Le QCGN utilise les chiffres corrigés de la première langue officielle parlée, ou PLOP. Nous prenons la PLOP anglaise ou la POLP française et nous y ajoutons la moitié de la réponse anglaise ou française. Voilà d’où viennent les chiffres utilisés par le gouvernement du Canada jusqu’à cette année pour déterminer les obligations linguistiques aux points de service fédéraux.
Nous savons que ces chiffres correspondent à la taille de la population anglophone du Québec grâce au travail de Jean-Pierre Corbeil. Lorsqu’il était encore à Statistique Canada, celui-ci validait ces chiffres avec des données que lui envoyaient la RAMQ et la SAAQ. Nous savons donc que cette méthode permet de décrire de façon exacte la taille de la population anglophone au Québec.
Le sénateur Dalphond : Je pense qu’un des points principaux que vous vouliez soulever est que l’entente entre Québec et Ottawa sur la sélection des immigrants ne répond pas au besoin d’avoir une certaine proportion d’immigrants anglophones.
Le problème, c’est peut-être que nous avons, d’une part, la politique officielle d’immigration — assortie d’un seuil de 50 000 immigrants établi par le gouvernement du Québec —, et d’autre part, des gens qui viennent au Québec pour faire une demande de résidence permanente par les voies régulières et irrégulières. Par exemple, en 2022, en plus du seuil de 50 000 immigrants établi par le gouvernement, de 30 000 à 35 000 personnes sont venues au Québec via le chemin Roxham pour faire une demande d’asile. Quelque 29 000 autres de différentes provenances sont entrées au Québec de manière régulière, en passant soit par les aéroports, soit par les points d’entrée tels que les postes frontaliers.
Alors, sur cette proportion de nouveaux arrivants entrés au Québec, qui est plus élevée que le nombre prévu à l’entente — les chiffres officiels s’élèvent à 60 000 au lieu de 40 000 ou 50 000 —, quelle est la proportion de francophones ou de personnes qui n’ont pas été sélectionnées par le gouvernement du Québec, c’est-à-dire de personnes qui viennent faire une demande d’asile à titre de réfugiés, mais qui ne remplissent pas les exigences? Quelle est la proportion d’anglophones ou de personnes dont la langue maternelle est l’anglais?
M. Thompson : Nous ne le savons pas, mais vous entendrez un expert au cours de la prochaine heure. S’il y a quelqu’un qui connaît ces chiffres, c’est M. Chedly Belkhodja.
Une autre chose dont M. Belkhodja va peut-être parler au cours de la prochaine heure — cela nous ramène au point soulevé par Mme Martin-Laforge et à l’élément central de notre mémoire — est le rôle que les anglophones du Québec jouent ou pourraient jouer dans l’intégration de ces gens à leur arrivée au Québec. Plusieurs citoyens agissant comme des ONG se tiennent à la frontière avec des couvertures et de la nourriture chaude. Ces personnes se financent elles-mêmes ou sont financées par de petites ONG qu’ils ont mises sur pied. Un nombre disproportionné de ces personnes sont anglophones. Il se passe la même chose pour les services d’immigration de la Ville de Montréal offerts par l’entremise de l’archidiocèse de Montréal à la communauté philippine. Lorsque cette communauté ne peut pas compter sur le gouvernement pour son intégration, elle fait appel à l’église.
Une bonne partie de l’intégration dans la société civile se fait au moyen de processus informels non gouvernementaux. Nous devons nous poser la question à savoir si cela constitue une politique publique intelligente. Voulons-nous que les nouveaux arrivants soient intégrés par la société civile, par le gouvernement ou au moyen d’un partenariat entre le gouvernement et la société civile, comme ce qui est fait dans le reste du Canada? Nous préconisons le troisième modèle.
Dans la société civile québécoise, nous pensons que les anglophones du Québec devraient être inclus dans ce modèle.
Le sénateur Dalphond : Merci. La situation est complexe au Québec, car nous avons le processus d’immigration légal et les demandes d’asiles légales, auxquels se juxtaposent les personnes qui entrent de manière irrégulière par le chemin Roxham.
Le président : Je suis d’accord avec la sénatrice Gagné pour dire que votre mémoire renferme des informations très intéressantes. J’aurais peut-être quelques questions sur son contenu.
Je vais me pencher sur un élément en particulier, soit la relation entre Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, et la population anglophone du Québec. Comme IRCC reconnaît ses obligations, mais qu’il n’a pas déterminé les répercussions de ses décisions et de ses initiatives et qu’il n’a pas déployé d’efforts soutenus pour atténuer ces répercussions, il semble à première vue échouer au critère juridique établi au Canada. Vous parlez de la décision Commissaire aux langues officielles c. Emploi et Développement social Canada.
Pourriez-vous commenter cette affirmation?
M. Thompson : Nous avons l’impression depuis longtemps qu’IRCC ne remplit pas ses obligations au titre de la partie VII de la loi.
Mme Martin-Laforge est une des premières à avoir obtenu d’IRCC qu’il s’implique dans la communauté anglophone. Le comité a entendu maintes fois au cours des dernières années que le financement octroyé par IRCC aux projets de recherche dans la communauté est très limité. Il se chiffre à 500 000 $ par année, si je ne m’abuse. Or, tout a été arrêté. Pour autant que nous le sachions, aucun projet ne se concrétise depuis trois ou quatre ans. Tous les contacts que nous avions... Nous faisions du bon travail avec IRCC depuis quelques années, puis tout s’est arrêté parce que les agents d’expérience qui pilotaient ces projets ont été mutés ailleurs. De nouveaux agents sont entrés en fonction, puis soudainement, lors de notre dernière rencontre avec un sous-ministre adjoint à IRCC, on nous a dit, à Mme Martin-Laforge et à moi, que l’entente était quasi constitutionnelle. En droit, la notion de quasi constitutionnel est caduque. Voilà un indice de la culture d’IRCC ou de sa manière de voir l’entente.
Ce qui est intrigant, c’est la décision rendue l’an dernier par la Cour d’appel fédérale. Nous avions toujours dit qu’IRCC ne remplissait pas ses obligations au titre de la partie VII, mais personne ne savait en quoi consistaient ces obligations avant que la Cour d’appel fédérale ne rende sa décision. À présent, nous le savons. Nous savons qu’il y a un test d’application en deux parties. Nous savons que le gouvernement du Canada a l’obligation de s’assurer que les ententes intergouvernementales renferment des dispositions linguistiques qui lui permettent de modifier les ententes qui créent des situations préjudiciables aux minorités linguistiques françaises ou anglaises.
La donne a changé.
Nous n’avons pas eu le temps d’effectuer l’analyse juridique complète de l’entente et de la décision de la Cour d’appel fédérale — avis à tous : voilà un bon sujet de thèse de maîtrise —, mais il y a là un champ d’études considérable. Nous soutenons que ce serait un bon point de départ si IRCC faisait cette analyse et la rendait publique.
Le président : Merci de votre réponse.
Étant donné qu’il n’y a plus de questions, nous allons conclure cette partie de la séance. J’aimerais remercier Mme Martin-Laforge et M. Thompson de leurs présentations. Merci de nous avoir transmis des informations et des commentaires pertinents, qui seront fort utiles pour notre étude.
Chers collègues, nous accueillons à présent Chedly Belkhodja, professeur à l’École des affaires publiques communautaires et directeur du Centre d’études des politiques et de l’immigration à l’Université Concordia. Nous recevons également M. Richard Bourhis, professeur émérite au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Finalement, nous avons Jack Jedwab, président et directeur général de l’Association d’études canadiennes.
Bienvenue au comité. Nous écouterons avec plaisir vos présentations et nous passerons à la période de questions avec les sénateurs.
Nous commençons avec M. Belkhodja. La parole est à vous.
[Français]
Chedly Belkhodja, professeur titulaire à l’École des affaires publiques communautaires et directeur du Centre d’étude de la politique et de l’immigration, Université Concordia, à titre personnel : Je voudrais vous remercier de m’avoir invité à cette réunion du comité.
J’aimerais tout simplement dire à quel point l’importance du dossier de l’immigration francophone est capitale. C’est un dossier que je connais bien. Comme j’ai grandi à Moncton, au Nouveau-Brunswick, j’ai pu voir à quel point le paysage de cette ville a changé. Quand on pense à la diversité ethnoculturelle marquée par l’immigration, on pense aux résidents permanents, aux multiples réfugiés qui sont venus à Moncton, comme en 2015 avec l’arrivée des réfugiés syriens, et aussi aux étudiants étrangers.
C’est évident que ce dossier a pris de l’importance, surtout dans le contexte des communautés francophones hors Québec, notamment à cause de la dimension démographique. L’immigration francophone a donc une grande importance dans le poids démographique des communautés, à cause de la question de la vitalité. Le concept de la vitalité, qui est un concept qu’on peut mesurer, a aussi une dimension non mesurable qui est plus difficile et plus fine; c’est ce qui fait une société.
L’apport de l’immigration, pour moi personnellement et comme chercheur, a été surtout de comprendre la part de l’immigration dans l’épanouissement d’une petite communauté minoritaire, comme celle du Nouveau-Brunswick, comme l’Acadie ou comme d’autres terrains de recherche que j’ai pu connaître dans plusieurs parties du pays.
Je dirais qu’il faut encourager les efforts en matière d’immigration francophone, et notamment la stratégie fédérale. Il y a plusieurs initiatives qui ont été faites sur le terrain, des initiatives que j’ai moi-même documentées, comme tout ce qu’on voit autour du développement des communautés francophones accueillantes. Il y a 14 communautés francophones accueillantes au pays. Elles sont en train de tester des pratiques et des initiatives en matière d’immigration.
Il faut vraiment voir l’apport de l’immigration dans le prisme de la vitalité communautaire. Je dirais aussi — et cela a été dit notamment par le QCGN — qu’il faut l’étudier aussi par rapport à la notion du sentiment d’appartenance des personnes migrantes. On parle beaucoup de vitalité de façon sociétale, mais il y a aussi la question du sentiment d’appartenance des personnes qui viennent s’installer dans un milieu.
C’est un peu dans ce contexte que je conclurai ma petite introduction en parlant de quelques considérations à partir de l’expérience du Québec, de là où je me situe depuis 10 ans. Je me pose souvent la question sur la place que peut jouer l’immigration dans l’épanouissement d’une communauté en situation minoritaire, comme la communauté anglophone du Québec.
Comme on l’a déjà dit, c’est peut-être plus délicat pour des raisons politiques, mais le Québec est une société qui évolue beaucoup à partir de l’immigration. On a parlé du nombre de résidents permanents, mais on doit parler aussi de formes temporaires d’immigration, d’étudiants étrangers, de travailleurs temporaires et de demandeurs d’asile. Toute cette réalité du terrain est essentielle à la compréhension. Il y a des besoins de recherche qui sont importants à approfondir sur ces dynamiques migratoires dans le contexte anglophone minoritaire, comme l’apport des étudiants, par exemple. Beaucoup d’étudiants viennent dans des universités anglophones du Québec et ils veulent rester au Québec, mais ils sont parfois obligés de le quitter. J’ai entendu cela de mes propres étudiants, des étudiants qualifiés qui ont parfois de la difficulté à rester au Québec et qui sentent qu’ils n’appartiennent pas à sa société.
Je dirais qu’il y a tout un travail à faire sur le plan des services. On sait que, depuis quelque temps au Québec, il y a une dynamique migratoire complexe, comme on l’a entendu, avec l’arrivée de différents statuts. Il y a des besoins pour ce qui est de l’accompagnement et des services pour ces populations immigrantes.
Je dirais qu’il faut s’inspirer de la stratégie nationale en immigration francophone pour le Québec, pas nécessairement le volet du recrutement, mais le volet de l’intégration et de l’établissement. Que se fait-il d’intéressant en matière d’immigration francophone qui pourrait inspirer au Québec une approche pour développer des projets autour d’une immigration vers les communautés anglophones? Je pense par exemple au concept des communautés francophones accueillantes et à la régionalisation de l’immigration. Il y a des choses intéressantes qui se font au Québec en régionalisation. On en parle beaucoup plus récemment pour des raisons économiques, mais il y a aussi un tissu communautaire régional et les communautés anglophones en sont bien conscientes.
En milieu urbain, lorsqu’on parle de diversité et d’enjeux d’inclusion, il y a beaucoup à comprendre de la réalité québécoise. Finalement, je parle plutôt d’un écosystème de l’immigration dans un contexte minoritaire. Cela fait plus de 20 ans que je travaille sur cette question en francophonie. On a beaucoup parlé d’un écosystème qui se construit du départ jusqu’aux enjeux de rétention. Comment envisager une approche conforme à la réalité du Québec? Je vais m’arrêter là et je reviendrai là-dessus pendant les questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Belkhodja.
Richard Bourhis, professeur émérite, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal (UQAM), à titre personnel : Bonjour au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Mon témoignage ayant trait à votre étude sur l’immigration porte sur ces enjeux du point de vue des minorités anglophones et allophones du Québec. En tant que psychologue social québécois, je vous offre mon évaluation des enjeux collectifs que vivent les minorités anglophones et allophones face à la majorité francophone du Québec.
[Traduction]
Les gouvernements majoritaires au Québec ont affaibli de plusieurs manières la vitalité institutionnelle des communautés anglophones du Québec au cours des 45 dernières années. En 1977, la loi 101 a restreint l’accès aux écoles primaires et secondaires anglaises. Comme cela avait été planifié, le système scolaire anglais a connu une diminution considérable. En 2018, il était à 37 % de sa taille originale. La loi 40 adoptée par le gouvernement caquiste en 2020 prévoyait l’abolition des commissions scolaires françaises et anglaises. Les commissions scolaires anglaises ont toutefois obtenu un sursis jusqu’à ce qu’un jugement soit rendu. La CAQ a utilisé de nombreuses dispositions de la loi 96 adoptée en mai 2022 pour geler l’accès et stopper l’expansion des cinq cégeps anglais. Le premier ministre François Legault a dit que les étudiants anglophones n’obtiendraient désormais que 8 % des places dans ces cégeps, conformément à la proportion de 8 % de la population de langue maternelle anglaise au Québec. En 2023, la planification de la CAQ en matière d’immigration internationale ne comportait que l’immigration francophone.
Le Québec sera en concurrence directe avec les minorités francophones du reste du Canada pour les immigrants de langue française. Évidemment, les réfugiés et les immigrants qui viennent au Québec ont seulement accès aux écoles françaises. Ces lois obligent les communautés autochtones anglophones et allophones à revoir leurs possibilités en tant que minorités linguistiques et culturelles au Québec.
Voici cinq points à clarifier sur la vitalité sur lesquels il faut se pencher. Premièrement, les minorités anglophones et allophones qui sont restées au Québec ont prouvé qu’elles comprennent la nécessité de préserver le statut et l’utilisation du français. En 1971, seulement 37 % des anglophones étaient bilingues comparativement à 70 % en 2016. Aujourd’hui, 95 % de la population du Québec possède une connaissance du français. Les communautés anglophones du Québec ne sont pas responsables du statut et du rayonnement de la langue anglaise, que ce soit dans le monde ou au Canada et au Québec en particulier. En Amérique du Nord, le français sera toujours une langue minoritaire par rapport à l’anglais et à l’espagnol. Les efforts pour compromettre la vitalité institutionnelle de la minorité anglophone ne réussiront jamais à neutraliser le pouvoir d’attraction exercé par la langue anglaise auprès des francophones et des allophones du Québec.
Deuxièmement, selon les tenants du discours nationaliste québécois, la présence de l’anglais parlé par les anglophones et les allophones du Québec menacerait la survie du français. Le discours de la CAQ sur le français invoque cette menace pour justifier des mesures visant à saper la vitalité institutionnelle des communautés anglophones du Québec. Les lois adoptées par le gouvernement de la CAQ qui ont réduit l’accès aux écoles et aux cégeps de langue anglaise montrent comment la majorité francophone peut utiliser son statut minoritaire à l’échelle du Canada et de l’Amérique du Nord pour justifier des mesures visant à éroder le système d’éducation de la minorité anglaise à l’échelle du Québec.
Troisièmement, la légitimité des lois du Québec visant à étouffer la vitalité des communautés anglophones se fonde sur le discours voulant que les Québécois francophones forment une majorité fragile dans la province. Il serait peut-être temps que cette majorité autrefois assujettie admette qu’elle a acquis un statut de majorité dominante sur le plan linguistique, politique, institutionnel et économique dans son territoire. Les Québécois francophones pourraient peut-être accepter un changement de paradigme qui leur permettrait de passer du statut de majorité fragile à celui de majorité dominante.
Les Québécois francophones forment une majorité dominante imprégnée d’une psyché de minorité assiégée, et ce, même s’ils sont dotés de tous les outils de l’État québécois. Cette posture place les minorités anglophones, allophones et autochtones dans une position ou une situation précaire au sein de la nation québécoise du gouvernement caquiste.
Quatrièmement, la majorité québécoise francophone dominante pourrait acquérir une assurance sur le plan culturel qui la porterait à se sentir responsable du bien-être des minorités linguistiques au lieu de les voir comme une menace et un boulet. Les Québécois francophones pourraient changer de perspective et voir les minorités anglophones, allophones et autochtones comme des atouts pour la diversité économique et culturelle du Québec. De cette manière, ces minorités se sentiraient mieux acceptées par la société majoritaire québécoise. Si les Québécois francophones agissaient comme une majorité dominante sûre d’elle-même, ils verraient les investissements dans la vitalité institutionnelle des minorités linguistiques comme un moyen de renforcer la cohésion sociale et la capacité d’intégration de la société québécoise dans l’économie nord-américaine.
Cinquièmement, les minorités autochtones, anglophones et allophones ont autant le droit que la majorité francophone de considérer le Québec comme leur patrie. Les membres de ces minorités paient tous des impôts et détiennent tous des droits que leur confère leur citoyenneté canadienne. Les communautés autochtones, anglophones et allophones ont bâti elles-mêmes bon nombre de leurs institutions au Québec au cours des siècles. Elles ont le droit collectif de protéger et de développer leur langue, leur culture et leurs institutions sans être stigmatisées et perçues comme des traîtres à la nation québécoise. Les dirigeants au sein des minorités anglophones, allophones et autochtones ont le droit de mettre sur pied les organisations dont ils ont besoin pour défendre leurs intérêts et promouvoir leur vitalité institutionnelle dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux, des services juridiques, des politiques, de l’économie, de la culture, des sports, ainsi que dans les administrations municipales et la fonction publique québécoise.
Pour conclure, les communautés anglophones, allophones et autochtones du Québec ont droit à ce que leur langue maternelle et leur culture soient les piliers de leur identité socioaffective, qui est aussi unique et universelle que le sont la langue et la culture françaises pour la majorité québécoise francophone. Les minorités autochtones, anglophones et allophones, de pair avec la majorité francophone, ont le droit d’embrasser de multiples identités nationales, culturelles et linguistiques, que ce soit au Québec, au Canada et dans d’autres pays, sans craindre la stigmatisation ou l’exclusion.
Finalement, les minorités anglophones, allophones et autochtones du Québec sont des composantes de la nation québécoise autant que la majorité dominante francophone. Tous ont des droits et des devoirs égaux à titre de citoyens du Québec et du Canada. Merci.
Le président : Merci, monsieur Bourhis. Je cède maintenant la parole à M. Jedwab.
[Français]
Jack Jedwab, président et directeur général, Association d’études canadiennes : Bonjour et merci de m’avoir invité. Je veux commencer en parlant plutôt des généralisations par rapport à l’immigration et insister sur le besoin de sensibiliser la population aux enjeux en tenant compte de la réalité de l’immigration au Canada. On n’entend pas assez souvent des présentations plutôt nuancées sur la réalité à laquelle font face les immigrants. Ce que nous avons tendance à entendre, que ce soit au Québec ou au Canada, c’est le désir de l’État vis-à-vis de l’immigrant, et non pas le désir de l’immigrant face à la société à laquelle il a l’intention de s’intégrer. En ce sens, je pense que le plus récent recensement sur lequel on base de nombreux débats... On tient ces débats en fonction de la quantité des immigrants, et pas nécessairement de la qualité de l’expérience de l’immigrant.
On constate qu’il y a de plus en plus d’immigrants qui se définissent en termes multiples. Les identités multiples sont en nette augmentation. Dans le recensement, cela se reflète très souvent en fonction de l’apport de l’immigration et dans la façon dont le recensement est formulé pour ce qui est de la mesure de l’identité linguistique, ethnoculturelle ou ethnoraciale.
Il est important de ne pas généraliser et de fournir à la population une information nuancée. M. Belkhodja a mentionné qu’il y a diverses catégories d’immigration, que ce soit l’immigration économique, l’immigration familiale, les réfugiés et l’immigration temporaire, qui est en grande augmentation. Mais qu’est-ce qu’un statut temporaire? On n’explique pas suffisamment ce que cela veut dire.
Au Québec, le premier ministre Legault a parlé de l’importance de diminuer l’immigration en ce qui a trait aux chiffres réels, afin d’intégrer correctement les nouveaux arrivants sur le plan linguistique. On donne l’impression que, pour ce qui est des nouveaux arrivants, le problème réside dans leur connaissance du français et leur volonté d’apprendre le français.
Cependant, la réalité, c’est qu’au moment où le gouvernement de M. Legault a diminué le seuil d’immigration juste avant la pandémie, le nombre d’immigrants temporaires a largement augmenté. Ce n’était pas quelque chose que la société québécoise savait. Cela s’applique aussi au reste du Canada, qui n’était pas non plus au courant de l’augmentation importante du nombre d’immigrants temporaires, parce que c’est souvent l’industrie qui insiste pour augmenter l’immigration temporaire.
Pour résumer, je dirais qu’il y a une grande sensibilisation à faire au Québec et au Canada au sujet de l’immigration et qu’il ne faudrait pas parler des immigrants en les opposant aux non-immigrants, parce qu’il y a beaucoup de diversité interne dans ces deux grandes catégories. Il ne s’agit pas simplement de diversité linguistique. Cela implique aussi une diversité ethnoculturelle, ethnoraciale et de l’intersectionnalité sur le plan de cette diversité, sur laquelle on devrait justement être sensibilisé. On ne peut pas simplement se concentrer sur l’identité linguistique de l’immigrant, même si c’est important. Je comprends bien que c’est le mandat de ce comité d’explorer la vitalité d’une minorité, et cela passe par une meilleure collaboration, non seulement entre les gouvernements, mais entre les communautés linguistiques.
Pour conclure sur le cas de la communauté anglophone, au Québec ou ailleurs au Canada, où il y a beaucoup de sensibilisation à faire, il vaut mieux les mettre à contribution et leur faire comprendre l’importance d’appuyer la vitalité des communautés. Je sais que parfois les sondages peuvent être décourageants sur le plan des attitudes, mais il faut redoubler d’efforts afin de sensibiliser la population.
Comme mes collègues du QCGN l’ont dit, ils sont très ouverts à collaborer afin d’atteindre les objectifs de la société en ce sens. Je vais m’arrêter ici et céder la parole à mes collègues.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Jedwab, et merci aux témoins. Nous allons maintenant commencer la période des questions.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à vous, monsieur Bourhis. puisque votre collègue de l’autre groupe de témoins nous a dit de nous adresser à vous si on avait besoin de chiffres et de données,
Si la population anglophone croît proportionnellement au reste de la population, comment varie-t-elle? J’ai entendu d’autres témoins dire que ce n’est pas si fragile que cela. Vous avez dit que c’était une minorité fragile, mais sur le plan du nombre, pouvez-vous le justifier? Les deux populations croissent. Alors, quelle est la proportion de leur croissance? Est-ce que la population anglophone croît plus vite que la population en général? Puisque vous avez les chiffres, pouvez-vous répondre à ma question, s’il vous plaît?
Le président : La question s’adresse à M. Bourhis. Monsieur Bourhis, êtes-vous en mesure de répondre?
M. Bourhis : Cela dépend, car il y a deux mesures, soit la première langue officielle parlée et la langue maternelle. Il y a parfois des conclusions différentes par rapport à ces deux indicateurs. Je vais laisser la parole à Jack, qui répond souvent à ce genre de question.
M. Jedwab : Il y a trois indicateurs sur le plan de la détermination de la population anglophone. Il y a la langue maternelle, la langue parlée le plus souvent à la maison et la première langue officielle parlée.
Chacun de ces indicateurs donne lieu à un important écart qui peut atteindre 500 000 personnes entre les indicateurs de langue maternelle anglaise et la première langue officielle parlée — l’anglais.
Si on examine les chiffres pour la langue maternelle anglaise, dans le recensement de 2016, il y avait environ 600 000 anglophones. Il y a maintenant 638 000 anglophones, ce qui représente une augmentation de 38 000 personnes en cinq ans, soit 7 000 personnes par année. Je ne considère pas qu’il s’agit d’une augmentation importante, et cela est attribuable en grande partie à l’immigration temporaire, parce qu’un important pourcentage de ces immigrants temporaires sont anglophones de langue maternelle.
Le gouvernement du Québec semble beaucoup moins préoccupé, parce que l’industrie avait besoin de l’immigration. D’une part, on ne parle pas beaucoup du fait que le bassin des immigrants sur le plan international ne sert pas nécessairement à maximiser le nombre de francophones lorsque les besoins portent sur les actifs économiques de l’immigrant.
D’autre part, je ne suis pas nécessairement d’accord avec l’indicateur de la langue officielle parlée que le QCGN utilise pour estimer la population anglophone. Cela donne lieu à une maximisation du nombre d’anglophones. Par exemple, pour les gens qui viennent des Philippines et qui parlent la langue de ce pays, on dira que leur première langue officielle est l’anglais. Ils figurent du côté anglophone par rapport à l’indicateur de la première langue officielle parlée.
Est-ce que les augmentations sont très importantes? Tout est relatif. En chiffres réels, le côté francophone a augmenté aussi. Cela devient donc une question de pourcentage. Naturellement, lorsque 80 % de l’immigration est de langue maternelle autre que l’anglais et le français, le pourcentage de francophones, à Montréal notamment, diminuera inévitablement. Toutefois, c’est le gouvernement du Québec qui a besoin de l’immigration et le bassin d’immigrants dont la langue maternelle est le français n’est pas nécessairement disponible pour ce qui est de répondre aux critères économiques du Québec et du reste du Canada en matière de sélection de l’immigration.
La sénatrice Mégie : J’ai une autre question qui concerne les données, mais cette fois-ci par rapport aux couples exogames, c’est-à-dire quand une personne francophone est en couple avec un anglophone et donne naissance à des enfants. Les enfants issus de ces couples ont un droit d’accès à l’enseignement en anglais. Cela fait encore augmenter le nombre pour la population anglophone.
Bien que certains choisissent aussi le français dans la population, qu’est-ce que vos données vous disent sur cette couche de la population?
Le président : Qui voudrait répondre à cette question? Monsieur Bourhis, êtes-vous en mesure de donner de l’information?
M. Jedwab : Cela varie beaucoup. C’est intéressant, parce que, dans le dernier recensement, il y a eu un virage sans précédent en l’espace de cinq ans pour les couples exogames. Cela donne l’impression que ces couples se sont massivement tournés vers l’anglais.
Cependant, j’ai l’impression que c’est attribuable aux changements de questions dans le recensement. J’ai commenté publiquement ce sujet et je crois qu’il faut faire attention, notamment avec les données de 2021 à cet égard.
Cela dit, cela varie beaucoup entre Montréal et le reste du Québec, selon que la mère est francophone et le père anglophone; il existe plusieurs variations.
Il est vrai que, pour les couples exogames, il y a la possibilité pour l’enfant d’étudier en anglais. Cela a été une source importante d’augmentation, notamment à l’extérieur de Montréal, pour ce qui est des effectifs scolaires dans le réseau anglophone. Cela a beaucoup diminué au cours des dernières années, mais c’était une importante source d’augmentation.
Je pense que tout ceci témoigne d’un souhait de la population, notamment la population francophone, d’apprendre l’anglais. On a vu une augmentation très importante, lors du dernier recensement, auprès des francophones en ce qui a trait à leur niveau de bilinguisme. Je trouve que, à Montréal, le bilinguisme est incontournable. Je comprends que certaines personnes trouvent que le bilinguisme est une menace pour le français, mais c’est une réalité incontournable à Montréal. Il faut savoir comment gérer toute la question autrement que de traiter tout cela comme une menace, si on veut assurer la vitalité de la langue française.
La sénatrice Mégie : Mon autre question s’adresse à M. Bourhis, qui a parlé tout à l’heure d’une érosion de la vitalité de la population anglophone et, par le fait même, de toutes les lois du Québec et de ce qui se passe au Québec.
À la lumière de tout ce que je viens d’entendre, je ne vois pas cela. Si j’ai bien écouté, Mme Martin-Laforge nous a quand même dit que la population anglophone croît au lieu de décroître; j’aimerais donc avoir plus d’explications sur les raisons qui expliqueraient l’érosion de la population anglophone si le Québec continue d’augmenter sa population d’immigrants francophones.
M. Bourhis : Dans le système anglophone primaire et secondaire, grâce à la loi 101, le nombre d’élèves dans le système scolaire anglophone était de 171 000 élèves en 1971 et il n’y avait plus que 52 000 élèves en 2018. Sur l’ensemble des populations dans les systèmes scolaires, nous sommes passés de 256 000 élèves, toutes langues maternelles confondues, à 96 000 élèves en 2018. Donc, nous sommes à 37 % des effectifs d’avant la loi 101.
Les anglophones ont donc vu une décroissance de 256 000 étudiants à 96 000 étudiants dans leur système scolaire. C’est une décroissance substantielle qui a eu un impact non seulement sur le nombre d’élèves, mais aussi sur le nombre de personnes que l’on peut embaucher pour enseigner en anglais, administrer les écoles et même nettoyer les écoles. Il y a eu un grave déclin du système scolaire anglophone au Québec.
Depuis l’élection de la CAQ, on veut aussi réduire l’accès des anglophones et des allophones dans les cégeps. Cela réduira également, au fur et à mesure que le projet de loi no 96 s’appliquera, l’accès des francophones et des allophones dans le système scolaire anglophone des cégeps.
Comme le premier ministre Legault l’a dit, la croissance sera limitée à 8,3 %, parce que, en général, le gouvernement du Québec préfère utiliser la langue maternelle pour comptabiliser la présence des anglophones au Québec plutôt que la première langue officielle parlée, puisqu’elle donne une meilleure idée de la population anglophone que la langue maternelle.
Donc, pour les cégeps, on parle de la langue maternelle. C’est la même chose pour le système scolaire primaire et secondaire; on parle toujours de la langue maternelle. Ce sont les seules données que nous avons et ce sont les données qu’utilise le ministère de l’Éducation.
C’est donc un problème assez important pour l’éducation primaire et secondaire pour la communauté anglophone. Cela va s’enclencher dans deux ou trois ans dans les cégeps et cela aura un impact sur le système des cégeps. Il y a 5 cégeps anglophones et 43 cégeps francophones; il y a donc une disparité assez importante. Il est entendu que la majorité des cégeps sont francophones, et c’est normal. Ce sont donc là des éléments dans le monde de l’éducation qui ont eu un impact assez important.
Il y a aussi, dans le système de santé, des hôpitaux qui ont un statut bilingue. Il y a des hôpitaux unilingues francophones et des hôpitaux à statut bilingue, parce qu’une partie de la population est de langue maternelle anglophone.
Cependant, à mesure que la population des régions décroît, ou même celle de certains quartiers, des hôpitaux peuvent perdre leur statut bilingue, et cela peut être un problème pour les minorités anglophones et allophones. L’éducation et la santé sont les deux piliers qui coûtent le plus cher au gouvernement.
La sénatrice Mégie : Merci.
La sénatrice Gagné : Merci aux témoins de ce soir. Votre présence est vraiment appréciée. L’un de vous serait-il en mesure de me dire si la croissance du nombre et de la proportion de la population anglophone du Québec découle essentiellement de l’immigration internationale ou si elle découle également de la mobilité interprovinciale?
M. Belkhodja : Sur cette question démographique, je vais plutôt laisser parler mes collègues, parce qu’il ne s’agit pas de mon champ précis de recherche.
Il est évident que, depuis tout récemment, on voit quand même une croissance qui est aussi attribuable à l’immigration. Je reviens encore à toutes ces catégories; on parle souvent de résidents permanents, mais on oublie qu’il y a des programmes pour attirer des travailleurs hautement qualifiés dans l’industrie aérospatiale à Montréal.
Je crois que, eu égard à la question de la langue, on veut aller chercher du personnel hautement qualifié. Il y a toutes sortes de voies d’accès à la résidence permanente, qui peut prendre des formes temporaires. On voit donc une multiplication des statuts. On a vu les données il n’y a pas longtemps; on parle de 50 000 résidents permanents, mais il y a au-delà de 130 000 migrants temporaires lorsqu’on songe à toutes les catégories.
M. Bourhis : Pour ce qui est de la migration interprovinciale, indépendamment de l’immigration internationale, nous disposons de données assez connues à ce sujet. Pour vous donner une idée, entre 1966 et 2016, il y a eu 350 000 personnes de langue maternelle anglaise qui ont quitté le Québec pour les autres provinces canadiennes. Il s’agit donc de beaucoup de personnes si l’on cumule ces années-là.
Il y a eu aussi des allophones, soit des personnes qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle — qui peuvent aussi être trilingues et parler espagnol, français et anglais —, qui ont quitté le Québec. Pour ces mêmes années, 120 000 personnes allophones ont quitté le Québec; il ne s’agit pas seulement des personnes qui ont quitté le Québec, il faut aussi tenir compte des personnes qui sont venues s’établir au Québec. Pour les deux chiffres dont je vous fais part, sur ces 350 000 personnes, on fait la différence entre le nombre de personnes anglophones qui sont venues au Québec des autres provinces canadiennes et les personnes anglophones qui sont parties vers les autres provinces canadiennes. Il y a toujours plus d’anglophones du Québec qui quittent le Québec que ceux qui y viennent. C’est pour cette raison qu’on arrive au nombre de 350 000, ce qui représente une perte nette d’anglophones qui ont quitté le Québec.
C’est la même chose pour les allophones, avec un chiffre de 120 000. N’oubliez pas qu’on s’est arrêté à 2016. Je n’ai pas regardé les chiffres de 2021. On voit aussi une perte nette de 57 000 francophones qui sont allés s’établir ailleurs au Canada, par rapport aux francophones, assez peu nombreux, qui sont arrivés au Québec des autres provinces canadiennes, comme les Acadiens ou les Franco-Ontariens. En général, durant cette longue période, on remarque chez les anglophones une baisse beaucoup plus importante que chez les francophones et les allophones.
La sénatrice Gagné : Je crois que M. Jedwab a parlé de la qualité de l’expérience des immigrants. Ai-je raison?
M. Jedwab : Oui. J’ai dit simplement qu’on entend les demandes ou les besoins de la société d’accueil, on entend le gouvernement qui s’exprime sur ce qu’on attend des immigrants, mais on n’écoute pas d’assez près ce que souhaitent les immigrants qui arrivent ici. Sur le plan de l’intégration, c’est quelque chose dont il faut tenir compte. Cela va dans les deux sens. C’est une réconciliation entre les nouveaux arrivants et la société d’accueil, et pas strictement les besoins et les désirs de la société d’accueil.
Les immigrants ont des caractéristiques diverses dont il faut tenir compte dans leur intégration. Ce n’est pas une intégration unidimensionnelle, mais multidimensionnelle.
La sénatrice Gagné : Y a-t-il eu des études sur l’expérience des gens qui décident de venir s’établir au Québec pour savoir ce qui fait en sorte qu’ils souhaitent demeurer au pays et qu’ils s’intègrent à la société?
M. Jedwab : Il y a des études, et certaines ont même été effectuées par le gouvernement du Québec. Justement, pour ce qui est de l’immigration interprovinciale — dont M. Bourhis a parlé —, on a fait une étude qui montre qu’il y a une immigration secondaire assez importante de gens qui s’installent au Québec et qui décident, en l’espace de neuf ans, de quitter le Québec. Il s’agit, de façon disproportionnée, de personnes qui ne parlaient pas le français. Il faut donc conclure que les programmes de francisation sont importants. On en a vu d’autres, toutefois, qui parlaient le français et qui ont, dans ce laps de temps, quitté le Québec pour d’autres provinces.
Cela dit, j’aimerais compléter ce qu’a dit M. Bourhis. Dans les données plus récentes, pour la première fois depuis 50 ans, on voit un peu de stabilité sur le plan de la migration interprovinciale pour le Québec en général, et pas juste pour les anglophones. Cela fait en sorte que l’augmentation de la population anglophone sur cinq ans, que j’ai mentionnée plus tôt, a été assez étonnante, même si elle n’est pas énorme. C’était notamment en raison de l’immigration, permanente et temporaire. Lorsqu’on parle de 30 000 personnes en cinq ans, on parle de 6 000 personnes par année, ce qui n’est pas énorme, mais il s’agit d’une importante augmentation à cause du 5 % de pourcentage.
Comme nous le savons, au Québec et au Canada, l’immigration est pratiquement le seul apport à la population pour ce qui est de l’augmentation des effectifs partout au pays. La seule façon d’augmenter la communauté anglophone, c’est l’immigration. D’ailleurs, il en va de même pour l’ensemble de la population du Québec et pour la population francophone.
Le président : Merci de vos réponses.
La sénatrice Moncion : J’aimerais remercier les trois témoins, de même que les témoins précédents. Ils nous amènent à réfléchir sérieusement à la situation des anglophones et des allophones du Québec par rapport aux francophones à l’extérieur du Canada. On voit beaucoup de similitudes entre ce qui est vécu dans votre province et nous, qui sommes minoritaires dans d’autres provinces au Canada.
J’ai quelques questions pour M. Bourhis.
Vous avez parlé de gens qui ont quitté le Québec et de la perte d’anglophones et d’allophones qui ont quitté le Québec pour d’autres provinces. Existe-t-il des données sur les raisons pour lesquelles ces gens ont quitté le Québec? Selon la situation économique de notre pays, on remarque à certains moments particuliers qu’il y a beaucoup d’immigration, parce que des emplois sont disponibles dans certaines provinces et qu’on ne les retrouve pas, par exemple, dans la province où l’on habite. Or, avec le plein emploi que l’on connaît partout au Canada et le manque de main-d’œuvre, les gens auront tendance à rester dans leur milieu parce qu’il y a du travail; d’un point de vue financier, ils sont capables de fonctionner.
Avez-vous de l’information plus concrète à ce sujet?
M. Bourhis : Les données qu’utilisent les économistes depuis longtemps sont l’écart entre les possibilités d’emplois et la rémunération. C’est le meilleur prédicteur des transferts de populations interprovinciaux. Je ne parle pas des immigrants internationaux, mais uniquement de transferts interprovinciaux. Les personnes qui ont la citoyenneté canadienne, comme vous l’avez dit, iront dans la province qui offre les meilleurs emplois et les meilleurs salaires. Pour les économistes, c’est là le meilleur prédicteur.
Lorsqu’on fait des études plus qualitatives, on demande aux gens. On ne dispose pas d’énormes échantillons. J’ai fait une étude dans laquelle je me suis penché sur les étudiants de l’Université McGill nés au Québec; ce sont des étudiants anglophones. On leur a demandé pourquoi ils voudraient aller à l’extérieur du Québec. La première raison était pour avoir un meilleur emploi.
Comme autre raison, il y avait le fait d’avoir des connaissances, des amis ou de la famille qui se trouvaient ailleurs au Canada; je qualifierais ces raisons de socioaffectives. Une certaine partie des étudiants, statistiquement réalistes, disaient qu’ils se sentaient moins confortables au Québec en tant qu’anglophones nés au Québec. On parle seulement d’anglophones nés au Québec dont les parents étaient nés au Québec. Certains disaient qu’ils se sentaient moins à l’aise au Québec et allaient donc dans une autre province. C’est dans cet ordre de priorité qu’ils ont quitté le Québec.
Pour ce qui est des francophones qui désiraient quitter le Québec, leur décision était surtout motivée par l’emploi et les relations socioaffectives. Naturellement, il n’y avait aucun souci pour ce qui est de la discrimination, car ils sont majoritaires au Québec.
Ce sont les deux éléments les plus importants, soit un meilleur salaire et un meilleur emploi, et le souhait de se rapprocher de quelqu’un de cher et d’important du point de vue socioaffectif. Pour certains, il y avait une question d’inconfort.
C’est un peu ce que l’on peut dire sur les raisons que je connais.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie. Cette observation est intéressante, car tout cela peut s’appliquer à d’autres personnes qui choisissent de quitter une province anglophone, par exemple, pour aller dans une autre province anglophone. À un moment donné, la langue n’est peut-être plus un facteur; c’est plutôt l’emplacement, l’emploi ou la situation socioéconomique qui priment.
M. Bourhis : C’est exact.
La sénatrice Moncion : Un des témoins l’a mentionné, mais je n’ai pas retenu son nom. Qu’est-ce qui motive une personne à choisir le Québec comme premier lieu d’immigration? Peu importe la langue, vous avez parlé de l’espagnol et de gens qui empruntaient le chemin Roxham.
Qu’est-ce qui fait que les gens choisissent le Québec comme premier port d’entrée, si l’on veut? Vous avez expliqué pourquoi les gens quittaient le Québec, mais pourquoi choisiraient-ils le Québec en premier, et pas le reste du Canada?
M. Belkhodja : En fait, l’immigration est aussi une stratégie d’attraction. Le Québec est très présent sur le marché international de l’immigration au moyen de mécanismes qui visent à recruter et à faire de la promotion. Avant même de faire du recrutement, on parle de promotion : les Journées du Québec à Paris, les Journées du Québec à Bogota, les Journées du Québec à Marrakech, à Rabat, en Asie et en Inde. Le Canada le fait aussi. Toute la mécanique et la machine promotionnelle et d’attraction sont très importantes pour attirer des immigrants. Je parle davantage d’immigrants économiques. Les universités font la même chose.
En même temps, tout cela s’est complexifié à cause du rôle des employeurs au Canada et au Québec. On voit les employeurs qui sont beaucoup plus présents à la table et qui vont demander, réclamer et exiger qu’on augmente les seuils d’immigration. Le patronat va parler. Tout cela joue et c’est une mécanique importante qu’il faut comprendre.
Je dirais qu’il y a cet aspect, et d’un autre côté, vous parlez de Roxham. Je fais actuellement une recherche sur le chemin Roxham. J’accompagne un collectif de citoyens anglophones à Hemmingford, en Montérégie; ce sont des femmes qui traversent la frontière pour aider des migrants à traverser ce passage irrégulier. En même temps, c’est un geste de solidarité; c’est une autre catégorie. On ne veut pas nécessairement les avoir ici et on aimerait ne pas les voir et les rendre invisibles, mais sur le terrain, il se passe beaucoup de choses.
C’est un peu mon message : je connais moins les chiffres et les grandes tendances, mais j’ai beaucoup d’expérience et je travaille sur le terrain, que ce soit en immigration francophone ou par rapport à ce qui se passe au Québec avec la réalité anglophone. Il y a des acteurs qui font beaucoup de travail sur le terrain pour essayer d’accompagner, d’accueillir et d’intégrer ces personnes qui choisissent de venir au Québec.
La sénatrice Moncion : Merci, c’est très intéressant.
Monsieur Jedwab, vous avez parlé de « voie à double sens » pour les immigrants qui arrivent au Canada et qui ont certaines attentes par rapport au pays qu’ils quittent et à leur terre d’accueil. Vous avez mentionné qu’ils ne se retrouvent pas nécessairement et qu’ils ne se reconnaissent pas dans la nouvelle société qu’ils intègrent. Je crois que si je quittais le Canada, si j’allais au Portugal, disons, je ne m’attendrais peut-être pas, comme immigrante, à y retrouver une société aussi accueillante et qui voudrait reconnaître mes droits, par exemple.
Je me trompe peut-être — je vois votre visage —, mais je veux vous entendre davantage à ce sujet.
M. Jedwab : Je n’ai pas dit qu’ils ne se retrouvaient pas dans la société. Il est possible qu’ils ne se retrouvent pas dans la société, selon les mesures, lois ou autres adoptées par les gouvernements qui ont parfois l’air de les exclure. Je voulais simplement dire que l’immigration et l’intégration sont des processus d’adaptation. Ce n’est pas nécessairement une adaptation immédiate. Cela dépend des caractéristiques de l’immigrant, et c’est pourquoi il faut reconnaître la diversité de ces caractéristiques dans le processus d’intégration, qui n’est pas unidimensionnelle. C’est une adaptation, mais c’est aussi une pour la société d’accueil pour ce qui est de mieux comprendre les besoins de l’immigrant et de mieux inclure l’immigrant, tout en tenant compte de cette diversité que constitue l’immigration. C’est plutôt de cela que je parlais.
Permettez-moi de faire un peu de publicité pour une initiative de mon organisme qui s’appelle l’Indice canadien de mesure de l’intégration, ou ICMI. On peut le voir sur notre site Web; cet indice montre les écarts entre immigrants et non-immigrants dans 35 régions métropolitaines de recensement partout au Canada en quatre dimensions. On voit l’écart en matière économique tout en tenant compte des caractéristiques sociodémographiques. On va mesurer et comparer des pommes avec des pommes, si l’on veut.
Je trouve ceci très intéressant pour votre comité quand il s’agit de voir où l’intégration économique et d’autres dimensions de l’intégration fonctionnent mieux au Canada. Tout ceci est basé sur cette idée selon laquelle l’intégration est une « voie à double sens ». Il faut voir où sont ces écarts en matière de revenus, par exemple, lorsqu’on étudie un immigrant qui a les mêmes caractéristiques que le non-immigrant. Je vous invite à regarder cela si vous en avez la possibilité.
La sénatrice Moncion : Merci.
Le président : Merci. Nous arrivons à la fin de ce groupe de témoins. J’ai une question pour chacun d’entre vous. Je vous demanderai d’être brefs, compte tenu du temps qu’il nous reste.
Je rappelle que nous menons une étude sur l’immigration francophone en fonction du développement d’une stratégie sur l’immigration francophone. Nous cherchons à comprendre l’impact d’une stratégie en matière d’immigration francophone sur les communautés anglophones minoritaires du Québec. Chacun d’entre vous a parlé. Monsieur Belkhodja, vous avez parlé notamment de la question de la vitalité; monsieur Bourhis, vous avez parlé de l’impact des décisions du gouvernement du Québec sur l’érosion des institutions, notamment du côté des minorités anglophones; monsieur Jedwab, vous avez beaucoup parlé de sensibilisation.
À votre avis, quel rôle devrait jouer et quelles actions devrait poser le gouvernement fédéral, puisque c’est ce dont il s’agit ici, pour notamment agir sur la question de la vitalité dont M. Belkhodja a parlé, sur la question de la sensibilisation dont M. Jedwab a parlé et sur la question des enjeux liés aux actions du gouvernement du Québec visant la communauté anglophone du Québec dont M. Bourhis a parlé? Ma question s’adresse à vous trois et je vous invite à y répondre.
M. Belkhodja : Rapidement, il faudrait s’engager à vraiment reconnaître cette réalité d’une dynamique d’immigration au sein d’une communauté minoritaire, et donc de reconnaître qu’il y a bel et bien des choses qui se passent sur le terrain en milieu urbain dans certaines régions du Québec. Il y a des acteurs communautaires qui font déjà beaucoup de travail. Il y a des organismes à Montréal qui offrent des cours de conversation en anglais. Il y a vraiment une réalité de cette immigration qui n’est pas seulement l’image qu’on a d’un message très politique et d’une posture politique de la province et du gouvernement.
Je tiens à rappeler la transférabilité des expériences du projet de la stratégie nationale en matière d’immigration francophone; il faut voir qu’il y a des actions et des initiatives dans cette stratégie qui peuvent se transférer aussi au Québec. Je reviens encore avec ce modèle des communautés accueillantes ou d’immigration en région rurale. En fait, il faut créer un écosystème avec de multiples acteurs qui se préoccupent de donner une vitalité à leur communauté et d’accueillir de façon humaine tous les migrants qui viennent s’y installer.
Le président : Merci de cette réponse. Monsieur Bourhis?
M. Bourhis : Un autre exemple de ce que les gens font sur le terrain est qu’on a créé des jumelages interculturels qui ont commencé à l’UQAM. On avait des étudiants étrangers et de nouveaux immigrants qui apprenaient le français. Ils avaient du mal à rencontrer des Québécois francophones même à l’UQAM, simplement parce que les réseaux étaient étanches. On a créé des jumelages interculturels entre des immigrants qui apprenaient le français et des Québécois francophones de l’UQAM pour faire des rencontres de deux ou trois heures dans le cadre des cours qui étaient déjà donnés.
Je peux dire que l’accueil et la transformation des Québécois francophones qui ont rencontré des immigrants et qui les ont entendus parler leur parcours migratoire a fait un effet incroyable qui les aide à mieux accueillir les immigrants parce qu’ils comprennent mieux ce qui leur est arrivé. Les immigrants eux-mêmes sont ravis de rencontrer des Québécois et plusieurs ont bâti des amitiés, par ailleurs.
Il y a des contacts interpersonnels qu’on peut créer entre les immigrants. D’ailleurs, on le fait aussi entre les cégeps francophones et anglophones. La surprise est aussi grande : « Ah, les anglophones sont gentils. » Les anglophones disent : « On est pareil, on a plus de choses en commun que de différences. » Tout cela veut dire que les contacts interpersonnels dans les situations agréables ont un effet très positif pour tout le monde.
Le président : Merci, monsieur Bourhis.
M. Jedwab : En 2001, la commissaire aux langues officielles, Dyane Adam, m’a demandé de rédiger une feuille de route sur l’immigration et l’épanouissement des comités de langue officielle au Canada. À l’époque, j’ai écrit cette feuille de route pour le Commissariat aux langues officielles pour appuyer la vitalité de l’immigration, notamment l’immigration francophone. Il est intéressant que Mme Adam ait choisi un anglophone du Québec pour écrire ce document. Je mentionne cela pour souligner qu’il faut faire participer les anglophones du Québec au processus et il faut voir s’ils sont prêts — et je suis convaincu qu’ils le sont — à partager leurs expériences et leurs connaissances en matière d’immigration et d’accueil. Ils ont une vaste expérience à cet égard pour soutenir les francophones hors Québec et il serait préférable de ne pas les positionner comme des adversaires, ce qui est trop souvent le cas au Québec.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Belkhodja, monsieur Bourhis et monsieur Jedwab, de votre contribution à ce comité. Vos réflexions, vos commentaires et vos informations vont nous être utiles pour conclure cette étude. Je vous remercie de votre présence ici et de votre contribution à la société québécoise et canadienne.
Chers collègues, nous allons poursuivre la réunion à huis clos pour discuter de nos travaux.
(La séance se poursuit à huis clos.)