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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 27 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.

[Français]

Karine Déquier, greffière du comité : En tant que greffière du comité, j’ai le devoir de vous informer de l’absence forcée du président et de la vice-présidente. Je vais donc présider à l’élection d’une présidente ou d’un président suppléant. Je suis prête à recevoir une motion à cet effet.

Le sénateur Dagenais : Je voudrais proposer la sénatrice Moncion.

La sénatrice Mégie : [Difficultés techniques]

Le sénateur Dagenais : Je pense qu’elle n’a pas le choix.

[Traduction]

Mme Déquier : L’honorable sénateur Dagenais propose que l’honorable sénatrice Moncion assure la présidence du comité.

Plaît-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Mme Déquier : Je déclare la motion adoptée et j’invite l’honorable sénatrice Moncion à occuper le fauteuil.

La sénatrice Lucie Moncion (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente suppléante : Bonsoir. Je m’appelle Lucie Moncion et je suis une sénatrice de l’Ontario. J’ai le privilège de présider la réunion de ce soir. Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La présidente suppléante : Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je crois, sénatrice Mégie, que vous aviez une proposition à faire s’il y avait absence de quorum lors de la réunion d’aujourd’hui.

La sénatrice Mégie : Je propose que, nonobstant la pratique habituelle et conformément à l’article 12-17 du Règlement, le comité soit autorisé à entendre des témoignages aujourd’hui en l’absence de quorum, pourvu que deux membres du comité soient présents.

La présidente suppléante : Merci, sénatrice Mégie. Y a-t-il des questions ou des commentaires sur la motion? Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

La présidente suppléante : Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.

[Traduction]

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir de recevoir Frantz Siméon, professeur à l’École de service social de la Faculté d’éducation et de santé de l’Université Laurentienne. Il est accompagné de Sylvie Larocque, professeure à l’École des sciences infirmières de la Faculté d’éducation et de santé de l’Université Laurentienne, et de Bernouse Davilus, étudiante à l’École de service social de l’Université Laurentienne. Ils témoignent par vidéoconférence.

[Français]

Bonsoir et bienvenue parmi nous. Monsieur Siméon, nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire. Une période de questions des sénateurs et sénatrices suivra.

Frantz Siméon, professeur, École de service social, Faculté d’éducation et de santé, Université Laurentienne, à titre personnel : Bonjour. Je voudrais remercier le Comité sénatorial permanent des langues officielles de cette occasion de m’exprimer sur la situation du vieillissement en français sur le territoire du Nord de l’Ontario. Je suis professeur à l’Université Laurentienne et à l’UQAC.

Permettez-moi avant tout de souligner que j’ai la collaboration de toute une équipe, dont deux membres sont ici présentes.

Nos propos sont issus d’une recherche financée par les Instituts de recherche en santé du Canada. Ils s’attardent à des résultats préliminaires relatifs au premier objectif du projet, qui vise à décrire et à comprendre l’expérience de la proche aidance en contexte linguistique minoritaire et nordique.

Jusqu’à maintenant, notre échantillon est composé de 19 personnes habitant les régions de Sudbury, North Bay, Timmins, New Liskeard, Ottawa et Toronto. Ces personnes sont âgées de 46 à 85 ans, avec une concentration autour de 71 ans. Cette donnée est importante, parce que les écrits scientifiques tendent à suggérer que le risque de perte d’autonomie s’accroît à partir de 70 ans.

De ce nombre, sept personnes sont des aidants qui soutiennent ou ont soutenu des proches atteints de troubles neurocognitifs de type alzheimer.

L’analyse des données recueillies auprès de ces personnes permet de constater plusieurs phénomènes auxquels il est urgent de s’attarder; nous en retiendrons trois pour les besoins de cette présentation.

Le premier phénomène est celui du lourd fardeau subjectif que nous définissons de la manière suivante : le ressenti d’un poids démesuré pour lequel on se sent démuni, dépassé et peu outillé. Plusieurs personnes nous ont confié être partie prenante de la démarche de recherche dans leur quête d’outils en disant ceci, et je cite : « Je suis ici pour avoir des outils. » Ce fardeau est caractérisé premièrement par le fait que la personne se sent investie d’une lourde responsabilité non planifiée et, donc, souvent imposée. C’est une responsabilité pour laquelle elle n’a pas été préparée mentalement et psychologiquement et n’a pas de soutien adéquat et adapté. Je cite :

On avait beaucoup de plans d’avenir, de plans de retraite et puis oups, comme du jour au lendemain, tout est tombé à l’eau. Et puis j’ai comme une colère en dedans de moi. Je (ne) suis pas fâché contre lui, mais je suis fâché des constances. Et puis ça me stresse.

Deuxièmement, par un sentiment d’épuisement : « Je trouve ça lourd », s’exclament presque en sanglots certaines participantes. On sent presque un appel à l’aide pressant du genre : « Je n’en peux plus ou presque. » Malgré l’ampleur de la charge, la personne présume que la responsabilité est la sienne.

Cela renvoie à notre deuxième phénomène, qui est celui de l’obligation morale de prendre soin de la personne, une sorte de sentiment de loyauté envers l’autre. Les gens nous disent, et je cite :

L’importance de prendre soin de ma mère, c’est primordial parce que premièrement, elle a toujours […] bien pris soin de nous, donc cela revient. Ben moi, maintenant, je suis son porte-parole.

D’autres nous disent, et je cite : « Culturellement, on trouve cela tout naturel. »

Les proches se sentent donc investis d’un mandat auquel ils ne peuvent pas déroger, d’où cet appel à l’aide pressant par rapport à une responsabilité dont ils sont investis pour laquelle ils doivent être performants, considérant le poids du regard social qui attend de ces personnes qu’elles soient à la hauteur de la tâche.

Lorsqu’on intègre cette injonction, elles deviennent peureuses, elles ont peur d’échouer et de paraître incompétentes, elles craignent d’être incapables de prendre soin de leur proche. C’est pour cela qu’elles vont chercher de l’aide.

Le troisième phénomène que l’on a identifié, c’est ce rôle en tension exacerbée par un quadruple désavantage. Tout d’abord, du fait d’être une femme en raison de l’attente normative de la société par rapport à la femme de prendre soin des autres, même si ce postulat est remis en question par les féministes.

Deuxièmement, du fait d’être francophone et de devoir jouer le rôle de navigatrice du système de santé dans une langue autre que la sienne, ce qui fait qu’on devient aussi traductrice. Quand on est issu de l’immigration, on doit naviguer dans un système inconnu.

Troisièmement, du fait d’habiter en région éloignée et d’être confrontée à des déserts de service — on s’imagine les difficultés en hiver, par exemple.

Quatrièmement, du fait d’être pratiquement seule à porter le poids de l’aidance dans l’indifférence quasi générale : c’est à la personne aidante de se débrouiller pour trouver de l’aide.

Par rapport à ces phénomènes, nous recommandons la mise en place de services d’appui psychosocial au sein des organismes de proximité. Je pense notamment au Club amical du nouveau Sudbury, avec lequel nous menons le projet financé par le CRSH, qui a mis en place un service de navigation dans le système en amont de la prise en charge de la personne aidée. À notre avis, ce genre d’initiative doit être soutenu.

Nous recommandons également d’accompagner les organismes de proximité dans leur rôle afin d’augmenter l’offre de services et de soins en français et les services culturellement sécuritaires; augmenter le nombre de pourvoyeurs de soins; financer la recherche sur ce phénomène particulier; encourager des partenariats de recherche dans l’ensemble de la francophonie minoritaire.

En conclusion, on sait que, dans une situation difficile, tout prend des proportions gigantesques. Se sentir seule dans un contexte d’aidance où la charge est décuplée pour naviguer dans un système déjà complexe ajoute aux difficultés des personnes aidantes. Pour les personnes issues de l’immigration, le fait d’avoir à apprendre à la fois comment fonctionne un système inconnu et comment y naviguer fait en sorte que nous soutenons que prendre soin de nos proches aidantes de personnes aînées francophones est une nécessité urgente. Merci de votre attention.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Chers collègues, nous entamons la période des questions.

La sénatrice Mégie : Je vais poser une question qui peut déranger, mais je vais la poser quand même. Je suis vice-présidente du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir et je me demandais si les francophones de votre province ont un accès égal aux soins médicaux de fin de vie dans leur langue maternelle, comparativement aux soins réguliers.

M. Siméon : C’est une question très intéressante, mais elle n’entre malheureusement pas dans le champ de ce que nous étudions dans le cadre de notre recherche sur le vieillissement. Évidemment, c’est un champ qui mérite d’être étudié en profondeur. Je ne sais pas si Mme Larocque a un commentaire à ajouter à ce sujet.

Personnellement, dans le cadre des recherches que je fais, ce n’est pas nécessairement un problème sur lequel je me penche. Ce serait donc difficile pour moi de répondre à votre question.

Sylvie Larocque, professeure, École des sciences infirmières, Faculté d’éducation et de santé, Université Laurentienne, à titre personnel : En ce qui concerne les soins, que ce soit des soins de fin de vie ou des soins en milieu hospitalier dans nos régions — et Mme Davilus peut en témoigner en raison de sa recherche —, il arrive souvent que les proches aidants de personnes qui se retrouvent dans des centres de soins de longue durée perçoivent cela comme un répit. Souvent, ces proches aidants sont appelés à traduire, parce que le personnel qui travaille en milieu hospitalier ne comprend pas le français. Il y a un genre d’éloignement qui peut être perçu parfois comme un répit, mais ce n’est pas le cas pour les francophones, parce qu’ils sont souvent appelés à rester aux côtés de la personne pour s’assurer que celle-ci a bien compris les questions qui ont été posées et les soins qui ont été administrés.

Je ne sais pas, madame Davilus, si vous aviez un commentaire à ajouter.

Bernouse Davilus, étudiante, École de service social, Université Laurentienne, à titre personnel : Pour appuyer les propos de Mme Larocque, bien entendu, comme M. Siméon l’a mentionné, notre recherche ne porte pas nécessairement sur l’aide médicale à mourir, mais on sait que les francophones qui obtiennent des services, que ce soit à domicile où dans les milieux de soins de longue durée, sont confronté au problème lié à la prestation de services en français. Comme Mme Larocque l’a dit, c’est souvent parce que le proche aidant doit être toujours disponible au cours de la journée pour répondre à des questions ou pour donner des explications supplémentaires aux proches aidés, parce que, la plupart du temps, le personnel médical est anglophone.

La sénatrice Mégie : Dans ce contexte, si on a besoin d’avoir un interprète et proche aidant qui accompagne le patient, est-ce qu’on pourrait demander que la langue fasse partie des déterminants des soins de santé?

M. Siméon : Absolument. Il y a deux raisons à cela. Il y a un enjeu lié à la qualité du service. On sait qu’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer va revenir à sa langue première, et la compréhension va poser un enjeu majeur s’il n’y a pas d’interprète ou de personne qui joue ce rôle. C’est pour cette raison qu’on insiste sur le fait que c’est un rôle vraiment exacerbé par le fait que la personne doit à la fois jouer le rôle d’appui, d’aidant, de soutien, mais elle doit aussi traduire et être toujours en interface entre le système de santé et son proche, ce qui devient très lourd. Cela peut effectivement être considéré comme un facteur de stress et d’anxiété qui peut agir sur la santé de la personne.

La sénatrice Mégie : Est-ce que je pourrais avoir un autre point de vue? Êtes-vous tous d’accord sur ce qui a été dit? Je poserai ensuite une autre question.

La présidente suppléante : Vous pourrez poser une autre question au deuxième tour.

La sénatrice Mégie : D’accord.

La sénatrice Clement : Bonjour et merci à vous pour votre témoignage et aussi pour votre travail en général

J’aimerais que vous parliez un peu plus du projet de service de navigation. Je ne me souviens plus de qui a financé ce projet. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?

En matière de compétences culturelles et d’intersectionnalité, est-ce que cela représente un fardeau ou un défi additionnel? Si oui, y a-t-il des choses qui ont été faites et que vous recommandez pour justement aborder cette question?

M. Siméon : Merci pour ces deux questions.

En ce qui concerne la première question, il s’agit d’un projet qui vient de démarrer. Nous sommes en phase de recrutement. Je viens tout juste de recruter une étudiante pour qu’elle s’occupe du projet. Ce projet est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines, ou CRSH, et mené en collaboration avec le Club amical du nouveau Sudbury, comme je l’ai mentionné dans mes propos d’introduction. Il s’agit d’un centre de vie active situé à Sudbury qui accompagne, soutient et aide les personnes; il organise des activités à la fois sociales et culturelles ainsi que des activités de réseautage entre ses membres.

Malheureusement, à ce stade-ci, on en est vraiment au tout début. C’est donc un peu difficile pour moi de vous en parler. À une prochaine occasion peut-être, si vous m’invitez de nouveau, je pourrai vous dire ce que nous avons trouvé comme résultats au moyen de ce projet. Par contre, je peux vous dire que c’est déjà un soulagement immense pour les gens qui peuvent déjà se référer au club amical. Je pense que cela réduit leur niveau de stress. Ils savent que quelqu’un les écoute et peut les accompagner et les soutenir dans les diverses démarches auprès du système de santé.

En ce qui a trait à la deuxième question, j’ai perdu le fil, et je m’en excuse. Vous avez parlé de compétences culturelles, je crois.

La sénatrice Clement : Oui, et j’ai parlé aussi de l’intersectionnalité.

M. Siméon : Je ne voudrais pas me prononcer sur l’intersectionnalité, car je ne suis pas très versé dans les théories féministes. Toutefois, je peux vous dire, comme on l’a dit plus tôt, que dans ce rôle d’aidant, c’est un poids additionnel assez lourd, à mon avis, sur les épaules de l’aidant, en particulier celui qui vient de l’immigration, qui ne connaît pas le système, qui parle peut-être le français, mais pas très bien l’anglais. Souvent, il arrive que l’aidant soit aussi un peu âgé. Je vous ai dit plus tôt qu’une grande partie de ces personnes a environ 60 ou 70 ans. Ces personnes ont aussi leurs soucis de santé. Cela vient certainement alourdir le fardeau de l’aidant, le fardeau subjectif du rôle.

Par contre, cela peut aussi avoir des effets positifs comme cette dame qui nous dit qu’elle prend soin de sa mère comme elle a pris soin d’elle. On est heureux de redonner au suivant. N’empêche que le fardeau, le poids est assez lourd pour les personnes qui doivent jouer ce rôle, mais aussi celui de traducteur, de navigateur, d’accompagnateur, de chercheur de services, et ce, sans nécessairement savoir vers qui se tourner. En ce sens, je pense que le Club amical innove en mettant en place ce service de navigation dans le système.

La sénatrice Clement : Ma question a plutôt trait à l’intersectionnalité des gens racialisés. Je ne sais pas qui fait partie de la cohorte que vous avez étudiée, mais la question était plutôt la suivante : est-ce que les gens vieillissants qui sont aussi membres de communautés minoritaires ont besoin d’autre chose en lien avec un service de navigation ou par rapport au fardeau qu’ils doivent porter lorsqu’ils se retrouvent dans le système de soins de santé?

Mme Larocque : Je vais inviter Mme Davilus à nous parler de ses résultats. Ces recommandations sont préliminaires et proviennent justement des participants; Mme Davilus pourrait peut-être nous parler de quelques recommandations.

Mme Davilus : Bien sûr. Merci pour la question.

En collectant les données auprès des personnes aidantes issues de l’immigration, ce que l’on entend d’elles, c’est que le fait d’être immigrant et nouveau vient ajouter à la lourdeur de la charge de l’aidant. Pourquoi? Parce qu’il y en a qui sont nouveaux dans le système au Canada et ils ne savent pas comment naviguer dans ce système. Ils ne savent pas où aller chercher de l’aide. Il y en a d’autres qui cherchent des services culturellement appropriés pour eux, et les services ne prennent pas toujours en compte le volet culturel. D’autres parlent de l’aiguillage; ils souhaiteraient avoir un centre communautaire qui offrirait de l’aiguillage. Par exemple, si quelqu’un vient d’Haïti, ce serait intéressant qu’on puisse l’aider à cheminer vers le service approprié. Si quelqu’un vient d’une autre culture, on pourrait faire la même chose. Le fait d’être immigrant et francophone, c’est là d’où vient l’intersectionnalité dont vous parlez, sénatrice; c’est le fait d’être un nouvel immigrant francophone dans le pays, d’être nouveau dans le système. Tout cela joue un rôle qui alourdit considérablement la charge et la responsabilité d’un aidant ou d’une aidante, comparativement à un aidant ou une aidante de souche canadienne.

La sénatrice Clement : Est-ce que des solutions ont été proposées?

Mme Davilus : Oui. Ils ont proposé de mettre des services en place à l’accueil, des centres d’accueil pour les immigrants. De là, on peut les accueillir et leur parler des services offerts aux immigrants, parce que selon eux, ils sont perdus dans le système et ne savent pas où aller chercher de l’aide. Pour la majorité des immigrants qui viennent ici, leur premier contact est un centre d’accueil d’immigrants. Si on peut faire cette connexion entre un centre d’accueil d’immigrants vers les services de soins de santé, cela pourrait alléger leur tâche. Par exemple, la personne pourrait appeler un centre qu’elle connaît déjà; elle pourrait signaler qu’elle prend soin de sa mère et demander de l’aide. De là, une personne du centre fait l’aiguillage vers les services de santé appropriés.

La sénatrice Clement : D’accord. Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Je vais poser une question. Vous êtes à l’Université Laurentienne, dans le Nord de l’Ontario et vous travaillez dans un territoire énorme; il y a environ 250 000 francophones pour un territoire d’environ 800 000 kilomètres carrés. Vous savez aussi que dans le Nord, toutes les villes ne sont pas organisées de la même façon. La ville de Sudbury, par exemple, est probablement mieux organisée que d’autres villes du Nord. La ville de North Bay, par exemple, est beaucoup plus anglophone — c’est là d’où je viens — et les services sont peut‑être un peu moins adaptés ou accessibles aux francophones. Plus on va dans de petites communautés, plus on constate qu’il y a des services de plus en plus précaires, selon les communautés et selon le pourcentage de francophones qui se trouvent dans ces différents secteurs.

Je reviens à ce que vous disiez lorsque vous parliez du fardeau pour les aidants naturels. Il y a une urgence de ce côté justement parce que l’organisation des services n’est pas toujours là. Quel genre de proposition concrète pourriez-vous faire lorsqu’on pense au Nord de l’Ontario et à l’accès, surtout lorsqu’on sait que la majorité du financement vient du gouvernement provincial?

Grande question et grand territoire; quelles sont les solutions?

M. Siméon : Je vais me lancer et je demanderai aux autres de compléter ma réponse.

Vous avez bien fait de mentionner que la couverture du territoire est inégalement répartie. C’est un des premiers constats que nous avons faits lorsque j’ai commencé ma jeune carrière à titre de chercheur indépendant à l’Université Laurentienne quand j’ai réalisé, en bénéficiant d’un financement du CNFS pour faire une cartographie du vieillissement sur le territoire de Sudbury, que la majorité des services étaient concentrés dans le centre‑ville. En dehors du centre-ville, il y avait des trous béants — ce que les gens qui travaillent dans les services de santé appellent généralement des déserts de services. Il y a effectivement des déserts de services assez préoccupants dans l’ensemble du territoire, ce qui pose toute la question des difficultés pour y avoir accès. Je le disais plus tôt; on s’imagine les difficultés en hiver, par exemple, pour se déplacer, compte tenu des conditions que vous connaissez quand on vit dans le Nord.

L’un des mécanismes que nous suggérons est l’accompagnement aux organismes de proximité; il s’agit de faire en sorte d’avoir une couverture plus large d’organismes de proximité qui travaillent en amont des problèmes. Je pense notamment à ce que fait le Club amical du nouveau Sudbury, qui a un peu de financement et qui s’assure de répondre aux besoins particuliers de ses membres, ce qui permet à la fois de réduire la charge émotionnelle et subjective, sachant qu’il y a quelqu’un à l’écoute. Rien que cela — avoir quelqu’un qui peut écouter, nous aiguiller et nous informer de l’existence d’un service — peut faire une grosse différence dans la vie d’une personne.

Je suggérerais un maillage d’organismes de proximité et un soutien à ces organismes, de manière à ce qu’ils puissent avoir les ressources nécessaires pour offrir des services et des soins en français, culturellement sécuritaires, et pour qu’ils puissent aussi augmenter le nombre de pourvoyeurs de soins dans l’ensemble du territoire. Évidemment, on n’a pas encore été en mesure de déterminer quels coûts cela entraînerait. Il me semble que travailler en amont, en soutenant les organismes déjà existants sur le territoire, nécessiterait des coûts moindres que si on devait construire un centre hospitalier, par exemple.

Il est vraiment important de pouvoir soutenir et accompagner les organismes de proximité et de travailler à augmenter le nombre de ces organismes, qui sont plus proches des personnes vieillissantes qui ne veulent pas se déplacer ou quitter leur territoire. D’ailleurs, c’est un résultat qui ressort généralement; lorsqu’on demande aux gens où ils veulent vieillir, leur premier choix, c’est toujours chez eux. Cela fait également partie des bonnes pratiques que la personne puisse rester dans sa communauté, entourée de ses proches, de ses amis, de son réseau et ainsi de suite. Si on pouvait renforcer ces réseaux en appuyant les organismes de proximité, à mon avis, cela ferait une très grosse différence pour le vieillissement de la population.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Je ne sais pas si Mme Larocque veut ajouter quelque chose.

Mme Larocque : Oui. J’aimerais juste ajouter quelque chose à la suite de ce que mon collègue a mentionné sur les fournisseurs de soins de santé. Il faut continuer de recruter et retenir les fournisseurs de soins de santé francophones dans les régions du Nord de l’Ontario et les appuyer dans leur cheminement.

Je fais aussi de la recherche dans le domaine de la télémédecine; il faut utiliser ces moyens. Mon collègue l’a mentionné : comme l’hiver n’est pas toujours facile dans le Nord de l’Ontario, il faut trouver des façons de ne pas faire attendre les gens pour leur donner les soins dont ils ont besoin.

La télémédecine est un exemple. De plus, ce qui a été mentionné dans certaines de nos recherches, c’est qu’il y a très peu de spécialistes francophones. Donc, il faudrait augmenter le nombre de spécialistes qui peuvent offrir des soins de santé en français.

La présidente suppléante : Madame Davilus, voudriez-vous ajouter quelque chose?

Mme Davilus : J’aimerais seulement appuyer le point que mes collègues ont soulevé. Il faut fortifier et élargir l’offre de services en français.

Le sénateur Mockler : Premièrement, j’aimerais vous féliciter pour vos interventions dans le domaine des soins de santé. J’aimerais aussi vous entendre sur quelques points, et je vais terminer avec le programme Foyers de soins sans murs pour le maintien à domicile.

J’ai plusieurs petites questions que je vais lire.

Selon vous, les lois, règlements et politiques sont-ils suffisants pour protéger les droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire en matière d’accès aux services de santé dans leur langue? J’aurais aussi une question complémentaire. En quoi le fait d’inclure la santé parmi les secteurs essentiels à l’épanouissement des communautés dans la Loi sur les langues officielles ferait-il avancer les droits?

J’aimerais entendre nos trois témoins, s’il vous plaît.

La présidente suppléante : Est-ce que l’un de vous trois veut répondre à la question en premier?

M. Siméon : Je me lance et je vous remercie de cette question. Selon moi, rédiger une loi est un pas dans la bonne direction. Cependant, et pour reprendre les mots d’un auteur que j’aime bien, Amartya Sen, une loi est un dispositif capacitant, mais sans facteurs de conversion, c’est-à-dire sans moyens mis à la disposition des professionnels et des communautés, une loi risque de demeurer lettre morte.

Donc oui, la loi est importante et indispensable, mais en l’absence de facteurs de conversion, sans moyens financiers, humains, temporels, et cetera, cela ne suffit pas. Si l’on reprend les mots de la Charte internationale des droits de l’homme, le droit à la santé est l’un des droits fondamentaux auxquels on souscrit comme société. Donc, à mon avis, l’inscrire dans la loi devrait être un automatisme, dans la mesure où c’est la Loi sur la santé au Canada qui fait en sorte que chaque citoyen a ce droit fondamental.

Déjà, le fait de ne pas être servi en français ou d’attendre plus longtemps pour être servi en français dans un contexte minoritaire, c’est un accroc à la loi et, à mon avis, cela n’a pas lieu d’être dans une société comme la nôtre. Inscrire la santé dans la loi devrait être un automatisme répondant à nos obligations en tant que société qui a opté pour la Déclaration universelle des droits de l’homme, puisque la santé est un droit fondamental. C’est comme cela que je répondrais à la question.

Je ne sais pas si mes collègues veulent répondre. Sylvie, je vous invite à compléter ou à nuancer ma réponse.

Mme Larocque : Je vais simplement appuyer ce que vous venez de dire. Je crois que c’est essentiel d’avoir des lois, mais il faut avoir les moyens de les mettre en vigueur afin que les gens puissent dire qu’ils ont le droit d’obtenir des services dans un délai raisonnable. Lors de nos recherches, on ne doit pas entendre nos participants dire : « Je vais parler en anglais, parce que je vais obtenir les services plus rapidement. » C’est pourtant quelque chose qu’on entend souvent et qu’on ne veut plus entendre. On peut aussi entendre ceci : « Ma mère a refusé les soins parce que la préposée n’était pas francophone. » C’est perçu comme si elle n’avait plus besoin de ces soins.

Ce n’est pas qu’elle n’a plus besoin des soins, c’est qu’elle voudrait les recevoir en français, ce qui constitue un droit, à mon avis.

Mme Davilus : Je vous remercie de la question. En effet, j’appuie ce que mes collègues viennent de dire. Je suis d’accord pour dire que les lois doivent s’appliquer pour protéger le droit des francophones et des minorités linguistiques à recevoir des services de santé dans la langue de leur choix.

Je crois que le fait d’avoir des lois, c’est une chose, mais les mettre en pratique en est une autre. Comme Sylvie l’a mentionné, les lois peuvent exister, mais en réalité, les gens nous disent qu’ils ne reçoivent pas toujours des services en français. Pourtant, les lois stipulent qu’ils ont effectivement le droit de recevoir des services en français.

Bref, je pense qu’on doit s’assurer que ces lois sont mises en vigueur et respectées à tous les niveaux de service.

La présidente suppléante : Sénateur Mockler, vous pouvez poser votre deuxième question.

Le sénateur Mockler : J’aimerais parler de la responsabilité des différents ordres de gouvernement. Selon votre expérience, y a-t-il une réelle concertation entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, les gouvernements municipaux, les réseaux de santé en français et les établissements postsecondaires francophones? Quel rôle devrait jouer le gouvernement fédéral pour améliorer la prestation des services de santé dans la langue de la minorité?

M. Siméon : Il s’agit d’une importante question, et je vous en remercie. Évidemment, je ne m’avancerai pas trop sur la question de la relation entre les gouvernements fédéral et provinciaux, parce que ce n’est pas mon champ d’expertise et de recherche.

Par contre, ce que j’entends souvent dire, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de moyens mis à la disposition et pas suffisamment de ressources de proximité pour faciliter la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles.

Il n’est pas normal qu’une personne qui parle français en Ontario doive attendre deux fois plus longtemps pour recevoir des services dans sa langue, avec le risque que sa situation se détériore, ou ne pas recevoir de services, parce que cette personne ne comprend pas suffisamment l’anglais. À mon avis, il faudrait suffisamment de ressources humaines et financières pour appliquer cette loi, pour que chaque citoyen canadien, qu’il soit francophone ou anglophone, puisse voir ses besoins en matière de santé comblés sur l’ensemble du territoire.

Pourquoi quelqu’un qui fait le choix de vivre dans le Nord se trouve-t-il pénalisé parce qu’il ne peut pas véritablement vivre dans sa langue maternelle? La question se pose.

Sur ce plan, je pense que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer. Il doit fournir les ressources financières à la hauteur des besoins de ces personnes qui, comme on l’a dit plus tôt — Sylvie l’a bien mentionné — ont droit à ce service en français. Non seulement ils ont droit à ce service, mais ils y ont droit dans leur langue maternelle.

On sait que les deux langues sont égales au Canada. Donc, je plaide pour que l’on ait suffisamment de moyens financiers, de ressources financières et de facteurs permettant justement aux lois d’avoir un effet concret dans la vie de chaque citoyen.

La sénatrice Mégie : Je vous ai entendu parler plus tôt des nouveaux arrivants; je sais aussi que le maintien des aînés à domicile est toujours mis de l’avant, parce que c’est leur premier choix dans les différents sondages qui ont été faits. Cependant, quand les navigateurs veulent aiguillonner quelqu’un, est-ce qu’ils les orientent vers des services privés ou des services publics? Font-ils le choix du maintien à domicile ou des services privés ou publics? Dans quelle proportion ont-ils le choix, compte tenu de la langue?

M. Siméon : Je crois que c’est tout le nœud du problème. À ce stade-ci, une innovation sociale est nécessaire. Lorsque la personne est déjà dans le système, c’est relativement plus facile, parce que, dans certains milieux, on trouvera peut-être des traducteurs, même si cela prend du temps. Par contre, quand la personne est en dehors du système, la situation est extrêmement compliquée, car on n’a pas nécessairement d’agents de navigation dans le système. Je pense que c’est l’un des besoins qui pourraient justement être d’une importance capitale, parce que cela permettrait d’éviter que nos urgences soient engorgées. Des réponses auraient déjà été données en amont des problèmes de santé, car il s’agit d’un véritable problème.

Je suis en train de codiriger un étudiant au doctorat dont la thèse porte sur l’importance de développer un mécanisme d’accompagnement de navigation dans le système, justement en amont du système de santé, et ce, avant même la prise en charge par le système. Pour ce faire, je reviens encore une fois à la nécessité d’outiller et de donner des moyens aux organismes de proximité, afin qu’ils puissent trouver des pourvoyeurs de soins adaptés et adéquats par rapport à cette réalité.

Je ne sais pas si cela répond à la question, madame la présidente, mais je pense qu’il y a là un réel besoin d’aide sur le plan de la navigation dans le système.

La sénatrice Mégie : Comment verriez-vous cela? Avez-vous réfléchi à ce sujet? Sûrement. Comment pourrait-on faire pour combler ce besoin?

M. Siméon : Comme je vous le disais, je travaille actuellement avec le club amical qui a lancé cette initiative. On n’en est pas encore là, mais nous allons documenter l’expérience et déterminer si cette initiative est bénéfique — ou non — et si elle est porteuse — ou non — de meilleures conditions de santé. Je pense que des initiatives comme celles du club amical mériteraient qu’on s’y attarde, qu’on les accompagne, qu’on les examine et qu’on les soutienne, justement pour trouver des mécanismes et des moyens issus à la fois du milieu, mais aussi des gens qui bénéficient de ces services, pour qu’ils nous disent en quoi ce service a été utile, important et bénéfique. Il s’agit d’initiatives qui partent vraiment du terrain, à la base.

Mme Larocque : Je peux appuyer certains propos des participants, mais pour les services privés, il y a toujours des coûts, et plusieurs personnes n’ont pas les moyens de payer des services privés pour permettre à leurs proches aidés de rester à domicile — et cela devient encore plus difficile pour la population immigrante.

Je ne sais pas si tu voulais ajouter quelque chose, Bernouse.

Mme Davilus : Pour ajouter à ce que vous venez de dire, ce que les gens nous disent, c’est qu’ils veulent d’abord contacter les services publics, parce que ce sont les services publics qui sont le plus souvent subventionnés par le gouvernement provincial. Par contre, ce n’est pas toujours adéquat quand ils reçoivent ces services, ce n’est pas toujours suffisant. Quand ils en demandent plus pour être en mesure de répondre efficacement aux besoins de leurs proches, on leur répond d’aller voir au privé. Cependant, ils n’ont pas d’argent pour payer les services privés. C’est de là que vient le problème, que l’on ajoute aux autres problèmes des proches aidants, que ce soit pour ceux qui sont issus de l’immigration ou ceux qui viennent d’ici, c’est toujours : « On ne peut pas vous donner plus de services que cela; il faudra vous tourner vers le privé. » On entend souvent cela quand on compile nos données.

La présidente suppléante : Je vais y aller avec deux courtes questions, parce que nous allons manquer de temps. Je sais que le sénateur Mockler a encore une question et je ne sais pas si vous avez une question, sénatrice Clement.

Je reviens au Nord de l’Ontario. Je voudrais savoir, madame Davilus, si vous examinez dans votre étude les différences qui existent, par exemple, entre une ville comme Sudbury, qui compte 170 000 habitants, par opposition à une ville comme Hearst, qui compte 6 500 habitants et qui est très bien organisée dans les services qu’elle peut offrir à sa communauté. D’ailleurs, en ce qui concerne les services d’accompagnement des personnes âgées et la question de la langue dans une ville comme Hearst, ce n’est pas un problème, puisque 95 % de la population est francophone. C’est peut-être plutôt un problème pour les anglophones qui veulent se faire servir en anglais.

Dans votre étude, est-ce que vous avez fait une comparaison par rapport à des communautés qui sont très bien organisées par opposition aux grandes villes, où la demande de services est beaucoup plus grande, où la population est beaucoup plus dispersée et les services sont peut-être limités à cause du nombre de personnes qui ont besoin d’aide?

Mme Davilus : Je vous remercie de cette question; c’est très intéressant.

Je vais faire une comparaison avec la ville d’Ottawa, parce qu’à un moment donné, on avait reçu l’approbation éthique pour élargir notre territoire vers Ottawa et Toronto. J’ai été personnellement surprise de voir que lorsqu’il s’agit de services en français ou de l’adéquation des services offerts aux proches aidants, il n’y a pas de grande différence entre Sudbury et la ville d’Ottawa. Les citoyens d’Ottawa nous disent que c’est difficile de trouver des services en français et qu’ils ne sont pas suffisants, et les participants de Sudbury me disent la même chose. C’est difficile, il n’y a que deux médecins francophones, on doit attendre ou on doit parler en anglais pour pouvoir accélérer le service. Alors, dans ce cas — et je ne vois pas de différence —, les données de la recherche ne dévoilent encore aucune différence avec une grande ville comme Ottawa ou Toronto, même si l’on sait que Toronto est pratiquement une ville anglophone.

Si on revient à Ottawa, il n’y a pas une grande différence entre Ottawa et Sudbury lorsqu’il s’agit de l’offre de services en français. On collecte encore des données; on verra ce que disent les prochaines données, mais ce que nous avons actuellement ne montre pas une trop grande différence dans ce sens.

La présidente suppléante : Votre réponse est intéressante. J’aurais une question rapide, mais je trouve aussi intéressantes les réponses que vous allez fournir. Pourriez-vous nous indiquer votre perspective quant à la possibilité de forcer l’ajout de clauses linguistiques dans les transferts en santé et les accords intergouvernementaux qui en découleraient? Donc, monsieur Siméon, quelle est votre perspective sur cette obligation?

M. Siméon : Si je me réfère à ma précédente intervention en ce qui a trait au droit du francophone d’avoir le même service que l’anglophone sur l’ensemble du territoire — enfin, bien que l’on parle du citoyen sur l’ensemble du territoire —, oui, je serais d’avis que ce devrait être une obligation, dans la mesure où cela devient un déterminant de la santé. De plus, comme on l’a vu aussi, quand il faut attendre deux fois plus longtemps pour avoir un service dans sa langue, on a le temps de voir notre situation se détériorer. Donc, il y a un enjeu sur le plan de la qualité du service; à mon avis, il serait important que cela se fasse.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Sénateur Mockler, vous avez la dernière question.

Le sénateur Mockler : Je crois que je vais changer de sujet plutôt que de parler du programme Foyers de soins sans murs. J’aimerais poser une question sur le financement.

À votre avis, comment les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) prennent-ils en compte les besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire en matière de santé? Les établissements postsecondaires francophones où les chercheurs francophones œuvrent en milieu minoritaire sont-ils, selon votre expérience, désavantagés dans leurs demandes de financement auprès de ces organismes en matière de subventions au Canada?

M. Siméon : Je laisserai Sylvie se prononcer, puisqu’elle est beaucoup plus expérimentée que moi dans la recherche — j’ai commencé en 2018.

Ce que je voudrais dire, par contre, c’est que je sens une volonté de la part des IRSC de financer et de soutenir la recherche sur la francophonie minoritaire; c’est dans cette perspective que j’ai bénéficié du financement que j’ai aujourd’hui. Je ne connais pas les pratiques d’avant, mais il me semble, dans les rencontres auxquelles j’ai participé avec les représentants des IRSC, que dans le discours, il y a une volonté de soutenir, accompagner et financer la recherche.

D’ailleurs, il y a des initiatives qui sont prises en ce sens et qui semblent créer des conditions relativement favorables pour les chercheurs dans la francophonie minoritaire pour qu’ils fassent de la recherche. Il me semble qu’on va dans la bonne direction.

Mme Larocque : J’appuie ce que mon collègue dit. Je suis chercheuse depuis plusieurs années et on voit une amélioration. Ce que j’espère, c’est que, grâce à nos recommandations finales, on pourra vraiment voir des bénéfices.

La présidente suppléante : Madame Davilus, aviez-vous quelque chose à ajouter? Vous serez notre dernière intervenante pour ce groupe de témoins.

Mme Davilus : Je n’ai rien à ajouter. En fait, je suis une chercheuse étudiante, alors je travaille avec des chercheurs qui sont là et qui m’appuient. J’espère donc que dans les prochaines années, j’aurai beaucoup plus à dire pour ce qui est du mode de financement, puisque j’aurai à côtoyer ces organismes qui appuient la recherche en matière de santé auprès des minorités ethnoculturelles de langue minoritaire partout au pays.

La présidente suppléante : Bonne chance dans votre travail d’étude et de recherche, et bonne continuation.

Sénateur Mockler, aviez-vous une autre question?

Le sénateur Mockler : Je pense qu’on y a déjà très bien répondu, merci beaucoup.

La présidente suppléante : Merci beaucoup d’avoir participé à notre réunion ce soir. Nous avons grandement apprécié vos réponses et les informations que vous avez ajoutées à l’étude que réalise ce comité. Merci beaucoup.

Chers collègues, nous poursuivons nos travaux dans le cadre de notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.

[Traduction]

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir de recevoir, en personne, la Dre Suzanne Dupuis-Blanchard, professeure et directrice du Centre d’études du vieillissement de l’Université de Moncton; ainsi que Mario Paris, professeur agrégé de l’École de travail social de l’Université de Moncton, qui témoigne par vidéoconférence.

[Français]

Bonsoir et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire.

Madame Dupuis-Blanchard, la parole est à vous.

Suzanne Dupuis-Blanchard, professeure et directrice du Centre d’études du vieillissement, Université de Moncton, à titre personnel : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs et sénatrices.

Premièrement, je tiens à vous remercier de m’avoir invitée à prendre la parole sur le sujet important des services de santé dans la langue de la minorité, qui est particulièrement lié au vieillissement de la population. Nous savons qu’avec le vieillissement, et surtout en situation de crise ou de maladie, comme la démence, les personnes reviennent à la première langue apprise. Il devient donc essentiel d’aborder le sujet étudié par votre comité.

Encore en 2023, les personnes âgées des communautés de langue officielle en situation minoritaire doivent surmonter des défis pour avoir accès aux soins et aux services de santé dans leur langue. Les raisons liées à ces défis d’accès sont multiples. Ce ne sont pas toutes les personnes qui sont à l’aise de demander des soins ou des services de santé en français. Selon un projet de recherche en cours, ce sont les personnes qui osent le plus ou qui s’affirment plus fortement qui vont exiger d’obtenir des soins en français, et ce, avec des répercussions qui sont parfois négatives. Les autres craignent déranger le personnel, mais surtout de recevoir de moins bons soins et d’attendre plus longtemps.

Cependant, les défis d’accès aux soins et aux services de santé en français sont souvent hors du contrôle de la personne âgée et de sa famille. Un rapport préparé par mon équipe de recherche en 2022, qui porte sur les soins à domicile dans les communautés francophones en situation minoritaire, confirme les défis liés à l’accès aux soins en français. On a remarqué un manque de considération pour la langue française et la culture francophone dans l’offre de soins à domicile ainsi qu’un manque de ressources humaines francophones. En effet, très peu d’études ou de pratiques prometteuses étaient recensées dans les écrits pour brosser un portrait de la situation actuelle dans les communautés francophones en situation minoritaire. Souvent, les rapports issus de gouvernements et de parties prenantes négligeaient d’inclure les barrières linguistiques ou n’en faisaient tout simplement aucune mention.

Pourtant, l’incidence de la langue sur les soins influencerait les risques de réadmission à l’hôpital, occasionnerait de moins bonnes évaluations de l’état de santé, susciterait une utilisation prolongée des soins à domicile et entraînerait une fréquence plus élevée des visites à domicile, en raison des difficultés de communication et de la non-conformité aux traitements. Les barrières linguistiques engendreraient aussi moins de planification pour ce qui est des soins de fin de vie. De plus, les barrières linguistiques nécessitent souvent le soutien des membres de la famille, ce qui augmente, pour les proches aidants, les risques de souffrir de fatigue, de stress et d’épuisement.

Il faut aussi comprendre la réalité d’un groupe de personnes âgées francophones parmi les plus vulnérables, celles qui habitent dans des foyers de soins. Les foyers de soins à désignation francophone ou même bilingue n’arrivent pas à embaucher du personnel soignant francophone.

Des membres de la famille et des proches ont partagé des situations inimaginables, où leurs parents utilisent des pancartes dont un côté est en français et l’autre en anglais, pour communiquer avec le personnel soignant unilingue anglophone quand ils ont soif, quand ils ont de la douleur ou quand ils ont besoin d’aide pour se rendre aux toilettes. C’est choquant! En tant qu’infirmière, c’est même difficile d’entendre de tels propos. La pénurie de personnel dans nos foyers de soins est inquiétante, mais elle devient une question de qualité de vie et de sécurité pour les personnes âgées francophones vivant dans ces milieux.

Au Nouveau-Brunswick, deux projets, dont je suis responsable, encouragent le vieillissement en santé en français.

Le premier projet, Pivot santé pour aînés, offre aux personnes âgées francophones des services de promotion de la santé tout en y accueillant des étudiants de l’université pour des apprentissages et des stages qui les sensibilisent au vieillissement en santé, et ce, dans un contexte de recherche.

Le deuxième projet, appelé Foyer de soins sans murs, ou Nursing Home Without Walls en anglais, fournit du soutien pour le maintien à domicile, en passant par la navigation vers les services et les activités pour briser l’isolement, tout en réduisant les visites évitables aux urgences. À la suite du succès du projet pilote, ce dernier est actuellement en expansion partout au Nouveau-Brunswick.

Pour ce qui est des recommandations et des conclusions, voici quelques suggestions quant au rôle que devrait jouer le gouvernement fédéral : développer un outil analytique semblable à l’analyse comparative entre les sexes plus, mais pour reconnaître l’influence que peuvent avoir les langues officielles en situation minoritaire dans le développement d’initiatives fédérales; élaborer et mettre en œuvre une politique commune pour la collecte d’informations sur l’identité des francophones dans le contexte des soins; développer des initiatives de financement de la recherche spécifiques aux questions importantes pour les CLOSM; enfin, poursuivre le financement pour la formation de futurs professionnels de la santé pour combler les besoins des communautés francophones en situation minoritaire, mais aussi accélère la formation liée au vieillissement, puisque les programmes de formation en santé passent très peu de temps à préparer les futurs soignants professionnels au vieillissement de la population.

Je vous remercie de votre attention; au plaisir de répondre à vos questions.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, madame Dupuis-Blanchard.

Maintenant, c’est le tour de M. Paris. Vous pouvez nous présenter votre déclaration préliminaire.

Mario Paris, professeur agrégé, École de travail social, Université de Moncton, à titre personnel : Bonjour. Je tiens à vous remercier de l’invitation à témoigner aujourd’hui sur la prestation de services sociaux et de santé dans le contexte du vieillissement de la population francophone minoritaire, en particulier au Nouveau-Brunswick.

En tant que professeur agrégé à l’École de travail social de l’Université de Moncton, je suis heureux de partager avec vous mon expérience en recherche participative avec plusieurs communautés francophones de la province. J’aborderai plus particulièrement les résultats d’une recherche très récente que j’ai menée en collaboration avec une de mes collègues sur la communauté francophone minoritaire de Saint-Jean.

Depuis plus de 15 ans, j’étudie et je collabore avec les acteurs municipaux, communautaires et publics afin d’améliorer la qualité de vie des personnes âgées, et ce, au cœur de leur milieu de vie. Plus particulièrement, j’étudie le programme des villes et des collectivités-amies des aînés au Québec et au Nouveau-Brunswick, ainsi que sur la scène nationale et internationale.

Ce programme de l’Organisation mondiale de la santé vise à créer des communautés où les personnes âgées peuvent continuer à vivre de manière active, en bonne santé, et participer pleinement à la vie sociale. Au fil des années, j’ai montré comment les résultats de ce programme ne se mesurent pas seulement en « extrants », c’est-à-dire en mesures quantifiables, mais aussi dans le déploiement d’une démarche misant sur une transparence du processus décisionnel, une communication ouverte et une recherche de consensus entre les parties prenantes. J’ai aussi collaboré avec différentes communautés, parfois à l’échelle locale, parfois à l’échelle d’un quartier, voire d’une résidence pour personnes âgées, afin de trouver des solutions à des problèmes qui les préoccupent.

Le projet que je veux vous présenter aujourd’hui s’est déroulé en 2022 avec l’Association régionale de la communauté francophone de Saint-Jean. Cette association a invité ma collègue Elda Savoie, professeure à l’École de travail social de l’Université de Moncton, et moi à mener une enquête qualitative auprès des personnes âgées francophones, afin d’identifier leurs besoins et des pistes de solution quant aux services sociaux et de santé en français dans leur communauté.

Nous avons réalisé 32 entrevues individuelles et trois groupes de discussion. En tout, nous avons rencontré 47 personnes âgées vivant dans différents quartiers de Saint-Jean. L’analyse des données recueillies a permis de dégager plusieurs thèmes principaux, dont deux portaient sur les services de santé et les services sociaux.

Sur le plan des services de santé, ce qui a été constaté, c’est que, pour la totalité des personnes que nous avons rencontrées, celles-ci souhaitaient vieillir à Saint-Jean au sein de leur communauté, de leur famille et de leurs amis.

À de rares occasions, certaines personnes prévoyaient de déménager de Saint-Jean pour une autre région dans la province. Ils souhaitaient déménager en raison de l’accessibilité des soins et des services en français.

Durant leur vie, et particulièrement à un grand âge, les participants disaient avoir eu une expérience inégale des services de santé dans leur région, et ce, tout au long du continuum des services. Plusieurs défis étaient identifiés : l’accueil insuffisant en français dans les services; la mauvaise qualité de la langue française chez les professionnels bilingues; la rareté de l’offre active dans le Réseau de santé Horizon; la rareté de l’offre active dans les hôpitaux de Saint-Jean. Dans ce contexte où règne la méfiance envers le système médical, un couple de septuagénaires a partagé ses inquiétudes, soulignant l’importance de la compréhension mutuelle dans la communication médicale. Comme l’a mentionné un des membres du couple, la barrière linguistique peut être une source d’anxiété, illustrée par le fait qu’on préfère expliquer sa condition en anglais pour assurer une compréhension de ses besoins médicaux. Cette expérience souligne les défis auxquels les personnes aînées peuvent être confrontées dans le domaine de la santé à Saint-Jean.

Sur le plan des services sociaux, pour les personnes participantes, la plupart de ces services étaient offerts en anglais à Saint-Jean. Parfois, il y avait des services sociaux en français, mais il fallait attendre un temps considérable avant de les recevoir, et même à l’extrême, payer pour les obtenir, alors qu’ils auraient pu être gratuits dans le système public. C’est d’ailleurs le cas des services de maintien à domicile, tant pour les activités de la vie quotidienne que pour les activités de la vie domestique.

Parmi les défis identifiés par les personnes participantes, nous avons répertorié notamment la rareté de l’offre de services sociaux en français, le manque d’accessibilité à des informations en français pour le soutien à domicile, mais surtout l’absence d’une résidence pour personnes aînées francophones dans la région. Ce dernier point était l’une des craintes les plus importantes aux yeux des personnes participantes, puisqu’avec l’âge qui augmente, il semble de plus en plus difficile de rester à domicile. Il se dessine alors une superposition d’inquiétudes face au vieillissement en français à Saint-Jean. Vieillir signifie, pour plusieurs personnes participantes, des problèmes de santé, mais les soins et les services sont difficilement accessibles dans leur langue maternelle. Si une personne devait déménager dans une résidence, elle n’avait aucune chance d’avoir une résidence francophone. Rester à domicile le plus longtemps possible est, en quelque sorte, un refuge pour les personnes participantes, qui veulent vieillir en français dans leur communauté.

En guise de conclusion, à notre sens, les résultats de cette recherche soulignent la nécessité d’une approche plus holistique et intégrée pour répondre aux besoins des personnes aînées francophones, en particulier sur le plan des soins de santé, des services communautaires et du soutien social. Il est clair que, pour que les personnes aînées francophones puissent vivre de manière autonome et saine à Saint-Jean, il faut prendre en compte leurs besoins culturels et linguistiques uniques. En outre, il est important d’impliquer les personnes aînées dans la planification et la mise en œuvre des programmes et des services qui les concernent. Enfin, il est essentiel de reconnaître la contribution importante que font les personnes aînées francophones à la communauté saint-jeannoise et de leur offrir le soutien et les services nécessaires pour qu’elles vivent de manière autonome et dans la dignité. Merci.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, monsieur Paris.

Chers collègues, nous allons commencer la période des questions avec la sénatrice Mégie.

La sénatrice Mégie : Merci à nos témoins.

Monsieur Paris, vous avez parlé de votre travail à l’échelle nationale et internationale. Avez-vous trouvé de bonnes pratiques que l’on pourrait appliquer pour les soins aux aînés, à l’international ou dans une autre province?

M. Paris : Pour ce qui est de mes recherches internationales et même nationales auprès des autres provinces, elles sont menées dans le cadre du programme des collectivités-amies des aînés, un programme de l’Organisation mondiale de la santé. Ce qui a toujours été prouvé avec le programme des collectivités-amies des aînés, c’est la mobilisation que cela requiert auprès des parties prenantes, que l’on parle des citoyens, des organismes formés d’aînés, des élus, des municipalités et différents ordres de gouvernement. L’idée est de se retrouver autour d’une même cause. La cause, c’est le vieillissement d’une population sur un territoire.

Sur le plan des innovations sociales, je n’ai pas d’exemples spécifiques en tête, mais dans les éléments concrets, ce que l’on retrouve souvent, c’est une concertation des acteurs; il est rarement question d’injecter une tonne d’argent dans de nouveaux services pour répondre à des besoins. L’idée est de dire : « Refaisons nos services différemment tout en nous concertant, en mettant la participation et les besoins des gens au premier plan. » Souvent, on va parler d’offre de services, de panier de services, mais on ne se demande pas en amont si ces services répondent aux besoins des gens.

Dans le cas de Saint-Jean, une de leurs plus grandes préoccupations, c’était d’avoir une résidence pour personnes âgées. Ils n’ont pas de foyer de soins francophone, ce qui fait en sorte qu’inévitablement, un jour, ils doivent déménager dans un foyer de soins qui sera inévitablement anglophone, ce qui cause vraiment des problèmes. Après cela, comment implanter une habitation ou fonder un foyer de soins? Il faut impliquer les différents ordres de gouvernement et travailler ensemble. C’est beaucoup de cet ordre. Dans les recherches, ce que l’on voit souvent, c’est que cette gouvernance collaborative est nécessaire.

La sénatrice Mégie : D’accord, merci. Comment font les aînés de Saint-Jean? Vont-ils tous dans un CHSLD anglophone?

M. Paris : Il y a différentes provinces et différents systèmes de soins. Effectivement, à Saint-Jean, les aînés francophones vont dans un foyer de soins. Ma collègue Suzanne vous l’expliquera mieux que moi, mais il y a quatre niveaux de soins. Les CHSLD au Québec représentent des foyers de soins de niveaux 3 et 4 au Nouveau-Brunswick. À Saint-Jean, il n’y a aucun foyer de soins francophone pour eux. Souvent, pour avoir des soins en français, ils vont déménager dans d’autres régions à prédominance francophone. Au Nouveau-Brunswick, il y a 30 % de francophones, mais il y a des régions où les francophones sont très concentrés. Par contre, dans les villes comme Fredericton et Saint-Jean, les communautés ont une très petite marge — peut‑être 4 % à Saint-Jean, de mémoire —, ce qui fait que les services sont très limités.

La sénatrice Mégie : D’accord, merci.

La présidente suppléante : Je vais y aller avec mes questions — peut-être plus courtes au début, pour voir où les réponses vont nous mener.

En Ontario, à un moment donné, les résidences de soins de longue durée étaient publiques, c’est-à-dire qu’en fait, elles appartenaient à des groupes, à des religieuses, par exemple. D’ailleurs, il y a plusieurs hôpitaux au Canada qui ont été mis en place justement parce que les religieux finançaient les opérations et étaient sur place pour donner les soins.

Ce qu’on voit depuis une vingtaine d’années, c’est une privatisation des résidences pour personnes âgées; on a transformé les CHSLD ou les résidences de soins de longue durée financés par les deniers publics, et ils ne sont plus aussi privés qu’ils étaient. Est-ce que ce phénomène s’est produit au Nouveau-Brunswick? Est-ce que quelqu’un peut répondre à ma question?

Mme Dupuis-Blanchard : Je vais commencer et Mario pourra continuer, s’il le souhaite.

C’est un peu le contraire au Nouveau-Brunswick. On va vers la privatisation en partenariat avec le gouvernement provincial, par contre. Les foyers de soins sont gérés par les conseils d’administration; ils ont été privatisés, si l’on peut dire, mais par l’État, pas par des compagnies; ils ont été à but non lucratif, etc. Ce qu’on voit actuellement, ce sont des compagnies privées qui changent un peu dans la donne, parce qu’on a créé ces partenariats avec la province.

On dit que ces foyers sont toujours sans but lucratif, mais on peut se demander comment les compagnies peuvent s’en sortir tout en étant sans but lucratif.

M. Paris : J’abonde dans le même sens que ma collègue Suzanne. Pour moi qui suis originaire du Québec, on est habitué avec les CHSLD et on a eu de grandes institutions publiques. Le plus grand CHSLD était situé à Saint-Hyacinthe et comptait 700 résidants dans les années 1980. Après, ce système s’est désinstitutionnalisé pour laisser la place aux résidences privées pour personnes aînées. Quand je suis parti du Québec en 2017 pour occuper un emploi ici et fonder une famille, en m’intégrant dans la communauté du Nouveau-Brunswick et la communauté acadienne, j’ai constaté tout un renversement ici.

Au Nouveau-Brunswick, dans les années 1980, le gouvernement fédéral avait financé le développement de foyers de soins pour aînés au moyen d’un fonds public. Ces foyers sont des organismes à but non lucratif. Il y a très peu de coopératives au Nouveau-Brunswick, mais il est étonnant d’y voir autant d’organismes à but non lucratif qui sont des foyers de soins de très petite taille. On parle de 12 à 20 résidants. Ils sont tout petits dans de petites communautés. C’était un modèle totalement différent.

Ce que l’on voit depuis 10 à 15 ans, c’est une ouverture au privé. Pour les foyers de soins, il y a maintenant des appels d’offres. Le secteur privé fait partie de l’équation. L’habitation au Canada, c’est un marché privé, ce qui fait en sorte qu’il gagne souvent les appels d’offres. Maintenant, les nouvelles constructions sont souvent privées, avec des nuances et des partenariats. Je suis l’un de ceux qui plaident en faveur d’une diversité d’habitation. Il y a une belle diversité, mais dans 10 ou 15 ans, quand nos foyers de soins auront besoin de rénovations ou d’optimisation, où sera le soutien?

La présidente suppléante : J’ai un exemple typique : ma mère était dans une résidence de soins de longue durée tenue par des religieuses; c’était avant la privatisation. Mon père, qui est décédé 20 ans plus tard, habitait dans un foyer de longue durée, mais qui était privatisé. La différence était quand même intéressante.

Je vais faire une nuance : les soins de longue durée n’étaient pas privatisés, ils étaient rattachés à l’Hôpital Montfort à Ottawa, mais la résidence pour personnes âgées où il vivait était privatisée. Cela faisait que les coûts étaient très élevés, mais quand mon père est arrivé en soins de longue durée, ils sont revenus à un niveau plus normal.

On voit maintenant une détérioration des services, que ce soit sur le plan de la langue ou des services offerts en résidence. Je veux mieux comprendre les défis. Vous en avez mentionné quelques-uns, mais il y a aussi la pénurie de main-d’œuvre.

Je veux parler du financement. Quels sont les défis associés au financement nécessaire, d’abord pour garder les personnes âgées chez elles le plus longtemps possible? Ensuite, quels sont les défis associés à l’accès à des résidences entre-deux? Enfin, quels sont les défis associés aux soins de longue durée? Quels défis avez-vous dans votre province?

Mme Dupuis-Blanchard : Le plus grand défi, si on veut parler de financement, c’est, en premier lieu, le financement des non-professionnels. Les aides ménagères et les gens qui offrent du soutien à domicile sont souvent sous-payés, presque au salaire minimum; ils ont très peu de bénéfices et très peu de reconnaissance, d’avancement, etc.

On peut certainement aller plus loin. Regardez tout le système pour ce qui est des infirmières... Je suis moi-même infirmière. On voit actuellement une vague de celles qu’on appelle des « infirmières voyage », qui viennent un peu remédier à la pénurie, mais qui sont payées le double ou le triple de nos infirmières permanentes. Cela soulève des questions sur le plan des ressources humaines, si l’on peut dire.

Cela dit, sur le plan du financement, il faut reconnaître les bonnes pratiques dans nos communautés. Je parle ici de petites entreprises, de petites associations, de services de proximité qui sont souvent financés à la pièce, d’année en année, souvent grâce au programme fédéral Nouveaux Horizons pour les aînés. Plusieurs de nos organismes communautaires font beaucoup de bien pour ce qui est du vieillissement en français ou dans les deux langues. Ils bénéficient de ce programme, mais il n’y en a pas beaucoup d’autres qui appuient le travail qui se fait. Lorsqu’il y a des projets ou des programmes dans la communauté, justement, c’est toujours avec une période de financement fixe. On arrive à la fin et on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer pour le financement ou pour la suite du projet, même s’il y a un impact positif ou quoi que ce soit d’autre.

Ce sont mes réflexions par rapport à votre question.

Au Nouveau-Brunswick, en parlant de foyers de soins, nous avons aussi ce qu’on appelle des foyers de soins spéciaux de niveaux 1 et 2. Ces derniers sont pour les gens qui ne peuvent plus nécessairement rester à domicile, mais qui doivent faire une transition parce qu’ils ont surtout besoin d’aide avec les repas, par exemple. On ne parle pas de soins infirmiers, mais d’accès à du soutien. Ensuite, il y a les niveaux 3 et 4.

Certaines personnes disent que si on avait suffisamment de services de soutien à domicile, on pourrait presque éliminer les niveaux 1 et 2. Je n’en suis pas certaine. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu. Le maintien à domicile est mon créneau de recherche. Il y a certainement une réflexion à faire là-dessus. Même si 92 % des aînés au Canada réussissent à vieillir chez eux, il y a quand même des services qui sont manquants ou difficiles d’accès, et c’est souvent à cause du manque de personnel.

La présidente suppléante : Monsieur Paris, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Paris : Je voudrais renforcer cette idée de communauté. Dans ma spécialisation et dans ma pratique en travail social, il est important de laisser de la place à la communauté pour qu’elle se mobilise, qu’elle prenne conscience des problèmes, qu’elle se mette en action et que les gouvernements viennent soutenir, mais surtout imaginer des programmes qui pourront jouer dans cette mécanique-là.

Suzanne l’a bien dit : ce sont souvent des financements par projet. On peut avoir une belle initiative qui va durer un an et après, il faut montrer les extrants, les résultats. Il faut que tout cela soit mesurable. On ne prend pas toujours la peine d’écouter la parole des gens qui sont sur le terrain et qui disent qu’un projet fonctionne et vient changer des choses; souvent, après, ce financement va s’envoler. J’ai déjà des cas en tête, des projets qui ont été financés et implantés, mais qui n’ont pas eu de pérennisation. Ils tombent, car il n’y a aucun soutien financier.

Le mot est un peu galvaudé, mais je crois à l’innovation sociale. Il est possible de trouver comment travailler ensemble. Je ne parle pas seulement de la communauté et des gouvernements. Cela peut être le service de police, les ambulanciers, la municipalité, les élus. L’idée est de décloisonner nos fameux silos et de mettre l’épaule à la roue. Le glissement de la population est structurel. Cela fait 30 ans qu’on en parle. Cela fait 30 ans qu’on parle d’une pénurie de main‑d’œuvre et d’une crise dans le système de santé, mais on attend que cela arrive pour dire qu’on va bouger. Le temps que l’on bouge, ce sera derrière nous. C’est ce qui va arriver.

La présidente suppléante : Il faudra quelques années avant que cela passe.

M. Paris : Cela peut être surprenant, mais cela durera encore 30 ou 40 ans. Derrière cela, il faut revoir la philosophie de travailler ensemble. Nos financements devraient obliger à faire cela. Des appels de certains ministères... Au Nouveau-Brunswick, on a un bel exemple. Jusqu’à maintenant, mon constat à l’égard de la collaboration interministérielle n’est pas très fort. On a un Secrétariat des aînés et du vieillissement en santé qui est très fragile sur le plan des ressources humaines et même de ses moyens. Après, on dit que c’est formidable, qu’on finance des programmes comme celui des collectivités-amies des aînés, mais dès qu’on a un plan d’action mobilisé... S’il se produit quelque chose en habitation, par exemple, si l’on réduit la vitesse dans certaines rues, les ministères ne sont pas au rendez-vous. À un moment donné, on se dit que c’est la croix et la bannière et qu’on va essouffler les citoyens ou les petites municipalités. Il faut faire ce travail et repenser la collaboration et la coordination.

La sénatrice Clement : Bonsoir et merci d’être parmi nous. Ma première question s’adresse à Mme Dupuis-Blanchard.

Vous avez fait des recommandations au gouvernement fédéral et j’aimerais faire un suivi là-dessus. Êtes-vous satisfaite des collectes de données en cours? Il semble que ce soit un point faible pour le Canada en général. Pourriez-vous faire un commentaire à ce sujet? Vous avez parlé d’une politique commune pour la collecte de données. J’aimerais avoir plus d’informations à ce sujet. Dans tous les comités, on affirme que la collecte de données est un problème. Sans les données, on a de la difficulté à avancer et à justifier la pérennisation d’un financement.

Mme Dupuis-Blanchard : C’est une excellente question. Merci de me donner l’occasion d’y répondre. En tant que chercheurs, on nous pose des questions, même en préparant une rencontre comme celle-ci. On cherche à obtenir des données. Dans le cadre de nos projets, on veut trouver ce qui existe déjà. Souvent, on se rend compte que le volet linguistique n’y est pas ou que les données ne sont pas accessibles. Il y a toute la question de la disponibilité des données. On parle souvent de prendre des décisions fondées sur des preuves, des données probantes et des recherches. Toutefois, on ne collecte pas toujours les informations. Parfois, les informations sont si difficiles à trouver qu’on ne peut pas s’en servir.

Nous avons fait des progrès en matière de langues, mais il faut poursuivre les efforts. Je pense en particulier à des choses aussi simples que la carte de santé. Je sais que ce volet est de compétence provinciale. Cependant, est-ce qu’on ne pourrait pas uniformiser quelque peu l’information que l’on demande à nos populations? Il suffit d’un simple contact avec le système de santé pour déjà identifier des personnes qui souhaitent avoir accès aux services en français, sans rendre qui que ce soit mal à l’aise ni en faire une affaire d’État si une personne demande des services en français.

J’irai plus loin en disant que même pour obtenir de l’information, lorsqu’on veut du financement pour la recherche, il faudrait tenir compte de cette composante linguistique, comme on le fait pour le genre. On a fait beaucoup de progrès en ce qui a trait au genre, et ce, pour de bonnes raisons. Je crois qu’on pourrait apprendre des changements que l’on a apportés. En ce qui concerne les subventions pour la recherche, on pose des questions pour savoir si un projet touche les questions de genre et de sexe. On demande : « Avez-vous suivi la formation requise? »

À mon avis, ce sont des moyens qui peuvent sensibiliser à l’importance d’obtenir ces données. La collecte de données va loin. Elle nous permet d’avoir l’information dont on a besoin. Elle permet aussi de clarifier. Parfois, on ne réalise pas que certaines informations existent déjà ou dressent un portrait de la situation des francophones, peu importe le domaine. Toutefois, bien souvent, on n’a pas accès à cette information.

La sénatrice Clement : Je vous remercie de cette réponse. Avez-vous fait des suivis auprès du gouvernement provincial? Avez-vous fait cette recommandation de façon formelle pour demander une réponse?

Mme Dupuis-Blanchard : Formellement, oui, car j’ai coprésidé la mise sur pied d’une stratégie provinciale sur le vieillissement et il y a certainement eu des discussions à cet effet. Je dirai que cette stratégie existe depuis 2017. Or, rien n’a encore été fait. Cela en dit long.

La sénatrice Clement : Merci de cette réponse.

Mme Dupuis-Blanchard : Je ne suis pas la seule à avoir fait des demandes à différentes provinces. J’ai des collègues d’autres provinces qui ont fait la même demande. Selon nous, il est si simple d’indiquer sur la carte de santé la langue dans laquelle on veut se faire servir. L’information peut ensuite aller plus loin et même permettre de créer des bases de données. C’est assurément la chercheuse qui parle, mais c’est ce dont on a besoin.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup. J’ai une question pour M. Paris.

Vous avez parlé des municipalités et le sujet m’intéresse. À Cornwall, on avait un projet de collectivités accueillantes pour les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer parrainé par la Société Alzheimer. C’était une excellente initiative, car on avait eu une conversation avec la communauté. Toutes les recommandations visaient à ce que la ville soit plus accueillante non seulement pour les personnes plus âgées, mais pour tout le monde. Ces recommandations visaient à ce que la communauté soit plus accessible et accueillante.

Par ailleurs, j’ai noté, quand j’étais au conseil municipal, qu’il y a toujours un manque de communication et de collaboration entre les ordres de gouvernement municipal, provincial et fédéral. Je ne sais pas si vous avez remarqué la même chose. Les municipalités sont si proches des communautés que, bien souvent, elles ont de la difficulté à attirer l’attention du gouvernement fédéral. Soit on nous dit que le domaine de la santé est de compétence provinciale, soit on nous dit qu’une question particulière est de compétence fédérale. Ce qui manque, c’est justement cette collaboration. Pourriez-vous commenter à ce sujet et nous donner des pistes de solution?

M. Paris : On aime bien le mot « solution ». Effectivement, la collaboration entre les différents ordres de gouvernement peut ressembler au dicton qui dit « loin des yeux, loin du cœur ». Pour les municipalités, la seule fois où j’ai vu le gouvernement fédéral s’impliquer, c’était dans le projet des collectivités-amies des aînés, et c’était pour du financement. On a mis sur pied un plan d’action par la suite, et c’est là que le gouvernement fédéral a justement reconnu les collectivités-amies des aînés pour accorder une certaine crédibilité à la démarche communautaire, à la concertation et aux priorités.

C’est ce qu’ils ont fait au Québec. Des tranches d’enveloppes budgétaires pour les ministères — et je pense aux infrastructures — étaient réservées au plan d’action. On disait : « Vous avez fait un plan d’action, vous voulez transformer votre parc, transformer des trottoirs pour justement être plus accueillants pour les aînés? On reconnaît la démarche que vous avez faite et on vous octroie un certain montant d’argent. » Le concours existe toujours, mais on a comme une voie d’accès. C’est comme reconnaître que la communauté a pris de temps de se parler, de se concerter, d’arriver à un consensus et d’établir des priorités. Tant qu’à financer quelque chose, on décide de financer ces priorités, car cette communauté connaît un peu le domaine. Parfois, les villes ont des groupes d’experts, ou un élu a eu une idée qu’il veut faire financer et il va faire quelques coups de téléphone. En bas de l’échelle, si la base n’a pas été consultée, cela peut créer des conflits, des frictions ou des tensions et les choses n’iront pas dans le bon sens.

En guise de solutions, je verrais des programmes qui reconnaissent les démarches comme celles liées aux collectivités-amies des aînés, qui peuvent donner des voies d’accès. Il ne s’agit pas tant de passer devant les autres communautés, mais juste de comprendre. Bien souvent, ils pourraient dire : « Si vous faites la démarche au sein de votre communauté, vous pourriez avoir accès à ces fonds. »

Il s’agissait parfois aussi de fonds de recherche où on faisait des appels concertés sur des situations problématiques. D’ailleurs, c’était la force du Québec. Ils avaient des plans d’action, comme nous, au Nouveau-Brunswick. Bien souvent, ils voyaient des projets communs et déterminaient ce qui serait transversal dans les communautés et dans la province. Pour l’habitation, par exemple, on faisait alors des appels de recherche sur l’habitation pour voir comment trouver des solutions. C’est un autre exemple. Je parle ici seulement de communautés-amies des aînés.

Le seul organisme fédéral que j’ai vu tourner autour de communauté-amie des aînés est l’Agence de la santé publique. Elle a fait un bon travail communautaire sur le plan des pratiques. Elle a rassemblé l’ensemble des provinces, les acteurs fédéraux, les ordres de gouvernement et leurs homologues provinciaux autour du projet des collectivités-amies des aînés et tout le monde va se réunir sur une base quasi mensuelle pour discuter et pour savoir ce qui a été fait. Il y a vraiment une concertation qui se fait entre les différentes provinces. On voit moins ce dialogue sur le plan des municipalités. C’est un commentaire que j’ai fait à un collègue de la santé publique. Je disais qu’il serait bien que vous sortiez de cette relation provinciale-fédérale pour vous tourner vers les communautés et les organismes communautaires pour établir cette communauté de pratiques.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup.

Le sénateur Mockler : C’est très intéressant. Je m’en voudrais de ne pas faire des commentaires aux deux professeurs d’université de chez nous.

Je tiens à vous féliciter du leadership dont vous faites preuve. On vous entend souvent et c’est important. Vous avez beaucoup de respect et les gens vous respectent. Le vieillissement de la population est un sujet très important. Continuez de faire ce travail.

Parfois, c’est choquant, mais on peut retourner plus souvent frapper à ces portes pour profiter des occasions. J’ai déjà porté la casquette de responsable du développement social au Nouveau-Brunswick. En ce qui a trait aux foyers de soins — en anglais, on dit nursing homes —, selon les réponses que vous avez données, les foyers de soins spéciaux sont-ils des special care homes?

Ma question s’adresse à M. Paris. Vous dites qu’on n’a pas de foyers de soins francophones à Saint-Jean?

M. Paris : Oui, c’est bien ça.

Le sénateur Mockler : Je me souviens de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Dans le cadre du programme de la Loi sur les langues officielles, le Nouveau-Brunswick s’est embarqué dans les centres scolaires communautaires qui ont permis de créer le Centre scolaire Samuel-de-Champlain à Saint‑Jean. Je pourrais nommer les autres, mais la présidente me regarde et je veux m’assurer que je peux poser mes trois ou quatre petites questions.

Le programme a été utilisé par nos leaders dans les années 1970 pour offrir de meilleurs services en français à nos petites communautés en situation minoritaire. Est-ce qu’on ne pourrait pas utiliser ce même programme ou penser à un programme semblable pour les foyers de soins? Je pense à l’exemple que vous venez de donner pour Saint-Jean, et il y en a d’autres.

M. Paris : C’est la force qu’on peut avoir dans certaines communautés au Nouveau-Brunswick, surtout s’il s’agit de communautés très minoritaires. Elles ont concentré les services de la naissance puis, jusqu’à tout récemment, jusqu’au grand âge environ, au Centre scolaire Samuel-de-Champlain. Étonnamment, c’est l’un des résultats auxquels on ne s’attendait pas. À Saint-Jean, il y avait le centre de services communautaires, avec l’école, la garderie et même les soins de santé, certains services de santé, une clinique de santé. Sur un terrain d’à côté, il y avait le club de l’âge d’or. Ces deux centres se parlaient très peu, depuis quelques années : c’est un constat qu’on a fait, et surtout dans nos consultations communautaires, on a inclus à la table l’Association régionale de la communauté francophone (ARCf), qui gère le Centre Samuel-de-Champlain.

Les aînés cherchent des locaux, ils veulent faire des choses, mais nous n’en avions pas conscience. Par conséquent, ils ont dit : « Lâchez vos locaux, vous dites qu’ils sont trop exigus et difficiles d’accès, et venez dans le centre. » C’est tout récemment qu’ils ont déménagé le club de l’âge d’or dans le Centre Samuel-de-Champlain. On avait mis de l’avant l’importance d’une habitation communautaire pour aînés et on voit que cela faisait son bout de chemin. Maintenant, ils se croisent dans les couloirs et ils peuvent s’en parler et j’ai comme l’idée que oui, ce sera l’un des moyens de construire une résidence pour personnes âgées francophones, cela aura lieu par l’entremise du Centre Samuel-de-Champlain.

Le sénateur Mockler : Parce que ce programme existe assurément en vertu de la Loi sur les langues officielles. Cela dit, je veux poser une question qui traite du programme Foyers de soins sans murs. Professeure Dupuis-Blanchard, pourriez-vous nous donner plus d’informations et de résultats sur ce programme? Si je me rappelle bien, comme nous avons été les créateurs de Services de santé de Medavie Nouveau-Brunswick, pouvez-vous nous parler de ces avantages?

Mme Dupuis-Blanchard : Le programme Foyers de soins sans murs, je l’appelle mon bébé à grand succès. On y a mis beaucoup d’efforts sans trop savoir ce que serait le résultat. C’est un projet qui a été financé par l’Agence de la santé publique du Canada et le gouvernement fédéral, en collaboration avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick, dans le budget de 2018, je crois. Le programme Foyers de soins sans murs est le résultat de projets de recherche qui ont montré le besoin des aînés — pas seulement les aînés francophones — de rester à domicile. Étude après étude, les gens nous disaient qu’il y avait un manque de services, que c’était difficile de rester à la maison, qu’il n’y avait aucun soutien et on entendait pas mal toujours la même chose sur les questions du transport et de l’entretien de l’intérieur et de l’extérieur de la maison.

Puis, à un moment donné, on s’est dit, en collaboration avec l’Association des foyers de soins du Nouveau-Brunswick, qu’il fallait trouver une solution, qu’il fallait arrêter de parler toujours des mêmes problèmes. Il fallait passer à l’action. À ce moment-là, on parlait déjà beaucoup de maintien à domicile et l’idée nous est venue de demander : « Qu’est-ce qui existe déjà dans nos communautés qu’on n’a pas besoin de réinventer? » On dit souvent qu’il ne faut pas réinventer la roue.

On s’est dit qu’il y avait des foyers de soins, et ces derniers ont quand même une expertise, des connaissances et des ressources. Ils n’ont pas toutes les ressources, mais ils en ont. Comment cela se passerait-il si on leur donnait des ressources supplémentaires spécifiques pour les personnes âgées dans leur communauté, pour que les foyers de soins puissent eux-mêmes soutenir le maintien à domicile?

J’avais été invitée à une conférence à l’assemblée générale annuelle et je me suis dit que les directeurs des foyers voudraient tous me tirer dessus et dire : « Elle fait quoi quand elle vient nous dire qu’il faut en faire plus? » Au contraire! Par la suite, ils sont presque tous venus me parler et ils m’ont dit : « On connaît tellement de personnes âgées dans nos communautés qu’on pourrait aider, mais ce n’est pas notre mandat actuellement. On n’est pas là pour aider les aînés de la communauté. »

On était rassuré de voir que l’idée ne semblait pas si folle; avec les sommes reçues dans la province et le travail qui avait été fait avec quelques foyers de soins qui étaient intéressés... Certains m’ont appelée et m’ont dit : « On va de l’avant. » Je leur ai dit que rien n’existait encore et ils ont répondu : « On va de l’avant, on tente quelque chose. » Après quatre ans, je peux vous dire que ce projet pilote obtient un grand succès et que le ministère du Développement social — qui s’occupe des personnes âgées et du vieillissement dans notre province — vient justement de l’adopter. On a vu des résultats pour ce qui est de la diminution de l’isolement des aînés et du sentiment de solitude; on a vu que les gens savent maintenant où aller pour avoir de l’information sur les services.

Justement, on a un service de navigation qu’on appelle « l’accompagnement », parce que c’est tellement plus que de la navigation. On veut vraiment s’assurer que les gens reçoivent le service et que ce service est satisfaisant. On a également environ 33 % de nos répondants qui nous ont dit que, parce qu’ils savaient où se diriger pour des questions non urgentes, ils ont évité d’aller à l’urgence et en consultation externe pour des questions que nous leur avions posées : « Pourquoi seriez-vous allés là-bas si ce n’était pas urgent? » Ils ont dit qu’ils n’auraient pas su où aller et qu’ils savaient que cet endroit était ouvert, donc on a pu poser nos questions sur le maintien à domicile.

Cela nous a fait réaliser que les gens cherchent les services; je peux vous dire que les services existent en grande partie, mais que les gens ne les connaissent pas. C’est tellement difficile d’avoir accès à des services de maintien à domicile qu’après un bout de temps, les gens décident que c’est trop compliqué pour eux, ils ne veulent pas donner de mauvaise réponse et ils abandonnent tout. Donc, Foyers de soins sans murs a été un succès, grâce justement à l’implication des foyers de soins et au personnel qu’on a embauché. Je vais ajouter un mot sur le personnel : sénatrice Moncion, vous avez dit quelque chose un peu plus tôt qui m’a fait réfléchir, et c’est qu’il faut mettre les bonnes ressources humaines pour faire le travail approprié.

Si on n’a pas besoin d’infirmiers et d’infirmières, de travailleurs sociaux, et cetera, pour faire un travail qui peut être fait par un agent de développement communautaire, il faut le réaliser. Je le dis en sachant parfaitement ce qu’un professionnel de la santé peut apporter. Comme infirmière, cela me demande beaucoup de dire que ce serait l’idéal d’avoir Mario comme travailleur social, par exemple, mais il y a des tâches qui n’ont pas nécessairement besoin de formation et des compétences que nous apportons et qui peuvent aussi faire du bien. Je pense que c’est là qu’il faut choisir les bonnes ressources humaines.

J’ai beaucoup trop parlé; merci.

La présidente suppléante : Est-ce que cela s’est fait seulement en français?

Mme Dupuis-Blanchard : Cela s’est fait dans les deux langues. Le projet pilote a eu lieu dans quatre communautés du Nouveau-Brunswick, dont trois dans la Péninsule acadienne en français et un dans le sud-est, en milieu rural — en anglais, par contre.

D’ici le mois prochain, on souhaite étendre le projet à une vingtaine de communautés. Nous sommes actuellement à 15 ou 16, et je dois ajouter que d’autres provinces sont aussi intéressées.

Le sénateur Mockler : Donc, ces communautés auront un beau cadeau de Noël?

Mme Dupuis-Blanchard : Oui.

Le sénateur Mockler : J’aimerais vous entendre tous les deux sur les établissements postsecondaires francophones. Les chercheurs francophones qui travaillent en milieu minoritaire sont-ils désavantagés sur le plan du financement qu’ils reçoivent des gouvernements? On peut parler des trois ordres de gouvernement. Le gouvernement le plus proche du peuple, selon moi, c’est le gouvernement local, puis le provincial et enfin le fédéral.

Qu’est-ce que vous en pensez?

Mme Dupuis-Blanchard : Je vais y aller en premier, Mario, parce que le sénateur Mockler me regardait, mais ensuite, je te cède la parole.

Merci de votre question, parce qu’elle a été posée au premier groupe de témoins un peu de la même façon.

Pour nous, les chercheurs, c’est le financement fédéral qui est important. Cela nous donne une cote par rapport à l’importance, si l’on peut dire; lorsqu’on obtient du financement d’un des trois grands conseils, cela nous démarque. Je dois dire que mon expérience a été positive au début de ma carrière, parce que les Instituts de recherche en santé du Canada, les IRSC, offraient un concours spécifique pour les CLOSM et que j’ai bénéficié de ce financement. Ce financement ou ce concours s’est terminé et on nous a dit qu’il allait revenir. On avait l’impression — j’en avais été informée par une assez bonne source — qu’un concours était en préparation pour cet automne. Malheureusement, j’ai appris que, en raison de compressions budgétaires au sein de différents ministères fédéraux, il n’y aurait pas de concours spécifique sur les CLOSM, que celui-ci était intégré dans les concours réguliers et qu’on pouvait toujours faire une demande, évidemment.

Le problème, c’est que les membres de comités qui évaluent les demandes, les évaluateurs, ne reconnaissent pas toujours les nuances qu’apporte une demande ayant trait à une communauté où il y a des gens qui vivent dans une situation minoritaire. Oui, la demande sera sûrement reçue, mais sans faire de sensibilisation, cela devient très difficile.

À l’échelle provinciale, au Nouveau-Brunswick, je dois dire que j’ai bénéficié de beaucoup de financement pour des projets dans les deux langues. De mon côté, je ne peux pas me plaindre. À l’échelle municipale, honnêtement, ce sont plutôt des collaborations non monétaires, mais il y a quand même de l’intérêt, bien sûr.

M. Paris : Que dire de plus ou de mieux? Personnellement, c’est l’expérience que j’ai eue aussi avec le fédéral — je pense que Suzanne l’a dit —, qui reste pour les chercheurs le talon d’or, même sur le plan de l’avancement dans la carrière.

Je suis arrivé de l’Université de Sherbrooke dans un très grand centre de recherche où la recherche était de niveau international, alors cela roulait très fort et on remportait de gros concours. Quand je suis arrivé à Moncton, j’ai remarqué que les ressources humaines, surtout pour les étudiants, ne sont pas prises en compte dans les grands concours, et avoir du financement pour les CLOSM, je n’avais jamais connu cela. Si je participe à de grands concours, on ne tient pas compte du fait que je travaille dans une université généraliste, que mon université offre de petits programmes en philosophie, en géographie et en histoire, mais il faut comprendre que c’est une institution, c’est la vitalité de notre communauté et on doit offrir cela. Même s’ils sont presque déficitaires sur le plan budgétaire, si on élimine ces programmes et cette capacité d’agir, on ne nous verra pas. On enseigne beaucoup au premier cycle, mais assez peu au deuxième ou au troisième cycle, car on a moins d’étudiants pour développer des projets de recherche et nous aider.

À l’échelle provinciale, j’ai de bonnes collaborations avec la province, qui est très ouverte à collaborer, et j’ai obtenu un financement auprès du gouvernement fédéral qui est géré par la province afin de créer des projets pilotes en santé pour les aînés. Je n’ai donc rien à dire — je suis au début de ma carrière, un peu plus que Suzanne.

À l’échelle municipale, je n’ai jamais eu de financement, mais les collaborations sont là, le dialogue est là, souvent pour les deux communautés. Je vous dirais que, pour ce qui est de l’Université de Moncton, selon les échos, on aimerait nous voir jouer un plus grand rôle dans la ville de Moncton, et on voudrait peut-être parfois que l’université soit plus bilingue que francophone — vous voyez un peu l’idée. Cela fait partie du décor dans la ville de Moncton : notre université est francophone, elle n’est pas bilingue. On n’est donc pas toujours proche de la communauté anglophone.

Cependant, je n’ai pas eu de tensions ou de problèmes avec le financement, sinon que c’est peut-être parfois la reconnaissance de la spécificité. L’Université de Moncton, quand on y pense, c’est quand même une grande université francophone hors Québec. Ce n’est pas la seule, mais c’est la seule qui est généraliste comme cela, car elle compte au-dessus de 5 000 étudiants.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, sénateur Mockler, pour les bonnes questions; j’ai quand même autorisé un dialogue un peu plus long.

Sénatrice Mégie, ce sera à vous de conclure notre réunion de ce soir.

La sénatrice Mégie : Ce ne sera pas tellement long, parce que la majorité des réponses ont été données au sénateur Mockler.

Ma question porte sur le financement de la recherche. Cependant, je garde quand même une sous-question. Dans vos suggestions, vous avez parlé du financement de la recherche et d’après ce que vous et M. Paris avez dit, il n’y a pas vraiment eu de problème relativement aux concours auxquels vous avez participé et à l’accès aux fonds de recherche.

Si on incluait cela dans les recommandations qui seront faites au gouvernement fédéral, est-ce qu’on devrait recommander de l’augmenter ou de le garder comme tel?

Mme Dupuis-Blanchard : De mon côté, je crois qu’il faudrait présenter de nouveau ce concours réservé aux communautés francophones en situation minoritaire, pour qu’il y ait plus qu’un seul concours auprès des grands conseils. Cela permet de porter un regard spécifique sur ces communautés et sur les francophones hors Québec et les anglophones au Québec. Ce financement, selon moi, montre l’engagement des grands conseils envers les minorités linguistiques officielles; c’est ce qui manque.

Il faut aussi couper. Il faut trouver des moyens de savoir — et Mario l’a très bien dit — dans combien de petites universités la majorité des personnes qui font de la recherche sur les communautés francophones en situation minoritaire sont des professeurs ou des chercheurs. On n’est certainement pas vu de la même façon que d’autres. Je le sais, car j’ai fait mon doctorat à l’Université de l’Alberta; on n’est pas perçu comme l’Université de l’Alberta, l’Université de Toronto ou certaines institutions des grands centres. On est déjà ciblé parce qu’on travaille dans une petite université. Si notre recherche doit — en plus — cibler les communautés francophones en situation minoritaire, c’est presque comme une double... Je ne dirais pas que c’est une double stigmatisation, mais cela nous pénalise au point où, personnellement, bien malgré moi, je fais la majorité de mes soumissions en anglais. C’est connu partout dans les universités.

La présidente suppléante : C’est injuste, oui.

La sénatrice Mégie : Si vous le faisiez en français, auriez-vous moins de chances?

Mme Dupuis-Blanchard : Oui, moins de chances. C’est bien connu.

La présidente suppléante : Monsieur Paris, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Paris : Je suis encore jeune et idéaliste. Je présente mes projets en français, tout en sachant par contre que si je les présentais en anglais, j’aurais peut-être eu plus de chances.

Ce serait dommage de dire que ce n’est pas vraiment plus d’argent qu’il nous faut; on peut toujours investir plus d’argent, mais je ne pense pas qu’on réglerait des problèmes en réinjectant d’autres fonds. Des fois, comme on le disait, il faut inventer des programmes de financement qui tiennent compte de nos particularités.

L’autre élément, on l’a vu au CRSH; ils ont développé un programme qui s’appelle Subventions d’engagement partenarial. C’est le premier programme auquel j’ai participé ici et c’était des engagements de partenaires, le plus souvent avec des organisations. Il faudrait que ce soit un programme communautaire ou même privé, mais l’idée, c’est de développer la recherche en partenariat avec le milieu. Selon moi, ce sont des petites enveloppes qui peuvent monter jusqu’à 25 000 $.

Il y a peut-être une manière de penser les programmes où, sans être conditionné uniquement aux problèmes des communautés, on fait aussi de la recherche fondamentale. Il faut canaliser les efforts en se disant que les communautés ont des besoins et des problèmes. Si on parle d’itinérance, on peut faire des actions concertées. Les chercheurs pourraient y réfléchir et trouver des solutions en partenariat avec les milieux. Il y a peut-être une manière de développer des programmes de financement qui sont plus près des gens. Les universités sont dans une pyramide et font partie de cet écosystème, mais il y a beaucoup de gens qui ne nous voient pas travailler et ne savent pas ce qu’on fait. Ils ne voient pas les bénéfices d’une université. Selon moi, on doit faire des efforts pour montrer notre pertinence dans des projets très concrets.

La présidente suppléante : Merci beaucoup.

Je voudrais remercier les témoins. Vous avez été généreux dans vos réponses. Le comité est très heureux de la réunion de ce soir. Je vous remercie d’avoir été indulgents par rapport à la longueur des questions, étant donné que les sénateurs étaient moins nombreux. Cela nous a permis d’approfondir certaines questions. J’aimerais remercier les personnes qui nous accompagnent dans notre travail, notre personnel et les gens qui soutiennent notre comité, comme les gens qui font la traduction et la page qui est ici, ce soir, et voit à notre bien-être. Sur cette note, je vous remercie tous et vous souhaite une bonne soirée.

(La séance est levée.)

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