Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 8 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi, et pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.

La sénatrice Rose-May Poirier (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Je m’appelle Rose-May Poirier, sénatrice du Nouveau-Brunswick, et je suis vice-présidente du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.

La sénatrice Clement : Sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

[Traduction]

La vice-présidente : J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous les Canadiens qui nous regardent aujourd’hui. Ce soir, nous commençons la réunion avec la nouvelle étude sur l’impact du plafonnement des permis d’études sur les établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec.

[Français]

Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons en présentiel Martin Normand, directeur, Recherche stratégique et relations internationales, Association des collèges et universités de la francophonie canadienne, Jacques Frémont, recteur et vice-chancelier de l’Université d’Ottawa et Pierre Zundel, président et chef de la direction du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick

Nous souhaitons aussi la bienvenue à ceux qui se joignent à nous par vidéoconférence. Malheureusement, nous éprouvons quelques difficultés avec le son de Sophie Bouffard, rectrice de l’Université de Saint-Boniface, qui se joindra à nous dès que le problème sera réglé.

Nous accueillons également Allister Surette, recteur et vice-chancelier de l’Université Sainte-Anne.

Merci d’avoir accepté notre invitation et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre les remarques préliminaires de chacun d’entre vous. Elles seront suivies d’une période de questions des sénateurs et sénatrices. La parole est à vous, monsieur Normand. Vous avez cinq minutes chacun pour vos déclarations.

Martin Normand, directeur, Recherche stratégique et relations internationales, Association des collèges et universités de la francophonie canadienne : Merci, madame la vice-présidente. Le 22 janvier 2024, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a annoncé la mise en place d’un plafond national de réception des demandes de permis d’études pour une période de deux ans. IRCC fixe à 606 250 le nombre de demandes de permis d’études qui seront traitées en 2024. Ainsi, IRCC vise à approuver 360 000 permis d’études en 2024, pour atteindre une croissance nette nulle du nombre de permis valides.

L’ACUFC réitère aujourd’hui sa vive inquiétude et celle de ses membres à l’égard de ce plafond. Nous alléguons qu’IRCC a erré en fixant ce plafond en négligeant de prendre en considération les nouveaux engagements qui incombent aux institutions fédérales en vertu de la version modernisée de la Loi sur les langues officielles.

En septembre 2023, on estime que 12 000 étudiantes et étudiants provenant de l’international étudiaient chez les membres de l’ACUFC, ce qui représente environ 30 % de la clientèle totale. Selon des données d’IRCC, on estime que, pour la rentrée de septembre 2022, moins de 2 % du nombre total de permis d’études octroyés au Canada l’ont été à des personnes qui souhaitaient étudier chez ces mêmes membres.

La présence de ces étudiantes et étudiants entraîne des retombées économiques importantes, mais est aussi primordiale au sein des communautés francophones. Par exemple, cette clientèle comble des besoins variés en main-d’œuvre pendant ses études. Elle peut obtenir un permis de travail postdiplôme pour parfaire ses expériences de travail canadiennes. Puis, elle peut décider de faire une demande de transition vers la résidence permanente. Selon une étude menée en 2020, près de 90 % des étudiantes et étudiants de l’étranger dans notre réseau d’établissements souhaitent rester au Canada à la fin de leurs études. Ce succès illustre bien combien IRCC doit compter sur nos établissements pour atteindre ses nouvelles cibles plus ambitieuses en matière d’immigration francophone.

Revenons à la loi. IRCC n’a pas pris de mesures positives en amont de son annonce d’un plafond national pour en éviter ou en atténuer les impacts négatifs directs, comme on l’indique au paragraphe 41(7) de la loi. De fait, le ministère s’est délesté de ses responsabilités à l’égard de l’épanouissement des communautés francophones et a créé un précédent inquiétant en attribuant aux provinces et territoires la répartition de leurs allocations entre les établissements désignés. Certes, IRCC fait allusion, depuis plusieurs semaines, à des mesures éventuelles et à un projet pilote pour minimiser les impacts du plafond sur notre réseau d’établissements. Or, ces mesures se font toujours attendre, et il est de moins en moins probable qu’elles auront des effets concrets sur la rentrée de septembre 2024, comme cela en était l’intention.

De plus, la loi prévoit à l’article 3.1 que l’égalité réelle est la norme applicable aux droits linguistiques. Les institutions fédérales doivent donc prendre en compte les besoins particuliers et la réalité distincte des communautés minoritaires linguistiques et développer des mesures positives à cet effet. Or, le plafond a été établi en tenant compte de la moyenne nationale du taux d’acceptation des demandes de permis d’études, qui se chiffre à environ 60 %.

Le plafond n’a pas été modulé en fonction des taux d’acceptation moyens des établissements francophones et bilingues, qui se situe plutôt à environ 30 %, ce qui s’inscrit en porte-à-faux par rapport à l’égalité réelle.

Rappelons que le gouvernement fédéral s’est notamment engagé dans la loi à renforcer les possibilités pour les minorités francophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue et de protéger et promouvoir la présence d’institutions fortes qui servent ces minorités. De surcroît, la Politique en matière d’immigration francophone prévoit une croissance du nombre de permis d’études octroyés chez nos membres par rapport à 2023, ce qui vient en contradiction flagrante avec le plafond.

À cet effet, une véritable mesure positive respectant l’esprit de la Loi sur les langues officielles aurait été de faire de la clientèle qui veut étudier en français à l’extérieur du Québec une cohorte exemptée du plafond au moment de son annonce. Nous avons aussi, à plusieurs occasions, présenté d’autres solutions pour éviter un impact négatif sur les membres de l’ACUFC. Collectivement, nous sommes plutôt en rattrapage pour corriger le tort causé par l’annonce initiale.

Pour toutes ces raisons, nous formulons deux recommandations : qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada annonce, dans les plus brefs délais, des mesures positives pour réparer les torts causés aux établissements postsecondaires en contexte francophone minoritaire par l’annonce d’un plafond national de réception des demandes de permis d’études, et que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada développe rapidement des consignes claires sur les paramètres de mise en œuvre des nouvelles obligations contenues dans la Loi sur les langues officielles.

L’urgence d’agir est manifeste. Les hautes directions de nos établissements membres qui se joignent à nous aujourd’hui vous le montreront de façon éloquente. Non seulement le gouvernement fédéral est en train de rater le premier test de la Loi sur les langues officielles modernisée, mais il met en péril des institutions et des communautés qu’il s’est engagé à promouvoir et à protéger.

Merci.

Jacques Frémont, recteur et vice-chancelier, Université d’Ottawa : Merci beaucoup, madame la présidente. Permettez-moi de vous remercier, tous et toutes, de nous accueillir aujourd’hui pour discuter de l’impact sur mon université, donc l’Université d’Ottawa, des récentes annonces faites par le gouvernement du Canada sur les étudiants internationaux.

Si notre rencontre avait eu lieu il y a deux semaines, la conversation aurait été très différente. Juste avant les vacances de Pâques, nous avons reçu notre quota de la part de la province de l’Ontario. Celle-ci a choisi de protéger les étudiants étrangers qui souhaitent étudier dans des programmes en français. Ouf! On a eu chaud.

Je dois dire que l’Université d’Ottawa est satisfaite du résultat et que cela réduit grandement les craintes importantes que nous avions. Les établissements ontariens demeurent désavantagés, étant donné que d’autres provinces — notamment le Québec, qui vise à attirer beaucoup d’étudiants internationaux francophones — ont pu faire leurs offres d’admission plusieurs semaines avant nous.

Juste un rappel : à l’Université d’Ottawa, cette année, nous accueillons plus de 48 000 étudiants, dont 32 % environ sont inscrits dans des programmes en français, et ce, malgré le fait que les Franco-Ontariens représentent 4,6 % de la population de l’Ontario. Les étudiants internationaux représentent cette année 22 % de nos effectifs étudiants, dont environ 4 000 sont inscrits dans des programmes en français — 4 000 étudiants internationaux, c’est beaucoup de monde — et le reste, soit 6 700 étudiants, sont inscrits dans des programmes en anglais.

L’ajout ciblé de nos étudiants internationaux francophones est très important pour assurer la viabilité et l’expansion de nos programmes en français, en particulier en génie, en sciences et en gestion, ce qui représente un point important dans le contexte de la francophonie canadienne en situation minoritaire.

Cela étant dit, cette réunion du comité sénatorial nous fournit l’occasion de réfléchir à la façon dont les changements ont été apportés par le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, et comment, à mon avis, il a ignoré ses nouvelles obligations. La nouvelle Loi sur les langues officielles et ses obligations ont déjà été décrites, et la violation de ces obligations aussi.

Que peut-on retenir de cet épisode? Tout d’abord, je ferai trois rappels.

D’abord, il y a le caractère éminemment vulnérable des universités et collèges œuvrant en situation minoritaire au pays. Toutes les institutions ont besoin — voire dépendent — de leurs étudiants internationaux francophones. Quand vous avez 200 ou 300 étudiants et qu’une centaine d’entre eux sont des étudiants internationaux, croyez-moi, il n’y a pas de magie : s’ils ne sont pas au rendez-vous, nous nous retrouverons dans des difficultés financières considérables.

Deuxième rappel important : il y a une volatilité extrême au sein du marché des étudiants internationaux, notamment les étudiants francophones. La concurrence nous vient principalement du Québec. Lorsque le ministre Miller a annoncé ces nouvelles mesures, dans les 24 heures, le vent a tourné, et on a senti cela sur le terrain immédiatement. Il ne faut pas se faire d’illusions : avec les médias sociaux, de nos jours les choses changent très rapidement.

Enfin, je n’ai pas besoin de vous rappeler le rôle essentiel des collèges et universités de la francophonie canadienne pour réunir le talent nécessaire à la survie et au développement des communautés francophones qui sont discrètes et isolées partout au Canada.

Dans ce contexte, que s’est-il passé au juste? Quelle est notre lecture?

On l’a vu : la politique gouvernementale annoncée sans consultation préalable a eu pour effet de coincer les établissements comme le mien entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces. Nous étions assis entre deux chaises. De façon concrète, on nous a forcés, comme établissements en milieu minoritaire, à effectuer un lobbying furieux, à la fois auprès du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, pour dégager le nombre de places dont nous avions besoin pour protéger l’intégrité du système des universités francophones.

Donc, encore une fois, le fardeau a été placé sur le dos des établissements minoritaires pour qu’ils défendent leur existence. J’avoue que c’est extrêmement décevant, au lendemain de l’adoption de la Loi sur les langues officielles; ce n’est pas le statu quo, on a dû reculer et se défendre pour survivre, et pour la majorité des provinces, les provinces ont compris, parce qu’il n’y avait pas tant d’étudiants francophones à protéger.

Madame la présidente, je ferai une recommandation, une seule, mais elle sera bien sentie. La loi est là pour être appliquée par tout le monde, y compris par IRCC et par le gouvernement du Canada. Si le gouvernement du Canada n’est pas capable d’appliquer sa propre loi, je ne sais pas où l’on va.

Ma deuxième recommandation est la suivante : que ce soit pour les décisions ministérielles, du Cabinet ou du gouvernement, il devrait y avoir une obligation corrélative d’examiner systématiquement leur impact appréhendé sur les populations en situation minoritaire. Je pense que si vous avez un mémoire du Cabinet en matière d’affaires autochtones ou d’environnement, par exemple, on mesure toujours l’« impact sur l’environnement » ou l’« impact sur les affaires autochtones ».

Il y a une obligation dans la loi et on l’a ignorée complètement. Cela a eu un impact possiblement létal sur certaines institutions en milieu minoritaire. Heureusement, la majorité des provinces ont répondu présentes et ont fait ce que le ministre aurait dû faire d’entrée de jeu : elles ont protégé les établissements francophones collégiaux et universitaires du Canada.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

Pierre Zundel, président et chef de la direction, Collège communautaire du Nouveau-Brunswick : Mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, je vous remercie de m’offrir l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui au nom du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, ou CCNB, sur cet important sujet.

J’aimerais qu’il soit noté que je vais déposer un mémoire qui reprendra plus en détail les propos que je vais présenter aujourd’hui.

Le CCNB joue un rôle essentiel dans le développement du potentiel humain et communautaire au Nouveau-Brunswick. Avec plus de 90 programmes d’études, le collège accueille cette année 2 300 étudiants et étudiantes à plein temps, dont 48 % sont des étudiants internationaux.

Comme les collègues qui m’ont précédé, je tiens à souligner ma vive inquiétude quant au développement et à l’application de la nouvelle politique de plafonnement des étudiants internationaux, qui a pour but de réduire les effectifs de façon importante. Cette politique a un potentiel fort négatif pour l’ensemble de la société acadienne. Grâce à l’augmentation des inscriptions des étudiants internationaux au cours des dernières années, le CCNB a pu poursuivre sa mission et a, en fait, même augmenté son offre de formations postsecondaires de qualité pour les Acadiennes et Acadiens.

En tant qu’institution postsecondaire, nous devons maintenir un certain nombre d’inscriptions pour assurer la viabilité financière de nos programmes.

À titre d’exemple, au campus de Bathurst, 63 % de nos programmes sont suivis par au moins deux tiers d’étudiants internationaux. La diminution du nombre d’inscriptions aura un impact direct sur notre capacité à offrir nos programmes aux étudiants acadiens et canadiens. Si nous sommes contraints par la nouvelle politique de réduire nos programmes pour limiter l’accès à l’éducation postsecondaire en français pour les Acadiens et Acadiennes, cela pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour la pérennité de la langue française au Nouveau-Brunswick.

La toile de fond de cette discussion, c’est que le Nouveau-Brunswick fait face à une pénurie aiguë et généralisée de main-d’œuvre. Sur les 133 000 postes vacants prévus au cours des 10 prochaines années, seulement 56 % pourront être comblés par des diplômés des écoles secondaires de la province.

Donc, pour faciliter l’intégration de ces étudiants internationaux dans la communauté locale, le CCNB déploie de gros efforts; en fin de compte, 93 % de nos finissants internationaux demandent un permis de travail après leurs études et aspirent à rester dans la province. À la fin de leurs études, ils ont déjà commencé à s’enraciner, contribuant ainsi au marché du travail et à la société. Leur contribution est essentielle pour occuper 45 % des postes qui ne seront pas pourvus par les finissants du Nouveau-Brunswick.

Face à cette situation, il est incompréhensible pour nous de mettre en place une politique réduisant les effectifs étudiants internationaux francophones. En plus de contraindre le nombre absolu, les paramètres actuels de la politique ont l’effet de déformer la distribution des diplômés parmi les strates de la société et de l’économie. La politique actuelle exempte des étudiants des niveaux de maîtrise et de doctorat des changements dans le plafonnement du nombre de permis d’études et des changements relatifs aux permis de travail postdiplôme et aux permis de travail ouverts pour les conjoints et conjointes.

Cette distinction impose une différente valeur aux divers niveaux d’études. La formation universitaire de premier cycle et la formation collégiale sont donc perçues comme moins importantes. Cependant, sur les 133 000 emplois dont j’ai parlé plus tôt, 40 % exigeront une formation collégiale ou professionnelle par opposition à 24 % qui demanderont une formation universitaire. Il semble donc y avoir un important désalignement entre la politique et les besoins du marché du travail. Cette nouvelle politique a donc le potentiel de compromettre sérieusement l’immigration francophone au Nouveau-Brunswick, qui est essentielle pour l’avenir de la francophonie dans la province.

Alors qu’on aura voulu régler des problèmes tout à fait réels dans des provinces comme la Colombie-Britannique et l’Ontario, le canon utilisé pour tuer la mouche risque de nous abattre nous aussi.

En conclusion, je recommande que le gouvernement fédéral mette en place des mécanismes explicites qui tiennent compte de la réalité distincte et des besoins des communautés francophones qui se trouvent dans un contexte de minorité linguistique.

Je serai heureux de discuter avec vous plus en détail de ces recommandations. Merci beaucoup de votre attention.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Zundel. Nous passons maintenant à la déclaration de M. Allister Surette, qui comparaît par vidéoconférence.

Monsieur Surette, la parole est à vous.

Allister Surette, recteur et vice-chancelier, Université Sainte-Anne : Mesdames et messieurs, honorables sénatrices et sénateurs, merci de nous accueillir et de mener une étude aussi importante pour le secteur postsecondaire francophone au Canada.

Je représente aujourd’hui l’Université Sainte-Anne à titre de recteur et vice-chancelier. L’Université Sainte-Anne est la seule institution postsecondaire de langue française en Nouvelle-Écosse. Elle offre des programmes d’études universitaires et collégiales ainsi que des programmes d’immersion en français langue seconde et de la formation sur mesure.

L’université est résolument ancrée dans son milieu. Elle est une partenaire de choix pour accroître la vitalité des régions entourant les campus et de l’Acadie de la Nouvelle-Écosse en général.

L’université dispense son enseignement et ses services par l’intermédiaire de ses cinq campus : l’un situé à Halifax et les quatre autres bien enracinés dans des régions acadiennes et francophones de la Nouvelle-Écosse, des régions côtières, rurales et éloignées et des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Elle s’est distinguée au cours des années par sa volonté ferme de s’impliquer activement dans les communautés qu’elle sert. L’Université Sainte-Anne tient à épauler le développement de ces communautés et à en assurer le mieux-être et la prospérité.

Notre population étudiante est constituée d’Acadiens, d’Acadiennes et de francophones des provinces maritimes, de francophones d’ailleurs au Canada, d’étudiantes et étudiants d’immersion — surtout en Nouvelle-Écosse — et d’étudiantes et étudiants internationaux issus d’une dizaine de pays, surtout africains. Environ 30 % de notre population étudiante provient de l’international.

L’université est un partenaire clé dans le plan d’action d’immigration francophone en Nouvelle-Écosse, qui vise la croissance de la population francophone. La croissance démographique est une priorité pour la Nouvelle-Écosse. La province a annoncé qu’elle vise à doubler sa population totale d’ici 2060.

Pour de nombreux pays de la francophonie, comme c’est le cas pour toutes nos institutions francophones, l’obtention de permis d’études est déjà plus complexe et plus lente que dans les universités anglophones. Donc, cette nouvelle étape bureaucratique s’ajoute aux obstacles existants.

Il faut se rappeler que nos marchés de recrutement à l’international sont le résultat de plusieurs années de travail et que les nouveaux marchés sont difficiles à développer. Ajoutons à cela le défi que pose le recrutement pour une petite institution en milieu rural. En raison de notre petite taille, nos ressources sont limitées comparativement aux institutions anglophones. Cette annonce a créé de l’incertitude pour les étudiants internationaux potentiels. Il faudra donc redoubler d’efforts pour nous repositionner dans ces marchés.

L’annonce du plafonnement crée de nombreuses étapes dans le processus d’admission d’une étudiante ou d’un étudiant provenant de l’international. Il en résulte une lourde bureaucratie pour nos petites équipes, ce qui devient difficile à gérer.

L’échéancier pour cette année est très serré, ce qui entraînera sûrement une diminution des effectifs en septembre 2024. Une telle diminution a un effet pluriannuel sur nos institutions.

Il y a un défi de plus comparativement aux institutions anglophones, soit le taux d’acceptation, qu’on appelle aussi le taux de conversion. À l’Université Sainte-Anne, ce dernier est bien moindre que la référence de 60 %.

En fait, dans certains pays, notre taux est à moins de 10 %. Il y aura aussi un impact pour l’ensemble de notre population étudiante. La présence d’étudiantes et d’étudiants issus de l’international touche la vitalité de nos campus et la qualité de l’expérience que nous pouvons offrir à l’ensemble de notre population étudiante. Les Canadiennes et Canadiens enrichissent leur vision du monde en côtoyant ceux et celles qui viennent d’ailleurs.

De plus, nous devons maintenir un certain nombre d’inscriptions pour assurer le maintien de nos programmes, donc une diminution de 30 % de la clientèle aura assurément un effet sur nos programmes. Comme nous l’avons aussi mentionné, nous offrons surtout des programmes de premier cycle, et nous ne bénéficions pas de la stabilité des étudiantes et étudiants des programmes de deuxième cycle qui sont exemptés du plafonnement.

Comme mes collègues, je tiens à faire part de mon inquiétude quant à l’impact de cette annonce pour nos établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec.

En conclusion, ma recommandation est semblable à celle qui a déjà été présentée, soit que le gouvernement fédéral doit tenir compte des besoins particuliers et de la réalité distincte des communautés minoritaires linguistiques, et qu’il doit développer des mesures positives à cet effet, comme il s’est engagé à le faire par le biais de la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci, monsieur Surette.

J’aimerais rappeler aux sénateurs et à tous nos intervenants de ne pas se pencher trop près du micro quand ils s’expriment et d’enlever l’appareil dans leur oreille afin de s’assurer que tout se déroule bien.

Chers collègues, comme vous le savez, vous avez cinq minutes chacun pour la période des questions et des réponses. On pourra faire un deuxième tour si on a le temps avant la fin de la première séance.

J’ai une première question.

Les avocats Mark Power et Darius Bossé ont publié un article d’opinion le 15 février 2024 dans Le Droit, affirmant que la décision du ministre Miller allait à l’encontre des obligations inscrites à la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

Avez-vous été consultés par le ministre Miller avant l’annonce du plafonnement des permis d’études imposé par le gouvernement?

Monsieur Zundel, vous pouvez commencer.

M. Zundel : Je ne me prononcerai pas sur la dimension légale. Cependant, je peux vous dire qu’on ne nous a pas consultés par rapport aux changements qui ont été annoncés le 22 janvier.

M. Normand : À l’ACUFC, nous avons été consultés sur plusieurs mesures envisagées par IRCC pour moderniser le programme des étudiants étrangers depuis l’été dernier. On n’a jamais participé à une consultation précise sur le plafond tel qu’il a été annoncé le 22 janvier, toutefois.

M. Frémont : C’est la même réponse que mes deux collègues. Il faut que vous sachiez qu’une plainte a été déposée aujourd’hui. Peut-être M. Normand veut-il en parler?

M. Normand : Oui. Je voulais trouver le bon moment. Je ne pensais pas que c’était celui-là, mais je vais le faire.

On peut vous révéler qu’aujourd’hui, au nom de ses membres, l’ACUFC a déposé officiellement une plainte au Commissariat aux langues officielles relativement à la décision d’instaurer un plafond qui a été annoncée le 22 janvier. Évidemment, on est en attente des réactions du commissariat. On va lui laisser le temps de prendre connaissance de la plainte. C’est une plainte qu’on a bien documentée. On a documenté à la fois les gestes qu’on a posés pour essayer d’obtenir des mesures réparatrices dans les dernières semaines, les raisons qui justifient le dépôt de notre plainte et les attentes qu’on a à l’endroit du commissariat pour la suite des choses et pour le traitement de la plainte.

La vice-présidente : Merci. Est-ce que vous avez terminé, monsieur Frémont?

M. Surette : Comme mes trois collègues — nous n’avons pas été consultés.

La vice-présidente : D’accord, merci.

La sénatrice Mégie : Merci à tous les témoins qui nous apportent leur éclairage sur ce sujet.

Avez-vous une idée des objectifs de ces lettres d’attestation qui ont été instituées? Quel est le processus associé à l’attribution de ces lettres? Êtes-vous au courant?

M. Zundel : Je pense que je peux répondre à la deuxième question, c’est-à-dire celle qui porte sur l’attribution des lettres de contestation. Je réponds peut-être à la mauvaise question; vous me le direz.

Dans les différentes institutions, dans les différentes provinces, c’est peut-être différent, mais au Nouveau-Brunswick, on doit d’abord juger le dossier académique de l’étudiant pour lui faire une offre d’admission, pour le juger admissible. Par la suite, on lui demande de faire un dépôt pour un premier semestre de frais, puis le collège va demander à la province une lettre d’attestation pour l’étudiant en question. Cette lettre sera reçue et envoyée par l’institution à l’étudiant, qui doit l’inclure avec sa demande de permis d’études. C’est à peu près le processus qu’il faut suivre pour l’attribution chez nous.

La sénatrice Mégie : Mais ce processus existait déjà. Qu’est-ce que la lettre d’attestation apporte de plus?

M. Zundel : Non. Par le passé, l’étudiant faisait une demande d’admission au CCNB, on jugeait le dossier, puis on lui faisait une offre d’admission qui le menait à IRCC pour qu’il fasse une demande de permis d’études. La province n’était aucunement impliquée dans le processus.

Au Québec, la province est impliquée depuis longtemps. Cependant, dans les autres provinces et territoires du Canada, ce n’était pas le cas avant le 22 janvier.

La sénatrice Mégie : Je ne sais pas si certains d’entre vous peuvent répondre. Le gouvernement a-t-il étudié l’impact de cette mesure avant de la mettre sur pied? Vous n’avez pas été consultés, donc ce n’est pas après avoir mené des consultations qu’il a mis cette mesure en place.

M. Frémont : Cette mesure comprenait toutes les universités au Canada dans toutes les provinces canadiennes. On le sait, il y a deux provinces qui, semble-t-il, avaient des problèmes. Il y avait des abus, en Ontario surtout et en Colombie-Britannique. Le but de cette mesure était de diminuer le nombre d’étudiants étrangers qui entrent au Canada pour reprendre un peu de contrôle, parce qu’en Ontario notamment, certains collèges privés avaient, semble-t-il, des dizaines de milliers d’étudiants qui entraient au Canada, puis ces collèges sous-contractaient tout cela aux collèges publics. On a voulu stopper l’hémorragie. Ce faisant, on a mis ensemble tous les collèges et universités au Canada et c’est comme cela qu’on a couvert les collèges en milieu minoritaire et les universités. C’est ce que l’on dénonce.

Déjà, le taux de refus d’IRCC était beaucoup plus élevé pour les candidats francophones, parce que la moyenne de nos étudiants issus du continent africain était beaucoup élevée que pour les étudiants venant de l’Europe, de la Chine, de l’Inde ou du Pakistan. On se trouvait donc très défavorisé et on a tout de suite demandé au ministre Miller de faire un parapluie ou de mettre une bulle par-dessus les collèges et universités de la francophonie — il n’y a pas tant de monde que cela, on parle de quelques milliers — pour au moins ne pas menacer ces collèges et leurs programmes. J’ai rencontré le ministre à deux reprises. Le ministre n’a voulu accorder aucune exception. Il nous a entendus et il était sympathique, mais aucune exception n’a été accordée.

Il a donc fallu que nous tentions de convaincre les gouvernements provinciaux en parallèle. Le gouvernement du Québec n’était pas impliqué, parce qu’ils n’avaient pas atteint leur proportion d’étudiants et de lettres d’attestation. Le Québec a un système qui lui permet déjà d’émettre des certificats d’attestation. Le Québec n’était donc pas impliqué. C’est dans les autres provinces que cela s’est passé.

La politique gouvernementale a été expliquée in extenso. Il semble que l’on causait des problèmes sur le plan du logement, notamment.

Pour vous dire à quel point cela n’a pas été bien pensé, à l’Université d’Ottawa, au moment où l’on se parle, 4 % de nos lits en résidence sont libres. Je veux bien que les universités causent des problèmes de logement, mais ce n’est pas le cas partout. On jette le bébé avec l’eau du bain.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup. Je trouve vos témoignages très intéressants et percutants. Le 20 janvier ou dans ces eaux-là, le gouvernement a causé un tsunami, surtout du côté des universités francophones canadiennes et, dans certains cas, dans les universités anglophones.

Vous venez de mentionner que c’est une mesure qui n’a pas bien été pensée. Je n’ai pas l’impression qu’elle avait nécessairement été pensée du tout. Je pense qu’on voulait tout simplement régler un problème rapide avec une solution simple, ce qui est quelque chose que nous voyons souvent dernièrement.

Pouvez-vous nous parler des impacts à court, moyen et long terme de l’annonce du 22 janvier, mais en tenant compte de la situation financière et de ses impacts? Vous avez parlé de l’impact sur les minorités francophones, mais il y a un impact financier. En ce qui concerne cet élément, j’aimerais que vous ajoutiez la dimension provinciale, soit le rôle des provinces dans le financement de vos universités. Les étudiants étrangers, c’est un élément, mais vous avez d’autres éléments, comme les frais de scolarité et les contributions des provinces. Celui-là est venu vous frapper tout de suite, mais il y en a d’autres qui existent depuis plusieurs années et vous amènent tranquillement vers le gouffre.

J’aimerais vous entendre tous les quatre sur cet élément.

M. Frémont : Pour l’Ontario, ce n’est pas compliqué. On est dans la cinquième année d’un gel des droits de scolarité et des paiements de transfert. La seule soupape que nous avions, c’était les droits de scolarité des étudiants étrangers. C’était la seule chose qui n’était pas réglementée. Là, on vient mettre un couvercle là-dessus. Le gouvernement de l’Ontario a été pris au dépourvu et il fallait le convaincre de maintenir nos niveaux pour les étudiants anglophones et francophones. Il y a eu des coupes malgré tout et des arbitrages à faire entre les collèges ontariens et les universités ontariennes. Pour le gouvernement, cela a été un appel de phare qui l’a réveillé.

En Ontario, il y a eu un rapport d’un groupe d’experts au sujet du financement des établissements ontariens. Un des mandats spécifiques du rapport de novembre dernier était le financement des appels des universités du Nord et des universités francophones. Des recommandations ont été formulées dans le rapport. Le gouvernement de l’Ontario a répondu au rapport il y a quelques semaines en répondant à toutes les recommandations, sauf celles concernant les universités francophones. En gros, on comprend qu’ils veulent avoir plus d’argent du fédéral, donc on ne répond pas aux établissements francophones en disant qu’on va aller chercher plus d’argent à Ottawa. C’est un éléphant dans la pièce de savoir qui est responsable de quoi dans le financement du système postsecondaire ontarien. Je pourrais vous en parler pendant deux ou trois heures, mais je vais laisser la place à mes collègues.

M. Zundel : Je peux parler un peu du Nouveau-Brunswick. Chaque province a une situation particulière. Les collèges ne sont pas la même chose que les universités.

Je peux vous dire que l’une des choses qu’on nous a répliquées, quand on a indiqué qu’il y avait des problèmes associés à cette politique, c’était que finalement, on était un peu toxicomane avec les étudiants internationaux, parce que les provinces ont sous-financé les établissements pendant si longtemps que l’on doit remplacer les revenus de l’État avec des revenus de ce genre.

En fait, je peux vous dire que même si les provinces nous avaient accordé les mêmes montants que nous accordent les étudiants internationaux, la toile de fond, c’est la pénurie aiguë et généralisée de main-d’œuvre au Nouveau-Brunswick. Même si la province donnait le même montant d’argent que les étudiants internationaux nous amènent, on irait quand même vers les étudiants internationaux, parce qu’on ne serait pas en mesure de remplir les besoins du marché du travail si on ne le faisait pas. En français ou en anglais, mais en français, certainement.

[Difficultés techniques]

M. Surette : Notre situation est particulière et unique dans le sens où nous avons 10 universités, dont 9 anglophones. Nous sommes la seule université francophone et il y a un gros collège communautaire. On se place au centre de tout cela.

Comme M. Zundel l’a mentionné, il y a aussi la question d’une clientèle possible pour notre institution francophone en Nouvelle-Écosse qui est très limitée. Le marché international est important pour notre institution, mais aussi pour l’augmentation de l’immigration francophone en Nouvelle-Écosse.

Par rapport à la situation financière, nos deux principales sources de financement sont les frais de scolarité et l’entente avec la province pour les subventions. Cette année, pour la première fois depuis plusieurs années, la Nouvelle-Écosse va conclure des ententes bilatérales spécifiques avec chaque université. Avant cela, c’était une formule de financement entre les universités ayant trait à l’impôt que la province réservait pour du financement en général. Cela fait des années que le financement de la province augmente de 1 ou 2 %. Il est évident que nos dépenses augmentent beaucoup plus que cela — de 5 à 6 % au moins. La seule façon de se rattraper, c’est au moyen des frais de scolarité. Si on parle d’une population qui est de 30 % pour nous — c’est parfois plus pour d’autres —, cela devient critique pour nos institutions.

Je pourrais vous parler longuement du financement provincial. Il y a deux autres gros défis pour nous à cet égard. Puisque nous sommes petits, toute la bureaucratie qui s’ajoute est très difficile pour nos institutions. Nous avons de petites équipes. Dans bien des cas, nous sommes déjà à la limite. Il y a toujours des choses qui s’ajoutent. Non seulement IRCC a ajouté de la bureaucratie avec le plafonnement, mais dans notre cas, la province a ajouté des demandes pour qu’on lui dise comment notre institution va s’aligner sur leurs plus grandes priorités.

Ils nous demandent également un plan international à long terme avec différents critères. Ils nous demandent dans quel pays nous allons nous trouver, combien de personnes seront recrutées, si on a des logements pour ces étudiants, si l’accueil est adéquat pour les étudiants internationaux et ainsi de suite.

Ce n’est pas seulement la question du financement, mais il y a aussi la bureaucratie qui s’ajoute à tout cela; cela devient très difficile pour une petite institution.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Surette.

Le sénateur Dalphond : Merci à tous les représentants des différents collèges et universités; c’est très intéressant et cela prouve qu’on a raison de se poser des questions à ce sujet.

Ma première question s’adresse à l’Université d’Ottawa. Vous dites que 4 % des chambres sont vacantes; est-ce un phénomène nouveau cette année ou est-ce comme cela depuis plusieurs années?

M. Frémont : C’est usuel.

Le sénateur Dalphond : D’accord. Il reste donc de la place pour des étudiants.

M. Frémont : Il ne reste pas énormément de marge de manœuvre. On parle de quelques dizaines de places; pour les étudiants internationaux, c’est un nombre fixe et pour nos étudiants locaux aussi. Tout le monde se trouve dans la région et cela ne met pas plus de pression, alors il y a un peu de marge pour les résidences.

Le sénateur Dalphond : Les résidences, c’est le même prix pour les étudiants locaux ou les autres?

M. Frémont : Oui, pour un étudiant local ou ontarien.

Le sénateur Dalphond : Est-ce aussi l’option la moins coûteuse par rapport à l’ensemble des options?

M. Frémont : Un des phénomènes, c’est que maintenant, les étudiants se déplacent moins en Ontario à cause du coût de la vie. Il y avait plus de gens de Toronto qui venaient à Ottawa; maintenant, il y en a moins et les étudiants internationaux le compensent amplement. Cela s’équilibre.

Le sénateur Dalphond : Monsieur Normand, vous avez dit quelque chose au début et je ne suis pas certain d’avoir bien compris. Vous avez dit qu’il y avait 60 % des permis d’études accordés, mais que pour les francophones, c’était seulement 30 %. Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire? On parle d’IRCC, c’est cela? Est-ce que les candidats étudiants anglophones ont de meilleurs taux de succès dans leurs demandes d’admission?

M. Normand : Essentiellement, c’est cela. Le taux moyen national d’acceptation des permis d’études, c’est celui qui est utilisé par IRCC pour fixer le plafond et il est de 60 %.

De façon générale, au Canada, un candidat à l’international a 60 % de chance de voir son permis d’études accepté. Dans le cas des établissements de la francophonie canadienne, cette moyenne est de 30 %. Si elle est si basse, c’est parce que les bassins de recrutement sont très différents. Il y a des universités anglophones qui peuvent faire du recrutement en Chine et en Inde et qui se retrouvent avec des taux d’acceptation de 80 %, 90 % et plus.

M. Surette y faisait référence un peu plus tôt; certains établissements recrutent dans des pays africains où les taux d’acceptation avoisinent les 10 %, si ce n’est pas zéro dans certains cas. Il y a un déséquilibre ici. Lorsqu’une mesure nationale comme celle-là est basée sur la moyenne nationale, cela masque une réalité : il y a des obstacles structurels pour les francophones qui tentent d’obtenir des permis d’études, et cela se traduit par un travail supplémentaire qui repose sur les établissements. Ceux-ci doivent les aider à faire plus d’offres d’admission pour maintenir un nombre d’étudiants internationaux suffisant et comparable aux établissements de la majorité.

C’est pour cela qu’on dit qu’il faut que, dans ce contexte, un établissement francophone ait beaucoup plus de lettres d’admission sous le plafond établi qu’un établissement anglophone, si l’objectif est de maintenir le nombre d’inscriptions année après année.

M. Zundel : Cette différence dans les taux de conversion crée une situation vraiment problématique dans les provinces.

Le sénateur Dalphond : Le taux de conversion, cela signifie qu’une fois que l’institution a une admission, IRCC décide de donner un permis.

M. Zundel : Et l’étudiant doit se présenter à la fin.

M. Frémont : Ultimement, il faut aussi que l’étudiant décide d’accepter l’offre.

M. Zundel : Cela crée une situation vraiment navrante et dangereuse. Je vais vous donner l’exemple du Nouveau-Brunswick, avec les deux collèges communautaires — l’un anglophone et l’autre francophone. Le taux de conversion pour le collège anglophone est de 50 %; pour nous, il est de 36 %. Pour la province qui a 1 000 lettres à donner et qui vit avec une pénurie aiguë de main-d’œuvre, si elle les donne aux francophones, il y aura 360 — travailleurs potentiels; si elle les donne à des anglophones, il y aura 500 travailleurs. Cette situation désavantage fondamentalement les francophones.

Le sénateur Dalphond : Je vois que le collège du Nouveau-Brunswick s’est vu accorder 1 856 lettres d’attestation — c’est par le Nouveau-Brunswick, je présume?

M. Zundel : Oui.

Le sénateur Dalphond : Cela représente 20 % des lettres d’attestation de la province.

M. Zundel : Oui.

Le sénateur Dalphond : C’est substantiel, ou c’est une baisse par rapport à ce qui est accordé aux collèges anglophones?

M. Zundel : C’est substantiel, et je dois dire que c’est un peu comme l’Ontario.

Le sénateur Dalphond : Donc, on vous a favorisés?

M. Zundel : Ils ont fait un bon travail et nous ont donné proportionnellement plus de lettres que le collège anglophone, parce qu’ils savaient qu’on avait un taux de conversion plus bas.

Le sénateur Dalphond : Donc, la crainte que vous aviez plus tôt, c’est qu’on vous en donne moins, parce qu’à la fin, cela signifie que moins de gens seraient intéressés à rester, à devenir résidents permanents et à travailler au Nouveau-Brunswick? Cela n’a pas joué dans l’équation.

M. Zundel : Finalement, cela ne s’est pas terminé comme cela, mais la dynamique était là. Dans un contexte de rareté de lettres d’attestation, il y a un taux d’échange à faire entre l’équité et les besoins du marché du travail. Je ne crois pas que les provinces devraient, dans l’esprit de la Loi sur les langues officielles, faire face à ce genre de conflit.

Le sénateur Dalphond : Je comprends, mais dans la pratique, cela s’est résolu en votre faveur cette année?

M. Zundel : Cela ne s’est pas résolu en notre faveur, mais le résultat a été moins défavorable qu’il aurait pu l’être.

M. Frémont : Un des changements, cette année, c’est que le gouvernement fédéral exige désormais que tout candidat étudiant démontre qu’il a 20 000 $ de côté. Auparavant, c’était 10 000 $. Déjà, même si on n’avait pas eu l’annonce du 20 janvier, nous n’avions aucune idée de l’impact que cela aurait eu sur les effectifs francophones, parce qu’il y a des marchés qui sont très sensibles aux coûts, comme l’Afrique subsaharienne et le Maghreb. Certains ne le sont absolument pas. Pour la Chine, vous pouvez augmenter n’importe quoi et les gens viennent quand même. On ne savait déjà pas ce qui se passerait avec cette augmentation-là et on a ajouté le deuxième.

Dans mon université, au moment où l’on se parle, nous n’avons aucune idée du nombre de francophones qui seront là en septembre. À cause de ces facteurs sur le plan de l’insécurité et des lettres, on ne sait pas combien on aura d’étudiants en septembre.

Le sénateur Aucoin : Ma première question s’adresse à M. Jacques Frémont. Avez-vous eu l’impression que le ministre Miller avait eu vent de certaines inquiétudes ou connaissait bien la partie VII de la Loi sur les langues officielles?

M. Frémont : Quand je l’ai rencontré, je le lui ai rappelé. C’est clair que son personnel était tout à fait au courant.

Le sénateur Aucoin : Et le ministre Miller?

M. Frémont : Peut-être qu’il n’a pas écouté ce que je lui ai dit, mais c’était clair.

Le sénateur Aucoin : J’ai une deuxième question.

Vous avez dit que cette année, au moins à l’Université d’Ottawa, vous avez finalement reçu un nombre plus important d’étudiants ou de permis que celui que vous aviez craint au début. Pour ce qui est des autres provinces, est-ce que les universités et collèges francophones ont finalement reçu — peut‑être dans les dernières semaines — une bonne proportion cette année? Est-ce que cela s’est traduit par un nombre suffisant de permis d’études?

M. Frémont : Ce que l’on comprend, c’est que plusieurs provinces ont effectivement joué le jeu, parce que c’était une demande du gouvernement fédéral dans leurs négociations avec les provinces.

M. Zundel : Au Nouveau-Brunswick, le gouvernement fédéral a octroyé une deuxième ronde de lettres d’attestation la semaine dernière. Malheureusement, cela arrive si tard qu’on ne pourra pas s’en servir pour des admissions en septembre, peut-être seulement pour janvier.

Je vous dis cela sans savoir, comme le disait mon collègue M. Frémont, quel sera le taux de conversion cette année. Si on a le même taux que l’année dernière, cela pourrait aller. Si notre taux est la moitié de celui de l’année dernière, ce sera une catastrophe.

M. Surette : C’est pareil que ce qui a déjà été mentionné. Nous avons été chanceux nous aussi que la province de la Nouvelle-Écosse nous ait donné beaucoup plus de lettres d’attestation que ce à quoi on s’attendait.

Sénateur Aucoin, vous connaissez cela; de grosses institutions comme l’Université Dalhousie ont presque reçu le même nombre de lettres que nous. C’est clair que la province a joué le même jeu ici et savait que notre taux de conversion est beaucoup plus bas.

L’autre impact pour nous en ce qui a trait au taux de conversion, c’est qu’il nous faut analyser à l’interne pour savoir quel pays nous rapporte le plus. On va davantage analyser quels pays favorisent un taux de conversion plus élevé.

Le sénateur Aucoin : D’après ce que je comprends, l’année prochaine ou dans les années à venir, il n’y a pas aucune garantie que les provinces vont vous favoriser autant que cette année, même si elles auraient peut-être pu faire plus.

Avez-vous envisagé certaines choses? Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous à cet égard?

M. Normand : Je vais me permettre de faire un commentaire. En fait, le plafond est annoncé pour deux ans. À l’automne, on connaîtra les chiffres pour l’année 2025, et on se retrouvera peut‑être dans la même pièce de théâtre où il faudra faire du démarchage pour s’assurer d’une répartition équitable des permis d’études.

Nos membres se considèrent comme chanceux que les provinces leur aient octroyé le nombre de lettres dont ils avaient besoin. Dans un contexte où le gouvernement fédéral a des obligations linguistiques à l’égard de l’épanouissement des communautés francophones, on ne devrait pas être dans une situation où l’on compte sur la chance et la bonne foi des provinces pour s’assurer de la survie, de la pérennité et de la vitalité de nos établissements postsecondaires.

En ce moment, il faut s’assurer que toutes les institutions fédérales, IRCC y compris et prioritairement, comprennent les nouvelles obligations de la Loi sur les langues officielles et qu’on outille toutes les institutions fédérales pour qu’elles la respectent, afin de ne pas avoir à rejouer dans ce scénario. Je ne parle pas seulement d’IRCC, mais aussi d’autres ministères qui vont se permettre de reprendre le précédent créé par IRCC et ne pas penser à l’avance aux mesures positives qui doivent être prises pour éviter des impacts négatifs directs sur les communautés francophones.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup pour vos témoignages chocs. Je dis que c’est un choc dans le sens où c’est un message très clair au gouvernement fédéral. J’aimerais continuer dans la même veine que le sénateur Aucoin. À long terme, certaines annonces vous déstabilisent et affectent votre confiance.

Qu’allez-vous faire dans votre planification stratégique pour répondre à un climat qui semble incertain et qui pourrait l’être pendant plusieurs années?

Durant le Mois de l’histoire des Noirs, j’ai été approchée par des étudiants qui écoutaient ces annonces et qui ont été complètement dévastés. Vous comptez sur ces étudiants pour le recrutement; plus ils sont satisfaits de leur expérience, plus ils vont en amener d’autres.

Que faites-vous auprès de vos étudiants actuels pour avoir une conversation sensée et rassurante? La question s’adresse à tous les témoins.

M. Zundel : On déploie de grands efforts dans l’accueil et l’intégration des étudiants pour qu’ils se sentent les bienvenus, chez eux et désirés dans la communauté lorsqu’ils arrivent chez nous. Au cours des dernières années, avec l’augmentation des étudiants internationaux, on a embauché des personnes responsables de l’intégration et de l’appui des étudiants, justement pour les accompagner. Ce sont souvent eux-mêmes des gens issus de l’immigration qui comprennent bien le vécu des nouveaux arrivants.

On déploie aussi de grands efforts sur le plan de l’équité, de la diversité et de l’inclusion des programmes pour apprendre les coutumes de tout le monde, pas seulement au sein du collège, mais aussi dans les communautés avoisinantes. Il faut comprendre que l’étudiant qui est chez nous vit aussi dans la communauté. Je crains que la démarche annoncée le 22 janvier dernier ne joue dans un genre de récit anti-immigration. Je ne dis pas que c’était l’intention, mais cela ajoute une dynamique anti-immigration qui vient toucher nos étudiants dans leur sentiment d’être les bienvenus ou non au Canada.

M. Frémont : Il est clair que par le passé, on faisait de la surréservation et on savait exactement à quel chiffre on allait aboutir. Maintenant, pour les raisons que j’ai expliquées, on ne le sait pas. Il est donc clair qu’on va ajuster notre planification stratégique, qu’on va apprendre et que chaque étudiant sera interrogé.

Ceux qui ne viennent pas, on les interroge afin de savoir pourquoi. Sur le terrain, on a différents messages à transmettre. Premièrement, que le Canada est encore ouvert pour eux, parce que le message qui a été reçu est que le Canada n’est plus ouvert, mais le Québec l’est. Le Québec a un système de bourses pour les étudiants étrangers francophones qui vont en région. Les régions au Québec, c’est tout sauf l’île de Montréal. Sherbrooke et Laval se trouvent à être des régions; tout est une région. Il existe un système de bourses où ils paient les droits de scolarité locaux.

Tout de suite, on a vu le vent tourner. Depuis quelques années, le vent soufflait pour le Canada français et pour nous, les demandes augmentaient dans tous les établissements. Dans la semaine où le Québec a annoncé cela, on a senti les vents contraires. Il va falloir contrer cela, et l’image que le Canada a donnée à tous les étudiants, c’est que c’est désormais difficile d’y entrer et qu’ils auront des difficultés. Surtout, nous sommes en concurrence avec l’anglophonie : les Américains, les Britanniques et les Européens donnent des réponses en quelques semaines. Nous, si on est chanceux, IRCC au fédéral donne les visas au bout de six mois. Le Canada a un problème d’image et il va falloir y travailler sur le terrain.

Dernière chose : IRCC a l’ambition de faire passer l’immigration francophone de 4 % à 6 % et à 8 %. Honnêtement, sur le terrain, les gens ne comprennent pas. Les messages sont complètement contradictoires. On vire des étudiants de bord alors qu’ils nous fournissent une immigration de grande qualité, alors les messages sont contradictoires sur le terrain. Ce n’est pas tout à fait évident. Les ambassades font leur possible. Il y a eu beaucoup de bruit. Les cycles supérieurs ne sont pas couverts par cette nouvelle politique et plusieurs ambassades ont donné de mauvais renseignements. Cela a découragé des gens de postuler dans un marché extrêmement concurrentiel.

Le sénateur Mockler : Vos propos sont alarmants, et ce n’est pas surprenant. J’aimerais, à titre de sénateur du Nouveau-Brunswick, reconnaître le leadership de M. Zundel au Nouveau-Brunswick avec les collèges communautaires. Surtout, il a toujours pris en considération le poids démographique, ce qui est très important.

Vous avez dit ne pas avoir été consulté. Monsieur Normand, est-ce qu’il y a eu de la correspondance avec le bureau du premier ministre et les ministres pour les informer de la situation dans laquelle nous nous trouvons présentement?

M. Normand : À la suite de l’annonce du 22 janvier, nous avons envoyé une lettre au ministre Miller le 23 janvier pour lui faire part de quelques catégories d’inquiétudes que suscitait l’annonce. On lui demandait une rencontre promptement pour lui expliquer la réalité de nos établissements francophones et lui dire en quoi on considérait que l’annonce contournait la Loi sur les langues officielles. On a pu le rencontrer quelques semaines plus tard. On a rencontré les gens de son bureau à l’avance.

On a des rencontres régulières avec la sous-ministre adjointe d’IRCC qui s’occupe des programmes des étudiants étrangers. Lors de toutes ces rencontres, on revient sur l’effet différencié de la mesure sur les établissements francophones, mais surtout sur l’urgence d’agir. Quelques jours après l’annonce, on est sorti rapidement en appui à nos membres pour dénoncer la façon dont cette mesure avait été annoncée. Dans les jours qui ont suivi le 22 janvier, IRCC a réagi en disant qu’ils allaient trouver des façons d’éviter que la mesure ait des impacts sur nos membres, sur les établissements de la francophonie canadienne, et ce, quelques jours après l’annonce. Donc, IRCC a fait cette affirmation autour du 24 ou 25 janvier.

Nous sommes aujourd’hui le 8 avril, et on ne sait toujours pas quelles sont ces mesures. Comme l’a dit M. Zundel, chaque semaine qui passe nous éloigne de la possibilité d’avoir un effet sur la rentrée de septembre 2024. Si l’ambition d’IRCC était que ces projets et ces mesures aient une incidence sur la rentrée de septembre 2024, la fenêtre est en train de se fermer. Avant le plafond, le délai de traitement d’un permis d’études était en moyenne de 13 semaines. Nous sommes déjà à la mi-avril; ajoutez 13 semaines, alors qu’aucun projet n’a encore été annoncé — il devient irréaliste de croire qu’on peut avoir un effet sur cette rentrée.

Évidemment, nous serons preneurs quand les mesures seront annoncées et nous serons des partenaires pour les déployer. Cela ajoutera, encore une fois, un fardeau sur nos établissements qui, comme vous l’avez entendu, en ont déjà beaucoup à porter. Nous les déploierons avec eux, mais ces mesures auraient dû être annoncées le 22 janvier en même temps que le plafond, et non trois mois plus tard, ce qui a mis en péril la rentrée de septembre 2024.

Le sénateur Mockler : Le ministère a-t-il vraiment évalué l’impact négatif du plafonnement des permis d’études sur les établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec? Cette information a-t-elle été partagée avec vous?

M. Zundel : Ce serait une bonne question à poser au ministre s’il comparaît au comité. Je peux vous dire que nous avons communiqué cette information à travers l’ACUFC et Collèges et Instituts Canada. J’ai rencontré le ministre le 8 février et on lui a parlé des taux de conversion différentiels et de toutes les difficultés. Ce n’est donc pas une question de ne pas connaître quels sont les impacts. Les communications ont été claires, rapides et complètes à ce sujet.

Le sénateur Mockler : Quelles sont vos attentes pour la révision des critères du programme de permis de travail postdiplôme? J’ai participé à des tables rondes dans ma province au cours des trois ou quatre derniers mois. On parlait de tout ce que les étudiants ont apporté à la province; ils étaient à la fois très touchés et très inquiets, pour ne pas dire choqués.

M. Zundel : Une des recommandations que j’estime essentielle et tout à fait réalisable serait d’accorder à tous les programmes collégiaux et universitaires francophones hors Québec la même exemption que l’on accorde aux programmes de maîtrise et de doctorat, pour qu’elle soit applicable à tous les programmes francophones. Cela voudrait dire éliminer le plafonnement et les changements qui ont été apportés pour ce qui est des permis postdiplôme. Il s’agirait également de permettre aux conjoints et conjointes de travailler pendant que leur conjoint ou conjointe est aux études. Ce serait la chose la plus simple. Les chiffres ne sont pas énormes. On ne parle pas de centaines de milliers d’étudiants, mais d’un petit nombre. Ce serait donc tout à fait faisable. Ce serait notre recommandation.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer au deuxième tour.

La sénatrice Moncion : Merci de m’avoir donné plus de temps un peu plus tôt.

Monsieur Frémont, vous avez dit quelque chose qui m’a interpellée. Vous avez mentionné que les établissements d’enseignement francophones hors Québec sont en compétition, pour ce qui est des étudiants, avec les établissements du Québec.

M. Frémont : Oui.

La sénatrice Moncion : Cette affirmation m’interpelle.

M. Frémont : Vous savez, le marché francophone est quand même restreint. À toutes fins utiles, l’essentiel est au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Le Québec faisait le plein d’étudiants étrangers dans l’île de Montréal, parce que la diaspora s’y trouvait. Quand le Québec s’est mis à jouer dans les droits de scolarité, comme vous l’avez entendu, et qu’il a confirmé que tous les étudiants étrangers passeraient désormais de 17 000 $ à 19 000 $, cela a créé un froid.

À l’Université d’Ottawa, on avait diminué les frais de scolarité pour attirer les étudiants francophones. Quand les frais de scolarité au Québec étaient de 3 000 $ ou 5 000 $ pour les étudiants africains, nous les avions réduits afin de reprendre des parts du marché. Or, le Québec les a appliqués, sauf aux étudiants français et belges. Ce faisant, le Québec a quelque peu bloqué son marché d’étudiants étrangers; le gouvernement du Québec est donc arrivé avec un programme de 35 millions de dollars sur trois ans pour ramener les frais de scolarité et encourager les étudiants étrangers à aller en région. La région, c’est tout sauf l’île de Montréal. Tout de suite, on a vu un changement, car dans les médias sociaux tout se sait. Il y a eu alors un mouvement collectif qui est devenu, jusqu’à un certain point, une loterie. On voulait créer la chance d’avoir des droits locaux. Nous avons senti immédiatement le changement sur le terrain, il y a environ un an et demi.

La sénatrice Moncion : J’aimerais entendre M. Surette et M. Zuntel à ce sujet. J’aimerais aussi vous entendre, parce que vous représentez des gens d’un peu partout. Quel est l’impact sur vos universités et vos collèges?

M. Zundel : Vous parlez de la concurrence avec le Québec?

La sénatrice Moncion : Oui.

M. Zundel : Pour ce qui est de la mesure à laquelle mon collègue a fait référence, étant donné le nombre relativement modeste d’étudiants, les effets ont été presque immédiats dans les médias sociaux. Tout à coup, nos recruteurs se faisaient dire : « Je vais aller au Québec; je n’irai pas chez vous. » Comme il s’agit de quelques centaines d’étudiants par année seulement, l’effet n’a pas été désastreux chez nous.

Par contre, lorsqu’on parle de l’annonce du 22 janvier, puisque le Québec avait déjà un système de lettres d’attestation et des logiciels en place, il a pu envoyer ces lettres immédiatement et voir les étudiants potentiels faire leur demande plus rapidement. Il ne fait aucun doute que cela leur donne un avantage sur nous. De notre côté, les premières lettres d’attestation ont été envoyées la semaine dernière.

La sénatrice Moncion : Monsieur Surette, qu’en est-il chez vous?

M. Surette : Nous sommes situés un peu plus loin du Québec, donc l’impact est moindre. L’« effet marketing » et la perception de nos institutions, vues de l’extérieur, comme je l’ai mentionné, c’est que le Canada est fermé, par exemple, au marché international avec l’annonce d’IRCC. Ce que le Québec a fait avec les frais de scolarité a eu un effet marketing, et c’est là que ça fait le plus mal. Perdre des étudiants a un impact direct sur nos institutions. La Nouvelle-Écosse étant l’une des dernières provinces à recevoir les lettres d’attestation, pour ce qui est de l’annonce du 22 janvier, nous ne savions pas avant la fin de mars, jusqu’à la fin de la semaine dernière, combien de lettres d’attestations nous aurions. Pendant ce temps, nous tentions de voir ce que nous pouvions faire ici pour améliorer la situation.

Je n’ai pas pu répondre plus tôt, mais entre l’effet marketing, le fait de devoir attendre et les incertitudes qui ont été causées par toute la situation, je suis convaincu qu’en septembre 2024 il sera déjà trop tard. En raison de toutes les étapes que nous devons franchir dans nos pays francophones, avec les ambassades et maintenant les lettres d’attestation, il sera trop tard pour 2024. Nous espérons pouvoir nous rattraper en janvier 2025. De plus, ce qui m’inquiète beaucoup, pour notre institution comme pour les autres, c’est le fait que si l’on voit une diminution du nombre d’étudiants pour une année, alors que la majorité de nos programmes — surtout universitaires — durent trois ou quatre ans, cela veut dire que l’effet se fera sentir au moins trois ou quatre ans. Il faudra alors du temps pour nous rattraper sur le marché international.

M. Normand : La journée où le ministre Miller a fait son annonce, il a dit en conférence de presse que le Québec n’avait pas atteint son plafond et qu’il y avait de la place pour des étudiants internationaux au Québec. Il a fait cette affirmation le 22 janvier et il faisait référence à une province où, comme on l’a dit, il y avait déjà un système de lettres d’attestation en place.

Pendant que nos collègues dans les universités d’un peu partout au pays devaient attendre que les provinces agissent, le Québec avait deux mois d’avance pour commencer à envoyer des lettres d’attestation. Pour être franc, il y a au Québec suffisamment d’espace sous le plafond pour accueillir tous les étudiants internationaux de l’extérieur du Québec. Un transfert complet pourrait se faire du jour au lendemain et il resterait de la place au Québec sous le plafond. Le Québec a un avantage comparatif par rapport aux établissements de la francophonie canadienne et il est difficile pour ces derniers de le concurrencer.

Le sénateur Mockler : Dans l’esprit des questions qui concernent le mécanisme, j’aimerais savoir si vous croyez que l’offre de bourses aux étudiants étrangers francophones dans les établissements postsecondaires hors Québec réglerait le problème.

M. Frémont : Oui, très certainement. Si vous demandez quelle mesure aurait un effet massif et immédiat, ce serait l’offre de bourses. Les étudiants francophones sont une clientèle très sensible aux coûts. Il y a des gens brillants qui viennent de familles qui ne peuvent pas payer, et il est clair que l’offre de bourses les aiderait grandement. Il faudrait aussi accélérer les exigences de résidence permanente pour accéder à la citoyenneté. Ce genre de mesures changerait la dynamique du tout au tout. Si on veut atteindre 6 % et 8 % et si vous le faites, je vous le dis, cela se produira du jour au lendemain.

M. Zundel : Par exemple, pour un étudiant chinois qui arrive ici, il y a quatre adultes. À cause de la politique de l’enfant unique, quatre adultes accompagnent un étudiant chinois qui vient au pays. L’étudiant africain, lui, fait partie d’une famille de 10 et les moyens financiers ne sont pas les mêmes. Il faut comprendre que même si l’on donne toutes les bourses du monde tout de suite, mais qu’on garde en tête la politique de plafonnement et les règlements, on n’aura pas l’effet escompté.

M. Normand : Le gouvernement du Canada offre déjà des bourses à des étudiants internationaux. Le programme est notamment géré par Affaires mondiales Canada. Le constat qui a été fait récemment, c’est que nos établissements francophones profitent très peu de ces programmes, parce que les critères sont mal adaptés pour les établissements de la francophonie canadienne. Les bourses qui existent déjà répondent mal aux besoins des étudiants francophones et il faudrait donc agir là‑dessus. Il est possible d’agir au moyen de la Stratégie en matière d’éducation internationale. Celle du Canada est venue à échéance le 31 mars dernier.

Nous sommes donc en attente d’une nouvelle stratégie pour 2024-2029; cela fait partie des recommandations que l’ACUFC a formulées, notamment qu’il y ait des bourses spécifiques pour les étudiants francophones et des critères adaptés aux établissements francophones dans les programmes de bourses du gouvernement fédéral pour les étudiants et étudiantes internationaux.

La vice-présidente : Merci beaucoup. J’ai deux questions. Vous pouvez répondre à la première par un oui ou par un non, et tout le monde peut y répondre. Vous avez mentionné à plusieurs reprises que vous pensez qu’avec ces décisions, le gouvernement a tenu compte des obligations de la Loi sur les langues officielles. Pensez-vous que tout cela va aussi à l’encontre de la nouvelle politique en matière d’immigration francophone?

M. Normand : Je réponds par un oui retentissant et je vous dis pourquoi. La politique en matière d’immigration francophone s’est donné, comme indicateur de rendement, l’accroissement du nombre de permis d’études à des étudiants francophones dans les établissements hors Québec. Donc, quand l’indicateur de rendement de la politique est l’accroissement du nombre d’étudiants internationaux, le plafond devient une contradiction.

La vice-présidente : Est-ce que tous sont du même avis? Oui? Merci. Ma deuxième question est la suivante. Dans vos présentations, vous avez tous inclus une recommandation ou deux. Avant de terminer, que voudriez-vous laisser comme message? Est-ce qu’il y a d’autres recommandations ou autre chose que vous aimeriez dire en guise de conclusion? Soyez brefs, car il ne nous reste que quelques minutes avant la fin de la réunion. Avez-vous quelque chose à ajouter qui pourrait nous aider avec notre étude?

M. Zundel : Si on voulait aligner tous nos gestes dans le même sens, je dirais qu’il faut une exemption pour les étudiants francophones à l’extérieur du Québec; il faut aussi éliminer le problème créé quand l’étudiant nomme la double intention dans sa demande de permis, lorsqu’il dit que oui, il va retourner chez lui, mais qu’en fait, il restera peut-être au Canada. Automatiquement, cela pèse contre l’étudiant. Étant donné qu’on est dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et qu’on veut qu’il vienne, je ne comprends pas pourquoi on le pénalise quand il dit qu’il aimerait peut-être rester au pays.

De plus, des mesures pour le logement ont été annoncées récemment. Donc, des mesures fédérales en matière de logement étudiant nous permettraient d’augmenter notre capacité d’accueil pour les étudiants internationaux. Essentiellement, il s’agirait d’aligner nos gestes sur les différentes politiques afin de créer un effet de synergie.

M. Frémont : Je serai provocant, si vous le permettez. Il serait temps que l’État fédéral canadien considère qu’il est vraiment responsable des minorités francophones et de l’enseignement supérieur. Cela veut dire qu’il faut arrêter de soumettre les institutions au bon vouloir des provinces. Le gouvernement fédéral a la responsabilité première — on peut en discuter, mais la loi le confirme. Donc, si le gouvernement fédéral a cette responsabilité, cela signifie qu’il est responsable de la survie des communautés francophones partout au pays. Cette survie passe par des établissements universitaires permettant aux francophones de contribuer à la vie économique partout au pays. Cela signifie que le gouvernement fédéral doit arrêter de mettre notre sort entre les mains des provinces.

M. Surette : Je n’ai pas grand-chose de plus à proposer, à part qu’il faut renforcer l’importance de la consultation, surtout auprès des provinces et des territoires, afin qu’ils comprennent vraiment l’impact de ces mesures non seulement sur nos institutions postsecondaires, mais sur la vitalité de nos communautés. Ma recommandation va dans le même sens; en ce qui me concerne, c’est surtout de la consultation.

Le sénateur Dalphond : J’ai une question. Est-ce qu’il reste du temps?

La vice-présidente : Oui; vous avez trois minutes.

Le sénateur Dalphond : Vous avez parlé plus tôt de la compétition concernant les bourses qu’offre le Québec. Par ailleurs, j’ai compris que les étudiants étrangers étaient une façon, pour le gouvernement de l’Ontario, de recevoir un financement additionnel, notamment pour l’Université d’Ottawa. Alors, qui va payer la bourse?

Au Québec, c’est le gouvernement du Québec qui offre la bourse. Donc, il assume le coût de cette dernière. Il faudrait que vous convainquiez Queen’s Park de vous donner des bourses pour attirer des francophones. Je ne sais pas si le but du gouvernement fédéral est d’offrir plus de bourses, parce que cela devient un incitatif pour l’Ontario de s’asseoir sur ses mains et de laisser le fédéral injecter chaque fois plus d’argent dans le système, parce qu’il faut promouvoir les langues officielles.

M. Frémont : En posant la question, vous montrez que vous avez tout à fait compris la dynamique. Ce qui est clair, c’est qu’ultimement, encore une fois, on met notre sort entre les mains des provinces et on est à la merci des gouvernements. Nous sommes une minorité qui est toujours obligée de se battre pour survivre. J’imagine que le fédéral pourrait inventer un mécanisme, mais le problème, vous le connaissez.

Actuellement, pour ce qui est du financement, le fédéral est l’éléphant dans la pièce. Il exige des contreparties provinciales pour le financement de l’enseignement postsecondaire. Ces contreparties pour le financement général sont payées en partie. Dans le domaine de la recherche, je peux vous confirmer que c’est une blague. Il n’y a que rarement des contreparties ontariennes en matière linguistique. Alors le fédéral ferme les yeux en disant que, dans le fond, pour l’argent qu’il va donner, la contrepartie provinciale, c’est la subvention générale que l’on reçoit de la province. Donc, ce n’est pas payé et l’Ontario s’en tire en payant très peu de contrepartie. À la Fondation canadienne de l’innovation et dans les grands concours de recherche, c’est vraiment le problème auquel on fait face. Les établissements sont coincés entre les deux.

La vice-présidente : Il reste environ une minute.

M. Normand : Ce sera suffisant pour répondre sur ce point. L’un des objectifs du Canada, c’est de diversifier la provenance des étudiants étrangers qui viennent étudier au pays. C’est l’un des objectifs que se sont fixés les différents programmes de bourses existants à Affaires mondiales Canada. Donc, le mécanisme existe; le gouvernement fédéral donne déjà des bourses pour les étudiants internationaux.

S’il est sérieux et s’il veut continuer à travailler sur la diversification des marchés — nos établissements francophones diversifient déjà les marchés, parce qu’ils ne sont pas en Chine ni en Inde; ils sont ailleurs. Ces établissements veulent travailler à donner un accès équitable à l’éducation postsecondaire à toute la population mondiale.

Le gouvernement fédéral pourrait prendre la décision de développer un programme de bourses adapté pour faciliter l’accès aux études postsecondaires en français au Canada à des étudiants qui sont dans une position de vulnérabilité ou qui ont moins de ressources financières.

Le sénateur Dalphond : Puis donner de l’argent au Québec, parce que ce sont des étudiants anglophones des autres provinces qui vont étudier à McGill?

M. Normand : Cela pourrait se négocier avec le Québec; moi, je parle pour les autres provinces.

La vice-présidente : Le temps est écoulé. Je vous remercie tous les quatre de votre présence parmi nous ce soir. Merci pour toutes les informations que vous avez partagées avec nous; c’est grandement apprécié.

[Traduction]

Chers collègues, avec notre deuxième groupe de témoins, nous reviendrons à l’étude sur les services de santé dans la langue de la minorité. Nous accueillons à nouveau M. Martin Normand, directeur, Recherche stratégique et relations internationales, Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. Il est ici avec nous en personne. Nous souhaitons également la bienvenue à Mme Manon Tremblay, directrice, Santé, Consortium national de formation en santé, Association des collèges et universités de la francophonie canadienne.

Nous accueillons également trois témoins sur Zoom, soit M. Daniel Giroux, président, Collège Boréal; M. Denis Prud’homme, recteur et vice-chancelier, Université de Moncton; et M. Hassan Safouhi, vice-doyen principal, Campus Saint-Jean, Université de l’Alberta.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre présence. Nous sommes prêts à entendre les déclarations préliminaires. Chacun aura cinq minutes pour sa déclaration, puis nous passerons aux questions.

[Français]

Monsieur Normand, nous allons commencer avec votre déclaration de cinq minutes dans la langue de votre choix.

M. Normand : Nous aborderons deux sujets avec vous aujourd’hui dans le cadre de cette étude.

Le premier concerne la contribution financière de Santé Canada qui est versée par l’entremise du Programme pour les langues officielles en santé aux membres du Consortium national de formation en santé, ou CNFS. Créé en 2003, le CNFS regroupe 16 des 22 collèges et universités membres de l’ACUFC. Les fonds de Santé Canada contribuent à l’augmentation du nombre de professionnels de la santé de première ligne bilingues et permettent ainsi d’améliorer l’accès à des services de santé équitables dans les communautés francophones en situation minoritaire.

L’impact du CNFS depuis plus de 20 ans est notable. Entre 2003 et 2023, les établissements postsecondaires ont accueilli tout près de 30 000 étudiants dans des programmes de santé, dont environ 10 000 ont été soutenus dans une centaine de programmes ciblés par le CNFS.

Dans le cadre des sondages de suivi des diplômés de ces programmes que le CNFS effectue, 98 % des répondants rapportent qu’ils offrent des services de santé en français. En 2023, environ 600 inscriptions sur 2 000 en première année dans des programmes ciblés par le CNFS sont directement attribuables au financement accordé par Santé Canada.

Les fonds de Santé Canada ont également servi à développer et promouvoir le concept de l’offre active de services en français, une mesure invitant l’usager à s’exprimer dans la langue officielle de son choix.

Beaucoup de progrès ont été accomplis depuis 2003, mais le travail est loin d’être terminé. D’autres témoins, dont des représentants des provinces, vous ont fait part de l’importance d’augmenter sensiblement le nombre de personnes diplômées en santé qui peuvent exercer leur profession en français, pour répondre aux besoins des communautés francophones en situation minoritaire.

Les analyses statistiques que nous avons réalisées dressent le portrait des besoins à venir. On vous soumettra un mémoire pour vous donner plus d’information à ce sujet, mais voici déjà quelques données qui illustreront les défis à relever. En 2021, plus de 37 % du personnel de la santé ayant une connaissance du français et de l’anglais dans les professions ciblées par le CNFS était âgé de 45 ans et plus. Chez les médecins de famille, ce pourcentage était de 43 %. Chez les préposés, ce pourcentage était de 41 %. La retraite s’annonce pour un grand nombre de professionnels bilingues qu’il faudra remplacer.

Différentes stratégies sont mises en œuvre par les gouvernements pour combler les besoins. À cet égard, le modèle de Santé Canada est très innovateur. Comme on le sait, la formation postsecondaire est de compétence provinciale.

L’appui de Santé Canada s’ajoute aux fonds investis par les provinces pour soutenir la formation de professionnels de la santé. Toutefois, Santé Canada verse les fonds directement aux établissements concernés avec l’accord explicite des provinces. À chaque cycle de financement, les gouvernements provinciaux confirment leur soutien aux initiatives de Santé Canada, afin que les établissements puissent bénéficier du financement fédéral.

Voici notre première recommandation : que Santé Canada maintienne et bonifie au besoin le Programme pour les langues officielles en santé pour les années 2028 à 2033, selon les modalités d’exécution actuelles.

Le second sujet que nous aborderons avec vous ce soir concerne les barrières linguistiques des professionnels de la santé formés à l’étranger.

En mars 2020, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a publié une étude intitulée Insertion professionnelle dans le domaine de la santé des personnes immigrantes francophones vivant en situation minoritaire. Cette étude dressait un portrait détaillé des défis à relever par les professionnels formés à l’étranger.

Pour exercer une profession de la santé réglementée au Canada, toute personne formée à l’étranger doit franchir des étapes précises auprès des organismes de réglementation pour obtenir un permis de pratique. Ce processus s’effectue au sein de chaque province ou territoire et varie d’une profession à l’autre. Ainsi, des actions pancanadiennes ciblant les obstacles structurels liés à l’accès à la profession sont difficilement réalisables par des organismes comme le nôtre.

Toutefois, des actions pancanadiennes sont non seulement réalisables, mais souhaitables dans un autre domaine d’action, soit celui de la formation linguistique. L’étude d’IRCC indiquait que les possibilités pour les professionnels formés à l’étranger et les personnes immigrantes francophones sont plus limitées dans le domaine de la santé, puisque les compétences exigées en anglais sont élevées. Le gouvernement fédéral peut agir sur cette question. En effet, la formation linguistique pour ces deux clientèles gagnerait à être structurée à l’échelle nationale. L’expérience et l’expertise des établissements membres de l’ACUFC pourraient être mises à profit dans l’élaboration de cette stratégie pancanadienne, afin que nos communautés puissent bénéficier rapidement et pleinement de cette main-d’œuvre potentielle.

Notre deuxième recommandation est la suivante : que Santé Canada, Patrimoine canadien, Emploi et Développement social Canada et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada coordonnent une approche pancanadienne pour la formation linguistique en français et en anglais des professionnels de la santé formés à l’étranger.

Ma collègue Manon Tremblay et moi serons heureux de répondre à vos questions. Merci.

Daniel Giroux, président, Collège Boréal : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie beaucoup de l’occasion de nous présenter devant vous aujourd’hui.

Je vais faire écho aux propos de l’ACUFC en donnant quelques exemples concrets des bienfaits de la contribution financière de Santé Canada à notre établissement ainsi que des barrières linguistiques auxquelles sont confrontés nos étudiantes et étudiants.

Le Collège Boréal est l’un des 24 collèges publics d’arts appliqués et de technologie de l’Ontario et l’un des deux collèges de langue française offrant des formations dans plus de 80 programmes postsecondaires en français, dont 25 sont uniques en Ontario français. Avec ses 36 sites dans 26 communautés, il est physiquement présent presque partout dans la province de l’Ontario, mais avec Boréal en ligne, qui offre maintenant une quinzaine de programmes complètement à distance, nous offrons maintenant une présence partout en Ontario et même au Canada.

Le collège offre aussi des apprentissages dans les métiers spécialisés, des services d’alphabétisation et de formation de base, de la formation continue, des services d’emplois, des services en immigration et des services d’établissement ainsi que des services de recherche appliquée.

Boréal est membre du Consortium national de formation en santé (CNFS) et reçoit donc du financement de la part de Santé Canada par l’entremise du Programme pour les langues officielles en santé. Au cours des 10 dernières années, Boréal a reçu presque 7,8 millions de dollars.

Voici des exemples concrets de ce que ce financement a pu générer pour nous.

Les étudiants du programme d’hygiène dentaire bénéficient d’une clinique dentaire complètement rénovée sur le site de Boréal afin de mettre en pratique les connaissances acquises avec des clients bilingues sur le campus. Il a même respecté toutes les exigences en matière de santé publique durant la pandémie.

L’ajout d’un programme de soins infirmiers auxiliaires dans trois nouveaux campus offre maintenant à la population étudiante et aux communautés de la formation sur les campus de Hearst, Kapuskasing, Nipissing Ouest, Sudbury, Timmins, Toronto et Windsor.

Il y a aussi toute la question de l’ajout de simulation virtuelle pour le programme de soins paramédicaux.

De plus, en 2015, une intégration complète du concept de l’offre active de service en français a été complétée pour s’assurer que la population étudiante est sensibilisée à l’importance de l’offre de services en français et que ce concept est mis en pratique lors des stages et au travail.

Un fait intéressant : du côté du Collège Boréal, le taux de rétention moyen de nos programmes est de 90 %. Une étude a été faite par le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur, qui nous comparait avec six collèges anglophones où le taux de rétention était entre 55 et 71 %. Ce financement fait une réelle différence sur la rétention, mais aussi sur la qualité de la formation.

Une autre analyse effectuée à l’aide des résultats du sondage des diplômés de 2019-2020 et de 2020-2021 a montré que 85 % des diplômés du programme [Difficultés techniques] du Collège Boréal qui ont participé au sondage travaillent dans le domaine de la santé, et que 96 % de ces professionnels de la santé travaillent dans une collectivité francophone en situation minoritaire au Canada. Je réitère donc la première recommandation de l’ACUFC, soit que Santé Canada maintienne et bonifie au besoin le Programme pour les langues officielles en santé pour les années 2028 à 2033.

Je veux aussi parler des barrières linguistiques. On a parlé de la recommandation qui a été faite en ce qui concerne la formation des professionnels en français et en anglais. Un autre défi particulier dont j’aimerais parler est la préoccupation qui touche les examens linguistiques. Par exemple : pour devenir infirmières auxiliaires, les professionnelles doivent écrire un examen provincial; pour devenir infirmières autorisées, les candidates doivent écrire un examen provincial pour avoir le droit de pratiquer.

Du côté du baccalauréat, le changement a été fait en 2015. C’est avec des examens provenant des États-Unis — et qui ont été traduits — que le tout a été tenté. Cela n’a pas fonctionné. Le taux de réussite des personnes qui ont écrit l’examen en français a chuté. On sait que depuis 2022, pour nos programmes de soins infirmiers auxiliaires, nous avons suivi ce même examen. Nous avons donc de grandes préoccupations face à ces mêmes défis. Quand les étudiants ne réussissent pas l’examen en français, ils l’écrivent en anglais. Cela remet donc vraiment en question la raison d’être de nos programmes en français et la qualité de nos formations.

Il y a un élément absolument critique : bien que les ordres professionnels soient de compétence provinciale, ces défis existent partout au pays. Nous sollicitions donc l’appui du gouvernement fédéral pour intervenir auprès des instances provinciales afin de leur demander d’exiger des ordres professionnels qu’ils offrent des chances égales d’entrer dans les professions de la santé, tant pour les professionnels formés en français que pour ceux qui sont formés en anglais. Nous serions sans doute prêts à travailler avec eux en ce sens.

Merci de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Dr Denis Prud’homme, recteur et vice-chancelier, Université de Moncton : Merci, madame la présidente.

Honorables sénatrices et sénateurs, bonsoir. Merci de votre invitation à participer à titre de témoin à l’étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.

Mes objectifs aujourd’hui sont de partager des données avec vous pour démontrer l’importance pour un patient de recevoir ces services dans sa langue maternelle et l’importance d’augmenter le nombre de professionnels de la santé en mesure de faire une offre active de services en français.

Les données que je vais vous présenter sont le fruit des études d’un groupe de recherche qui s’intéresse à documenter les impacts de la barrière linguistique sur la qualité, mais également sur la sécurité des soins, des soins qui sont offerts dans un environnement de concordance linguistique, c’est-à-dire lorsque le médecin parle la même langue que son patient, ou de discordance linguistique, donc à l’opposé, lorsque le médecin ne parle pas la langue de son patient.

À titre d’exemple, dans l’une de nos études, nous nous sommes inspirés de la première étude de l’Institut canadien de la sécurité des patients, qui a été publiée en 2014-2015 et qui a documenté les préjudices subis par les patients ou les erreurs médicales dans les hôpitaux canadiens. On a rapporté une fréquence d’un préjudice sur 18 hospitalisations — donc environ 6 % des patients. Un préjudice sur huit peut être la cause du décès.

On peut classer les préjudices en quatre catégories. Cependant, deux de ces catégories représentent plus de 75 % des préjudices, soit les affections liées aux soins et les erreurs de médicaments.

Dans cette étude, nous avons documenté les compétences linguistiques des médecins et nous avons développé un indice qui nous permettait de conclure que si un patient recevait plus de 50 % de ses soins dans sa langue maternelle, il recevait des soins dans un environnement linguistique concordant.

Dans ce contexte, nous avons observé une diminution de l’ordre de 36 % du risque de subir un préjudice en milieu hospitalier chez les francophones. On a également noté une diminution de la durée du séjour en milieu hospitalier et, finalement, une diminution du risque de mortalité de l’ordre de 24 % pour les francophones traités dans leur langue maternelle.

Enfin, dans un article-synthèse de plusieurs analyses récentes réalisées à partir de données administratives en santé, nous démontrons que les patientes et patients qui reçoivent des soins dans leur langue d’usage ont, en général, de meilleurs résultats cliniques. Ces données montrent que la qualité et la sécurité des soins offerts aux patients et aux patientes des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) pourraient être améliorées en s’assurant que les francophones ont accès à des services en français. Pour atteindre cet objectif, il faut augmenter le nombre de professionnels de la santé qui sont en mesure de faire une offre active de services de santé en français dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, d’où l’importance des subventions associées au programme du Consortium national de formation en santé.

En bref, comme mon collègue, je vous donne les résultats d’une enquête récente menée auprès de nos diplômés de 2019-2020 de nos programmes en santé. On compte 13 programmes professionnels dans le domaine de la santé à l’Université de Moncton. On a constaté que 87 % des diplômés travaillent dans le système de santé du Nouveau-Brunswick, et en particulier dans les communautés à haute densité de francophones, et 80 % d’entre eux offrent des services en français chaque jour. De plus, 50 % de nos stagiaires occupent un poste à l’un des endroits où ils ont suivi un stage, particulièrement dans les régions à l’extérieur des grands centres.

Compte tenu de l’augmentation exponentielle des besoins en professionnels de la santé en mesure d’offrir des services en français pour donner des soins sécuritaires, et compte tenu du fait que, malgré l’annonce d’une augmentation de 9 % de la subvention au Consortium national de formation en santé à compter de l’an prochain, et ce, pour les quatre prochaines années — après une stabilité de la subvention au cours des 14 dernières années, ce montant demeure quand même inférieur à celui qui nous était alloué en 2009-2010, qui était de 3 millions de dollars —, nous appuyons la recommandation de l’ACUFC visant à ce que Santé Canada bonifie le Programme pour les langues officielles en santé, en particulier la subvention au CNFS, et pour soutenir la recherche en santé chez les CLOSM.

Je pourrais également partager une expérience sur les bourses d’études pour les étudiants internationaux en sciences infirmières du gouvernement du Nouveau-Brunswick, qui permet de ramener les frais de scolarité de nos étudiants et étudiantes en sciences infirmières à ceux des autres Canadiens et Canadiennes. Nous avions accès à 25 bourses par année pour les 10 prochaines années. Ce programme est si populaire qu’après deux ans nous avons près de 100 étudiantes et étudiants internationaux dans nos programmes de sciences infirmières et nous avons été en mesure de pourvoir des postes vacants pendant plusieurs années dans nos campus du nord, soit le campus d’Edmundston et le campus de Shippagan.

Mon dernier message est le suivant : pour les francophones, demander de recevoir des services de santé en français n’est pas un caprice; cela peut vous sauver la vie.

Merci.

La vice-présidente : Merci, docteur Prud’homme. Nous passons maintenant à M. Safouhi.

Hassan Safouhi, vice-doyen principal, Campus Saint-Jean, Université de l’Alberta : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de votre invitation à comparaître devant vous aujourd’hui.

Le Campus Saint-Jean est le campus entièrement francophone de l’Université de l’Alberta. Il regroupe une faculté universitaire pluridisciplinaire, un centre collégial et une école de langue. Le Campus Saint-Jean accueille chaque année de nombreux étudiants nouvellement arrivés au Canada dont la majorité est constituée de résidents permanents. Leur langue maternelle est le français. En situation d’urgence médicale ou de stress, il est important de pouvoir communiquer avec le personnel médical ou soignant dans sa langue maternelle.

Je rappelle que près de 28 % de la francophonie albertaine est composée de nouveaux arrivants qui font face à de nombreux défis, comme la pénurie générale de professionnels de la santé et le manque de personnes-ressources en gestion de services pour les francophones. C’est notamment la raison pour laquelle le campus dispose des services d’une psychothérapeute francophone. C’est pourquoi l’accès aux soins en français est si crucial. Cette population nouvellement arrivée est souvent la plus vulnérable. Le cadre des minorités linguistiques peut entraîner un isolement qui a un impact certain sur leur vie, sans parler du milieu rural dans lequel on retrouve beaucoup de francophones qui sont doublement pénalisés, d’abord par l’isolement géographique, puis par l’isolement linguistique.

Je me permets de partager une anecdote. Dans le cadre du programme bilingue de baccalauréat en sciences infirmières, lors de la collation des grades, nous offrons aux finissants un badge magnétique qu’ils portent sur leur tenue d’infirmière et d’infirmier et où figure, en plus de leur nom, la mention « Je parle français ». Chaque année, nous recevons des témoignages d’anciens étudiants sur l’impact de ce simple badge lorsqu’ils traitent des personnes âgées, isolées ou ne maîtrisant pas l’anglais. On nous parle du soulagement visible et du sourire des patients lorsqu’ils réalisent qu’ils pourront enfin s’exprimer et communiquer en français.

En matière de santé, le Campus Saint-Jean offre un programme bilingue de baccalauréat en sciences infirmières en collaboration avec la Faculté des sciences infirmières, un certificat d’études supérieures spécialisées d’orthophonie en milieu francophone, en collaboration avec la Faculté de médecine de réadaptation, ainsi qu’un programme collégial de préposé aux soins de santé. Ces trois programmes sont offerts grâce à la contribution financière de Santé Canada par l’entremise du Consortium national de formation en santé. Ces programmes obtiennent un fort succès.

Pour le programme de préposé aux soins de santé, nous recevons plus de 30 candidatures pour 10 places. Pour le programme de baccalauréat en sciences infirmières, nous recevons plus de 140 candidatures pour 16 places, et le nombre augmentera à 24 à partir de 2025-2026. Ces nombres sont régis par le financement que nous recevons. Toutefois, soyons clairs : les candidats aux programmes sont là, la demande de la communauté est là, mais le manque de financement ne nous permet pas d’accueillir plus d’étudiants ni d’accroître l’infrastructure nécessaire, comme les laboratoires expérientiels. Nous ne pouvons pas non plus répondre à la demande pour un programme d’infirmier praticien, même si la communauté en a urgemment besoin.

J’ajouterais que près des deux tiers de nos étudiants sont issus d’écoles d’immersion et ont fait le choix de faire leurs études postsecondaires en français. Nous disposons ainsi d’un important vivier de personnes d’expression française. Il ne reste qu’à les former afin de répondre aux besoins urgents de nos communautés.

Notre recommandation va dans le même sens que celle de l’ACUFC, soit que Santé Canada augmente le financement pour renforcer les programmes de santé existants et pour développer de nouveaux programmes pour répondre aux besoins critiques de services de santé en français pour les minorités linguistiques.

Avant de conclure, je tiens à souligner notre reconnaissance envers nos partenaires communautaires et gouvernementaux, l’Association des collèges et universités de la francophone canadienne, Santé Canada, le Consortium national de formation en santé et Réseau santé Alberta, sans qui le programme ne pourrait être offert.

Je vous remercie de votre attention.

La vice-présidente : Merci, monsieur Safouhi. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent de cinq minutes pour les questions et réponses. Si le temps nous le permet, nous ferons un deuxième tour.

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à tous les témoins. Le plafond annoncé dans les permis d’études pour les étudiants internationaux est-il venu heurter votre capacité à recruter des candidats pour ce qui est des programmes de formation du personnel en santé? Si oui, est-ce que vous estimez que cela aura un impact à court, moyen et long terme quant à la pénurie de main-d’œuvre francophone dans le secteur de la santé?

M. Normand : Je vais y aller d’un commentaire introductif, et peut-être que nos collègues membres pourront renchérir. À l’heure actuelle, c’est difficile à mesurer, parce qu’on ne sait pas l’effet qu’aura le plafond sur la rentrée de 2024. La plupart de nos membres craignent une baisse des inscriptions tous programmes confondus, y compris potentiellement les programmes en santé.

Ce plafond risque d’aggraver les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs, y compris celui de la santé, qui pourrait perdurer pendant plusieurs années, car comme on le disait, les étudiants qui ne rentrent pas en septembre 2024 et ceux qui ne rentreront pas en 2025 deux cohortes qui seront perdues à long terme. C’est un bassin de candidatures potentielles pour des postes à pourvoir sur les marchés qui aura disparu. Cela pourrait avoir un impact sur la capacité d’offrir des services en français. Bien évidemment, cela dépasse le mandat de Santé Canada dans ce cas-ci. Je ne sais pas si nos membres veulent ajouter quelque chose.

La vice-présidente : Y a-t-il des commentaires des autres témoins?

M. Giroux : Merci. Sans doute qu’un des éléments est la question de conversion qui est basée sur des frais historiques. Donc, pour le Collège Boréal, le taux de conversion serait de 31 %, et ce, en considérant les différents critères. Si on demande soudainement de passer de 10 000 $ à 20 000 $ pour les fonds nécessaires, cela aura un impact sur le taux de conversion, bien sûr. Toutefois, on ne connaît pas encore ce taux de conversion et c’est une préoccupation.

Le deuxième élément est une question de moment propice. On est déjà dans le processus. Souvent, les étudiants arrivent au Canada et il est tard dans le processus. Donc, l’effet domino pour ces étudiants qui vont arriver en retard, possiblement en septembre 2024, possiblement en janvier 2025... Ce sont souvent des programmes de deux, trois et même quatre ans. Donc, l’effet domino peut être incroyable. Oui, il y a une énorme pression présentement sur les professionnels de la santé, surtout les professionnels bilingues. On sait que le pourcentage des gens admissibles à la retraite est énorme, surtout après la pandémie. Il peut certainement y avoir des conséquences.

Dr Prud’homme : Effectivement, on ne connaît pas à ce jour ce qui va se passer pour les inscriptions dans nos programmes de science de la santé en septembre. Une des caractéristiques des programmes en santé en général, c’est que ce sont des programmes très structurés, donc il y a très peu de cours à option ou de cours au choix. Donc, pour les programmes qui ne requièrent pas ces exigences, on pourra faire des offres aux étudiants qui nous arriveraient à la session d’hiver, donc en janvier; cela n’est pas possible pour plusieurs de nos programmes en sciences de la santé. On perd un an sur le plan du recrutement pour nos programmes dans le domaine de la santé.

La sénatrice Moncion : Dans le contexte de la pénurie de la main-d’œuvre dans le domaine de la santé, vos établissements disposent-ils des ressources nécessaires pour former une main-d’œuvre francophone suffisante pour augmenter l’offre et améliorer la qualité des services offerts aux communautés linguistiques en situation minoritaire? Monsieur Giroux, vous mentionniez tout à l’heure que vous formiez des gens et que 86 % ou 90 % d’entre eux restent dans les communautés. Est-ce qu’ils restent dans le Nord de l’Ontario? Vont-ils ailleurs? C’est la même chose pour les autres qui restent dans vos communautés.

M. Giroux : C’est clair que l’élément absolument critique, c’est le stage. Normalement, les étudiants se font embaucher dans la communauté où ils font leur stage. Souvent, ce sont des étudiants de Hearst qui viennent à Sudbury suivre une formation qui n’est pas offerte chez eux et ils retournent dans leur communauté pour le stage. Donc, oui, ils restent dans les communautés et parfois, ce sont des communautés qui ne sont pas uniquement dans le Nord de l’Ontario; ce peut être Windsor ou Toronto. Donc, pour nos 37 sites dans les multiples communautés, la provenance est énorme. Lorsqu’il est question du Consortium national de formation en santé, l’ACUFC devient absolument critique. Nous n’avons pas le même nombre que les anglophones. Je n’ai pas 250 étudiants dans notre programme de soins infirmiers auxiliaires. Donc, les nombres sont beaucoup plus petits. Si on regarde l’analyse des coûts, les coûts de livraison sont énormes. Sans appui financier, c’est quasiment impossible d’offrir l’équivalent de la qualité de la formation offerte par les anglophones.

Dr Prud’homme : Du côté de l’Université de Moncton, de façon générale, 87 % de nos étudiants demeurent dans la province et 75 % retournent dans leur région d’origine. Comme mon collègue du Collège Boréal, on augmente cette rétention en offrant aux étudiants de faire leur stage chez eux, dans leur région. À ce moment-là, ils gardent un contact avec la communauté et on augmente les chances qu’ils y restent. Pour cela, il faut un soutien financier, parce qu’ils doivent se loger lorsqu’on les retourne en région, donc ils doivent se véhiculer, se loger, et cetera. C’est à ce niveau qu’on devrait plutôt investir et augmenter les fonds pour mieux les appuyer et pour diminuer le fardeau financier additionnel, car ils doivent conserver leur appartement d’origine et ajouter des coûts supplémentaires. Cela devient une barrière pour certains des étudiants qui n’ont pas nécessairement une famille ou des cousins pour les recevoir pendant la durée de leur stage.

La sénatrice Mégie : Il y a une partie de ma question à laquelle on a répondu, mais je suis agréablement surprise d’entendre que 85 % des diplômés dans le domaine ont tendance à rester dans le milieu. D’après MM. Giroux et Prud’homme, 93 % des étudiants restent dans le milieu et c’est bien. Cependant, est-ce que cela réussit à combler vos besoins en professionnels de la santé?

M. Giroux : Je peux répondre pour le Collège Boréal. C’est clair que nous recevons chaque jour des appels des hôpitaux, des maisons de soins de longue durée, que ce soit pour les programmes de nouveaux diplômés du programme de préposé au service de soutien personnel ou en soins infirmiers auxiliaires, en radiomédical, en massothérapie ou en échographie. Il est actuellement impossible de combler ces besoins de main-d’œuvre bilingue. Même dans le centre-sud-ouest, dans certaines communautés, il y a des lits désignés pour les francophones. Ils ne peuvent pas répondre aux exigences parce qu’il n’y a pas assez de professionnels francophones ou bilingues.

La sénatrice Mégie : Merci. Est-ce que c’est la même situation problématique de votre côté, docteur Prud’homme?

Dr Prud’homme : Oui, c’est la même chose. La demande est nettement au-delà du nombre de diplômes que l’on peut accorder sur une base annuelle, d’où l’importance d’avoir recours à des programmes d’accélération de reconnaissance des compétences des professionnels qui viennent de l’étranger, et ce, tant pour la formation professionnelle clinique que pour les compétences en langue seconde. C’est particulièrement le cas au Nouveau-Brunswick, la seule province bilingue, car le Réseau de santé Vitalité francophone a une obligation de faire des offres de service dans les deux langues officielles. Encore une fois, un meilleur soutien à cet effet nous permettrait d’accélérer la formation et la reconnaissance des diplômes et de combler les besoins de nos deux réseaux de santé, soit le Réseau de santé Vitalité et le Réseau de santé Horizon.

La sénatrice Mégie : C’est un élément qui revient souvent dans plusieurs rencontres, même si cela ne concerne pas la santé. Par exemple, M. Giroux nous a dit qu’au baccalauréat certains examens viennent des États-Unis et sont traduits, ce qui cause parfois des échecs indus parce que la personne peut avoir une bonne formation.

On a entendu aussi dans d’autres situations que les gens sont formés en français à l’école, à l’université ou autre, mais quand ils arrivent à l’examen, ils n’ont pas le choix de faire l’examen en anglais. Cela dure depuis longtemps. Est-ce qu’il y a des gens qui ont déjà réfléchi là-dessus? Est-ce que l’un d’entre vous aurait un moyen ou une idée qui permettrait de changer la donne? Je ne sais pas qui pourrait répondre à cette question.

Dr Prud’homme : Je vais laisser mon collègue répondre, s’il veut y aller d’abord.

M. Safouhi : Allez-y, j’enchaînerai après.

Dr Prud’homme : Depuis l’application de l’examen américain, qui est basé sur la culture et les pratiques américaines, même si la traduction francophone telle qu’elle a été évaluée par les traducteurs s’avère de bonne qualité, le Canada a différents types de français. L’examen est écrit dans un français normatif. Alors, même si au Nouveau-Brunswick la nouvelle génération a un français qui se promène de l’anglais au français — pour nommer le chiac —, l’examen en français normatif fera en sorte que le vocabulaire utilisé ne sera pas familier dans la pratique clinique. Cela peut biaiser l’interprétation ou l’analyse chez les étudiantes. L’option d’avoir accès à l’examen en anglais et en français rallonge la lecture de la question, ce qui peut imposer un stress supplémentaire à l’étudiant et affecter sa performance.

Si vous voulez avoir une solution simple, les programmes de sciences infirmières à travers le Canada sont accrédités par les associations professionnelles, et ce sont les universités qui garantissent également l’acquisition des connaissances et compétences de nos étudiants lorsqu’ils obtiennent leur diplôme. On ne devrait pas exiger un examen supplémentaire, d’autant plus qu’il n’est pas canadien, pour certifier les compétences de ces diplômés. C’est le cas pour les ingénieurs au Canada : il n’y a pas d’examen supplémentaire. C’est l’association des ingénieurs qui certifie la compétence des programmes. On pourrait favoriser un meilleur accès aux ressources en sciences infirmières en particulier, plus rapidement que c’est le cas actuellement.

La sénatrice Mégie : Merci. Y a-t-il d’autres points de vue complémentaires?

M. Safouhi : Oui. Je peux enchaîner. Nous avions une situation dans le cadre du programme collégial de préposé aux soins de santé, où nos étudiants doivent passer un examen de la province en anglais. C’est un énorme défi. Cette année, on a fait une réforme du programme et on développe un cours d’anglais plus approprié, en consultation avec d’anciens diplômés, pour justement donner la chance à nos étudiants de réussir afin de diminuer le stress que leur impose l’examen en anglais. La majorité des étudiants de ce programme sont des étudiants nouvellement arrivés au Canada comme résidents permanents. Même si leur anglais est bon sur le plan académique, sur le plan de la pratique, surtout médicale, il est très limité. Notre solution est d’avoir un cours d’anglais mieux adapté, afin que nos étudiants passent cet examen avec plus d’aisance.

M. Giroux : Je vais aborder ce dont le Dr Prud’homme a parlé. Chaque programme de santé a un agrément. En soi, cela indique qu’on a respecté toutes les exigences. Si un étudiant réussit le programme, qui est accrédité, cela veut dire qu’il ne devrait pas être obligé d’écrire un examen supplémentaire. Vous avez mentionné d’autres domaines. On voit le même défi dans le secteur des métiers et des technologies. Dès qu’on ajoute une autre lisière, il est clair que cela devient un grand défi de combler ces besoins en main-d’œuvre qualifiée. Donc, il faut faire confiance au processus d’agrément et croire que les étudiantes et étudiants sont de qualité. Le fait de ne pas avoir une lisière supplémentaire comme les agréments, ce pourrait être une solution.

La sénatrice Mégie : Pourquoi n’ont-ils pas un examen en français, au lieu de faire un autre examen ou d’apprendre l’anglais pour faire l’examen? C’est un peu dans ce sens-là que je pensais qu’on aurait pu avoir une idée.

M. Giroux : L’un des défis, c’est que le taux de réussite lorsque les étudiantes et étudiants écrivent en français est beaucoup moins élevé que le taux de réussite en anglais. Cela encourage les étudiantes et étudiants à écrire l’examen en anglais. Si le taux de réussite est de 20 % du côté francophone et de 90 % du côté anglophone, quand vient le temps de faire l’examen, le risque est beaucoup plus élevé de l’écrire du côté francophone. Les étudiants ont donc tendance à faire cela. Le défi est le suivant : si les étudiants écrivent de plus en plus souvent l’examen en anglais, pourquoi suivre un programme en français? C’est un énorme défi à moyen et long terme. Il est absolument critique de régler ce problème à court terme.

Dr Prud’homme : J’ajouterais que de plus en plus d’étudiantes écrivent l’examen en anglais et développent une plus grande confiance pour ce qui est de travailler en anglais. Ils s’orientent vers les réseaux et les institutions anglophones au détriment des réseaux francophones. Ce sont des ressources qu’on a formées spécifiquement pour les institutions francophones.

Manon Tremblay, directrice, Santé, Consortium national de formation en santé, Association des collèges et universités de la francophonie canadienne : L’un des facteurs qui font en sorte que les étudiants écrivent l’examen en anglais, c’est qu’il manque de matériel préparatoire. En anglais, il y a une panoplie de matériel préparatoire. Les examens de pratique sont très nombreux, ce qui n’existe pas du côté francophone. Donc, cela n’aide pas les étudiants et étudiantes à passer l’examen.

Il y a autre chose : on m’a déjà dit qu’au Manitoba, entre autres, lorsque les étudiantes passaient l’examen en français, elles devaient se soumettre à un examen de compétence linguistique en anglais pour exercer la profession. Pour ces étudiantes, c’est donc plus facile de passer l’examen en anglais. Cela supprime aussi des coûts, parce que l’examen de compétence linguistique est aux frais des étudiants et étudiants. Donc, quand on parle de barrières linguistiques, on voit que ce sont des couches par-dessus des couches.

La sénatrice Mégie : Merci.

La vice-présidente : Passons maintenant à la deuxième ronde.

La sénatrice Moncion : J’avais justement une question sur tout ce qui touchait les examens, pour voir les autres solutions que l’on pouvait proposer. Vous en avez quand même proposé quelques-unes. Ma question allait dans ce sens. Je pense que vous y avez très bien répondu. Je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter. Il y a vraiment un problème à cet égard.

La vice-présidente : Est-ce que quelqu’un veut ajouter quelque chose?

La sénatrice Moncion : J’irais plus loin : il semble que tous les domaines de la santé exigent des examens de compétence à la fin des formations. Est-ce qu’il y a d’autres cours ou d’autres programmes qui sont offerts et qui exigent de faire des examens à la fin?

Mme Tremblay : Je peux vous répondre pour ce qui touche la santé, car c’est mon domaine, mais dans les professions réglementées, effectivement, il y a un examen administré par l’ordre provincial pour donner accès à la profession. La délivrance du permis relève du provincial, mais tous les programmes de formation en français qui sont réglementés font l’objet d’une évaluation canadienne pour répondre aux normes de compétence des programmes de formation.

Donc, quand on dit qu’une profession est réglementée, habituellement, quand on suit un cours d’infirmière autorisée, les compétences attendues ou délivrées par chacun des programmes de formation sont les mêmes, et chaque programme doit démontrer comment il s’assure que les étudiantes et étudiants atteignent la compétence. C’est quand même transversal à l’échelle canadienne, mais chacun doit passer un examen pour accéder à la profession.

La sénatrice Moncion : Est-ce que cela inclut le Québec, ou le Québec a-t-il des normes différentes?

Mme Tremblay : Non, sur le plan des programmes de formation, le Québec a exactement les mêmes normes et doit se soumettre au même agrément, comme le disait le président du Collège Boréal. Ce sont les mêmes normes, mais l’examen est différent. Chaque ordre provincial a le choix de l’examen qui donne accès à la profession. À l’heure actuelle, le NCLEX, c’est dans toutes les provinces, si je ne me trompe pas — et peut-être que le Dr Prud’homme pourra me le dire —, sauf le Québec.

Le Québec a un examen différent.

La sénatrice Moncion : Le NCLEX, c’est pour quelle...

Mme Tremblay : C’est pour toutes les provinces, sauf le Québec, si je comprends bien. Au Nouveau-Brunswick...

La sénatrice Moncion : Qu’est-ce que le NCLEX?

Mme Tremblay : C’est un examen pour les infirmières autorisées.

La sénatrice Moncion : D’accord. Est-ce qu’il y a de la transférabilité entre les provinces? Par exemple, est-ce qu’une infirmière qui a obtenu sa licence ou son permis au Québec peut travailler dans n’importe quelle province canadienne?

M. Giroux : Oui.

La sénatrice Moncion : Doit-elle de nouveau passer l’examen en arrivant dans une nouvelle province?

M. Giroux : C’est l’un des défis, les ordres professionnels de chaque province. Il doit y avoir une reconnaissance. Cela peut être différent dans certains programmes. Par exemple, pour la radiation médicale, c’est un examen national. Les personnes peuvent être envoyées dans plusieurs provinces, sauf au Québec. Il y a aussi l’échographie.

Il y a donc certains ordres professionnels qui sont différents, mais normalement, il faut avoir une reconnaissance ou participer à un processus de reconnaissance de l’association provinciale. C’est l’un des défis que nous avons.

La sénatrice Moncion : Vous avez tous fait allusion à 2028-2030 et vous avez parlé du financement qui était offert. J’imagine que c’est au moyen de programmes qui sont mis en place par le gouvernement. Docteur Prud’homme, vous avez mentionné que ce programme n’avait pas été ajusté en fonction de l’inflation pendant plus de 14 ans.

Dr Prud’homme : Oui.

La sénatrice Moncion : Il a maintenant été ajusté, mais vous avez peur que ce ne soit que pour une période temporaire de quatre ou cinq ans et que vous vous retrouviez avec le même problème dans quelques années?

Dr Prud’homme : Exactement. Le programme a commencé en 2009 — en 2010 pour nous. Au départ, il y avait un investissement d’au-delà de 3 millions de dollars, mais il a diminué en 2010 et cela s’est maintenu jusqu’à cette année, en 2024. On a donc annoncé une augmentation d’à peu près 9 %, ce qui équivaut à environ 250 000 $ par année pour les quatre prochaines années.

Si on regarde le pouvoir d’achat entre 2010 et 2024, il est certain qu’on n’est pas en mesure de faire les mêmes choses, de soutenir le développement de nouveaux programmes, d’offrir davantage de bourses aux étudiants et de moderniser nos infrastructures. À ce moment-là, le pouvoir d’achat est nettement diminué. Évidemment, on apprécie l’augmentation de 9 %, mais c’est encore, à mon avis, en deçà de nos besoins, particulièrement si l’on considère la crise dans le domaine de la santé et l’augmentation exponentielle des besoins pour ce qui est des différents professionnels de la santé.

Par exemple, il y a une pénurie de psychologues, particulièrement dans le réseau public. On sait qu’après son baccalauréat, un psychologue doit faire un doctorat en psychologie. Cela demande une résidence qui doit être financée, puisque le candidat ou la candidate étudie à temps plein durant son programme.

Chez nous, il y a huit postes, mais il y a une demande pour les doubler, voire les tripler. Ces bourses ou ces nouveaux postes pourraient aussi être associés à des conditions, comme travailler dans le système public pendant un certain nombre d’années avant d’aller au privé. Ce sont d’autres mécanismes qui devraient être impliqués pour s’assurer que les nouveaux professionnels peuvent contribuer aux besoins là où ils sont. Chez nous, près de 66 % de nos diplômés travaillent dans le système public. On devrait avoir plus de mesures incitatives pour augmenter cela à 80 % ou 85 %, parce que c’est à cet endroit que sont les besoins sont plus importants, et non dans le secteur privé.

La vice-présidente : Merci.

Le sénateur Dalphond : Je ne sais pas si nous allons siéger jusqu’à ce que l’épuisement s’ensuive, mais il commence à être tard.

J’avais une question en lien avec celle de la sénatrice Moncion. Au Québec, l’examen pour les infirmières et les infirmiers se fait en français; c’est obligatoire. Je pense que c’est le test américain qui a été utilisé et il y a eu beaucoup d’échecs la première ou la deuxième année. Ensuite, il y a eu des adaptations. Pourquoi n’utilise-t-on pas ce nouveau modèle, qui semble fonctionner après les adaptations qui ont été faites au Nouveau-Brunswick ou ailleurs?

Mme Tremblay : Je laisserai le Dr Prud’homme répondre à cette question, parce qu’il est très impliqué dans le dossier. Évidemment, je travaille avec les établissements hors Québec.

Dr Prud’homme : Comme je le mentionnais, même s’il y a eu des améliorations dans les deux premières années, comme vous l’avez dit, le taux d’échec était plus élevé. Il y a eu un rattrapage, une amélioration, parce qu’on a évidemment ajusté le mentorat pour mieux préparer les étudiants et étudiantes à ce type d’examen. Cela a eu ses effets.

Par contre, comme l’a mentionné mon collègue du Collège Boréal, on s’est aperçu qu’il y a de moins en moins d’étudiantes au Nouveau-Brunswick qui font leur programme en sciences infirmières en français et qui font leur examen en anglais. Pour moi, cela pose problème, parce que se préparer à un examen est également un exercice de consolidation des connaissances et des acquis. Il y a tout un nouveau vocabulaire médical qui doit se consolider. Comme je le mentionnais, s’ils étudient pendant un an pour préparer leur examen en anglais, ils vont se sentir beaucoup plus à l’aise de pratiquer leur métier en anglais par la suite. C’est un problème.

L’autre gros problème, c’est le manque d’outils disponibles en français pour préparer nos étudiants à bien performer à cet examen. Lorsqu’on les a, ils sont souvent disponibles deux ou trois ans après la parution en anglais. À ce moment-là, l’examen a déjà commencé à subir des changements et des modifications. Par exemple, cette année, ils nous ont annoncé de nouvelles formulations de questions qui solliciteront moins la mémoire et plus d’analyse critique. Cela signifie donc qu’il y a des textes plus longs qui pourraient avoir un impact sur la compréhension et la performance.

Le sénateur Dalphond : Le matériel de soutien doit exister en français pour le Québec, mais ce n’est pas le même matériel qu’on utilise au Nouveau-Brunswick, en Ontario ou ailleurs?

Dr Prud’homme : Non. Actuellement, le Québec n’utilise pas l’examen NCLEX. Ils ont leur propre examen provincial. Il a été question de migrer vers NCLEX, mais l’une des barrières est justement l’absence de documents en français pour préparer les étudiants à cet examen.

Évidemment, si le Québec décidait demain matin d’aller vers le NCLEX, peut-être que cela augmenterait la masse critique d’étudiants qui pourraient acheter ces outils, et il y aurait donc un incitatif pour les producteurs et les détaillants qui fournissent ces outils. Cependant, le Québec n’utilise pas NCLEX pour sa certification en ce moment.

Le sénateur Dalphond : Une personne qui souhaite devenir infirmier ou infirmière, qui est au Nouveau-Brunswick et qui va étudier au Québec pourra le faire en français avec du matériel en français, mais ce ne sera pas l’examen NCLEX. Par la suite, si cette personne veut pratiquer au Nouveau-Brunswick, ce ne sera pas possible?

Dr Prud’homme : C’est la solution qu’on a proposée. On a fait une entente avec l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, afin de permettre à nos étudiantes de passer l’examen du Québec en français, un examen qui est aussi basé sur la culture canadienne. On a dû faire pression auprès de l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick pour réduire les barrières relatives à la recertification et la reconnaissance des compétences. Maintenant, tout cela est en place, mais il a fallu plusieurs années pour les convaincre et faciliter la tâche à nos étudiants francophones.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup pour vos témoignages, vos carrières et votre travail.

Docteur Prud’homme, c’est fort quand vous dites que l’offre de services en français n’est pas un caprice. Cela sauve des vies. C’est fort.

J’aimerais poser des questions sur la collecte de données.

Vous avez cité une recherche. Qui a financé cette recherche? Est-ce que les institutions ont assez de ressources pour faire une collecte de données qui permettra de justifier le travail que l’on doit faire? Monsieur Normand, vous avez parlé de Santé Canada; il faut maintenir les investissements, mais est-ce qu’il faut aussi les augmenter sur le plan de la recherche et la collecte de données?

J’ai une question spécifique pour M. Safouhi. Vous avez mentionné que 28 % des Franco-Albertains sont de nouveaux arrivants. Si vous pouvez faire des commentaires sur les besoins ayant trait à l’intersectionnalité, les besoins sont-ils différents? Est-ce qu’on est en mesure de répondre à ces besoins?

M. Safouhi : Pour rectifier, les francophones représentent environ 28 % de la population de l’Alberta et les nouveaux arrivants forment un pourcentage assez grand de la communauté francophone, autour de 22 % ou 23 %.

La sénatrice Clement : Voulez-vous répondre à la question tout de suite pour ce qui est des besoins de cette population?

M. Safouhi : Les besoins de la population sont vraiment criants. Pour faire un lien, le Réseau santé Alberta est une organisation communautaire qui se penche sur les questions de l’offre de services en français dans le domaine de la santé. Ils ont mené des études. Il y en a une en cours qui donnera plus de précisions sur les besoins. Les résultats sont prévus pour le mois de juin, mais c’est certain que surtout en qui a trait aux préposés aux soins... La population âgée ou les personnes du troisième âge augmentent de façon assez importante en Alberta, que ce soit dans la région d’Edmonton ou de Calgary. On est conscient des grands besoins de notre communauté; nos programmes n’offrent pas un grand nombre de places — on a 10 places par année. Le programme est offert depuis quelques années.

Dans le programme de sciences infirmières, il y avait une cohorte d’environ 21 personnes en moyenne au cours des cinq dernières années, mais elle va se maintenir à 16 à cause du financement et augmenter à 24 étudiants par année à partir de 2025-2026. Cependant, cela reste vraiment minime pour répondre aux besoins d’une communauté d’au-dessus de 70 000 personnes qui est répartie inégalement. Il y a un problème de répartition de la population, et si on veut répondre aux besoins des zones rurales, cela devient un énorme défi. La communauté est très éparpillée dans la province, ce qui est aussi un grand défi à surmonter.

Il faut donc considérablement augmenter nos diplômés, notamment dans le programme de préposé aux soins. Une dizaine de diplômés par année, c’est largement insuffisant pour répondre aux besoins de cette communauté. On le sait grâce à nos anciens étudiants et diplômés qui reviennent nous voir et nous rappellent que les besoins sont là et qu’ils sont incapables de répondre à tous les appels d’offres. Tous les diplômés sont embauchés immédiatement. Il y en a même qui sont sollicités avant la fin de leurs études.

On est dans une situation où il faut vraiment agir, et le seul moyen de la faire est d’augmenter le financement non seulement pour renforcer les programmes offerts, mais aussi pour créer d’autres programmes. Par exemple, des programmes de sciences infirmières qui durent deux ans, ce serait vraiment intéressant pour la communauté.

La sénatrice Clement : Merci.

Dr Prud’homme : À propos de la recherche, cela fait tout près de 20 ans que je travaille sur la santé des francophones en contexte minoritaire. Cela fait 20 ans et plus qu’on fait des démarches de toutes sortes auprès des Instituts de recherche en santé du Canada. Vous savez, le minimum de fonds que l’on devrait recevoir en recherche serait l’équivalent du poids démographique des francophones à l’extérieur du Québec.

Si on veut que tous les Canadiens et Canadiennes aient le droit d’avoir de l’information sur l’impact de vivre en contexte de minorité linguistique sur la qualité et la sécurité des soins, il faut faire des recherches au moyen de grandes banques de données. Cela fait une dizaine d’années qu’on a mis en place ce groupe de recherche. Cela nous a permis de documenter, à titre d’exemple, le recours à des antipsychotiques chez les patients francophones en soins de longue durée qui se retrouvent dans des milieux anglophones et qui ont des fréquences plus élevées que s’ils étaient dans un milieu francophone. Cette situation problématique est accentuée chez les allophones. On parle du taux de mortalité qui diminue de 24 % chez les francophones; il diminue du double chez les allophones, avec 54 %. Un allophone qui se fait soigner dans sa langue a 74 % moins de risque de subir des erreurs médicales.

À l’opposé, même pour les anglophones qui se trouvent en milieu francophone, le risque d’erreur médicale est augmenté de 17 %. Ce n’est pas un problème qui touche seulement les francophones. C’est un problème de communication et cela a tout à voir avec le droit des Canadiens à recevoir des services dans leur langue.

Pour ce qui est de la recherche, il est évident que les IRSC ne prennent pas les actions positives auxquels ils sont assujettis, comme IRCC, par la nouvelle loi et qu’ils ne prennent donc pas d’actions pour assurer une contribution équitable des fonds de recherche réservés aux chercheurs qui s’intéressent aux problématiques liées aux défis ayant trait à l’accès à des soins de qualité et sécuritaires pour les minorités francophones.

Mme Tremblay : Je pense que c’est important, car la population canadienne est de plus en plus diversifiée. Je dois dire qu’au sein du CNFS et des établissements de formation, on a beaucoup parlé de l’offre active en matière de services de santé.

Ce concept a évolué et tient compte de la diversité. On parle maintenant d’une offre active culturellement adaptée, ce qui veut dire qu’on doit former davantage nos professionnels de la clientèle étudiante sur le langage à utiliser, selon la population qui se présente. C’est vraiment une préoccupation qui existe au sein des programmes de formation et du CNFS de tenir compte de cette perspective.

Le sénateur Aucoin : Merci. Je ne sais pas quoi vous dire, parce que vous m’avez vraiment touché avec vos présentations et les défis que vous vivez tous les jours, et ce, depuis des années. C’est sûr que le certificat ou l’examen a toujours été un problème et l’est encore, et je n’ai pas encore entendu parler de solution miracle à ce problème qui perdure. Les statistiques dont on vient de nous parler à propos du taux de mortalité qui augmente si les services ne sont pas offerts dans la langue du patient sont effarantes.

J’ai une petite question par rapport aux étudiants étrangers qui viennent étudier dans le domaine des services de santé. Est-ce qu’ils font leur stage en communauté francophone minoritaire? Est-ce qu’ils sont embauchés dans ces communautés et est-ce qu’ils essaient de rester dans ces communautés à travers le Canada?

M. Giroux : Je peux répondre pour le Collège Boréal. Cela dépend des programmes. Par exemple, pour le programme de préposé aux services de soutien personnel, par opposition au programme de deux ans en soins auxiliaires, par opposition au programme en sciences infirmières — le taux d’employabilité varie beaucoup.

L’un des défis est la qualité de l’anglais. C’est une barrière si la personne se trouve en contexte minoritaire, parce que la documentation en Ontario est souvent en anglais, surtout pour les hôpitaux. La qualité de l’anglais est une barrière.

Un programme d’un an pour les programmes de préposé aux services de soutien personnel peut prendre deux ans à cause de la qualité de l’anglais. C’est un élément qui exige énormément d’énergie.

Lorsqu’il se trouve un emploi dans la communauté, le diplômé reste dans la communauté. C’est un élément vraiment important, et la loyauté est incroyable.

Dr Prud’homme : On pourrait faire la même observation pour l’université. Il y a aussi un apprentissage chez les employeurs. Je pense qu’il ne faut pas les oublier, parce qu’ils doivent développer des stratégies pour assurer une meilleure intégration de cette diversité au sein des diplômés. Le fait d’envoyer nos étudiants internationaux faire des stages dans les milieux ruraux, où il y a des besoins, est assurément un facteur qui facilite le recrutement et éventuellement la rétention dans ces milieux.

M. Safouhi : Notre programme n’est pas ouvert aux étudiants internationaux.

Le sénateur Aucoin : J’aurais une deuxième question à ce sujet. Est-ce que vous avez de la rétroaction des employeurs de ces communautés de langue minoritaire lorsque vous envoyez des étudiants étrangers travailler ou faire des stages? Est-ce que vous avez eu de la rétroaction par rapport au fait qu’ils n’ont peut-être pas toutes les connaissances requises en anglais au départ? Est-ce que quelqu’un peut répondre à cette question?

M. Giroux : Pour le Collège Boréal, cela dépend de la communauté. Il y a une communauté au centre-ville de Toronto qui est très diversifiée; c’est la norme. Pour eux, la qualité de l’anglais a toujours été un défi. Ce n’était pas un choc culturel. Dans les communautés plus éloignées dans le Nord, par exemple, à Kapuskasing, cela devient un plus grand défi, parce qu’il n’y a pas nécessairement de masse critique et les gens ne sont pas habitués à voir des gens de minorités visibles. L’un des éléments — et je crois que le Dr Prud’homme l’a mentionné —, c’est la sensibilisation. Nous travaillons à sensibiliser les employeurs et l’élément clé, c’est le besoin criant de professionnels de la santé. Ils sont prêts à nous appuyer du côté du soutien linguistique, à faire de l’encadrement, de la formation, de l’intégration avec les autres employés, pas seulement les employeurs, mais aussi les autres professionnels de la communauté.

L’intégration devient absolument critique. On voit de plus en plus les communautés et les employeurs participer aux efforts à cause de la grande pénurie.

Le sénateur Aucoin : Par rapport à la recherche dont le professeur a parlé, si je comprends bien, les institutions anglophones ou les gens qui enseignent dans les services de santé reçoivent plus de fonds pour la recherche. Cela me paraît extrêmement important ce que vous faites. Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre que vous devriez faire ou qu’on pourrait faire? Est-ce que vous avez d’autres suggestions ou des recommandations?

Dr Prud’homme : La principale recommandation serait de recevoir, comme je le mentionnais, notre part équitable sur la base du poids démographique des francophones en situation minoritaire; c’est une obligation pour les IRSC de prendre des actions positives sur le plan de l’équité d’accès à des fonds de recherche.

Actuellement, on a un peu d’aide du fonds du Consortium national de formation en santé. Par contre, depuis 2009, comme le fonds est resté relativement stable, le financement qui était offert et qui était beaucoup plus important pour soutenir la recherche a diminué de façon substantielle. On est obligé de faire des concours auprès des institutions canadiennes de recherche en santé; à ce moment-là, la compétition est nettement plus élevée et c’est beaucoup plus difficile pour les chercheurs d’avoir accès à des fonds.

Le sénateur Aucoin : Est-ce que la partie VII de la nouvelle Loi sur les langues officielles pourra vous aider à ce sujet?

Dr Prud’homme : Oui. Par exemple, les IRSC ont lancé un concours pour la création de réseaux de recherche pour les communautés en situation linguistique minoritaire. Ils vont financer un réseau pour le Québec, un pour les anglophones et un pour le reste du Canada. Puisque les 10 provinces canadiennes ont des systèmes de santé différents, on se serait attendu normalement à avoir plus d’un réseau financé à l’extérieur du Québec, à titre d’exemple.

Évidemment, on a déposé une plainte auprès du commissaire pour revendiquer que les IRSC respectent les dispositions de la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Le sénateur Mockler : Ce que vous avez partagé avec nous est très important, surtout si l’on constate les besoins dans les situations minoritaires.

Docteur Prud’homme, j’aimerais vous féliciter. La semaine dernière, on avait une table ronde dans le nord-ouest et on a vu la Dre Dupuis-Blanchard, qui est titulaire de la Chaire de recherche sur le vieillissement. On a parlé d’offrir de nouveaux soins et de moderniser les soins de santé pour les personnes âgées.

Est-ce que la langue devrait faire partie des déterminants de la santé lorsqu’on parle avec Santé Canada?

Ma deuxième question est celle-ci : quelles mesures le gouvernement fédéral pourrait-il prendre pour prévenir l’érosion des droits linguistiques causée par un plus grand recours au service privé?

Ma troisième question est la suivante : en février dernier, je faisais partie d’un groupe de parlementaires dirigé par la Présidente du Sénat, la sénatrice Gagné, sur l’intelligence artificielle et les soins de santé qui peuvent être offerts. Je ne dirai pas les robots, parce que cela fait peur aux patients.

J’aimerais savoir si vos institutions se penchent sur l’intelligence artificielle et sur l’importance de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé pour améliorer la qualité des soins de santé.

J’aimerais vous entendre sur ces trois petites questions.

Mme Tremblay : D’ailleurs, docteur Prud’homme, je peux dire que vous allez faire un symposium sur la langue comme déterminant de la santé. Je pense que vous pouvez élaborer là-dessus. Ce n’est pas encore reconnu. Il reste à mesurer si on veut connaître l’impact de la langue sur différents facteurs, mais il n’en demeure pas moins que c’est un objet de recherche en ce moment.

Dr Prud’homme : Effectivement, il est de plus en plus évident que la langue est un déterminant de la santé. On l’a vu dans certaines de nos études sur la COVID, par exemple, lorsque les communiqués ont été faits beaucoup plus souvent en anglais qu’en français au départ. La première vague de la COVID a touché davantage les allophones et les francophones que les anglophones.

Est-ce parce qu’ils avaient accès aux mesures légèrement plus tard ou parce que les traductions et les messages étaient moins clairs?

On voit que la langue... Lorsqu’on regarde l’état de santé des francophones en situation linguistique minoritaire, plusieurs déterminants sont plus détériorés que chez leurs compatriotes anglophones ou au sein de la majorité.

Pour ce qui est de l’intelligence artificielle et de la robotique, l’Université de Moncton a une capacité qui s’est développée et qui est impliquée dans le système de santé. C’est l’un des moyens d’augmenter l’accès à des services, et surtout de soutenir les professionnels de la santé et de s’assurer que les patients auxquels ils sont confrontés ont vraiment besoin de l’expertise médicale ou de l’expertise des professionnels de la santé au bon moment.

Cela permettrait à des équipes de médecine familiale, par exemple, de traiter ou de suivre un plus grand nombre de patients avec le soutien de l’intelligence artificielle, tout en s’assurant de la qualité et de la sécurité des soins.

M. Safouhi : Sur la question de l’intelligence artificielle, il y a présentement à l’Université de l’Alberta un projet pilote sur les cliniques virtuelles. Ce sont des projets qui apportent des solutions de télémédecine, surtout pour les communautés isolées dans l’Ouest et dans le Nord de l’Alberta.

Notre défi est principalement financier, pour que le Campus Saint-Jean puisse s’intégrer à une telle initiative et développer le volet francophone; ce pourrait être une solution bien efficace pour répondre aux besoins d’une communauté très éparpillée dans la province et apporter des solutions dans les zones rurales.

À ce niveau, l’intelligence artificielle pourrait être une solution.

M. Giroux : Absolument, et j’étais chanceux, parce que j’étais président du conseil d’administration d’un hôpital dans la région de Sudbury, et la question de l’intelligence artificielle est absolument critique.

De plus en plus, on utilise l’intelligence artificielle pour montrer ou prévenir les plus grands défis chez les patients. Certains services peuvent maintenant être offerts dans la communauté ou à la maison. Les patients n’ont pas besoin de se déplacer 8, 12 ou 14 heures pour rejoindre un plus grand centre. La technologie peut aider de ce côté-là.

Sur la question du secteur privé, il est clair que l’offre active de services en français, le fait d’avoir une main-d’œuvre qualifiée francophone et bilingue permettra d’appuyer le volet public et découragera les gens de se déplacer vers le secteur privé. Cela peut jouer un grand rôle par rapport à la qualité des services en français.

Enfin, l’autre élément très important, c’est l’offre active de services en français. On parle souvent de l’offre active de services en français dans les programmes de français, mais ce devrait être ainsi dans tous les programmes et toutes les institutions postsecondaires. Que l’on soit un mécanicien de machinerie lourde ou un comptable, on a droit à des services en français dans sa propre communauté et on doit savoir qu’on y a droit. Se faire dire qu’on peut avoir des services en français en attendant six à huit semaines, mais qu’on peut les obtenir immédiatement si c’est en anglais, ce n’est pas acceptable.

Il faut donc faire de la sensibilisation sur ce qu’est l’offre active de services en français pour nous appuyer, absolument.

Le sénateur Mockler : Ce n’est pas la première fois que je l’entends et cela ne fait pas trois ou quatre ans non plus, mais plutôt plusieurs décennies — lorsqu’on veut reconnaître les compétences étrangères, on me dit que cela prend du temps et que tout le monde cherche une solution.

Que pouvez-vous faire pour accélérer le processus et les reconnaître plus rapidement?

Dr Prud’homme : Il y a d’abord un problème de culture. Lorsqu’on veut faire cette reconnaissance, on ne veut pas avoir une formation égale, mais une évaluation équitable. Si on va chercher des professionnels à l’extérieur qui ont une formation différente, il faut développer une stratégie et changer la culture, ne pas viser les contenus égaux à 100 %, mais bien identifier ce qui pourrait être bonifié ou accéléré avec la mise à niveau, comme la connaissance culturelle du système de santé canadien. Il faut aussi créer des programmes de soutien sur une plus courte période et accélérer l’entrée de ces professionnels dans le système de santé.

Même si les gouvernements provinciaux ont délégué aux collèges professionnels la responsabilité de la reconnaissance des équivalences des compétences, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont plus de responsabilités. Ils doivent exiger un certain rendement auprès de ces associations. Si jamais c’est une question de ressources, il faut les financer en conséquence pour qu’ils puissent avoir les ressources nécessaires pour faire cette reconnaissance. Ils doivent aussi être responsables pour s’assurer de ne pas prendre un temps indu à faire l’évaluation des dossiers ou de demander des exigences au-delà de ce qui pourrait être acceptable auprès des futurs professionnels immigrants qui veulent joindre leurs forces au Canada.

M. Safouhi : Si je peux me permettre, c’est une question de connaissance. La connaissance du système de santé est très importante. Je connais très bien la situation des professionnels de la santé formés à l’étranger. Ma conjointe est gynécologue-obstétricienne et elle a été formée dans une académie de médecine. Elle a eu sa licence, qu’on appelle [Difficultés techniques]. Après quatre ans, elle a intégré l’université, parce qu’après trois ans, un médecin n’est pas autorisé à rester sans pratiquer. Elle travaille maintenant dans le milieu académique; pour moi, c’est une perte.

Il est sûr qu’il y a des défis de culture, mais ces défis sont vrais des deux côtés. Quand il s’agit d’un patient nouvellement arrivé au Canada qui se présente dans un cabinet pour obtenir des soins de santé, il y a une certaine connaissance que le professionnel de la santé devrait acquérir. Ma collègue du CNFS a souligné l’importance de cette formation un peu plus tôt; le CNFS donnait des formations et offrait même un certificat de formation en compétence interculturelle il y a quelques années; c’est important.

Quelqu’un qui est formé à l’extérieur arrive au pays avec une culture différente. Justement, cela amène de la richesse et de la diversité. Bien sûr, les connaissances du système canadien devraient avoir leur importance. L’adaptation sur le plan des stratégies de culture, c’est tout aussi important. Cependant, la connaissance du système et la reconnaissance des diplômes devraient être accélérées.

Dans le cas de ma conjointe, la procédure a pris trois ans pour l’approbation de sa formation et huit mois pour son admissibilité, ce qui fait un total de quatre ans sans qu’elle puisse pratiquer la médecine. Finalement, même si elle a eu sa licence, elle n’a pas pu pratiquer. On lui a dit qu’il fallait qu’elle quitte le pays pour pratiquer au minimum une année. Notre chance, c’est que l’université ne nous ait pas laissés partir.

M. Giroux : Je pense que le fait de faire confiance aux institutions postsecondaires est absolument critique. Les ordres professionnels donnent le pouvoir aux collèges de former et de livrer ces programmes.

Les collèges et les institutions postsecondaires peuvent faire la reconnaissance des écrits et des crédits. Nous avons des mesures en place.

Je pense que l’élément qui prendra plus de temps, c’est la formation interculturelle, et la formation langagière est un élément clé qu’on ne doit pas sous-estimer. Il faut parler un anglais de qualité pour travailler ou pratiquer dans l’industrie.

Pour moi, la façon la plus simple serait de donner plus de pouvoirs aux institutions postsecondaires et de moins passer par les ordres professionnels, parce que c’est un cauchemar. Il faut faire confiance aux institutions postsecondaires.

Mme Tremblay : J’ajouterais que c’est en lien direct avec la deuxième recommandation, soit que les ministères fédéraux qui travaillent dans le domaine de l’immigration et de l’intégration des professionnels travaillent de façon plus transversale et les repèrent dès le début. On parle de formation en anglais, mais il y a aussi le français qui est souvent différent, avec des régionalismes qui devraient aussi être enseignés.

C’est ce que l’on souhaiterait : quelque chose de mieux coordonné, qui commence dès le début de la demande, pour qu’on puisse repérer ces personnes dès le début et offrir un meilleur soutien. Cela faciliterait beaucoup les choses.

La vice-présidente : Avant de terminer, je voudrais d’abord remercier les témoins d’avoir passé tout ce temps avec nous et d’avoir partagé toutes ces informations; c’est grandement apprécié.

J’aimerais aussi prendre un petit moment, avant de clore la séance, pour transmettre un remerciement spécial à notre collègue le sénateur Mockler, dont c’est la dernière semaine parmi nous.

Je voudrais vous remercier. Je vous connais depuis 25 ans et je travaille avec vous, mais vous en avez fait beaucoup bien des années avant.

Le sénateur a tellement travaillé, non seulement pour les francophones et les Acadiens, mais aussi pour tous les Néo-Brunswickois et même pour les gens de l’extérieur de la province. Je crois qu’il a toujours siégé au Comité sénatorial permanent des langues officielles depuis sa nomination.

Vous allez nous manquer autant que nous allons vous manquer, et votre travail vous manquera également. Cher collègue et ami, j’aimerais vous souhaiter une bonne retraite, mais puisque je vous connais, je doute que vous restiez bien longtemps retraité, car vous allez vous garder bien occupé.

Au nom du comité, je vous veux remercier pour tout ce que vous avez fait pour notre comité, pour les langues officielles et pour les francophones partout au Canada.

(La séance est levée.)

Haut de page