LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 29 avril 2024
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir, chers collègues. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis actuellement président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant que nous commencions nos discussions, je voudrais rappeler à tous les sénateurs et aux autres participants à la réunion qui sont présents dans la salle les mesures préventives importantes suivantes : pour prévenir les incidents acoustiques perturbateurs — et potentiellement dangereux — susceptibles de causer des blessures, je rappelle à tous les participants de garder leur oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment.
Comme l’indique le communiqué de la Présidente du Sénat qui a été envoyé à tous les sénateurs le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les incidents acoustiques : toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui réduit considérablement la probabilité d’un incident acoustique. Les nouvelles oreillettes sont noires, alors que les anciennes étaient grises. Veuillez utiliser uniquement une oreillette noire approuvée. Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées au début d’une réunion seront débranchées. Lorsque votre oreillette n’est pas utilisée, veuillez la placer face vers le bas, au milieu de l’autocollant sur la table, comme l’indique l’image.
Mesdames et messieurs les témoins et chers collègues, vous avez sur votre table des cartes pour connaître les lignes directrices sur la prévention des incidents acoustiques.
Veuillez vous assurer que vous êtes assis de manière à augmenter la distance entre vous et les microphones. Les participants doivent brancher uniquement leur oreillette sur la console de microphone située directement devant eux.
Ces mesures sont en place afin que nous puissions exercer nos activités sans interruption et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Merci à tous de votre coopération.
J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Moncion : Bonsoir. Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le sénateur Aucoin : Bonsoir. Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le président : Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité en recevant des chercheurs et des organismes en mesure de traiter du thème des professionnels de la santé et des établissements postsecondaires, l’un des sept thèmes de notre étude.
Pour notre premier groupe, nous accueillons en présentiel Danielle de Moissac, professeure titulaire à l’Université de Saint-Boniface, et par vidéoconférence Suzanne Harrison, directrice de l’École réseau de science infirmière de l’Université de Moncton. Bienvenue parmi nous, madame Harrison.
Bonsoir à vous deux et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires. Elles seront suivies d’une période de questions des sénateurs et sénatrices. La parole est à vous, madame de Moissac.
Danielle de Moissac, professeure titulaire, Université de Saint-Boniface : Merci de me donner l’occasion de faire valoir les recherches portant sur la pénurie de professionnels de la santé en mesure d’offrir des services de santé dans la langue de la minorité dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) et sur la capacité linguistique de ces professionnels. Je suis Danielle de Moissac. Je suis professeure à l’Université de Saint-Boniface et je mène depuis environ 20 ans des recherches notamment sur les services en français pour les francophones hors Québec. Comme je connais mieux ces populations, mes propos porteront sur eux.
La question de la pénurie de professionnels en mesure d’offrir des services en français revient dans la littérature scientifique décrivant l’expérience des usagers. Ces derniers rapportent une absence de services en français. Cette absence est-elle entièrement attribuable à une pénurie de professionnels bilingues? Pas nécessairement, selon plusieurs professionnels bilingues avec qui j’ai eu le privilège d’en discuter dans le cadre de mes recherches.
Deux grands constats s’imposent. Premièrement, les professionnels qui parlent les deux langues officielles ne déclarent pas leur bilinguisme, et ce, pour plusieurs raisons. Le bilinguisme représente pour certains une surcharge de travail, une mise à risque sur le plan personnel et juridique, un sentiment d’insécurité linguistique, un sentiment d’isolement, un besoin d’outils et de soutien nécessaires pour faire de l’offre active et des barrières vis-à-vis de la possibilité d’avancement professionnel. Malgré une fierté et un engagement vis-à-vis de sa francophonie, un professionnel bilingue perçoit l’offre de service en français comme un fardeau.
Deuxième grand constat : les professionnels bilingues ne sont pas connus, ni par le grand public, ni par le personnel d’un établissement, ni par ses gestionnaires. Puisqu’on ne connaît pas l’effectif de professionnels bilingues, il est difficile de créer des réseaux pour eux et de les appuyer. Peu de systèmes de santé et d’ordres professionnels collectent systématiquement les langues parlées par leurs employés ou leurs membres. Il est donc très difficile de mesurer la proportion de professionnels bilingues autres que ceux qui occupent des postes désignés bilingues. Par ailleurs, ces postes désignés bilingues n’existent pas dans tous les provinces et territoires au pays et ne concernent que les services publics.
Pour régler les problèmes liés à la pénurie de professionnels bilingues, trois catégories de personnes devraient être ciblées. D’abord, pour les personnes nées au Canada, qui sont naturellement bilingues, une valorisation des professions en santé dès un jeune âge et le recrutement vers des formations professionnelles en français et des possibilités d’emploi dans les CLOSM doivent être prioritaires. Pour les personnes bilingues provenant des programmes d’immersion française, un soutien en lien avec leur sécurité linguistique est nécessaire. Pour les professionnels de la santé francophones issus du Québec et de l’international, un soutien, sous forme d’accompagnement et d’appui financier, est nécessaire tout au long du processus de reconnaissance des acquis, de recertification et d’intégration au milieu de travail dans un environnement majoritairement anglophone. Cela inclut nécessairement l’apprentissage de l’anglais. Ce processus doit être simple, transparent, rapide et inclure un programme de transition pour faciliter l’intégration dans un milieu de travail.
Que peut faire le gouvernement fédéral? Quatre choses. D’abord, soutenir financièrement la formation professionnelle dans le domaine de la santé des personnes bilingues par le biais de bourses d’études. Deuxièmement, offrir une prime de bilinguisme pour reconnaître la surcharge de travail et les risques encourus par les professionnels bilingues. Troisièmement, rehausser le financement offert au Consortium national de formation en santé et aux 16 réseaux de la Société Santé en français, qui ont déjà beaucoup travaillé à la formation professionnelle en français, à l’appui aux professionnels bilingues et au réseautage.
Ils connaissent les milieux et ont de bons partenaires. Ils ont besoin de financement supplémentaire pour répondre aux nouveaux besoins, qui sont d’abord la valorisation des professions en matière de santé auprès des jeunes; la mise sur pied de programmes de formation professionnelle, notamment en santé mentale et en gérontologie, pour mieux répondre aux besoins de la population francophone des CLOSM; le recrutement ciblé d’étudiants bilingues dans ces programmes de formation; le soutien aux professionnels issus de l’international, notamment la formation linguistique et l’intégration professionnelle; la recherche visant à évaluer toute nouvelle stratégie qui répond à la pénurie de professionnels bilingues.
Le quatrième et dernier point consiste à appuyer davantage le Réseau canadien des personnels de santé et l’Institut canadien d’information sur la santé pour qu’ils développent et maintiennent une infrastructure de collecte et d’analyse de données sur les ressources humaines en santé, en tenant compte de la variable linguistique des professionnels de la santé. De cette façon, la planification de la capacité et l’allocation des ressources pour les services dans les langues officielles dans les CLOSM seraient possibles.
Merci de votre attention.
Le président : Merci beaucoup de votre témoignage, madame de Moissac.
Madame Harrison, la parole est à vous. Vous disposez également d’environ cinq minutes pour votre allocution.
Suzanne Harrison, directrice, École réseau de science infirmière, Université de Moncton : Merci beaucoup, honorables sénateurs et sénatrices. Ma présentation s’intitule « Identification des morceaux du casse-tête nécessaires pour la livraison des services de santé en français dans la province du Nouveau-Brunswick malgré un temps de pénurie hors pair ».
Vous avez probablement tous et toutes déjà fait des casse-tête. On commence en examinant attentivement la photo sur la boîte, on sort les pièces et on les trie selon les couleurs. Mais que faire si on n’a pas de photo, si les morceaux ne sont pas de la même taille ou s’il manque des pièces? Comment commence-t-on? Comment demander de l’aide? Arriverons-nous à une vision claire de ce qui est à construire? Regardons brièvement ce que je considère être les gros morceaux de ce casse-tête.
Linda Silas, directrice de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, affirme que ce sont les infirmières et infirmiers qui maintiennent la cohésion de notre système de santé, grâce à leur courage, à leur détermination et à cause d’un nombre choquant d’heures supplémentaires. Elle propose de légiférer par rapport au nombre d’heures supplémentaires, comme on le fait chez les pilotes, et d’améliorer l’environnement de travail en ayant un meilleur ratio patients/infirmière, plutôt que de mettre des pansements sur une plaie béante, comme on le fait en ayant recours à des infirmières de voyage ou aux heures supplémentaires. Finalement, elle recommande d’inciter le gouvernement fédéral à offrir plus d’argent aux provinces.
L’Université de Moncton et l’École réseau de science infirmière (ÉRSI) sont d’accord avec le vice-recteur Cormier pour dire que le financement des programmes de science infirmière doit être stable et prévisible, plutôt que de recourir à des programmes spéciaux. Le vice-recteur et le vice-chancelier Prud’homme avaient également raison lorsqu’ils vous ont dit qu’il fallait accélérer la reconnaissance des compétences des professionnels provenant de l’étranger et songer à l’élimination de l’examen d’immatriculation pour les programmes accrédités.
L’Université du Nouveau-Brunswick offre un baccalauréat en nursing avec double diplomation en collaboration avec Manipal, en Inde. L’École réseau de science infirmière, avec l’université, commence à explorer la possibilité d’une collaboration semblable avec le Maroc.
La Société santé et mieux-être en français du Nouveau-Brunswick (SSMEFNB) est un modèle de rôle national en raison de ses projets novateurs. Voici certaines pièces du casse-tête qu’elle propose : le développement de points d’accès, l’offre active de services de santé et de mieux-être, la participation citoyenne et communautaire active et la variable linguistique.
Ayant été l’un des premiers membres du Groupe d’infirmières et infirmiers francophones du Nouveau-Brunswick (GIIFNB) en 2020, à la lumière des résultats désastreux de l’examen NCLEX, je peux vous dire que je suis une fervente défenderesse du mandat du GIIFNB, qui favorise l’épanouissement des infirmières et des infirmiers francophones et qui a aussi pour objectif de représenter leurs intérêts professionnels et ceux du public, notamment en défendant le droit à un examen de pratique bien traduit, avec du matériel préparatoire suffisant en français et reflétant la pratique infirmière canadienne.
Le rapport annuel de l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières sur la formation offerte aux infirmières dévoile des tendances continues à la hausse dans le nombre d’admissions au programme de baccalauréat, malgré une pénurie de personnel dans les milieux de soins et dans les programmes de formation. On encourage aussi la qualité de la formation plutôt que la rapidité avec laquelle on produit de nouvelles infirmières et de nouveaux infirmiers.
L’Association des infirmières et infirmiers du Canada a une nouvelle initiative qui s’intitule « Agissez pour aider à lutter contre la crise des soins de santé au Canada : le système de santé du Canada ne répond plus aux besoins des Canadiens ». Cette initiative présente sept faits saillants, que le temps ne me permet pas de vous décrire en détail. Toutefois, une de ses recommandations est de faire en sorte que tous les ordres du gouvernement renforcent les effectifs infirmiers et investissent dans ceux-ci au Canada.
En 2023, les experts académiques Bauman et Crea-Arsenio ont indiqué que la pandémie a accéléré la demande pour les services de santé et a augmenté la complexité de ces derniers en raison du nombre élevé de congés de maladie, de cas d’épuisement professionnel et de départs à la retraite. On suggère plusieurs morceaux du casse-tête dans cet article, comme d’établir une main-d’œuvre stable et permanente plutôt que de faire appel à des solutions temporaires comme les agences de placement; faire attention à la dépendance aux travailleurs non réglementés, comme les aides aux soins personnels; assurer le financement pour augmenter le nombre de sièges et la relève professorale.
Les morceaux manquants du casse-tête apparaissent dans un article publié en 2019 dans Times and Transcript, où l’on mentionne l’importance d’améliorer l’image de la profession et l’ajout de formation spécialisée pour prévenir la fermeture de centres de soins en milieux ruraux, comme des services d’urgence, des salles d’opération et des salles d’accouchement. À mon avis, il y a là suffisamment de morceaux pour compléter le casse-tête et faire face à la situation afin d’assurer la livraison de soins de santé sécuritaires. Faute de temps, je pourrai vous faire part des autres morceaux manquants pendant la période des questions.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, madame Harrison, et merci à vous deux d’avoir respecté le temps qui vous était alloué. Je suis sûr que vos témoignages susciteront plusieurs questions de la part de mes collègues.
La sénatrice Moncion : Merci beaucoup, mesdames, de vos présentations et merci d’être avec nous ce soir.
Ma première question s’adresse à Mme de Moissac. La semaine dernière, pendant mon vol entre Ottawa et Montréal, je me trouvais à côté d’une dame qui représente les médecins du Canada, je crois. On parlait justement des problèmes qui existent dans le système de santé au Canada et de la formation offerte aux médecins qui arrivent de l’étranger. Dans votre province du Manitoba, je crois savoir qu’il existe un programme accéléré d’un an pour requalifier les personnes qui arrivent de l’étranger. Êtes-vous au courant de l’existence d’un tel programme?
Mme de Moissac : J’en ai entendu parler, mais il n’est évidemment offert qu’en anglais.
La sénatrice Moncion : Selon ce qu’on me disait, il semble que ce programme ait connu un succès important, étant donné la demande accrue pour ce genre de programme. La personne me disait également que ceux et celles qui se qualifient pour ce programme au Manitoba acceptent de poursuivre leur pratique dans le système de santé du Manitoba.
Vous m’avez dit que le programme n’était offert qu’en anglais. L’Université de Saint-Boniface ne pourrait-elle pas considérer de créer un tel programme qui assurerait la requalification? Pour l’instant, je crois que le programme ne s’adresse qu’aux médecins. Toutefois, a-t-on déjà pensé aller dans cette direction pour l’offrir à Saint-Boniface du côté francophone, par exemple?
Mme de Moissac : À ce que je sache, on n’y a pas pensé, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, la formation médicale n’est pas offerte à l’Université Saint-Boniface. Il faut aller à l’Université du Manitoba pour l’obtenir. Nos jeunes qui veulent suivre une formation en français se rendent à l’Université d’Ottawa. À l’Université de Saint-Boniface, les programmes professionnels offerts sont en sciences infirmières et en travail social. La formation se limiterait donc probablement à ces deux programmes. Nous ne disposons pas non plus des effectifs pour lancer un nouveau programme. Toutefois, la possibilité existerait pour ces deux domaines.
La sénatrice Moncion : En ce qui a trait justement aux infirmières, vous avez un programme les concernant. Ce serait quelque chose à examiner, car il y a également des situations où il y a des infirmières qui arrivent d’autres pays et qui voudraient pouvoir travailler au Canada, mais on les oblige à refaire leur cours au complet — pas seulement un an de requalification, mais bien un cours au complet. Donc, plusieurs choisissent de ne pas refaire le cours et de se diriger plutôt vers d’autres domaines.
Je comprends que la question des ressources existe et que les effectifs professoraux manquent à l’appel, ce qui fait que ce programme ne serait pas ouvert, mais ce serait une belle solution.
Mme de Moissac : Ce serait une belle solution, effectivement.
La sénatrice Moncion : Merci. Vous avez parlé de pénurie de professionnels bilingues, mais vous avez également parlé du bilinguisme comme étant associé à une surcharge de travail. Je trouve cela intéressant et j’aimerais vous entendre davantage sur la surcharge de travail qui est associée au fait que les gens ont plus de travail à cause de leur bilinguisme.
Mme de Moissac : Ils ont plus de travail que les autres. Une infirmière a six patients, sa collègue a un patient qui est francophone et qui aurait besoin de soins en français, donc cette infirmière va l’aider parce que c’est sa collègue. Quand cela arrive souvent, cela devient problématique, parce qu’elle a déjà sa propre charge de travail et qu’elle doit prendre en charge un patient de plus. C’est une forme de surcharge.
Une autre forme de surcharge serait, par exemple, qu’il y a un formulaire en anglais et qu’on passe une entrevue avec un patient francophone. Il faut faire la traduction simultanée; on n’est pas nécessairement formé pour faire cela, cela prend du temps de formuler les questions dans la bonne langue, puis de reformuler ce que le patient a dit en anglais afin de bien documenter le tout, pour que tout le monde soit conscient de ce qui vient de se passer.
C’est beaucoup de choses du tac au tac, mais cela prend beaucoup de temps et d’énergie et on n’est pas nécessairement formé pour le faire. C’est pour cela que les professionnels trouvent que c’est une surcharge.
La sénatrice Moncion : Merci beaucoup, c’est très intéressant. Ma prochaine question s’adresse à Mme Harrison.
Vous avez parlé des heures supplémentaires imposées aux infirmiers et infirmières; est-ce encore le cas aujourd’hui? Est-ce qu’il y a des solutions qui sont envisagées à court ou moyen terme pour ramener un certain équilibre dans le système?
Mme Harrison : Oui, c’est encore d’actualité, et justement Linda Silas en parlait.
J’ai un fils qui est infirmier depuis moins de deux ans et il dit que ce n’est même plus la question de décider s’il veut faire des heures supplémentaires; il faut qu’il en fasse. Les infirmiers et infirmières ont l’obligation de ne pas abandonner leurs patients.
Dans les conventions collectives, même si cela crée potentiellement un climat de fatigue, c’est très rare qu’une infirmière ne soit pas demandée ou sollicitée pour rester quatre heures de plus, pour faire un relais de plus. On a essayé au Nouveau-Brunswick, avec les solutions temporaires dont Linda Silas a parlé, mais c’est on met seulement un pansement sur une plaie béante; les infirmières d’agence, cela a créé une panoplie d’iniquités sur le plan du salaire et de la charge de travail.
Au Nouveau-Brunswick, on cherche justement d’autres solutions, mais cela amène d’autres problèmes, notamment d’avoir une dépendance trop élevée sur des personnes qui ne sont pas réglementées, comme les personnes qui donnent les soins personnels en anglais — on les appelle les personal support workers. Cela crée des triades avec les infirmières, l’infirmière auxiliaire, le préposé et même l’aide aux soins; l’infirmière étant au sommet de la pyramide, elle doit déléguer beaucoup de choses, mais ultimement, elle est encore responsable. Même si la solution est de réduire les heures supplémentaires des infirmières, cela amène d’autres enjeux difficiles.
Si vous me le permettez, concernant la formation des professionnels de la santé qui viennent d’ailleurs au Nouveau-Brunswick, c’est probablement parce que nous sommes une province bilingue, mais on travaille très fort pour évaluer rapidement les compétences des gens qui nous arrivent d’ailleurs et on met en place des mécanismes et des modules de formation. Justement, j’ai demandé il y a quelques semaines à l’École de science infirmière si elle voulait offrir des modules de formation en ligne pour les gens des différents pays africains qui pourraient aussi aider les gens au Manitoba.
La sénatrice Moncion : Merci. J’aurai des questions pour la deuxième ronde.
La sénatrice Mégie : Justement, vous avez parlé des heures supplémentaires. Je me demandais si tout cela est l’initiative de la province, parce que normalement, cette question est du ressort du gouvernement provincial. Vous avez dit que c’était dans vos différents points, à savoir ce que le gouvernement fédéral devrait faire. Cela en faisait partie et incitait le fédéral à donner plus de fonds. Je crois qu’il devrait y avoir plus de fonds, mais que cela devrait toujours se faire en collaboration avec votre province. Est-ce que c’est votre province qui a pris l’initiative de réglementer les heures supplémentaires et les nouveaux cours?
Mme Harrison : Est-ce que la question s’adresse à moi?
La sénatrice Mégie : Oui, la question s’adresse à vous, madame Harrison.
Mme Harrison : C’est un souhait de Linda Silas, qui est présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers. Cela ne veut pas dire que c’est arrivé encore, mais c’est ce que chaque syndicat souhaite, parce que justement, cela a un impact sur l’épuisement professionnel.
Sur le plan fédéral, il faudrait plutôt aider à rehausser l’image de la profession. C’est une chose de produire beaucoup d’infirmières, mais une fois qu’elles sont dans les milieux de soins, est-ce qu’elles restent? Il faut qu’il y ait des efforts en matière de rétention, à la fois pour mes étudiants au baccalauréat, mais aussi pour les infirmières dans le milieu. Il faut créer de meilleurs systèmes pour réduire les heures supplémentaires ou valoriser la profession.
J’aime beaucoup la prime de bilinguisme. Cela fait longtemps que je suis infirmière — depuis 1990 — et j’avais déjà ce problème. Je travaillais à l’hôpital de Moncton et j’avais l’impression que j’étais la seule infirmière bilingue dans l’édifice. Cela n’a pas changé aujourd’hui, 34 ans plus tard.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à nos deux témoins. Y a-t-il des initiatives qui ont été prises pour répertorier les professionnels de la santé qui acceptent de se déclarer bilingues? Vous avez dit, madame de Moissac, que certains ne veulent pas déclarer qu’ils sont bilingues justement à cause de la lourdeur que cela leur occasionne. Y a-t-il d’autres moyens pour que la province et les services de santé puissent les répertorier, afin de voir ce dont ils disposent comme ressources?
Mme de Moissac : Cela dépend de la profession. Il y a certains collèges ou ordres professionnels qui répertorient leurs membres selon la langue, par exemple; les pharmaciens le font. En tant que membre du grand public, je peux aller voir ces sites Web et trouver quels sont les professionnels bilingues. Ce n’est pas partout pareil, ce n’est pas réglementé; c’est vraiment au choix de l’ordre, c’est lui qui décide.
La sénatrice Mégie : C’est le choix de l’ordre professionnel. Qu’en est-il de votre côté, madame Harrison?
Mme Harrison : Étant issue d’une province bilingue, lorsque j’ai mentionné un des morceaux du casse-tête, il y a la Société santé et mieux-être en français du Nouveau-Brunswick. Ma collègue a aussi parlé de l’importance des réseaux à travers le Canada.
On a travaillé très fort pour l’offre active, notamment avec notre programme de baccalauréat. À l’Université de Moncton, qui est la seule université francophone d’envergure à l’est du Québec qui offre le baccalauréat en sciences infirmières, tous nos étudiants à la fin du bac sont bilingues. Je ne peux pas dire nécessairement la même chose pour mes collègues à l’Université du Nouveau-Brunswick ou ailleurs. On est formé pour offrir un service dans les deux langues.
Cependant, il n’y a pas de liste. Vous ne pourriez pas aller sur le site de l’association des infirmières et voir « Suzanne Harrison, bilingue », ou « Gabrielle Savoie, bilingue », mais on l’affiche directement sur nos badges lorsqu’on l’est.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
Le sénateur Aucoin : Merci beaucoup d’être là. Vous avez parlé du défi des gens qui ne déclarent pas qu’ils sont bilingues à cause de surcharge de travail; vous l’avez bien expliqué et on comprend la situation. Parmi les solutions, vous avez dit que le gouvernement fédéral pourrait soutenir des initiatives par une bourse d’études en primes de bilinguisme. Je crois que toutes ces solutions sont du ressort des provinces, n’est-ce pas?
Quel pourrait être le rôle du gouvernement fédéral, et comment pourrait-il soutenir les provinces autrement que par le financement? Si le financement est accordé aux provinces sans condition, est-ce que cela donnera des résultats?
Mme de Moissac : Je ne sais pas dans quelle mesure les transferts se font entre le fédéral et les provinces. Je pense que sur la lancée des langues officielles, c’est quand même une obligation canadienne qui doit être respectée à travers les provinces. Il y a quand même un certain travail qui a été fait pour faire la promotion des langues officielles.
Mon idée était que, pour assurer le maintien des langues officielles partout au Canada, le gouvernement fédéral pourrait accorder des subventions et voir à ce que les fonds aillent vers des initiatives et des stratégies qui permettraient que ce soit possible.
Le sénateur Aucoin : Est-ce que vous parlez de stratégie nationale qui pourrait être développée conformément à la Loi sur les langues officielles, aux articles 41 et 42, par exemple, qui contiennent certaines mesures que le gouvernement ou les élus peuvent prendre?
Mme de Moissac : À mon avis, ce serait une stratégie nationale, parce qu’il y a des francophones partout. Dans certaines provinces, comme au Manitoba, on a la chance d’avoir un certain capital social et des infrastructures. On est bien rassemblé, mais dans les provinces de l’Ouest, comme la Saskatchewan et l’Alberta, les francophones sont très éparpillés. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas nombreux — ils sont probablement plus nombreux que chez nous. Par contre, ils n’ont pas le soutien que nous avons depuis bien des années. Je pense que tout cela devrait viser toutes les provinces et tous les territoires.
Le sénateur Aucoin : Vous avez parlé de morceaux manquants. Je pense que vous vouliez en parler davantage, mais vous avez manqué de temps. Quels sont les morceaux manquants dont vous vouliez parler?
Mme Harrison : Je suis d’accord avec ma collègue sur l’idée d’un plan national. Gabriel Cormier, mon vice-recteur à l’administration et aux ressources humaines, est venu témoigner devant vous et il a dit que cela ne prenait pas des éléments spécifiques. J’ai pu utiliser les fonds du Programme des langues officielles dans l’enseignement (PLOE) pour faire une propédeutique et amener mes étudiants à rentrer plus rapidement dans mon programme. On a reçu de l’argent du PLOE pour faire des examens NCLEX pour aider nos étudiants en leur offrant des ressources; ce sont des choses que nous partageons avec le fédéral, mais c’est très ponctuel. Un investissement plus continu serait un morceau du casse-tête qu’on ne serait pas toujours en train de perdre.
Pour les autres morceaux du casse-tête, je crois comme le Dr Prud’homme qu’on devrait explorer si un examen d’immatriculation est vraiment nécessaire pour les programmes. On a quand même touché le dossier NCLEX, même si je sais que vous en aviez parlé avant. Même pour les frais de scolarité, je pense à plus d’initiatives et à la relève professorale. J’ai vraiment peur, car ils disent que 54 % des professeurs dans les programmes de baccalauréat ont actuellement plus de 50 ans, y compris moi. Il y a une grosse pénurie qui s’en vient. S’il n’y a pas de gens pour enseigner aux infirmières, comment vont-elles offrir des services en français? Je pense que le fédéral pourrait jouer un rôle en donnant plus de fonds au Consortium national de formation en santé (CNFS), pour octroyer plus de fonds aux différents programmes et aux universités partenaires afin d’être en mesure de dégrever des collègues pour aller aux études. Ce serait mon bijou, une chose que j’aimerais que vous reteniez.
Je crois qu’il y a des initiatives vraiment intéressantes, et on pourrait travailler ensemble pour partager nos ressources quand on discute de l’examen d’immatriculation ou de nouvelles stratégies pédagogiques. À l’échelle nationale, il y a vraiment une structure en place, comme le CNFS et la Société Santé en français. J’ai siégé longtemps auprès de mon réseau au Nouveau‑Brunswick de formation et de recherche. Il y a des systèmes en place, mais il faut mieux les financer pour qu’ils forment des professionnels pouvant offrir ces services dans la langue officielle en situation minoritaire.
Le président : Madame de Moissac, je suis assez troublé par le fait que des professionnels bilingues ne veulent pas déclarer qu’ils sont bilingues. Cela m’amène à vous poser deux questions. Ce besoin a déjà été exprimé par mes collègues, le besoin d’un réseau national, un réseau de professionnels bilingues pour qu’ils puissent se reconnaître entre eux et exprimer leurs besoins. Est‑ce une initiative que le gouvernement fédéral pourrait et devrait appuyer pour essayer de solidariser les professionnels bilingues?
Comment le gouvernement fédéral pourrait-il aider avec cela, d’une part, et est-ce qu’il y a des défis sur le plan des données qui sont accessibles par rapport à ces professionnels? On n’arrive pas à dresser un portrait clair en fonction des données qu’on n’a pas. Ma question s’adresse aux deux témoins. Est-ce qu’il y a suffisamment de données pour répertorier les professionnels bilingues et faire un travail avec eux directement pour la reconnaissance de leur profession?
Mme de Moissac : Il y a déjà du travail qui a été fait par Santé en français pour essayer de reconnaître les professionnels bilingues. Je ne sais pas si vous connaissez le portail OZi. C’est un nouveau système qui est en place en Ontario et au Manitoba pour répertorier ces professionnels bilingues. Je pense que c’est surtout pour ceux qui occupent des postes désignés bilingues. Cela ne comprend pas tous les professionnels bilingues, car ils ne sont pas tous dans des postes désignés.
Il manque certainement de l’information, Santé en français au Manitoba a essayé de créer un répertoire où les gens s’auto‑identifient comme étant des professionnels bilingues. Cela n’a pas très bien marché, dans le sens où les gens ne veulent pas s’afficher comme étant bilingues. Il faut que cela vienne d’ailleurs et il faut l’associer aux compétences linguistiques des personnes, parce que si elles ne se sentent pas en sécurité dans leur langue, elles ne vont pas s’afficher comme étant bilingues. Si ces professionnels pensent qu’ils vont se faire intimider parce qu’ils l’ont dit et que cela n’a pas été accepté par l’autre personne, ils ne voudront pas s’afficher. C’est une question de sécurité linguistique et de reconnaissance de ce que cela peut apporter si on se déclare comme étant bilingue. En ce moment, il n’y a rien d’autre que de dire qu’on est un fier francophone, mais ça ne va pas plus loin dans un milieu de travail, malheureusement.
Mme Harrison : Il faut qu’on commence dans les programmes de formation de base. On parle de l’offre active, on les encourage, la Société Santé en français va dire : « Wow, j’ai eu de l’argent pour parler d’eux, mais le projet Franco Doc offre des programmes de formation anglophones, et on y va et on fait des activités avec eux en français. » Il y a le Café de Paris pour les professionnels de la santé qui veulent enrichir leur français dans un environnement sécuritaire.
Avec le CNFS, il y aurait des initiatives et des outils qui encourageraient les programmes de formation de base pour leur dire que c’est important. Vous avez une responsabilité d’offrir ces services et voici l’impact s’ils ne sont pas offerts. Il y a de beaux coffres à outils. Il faut juste que les gens s’en servent.
Le président : Dans le Plan d’action des langues officielles de 2023-2028, on prévoit le financement qui suit :
6,5 millions de dollars sur 4 ans pour appuyer la formation et l’intégration de nouvelles ressources humaines bilingues en santé, en collaboration avec des établissements d’enseignement postsecondaire, en augmentant le nombre d’inscriptions et de diplômés bilingues en soins infirmiers et en soins à la personne, et en offrant des bourses d’intégration aux diplômés...
— je pense à votre projet de bourse —
... en santé anglophones afin d’améliorer l’accès aux services de santé pour ces communautés dans la langue officielle de leur choix.
Est-ce que vous êtes d’avis que ces investissements sont suffisants?
Est-ce qu’il y aurait lieu pour le gouvernement fédéral de cibler davantage son soutien? C’est un écosystème, en fait, et ce que l’on comprend en vous entendant, c’est que cela touche l’ensemble de l’écosystème de santé et que cela ne se décline pas seulement chez les médecins.
Est-ce qu’il y aurait lieu, en matière de priorités pour le gouvernement fédéral... À votre avis, quelles seraient les priorités du gouvernement fédéral dans toutes les priorités que vous avez énoncées? Madame de Moissac, vous avez parlé des différentes origines des professionnels bilingues, ceux qui viennent de l’immersion ou de l’étranger. Est-ce qu’il y a moyen d’identifier des priorités clés qui permettraient au gouvernement fédéral d’agir plus chirurgicalement sur les besoins des services de santé?
Mme de Moissac : À part ce que j’ai déjà mentionné, un moyen plus efficace de le faire serait de viser certaines professions, celles qui sont les plus proches des gens, qui travaillent sur le terrain, comme les infirmières et les aidants en soins de santé. On a beaucoup d’aînés francophones dans nos communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). Il faut voir où sont les besoins. Il faut viser ces professions d’abord pour construire là-dessus ensuite.
Mme Harrison : Je dirais aussi — c’est parce que je suis tout près de la retraite et il faut que quelqu’un me remplace — qu’il y a la relève professorale, parce que si vous n’avez personne pour enseigner... Le recrutement d’étudiants va bon train, mais on a besoin d’enseignants. On doit penser à la rétention. Le Consortium national de formation en santé (CNFS) a investi beaucoup d’argent dans le recrutement, mais quand on les envoie dans le milieu hospitalier, 18 à 20 % des nouvelles infirmières le quittent avant la fin de la première année. C’est vraiment important; l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI) a créé un nouveau programme de résidence pour les nouvelles infirmières. Je crois qu’on manque le bateau, parce que chaque étudiant que je perds au niveau du bac me cause un petit deuil, car je me dis que c’était une future infirmière. Les milieux de soins doivent faire la même chose : pour chaque nouvelle infirmière qui quitte le milieu avant sa retraite, il faut faire quelque chose aussi.
J’encouragerais aussi le recrutement éthique. J’ai mentionné que l’Université du Nouveau-Brunswick offrait un diplôme double avec Manipal. C’est une très bonne idée, car ils offrent un bac là-bas qui aide l’Inde et qui aide un petit nombre d’étudiants qui viennent chez nous. J’ai hâte de voir si on peut faire cela au Nouveau-Brunswick. Cela prendra des fonds supplémentaires et je ne suis pas certaine que notre province a ces fonds.
Ce serait mes trois souhaits, mes trois morceaux de casse-tête.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse aux deux témoins. Y a-t-il des réussites récentes dans vos programmes respectifs ou dans vos établissements d’enseignement qui ont eu un impact positif sur l’offre de service dans vos communautés?
Mme de Moissac : Je vais parler d’un nouveau programme en psychologie qu’on est en train de mettre sur pied; ce sera un programme de psychologie clinique.
Il s’agit d’un très grand besoin qu’on a dans notre communauté; il y a beaucoup de défis en santé mentale en milieu scolaire, mais aussi partout. Il y a beaucoup d’intérêt, les jeunes embarquent à pieds joints et ils sont très engagés là-dedans. Je pense que cela a été tout un cheminement. Le fait d’avoir eu des programmes professionnels en sciences infirmières et en travail social montre que nous sommes capables, à l’Université de Saint-Boniface, d’offrir des programmes professionnels en français qui répondent déjà à un besoin de la communauté. Cela nous fait bâtir sur nos effectifs. Je pense que c’est une histoire de succès.
La sénatrice Moncion : Et vous, madame Harrison?
Mme Harrison : Notre programme d’infirmières-praticiennes célèbre son 20e anniversaire dans quelques jours. Au début, pendant longtemps, nous n’avions que deux ou trois infirmières‑praticiennes diplômées par année et maintenant, nous avons 14 à 16 étudiantes par année qui obtiennent leur diplôme, et elles ont un taux de succès incroyable à l’examen national d’immatriculation. La quasi-majorité de ces infirmières restent dans la province et plusieurs d’entre elles travaillent en milieu rural, où il y a de grands besoins en santé, parce que la population est vieillissante et que les personnes dans les milieux ruraux au Nouveau-Brunswick sont beaucoup plus francophones. Voilà l’un de nos grands succès.
La sénatrice Moncion : Merci. Je suis contente de l’entendre, parce que je sais que les infirmières-praticiennes sont de plus en plus utiles et recherchées justement pour servir dans les communautés qui sont parfois plus petites, où elles sont en mesure d’offrir des services et où les médecins ne sont pas toujours disponibles pour le faire.
Cela me ramène à votre nouveau programme de psychologie clinique. Je sais qu’à la suite de la pandémie, on a toujours parlé de trouble de stress post-traumatique mais là, on est en train de vivre le post-pandemic stress disorder, et celui-là a pris une ampleur très importante. Ma question s’adresse à vous deux : jusqu’à quel point avez-vous vu des changements dans votre établissement d’enseignement pour les inscriptions dans les programmes de soins de santé?
Mme de Moissac : Je pense que cela s’est maintenu en matière d’inscriptions, mais j’ai constaté, en faisant des recherches sur la santé mentale des jeunes à mon université en particulier et à l’Université de Moncton, que la santé mentale a pris un méchant coup pour ces jeunes et qu’ils ont de la difficulté à s’en sortir. Ils ont de la difficulté à aller chercher de l’aide. Ils ont de la difficulté à faire un appel pour prendre un rendez-vous. C’est vraiment la base, et on a besoin de beaucoup plus de services de santé dans les milieux postsecondaires pour appuyer ces étudiants et pour leur montrer comment bien gérer leur santé mentale à l’avenir. Cela revient à ce que Suzanne disait. La rétention dans les milieux professionnels, c’est difficile pour les jeunes, car ils n’ont pas nécessairement les bons outils de gestion du stress et de l’anxiété dans les milieux de travail. Je pense qu’il y a un gros travail à faire à cet effet.
Mme Harrison : Je suis totalement d’accord sur l’importance des services offerts; on fait du bon travail, mais même les psychologues sont en pénurie. C’est difficile pour nos étudiants d’avoir accès à des services, mais parfois il y a des services par les pairs ou il y a différentes manières d’y arriver. Je suis totalement d’accord, il s’agit d’une cohorte à laquelle il est plus difficile d’enseigner; le taux d’assiduité dans les cours n’est vraiment pas évident. Les gens ne sont pas connectés comme ils l’étaient auparavant. Nous sommes dans une profession où nous devons être connectés et en relation avec les autres, alors ce n’est pas évident.
Lors de nos premières années de pratique, il y a beaucoup de difficulté à entamer des relations d’aide avec les gens. Quand tu ne peux pas t’aider toi-même, c’est difficile d’aider les autres. On est au courant de cette situation, on travaille beaucoup sur le concept de la résilience et on fait des formations à cet effet. Je suis beaucoup plus positive — c’est mon groupe sanguin, qui est B positif. On essaie de travailler sur le développement de la résilience et les stratégies d’adaptation; au lieu de parler de stress ou d’épuisement, on essaie de les outiller pour qu’ils soient plus engagés.
Le sénateur Aucoin : Merci. Pour donner suite à la discussion avec la sénatrice Moncion, est-ce que je me trompe en disant que le phénomène de la COVID-19 n’a fait qu’accélérer ou exacerber le processus? Ou alors, le fait que la nouvelle génération n’ait pas nécessairement développé les outils que nous avions rend ces jeunes encore plus vulnérables? Ce serait ma première question, parce que cela me paraît difficile à croire qu’autant de jeunes aient ces besoins. Je ne sais pas si vous voulez commenter là-dessus; j’aurai une autre question par la suite.
Mme de Moissac : C’est curieux, parce que j’ai fait des études sur la santé mentale des jeunes depuis 2012, puis en 2018, 2020 et 2022. J’ai constaté un déclin dans la santé mentale de 2012 à 2018.
On était déjà dans une tendance négative bien avant la pandémie par rapport à la santé, si je peux m’exprimer ainsi. La pandémie a été une bonne expérience pour certains, mais pour la majorité, je dirais que cela les a mis à un plus bas niveau et qu’ils peinent à remonter la pente. Les données de 2022 montrent qu’on est revenu au niveau de 2018. On va s’en sortir, c’est certain, mais cela prendra un certain temps.
Mme Harrison : La pandémie a aggravé la pénurie. Certaines infirmières proches de la retraite auraient peut-être continué, mais lorsqu’on regarde les statistiques, plusieurs ont décidé de quitter le métier avant que les choses ne se compliquent. Une de mes petites A+ qui avait peut-être pris un peu trop de vin au banquet des finissants m’a dit : « Suzanne, au début, j’étais stressée, mais maintenant je prends des médicaments et là, je peux travailler. » Je me suis dit : « Pauvre petite, tu as besoin de prendre des médicaments pour jouer ton rôle d’infirmière. » Malheureusement, c’est aussi la réalité.
Le sénateur Aucoin : Merci. Avec tout ce dont nous avons discuté et les solutions que vous avez apportées, y aurait-il lieu pour le gouvernement fédéral de modifier la Loi canadienne sur la santé pour inclure les communautés en situation minoritaire, comme on l’a fait pour le financement pour les Autochtones? Est-ce que cela n’obligerait pas le gouvernement fédéral à donner plus d’argent au réseau de la santé, aux universités et aux provinces, pour créer des bourses d’études et faire d’autres démarches? Qu’en pensez-vous?
Mme de Moissac : Effectivement, plusieurs recherches montrent que les francophones en situation minoritaire sont en moins bonne santé que les anglophones dans la même province. Il serait certainement justifié de nous identifier comme étant une population vulnérable parmi d’autres. L’accès aux soins dans sa langue est un gros problème. Une personne sur cinq n’ira pas vers un service de santé s’il n’est pas offert dans sa langue. C’est une question primordiale qui touche une bonne partie de la population, selon moi. Ce serait un angle intéressant à prendre.
Mme Harrison : Je le pense aussi, et j’ai tout de suite pensé à Barbara Losier. Peut-être la connaissez-vous? Elle est très impliquée dans la santé des francophones en situation minoritaire. Elle aussi dirait qu’il y a beaucoup d’occasions d’impliquer la communauté dans les projets de recherche pour trouver des solutions. Ce sont eux les experts qui savent quels sont leurs besoins et qui peuvent travailler sur cet aspect. Je vous encourageais à penser aussi aux experts en milieu communautaire, qui en connaissent parfois beaucoup plus que les chercheurs ou les pédagogues.
Le sénateur Aucoin : Merci.
Le président : Le 17 avril 2023, le ministre Duclos a avancé des solutions. Il a mentionné trois dimensions : l’immigration, la formation et la reconnaissance des titres de compétence étrangers.
Concernant l’immigration dans la politique en matière d’immigration francophone, la FCFA avait suggéré de mettre en place une passerelle accélérée pour permettre aux professionnels de l’étranger de venir au pays. Qu’est-ce que vous pensez de cette idée, et est-ce que le gouvernement fédéral devrait revoir sa politique à cet égard?
Puisqu’il y a des gens qui viennent de l’étranger, des francophones qui viennent de plusieurs régions, la question d’être culturellement approprié et adapté est-elle prise en compte, tant sur le plan de la formation que de la livraison des services?
Pour ce qui est de la reconnaissance des titres de compétence étrangers, est-ce que vous avez des pistes de solution ou des constats à faire sur ces barrières qui sont imposées par les ordres professionnels et qui empêchent des professionnels qui pourraient pratiquer de le faire?
Qui voudrait commencer à répondre sur ces trois dimensions?
Mme Harrison : Je vais commencer par la formation, parce que c’est ce que je fais toute la journée.
La sécurité culturelle, les soins culturellement appropriés, ce qui est indiqué au point no 24 du rapport Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action, ce sont des choses que nos gens nous demandent de faire. Il faut prouver que cela fait partie de notre culture universitaire. C’est un grand souci, et le profil démocratique de nos étudiants a beaucoup changé. C’est vraiment différent de ce que c’était auparavant.
Pour ce qui est des titres à l’étranger, le recteur Prud’homme en a parlé et je crois également que c’est important. Je ne crois pas que ce soit égal en milieu anglophone. Les infirmières des Philippines ou de l’Inde peuvent venir facilement au Nouveau‑Brunswick et y travailler. Ce n’est pas la même chose pour les infirmières d’Haïti et des pays africains. C’est pourquoi nous avons très hâte de travailler avec le Maroc et la Côte d’Ivoire pour offrir des cours de mise à niveau, pour que lorsqu’une infirmière souhaite venir au Nouveau-Brunswick ou ailleurs, elle puisse avoir accès à ces cours.
Souvent, dans les pays africains, certaines formations sont plus spécialisées. Il y a une infirmière anesthésiste, une infirmière sage-femme. Ce ne sont pas des pratiques générales, alors qu’au Nouveau-Brunswick et au Canada, on demande un baccalauréat généralisé. Les milieux de formation ont un grand rôle à jouer pour faire les mises à niveau. Oui, notre association professionnelle est parfois un peu moins avant-gardiste qu’elle pourrait l’être, mais c’est toujours une question de sécurité et c’est son rôle d’assurer la sécurité du public. Ils ne veulent pas permettre à des gens d’avoir un permis de travail s’ils n’ont pas les compétences requises. Il y a un souhait de rendre le processus plus rapide et plus efficace.
Pour ce qui touche l’immigration, j’aimerais que ma collègue du Manitoba ajoute des commentaires à ce sujet. On travaille fort et on doit accueillir les gens et les aider à être admis dans les programmes. J’ai souvent des médecins qui commencent un baccalauréat en sciences infirmières et qui sont malheureux, mais c’est la réalité.
Le président : Merci.
Mme de Moissac : Je suis tout à fait d’accord avec ce que dit Suzanne. Le Nouveau-Brunswick est une province bilingue et le Manitoba ne l’est pas. Il faut avoir une excellente connaissance de l’anglais pour travailler dans le domaine de la santé. C’est un incontournable. C’est là que cela doit commencer. Donc, la formation linguistique pourrait se faire à distance, avant que la personne arrive au Canada, et ce devrait être une priorité. C’est le nerf de la guerre : apprendre la langue d’abord, puis faire reconnaître ses acquis; faire une recertification ne vient qu’après, parce que tout se fait en anglais par la suite. Il faut vraiment miser sur l’apprentissage de l’anglais.
Le président : Merci.
Madame Harrison, madame de Moissac, merci beaucoup pour votre comparution aujourd’hui. Vous avez apporté beaucoup d’information à notre comité. Je crois que cela sera utile pour le rapport. Je veux vous remercier pour tout le travail que vous faites pour favoriser l’accès aux Canadiens et aux Canadiennes aux soins de santé dans la langue officielle de leur choix. Merci beaucoup pour votre contribution.
Nous accueillons maintenant en présentiel le Dr Bernard Leduc, ancien président et directeur général de l’Hôpital Montfort, et Didier Pilon, responsable des services en français à Horizon Santé-Nord, dans la région de Sudbury. Par vidéoconférence, nous accueillons Antoine Cantin-Brault, président du conseil d’administration du Centre de santé Saint‑Boniface.
Bonsoir, bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation. Commençons par vos remarques préliminaires.
Dr Bernard Leduc, ancien président et directeur général, Hôpital Montfort : Je remercie le comité pour l’invitation à venir témoigner aujourd’hui. C’est un sujet qui me touche de près, puisque j’ai été directeur général de l’Hôpital Montfort, le seul hôpital universitaire francophone à l’ouest du Québec, de 2010 à 2023.
La crise des ressources humaines en santé, c’est une tempête parfaite qui était malheureusement entièrement prévisible. Je vais rapidement vous donner quelques chiffres.
En 2009, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada prévoyait une pénurie de 60 000 infirmières autorisées en 2022. Une étude publiée en 2018 estimait ce nombre à 117 600 en 2030. C’était avant la pandémie, alors on peut imaginer l’ampleur du problème. On note une baisse considérable sur le plan des ressources humaines par rapport aux besoins en matière de services.
Le ratio d’infirmières pour 1 000 aînés est passé de 59 en 2013 à 52 aujourd’hui. On peut voir des baisses semblables chez les médecins de famille et les médecins spécialistes.
On a vu des taux de postes vacants historiques en 2022-2023 qui varient entre 18 et 25 %, selon les professions, et ces postes vacants représentent l’équivalent de 13 000 emplois à temps plein. Les taux de congé de maladie en 2021-2022 ont augmenté à 17 %, alors que la moyenne des cinq dernières années tournait autour de 3 %.
Les témoins précédents en ont parlé. Une donnée très préoccupante en Ontario, selon une étude de la Registered Nurses’ Association de l’Ontario, indique que 13 % des infirmières âgées de 20 à 35 ans considèrent de quitter la profession. Donc, si on perd une bonne partie de cette cohorte âgée de 20 à 35 ans, je ne sais où on va se retrouver à l’avenir.
En soins primaires, c’est aussi la catastrophe, avec plus de 4,7 millions de Canadiens qui n’ont pas accès à un médecin de famille. Je ne m’éterniserai pas sur les raisons, mais la popularité de la médecine familiale a diminué énormément au cours des dernières années. Lors du dernier jumelage pour ce qui est des résidences en 2024, 91 des 528 postes en médecine familiale n’ont pas trouvé preneur pour la première ronde et, sur les 87 postes qui restaient vacants après la deuxième ronde, 75 étaient en médecine familiale, ce qui représentait 86 % des postes vacants.
Il y a plusieurs études qui montrent l’impact négatif du fait de ne pas être servi dans sa langue par rapport aux complications, à la durée de séjour, au nombre de médicaments, au nombre de tests, aux séjours prolongés à l’hôpital, et tout cela se reflète par une augmentation des coûts.
Si on exclut le Québec et le Nouveau-Brunswick, selon Statistique Canada, une personne sur dix seulement parle français à l’extérieur de ces deux provinces. Cela veut dire que lorsqu’on essaie de recruter, on dispose d’un bassin extrêmement réduit. On dispose d’un bassin de 10 % par rapport à tous les autres hôpitaux qui ne se préoccupent pas de la langue pour la minorité. Si c’est difficile pour nous de recruter à Montfort, je ne peux imaginer à quel point c’est difficile pour les petits organismes et les régions éloignées de recruter du personnel qui est en mesure de parler français.
En l’absence d’une politique nationale fédérale où 100 % des Canadiens seraient complètement bilingues, voici quelques petites recommandations pour tenter d’aborder le problème.
On a parlé de la formation, donc il ne s’agit pas juste de soutenir, mais vraiment de bonifier l’offre de formation en français aux institutions postsecondaires qui offrent des programmes en santé pour le personnel. On a parlé du Consortium national de formation en santé, que vous connaissez. Il ne suffit pas de le maintenir, mais à mon avis, il faut bonifier son offre de service.
Le gouvernement fédéral pourrait agir en priorité dans le secteur de l’immigration. Comme on veut augmenter l’immigration francophone, les nouveaux arrivants pourraient représenter un nombre de plus en plus important pour changer leur poids démographique au Canada. Il faudrait mettre l’accent là-dessus et prioriser les travailleurs de la santé, de même que travailler avec les provinces et les ordres de professionnels pour raccourcir les périodes de reconnaissance des acquis et de l’émission de certificats.
Il faut aussi travailler avec des organisations. J’en connais une, mais il y en a peut-être d’autres, comme Talent Beyond Boundaries. Le problème, quand on se fie à l’immigration, c’est le côté éthique, puisqu’on va chercher des travailleurs de la santé à des endroits où ils en ont probablement tout autant besoin. Talent Beyond Boundaries, c’est une organisation qui travaille chez des gens qui sont déjà déplacés dans des camps de réfugiés. Vous pouvez vous imaginer qu’il y a des gens de tout ordre, de toute profession dans ces camps. Si on pouvait faire un répertoire des compétences chez ces gens qui sont déplacés, si on essayait de les jumeler avec des employeurs et de faciliter leur immigration, à ce moment-là, on réglerait un problème humain en faisant d’une pierre deux coups.
Troisièmement, pour la planification des services, la capture de la variable linguistique est actuellement essentielle, que ce soit pour les travailleurs de la santé et pour les patients ou pour les gens qui ont accès au système de santé. Le Canada pourrait s’inspirer de l’Ontario qui, en 2009, a adopté une définition inclusive de ce qu’est un francophone et selon laquelle un francophone est quelqu’un dont la langue maternelle est le français ou quelqu’un dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, mais qui connaît bien une des langues officielles et l’utilise à la maison. Quelqu’un qui aurait une langue maternelle somalienne, mais qui parle français serait, grâce à cette définition inclusive, considéré comme un francophone. Il faut donc travailler avec les provinces pour que les données sur la variable linguistique soient essentiellement collectées au moment de l’émission d’une carte d’assurance-maladie, afin que l’Institut canadien d’information sur la santé capture la variable linguistique dans ses analyses.
Quatrièmement, sur le plan de la recherche, le Canada est un acteur clé dans le financement de la recherche en santé dans un pays où il y a deux langues officielles. Pour moi, il est inconcevable que des fonds soient octroyés à des projets de recherche qui n’exigent pas de faire la collecte de la variable linguistique au même titre que la collecte démographique du genre, qui se fait maintenant depuis plusieurs années. Maintenant, avec la venue des soins virtuels, il faut travailler et déployer un programme de soins virtuels pancanadien pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, docteur Leduc. Monsieur Pilon, la parole est à vous.
Didier Pilon, responsable des services en français, Horizon Santé-Nord : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, je suis vraiment honoré d’être ici aujourd’hui pour témoigner devant vous. La perspective linguistique abordée aujourd’hui est très importante. Le rôle du gouvernement fédéral est indéniable.
Je m’appelle Didier Pilon et je suis responsable des services en français à Horizon Santé-Nord. Nous sommes le deuxième plus grand hôpital désigné en vertu de la Loi sur les services en français de l’Ontario et le plus grand hôpital ayant une désignation entière. En tant qu’hôpital régional pour le nord‑est de l’Ontario, nous offrons des soins à plus de 122 000 francophones.
Selon les données plus récentes à ma disposition, HSN, comme on l’appelle communément, compte 4 274 employés, ce qui comprend 1 477 employés identifiés en tant que francophones. On parle d’environ 34 % de nos employés. On compte 1 513 postes désignés, ce qui correspond à environ 35 % de nos postes, dans une région géographique où le poids démographique des francophones n’est que d’environ 23 %. Environ 26 % de nos médecins, soit 127 sur 494, sont en mesure d’offrir des services en français. Bien que ce soit plus élevé que le poids démographique des francophones, on continue à viser le chiffre de 30 %, afin de mieux servir la communauté.
Malgré nos efforts, on observe tout de même des lacunes dans plusieurs unités de soins ainsi que dans certaines spécialisations précises. Il en résulte qu’environ 400 de nos postes désignés sont actuellement occupés par des employés qui ne répondent pas aux exigences linguistiques du poste. Il y a plusieurs thématiques à aborder lorsqu’on parle de recrutement, particulièrement pour le personnel francophone. On peut certainement se pencher sur le vieillissement de la population dans le nord-est, où la population de plus de 65 ans est francophone à 30 % environ, mais où la population âgée de 25 à 35 ans est francophone à 16 %.
On peut aussi parler d’immigration, comme l’a fait M. Leduc, et de la difficulté de reconnaître les acquis, de même que du fait que ce ne sont pas tous les nouveaux arrivants qui seront capables de travailler dans un milieu où la langue de travail est l’anglais, une fois leurs compétences reconnues. Ce sujet va toutefois un peu au-delà de mes capacités en tant que responsable des services en français à Horizon Santé-Nord.
Ce que je voulais plutôt souligner, c’est que la désignation de fournisseur de soins de santé en Ontario reflète l’engagement des établissements à répondre aux besoins linguistiques de leur communauté. C’est un processus tout à fait volontaire, comme vous le savez. À Horizon Santé-Nord, cette désignation n’aurait pas été possible sans le leadership de Denis Roy et Dominic Giroux, nos anciens PDG, qui ont lancé et consolidé la désignation lors des 10 dernières années, et sans le soutien continu de notre nouveau PDG, David McNeil, qui s’assure que l’on continue d’améliorer ces services. Il est tout aussi essentiel de reconnaître que l’existence même des services en français à HSN est le résultat du travail de centaines ou de milliers d’employés qui, au cours des 10 dernières années, ont mis en place nos normes de travail et ont fourni des soins dans les deux langues officielles.
Entreprendre une désignation, c’est accepter des responsabilités supplémentaires et des coûts additionnels sans pour autant être accompagné d’un financement correspondant. Cela se traduit par des défis, tant sur le plan organisationnel qu’individuel. Lorsqu’on parle de l’organisation, notre engagement nécessite la mise en place de politiques, de procédures, de formations et de ressources visant à garantir le respect des droits linguistiques de nos patients et nos familles francophones.
À cet effet, nous avons aussi créé le poste de responsable des services en français — le mien — afin de coordonner, superviser et parfois même créer les ressources pour assurer l’offre de service en français. Ces projets ont des coûts associés. Sur le plan individuel, les employés qui occupent des postes désignés doivent posséder des compétences et assumer des responsabilités supplémentaires. Prenons l’exemple d’une infirmière francophone : non seulement elle doit maîtriser le français et l’anglais pour communiquer avec nos patients, les familles, etc., elle doit aussi être capable de fournir un soutien à ses collègues unilingues. Elle se voit souvent affectée à des lits plus éloignés et elle doit faciliter les conversations avec les médecins ou avec les équipes de professionnels de santé associés, dont les physios, les orthophonistes, les travailleurs sociaux, etc. Ce sont donc des postes qui sont très difficiles à combler d’un point de vue bilingue, puisque ce sont des gens qui travaillent souvent seuls ou dans de très petites équipes. De plus, cette infirmière peut être confrontée à des limitations supplémentaires; par exemple, si elle souhaite échanger un horaire de travail avec un collègue, elle doit veiller à assurer une représentation adéquate des services en français en son absence.
Malgré ces défis, de nombreux employés acceptent ces responsabilités avec fierté, reconnaissant l’importance de fournir des services de qualité à la communauté francophone. Cependant, ce travail supplémentaire n’est pas reflété dans leur rémunération. Bref, si on souhaite réellement contrer les difficultés de recrutement, l’absence d’incitation financière doit certainement être considérée. Il semble bien qu’un engagement continu de la part du gouvernement fédéral, en consultation avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et avec les établissements de santé, soit nécessaire pour mettre en place des mesures incitatives et des politiques de soutien visant à attirer et retenir les professionnels de la santé dans les établissements servant les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Je vous remercie.
Le président : Merci, monsieur Pilon, pour cette déclaration d’ouverture. Monsieur Antoine Cantin-Brault, la parole est à vous.
Antoine Cantin-Brault, président du conseil d’administration, Centre de santé de Saint-Boniface : Merci.
Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, j’aimerais d’abord vous remercier de me donner la parole aujourd’hui. Je vous remercie très sincèrement de votre volonté de discuter de la pénurie de professionnels de la santé en situation minoritaire, dans l’optique de trouver des solutions pérennes.
Je suis Antoine Cantin-Brault et je suis professeur titulaire de philosophie à l’Université de Saint-Boniface. Il y aura certains recoupements avec ma collègue Danielle de Moissac, que l’on vient d’entendre. Je suis ici en tant que président du conseil d’administration du Centre de santé Saint-Boniface, situé tout près du centre-ville de Winnipeg.
Le Centre de santé Saint-Boniface a ouvert ses portes en 1999 grâce à la volonté de nos trois membres fondateurs qui sont le Réseau Compassion Network (RCN), l’Université de Saint‑Boniface (USB) et la Société de la francophonie manitobaine (SFM). C’est un établissement de santé primaire qui a pour mandat de servir la population d’expression française de Winnipeg ainsi que la population qui l’entoure géographiquement, c’est-à-dire la population de Saint-Boniface et de Saint-Vital. Le centre est donc officiellement désigné francophone. Comme la population de Saint-Boniface et de Saint-Vital est en partie anglophone, nous devons offrir nos services dans les deux langues officielles.
Notre clientèle est stabilisée depuis quelques années, à 70 % francophone et 30 % anglophone.
Ce n’est un secret pour personne qu’il y a généralement une pénurie de professionnels de la santé, un problème qui d’ailleurs s’est accentué depuis la pandémie. Cependant, pour nous qui œuvrons en situation minoritaire, le problème est encore plus marqué. Le centre n’est pas nécessairement plus gros que les autres établissements de soins primaires à Winnipeg : nous avons une douzaine de médecins de famille, 8 infirmières et infirmiers praticiens, 10 infirmières et infirmiers en soins primaires et plusieurs autres professionnels de la santé communautaire, comme une psychologue, un travailleur social, une pharmacienne, etc. À cela s’ajoutent notre équipe de direction et notre équipe d’adjointes administratives et adjoints administratifs, ce qui nous fait un total d’environ 80 employés.
En raison de sa mission, le centre, qui traverse les frontières de Winnipeg, a une importance difficile à mesurer et la pénurie de personnel a sur lui des impacts majeurs. Les défis de recrutement se situent à tous les niveaux, mais sont ressentis davantage à quatre endroits en particulier.
D’abord, sur le plan de l’accès à un médecin de famille francophone. Notre équipe de médecins est débordée. Il devient donc de plus en plus difficile pour notre clientèle d’avoir accès rapidement à leur médecin. Un plus grand nombre de médecins ne pourrait pas nuire.
Ensuite, il est très difficile de faire fonctionner correctement notre clinique sans rendez-vous. Selon notre modèle d’opération, notre clinique sans rendez-vous doit être opérée par des infirmières praticiennes et infirmiers praticiens. Nous n’arrivons pas à pourvoir les postes nécessaires à son fonctionnement, ce qui nous oblige à fermer la clinique sans rendez-vous quelques jours par semaine. Notre clinique sans rendez-vous joue un rôle important dans notre centre.
De plus, les demandes en soins psychologiques ont grandement augmenté et nous devons accroître notre offre.
Au Manitoba, il est très difficile de trouver des psychologues cliniciennes et cliniciens et même tout simplement des professionnels en santé mentale d’expression française.
Finalement, il nous est aussi difficile de trouver des adjointes administratives et adjoints administratifs capables de travailler efficacement dans le milieu de la santé. Ceci a des impacts directs dans l’accueil des clients au centre et dans la gestion de leurs soins.
Nous avons déjà pris plusieurs mesures et nous essayons de faire du recrutement à notre échelle. Bien sûr, le centre est très important, mais il n’est pas énorme.
Évidemment, on aimerait trouver des solutions systémiques qui se situent au-delà de la mission du centre, afin de pouvoir régler certaines de nos difficultés.
Les solutions sont classiques, mais elles sont importantes à nommer. Voici ce qui nous semble être des solutions très importantes.
Premièrement, l’éducation et la formation. Il est essentiel que plus de professionnels de la santé d’expression française soient formés au Manitoba et au Canada en général. Dans notre cas, pour plusieurs des problèmes de recrutement que nous avons, cela peut passer par une aide additionnelle à l’Université de Saint-Boniface, qui est la seule université francophone de l’Ouest canadien. Il y a des campus francophones dans l’Ouest canadien, mais nous sommes la seule université francophone.
Comme ma collègue l’a déjà mentionné, nous n’offrons pas de programme de médecine, mais nous avons un programme en psychologie et un programme en soins infirmiers; nous avons aussi des programmes d’études professionnelles qui permettent de former plus d’adjointes administratives et d’adjoints administratifs en santé.
Il pourrait aussi être utile de faciliter tous ces éléments à l’échelle nationale, surtout pour la formation des médecins, et assurer une plus grande mouvance au Canada, pour qu’ils puissent être formés pour revenir ensuite au Manitoba.
Deuxièmement, il y aurait la reconnaissance des acquis; on en a déjà discuté, je sais que ce n’est pas nouveau. Évidemment, la population d’expression française au Manitoba se diversifie de plus en plus. C’est évidemment parce que nous avons de plus en plus de personnes immigrantes chez nous, ce qui est une très bonne chose pour la diversité. Ces personnes immigrantes ont parfois une formation en santé et travaillaient d’ailleurs dans ce milieu avant d’arriver au Canada.
Il est impératif, d’une part, de permettre à ces personnes de se mettre plus facilement à niveau pour retravailler dans le milieu de la santé. Pour notre centre, on pense surtout aux infirmières et infirmiers. D’autre part, il faudrait vérifier auprès des ordres professionnels si leurs exigences parfois excessives ne nous privent pas d’une main-d’œuvre précieuse.
Troisièmement, la valorisation de l’expression française en santé. Nous savons qu’un bon nombre de personnes d’expression française formées en santé au Manitoba n’occupent pas un poste désigné bilingue ou francophone. Je sais qu’à Winnipeg, les postes désignés bilingues sont pourvus à environ 60 %, donc 40 % des postes sont vacants.
Le président : Monsieur, je vais vous demander de conclure.
M. Cantin-Brault : J’avais terminé, pardon.
Le président : C’est bon. Vous pourrez continuer durant la période des questions et réponses.
Je vous remercie de vos témoignages. Nous allons maintenant passer à la période des questions, et je donne la parole à la vice‑présidente, la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Merci à vous trois d’être avec nous ce soir. Ma question s’adresse aux trois témoins et les trois peuvent y répondre.
Docteur Leduc, quand vous avez fait vos remarques liminaires, vous avez mentionné que non seulement il y avait un manque de personnel pour combler tous les postes, mais que beaucoup de gens qui sont là quittent ou quitteront la profession bientôt. Ce n’était pas clair s’ils sont partis à cause de l’âge ou si c’était pour d’autres raisons.
Mis à part le recrutement et le personnel, est-ce qu’il y a d’autres défis auxquels vous faites face? Comment le gouvernement fédéral peut-il aider à surmonter ces défis?
Quelque chose m’a fait prendre conscience de la situation la semaine dernière. Je viens du Nouveau-Brunswick, où nous avons entre 30 et 33 % de francophones. La semaine dernière, il m’est arrivé quelque chose et j’ai eu l’occasion de parler avec des gens qui travaillent dans le milieu et qui m’ont répondu que l’un des gros problèmes qu’ils ont, c’est qu’il y a plus de postes ouverts chaque année qu’il y a de diplômés pour occuper ces postes. Donc, il y a vraiment un défi à relever de ce côté, au point où il y a une clinique qui ouvre à 8 heures jusqu’à midi, mais ils doivent déjà la fermer à 9 heures, parce qu’il n’y a qu’une seule personne qui y travaille et que la salle est pleine; ils savent qu’ils ne peuvent pas prendre d’autres patients.
Pour les radiographies, il y a des journées où ils ne peuvent pas donner de rendez-vous en radiographie à cause de la pénurie et parce que le personnel doit être là pour les urgences.
Je leur ai posé la question, et je vous la pose également : est-ce qu’il y a du recrutement qui se fait dans les écoles pour encourager les jeunes à étudier en santé? Ceux qui étaient là n’avaient pas la réponse, parce que ce n’était pas au niveau [Difficultés techniques] qui travaillent là-dessus, mais ils ont mentionné qu’ils réalisent que la population s’accroît toujours, mais pour d’autres raisons, alors que pour nous qui sommes en situation minoritaire, cela diminue toujours.
Un témoin en vidéoconférence l’a mentionné également : la situation est pire depuis la COVID.
Est-ce que quelqu’un pourrait me parler des autres défis que vous avez? Comment le gouvernement fédéral peut-il vous aider?
Dr Leduc : Votre question est très complexe et je vais essayer de la démêler.
Tout cela était prévisible, mais les choses ont été complètement déséquilibrées avec l’arrivée de la pandémie. On avait peur que cela arrive, car c’est le résultat de 30 années de mauvaise planification politique et publique. Ce que j’ose espérer, c’est qu’on n’ait pas encore 30 années de mauvaises politiques publiques et de planification des services de santé.
À la fin des années 1980, on a envoyé des gens à la retraite; dans les années 1990, on a réduit les admissions, parce qu’on avait assez de médecins, et on n’a pas pris en considération plusieurs éléments, comme le fait que la nouvelle génération ne voudrait jamais travailler aussi fort — et avec raison — que l’ancienne génération.
Un vieux médecin qui prend sa retraite aujourd’hui avait 2 000 à 3 000 dossiers, et les nouveaux médecins ne veulent prendre que 800 à 1 000 dossiers. Donc, pour remplacer un médecin, cela en prend deux et même trois.
Tout cela était prévisible et de multiples rapports ont été publiés pour lancer des signaux d’alarme. Plusieurs recommandations n’ont pas été suivies. Vous avez raison, il n’y a pas d’arrimage entre les besoins de la population et les gens qui sont admis à la formation.
Aujourd’hui, on a du rattrapage à faire, parce que la pandémie a fait s’écrouler le château de cartes. On se dirigeait droit vers un mur; la pandémie n’a fait que le rapprocher et on est rentré dedans. Il faut donc reprendre cet élément.
L’Hôpital Montfort a des initiatives. Par exemple, nous avons le programme FOCUS, où des étudiants de niveau secondaire sont invités à venir à l’hôpital passer un peu de temps avec les travailleurs de la santé pour susciter chez eux un intérêt. À la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, on a la miniécole de médecine qui offre des cours pour sensibiliser et familiariser les élèves au domaine. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire à cet égard.
M. Pilon : Je répondrai à la question de savoir si nous travaillons avec les institutions postsecondaires de la région en disant que nous le faisons assurément. Nous travaillons avec le Collège Boréal et l’Université Laurentienne. Il y a beaucoup de stages. Nous travaillons bien sûr avec l’université nouvellement créée de l’École de médecine du Nord de l’Ontario.
Pour revenir à ma thèse, le défi est que plusieurs francophones ne veulent plus travailler en français. Ces personnes sont manifestement francophones, mais lors du processus d’embauche, elles ne se présentent pas comme francophones et elles sont marquées par une certaine insécurité linguistique. Même si elles suivent leur formation au Collège Boréal et, cinq ans plus tard, à HSN, elles ne sont pas nécessairement en mesure d’offrir des services en français. Étant donné que cela requiert plus de travail sans qu’il y ait d’incitatifs, il n’est pas toujours à leur avantage de le faire.
M. Cantin-Brault : J’abonde dans le même sens. Nous n’avons pas de problème d’ouverture. Nous n’avons pas à supprimer des postes, à part à la clinique sans rendez-vous. Notre centre est toujours à pleine capacité. On aurait même besoin d’un deuxième site. Le problème est surtout la non-valorisation du travail en santé francophone. On est presque pénalisé de travailler en français en milieu francophone, car on doit accomplir plus de tâches et on étire nos ressources. Il y a donc plein de gens qui ne s’identifient pas comme francophones. Comme le Dr Leduc l’a mentionné, nous devrons faire face à certains problèmes d’ici peu. Des médecins francophones prendront bientôt leur retraite et nous devrons probablement reprendre leur clientèle, ce qui nous donnera un gros coup.
La sénatrice Poirier : Les nouvelles technologies pourraient-elles aider à combler l’écart d’ici à ce qu’on rattrape le temps perdu? Avez-vous utilisé ces nouvelles technologies pour rejoindre les personnes par vidéoconférence ou avec un site qui pourrait faire de la traduction? Est-ce que cela se fait dans vos institutions à l’heure actuelle?
Dr Leduc : Pour ce qui est de la traduction, la pandémie a été un accélérateur important pour l’adoption de nouvelles technologies et de soins virtuels. Auparavant, on en parlait, les plateformes existaient, mais le financement n’y était pas. Or, par nécessité et par urgence, les gens se sont tournés vers les soins virtuels et il sera maintenant difficile de faire marche arrière et de retirer complètement ces services.
La question maintenant est de savoir si les investissements seront maintenus. Je disais plus tôt que les provinces ont un rôle à jouer. Est-ce que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour instaurer un réseau pancanadien de soins virtuels pour les communautés linguistiques en situation minoritaire afin d’appuyer ces gens? Au bout du compte, le nombre de personnes est limité pour faire ce travail. Tout dépend de ce que l’on favorise et des manières d’inciter ces gens à aller dans la bonne direction. La technologie existe. Beaucoup de barrières sont en lien avec la rémunération où, par exemple, les professionnels sont payés à l’acte plutôt que d’être à salaire. Cela fait en sorte, par exemple, que dans le cas d’un acte pour lequel je ne suis pas rémunéré, même si c’est bon pour le public et la société, je ne le ferai pas, parce que je ne suis pas rémunéré pour le faire. Ce domaine n’est pas de compétence fédérale, mais il s’agit de voir comment modifier les façons de pratiquer pour que les professionnels puissent offrir des soins avec la technologie qui existe en 2024.
M. Pilon : Durant la pandémie, une clinique d’urgence en ligne a été ouverte pendant un certain temps. Ce projet a été mené par un médecin francophone à Horizon Santé-Nord. Le service était offert dans les deux langues et je l’ai moi‑même utilisé.
Là où la technologie entre aussi en jeu, c’est dans les services d’interprétation. On a accès à des services d’interprétation par vidéoconférence, mais ce n’est pas un service que je privilégie pour les soins en français. Ce service est génial, par exemple, si on a un touriste qui ne parle que le néerlandais, puisque nous n’avons pas l’obligation de le servir dans cette langue. Pour ce qui est des soins en français, je crains que quelque chose ne se perde dans l’interaction avec les professionnels de la santé dans la mesure où le lien dépend de cette technologie. Les gens qui s’adressent directement à leurs professionnels de la santé se sentent plus à l’aise de poser des questions et finissent par mieux comprendre leur programme de soins et obtenir de meilleurs résultats.
Oui, ces moyens sont utiles, ce sont des solutions de dernier recours, mais ce n’est pas la voie que j’aimerais nous voir prendre à l’avenir.
Le président : Monsieur Cantin-Brault, aviez-vous quelque chose à ajouter par rapport à l’utilisation des nouvelles technologies?
M. Cantin-Brault : Nous allons probablement nous diriger un peu dans cette direction, mais nous en sommes à un stade très embryonnaire. Encore une fois, la santé, c’est une chose communautaire qui est liée à l’endroit où l’on se trouve. Ce serait probablement une bonne idée d’avoir un programme pancanadien, mais il faudrait pouvoir s’adresser à des personnes en qui on a confiance et qui comprennent nos enjeux selon l’endroit où l’on se trouve.
La sénatrice Moncion : Docteur Leduc, dans votre discours liminaire, vous avez parlé de l’importance de la capture de la langue et du genre. Vous avez dit, je crois, que la capture du genre est faite, mais pas nécessairement la capture de la langue. Pouvez-vous nous expliquer quel est l’impact du fait qu’on ne fait pas la capture de la langue?
Dr Leduc : Une fois qu’on investit en recherche et que la recherche est menée, on peut utiliser les résultats de cette recherche et les approfondir en fonction des différentes caractéristiques. Les gens doivent faire la gymnastique de trouver le pourcentage de francophones. Demander « quelle est votre langue maternelle? » pour tout protocole de recherche en santé financé par les Instituts de recherche en santé du Canada me semble, naïvement peut-être, d’une simplicité déconcertante.
À l’époque, un comité sur les langues officielles avait été aboli, car on se disait que les choses allaient se passer de façon horizontale et transversale pour chacun des piliers en recherche et aux IRSC. Or, on sait alors ce qui arrive : il n’y a plus de focus et les choses ne se produisent pas.
Autre facteur : les chercheurs francophones se sentent très mal à l’aise. Le pourcentage de subventions accordées en recherche pour les demandes rédigées en français est nettement inférieur à la majorité. On incite donc les chercheurs à présenter leur projet en anglais. Ce phénomène est probablement attribuable au fait que les groupes d’experts ne sont pas capables de faire une appréciation ou qu’il manque de personnel pour faire ces appréciations en recherche. Il y a plusieurs années, les IRSC ont obligé les chercheurs à faire la collecte de données démographiques du genre dans les projets de recherche. Je comprends mal pourquoi il n’en est pas de même pour la langue maternelle.
La sénatrice Moncion : Y a-t-il une question de financement, à savoir que si on ne collecte pas les données sur la langue, on tient pour acquis qu’il n’y a pas tant de francophones? On ne dispose donc pas des statistiques, alors que si on les avait, on serait en mesure de dire qu’il y a un grand nombre de francophones qui utilisent les services? Tout cela est maintenant perdu dans le dédale des deux langues et on n’attache pas d’importance à ce facteur?
Dr Leduc : Il m’est difficile de vous dire quelle est la justification derrière tout cela. Bien sûr, le fait de ne pas disposer de ces données n’aide pas. On ne peut pas améliorer ce qu’on ne mesure pas. Si on ne mesure pas, est-ce un oubli, de la négligence ou est-ce intentionnel, parce qu’on ne veut pas voir les résultats? On a parlé plus tôt du portail OZi, qui a été développé en Ontario. À ce moment-là, il y avait un levier, car avec les réseaux locaux d’intégration de la santé, il fallait mettre le plan de désignation à jour.
Donc, au lieu de le faire dans un fichier Excel, on l’a fait dans un fichier en ligne. Cela permettait de connaître les postes désignés. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y avait quelqu’un qui avait la capacité linguistique requise qui était assis sur cette chaise, mais avec OZi, si vous cherchiez des services à la petite enfance en matière de langage dans tel code postal, on pouvait vous dire qu’il n’y en avait pas, et on était capable de faire cet arrimage.
Cela a été rapatrié par la province, et on ne sait pas exactement comment ces données sont utilisées. Une fois que ces données sont publiques, il est difficile de ne pas agir. C’est peut-être mieux de contrôler les données afin de s’assurer qu’elles ne sont pas disponibles.
Je ne veux pas prêter d’intention à des gouvernements ou à des gens qui font de la politique publique. Mais je reviens sur le principe : le fédéral accorde des subventions pour faire de la recherche en santé où on ne collecte pas de données linguistiques; à mon avis, c’est une aberration.
Denis Prud’homme, qui était mon mentor de ce côté, me disait que pour que la recherche soit valable, il doit y avoir une légère surreprésentation quant à l’échantillonnage. Donc, s’il y a 2 % de la population, que l’on collecte les données, mais qu’aucun candidat ne se qualifie, il faut aller un peu plus haut.
C’est certain que cela exige des efforts et que c’est plus difficile pour les chercheurs, mais le bénéfice qu’on pourrait en retirer du côté des données et de la façon de les interpréter pour utiliser cette information qui est déjà là, à mon avis, vaut bien le dérangement.
La sénatrice Moncion : Merci.
Le président : Puis-je poser une question complémentaire?
La sénatrice Moncion : Tant que vous n’empiétez pas sur mon temps de parole.
Le président : Non, je vais garder votre temps de parole intact.
Ce que je comprends, c’est que dans les transferts fédéraux en santé vers les provinces et les territoires, il devrait y avoir une obligation, de la part des provinces et des territoires, de fournir des données probantes au gouvernement fédéral. En d’autres mots, est-ce que cela devrait se faire par le biais de clauses linguistiques dans les ententes, par exemple? Est-ce votre vision de la façon dont on pourrait aider à solutionner ce défi pour obtenir des données probantes?
Dr Leduc : On utilise des données de Statistique Canada qui donnent cet élément. À mon avis, il y a encore des mécanismes beaucoup plus robustes qui pourraient permettre de collecter ces données.
Celui que propose l’Alliance des réseaux, en Ontario, c’est la collecte effectuée lors du renouvellement de la carte d’assurance‑maladie.
Il faut comprendre qu’un francophone qui se présente dans une salle d’urgence à Ottawa, que ce soit à Montfort ou ailleurs — à Montfort, il y a une plus grande sécurité, parce qu’on va le servir en français —, doit décider s’il veut demander des services en français ou en anglais. Les francophones ont peur, quand ils sont vulnérables, de demander des services en français, de peur qu’ils ne soient pas accessibles, qu’ils doivent attendre plus longtemps ou que les services seront de moindre qualité.
La langue dans laquelle vous voulez être servi n’est pas nécessairement un bon indicateur pour déterminer si la personne est francophone ou non, alors que lorsqu’on est à la maison et que l’on remplit notre formulaire de carte d’assurance-maladie, on n’est pas stressé ni en situation vulnérable. Quand on mentionne notre langue maternelle — et en Ontario, selon la définition inclusive, si ce n’est pas le français ni l’anglais, il faut qu’on utilise le français à la maison —, à ce moment-là, on serait capable... On pourrait avoir ces données après cinq ans, une fois que le cycle de renouvellement se fait. C’est une proposition que l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario a faite depuis 2010 pour l’Ontario. Encore là, la langue maternelle est une donnée que toutes les provinces saisissent sur leur carte d’assurance-maladie; à partir de là, on pourrait recueillir des données démographiques sur l’utilisation et le genre de service; au moins, on aurait des données fiables.
Le président : Merci, docteur Leduc.
La sénatrice Moncion : J’aime la complémentarité de votre question, monsieur le président.
J’aurai des questions pour les deux autres témoins, mais j’ai une autre question pour le Dr Leduc. Vous avez mentionné que 4,7 millions de Canadiens n’ont pas accès à un médecin de famille. J’aimerais connaître l’impact que cela a sur les hôpitaux.
Dr Leduc : L’hôpital devient, à ce moment-là, une ressource de dernier recours, et cela augmente l’achalandage en salle d’urgence, parce qu’il n’y a pas de disponibilité.
C’est triste aussi de voir des gens qui ont besoin de suivi médical, comme les diabétiques, et qui perdent leur médecin. Les médecins doivent prendre leur retraite à un moment donné, et là, il n’y a plus de relève à qui céder les dossiers. Personne aujourd’hui n’achète de pratique médicale, car la demande est trop forte. Beaucoup de patients deviennent orphelins parce que les médecins prennent leur retraite. Il y a une crise à Sault-Saint-Marie, où une dizaine de médecins partent.
Ce sont des scénarios qui se reproduisent un peu partout au Canada. Les gens peuvent se tourner vers les cliniques d’infirmières praticiennes, mais il n’y en a pas assez. Il n’y a pas de soucoupes volantes qui vont arriver avec des centaines de milliers de travailleurs de la santé demain matin. Oui, on peut les former, mais une infirmière, ça prend quatre à cinq ans à former; un médecin, un minimum de six ans; les spécialistes, c’est dix ans. Si on ne pense pas à voir ce qui rentre ici et ce qui sort là-bas, et quels sont les besoins, on va manquer le bateau et on va continuer de manquer le bateau.
La sénatrice Moncion : C’est à se demander si ce n’est pas fait exprès.
Je crois que je manque de temps, mais je pourrai revenir au deuxième tour.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse au Dr Leduc. Vous avez parlé, lors de vos remarques préliminaires, d’un organisme qui pouvait recruter des professionnels de la santé dans les camps de réfugiés. Est-ce que cela s’est déjà fait? Si oui, y a-t-il eu un peu de succès, compte tenu des obstacles auxquels ces professionnels doivent faire face, de toute façon, lorsqu’ils mettent le pied sur le territoire, avec les collèges des médecins ou les facultés des sciences infirmières, par exemple?
Dr Leduc : C’est un problème beaucoup plus complexe, parce que cela prend un village pour accueillir ces gens. Il ne s’agit pas juste de trouver un emploi à quelqu’un, mais il faut trouver tout le processus d’appui social pour le faire.
Lorsque j’ai quitté Montfort, on travaillait avec cet organisme pour faire revenir quelques personnes dans des postes non réglementés où, à ce moment-là, on n’avait pas besoin d’obtenir la reconnaissance des acquis. Cela ne règle pas le problème du côté médical, des infirmières et des professionnels de la santé, mais on voulait tenter notre chance pour connaître le processus, voir comment ça se passerait et si on aurait du succès. Cela me semble une excellente solution à l’échelle mondiale. Ces gens étaient des professionnels auparavant, et ils sont maintenant dans des tentes quelque part. Est-ce qu’on est capable de leur tendre une perche et de les sortir de là, plutôt que d’aller cannibaliser d’autres administrations qui, elles aussi, ont besoin de leurs travailleurs de la santé?
La sénatrice Mégie : Cela fait longtemps que l’on parle de la valorisation de la profession de médecin de famille. Ça fait longtemps que j’en entends parler, et jusqu’ici, il n’y a rien qui se fait ou cela n’a pas donné de résultat. Vous avez sûrement réfléchi à cela avec vos collègues. Y a-t-il des solutions, à part ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet du plan que pourrait mettre en place le gouvernement fédéral? Y a-t-il d’autres éléments qui concerneraient les pairs, la population, qu’on pourrait mettre en place pour assurer cette valorisation?
Je peux demander aux autres témoins de répondre pour les autres professionnels de la santé. Par quoi cela doit-il passer si on souhaite valoriser leur profession?
Dr Leduc : Je ne veux pas monopoliser le micro, mais je pense que c’est du travail d’équipe que les gens veulent voir, que l’on développe des modèles où il y a un travail d’équipe, et on n’aura pas le choix. Ce qu’on a dû développer dans la modification de l’offre de service à l’hôpital aujourd’hui pour pallier la pénurie de personnel infirmier va devenir le modèle de soins du futur, parce que je ne vois malheureusement pas de mouvement qui me permet d’être optimiste sur le fait qu’il n’y aura plus de pénurie ni de problème dans trois ans. Cela a pris 30 ans de mauvaises décisions, à mon avis, en matière de politiques publiques, et cela prendra 30 ans de bonnes décisions pour régler le problème.
Ce qu’on fait maintenant en matière d’innovation sur l’offre de service, les façons d’organiser les services avec la technologie et de maximiser le profil de pratique de chacun des intervenants, va probablement devenir le modèle de soins qui va s’installer et qui va rester à l’avenir.
La sénatrice Mégie : Monsieur Pilon, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?
M. Pilon : C’est sûr que la question de la valorisation des professionnels de la santé est beaucoup plus large que les services en français. Cela touche absolument tout notre personnel. En conséquence, je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question.
La sénatrice Mégie : Monsieur Cantin-Brault, avez-vous un commentaire à ce sujet?
M. Cantin-Brault : Je ne crois pas non plus être la bonne personne pour en discuter à mon niveau. Cependant, j’aimerais ajouter que notre centre insiste énormément sur la valorisation du travail en français et pour montrer que travailler en français est une force et un atout; on travaille là-dessus. On fait également partie d’un projet de recherche avec le Réseau Compassion Network au Manitoba, avec l’organisme Santé en français et avec d’autres organismes. On va mener une vraie enquête sur cinq ans pour voir quels sont les besoins réels de la population d’expression française. On pense couvrir les professionnels de la santé en français. À la lumière de cela, on aura une meilleure idée des manières de valoriser les professions, mais c’est un peu trop gros pour moi à mon niveau. Valoriser le français dans la profession, c’est vraiment important. Il ne faut pas voir le travail en français comme une pénalité ou un problème.
Le sénateur Aucoin : J’ai deux questions, mais la réponse à la première devra être très courte pour que je puisse poser ma deuxième.
Est-ce que vous avez parlé des gens qui refusaient ou qui ne voulaient pas déclarer leur bilinguisme? Est-ce qu’il y a des études à ce sujet qui traitent de ce dont vous avez parlé? Est-ce que cela vient d’études dont on pourrait se servir ou est-ce connu dans le milieu?
M. Pilon : À mon niveau, c’est assurément plus anecdotique. On a un comité sur les services en français qui se penche sur la question de l’insécurité linguistique en ce moment parmi nos professionnels de la santé, puisqu’on a beaucoup de gens qui sont là et qui pourraient parler en français, mais qui ne sentent pas que leur niveau est assez bon. C’est notre théorie pour l’instant. Il faudrait que ce soit le sujet d’une étude.
Le sénateur Aucoin : Serait-il approprié d’avoir une étude qui pourrait montrer clairement et scientifiquement ce qui existe et qui en expliquerait les raisons?
M. Pilon : Si on avait des données et des explications, cela aiderait à nous guider lorsqu’on essaie de résoudre certains problèmes.
Le sénateur Aucoin : Merci. Si vous aviez à lancer une épée dans l’eau et un coup de grâce à donner pour qu’on puisse commencer à faire tourner le vent du bon côté, d’après vous, qu’est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire comme action? Vous avez énuméré tellement de choses à faire, mais par où commencer?
Dr Leduc : Je vais laisser mes collègues répondre en premier, s’ils ont des solutions à proposer.
M. Pilon : J’ai pris un angle assez particulier après avoir écouté les autres témoins qui ont comparu avant moi et j’ai pris connaissance de leurs témoignages. Lorsque M. Carl Bouchard a témoigné, la sénatrice Moncion a demandé si c’était un problème d’encourager les fournisseurs de soins de santé à aller chercher une désignation. Je peux dire qu’en Ontario, sur le plan des soins de longue durée, il y en a une poignée. Plusieurs offrent des services en français, mais ils ne sont pas désignés. Mon collègue le Dr Leduc parlait du portail OZi un peu plus tôt. Le portail OZi donne seulement des informations sur les travailleurs de la santé des institutions désignées; les autres n’ont pas à le remplir. Je crois qu’il faut revoir les incitatifs pour la désignation. Je pourrais en parler longtemps, mais je vais laisser les autres avoir leur chance.
M. Cantin-Brault : Oui, en parlant des études, je crois que ma collègue Mme de Moissac a mené des études sur les raisons pour lesquelles les gens ne voulaient pas se diriger vers une profession désignée bilingue. Il faudrait peut-être lui poser la question.
Sinon, je crois qu’il faut fournir de l’aide aux personnes immigrantes pour qu’elles puissent se mettre à niveau et fournir de l’aide avant même que ces personnes arrivent au Canada.
Pour l’éducation, on est petit, mais on a une grande importance et on dépend beaucoup de l’Université de Saint-Boniface. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, des subventions fédérales et provinciales ont été octroyées à plusieurs programmes de notre université, mais elles pourraient être renforcées. Je vais m’arrêter ici.
Le sénateur Aucoin : Merci.
Dr Leduc : Pour moi, le plus grand levier que le gouvernement offre, c’est avec l’université, effectivement. Donc, il fait vraiment avoir une filière pour favoriser les processus d’immigration pour les travailleurs de la santé, et je mets un bémol sur le mot « éthique ». Lorsqu’on parle d’éthique, on parle de gens qui sont déjà déplacés, qui sont déjà en mouvement. On a parlé des réfugiés, mais il y a plus de 128 millions de personnes déplacées qui ne sont pas nécessairement dans des camps de réfugiés et qui possèdent toutes sortes de compétences. Si on pouvait les connaître, les capturer et avoir une passerelle rapide pour qu’ils puissent s’intégrer ici, ce serait le plus grand levier que vous pourriez avoir; il faudrait aussi bonifier les offres de formation comme le CNFS.
Le président : Comme le temps file, je vais donner la parole à la sénatrice Moncion et à la sénatrice Poirier et si vous êtes succincts dans vos réponses, je pourrai poser une dernière question.
La sénatrice Moncion : Monsieur Pilon, vous avez un directeur général qui est anglophone à Horizon Santé-Nord. Quel impact cela a-t-il sur le service et sur la langue de travail à l’intérieur de l’hôpital? Est-ce que cela a un impact ou non?
M. Pilon : On est très chanceux, quand même. Notre nouveau PDG, David McNeil, a épousé une francophone et a élevé ses enfants en français. Ce n’est pas juste un anglophone. C’est quelqu’un qui prend vraiment au sérieux la question des services en français. J’ai la chance de travailler pour une vice-présidente extraordinaire, Nathalie Aubin, qui a fait un doctorat dans le domaine et qui se penche personnellement sur ces questions. On a mis sur pied un comité sur les soins en français. J’aime dire aux gens que ce sont eux mes patrons. Je me rapporte fréquemment à eux, ce sont des membres de la communauté et quelques personnes à l’interne. On est en mesure de prendre la question des services en français plus au sérieux que jamais. Il y a aussi des défis plus grands que jamais, notamment le vieillissement de la population.
La sénatrice Moncion : Lorsque vous parliez du recrutement dans vos pourcentages... Je suis contente de l’entendre, parce que Sudbury est peut-être une des régions, une des grandes villes où il y a le plus de francophones à l’extérieur d’Ottawa. La suivante, je crois que c’est Timmins et ensuite, ce sont de petites communautés qui sont beaucoup plus rurales. L’importance du français est tellement grande, surtout pour la direction, parce que c’est souvent ce qui fait la différence à l’intérieur de l’hôpital. Je vous remercie de cette information.
Monsieur Cantin-Brault, je crois que vous êtes plus axé sur la santé communautaire. Quels sont les défis uniques auxquels fait face le Centre de santé Saint-Boniface pour l’offre de service en français, les plus grands défis ou le plus grand défi?
M. Cantin-Brault : Mis à part la pénurie, le plus grand défi, c’est notre situation géographique. C’est sûr que c’est un défi, parce qu’on a un objectif idéal qui est d’avoir une clientèle formée à 75 % de francophones. On est plutôt autour de 70 % — maintenant, c’est 69 % —, mais c’est toujours autour de cela. Notre localisation fait en sorte qu’on doit servir la population autour de nous. Je n’ai pas de données pour déterminer si elle augmente avec plus d’anglophones ou de francophones, mais des anglophones se joignent assurément à notre centre.
Notre plus gros défi est de faire tenir tout cela à un même endroit. Je salue le personnel de notre établissement. Il faut être extrêmement créatif et beaucoup étirer les ressources. Cela devient encore une situation problématique. Cela fait que les gens sont peut-être moins encouragés à venir travailler chez nous, parce qu’ils se disent qu’ils devront en faire beaucoup. Notre population est de plus en plus vulnérable. On a développé un nouveau programme passerelle pour les gens qui sont dans notre coin et qui n’ont pas nécessairement de domicile. On les accueille et on les met en contact avec des médecins et des professionnels de la santé.
Soyons francs, ce n’est pas un nombre énorme, mais ce sont presque tous des anglophones. On a besoin de le faire à l’échelle communautaire et c’est sûr que c’est un défi. Pour l’avenir, c’est un peu notre gros défi de maintenir cet aspect francophone et de garder 70 % et éventuellement 75 % de la population francophone. C’est un défi.
La pénurie est un gros défi. Pour nous, ce sont surtout pour les infirmières et infirmiers praticiens. L’Université de Saint-Boniface commence un programme pour les infirmières et infirmiers praticiens, mais on en est encore au début. Il faudra beaucoup d’investissement dans ces programmes, c’est évident — pour nous, en tout cas.
La sénatrice Moncion : Merci.
La sénatrice Poirier : Je réalise qu’on fait une étude sur les services de santé dans la langue minoritaire, mais plusieurs des défis dont on entend parler par tous les témoins que nous avons entendus sont liés à un manque de personnel, que ce soit les médecins, les infirmières praticiennes ou les personnes effectuant des prises de sang ou des radiographies; c’est la même chose. Je réalise aussi, en écoutant les nouvelles parfois, surtout au Nouveau-Brunswick, où on a la population est plus anglophone que francophone, que même les gens du côté anglophone ont les mêmes défis que vous. Il y a de petits hôpitaux anglophones dans les régions anglophones qui ont été obligés de fermer l’urgence pendant des semaines les soirs et les fins de semaine, parce qu’il n’y avait pas assez de main-d’œuvre.
Est-ce qu’il y a des discussions entre les deux régies régionales francophone et anglophone? Est-ce que ce sont des discussions que vous avez ensemble, pour voir s’il n’y aurait pas des choses que vous pourriez partager pour aider l’autre partie, comme des manières de travailler ou des façons d’offrir un service l’un à l’autre, même si vous êtes en situation minoritaire? Est-ce que ces discussions ont lieu? Plusieurs défis sont les mêmes sur les deux côtés. N’importe qui peut répondre à ma question.
Dr Leduc : On collabore beaucoup avec nos partenaires. Nous ne sommes pas au Nouveau-Brunswick, donc on n’a pas les réseaux, mais on collabore. Encore là, lorsqu’il y a eu des périodes de pénurie importantes, parce qu’on a fermé l’urgence une fois, il y a beaucoup de règles sur le plan des conventions collectives et de la mobilité de la main-d’œuvre, qui sont des barrières énormes pour... Il faut trouver des bénévoles à ce moment-là, des gens pour venir aider ces milieux. Ce n’est pas simple.
M. Cantin-Brault : Nous faisons partie de l’ORSW, soit l’Office régional de la santé de Winnipeg, donc nous travaillons toujours en anglais avec d’autres centres d’accès communautaires. Nous avons des accords d’achat de services similaires, donc il y a des discussions qui se tiennent, mais il est certain que quand il y a des urgences et de grands besoins... Je le dis comme cela, mais on ne sent pas nécessairement que la francophonie est une priorité. C’est un peu le défi. Bien sûr, il y a des gens bien intentionnés. Je ne veux accuser personne en particulier, mais... Il y a de bonnes décisions qui se prennent, mais c’est sûr que lorsqu’il faut aller vite, la francophonie n’est pas toujours une priorité.
La sénatrice Poirier : Du côté de la traduction, si l’urgence doit soudainement fermer pour une soirée, que ce soit du côté francophone minoritaire ou anglophone minoritaire au Québec, est-ce que les autres peuvent fournir au moins une personne pour faire la traduction, pour que le patient puisse recevoir les soins dans un hôpital, plutôt que de ne pas aller à l’hôpital du tout?
M. Cantin-Brault : Dans notre clinique sans rendez-vous, c’est une possibilité. On s’est dit : est-ce qu’on devrait faire venir des gens qui parlent anglais avec des services de traduction? Je ne pense pas que c’est ce que souhaite notre population; c’est aussi cela, l’enjeu. Même si on leur fournissait les services, je pense que ce serait une sorte d’affront; avec raison, je pense. C’est comme si on disait qu’on va arranger tout ça et « patenter » quelque chose. C’est la grande difficulté. On se demande s’il est préférable de fermer quelques jours, mais d’avoir des employés francophones quand c’est ouvert, ou d’ouvrir tous les jours avec des services un peu « bric-à-brac ». Pour l’instant, on a pris la décision de fermer quelques jours; on pense que c’est mieux, mais à long terme, je ne sais pas.
La sénatrice Poirier : C’était plutôt juste dans le cas d’une urgence, certainement pas pour remplacer qui que ce soit. Je suis totalement d’accord avec vous pour dire qu’il faut avoir les services dans la langue de son choix en situation minoritaire. Merci.
Le président : Pour conclure, je vous poserais cette question. Je vais d’abord donner le contexte. En fait, cette question de pénurie de la main-d’œuvre, qui est chronique et qui revient constamment, fait en sorte... J’ai l’impression qu’on vit une certaine illusion en croyant qu’on va régler un problème de pénurie de main-d’œuvre à court terme. Oui, il y a la solution de l’immigration; oui, il y a la solution de passerelles accélérées; oui, il y a des solutions. Est-ce que, sur le plan de l’innovation... Je vais vous donner un exemple et je vais poser ma question après.
Par exemple, sur la question des médecins de famille, on s’illusionne en pensant qu’on aura tous un médecin de famille. Il semble que, dans la réalité, dans la région où je vis, c’est impossible. Un groupe s’est formé, ils se sont solidarisés comme professionnels de la santé et ils ont développé un climat de confiance avec les patients, ce qui fait que même si le patient ne voit pas le même médecin, dans ce contexte, ils ont créé une dynamique qui fait en sorte que les gens se sentent en sécurité.
Est-ce que le gouvernement fédéral aurait un rôle à jouer pour favoriser l’innovation? Je sais qu’il y a des tas d’initiatives innovantes qui se font, mais est-ce qu’il ne devrait pas y avoir de l’aide supplémentaire pour permettre de repenser tout cela? Vous avez parlé de modèle, docteur Leduc, mais on est peut-être à une époque où on doit complètement repenser le modèle des services de santé. À votre avis, est-ce que le gouvernement fédéral aura un rôle à jouer dans cette dynamique?
Dr Leduc : Il y a toujours une possibilité... Je pense que la situation est tellement catastrophique, sans vouloir être dramatique, que les gens se doivent d’innover et d’essayer différentes choses. Il y a aussi un aspect de validation et d’étude qui, à mon avis, est important en cours de route. Comment le gouvernement fédéral peut-il appuyer la documentation de ces pratiques innovantes et répertorier ces pratiques innovantes pour que ce soit partagé? Encore là, un véhicule comme Société Santé en français, si on parle juste des langues minoritaires, pourrait développer des éléments et jouer un rôle un peu plus important pour partager les pratiques innovantes. Ce qu’on va développer pour la situation minoritaire — peut-être qu’on va développer plus de choses, parce qu’on est obligé de le faire — peut certainement servir à la majorité.
Le président : Y a-t-il d’autres commentaires là-dessus?
M. Pilon : C’est au-delà de mon expertise, mais j’ai eu la chance de parler à une dénommée Michelle Anawati il y a quelques semaines. Elle est médecin et travaille à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa. Elle explore l’idée que l’on pratique la médecine comme on le faisait dans les vieilles peintures de la Renaissance, où on voit les médecins se promener avec leurs dossiers. C’est une personne que je vous recommanderais d’inviter. Elle aurait certainement des choses intéressantes à vous dire. Elle est une francophone de Sturgeon Falls, je crois.
Le président : Merci. Docteur Leduc, messieurs Pilon et Cantin-Brault, merci beaucoup. Ce fut un échange très enrichissant. On a à la fois identifié des situations problématiques très claires et des pistes de solution qui nous aideront sans doute beaucoup pour notre étude et notre rapport.
Chers collègues, nous allons suspendre la séance, le temps d’accueillir notre prochain témoin. Encore une fois, je vous remercie de votre travail et de votre engagement pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Merci.
Chers collègues, pour notre troisième groupe de témoins, nous accueillons maintenant M. Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Commençons par vos remarques préliminaires, qui seront suivies par des questions des sénateurs et sénatrices. Monsieur Rodrigue, vous avez la parole.
Michel Rodrigue, président et directeur général, Commission de la santé mentale du Canada : Honorables sénateurs, je m’appelle Michel Rodrigue. J’ai l’honneur d’être président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada.
Depuis sa création en 2008, la commission s’est vraiment penchée sur l’amélioration de l’accès aux soins de santé mentale dans la langue de choix et qui est culturellement appropriée. Il ne faut pas oublier que la commission a été créée à la suite du rapport intitulé De l’ombre à la lumière, publié par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui avait circulé un peu partout au Canada pour prendre le pouls de la santé mentale, des maladies mentales et de la dépendance au Canada à l’époque.
Nous croyons à la commission que chaque personne devrait avoir la chance de réaliser tout son potentiel en santé. Pour ce faire, nous dirigeons des recherches, des programmes et des formations prônant des valeurs centrées sur les personnes, comme le savoir expérientiel passé et présent. Depuis, c’est plus d’un million de personnes au Canada qu’on a formées en développement des connaissances sur la santé mentale, surtout en milieu de travail. Nous offrons deux programmes : « Premiers soins en santé mentale » et « L’esprit au travail ».
Nous comprenons que l’obtention de services de santé dans sa langue maternelle est un défi majeur pour les minorités linguistiques, en particulier dans les zones plus isolées ou les plus petites communautés. On sait aussi, comme en a fait état le Dr Leduc, que la mauvaise communication peut entraîner des diagnostics erronés, des erreurs et des traitements inappropriés, et peut également nuire à l’accès à des services de prévention et de suivi.
Pour les francophones en milieu minoritaire, l’accès à des services de santé mentale en français devrait être non seulement un droit fondamental, mais également une nécessité, pour assurer des soins efficaces, sécuritaires et respectueux de leur culture et de leur identité linguistique. Les données que nous avons recueillies indiquent que près de trois millions de personnes d’expression francophone à l’extérieur du Québec éprouvent des difficultés à obtenir des services dans leur langue maternelle, en raison notamment du manque de professionnels francophones ou qui sont capables de parler français.
C’est pourquoi nous avons identifié deux recommandations pour vous ce soir. Premièrement, nous devrons mettre en place des programmes pour identifier, former, recruter et garder des pourvoyeurs de services de santé mentale qui ont la capacité de parler dans la langue des communautés linguistiques minoritaires. Cela peut paraître l’évidence même, et vous l’avez entendu à plusieurs reprises. Cependant, il faudrait peut-être envisager des permis d’exercice à l’échelle canadienne, pour que les professionnels au Nouveau-Brunswick puissent offrir des services de santé à Winnipeg ou à Sudbury. Je pense que c’est l’un des aspects où le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle prépondérant.
Deuxièmement, nous devons investir dans le développement et la mise en œuvre de services de cybersanté mentale, c’est-à-dire former les prestataires en cybersanté mentale pour faire en sorte que leurs programmes et leurs services soient culturellement compétents; sensibiliser le public à la cybersanté mentale; démystifier les enjeux de ce côté; s’assurer qu’il y ait des avantages importants à obtenir des services de soins de santé mentale dans la langue de son choix.
À la Commission de la santé mentale du Canada, nous nous engageons à renforcer notre réponse aux besoins en santé mentale des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
En conclusion, la commission est déterminée à s’assurer que chaque personne, où qu’elle se trouve au Canada, ait accès à des services de santé mentale de qualité dans la langue maternelle de son choix. Nous sommes reconnaissants au comité de porter attention à cette question cruciale, et nous sommes impatients de continuer à collaborer avec vous pour réaliser cet objectif. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Rodrigue. On passe maintenant aux questions des membres du comité.
La sénatrice Poirier : Merci d’être parmi nous aujourd’hui; nous sommes heureux de vous accueillir. Ma première question est la suivante : recevez-vous du financement du gouvernement fédéral pour développer des programmes, offrir de la formation ou mener des recherches portant sur l’amélioration de l’accès aux soins de santé mentale dans la langue de la minorité? Dans l’affirmative, d’où vient cet argent?
M. Rodrigue : On n’a pas de sommes identifiées spécifiquement pour les communautés francophones et acadiennes au Canada ou pour les anglophones au Québec. Cependant, cela fait partie de notre rôle. On reçoit donc un financement de base qui a été le même durant les 13 dernières années, alors voici une parenthèse. Si on fait l’épicerie, on n’achète pas les mêmes choses maintenant qu’on pouvait se permettre d’acheter il y a 13 ans. Notre capacité de dépenser a été réduite, mais depuis la création de la commission, nous avons développé des programmes avec et pour les communautés francophones et acadiennes ou encore pour les communautés anglophones au Québec.
La sénatrice Poirier : Vous avez développé cela avec le même financement que vous recevez depuis les 13 dernières années, si j’ai bien compris?
M. Rodrigue : Oui. Tous nos programmes sont développés à partir du financement que nous recevons de Santé Canada ou par l’entremise d’une offre de service où les utilisateurs défraient les coûts de formation. Pour nous, ce sont deux moyens d’offrir les services.
La sénatrice Poirier : Outre la pénurie de main-d’œuvre qu’on sait être un problème généralisé, quels seraient les autres obstacles qui empêchent les personnes aux prises avec un problème de santé mentale d’avoir accès aux services? Est-ce qu’il y a d’autres obstacles, à part le manque de main-d’œuvre?
M. Rodrigue : Merci pour cette question. Il y a effectivement d’autres enjeux. Il y a une stigmatisation qui, encore aujourd’hui, est prévalente. Face aux troubles de santé mentale ou à la maladie mentale, c’est un obstacle important, et ce, à plusieurs niveaux.
Si je me stigmatise moi-même parce qu’on m’a inculqué la notion que c’était inopportun d’avoir un trouble de santé mentale, cela m’empêche d’aller chercher des services. Dans le domaine de la santé, il y a structurellement des stigmates qui font en sorte qu’on va privilégier la santé physique plutôt que la santé mentale. Donc, il y a plusieurs obstacles qui affectent les communautés francophones et acadiennes, et même l’ensemble de la population.
Le sous-financement chronique est un autre élément. Ce qui est particulier en santé mentale, c’est qu’il ne faut pas oublier que la plupart des gens ont accès à leurs services de santé mentale par l’entremise du plan offert par leur employeur. Donc, ce n’est pas l’État qui paie, c’est plutôt l’employeur, en l’occurrence les compagnies privées.
Enfin, lorsqu’on parle de santé mentale, on doit tenir compte à la fois des payeurs publics et privés, parce qu’en ce moment, ils offrent une grande partie de l’offre de service en santé mentale au Canada.
La sénatrice Poirier : Est-ce que le défi est plus grand dans les régions rurales, comparativement aux régions urbaines?
M. Rodrigue : Oui, surtout dans les cas où les maladies mentales perdurent. À ce chapitre, c’est beaucoup plus difficile lorsque les dossiers sont plus complexes.
La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.
La sénatrice Moncion : Bienvenue, monsieur Rodrigue. Vous avez parlé de cybersanté mentale et vous avez dit qu’il s’agissait d’un enjeu important. Pourriez-vous préciser davantage votre pensée au sujet de la cybersanté mentale?
M. Rodrigue : Sur le plan de la définition, ce peut être une consultation téléphonique, par vidéoconférence ou par Internet. Toutes ces mesures peuvent aussi exister sous forme d’application qui permet aux professionnels de la santé de passer outre aux frontières et d’offrir une consultation au moyen de ces modalités.
Il a été prouvé durant la pandémie que cela pouvait se faire, que c’était aussi efficace et plus efficient sur le plan de l’offre de service, parce qu’il y a moins de rendez-vous manqués. Sans dire qu’il s’agit d’une panacée et sans vous laisser entendre que c’est pour tout le monde, je dirais que pour plusieurs d’entre nous, c’est une excellente façon d’accéder à des services de santé.
Si on jumelle tout cela avec des permis d’exercice nationaux, cela signifie que si je suis un fournisseur de soins de santé mentale, je peux offrir des services, peu importe la province ou le territoire. C’est une des façons de passer outre aux frontières. Lorsqu’on ne se limite pas à nos provinces et territoires, on fait abstraction de la distance et cela nous permet d’accéder à des services. Je peux vous dire que j’en ai déjà fait l’expérience et que c’est excellent.
Je ne prétends pas que c’est pour tout le monde, mais c’est une grande partie de la solution. On l’a prouvé pendant la pandémie et le Dr Leduc a fait référence à certaines barrières qui sont tombées à ce moment-là. Ce que fait la commission, c’est de former les professionnels de la santé afin qu’ils soient plus compétents et plus sécurisants dans leur offre de service en cybersanté mentale. On a développé des normes d’évaluation des applications, parce que ce ne sont pas toutes les applications qui sont validées par des données probantes.
La sénatrice Moncion : Beaucoup de programmes sont développés par des hommes et des femmes qui ont vécu des expériences de vie et qui offrent des services de mieux-être ou de mieux-vivre.
Avez-vous une quelconque implication dans l’offre de ces services? On sait que des individus dépensent des sommes importantes pour faire partie de ces programmes. Beaucoup de gens trouvent des solutions ou apprennent à mieux vivre. Est-ce que vous avez une mainmise quelconque sur l’offre de tels programmes?
M. Rodrigue : Nous n’avons pas de mainmise. Je ne veux pas porter de jugement sur ces services. D’ailleurs, le fait que les gens dépensent davantage sur leur mieux-être, je ne vois pas cela comme un affront, car s’ils dépensent dans le mieux-être et s’ils font attention à leur santé mentale et physique, tant mieux pour eux.
Ce que je sais cependant, c’est que chaque semaine on nous parle de la meilleure application qui est développée, et des études ont montré que, sur 800 applications liées au mieux-être, il y en a peut-être 3 qui sont validées par des données probantes.
On se demande donc si les développeurs ont de bonnes intentions ou si, en fin de compte, c’est une arnaque et ils veulent avoir des sous. Cependant, il faut dire que nous avons développé une méthode d’évaluation de la qualité de ces applications. Il est possible de créer des bibliothèques auxquelles les gens peuvent avoir accès, que ce soit le grand public ou les professionnels de la santé.
Il y a toute une mouvance dans le domaine du mieux-être, avec du très bon matériel, et je vais m’arrêter ici.
La sénatrice Moncion : Vous avez parlé de l’usage qui était fait de la cybersanté mentale pendant la pandémie et je trouve cela excellent. Est-ce que des études sont menées par rapport à la détérioration de la santé de nos jeunes en fonction de l’impact négatif des réseaux sociaux sur leur mieux-être?
M. Rodrigue : À la Commission de la santé mentale du Canada, avec d’autres partenaires, nous avons évalué le niveau d’anxiété et de dépression chez les jeunes pendant et après la pandémie. Malheureusement, très tôt dans la pandémie, on a vu une croissance qui est restée au même niveau depuis.
L’effet de la pandémie se fait toujours sentir dans la population en général. Pour ce qui est des jeunes, on sait que l’isolement les a bouleversés de façon importante. Je crois que comme société, nous devons investir dans des services de soins de santé mentale pour les jeunes en particulier, et cela doit se faire de façon importante.
Pour ce qui est de l’impact des réseaux sociaux et des jeux vidéo, des données sortent. On sait que des recherches sont menées dans les universités et que les données ne sont pas toujours probantes de ce côté-là. Par exemple, on pensait que c’était très nocif pour les jeunes garçons de jouer à des jeux vidéo. Cela peut l’être, mais cela peut aussi être bénéfique. Des gens ont développé des applications qui reflètent le jeu pour que les jeunes prennent soin de leur santé mentale.
Donc, il y a du bon et du moins bon qu’il faut apprendre à moduler, et je pense qu’il ne faut pas tomber dans la dépendance.
La sénatrice Moncion : Je reviens à ce que vous mentionniez par rapport à la pandémie : est-ce qu’on va appeler ce niveau d’anxiété le « stress traumatique post-pandémique »?
M. Rodrigue : Je vais laisser les spécialistes donner un libellé de ce côté.
Cela nous préoccupe au plus haut degré. Je dois vous admettre que, depuis le début de la pandémie, le fait de voir que nos jeunes sont anxieux et beaucoup plus dépressifs mérite une attention soutenue sur le plan sociétal.
Malheureusement, l’impact de la pandémie durera longtemps, il sera complexe et il faudra s’y attaquer sur une plus longue période. L’avantage, c’est qu’on sait ce qui fonctionne et qu’on a déployé ces efforts durant la pandémie; il ne faut pas revenir en arrière et perdre ce terrain.
La sénatrice Moncion : Est-ce que vous avez l’argent nécessaire pour continuer de travailler sur ce terrain-là?
M. Rodrigue : Nous, non, et le secteur non plus. Je crois qu’il faut faire des investissements. Je reprendrais une citation attribuée à Albert Einstein : « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent. »
Je pense qu’en santé et en santé mentale, il faut vraiment changer nos méthodes.
Avant la pandémie, on a validé à Terre-Neuve-et-Labrador une approche par palier. On offre le bon service aux gens lorsqu’ils en ont besoin. On a réduit les listes d’attente de presque 70 % dans plusieurs cliniques. On a fait le même travail l’an dernier dans les Territoires du Nord-Ouest et on a réduit de 80 % les listes d’attente dans les communautés pour des soins de santé mentale.
Cela veut dire qu’il faut élargir le nombre d’intervenants qui s’assurent que les psychiatres sont réservés aux clients qui en ont le plus besoin et aux cas plus complexes. Alors, on offre des pairs aidants et des applications.
Donc, faire les choses différemment, c’est l’une des portes de salut pour se sortir du carcan du manque de ressources qu’on aura pour encore plusieurs années en santé mentale et en santé.
La sénatrice Mégie : Merci à notre témoin d’être ici pour nous éclairer.
Vous avez parlé de cybersanté mentale et vous disiez, parmi les bonnes choses, que cela permettait de faire un jumelage avec les services de santé dans d’autres provinces; est-ce que j’ai bien compris?
M. Rodrigue : Oui.
La sénatrice Mégie : Si on le fait comme cela... On a toujours vu des restrictions à la mobilisation des professionnels d’une province à l’autre. Donc, ce serait un avantage. Cependant, comment êtes-vous arrivés à faire cela?
M. Rodrigue : Ce n’est pas nous qui l’avons fait; ce sont des ententes entre des provinces et territoires qui ont permis à des professionnels de la santé d’offrir des services dans un autre territoire ou une autre province. C’était en raison de la pandémie. C’étaient des projets pilotes, donc ce n’était pas nous.
Cependant, je pense qu’il y a lieu de ce côté de créer des normes et une standardisation à l’échelle nationale pour que les praticiens puissent offrir leurs services dans différentes administrations. Si on fait le pas et qu’on accepte le fait que la cybersanté mentale est une solution, alors il faut faire l’autre pas et dire qu’il ne faut pas imposer un carcan aux professionnels de la santé pour leur dire où ils peuvent offrir leurs services.
Je crois que, pour les communautés francophones et acadiennes — dans une moindre mesure, mais c’est vrai aussi pour les communautés anglophones au Québec —, on doit s’assurer de leur offrir des services dans la langue de leur choix.
Si vous me permettez de faire une parenthèse, j’ai été élevé dans la région de Sudbury. Mon papa avait une maladie chronique qu’on appelle MPOC, soit une maladie pulmonaire obstructive chronique. Imaginez si par moment vous sentiez comme si vous respiriez dans une paille. Cette maladie s’accompagne donc d’anxiété. C’était très difficile d’obtenir des services en français. Mon père n’était pas en mesure de tout comprendre lorsqu’on lui offrait des services — aussi formidables qu’ils pouvaient l’être en anglais. S’il n’y avait pas quelqu’un qui l’accompagnait, c’était tout simplement impossible pour lui d’obtenir les services dont il avait besoin.
Je pense que c’est un exemple concret de ma vie qui prouve que l’offre de service en français, c’est plus que « ce serait bien »; c’est vraiment une question de vie ou de mort. Les gens peuvent avoir un mauvais diagnostic si on n’est pas capable d’échanger avec eux dans leur langue maternelle. Pour plusieurs d’entre nous, lorsqu’on est en crise, quand on parle de trouble de santé mentale ou de maladie mentale, on n’est pas en mesure de transférer facilement cette information dans une langue seconde.
La sénatrice Mégie : Le projet pilote qui a été mis en place à Terre-Neuve-et-Labrador est-il terminé ou continue-t-il?
M. Rodrigue : L’offre de service par palier se poursuit toujours et je suis vraiment fier de dire qu’on appuie la progression de cette offre dans d’autres provinces de l’Atlantique et d’autres provinces au Canada.
Pour ce qui est du projet pilote qui permettait à des professionnels de la santé d’offrir des services dans une autre administration, à ma connaissance, une fois que la pandémie a pris fin, les gens sont retournés à leurs bonnes pratiques.
J’espère que ce comité va se pencher sur les manières de créditer les gens qui offrent des services de santé mentale ou des services de santé. Je crois qu’ouvrir réellement les permis à l’échelle nationale permettrait d’éviter des problèmes. J’entendais un témoin parler tout à l’heure, et c’est vrai qu’il y a certains services qui doivent être des services de proximité; c’est clair. Pour des troubles de santé mentale qui sont transitoires, de ce côté-là, je pense que le plus important — et on le sait —, c’est d’obtenir une offre de service le plus rapidement possible, car on met trop souvent les gens sur des listes d’attente en ce moment.
Le président : Je vais poser aussi quelques questions à M. Rodrigue.
Vous avez parlé de la stigmatisation qui entoure la santé mentale. Est-ce que le gouvernement fédéral soutient le besoin de collecter des données probantes sur des populations marginalisées dans des communautés francophones et acadiennes qui se sont diversifiées?
Est-ce que vous êtes en mesure d’avoir des données pour identifier les populations marginalisées, que ce soit les communautés racialisées ou les communautés 2ELGBTQI+, les personnes âgées et les femmes?
Est-ce que vous avez des données suffisamment claires pour identifier le type de services dont ces communautés ont besoin, et la formation nécessaire pour livrer ces services? Il s’agit d’une question linguistique, mais aussi d’une question de compétence par rapport à des enjeux très spécifiques au sein de communautés marginalisées.
M. Rodrigue : La réponse sera courte : non, on n’a pas les données probantes. Il y a des études qui sont faites par des chercheurs, mais on n’a pas de données de base probantes qui permettraient d’évaluer si on fait des progrès au moyen des interventions mises en place.
De ce côté-là, je crois que le Dr Leduc a mis le doigt sur le bobo. Il faut vraiment suréchantillonner dans les communautés francophones et acadiennes pour s’assurer d’avoir suffisamment d’information pour faire les échantillonnages auxquels vous faites référence, mais on ne les a tout simplement pas.
Le président : Dans votre vision de la commission, vous dites que les services de santé mentale de haute qualité sont des services exempts de stigmatisation, axés sur le rétablissement et fondés sur des données probantes, respectueux des valeurs culturelles et linguistiquement équitables et inclusifs.
Adapter les soins sur le plan linguistique, c’est une chose, mais les adapter sur le plan culturel aussi. On est dans une société où on accueille de plus en plus de gens d’un peu partout, et cela fait partie des solutions à nos défis en matière de pénurie.
Quel rôle joue la commission et quel rôle pourrait jouer le gouvernement fédéral pour prendre en compte ces différences culturelles ou cette adaptabilité culturelle?
M. Rodrigue : Je vous remercie de cette question.
Nous avons réalisé très tôt que la stigmatisation liée aux troubles de santé mentale ou à la maladie mentale est différente selon la culture. D’une part, dans certaines cultures, c’est encore un tabou et on n’en parle pas.
D’autre part, les thérapies ont été développées habituellement pour des gens comme vous et moi. De ce côté-là, il y a du travail à faire. On a fait du travail pour les communautés noires, on a évalué certains éléments et on a fait des améliorations pour les populations qui viennent de l’Asie du Sud.
On a adapté les approches, la formation et les conseils pour les praticiens et les praticiennes qui offrent les services. On a aussi cherché quel était l’impact culturel dans l’offre de service et quel est l’impact lorsque nous tentons d’obtenir l’appui de la communauté pour amener les gens à se déstigmatiser.
On a fait ce travail, mais il reste encore beaucoup de travail à faire, car il faut adapter les approches. Une des données qui m’a fait sourire, c’est le fait que les praticiens qui venaient de la communauté avaient de meilleurs résultats, mais que l’on pouvait aussi former les gens qui ne venaient pas de la communauté pour offrir ces services. Vous avez identifié un secteur où l’on peut faire des progrès marqués en adaptant l’offre de service et en incluant des liens avec la communauté, parce qu’ils peuvent être des parties prenantes importantes pour changer la donne sur le terrain.
Le président : Merci pour cette réponse.
La sénatrice Moncion : Ma question touche la violence faite aux femmes et les soins de santé mentale nécessaires pour les hommes, car un homme qui fait subir de la violence à une conjointe n’est pas bien dans sa tête.
Il y a aussi deux choses que j’aimerais savoir à propos de la commission; avez-vous un rôle, disons, de publicité à jouer dans ce secteur pour sensibiliser les gens au fait que les personnes qui posent des gestes violents envers autrui ne sont pas bien? Est-ce qu’on fait de la sensibilisation? Est-ce que la commission a un mandat de ce genre?
Je comprends bien que vous avez des ressources extrêmement limitées et que cela fait 13 ans qu’elles n’ont pas été augmentées. J’aimerais vous entendre sur ces sujets. On sait ce qu’on a à faire du côté financier, mais que doit-on faire outre cela?
M. Rodrigue : Vous soulevez un enjeu important. On n’a pas fait de travail spécifiquement avec les femmes violentées. De ce côté-là, on n’a pas fait de travail soutenu. Le secteur fait un travail important avec des ressources qui, malheureusement, ne répondent pas à la demande. On l’entend dire régulièrement et c’est un problème.
Pour les gens qui vont causer du tort par des blessures psychologiques ou physiques, c’est certain qu’ils ont besoin d’un appui. Personnellement, je suis d’avis qu’on doit, comme communauté et comme société, investir de ce côté-là pour faire de la prévention.
Lorsqu’on pense aux communautés francophones et acadiennes ou aux communautés anglophones en milieu minoritaire, c’est sûr que le problème est encore plus percutant, en premier lieu parce qu’il y a un manque de services — et il y a souvent un manque de services précis; les services dont les gens ont besoin sont très précis de ce côté.
Je n’ai pas de réponse géniale à vous transmettre. C’est quelque chose qui mérite beaucoup de travail et ce n’est pas un secteur où nous avons œuvré depuis le lancement de la commission.
La sénatrice Moncion : Est-ce que le mandat de la commission a été revu? Vous arrivez tout de même avec des solutions et vous avez des enjeux; cela fait partie d’une autre question que je me pose : il n’y a pas de place pour cela dans le travail de la commission? Cela ne fait pas partie de votre planification stratégique? Est-ce plutôt que la commission n’est pas vraiment appelée à intervenir dans ce domaine? Je pense surtout à la santé mentale des hommes qui posent ces gestes, car ce sont eux qui sont malades.
M. Rodrigue : Je pense que vous avez raison. Les mandats de la commission ont été mis à jour, mais je pense qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une large consultation. Il s’agissait d’une décision du Conseil des ministres et ils ont annoncé cela lors d’un budget. Je crois que de ce côté le mandat est large. C’est vraiment le moment de discuter du mandat de la commission et de ce qui est opportun pour les Canadiens et les Canadiennes, ainsi que pour les Québécois et les Québécoises. De ce côté-là, je suis tout à fait d’accord avec vous.
La façon dont on fonctionne est très simple. On fait du travail en amont pour évaluer la situation et analyser où il y a des écarts et où on pourrait jouer un rôle. Avec les ressources dont on dispose, on priorise certains secteurs. Parmi les secteurs priorisés, il y a la cybersanté mentale, parce que cela peut avoir un impact, ainsi que la prévention du suicide, sur lequel on peut aussi avoir un impact. On a développé une approche conçue au Canada sur la prévention communautaire du suicide; je suis très content de l’impact de cette approche au Nouveau-Brunswick, où on l’a mise en œuvre. C’est un peu comme cela qu’on l’identifie.
On identifie aussi des besoins auxquels on ne peut pas répondre; on ajoute ces besoins dans les enjeux à traiter si on peut obtenir du financement additionnel. Il y aurait lieu de faire du travail dans le cas de la violence qu’on fait vivre aux enfants et aux femmes et pour les gens qui posent ces gestes.
La sénatrice Mégie : Je reviens sur les applications de cybersanté, étant donné que la commission pourrait avoir des ressources limitées pour valider tout cela. Vous avez dit qu’il y avait 800 applications dont seulement 3 ont été validées pour aider les gens.
Est-ce que cela prendrait des comités de validation pour évaluer les autres? Il faut qu’il y ait une surveillance; il y a aussi la désinformation que tout le monde connaît qui passe par cette même voie. Y a-t-il un moyen, sans jouer le rôle de la police, d’effectuer une surveillance?
M. Rodrigue : Oui, tout à fait. Au cours des quatre dernières années, nous avons développé des normes pour les applications. Ces normes ont été validées et, comme on ne réinvente pas la roue, on a établi un partenariat avec une entreprise en Grande‑Bretagne qui a déjà déployé une évaluation des applications dans plusieurs pays. Nous en sommes maintenant à évaluer les applications auprès d’une province avec un projet pilote. Avec le financement, on pourra faire ce travail partout au Canada.
La façon dont cela se passe est assez simple. Les créateurs d’applications doivent soumettre leur application, avec un prix modeste. Ils reçoivent ensuite un rapport selon les catégories; une note de 70 %, par exemple, indiquerait qu’en somme l’application est sécuritaire, mais qu’il y a des progrès à faire.
Ils peuvent ensuite travailler sur leur application et la soumettre de nouveau. Les applications doivent être soumises de nouveau tous les six mois, parce qu’elles doivent être mises à jour pour que les professionnels de la santé ou le grand public puissent les utiliser et pour s’assurer qu’elles demeurent sécuritaires.
Concernant ce que je citais tout à l’heure, c’est une étude et pas une évaluation. Ils ont étudié des applications qui étaient disponibles sur Apple Store et d’autres magasins; parmi ces applications, ils en ont recensé 800. Il y en avait seulement 3 qui étaient basées sur des données probantes — 3 sur 800. Il existe des dizaines de milliers d’applications. Cela ne veut pas dire qu’il faut évaluer toutes les applications, mais il faut travailler avec les fournisseurs et les gens qui les développent pour les conscientiser, afin qu’ils développent des applications saines et validées par des données probantes, des applications efficaces qui permettent de faire du bon travail.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
La sénatrice Poirier : Je veux juste être sûre d’avoir bien compris. Vous avez dit plus tôt que, durant la période de la COVID-19, en ce qui concerne les problèmes de santé mentale chez les jeunes, le taux a monté, puis est resté stable. Vous avez aussi parlé de programmes qui leur donnaient accès à de l’aide. Vous avez dit que, dans certains cas sévères, ils peuvent avoir accès à une personne ou à un médecin qui peut travailler avec eux, mais que plusieurs problèmes ont été réglés grâce à certains programmes auxquels ils ont accès. Est-ce que j’ai bien compris?
M. Rodrigue : Vous avez bien compris que cela fait partie de la solution — sans être la seule solution, cela fait partie de la solution. On a parfois besoin d’une consultation d’appui avec un groupe de pairs aidants ou un individu et après, avec une application validée, cela permet de vivre le moment que j’ai vécu, qui était difficile, et de vivre le rétablissement. Cela va appuyer les gens dans ce processus.
La sénatrice Poirier : Cela m’amène à ma prochaine question. Pour avoir accès à ces programmes, il faut passer par un médecin. Peuvent-ils avoir accès aux programmes? La raison de ma question est que j’entends beaucoup dire, surtout depuis les dernières années, que beaucoup de jeunes qui ont des problèmes de santé mentale se trouvent plutôt dans les écoles. On s’en rend compte quand les jeunes s’ouvrent à certains professeurs qui sont proches des jeunes, plutôt que de parler à leurs parents. C’est ce qu’on entend. Je me demande à quel point ces programmes sont disponibles. Est-ce que les écoles savent qu’ils sont disponibles et que les jeunes peuvent y avoir accès? Ils ont des travailleurs sociaux dans les écoles. Est-ce que les programmes sont disponibles ou faut-il toujours passer par un médecin pour y avoir accès?
M. Rodrigue : Excellente question. Je pense que, dans un monde idéal où tout le monde aurait accès à un médecin de famille, ce serait génial d’avoir cette porte-là. Cependant, ce n’est tout simplement pas le cas, donc on n’a pas besoin de passer par un médecin. L’offre de service par palier veut justement dire qu’on n’ira pas voir de médecin avant d’atteindre un certain palier. On aura vu d’abord différentes personnes qui sont en mesure de donner un soutien, comme des travailleurs sociaux, des psychologues, etc. Donc, il y a d’autres fournisseurs de soins de santé qui sont en mesure d’appuyer les usagers, y compris des applications et l’intelligence artificielle qui fait des avancées importantes en santé mentale. Parfois, cela nous effraie, mais il y a des avancées importantes.
La sénatrice Poirier : Merci pour le beau travail que vous faites.
Le sénateur Aucoin : Est-ce que vous pourriez expliquer un peu plus ces applications électroniques? Vous avez dit que, sur 800 applications, 3 seulement étaient basées sur des données probantes. Qu’est-ce que cela veut dire, et comment ces applications fonctionnent-elles dans la réalité? Je veux juste comprendre un peu mieux.
M. Rodrigue : Par rapport aux données probantes, cela veut dire qu’il y a des recherches qui ont suivi le développement de l’application et, au moyen de ces recherches, on peut déterminer que l’application est efficace, que ce soit pour appuyer une personne qui a un trouble de l’humeur ou qui vit le début d’un surmenage professionnel ou d’une dépression. C’est un peu l’approche.
La façon dont cela fonctionne... C’est très large comme question. Je peux vous donner un exemple. Tu peux avoir quelqu’un qui t’accompagne et qui te pose des questions pour savoir comment tu vas. Cela va donner des trucs pour changer tes habitudes. Par exemple, tu peux voir les choses en noir en te levant le matin. Cela ne remplace pas une personne, mais grâce à la cybersanté mentale, il y a aussi des consultations virtuelles comme des téléphones, des vidéos, des clavardages et des messages textes. Les jeunes font beaucoup appel à cela. Il y a des programmes formidables qui permettent aux jeunes d’avoir accès à des soins quand ils le souhaitent. Par exemple, on pense à Jeunesse, J’écoute. C’est vraiment important pour eux et cela sauve des vies au quotidien; c’est important de le dire.
La sénatrice Moncion : Je veux revenir sur ce que vous avez dit sur l’interconnexion provinciale qui existait pendant la pandémie. Qu’est-ce qui a fait que cela a existé pendant la pandémie et que, dès que la pandémie est terminée, cela n’existe plus? Tout le monde est retourné dans son petit coin et cela redevient des chasses gardées des provinces?
M. Rodrigue : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Je vais vous donner ma perception personnelle.
La nature humaine est telle qu’on va toujours revenir à nos bonnes vieilles habitudes, parce que c’est confortable.
Deuxièmement, cela fait 10 ou 15 ans qu’on parle de cybersanté mentale. On a pu déployer ces services en temps réel au début de la pandémie. Pourquoi? Parce qu’il n’y avait pas d’autres options. Je pense que c’est important de le souligner. La rémunération des praticiens et praticiennes est importante de ce côté-là. Encore une fois, c’est plus efficace. L’usage des praticiens et praticiennes, des gens qui sont formés, est plus efficace. Il y a moins de rendez-vous manqués. Pour certaines personnes, si on n’a pas de voiture, il faut se fier aux transports en commun pour aller à un rendez-vous et manquer le travail sans recevoir de remboursement. Il y a des avantages importants pour les gens. S’il existe un espace où on peut faire des consultations, on n’a pas à vivre le tabou qui est d’entrer dans le bureau d’un psychiatre ou d’un psychologue. Il y a d’autres avantages de ce côté-là et c’est pourquoi cela fonctionne bien et c’est efficace en santé mentale.
La sénatrice Moncion : Mais c’est l’inter...
M. Rodrigue : Pour être franc, les ministres de la Santé se sont dotés d’un objectif pour ce qui est des médecins, mais je pense qu’il faut vraiment élargir tout cela aux autres professionnels qui offrent des soins de santé mentale, pour s’assurer que quelqu’un qui pratique au Québec peut offrir des services de l’autre côté de la frontière, que ce soit en Ontario ou au Nouveau-Brunswick, et vice versa. On n’aura jamais suffisamment de professionnels de la santé dans les communautés où on en a besoin. Si on doit choisir entre ne pas obtenir de services ou avoir des services de qualité qui sont culturellement adaptés, mon choix est d’obtenir un service quand j’en ai besoin.
Le président : Merci beaucoup. Merci d’abord pour votre témoignage et merci pour vos réponses à nos questions. En même temps, il est assez troublant de constater que les enjeux de santé mentale sont grandissants au Canada et chez les jeunes et que votre organisation ne reçoit pas le financement nécessaire. Si vous étiez le principal négociateur entre le gouvernement fédéral et les provinces sur les ententes en matière de santé — il y en a qui ont été signées récemment —, sur quoi est-ce que vous négocieriez plus solidement pour prendre en compte les besoins en santé mentale?
M. Rodrigue : Je pense que, de ce côté-là — avec tout le respect que je dois accorder aux provinces et territoires, parce qu’ils sont plus près des gens et qu’ils connaissent mieux les besoins —, un des éléments que je mettrais de l’avant est de m’assurer qu’un pourcentage d’investissement en santé mentale va du côté des troubles de dépendance. Trop souvent, en raison de la stigmatisation à laquelle j’ai fait référence qui est aussi présente en santé, les gens vont privilégier la santé physique plutôt que la santé mentale.
Si j’étais à cette table, ce serait une des lignes rouges que je mettrais en place.
Le président : Merci beaucoup pour votre témoignage et pour votre travail.
Chers collègues, merci pour vos questions pertinentes. C’est ainsi que se termine notre réunion ce soir. Merci et bonne fin de soirée.
(La séance est levée.)