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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 27 mai 2024

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité, étudier l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi, et étudier la teneur des éléments de la section 24 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024; et à huis clos, pour étudier une ébauche de rapport.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis actuellement président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et sénatrices et autres participants qui participent à la réunion en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son.

Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes, qui ont été mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.

Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones des sièges que vous occupez.

N’utilisez qu’une oreillette noire homologuée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Tenez votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.

Merci à tous de votre coopération.

J’invite les membres du comité à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Audette : Michèle Audette, du Québec.

Le sénateur Aucoin : Albert Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le président : Merci. J’en profite pour souhaiter la bienvenue à la sénatrice Audette, qui se joint maintenant au comité et qui fera partie du comité directeur. Bienvenue, sénatrice Audette.

Je vous souhaite la bienvenue ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles nous vous parlons aujourd’hui font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

[Traduction]

Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité et nous accueillons des chercheurs et des organismes qui pourront nous éclairer au sujet de l’un des sept thèmes de notre étude, les professionnels de la santé et les établissements d’enseignement postsecondaire.

Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons en personne Elena Valenzuela, directrice et doyenne associée de l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa.

[Français]

Bienvenue, madame.

Nous recevons également par vidéoconférence, à partir du Manitoba, le Dr José François, chef provincial du service médical, Soins communs , et professeur agrégé au Département de médecine familiale du Collège de médecine Max Rady de l’Université du Manitoba.

Bonsoir à vous deux et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires. Elles seront suivies d’une période de questions des sénateurs et sénatrices.

[Traduction]

Vous avez la parole, madame Valenzuela.

[Français]

Elena Valenzuela, directrice et doyenne associée, Institut des langues officielles et du bilinguisme, Université d’Ottawa : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, merci de m’avoir invitée à présenter mon point de vue sur les services de santé dans la langue minoritaire et sur le rôle des établissements postsecondaires.

Depuis plus de 15 ans, je mène des recherches sur les langues minoritaires dans le contexte canadien. Dans mes recherches, j’examine les défis liés au maintien de la langue minoritaire, la relation entre la langue et l’identité ainsi que les effets des politiques sur le maintien de la langue maternelle.

Aujourd’hui, en tant que directrice de l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa, la plus grande université bilingue au monde, j’ai le plaisir de collaborer avec les enseignants, les professeurs, les chercheurs et les étudiants qui sont engagés et qui soutiennent activement la mission bilingue du Canada, qui enrichit et fait partie intégrante de l’ADN du pays.

[Traduction]

De nombreuses recherches ont été menées sur les effets de la langue utilisée pour les soins prodigués aux patients anglophones, francophones et allophones dans les milieux linguistiques minoritaires au Canada. Une étude portant sur des patients d’établissements de soins de longue durée admis dans des hôpitaux de l’Ontario a montré que lorsque les patients recevaient des soins dans leur propre langue — en français, en anglais ou dans une langue non officielle — leur séjour à l’hôpital était plus court, ils étaient moins anxieux et subissaient moins d’effets indésirables pendant leur séjour à l’hôpital. Des études semblables menées à l’étranger confirment les résultats obtenus au Canada. Le fait que les fournisseurs de soins de santé s’adressent aux patients dans leur langue améliore la communication directe et accroît l’autonomie du patient. Le fait de pouvoir recevoir des soins dans sa langue première et de s’approprier ainsi sa santé et son bien-être est une question de dignité et de respect.

Sur une note personnelle, je suis une fille d’immigrants espagnols et j’ai une expérience de première main de cette question. Mon père a travaillé pendant 30 ans en français et en anglais pour le gouvernement du Canada. Aujourd’hui, à 88 ans, il maîtrise toujours le français et l’anglais, mais l’espagnol reste sa langue dominante. Je l’accompagne à tous ses rendez-vous médicaux parce qu’il trouve que la perte auditive conjuguée à la nécessité de parler dans sa deuxième langue crée une certaine anxiété qui fait qu’il a du mal à retenir les renseignements médicaux. Je suis là pour traduire pour lui. Les rares fois où nous avons rencontré des professionnels de la santé qui parlaient espagnol, j’ai immédiatement constaté une différence dans la participation de mon père à ses soins.

L’accès aux soins de santé dans la langue minoritaire du patient garantit une communication efficace et de meilleurs résultats en matière de santé. Il renforce l’identité culturelle et linguistique de la communauté. En fournissant des services de santé dans la langue minoritaire, nous reconnaissons et soutenons le rôle intégral qu’elle joue dans le bien-être et la continuité culturelle de ses locuteurs. On contribue également au maintien et à la survie de nos langues officielles. Si nous réduisons l’accès aux langues officielles en milieu minoritaire, nous commençons à perdre cette langue. Si le Canada veut respecter son engagement envers le bilinguisme, il doit maintenir l’accès à ces services essentiels dans la langue minoritaire.

Les communautés linguistiques en situation minoritaire, y compris les francophones hors Québec, les peuples autochtones et les allophones, se heurtent à des obstacles considérables à l’accès aux services de santé. Ces obstacles ont une incidence sur la qualité des soins de santé et le bien-être général de ces communautés. Les universités et les établissements d’enseignement postsecondaire peuvent remédier à ces difficultés grâce à la recherche, à l’information et à la mobilisation de la communauté.

Je vais maintenant aborder quelques points clés.

Premièrement, la formation des professionnels de la santé : L’un des enjeux les plus pressants est la pénurie de professionnels de la santé qui maîtrisent les langues minoritaires. Les universités peuvent combler cette lacune en intégrant la formation linguistique aux programmes liés à la santé. Par exemple, l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa offre des programmes d’immersion en français ainsi que des certificats pour les fournisseurs de soins de santé bilingues. L’enjeu principal de l’université est le financement et le soutien de ces programmes.

Deuxièmement, l’enseignement interdisciplinaire : les universités peuvent favoriser la collaboration interdisciplinaire, qui est essentielle pour s’attaquer à des problèmes de santé complexes. Cette approche garantit que les diplômés comprennent non seulement les aspects cliniques des soins de santé, mais aussi les nuances culturelles et linguistiques qui ont une incidence sur les soins fournis aux patients.

Enfin, les programmes de santé bilingues et plurilingues : la création d’un plus grand nombre de programmes de santé bilingues au sein des universités peut attirer des étudiants qui parlent déjà des langues minoritaires et leur fournir un soutien et une formation supplémentaires. La plupart des programmes de sciences de la santé en dehors du Québec soient offerts en anglais, mais plusieurs sont offerts en français et un plus petit nombre sont bilingues. La formation linguistique des futurs professionnels de la santé ne doit pas être minimisée. Des bourses et des incitatifs financiers pourraient encourager davantage les étudiants à suivre ces programmes, et remédier à la pénurie de professionnels de la santé bilingues.

En conclusion, les établissements postsecondaires jouent un rôle essentiel dans l’amélioration des services de santé dans la langue de la minorité en offrant une formation linguistique aux professionnels de la santé, en menant des recherches, en favorisant la collaboration interdisciplinaire et en intervenant auprès des communautés. En investissant dans ces domaines, nous pouvons faire en sorte que tous les Canadiens, quelle que soit leur langue, puissent mieux participer à leurs propres soins de santé, acquérir de l’autonomie et ressentir le sentiment de dignité et de respect que nous méritons tous. Les droits linguistiques sont des droits de la personne.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Valenzuela.

[Français]

Docteur François, la parole est maintenant à vous, et nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires.

Dr José François, chef provincial du service médical, Soins communs, et professeur agrégé du Département de médecine familiale, Collège de médecine Max Rady, Université du Manitoba, à titre personnel : Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je vous remercie de l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui sur la question de la prestation des services de santé dans les communautés linguistiques minoritaires.

J’aimerais particulièrement mettre l’accent sur l’importance de la formation des professionnels de santé francophones au sein de ces communautés en partageant avec vous notre expérience au Manitoba.

Je suis médecin de famille; j’occupe actuellement le rôle de médecin en chef provincial à Soins communs. Depuis mon entrée en pratique en 1999, je travaille activement à la mise en place de programmes pour la formation de médecins bilingues et à l’amélioration des services de santé en français au Manitoba.

Comme nous le savons tous, la langue n’est pas simplement un moyen de communication; elle est un aspect fondamental de l’identité et du bien-être de chacun. Garantir aux communautés linguistiques minoritaires l’accès à des services de santé dans leur propre langue demeure un défi de taille, en particulier pour les communautés francophones à l’extérieur du Québec.

L’importance de fournir des services de santé dans sa propre langue ne peut être surestimée. Les barrières linguistiques peuvent entraîner des malentendus, des erreurs de diagnostic, une moins bonne adhésion au plan de traitement, et, en fin de compte, des résultats de santé plus médiocres pour les individus issus des communautés linguistiques minoritaires.

L’une des étapes cruciales pour aborder cette question est la formation d’un nombre adéquat de professionnels de la santé bilingues au sein des communautés linguistiques minoritaires.

En favorisant des initiatives localisées pour former et retenir des professionnels de la santé francophones dans ces communautés, nous pouvons non seulement améliorer l’accès aux services de santé en français, mais aussi renforcer le sentiment d’appartenance et l’identité culturelle des populations francophones minoritaires.

Ces initiatives peuvent prendre de nombreuses formes, qui vont des efforts ciblés aux partenariats entre universités, établissements de santé et organisations communautaires. Dans le contexte manitobain, nous exploitons une variété d’approches, des activités de promotion de carrières en santé avec nos partenaires du Consortium national de formation en santé, le CNFS, des accords interuniversitaires pour favoriser le retour à la formation dans les programmes externes, comme avec les universités d’Ottawa ou de Sherbrooke, et de la programmation ciblée au sein de la Faculté de médecine de l’Université du Manitoba, notamment une programmation prédoctorale dans le contexte d’un programme de formation en anglais et un programme de résidence en médecine familiale plutôt unique dans l’Ouest canadien.

Sans aucun doute, nos activités locales visant la formation bilingue en médecine familiale ont eu un grand impact, tant pour le nombre d’apprenants que pour l’offre éventuelle de services en français dans notre province.

Le travail de formation ne peut se faire sans considérer l’organisation locale des services. On dit souvent que « la clinique est le curriculum ». La présence de milieux cliniques où on retrouve une offre active de services en français et où il y a une concentration de professionnels bilingues est un facteur important de succès.

En investissant dans la formation de professionnels de la santé francophones au sein des communautés linguistiques minoritaires, nous pouvons contribuer à construire un système de santé plus inclusif et équitable qui répond aux besoins de tous les Canadiens, quelle que soit leur langue.

De plus, en soutenant la formation de professionnels de la santé francophones dans les communautés linguistiques minoritaires, nous pouvons également contribuer à relever des défis plus larges liés à la main-d’œuvre en santé, comme le recrutement et la rétention dans les régions rurales et sous‑desservies.

Ces initiatives ont le potentiel non seulement d’améliorer l’accès aux services de santé pour les populations francophones minoritaires, mais aussi de renforcer la résilience et la durabilité globale du système de santé.

Je vous remercie de votre attention, et j’attends avec impatience les discussions et éventuellement les recommandations qui émaneront de votre étude.

Le président : Merci beaucoup, docteur François. Nous allons passer à la période des questions. Je rappelle à mes collègues que nous nous sommes entendus sur une période de cinq minutes pour les questions et les réponses. Nous ferons un deuxième tour de table si le temps nous le permet.

Je vais d’abord donner la parole à la sénatrice Moncion.

La sénatrice Moncion : Merci aux deux témoins. Docteur François, ma première question s’adresse à vous et concerne quelque chose que vous venez de mentionner au sujet de la concentration de personnel de la santé dans une offre active de services en français. Durant la pandémie, je pense qu’on est devenu efficace dans les services offerts virtuellement, où les patients avaient l’occasion de rencontrer des professionnels de la santé de façon virtuelle et de recevoir des diagnostics ou d’avoir accès à des tests en milieu hospitalier. Je crois qu’un certain degré d’efficacité a été atteint durant cette période.

Dans votre milieu, comment regardez-vous l’avenir du virtuel lorsque vous avez une concentration de professionnels qui sont présents dans un endroit donné, à l’intérieur d’une province, dans des milieux minoritaires francophones, qui seraient en mesure d’offrir des services en français à des gens sans qu’ils soient présents physiquement au même endroit?

Comment intégrez-vous cela dans les projets d’avenir?

Dr François : En fait, le virtuel est devenu un outil très utilisé. Dans ma propre pratique en médecine familiale, je dirais que 30 % des visites se font de façon virtuelle, ce qui nous permet d’offrir des services plus rapidement. Je le vois aussi comme un service complémentaire à notre travail en personne. Les gens ont besoin de se déplacer moins souvent. On peut aborder des problèmes de type géographique.

Dans l’offre de services en français, au Manitoba, par exemple, on regarde beaucoup l’offre de services virtuels pour améliorer l’accès, notamment dans les disciplines en matière de santé mentale. C’est un mode de communication qui s’y prête très bien pour les professionnels, soit les conseillers en santé mentale, les psychologues et les psychiatres, entre autres. On regarde activement comment on peut assurer l’offre de ces services pour les communautés géographiquement plus isolées, et en particulier pour nos communautés minoritaires linguistiques.

Je pense qu’il y a quand même un besoin d’avoir de l’offre de services en personne, et la concentration de services est importante pour nos apprenants. Rien ne remplace le fait d’entrer dans une clinique où le travail se fait en français et où les apprenants peuvent communiquer avec d’autres professionnels. Ce sont mes pensées sur cette question.

La sénatrice Moncion : Madame Valenzuela?

[Traduction]

Mme Valenzuela : Je suis d’accord avec le Dr François pour dire qu’il ne serait pas juste que les personnes qui parlent une langue minoritaire n’aient accès qu’à des visites virtuelles alors que les locuteurs majoritaires ont accès aux deux. Une formation plus poussée des professionnels de la santé — pas seulement des médecins, comme il le disait, mais aussi des techniciens et de tous les aspects des soins de santé — est nécessaire. Le virtuel peut effectivement aider à accéder à la langue minoritaire, mais pour que les choses soient équitables, les gens ne devraient pas être limités — je ne sais pas si je réponds à votre question — à des visites virtuelles s’ils veulent être soignés dans leur première langue. Ils devraient avoir accès aux deux. C’est très important.

La sénatrice Moncion : Je vais aller plus loin dans ma réflexion. Vous avez dit que le fait de pouvoir décrire ses problèmes dans sa propre langue était une question de respect et de dignité . Quand je pense au futur du virtuel, j’imagine que les médecins auront accès à des professionnels qui parleront la langue du patient.

Mme Valenzuela : D’accord.

La sénatrice Moncion : Le patient pourrait se trouver dans le cabinet d’un médecin et être confronté à un problème de langue, par exemple lorsque le médecin ne parle que l’anglais. Ce médecin pourrait alors accéder de façon virtuelle à des professionnels francophones pour que le patient leur explique sa situation, et collaborer avec eux. Je pense qu’il en va de même dans l’environnement universitaire, où nous créons ces systèmes connectés dans lesquels la langue n’est plus un obstacle. Nous n’utiliserions pas d’iPads pour la traduction. Vous pourriez en fait avoir accès à des personnes qui parlent la langue et qui peuvent vous aider. C’est l’évolution que j’imagine.

Mme Valenzuela : C’est probablement la voie à suivre. Le problème est que certaines personnes peuvent ne pas se sentir à l’aise parce qu’elles veulent un contact direct avec le médecin. L’intervention d’une autre personne lors de la visite ne leur permettra peut-être pas de s’approprier le processus. Je suis langagière, je ne suis pas une professionnelle de la santé. Encore une fois, je me place du point de vue de la langue et, en quelque sorte, de l’éthique. Mais le fait d’avoir une équipe de santé qui aide la personne et que l’un des membres de l’équipe parle sa langue serait évidemment préférable au fait de ne pas avoir accès à quoi que ce soit. Cela vaut mieux que rien, mais est-ce ce que nous voulons? Les études que j’ai lues sur ce sujet indiquent que le contact direct avec le médecin, l’accès direct, sans passer par quelqu’un d’autre, réduit réellement l’anxiété.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Madame Valenzuela, pourriez-vous nous en dire plus par rapport au fait que les universités devraient offrir plus de cours de langue aux gens œuvrant dans le domaine de la santé? Je me demandais ce que nous, sénateurs, pourrions faire ou ce que le gouvernement pourrait faire pour que tout cela soit plus accessible. Je peux comprendre pourquoi les étudiants pourraient être réticents à devoir passer plus de temps sur les bancs d’école ou d’université pour apprendre une deuxième langue. Les étudiants sont-ils ouverts à cette possibilité? Cette formation deviendra-t-elle obligatoire? J’ai plusieurs questions à ce sujet.

[Traduction]

Mme Valenzuela : Nous ne voulons assurément décourager personne de se lancer dans les soins de santé ou les sciences de la santé. Le fait de rendre quelque chose obligatoire ne serait probablement pas la solution idéale, mais nous devrions encourager les personnes qui ont, ne serait-ce qu’une petite formation dans l’autre langue à envisager cette possibilité. Même si ces personnes ne sont pas parfaitement à l’aise dans l’autre langue — désolée, nous ne sommes pas censés dire cela —, si elles ne parlent pas couramment le français ou l’anglais, mais qu’elles font vraiment l’effort de comprendre, cela met le patient à l’aise.

Nous devrions offrir la possibilité de suivre une formation linguistique, encourager cette démarche et dire aux personnes que ces compétences leur permettraient de servir plus de patients et d’être plus inclusives. Nous devrions également offrir des bourses ou des incitatifs pour encourager les gens à devenir bilingues ou à améliorer leur bilinguisme, ou à conjuguer la langue et les services de santé. Il est important de conjuguer les deux.

[Français]

Dr François : Je peux vous donner un exemple tangible. À l’Université du Manitoba, on admet chaque année un nombre important de francophiles. Ce sont des anglophones qui ont étudié en immersion française, qui ont peut-être abandonné au secondaire ou qui ont fait leur baccalauréat en sciences en anglais et qui se sentent un peu rouillés. Ces personnes hésitent à suivre un cours de médecine uniquement en français. Toutefois, on tient à récupérer ceux d’entre eux qui sont admis à la Faculté de médecine de l’Université du Manitoba, qui est un programme en anglais.

Nous avons mis sur pied une formation d’appoint pour cette population. Nous offrons un cours qui s’intitule Professional Medical French. Dans ce programme, on enseigne la terminologie. Il se compose de plusieurs sessions et est offert durant les deux années précliniques. Dans ce cours, on fait plus particulièrement des entrevues cliniques. On ne parle pas de termes scientifiques, mais du vocabulaire utilisé en pratique au quotidien. On fait des simulations où les étudiants pratiquent leur entrevue clinique avec des patients simulés. Ils font même des examens cliniques. Les étudiants nous disent que cette formation est un atout, car elle leur permet de pratiquer davantage l’entrevue clinique. Ils se sentent plus confortables quand vient le temps des examens que leurs collègues qui le font uniquement en anglais. Il y a donc une plus-value pour ces étudiants. Cette formation leur apporte un certain confort et ils n’hésitent pas quand ils arrivent en clinique. Ils jouissent d’une certaine préparation. On peut leur confier des patients et ils hésitent moins à travailler dans notre milieu.

Il existe donc des stratégies; peut-être que d’autres endroits au Canada pourraient utiliser des stratégies semblables pour leurs étudiants francophiles.

[Traduction]

Mme Valenzuela : Cela ressemble beaucoup au programme d’immersion en français de l’Université d’Ottawa. Il est basé sur le contenu. On ne se contente pas de faire des fiches de réévaluation et autres, mais on est francophile et on souhaite pratiquer son français dans le cadre du contenu des cours que l’on suit. Cette démarche réduit réellement l’anxiété linguistique. Comme vous pouvez le constater à mon accent en français, je suis également un produit de l’immersion en français. Parfois, je me sens mal à l’aise avec mon accent. Ce programme aide à réduire l’anxiété linguistique parce que vous pouvez vous entraîner à utiliser le vocabulaire auquel vous êtes habitué dans votre domaine d’étude. C’est un très bon programme.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci beaucoup. Ce genre de programme devrait et pourrait probablement s’étendre non seulement aux écoles de médecine, mais à tous les secteurs de la profession.

Je reviens à ma question initiale. Vous avez mentionné le mot « bourses ». Que peut faire le gouvernement fédéral? C’est un peu la raison pour laquelle nous sommes ici. Que peut-on recommander?

[Traduction]

Mme Valenzuela : Des bourses d’études ou des réductions des frais de scolarité, par exemple. Ce type d’incitatif est très appréciable, car les frais de scolarité sont très élevés. C’est difficile pour les étudiants. C’est un sacrifice d’aller à l’université. Toute forme de réduction des frais de scolarité serait formidable, toute reconnaissance de ce type ou tout ce qui pourrait leur donner un avantage pour la recherche d’un emploi plus tard. Si nous accordons vraiment de l’importance aux professionnels de la santé bilingues, un certificat attestant qu’une personne est bilingue devrait être utile et donner un coup de pouce pour la recherche d’un emploi au Canada.

Dr François : Cette formation additionnelle a assurément un coût supplémentaire. Les facultés de médecine doivent investir. Un soutien financier est nécessaire pour former le groupe de patients normalisés que vous pouvez utiliser ou pour trouver des enseignants supplémentaires pour dispenser ces cours de perfectionnement en français.

À l’Université du Manitoba, nous invitons également les étudiants de notre programme d’adjoints aux médecins, et nous avons invité les physiothérapeutes qui travaillent au sein de notre faculté des sciences de la santé à se joindre à nos étudiants en médecine. Il est possible de rendre le programme réellement interprofessionnel et d’adapter le contenu en fonction des groupes.

[Français]

Le président : J’ai une question complémentaire. On a entendu en comité que certains médecins qui peuvent offrir des services dans les deux langues ne le font pas pour des motifs de surcharge de travail. Est-ce une réalité que vous rencontrez dans les milieux hospitaliers? Je pense notamment au Dr François, mais, évidemment, vous pouvez répondre à la question. Est-ce une réalité? Si oui, à votre avis, comment pourrait-on s’occuper de ce défi?

Dr François : Ce n’est peut-être pas à cause de la surcharge de travail. Je crois plutôt que c’est une question de confiance. Certaines personnes ont suivi une partie de leur formation en français ou elles ont une maîtrise moyenne du français, et elles sont peut-être inquiètes de commettre une erreur par manque de confiance en leur capacité linguistique. D’autres ne s’affichent tout simplement pas comme francophones.

Dans le contexte canadien, il y a beaucoup de personnes qui ont des noms de famille qui ne permettent pas de savoir s’ils sont francophones. S’ils ne s’affichent pas, c’est une occasion perdue d’utiliser le français.

[Traduction]

Le président : Pensez-vous à certains éléments liés à la stratégie ou à la formation linguistique? Madame Valenzuela, y a-t-il quelque chose à améliorer?

Mme Valenzuela : Pour revenir à ce qu’il a dit, l’idée de s’inquiéter de commettre une erreur crée également de l’anxiété linguistique. Une formation supplémentaire, comme l’immersion en français ou ce type de soutien, cette formation basée sur le contenu, permettrait d’apaiser cette anxiété.

Dr François : Les établissements de soins de santé peuvent également promouvoir cette valeur ajoutée pour leur établissement. Le fait que les hôpitaux ou les organismes de soins de santé fassent savoir qu’il s’agit d’un élément important des soins qu’ils fournissent constitue également un facteur de facilitation.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui.

Ma première question s’adresse au Dr François. Vous avez parlé des différentes méthodes que l’Université du Manitoba a essayé de mettre en place, comme la formation des médecins en français et les accords interuniversitaires conclus notamment avec l’Université de Sherbrooke, afin d’améliorer et d’augmenter le nombre de prestataires de soins de santé en français. Avez‑vous pu mesurer le taux de réussite de ces différentes méthodes par rapport à la rétention des professionnels francophones? Y a‑t-il d’autres indicatifs qui pourraient vous aider à mesurer ce taux de succès?

Dr François : C’est une très bonne question. À l’Université du Manitoba, on a examiné récemment le taux de rétention de nos étudiants dans notre programme de médecine familiale bilingue. Notre taux de rétention était très semblable au taux de nos sites anglophones, lorsqu’on exclut les gens qui viennent de l’externe. Chez nous, le grand facteur de rétention... Souvent, si la personne n’est pas originaire du Manitoba et vient étudier au Manitoba, on a tendance à perdre ces personnes.

On s’est intéressé au nombre de nos diplômés francophones qui travaillent dans un contexte francophone. Pour nous, c’était la plus grande mesure et on voyait qu’à peu près 80 % de nos diplômés qui ont fait le programme bilingue travaillaient dans un contexte bilingue ou francophone au Manitoba. Pour nous, c’est un gage de succès de former nos propres gens pour qu’on puisse retenir la grande majorité de ces personnes.

Nous leur avons demandé s’ils utilisaient souvent le français. Plus de la moitié nous ont répondu qu’ils utilisaient le français tous les jours; 35 % ont mentionné qu’ils utilisaient le français plusieurs fois par semaine; 10 % ont dit qu’ils l’utilisaient à l’occasion. On a donc constaté que la majorité de nos diplômés travaillant dans un contexte francophone utilisait leur capacité linguistique.

La sénatrice Mégie : C’est très intéressant. Y a-t-il une façon d’étendre vos stratégies à d’autres provinces? Mme Valenzuela a mentionné plus tôt qu’il y a d’autres initiatives mises en œuvre à l’Université d’Ottawa. Y a-t-il moyen de transférer cette approche à d’autres provinces qui pourraient avoir des résultats similaires aux vôtres? Qu’en pensez-vous?

Dr François : Dans le contexte canadien, les communautés qui ont une grande concentration de francophones pourraient reproduire ce que l’on a fait. Dans une communauté comme Edmonton, il y a un centre de santé francophone qui pourrait faire de la formation et de la formation en résidence et faire un peu la même chose que nous. On pourrait penser qu’en Saskatchewan, à cause d’une grande concentration de francophones, il y a des endroits où l’on pourrait faire la même chose. Il y a également d’autres communautés en Ontario, probablement, ainsi qu’en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Madame Valenzuela, quand je vous écoute parler, j’ai l’impression que tout cela, ce sont des vœux. Est-ce que vous les avez déjà expérimentés et cela n’a pas fonctionné? Allez-vous plutôt les mettre en pratique?

[Traduction]

Mme Valenzuela : Il s’agit en partie de vœux et en partie de réalité. La réalité est que nous avons des programmes d’immersion en français qui accompagnent les programmes de premier cycle en sciences de la santé et d’autres programmes de l’université. Nous avons également conclu un accord avec un programme de maîtrise en sciences de la santé. Tout cela est merveilleux, mais nous ne cessons de subir des coupes budgétaires. Pour pouvoir continuer, nous avons besoin de financement et de soutien. Nous en avons et, dans mon institut, nous sommes engagés dans la formation linguistique, le soutien et la recherche. Tout ce que nous voulons, c’est fournir ce service et l’élargir.

Dans le cadre de nos programmes de formation continue, les étudiants étrangers viennent suivre nos cours de langue avant d’entamer leurs études de premier cycle. C’est ce que nous voulons faire. Pour ce qui est de mes vœux ou de mes suggestions, oui, je pense qu’il faut fournir des incitatifs aux étudiants pour rendre les cours plus accessibles à tous, au plus grand nombre possible.

Comme le disait le Dr François, il faut attirer des étudiants francophiles qui ont suivi le programme d’immersion, attirer ces étudiants également, en particulier dans notre région. Ce serait une façon simple d’élargir l’offre de services bilingues.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci beaucoup à vous deux.

La sénatrice Clement : Bonjour et merci aux témoins. Mes questions s’adressent à nos deux témoins. Je vais les poser et je vais les laisser répondre ensuite.

Ma première question s’adresse au Dr François. Je vous remercie d’avoir mentionné l’importance de renforcer le sens de l’appartenance, car c’est réellement la clé de tout ce qui nous fait mal; vraiment.

Vous avez parlé des organisations communautaires, et les témoignages qu’on a entendus jusqu’à maintenant ont souvent rappelé que ce sont les organisations qui jouent le rôle de pont ou identifient où il y a des lacunes. Pouvez-vous nous parler de l’implication des organismes communautaires? Vous avez parlé également d’une programmation ciblée, d’une résidence bilingue unique dans l’Ouest du Canada. Pourriez-vous nous en parler? Ce serait très apprécié.

[Traduction]

Madame Valenzuela, merci d’avoir parlé de votre père. C’est intéressant. Ma langue maternelle est le français. Je suis bilingue, mais quand je suis sortie de la salle opératoire, j’ai voulu parler français. C’était viscéral. Bien sûr, l’anglais revient, mais lorsque j’étais vulnérable et que je me réveillais de l’anesthésie, je n’avais que le français. Il est logique que votre père, qui est parfaitement trilingue, se sente plus à l’aise en espagnol.

Nous parlons de langues officielles dans des contextes minoritaires, et je m’interroge donc sur ce que vous dites à propos d’autres langues.

Mme Valenzuela : D’accord.

La sénatrice Clement : Vous avez également mentionné la mobilisation des communautés et des organismes communautaires. Peut-être pourriez-vous nous en parler également. Vous avez commencé à parler de compétence culturelle.

Je vais commencer par le Dr François, puis je passerai à vous.

[Français]

Dr François : En ce qui concerne les autres organisations communautaires, je pense qu’il y a deux voies.

Tout d’abord, il y a le travail qui se fait en milieu clinique. Je travaille notamment dans un centre de santé communautaire à Saint-Boniface et on travaille beaucoup avec des organisations pour les nouveaux arrivants, des gens en milieu scolaire et des agences communautaires. Cela fait donc partie de notre travail clinique.

Ce qu’on essaie de faire avec nos apprenants, lorsqu’ils sont en milieu clinique, c’est qu’ils voient un peu ce qu’on fait en matière de programmation. Nous avons le luxe d’avoir une agence de développement communautaire qui travaille en liaison avec des agences. On s’assure que nos apprenants, que ce soit un étudiant en médecine, un résident, un étudiant en pharmacie ou une infirmière praticienne, voient que les soins vont bien au-delà de ce qu’on fait au bureau. On s’assure qu’ils aient un point de vue des activités et on les encourage à participer à des activités communautaires. C’est ce qu’on fait de ce côté.

Nous avons un programme de résidence en médecine familiale depuis 2005. Nous avions commencé avec deux résidents en médecine familiale. Nous en sommes maintenant à cinq à six par année qui font leur formation de deux ans. Cela se passe surtout au Centre de santé Saint-Boniface. Cependant, on travaille en collaboration avec deux communautés rurales, Sainte-Anne et Notre-Dame. On s’assure que nos étudiants voient la variété des contextes francophones, à la fois urbains et ruraux.

On fait une grande partie de formation en médecine familiale. Par exemple, pour leur travail en psychiatrie, au lieu de faire un stage, les étudiants travaillent avec une psychiatre francophone qui fait de la consultation dans notre milieu. Pour l’exposition en gériatrie, on fait des soins de longue durée. Les étudiants vont nous suivre dans un centre francophone de soins de longue durée à Winnipeg. On tente d’optimiser et de maximiser le temps qu’ils vont passer dans un contexte où ils sont en contact avec des patients francophones.

De plus, on se dirige de plus en plus vers le travail d’équipe. On travaille en équipe interdisciplinaire, donc avec des pharmaciens, des infirmières, des infirmières praticiennes, des diététistes et des conseillères en santé mentale. On reçoit depuis peu des apprenants de différents champs de formation. Cela ajoute à la richesse de notre environnement de rencontrer des professionnels d’un autre groupe professionnel.

La sénatrice Clement : Merci. Travaillez-vous avec les municipalités pour appuyer les programmes?

Dr François : On a des contacts avec les municipalités, surtout pour la livraison des services. On a parlé à différentes autorités municipales qui tentent de développer leur clinique. On a des pôles de service plus concentrés. Il y a des endroits où on aimerait faire plus de développement, où il y a moins de professionnels et une moins forte concentration. On a des discussions avec les autorités municipales dans ce contexte.

La sénatrice Clement : Merci. Madame Valenzuela?

[Traduction]

Mme Valenzuela : Je pense que votre question portait sur la raison pour laquelle nous discutons des langues non officielles. La réalité est que j’ai vécu avec cela toute ma vie. Cette question a toujours été présente. Je ressens un sentiment de camaraderie avec la communauté francophone hors Québec en milieu minoritaire. C’est un peu la même chose pour mes parents et ce que j’ai vécu avec eux, et dans ce que j’étudie dans le cadre de mes recherches. Bien sûr, c’est différent. Une langue officielle n’est pas une langue d’immigrant. Cependant, en ce qui concerne le nombre de services disponibles ou le fait de vouloir conserver sa culture et de ne pas perdre son identité, il est important que ces services soient disponibles dans votre langue minoritaire. C’est pourquoi j’en ai parlé. On peut faire de nombreuses comparaisons. Je sais que c’est fondamentalement différent, mais il y a des points communs, absolument. J’ai pensé qu’il était important de le mentionner.

Quelle était votre autre question?

La sénatrice Clement : Collaborez-vous avec des organismes communautaires? Comment procédez-vous?

Mme Valenzuela : Je faisais référence à l’idée de l’apprentissage par l’expérience et de la collaboration avec la communauté pour co-concevoir et créer des pratiques exemplaires en matière de soins de santé, disons, ou tout autre sujet dont nous parlons plus spécifiquement. Cette démarche est une grande réussite dans le domaine de l’innovation sociale et dans d’autres domaines de ce genre. Je pense que ce serait une bonne façon de mettre en place une approche interdisciplinaire de la résolution des problèmes dans ce domaine.

La sénatrice Clement : Il est intéressant de constater la fréquence à laquelle d’autres langues sont évoquées, y compris les langues autochtones, n’est-ce pas? Nous avons deux langues officielles, mais l’appartenance à une communauté est également un facteur pour d’autres langues. Nous sommes un pays de diversité, c’est pourquoi je vous remercie de votre commentaire.

Mme Valenzuela : L’élément de l’identité est un fil conducteur qui se retrouve dans l’ensemble du pays.

Le président : Vous avez parlé de recherche dans votre exposé. Bien sûr, vous faites de la recherche. J’aimerais en savoir plus à ce sujet. Existe-t-il suffisamment de données sur la formation linguistique, par exemple, ou sur cette situation? Des études ont-elles été réalisées en français? Je sais que c’est un problème. Il pourrait s’agir, dans ce cas, d’un problème grave si nous parlons de formation linguistique et de compétences linguistiques. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Mme Valenzuela : Des recherches ont bien été effectuées. Notre université possède un laboratoire qui est principalement francophone — pas dans mon département, mais dans un autre — qui étudie cette question. Oui, ces recherches existent. Elles sont disponibles. Je peux vous les transmettre. Si vous le souhaitez, je pourrais les envoyer à la greffière plus tard et vous fournir des articles en français sur ce sujet, qui ont fait l’objet d’un examen par un comité de lecture.

Le président : Nous essayons de comprendre ce que le gouvernement fédéral peut faire ou ne fait pas suffisamment.

Mme Valenzuela : D’accord.

Le président : Dans cette perspective, pensez-vous que le gouvernement fédéral pourrait faire autre chose pour s’assurer qu’il y ait d’abord de la recherche en français, mais aussi pour veiller à ce que nous disposions tous de toutes les données nécessaires pour nous attaquer à ces enjeux?

Mme Valenzuela : Oui. Nous pourrions toujours avoir plus de données. Que peut faire le gouvernement fédéral? En tant que professeurs d’université, nous avons besoin de fonds pour financer ces projets. C’est ce qu’il nous faut. Nous devons engager des étudiants qui nous aideront à recueillir des données. Nous avons besoin de temps pour rédiger les articles et analyser les données. Nous avons besoin de fonds. La situation est très stressante et financièrement difficile à l’Université ces dernières années, en particulier l’année dernière en Ontario. Il serait bon d’obtenir plus de fonds et de soutien.

[Français]

Le président : Docteur François, est-ce que vous avez quelque chose à ajouter à ce sujet? Je vous pose immédiatement ma question : quels sont les plus grands obstacles que rencontrent les professionnels de la santé qui reçoivent une formation leur permettant de travailler dans les deux langues officielles? Quels sont les obstacles majeurs qu’ils rencontrent dans leur pratique? Cependant, tout d’abord, je voudrais vous entendre sur la question de la recherche et des données.

Dr François : Sur le plan de la recherche, on n’a pas de très bonnes études pour nous indiquer quelle est la façon optimale de former des étudiants dans un contexte minoritaire. On a de beaux exemples, mais il y a très peu d’études qui illustrent les résultats lorsque l’on prend un petit nombre d’étudiants dans un contexte minoritaire et qu’on les forme dans leur langue. On a peu d’information là-dessus.

Tout de même, du côté clinique — on parlait justement du virtuel —, ce serait utile de pouvoir évaluer la satisfaction et les résultats lors de livraison des services en français. Ce serait également intéressant, quand on utilise des moyens qui offrent un service en personne avec un complément virtuel, de déterminer quel est le taux optimal du mode présentiel par opposition au mode virtuel pour l’offre de service en milieu francophone. Ce serait intéressant de regarder cela. On a fait beaucoup d’études sur l’état de santé des francophones. Il y a des déficits. Il y a du travail à faire sur l’optimisation de la prestation de services et de la formation.

En ce qui concerne les obstacles, quand on forme des professionnels, on veut qu’ils commencent à exercer par la suite et qu’ils aient une concentration de patients francophones. Il faut s’assurer que, au moment où ils commencent à exercer la médecine, ils peuvent servir autant de francophones que possible. Souvent, dans notre contexte, il y a pénurie. Les gens vont prendre n’importe quel médecin qui est disponible. C’est très difficile pour quelqu’un qui commence sa pratique de dire qu’il veut plafonner à 50 % sa clientèle francophone. Cela devient difficile dans un contexte simplement financier si on est en pratique privée, où il y a des frais de service.

Quand on travaille dans un modèle ou une clinique où il y a une vocation claire par rapport à l’offre de service, c’est beaucoup plus facile de servir une grande tranche de patients francophones. Dans le cas des médecins spécialistes — disons que je suis un gériatre francophone —, il y a des défis, car on n’a pas toujours de contrôle sur la personne qui envoie des patients. Il y a du travail à faire pour s’assurer que les gens en médecine familiale puissent facilement reconnaître qui est un spécialiste francophone, pour faire en sorte qu’un patient francophone soit servi par un professionnel de la santé francophone dans sa langue quand l’occasion se présente.

Il y aurait peut-être du travail de ce genre à faire.

Le président : Je vais vous poser tout de suite ma dernière question avant de donner la parole à quelqu’un d’autre. C’est le genre de questions que l’on pose à plusieurs témoins. On parle de la culture, mais à votre avis, la langue devrait-elle être officialisée comme un déterminant de la santé? La Loi canadienne sur la santé devrait-elle être modifiée pour inclure très clairement cette dimension linguistique? Qu’en pensez-vous, docteur François?

Dr François : Oui, au cours des années, j’ai rencontré beaucoup de patients pour qui le manque d’accès à un service dans leur propre langue a nui à leur santé et a causé des difficultés d’accès, retardé des diagnostics et causé des problèmes dans l’adhésion à un plan de traitement. C’est un facteur. Cela a un impact sur le résultat final pour ce qui est de leur santé.

[Traduction]

Mme Valenzuela : Je suis d’accord. La langue est un élément important de notre santé mentale, de notre santé globale et de notre bien-être. Le fait de parler sa première langue et la langue dans laquelle on se sent à l’aise nous met immédiatement à l’aise, et je pense que cela devrait faire partie de notre tableau de santé global.

Le président : Lorsque la sénatrice Moncion aura posé ses questions, je vous demanderai de répéter la dernière phrase de vos observations liminaires parce que vous avez dit quelque chose d’important. Je vous poserai cette question à la fin.

[Français]

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse aux deux témoins. Le Canada est un pays bilingue depuis longtemps. Le bilinguisme n’est pas seulement pour les francophones. Ceux qui naissent francophones apprennent à devenir bilingues — c’est presque obligatoire —, alors que pour les anglophones, ce n’est pas une obligation. Ma question porte sur les critères d’admission dans les écoles de médecine des universités : le fait d’être bilingue, avant d’entrer à l’université, ne devrait-il pas devenir un critère ou le principal critère des écoles de médecine?

[Traduction]

Mme Valenzuela : Encore une fois, en tant que linguiste et non en tant que professionnelle de la santé, je pense que ce serait un excellent moyen d’encourager le bilinguisme chez les futurs professionnels de la santé et les médecins. Si quelqu’un est monolingue et veut faire des études de médecine, tant mieux pour lui. Cependant, il devrait y avoir des incitatifs pour les personnes bilingues. Ce serait un excellent moyen d’augmenter l’offre de services bilingues.

La sénatrice Moncion : L’encouragement doit être fourni lorsque les élèves entrent à l’école, et non pas lorsqu’ils sont au niveau médical et qu’ils font un choix de carrière.

Mme Valenzuela : C’est exact.

La sénatrice Moncion : Il se peut que ce soit plus tard.

[Français]

Dr François : Dans nos activités de promotion d’une carrière dans le domaine de la santé, on mentionne que le fait d’être bilingue est un avantage. Cela ouvre les portes à un plus grand éventail d’établissements d’enseignement. On rappelle aux étudiants francophones ou en immersion au Manitoba qu’ils peuvent faire une demande de formation en médecine à l’Université d’Ottawa ou dans des universités francophones au Québec, par exemple, en plus des établissements d’enseignement anglophones. Cela leur ouvre des portes.

Sur la question des admissions, à l’Université du Manitoba, nous sommes actuellement en réflexion par rapport à l’admission des gens qui sont francophones ou francophiles. On veut rehausser le profil pour augmenter le bassin d’étudiants qui choisissent notre volet bilingue. On se penche sur certaines barrières. Plusieurs universités anglophones canadiennes utilisent le Medical College Admission Test (MCAT). Les études américaines nous indiquent que les hispanophones font moins bonne figure. On se penche sur la question de savoir si l’on devrait se débarrasser du test d’admission MCAT pour l’admission des candidats dont le français serait la langue première. On se penche sur ces questions pour rehausser la participation.

La sénatrice Moncion : Je vais aller plus loin dans ma réflexion. Je prends l’exemple de l’École de médecine du Nord de l’Ontario, où il y avait un certain nombre de places identifiées spécifiquement pour des personnes candidates autochtones. Par conséquent, on a commencé à former des médecins autochtones qui allaient se retrouver à offrir des services dans les secteurs autochtones. Il y a eu ce critère obligatoire et personne d’autre ne pouvait prendre ces places. Cela donne la chance aux autres. Dans les universités francophones ou bilingues, c’est plus facile d’aller chercher des médecins francophones ou bilingues. Par contre, quand on arrive dans nos universités canadiennes anglophones, qui n’ont pas ce critère d’admission... Cela fait que l’on continue de produire des médecins qui ne parlent que l’anglais, alors que s’il y avait des places réservées même dans ces universités-là pour des étudiants qui sont des médecins francophones, il y aurait probablement un changement de tendance.

Dr François : On se penche sur la question de la création d’un contingent. Chez nous, à l’Université du Manitoba, notre but est que les étudiants fassent une formation d’appoint quant au développement de la langue. Y a-t-il différentes façons de donner le curriculum clinique? L’un des constats que l’on fait est que si, sur une période de deux ans, il y a seulement un stage de six semaines en soins primaires en français et si tous les autres stages sont en anglais, il y a peut-être moins d’occasions d’utiliser le français.

On se penche sur un modèle de stage qui ferait en sorte que la médecine familiale soit longitudinale pendant les deux ans de formation. Les étudiants seraient plus exposés aux soins primaires et à la médecine familiale, qui est un besoin prioritaire pour les populations francophones, et ils auraient l’avantage d’utiliser le français toutes les semaines, plutôt que de façon ponctuelle. Pour l’acquisition et le maintien de la langue, c’est une stratégie préférable.

On examine l’admission, mais également le type de curriculum pour que ces étudiants puissent avoir une expérience qui les préparera mieux pour exercer leur spécialité.

Le président : Merci aux deux témoins de leur participation à cette partie de la réunion.

[Traduction]

Madame Valenzuela, quelle était la dernière phrase de votre exposé?

Mme Valenzuela : En investissant dans ces domaines, nous pouvons faire en sorte que tous les Canadiens, quelle que soit leur langue, puissent mieux participer à leurs propres soins de santé, acquérir de l’autonomie et ressentir le sentiment de dignité et de respect que nous méritons tous. Les droits linguistiques sont des droits de la personne.

Le président : Les droits linguistiques sont des droits de la personne.

[Français]

C’est sur cette phrase que nous allons conclure cette partie de la réunion. Merci à vous deux pour votre contribution, qui nous aidera certainement dans le cheminement de cette étude.

Nous allons faire une pause, le temps d’accueillir nos prochains témoins.

Chers collègues, nous reprenons maintenant nos travaux et accueillons Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, pour discuter du rapport annuel sur les langues officielles de 2023-2024, ainsi que du nouvel ordre de renvoi du comité, c’est-à-dire la teneur des éléments de la section 24 de la partie 4 du projet de loi C-69, si le commissaire peut intervenir à ce sujet.

Bienvenue parmi nous. Vous êtes accompagné de membres de votre personnel. C’est toujours un plaisir de vous accueillir. La parole est à vous, et nous passerons par la suite à une période de questions.

Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci, monsieur le président. Honorables membres du comité, bonjour.

Avant de commencer, je tiens à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe, un peuple autochtone de la vallée de l’Outaouais. Je suis heureux de me joindre à vous aujourd’hui pour discuter de mon rapport annuel de 2023-2024.

Comme vous le savez, la modernisation de la Loi sur les langues officielles, en juin dernier, a marqué le début d’un nouveau chapitre de l’histoire des langues officielles, mais aussi du Commissariat aux langues officielles. Après plusieurs mois de travail, les fondations qui me permettront d’exercer mes nouveaux pouvoirs sont solidement en place. Nous sommes maintenant prêts à passer à l’action, selon le calendrier que j’ai dévoilé lors du dépôt de mon rapport annuel.

[Traduction]

Ainsi, entre juillet et septembre 2024, je commencerai à offrir aux institutions fédérales la possibilité de conclure un accord de conformité pour régler une plainte. Entre décembre 2024 et février 2025, je serai en mesure d’émettre des ordonnances afin d’obliger des institutions fédérales fautives à se conformer à la loi.

Pour ce qui est des sanctions administratives pécuniaires, je pourrai utiliser ce pouvoir lorsque le gouvernement aura émis un décret du gouverneur en conseil et adopté un règlement encadrant leurs modalités. Je sais que le gouvernement travaille sur ces éléments à l’heure actuelle; mon équipe et moi serons prêts lorsqu’ils verront le jour.

Par ailleurs, entre juin et août 2024, nous commencerons à offrir aux plaignants et aux institutions fédérales un service de médiation pour tenter de trouver une solution mutuellement acceptable aux enjeux soulevés dans les plaintes.

[Français]

D’ici à juillet 2024, nous lancerons également un nouveau processus d’enquête qui permettra de servir la population le plus efficacement possible.

Finalement, d’ici la fin de mars 2025, les sommaires de certaines de mes enquêtes seront publiés sur le site Web du commissariat. Bien entendu, les changements à venir nécessiteront une certaine période d’adaptation, tant pour les parties impliquées que pour mon équipe. C’est pourquoi nous commencerons à utiliser ces nouveaux outils de manière graduelle, avec le financement supplémentaire qui nous a été accordé dans le budget de 2024.

[Traduction]

Il est difficile d’affirmer à l’heure actuelle si ce financement suffira, car nous n’avons pas encore tous les détails sur la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et mon nouveau pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires. Nous en saurons davantage lorsqu’ils entreront en vigueur. Cela dit, je veux être clair : mon équipe et moi-même sommes pleinement mobilisés pour mieux faire respecter les droits linguistiques de la population.

Comme vous l’avez probablement remarqué dans mon rapport annuel, les 847 plaintes recevables déposées auprès de mon bureau en 2023-2024 contrastent quelque peu avec les volumes très élevés de plaintes auxquels nous nous sommes habitués ces dernières années. Cette tendance va-t-elle se maintenir dans le temps? Malheureusement, je n’ai pas de boule de cristal qui me permette de répondre avec certitude à ces questions. Seul l’avenir nous le dira.

[Français]

Chose certaine, cette diminution ne signifie pas qu’il faut lever le pied de l’accélérateur. Au contraire, nous devons poursuivre sur cette lancée et nous appuyer sur les progrès réalisés jusqu’à présent afin de produire des changements concrets et durables et d’assurer l’avenir de nos deux langues officielles d’un bout à l’autre du pays. Je compte ainsi sur l’ensemble des institutions fédérales, qui devront redoubler d’ardeur afin de respecter leurs obligations linguistiques, y compris celles qui ont été ajoutées dans la loi modernisée.

Même dans l’attente de règlements, les institutions fédérales ont de nouvelles obligations auxquelles elles doivent se conformer dès maintenant. Je songe notamment aux obligations en vertu de la partie VII de la loi, qui porte sur la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais.

[Traduction]

C’est pourquoi, afin d’assurer le respect de la partie VII, j’ai récemment publié une feuille de route conçue comme un outil pratique qui se veut un outil pratique pour aider les institutions fédérales à comprendre et remplir leurs obligations, mais aussi pour aider les membres du public à mieux comprendre leurs droits linguistiques. Dans mon rapport annuel, je recommande à l’ensemble des sous-ministres et administrateurs généraux de la fonction publique fédérale d’incorporer à même leur plan stratégique, d’ici le 31 mai 2025, un plan pour atteindre la pleine mise en œuvre de la partie VII de la loi, qui s’appuie sur la feuille de route que j’ai mise de l’avant pour soutenir les institutions fédérales. Bien que le respect de la partie VII de la loi ne dépende pas de l’élaboration de règlements, ceux-ci définiront des paramètres plus clairs permettant aux institutions fédérales de respecter pleinement et efficacement leurs obligations.

[Français]

Heureusement, les choses progressent. Le gouvernement fédéral travaille actuellement à développer les instruments pour appuyer la mise en œuvre de la loi modernisée, y compris le règlement portant sur la partie VII. Je suis ce dossier de très près et j’ai d’ailleurs récemment publié un document de positionnement décrivant les grands principes qui devraient, selon moi, guider l’élaboration du règlement.

Parmi les changements qu’apporte la nouvelle mouture de la loi, on retrouve également l’obligation d’examiner la loi tous les 10 ans, ce qui lui permettra de rester en harmonie avec l’évolution de la société canadienne.

Toutefois, pour ce faire, des indicateurs doivent être définis le plus rapidement possible afin d’observer l’application de la loi, de suivre l’évolution des enjeux et de proposer des changements en temps opportun.

[Traduction]

Dans mon rapport annuel, je recommande à la ministre du Patrimoine canadien de développer et de rendre public d’ici juin 2026, en consultation avec la présidente du Conseil du Trésor, des indicateurs permettant de procéder à l’examen des dispositions et de l’application de la loi en prévision de la revue décennale de 2033.

Comme vous l’aurez constaté, je fais état cette année d’une période de changement et de transition dans le monde des langues officielles. Même s’il nous reste du pain sur la planche pour nous assurer de mieux faire respecter les droits linguistiques du public et des fonctionnaires fédéraux, je demeure convaincu que nous pouvons y parvenir. Tout le chemin parcouru depuis l’adoption de la loi, il y a près de 55 ans, en témoigne. Chaque réussite compte.

[Français]

Puisque votre comité entame son étude préliminaire aujourd’hui, j’aimerais aborder quelques aspects du projet de loi C-69. Comme vous le savez, ce projet de loi propose certains changements à la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, qui fait partie de la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

Un des principaux changements proposés vise à me permettre d’exercer mes pouvoirs d’enquête, tant pour les plaintes reçues des employés actuels des entreprises de compétence fédérale que de la part d’anciens et de futurs employés.

Selon moi, ce changement sera bénéfique, parce qu’il permettra à plus d’employés d’entreprises privées de compétence fédérale de travailler en français.

[Traduction]

En étudiant ces nouvelles dispositions, j’ai remarqué que la formulation de l’article qui porte sur l’envoi de mes rapports d’enquête aurait pour effet de m’empêcher d’envoyer mes rapports d’enquête aux plaignants, ce qui semble non intentionnel. Cet article pourrait être modifié, afin que les plaignants reçoivent mes rapports d’enquête au même titre que les dirigeants des entreprises visées par l’enquête.

Depuis la modernisation de la loi, nous travaillons à mettre en place des bases solides pour assurer un meilleur avenir pour nos langues officielles. La loi modernisée, plus robuste et mieux adaptée à la société d’aujourd’hui, représente une avancée importante pour la protection des droits linguistiques de la population et la vitalité de nos communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Nous devons saisir cette occasion pour la mettre en œuvre pleinement, et apporter des changements concrets et durables pour améliorer l’état de nos langues officielles, tant dans la fonction publique fédérale que dans l’ensemble de la société canadienne.

[Français]

C’est avec une loi revue de façon rigoureuse, pleinement mise en œuvre et soutenue par un leadership fort de la part des hauts dirigeants que nous contribuerons à bâtir un avenir où la population aura toutes les chances de s’épanouir dans les deux langues officielles, et où les fonctionnaires fédéraux pourront enfin travailler librement dans la langue officielle de leur choix, là où la loi le permet.

Je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, que je vous invite à poser dans la langue officielle de votre choix.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le commissaire, pour ce bilan que vous faites de façon assez positive et optimiste par rapport à l’avenir de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Avant de donner la parole à mes collègues, j’aimerais que vous nous parliez davantage de la prise de règlement par rapport à la partie VII. En fait, ce que l’on entend de la part des communautés, c’est qu’elles sont inquiètes des délais dans la prise de règlement en ce qui a trait à la partie VII et aussi des ressources dont vous disposez.

Au-delà de ce qui est positif et formidable, quelles sont vos préoccupations à ce stade-ci par rapport à la partie VII, qui est si importante pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire? Du même coup, je vous demanderais de nous dire ce que vous savez à propos du Centre de renforcement de la partie VII promis par le gouvernement. Quel est le rôle de ce centre et quelle serait sa responsabilité? Que pouvez-vous nous dire sur vos réflexions à ce sujet?

M. Théberge : Vous avez tout à fait raison de dire que la partie VII est une partie de la loi qui vise à appuyer le développement et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Le langage utilisé dans la partie VII de la nouvelle loi est certainement beaucoup plus rigoureux et plus robuste que celui de l’ancienne loi.

On précise quelles sont les mesures positives, on précise ce qu’on doit faire des études d’impact et on précise qu’il faut consulter les communautés. La partie VII est déjà en vigueur; ce qui manque, c’est le règlement qui, à mon avis, doit clarifier plusieurs choses. On doit identifier clairement les étapes de la mise en œuvre des mesures positives. On doit s’attarder sur un mécanisme de consultation. On parle beaucoup du « par et pour ». Toutes les institutions fédérales ont des obligations en ce qui a trait à la partie VII.

Lorsqu’on travaillait sur notre document de positionnement par rapport à la partie VII, ce n’était pas nécessairement bien compris par l’ensemble des institutions fédérales. Cela touche Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), par exemple, mais la question touche tout le monde, en fait, car presque toutes les institutions fédérales travaillent avec les communautés. Il y avait un manque de compréhension et de sensibilisation. Si ce manque de compréhension est toujours présent, on ne doit pas s’attendre à ce que les institutions fédérales fassent activement la mise en œuvre de cette loi.

Le gouvernement s’est engagé à développer le règlement le plus rapidement possible. Vous vous rappellerez qu’en juin de l’année dernière, on parlait de le faire en trois ans; maintenant, on parle de 18 mois. Les consultations sont en cours.

Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons développé un document de positionnement et une feuille de route pour les institutions fédérales. La raison pour laquelle on l’a fait, c’est parce qu’on ne veut pas attendre. Si vous voulez de bonnes idées sur la façon dont nous voyons la mise en œuvre de la partie VII, vous pouvez consulter notre feuille de route, qui fournit de bonnes informations par rapport à cette question, en plus du document de positionnement.

Je peux comprendre les inquiétudes des communautés. On pourrait avoir un règlement peut-être trop large et pas assez prescriptif. Dans la partie VII, on identifie des institutions en particulier. On parle d’IRCC et du continuum en éducation. On est même rendu dans le monde formel et informel. Concrètement, est-ce qu’il existe des ressources pour appuyer ce continuum en éducation?

L’autre élément important de la partie VII, c’est la protection et la promotion du français. Est-ce qu’il y a des programmes en place pour assurer la protection et la promotion du français? Le rôle de protection du Commissariat aux langues officielles a changé avec la nouvelle loi. Il est maintenant stipulé dans la loi qu’on doit faire de la promotion et de la conformité. De toute façon, le commissariat n’a jamais eu les ressources nécessaires pour faire la promotion des droits linguistiques à l’échelle du pays.

Il y a donc un travail qui se fait, et ce, dans une certaine urgence. Pour ce qui est du Centre de renforcement de la partie VII, je pense qu’il a reçu un financement lors du dernier budget, mais il demeure assez embryonnaire en matière de projets. Il est clair qu’une gouvernance est nécessaire pour la mise en œuvre de la partie VII, et je crois que ce centre pourrait jouer un rôle important.

Il faut se rappeler que Patrimoine canadien a des décennies d’expérience à travailler avec et auprès des communautés. Je pense donc que c’est un centre qui est bien situé et que tout cela reste à définir.

Pour ce qui est des ressources du commissariat, disons que pour la mise en œuvre des nouveaux pouvoirs, je pense qu’on est en mesure de le faire, mais lorsqu’on va en ajouter d’autres plus tard, c’est une question que l’on devra se poser. On a quand même... Nous sommes heureux de constater que le gouvernement appuie la priorisation des langues officielles avec un financement.

Le président : Merci, monsieur le commissaire.

La sénatrice Moncion : Ma question touche les recommandations que vous présentez. Je crois qu’elles sont présentées dans votre rapport annuel. Vous parlez de la recommandation no 2. Elle recommande à l’ensemble des sous‑ministres et administrateurs généraux d’incorporer à même leur plan stratégique, d’ici le 31 mai 2025, un plan de mise en œuvre de la partie VII de la loi, c’est-à-dire environ un an avant l’entrée en vigueur du futur cadre réglementaire en la matière. C’est le premier commentaire. Dans le deuxième, vous parlez d’un plan de mise en œuvre de la partie VII. Je pense que vous faites des suggestions aux différents ministères dans votre feuille de route afin d’amener les différents ministères à se conformer. À quel point est-ce pris au sérieux par les différents ministères?

M. Théberge : En guise de réponse, la semaine dernière, j’ai rencontré l’ensemble des sous-ministres de l’appareil fédéral pour leur parler de la partie VII, de sa mise en œuvre et de l’importance de bien articuler leurs obligations par rapport à celle-ci. On dit souvent que le leadership commence en haut, et il est extrêmement important que le leadership soit engagé par rapport à la partie VII. Il est difficile de juger de l’impact, mais une chose est claire : maintenant, tout le monde et tous les sous‑ministres sont conscients de la partie VII et de leurs obligations. Ce que j’ai entendu, c’est qu’on prend la question au sérieux. On nous demande souvent de donner des sessions d’information sur la conformité — et on le fait.

De plus, la fonction publique fédérale s’est engagée dans un processus de renouvellement d’un code de valeurs et d’éthique sur lequel on a beaucoup travaillé pour s’assurer que les langues officielles en font partie. Les langues officielles sont maintenant au cœur de ce code de valeurs et d’éthique. Lorsqu’on parle du plan stratégique, on doit intégrer les langues officielles partout dans l’organisation, pas seulement dans une unité — souvent, ce sont les ressources humaines.

Il y a plusieurs années, on a fait des études sur ce qu’on appelle le « modèle de maturité des langues officielles ». On constatait que les langues officielles n’étaient pas intégrées dans toutes les fonctions de l’institution. Le message que l’on envoie, c’est que les langues officielles ne sont pas quelque chose qu’on fait sur le coin d’un bureau. Cela fait partie de l’organisation. On commence donc à sensibiliser et à éduquer au plus haut niveau possible. On parle d’un leadership engagé et éclairé.

Je vais être tout à fait honnête : si on n’a pas cet engagement de la part du leadership, je ne suis pas convaincu qu’il y aura une bonne mise en œuvre. Il sera important de passer le message souvent, de faire une vigie sur la mise en œuvre et de pousser le gouvernement à adopter un règlement le plus tôt possible. Nous devons être très précis pour ce qui est d’identifier nos attentes.

La sénatrice Moncion : Merci pour votre réponse. Vous me rassurez sur certains aspects dans le sens où vous parlez d’un processus d’accompagnement et de formation. Vous parlez des indicateurs de rendement que vous pourrez voir à un moment donné. J’aime aussi entendre que cela doit devenir automatique de penser au bilinguisme et de penser aux francophones et aux anglophones dans toutes les composantes.

Je vais vous donner un exemple. À un moment donné, la Banque de l’infrastructure du Canada a été créée et ils ont affiché des postes. Ils n’indiquaient pas qu’il fallait du personnel bilingue pour faire le travail. Cela n’a pas été quelque chose qui a été pensé; cela s’est produit après.

Je pense que la mesure des indicateurs de rendement et le suivi seront importants. Jusqu’à quel point croyez-vous que les ministères vont vous donner des indicateurs de rendement, et comment serez-vous en mesure de suivre ces fameux progrès?

M. Théberge : On est au début de l’exercice, donc je suis optimiste. Il se peut que je change d’idée la semaine prochaine, mais je suis optimiste. C’est important d’avoir un cadre de reddition de comptes. Le Conseil du Trésor a un rôle important à jouer pour développer un cadre de reddition de comptes pour l’ensemble des institutions fédérales.

C’est important de mentionner que, souvent, la volonté existe, mais le savoir-faire n’est pas nécessairement toujours là — le comment. Quand je disais plus tôt qu’il fallait intégrer cela dans toutes les fonctions de l’organisation, c’est la seule façon que cela va faire partie de la culture de l’organisation.

Dans le modèle de maturité des langues officielles qu’on utilisait par le passé, il y a de très bons indicateurs qu’on peut utiliser. Plusieurs institutions fédérales sont passées par l’exercice. De fait, on a partagé l’outil avec le Secrétariat du Conseil du Trésor , qui s’y intéresse. Si on adopte un outil semblable, je pense que ce serait vraiment bénéfique pour la surveillance de la mise en œuvre.

Dans notre rôle au commissariat, on a notre perspective par rapport aux façons dont les choses devraient fonctionner, ce qui n’est pas nécessairement la même chose que certaines institutions fédérales. Par contre, je dirais qu’on a une expertise que l’on peut partager avec les institutions fédérales. Cela fait quand même plus de 50 ans qu’on travaille dans le domaine. On a reçu au-delà de 70 000 plaintes. On comprend un peu comment tout cela fonctionne.

Je pense qu’il ne faut pas négliger le fait qu’on a un nouveau régime linguistique. Quand on a un nouveau régime linguistique, c’est le moment de voir comment on peut le faire vivre. Dans l’ancien régime, on avait le même nombre de plaintes, mais les comportements des institutions fédérales ne changeaient pas. Maintenant, avec les outils qu’on a, peut-être qu’on peut réussir.

Cela dit, on est au début du processus et il faut essayer d’avoir une approche positive.

La sénatrice Moncion : Je suis marraine du projet de loi C-59 et j’ai rencontré tout le personnel du ministère des Finances. Je vous dirais que tous les fonctionnaires ont fait leurs présentations en français, du premier au dernier. J’ai été époustouflée et je leur ai tous fait pratiquer leur français cette journée-là. J’ai trouvé cela fantastique. Je me suis dit que très souvent, on ne sait pas que le personnel est bilingue. Ils s’adressent souvent à nous seulement dans une langue, celle dans laquelle ils sont le plus à l’aise, mais je vous dirais qu’ils étaient une quarantaine qu’ils m’ont tous parlé en français.

M. Théberge : Ce que vous dites est beaucoup lié à ce que j’appelle l’insécurité linguistique. Beaucoup de gens ont une deuxième langue qu’ils ne veulent pas utiliser pour toutes sortes de raisons, mais ils sont en mesure de le faire. On doit créer des conditions où les gens ne craignent pas d’utiliser leur langue seconde et même, dans certains cas, leur langue maternelle. C’est important de faire des pressions.

Le président : Merci beaucoup. Juste pour contrebalancer un peu les choses, je siège à un autre comité où l’on reçoit actuellement de hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral qui ne jugent pas approprié d’avoir quelqu’un dans leur équipe qui peut nous adresser la parole en français. Ils acceptent les questions en français, mais ils répondent uniquement en anglais. Vous jugerez par cela qu’il y a encore du travail à faire et que votre optimisme va se transformer en grande énergie. Cela va faire en sorte de transformer nos institutions fédérales et les gens qui y travaillent.

La sénatrice Audette : Moi aussi, j’ai toujours espoir.

[mots prononcés en innu-aimun] et merci beaucoup d’être parmi nous. C’est ma première réunion officielle comme membre de ce comité important.

Du côté des langues autochtones, on parle de commissaire aux langues autochtones et d’organisations qui sont créées par le gouvernement fédéral, mais elles sont seulement anglophones. Ma première langue est le français, ma deuxième langue est l’innu-aimun et ma troisième est l’anglais.

Dans le cadre de ce nouveau régime ou de la reddition de comptes, comment pourriez-vous rappeler au gouvernement fédéral qu’il y a des Premiers Peuples qui n’ont pas choisi le français, même s’il en est ainsi? Or, on ne peut même pas être servi en français par ces institutions fédérales destinées aux peuples autochtones.

M. Théberge : C’est une excellente question. On sous-estime, même au sein de l’appareil fédéral, le nombre de personnes autochtones qui parlent le français. À mon avis, il existe une croyance selon laquelle nous parlons tous anglais. Il y a donc du travail à faire.

J’ai eu des conversations avec le commissaire Ignace au sujet des nombreux défis auquel il fait face sur les plans de la promotion, de la valorisation et de la revitalisation des langues autochtones. Le message important à transmettre et à faire comprendre, c’est le fait qu’un grand nombre d’Autochtones parlent le français.

Nous avons fait une étude sur la diversité. On dit toujours qu’il est difficile de trouver des candidats bilingues pour occuper certains postes, car ils ne reflètent pas la diversité. La francophonie est devenue très diversifiée. Plus de 200 000 Autochtones parlent le français au Canada. Le phénomène est régionalisé, mais dans le coin d’où je viens, au Manitoba, plusieurs membres de la nation métisse parlent le michif. Il y a pourtant une perception selon laquelle tout le monde parle anglais.

Le message important est qu’il existe des gens et des communautés qui parlent le français et qui méritent d’être servis dans la langue officielle de leur choix, même s’ils parlent une langue autochtone.

La sénatrice Audette : On peut donc venir vous voir pour porter plainte ou vous pouvez faire des pressions?

M. Théberge : Je préfère faire des pressions.

La sénatrice Audette : Merci.

La sénatrice Mégie : Merci d’être parmi nous, monsieur le commissaire, ainsi qu’à vos invités. J’en venais aux plaintes; cela tombe bien.

En ce qui concerne le refus d’instruire, on dit dans le document que le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou cesser d’instruire une plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants : la plainte n’a pas été déposée dans un délai raisonnable...

Pour vous, quel est le délai raisonnable? Est-ce le délai prescrit dans le projet de loi C-13 ou un autre délai? C’était un an.

M. Théberge : C’est un délai que nous avons imposé pour des raisons très pratiques. Premièrement, après un an, très souvent on ne peut pas aller chercher l’information, car elle a disparu. Nous avons prévu deux délais : un de six mois et l’autre d’un an. Le délai de six mois est pour les parties IV et V; le délai d’un an concerne la partie VII.

Comme je l’ai dit plus tôt, si on veut réellement être en mesure d’enquêter, nous avons besoin d’information et d’accès à l’information. Par exemple, lorsqu’on fait affaire avec l’Agence des services frontaliers du Canada, il y a beaucoup d’enregistrements et d’interactions avec les « clients », mais l’information n’est pas conservée plus qu’un certain nombre de semaines; par la suite, elle disparaît. Il est donc important d’aller chercher l’information. Notre expérience nous a montré que la plupart des gens déposaient une plainte dans un délai raisonnable. Il est très rare que la plainte soit déposée deux ans plus tard.

La sénatrice Mégie : Merci. J’ai une autre question sur la protection des droits en matière de langues officielles, plus particulièrement sur l’étude ACS + qui a été faite là-dessus. C’est au sujet d’une phrase qui me semble ambiguë. J’aurais aimé savoir ce que vous en pensez. Je ne vous lirai pas le gros paragraphe, mais j’ai pris la partie qui m’intrigue. L’étude dit que les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont tendance à inclure de façon disproportionnée — et ce mot me dérange — un plus grand nombre de personnes nouvellement arrivées et de personnes noires et racisées.

Comment l’interprétez-vous? Quand on dit « de façon disproportionnée », est-ce qu’on parle de gens qui n’ont pas d’affaire là et que l’on a inclus?

M. Théberge : À quel document faites-vous référence?

La sénatrice Mégie : La source est Statistique Canada, et on parle de l’étude ACS + qui nous a été envoyée.

Le président : Sur le budget?

La sénatrice Mégie : Oui.

Le président : Dans le projet de loi du budget.

M. Théberge : Je n’ai jamais vu cette étude.

La sénatrice Mégie : C’est une étude de Statistique Canada.

Le président : Oui.

La sénatrice Mégie : Est-ce que je peux vous la transmettre?

M. Théberge : Oui, certainement. C’est quelle partie?

La sénatrice Mégie : C’est la partie sur la protection des droits en matière de langues officielles, particulièrement les répercussions sur la qualité de vie.

Le président : Dans l’étude qui accompagne le projet de loi sur le budget.

La sénatrice Mégie : Qui accompagne le projet de loi C-69.

M. Théberge : L’étude est de Statistique Canada, donc je ne pourrais pas contester leurs chiffres. Si je comprends bien ce paragraphe, récemment, quand on parle d’immigration francophone, surtout dans les communautés francophones hors Québec, on constate qu’un très grand nombre de nouveaux arrivants et d’immigrants viennent de pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord, par exemple. J’ai l’impression que cet énoncé fait référence à ce groupe.

La sénatrice Mégie : Comme il y a un plus grand nombre de personnes qui parlent français, cela envahit plus?

M. Théberge : Il y a beaucoup de discussions actuellement sur l’immigration. Du fait de la partie VII de la loi, IRCC est censé déposer un programme sur l’immigration francophone que le ministère a développé au mois de janvier. Je pense qu’un élément important de ce plan d’immigration est d’aller à la rencontre des immigrants potentiels là où ils sont.

La sénatrice Mégie : Merci. Si à un certain moment vous avez d’autres idées sur ce document, pourriez-vous les envoyer au greffier par écrit, s’il vous plaît?

M. Théberge : Oui.

Le président : Très bien.

Le sénateur Aucoin : Puisque je viens d’un milieu francophone minoritaire, je regarde le nombre de plaintes. Il y en a eu 847 en 2023-2024. Le chiffre a diminué de plus de 50 %. Vous avez admis vous-même que les résultats, par le passé, et le nombre de plaintes — et je ne veux pas mettre de mots dans votre bouche —, pour ce qui est des ministères, ne changeaient pas nécessairement grand-chose. Qu’est-ce qui nous permet, au comité sénatorial et dans les communautés francophones en milieu minoritaire, d’être optimistes comme vous l’êtes sur le fait que les nouvelles sanctions ou les nouveaux pouvoirs du commissaire vont amener un vrai changement d’attitude et des résultats? Ce n’est pas juste l’attitude qui doit changer. Il doit y avoir des résultats et des changements dont nos communautés en milieu minoritaire bénéficieront.

M. Théberge : Avant le projet de loi C-13, le commissaire recevait une plainte, il enquêtait et faisait une recommandation. La mise en œuvre de la recommandation dépendait de la bonne volonté de l’institution fédérale. Maintenant, avec le projet de loi C-13, on aura un nouveau processus d’enquête qui sera comme une autoroute. On reçoit une plainte, puis on peut aller en médiation pour résoudre le problème rapidement. On peut aussi conclure une entente de conformité avec des échéanciers en spécifiant les résultats. Si l’entente de conformité n’est pas respectée, on peut émettre des ordonnances, comme le font les tribunaux. Les mécanismes sont donc beaucoup plus forts.

Plus tard, avec la possibilité d’imposer des sanctions pécuniaires — il faudra attendre le règlement —, ce sera un mécanisme encore plus fort.

Donc, on a maintenant des outils. Je veux les utiliser, mais j’aimerais aussi qu’il y ait un changement d’attitude. Ce n’est pas juste en étant coercitif qu’on va apporter des changements, mais c’est utile d’avoir ces outils dans sa boîte à outils pour favoriser des changements de comportement.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, très souvent, les institutions fédérales font la mise en œuvre des recommandations, mais on reçoit une autre plainte plus tard, car l’organisation n’a rien changé. J’oserais croire qu’avec ce nouveau régime linguistique, avec les mécanismes de conformité et les nouvelles obligations exigées des institutions fédérales, cela nous permettra d’assurer une meilleure conformité.

Le sénateur Aucoin : Vous parlez de l’usage de la médiation et vous avez publié des sommaires d’enquête. Est-ce que cela peut vouloir dire que vous pourriez publier périodiquement, continuellement ou de façon plus expéditive le résultat de la médiation, de la plainte et des sanctions, que tout cela soit public et que cela se fasse dans un délai très raisonnable à la suite de la conclusion du processus?

M. Théberge : La publication des sommaires d’enquête a une valeur éducative; c’est aussi une question de transparence. On ne va pas publier tous les sommaires d’enquête, car il y en a qui se répètent. Ce sont des sommaires qui ajoutent à la compréhension de la question des langues officielles, non seulement pour le public, mais aussi pour les institutions fédérales.

En ce qui concerne la médiation — il faut que les deux soient d’accord —, il y a plusieurs situations qu’on pourrait régler facilement grâce à cela. Si c’est un problème avec une pancarte, on change la pancarte. Ce n’est pas comme cela pour toutes les plaintes. En fin de compte, on veut assurer une meilleure conformité et on va prendre le meilleur outil pour y arriver.

Avant, on n’avait pas d’outils, mais on a maintenant un choix d’outils qu’on peut utiliser. Cela va favoriser une meilleure conformité de la part des institutions fédérales.

La sénatrice Clement : Je vous remercie d’être parmi nous et pour la feuille de route; c’est un outil qui est bien fait pour encourager un cheminement, et c’est très bien.

Je vous remercie également de mentionner dans votre rapport le nom de deux juges de la Cour suprême, les juges Jamal et O’Bonsawin, qui sont des exemples vraiment inspirants sur le plan du bilinguisme — ils sont trilingues, en plus. C’est bien de nous donner un peu d’inspiration.

J’ai une question sur les plaintes et leur nombre décroissant. Vous avez dit qu’il était difficile de prédire ce qui va se passer. Pourquoi pensez-vous qu’il y a de moins en moins de plaintes? Je sais que vous avez le directeur des enquêtes avec vous. Il ne doit pas y avoir une seule raison à cela, mais plusieurs, et j’imagine que vous faites des analyses là-dessus.

M. Théberge : Il y a deux ans, lorsqu’on a reçu 5 000 plaintes, certains événements précis se sont produits, notamment un discours d’Air Canada.

Par contre, lorsqu’il y a des événements médiatisés, cela génère souvent des plaintes dans d’autres domaines, parce que les gens sont conscients.

L’année suivante, on a reçu un nombre important de plaintes, mais il n’y avait pas de cause en particulier. Cette année, la chose la plus importante qui s’est passée dans le monde des langues officielles, c’est l’adoption du projet de loi C-13, et c’est quelque chose de positif. On ne peut pas être contre l’adoption de ce projet de loi.

Par contre, quand on fait l’analyse des plaintes, c’est toujours le public voyageur qui envoie le plus grand nombre de plaintes. Il y en a moins, mais la proportion reste la même. Donc, ce sont toujours des plaintes visant Air Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada, l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, etc. Il y a toutes sortes de raisons.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, est-ce le début d’une nouvelle tendance ou est-ce une anomalie? Le fait qu’il y ait une meilleure conformité de la part des institutions fédérales pourrait être une bonne nouvelle. Avant de confirmer ou d’infirmer cette tendance, on va attendre un an ou deux pour voir si cela se reproduit.

J’étais surpris; par contre, cette année, il y avait beaucoup plus de positif que de négatif dans l’environnement en raison du projet de loi C-13.

Je ne sais pas si M. Wolfe aimerait ajouter quelque chose.

Patrick Wolfe, commissaire adjoint, Direction générale de la conformité et de l’application de la loi, Commissariat aux langues officielles : Non, vous avez fait le tour de la question. Il y a le public voyageur et la langue de travail, qui finit toujours deuxième dans le genre de plaintes que l’on reçoit. On s’est posé la même question à l’interne. On regarde ces tendances de plus près pour avoir des réponses dans les années qui vont suivre.

M. Théberge : Pour ce qui est de la langue de travail, il y a une augmentation, et non une diminution. C’est toujours un enjeu important dans l’appareil fédéral. Cela a un impact sur l’offre de services et la communication avec le public. Il y a une certaine complexité autour de la question concernant l’insécurité linguistique et l’évaluation linguistique des postes, mais avec le temps, il y a une augmentation des plaintes en ce qui a trait à la langue de travail.

La sénatrice Clement : J’étais en visite à Yellowknife cette année avec certains groupes, dont des francophones; c’est toujours agréable de rencontrer une francophonie en santé à Yellowknife.

Je vois, dans certains tableaux du rapport, qu’il y a moins de plaintes. Êtes-vous en train de revoir les campagnes de conscientisation sur le plan des services offerts? Parfois, les gens ne savent pas exactement quoi faire ni ce qui existe. Ils sont aussi de nouveaux francophones, dans un nouveau pays.

M. Théberge : Par le biais de nos bureaux régionaux, on donne souvent des ateliers. À l’heure actuelle, au Manitoba, plusieurs ateliers sont offerts dans des communautés pour expliquer la nouvelle loi et expliquer quels sont les droits.

Le Commissariat aux langues officielles n’a pas les ressources requises pour sensibiliser toute la population canadienne sur ses droits linguistiques. Par contre, on l’a fait pendant longtemps à l’échelle de nos moyens.

C’est très intéressant; j’étais à un banquet à Edmonton, et la personne qui parlait se rappelait qu’en quatrième année, quelqu’un était venu et avait mentionné qu’on peut déposer des plaintes au Commissariat aux langues officielles. Il y a une sensibilisation qui doit être faite, et cela se fait non seulement par l’entremise du Commissariat aux langues officielles, mais aussi grâce à des campagnes de promotion. Il y a déjà eu de grandes campagnes de promotion par le passé; peut-être est-ce le temps de revoir cela, puisqu’on a un nouveau régime linguistique. Avec un nouveau régime linguistique, nous avons l’occasion de faire cette promotion.

L’an prochain, lorsque je reviendrai avec mon prochain rapport, on verra si on a toujours les mêmes chiffres. Bernard Derome disait toujours « si la tendance se maintient ». Donc, si la tendance se maintient, on va en reparler l’an prochain.

La sénatrice Clement : Je vous reposerai les mêmes questions.

M. Théberge : C’est excellent.

Le président : Si la tendance se maintient, on se souvient du manque de cohérence entre la partie IV, qui porte sur l’offre de services, et la partie V, qui porte sur la langue de travail. Est-ce qu’à votre avis la nouvelle loi a réglé le problème? Sinon, que suggérez-vous pour que le gouvernement fédéral puisse arrimer les obligations des bureaux fédéraux, et donc offrir des services dans les deux langues officielles à ceux qui sont situés dans une région désignée bilingue aux fins de la langue de travail? Il y a un manque de cohérence et vous me dites que le problème n’est pas réglé. C’est quand même majeur dans le déficit de cohérence, justement. Que peut-on faire? Qu’est-ce que le gouvernement devrait faire?

M. Théberge : Non seulement il y a une incohérence, mais lorsque je rencontre certains employés d’institutions fédérales, ils sont bien conscients qu’ils devront augmenter le nombre de points de service. Ils se demandent comment ils pourront le faire.

Il y aura 600 nouveaux points de service. Dans le règlement, il y a des zones qui étaient traditionnellement francophones et qui le sont moins maintenant. On a de nouvelles régions francophones à cause de la migration et de l’immigration. L’agencement de tout cela se fera sur le plan de la partie IV du règlement.

Il y a aussi la teneur de l’article 91 de la Loi sur les langues officielles, portant sur le fait de bien évaluer les exigences linguistiques des postes, afin de s’assurer que les personnes qui occupent ces postes répondent aux exigences linguistiques.

Le défi, c’est souvent que la capacité de livrer le service dans les deux langues officielles n’est pas là. Cela se planifie. Il faut se doter d’un plan d’action. Il y aura plusieurs nouveaux points de service qui n’existaient pas auparavant.

On parle aussi d’avoir, sur le plan de la supervision, des exigences par rapport au niveau CBC plus élevées qu’elles ne le sont actuellement. C’est une occasion extraordinaire d’assurer une meilleure mise en œuvre de la loi, mais il y a une question de capacité qu’il faut bâtir à l’intérieur de l’appareil.

Le président : J’ai justement lu un rapport sur l’article 91 en 2020. Avez‑vous publié un suivi aux recommandations que vous avez faites?

M. Théberge : Oui, c’est prévu. M. Wolfe et ses collègues font des suivis auprès des intervenants. On va certainement publier les suivis par rapport à l’article 91.

Ce sont souvent les initiés qui comprennent l’article 91...

Le président : C’est au sujet des compétences linguistiques, n’est-ce pas?

M. Théberge : C’est un article fondamental. L’article 91 dit qu’on doit établir de façon objective les exigences linguistiques d’un poste. Très souvent, cela ne se fait pas de façon objective; c’est fait en fonction de qui est là ou non. On a besoin de X, Y ou Z. Un poste est censé être doté de façon impérative. Il faut que la personne se conforme aux exigences, mais souvent, il y a une dotation non impérative, ce qui a un impact sur la capacité d’offrir un service.

Il y a un arrimage à faire entre les parties IV et V.

Le président : Je vous remercie. Je vais donner la parole à la sénatrice Moncion, qui sera suivie du sénateur Aucoin. Monsieur le commissaire, je sais que vous êtes enthousiaste dans vos réponses, mais je vais me permettre de vous demander d’être succinct, car il y a beaucoup de questions autour de la table.

Je me permets de poser une dernière question. Je sais qu’il y a une plainte qui a été déposée concernant le plafonnement des permis d’études. À titre d’information, pouvez-vous nous dire en vertu de quel article de la Loi sur les langues officielles cette plainte est recevable?

M. Théberge : La partie VII.

Le président : Êtes-vous en mesure de dire combien de temps durera votre enquête? Nous avons amorcé une étude spécifique à ce sujet, et les recommandations et les points de vue du commissaire nous intéressent beaucoup.

M. Théberge : Monsieur Wolfe?

M. Wolfe : C’est certainement une enquête à laquelle on a donné la priorité et qu’on veut voir progresser. Vous comprendrez que nous ne sommes pas les seuls à diriger des enquêtes. On doit enquêter et il y a parfois du va-et-vient qui prend plus de temps. Normalement, dans les mois qui suivent, on aimerait au moins produire un rapport préliminaire sans entrer dans les détails sur les façons dont cela fonctionne.

Je ne peux pas vous dire combien de mois cela prendra, mais je peux vous garantir que cela fait partie de nos priorités et qu’on va le faire le plus rapidement possible.

Le président : Merci.

La sénatrice Moncion : Je veux parler du projet de loi C-69. Vous avez dit quelque chose d’important vers la fin de votre allocution.

[Traduction]

Vous avez dit que cela aurait pour effet d’empêcher l’envoi du rapport au plaignant, et vous avez dit que l’on pourrait modifier cet article.

[Français]

Est-ce que j’ai bien compris ce que vous avez dit au sujet du projet de loi?

M. Théberge : Actuellement, cela dépend de l’interprétation que l’on fait. On ne peut pas envoyer le rapport d’enquête au plaignant. Historiquement, le commissariat envoyait toujours le rapport au plaignant, sauf si la plainte était anonyme. Je ne sais pas si c’était intentionnel ou non. Il y a une question de transparence. Si on dépose une plainte, on veut savoir ce qui s’est passé, mais cela dépend de l’interprétation que l’on fait de ce passage.

C’est ainsi que nous voyons la situation.

La sénatrice Moncion : Il y a une autre partie, parce que les correctifs proposés ne semblent pas poser de problème. C’est ce que je comprends. Si vous avez seulement parlé de ce problème, est-ce parce que ce qui nous est proposé est convenable?

M. Théberge : Oui.

La sénatrice Moncion : Vous parlez d’amendements. C’est extrêmement difficile pour nous d’apporter des amendements dans de tels projets de loi. Avez-vous entrepris des démarches auprès des fonctionnaires qui s’occupent du projet de loi C-69 pour demander que cette partie soit peut-être modifiée autrement?

M. Wolfe : Si vous me le permettez, nous avons eu des discussions informelles récemment avec les responsables du projet de loi. On peut s’entendre pour dire, selon notre interprétation de l’article en question, que celui-ci peut porter à confusion. Par contre, on n’a pas nécessairement la même interprétation de l’article.

La sénatrice Moncion : Vous avez répondu à ma prochaine question : quelle était l’ouverture? Je pense qu’on devra en discuter, parce que ce pourrait être un enjeu important.

Le président : Si je comprends bien, sénatrice Moncion, ce n’est pas l’objet que l’on va étudier cet après-midi.

La sénatrice Moncion : Dans cette partie du projet de loi C-69, ils répondent que ce qui est présenté est convenable, mais que d’autres choses pourraient être réglées. Ce sont les mots « autres choses » sur lesquels j’ai accroché.

Le sénateur Aucoin : En ce qui concerne les entreprises privées de compétence fédérale, quelle est l’attitude que vous avez remarquée jusqu’à aujourd’hui? Sans trop aller dans les détails, est-ce qu’il y a une ouverture de ce côté? En effet, dans le passé, c’était plus nébuleux.

M. Théberge : Nous en sommes à l’étape du règlement. En premier lieu, on a besoin d’un décret avant que la loi soit mise en œuvre. Il y a un travail qui se fait sur le règlement. Il y a beaucoup de définitions à préciser lorsqu’on parle de ces entreprises : qu’est-ce qu’un employé? Qu’est-ce qu’une région à forte présence francophone? Qu’est-ce qu’un client? Il y a beaucoup de termes à préciser.

Pour l’instant, on ne s’est pas vraiment penché là-dessus. On attend le processus de consultation pour voir quelle sorte de règlement on veut se donner par rapport à cette partie de la loi. Certains prônent qu’elle doit être un miroir de la Charte de la langue française.

Je crois qu’on doit se doter d’un règlement solide afin d’avoir une application très rigoureuse. Il faut s’entendre là-dessus : il s’agit du secteur privé, et le commissariat, à l’exception d’Air Canada et de VIA Rail, ne travaille pas avec le secteur privé. C’est un nouveau monde; reste à savoir comment on va transiger avec cette nouvelle réalité.

Le président : Quelles sont vos préoccupations à cet égard?

M. Théberge : Mes préoccupations tournent beaucoup autour de la définition des mots « région à forte présence francophone ». Cela peut vouloir dire une chose différente pour différentes personnes; cela dépend d’où elles viennent.

La sénatrice Moncion : [Difficultés techniques] à forte présence anglophone?

M. Théberge : C’est pour tout le Québec. Il n’y a pas de forte présence anglophone; c’est pour tout le Québec.

La sénatrice Moncion : Oui, je sais.

Le président : Avez-vous des suggestions à faire au gouvernement fédéral sur des critères qui permettraient de déterminer ce qu’est une région à forte présence francophone?

M. Théberge : Lorsqu’on va entamer le processus de consultation, on aura assurément des suggestions à faire à ce sujet.

Le président : Monsieur le commissaire, maître Giguère, monsieur Wolfe, monsieur Leduc, merci beaucoup d’avoir comparu devant nous. Comme toujours, c’était éclairant et aussi un peu interpellant. Cela nous oblige à rester actifs et présents quant aux enjeux relatifs à la mise en œuvre de cette nouvelle loi modernisée.

Merci beaucoup et au plaisir de vous revoir.

Vous allez faire paraître un deuxième rapport à l’automne sur les communautés. Pouvez-vous nous en glisser un mot? C’est un élément important et une nouveauté que vous produisiez deux rapports.

M. Théberge : Je vais y aller très rapidement. La nouvelle loi stipule que le format du rapport annuel doit être axé sur la conformité. Par le passé, on avait toujours un volet portant sur les communautés. Cette année, on a décidé de respecter ce qui est écrit dans la loi. Cependant, on va produire un document séparé sur l’état des lieux des communautés. Par le biais des représentants régionaux, notamment, on fait une vigie des enjeux dans les communautés. Ensuite, on va préparer un document pour les mois de septembre ou octobre et on le rendra public.

Le président : Il va certainement y avoir une relation avec la réglementation de la partie VII, car cela touche les communautés?

M. Théberge : Oui.

Le président : Nous allons attendre cela avec beaucoup d’enthousiasme.

Merci beaucoup, monsieur le commissaire.

Le président : Chers collègues, pour notre troisième groupe de témoins, nous allons procéder à l’étude préalable du projet de loi C-69, plus spécifiquement la section 24 de la partie 4 du projet de loi.

Pour ce faire, nous accueillons comme témoins Mme Sarah Boily, directrice générale, Langues officielles, Patrimoine canadien, ainsi que M. Marcel Fallu, gestionnaire, Langues officielles. Bienvenue parmi nous. Nous allons entendre vos remarques préliminaires afin que vous puissiez nous éclairer sur cet amendement. Nous procéderons ensuite à une période de questions avec les sénateurs et sénatrices.

La parole est à vous, madame Boily.

Sarah Boily, directrice générale, Langues officielles, Patrimoine canadien : Bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs. Cela me fait grand plaisir d’être ici, avec mon collègue expert Marcel Fallu, pour vous expliquer davantage la correction qui est proposée dans le projet de loi C-69.

Comme vous l’avez déjà dit, à la section 24 de la partie 4, un amendement est proposé pour modifier l’article 61 de la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada, qui, par ricochet, va modifier le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale.

Essentiellement, le texte de loi, tel qu’il a été rédigé, prévoit que les employés, les employés potentiels et les ex-employés peuvent déposer une plainte au Commissariat aux langues officielles ou encore lancer un recours judiciaire s’ils sont d’avis que les droits qui leur sont conférés dans la nouvelle Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale n’ont pas été respectés.

Ces droits sont présentés pour ce qui est du moment où le régime entrera en vigueur dans les entreprises privées de compétence fédérale qui sont situées au Québec. Un peu plus loin, dans les dispositions relatives à l’entrée en vigueur pour les régions à forte présence francophone — que nous allons définir par règlement —, il y a une omission qui a été faite. Le droit est présenté seulement pour les employés. On a omis de mentionner de nouveau les employés potentiels et les anciens employés. La correction présentée dans le projet de loi C-69 fait en sorte que ce droit est présenté pour les trois catégories d’employés, tant dans les entreprises privées de compétence fédérale situées au Québec que dans les régions à forte présence francophone.

Le président : Merci; c’est assez clair. Ce que je comprends, et je donnerai la parole à mes collègues ensuite, c’est qu’une omission a été faite entre les paragraphes 18(1.1) et 18(1.2) et l’article 16. C’est essentiellement cela. Vous en avez parlé brièvement, mais si cette modification n’était pas apportée, quel serait l’impact?

Mme Boily : L’impact est réel; si la modification n’était pas faite, cela voudrait dire qu’après le deuxième anniversaire de l’entrée en vigueur du régime au Québec, ces droits n’existeraient plus pour ces deux catégories d’employés, les employés potentiels et les futurs employés, et aussi pour les employés des entreprises privées de compétence fédérale au Québec. Étant donné la façon dont l’article est rédigé, c’est comme si le droit n’existait que pour deux ans et que deux ans plus tard, ce droit n’existerait plus au Québec et n’existerait pas non plus pour les entreprises privées de compétence fédérale dans les régions à forte présence francophone. Concrètement, ce que cela voudrait dire, c’est qu’un employé potentiel ne pourrait pas porter plainte au commissaire aux langues officielles ou intenter un recours judiciaire, ce qui serait problématique.

Le président : Merci.

La sénatrice Mégie : La définition d’« employé potentiel » s’applique-t-elle à quelqu’un qui serait candidat pour postuler à un emploi, mais qui ne l’a pas encore fait? S’il ne l’a pas encore fait, comment sait-on qu’il peut être admissible à une loi?

Mme Boily : On parle des personnes qui ont un intérêt réel pour un poste. Tout postulant qui pourrait présenter une demande a le droit d’avoir accès à un affichage qui décrirait les compétences recherchées pour le poste et les conditions de travail. Si ces employés potentiels n’étaient pas en mesure d’avoir accès à ces informations en français, ils pourraient déposer une plainte. C’est comme cela qu’on saurait qui ils sont. On ne saurait pas qui ils sont, mais on saurait qu’il y a un problème.

La sénatrice Mégie : D’accord, merci.

La sénatrice Moncion : Vous dites que la modification proposée à la section 24 de la partie 4 fait en sorte que tous les employés des entreprises privées de compétence fédérale situées au Québec ou dans une région à forte présence francophone, qu’ils soient actuels, anciens ou potentiels, peuvent porter plainte et exercer un recours judiciaire si l’entreprise contrevient à leurs droits en matière de langue de travail énoncés conformément à la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Ma question touche les anciens employés. Y a-t-il un délai prescrit dans la loi pour recevoir ces plaintes s’il s’agit d’un ancien employé — il y a un an, deux ans, dix ans?

Mme Boily : Je ne suis pas au courant s’il y a des délais dans la loi. J’aurais tendance à penser que le commissaire aux langues officielles est maître de sa procédure. Tout à l’heure, il parlait des délais de six mois et un an dont ils ont convenu pour la partie IV et la partie VII; je pense que la décision au sujet du délai pourrait lui revenir.

Marcel Fallu, gestionnaire, Langues officielles, Patrimoine canadien : Mme Boily a raison de dire que, en matière de langue de communication avec les consommateurs, il n’y a pas de délais, effectivement. Par contre, en matière de langue de travail, il y a un délai de 90 jours, soit un délai de prescription, qui est évoqué au paragraphe 18(2). Ce serait donc la même chose pour les employés actuels et les personnes ayant un intérêt réel pour le poste et les anciens employés. C’est 90 jours à partir du moment où le plaignant a eu connaissance de l’acte ou de l’omission ou la date où le plaignant aurait dû, selon le commissaire, avoir pris connaissance de cet acte ou de cette omission.

La raison pour laquelle une personne qui peut porter plainte est restreinte en matière de langue de travail dans les entreprises privées de compétence fédérale, c’est parce qu’on a affaire à la sphère purement privée sur le plan de la relation entre l’employeur et l’employé. C’est pour cette raison qu’en matière de langue de travail dans les entreprises privées de compétence fédérale, c’est un peu plus restreint que cela pourrait être le cas en matière de droits des consommateurs ou en ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, qui stipule que toute personne peut porter plainte. Il ne s’agit pas d’un changement introduit dans le projet de loi C-69; c’est vraiment à cause du projet de loi C-13 — l’omission fait en sorte qu’il y a un renvoi oublié à l’article 61 qui aurait dû être inclus.

La sénatrice Moncion : Merci. Voici ma deuxième question — vous étiez là quand on en a parlé. Je suis allée chercher un peu plus d’information pour savoir quelle était la situation. Je pense que ce qu’on m’expliquait, c’est que la nouvelle section n’existait pas dans l’ancienne loi et qu’elle est introduite dans celle-ci. Quand quelqu’un porte plainte au commissariat à l’heure actuelle, le commissariat est en mesure de remettre une copie de la plainte ou de l’analyse au plaignant. Ce qu’ils mentionnent, c’est que, dans le paragraphe 19(4), le mot « uniquement » a été inscrit, mais qu’il n’est pas paragraphe 19(2). Il y aurait donc une divergence entre les deux. Je comprends qu’on n’apportera pas nécessairement de modifications, mais je voudrais juste comprendre l’idée derrière le fait qu’on ne remettrait pas de copie d’une étude de la plainte au plaignant qui a déposé cette plainte.

Mme Boily : Premièrement, il est prévu que la même latitude de pouvoir que le commissaire a en vertu de la Loi sur les langues officielles soit conservée dans la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, sauf pour quelques petites exceptions. Il y en a deux ou trois. L’intention, c’est que le commissaire puisse effectivement continuer de partager ses rapports d’enquête avec les plaignants, tant pour le régime des institutions fédérales que pour le régime des entreprises privées de compétence fédérale.

Ils ont été aimables aujourd’hui et ils ont soulevé l’erreur potentielle qu’ils ont trouvée. On a pu l’examiner brièvement et ce que je vous dis est très préliminaire. On va demander à nos équipes de se pencher sur cet élément et de l’étudier davantage. À première vue, ce serait une erreur d’interprétation, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas lieu de l’améliorer. Il pourrait y avoir une ouverture à l’améliorer. Dans le texte de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, on fait référence à l’application de deux paragraphes de la Loi sur les langues officielles. On dit que, pour l’application de ces deux paragraphes, le commissaire transmet son rapport uniquement au premier dirigeant de l’entreprise privée de compétence fédérale.

Dans les deux paragraphes auxquels on fait référence dans la Loi sur les langues officielles, il est question du partage du rapport du commissaire avec le président du Conseil du Trésor. La modification, qui vise uniquement ces paragraphes, vise à faire la distinction entre le fait de partager le rapport avec le président du Conseil du Trésor et/ou le partager avec les dirigeants des entreprises privées de compétence fédérale. Cela ne supprime aucunement le pouvoir du commissaire de partager son rapport avec les plaignants. Cela étant dit, il y aura plusieurs occasions d’améliorer le texte de loi en cours de route. Évidemment, le véhicule du projet de loi C-69 ne sera pas une possibilité, mais s’il y a de la confusion et qu’il y a lieu de faire des précisions, il y aura certainement une ouverture à le considérer.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup.

Le président : Ce que l’on comprend, c’est qu’il y a toujours place à l’amélioration dans la Loi sur les langues officielles; cette question est tout à fait pertinente, mais j’essaie de synthétiser les propos et les questions qui ont été posées. Dans ce qui est proposé ici, le contexte de départ est qu’il y a eu une omission d’inclusion. Il n’y avait pas d’intention du législateur par rapport à cela. C’était une omission sur le plan de la rédaction qui aurait pu être réglée à un moment donné, mais qui ne l’a pas été. Elle avait d’ailleurs été soulevée au Sénat, et on apprécie que la question ait été soulevée à ce moment-là. Il s’agit ici tout simplement de tenir compte de cette omission et de modifier l’article 16 pour que le tout concorde avec le paragraphe 18(1).

Cette modification énoncée à la section 24 de la partie 4 fait en sorte que tous les employés des entreprises privées de compétence fédérale situées au Québec ou dans une région à forte présence francophone, qu’ils soient actuels, anciens ou potentiels, peuvent porter plainte et exercer un recours judiciaire, si nécessaire, contre l’entreprise qui contrevient aux droits en matière de langue de travail. C’est l’explication. Y a-t-il d’autres informations pertinentes que vous pouvez nous donner, puisque nous devrons faire rapport au présent groupe de témoins et que nous devrons transmettre ces informations?

Mme Boily : Vous avez fait un excellent sommaire. Merci beaucoup et merci au sénateur Quinn d’avoir soulevé cette omission, parce que les impacts n’auraient pas été souhaitables.

Le président : Absolument. Il y a maintenant de la place pour faire cette bonification. Je vous remercie d’avoir comparu devant nous. Puisqu’il n’y a pas d’autres questions, nous allons suspendre la séance et revenir à huis clos. Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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