LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 24 avril 2023
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 18 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour poursuivre son étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis actuellement président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Loffreda : Bonsoir et bienvenue au comité. Tony Loffreda, Montréal, Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, division sénatoriale de Rougemont, au Québec
Le président : Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent.
Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles nous prenons la parole font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
[Traduction]
Nous poursuivons ce soir notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.
[Français]
Nous sommes heureux d’accueillir Antoine Désilets, directeur général de la Société Santé en français, et Jacinthe Desaulniers, présidente-directrice générale du Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario. Nous sommes aussi heureux d’accueillir, par vidéoconférence, Pierre-Louis Roisné, directeur général du Réseau Santé Nouvelle-Écosse, Frédérique Baudemont, directrice générale du Réseau Santé en français de la Saskatchewan, et enfin, Audrey Fournier, directrice générale de la Fédération franco-ténoise.
Bonsoir et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre les déclarations préliminaires de chaque intervenant, en commençant par M. Désilets. Une période de questions avec les sénateurs et sénatrices suivra. Monsieur Désilets, la parole est à vous.
Antoine Désilets, directeur général, Société Santé en français : Honorables sénateurs, la Société Santé en français est un organisme à but non lucratif qui augmente l’accès à des services de santé en français au Canada en collaboration avec 16 réseaux de santé provinciaux et territoriaux, dont quatre de mes collègues font partie.
Je tiens à vous féliciter de votre leadership et de l’initiative qui a été prise de lancer cette étude sur les services de santé pour les communautés de langue officielle vivant en situation minoritaire.
Je suis devant vous aujourd’hui pour parler de l’importance des services de santé en français au Canada.
Alors que près de 100 % des Canadiens utilisent des services de santé chaque année, les francophones ont encore un accès inéquitable à des services de qualité dans leur langue. Selon une récente consultation menée par Santé Canada en 2022, deux tiers des répondants francophones n’avaient pas accès ou avaient un accès partiel à des services de santé en français. On peut donc estimer à près de 700 000 le nombre de francophones en situation minoritaire qui sont directement touchés par leur accès aux services de santé en français.
La recherche le montre clairement; la langue est une dimension essentielle de la santé et la discordance linguistique est associée à une diminution importante de la qualité des services donnés et de la sécurité des usagers. Ceci se reflète par exemple dans des diagnostics moins fiables, des options de traitements plus limitées ou des séjours prolongés en milieu hospitalier, pour ne nommer que quelques enjeux.
La discordance linguistique affecte également vos chances de survie — une récente étude réalisée en Ontario en 2022 dévoilait que les risques de décès d’un usager francophone en situation de soins de longue durée diminuaient d’environ 25 % lorsqu’on éliminait les barrières linguistiques; c’est une différence considérable. Pour reprendre les mots de l’un des chercheurs de l’étude, « si vous réussissiez à inventer une pilule qui réduit vos risques de décès de 25 %, vous seriez millionnaires ».
Concrètement, l’absence de services de santé en français signifie l’internement prolongé et non volontaire d’un jeune dans la région de Barrie, en Ontario, dans un centre de santé mentale puisqu’il ne répondait pas bien aux traitements qui lui étaient offerts en anglais — ce jeune a passé deux semaines au lieu de trois jours en internement; c’est aussi une personne aînée à l’Île‑du-Prince-Édouard, atteinte de démence, qui passe des semaines sans parler à quelqu’un et qui est perçue comme une personne difficile jusqu’à ce qu’on utilise le français pour lui parler; une personne dans le Nord de l’Ontario à qui l’on ampute la mauvaise jambe, à la suite d’erreurs critiques de communication; une femme francophone de 64 ans au Manitoba qui décède d’une pneumonie non détectée dans un centre hospitalier parce qu’elle ne parlait pas anglais; elle avait été étiquetée comme une patiente difficile.
Ces quelques exemples sont des illustrations de situations tout à fait évitables. À ceux-ci s’ajoute un contexte minoritaire qui renforce l’iniquité en santé. Trop peu de ressources sont disponibles en français en matière de promotion d’habitudes de vie saines. Souvent, l’état de santé des communautés francophones n’est pas une priorité pour les provinces ou les territoires, et elle n’est pas mesurée.
Actuellement, il n’existe qu’un seul programme fédéral qui touche la promotion de la santé dans les langues officielles, et il porte sur la petite enfance. Ce programme est hautement nécessaire, mais plusieurs autres groupes ont également des besoins, comme les personnes aînées, les personnes qui vivent avec des enjeux de santé mentale, les jeunes et bien d’autres. L’absence de programmes de prévention de la santé en français est un facteur qui affecte l’état de santé de nos communautés.
Plusieurs éléments positifs pour la santé en français se pointent à l’horizon. Le projet de loi C-13 indique clairement la santé comme une composante essentielle de la vitalité des communautés de langue officielle. Malgré l’absence de clauses linguistiques dans le projet de loi C-13 — une demande répétée par plusieurs organismes francophones —, on retrouve cependant, dans les accords bilatéraux encadrent les transferts de santé, un « principe d’égalité d’accès pour les groupes en quête d’équité, telles les communautés de langue officielle qui vivent en situation minoritaire ».
Un nouveau plan d’action sera lancé prochainement, et nous espérons que tout cela amènera des investissements additionnels. Malgré ces possibilités, l’accès à des services de santé en français fait face à plusieurs menaces, comme des pénuries de main-d’œuvre importantes qui touchent le secteur de la santé et affectent de façon disproportionnée les communautés minoritaires. Il y a encore des défis majeurs en ce qui a trait à la reconnaissance des diplômes des immigrants francophones. Il existe un potentiel sous-exploité de compétences en santé au Canada.
Nous manquons encore de données systémiques claires sur la disponibilité des services de santé en français, mais aussi sur les communautés francophones elles-mêmes et leurs besoins. La santé mentale demeure un enjeu important, tant pour ce qui est de l’accès à un professionnel que de la prévention.
Pour conclure mon intervention, il existe, hors de tout doute, des iniquités liées à la langue dans les systèmes de santé au Canada. Cette iniquité a un coût. Étant donné que plusieurs gouvernements tardent à développer une offre réelle de services de santé dans la langue des communautés francophones, ce coût prend aujourd’hui la forme de douleurs physiques et mentales, d’incompréhension chez les francophones, d’anxiété, d’accidents attribuables à une mauvaise communication et j’en passe. Tous les jours, en tant que communautés francophones, nous payons ce coût des iniquités en santé. On peut et on doit faire autrement. Merci de m’avoir écouté.
Le président : Merci, monsieur Désilets. Nous allons maintenant entendre Mme Desaulniers.
Jacinthe Desaulniers, présidente-directrice générale, Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, merci de m’offrir cette occasion de vous adresser la parole dans le cadre de cette étude sur les services de santé dans la langue de la minorité. Cette étude est d’une importance capitale pour les communautés de langue officielle, car quand on est malade, on n’est pas bilingue.
Tout d’abord, je voudrais parler de l’accès aux services de santé dans la langue de la minorité, qui est un enjeu qui persiste et qui s’est certes accentué avec la COVID.
À titre d’exemple, l’Ontario est l’une des quelques provinces chanceuses où il existe une loi provinciale sur les services de santé depuis 1986 et où il y a une forte concentration de francophones — plus de 600 000. Je suis triste de vous dire que, dans la moitié des régions, donc la moitié de la province, qu’il n’y a aucune offre de service de santé désigné, selon cette Loi sur les services en français.
Cela signifie qu’il n’y a aucun service de soins de santé garanti sur la moitié du territoire, aucun lit de soins de longue durée, aucun service en matière de santé mentale et de dépendances, aucun service de soins primaires, aucun service de télémédecine, et je pourrais continuer. Donc, si des francophones reçoivent des services de santé en français, c’est le fruit d’un heureux hasard.
De plus, la COVID a malheureusement fragilisé l’offre de services de santé, ce qui a parfois rendu les services désignés non disponibles en français, et ce, même dans nos institutions phares, comme Montfort et Hawkesbury, pour ne nommer que celles-là.
Nous savons tous que l’ingrédient essentiel pour offrir des services de santé en français, ce sont des ressources humaines qui sont capables de communiquer en français. Nous savons aussi qu’il y a une grande pénurie de main-d’œuvre sans précédent qui touche tous les professionnels de la santé. Ce qui est moins connu, c’est le fait qu’il y a une sous-valorisation et une sous-optimisation chronique des ressources humaines capables de livrer des services en français.
À titre d’exemple, toujours en Ontario, il y a approximativement 3 500 postes désignés bilingues non comblés, mais il y a autant de ressources humaines capables de livrer des services dans des postes non désignés.
C’est un coût d’opportunité énorme, un désalignement entre la capacité, l’offre et les besoins.
Enfin, je vous soumets respectueusement que le gouvernement fédéral doit continuer de jouer un rôle de leadership dans le développement des données sur les services de santé en langue officielle minoritaire et dans la promotion de la gouvernance de ces données par les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Je m’explique. Les données que je viens de citer sur l’accès et les ressources humaines ont été recueillies et analysées par OZi, un organisme apparenté au Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario, créé par la minorité pour répondre à un besoin criant de données.
Aujourd’hui, OZi est un organisme fédéral à but non lucratif financé en grande partie par des transferts fédéraux aux provinces, dont l’Ontario. Cependant, en 2020, après trois ans de collecte et d’analyse de données par OZi, l’Ontario a décidé de rapatrier cette collecte et cette analyse de données ainsi que toute la propriété intellectuelle s’y rattachant.
Depuis ce temps, les données ne sont plus disponibles publiquement. Les données ne sont plus disponibles pour la communauté francophone. Donc, des analyses secondaires, comme celle sur les ressources humaines, ne peuvent plus être commanditées par des organismes communautaires francophones et utilisées pour assurer une meilleure planification du système de santé. C’est une grande perte pour les communautés, et c’est un investissement fédéral non rentabilisé.
En conclusion, je ferai deux constats et une recommandation.
Premier constat : l’accès à des services en santé en français de qualité demeure un enjeu important pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Deuxième constat : les ressources humaines qui sont en mesure de livrer des services en français ne sont pas optimisées.
J’ai aussi une recommandation : le gouvernement fédéral a un rôle de leadership à jouer, soit celui de s’assurer que des données sur l’offre, la demande et l’accès à des services de santé aux communautés de langue officielle en situation minoritaire sont recueillies, analysées et gouvernées par ces communautés.
Merci de votre écoute, et au plaisir de poursuivre la conversation
Le président : Merci beaucoup de votre présentation, madame Desaulniers
Je donne maintenant la parole à la directrice générale du Réseau Santé en français de la Saskatchewan, Mme Frédérique Baudemont. La parole est à vous.
Frédérique Baudemont, directrice générale, Réseau Santé en français de la Saskatchewan : Tout d’abord, j’aimerais remercier les membres du comité de recevoir les représentants de nos régions aujourd’hui. Sénatrice Raymonde Gagné, vous êtes l’une des fondatrices du Réseau Santé en français du Manitoba, et votre engagement pour la francophonie est reconnu par la communauté tout entière.
Je tiens en particulier à mentionner ma collègue Annie Bédard, qui m’a fait part de l’importance du travail que vous avez fait au Manitoba.
Je voudrais tout d’abord parler de quelques éléments qui illustrent la réalité de notre région et de nos provinces.
D’abord, il y a un poids démographique relativement faible : en 2016, les personnes parlant français et anglais représentaient 8,6 % au Manitoba, 6,6 % en Alberta, 6,8 % en Colombie-Britannique et 4,7 % en Saskatchewan.
De plus, nous avons une population francophone dispersée sur un grand territoire, avec quelques concentrations dans des centres urbains; Saint-Boniface en est un exemple, tout comme les quelques grandes villes des autres provinces et territoires, mais il y a aussi beaucoup de francophones qui vivent dans des communautés rurales et qui sont doublement isolés.
Il y a aussi un contexte législatif peu favorable à l’engagement; une absence de lois par rapport à l’accès aux services de santé en français; enfin, il y a parfois des politiques de services en langue française qui sont, la plupart du temps, peu ou pas prescriptives.
Au Manitoba, je dois dire qu’il y a quand même quatre des cinq bureaux régionaux de la santé qui sont désignés bilingues et qu’il y a plusieurs établissements, comme l’Hôpital de Saint-Boniface. Je ne vais pas en dire plus sur le Manitoba, parce que je crois que la sénatrice Gagné a beaucoup plus de connaissances que moi.
Cependant, il faut reconnaître que des systèmes désignés bilingues sont à peu près inexistants dans les autres provinces. Les gouvernements, ministères et autres structures en santé n’ont pas, la plupart du temps, le réflexe d’inclure une lentille francophone dans leurs stratégies et leur analyse des besoins en santé.
L’absence de clauses linguistiques dans les ententes de transferts en santé aboutit en général à l’absence d’engagement de nos systèmes de santé pour ce qui est d’offrir des services de santé en français aux francophones.
Pourtant, on a des espoirs et des attentes.
En Saskatchewan, au sein de l’autorité de santé provinciale, une première initiative a été mise en œuvre pour identifier la capacité bilingue du système de santé. Commencer à sensibiliser le système à l’offre active, et financer une ligne d’écoute empathique — la ligne TAO Tel-Aide —, pour nous, c’est particulièrement important, surtout après cette période de la COVID, où l’on a vu un accroissement des problèmes d’anxiété et de dépression.
Cette initiative, qui comporte plusieurs volets, est encourageante, mais elle est liée à un financement ponctuel de Santé Canada qui a pris fin le 31 mars 2023.
Un investissement à long terme permettrait de passer aux étapes suivantes, soit mettre en place l’offre active de services de santé en français, pérenniser l’accès à la ligne d’écoute et outiller et appuyer les professionnels de la santé.
La signature des accords bilatéraux en santé, dont M. Désilets nous a parlé, est une source d’espoir. Nous avons beaucoup d’attentes par rapport à la clause qui touche l’équité, en particulier pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. En Alberta, notre collègue Paul Denis est très encouragé par l’ouverture manifestée par les ministres et les fonctionnaires. Le Réseau santé Alberta a été invité à préparer un plan d’action pour la communauté francophone. Toutefois, tout cela dépend du bon vouloir des décideurs et l’approche n’est pas la même partout.
Je vais prendre un peu de temps pour parler du rôle de nos réseaux en l’absence de services de santé structurés. Les réseaux ont un rôle primordial à jouer, en particulier là où les francophones n’ont pas ou ont peu d’accès à des services en français.
En Saskatchewan, nous avons développé un système d’accompagnement des patients à leurs rendez-vous médicaux. Près de 90 % des utilisateurs sont de nouveaux arrivants.
Nous avons développé, en partenariat avec la Faculté de médecine de Saskatoon et l’Université d’Ottawa, une formation de patients simulés en compétence linguistique destinée aux étudiants en santé. Aujourd’hui, des patients sont formés dans tout le pays et nous offrons des cliniques simulées à l’échelle nationale.
Nos réseaux de santé pallient l’absence d’offre active en identifiant les professionnels de la santé parlant français chez nous, et en publiant cette information pour les francophones.
Au-delà des soins de santé, nous faisons appel aux professionnels de la santé de chez nous pour appuyer des communautés en matière de promotion de la santé et de prévention dans nos forums, nos colloques et nos ateliers; chacun des réseaux tient ce genre d’activités.
Nos réseaux de santé partout au pays ont des expertises, et il nous semble très important de les reconnaître, les utiliser et les exploiter.
En conclusion, j’aimerais dire que tout en respectant les compétences provinciales, il est important d’investir à long terme pour permettre à tous les joueurs en santé d’agir ensemble pour offrir activement des services de santé en français à nos populations francophones vivant en milieu particulièrement minoritaire.
Aujourd’hui, l’accès aux services de santé dépend encore trop souvent de financements ponctuels et aléatoires et du bon vouloir des décideurs.
Nos espoirs vont vers la mise en œuvre d’une vision à long terme, notamment dans le cadre du nouveau Plan d’action pour les langues officielles.
Je vous remercie.
Le président : Merci, madame Baudemont. Je donne maintenant la parole à Mme Audrey Fournier, directrice générale de la Fédération franco-ténoise. La parole est à vous, madame Fournier.
Audrey Fournier, directrice générale, Fédération franco-ténoise : Je m’appelle Audrey Fournier et je suis directrice générale de la Fédération franco-ténoise, qui est l’organisme responsable du Réseau TNO Santé, soit le réseau de santé en français des Territoires du Nord-Ouest.
Merci aux membres du comité sénatorial de nous offrir aujourd’hui l’occasion de parler de notre contexte particulier et de mettre en lumière certains enjeux relatifs à la santé que vivent nos communautés de langue officielle en situation minoritaire. Pour ces communautés, l’accès à des services de santé équitables en français reste un vrai enjeu, et ce, même si les trois territoires, le Nunavut, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ont une loi reconnaissant le français comme langue officielle.
Aujourd’hui, je vais surtout parler du contexte des Territoires du Nord-Ouest, parce que c’est celui que je connais le mieux, mais plusieurs constats vont quand même résonner avec la réalité des autres territoires. Aux Territoires du Nord-Ouest, en raison de la loi territoriale, le gouvernement est dans l’obligation de donner des services en français aux citoyens. Nous avons d’ailleurs plusieurs acquis intéressants, dont un Secrétariat aux affaires francophones, un commissariat aux langues, des normes sur les services et communications en français et, bien sûr, un concept d’offre active de services en français.
Nous sommes en bonne position comparativement à d’autres communautés au Canada. Cependant, et malgré un travail évident de la part du gouvernement territorial pour rendre les communications disponibles en français, obtenir un service de santé en français reste vraiment difficile. Dans un sondage mené par le gouvernement territorial sur la satisfaction des usagers quant aux services en français, on a appris que, dans 67 % des cas rapportés, le patient francophone n’a pas reçu de services en français.
L’offre active, elle, est faite dans moins de 50 % des cas et même lorsqu’elle est faite, cela ne résulte pas nécessairement en un service donné en français par la suite. Ces chiffres sont assez inquiétants pour nous et ont un impact sur nos communautés. Comme mon collègue l’a mentionné précédemment, ne pas recevoir de service dans sa langue peut avoir des impacts négatifs sur le patient et sur sa santé.
Plus globalement, l’absence de services en français a aussi un impact sur la vitalité de nos communautés. On a, par exemple, vu quelques familles qui ont dû faire le choix déchirant de quitter leur communauté parce qu’elles n’arrivaient pas à obtenir des services en orthophonie ou en pédopsychiatrie pour leurs enfants. Afin de diminuer les iniquités en santé et d’améliorer la santé des communautés, il faut donc aller au-delà de l’offre active et planifier la prestation de services de santé en français. Il faut connaître les besoins, avoir des données, former et recruter du personnel bilingue. Depuis des années, dans les Territoires du Nord-Ouest, on repousse la désignation de postes bilingues par peur de nuire au reste de la population en gardant des postes vacants, parce qu’il est plus difficile de recruter des professionnels bilingues.
Les communautés francophones ne devraient pas écoper pour des raisons administratives ou par manque de volonté politique. Les habitants des territoires sont déjà vulnérables en raison de l’éloignement géographique et ils doivent souvent naviguer au sein d’un deuxième système de santé pour avoir accès à des services spécialisés dans une autre province. Cela augmente considérablement les défis de navigation, de coordination et de communications et les risques pour le patient.
Pour favoriser l’amélioration de la santé des communautés de langue officielle en situation minoritaire, nous encourageons le gouvernement fédéral à être proactif et à jouer un rôle de leader dans ce dossier. Dans les Territoires du Nord-Ouest, par exemple, ce sont 100 % des fonds investis pour le français qui viennent du fédéral. Celui-ci peut exiger une reddition de comptes précise et exhaustive, pour éviter que les fonds ne servent à créer une apparence de services et qu’ils servent bel et bien à augmenter la capacité du système de santé à répondre aux besoins des patients dans leur langue.
De la même façon, nous pensons que des clauses linguistiques dans les ententes fédérales-territoriales en matière de santé et de services sociaux assureraient une responsabilisation des gouvernements territoriaux et un meilleur accès à des services de santé en français pour nos communautés. Elles sont, en ce sens, un outil indispensable à une réelle équité en santé partout au Canada. Merci.
Le président : Merci, madame Fournier.
Pierre-Louis Roisné, directeur général, Réseau Santé Nouvelle-Écosse : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, les communautés acadiennes et francophones vous remercient de cette occasion de se présenter devant vous et de contribuer à cette étude essentielle sur les services de santé dans la langue de la minorité. Je m’appelle Pierre Roisné et je suis directeur de Réseau Santé Nouvelle-Écosse.
En Nouvelle-Écosse comme dans d’autres provinces, les soins de santé en français sont confrontés à des enjeux identiques. Les services de santé en français sont aléatoires, reposent sur la bonne volonté et ne sont pas organisés de façon systémique.
Il y a un manque de connaissances ou de sensibilisation sur l’importance de la langue dans l’offre de soins de santé ainsi que sur les obligations légales, voire même l’existence des communautés acadiennes et francophones. Les informations sur la langue du patient ou sur les professionnels de santé ne sont pas collectées. Ces enjeux ont un impact considérable sur la santé et le mieux-être des membres de la communauté francophone, en particulier les personnes aînées.
En Nouvelle-Écosse, la population francophone est plus âgée que dans l’ensemble de la population. Les variables statistiques démontrent également que les personnes francophones âgées de 65 ans et plus sont plus susceptibles d’être désavantagées par rapport aux déterminants de la santé que l’ensemble de la population. Malgré cela, les personnes aînées acadiennes et francophones, ainsi que leurs familles, doivent composer avec une absence de stratégie désignée pour les services de santé en français.
Dans certains comtés de la Nouvelle-Écosse, une personne aînée sur trois est francophone. Cependant, aucun foyer ou partie de foyer n’est désigné bilingue et il n’y a aucune offre structurée de services de santé en français. Même si elle est une prémisse essentielle à toute planification des services de santé, la langue des patients n’est pas captée de façon systémique. Dans une étude réalisée l’année dernière auprès des foyers de soins de longue durée, la majorité des établissements répondants ont indiqué qu’ils ne disposaient d’aucun mécanisme de collecte de données sur les langues parlées par les résidants.
Ces barrières linguistiques ont un impact non seulement sur les personnes aînées, mais également sur leurs familles. Une membre de la communauté m’a dit qu’elle avait été soulagée que sa mère meure à l’hôpital plutôt que d’être placée dans un foyer de soins de longue durée au moment de la COVID. À l’hôpital, elle pouvait être présente pour traduire les indications du personnel hospitalier et accompagner sa mère. Placée dans un foyer, sa mère, souffrant de démence, n’aurait obtenu aucun service en français, et sa fille aurait dû vivre en se sentant coupable d’avoir laissé mourir sa mère complètement isolée.
Pourtant, des initiatives en Ontario, au Manitoba ou à l’Île-du-Prince-Édouard ont montré qu’il était possible de mettre en place des environnements adaptés permettant d’assurer une qualité de soins et un environnement adapté aux personnes aînées francophones afin qu’elles vieillissent et meurent dignement.
Le vieillissement de la population au Canada va engendrer une augmentation de la demande de services de soins à domicile et en milieu communautaire. En effet, la plupart des aînés souhaitent vieillir chez eux, et ce, même lorsqu’ils souffrent d’un problème de santé à long terme limitant leur autonomie. Il est crucial de mettre en place des stratégies visant l’offre de soins de santé de qualité et en français au domicile des personnes aînées.
Certes, les lacunes sont nombreuses. En 2020, dans le but de mieux comprendre les besoins en soins à domicile de la population acadienne et francophone, l’autorité de la santé de la Nouvelle-Écosse s’est associée au Réseau Santé Nouvelle-Écosse et à d’autres partenaires communautaires afin de lancer l’initiative L’endroit où nous vivons : Comprendre les besoins en soins à domicile de la population acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse.
Cette initiative visait à demander l’avis de la population acadienne et francophone sur les soins à domicile en consultant directement les clients, les proches aidants et les membres de la communauté. Plusieurs enjeux ont été identifiés par les clients acadiens et francophones : le manque de ressources parlant français, les clients acadiens et francophones qui ne sont pas au courant des services offerts au moyen du programme de soins en continu, le manque de sensibilisation culturelle des professionnels de la santé, le manque de régions pouvant offrir des services à domicile en français et l’absence d’un processus établi pour identifier la langue de communication préférée du patient.
De nombreux défis existent, mais l’expertise est disponible et bien des initiatives ont fait leurs preuves. De même, les partenaires provinciaux, qu’ils soient des partenaires communautaires ou les autorités de la santé, sont au rendez-vous. Ainsi, je veux saluer les efforts de l’autorité de la santé de la Nouvelle-Écosse, et en particulier du département de soins en continu qui veut être associé à ces discussions.
En conclusion, je reprends les mots des personnes aînées de nos communautés qui, confrontées à leur vieillissement, nous demandent très simplement et très fortement : « Aidez-nous à ne pas mourir en anglais. »
Merci de votre attention.
Le président : Merci beaucoup pour vos présentations qui soulèvent des enjeux importants. Nous allons maintenant passer à la période des questions et des réponses. Je demanderais aux membres du comité présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette s’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité dans la salle.
Honorables sénateurs et sénatrices, comme vous le voyez, nous avons plusieurs intervenants. Nous allons essayer de respecter les cinq minutes habituelles pour les questions et les réponses, afin que nous puissions entendre tout le monde. Donc, nous allons commencer dans l’ordre. Je vais donner la parole à la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Merci à tous les témoins d’être avec nous ce soir. Ma question s’adresse à M. Désilets et concerne la consultation entre la Société Santé en français, les réseaux de la santé en français et le gouvernement fédéral. Êtes-vous satisfait des mécanismes de consultation en place? Sont-ils efficaces? Doivent-ils être améliorés et si oui, par quels moyens?
M. Désilets : Je vous remercie de la question. Je pense que les mécanismes de consultation sont assez efficaces. La dernière consultation a récolté des réponses de plus de 1 500 répondants francophones et anglophones; sur le plan de la consultation pour un ministère, c’est très élevé. C’était dans le cadre de l’élaboration du Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023. En ce qui concerne l’efficacité des consultations, je pense qu’elles ne génèrent pas toujours les résultats escomptés. Avec le projet de loi C-13, on a vu qu’on avait besoin d’une agence centrale pour s’assurer que les différents ministères agissent de la même façon.
Le rôle de Santé Canada doit être bien défini dans le plan d’action et s’aligner aux objectifs du plan; il y aura du travail à ce niveau. L’enjeu n’est pas lié à la consultation, mais plutôt à la collaboration.
La sénatrice Poirier : Tenez-vous des consultations avec le gouvernement?
M. Désilets : Avec le ministère, on a deux rencontres par année du comité consultatif sur les communautés de langue officielle et il y a des consultations ponctuelles, dont celle de 2022 dont je vous ai parlé.
La sénatrice Poirier : Ma deuxième question s’adresse aussi à M. Désilets et concerne la reconnaissance des titres de compétences étrangers pour faciliter la mobilité des travailleurs de la santé partout au pays. Avez-vous des recommandations à faire au gouvernement fédéral afin d’améliorer ces compétences? Selon vous, quel rôle les différentes associations professionnelles peuvent-elles jouer dans la reconnaissance des titres de compétences étrangers?
M. Désilets : C’est une bonne question. En ce qui a trait à la reconnaissance des diplômes, je pense qu’au fédéral, on pourrait reconnaître un seul examen d’entrée aux différentes professions. Beaucoup de provinces et territoires font leurs propres choix, ce qui amène maintenant des qualifications différentes, par exemple, entre les infirmières formées au Québec et celles qui sont formées au Nouveau-Brunswick. Ce ne sont pas les mêmes tests.
On peut ajouter à cela des ententes provinciales avec d’autres pays sources d’immigration, ce qui crée également des écarts de mobilité. Par exemple, au Québec, il y a une entente avec la France, grâce à laquelle les gens peuvent venir au pays et se faire reformer assez rapidement, ce qui n’est pas possible à certains endroits. D’autres provinces veulent suivre cet exemple et recréer cela; le Nouveau-Brunswick progresse dans cette voie actuellement.
Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins d’être ici ce soir et bienvenue au Sénat. Parlons de notre Programme pour les langues officielles en santé (PLOS). Quels ont été les principaux résultats atteints avec ce programme? Quel impact a-t-il eu dans vos communautés? Corrigera-t-il certaines lacunes ou certains manquements que vous avez mentionnés? Sinon, pourquoi?
M. Désilets : J’aimerais vous décrire rapidement notre modèle d’intervention. Nous n’offrons aucun service en français directement. Nous sommes financés grâce à des fonds fédéraux. Notre rôle est d’influencer les acteurs du secteur de la santé dans les provinces et les territoires afin qu’ils puissent apporter les changements nécessaires.
En ce qui concerne les retombées, au cours des 20 dernières années — Santé Canada nous appuie depuis 20 ans —, nous avons bâti des milliers de partenariats partout au pays. Vous savez que la santé est un environnement très complexe. Cela nous a permis de positionner les réseaux, et il y a eu une influence sur les différents cadres législatifs dans certaines provinces. Au cours des cinq dernières années, on a commencé à bâtir des outils structurants et permanents et une offre de service régulière. Notre rôle est d’engager, influencer et mobiliser les connaissances, puis de développer des capacités qui permettront à ces gens de réaliser les changements que l’on veut obtenir.
Il y a souvent un recul de nos acquis. Il faut parfois juste l’élection d’un gouvernement ou le départ d’un champion au sein d’un ministère; il y a plusieurs raisons qui nous amènent à faire des gains ou des reculs. On fait deux pas devant, un pas derrière; c’est une situation très courante sur le terrain qui affecte notre capacité à provoquer des changements durables.
Le sénateur Loffreda : La langue est un facteur déterminant de la santé, nous sommes tous d’accord là-dessus. C’est un enjeu, et nous avons entendu parler des lacunes et des manquements partout au pays. Comment pouvons-nous y remédier? Avons-nous suffisamment de médecins et de professionnels de la santé pour remédier aux lacunes constatées dans l’ensemble du pays actuellement? On le voit partout, dans n’importe quelle ville : il y a des lacunes majeures. Je suis tout à fait d’accord pour dire que la langue est un facteur déterminant de la santé. Vous avez parlé de 25 % de réduction de la mortalité si on parle dans la langue du patient; c’est incroyable. Comment peut-on remédier à une telle situation?
Mme Desaulniers : Si je peux me permettre de répondre... On aimerait avoir une réponse à votre question, mais pour cela, il faudrait avoir des données très précises. J’ai eu la chance d’en partager quelques-unes avec vous pour l’Ontario, parce qu’il y a eu une initiative visant à colliger des données très précises. Donc, malheureusement, on n’a pas cette information.
Les ordres professionnels ne captent pas cela régulièrement; c’est très variable selon la province. Ce qu’on a comme information est malheureusement anecdotique, grâce aux données dont je vous ai fait part.
Lorsqu’on regarde l’Ontario — il y a des pénuries qui s’en viennent —, on voit qu’il y a vraiment une sous-optimisation des ressources et qu’on pourrait faire des gains considérables s’il y avait un meilleur alignement entre les compétences linguistiques, les besoins et les lieux où l’offre de services est demandée par les patients. Il est possible de faire des gains importants avec les données que nous avons.
Il y a une étude datant de plusieurs années — je sais que vous remplacez la sénatrice Moncion — dans le Nord de l’Ontario, qui mentionnait qu’il y avait suffisamment de médecins francophones en Ontario, mais qu’ils ne sont pas bien répartis. Récemment, nous avons eu la chance de faire du travail avec OZi, à l’Île-du-Prince-Édouard, qui a inclus l’identité linguistique sur la carte-santé. Grâce à cela, on peut regarder les deux côtés de l’équation et savoir où est la demande et où les gens se présentent. On a également regardé des données de capacité et on s’est rendu compte qu’on pourrait augmenter à plus de 50 % la capacité d’offrir des services en français aux francophones en faisant simplement ce meilleur alignement.
Le sénateur Loffreda : Donc, c’est une question de planification et de stratégie partout au pays afin d’améliorer le tout.
Mme Desaulniers : Oui, exactement.
La sénatrice Gagné : Bonsoir à tous. Merci d’être là et de prendre la parole au nom de vos communautés, des réseaux et de la Société Santé en français. C’est important de pouvoir avoir cet échange.
Je voulais revenir à un commentaire que vous avez fait, monsieur Désilets, sur les clauses linguistiques. J’aimerais souligner qu’il y a eu des amendements apportés à l’étape de l’examen en comité à la Chambre des communes en ce qui a trait à l’inclusion de dispositions linguistiques dans les ententes entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Cela oblige à tenir une discussion afin que cela ne passe pas sous le radar.
J’aimerais également mentionner que l’inclusion des clauses linguistiques est apparue comme une priorité dans le rapport sommaire de consultation publié par Santé Canada en 2022.
Lorsqu’on a questionné le ministre de la Santé sur cet enjeu la semaine dernière, il a mentionné qu’il était confiant en ce qui concerne les dispositions incluses dans les ententes de transferts en santé négociées récemment avec les provinces et les territoires.
Je me suis posé la question : avez-vous pris connaissance des ententes, et est-ce que ces dernières contiennent des clauses linguistiques?
M. Désilets : Merci, madame la sénatrice Gagné.
Merci de remettre les pendules à l’heure. Ce n’était pas clair dans mon introduction, mais j’apprécie énormément le travail que le comité a fait pour étudier le projet de loi C-13; vous avez fait de l’excellent travail.
Effectivement, j’ai entendu M. Duclos affirmer cela; il y a aussi beaucoup de bonne volonté et il faut absolument le souligner. Actuellement, il y a des accords bilatéraux entre le gouvernement fédéral et les provinces qui comprennent un principe d’égalité d’accès. Ce qui reste à faire, c’est de définir un plan d’action de mise en œuvre de ce principe.
À ce moment-ci, nous n’avons pas obtenu de réponse claire des intervenants fédéraux et provinciaux pour savoir à quoi ressemble un principe d’égalité d’accès. On a certainement un rôle à jouer comme organisme pour fournir une réponse à la question, mais ce principe reste à définir et il y a un risque qu’il le soit par la bonne volonté politique à différents endroits.
La sénatrice Gagné : Pour revenir à cette question du principe d’égalité, le fédéral a tout de même le pouvoir de dépenser, à toutes fins utiles, car c’est la Loi canadienne sur la santé qui régit ces accords et ces ententes, l’octroi des transferts aux provinces, etc.
J’aimerais que vous nous disiez si vous croyez que le principe d’accessibilité dans cette loi couvre l’accès équitable pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
M. Désilets : Je ne suis pas légiste, donc c’est une lecture...
Ma compréhension du principe d’accessibilité, c’est une accessibilité sur les plans financier et monétaire. Cela ne touche pas l’accessibilité en ce qui concerne les résultats en santé.
Notre étude de la Loi canadienne sur la santé nous a montré que c’est une loi qui assure l’offre de programmes des systèmes de santé publics au Canada, mais pas sur le plan des résultats attendus pour les différentes populations.
Pour lier une autre réponse à celle-ci, comme on sait qu’il manque des données sur les états de santé et sur les services disponibles, même si le principe d’accessibilité nous permettait d’obtenir ces données — hypothétiquement, mais ce n’est pas le cas —, cela nous prendrait quand même les meilleures données pour déterminer s’il y a vraiment des incidences. Je vous dirais que c’est une bonne piste, mais que cela ne nous a pas aidés jusqu’à maintenant.
La sénatrice Gagné : Est-ce que je peux poser une dernière question?
Faudrait-il revoir la Loi canadienne sur la santé pour y inclure un engagement spécifique en matière de langues officielles?
M. Désilets : C’est une excellente question. Je pense qu’on peut toujours améliorer nos différentes lois. Il y a probablement différents principes qu’on veut voir en santé au Canada et qu’on pourrait jumeler à cette loi.
Ma compréhension, c’est que l’objectif de la Loi canadienne sur la santé, c’est de couvrir des systèmes publics. Je crois que, dans les accords bilatéraux qu’on a mentionnés précédemment, si on peut s’entendre sur des plans d’action clairs, sur une reddition de comptes claire et sur une collecte de données qui ventile celles-ci par langue officielle, je pense qu’on a peut-être en main une solution temporaire, qui n’est peut-être pas pérenne, mais qui nous permettrait d’avancer et de faire des progrès.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à qui voudra y répondre.
Devant le constat que vous avez tous fait par rapport à la situation du français en matière de soins de santé et au manque de ressources pour offrir ces services à la population, comment voyez-vous la venue de l’intelligence artificielle pour offrir des services virtuels de télémédecine ou d’autres genres de services?
Est-ce que cela pourrait se faire en français? Comment voyez-vous cela?
Le président : Qui veut répondre à cette question? Je pense à Mme Baudemont, mais aussi à d’autres qui pourraient répondre à cette question par rapport aux territoires très dispersés... Quel rôle peut jouer la télémédecine dans ce sens?
Qui voudrait répondre? Je ne sais pas si je trahis la question de la sénatrice en parlant d’intelligence artificielle.
M. Désilets : Merci de la question, je n’avais pas prévu de parler d’intelligence artificielle aujourd’hui, mais je pense que vous êtes manifestement à l’avant-garde. Comme j’ai utilisé moi‑même récemment ChatGPT pour faire des tests, cela peut être effrayant ce que cela peut faire.
Il y a un lien qui a été fait avec la télémédecine. La télémédecine, c’est vraiment la prestation de services existants de façon différente. L’intelligence artificielle permettrait de renforcer certains services. Je pense que l’intelligence artificielle, de facto, n’a pas vraiment d’enjeux linguistiques, ou du moins ne semble pas avoir beaucoup d’enjeux linguistiques, selon ma compréhension des choses.
Je pense que cela peut aider sur le plan du fardeau des diagnostics, mais on aura toujours besoin de professionnels de la santé. On parle souvent de la pénurie de main-d’œuvre. Pour être très transparent, ce sont tous les Canadiens et les Canadiennes qui en souffriront à l’avenir en santé. Il n’y a pas assez de médecins et pas assez de professionnels. Il n’y a pas de raisons pour que les francophones doivent en souffrir davantage.
Je crois que des moyens comme l’intelligence artificielle, ce sont des choses qui sont complètement à explorer, mais surtout dans la perspective du système de soins de santé canadien et dans un sens plus large.
La sénatrice Mégie : En résumé, est-ce que la télémédecine vous a servi pour offrir des soins de santé en français?
M. Désilets : L’expérience de la pandémie a favorisé l’expansion des services de télémédecine. La télémédecine, c’est une autre façon d’offrir un service qui est préexistant. On vit encore avec l’arrivée ou la croissance de la télémédecine, et il y a encore des enjeux sur le plan de la continuité des services. Comment s’assurer que le service de la télémédecine sera bien jumelé avec des services qui doivent être offerts en personne? Il y a certainement une dimension linguistique, mais ma lecture de la situation, c’est qu’on est encore en train de déterminer comment tout cela va fonctionner pour tous. De plus, en tant que francophones, il faut s’assurer de ne pas manquer le bateau et d’être présents. Il y a des comités qui existent à l’échelle fédérale et auxquels on siège pour s’assurer de l’équité.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
Le président : J’ai une question complémentaire. Dans les Territoires du Nord-Ouest, quels résultats ont été atteints dans le cadre du projet pilote qui visait à augmenter l’offre de services de santé mentale en français grâce à la télémédecine? Est-ce que vous avez de l’information à nous donner à ce sujet?
Mme Fournier : Je vous remercie de la question, monsieur le président.
Je vous dirais que c’est difficile à évaluer. On a eu différents résultats, mais en ce qui a trait à la partie ayant trait à la télémédecine, il s’agissait d’une entente signée entre le gouvernement territorial et un prestataire de service au Nunavut, si je ne m’abuse, qui devait donner des services par téléphone ou par Skype en français, en anglais et dans les langues autochtones.
Je ne pourrais pas vous donner de précisions sur l’accessibilité. Selon ce que j’ai vu, il y avait peut-être un manque de communication et de connaissance au sein de la communauté sur ce nouveau service. Cela peut toujours être réparé et on peut toujours travailler là-dessus.
Sinon, pour ce qui est du service en tant que tel, quant à savoir si on peut, de façon réaliste, avoir un bon service en français constant et sans délai pour obtenir les services d’un intervenant francophone, je ne pourrais pas vous le dire, parce que je pense que c’est quelque chose qui n’a pas encore été évalué.
Le président : Merci à vous.
La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins; vous avez vraiment témoigné de façon très claire et c’est fort apprécié.
J’ai une question pour Mme Desaulniers, de ma région de l’Est de l’Ontario, puis pour Mme Baudemont.
Je vais commencer par vous, madame Desaulniers. « Quand on est malade, on n’est pas bilingue »; c’est tellement bien dit! J’ai un père anglophone et une mère francophone, donc je rêve en anglais et en français. Cependant, quand je suis sortie d’une intervention chirurgicale, il y a plusieurs années, je ne parlais plus anglais. Je sortais de l’anesthésie et je ne parlais plus anglais, seulement ma langue maternelle. C’est très puissant la façon dont vous avez dit cela.
J’aimerais que vous me parliez un peu plus des données, du contrôle local qui est perdu et du fait que ces données sont désagrégées. J’imagine que ce sont des données qui parlent de la langue et de l’intersection avec la race? Je ne sais pas. Que faudrait-il faire pour que le fédéral revienne à un meilleur système où l’échelle locale a plus de contrôle? Qu’est-ce qui doit être fait?
Mme Desaulniers : Merci pour la question, madame la sénatrice.
Je vais vous donner un peu de contexte sur le projet de données. C’était un projet provincial qui colligeait des données sur la capacité du système à livrer des services en français.
Il y avait des données sur les ressources humaines, des données sur les pratiques organisationnelles et des questions qu’il fallait se poser, par exemple : les données sur la langue du patient sont-elles colligées et fait-on l’arrimage? Il y avait aussi des données sur les patients francophones qui se présentaient aux différents points de service. L’idée derrière ce projet, c’était d’utiliser les données comme un actif collectif; des rapports sont produits à l’échelle régionale, mais aussi provinciale.
Ce qui est arrivé, on pourrait dire que c’est une bonne chose; le gouvernement s’est responsabilisé et a décidé de faire cette collecte par lui-même.
Malheureusement, certaines fonctionnalités très importantes pour les communautés n’ont pas été incluses dans ce transfert; deuxièmement, les données ne sont plus disponibles dans un format désagrégé pour qu’on puisse les analyser et les examiner.
Qu’est-ce que le gouvernement pourrait faire? Je note qu’on a annoncé un investissement important de 505 millions de dollars pour que l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) collige des données sur la santé. L’ICIS est un organisme incroyable qui fait de l’excellent travail, mais je ne connais pas sa capacité à adopter réellement une lentille francophone et ce qui est important pour les francophones, soit produire des rapports qui pourraient nous aider et définir certains indicateurs.
Je pense que c’est une des choses sur lesquelles il faut se pencher. On a mentionné plus tôt que le gouvernement fédéral a le pouvoir de dépenser à cet égard, mais comment s’assurer qu’il y aura une collecte, des analyses et une gouvernance de ces données par les francophones? Je pense que cela pourrait être une des choses à considérer.
Je ne sais pas ce qui pourrait être fait, par exemple en Ontario, parce qu’on avait notamment reçu la commande de détruire les données, ce qui nous a rappelé d’autres moments dans l’histoire où des données importantes ont été détruites au détriment des Canadiens.
La sénatrice Clement : Merci beaucoup.
Madame Baudemont, vous avez parlé des nouveaux arrivants. J’aimerais connaître l’impact de cette intersection. On est francophone, on est potentiellement racialisé; quel est l’impact de tout cela sur le plan des besoins en ce qui a trait aux soins de santé?
Vous avez parlé de services d’accompagnement, mais de quoi cette communauté a-t-elle besoin?
Mme Baudemont : Cette communauté a besoin de services d’accompagnement, mais c’est probablement la communauté qui est la plus vulnérable dans l’immédiat au moment où elle arrive au Canada. Elle a besoin d’être accompagnée dans le système de soins de santé. Elle a besoin d’être appuyée pour ce qui est de la traduction par notre service d’accompagnement. C’est ce que l’on fait; il y a une partie qui consiste à faire de l’accompagnement pour comprendre le système et ainsi de suite.
L’autre partie consiste à faire de la traduction et à assurer un suivi pour permettre à ces gens d’avoir un parcours de santé leur permettant de mieux vivre dans un nouveau pays.
On sait que, dans nos communautés, de plus en plus de personnes arrivent d’autres pays francophones. Je dirais que l’un des défis est d’augmenter notre capacité d’accueil. L’un des éléments essentiels, c’est le travail, bien sûr, mais il y a aussi tout ce qui touche la santé, parce que les gens arrivent avec des défis et des expériences; ils arrivent avec un vécu pas toujours facile.
Par exemple, on a commencé à recevoir un peu de financement de la part d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada au cours des dernières années. Cela nous permet, au sein des réseaux, de commencer à outiller les intervenants qui accueillent les nouveaux arrivants pour les appuyer et leur donner des outils. On parle du trauma vicariant et de tout ce qui s’apparente au trouble de stress post-traumatique après des expériences difficiles. C’est ce type d’outils qu’on utilise et qu’on diffuse actuellement. Je pense que tout est lié au fait d’améliorer et d’augmenter la collaboration directe qu’on peut établir.
Nous sommes des courroies de transmission entre les nouveaux arrivants et le système de soins de santé, pour faire comprendre à la fois au système et aux nouveaux arrivants comment tout cela fonctionne.
Beaucoup d’efforts sont déployés pour assurer cette concertation et cette collaboration. Je dois dire qu’il y a vraiment des progrès. On constate ces progrès, mais, comme je le mentionnais plus tôt, ce sont souvent des progrès à petits pas, parce qu’on ne change pas tout un système et qu’on ne sert pas toute une population seulement en un, deux ou trois ans. C’est quelque chose qui se fait à long terme, et c’est notamment le cas pour les nouveaux arrivants.
La sénatrice Clement : Oui, il faut aller au-delà du financement ponctuel.
Mme Baudemont : Absolument.
La sénatrice Clement : J’apprécie beaucoup vos réponses. Merci beaucoup.
Le sénateur Mockler : Premièrement, merci à chacun et chacune de vous d’être ici ce soir et de partager vos connaissances avec nous.
J’ai entendu certains commentaires touchants et qui font réfléchir comme : « Aidez-nous à ne pas mourir en anglais. » Je me rappelle très bien la naissance de l’organisme Société Santé en français. Vous êtes venus de loin et vous avez fait du beau travail. Merci à chacun et chacune de vous de votre leadership.
J’aimerais entendre les témoins nous parler de ce qui suit. Monsieur Désilets, vous avez dit : « On peut faire autrement »; c’est important lorsqu’on entend cela de la part de Société Santé en français. Que veut dire « autrement »?
Donnez-moi trois exemples de services en français que vous offririez différemment pour améliorer les services. J’aimerais aussi entendre les provinces et les territoires.
M. Désilets : D’abord, il faut de meilleurs cadres législatifs. Ce n’est pas techniquement un service, mais c’est tout ce qui encadre la question des services. On a évoqué la question des meilleurs cadres législatifs dans le contexte du projet de loi C-13, mais aussi dans les provinces et les territoires.
Deuxièmement, il faut mettre l’accent sur la santé populationnelle. Actuellement, tous les programmes ou la majorité de programmes d’appui aux langues officielles touchent l’accès aux services de santé; c’est absolument essentiel, l’accès aux services. Cependant, comme vous l’avez noté, quand il y a des pénuries de main-d’œuvre, il y a des enjeux en matière d’accès.
Il y a beaucoup d’autres dimensions à la santé, comme les habitudes de vie saines, la promotion et tout le contexte du continuum de santé. Pourtant, il n’y a presque pas d’investissements; je dirais donc qu’il faut faire la promotion de la santé et privilégier l’action sur les déterminants de la santé.
Troisièmement, il faut reconnaître la langue comme une compétence professionnelle. Je n’en dis pas plus, car je vais laisser la chance à mes collègues de s’exprimer.
Mme Fournier : Pour faire autrement, je dirais qu’il faut prioriser les systèmes de soins de santé et la collaboration entre les systèmes de soins de santé et la communauté. Un peu plus tôt, une question portait sur l’impact du Programme pour les langues officielles en santé; d’abord, il faut tisser des liens entre les organismes communautaires, les systèmes de soins de santé et les prestataires de services. C’est quelque chose qui porte ses fruits, qui aide les systèmes à mieux connaître les besoins et à mieux y répondre.
Comme vous le voyez, nous sommes un mouvement national qui a plein de solutions à proposer un peu partout au Canada. Le fait de collaborer avec nous, pour un système de soins de santé, ouvre des portes et permet de trouver des solutions. C’est vraiment positif.
Ensuite, je suis tout à fait d’accord pour ce qui est du cadre législatif et d’une exigence de résultats pour les gouvernements.
Du côté de la pénurie de la main-d’œuvre, chez nous, et pas seulement dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons aussi une grave pénurie de logements.
On essaie de remédier à la pénurie de main-d’œuvre, mais on a énormément de mal à trouver du logement pour les nouveaux arrivants. Des gens repartent. Ils se trouvent des emplois, mais ils sont incapables de se trouver du logement, alors ils repartent. C’est un problème ponctuel, mais je tenais à le mentionner.
M. Roisné : De mon côté, je renchérirais sur l’idée de ma collègue, visant à revaloriser des plans d’impacts collectifs dans lesquels des financements sont à la fois tournés vers les systèmes de santé, pour les inciter à faire des changements, mais aussi vers le milieu communautaire, pour accompagner le système de santé.
On a tendance à faire des financements dirigés où un seul partenaire à la table reçoit du financement, mais l’autre partenaire n’est pas à cette table ou n’obtient pas le même appui pour accompagner l’autre partenaire. Il est essentiel d’avoir une table où on a des financements réservés à chacun, qui respectent les différentes expertises, pour pouvoir aller plus loin. L’important, c’est la circulation des données. C’est bien de les capter, mais il faut que les données suivent.
Lorsqu’on pose la question sur l’inscription de la langue de préférence du patient, il faut que cette donnée circule et qu’elle se retrouve dans le dossier médical du patient. Sinon, on a posé une première fois la question de la langue au patient, mais si ultimement le professionnel qui veut accompagner son patient ou sa patiente n’a pas l’information sur la langue de préférence du patient, on n’a pas abouti à un changement pour le patient.
Enfin, il faut renforcer le système en s’appuyant sur les initiatives communautaires. Par exemple, on a développé des formations de bénévoles en matière de soins palliatifs. Ils sont présents dans la communauté. Ils sont là pour aider les foyers de soins de longue durée à accompagner les patients. En renforçant le milieu communautaire, on renforce le système de santé et l’offre de soins de santé en français. On répond certainement à une pénurie de professionnels de la santé, car le système est là pour aider les établissements de soins de longue durée.
Mme Baudemont : Je vais revenir sur le financement, car le financement est le nerf de la guerre. Il faut avoir une vision à long terme de l’accès aux services de santé en français pour les communautés. Il faut sortir des financements accordés pour deux ou trois ans, que ce soit des financements qui vont directement dans le système de santé ou chez les différents partenaires en santé. La communication entre les intervenants me semble importante. Je rêve d’un moment où, à l’échelle nationale, on sera capable d’identifier la capacité bilingue du système de santé de la même façon partout au pays et d’identifier la langue parlée par les patients. Cela donnerait des données très intéressantes.
Pour les provinces de l’Ouest, qui ont des populations plus modestes, la première chose est de commencer à identifier la capacité bilingue, mais aussi à appuyer les gens qui ont cette capacité. Je pense aux formations d’appui linguistique, comme les programmes des Cafés de Paris, développés au Nouveau-Brunswick, qui font des petits partout au pays et qui permettent d’appuyer les personnes qui sont prêtes à servir la communauté.
Le président : Merci. Je vais, à mon tour, poser quelques questions. Je ne sais pas quelle place occupent les établissements privés dans vos environnements respectifs. Est-ce qu’il y a des balises pour la livraison des services? Quel rôle pourraient jouer les gouvernements pour s’assurer que les communautés de langue officielle en situation minoritaire ne sont pas pénalisées sur le plan de la livraison de services dans le secteur privé? J’aimerais entendre M. Désilets et d’autres personnes à ce sujet.
M. Désilets : Je vais laisser mes collègues qui travaillent sur le terrain répondre à la question.
Le président : Qui aimerait répondre, selon la pertinence dans les régions?
Mme Desaulniers : En Ontario, on parle beaucoup de privatisation. C’est une grande inquiétude pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, pour les francophones, parce que le cadre législatif des services en français ne s’appliquera pas aux institutions privées. À moins qu’il y ait d’autres dispositions qui soient prises, il n’y a pas de mécanisme pour que cette législation s’applique. C’est une préoccupation pour nous.
Le président : Quel pourrait être le rôle des gouvernements en ce sens? Est-ce que les gouvernements pourraient jouer un rôle?
Mme Desaulniers : Ils le pourraient, parce qu’ils vont conclure des ententes pour déléguer la responsabilité de livrer ces services. Ils vont les financer. Il est possible d’imposer un cadre de reddition de comptes. En ce moment, il est possible d’avoir un bon cadre de reddition de comptes pour les services publics. Dans la planification ou la mise en œuvre, le processus n’est pas très rigoureux actuellement. Il est facile de prévoir que ça le sera difficilement au privé.
Le président : Merci de votre réponse. Est-ce que quelqu’un d’autre aimerait intervenir? Sinon, j’ai une question pour M. Désilets sur les déterminants de la santé. Ma question s’adresse peut-être à tout le monde. La langue n’est pas spécifiquement un déterminant de la santé. Elle est liée à la culture. Est-ce que la langue devrait être un déterminant de la santé? Si oui, quel impact cela aurait-il sur la prestation des programmes et sur la définition des programmes et des politiques?
M. Désilets : La question est excellente. On associe beaucoup la langue à la culture pour ce qui est des déterminants reconnus par l’Agence de la santé publique du Canada. Est-ce que la langue devrait être un déterminant de la santé? Selon moi, oui, et il y a de plus en plus d’études et de recherches qui montrent que c’est un enjeu qui affecte la qualité de la santé des gens. À la question que vous avez posée — est-ce que ça changerait des choses —, j’ai dit que l’appui du gouvernement fédéral se concentrait sur l’accès aux services de santé, qui est l’un des 12 déterminants de la santé. J’ose espérer que, si on décidait d’adopter un nouveau déterminant, soit les langues officielles, cela viendrait avec des programmes en vue d’appuyer ce déterminant spécifique.
L’Agence de la santé publique doit diversifier ses programmes qui touchent les langues officielles. Il y a beaucoup de volonté, mais c’est aussi une question qui a trait à l’ampleur et au public visé. Vous avez une très bonne piste, mais même si la langue faisait partie des déterminants de la santé, il faudrait un changement dans les priorités actuelles.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Poirier : Encore une fois, merci aux témoins de toutes leurs bonnes réponses. J’ai une question pour qui voudra y répondre. Elle porte sur le Plan d’action pour les langues officielles. Le budget de 2023 prévoit d’investir 373,7 millions de dollars de plus sur cinq ans, à compter de 2023-2024, pour appuyer la mise en œuvre du prochain Plan d’action pour les langues officielles, ainsi que 117 millions de dollars sur cinq ans dont une partie servira à soutenir la formation d’infirmières et de préposés de soins. Est-ce que ces montants sont suffisants pour combler le manque à gagner? Quel impact ces fonds auront-ils?
M. Désilets : Je pense que quand vous posez cette question, la réponse est rarement positive. Ce n’est pas suffisant. Nous avons dépensé l’an dernier plus de 300 milliards de dollars en santé au Canada, si on mélange les investissements fédéraux, provinciaux et territoriaux. Je pense que c’était 308 milliards de dollars l’an dernier. L’apport du fédéral est d’environ 40 milliards de dollars en transferts, mais 40 millions par année sont alloués au Programme pour les langues officielles en santé pour deux communautés de langue officielle dans 13 systèmes de santé. Sur chaque 100 $ dépensé en santé au Canada, un cent va au Programme pour les langues officielles. C’est insuffisant. Ce n’est pas seulement au gouvernement fédéral d’être à la table. Les provinces ont aussi la responsabilité de mettre leurs propres fonds pour leurs communautés. Est-ce qu’on verra un impact? Je pense que oui.
On a réussi à renouveler notre entente de financement avec Santé Canada sans attendre le plan d’action, mais cela s’est fait sur la base des montants de 2018. Vous avez vu, comme moi, que le coût de la vie a augmenté de façon substantielle depuis 2018. Donc, on commence ce mois-ci avec un pouvoir d’achat effectif qui a diminué de 8 % à 9 % par rapport à ce qu’on avait en 2018.
C’est une réduction effective de l’appui envers les communautés de langue officielle. J’espère que le plan d’action qui sera dévoilé bientôt rétablira les choses.
La sénatrice Poirier : Quelles sont vos attentes par rapport au plan d’action qui sera dévoilé cette semaine?
M. Désilets : Mes collègues en ont un peu parlé, mais on s’attend à un financement de base pour les organismes, pas à un financement ponctuel ou pour des priorités à court terme. On a besoin de renforcer nos capacités d’organismes communautaires.
Dans bien des cas, comme celui du réseau que vous voyez ici, ces organismes comptent une ou deux personnes au Canada. Leur rôle est d’influencer un système de santé. C’est un travail colossal; c’est David contre Goliath un peu partout. On a besoin de financement de base pour augmenter nos capacités à influencer les autres et pour redonner davantage par la suite aux communautés que l’on sert.
La sénatrice Gagné : Je veux juste mentionner que les réseaux, partout au Canada, font un travail incroyable avec le peu de ressources qu’ils obtiennent, que ce soit du fédéral — je ne sais pas s’il y en a qui reçoivent des fonds de la province. Bref, je sais quel genre de ressources humaines ou d’équipe vous avez. Ce ne sont pas des équipes d’une centaine de personnes. Chapeau à tout le monde. J’ai beaucoup d’admiration pour votre travail.
Actuellement, des millions de Canadiens ont accès à des assurances qui leur permettent d’avoir accès à des services de soins virtuels. Les Canadiens commencent à vouloir être beaucoup mieux servis de façon virtuelle. Je ne nommerai pas une compagnie que je connais bien qui offre des soins virtuels par des cliniciens qualifiés et attentionnés. Ils sont aussi en mesure d’offrir des ordonnances et identifier des pharmacies, et cela se fait de façon assez efficace.
Est-ce que la Société Santé en français, en collaboration avec les réseaux, peut même imaginer un jour avoir un système public de soins virtuels offerts à une clientèle francophone? On a parlé de toute la question de la privatisation. C’est un défi. C’est un enjeu qui revient et qui va revenir.
C’est une question que je vous lance. Je n’ai pas la réponse.
Mme Desaulniers : Vous avez tout à fait raison de dire que la pensée des Canadiens évolue beaucoup sur le virtuel. Ce n’est pas différent pour les francophones. Notre réseau compte plus de 1 000 membres individuels. Lorsque nous les sondons sur cette question, nous voyons des changements entre il y a cinq ans et maintenant. Les barrières sont tombées. Il faut absolument aller de l’avant.
Pour répondre à la question du sénateur Mockler, s’il y a quelque chose qui manque, c’est une planification rigoureuse des services. Cette planification a une composante virtuelle qu’on pourrait utiliser et qui nous aiderait à éliminer les barrières géographiques, qui sont énormes dans nos petites communautés. Cela commence par une planification. Il faut comprendre les besoins là où les gens sont, connaître la capacité et harmoniser l’offre et la demande. La télémédecine est une excellente façon de le faire. Il n’y a pas que la télémédecine; en virtuel, il y a de l’asynchronisme qui se fait aussi. C’est une autre possibilité. Dans notre région, on a beaucoup tenté de le faire. Le défi, ce sont les ressources. Certaines régions n’en ont pas beaucoup — si je pense à la région de Kingston par rapport à Ottawa. Même à Ottawa, les fournisseurs ont moins la capacité de le faire. Le moment n’est peut-être pas bon.
Vous avez absolument raison de dire que c’est une piste de solution, mais il faut une planification rigoureuse et il faut de l’argent. On a parlé plus tôt des 117 millions de dollars pour la formation, mais si on ne met pas des incitatifs pour mieux aligner les ressources francophones aux besoins francophones, on va continuer de fournir le même type d’appui, qui ne va pas assez loin pour donner un accès à votre mère, votre père, aux enfants...
La sénatrice Gagné : L’une des choses que je remarque, c’est qu’il y a des professionnels de la santé qui trouvent cela plus alléchant d’aller travailler au privé, parce que sur le plan salarial, c’est un peu plus compétitif et ils ne sont pas obligés de se déplacer. Tous les avantages d’un tel environnement n’éliminent pas l’importance d’avoir des services sur place. Comme vous dites, je vois un changement de paradigme.
Le président : Si je peux ajouter quelque chose dans ce contexte, les études nous montrent que l’accès à Internet est encore défectueux dans de nombreuses régions au Canada. La question du numérique prend de plus en plus de place. Il faut l’examiner de façon holistique. Il y a une question d’accès dans les régions particulièrement éloignées, les territoires et ailleurs. C’est un sujet d’importance pour la santé et pour toute la société.
Le sénateur Mockler : Il est évident que le travail que vous faites est très important. Il faut que les bottines suivent les babines, comme on dit chez nous. J’aimerais vous entendre, madame Desaulniers et monsieur Désilets, sur l’offre de services à l’extérieur de nos hôpitaux, ce qu’on appelle le service privé, un nouveau concept qui se développe au Nouveau-Brunswick. Nous avons un exemple typique de ce qui se passe chez nous.
J’aimerais également vous entendre sur un autre volet pertinent pour le développement de nos communautés en français, à savoir l’amélioration et le renforcement de Société Santé en français avec les garderies. J’aimerais vous entendre sur ce volet garderie et le projet de loi C-35. Tel qu’il est rédigé à l’heure actuelle, la minorité linguistique est complètement absente du libellé du projet de loi du gouvernement. Plusieurs organismes, dont la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) et la Commission nationale des parents francophones (CNPF), sont inquiets d’une telle absence, et ils ont raison de l’être. Partagez-vous leurs inquiétudes, et quelles seraient les conséquences pour l’avenir des communautés de langue officielle en situation minoritaire si le projet de loi n’est pas modifié?
M. Désilets : Je vais répondre à la question sur la petite enfance et les garderies. Vous avez bien mis le doigt sur un enjeu actuel. J’ai parlé plus tôt d’un programme en promotion de la santé visant à créer des habitudes de vie saines. Ce programme vise spécifiquement la petite enfance et il est déjà jumelé à des garderies. Il a beaucoup de succès et il y a un grand intérêt de la part de l’Agence de la santé publique. Cette dernière voudrait le pérenniser, plutôt que ce soit un programme ponctuel d’une certaine durée qui est renouvelé à la fin du programme, car elle a vu ce que cela permet d’accomplir sur le terrain.
Est-ce que je partage cette inquiétude? Oui, tout à fait. En tant que communautés francophones, nous avons des enjeux spécifiques qui doivent être nommés dans les différents cadres législatifs. J’en ai parlé un peu plus tôt. D’ailleurs, la CNPF est une partenaire de la Société Santé en français. Ses membres nous appuient dans nos différentes démarches sur le plan des accords bilatéraux à l’heure actuelle, car elle a constaté elle-même, dans les transferts en petite enfance, l’absence de dispositions fortes pour les communautés francophones. Ils veulent apprendre un peu de leur propre expérience pour assurer qu’on obtienne de meilleurs résultats en santé.
Est-ce que je partage cette inquiétude? Oui. Cependant, je connais moins les détails du projet de loi C-35, donc je vais m’arrêter là. Quant à la privatisation et à ses impacts, je vais me tourner vers mes collègues des provinces et des territoires, qui ont une connaissance du terrain.
Le président : Merci. Est-ce que quelqu’un veut répondre à cette question?
Ça va? Sinon, cela veut dire que la question reste entière, sénateur.
M. Désilets : Je vous reviendrai avec une réponse.
Le président : M. Désilets s’engage à revenir avec une réponse, sénateur.
Le sénateur Loffreda : Nous avons parlé d’un manque de ressources en professionnels de la santé partout au pays. C’est une réalité que nous vivons, malheureusement. Sur le plan de la recherche de solutions, que proposez-vous pour améliorer la reconnaissance de titres de compétences étrangers et faciliter la mobilité des travailleurs de la santé au pays? L’Ontario le fait déjà. Quels sont les défis qu’il reste à relever? Est-ce que cela permettrait de remédier aux lacunes actuelles et d’offrir plus de services dans la langue de notre choix partout au Canada?
M. Désilets : Merci pour la question. Il y a de grands objectifs d’immigration au Canada. C’est nécessaire, tant pour la population majoritaire que pour les francophones. J’ai parlé de la reconnaissance des diplômes, qui est défaillante. Si on fait venir plus d’immigrants francophones, les gens ont la capacité professionnelle, mais on doit augmenter les besoins pour les services en santé en français. Plus il y a de l’immigration, plus il faut s’assurer que les services suivent pour s’assurer qu’on intègre ces personnes de la bonne façon.
Pour ce qui est de la reconnaissance et de la mobilité, l’une des pistes à explorer dans beaucoup de provinces, avant de parler des programmes pour se reformer et de reconnaissance des diplômes, c’est qu’il faudrait démontrer la capacité de parler anglais. On fait venir des gens dans des programmes francophones. Ils s’établissent dans des provinces où on leur affirme qu’il existe une communauté francophone, mais qu’ils devront apprendre l’anglais. Ils vont aller travailler dans n’importe quel domaine avant d’atteindre un niveau d’anglais suffisant. La solution n’est pas simple, car les exigences viennent autant des ordres professionnels que des provinces et du gouvernement fédéral. Il faut une solution multipartite. Il faut trouver des solutions à la reconnaissance des diplômes. Cet enjeu ne touche pas que les communautés francophones. L’enjeu doit solliciter l’ensemble des gens en santé. C’est défavorable d’imposer des embûches que je juge inutiles pour les immigrants francophones qui veulent s’engager dans ce processus.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Gagné : J’ai une question complémentaire. Est-ce que vous participez à la table ronde avec les ordres professionnels pour commencer à discuter de ces questions dans le but d’éliminer les barrières à la migration interprovinciale?
M. Désilets : La Société Santé en français est très active en stratégie d’immigration francophone. À l’échelle gouvernementale, il y a beaucoup d’appétit pour les programmes qui nous financent en immigration francophone de la part d’IRCC, mais pas pour des forums toutes langues confondues.
La sénatrice Gagné : Je sais qu’il y a une table qui a été mise sur pied par le ministre avec les provinces et les territoires. Je ne me souviens plus s’il y a d’autres membres des communautés qui se trouvent autour de la table, mais c’est peut-être à surveiller.
M. Désilets : Nous n’y sommes pas, mais cela nous intéresserait.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le sénateur Mockler : On regarde ce qui se passe au pays, on établit des cibles et on partage les meilleures pratiques. Il y a 16unités au sein de Société Santé en français. Qui est le plus avant-gardiste et le plus moderne?
M. Désilets : Vous ne voulez pas que je me fasse des amis. Ils sont tous également avant-gardistes. En Ontario et au Nouveau-Brunswick, il y a des cadres législatifs plus forts, une plus grande population et plus de capacité. Dans les régions où il y a beaucoup de succès, il y a des défis importants. Dans la péninsule acadienne, il y a beaucoup de services en français, mais quand on sort de la région de Saint-Jean ou de Fredericton, ils sont difficiles à trouver. Même dans la seule province bilingue au Canada, on a encore des défis en matière d’accès. Les réseaux ont chacun leurs propres organismes. Ce sont des représentants de la communauté francophone. La force de notre approche est d’adapter les grandes stratégies nationales à la réalité propre de chaque province ou territoire.
Le président : Comme vous venez de le dire, monsieur Désilets, Société Santé en français est un réseau de réseaux. C’est comme ça que les actions se rendent sur le terrain. Vous avez beaucoup parlé de l’accessibilité des services, du manque de ressources humaines et de méconnaissance de l’offre de services. J’aimerais savoir s’il y a des enjeux particuliers sur la livraison de services pour les communautés vulnérables. Vous avez parlé des aînés. Il y a les Autochtones, les immigrants. Je songe notamment aux communautés LGBTQ+. Est-ce qu’il y a des enjeux particuliers ou un manque de ressources que vous avez identifiés pour ces communautés sur le terrain dans la livraison des services?
Mme Baudemont : Je dirais que, par rapport aux communautés LGBTQ+, il y a peut-être une plus grande prise de conscience aujourd’hui. Je pense à l’Assemblée communautaire fransaskoise, qui a mis en place un programme de la fierté. Je pense que, peu à peu, il y a de plus en plus de choses qui sont proposées, comme des ateliers et des activités, surtout à l’échelle communautaire.
On voit des progressions à ce niveau. Pour ce qui est des clientèles vulnérables, je pense que les aînés chez nous sont dans la même situation que celle qu’a décrite M. Roisné. On a une communauté vieillissante et beaucoup d’aînés qui aimeraient rester chez eux et vivre à la maison le plus longtemps possible. Il y a encore beaucoup de travail à faire lorsqu’il est question de services en français dans ces communautés.
Le président : Est-ce que je comprends bien que les ressources sont insuffisantes pour traiter différentes catégories de communautés vulnérables?
Mme Baudemont : Les ressources pour les services en français sont insuffisantes en général dans tous les secteurs, mais particulièrement pour les clientèles plus à risque, certainement.
M. Désilets : La francophonie au Canada est en évolution. L’un des défis est de reconnaître l’intersectionnalité dans nos différentes communautés et de reconnaître le fait francophone comme quelque chose qui nous rassemble, mais qui n’est peut‑être pas la première identité de chaque personne. Vous avez mis le doigt sur un défi. Évidemment, pour avoir des programmes adaptés, il faut plus de financement. Il y a une ouverture d’esprit et une volonté pour ce qui est de relever les défis qui ont été mentionnés.
Le président : J’aimerais reprendre les commentaires de mes collègues pour vous remercier du travail que vous faites sur le terrain et du rôle fondamental que vous jouez pour les communautés francophones partout au pays. C’est un travail méconnu et mal connu. Je vous remercie de votre contribution à notre société, et aussi de votre participation à l’étude que nous menons sur les services de santé dans la langue de la minorité. Cela nous aidera certainement dans l’élaboration d’un rapport qui sera utile pour tous, y compris le gouvernement fédéral.
(La séance est levée.)