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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 15 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE),en séance publique, avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité; et à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Poirier : Bonsoir et bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Bonjour. Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.

La sénatrice Moncion : Bonjour. Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur Aucoin : Bonjour. Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci. Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues. Vous me permettrez aussi de souhaiter la bienvenue à l’un de nos collègues français, le sénateur Yan Chantrel, qui est le sénateur représentant des Français établis hors de France et qui nous fait le privilège d’être parmi nous. Bienvenue au Sénat et au Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Chers collègues, ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité en recevant des chercheurs et des organismes en mesure de traiter du thème des communautés vulnérables, qui est l’un des sept thèmes de notre étude.

Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons en présentiel Jude Mary Cénat, professeur agrégé et directeur du Centre interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s de l’Université d’Ottawa. Bienvenue.

Nous accueillons également Josephine Etowa, professeure titulaire, Faculté des sciences de la santé, Université d’Ottawa. Bienvenue à vous. Nous souhaitons aussi la bienvenue aux membres de l’organisme Health Association of African Canadians, qui se joignent à nous par vidéoconférence. De l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, nous accueillons Yalla Sangaré, professeur agrégé et directeur du Département des sciences administratives et Malanga-Georges Liboy, professeur agrégé au Département des sciences de l’éducation. Bienvenue parmi nous et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs et sénatrices. La parole est à vous, monsieur Cénat.

Jude Mary Cénat, professeur agrégé et directeur du Centre interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci, monsieur le président, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, je suis heureux de m’adresser à vous. J’ai déjà été présenté, mais j’aimerais peut-être préciser que la Dre Etowa fait partie du centre et qu’elle est notre directrice scientifique. C’est extrêmement important de le noter.

Mes propos préliminaires porteront sur trois principaux points et je vais essayer de ne pas dépasser les cinq minutes qui me sont allouées. Je parlerai d’abord de la langue comme déterminant social de la santé, puis de l’offre de services de santé en français en situation minoritaire. Enfin, je parlerai de la situation de double minorité ou triple minorité, mais surtout de la question de l’intersectionnalité.

D’abord, pour ce qui est de la langue comme déterminant social, au cours des deux dernières décennies, la recherche a montré au Canada que quand vous êtes francophone et que vous vivez à l’extérieur du Québec, juste le fait de parler français constitue un déterminant de la santé — et de moins bonne santé, comparativement au reste de la population. La recherche a surtout montré que les francophones qui parlent français ont tendance à retarder certains soins de santé, parce qu’ils ne se sentent pas assez à l’aise quand ils reçoivent les soins à l’extérieur du Québec. C’est un point extrêmement important.

Sur ce point, j’aimerais dire aussi que ces personnes, de manière générale, rapportent qu’elles sont en aussi bonne santé physique et mentale que le reste de la population. C’est un aspect extrêmement important. Quand on le constate, on peut être en mesure d’expliquer certaines choses en essayant de comprendre tous les facteurs liés à cette question. J’ai parlé du délai de soins comme étant l’un des aspects importants, mais on peut aussi parler de la qualité des soins reçus. Cela m’amène à mon deuxième point, soit l’offre de services de santé en français en situation minoritaire.

La première chose qu’il faut comprendre, c’est que les citoyens ne sont pas logés à la même enseigne. Si vous vivez dans l’Est de l’Ontario, ce n’est pas la même chose que dans les Maritimes ou dans l’Ouest canadien. C’est différent, et si vous vivez dans un milieu rural, là encore c’est différent. Si vous vivez à Ottawa, ce qu’on va surtout observer, c’est que si vous êtes francophone, les soins que vous recevez sont de moins bonne qualité, mais dans l’Ouest, ils seront de moins bonne qualité encore. Cela soulève aussi la question de la concentration et de la dispersion des communautés francophones à l’extérieur du Québec. Plus les communautés sont dispersées, moins les soins sont de bonne qualité, parce qu’il y a moins de services disponibles en français.

Souvent, les personnes qui peuvent recevoir des soins en français essaieront de recevoir ces soins en anglais si elles parlent cette langue. Pourquoi? Parce que souvent, même quand on réussit à obtenir des soins en français, la qualité de la langue parlée ne représente pas réellement le français que parlent ces francophones. Ils préfèrent donc souvent recevoir des soins en anglais, parce qu’il y a peut-être un mythe selon lequel les soins donnés en français à l’extérieur du Québec sont souvent de moins bonne qualité que les soins offerts en anglais.

L’autre élément à prendre en compte en ce qui concerne ces soins, c’est la difficulté à retenir des professionnels de la santé qui parlent français. Souvent, les recherches parlent des facteurs liés aux salaires et aux conditions de travail, mais il y a un aspect qui n’est pas évoqué et que nous avons relevé dans nos recherches : ces professionnels font l’objet de beaucoup plus de discrimination que les autres. Souvent, quand ces collègues, ces professionnels de la santé sont des personnes issues de la diversité culturelle et raciale, que ce soit des personnes noires ou des personnes arabes, elles subissent de la discrimination raciale. Donc, elles ne souhaitent pas rester et ne restent pas dans ces services-là.

Cela me permet d’aborder mon dernier point, soit la situation de double ou triple minorité ou de l’intersectionnalité. Hier soir, j’ai pris le temps de croiser des données qu’on n’a pas encore publiées. On vient de publier un article très important sur la discrimination raciale subie dans les services de santé au Canada. C’est la première étude quantitative sur cet enjeu menée au Canada auprès des personnes noires. Un tiers des personnes noires disent avoir vécu de la discrimination raciale majeure dans les services de santé au Canada.

À notre avis, c’était extrêmement important de noter cette différence entre le Québec et les autres provinces. On a quand même fait une première étude dans laquelle on n’a pas voulu parler de la différence de langue, parce qu’on n’avait pas assez de données; comme on sait que c’est un élément important, on savait qu’on devait avoir des données fiables. Contrairement à ce que l’on croyait, le Québec est l’endroit où les personnes noires disent qu’elles subissent moins de discrimination raciale dans les services de santé. C’est extrêmement important de le noter. Par contre, quand on leur demande quelle est leur perception, ceux qui vivent au Québec pensent que c’est au Québec qu’ils en vivent le plus.

Il y a un autre aspect important : ceux qui vivent de la discrimination raciale, qui parlent français et ne vivent pas au Québec sont les personnes qui subissent le plus de discrimination raciale dans les services de santé. En fait, ce que l’on comprend et la façon dont on peut l’interpréter ces données, c’est que ces personnes vivent de la discrimination en raison de la couleur de leur peau, mais à cause de la langue qu’elles parlent. Les personnes qui en subissent encore plus à l’extérieur du Québec sont celles qui ont un statut migratoire, qui ont immigré au cours des 10 dernières années, qui parlent français et qui sont Noires.

Il y a un autre aspect extrêmement important qu’on a aussi examiné; les personnes noires francophones qui ont 65 ans et plus vivent encore plus de discrimination raciale dans les services de santé.

C’est pour cela d’ailleurs que si vous demandez aux collègues issus de l’immigration ou de la diversité raciale...

Le président : Je vais vous demander de conclure, puisque le temps file. Nous aurons l’occasion de poursuivre, avec les questions des sénateurs.

M. Cénat : Ces collègues vont dire qu’ils ne laissent pas leurs parents aller seuls dans les services de santé, parce qu’ils ont peur qu’ils vivent de la discrimination, non seulement par rapport à la langue, mais aussi à la couleur de leur peau.

Le président : Merci de votre déclaration.

[Traduction]

Josephine Etowa, professeure titulaire, Faculté des sciences de la santé, Université d’Ottawa : Je vous remercie de me donner l’occasion de tous vous faire part de mes recherches cet après-midi. Je commencerai par les enjeux qui touchent le travail de mon équipe ici à Ottawa, en Ontario et dans tout le Canada.

La langue est un déterminant constant de la santé, tant en ce qui concerne l’accès aux soins de santé que la qualité de la santé. On a déterminé que la langue est un déterminant clé. Elle a une incidence sur la possibilité que les gens puissent accéder à ces services. Elle a une incidence sur l’efficacité des soins de santé. Elle a une incidence sur la satisfaction des patients quant aux types de services qu’ils reçoivent.

Il est bien établi que les Canadiens noirs sont assujettis à des facteurs multiples qui se recoupent, comme le sexe, la race et la langue, et qui se combinent pour aggraver les problèmes qu’ils rencontrent. Selon nos études, bien que les Canadiens noirs francophones partagent un certain nombre d’expériences avec les Canadiens noirs anglophones, ils doivent néanmoins surmonter des difficultés supplémentaires en matière de ressources, d’interactions avec les fournisseurs et même de disponibilité des organisations dans leur collectivité auxquelles ils peuvent s’adresser pour obtenir certains des outils d’application des connaissances que nous créons et qu’ils n’ont pas nécessairement en français. Cette barrière linguistique a un effet sur leur satisfaction et leur utilisation des différents services. En fin de compte, elle aura une incidence sur les coûts du système.

Je vais vous donner deux exemples de nos projets. Le premier est une étude provinciale que nous avons menée en Ontario — nous l’appelons l’étude A/C — et qui visait à améliorer la compréhension des comportements et des connaissances liés au VIH. Le VIH est l’un des domaines dans lesquels nous constatons une pile d’inégalités au sein de nos collectivités.

Au cours des dernières années, j’ai été titulaire d’une chaire de recherche sur la santé des femmes noires en Ontario, financée par le Réseau ontarien de traitement du VIH. Dans le cadre de ce travail, nous avons invariablement constaté des différences entre les anglophones et les francophones lorsque nous leur posions des questions sur leurs connaissances. Plus de deux fois plus de francophones que d’anglophones n’avaient aucune connaissance sur la transmission et l’acquisition du VIH. Les francophones sont aussi nettement moins nombreux à avoir un niveau de connaissance élevé. En ce qui concerne les gens qui ont un faible niveau de connaissance, davantage d’habitants des régions francophones possèdent moins d’informations ou de connaissances sur la transmission et l’acquisition du VIH.

Nous savons que le VIH au Canada est l’une des maladies qui touchent les Canadiens noirs de manière disproportionnée. Nous parlons de 5 % de la population ontarienne, car l’Ontario recueille des données et nous représentons un quart des nouveaux diagnostics de VIH. Cette proportion est restée constante au cours de la dernière décennie. Il y a une réduction dans d’autres communautés, mais il y a quelque chose qui ne se passe pas dans la communauté noire parce que nous continuons à avoir ce problème.

Nous craignons en fait que lorsque nous aurons atteint les objectifs 90-90-90 des Nations unies, soit 90 % de la population connaîtra son diagnostic, 90 % de ceux qui connaissent leur diagnostic seront sous traitement et 90 % de ceux qui sont sous traitement verront leur charge virale supprimée, le 10 % de la population peut être des Canadiens noirs et la maladie devient une maladie noire parce que le reste du pays a progressé et s’est attaqué au problème du VIH.

Il s’agit là de problèmes réels. Dans le cadre de notre étude, nous avons également constaté une différence dans l’accès à un fournisseur de soins de santé primaires. Le groupe francophone avait moins accès aux fournisseurs de soins de santé primaires.

Le deuxième exemple que je voudrais citer est celui d’une étude nationale financée par l’Agence de la santé publique du Canada, qui a examiné les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les maladies transmises sexuellement et par le sang, y compris le VIH. Une fois de plus, nous avons constaté des différences. Nous avons interrogé plus de 1 500 Canadiens noirs dans tout le pays. Nous avons également organisé 17 groupes de discussion avec des Canadiens, qui ne se limitent pas seulement aux Canadiens noirs, mais qui comprennent également des fournisseurs de soins et d’autres parties prenantes. Ils ont à nouveau souligné le manque de ressources pour les communautés francophones.

Ils donnent des exemples. Par exemple, à Toronto, il y a une organisation que quelqu’un a mentionnée, à savoir Africans in Partnership Against AIDS. Ils ont dit qu’il s’agit d’une ressource précieuse qui fournit des services en anglais et en français. Cependant, les ressources de l’organisation sont limitées et elle n’a pas la possibilité de s’associer à d’autres organisations pour développer ce type de service qui permet de toucher un plus grand nombre de personnes dans la communauté.

L’un des sujets dont ils parlent également est le racisme structurel qui existe même dans les hôpitaux. Dans la partie qualitative, quelqu’un l’a décrit comme une violence qui passe de la brutalité policière au milieu hospitalier. Même si les hôpitaux sont censés offrir des services aux francophones, les Noirs qui s’y rendent se sentent victimes de discrimination. Vous avez l’impression que ce n’est pas bon pour vous. Quelqu’un l’a décrit comme un espace de violence.

D’après ce que nous avons constaté, le racisme systémique est un déterminant clé qui recoupe la barrière linguistique, et tout effort déployé pour résoudre le problème de la langue doit s’attaquer au problème plus vaste de la discrimination systémique.

Le président : Merci beaucoup, madame Etowa.

[Français]

Yalla Sangaré, membre, Health Association of African Canadians : Je suis accompagné de M. Liboy. Nous allons essayer de combiner nos présentations — nous ne savions pas comment cela allait se passer.

Je suis Yalla Sangaré. J’enseigne à l’Université Sainte-Anne et je vous parle de la Baie Sainte-Marie — de Pointe-de-l’Église, pour être précis. Je suis en territoire mi’kmaq non cédé. Nous vous remercions énormément de l’occasion qui nous est offerte de nous adresser à votre comité.

Aujourd’hui, nous représentons l’organisation Health Association of African Canadians, donc l’Association médicale pour les Afro-Canadiens.

La mission de l’organisme HAC est de promouvoir et améliorer la santé des communautés noires partout en Nouvelle-Écosse grâce à l’éducation, à la recherche, à des recommandations de politiques publiques et à des partenariats avec des joueurs clés dans le domaine de la santé.

Parmi ces joueurs, il y a évidemment des anglophones, parce qu’il y a une très vieille communauté d’Afro-Néo-Écossais en Nouvelle-Écosse. Nous nous sommes joints à eux depuis 10 à 20 ans, mais ces personnes étaient ici depuis l’époque de la guerre civile aux États-Unis.

Notre objectif aujourd’hui, puisque nous n’avons pas beaucoup de temps — nous allons vous envoyer un mémoire très détaillé —, est de présenter les résultats d’un projet que nous venons de terminer.

Ce projet était subventionné par Réseau santé — Nouvelle-Écosse et Immigration francophone Nouvelle-Écosse. Le projet s’intitulait Étude sur l’état de santé des personnes immigrantes francophones qui vivent en milieu minoritaire en Nouvelle-Écosse et de leurs besoins en matière d’accès aux services de santé physique et mentale en Nouvelle-Écosse.

Nous avons analysé deux choses : d’abord, la perception des immigrants francophones, mais aussi des immigrants au sens large, y compris ceux qui sont Canadiens, de même que leur perception du système et de leurs besoins. J’aimerais dire que nous avons trouvé dans nos résultats beaucoup de choses qui ont été évoquées par nos collègues, notamment le fait que parler français, c’est déjà un handicap quand vous vous présentez dans un hôpital à Digby, à Yarmouth ou à Truro, où le personnel est unilingue.

Je vais céder la parole à mon collègue.

Malanga-Georges Liboy, membre, Health Association of African Canadians : Je vous remercie de cette occasion.

Comme vient de le dire mon collègue, on vient de mener une petite recherche au sujet de la perception des personnes issues de l’immigration francophone qui vivent en Nouvelle-Écosse. Cette étude parle de ce que ces personnes pensent de leur état de santé physique et mental et de leurs besoins en matière de services de santé en français.

La Nouvelle-Écosse, comme vous le savez, est une province unilingue, mais on trouve une grande diversité au sein de la population qui l’habite. D’abord, si on prend la population noire de la province, il y a les Afro-Néo-Écossais qui sont venus ici à l’époque de l’esclavage. Il y a aussi les immigrants. On s’est intéressé surtout aux immigrants nouvellement arrivés dans la province, particulièrement les immigrants francophones. Par là, on entend les gens qui viennent de l’Afrique, du Sahara, les Maghrébins et les étudiants internationaux. Il y a beaucoup d’étudiants internationaux dans nos universités qui sont unilingues francophones.

Donc, si on parle des problèmes relatifs aux services de santé en Nouvelle-Écosse, vous constaterez que les francophones ne font pas face aux mêmes défis. Les Acadiens sont francophones eux aussi, mais ils sont totalement bilingues et à l’aise dans les deux langues. Certains parlent même plus anglais que français.

Par contre, il y a aussi des gens qui viennent de l’Afrique et d’autres pays francophones et qui sont unilingues. Donc, leur accès aux services de santé ne se présente pas de la même façon. Les services de santé sont offerts surtout en anglais, et ce, dans toute la chaîne. Si vous êtes malade, vous devrez parler aux ambulanciers qui vous amèneront à l’hôpital, qui sont anglophones, aux médecins, qui sont anglophones pour la plupart — à l’urgence, c’est rare de trouver des services en français —, aux infirmières, qui sont majoritairement anglophones, et même aux médecins spécialistes, qui sont anglophones. Donc, l’anglophonie est partout.

Les gens qui arrivent au pays font face à un sérieux problème. Cela constitue pour eux une grande source de stress. Il n’y a pas vraiment de service d’interprétation ou de traduction dans les hôpitaux. Imaginez que vous arrivez à l’urgence, que vous êtes malade et que personne ne peut vous comprendre dans votre langue; cela pose un problème. C’est ce qu’on vit ici avec les étudiants internationaux arrivés tout droit de l’Afrique. En plus, la Baie Sainte-Marie est une région rurale et les services de santé ne sont pas les mêmes qu’à Halifax.

On faisait face à de sérieux problèmes et il n’y a pas de solutions actuellement. On pourra vous parler des résultats de notre recherche quand on aura commencé le débat.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Vous pourrez partager tout cela avec nous pendant la période de questions qui s’ouvre.

Avant de commencer la période de questions, j’aimerais demander aux membres du comité présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité se trouvant dans la salle.

Chers collègues, comme nous sommes conscients du temps à notre disposition, je propose que cinq minutes soient accordées à chacun pour un premier tour de table, y compris la question et les réponses de nos témoins. Nous ferons un deuxième tour de table si le temps nous le permet.

La sénatrice Poirier : Merci à tous les témoins d’être avec nous ce soir.

Monsieur Cénat, vous avez mentionné dans votre déclaration d’ouverture que la qualité des soins de santé pour la communauté noire en contexte de langue et de situation minoritaire est moindre. Vous avez dit que c’était à cause de la langue, mais aussi à cause de la couleur de votre peau.

Est-ce que vous pensez que c’est la même chose pour les autres immigrants qui viennent ici, ou pensez-vous que votre groupe est plus affecté par cela? Pourquoi?

M. Cénat : En fait, il y a trois niveaux de différence.

Le premier niveau de différence, c’est que si vous considérez les personnes noires de manière générale et que vous les comparez aux personnes blanches, elles disent que les soins qu’elles reçoivent sont de moins bonne qualité. Quand la personne noire est francophone, si vous la comparez à une personne noire anglophone, les soins sont encore de moins bonne qualité. Si cette personne est immigrante au cours des 10 dernières années, les soins sont de moins bonne qualité encore. Si elle est Noire, immigrante, francophone et âgée de 65 ans et plus, les soins sont de plus piètre qualité encore.

La sénatrice Poirier : Dans le cadre de vos demandes, avez-vous fait partie de certaines études ou reçu du financement pour vous aider à trouver des solutions ou des suggestions ou encore pour faire de la recherche? Comment peut-on améliorer la situation? Qu’est-ce que vous suggérez de faire? Avez-vous déjà reçu du financement et si oui, quel montant et de qui?

M. Cénat : On a eu plusieurs financements de l’Agence de la santé publique du Canada pour mener ces recherches. D’abord, il y a eu une étude sur la santé mentale, puis une étude sur la COVID-19. Au sujet de la communauté noire uniquement, on mène une étude depuis octobre dernier qui compare les communautés noires, autochtones, asiatiques, arabes et blanches.

Malheureusement — j’aurais dû conclure par cela —, ces études viennent à peine de commencer. On n’avait pas de données comme cela au Canada il y a quatre ou cinq ans, avant les travaux de Josephine Etowa. Il y a des travaux qui existent, mais sur la question de l’intersectionnalité de la langue, de la couleur de peau et du statut migratoire, il n’y en avait pas du tout.

Les études viennent de commencer et malheureusement, il n’y a pas beaucoup de solutions qui ont été proposées, mais il y a quand même certaines solutions ayant trait à la formation des professionnels de la santé. Dans le laboratoire de Mme Etowa, dans mon laboratoire et au centre, de manière générale, il y a des formations qui ont été implantées et qui portent sur la santé mentale et physique, sur les façons de fournir des soins culturellement adaptés à la fois à la langue, mais également à la couleur de peau. Bien que ces formations aient été développées à l’Université d’Ottawa, bizarrement, elles ont été implantées aux États-Unis, mais on a de grosses difficultés à les implanter dans les hôpitaux d’ici.

La sénatrice Poirier : Vous avez aussi mentionné dans votre déclaration que la situation des minorités francophones du côté de l’Atlantique et dans l’Ouest est encore pire qu’en Ontario. Pouvez-vous nous parler de la situation de ceux qui sont en situation minoritaire du côté anglophone au Québec? Vivent-ils le même problème que les francophones en situation minoritaire?

M. Cénat : Cela fait partie des résultats que j’ai essayé d’étudier hier soir. Bizarrement, il n’y a pas de différences importantes pour les personnes qui parlent anglais au Québec par rapport à ceux qui parlent français. On n’a pas trouvé des différences importantes, à la fois en ce qui concerne l’accès aux soins et, dans le cas de la COVID-19, la confiance ou la méfiance vis-à-vis des vaccins, mais aussi la vaccination en elle-même.

La sénatrice Poirier : Pour régler le problème, il faut de l’éducation, des fonds supplémentaires et des ressources humaines pour pouvoir offrir les soins; c’est bien cela?

M. Cénat : D’abord, il y a la formation des médecins, mais les universités et les collèges ont aussi leur rôle à jouer. Comme Mme Etowa l’a dit, il y a un enjeu systémique, c’est-à-dire que ce ne sont pas des enjeux qu’on examine un à un, parce que la même personne qui fait de la discrimination va le faire sur la question de la langue et sur la question de la couleur de peau.

Ce sont des questions qu’il faut voir de manière systémique. Il faut les traiter dans les hôpitaux de manière systémique, non seulement sur le plan de la formation, mais il faut aussi que les hôpitaux disent clairement que ce sont des choses inacceptables. Quand quelqu’un est raciste, il est rare que la personne le soit de manière faible. En général, c’est parce que la personne pense que le racisme est permis dans le service ou au sein de l’institution. Ce sont des choses qu’il faut examiner d’abord à l’échelle institutionnelle, mais aussi à l’échelle systémique.

La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Je vais poursuivre sur la lancée de la sénatrice Poirier pour essayer de trouver des solutions. Vous avez parlé de formation de personnel en soins de santé. Alors soit on forme des francophones qui iront travailler dans des zones où il y a une masse critique de francophones, soit on forme aussi des fournisseurs de soins de santé anglophones qui sont bilingues. Est-ce que vous pensez que c’est possible? Est-ce qu’il y a des solutions à portée de main?

Est-ce que vous avez constaté aussi dans certaines communautés, par exemple par rapport à cette importance des soins de santé et de l’accès aux soins de santé, que les gens quittent les communautés pour aller dans des centres plus francophones ou déménagent à la limite dans des régions de l’Acadie où il y a des hôpitaux et des écoles francophones? Viennent-ils au Québec ou dans le Nord de l’Ontario, où il y a des hôpitaux francophones?

M. Cénat : D’abord, c’est quelque chose qui nous a été dit dans plusieurs entrevues. Des personnes vont dire, par exemple : « Je suis venue habiter à Ottawa, parce que là où j’habitais, je ne pouvais pas recevoir des soins en français. » C’est une première chose.

Sur la question de la formation, il y a beaucoup de subtilités à comprendre. Ce n’est pas juste le fait de ne pas parler la langue, c’est ne pas parler la langue et le comportement vis-à-vis d’une personne qui ne parle pas notre langue. Quand vous êtes médecin, que vous ne parlez pas très bien français et que quelqu’un essaie de vous aborder en français, le regard que vous posez sur cette personne, la façon dont vous traitez la personne, c’est ce qui compte. Cela vous prendra peut-être un peu plus de temps pour écouter cette personne, ou vous direz peut-être à la personne : « Écoutez, madame, je ne pense pas que je vais comprendre tout ce que vous allez me dire, mais donnez-moi deux minutes, je vais appeler un collègue qui pourra mieux vous aider ou qui pourra m’aider à mieux vous comprendre », ou encore vous lui demanderez de parler plus lentement.

Il ne faut pas traiter la personne en disant que la personne parle une langue que l’on comprend difficilement et que cela justifie que l’on passe à autre chose ou que l’on traite mal cette personne. C’est de cela aussi qu’on parle. Il est vrai que la question de la formation ne traite pas uniquement de l’enjeu linguistique, mais également de la question de la discrimination — comment on traite quelqu’un qui ne parle pas une langue de la manière dont on souhaite que la personne parle cette langue. Certaines personnes vont essayer de parler en anglais. C’est bien, ce n’est pas exactement cela, mais on va avoir la patience qu’il faut et on va s’adresser à la personne pour la valoriser et humaniser les soins.

D’ailleurs, dans nos formations, il y a un module qui porte uniquement sur l’enjeu de la médication, sur le fait qu’il est important qu’il y ait une approche humaniste de la médication. Par exemple, parmi les personnes noires, il y a des francophones qui ne prennent pas leurs médicaments pour traiter leur problème de santé mentale, pas parce qu’elles n’ont pas envie de les prendre, mais parce que les médecins ne leur ont pas expliqué adéquatement comment le faire.

Le sénateur Dalphond : Est-ce qu’il y a d’autres commentaires de la part d’autres participants?

Le président : D’autres témoins aimeraient intervenir? Monsieur Sangaré?

M. Sangaré : Certainement. Juste un commentaire rapide pour corroborer tout ce qu’a dit le témoin précédent. On est passé devant le comité d’éthique, on a enregistré les immigrants francophones, et plusieurs nous disaient que juste le fait de ne pas pouvoir comprendre ce que le médecin disait était une source de stress.

Nous avons interviewé un ambulancier francophone qui nous a dit que quand il amenait les gens à Yarmouth, qui est une région anglophone, tant qu’il était présent, le patient se sentait relativement bien et sécurisé. Dès qu’ils arrivaient à l’hôpital, qu’il devait laisser le patient et que ce dernier comprenait que la seule personne francophone était partie, il sentait sa pression artérielle monter. La barrière linguistique, le fait de ne pas pouvoir bien exprimer de quoi on souffre et vice versa, soit ne pas comprendre le diagnostic, c’est une source de stress en soi.

Le président : Merci.

La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être avec nous, et surtout de parler de projets de recherche auxquels on pensait depuis longtemps. Enfin, on a quelques données.

Parmi les propositions que vous faisiez plus tôt, j’ai cru comprendre que si on augmentait le facteur éducation, cela aiderait. Est-ce que cela aiderait aussi si on augmentait la représentativité des communautés marginalisées au sein des établissements de soins de santé? Par exemple, s’il y avait plus de professionnels de la santé dans les hôpitaux qui parlent français? Peut-être est-ce un vœu pieux, mais j’aimerais vous entendre là-dessus. Sur le plan de la haute direction, cela changerait-il quelque chose, notamment pour ceux provenant du même milieu hospitalier? Est-ce qu’il faudrait une formation spéciale sur les enjeux en matière d’équité et d’inclusivité pour ces professionnels? J’aimerais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

Mme Etowa : Je vous remercie de votre question.

L’éducation est l’un des aspects de la résolution de ce problème complexe. Comme l’a souligné M. Cénat, il s’agit d’un problème systémique qui nécessite une approche systémique à plusieurs volets. L’éducation est une excellente chose, et nous fournissons quelques formations en fonction des données probantes que nous avons produites. La représentation est également une bonne chose, mais la représentation ne marque que le début de notre parcours vers la diversité, l’équité et l’inclusion.

Une fois que la représentation est assurée, nous avons également besoin de mesures de reddition de comptes pour examiner la manière dont les personnes sont intégrées dans les systèmes. Quelles sont les ressources accordées à ces personnes pour qu’elles fassent preuve de leadership et participent à la conception des programmes afin que leur voix soit vraiment prise en compte dans les pratiques et les lignes directrices que les gens suivent? Outre la représentation, nous avons besoin d’inclusion. En réalité, l’équité est le sommet ou l’apogée du travail que nous envisageons. La représentation est simplement synonyme de diversité. Ce n’est qu’un début. Nous devons en faire plus pour aborder les multiples niveaux.

Je tiens aussi vraiment à souligner qu’il faut des dirigeants noirs francophones pour s’attaquer à ce problème. Rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous. Comment peuvent-ils jouer un rôle de premier plan dans la conception de ce programme sans les formations que nous offrons actuellement?

De plus, comment pouvons-nous cibler les initiatives de renforcement des capacités de façon à ne pas nous concentrer uniquement sur ce que nous faisons pour le système, mais aussi sur ce que nous faisons pour la communauté? Il doit y avoir des interventions axées sur la communauté, la capacité des membres de la communauté à reconnaître où ils doivent exprimer leurs besoins et défendre leurs intérêts. Ils ont besoin de ressources pour y parvenir, en plus des ressources qui ciblent le système pour effectuer ce travail. Il s’agit d’une approche à plusieurs volets.

[Français]

M. Cénat : En plus du personnel, sans ces mesures, il serait extrêmement difficile de les retenir. C’est bien d’en avoir, mais regardez à quel point Montfort a de la difficulté à retenir les professionnels de la santé francophones. Cela nous donne la mesure du problème; il est important que l’environnement soit assaini pour que ces personnes puissent continuer d’occuper ces emplois.

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à Mme Etowa.

[Traduction]

Vous avez fait état des inégalités criantes qui existent entre les anglophones et les francophones. Vous avez parlé du VIH et des services offerts aux Canadiens noirs. Vous venez de dire, et ce point est important, que rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous. Dans quelle mesure le gouvernement est-il sensible à vos besoins? Quel type d’efforts sont déployés pour convaincre le gouvernement de fournir des services qui répondent à vos besoins, qui vous concernent et qui vous sont adaptés?

Mme Etowa : Merci. C’est une question très importante.

Au cours des quatre dernières années, nous avons constaté une différence sur le plan du financement des projets au sein de la communauté noire. M. Cénat et moi avons travaillé sur un certain nombre de projets financés par les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences humaines, ou CRSH, et l’Agence de la santé publique du Canada.

Nous réalisons actuellement des projets et nous cernons certains problèmes. Nous sommes également en train de créer des interventions. Mon laboratoire vient de lancer un programme de littératie en matière de race et de santé à l’intention des professionnels de la santé de l’Ontario, qui est financé par les Instituts de recherche en santé du Canada. Le lancement de ce programme critique a eu lieu le 2 avril. Nous avons procédé à la formation d’un certain nombre de personnes chaque semaine. Nous organisons des sessions de formation synchrones et asynchrones.

Nous réalisons des progrès, mais il reste encore beaucoup de travail à faire, notamment en ce qui concerne la manière dont nous gérons ces données. Nous recueillons maintenant les données. Quelle est la structure de gouvernance des données qui permettra aux Noirs d’avoir accès aux données en temps réel et de préconiser les changements dont ils ont besoin? Quelles sont les structures de reddition de comptes à envisager? Ces programmes ont été mis en œuvre. Font-ils la différence dans les différents contextes de soins de santé? Quels changements apportent-ils? Comment pouvons-nous étendre certaines de ces interventions qui font la différence? Nous continuons à travailler en étroite collaboration avec différents organismes gouvernementaux pour faire avancer ce dossier, mais le travail est en cours.

La sénatrice Moncion : Vous avez mentionné le CRSH.

Mme Etowa : Le Conseil de recherches en sciences humaines.

La sénatrice Moncion : L’argent provient du gouvernement fédéral. Vous avez également parlé des Instituts de recherche en santé du Canada et du programme, mais pas du gouvernement provincial.

Mme Etowa : En fait, le gouvernement provincial a financé ma chaire de recherche, le Réseau ontarien de traitement du VIH. Je viens de terminer mes recherches le 31 mars 2024. Elles portaient sur les femmes noires et le VIH en Ontario. Nous avons obtenu un financement supplémentaire des Instituts de recherche en santé du Canada pour étendre ce modèle à l’ensemble de l’Ontario afin de lutter contre le VIH chez les femmes noires. Je reçois donc également des fonds de la province.

Nous avons encore besoin de ressources, surtout au sein de la communauté elle-même. C’est ce qui ressort clairement de notre étude d’impact sur la COVID et de l’étude sur le VIH, où il est question du manque de ressources nécessaires au sein de la communauté pour produire les outils d’application des connaissances que nous produisons dans les deux langues. Nous manquons d’organisations qui servent véritablement les communautés francophone et anglophone. Nous devons renforcer les capacités de ces organisations afin qu’elles soient en mesure d’effectuer ce travail.

Nous sommes des chercheurs. Nous travaillons avec le Centre interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s. Toutefois, une fois que nous entamons cette recherche et que nous recueillons les données, nous avons besoin que quelqu’un les prenne et fasse du porte-à-porte afin d’effectuer les activités de défense des droits nécessaires pour poursuivre ce travail. En tant que chercheurs, nous pouvons les soutenir de loin, mais lorsque votre subvention est épuisée, vous ne pouvez plus faire du porte-à-porte et poursuivre ce travail.

[Français]

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à M. Cénat. Vous disiez que les gens préfèrent recevoir leurs services médicaux en anglais même s’ils sont francophones. J’ai de la difficulté à comprendre. Si un francophone est servi par un médecin francophone, pourquoi préférerait-il se faire servir en anglais?

M. Cénat : Pour mieux comprendre, s’ils peuvent recevoir de vrais soins de qualité en français, ils vont les recevoir en français. Lorsque cela se fait dans un français très approximatif et qu’ils peuvent parler en anglais, ils préfèrent s’exprimer en anglais. Cela les rassure de ne pas ressentir de mépris de la part du service et du personnel de la santé. Il y a un certain mépris, une certaine forme de discrimination à leur endroit dans le fait qu’ils parlent français. Ils préfèrent parler anglais s’ils le peuvent et s’assurent ainsi de recevoir de meilleurs soins.

La sénatrice Clement : Premièrement, merci aux quatre témoins. Merci surtout pour vos carrières. Nous sommes tellement fiers de vous avoir parmi nous et au Canada. Merci.

[Traduction]

Madame Etowa, vous avez dit quelque chose qui m’a vraiment frappée. Vous parliez de la séropositivité, des objectifs 90-90-90 et du fait que les Canadiens noirs sont laissés pour compte, ce qui aura pour conséquence de faire de cette maladie une maladie noire, ce qui entraînera d’autres problèmes. Vous en avez parlé dans le contexte de l’antiracisme. Nous avons une sénatrice, la sénatrice McCallum, qui a présenté une motion contre le racisme. Elle veut que nous envisagions d’ajouter un sixième pilier à la Loi canadienne sur la santé, un pilier antiraciste. Je me demande ce que vous en pensez.

Mme Etowa : Je vous remercie de votre question.

Ce n’est même pas drôle. C’est tellement important, car nous nous sommes battus pour cela pendant toute ma carrière au Canada. Depuis 30 ans, nous demandons pourquoi le racisme n’est pas reconnu comme un déterminant de la santé. Pourquoi n’en faisons-nous pas l’un des piliers? Tout comme les Instituts de recherche en santé du Canada comptent des instituts qui traitent des hommes et des femmes, pourquoi n’avons-nous pas d’institut qui lutte contre le racisme? Le racisme nuit à la santé de nombreux Canadiens.

Oui, il est temps que le racisme soit reconnu comme un déterminant de la santé. Combiné à d’autres facteurs, le racisme crée de nombreux problèmes pour de nombreux Canadiens et personnes racisées au Canada. Qu’il s’agisse de la migration, du sexe ou de l’éducation, ces facteurs ne font qu’aggraver le problème, de sorte qu’il devient difficile de les distinguer les uns des autres. Lorsque je marche dans la rue et que quelqu’un me voit, je ne sais pas si certaines des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, même en tant que professionnels, sont dues au fait que je suis une femme ou à la couleur de ma peau. Je pense que c’est un pas dans la bonne direction qui n’a que trop tardé.

La sénatrice Clement : Je vous remercie d’avoir intégré votre expérience vécue dans votre profession. Je sais à quel point c’est difficile.

[Français]

Monsieur Cénat, votre collègue a dit que vous faisiez de la recherche et de la science, mais vous avez vraiment besoin que cette science soit efficace pour les communautés.

Nous ferons des recommandations dans notre étude, et j’aimerais savoir ce que vous voudriez voir dans nos recommandations. Comment se passent les partenariats avec les agences communautaires? Que manque-t-il? Que devrait-on ajouter dans nos recommandations entourant cette question? Je sais que vous travaillez auprès des jeunes et que vous faites différents travaux avec différents groupes, mais il y a un manque de ressources. Comment ajouter cela dans une recommandation?

M. Cénat : La première chose qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a un problème de réception. C’est peut-être cela qui pourrait changer la donne au Canada.

Il y a un problème de réception. Par exemple, on a développé une formation sur les manières de fournir des soins de santé mentale antiracistes. La formation a tout de suite été implantée aux États-Unis, y compris dans les hôpitaux publics de New York. Jusqu’à maintenant, nous nous battons pour trouver des hôpitaux au Canada qui veulent les implanter.

La sénatrice Clement : Alors, ce n’est pas du tout implanté?

M. Cénat : Présentement, nous avons un projet avec le Royal d’Ottawa, l’Hôpital Montfort et deux autres services pour implanter cette formation, mais il y a une vraie résistance sur ces enjeux, que ce soit les enjeux de la langue ou les enjeux liés à la discrimination raciale.

J’ai parlé plus tôt de l’étude sur la discrimination raciale dans les soins de santé. Ces personnes présentent plus de dépressions, plus de troubles de stress post-traumatique, plus d’anxiété et elles ont moins confiance dans les vaccins. Celles qui ont vécu de la discrimination raciale dans les soins de santé sont les personnes les moins vaccinées.

Il faut trouver un moyen pour que les services de santé soient dépourvus de racisme. Cela semble être un vœu pieux de le dire de cette manière, mais il faut trouver un moyen pour que tous ceux qui sortent des universités et des collèges reçoivent la formation adéquate pour qu’une personne ne soit pas discriminée sur la base de sa langue parlée, de sa couleur de peau ou de son statut migratoire.

Il faut trouver un moyen pour que toutes les personnes qui fournissent des soins et toutes les institutions s’assurent qu’aucune personne qui entre dans leur institution ne sera victime de discrimination raciale, car cette personne qui vient recevoir des soins perd confiance. Lorsque cette personne perd confiance, la chose qu’il faut retenir — aujourd’hui, on parle de COVID-19, mais ce pourrait être le virus Ebola, par exemple —, c’est qu’une personne qui n’est pas vaccinée est un danger de santé publique pour toute la population.

Le racisme pose problème pour les personnes qui vivent du racisme, mais pas seulement pour elles; comme dans le cas de la COVID-19, et cela a été prouvé, cela pose également un problème pour la santé de toute la population. On gagnerait tous à vivre dans une société antiraciste.

Le sénateur Aucoin : J’aimerais poser mes questions aux témoins, M. Sangaré et surtout M. Liboy; elles concernent les résultats que vous avez eus en Nouvelle-Écosse.

Tout d’abord, j’aimerais vous entendre — ce qu’ont dit les collègues de l’Ontario est très intéressant et je vous en remercie — sur ceci : avez-vous la même impression en Nouvelle-Écosse? En Nouvelle-Écosse, il y a une communauté noire importante à Halifax, qui date peut-être de la guerre civile aux États-Unis, mais j’aimerais vous entendre sur ces deux points, si possible.

M. Sangaré : La Nouvelle-Écosse est assez petite, alors je connais bien Chéticamp.

J’aimerais d’abord dire que certaines choses s’appliquent évidemment à la Nouvelle-Écosse. Quand on regarde la région d’Halifax, avec tout ce qui s’est passé à Africville, les anglophones font face à des barrières systémiques. Je dirais que pour les francophones, c’est beaucoup plus récent et c’est peut-être plutôt attribuable à des barrières culturelles, soit la barrière linguistique. J’habite à Pointe-de-l’Église et j’ai accès à des services en français, mais une personne francophone qui habite à Halifax, à Truro ou à Sydney n’a pas accès à ces services en français.

Je vais laisser M. Liboy répondre, puisque le temps file, mais je vais répondre aussi à une question posée beaucoup plus tôt, pour savoir si former les gens fait la différence. La réponse est oui, mais il faut s’assurer que les gens représentent la population.

On a un programme avec le Consortium national de formation en santé, ou CNFS, avec lequel nous formons des jeunes francophones acadiens qui étudient à l’Université de Sherbrooke et à l’Université de Montréal et qui reviennent travailler dans leur communauté. On est peut-être une des seules parties du Canada où il n’y a pas de pénurie de médecins qui offrent des services en français. Je parle du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse qui a accès à ce service.

Maintenant, il faut s’assurer que, dans ce programme aussi, on pourra avoir des infirmiers et des médecins qui reflètent la nouvelle réalité de la région.

La réalité des francophones pour nous, c’est d’abord la barrière linguistique, et à cela s’ajoute tout le reste. Une fois que vous sortez d’ici et de Chéticamp, partout ailleurs, la barrière est d’abord linguistique, puis il y a les autres facteurs qu’ont mentionné mes collègues.

M. Liboy : Je vais juste confirmer ce que mes collègues ont dit. Il est important de former des personnes francophones pour travailler dans le système de santé. Il n’y en a pas beaucoup.

Si vous regardez nos sondages, nous avions posé des questions pour savoir si les gens avaient été servis en français. Soixante-cinq pour cent des gens ont dit non. Il n’y a personne pour les servir en français dans nos régions. Parfois, on a également des problèmes culturels. Les francophones qui viennent d’ailleurs ont une façon de communiquer qui est différente de la façon dont les gens s’expriment ici. Vous pouvez trouver des infirmiers acadiens, ils peuvent parler la même langue, mais ils ne se comprennent pas. Donc, il faut des gens qui représentent la nouvelle population qui arrive dans la province, des gens issus de l’immigration, des francophones de l’Afrique qui peuvent travailler dans le système de santé, bien qu’il ne soit pas facile pour eux d’avoir un poste pour travailler dans la province.

On peut en arriver à la même conclusion que les études qui ont été menées par le professeur Cénat en Ontario et dans les provinces de l’Ouest.

Le président : Il nous reste peu de temps, mais je vais quand même poser une question.

En fait, quand on parle des services de santé dans la langue de la minorité, c’est comme pour d’autres secteurs. Évidemment, les provinces qui livrent les services, ce sont des enjeux dont on entend beaucoup parler ce soir. On cherche à comprendre comment le gouvernement fédéral peut mieux soutenir les provinces et les territoires pour la livraison des services. Considérez-vous, vous qui faites de la recherche, que Santé Canada prend suffisamment en compte les besoins en matière de collecte de données désagrégées, pour obtenir des données plus précises sur les besoins des différentes communautés vulnérables dont nous parlons ce soir?

Ma deuxième question est la suivante: est-ce que la Loi canadienne sur la santé devrait inclure un engagement spécifique en matière de langues officielles, puisque ce n’est pas le cas actuellement? Est-ce que la Loi canadienne sur la santé devrait inclure quelque chose de très spécifique sur la responsabilité en matière de langues officielles? Mes questions s’adressent à nos quatre témoins.

Si vous répondez rapidement, je pourrai donner la parole à la sénatrice Moncion pour une deuxième ronde de questions.

M. Cénat : Ce sont deux piliers à ajouter; la question du racisme et de l’antiracisme, mais aussi la question de la langue.

Il y a tout un mouvement sur la question du racisme qui fait son chemin. Pour Santé Canada, la réponse est non; pas seulement pour Santé Canada, mais également pour Statistique Canada. On attend les résultats de la dernière enquête qui auraient dû sortir il y a très longtemps déjà.

La réponse est non, car en général, on obtient ces informations en croisant plusieurs données. Ces études ne sont pas faites. Si elles étaient faites, on aurait déjà les données; en plus d’avoir les données, on aurait pu agir plus rapidement pour répondre aux besoins des francophones en situation minoritaire.

[Traduction]

Mme Etowa : Je voudrais ajouter quelque chose à la réponse à la première question concernant les données désagrégées fondées sur la race. Il y a une autre raison pour laquelle je suis en faveur d’une réponse négative : la conception de la collecte systématique de ces données. Nous essayons encore de déterminer exactement ce qui fonctionnera pour le Canada compte tenu de notre système de santé universel. Nous ne sommes pas exactement comme les États-Unis. Nous utilisons beaucoup de données et de méthodes américaines. Nous essayons encore de déterminer exactement comment concevoir des méthodes qui permettront d’extraire les données fondées sur la race au Canada. Nous avons commencé à recueillir des données, mais nous ne disposons pas encore de ces données. Il s’agit encore d’un travail en cours.

[Français]

M. Liboy : Le gouvernement fédéral devrait légiférer pour les lois traitant de la langue. Il faut que ce soit obligatoire. Nous sommes en Nouvelle-Écosse. C’est une province unilingue anglophone. Les médecins ne sont pas obligés d’offrir des services en français. De plus en plus de francophones habitent dans la région. Les étudiants internationaux arrivent, tombent malades et ne savent pas comment se faire soigner dans leur langue. Le gouvernement du Canada devrait faire un geste en ce sens.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Moncion : Je voulais juste savoir s’il y avait des endroits dans le monde qui pourraient servir d’exemples afin que l’offre de services soit plus accessible à une diversité de gens. Est-ce qu’il y a un endroit dans le monde qui est un exemple de services offerts à la diversité, surtout dans le domaine médical?

M. Cénat : J’ai un seul exemple en tête, et il y a beaucoup de problèmes. Il s’agit des personnes d’origine latino-américaine aux États-Unis. Dans certains États, ces personnes ont accès à des services en espagnol. Là encore, je lis certaines études et il y a plein de problèmes qui se posent. J’ai envie de dire ceci : essayons d’innover pour avoir un modèle canadien qui fonctionne. C’est possible. Ce ne sont pas des choses impossibles. Il faut d’abord se dire que la personne en face de nous est humaine et mérite d’être prise en charge comme une personne, peu importe sa couleur de peau ou sa langue. On devrait s’assurer que nos médecins et nos infirmières ne sortent pas de nos universités plus racistes qu’ils y rentrent. J’ai bien peur que ce soit le cas aujourd’hui.

[Traduction]

Mme Etowa : Je voulais ajouter que l’une des mesures que nous prenons consiste à sélectionner les pratiques exemplaires de différents pays et à essayer d’y intégrer nos propres interventions adaptées au Canada, c’est-à-dire à choisir les pratiques exemplaires de différents endroits et à les regrouper au Canada.

Le président : Monsieur Liboy, madame Etowa et monsieur Cénat, je vous remercie d’avoir comparu devant le comité.

[Français]

Merci beaucoup pour votre participation, vos commentaires et vos réflexions. Votre expertise va nous aider dans notre étude.

[Traduction]

Nous accueillons en présentiel maintenant Julia Chai, étudiante en médecine à l’Université de Calgary; Ada L. Sinacore, membre du conseil d’administration de Gay et gris Montréal et professeure à l’Université McGill, spécialisée dans les questions de genre et de sexualité; et Annie Pullen Sansfaçon, professeure titulaire, École de travail social, Université de Montréal, ancienne titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles et titulaire actuelle de la chaire de recherche du Canada sur la recherche partenariale et la responsabilisation des jeunes vulnérabilisés. Nous accueillons par vidéoconférence Gail Ann Knudson, professeure de médecine à l’Université de la Colombie-Britannique. Bienvenue. Nous vous remercions d’être parmi nous. Nous allons commencer par votre déclaration liminaire.

Julia Chai, étudiante en médecine, Université de Calgary, à titre personnel : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invité à m’adresser au Comité ce soir sur ce sujet crucial.

Je m’appelle Julia Chai, et je suis étudiante en médecine à l’Université de Calgary et je vais devenir médecin-résidente à l’Université de Colombie-Britannique.

Une communication efficace entre un patient et le fournisseur de soins est la pierre angulaire de la prestation d’excellents soins de santé. En médecine, nous décrivons souvent les antécédents ou la compréhension de l’histoire des symptômes et des expériences à l’origine du problème présenté par un patient comme la pièce maîtresse pour poser des diagnostics précis et orienter les plans de gestion. Lorsque la communication est perturbée ou affectée dans le contexte des soins de santé, par exemple en raison d’une barrière linguistique, les résultats sont moins bons pour le patient. Les recherches ont montré que les différences linguistiques dans les soins de santé ont un impact négatif sur la précision de l’évaluation et du diagnostic du patient, ce qui a une incidence sur la prise de décision en matière de traitement, ainsi que sur la compréhension commune des conditions et l’observance du traitement.

Cela ne se limite pas aux soins médicaux et palliatifs, cela touche également les programmes de littératie en matière de santé, de promotion de la santé et de prévention. Les barrières linguistiques sont également liées à un risque accru pour la sécurité des patients, notamment en ce qui concerne les médicaments administrés par erreur, la capacité à obtenir un consentement éclairé, la protection des renseignements personnels et de la confidentialité des patients, ainsi que la durée accrue des séjours à l’hôpital.

En 2020, dans le cadre du LEVEL Youth Policy Program de la Vancouver Foundation, j’ai rédigé un mémoire stratégique qui examine l’importance des barrières linguistiques et leurs répercussions sur la qualité et l’accessibilité des soins de santé, en particulier pour les communautés d’immigrants racisés puisque ces groupes, ainsi que les communautés autochtones, sont souvent touchés de manière disproportionnée par ce problème. Il existe également un phénomène connu dans la littérature sous le nom d’effet de l’immigrant en bonne santé. Les recherches ont montré que les immigrants, à leur arrivée au Canada, sont en meilleure santé que les populations nées au Canada, mais que leur état de santé se dégrade fortement au fil du temps pour devenir pire que celui de la population générale.

On ne peut ignorer l’importance cruciale de la concordance des langues dans la prestation des soins de santé. Un des moyens efficaces utilisés par les services de soins de santé pour tenter de combler ce fossé est la disponibilité et l’utilisation de services d’interprétation linguistique, dont il a été démontré qu’ils améliorent considérablement la communication entre un patient et un fournisseur de soins. Cependant, la disponibilité de ces services n’est pas constante, car les services d’interprétation sont souvent plus accessibles dans les milieux riches en ressources comme les hôpitaux et ne sont pas toujours accessibles dans les milieux externes comme les cliniques ou les zones rurales.

En milieu clinique ou hospitalier, on voit souvent des patients qui sont incapables de s’exprimer dans une langue officielle comme l’anglais ou qui ont des difficultés à le faire et qui sont accompagnés à leurs rendez-vous par des membres de leur famille ou d’autres personnes qui leur servent d’interprètes. Cependant, cela nuit parfois à la précision de la traduction et les effets du manque d’impartialité et des barrières culturelles peuvent nuire à la qualité des soins.

Il est également important de noter que les rencontres ou les rendez-vous avec des patients qui nécessitent des services d’interprétation prennent généralement plus de temps, ce qui est nécessaire, et qu’il est essentiel de veiller à ce que ces patients soient quand même priorisés tout en maintenant un volume adéquat de patients dans un milieu clinique très occupé. Les médecins ne doivent pas se sentir bousculés lorsqu’ils travaillent avec ces patients afin de préserver la qualité des soins qu’ils prodiguent.

Outre la traduction, un autre élément clé de l’amélioration des soins de santé dans les communautés mal desservies consiste à diversifier nos stagiaires en médecine pour qu’ils représentent les communautés que nous servons, y compris sur le plan des races et des origines ethniques, et à veiller à ce que les compétences culturelles soient bien intégrées dans le programme d’études médicales pour la formation de la prochaine génération de médecins.

Dans l’ensemble, la concordance des langues est un aspect essentiel de la prestation de soins de santé de qualité au Canada qui nécessite une solide prestation des services d’interprétation et des soins adaptés à la culture et une bonne accessibilité à ces services et ces soins, en particulier pour les communautés mal desservies.

Merci.

Le président : Merci.

Ada L. Sinacore, membre du conseil d’administration, Gay et gris Montréal : Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui.

Je suis ici pour parler des aînés 2ELGBTQIA+. Je définis les aînés comme les personnes âgées de 60 ans et plus.

Les aînés queers anglophones du Québec courent au moins trois risques lorsqu’ils tentent d’accéder aux soins de santé. En effet, ils sont confrontés à l’âgisme, à la discrimination envers les transgenres ou à l’homophobie, ainsi qu’à des obstacles linguistiques. De plus, si ces personnes appartiennent à d’autres groupes marginalisés ou racisés ou si elles ont un handicap, elles font l’objet d’encore plus de discrimination. Par ailleurs, les aînés 2ELGBTQIA+ peuvent avoir été soumis à des thérapies de conversion, ce qui leur cause un préjudice psychologique qui les fait souvent hésiter à se faire soigner. Les systèmes oppressifs et la discrimination provoquent un stress des minorités chez les populations queers, ce qui a un impact négatif sur la santé physique et mentale et entraîne un manque de confiance dans les systèmes de santé et les fournisseurs de soins.

Il est important de souligner que les membres des communautés 2ELGBTQIA+ ne peuvent être considérés comme homogènes, car les différentes populations sont confrontées à des défis divergents et il existe des écarts d’âge dans la manière dont les personnes ont relevé ces défis. Par exemple, les personnes bispirituelles ont des besoins complexes et particuliers compte tenu de l’histoire de la colonisation et du rôle du système de santé à cet égard.

Les homosexuels ont été fortement touchés par l’épidémie du sida dans les années 1980 et 1990, et certains d’entre eux sont séropositifs et peuvent l’être depuis très longtemps. Par conséquent, ils peuvent hésiter à accéder aux soins de santé par crainte d’être maltraités en raison de leur séropositivité. Les lesbiennes aînées ont également été victimes de mauvais traitements par le passé et peuvent hésiter à révéler leur orientation sexuelle en raison d’antécédents de soins gynécologiques médiocres et de jugements portés sur le bandage de la poitrine.

En ce qui concerne les personnes transgenres et les personnes de diverses identités de genre, le système de santé a contrôlé leur processus de transition. Au Québec, avant 2015, une chirurgie au bas du corps était nécessaire pour changer de marqueur de genre. Par conséquent, il se peut que les aînés trans et de diverses identités de genre aient été victimes d’une stérilisation forcée et qu’ils s’inquiètent donc d’avoir accès à des soins adéquats. Les personnes qui ont effectué une transition ou qui sont en cours de transition depuis qu’elles ont atteint l’âge de 60 ans ont une expérience différente; toutefois, l’âgisme peut être un problème lorsqu’elles cherchent à obtenir des soins d’affirmation de genre.

Non seulement les antécédents de discrimination et de mauvais traitements de la part des fournisseurs de soins de santé font en sorte que les personnes queers hésitent à se faire soigner, mais les fournisseurs sont souvent mal équipés pour fournir des soins appropriés. Au Canada, 50 % des fournisseurs de soins de santé affirment n’avoir jamais reçu de formation pour travailler avec les communautés LGB et 60 % disent n’avoir jamais reçu de formation pour travailler avec les personnes transgenres ou de diverses identités de genre.

En outre, la langue constitue un obstacle majeur à l’accès aux soins au Québec. Le 11 mars 1996, Lucien Bouchard, qui était alors premier ministre du Québec, a déclaré de façon notoire aux Québécois anglophones : « Quand vous allez à l’hôpital et que vous souffrez, vous avez peut-être besoin d’un test de sang, mais certainement pas d’un test linguistique. » Cette citation demeure vraie près de 30 ans plus tard, alors que les problèmes liés aux droits d’accès des minorités linguistiques aux soins de santé restent largement problématiques.

Bien que les taux de bilinguisme français-anglais augmentent chez les jeunes, les personnes âgées de 50 ans et plus ont les compétences les plus faibles en français et ont donc du mal à s’y retrouver dans les services de santé lorsqu’il n’y a pas de personnel bilingue capable d’offrir un soutien en anglais.

De récentes lois provinciales en matière de langue et de soins de santé ont suscité des inquiétudes au sein de notre communauté quant à l’accès aux services gouvernementaux. L’obligation de fournir des services uniquement en français et la centralisation du système de santé nous inquiètent. La suppression proposée des comités locaux de clients et d’utilisateurs nuira à la surveillance et à la protection des services en anglais.

Alors que ces changements se concrétisent, nous avons également constaté une augmentation du nombre de problèmes liés au manque d’informations en anglais sur la santé et la prévention en matière de santé, des difficultés de communication avec les administrations publiques et un manque de personnel bilingue dans les établissements de santé et de soins à domicile. Si le lieu de résidence d’une personne se trouve en dehors d’une zone réputée avoir des services bilingues, la situation ne fait qu’empirer.

Si la population dans son ensemble est préoccupée par les listes d’attente pour des services de soins de santé, la recherche de services bilingues qui sont à la fois adaptés aux aînés et aux personnes queers exacerbe la situation, en particulier dans les régions situées à l’extérieur de Montréal. Les temps d’attente pour des interventions non urgentes sont inacceptables et, en réalité, découragent notre population de prendre des mesures pour traiter les problèmes de santé à un stade précoce.

L’accès aux soins de santé est un processus à plusieurs volets qui touche une variété de perspectives, de niveaux et de contextes intersectionnels. Pour une communauté linguistique minoritaire, il est impératif que les droits d’accès soient protégés. Pour une communauté queer, aînée et linguistique minoritaire, il est primordial d’informer la communauté et de promouvoir l’accès aux soins.

En conclusion, les divers besoins en matière de soins de santé des communautés d’aînés 2ELGBTQIA+ méritent que le gouvernement y porte une attention particulière, surtout si l’on tient compte des mauvais traitements subis par ces populations dans le passé. Cependant, l’intersectionnalité de l’accès aux services en anglais et du fait d’être un aîné queer crée une situation intenable pour les aînés 2ELGBTQIA+ qui ont besoin de soins d’affirmation d’âge, de genre et de sexualité appropriés et compétents.

Merci.

Le président : Merci.

[Français]

Madame Pullen Sansfaçon, la parole est à vous.

Annie Pullen Sansfaçon, professeure titulaire, École de travail social, Université de Montréal, ancienne titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles, à titre personnel : Merci beaucoup. Je m’excuse, je sors d’une laryngite, alors ma voix est un peu rauque. Merci de l’invitation. Je vais vous parler précisément aujourd’hui des jeunes trans et non-binaires. Je vais parler aussi des jeunes qui ont discontinué des transitions, ainsi que des jeunes bispirituels, qui sont à l’intersection de la transitude. Nous n’avons pas beaucoup de données sur la langue en matière de services à cette population; je vais donc faire de mon mieux à cet effet et je parlerai souvent du contexte québécois — soit les anglophones en contexte minoritaire, juste pour préciser. En effet, on a fait une recherche qui nous a permis de voir des choses intéressantes.

Premièrement, je dirais que les jeunes trans et non-binaires vivent des situations d’adversité particulières et importantes. Ils sont plus à risque de suicide, d’automutilation ou de problèmes de santé mentale graves.

Ce n’est pas parce que ce sont des jeunes qui ont des problèmes individuels, mais ils vivent beaucoup de transphobie et de violence dans la vie de tous les jours; ils ont souvent des expériences qu’on appelle l’incongruence de genre, qui est une situation qui fait en sorte que la personne sent qu’elle vit une incongruence entre son identité et son sexe assigné à la naissance.

La raison pour laquelle je vous explique cela, c’est parce que ces jeunes ont des besoins spécifiques et importants sur le plan de la santé et des services sociaux. Donc, on se doit d’avoir des services qui répondent à leurs besoins.

Je ne vais pas m’étendre trop longtemps sur la spécificité des jeunes trans et non-binaires, mais comme c’est le cœur de ce que je présente aujourd’hui, je voulais que vous compreniez bien les enjeux que ces jeunes vivent.

Lorsqu’on parle de jeunes qui interrompent leur transition, ils ont également des besoins, dans le sens où s’ils arrêtent un médicament qu’ils ont pris pour une transition de genre, souvent, on le voit dans les recherches, ils le font sans avoir accès à un médecin. Donc, il y a des enjeux importants ici.

Quand on parle des jeunes bispirituels, il y a d’autres enjeux. Ces jeunes vont vivre aussi un problème de sécurisation culturelle. Donc, tout cela va s’ajouter à la langue parlée. Il y a vraiment plusieurs enjeux.

Sur le plan des services, on voit que ces jeunes ont peur d’être stigmatisés. Les jeunes personnes trans et non-binaires, de façon générale, vont vivre des problèmes dans les services de santé par rapport au mégenrage. On parle ici de la manière dont on s’adresse à ces jeunes. Par exemple, si une personne s’identifie comme un homme et qu’on l’appelle par un pronom féminin, il y a déjà beaucoup d’enjeux qui vont dresser des barrières dans l’accès aux services.

Selon une recherche effectuée au Québec, 24 % de ces jeunes se sont fait mégenrer en allant chercher des services. Cela fait souvent en sorte qu’ils n’ont plus envie de le faire. Pour ce qui est du français, la langue est très genrée. Donc, on a le choix d’être féminin ou masculin. On n’accepte pas encore les néologismes. C’est donc difficile pour les jeunes qui ont une identité non-binaire, donc entre garçon et fille, car ces personnes se font constamment mégenrer. Ils ont de la difficulté à s’exprimer, puisque les adjectifs qualificatifs sont souvent masculins ou féminins; c’est donc très difficile pour ces jeunes.

Si je vous parle d’information par rapport à la langue plus spécifiquement, c’est parce qu’on a fait une analyse d’un sous-échantillon au Québec. C’est une enquête nationale qui a été menée à travers le Canada, mais on a réussi à sortir des données juste pour le Québec. On avait 220 jeunes. Dans cette population de jeunes, il y avait plus de jeunes qui étaient non-binaires et qui s’expriment en anglais que dans les populations francophones. Vous vous demandez sans doute pourquoi. Normalement, on devrait avoir le même genre de population anglophone et francophone. C’est quelque chose que l’on remarque et c’est probablement parce que ces jeunes n’ont justement pas les mots pour s’exprimer. Ce sont peut-être de jeunes francophones qui ont répondu à l’enquête en anglais, de peur de ne pas être capables d’exprimer leurs besoins correctement. C’est une première chose que l’on voit.

On voit également dans la même étude que les jeunes anglophones ont plus de réticences, de difficultés et de souci à exprimer leurs besoins à leur médecin. On voit qu’il y a quelque chose qui est lié à la langue. C’est probablement parce que les services de santé ne sont pas offerts dans les deux langues officielles partout; ils le sont surtout en français au Québec.

Quand on se déplace dans les régions, c’est encore plus difficile d’accéder à des soins de santé en langue anglaise. C’est important de le redire : les jeunes trans et non-binaires ont besoin de s’exprimer dans les deux langues, puisque d’une part, ils font souvent leur coming out en anglais, parce que la littérature et les informations viennent du monde anglophone. Ils vont donc commencer à se penser en anglais avant d’être capables de s’exprimer en français. On voit dans les recherches que certains vont utiliser des termes en anglais, comme they, them, mais en français, ils vont dire « il » ou « elle ». Donc, ils ne seront pas capables d’utiliser leur pronom non genré dans les deux langues.

En conclusion, nos jeunes trans et non-binaires ont des besoins spécifiques en matière de langue. C’est important d’être en mesure d’offrir les soins d’affirmation du genre et des soins généraux dans les deux langues, même si ce sont de jeunes francophones, car ils ont appris à se penser dans les deux langues. C’est également important d’encourager le plus possible les praticiens en matière de santé et de services sociaux à utiliser des néologismes et à utiliser un langage non genré pour que ces jeunes soient en mesure d’avoir accès à des soins plus efficacement.

Le président : Merci pour cette déclaration.

[Traduction]

Dre Gail Ann Knudson, professeure de médecine, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Aujourd’hui, j’aimerais discuter du sujet davantage d’un point de vue clinique que d’un point de vue de recherche. Je m’appelle Gail Knudson et j’utilise le pronom « elle ». Je suis professeure clinique à l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. D’ailleurs, je m’adresse à vous depuis Victoria. Je travaille là-bas depuis 25 ans, ainsi qu’à la Vancouver Coastal Health. J’ai travaillé comme psychiatre consultant et j’ai travaillé dans le domaine des soins de santé aux transgenres, des soins de santé aux trans et aux personnes de diverses identités de genre, ainsi que de la médecine sexuelle.

Depuis plusieurs années, ma pratique consiste principalement de services de télésanté parce que, comme l’ont dit les intervenants précédents, les collectivités rurales et éloignées manquent d’accès à des soins d’affirmation de genre. J’ai pu faire appel à des interprètes lorsque je parlais à des personnes dont l’anglais n’était pas leur langue maternelle. Ces services d’interprétation sont fournis par la Vancouver Coastal Health.

Comme l’a dit Mme Chai plus tôt, si nous parlons aux patients dans la langue qu’ils préfèrent, cela permet d’établir des liens et un climat de confiance et de garantir la capacité de traitement. Cependant, il se peut que les professionnels de la santé ne possèdent pas cette compétence linguistique et que des services d’interprétation soient nécessaires. Par exemple, j’utilise généralement les services d’un interprète. Dans ce cas, je souhaite m’entretenir avec l’interprète avant de fixer un rendez-vous avec le patient afin de discuter de son travail sur les compétences trans et de savoir s’il possède des compétences dans ce domaine.

De plus, lorsqu’une personne se présente pour recevoir des soins pour la première fois, il faut s’assurer que son interprète n’est pas le membre de sa famille qui l’accompagne. C’est très important, comme le disait plus tôt Mme Pullen Sansfaçon. Il y a parfois de la discrimination au sein de la famille, qui fait en sorte que la personne pourrait ne pas être franche. En outre, il est important d’expliquer ce qu’est la confidentialité et de s’assurer que l’interprète que la personne utilise ne parlera pas à d’autres membres de sa communauté. Parfois, cependant, les gens se trouvent dans une situation où la famille les soutient beaucoup; c’est alors à eux de décider s’ils veulent faire appel à un membre de leur famille comme interprète.

Il est important de savoir que l’information — comme l’a dit Mme Etowa dans le groupe de témoins précédent — sur les soins d’affirmation de genre peut ne pas être aussi largement disponible dans les communautés dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. Il faut être au fait des services qui sont offerts et des ressources qui ont été traduites.

Il est également important de savoir si la personne fait partie d’une communauté religieuse qui n’approuve pas ou ne reconnaît pas les personnes transgenres. Pour fournir de bons soins d’affirmation de genre, il convient aussi de connaître les antécédents religieux de la personne, de savoir si elle pratique une religion en particulier.

Il faut également laisser beaucoup de place aux questions, car les connaissances pourraient ne pas être accessibles dans la communauté de la personne qui vient chercher des soins. Il faut aussi expliquer les prochaines étapes. Cela nous ramène à mon premier point concernant la capacité de consentir à un traitement: la personne comprend-elle les risques et les avantages associés au traitement médical qu’elle cherche à obtenir?

En conclusion, la langue est un déterminant important de la santé, et il est essentiel que nous fournissions cet accès aux gens afin qu’ils reçoivent les meilleurs soins d’affirmation de genre. Merci.

Le président : Merci, Dre Knudson. Nous allons maintenant passer aux questions des députés. La limite est de cinq minutes pour les questions et les réponses.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci à nos invitées pour leurs présentations; c’était très intéressant. Ma première question s’adresse à Mme Chai. Cela m’a surpris quand vous avez dit que les gens sont en meilleure santé lorsqu’ils arrivent au Canada et que leur santé se détériore plus tard. Est-ce en partie à cause de la langue? Est-ce que la situation des gens qui arrivent au Canada, qui parlent soit le français ou l’anglais, se détériore un peu moins, ou est-ce la même chose pour tous les gens qui arrivent, nonobstant la langue?

[Traduction]

Mme Chai : D’après ce que je comprends de la recherche actuelle sur l’effet de « l’immigrant en bonne santé », tout d’abord, comme vous l’avez mentionné, les immigrants ou les nouveaux arrivants au Canada sont généralement en meilleure santé à leur arrivée. On a déterminé que c’est probablement en raison du processus d’immigration et du processus de sélection, qui visent à sélectionner un certain groupe de personnes susceptibles de contribuer au Canada et à accueillir des immigrants en meilleure santé dès le départ.

Oui, on a également établi que la barrière de la langue contribue à ce déclin marqué par rapport à la population née au Canada. D’après la recherche, d’autres facteurs contribuent aussi à ce déclin, notamment l’adversité accrue, le stress accru qui accompagne habituellement l’immigration et la capacité de naviguer dans un nouveau système et un nouvel environnement. En ce qui concerne les immigrants qui parlent l’anglais ou le français, je ne sais pas trop s’il existe des recherches au Canada ou ce que dit la littérature, mais oui, la barrière de la langue elle-même a été désignée comme un obstacle à l’accessibilité et à la qualité des soins de santé que les immigrants reçoivent habituellement.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Ma question s’adresse à Mme Pullen Sansfaçon ou à la Dre Knudson. Est-ce que les ressources sont suffisantes? Est-ce que Santé Canada devrait en faire plus pour appuyer ces communautés, ou les groupes de ressources et les groupes communautaires?

Mme Pullen Sansfaçon : Les ressources sont insuffisantes. Nous n’avons pas suffisamment de cliniques. Les jeunes ont accès aux soins généraux, des soins en matière de santé et services sociaux, mais ils ont aussi besoin de soins spécialisés pour les soins d’affirmation du genre, pour obtenir des bloqueurs d’hormones, pour avoir de l’hormonothérapie, et cetera. Souvent, il n’y en a pas beaucoup et ces soins sont situés dans les villes. Les jeunes de l’extérieur de Montréal, par exemple, sont obligés de voyager plusieurs kilomètres pour obtenir des soins. Non, ce n’est pas suffisant.

Le dernier recensement montrait que 0,79 % des jeunes étaient trans et non-binaires. Donc, c’est presque 1 %, et cette statistique est conservatrice. Lorsqu’on regarde les métanalyses partout dans le monde, c’est plutôt environ 2,1 %, car ce sont les parents qui répondent aux recensements. C’est probablement la raison pour laquelle nous en avons moins.

Il est important d’avoir accès à ces soins qui sont vitaux, car ce n’est pas un choix d’être trans. Quand on veut affirmer son genre avec de l’hormonothérapie, il est important d’y avoir accès. Cela a un impact positif sur le bien-être de ces jeunes, si c’est un besoin, parce que ce ne sont pas tous les jeunes qui auront besoin de soins médicaux. Les soins en services sociaux sont extrêmement importants. Je ne peux pas parler de tout le Canada, car je ne connais pas la situation partout, mais au Québec, il est très difficile d’y avoir accès. Donc, oui, il faut plus de soins.

La sénatrice Poirier : Merci d’être ici.

[Traduction]

J’ai quelques questions à poser. Nous savons que la barrière de la langue est un problème pour tout le monde en situation minoritaire, mais nous avons aussi entendu de la part de différents groupes que nous avons rencontrés qu’il y a d’autres obstacles en plus des problèmes linguistiques, qui touchent certains groupes et certaines communautés qui semblent éprouver des difficultés qui dépassent la simple question de la langue.

Cette question s’adresse à tous ceux qui veulent y répondre. Sachant que les soins de santé sont fournis par les provinces, à votre avis, quel rôle le gouvernement fédéral peut-il jouer pour améliorer la prestation des services de santé dans la langue d’une minorité, quel que soit le défi? Nous entendons souvent dire qu’il y a parfois, dans de nombreuses régions, une pénurie de main-d’œuvre en mesure d’offrir des services. Je ne fais que lancer la question. Quelles solutions ou recommandations pouvez-vous nous donner, qui seraient utiles dans les domaines de compétence fédérale?

Mme Sinacore : Je pense que l’une des choses auxquelles nous devons réfléchir, c’est que même si les soins de santé sont locaux, les problèmes sont nationaux. Même si je peux parler des défis auxquels sont confrontés les aînés au Québec, il s’agit de défis nationaux.

Alors, que savons-nous? Nous savons que si les gens reçoivent une formation appropriée pour travailler auprès des aînés — et très peu de gens ont cette formation —, alors la façon dont ils vont traiter ces personnes est différente. Il s’agit d’un problème d’accès, que ces personnes soient queers ou non. Je pense à la collaboration avec l’association nationale d’agrément, l’Association des agences d’agrément du Canada, et ses organismes d’agrément des formations pour les fournisseurs de soins de santé, ainsi qu’aux psychologues et aux physiothérapeutes, car tous ces fournisseurs de soins de santé reçoivent un agrément national. Au Québec, nous avons un agrément local, mais nous sommes aussi agrémentés à l’échelle nationale. Par exemple, mon programme est agrémenté par l’Ordre des psychologues du Québec. Il est également agrémenté par la Société canadienne de psychologie. Ce sont les organismes d’agrément qui dictent les exigences en matière de formation pour les étudiants. Ces organismes d’agrément diront ce qui doit figurer dans le programme d’études et ce qui doit figurer dans les stages cliniques et les autres stages. Si vous collaborez avec les associations nationales d’agrément, c’est la boucle naturelle qui ramène cette information dans les provinces.

Par exemple, lorsque j’étais présidente de la Société canadienne de psychologie, nous avons rédigé un énoncé de politique — je vous l’ai fait parvenir — sur la discrimination cisgenre et nous avons invité toutes les associations nationales d’agrément à s’associer à nous pour lutter contre la discrimination basée sur le sexe dans le secteur des soins de santé. Je pense que le gouvernement fédéral peut assumer une partie de ce travail.

Dre Knudson : Oui, je suis d’accord avec vous. Je pense que c’est très important à ce niveau. De plus, cela se répercutera sur le programme d’études des écoles de médecine. Ce programme est fondé sur ce que vous avez dit, sur ce que les organismes d’agrément veulent tester. Par exemple, à l’Université de la Colombie-Britannique, la formation sur la médecine transgenre occupe une ou deux heures sur les quatre ans de formation. Cependant, si la situation était différente à l’échelle nationale en ce qui concerne les organismes d’agrément et la priorité accordée à la santé des transgenres et que cela faisait partie de ce besoin de savoir, alors cela se répercuterait sur l’importance accordée au programme d’études.

La sénatrice Poirier : En a-t-il déjà été question ou cela a-t-il déjà été suggéré au gouvernement? Avez-vous déjà parlé au ministère fédéral de la Santé? Cette suggestion a-t-elle été faite?

Dre Knudson : Il y a plusieurs années. Peut-être est-il temps de le refaire.

Mme Sinacore : Je ne peux parler que pour les associations que je connais, mais différentes associations ont fait part de certaines de ces préoccupations au gouvernement fédéral. Je sais avec certitude que la Société canadienne de psychologie a été très active dans le domaine des soins de santé, mais je ne sais pas si cette démarche a été entreprise collectivement, en ce sens que c’est quelque chose qui est important dans toutes les sphères des soins de santé, et pas seulement dans la sphère des soins de santé dont s’occupe une association particulière.

Mme Chai : Je suis également d’accord avec tout ce qui a été dit. Je crois que nous devrions faire respecter l’agrément et vraiment accorder la priorité à ce programme, y compris des soins adaptés à la culture pour les communautés mal desservies comme les communautés autochtones, les communautés 2SLGTBQIA+ et les communautés d’immigrants racisés. Ce sont les populations que les médecins en formation serviront dans la collectivité, et je crois qu’il sera important que le gouvernement fédéral adopte une approche en amont pour s’assurer que ces sujets d’étude sont prioritaires.

De plus, nous devons diversifier les personnes que nous choisissons comme faisant partie de la prochaine génération de médecins, en accordant la priorité à la diversité des différentes minorités sexuelles et de genre, des différentes minorités raciales et des étudiants de statuts socioéconomiques inférieurs. Ce sont toutes des stratégies auxquelles le gouvernement fédéral peut également accorder la priorité pour faire en sorte que notre population de médecins reflète également les collectivités que nous servons.

Au-delà de cela, je veux aussi parler de l’importance d’accorder la priorité, comme l’a mentionné Mme Etowa dans le dernier groupe de témoins, aux données fondées sur la race. Il est important de recueillir ces données afin que la recherche effectuée dans l’environnement canadien puisse contribuer à l’élaboration de pratiques fondées sur des données probantes que nous pouvons mettre en place pour les populations que nous servons, en particulier celles qui sont sous-représentées.

[Français]

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup à tous les participants. Nous nous sommes beaucoup concentrés sur l’accès à des services de santé en langue française ou en langue anglaise, mais il y a beaucoup d’autres genres de barrières. On peut parler la même langue que le patient, mais il peut y avoir beaucoup de barrières dans la communication avec le patient. Merci de nous l’avoir rappelé.

Ma question s’adresse à la professeure Sansfaçon. Comme nous sommes le Comité des langues officielles, je vais donner une tournure plus linguistique à ma question. Cela me surprend un peu que des francophones répondent en anglais à des questions concernant leur situation, parce que la langue utilise une terminologie qui ne permet pas de s’identifier de façon neutre, ce que l’anglais, qui est plus versatile, permet de faire. Est-ce que votre groupe ou votre centre travaille à faire de l’éducation, pour préparer des manuels ou des lexiques, afin que les médecins ou les professionnels de la santé qui rencontrent des patients utilisent, dès le départ, une terminologie plus neutre, qui permet à l’interlocuteur de s’identifier comme homme, femme, trans, une terminologie qui permet d’adapter la conversation, d’être sensible à cette question et d’utiliser ensuite une terminologie encourageant la communication plutôt que la fermer ou la restreindre?

Mme Pullen Sansfaçon : Je n’ai pas de réponse précise à la question de savoir si ces jeunes ont répondu en anglais parce qu’ils sont francophones ou qu’ils n’étaient pas à l’aise, ou l’inverse. Cela me surprendrait qu’on ait plus d’anglophones trans et non-binaires que dans la population générale; voilà pourquoi j’avance cela. L’un des problèmes au Québec, je pense, est que l’Office québécois de la langue française ne reconnaît pas l’utilisation des néologismes. Il nous demande d’utiliser un langage épicène — ce qui est bien, c’est un bon départ et cela nous aide à naviguer les situations genrées, mais c’est compliqué de s’exprimer dans cette langue à l’oral.

Le pronom « iel », qui est l’équivalent de they ou them en anglais, n’est pas un pronom utilisé couramment dans les services de santé. Pour que cela le soit, il faudrait que ce soit reconnu à un niveau plus élevé pour que son utilisation commence à couler dans les services de santé. C’est là que ça bloque. De plus, comme je vous l’ai expliqué, les jeunes trouvent souvent des informations en anglais pour comprendre les enjeux trans et les identités trans. Ils vont commencer à se penser dans cette langue. Ils ont les parents, la famille et les amis à considérer. Dans toutes ces couches sociales, il faut éduquer les gens qui nous entourent pour pouvoir se prononcer et se parler. Cela devient plus facile pour eux de dire : « Moi, en anglais, j’utilise they, them. »

Le sénateur Dalphond : Vous êtes dans le milieu universitaire; existe-t-il des programmes avec les facultés de médecine pour sensibiliser les étudiants en médecine? Si on leur parlait de ce sujet, j’imagine qu’ils seraient tout aussi capables de comprendre que moi.

Mme Pullen Sansfaçon : Je vais laisser mes collègues en médecine s’exprimer à cet effet, mais en travail social — je suis encore membre de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec —, on n’a pas de compétences acquises au programme. Par contre, l’ordre essaie de reconnaître les actes professionnels. C’est un peu différent, mais ce n’est pas enseigné de façon générale. Je suis titulaire d’une chaire à ce sujet et je ne donne pas de cours sur le genre sur les enfants trans dans mon département. Cela vous donne une idée du retard à rattraper. Je ne pense pas qu’il y ait de cours dans les baccalauréats en travail social qui s’intéressent spécifiquement aux personnes trans et à la diversité de genre. Il y a le LGBT, mais aussi les femmes, les rapports de genres, donc ce sera diffusé. C’est difficile d’aller chercher de l’information quand on ne l’a pas dans nos programmes à la base.

[Traduction]

Dre Knudson : Selon ce que je comprends, c’est la même chose en médecine; la formation n’est pas uniforme d’une université à l’autre, et il n’y a pas de programme national de formation au Canada en matière de santé des personnes transgenres. Il y a des programmes à l’international. L’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres offre des programmes de formation qui s’adressent principalement à des professionnels de la santé de différents niveaux.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Est-ce que je dois comprendre que vous seriez favorable... Nous ne sommes pas dans le domaine de l’éducation, c’est plutôt un domaine de compétence des provinces, mais peut-être que Santé Canada s’intéresse à la question et fait des publications et des lexiques en ce sens qui pourraient prendre... Une fois qu’on les connaît, on peut les utiliser.

Mme Pullen Sansfaçon : Absolument. Et pas seulement en ce qui a trait à la santé trans, mais en matière de santé et services sociaux pour tout le monde.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Mégie : J’allais justement poser la question sur les programmes d’études pour les professionnels de la santé, les infirmières, les médecins et les autres. En attendant qu’on arrive à l’implanter dans les programmes, c’est toujours complexe; est-ce qu’il y a une façon de communiquer avec certains organismes comme les collèges de médecin et les facultés en sciences infirmières pour leur dire que quand ils font de la formation continue, ils pourraient commencer par cela en attendant, car c’est plus facile de monter un congrès avec des ateliers pour former les gens pour sensibiliser la population des professionnels de la santé? Y avez-vous pensé?

[Traduction]

Mme Chai : Absolument. Je pense que la collaboration avec les organisations qui représentent les médecins serait certainement une façon de procéder. Dans le domaine de la médecine, si je comprends bien, il y a toujours des possibilités de parfaire sa formation médicale, même si on devient médecin salarié ou même après avoir suivi toute sa formation. C’est ce que nous appelons la formation médicale continue. Il serait très important de faire appel à différents types de médecins ou à différentes pratiques et de les intégrer, en plus, comme vous l’avez mentionné, de communiquer avec les organismes d’agrément nationaux des écoles.

Nous avons mentionné que bon nombre de ces initiatives ont déjà été mises en œuvre, principalement par des étudiants ou par les écoles elles-mêmes. Cependant, il est certain qu’il serait très important de faire des efforts pour en faire une norme dans toutes les écoles de médecine, surtout alors que nous formons la nouvelle génération de médecins, afin de nous assurer que nous mettons en place les conditions nécessaires pour que nos médecins réussissent à communiquer et à travailler avec ces différentes communautés.

Dre Knudson : C’est très important, et je souhaite vivement y participer.

J’ai cosigné le chapitre sur l’éducation de la huitième version du document Standards de soins de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres. Dans le cadre de la rédaction de ce chapitre, nous avons regardé ailleurs dans le monde pour voir si des organisations avaient fait des soins aux personnes transgenres et de diverses identités de genre l’une des pierres angulaires de leur formation. Il y en a très peu, si tant est qu’il y en ait, alors nous ne sommes pas les seuls.

[Français]

La sénatrice Mégie : Parmi les nouvelles technologies de communication, y a-t-il de l’aide sur le plan linguistique pour la communication entre patients et médecins ou entre les patients et les autres professionnels de la santé? Y a-t-il une place pour les nouvelles technologies pour pallier les inconvénients de la barrière linguistique?

[Traduction]

Mme Chai : Je suis actuellement à Calgary. J’y termine mes études de médecine. L’un des outils dont nous disposons dans les hôpitaux s’appelle LanguageLine. Habituellement, il se présente sous la forme d’un iPad sur un pied à roulette, qu’on apporte avec nous quand on parle aux patients. Cet outil nous met en communication avec un interprète, habituellement par audio, qui sera là lorsque nous serons à côté du lit du patient et qui traduira dans les deux sens.

La traduction et l’interprétation sont très importantes, surtout lorsqu’il s’agit de patients dont l’anglais ou la langue officielle n’est pas leur langue maternelle et qui ne sont pas en mesure d’exprimer leurs besoins. Le problème, c’est que ce service n’est pas toujours offert en milieu clinique, par exemple, ou si vous consultez votre médecin de famille ou si vous avez un rendez-vous de suivi. La personne qui reçoit les soins est peut-être malentendante, ce qui ajoute une difficulté, et il serait peut-être plus efficace de faire des appels par vidéo. La situation est aussi la même en milieu rural.

De plus, ces rendez-vous ou rencontres peuvent prendre au moins deux fois plus de temps, car la communication se fait en deux étapes. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que les médecins ou les fournisseurs de soins de santé se sentent bousculés dans ces circonstances, surtout lorsqu’ils ont beaucoup de patients à voir. Le problème tient davantage à la prestation des soins et à la nécessité de veiller à ce qu’ils soient offerts à grande échelle dans différents milieux, ainsi qu’à l’importance de trouver un moyen de faire en sorte que les médecins ne se sentent pas bousculés lors de ces rencontres afin que les patients reçoivent toujours la même qualité de soins de santé.

Mme Sinacore : Tout cela fonctionne si on peut avoir accès à un médecin, mais le problème, c’est d’avoir accès à ce médecin. Souvent, on passe par quelqu’un, du moins au Québec, qui ne parle pas anglais pendant qu’on essaie d’avoir accès à un médecin. Ou encore, on fait un appel téléphonique, et la personne qui répond ne parle pas anglais ou ne nous parle pas en anglais. Il faut surmonter tous ces obstacles pour voir un médecin et obtenir les services dont on a besoin.

Il y a aussi les situations d’urgence. Je connais une personne qui est montée dans une ambulance dont les ambulanciers ne parlaient pas anglais. Cette personne était septuagénaire. Même si elle avait parlé français, probablement que dans ce genre de situation, elle n’aurait pas pu s’exprimer dans cette langue. On lui posait toutes sortes de questions et on lui parlait, ce qui la désorientait davantage et ce qui compromettait sa capacité d’obtenir des soins de qualité. En situation d’urgence, il n’y a peut-être pas de temps pour ce genre de soutien à la traduction. Nous devons penser à des solutions plus créatives. La technologie peut en être une, mais nous devons penser à des solutions plus créatives pour avoir accès aux soins.

En ce qui concerne les lignes directrices sur la langue, il existe un guide fédéral sur le français inclusif.

Mme Pullen Sansfaçon : Oui, le gouvernement en a fait un.

[Français]

Ce ne sont pas que des anecdotes quand on dit que des gens ne sont pas capables d’accéder aux soins quand on parle de population comme les jeunes trans et non-binaires. J’ai des statistiques issues d’une enquête nationale menée pas uniquement au Québec, mais partout au Canada. On sait que 42 % des jeunes qui ont moins de 25 ans ont déclaré avoir un problème de santé chronique qui dure depuis plus de 12 mois. C’est beaucoup. Parmi ces jeunes, 43 % disent ne pas avoir été capables de recevoir des soins de santé physique et 71 % ont déclaré avoir été incapables d’obtenir un service en santé mentale. C’était un échantillon de 1 500 jeunes à travers le Canada. Il y a vraiment des difficultés d’accès aux soins primaires.

La sénatrice Moncion : Ma question concerne la discussion qu’on avait. Je voudrais vous entendre sur l’aspect médical par opposition à l’aspect politique associé aux soins de santé offerts. Par exemple, si une province refuse d’avoir ou a une politique n’offrant pas de services aux jeunes trans, cela a un effet sur les services de santé offerts à ces jeunes par les gens de la province. Il en va de même si une autre province décide de ne pas offrir de services en anglais ou en français; cela a des effets. Si on parle de l’équilibre existant entre le médical et le politique, comment est-ce que l’un affecte l’autre?

Mme Pullen Sansfaçon : C’est une très bonne question. Le politique a sûrement un rôle à jouer sur le plan de la langue. Comme vous le savez, au Québec, il y a quelque chose qui émerge de plus en plus depuis la dernière année ou la précédente sur l’importance de donner des soins aux jeunes trans. Il y a des reportages qui circulent et qui disent que ce sont des contaminations sociales, par exemple. Cela nuit énormément à l’accès aux soins, car il y a des médecins qui prescrivaient des bloqueurs et qui n’ont plus envie d’en prescrire maintenant, de peur de se faire traîner dans la boue par les médias. Il y a un aspect politique, mais aussi un aspect social de désinformation qui fait en sorte que l’accès aux soins est encore plus difficile. On parle juste d’aller chercher un soin, parce qu’il y a aussi les jeunes qui doivent en parler à leurs parents avant de pouvoir aller chercher ce soin. Avec la désinformation qui circule, cela deviendra encore plus difficile pour ces jeunes. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais pour moi, tout cela est très lié.

La sénatrice Moncion : Cela devient un problème médical. Comme vous en matière de formation, par exemple?

[Traduction]

Mme Chai : Absolument. J’allais en parler, et il ne fait aucun doute que les affaires politiques ont aussi une énorme incidence sur les soins médicaux. Nous parlons des soins aux personnes transgenres. Si, à l’échelle provinciale, une politique a une incidence sur l’autorisation ou non de fournir des soins aux personnes transgenres, alors oui, tout à fait, cette politique aura une incidence sur les soins médicaux également, surtout s’il y a des limites à ce que les fournisseurs de soins peuvent faire pour leurs patients.

La sénatrice Moncion : Dans la communauté LGBTQ, lorsque les couples cherchent à accéder à des établissements de soins de longue durée?

Mme Sinacore : C’est une question intéressante. L’une des grandes préoccupations concernant l’entrée dans les établissements de soins de longue durée, c’est que les couples doivent retourner dans le placard et qu’ils ne peuvent ainsi pas accéder aux soins en tant que couples.

Il est également intéressant de souligner, en ce qui concerne cette question, que les aînés sont sexuellement actifs. Nous savons que les établissements de soins de longue durée affichent, proportionnellement, l’un des taux les plus élevés d’ITS. L’autre crainte, c’est que les gens soient traités comme des personnes asexuelles et que leur identité soit compromise, qu’ils entrent seuls ou avec un partenaire. Il y a beaucoup d’inquiétudes à ce sujet.

Il y a beaucoup d’inquiétude en dehors des soins de longue durée. Les gens se demandent « Devrais-je même déclarer mon homosexualité à mon médecin? » Nous avons vu à maintes reprises qu’à mesure que les gens vieillissent, ils craignent de retourner dans le placard et d’être traités de façon âgiste. Par exemple, pour une personne de 60 ans qui se sent enfin habilitée à faire une transition, il n’est pas toujours facile d’avoir accès à des soins pour personnes transgenres. Il y a aussi une stigmatisation rattachée à cette situation. Les personnes doivent répondre à des questions comme « Pourquoi n’avez-vous pas fait cela plus tôt? » ou « Est-il trop tard pour vous? »

Il y a toutes sortes de questions liées à ce qui arrive aux personnes âgées queers lorsqu’il est question de l’accès aux soins de longue durée, aux soins de courte durée, aux soins médicaux ou aux soins palliatifs. Les soins palliatifs appropriés et respectueux de l’affirmation de genre constituent un autre enjeu en ce qui concerne le genre et la sexualité. N’oubliez pas que notre communauté a déjà vécu une épidémie dans les années 1980 et 1990, alors la COVID a en quelque sorte ravivé les souvenirs des gens à cet égard, qui doivent maintenant avoir accès à des soins palliatifs et vivre à nouveau cette situation. Il faut un accès à des soins palliatifs qui tiennent compte de cette histoire et qui permettent aux gens de la revivre d’une manière appropriée et saine sur le plan psychologique.

[Français]

La sénatrice Moncion : Madame Sansfaçon, vous avez fait référence à des statistiques. Cela me ramène à ma propre question de statistique, surtout du côté des chercheurs.

En juin 2019, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a publié un rapport sur la santé des communautés 2ELGBTQIA+ au Canada, et en matière de collecte de données, le comité avait notamment fait la recommandation suivante :

Que le gouvernement du Canada, par l’entremise de Statistique Canada, incorpore les questions sur le sexe à la naissance, l’identité de genre et l’orientation sexuelle dans toutes ses enquêtes sans égard à l’âge des répondants, et de façon prioritaire dans les enquêtes en matière de santé, de logement, de revenu, d’information sur les personnes sans-abri, et de consommation d’alcool, de tabac et d’autres substances.

Pourriez-vous commenter cette recommandation et nous dire où nous en sommes actuellement? Selon la réponse que vous m’avez donnée, il y avait quand même de très bonnes statistiques, et vous avez été en mesure de nous en donner sur le Canada au complet. Cependant, sur la collecte de données et la collaboration qui existe entre la population et le gouvernement, surtout lorsqu’on parle de gens qui ont des différences, est-ce que les gens sont prêts à donner toute cette information?

C’est une question pour les chercheurs.

Mme Pullen Sansfaçon : Je pense que, par exemple, lors du recensement canadien, c’était absolument merveilleux qu’on commence à poser ces questions. Il y a des améliorations à faire, parce qu’il pourrait y avoir des enjeux, comme celui de la sous-représentation, mais c’est excellent de commencer à poser ces questions.

La recherche dont je vous parlais tout à l’heure, c’est une recherche qui est financée par les Instituts de recherche en santé du Canada par ma collègue Elizabeth Saewyc; c’est elle qui s’occupe de cette recherche à l’Université de la Clolombie-Britannique, en fait, c’est une collègue. C’est une enquête nationale qui s’intéresse vraiment aux jeunes trans et non-binaires.

C’est sûr qu’on a posé la question d’un côté et de l’autre pour être en mesure d’avoir le plus de nuances possible. Cependant, pour ce qui est de la recherche sur la population en général, je n’en fais pas, donc je ne peux pas vous répondre sur la question de savoir si c’est inclus — je pose tout le temps ces questions.

Je ne sais pas si mes collègues veulent ajouter quelque chose.

[Traduction]

Mme Sinacore : L’une des choses que nous devons nous rappeler, c’est qu’en raison de leur histoire, les gens peuvent souvent être très prudents lorsqu’ils parlent au gouvernement, parce que les politiques du gouvernement ont mis du temps à changer. Bon nombre de ces changements sont assez récents. C’est bien de constater qu’on pose des questions, disons, dans le cadre du recensement, mais il y a de bonnes chances que les aînés ne répondent pas à ces questions.

Quand on regarde les statistiques concernant le nombre de personnes 2ELGBTQIA+ dans le monde, on constate que les chiffres chez les jeunes sont beaucoup plus élevés que ceux chez les adultes plus âgés. Cela veut-il dire qu’il y a plus de jeunes ou qu’il y a plus de gens sortis du placard maintenant? Cela signifie-t-il que les gens se sentent plus en sécurité lorsqu’ils sortent du placard? Quand j’étais jeune, c’était impossible pour les personnes de ma génération. Même si les choses ont changé, ces histoires ne se sont pas effacées pour les gens qui les ont vécues.

Bien que je pense que ces questions soient importantes, s’il y a toujours l’option « Je préfère ne pas répondre », je tiendrais compte du nombre de personnes qui disent « Je préfère ne pas répondre » et je croiserais ces données avec les données sur l’âge pour voir s’il y a une corrélation. Même pour cette réunion, quand on m’a demandé mon pronom, je n’ai pas répondu à la question.

La sénatrice Moncion : Docteure Knudson, avez-vous quelque chose à ajouter?

Dre Knudson : Je m’interroge non seulement sur l’âge, mais aussi sur l’endroit où les gens vivent, car si les gens ne se sentent pas en sécurité dans les collectivités rurales, encore une fois, cette crainte va-t-elle se refléter dans les soins?

La sénatrice Moncion : Cela remet en question l’exactitude des données fournies aux chercheurs. Elles peuvent être biaisées ou incomplètes.

Mme Pullen Sansfaçon : Les statistiques sur les jeunes transgenres varient selon la province. Certaines provinces comptent plus de jeunes transgenres que d’autres. Cela montre qu’il s’agit peut-être davantage d’une peur de la divulgation que d’autre chose.

[Français]

La sénatrice Clement : Merci aux témoins; c’est remarquable à quel point vous êtes clairs et éloquents.

[Traduction]

Madame Sinacore, ce que vous avez dit au sujet de l’histoire est intéressant. Je me demande toutefois si les gens sont vraiment plus en sécurité maintenant, avec les médias sociaux. Selon moi, ils ne le sont pas, alors nous avons encore beaucoup de travail à faire. Je vous remercie de vos commentaires.

Madame Chai — je peux vous appeler « docteure »?

Mme Chai : Dans quelques mois.

La sénatrice Clement : « Presque Dre Chai », vous avez fait référence à votre article. J’y ai jeté un coup d’œil. C’est très clair. Vous avez utilisé un langage clair et simple. C’est important. Vous mettez aussi l’accent sur des solutions très pratiques. Vous dites qu’il y a un manque de données fondées sur la race et que nous avons besoin de compétences culturelles, puis vous suggérez que des groupes de travail d’étudiants racialisés et de médecins se réunissent.

Premièrement, depuis la rédaction de votre article, avez-vous constaté un quelconque intérêt à l’égard de certaines de ces suggestions? Deuxièmement, lesquelles feriez-vous passer en premier? Nous sommes en train de rédiger un rapport d’étude, et nous allons vouloir y inclure des recommandations. J’aimerais savoir ce que vous recommanderiez comme priorité.

Ensuite, en ce qui concerne la question des données fondées sur la race et le manque de telles données, pouvez-vous nous dire pourquoi ce manque existe? Je sais que, du point de vue de l’aide juridique — d’où je viens —, il y a un manque de données fondées sur la race parce que les gens ne savent pas comment les recueillir, sont mal à l’aise ou disent qu’ils sont mal à l’aise de le faire. Il y a de nombreux obstacles à cet égard. Je ne sais pas si c’est la même chose dans la profession médicale.

Si vous pouviez nous en parler, je vous en serais reconnaissante.

Mme Chai : Merci beaucoup.

J’ai rédigé ce mémoire vers 2020. Je l’ai achevé quelques mois après le début de mes études de médecine. C’est intéressant pour moi aussi, maintenant que je suis à la fin de mon parcours à la faculté de médecine et après avoir vu des choses en milieu clinique. Ce parcours a solidifié certains points, c’est certain. D’après mes conversations avec des patients, en particulier des patients issus de communautés immigrantes racialisées, il est clair qu’il y a une barrière à la communication. J’ai vu les effets directs de cet enjeu sur la qualité des soins de santé.

Je tiens à souligner que, premièrement — et ce n’est pas la solution à tous les problèmes, comme nous l’avons déjà mentionné —, la traduction a une énorme incidence lorsque le temps accordé est approprié, c’est certain. Je pense que la prestation et la disponibilité des services de traduction et le fait de s’assurer que la traduction et l’interprétation sont impartiales sont très importants dans le milieu de la santé et dans la relation entre le patient et le fournisseur de soins.

À part cela, j’ai aussi parlé de la création de ressources en différentes langues et d’aides visuelles. Encore une fois, ce n’est pas la solution permanente à tous les problèmes, mais c’est aussi une façon de faciliter la communication. Par exemple, à la suite d’une intervention chirurgicale, quels renseignements peut-on donner aux patients en ce qui a trait aux étapes de la convalescence ou aux questions courantes qui sont posées? Peut-on s’assurer que ces renseignements sont accessibles dans un document écrit? Souvent, lorsque nous conseillons les patients — même les anglophones et les francophones — sur le rétablissement ou le traitement, beaucoup de renseignements peuvent être fournis en même temps, souvent en période de stress. Il se peut par exemple que le patient ne soit pas complètement réveillé de son anesthésie. Le fait de rendre ces renseignements accessibles dans un document écrit afin qu’ils puissent être consultés à la maison, et ce, dans différentes langues, pourrait être une façon de combler cette lacune. Pour les patients malentendants, le recours à des aides visuelles, en plus de la communication, pourrait constituer un autre pont.

Dans l’ensemble, nous pouvons nous concentrer sur les outils de communication dans différents contextes. Nous avons également parlé des services d’urgence et de leur accessibilité. Ce sont toutes des façons différentes d’établir des priorités et de veiller à ce qu’il y ait une communication et une compréhension claires des deux côtés des renseignements présentés au patient ou de ses préoccupations.

J’ajouterai qu’il est important de parler à ces groupes. Dans le groupe de témoins précédent, Mme Etowa a dit : « Rien à propos de nous sans nous. » Cela sonne vrai dans tous ces cas. Nous devons veiller à ce que ces intervenants soient présents à la table et à ce qu’il y ait une représentation appropriée au moment de l’élaboration de ces politiques et de la prise de décisions. C’est très important pour la suite des choses.

Pour répondre à votre deuxième question, le manque de données fondées sur la race a certainement joué un rôle pendant la pandémie de COVID-19. Comparativement aux États-Unis, le Canada manquait de données fondées sur la race, ce qui a nui à notre capacité de recherche sur les différents problèmes de santé touchant certaines communautés. Cette priorité doit être mise en place.

La sénatrice Clement : Le Canada n’est-il pas moins raciste que les États-Unis?

Mme Chai : Le racisme est encore très présent à de nombreux niveaux. Le racisme systémique, en particulier, est un problème clé que nous observons souvent dans le domaine des soins de santé. Nous constatons également que le racisme ne se limite pas aux interactions de personne à personne; il se manifeste aussi dans les systèmes qui sont mis en place au Canada et, encore une fois, il touche de façon disproportionnée les groupes minoritaires racisés ainsi que les communautés autochtones. Nous avons vu à quel point les obstacles systémiques et les déterminants sociaux de la santé ont une incidence énorme non seulement sur la qualité des soins de santé que ces personnes reçoivent, mais aussi sur la situation dans laquelle elles se trouvent et le milieu dans lequel des membres de certaines communautés sont élevés.

Je pense que l’utilisation de données fondées sur la race ne constitue qu’une étape pour nous assurer de vraiment accorder la priorité à la recherche et envisager d’orienter les pratiques que nous pouvons fournir dans le milieu des soins de santé au moyen de données probantes.

La sénatrice Clement : Merci. Je pense que le Canada — c’est mon opinion — ne veut pas toujours reconnaître l’ampleur du problème. Nous aimons nous comparer à d’autres endroits, mais cela signifie que nous ne nous regardons pas vraiment.

[Français]

J’ai une question pour Mme Pullen Sansfaçon. Vous avez dit que chez vous, il y a un manque de cours spécifiques entourant la santé trans. J’aimerais savoir pourquoi. On en parle, il y a une conscience politique croissante, mais pas toujours positive. Pourquoi n’est-on pas assez avancé là-dessus?

Mme Pullen Sansfaçon : Je vais y aller avec une idée comme cela. Je peux juste parler pour le travail social. Je ne peux pas parler pour les autres professions. Il y a beaucoup de demandes des organismes d’accréditation, et c’est un baccalauréat de trois ans. Il y a des choix à faire quand on monte un programme. On ne peut pas tout y mettre. Certaines choses sont plus importantes que d’autres. La santé trans et l’accueil, c’est peut-être quelque chose qui est considéré comme étant moins grand public, moins important que d’autres enjeux. Comme je l’ai dit, on a un cours qui s’appelle Sexualités, genres et travail social, mais on peut juste aller chercher une petite chose quand, en fait, on sait qu’il y a énormément de besoins. Je pense que cela a plus à voir avec la capacité d’enseigner tout ce qu’il faut enseigner dans un baccalauréat. Je suis certaine que c’est la même chose pour les autres professions.

[Traduction]

Mme Sinacore : Je ne peux parler que de ma discipline, qui est la psychologie. Je dirais sans doute qu’il y a toute une liste de raisons pour lesquelles ces cours ne sont pas offerts. L’agrément en fait partie. Les normes d’agrément commencent à changer. Dans ma discipline, en 2022, nous avons publié un nouvel ensemble de normes, et l’offre de soins de santé aux personnes 2ELGBTQIA+ est maintenant une exigence d’agrément. Comment les programmes peuvent-ils répondre à ces besoins? Ils peuvent répartir la matière dans plusieurs cours plutôt qu’un seul. Toutefois, les soins aux aînés ne font pas partie des programmes. Peu importe ce que nous faisons, nous devons penser de façon plus intersectionnelle. Tout le monde a une race, une orientation sexuelle et un sexe. Si nous devons examiner toutes ces questions, nous devons les examiner d’un point de vue intersectionnel, sinon nous finirons par créer ces cloisonnements d’identité qui ne fonctionnent pas.

Même si on veut modifier le programme d’études — je suis professeure à l’Université McGill depuis 30 ans et j’ai modifié un certain nombre de programmes d’études —, une telle modification peut prendre de trois à quatre ans si elle doit passer par le ministère de l’Éducation. Il est plus facile d’introduire un seul cours, car on peut enseigner un sujet d’actualité ou un sujet particulier. Cependant, il faut du temps, beaucoup de temps, pour vraiment apporter des changements fondamentaux aux programmes d’études, qui ressemblent aux types de changements que nous voulons.

Deuxièmement, il faut avoir l’expertise nécessaire pour enseigner cette matière. Je suis la seule, dans mon département de 22 professeurs, à posséder une expertise dans les domaines du genre et de la sexualité.

La sénatrice Clement : La seule?

Mme Sinacore : Je donne le seul cours sur le genre et la sexualité dans le cadre de notre programme. Il faut que le corps professoral ait la volonté de le faire. Cela doit se faire en... eh bien, à quoi les universités accordent-elles de la valeur? Elles aiment les programmes de recherche. Il faut soutenir davantage de programmes de recherche intersectionnels afin que les gens puissent acquérir une expertise en collaboration avec leurs collègues universitaires de la province, de sorte que lorsque nous offrons ces cours, nous ayons quelqu’un pour les enseigner, car c’est l’autre obstacle.

La sénatrice Clement : Voilà.

Docteure Knudson, je vous ai vue hocher la tête.

Dre Knudson : Oui, la recherche est essentielle parce qu’en ce qui concerne la recherche sur la formation en matière de santé des personnes transgenres, il n’y a pas d’études à ma connaissance. J’espère qu’il y en a maintenant, mais lorsque j’ai fait la recherche il y a quelques années, il n’y avait pas d’études portant sur une période supérieure à six mois, comme des tests préalables ou postérieurs à la prestation de soins aux personnes transgenres, qui examinaient le changement d’attitude à long terme chez les médecins, le nombre accru de patients traités et ce genre de choses. Si le milieu de la recherche adhérait à ces programmes de formation et pouvait ajouter un volet de recherche, je pense que tout le monde y gagnerait.

[Français]

La sénatrice Clement : Merci beaucoup.

Le sénateur Aucoin : J’ai une petite question qui a été suscitée par ce dont nous avons discuté. Vous avez parlé de statistiques. Si les questions étaient posées de façon adéquate — ou si les gens étaient à l’aise de répondre adéquatement qu’ils sont transgenres, non-binaires, ou autrement 2ELGBTQIA+ —, est-ce qu’il y aurait une différence entre les réponses venant des grandes villes par opposition à celles du milieu rural? Y aurait-il une différence entre les communautés francophones en milieu minoritaire à l’extérieur du Québec par opposition à la communauté anglophone minoritaire au Québec? Voilà mes deux questions.

[Traduction]

Mme Sinacore : Nous savons qu’il y a de grandes différences entre la santé des personnes queers en milieu urbain et en milieu rural. Souvent, en milieu rural — nous pouvons examiner la question du point de vue des jeunes, ou de tous les groupes d’âge, en fait —, l’accès aux soins est plus limité. Où les gens obtiennent-ils leurs renseignements? Ils les obtiennent en ligne et, souvent, les renseignements auxquels ils accèdent ne sont pas particulièrement exacts. Nous voyons là une différence. Historiquement, il y a eu des migrations des régions rurales vers les villes parce qu’on y trouvait une communauté plus accessible. Parfois, il n’était pas si facile pour nous d’y accéder, mais c’était tout de même plus accessible, et nous le voyons de plus en plus maintenant.

À Gay and Grey Montreal, nous avons un projet appelé Q11, dans le cadre duquel nous bâtissons un réseau de fournisseurs de services partout au Québec qui ont la capacité de servir les populations plus âgées de la communauté 2ELGBTQIA+. Même les fournisseurs de services — j’ai organisé des ateliers pour certains d’entre eux — qui veulent vraiment fournir des soins liés à l’affirmation de genre, à l’affirmation de la sexualité et à l’affirmation de l’âge ne se sentent pas toujours compétents pour le faire. Dans les régions rurales, il est encore plus difficile d’avoir accès à ce type de soins. Les difficultés ne se limitent pas à la langue; il y a aussi la compétence et l’affirmation en matière de soins de santé. Nous voyons une différence entre les milieux ruraux et urbains.

Nous constatons également une différence, par exemple, en ce qui concerne les villes où les gens choisissent de vivre. Montréal, pendant très longtemps — c’est encore une destination pour les personnes transgenre parce que lorsque le gouvernement du Québec a éliminé les restrictions applicables à la chirurgie du bas du corps en 2015, les personnes trans se sont dit : « D’accord, je vais aller à Montréal. » C’est donc une destination. En fait, dans la loi provinciale de l’Alberta sur la santé des personnes transgenres, il est question d’essayer de garder les Albertains en Alberta parce que Montréal est la ville de choix pour les soins d’affirmation de genre.

On voit des gens se rendre à différents endroits en fonction du type de besoins qu’ils peuvent avoir et de l’identité — parce qu’ils peuvent avoir plus d’une identité dans cet acronyme — qu’ils ont dans cet acronyme. Puis, on ajoute l’intersectionnalité de la race, de la religion, de l’anglais, etc., et cela devient assez complexe.

[Français]

Mme Pullen Sansfaçon : Je ne sais pas si la situation a changé depuis la dernière année, mais il y avait seulement un endroit pour les chirurgies d’affirmation de genre au Canada, et c’est à Montréal. Au départ, tous ceux qui ont besoin d’une chirurgie d’affirmation de genre, qu’ils soient de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick ou d’ailleurs, doivent aller à Montréal pour subir leur chirurgie.

Les compétences sont peut-être différentes pour la chirurgie, mais pour la prescription d’hormones et de bloqueurs pour tous les âges, c’est quand même bien encadré à l’intérieur de normes de soins, comme celles de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) qu’on a mentionnés tout à l’heure.

Je crois que tout médecin en mesure de prescrire des médicaments devrait comprendre que ces soins sont vraiment bien encadrés. On devrait essayer de soutenir le développement des compétences, parce que dans le domaine de la pédiatrie, je sais que certains collègues qui travaillent dans un hôpital de Montréal soutiennent d’autres collègues qui travaillent dans le Nord, justement pour leur apprendre à prescrire de l’hormonothérapie aux jeunes trans et non-binaires.

Donc, c’est faisable et bien encadré. Il s’agit simplement de promouvoir les soins en montrant que c’est bien pensé, que c’est recherché et que cela se fait à l’aide du processus Delphi. À mon avis, il faut simplement rendre le processus plus visible.

Le président : Merci. Nous allons bientôt conclure la réunion. Je rappelle à mes collègues que, pour la suite de nos travaux, la séance se tiendra à huis clos.

[Traduction]

La sénatrice Moncion : J’aimerais revenir à une réponse que vous avez donnée il n’y a pas si longtemps au sujet des changements aux programmes d’études qui doivent passer par le ministère de l’Éducation. Je reviens à la question que je posais au sujet de la différence entre le secteur médical et le secteur politique. Vous avez dit qu’il faut au moins trois ou quatre ans pour modifier un programme d’études. C’est pourquoi j’ai posé la question; pour comprendre les défis associés aux nouveaux services qui doivent être fournis et le temps qu’il faut pour que ces nouveaux services soient intégrés aux programmes d’études et ensuite approuvés. Je m’intéresse au processus et à la façon dont la politique peut entrer en ligne de compte, d’abord la politique universitaire, puis la politique provinciale.

Mme Sinacore : C’est une très bonne question parce que, dans l’énoncé de politique que j’ai corédigé avec ma collègue Jessie Fossey, nous avons parlé à la fois de la réforme de l’éducation et de la réforme des soins de santé. Sans réforme de l’éducation, il ne peut y avoir de réforme des soins de santé.

Par exemple, à McGill, si je veux offrir un nouveau cours, il faut passer par mon programme, mon département, le comité des politiques universitaires. Le projet de cours est ensuite envoyé à un sous-comité du sénat, puis au sénat. Pour offrir un cours, qui n’a pas à passer par le ministère de l’Éducation, il faudra au moins un an.

Ajoutons à cela le fait d’essayer de mettre en place un programme d’études qui intègre la formation sur la diversité des genres et la diversité raciale, qui est conforme à nos responsabilités à l’égard de la vérité et de la réconciliation et de la responsabilité relationnelle envers les peuples autochtones, qui répond aux préoccupations intersectionnelles de la population 2ELGBTQIA+, etc., et ça donne une modification de programme d’études majeure. Ce n’est pas un cours. Ce sont des sujets qui doivent être intégrés dans tous les cours, surtout parce que nous devons le faire de manière intersectionnelle pour éviter les cloisonnements. Ils doivent être intégrés à notre formation clinique. Il s’agit alors d’une modification beaucoup plus importante du programme d’études, et sa simple approbation par le département prendra plus d’un an. Ensuite, avec le temps, elle passera à travers toutes les étapes.

Il n’est peut-être pas nécessaire de s’adresser au ministère de l’Éducation. Habituellement, une modification importante doit être soumise au ministère de l’Éducation, mais à l’heure actuelle, le ministère de l’Éducation du Québec est très favorable à l’éducation sur la diversité des genres dans les écoles. Le programme d’éducation sexuelle dans les écoles est très progressiste, mais la COVID y a contribué parce que les gens ont cessé de se concentrer sur ce problème. Compte tenu du ressac actuel contre les personnes transgenres et de diverses identités de genre et des manifestations organisées à Montréal et partout au pays en lien avec les changements législatifs à venir, cette politique aura une incidence sur ce que le ministère de l’Éducation considère comme des modifications appropriées aux programmes d’études.

Cependant, étant donné que, dans mon domaine, l’organisme d’agrément insiste sur ces modifications, nous aurons un levier. Ce que nous disons, en tant qu’association de psychologues, c’est que ce sont des modifications essentielles pour offrir des soins psychologiques de manière appropriée et compétente. C’est là que les besoins en matière de santé peuvent servir à aborder les aspects politiques au sein du ministère de l’Éducation. À l’échelle fédérale, si ces types de programmes sont appuyés, cela signifie que les ministères provinciaux de l’Éducation devront les prendre au sérieux.

Je ne m’inquiète pas pour le Québec, parce que je pense que nous avons un système d’éducation très progressiste en ce qui a trait à ce genre de sujets.

Le président : Madame Sinacore, madame Pullen Sansfaçon, madame Chai et docteure Knudson, merci beaucoup de votre contribution à ce comité. Je tiens à vous remercier de ce que vous faites pour la communauté 2ELGBTQIA+. C’est parce que nous avons des citoyens comme vous que nous sommes plus conscients des défis à relever et que nous nous rendons compte qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour avoir une société égalitaire.

[Français]

Merci beaucoup.

Chers collègues, nous allons suspendre brièvement la séance et poursuivre nos travaux à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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