LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 8 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE) avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant de commencer de la séance et d’entendre les témoins, j’inviterais les membres du comité à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, sénatrice du Manitoba
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Merci à tous.
Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent d’un bout à l’autre du pays.
Je tiens à rappeler que les terres à partir desquelles nous tenons la réunion ici, à Ottawa, font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.
Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir en présentiel Fabien Hébert, président, et Peter Hominuk, directeur général de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario.
Par vidéoconférence, nous accueillons Lily Crist, présidente du conseil d’administration de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique.
Bonsoir, messieurs et madame, et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations liminaires. Nous commencerons par M. Hébert et M. Hominuk.
Une période de questions suivra avec les sénateurs et les sénatrices.
La parole est à vous, messieurs.
Fabien Hébert, président, Assemblée de la francophonie de l’Ontario : Merci beaucoup, monsieur le président.
Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de me présenter devant vous aujourd’hui afin de discuter des défis les plus importants auxquels notre communauté franco-ontarienne est confrontée en matière de santé et de soins de longue durée.
Je suis Fabien Hébert, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, et je suis accompagné de Peter Hominuk, notre directeur général.
Je suis heureux de voir que le Comité sénatorial permanent des langues officielles aborde dans son étude des thèmes clés comme l’accès, les ressources humaines, les services numériques et les données probantes. Ces enjeux sont au cœur des préoccupations de notre communauté.
Nous avons récemment communiqué des recommandations au gouvernement de l’Ontario dans deux mémoires, que nous avons transmis au comité. Ces recommandations visent à traiter spécifiquement ces préoccupations.
Notre dernier sondage sur les priorités de la communauté franco-ontarienne a révélé que plus d’un francophone sur deux en Ontario considérait l’augmentation de l’accès aux soins de santé et aux soins de longue durée en français comme une priorité.
Nous croyons que l’une des raisons pour lesquelles les francophones de l’Ontario font de la santé et des soins de longue durée en français leur grande priorité est que notre communauté est vieillissante.
Tout comme lors du recensement de 2016, le dernier recensement montre que la communauté franco-ontarienne reste plus âgée de quatre ans que la moyenne provinciale. En Ontario, plus d’un francophone sur deux est âgé de plus de 45 ans. C’est un grand défi, principalement dans le Nord et l’Est de l’Ontario.
Dans le centre-sud-ouest, la population francophone demeure plus âgée que la moyenne régionale, mais se trouve tout de même dans la moyenne provinciale. L’immigration francophone explique en grande partie ce vent de jeunesse flottant dans le centre-sud-ouest, surtout à Toronto.
Nous estimons que l’augmentation de l’accès aux soins de santé en français passe par un effort accru en matière de désignation d’organismes couverts par la Loi sur les services en français de l’Ontario, ainsi que par un alignement de nos lentilles francophones avec le système de santé, qui est actuellement en transformation.
Il est également important d’assurer une plus grande reddition de comptes et une meilleure collecte de données pour mesurer l’efficacité de nos efforts.
Cependant, l’un des plus grands freins pour notre communauté est la pénurie de main-d’œuvre francophone et bilingue. Sans main-d’œuvre suffisante, l’avenir de nos services en français est compromis, tant du côté gouvernemental et privé que du côté des organismes sans but lucratif.
À la fin de la dernière année, plus de 2 500 postes désignés bilingues en santé et en soins de longue durée n’étaient pas pourvus en raison du manque de candidates et de candidats. C’est un chiffre énorme pour notre système de santé. Ce problème ne se limite pas à la santé, mais il existe dans tous les autres secteurs d’activité, notamment en éducation.
Pour remédier à cette pénurie, il est essentiel de reconnaître les diplômes, d’encourager l’immigration francophone et d’investir dans un continuum complet en éducation.
Par ailleurs, nous parlons régulièrement de la reconnaissance des diplômes des immigrantes et des immigrants, mais nous devons également parler des diplômes obtenus par nos universitaires canadiens à l’étranger. Ces diplômes ne leur permettent pas non plus de pratiquer dans leur région.
L’AFO amorce actuellement une étude sur la pénurie de main-d’œuvre francophone et bilingue et prévoit de présenter des recommandations l’automne prochain.
En ce qui concerne l’accès à des soins de santé et à des soins de longue durée en Ontario, nous constatons plusieurs iniquités régionales.
Pour vous donner un exemple, l’accès à ces soins est offert dans cinq hôpitaux gouvernés par et pour les francophones, 21 hôpitaux désignés conformément à la Loi sur les services en français et 45 autres hôpitaux qui sont identifiés. Il y a également 11 centres de santé communautaire désignés conformément à la loi et 10 autres qui sont identifiés.
Toutefois, l’Ontario est également une province où de nombreuses régions désignées en vertu de la Loi sur les services en français n’ont pas de fournisseur de services de santé ou de soins de soins de longue durée désignés sous la loi.
Avant de conclure, je voudrais mentionner que l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario aura à l’œil la mise en œuvre de l’accord Canada-Ontario sur la santé. Il est important que la communauté franco-ontarienne fasse partie intégrante de la mise en œuvre de cet accord, tout comme ce devrait être le cas dans tous ces accords entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces.
Je tiens à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles de m’avoir invité à m’adresser à eux aujourd’hui. J’espère que mon témoignage vous aidera à mettre en lumière les défis auxquels notre communauté est confrontée en matière de santé et de soins de longue durée. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie, monsieur Hébert. J’invite Mme Lily Crist, présidente du conseil d’administration de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, à nous présenter ses remarques liminaires. Nous aurons ensuite une période de questions et de réponses.
Lily Crist, présidente du conseil d’administration, Fédération des francophones de la Colombie-Britannique : Honorables sénateurs, je vous remercie de prendre le temps de m’écouter. Voici ce que j’ai à partager avec vous.
En Colombie-Britannique, nous constatons qu’il n’y a pas assez de professionnels de la santé francophones; il y a une pénurie de main-d’œuvre. Il y a une grande difficulté à faire reconnaître les diplômes obtenus en dehors de la province. Lorsque la reconnaissance des diplômes est possible, il faut passer des examens en anglais, même si les praticiens francophones ne pratiqueront pas en anglais. Ils ont de la difficulté avec ces tests qui ne sont offerts qu’en anglais.
En 2018, notre organisme communautaire, RésoSanté, qui s’occupe de faire la promotion des soins de santé en Colombie-Britannique, a mené une étude sur la santé des immigrants francophones. Il en ressort que la grande majorité des immigrants francophones sont en excellente santé avant leur arrivée — souvent en meilleure santé que la population de la Colombie-Britannique. Cependant, après leur arrivée, tout cela se dégrade avec le temps. On a observé dans cette étude que, cinq ans après leur arrivée au pays, leur état de santé est inférieur à celui de la population générale. On attribue cela à la difficulté d’avoir accès à des soins de santé et aux différences de système avec leur pays d’origine.
En fait, il y a des barrières d’accès aux soins, comme le manque de personnel en matière de soins de santé et le manque de compréhension du système, qui font que lorsqu’on ne comprend pas bien le système, on rechigne parfois à se faire soigner ou on ne trouve pas de soins adéquats.
Notre communauté a réfléchi à des pistes de solution. Les services de santé en Colombie-Britannique sont de compétence provinciale. Elle est la seule province au pays qui n’a aucune loi linguistique. Nous n’avons donc que très peu de marge de manœuvre et tout dépend de la bonne volonté du gouvernement. Nous aimerions que le gouvernement fédéral impose des clauses linguistiques dans les transferts en santé et un plan d’action clair et précis prenant en compte plusieurs points.
Tout d’abord, l’accès aux soins de santé, donc un cadre législatif ou réglementaire qui imposerait la présence de cliniques francophones ou bilingues et l’accessibilité par télémédecine. Nous voudrions aussi mettre l’accent sur des soins en santé mentale accrus, des soins palliatifs pour les personnes en perte cognitive, des soins lors de stress intense ou de maladie grave qui provoque la perte de contrôle d’une langue apprise et surtout la reconnaissance des diplômes obtenus à l’extérieur de la Colombie-Britannique, afin que les professionnels de la santé puissent travailler et que nous puissions faciliter l’accès à l’offre de soins aux francophones dans notre province.
Il y a une crise des opioïdes assez majeure en Colombie-Britannique. À ce sujet, RésoSanté Colombie-Britannique a aussi réclamé certaines choses, comme l’identification de professionnels de santé francophones, le recrutement et la rétention de professionnels francophones, la reconnaissance des diplômes, mais également l’accroissement de l’offre active. Il faudrait également développer une collaboration entre les différents acteurs provinciaux du système de santé. Tout cela représente des pistes de solutions.
Évidemment, comme j’ai aussi travaillé dans les soins de la santé, plus précisément à l’accompagnement, je pourrai répondre précisément à vos questions. Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé.
Le président : Je remercie nos témoins pour leurs remarques liminaires.
J’aimerais demander aux membres du comité qui sont présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur micro ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité se trouvant dans la salle.
Nous sommes prêts à passer à la période de questions.
La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à Mme Crist et au commissaire par intérim aux services en français de l’Ontario. J’aimerais vous entendre avant, car je sais que vous êtes au fait des dossiers qui touchent la francophonie en Ontario. La Stratégie ontarienne sur les services en français est une entente de trois ans. L’un des objectifs de ce projet de loi, qui a eu la sanction royale en décembre 2021, était l’augmentation de la main-d’œuvre francophone et bilingue; il y avait aussi les professionnels de la santé, la planification et la prestation des services, ainsi que l’offre de services numériques dans le secteur de la santé. Où en sont-ils par rapport à ces projets? Les choses progressent-elles ou sont-elles au point mort?
M. Hébert : La question m’a été posée lors des consultations budgétaires. Malheureusement, on n’a rien entendu à propos de la communauté francophone en ce qui concerne des progrès. Il y a eu quelques avancées grâce à La Cité, mais c’est à peu près tout ce que je sais. Je ne peux pas répondre plus en détail à votre question.
La sénatrice Moncion : Je la poserai donc au prochain témoin.
Ma prochaine question touche les établissements de soins de longue durée. Ici, à Ottawa, je crois qu’il y a deux établissements désignés comme offrant des services en français. Il y en a peut-être trois, mais je sais que, partout dans la province, il n’y en a pas beaucoup. On n’a aucune garantie selon laquelle les places sont réservées aux francophones.
Je sais que, par exemple, il y a quelques années, quand mon père s’est retrouvé à la Résidence Montfort Renaissance, il a été très bien soigné, mais on m’avait dit à ce moment-là qu’il n’était pas garanti qu’il allait se retrouver dans un établissement comme celui-là. Pouvez-vous me parler des efforts qui sont faits pour assurer la protection des places pour les francophones? De plus, vous avez parlé de cinq établissements hospitaliers désignés francophones. Donc, j’aimerais vous entendre sur leur capacité de pouvoir conserver des services aux francophones. Ou alors, il n’y a pas de garantie là non plus?
M. Hébert : Pour répondre à votre première question, en ce qui concerne les établissements de soins de longue durée, vous avez parlé de la garantie des services. Actuellement, il n’existe pas de garantie de service, encore moins depuis qu’on a adopté le projet de loi no 7 en Ontario, qui prévoit le transfert rapide des patients entre les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée. On a vu des lits désignés pour des patients francophones occupés rapidement par des patients anglophones. Le système de longue durée est au maximum de sa capacité; on doit donc attendre que ce lit se libère pour ramener un autre patient francophone.
Il y a un exemple parfait à Bendale Acres, à Toronto. Dans cet établissement de soins de longue durée, 37 lits sont désignés pour des patients francophones; pourtant, 40 % de ces lits sont occupés par des patients anglophones. Donc, cela peut prendre des années avant que ces lits ne soient attribués à des patients francophones, et c’est la même histoire dans toute la province. Le projet de loi no 7 autorise le gouvernement à transférer des patients sans considérer les exigences linguistiques de l’établissement. Donc, c’est une grande perte pour la communauté francophone. On ne peut pas parler de protection; on parle plutôt d’érosion.
La sénatrice Moncion : Cela semble être une ligne directrice du gouvernement actuel pour tout ce qui touche les services aux francophones, car il fait également d’autres choses qui sont plutôt cachées. Je ne devrais peut-être pas dire cela publiquement, mais je me le permets.
M. Hébert : J’aimerais ajouter que nous avons fait des recommandations dans les documents que nous vous avons transmis pour ce qui est des outils dont le gouvernement pourrait se doter pour s’assurer de maintenir les ressources pour les communautés francophones.
Pour ce qui est des hôpitaux francophones, leur capacité de continuer d’offrir des services en français a un lien direct avec la disponibilité des ressources francophones. Il y a 2 500 postes d’infirmières qui sont vacants ou qui seront peut-être occupés par des infirmières unilingues anglophones. Bien évidemment, on vient créer l’érosion de la disponibilité des services en français pour la clientèle dans ces établissements.
Même quand on se retrouve à l’Hôpital Monfort ou dans d’autres hôpitaux, comme l’Hôpital Notre-Dame à Hearst, l’Hôpital de Smooth Rock Falls et l’Hôpital général de Nipissing Ouest à Sturgeon Falls, qui sont des hôpitaux francophones, créés par et pour les francophones, avec un conseil d’administration et une gouvernance francophones, on se retrouve avec beaucoup d’infirmières qui viennent d’agences privées qui sont incapables de travailler en français ou qui ne sont pas bilingues. On se trouve encore à offrir des soins de santé en anglais dans des établissements francophones, et ce, au détriment de la qualité des soins.
L’un des dictons que j’utilise souvent, c’est que lorsqu’on est malade, on n’est pas bilingue. Quand on est malade, on veut être malade dans notre langue pour être capable d’exprimer notre réalité.
Des études montrent un lien direct entre la langue et le résultat du service obtenu en matière de soins de santé. C’est clair.
Je ne sais pas si M. Hominuk veut ajouter un commentaire.
Peter Hominuk, directeur général, Assemblée de la francophonie de l’Ontario : Depuis 2015, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario réclame au gouvernement de l’Ontario la captation de la variable linguistique sur la carte santé. Comme il n’a pas ces informations, c’est difficile pour le gouvernement de prendre des décisions informées. S’ils ne savent pas qu’on est francophone, ils ne savent pas qu’on veut des services en français. Cela reste un des outils clés pour être en mesure d’offrir des services de santé en français. Cela mène à tous les autres problèmes dans le système.
La sénatrice Moncion : Merci.
La sénatrice Gagné : Bienvenue aux témoins. C’est toujours un plaisir de vous recevoir au comité.
Je voulais poser une question au sujet du Plan d’action pour les langues officielles de 2023-2028. J’aimerais parler du dernier plan, puis du futur plan.
Je voulais savoir si le dernier plan d’action vous a permis de mettre en place des projets novateurs en santé dans votre province.
J’aimerais aussi savoir quelles sont les attentes à l’égard de la hausse de financement pour la santé en français prévue dans le Plan d’action pour les langues officielles de 2023-2028.
Je demanderais d’abord à Mme Crist de répondre à la question. Par la suite, je poserai une question à MM. Hébert et Hominuk.
Le président : Madame Crist, la parole est à vous.
Mme Crist : Merci beaucoup. Dans le dernier plan d’action, vous demandiez si nous avions mis en place des projets novateurs, est-ce bien cela?
La sénatrice Gagné : C’est cela, oui.
Mme Crist : Je ne pense pas qu’il y ait eu des projets novateurs, à part l’enquête qui a été menée par notre organisme RésoSanté Colombie-Britannique. Nous n’avons pas eu différents projets qui ont amplifié ou amélioré l’accès aux soins pour les francophones. Les disparités en matière de soins entre les francophones et les populations de la Colombie-Britannique ont des répercussions directes sur la santé des populations francophones. Le manque d’accès aux soins de santé en français dans notre province tue les gens.
Je ne vais pas vous parler des déterminants de la santé, parce que nous les connaissons bien, aussi bien la culture et la langue que le genre. Chez nous, pour l’instant, je sais qu’il y a une hausse du financement, mais tant qu’il n’y aura pas un accord contenant des clauses linguistiques, la province se retrouve toujours dans une situation où il n’y a aucune obligation de sa part d’offrir quoi que ce soit de plus.
Par exemple, nous avons un site qui s’appelle Immunize BC. Ce site existe depuis bien avant la pandémie de COVID-19, et il a pour but de favoriser la vaccination des populations. Quand on parle de santé publique, on parle souvent de santé préventive. Ce site existe uniquement en anglais, alors les parents qui souhaitent faire vacciner leurs enfants contre la rougeole, par exemple, ont accès à ces informations ou à l’information sur les carnets de vaccination en anglais seulement.
Ce qui est important à retenir, c’est que, dans notre communauté, en 2018, dans trois écoles francophones du Grand Vancouver, il y a eu une épidémie de rougeole.
Nous avons des besoins flagrants en matière de santé publique auxquels la province ne répond pas et qui ont des conséquences directes sur nos populations.
J’ai hâte de voir ce que les hausses de financement vont apporter, mais tant qu’il n’y a pas de clauses linguistiques, je ne vois pas de changement à l’horizon pour nos populations. Est-ce que cela répond à la question?
La sénatrice Gagné : Oui, je vous remercie.
M. Hébert : Dans le dernier plan d’action, nous n’avons pas vraiment vu de stratégie novatrice visant l’amélioration des soins de santé.
Je ne sais pas si M. Hominuk a quelque chose à ajouter.
M. Hominuk : Nous avons hâte de voir les annonces du gouvernement face aux PALO, les Programmes d’appui aux langues officielles. Je présume que cela se traduira par des fonds qui seront inclus dans les ententes entre le Canada et l’Ontario et entre le Canada et les provinces. Ces ententes devraient nous donner des réponses.
Nous sommes contents des accords de principe qui existent déjà. Le principe d’équité se retrouve dans ces accords.
Les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont mentionnées spécifiquement en lien avec ce principe. Nous avons hâte de voir comment tout cela va se traduire. Nous espérons que nous aurons de meilleurs services de santé en français partout au pays.
Maintenant que l’objectif est fixé, nous allons faire un suivi pour nous assurer que cela va se faire. Par l’entremise de la Société Santé en français, qui a trois réseaux, nous voulons que le gouvernement de l’Ontario travaille avec les réseaux et avec les entités qui existent pour assurer des services en français dans toutes les régions, parce qu’il y a encore des régions où il n’y a vraiment pas de services en français.
Le président : Merci.
La sénatrice Mégie : Je vous écoutais parler au sujet de vos demandes concernant les clauses linguistiques et les accords entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
Toutefois, monsieur Hébert, quand vous parlez de l’érosion du nombre de lits dans les CHSLD et de la baisse du nombre d’infirmières francophones, croyez-vous encore que les clauses linguistiques peuvent apporter quelque chose? Si c’est le cas, y a-t-il des points particuliers que l’on devrait ajouter aux accords pour qu’ils soient efficaces quand viendra le temps de les mettre en œuvre?
M. Hébert : Lorsqu’on parle d’immigration et de reconnaissance des acquis, M. Hominuk et moi, nous nous sommes déplacés dans le centre-sud-ouest pour rencontrer les communautés. Nous avons eu la chance de rencontrer un jeune homme qui a été recruté pour s’établir au Canada, parce qu’il était infirmier spécialisé. Il avait 10 ans d’expérience en soins intensifs. Cela fait un an et demi qu’il est au Canada. Il n’a pas encore réussi à mettre les pieds dans un hôpital. Sa conjointe, qui était sage-femme, n’a pas été en mesure d’obtenir une reconnaissance de ses acquis.
On a vraiment besoin de travailler pour trouver des solutions. Je ne dis pas que des éléments spécifiques de la loi vont changer cela, mais on a besoin d’inclure des mesures dans nos accords fédéral et provinciaux afin de développer des stratégies pour la reconnaissance des acquis obtenus à l’étranger.
C’est la même chose avec les étudiants canadiens qui vont étudier à l’étranger, qui reviennent au Canada et qui ne sont pas capables de trouver un emploi dans le domaine dans lequel ils ont étudié. On est en grande pénurie de main-d’œuvre. Par contre, on ne fait peut-être pas ce que l’on devrait faire pour faciliter la situation. Si on était capable de reconnaître ces acquis, ce serait une grande avancée.
La sénatrice Mégie : Si on pouvait trouver des éléments pour assurer qu’il y ait un minimum de points à respecter pour que cela devienne efficace, y a-t-il d’autres exigences qu’on devrait respecter lorsqu’on rédige des clauses linguistiques? Si on les laisse telles quelles, on tournera en rond et ce sera la même chose; on dira simplement qu’on a besoin de places pour les anglophones, alors on prendra les lits des francophones et c’est très bien. Y aurait-il quelque chose qu’on pourrait inclure dans ces clauses linguistiques? Une pénalité? Je ne sais pas.
M. Hébert : En Ontario, par exemple, l’une des solutions est de permettre d’avoir une période de grâce plus longue pour trouver un client francophone pour occuper ce lit, mais cela vient avec la collecte de données et l’information disponible pour les personnes qui s’occupent du placement. Dans le système ontarien, lorsqu’une personne fait une demande d’admission dans un établissement de soins de longue durée, on mentionne dans son dossier que le client est francophone, mais on ne collecte pas les données pour ce qui est de sa préférence de lit. Donc, l’information est perdue dans le système et le client ne se retrouve pas nécessairement au bon endroit.
La sénatrice Mégie : Cela revient à ce que M. Hominuk a dit plus tôt, soit qu’on a des données sur la carte d’assurance‑maladie qui permettraient de savoir qu’un client francophone s’en vient. Peut-être que cela pourrait aider?
M. Hominuk : L’entente Canada-Ontario pourrait forcer la collecte de données. Si on exigeait de faire de la collecte de données dans toutes les provinces dans les ententes entre le Canada et les provinces, cela pourrait effectivement appuyer le tout. Cela donnerait peut-être l’élan dont le gouvernement a besoin pour faire la collecte de données. Cela forcerait la note.
M. Hébert : Cela fait plus de 10 ans maintenant qu’on nous a promis la collecte des données sur la variable linguistique sur la carte santé en Ontario. On attend encore qu’on livre la marchandise sur cet élément. C’est la première marche de l’escalier pour arriver à un système qui nous permettra de mieux servir la communauté francophone. Même après 10 ans, cela ne s’est pas encore produit. Si l’on ajoutait des exigences dans les ententes de contribution avec les provinces, cela permettrait d’assurer la transférabilité de cette responsabilité.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
Le président : Est-ce que je me trompe? Sur la carte, ils ont accepté de mettre les accents en français. Vous avez accueilli positivement cette initiative. Je ne sais pas si c’est un signe suffisamment fort pour que tout le monde puisse découvrir que ce sont des patients francophones plutôt qu’anglophones.
La sénatrice Clement : C’est Clement sans accent, mais je suis francophone. C’est une très bonne conversation sur les clauses linguistiques. Merci pour ces questions et merci à tous les témoins. Pour les représentants de l’AFO, la pénurie de main‑d’œuvre existe partout, dans toutes les provinces. J’aimerais savoir si vous travaillez avec les autres provinces, s’il y a un bon partage de l’information sur des pistes de solutions avec d’autres provinces. Travaillez-vous aussi avec les municipalités? On parle toujours du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, mais plusieurs villes utilisent leur propre budget pour faire du recrutement et payer des études pour trouver des solutions pour leur population.
Madame Crist, l’étude dont vous avez parlé... C’est décourageant d’entendre que la santé des immigrants se détériore cinq ans après leur arrivée au Canada. Quel suivi faites-vous avec ce genre d’étude, et de quoi avez-vous besoin pour être en mesure de faire les suivis nécessaires?
M. Hébert : En ce qui a trait à une stratégie ou à une collaboration à l’échelle nationale, on commence à discuter à la FCFA de possibles méthodes de collaboration avec différentes provinces. En ce qui concerne la pénurie de main-d’œuvre, l’un des obstacles est la reconnaissance des acquis entre les provinces vis-à-vis des ordres professionnels. Il est difficile de transférer une infirmière du Manitoba vers l’Ontario ou vice versa sans avoir à se soumettre à des exigences. C’est un obstacle qui pourrait être plus facilement négocié. Si on avait des pourparlers à un plus haut niveau avec tous les ordres, pourrait-on arriver à des normes nationales pour assurer une meilleure portabilité des professionnels de la santé?
La sénatrice Clement : Cela ne se produit pas?
M. Hébert : Plus ou moins. Il y a des ententes, mais je pense qu’elles sont difficiles. Il y aurait peut-être une façon de rendre le processus plus facilement navigable pour les personnes qui veulent aller travailler dans une autre province.
Pour nous, la pénurie de main-d’œuvre vise l’éducation. La reconnaissance des diplômes à l’étranger en est une. Le fait d’augmenter les capacités dans les établissements de formation est aussi important. La pénurie de main-d’œuvre en éducation en Ontario est grave. En Ontario, il y a actuellement 3 500 postes en enseignement qui sont pourvus par des personnes qui ne sont pas certifiées et qui ne détiennent pas leur brevet d’enseignement, parce que nous avons justement une pénurie. Comment augmenter les places à l’intérieur de cela?
Peut-on avoir une discussion sur les exigences de la pratique professionnelle? Souvent, les ordres professionnels sont autogérés. Ils ont un conseil d’administration, donc ils décident de leurs propres règlements, mais est-ce qu’on peut avoir une discussion pour imposer des normes semblables dans tout le Canada? Avons-nous besoin d’infirmières qui sont au niveau du baccalauréat ou de professionnels qui sont au niveau de la maîtrise? Les bonnes décisions ont-elles été prises au bon moment pour répondre aux besoins de la communauté? Devons‑nous nous interroger encore une fois à cet effet?
M. Hominuk : Pour renchérir sur la question des relations avec les municipalités en Ontario, l’AFO est responsable du travail provincial. À l’échelle nationale, c’est la Fédération des communautés francophones et acadienne. En Ontario, ce sont les Associations canadiennes-françaises de l’Ontario (ACFO) régionales qui ont le mandat de travailler avec les municipalités. Nos ACFO régionales sont vraiment mal financées. Dix-sept d’entre elles reçoivent environ 800 000 $. C’est presque impossible pour elles de faire le travail nécessaire sur le terrain et cela nuit au travail qui peut être fait. Il y a d’autres structures en immigration et d’autres organismes qui travaillent sur le terrain, mais nos ACFO régionales restent la clé. Ce serait intéressant pour vous d’inviter une ou deux ACFO pour discuter de la problématique et du travail qu’elles font sur le terrain.
Mme Crist : En ce qui a trait à l’étude qui a été faite en 2018 par RésoSanté, la détérioration de la santé des immigrants est une chose qui a pu être identifiée. On sait que l’immigration est un vecteur essentiel dans la province pour la croissance francophone et qu’il faut continuer de recueillir plus de données.
D’autres organismes — comme La Boussole — qui travaillent avec des Canadiens qui viennent d’autres provinces, des réfugiés, des populations en situation d’itinérance et aussi des populations souffrant de multiples dépendances recueillent des données. Nous avons beaucoup d’autres organismes provinciaux qui accumulent des données qui pourraient s’avérer utiles pour savoir précisément quelles sortes de politiques de santé publique pourraient être adaptées pour nos francophones. Voilà un début de piste.
Quand on parle de réfugiés, j’ai vu personnellement le cas d’un couple de réfugiés haïtiens qui est arrivé en 2018, qui était là, qui a perdu un enfant à la naissance à cause des barrières linguistiques; les conséquences négatives dans les salles d’accouchement et dans les urgences pour les populations de réfugiés ou en situation d’itinérance peuvent avoir des effets vraiment dévastateurs.
Le fait de ne pas avoir du tout accès à des soins de santé en français dans notre province aura des impacts à moyen et long terme sur nos populations. Les données, nous les avons grâce à nos organismes partout dans la province. Il s’agit maintenant d’avoir le financement adéquat pour établir des pistes de recherche sur les façons de mieux servir les francophones en Colombie-Britannique.
Le président : Merci beaucoup pour votre réponse.
Le sénateur Dalphond : Ma première question s’adresse à l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Monsieur Hébert, vous avez parlé de 2 500 postes d’enseignants francophones qui ne sont pas pourvus. Pour la première fois, l’année dernière, les cibles d’immigration francophone en Ontario ont été atteintes. Avez-vous senti une baisse de la pression sur le système? Avez-vous de nouvelles ressources, ou est-ce que cela ne se traduit pas par des postes en éducation ou en santé?
M. Hébert : On accueille avec joie le fait que l’Ontario a atteint ses cibles en immigration. Par contre, je crois que le nombre n’est pas suffisant pour permettre de combler nos ressources. Malgré le fait qu’on atteint les cibles, à court terme, on n’a pas l’impact escompté. On peut penser que cela fait 20 ans qu’on n’a pas atteint les cibles. Aujourd’hui, on les a atteintes une fois, mais il y a encore de grandes lacunes.
Le sénateur Dalphond : La cible peut être atteinte, mais vous avez parlé plus tôt d’une sage-femme et d’une autre personne qui travaillaient dans les urgences qui sont arrivées en Ontario, mais qui ne pouvaient pas travailler dans leur domaine d’expertise.
M. Hébert : Oui, et c’est très décevant pour la communauté francophone qui voit certains professionnels dans leur communauté qui décident de faire autre chose. Ils disent : « Je vais arrêter de me battre pour devenir infirmière, parce que ça fait un an et demi et je n’y arrive pas; je vais conduire un taxi, parce que c’est relativement rapide pour me trouver un emploi. Je pourrai ainsi répondre aux besoins de mes enfants, de ma famille. »
Cependant, cela ne nous aide pas avec nos manques de ressources professionnelles. Donc oui, c’est très décevant.
Le sénateur Dalphond : Avez-vous documenté cela? On peut parler d’événements anecdotiques, et non systémiques. Est-ce qu’on a un rapport et des données probantes là-dessus? Si oui, pouvez-vous les partager avec le comité?
M. Hominuk : On pourrait partager avec vous ce que nous avons, mais je ne crois pas qu’il y ait un rapport sur le sujet, même si on continue à collecter des données ici et là. C’est l’un des problèmes qui reste, la collecte de données probantes pour ce type d’élément. M. Hébert a parlé de 2 500 enseignants, mais ce chiffre ne comble pas les besoins en immersion. Avec les investissements importants en matière d’immersion, il y aura une plus grande demande. Dans les facultés de l’éducation, les autres provinces viennent aussi piger en Ontario. Nous sommes heureux de partager les Franco-Ontariens avec tout le pays, mais cela met de la pression sur les systèmes, qui ne répondent pas à la demande en ce moment.
M. Hébert : Je me demande si, chez Immigration et Citoyenneté Canada, au sein de leur programme de recrutement économique, on sélectionne les nouveaux arrivants pour les habiletés spécifiques qu’ils ont. Est-ce qu’il y a un suivi? Un an après leur arrivée, est-ce qu’ils se retrouvent dans un marché qu’ils avaient ciblé pour leur immigration? Ce serait beaucoup plus facile pour eux de détenir cette information que pour nous.
M. Hominuk : Durant notre comparution précédente, nous avons parlé du rapport que nous produisons pour l’automne sur la pénurie de main-d’œuvre; il y aura certainement des éléments que l’on pourra recenser dans ce rapport. Nous serions heureux de le partager avec vous.
Le sénateur Dalphond : Madame Crist, est-ce possible de nous envoyer le rapport de 2018 que vous avez mentionné, qui parle d’un manque d’accès et même de décès? Vous avez donné l’exemple de cette famille haïtienne qui a perdu un enfant. Il me semble que c’est assez choquant comme image.
Si le rapport a documenté cela, ce serait intéressant que le comité puisse l’avoir.
Mme Crist : Le rapport de 2018 n’a pas documenté cela. Cela a été documenté à La Boussole, un organisme communautaire qui aide les réfugiés. Comme c’est un organisme qui travaille avec des travailleuses sociales et des intervenants de rue, tout cela est documenté, car nous fournissons ensuite ces données au ministère du Développement social et de la Réduction de la pauvreté de la Colombie-Britannique.
Bien sûr, je vais partager avec vous le rapport que RésoSanté a publié en 2018. Un autre rapport a été produit sur la santé des femmes francophones. Dans le cadre du rapport de 2018, une des choses dont je n’ai pas parlé tout à l’heure, mais qu’il faut prendre en compte, c’est que les étudiants en santé en Colombie-Britannique doivent abandonner le français qu’ils ont acquis durant leurs études. Les étudiants en médecine qui pourraient continuer de pratiquer en français, car ils ont une base en français, se sont fait demander d’arrêter de prendre des cours de français lors de leurs études en faculté de médecine.
La Boussole a produit des rapports pour parler d’autres cas aussi. Il y a un travail qui se fait pour identifier ce qui se passe chez des professionnels de la santé francophones qui sont bénévoles à certains moments. Nous avons une équipe de sages-femmes francophones qui ont identifié ces cas et qui pourraient aussi partager leurs données avec vous. Il y a aussi des médecins à la retraite qui aident nos populations. Je trouve qu’on demande toujours à notre communauté de porter le fardeau en raison du manque d’accès aux soins. Je songe à bien d’autres cas. Il y a un livre blanc que La Boussole a commencé à rédiger, parce que nous quantifions tout et que nous sommes aux premières loges pour voir ce qui se passe — et c’est désastreux.
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup.
Le sénateur Mockler : Je me rappelle très bien lorsqu’on a créé la Société Santé en français en 2003. Je me souviens de différents discours qui ont été faits par les représentants de nos communautés. En ce moment, je lis un article de 2008 sur des revendications qui ont été faites par d’autres. Aujourd’hui, ce sont vos revendications. Vous dites cela fait 10 ans que vous attendez. Les gouvernements de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont-ils négocié une entente avec le gouvernement fédéral? Avez-vous eu connaissance que vos revendications seraient peut-être considérées?
M. Hominuk : Votre question est bonne. Encore là, le manque de donnée ne me permet pas de répondre à votre question aujourd’hui. Je suis à l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario depuis 2012 et on ne reçoit pas de rapport sur les ententes ni sur les retombées de ces ententes pour les francophones.
Le sénateur Mockler : Que pensez-vous des investissements annoncés dans le budget de 2023 en ce qui concerne les transferts en santé? Est-ce que c’est suffisant, selon vous?
M. Hébert : Oui, on a pris connaissance des investissements qui ont été faits. On ne sait pas comment le gouvernement de l’Ontario traduira ces investissements à l’endroit de la communauté franco-ontarienne et on ne connaît pas les retombées pour notre communauté.
Il est donc très difficile pour nous de juger si les fonds sont adéquats, car il n’y a pas de redevabilité de la part du gouvernement de l’Ontario pour assurer que l’on sache quels fonds sont attribués à la communauté francophone à l’intérieur de cela.
Le sénateur Mockler : Il y a deux responsabilités : la responsabilité provinciale — la santé est de compétence provinciale — et le bailleur de fonds, c’est-à-dire le gouvernement fédéral. Avez-vous eu l’occasion de vous asseoir avec le sous-ministre ou les hauts fonctionnaires, tant à l’échelle provinciale que fédérale?
M. Hominuk : En Ontario, on vient de commencer, il y a environ six mois, à s’impliquer de façon beaucoup plus active dans les dossiers de santé. Oui, il y a eu des rencontres avec le sous-ministre adjoint responsable des services de santé en français. On sent une volonté d’améliorer l’accès à la santé en français pour les francophones de l’Ontario.
En même temps qu’on propose ces changements, le système de santé vit une transformation énorme en Ontario et partout au pays. Il y a eu la création de Santé Ontario juste avant le début de la pandémie, qui a créé une complexité, car on transforme les façons de gérer le système en même temps qu’on vit une pandémie et tout ce qui en découle. C’est pour cela qu’on revient souvent aux clauses linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales. Les mesures de reddition de comptes doivent se trouver dans ces ententes. Cela aidera à la collecte de données et, à la longue, cela mènera à l’amélioration des services directs de santé à la population francophone de l’Ontario et des autres provinces.
Le sénateur Mockler : Faudrait-il revoir la Loi canadienne sur la santé — avec votre expérience, et surtout depuis la création de la Société Santé en français il y a 20 ans — pour y inclure un engagement spécifique en matière de langues officielles? Pouvez-vous nous en dire plus sur cette question?
M. Hébert : Pour moi, la réponse est simple : oui, je crois qu’on aurait besoin d’une reddition de comptes sur le plan des obligations linguistiques des provinces. Cette redevabilité à l’intérieur des ententes et de la loi forcerait les gouvernements, comme celui de l’Ontario, qui n’en fait pas actuellement, à faire de la collecte de données. Je pense que pour nous, ce serait une solution avantageuse.
M. Hominuk : Tout repose sur la collecte de données et les mesures qui doivent être décrites. C’est un peu pour cela que nous n’avons pas toujours de réponses à vous donner aujourd’hui. Nous n’avons pas accès aux données, et cela nuit. Il est assez surprenant qu’on en soit encore là en 2023.
Mme Crist : Pour revenir à la question sur les transferts de fonds et les investissements qui seront faits pour les soins de santé, je dirais que les transferts seront insuffisants, car ils ne sont pas liés à des clauses linguistiques. En Colombie-Britannique, nous sommes chanceux, parce que notre ministre de la Santé, M. Dix, est aussi ministre responsable de la francophonie. Nous espérons une meilleure compréhension de sa part des besoins en santé de notre population francophone. Cela reste à négocier, mais sans ces clauses linguistiques, il n’y a pas d’échappatoire; nous ne verrons pas de changements positifs à moyen et long terme. Il faut que nous sachions quelles sont ces ententes. Comme l’ont dit mes collègues, le fait qu’il y ait un manque de reddition de comptes et de transparence nous laisse dans l’obscurité.
Le sénateur Mockler : Merci à vous trois. Vous avez certainement pris connaissance du projet de loi C-13. Comme on dit chez nous en Acadie, il est en suspens. J’aimerais avoir votre opinion : étant donné que vous avez pris connaissance du projet de loi C-13, quels changements devrait-on y apporter pour améliorer les soins de santé?
Mme Crist : Si je peux me permettre [Difficultés techniques] a proposé un amendement pour des clauses linguistiques. Ce serait déjà un bon début.
Le président : Madame Crist, je pense qu’il vous demandait ce que vous proposez au sujet des clauses linguistiques. Je crois que vous vous êtes déjà exprimée à ce sujet.
Mme Crist : Il faudrait avoir des ententes pour chaque entente fédérale-provinciale et qu’il y ait des clauses linguistiques dans tous les domaines, notamment la santé. Avec ce système de dévolution, chaque fois que le gouvernement fédéral transfère quelque chose à la province, on voit que nos droits passent à la trappe.
M. Hébert : On aimerait voir le projet de loi devenir loi, qu’on aboutisse et qu’on passe enfin à la mise en œuvre, pour qu’on puisse travailler avec le contenu de la loi, tout en sachant qu’il y a une révision prévue éventuellement et qu’on pourra le raffiner à ce moment-là. Il y a plusieurs années qu’on l’attend. Il faut une révision de ce qu’on a actuellement pour aller de l’avant.
Le sénateur Mockler : Merci.
Le président : Il nous reste quelques minutes. On parle beaucoup du manque de données probantes. Il y a eu, depuis quelques jours, des constats assez alarmants sur les défis liés à la recherche en français au Canada. Les gens de ce secteur sont très inquiets, car il y a très peu de projets de recherche en français qui sont acceptés. Je ne sais pas si mon pourcentage est bon, mais 95 % des projets de recherche au Canada se font en anglais. Cela a un impact sur la recherche, mais aussi, indirectement, sur les données qu’on peut recueillir. Peut-être que je déborde du cadre, mais le gouvernement doit-il être plus actif dans le soutien à la recherche en français au Canada?
Mme Crist : Si je peux me permettre de répondre à cette question... Justement, je viens de passer une semaine à Rome pour présenter deux projets de recherche en santé publique au World Congress on Public Health. J’ai fait aussi une proposition à [Difficultés techniques], une conférence justement au Canada, en Ontario, à Ottawa. Malheureusement, parce que j’ai soumis ma recherche en français, on m’a dit qu’il fallait absolument que je la présente en anglais. À Rome, j’ai pu présenter une recherche faite par mon équipe de la Colombie-Britannique, mais je n’ai pas pu faire la même chose au Canada.
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il y a une carence qui nuit à la recherche en santé.
Le président : Merci. Monsieur Hébert?
M. Hébert : Pour ajouter à ce témoignage-là...
Le président : Par exemple, le fait que la santé soit, dans le projet de loi C-13, reconnue comme un secteur essentiel — si c’est le cas —, qu’est-ce que cela peut vouloir dire concrètement? Si cela figure dans la loi, comment voyez-vous la déclinaison concrète de tout cela sur le plan de la mise en œuvre de la loi, surtout dans la situation des soins de santé chez vous?
M. Hébert : Il est évident que, sur le plan de la redevabilité dans les ententes fédérales-provinciales, je pense qu’on pourrait voir de grandes avancées. Ce serait positif, mais cela nous prend un élément de redevabilité de la part de la province pour être capable de bien identifier... La collecte de données commence là. L’Ontario nous dit qu’ils sont en train de faire un virage dans leur système de collecte de données. Il faut que les exigences linguistiques tiennent compte de cette réalité pour permettre des progrès futurs au sein du système de santé. On ne peut pas se permettre de ne pas faire partie de cette réforme.
Le président : Il nous reste environ trois minutes et demie. Sénatrices Moncion et Gagné, vous êtes sur la liste pour une deuxième question. Si vous la posez très rapidement et que la réponse est courte, on pourrait prendre le temps de les entendre.
La sénatrice Moncion : Ma question a été posée au sujet du projet de loi C-13 et des clauses linguistiques. J’en avais une autre pour mes collègues, mais je vais...
La sénatrice Gagné : On a répondu à ma question.
Le président : Sur ce, madame Crist, monsieur Hébert et monsieur Hominuk, je vous remercie de vos témoignages et de vos réponses claires. Cela nous aidera dans le travail que nous avons à faire dans le cadre de cette étude.
Pour notre deuxième groupe de témoins ce soir, nous sommes heureux d’accueillir M. Carl Bouchard, commissaire aux services en français par intérim, Bureau de l’ombudsman de l’Ontario.
Bonsoir, monsieur Bouchard, et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires et ensuite, nous procéderons à une période de questions et de réponses.
Carl Bouchard, commissaire aux services en français par intérim, Bureau de l’ombudsman de l’Ontario : Bonsoir à toutes et à tous. Je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Carl Bouchard et je suis commissaire par intérim aux services en français de l’Ontario
« Please speak in English »: c’est la note qui a été laissée sur l’oreiller d’une patiente francophone par le personnel soignant d’un hôpital désigné pour offrir des services en français en Ontario. La note a été retrouvée par sa famille peu avant son décès. Cette patiente francophone a terminé sa vie en se faisant refuser des soins de santé en français. Imaginez un instant vous retrouver dans cette situation. La famille de la patiente nous a contactés. Mon équipe et moi, à l’Unité des services en français du Bureau de l’ombudsman de l’Ontario, avons travaillé avec l’hôpital afin de résoudre cet enjeu. En tant qu’officier indépendant de l’Assemblée législative de l’Ontario, je m’assure que les enjeux sont résolus de manière à démontrer que la solution est satisfaisante et qu’elle mène à des services en français fiables et viables.
À la suite de notre intervention, l’hôpital a fait une révision complète de ses politiques en ce qui concerne les services en français et s’est assuré que les services qui devaient être offerts en français sont disponibles et offerts activement. Dans ce cas, nous avons pu intervenir parce que l’hôpital est désigné en vertu de la Loi sur les services en français pour offrir une partie de ses services en français. À l’exception de l’éducation et de la justice, le français n’a pas le statut de langue officielle en Ontario. Pour la province, la désignation est généralement la seule façon par laquelle les hôpitaux, et la plupart des soins de santé d’ailleurs, ont l’obligation d’offrir des services en français.
La désignation est un processus par lequel un organisme se voit assujetti à la Loi sur les services en français et soumis à des obligations d’offrir une partie ou l’ensemble de ses services en français. Il y a une vingtaine d’hôpitaux désignés en Ontario pour une population de plus de 620 000 francophones. Quatre-vingts pour cent de la population francophone de l’Ontario réside dans l’une des 27 régions désignées par la loi. Ces régions reçoivent une offre accrue de services en français par la province. Parmi ces 27 régions, 13 seulement ont au moins un hôpital désigné permettant d’offrir une partie ou la totalité de ses services en français.
Ces 13 régions sont situées surtout dans l’Est de l’Ontario, ce qui laisse le centre-sud-ouest, qui inclut Toronto, et le Nord de l’Ontario avec très peu d’hôpitaux désignés. La capacité d’obtenir des services en français par l’entremise de la Loi sur les services en français est donc limitée dans le domaine de la santé — et notre capacité d’intervention également.
Des entités comme les équipes Santé Ontario ne sont pas des organismes gouvernementaux et ne relèvent pas de la Loi sur les services en français, ce qui laisse donc une grande partie du système de santé sans obligations d’offrir des services dans la langue de la minorité, le français. Des organismes comme les bureaux de santé publique locaux dans les municipalités ne sont pas des organismes gouvernementaux au sens de la Loi sur les services en français, et ils n’ont donc pas l’obligation d’offrir des services en français.
Dans le cadre de la réflexion que vous avez entreprise sur l’amélioration des services en français dans le secteur de la santé, je vous encourage à évaluer si le gouvernement du Canada a suffisamment de données sur les résultats de ses investissements en santé en ce qui concerne la prestation de services dans la langue de la minorité — le français dans le cas de l’Ontario.
Le domaine de la santé est parmi les trois secteurs pour lesquels on traite le plus de cas. Au cours des trois dernières années, un cas sur cinq que nous avons traité visait le secteur de la santé. Le tiers de ces cas était lié à des enjeux de services en ligne et l’autre tiers touchait des enjeux liés à l’offre de services en personne auprès de francophones, principalement dans des hôpitaux désignés.
Ces enjeux ont été résolus avec la collaboration du gouvernement de l’Ontario et des organisations visées qui ont trouvé des solutions. Je songe par exemple à la capacité d’ajouter des caractères de la langue française sur les cartes santé en Ontario.
Nous avons constaté que la grande majorité des difficultés éprouvées par les francophones n’auraient pas fait l’objet de plaintes si une planification stratégique avait été établie. Dans notre premier rapport annuel, nous avons recommandé de remédier aux enjeux liés à la planification. Nous avons recommandé que chaque ministère de l’Ontario se dote d’un plan stratégique pour son offre de services en français.
La planification, c’est d’autant plus important en Ontario que, depuis le 1er avril de cette année, le gouvernement de l’Ontario est assujetti à un règlement en vertu de la Loi sur les services en français qui impose l’offre active de services en français.
L’offre active veut dire que vous n’avez pas à vous demander si vous pouvez parler en français ou non; vous savez que vous le pouvez.
Imaginez maintenant ce que cela représente pour le secteur de la santé, qui reçoit une partie énorme du budget de la province. La planification stratégique est donc cruciale pour maximiser la capacité de répondre aux besoins des francophones de l’Ontario. C’est là où la collaboration intergouvernementale peut jouer un rôle important, pour assurer que les francophones aient accès à des soins de santé en français avec ou sans obligation légale.
La planification exige d’amasser des données, de s’intéresser proactivement à l’expérience vécue de l’utilisation des services en français par les francophones et de mesurer et ajuster nos efforts pour que nos ressources soient investies dans des services pertinents et fiables.
Pourquoi faire tout cela? Je pense qu’il est important de se rappeler pourquoi l’Ontario s’est doté d’une Loi sur les services en français. Le préambule de la loi reconnaît que le français a le statut de langue officielle au Canada, et même si elle ne jouit pas du même statut en Ontario, l’Ontario veut sauvegarder l’apport du patrimoine culturel de la population francophone pour les générations à venir.
L’Ontario joue un rôle pivot pour l’épanouissement du français au Canada.
C’est en Ontario que résident le plus grand nombre de francophones à l’extérieur du Québec. La Loi sur les services en français contribue à protéger une partie de l’identité linguistique et culturelle canadienne. Le gouvernement de l’Ontario a accepté nos recommandations et nous allons continuer de travailler avec lui jusqu’à ce que l’ensemble de nos recommandations aient été mises en œuvre.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup pour votre déclaration d’ouverture, monsieur Bouchard.
La sénatrice Moncion : Merci et bienvenue. Le poste de premier ministre est disponible en Ontario et ce serait agréable que ce soit un francophone comme vous, si jamais vous avez de telles aspirations.
La Stratégie ontarienne pour les services en français, d’une durée de trois ans, vise à renforcer la planification, la capacité et la prestation des services en français dans la province. Cette stratégie comprend la modernisation de la Loi sur les services en français, qui a reçu la sanction royale en décembre 2021. Certains de vos commentaires font d’ailleurs suite à la mise en œuvre de cette loi.
On y a inclus des objectifs, dont l’augmentation de la main-d’œuvre francophone et bilingue et aussi, pour les professionnels de la santé, la planification et la prestation de services, particulièrement l’offre de services numériques dans le secteur de la santé.
Où en est-on avec ces fameuses recommandations? Je comprends qu’il y a des obligations, mais jusqu’à quel point le gouvernement est-il ouvert à répondre à ces besoins et à ces exigences qui figurent dans la Stratégie ontarienne pour les services en français?
M. Bouchard : Je pose souvent les mêmes questions. Merci beaucoup pour votre question.
La Stratégie ontarienne pour les services en français est certainement un excellent exemple de planification pour améliorer les services à moyen et long terme.
Je rencontre plusieurs organisations en Ontario, comme des fournisseurs de soins de santé, des hôpitaux, des cliniques, des infirmières et infirmiers et des gens qui travaillent dans toutes sortes d’autres domaines. Généralement, je pose les questions suivantes. Qu’est-ce qu’on connaît vraiment du système de santé en Ontario? Qu’est-ce qu’on connaît sur la capacité bilingue dans nos institutions? Je parle de la vraie capacité bilingue.
L’ensemble des personnes qui sont en mesure d’offrir des services en français ne s’identifient pas nécessairement pour offrir des services; alors que connaît-on sur la capacité de progression d’une carrière lorsqu’on occupe un poste bilingue? Il s’agit souvent de postes difficiles à pourvoir et les gens qui occupent ces postes ont tendance à les occuper pendant une longue période. Qu’est-ce qu’on connaît sur la qualité du travail? Qu’est-ce qu’on connaît sur les horaires et sur la capacité de soins d’endroits où, bien sûr, il n’y a pas toujours de francophones qui sont disponibles? Qu’en est-il des quarts de nuit, des fins de semaine, des congés et des endroits où la pénurie de la main-d’œuvre se fait sentir de façon encore plus accrue? Qu’est-ce qu’on connaît du ratio entre les patients et les professionnels quand on parle français et qu’on est la seule ressource sur place en mesure d’offrir un service à plusieurs personnes qui se retrouvent dans une institution?
Ces données et ces informations sont très peu disponibles, d’après ce que j’ai pu observer jusqu’à maintenant et d’après les travaux que nous avons menés et les questions que nous avons posées.
J’encourage le gouvernement de l’Ontario, dans le cadre de la collaboration intergouvernementale, à se poser ces questions et à savoir où en est le système et où on veut l’amener.
C’est évidemment important de développer la main-d’œuvre; on ne va pas se le cacher, il y a une pénurie de main-d’œuvre francophone en Ontario comme au Canada. Comment peut-on être efficace si on ne sait exactement là d’où l’on part?
La sénatrice Moncion : Merci pour votre réponse très claire. Cela revient à ce que le groupe précédent disait, soit que le manque de données fait en sorte que nous disposons de très peu d’outils pour la mise en œuvre de stratégies.
J’aimerais vous poser une seconde question. Selon ce que je comprends, le Bureau des services de santé en français conseille le ministre de la Santé et le ministre des Soins de longue durée sur la prestation de services conformément aux exigences de la Loi sur les services en français. Certains établissements, à Ottawa par exemple, sont désignés comme des établissements francophones offrant en premier lieu des services aux francophones, surtout en ce qui a trait aux soins de longue durée. Cependant, lorsque les noms figurent sur une liste d’attente, dès qu’une place se libère, peu importe que ce soit dans un établissement francophone ou non, c’est le prochain endroit où on va envoyer une personne, peu importe sa langue.
Quel genre de stratégie peut-on mettre en place pour protéger ces places qui devraient être réservées pour des patients qui ont besoin de soins de longue durée et pour qu’elles soient conservées pour des francophones?
M. Bouchard : La création du bureau auquel vous faites référence découle de la Loi sur les services en français, qui demande à chacun des ministères de nommer un coordonnateur des services en français pour le ministère et qui l’avise de ses obligations en vertu de la Loi sur les services en français, et ce, avant même que j’exerce mon rôle pour surveiller la mise en œuvre. C’est extraordinaire; le ministère en question dispose des outils nécessaires pour faire une bonne planification et évaluer l’impact de ses investissements.
Là où la réflexion s’impose, comme vous le mentionnez, c’est sur l’optimisation des ressources. On annonce la disponibilité des services, mais ces services ne sont pas nécessairement utilisés par des francophones, que ce soit parce que le besoin n’est pas là ou parce qu’il y a une concordance d’événements qui fait qu’il y a un surplus sur le plan de l’inventaire pour les francophones — peut-être que dans trois ans on en aura besoin, mais pas pour l’instant. C’est souvent ce qui arrive. Et là, on commence à remplir ces services qui devraient être disponibles pour des francophones avec des gens qui en ont besoin dès maintenant.
La sénatrice Moncion : En raison de la Loi de 2022 pour plus de lits et de meilleurs soins —, le projet de loi no 7, cela ne s’applique plus tellement; pouvez-vous aussi donner plus de détails à ce sujet?
M. Bouchard : La capacité d’avoir un impact direct dans le domaine de la santé est limitée en vertu de la Loi sur les services en français, pourvu que les organismes eux-mêmes ne soient pas désignés. La province doit travailler avec l’inventaire disponible de services désignés. C’est là où il y a une possibilité d’accroître la disponibilité des services.
En dehors de la Loi sur les services en français, lorsque le gouvernement de l’Ontario décide d’octroyer des lits dans le secteur des soins de longue durée, par exemple, ces lits n’ont pas nécessairement un lien direct avec la Loi sur les services en français que je supervise. Cela dit, ces lits se retrouvent dans des organismes qui sont souvent désignés comme ayant la capacité d’offrir des services en français. Ce n’est pas le cas dans l’ensemble des organismes et cela découle de différentes lois, comme la Loi de 2019 pour des soins interconnectés, ou d’autres lois connexes, comme la Loi de 2022 pour plus de lits et de meilleurs soins, qui amènent le gouvernement à prendre des décisions qui vont au-delà de la Loi sur les services en français.
Il est certain que, de façon réaliste, nous devons être au courant qu’un certain nombre de ressources sont disponibles et qu’elles doivent donc être maximisées et utilisées. C’est la raison pour laquelle on accorde autant d’importance à la planification. Ce qu’on a remarqué depuis que je me suis joint à l’Unité des services en français au Bureau de l’ombudsman de l’Ontario il y a maintenant plus de trois ans, c’est que le manque de planification fait en sorte que les discussions portent sur les secteurs où sont envoyées les ressources et sur la façon dont elles sont encadrées. Par exemple, si on envoie un lit dans un centre de soins de longue durée qui n’est pas désigné en vertu de la Loi sur les services en français, est-ce que la capacité francophone existe autour de ce lit, ou est-ce qu’on envoie un francophone se faire servir par je ne sais qui?
Comme cette capacité d’intervenir en vertu de la Loi sur les services en français est limitée, on insiste pour qu’il y ait une planification de la part des ministères pour que ces discussions soient évaluées et que les ressources, qu’elles soient financières, techniques ou humaines, soient assignées correctement pour que les francophones aient les services auxquels ils ont droit, mais aussi dont ils ont besoin en dépit des obligations juridiques.
La sénatrice Moncion : Merci beaucoup.
La sénatrice Mégie : Merci d’être avec nous, monsieur Bouchard.
Je vous ai entendu dire qu’un certain pourcentage de plaintes a été résolu; qu’est-ce que vous entendez par là? S’agit-il de plaintes examinées par le biais du mécanisme de résolution des plaintes, y compris en rencontrant les familles et ainsi de suite, pour ensuite donner une réponse favorable à ces personnes, ou bien s’agit-il d’une résolution?
Une fois qu’on a donné satisfaction à la famille — si c’est la nécessité —, est-ce qu’on tire des leçons de cette plainte pour s’assurer que la situation ne se reproduise plus?
M. Bouchard : J’espère qu’on tire des leçons de notre intervention. J’en tire certainement, et c’est aussi la base des recommandations mises de l’avant dans le cadre de notre rapport annuel, lesquelles font suite aux plaintes qui ont été traitées. Nous tirons des leçons et nous voulons partager les pratiques exemplaires développées par l’entremise de ces plaintes. Comme nous sommes un agent de l’assemblée législative, cela veut dire que nous développons notre propre dossier en ce qui a trait au mécanisme de résolution des plaintes; nous entendons les plaignantes et les plaignants francophones qui partagent avec nous leurs histoires, leur réalité et leur expérience d’utilisation des services en français.
Ensuite, nous contactons les ministères pour comprendre les enjeux qui ont été soulevés et pour essayer de comprendre pourquoi ces enjeux ont eu lieu.
Nous travaillons avec les ministères jusqu’à ce que nous trouvions une résolution qui nous satisfait, que le service mis en place soit de qualité et que la situation qui a été portée à notre attention ne se reproduise plus. De là, nous mettons en commun des pratiques exemplaires avec les différents organismes. Nous mettons en commun des pratiques exemplaires par l’entremise de nos recommandations. Nous le faisons parce que nous espérons que notre expérience dans le domaine de la santé, postsecondaire ou autre... Je prends l’exemple de notre enquête sur les coupes dans la programmation en français de l’Université Laurentienne. Nous avons fait des constats dans ce contexte sur la gestion des organismes désignés en Ontario. Nous nous sommes rendu compte du manque de communication et de collaboration entre les parties engagées pour gérer les obligations d’un organisme, soit offrir des services en français.
Les ministères et les organismes devaient se parler davantage et préciser les manières de respecter les obligations, pour que les services soient fiables et durables sur le terrain. Ces mêmes constats s’appliquent tout à fait dans le domaine de la santé ou dans un autre domaine où l’on parle de biens gouvernés, un service aussi important qu’un service qui découle de la Loi sur les services en français.
La sénatrice Gagné : Bienvenue, monsieur Bouchard.
J’aimerais que vous preniez un peu de recul et que vous évaluiez votre rôle, à savoir si vos pouvoirs prévus dans la Loi sur les services en français sont suffisants pour provoquer des changements dans la pratique des organismes assujettis à cette loi.
M. Bouchard : Évidemment, dans un poste comme celui-ci, le pouvoir d’influence est très important. Depuis qu’on rédige nos rapports annuels avec le Bureau de l’ombudsman de l’Ontario, en 2019 et 2020, nous avons déposé trois rapports annuels qui contiennent 11 recommandations. L’ensemble des recommandations ont été acceptées par le gouvernement et ont été ou sont en train d’être mises en œuvre.
Nous avons réglé plus de 1 100 cas jusqu’à maintenant avec le gouvernement de l’Ontario, ses agences, ses tiers et les institutions de la législature, dont le Bureau de l’ombudsman de l’Ontario, la commissaire à la vie privée ou le directeur des élections.
Dans le cadre de notre enquête sur l’Université Laurentienne, nous avons émis 19 recommandations. L’ensemble de nos recommandations ont été acceptées et d’énormes progrès ont été faits. Nous avons déposé notre rapport il y a un peu plus d’un an.
Cette possibilité d’influencer le changement dans une direction positive, qui voit des organismes renforcer l’offre de services en français, peut être exercée seulement si on est en mesure d’apporter des faits concrets et de convaincre autant le gouvernement que les francophones de l’Ontario que notre approche est raisonnable et nécessaire et qu’elle peut mener à des résultats positifs pour les francophones, surtout si on écoute nos recommandations et si on les met de l’avant.
Nous sommes des experts et des expertes pour ce qui est de résoudre des enjeux, trouver des solutions et partager des pratiques exemplaires. Les gens ont tout intérêt, que ce soit des dirigeants au sein du gouvernement ou de leurs agences ou toute autre entreprise privée qui offre des services au nom du gouvernement de l’Ontario, à travailler avec nous et à écouter ce que nous mettons de l’avant pour mieux servir les francophones en Ontario. Si les gens continuent d’écouter, nos pouvoirs sont adéquats.
La sénatrice Gagné : La dernière phrase est importante : si on vous écoute. Auriez-vous des recommandations à faire pour améliorer la situation et pour veiller à ce que le gouvernement pose des actions ou que les organismes assujettis à la loi la respectent?
M. Bouchard : Je ne voudrais pas présumer de situations hypothétiques. Cela étant dit, nous avons des exemples concrets de problèmes en Ontario qu’il serait important de résoudre.
Par exemple, le Règlement 398/93, qui est un règlement qui existe en vertu de la Loi sur les services en français, concerne l’ensemble des organismes désignés en Ontario. Ce règlement existe depuis le début des années 1990. À l’intérieur de ce règlement, on retrouve plus de 260 organismes désignés. De façon anecdotique, mon équipe et moi avons recensé 80 organismes qui ont changé de nom, fermé leurs portes ou fusionné avec des organismes qui offrent majoritairement des services en anglais. La capacité de déterminer où se trouvent ces services et de comprendre la responsabilité et les obligations est un casse-tête important. Dans notre dernier rapport annuel, nous avons recommandé au gouvernement de l’Ontario de résoudre cet enjeu pour que le règlement fasse l’objet d’une mise à jour et pour déterminer où sont les obligations d’offres de services en français par l’entremise des organismes désignés en Ontario. Nous voulons savoir à quoi nous attendre dans le cadre de notre travail de surveillance. Nous voulons que ces services soient bel et bien offerts en français et qu’ils soient de qualité. Nous voulons savoir à quoi ressembleront les services en français en 2023.
Nous avons des enjeux assez importants qui nous prouvent que nous avons une capacité d’influence et que nous pouvons obtenir des résultats de fond pour les francophones en Ontario — tant du point de vue de la planification que de la mise à jour des outils de gouvernance des services en français en Ontario —, au fur et à mesure que nous continuerons de travailler avec le gouvernement.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le président : Je vais à mon tour vous poser quelques questions. Je me réjouis de la connaissance que vous avez du terrain. Cela m’impressionne. C’est manifeste que vous connaissez extrêmement bien les défis des services de santé en Ontario.
Dans le contexte fédéral, je me demande si vous avez des réflexions que vous pouvez partager avec nous sur le rôle du commissaire aux langues officielles, entre autres. Dans le projet C-13 et dans les Ententes Canada-Ontario sur les services en français, par exemple, sur la question des clauses linguistiques qui a été abordée plus tôt, que peut faire le gouvernement fédéral, selon vous, pour aider à améliorer les services en français en Ontario et vous aider dans votre travail?
M. Bouchard : L’idée de la planification de l’ensemble des ministères que nous avons mise de l’avant en 2019-2020 est largement inspirée des pratiques exemplaires qui existent au fédéral par l’entremise du Plan d’action pour les langues officielles et le Rapport annuel sur les langues officielles.
Nous nous sommes également penchés sur la situation au Manitoba, qui a également une obligation de produire des plans pour l’ensemble des ministères pour se conformer à leurs obligations. Nous nous alimentons beaucoup de ce qui existe ailleurs au Canada et ce que font les autres ordres de gouvernement. Il existe des ententes entre les différents ordres de gouvernement dans le cadre de leurs négociations intergouvernementales, que ce soit en santé ou dans les Ententes fédérales-provinciales-territoriales sur les services en français. La collaboration est constante entre les ordres de gouvernement.
Quand on parle de l’importance de comprendre l’état des services en français et d’établir des mesures de performance pour déterminer où l’on peut faire une différence, je pense que la discussion est tout à fait appropriée au sein des différents ordres de gouvernement qui investissent au même endroit, comme c’est le cas en santé par l’entremise des paiements de transfert du gouvernement fédéral aux provinces et par les investissements des provinces sur leur propre territoire pour offrir des services. La Loi sur les services en français est limitée. Je pense que je l’ai bien illustré. Il y a des occasions d’améliorer l’offre de services en français par les investissements et les négociations qui existent.
Encore faut-il que l’on comprenne quels sont exactement les besoins des francophones, quelles données sont disponibles et comment on peut évaluer l’impact de nos investissements et de nos actions pour pouvoir ensuite évaluer comment on voudra progresser.
Je pense que ces discussions ne se font pas, parce qu’on peut constater qu’il n’y a pas de planification systématique, à l’heure actuelle, pour l’offre de services en français. Dans le domaine de la santé, c’est un enjeu extrêmement important, étant donné la nature du service lui-même. Quand on veut protéger le patrimoine culturel pour les générations à venir, encore faut-il qu’il y ait des générations à venir. Cela présume que ces générations sont en bonne santé.
On ne force pas les gens à faire des choix sur leur identité. En Ontario, il y a énormément d’intersectionnalité, en raison de la provenance des gens sur le plan géographique et de leur expérience de vie. Comment définit-on la qualité d’un service en français dans un secteur aussi critique que la santé, où les gens sont dans un état vulnérable et où on ne veut pas être forcé de choisir entre différentes parties de notre identité, pour pouvoir s’exprimer en français, ou de laisser tomber notre francophonie pour s’exprimer davantage à d’autres niveaux. Je pense que ce sont des réflexions modernes et pertinentes. Je ne vois pas d’exemples concrets où ces réflexions ont lieu.
Dans un contexte gouvernemental où les investissements sont déterminés et où on va investir dans des services, je pense qu’il est responsable de se poser des questions et d’évaluer l’impact de nos investissements et de nos démarches.
Le président : Merci de cette réponse.
La sénatrice Clement : Merci beaucoup d’être ici. J’ai travaillé longtemps avec Me Étienne Saint-Aubin, qui a travaillé à l’élaboration de cette loi sous l’égide de Roy McMurtry. Je suis contente que l’on parle encore de cette loi.
Vous avez indiqué que le règlement doit être révisé et qu’il faut donner l’heure juste sur qui offre les services. Croyez-vous qu’il y a eu un essoufflement dans le processus de désignation? Croyez-vous que les organismes qui devaient traverser ce processus manquent de financement et de ressources et sont incapables de rester à jour?
Vous avez parlé de l’intersectionnalité. En ce qui a trait aux plaintes reçues, êtes-vous capables de déterminer si les gens qui se heurtent à plusieurs barrières vont se plaindre ou seront en mesure de le faire? Y a-t-il quelque chose dans vos données qui reflètent l’impact de l’intersectionnalité dans les services de santé?
M. Bouchard : Je vais commencer par la deuxième partie de votre question, puis revenir à la première. L’intersectionnalité est une préoccupation très importante pour moi. Je continue de développer des données qui nous permettront d’évaluer la situation des gens qui nous contactent. Ces données sont quand même difficiles à identifier. Un travail de réflexion et de planification doit s’effectuer pour le faire correctement. J’invite l’ensemble des intervenants, qu’il s’agisse du Sénat, du gouvernement du Canada ou du gouvernement de l’Ontario, à faire cette réflexion sur la réalité de 2023. Quel est le portrait type des gens qui nous contactent? Qui sont ceux qui travaillent avec nous? Qui veut avoir accès à nos services? Comment décliner ces identités pour que les gens se reconnaissent dans nos services en français? J’ai cette préoccupation.
J’occupe la fonction de commissaire aux services en français depuis le 3 mars 2023. Si je suis en mesure de faire des progrès dans cette direction, je serai très fier de l’avoir fait. Cela demeure une préoccupation importante. J’ai rencontré jusqu’à maintenant une soixantaine d’organismes, dont plusieurs sont issus de différentes réalités de la francophonie de l’Ontario. J’espère qu’ils pourront se reconnaître dans l’ensemble du travail que nous faisons et qu’ils pourront continuer de nous alimenter de façon proactive pour qu’on les connaisse davantage.
En moyenne, nous avons 300 à 315 nouveaux cas qui nous sont racontés chaque année. Il y a plus de 620 000 francophones en Ontario. J’ai de la difficulté à croire que les gens ont développé le réflexe de partager leur expérience, et j’espère que les efforts que nous faisons dans le but de rejoindre les gens dans leur quotidien et de refléter leur réalité les encourageront davantage à travailler et à partager leur quotidien pour que l’on puisse avoir un impact concret et que l’on développe des connaissances de pointe sur leur réalité et leur identité.
En ce qui concerne la Loi sur les services en français et l’essoufflement que vous avez mentionné plus tôt, je suis optimiste de nature. J’espère que les gens continuent d’être aussi passionnés que moi par l’importance d’appuyer la francophonie ontarienne et le bilinguisme canadien.
La sénatrice Clement : Je parlais d’un manque de capacité. Ce n’est pas un manque de passion. Les francophones sont passionnés, mais l’essoufflement est réel.
[Traduction]
C’est en raison d’un manque de ressources.
[Français]
M. Bouchard : Les ressources sont limitées. Les services en français ne devraient pas dépendre seulement d’investissements financiers. Un droit, c’est un droit. Si un francophone a droit à un service, on doit planifier et être en mesure d’offrir ce service. J’examine la Loi sur les services en français en fonction des obligations qu’elle impose sur le système en Ontario. J’invite le système à poser les bonnes questions pour obtenir les services en place et avoir un impact concret dans le quotidien des gens. Plus il y a de monde, plus il y a de services, plus il y a une réflexion qui s’impose.
On est en train de bâtir quelque chose. C’est un projet de société. Les services en français en Ontario, ce n’est pas seulement une question de personnes francophones ou bilingues; cela touche aussi la majorité anglophone. C’est une partie de notre identité linguistique, c’est une partie de nous, comme Canadiennes et Canadiens.
J’espère que les gens se sentiront interpellés par cette réflexion et contribueront à l’effort. Plus on construit quelque chose ensemble, plus on développe de nouveaux services et de nouvelles approches dans un monde changeant, plus on voit la Loi sur les langues officielles et la Loi sur les services en français faire l’objet de révisions. En Ontario, les nouveaux pouvoirs imposent maintenant l’offre active. L’offre active, cela veut dire que lorsqu’on entre dans un organisme, l’affichage est en français, le personnel est en mesure d’offrir un service bilingue immédiatement et les services électroniques sont disponibles. Ce n’est pas une mince affaire.
On voit que, depuis le début de la mise en œuvre de la Loi sur les services en français, à la fin des années 1980, le travail a été continu et a nécessité de grandes réflexions et beaucoup de passion de la part des francophones et de la population en général pour que les services soient offerts. Si on apprend du passé, il reste certainement des questions importantes à se poser. J’espère que l’on aura l’énergie et le soutien social nécessaires pour continuer de progresser en tant que Canadiennes et Canadiens vers la reconnaissance du français et de l’anglais comme deux langues officielles à parts égales.
La sénatrice Clement : Merci, monsieur Bouchard.
Le sénateur Mockler : Premièrement, je veux vous féliciter. Vous connaissez votre sujet. J’aimerais vous poser quelques questions. Je vois que vous êtes un agent de l’Assemblée législative de l’Ontario. Est-ce rêver en couleur de croire que l’Ontario deviendra officiellement bilingue un jour, comme le Nouveau-Brunswick?
M. Bouchard : C’est une question à poser aux représentants du gouvernement de l’Ontario et sans doute aussi aux représentants du gouvernement canadien. Si on prend l’exemple du Nouveau-Brunswick, il est évident qu’en Ontario, la Loi sur les services en français offre des possibilités intéressantes. Dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les services en français, le gouvernement de l’Ontario a redéfini le paragraphe 5(1), qui donne accès à des services en français par l’entremise de toute agence centrale, tout ministère ou tout bureau situé ou servant une région désignée ou tout autre bureau désigné par règlement pour offrir des services en français.
Cet ajout à la Loi sur les services en français qui définit le droit d’accès aux services en français est important, car cela donne la flexibilité requise au gouvernement de l’Ontario pour identifier où sont les besoins et où il est nécessaire d’avoir des obligations qui ne dépendent pas nécessairement de la désignation de régions.
En Ontario, on travaille beaucoup avec la désignation des régions, qui impose au gouvernement de l’Ontario des obligations dans l’ensemble d’une région pour ce qui est d’offrir ses services en français par l’entremise de ses ministères ou de tout bureau, comme ServiceOntario ou la LCBO, qui sont situés dans cette région. L’article modernisé assure une flexibilité supplémentaire pour dépasser les barrières de régions désignées. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir du numérique. Par contre, on doit être prudent. Quand je parle de services équivalents, sans délai, fiables et de qualité, on doit assurer que le numérique ne devienne pas un pansement pour l’offre de service en français qui, par défaut, deviendra une offre numérique. Cela dit, le numérique nous offre des possibilités très intéressantes d’améliorer l’offre de service en français.
Le sénateur Mockler : Je regarde une des recommandations du commissaire, aux pages 31, 36, et 47, qui dit que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada devrait revoir la politique de l’emploi dans la fonction publique de l’Ontario pour que l’affichage en français ne se limite pas seulement aux postes désignés bilingues. Pouvez-vous préciser la façon dont on pourrait l’améliorer?
M. Bouchard : Une habitude s’est développée à cause de la manière dont la politique est structurée jusqu’à maintenant : seuls les postes qui exigent une capacité bilingue sont affichés dans les deux langues. Lorsqu’on parle de recruter de la main-d’œuvre francophone et d’augmenter la capacité du gouvernement de l’Ontario, pour que les agences et les tiers puissent offrir des services en français, on doit créer un environnement où les francophones se sentent les bienvenus et où ils ont accès à l’information.
Si l’information est disponible seulement en français pour des postes qui nécessitent une capacité bilingue, cela veut dire que, par défaut, quand on parle aux francophones, on ne s’adresse qu’à leur capacité d’offrir des services en français. Quand on veut augmenter la capacité bilingue, on doit s’assurer que les francophones voient l’ensemble des possibilités qui existent. Il faut que les francophones sachent où il y a une capacité d’apporter une lentille francophone à différents endroits, que ce soit pour la planification stratégique ou pour occuper des postes de gouvernance plus élevés, où l’on prend des décisions. On doit s’assurer de communiquer correctement avec les francophones sur la capacité qu’ils ont de contribuer au service public.
Le sénateur Mockler : Vous avez une deuxième recommandation. La voici :
Que d’ici le 30 septembre 2023, le ministère des Affaires francophones développe un plan, adressé à la Commissaire, pour mettre à jour le Règlement 398/93 [liste des organismes désignés].
Quel rôle devraient jouer le gouvernement de l’Ontario et le gouvernement fédéral dans cette recommandation?
M. Bouchard : Le gouvernement de l’Ontario doit s’assurer de connaître les outils avec lesquels il travaille. Ce sont les obligations directes, que ce soit dans les ministères, dans les agences, les tiers ou les organismes désignés, qui assurent que le gouvernement accroît la capacité d’offrir des services en français au-delà de la fonction publique. Les organismes se dotent eux‑mêmes de certaines obligations. Si le gouvernement n’est pas au courant de ses obligations et de la capacité d’offrir des services en français, comment pouvons-nous planifier ou mesurer l’impact de nos services?
Savons-nous même où sont ces services, sur le plan géographique, et quel est le potentiel de progrès? En établissant cette ligne de base et en ayant une bonne connaissance de la disponibilité des services en français, on peut ensuite faire des investissements ciblés ou adopter des mesures ciblées pour s’assurer que les services en français satisfont aux besoins des francophones. Je pense que cette base doit être évaluée avant même de pouvoir parler de négociations ou de progrès. Il y a un manque important de connaissances sur les obligations.
Le sénateur Mockler : Merci.
La sénatrice Moncion : On parle d’établissements désignés. Quel serait l’avantage, pour un établissement qui n’est pas désigné pour offrir des services en français, d’avoir ces obligations supplémentaires dans le contexte où, à l’heure actuelle, l’établissement n’est pas désigné tel quel, et n’a donc pas intérêt à offrir des services et n’est pas obligé de le faire? À partir du moment où un établissement est désigné, si ce sont des anglophones, par exemple, qui sont à la tête des organismes, ils diront qu’ils ne veulent rien savoir de cela. Comment corriger le tir dans de telles situations?
M. Bouchard : C’est dommage pour ceux et celles qui ont ces réflexions. Je n’en ai pas nécessairement rencontré jusqu’à maintenant, mais pourquoi fermer la porte à une partie de la population de l’Ontario qui peut avoir accès à nos services? On peut ainsi servir davantage de gens. Il y a toutes sortes d’avantages à cela.
Quand on est une entreprise, on peut regarder les profits. Quand on est un organisme gouvernemental, on peut regarder si on est en mesure d’offrir des services de façon beaucoup plus efficace et de devenir un partenaire encore plus intéressant pour le gouvernement de l’Ontario. Je pense qu’on doit étudier cette question selon la perspective de ce que l’on manque quand on se ferme à la francophonie.
Bien que l’obligation n’existe pas dans l’ensemble des sphères, j’espère que les gens se sentiront suffisamment interpellés dans cette réflexion sur la protection de la francophonie et l’offre de services en français pour bâtir leur propre capacité et pour potentiellement évaluer s’ils veulent se doter d’obligations afin de rendre leur offre de service permanente. On devient alors un organisme de confiance, une référence; les francophones peuvent se fier à nous et nous sommes en mesure de servir un plus grand nombre de personnes. Les familles exogames existent en Ontario. Plus on peut servir les différentes identités d’une même famille, plus on peut devenir le lieu de choix de nouveaux utilisateurs et de nouvelles utilisatrices que l’on n’aurait peut-être pas pu servir si on s’était fermé à cette possibilité.
Le sénateur Dalphond : Monsieur Bouchard, c’est à vous que l’on s’adresse si l’organisme désigné n’a pas rempli son obligation. Y a-t-il un pouvoir de remédiation? Est-ce qu’on peut aller devant un tribunal et réclamer des dommages ou rechercher une injonction structurelle pour forcer le changement?
M. Bouchard : Les gens peuvent avoir accès à différents moyens pour se pencher sur les cas en question. En ce qui concerne le Bureau de l’ombudsman de l’Ontario et l’Unité des services en français, on travaille directement avec les ministères pour user de notre influence pour trouver une résolution aux enjeux qui se trouvent devant nous et pour s’assurer que ces enjeux ne se reproduisent plus à l’avenir.
Le sénateur Dalphond : Y a-t-il des gens qui sont allés devant les tribunaux pour tenter de forcer l’organisme à remplir des obligations découlant de sa désignation?
M. Bouchard : En ce qui concerne les cas que nous avons traités jusqu’à maintenant, je ne serais pas en mesure de vous dire que c’est le cas. Jusqu’à maintenant, tout ce que nous avons résolu a mené à une résolution satisfaisante sans avoir recours aux tribunaux.
Le sénateur Dalphond : À votre connaissance, il n’y a pas eu de procédures judiciaires entreprises par des francophones qui auraient dit que leurs droits n’étaient pas respectés ou qui auraient pris des recours en dommages ou en injonctions?
M. Bouchard : Pas dans le cadre des dossiers que nous avons traités jusqu’à maintenant. Si cela s’est déjà produit, je n’en ai pas eu connaissance. Nous n’entreprenons pas de procédures judiciaires.
Le sénateur Dalphond : Par exemple, quelqu’un qui se dit insatisfait des services d’Air Canada peut faire une plainte au commissaire des langues officielles et peut aussi poursuivre Air Canada en dommages, jusqu’en Cour suprême. L’équivalent existe-t-il en vertu de la Loi sur les services en français de l’Ontario?
M. Bouchard : Le dernier cas qui me vient à l’esprit est celui de l’Hôpital Montfort; c’était pour empêcher sa fermeture. C’était bien avant l’existence du poste de commissaire aux services en français ou l’octroi de pouvoirs de surveillance que la Loi sur les services en français a conférés au Bureau de l’ombudsman de l’Ontario depuis le 1er mai 2019. J’espère que notre influence permet de désengorger le système de justice. J’espère que notre influence et les résultats qu’on peut obtenir sont positifs, tant pour les gens qui travaillent avec nous que pour le gouvernement, afin d’assurer la disponibilité des services à un autre niveau.
Le président : Merci beaucoup de cette réponse. Chers collègues, M. Bouchard a un avion à prendre, donc il est possible que nous devions nous arrêter avant 19 heures. Voulez-vous poser une dernière question?
La sénatrice Moncion : Quand le Règlement 398/93 sera-t-il mis à jour?
M. Bouchard : On a fixé l’échéancier à septembre 2023 pour avoir un plan de mise à jour du règlement. Ce règlement exigera une réflexion importante. La Loi sur les services en français prescrit que, pour tout changement ayant trait à l’étendue de l’offre de services qui affecterait cette offre de façon négative — donc si on souhaite limiter l’offre de services ou l’abolir —, une réflexion stratégique doit se faire de la part du gouvernement avant de procéder à ces changements.
Chaque changement effectué depuis les années 1990 doit faire l’objet d’une réflexion pour voir si, oui ou non, les services ont été retirés ou réduits correctement et pour déterminer si c’était raisonnable et nécessaire de le faire. Ce n’est pas une mince affaire d’examiner chaque organisme désigné et d’évaluer comment faire des changements. On a demandé un plan pour procéder à la mise à jour du règlement — avec un échéancier raisonnable, je l’espère. Il s’agit du mois de septembre pour le plan, mais j’ose espérer que la mise à jour complète ne s’étendra pas sur un échéancier déraisonnable.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Bouchard, pour la qualité de votre présentation et pour les informations éclairantes que vous nous avez transmises. Nous vous souhaitons un bon retour chez vous. Nous allons faire une courte pause, puis nous tiendrons une séance à huis clos pour discuter des travaux futurs.
(La séance se poursuit à huis clos.)