LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 3 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité; et à huis clos, pour étudier une ébauche de rapport sur la teneur des éléments de la section 24 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son.
Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes, qui ont été mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. N’utilisez qu’une oreillette noire homologuée; les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Tenez votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre coopération.
J’aimerais maintenant inviter les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Merci et bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent.
Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité, en recevant des organismes en mesure de traiter du thème des communautés vulnérables, un des sept thèmes de notre étude.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons en présentiel Mme Catherine St-Hilaire, gestionnaire adjointe au Réseau de soutien à l’immigration francophone pour l’Est de l’Ontario. Bienvenue, madame St-Hilaire.
Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, Mme Salwa Meddri, gestionnaire au Réseau en immigration francophone du Manitoba. Bienvenue, madame Meddri.
Bonsoir à vous deux et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre vos remarques liminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs et sénatrices.
Catherine St-Hilaire, gestionnaire adjointe, Réseau de soutien à l’immigration francophone pour l’Est de l’Ontario : Merci. Je m’appelle Catherine St-Hilaire et je suis gestionnaire adjointe au Réseau de soutien à l’immigration francophone pour l’Est de l’Ontario.
Honorables sénateurs et sénatrices, membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, merci de m’offrir cette occasion de vous adresser la parole dans le cadre de cette étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.
J’aimerais d’abord vous remercier d’avoir invité le Réseau de soutien à l’immigration francophone de l’Est de l’Ontario à venir témoigner dans le cadre de votre étude. Le Réseau de soutien à l’immigration francophone de l’Est de l’Ontario — ci-après nommé le réseau — est un programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, coordonné par le Conseil économique et social d’Ottawa-Carleton (CESOC) depuis 2007. Par la concertation, la planification et la promotion de partenariats et d’initiatives en immigration avec les acteurs régionaux de différents secteurs de l’Est de l’Ontario, le réseau vise à favoriser l’attraction, l’accueil, l’établissement et l’intégration socioéconomique réussis des nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes francophones sur tout le territoire de l’Est de l’Ontario, soit de Kingston à Hawkesbury, en passant par Ottawa et Cornwall, jusqu’à la frontière du Québec.
Depuis janvier 2023, le réseau a créé un volet santé avec une lentille « immigration francophone » à l’intérieur de son secrétariat, avec une personne-ressource consacrée à sa coordination. Cette personne est responsable de rejoindre les parties prenantes en santé de l’Est de l’Ontario qui travaillent de près ou de loin avec l’immigration francophone pour les réunir à une table, le Groupe de travail sectoriel en santé, afin de faire ressortir les défis, les succès, les besoins et les actions à mettre en place au sein du secteur.
Il y a maintenant plus de 40 membres, et cela continue d’augmenter. Pour la première étape, on leur a demandé de répondre à une étude dont le mandat est de dresser un état des lieux sommaire sur les services offerts en santé globale — physique, psychosociale et mentale — aux personnes immigrantes francophones dans l’Est de l’Ontario.
Grâce à cet état des lieux et aux commentaires qui sont ressortis des différentes discussions avec nos partenaires au cours des dernières années, voici quelques constatations et suggestions que nous vous faisons.
Le sujet qui a été abordé à maintes reprises — et, selon nous, le gouvernement canadien devrait jouer un rôle de leadership dans ce volet —, c’est la nécessité d’identifier la langue parlée de la personne sur la carte santé, dans notre cas en Ontario, pour s’assurer de servir la personne en français ou lui en donner le choix, lorsque c’est possible.
Les personnes pourraient faire ce choix au préalable, et pour ce qui est du cas des personnes dans le cadre de l’immigration, lorsque ces dernières arrivent au Canada, elles choisiraient leur langue d’immigration, que ce soit le français ou l’anglais. Ce serait donc très simple d’ajouter cette mention sur leur carte ou dans leur dossier afin qu’elles obtiennent des services en français lorsqu’ils sont disponibles. Cela faciliterait la situation, surtout parce que la question de la langue n’est pas toujours posée à l’accueil.
De plus, ce serait un excellent moyen pour Santé Canada d’obtenir des données sur les clients francophones et d’avoir des statistiques avec lesquelles on pourrait progresser sur d’autres points de travail. Cela aiderait aussi les nouveaux arrivants à comprendre qu’il y a des services de santé en français dans nos régions et qu’ils ont le droit de les demander.
Sur la question de la population en général, la population vieillit et elle a de plus en plus besoin de services de santé. C’est une réalité qu’il faut garder en tête, tout en tenant compte de la pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de la santé; ce sont deux réalités qui se croisent.
Les ressources humaines francophones dans le domaine de la santé vieillissent aussi. C’est pourquoi il est important, au point de vue de la « lentille immigrante », d’aborder la problématique de la reconnaissance des acquis et des diplômes, afin de permettre aux professionnels de la santé nés et formés à l’étranger d’offrir des services en français, de servir la population en français et d’offrir des services culturellement adaptés, donc avec une compétence culturelle ajoutée, grâce au fait que ces derniers sont issus également de différentes cultures.
Il faut aussi rendre attrayant le domaine de la santé en français pour que les jeunes décident de faire leurs études dans ce domaine. Encore une fois, il est important d’avoir des exemples et des modèles de personnes issues de l’immigration et de différentes cultures qui sont des professionnels qui pratiquent en santé; c’est primordial pour ces jeunes issus de l’immigration. Cela leur permet de se voir dans l’avenir comme un médecin, un pharmacien, un chirurgien, un infirmier, etc. Donc, avoir quelqu’un qui leur ressemble les aide à se projeter dans l’avenir et à faire partie intégrante de nos services de santé francophones au pays.
Il faut aussi inciter les médecins et les professionnels de la santé à aller hors des grands centres urbains. Le réseau a le mandat de régionaliser l’immigration pour aider nos petites communautés francophones à garder leur vitalité; toutefois, si les services essentiels comme les services à petite enfance, mais surtout les services de santé en français, ne sont pas disponibles dans ces régions, il est très difficile pour nous de remplir ce mandat.
Finalement, j’aimerais aussi orienter votre réflexion sur les besoins en santé mentale en français partout au Canada, et bien sûr dans l’Est de l’Ontario. Il est important d’avoir des services de prévention, de sensibilisation — pour contrer les tabous —, de compréhension du bien-être et des services plus formels en santé mentale. Il est essentiel que ces services soient offerts en français, culturellement adaptés et respectueux du cheminement que la personne vient de vivre, que ce soit une personne immigrante économique, arrivée avant sa famille qui viendra la rejoindre dans les mois ou les années à venir, une personne réfugiée provenant d’une zone de guerre ou de conflit, qui est en situation de crise face au déplacement de sa famille ou en raison du manque de logement, et bien plus. On pourrait parler très longtemps de la situation de la santé mentale. Si vous avez des questions, je serai heureuse d’y répondre.
Je vous remercie de votre attention et j’espère que mes points de discussion résonnent chez vous ce soir.
Salwa Meddri, gestionnaire, Réseau en immigration francophone du Manitoba : Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui.
Je m’appelle Salwa Meddri, gestionnaire au Réseau en immigration francophone du Manitoba.
Notre réseau, en collaboration avec divers organismes, institutions et ordres de gouvernement, a notamment pour mandat d’améliorer le parcours francophone des personnes issues de l’immigration. Ce parcours, qui se concentre sur les services d’établissement, est indissociable de l’accès aux soins de santé.
Vous le savez déjà, les enjeux identifiés dans le cadre de votre étude sont interreliés. Cependant, je vais me concentrer sur quelques-uns d’entre eux, notamment l’inclusion de clauses linguistiques dans les transferts fédéraux en matière de santé; la pénurie de professionnels de la santé dans les établissements qui offrent des services auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire; finalement, les besoins des établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec.
Pour ce qui est de l’inclusion de clauses linguistiques dans les transferts fédéraux en matière de santé, la désignation bilingue de certains sites représente un bon début. Cependant, il est essentiel de renforcer cette initiative en adoptant d’autres mesures.
Souvent, l’approche « par et pour » est reléguée au second plan lors de l’allocation des budgets dans les provinces et les territoires.
Il est donc crucial de favoriser l’offre active et de se doter des moyens nécessaires pour y parvenir. Cela pourrait inclure, par exemple, un examen de compétences linguistiques qui permettrait d’évaluer les compétences linguistiques du personnel soignant dans les établissements de santé pour obtenir un portrait précis de la situation. On pourrait aussi mettre en place des indicateurs de performance linguistique pour évaluer et surveiller la prestation de services de santé dans les deux langues officielles. Cela permettrait de s’assurer que les services sont effectivement offerts de manière équitable et efficace.
Concernant la pénurie de professionnels de la santé dans les établissements assurant des services auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire, il est important de souligner quelques éléments clés. Je prends le Manitoba comme exemple et comme point de repère. Quand on regarde les prévisions relatives à la main-d’œuvre au Manitoba d’ici 2026, parmi les secteurs qui seront en pénurie, le secteur de la santé aura un taux de 69 %. Parmi les 10 professions les plus touchées par ces pénuries, il y a les infirmières praticiennes et infirmières en psychiatrie, et j’en passe. Les infirmières se trouvent en troisième position.
Pour les vacances dans les postes désignés bilingues, dans le cadre d’un projet pilote mené au Manitoba en 2021, il est ressorti de cela que les postes cliniques vacants ou sous-occupés représentaient 52 % des postes au sein de l’Office régional de la santé de Winnipeg (ORSW). Il faut noter que les postes cliniques regroupent les infirmières, les travailleurs en santé mentale et les travailleurs sociaux.
Cela nous amène aux besoins des établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec. Les établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec font face à des défis particuliers en matière de recrutement, de formation et d’accompagnement des futurs diplômés des disciplines de la santé — et des personnes issues de l’immigration francophone, j’entends. Ces défis incluent notamment des critères d’admission linguistiques qui sont, en effet, très élevés.
Les critères stricts sur le plan linguistique excluent souvent des étudiants potentiels avant même qu’ils aient la possibilité de s’inscrire; il faut y ajouter des barrières d’accès aux tests du personnel infirmier et pour les personnes qui décident de franchir le pas. Je prends toujours en exemple le Service national d’évaluation infirmière (SNEI) et les exigences des collèges des différentes provinces et des territoires; il y a donc des enjeux et des obstacles majeurs pour dépasser cette barrière.
Quelques pistes de solutions pourraient en revanche être considérées; on pourrait notamment éliminer les barrières en simplifiant et uniformisant les démarches pour les professionnels de la santé formés à l’étranger afin de faciliter leur intégration dans le système de santé canadien.
On pourrait également développer des partenariats avec des pays étrangers pour offrir des formations qui seraient reconnues d’emblée au Canada, au lieu d’avoir à recommencer éternellement ce processus une fois qu’on arrive au pays.
On pourrait offrir des incitatifs pour les employeurs francophones. En effet, les employeurs francophones ne sont pas uniquement dans les établissements de santé, car certains organismes du secteur privé sont des employeurs potentiels et ils recrutent cette main-d’œuvre qualifiée.
Offrir des incitatifs pour le recrutement de personnel francophone qualifié et accompagner les employeurs dans ces démarches pourrait donc être une autre piste à considérer. Comme l’a aussi mentionné Mme St-Hilaire, la formation en compétences culturelles est assurément un autre défi auquel il faut s’attaquer en parallèle, et ce, afin d’accompagner les prestataires de soins de santé actuels et en devenir.
Pour cela, il faudrait rendre obligatoire la formation en compétences culturelles pour les professionnels de la santé, afin de les aider à explorer leurs valeurs et attitudes envers la culture de leurs patients. Cela favoriserait une communication plus efficace et permettrait de réduire l’incertitude et l’incompréhension qui mènent parfois à des clichés et à des stéréotypes.
Vous l’aurez compris, la population immigrante joue un double rôle : elle peut contribuer en tant que main-d’œuvre qualifiée aux soins de santé offerts à la population générale, mais elle en est également bénéficiaire en tant que population vulnérable.
Je vous remercie de votre attention et je suis à votre disposition pour toute question ou discussion supplémentaire.
Le président : Nous allons passer à la période des questions.
Chers collègues, conscient du temps qui est à notre disposition, je propose que cinq minutes soient accordées à chacun pour un premier tour de table, y compris la question et la réponse.
Je vais commencer par la sénatrice Mégie; la parole est à vous.
La sénatrice Mégie : Merci à nos témoins d’être parmi nous.
Madame St-Hilaire, vous avez proposé de très bonnes solutions, mais je ne vois pas trop comment le gouvernement fédéral pourrait s’organiser pour faire avancer tous ces dossiers.
J’ai une autre sous-question. Dans la langue parlée de la personne qui serait indiquée sur la carte santé, il me semble que d’autres témoins nous ont dit, lors d’autres réunions, que les gens hésitaient à s’identifier comme francophones pour ne pas avoir la lourdeur mentale d’être responsables de parler en français dans leur clinique.
Comme ce n’est pas vraiment le rôle d’un gouvernement, y a-t-il une autre façon ou d’autres mesures incitatives sur lesquelles les organismes communautaires ou d’autres pourraient travailler?
Mme St-Hilaire : Vous voulez dire qu’il y a des clients qui se sentent mal à l’aise d’avoir...
La sénatrice Mégie : Non, pas des clients, des professionnels de la santé qu’on essaie d’identifier comme francophones pour assurer une répartition dans les milieux. Cela permettrait de savoir à qui on offre des services en français. Cependant, ils hésitent à s’identifier comme francophones.
Mme St-Hilaire : Premièrement, cela prouve qu’être francophone dans un milieu anglophone crée souvent de la solitude, parce qu’on se retrouve à être sollicité pour répondre à tous les besoins de service en français, ce qui est souvent très lourd; je peux comprendre.
Cela montre aussi qu’on a besoin de plus de personnes travaillant dans le domaine de la santé qui peuvent parler français et servir les patients.
Dans les organismes d’immigration, on demande souvent aux gens, quand ils commencent à travailler, quelles sont les langues dans lesquelles ils peuvent travailler, parce que cela arrive de recevoir des gens qui viennent de l’étranger, qui ont choisi le français comme langue d’immigration, mais qui seraient plus à l’aise en arabe, en espagnol ou dans d’autres langues.
C’est quelque chose qu’on fait naturellement dans le domaine communautaire; je crois donc qu’il serait intéressant que tout le monde dans le domaine de la santé puisse être identifié selon les langues qu’ils savent parler.
S’il y a une lourdeur de travail pour ce qui est de servir toute la population qui demande des soins en français, à mon avis, c’est une notion de possibilité plutôt qu’une situation problématique. On devrait profiter de cette occasion pour avoir plus de membres qui parlent français, au lieu de dire qu’on ne devrait tout simplement pas l’indiquer — si j’ai bien compris votre question.
La sénatrice Mégie : Ce sont des témoins qui nous l’ont dit.
Mme St-Hilaire : C’est très bien; je peux comprendre.
La sénatrice Mégie : J’ai une autre question.
Créer l’attrait en tant que modèles, c’est encore une fois communautaire; cela ne vient pas des gouvernements. Cependant, l’incitatif d’aller en région, est-ce que cela ne vient pas du gouvernement provincial plutôt que du gouvernement fédéral? En Ontario, comment cela se passe-t-il?
Mme St-Hilaire : Oui, effectivement, cela peut être le gouvernement provincial. Techniquement, la santé est de compétence provinciale.
À mon avis, jusqu’à un certain point, créer une communauté attrayante, c’est aussi promouvoir le Canada en tant que tel, promouvoir le français à l’étranger et promouvoir nos communautés à l’étranger; c’est une manière d’attirer des talents dans nos régions et à l’extérieur.
Encore une fois, si ces personnes sont sélectionnées pour des compétences, des acquis et des diplômes, mais que ceux-ci ne sont pas nécessairement reconnus, tout est à recommencer, alors elles doivent parfois choisir un endroit où c’est plus facile.
Si on facilite la reconnaissance des diplômes et des acquis, ensuite on peut faire de la promotion à l’extérieur des grands centres. Évidemment, s’ils arrivent ici en sachant qu’ils devront refaire des études ou faire autre chose, ils vont se rapprocher des endroits qui comptent des institutions postsecondaires — habituellement les plus grands centres urbains — et ils vont donc s’y installer en famille et y rester.
La sénatrice Mégie : Justement, d’autres témoins nous ont dit que quand quelqu’un immigre au Canada, même si on dit à cette personne qu’elle fera partie de la communauté francophone, qu’il y aura un accueil et tout cela, apparemment les formulaires qu’ils doivent remplir et les examens qu’ils doivent passer sont tous en anglais. Quelle est votre opinion là-dessus?
Le président : Madame Meddri, voulez-vous répondre?
Mme Meddri : Certainement. Cela fait référence à un exemple que j’ai donné plus tôt de l’exclusion d’emblée des candidats d’expression française dans le secteur de la santé. Si je prends encore l’exemple du personnel infirmier formé à l’étranger, il y a deux niveaux de tests qu’il faut passer. Le premier est à l’échelle fédérale et est administré dans les deux langues officielles, le français et l’anglais. Tenez-vous bien : ce test est offert par une entité aux États-Unis. Il est même payé en dollars américains. Le deuxième test se fait du côté des collèges qui régissent la norme d’accréditation provinciale ou territoriale. Il est administré par ces collèges de compétence provinciale ou territoriale et il est sujet à la discrétion, la volonté et la capacité de ces derniers à offrir le test dans les deux langues.
Cela dit, le côté linguistique revient toujours, parce que les personnes avec lesquelles nous avons parlé nous ont dit qu’elles n’ont pas été en mesure de franchir ce cap du défi langagier. Même le vocabulaire technique n’a pas été traduit, même pour les tests offerts en français. La traduction n’a pas été faite de façon adéquate de façon à permettre à la personne qui fait le test de le compléter dans la langue officielle de son choix. Cela fait partie des éléments qui ont été partagés avec nous.
La sénatrice Mégie : Pensez-vous qu’une instance gouvernementale pourrait agir là-dessus?
Mme Meddri : Il s’agit justement d’uniformiser cette démarche sur le plan des tests. Par exemple, si on prenait les choses en amont et si on réfléchissait à l’extérieur des normes, si je peux me permettre l’expression, ce serait intéressant d’avoir des ententes avec des collèges à l’échelle internationale pour offrir des programmes répondant aux normes canadiennes. Comme cela, les critères de conformité seraient déjà éliminés. De ce fait, le même programme administré ici au Canada serait administré outre-mer. Cela aiderait les personnes à passer les tests, à avoir les mêmes qualifications et à être évaluées conformément aux mêmes critères que les candidats ici au Canada.
En parallèle, on s’entend pour dire que, dans un contexte minoritaire, surtout pour les personnes d’expression française, l’anglais est un mal nécessaire. Quant à l’offre de mesures d’accompagnement, je fais référence à l’accompagnement des employeurs. Ils pourraient offrir des mesures incitatives, comme des possibilités d’apprentissage de l’anglais sur le lieu de travail et des programmes de mentorat et d’accompagnement, pour que les personnes puissent pratiquer l’anglais sur le terrain, apprendre sur le tas et, bien entendu, être fonctionnelles et opérationnelles.
On n’oublie pas qu’il y a également des employeurs qui ont des sites complètement francophones, mais pour obtenir les certificats et le brevet pour exercer le métier, il faut avoir une qualification anglophone. Il faut commencer à considérer les employeurs qui sont 100 % francophones et explorer ce potentiel pour bâtir et capitaliser là-dessus afin d’offrir et élargir ce projet pilote ou cette initiative à d’autres intervenants et d’autres employeurs et par ricochet à d’autres milieux.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup à vous deux.
La sénatrice Poirier : Merci aux deux témoins d’être parmi nous. Vous avez parlé de plusieurs choses que nous avons entendues de la part d’autres témoins, comme les défis entourant la main-d’œuvre et la pénurie dans différents postes du domaine de la santé. Vous avez également fait des suggestions pour améliorer la reconnaissance des titres de compétence des étrangers professionnels francophones dans des situations minoritaires ou bilingues.
Je vais poser ma question sous un autre angle. On a beaucoup parlé de cette pénurie de main-d’œuvre et des compétences, et de ce qu’on peut faire pour changer cela, mais ma question touche plutôt les immigrants qui arrivent au pays. Au Manitoba et en Ontario, pouvez-vous partager avec nous les principaux défis auxquels les immigrants font face dans les communautés francophones en situation minoritaire? Lorsqu’ils arrivent dans ces communautés, que vivent-ils? On sait qu’il y a un manque de main-d’œuvre, mais quels sont les autres défis? J’aimerais entendre les deux témoins là-dessus.
Mme St-Hilaire : Vous parlez des défis sur le plan de la santé pour les nouveaux arrivants francophones dans nos communautés. Comme partout ailleurs, on les fait habituellement venir soit avec un mandat économique ou avec une famille complète. Le but est d’avoir une génération avec nous. Ils arrivent ici en famille et ils sont souvent à la recherche d’un médecin de famille. Ils arrivent avec des enfants en bas âge ou avec des parents âgés.
Afin de comprendre le service de santé du pays, le départ, c’est le médecin de famille; ensuite, il y a les professionnels ou les spécialistes. L’entrée directe auprès des professionnels de la santé, c’est le médecin de famille. Ensuite, il y a bien sûr tout ce qui touche les demandes en matière de santé mentale. Il y a de nouveaux programmes qu’on veut mettre en place — ou du moins qu’on essaie de mettre en place —, comme des collaborations avec des organismes d’établissement afin de référer les gens à des services de santé mentale au besoin.
Ces personnes ont une formation de base pour les premiers soins de santé mentale, mais dès que la situation est plus compliquée, il faut les orienter vers des professionnels. Ces gens arrivent avec toutes sortes d’histoires. Comme on le disait plus tôt, cela peut être un traumatisme qui s’est produit dans leur pays d’origine ou un traumatisme attribuable au déplacement avec leur famille dans un nouvel endroit où il peut ne pas y avoir de logement abordable. Peut-être qu’ils ne savent pas où trouver du travail, s’ils peuvent étudier ou si leurs études sont reconnues. C’est une situation de stress qui peut affecter tout le monde.
Voilà ce qui touche les besoins en santé mentale. Si nous pensons à d’autres besoins en santé, je sais que nous avons parlé de certains besoins de santé physique, mais il y a aussi tout ce qui touche l’alimentation ou la violence faite aux femmes.
Toutes ces familles arrivent avec des besoins de ce type, si nous parlons de la population immigrante générale, mais c’est une autre paire de manches quand on traite avec des réfugiés. C’est la seule catégorie d’immigration qui peut arriver au Canada avec des besoins de santé majeurs. Quand ils arrivent ici, c’est souvent avec une liste de problèmes de santé dans leur dossier. Ils ont souvent besoin de voir un spécialiste pour un problème de santé spécifique. Il y a une liste complète. Lorsqu’ils arrivent dans les programmes d’aide au rétablissement, comme le programme en français à Cornwall, ils arrivent avec une liste de besoins. Ce sont aussi des gens qui ont, encore une fois, besoin de services en santé mentale.
Il y a donc plusieurs services en français qui sont nécessaires pour ces familles. Nous voulons des immigrants francophones, nous voulons les accueillir, nous voulons qu’ils s’établissent au pays et qu’ils se sentent bien. Cela passe par une bonne santé et ils doivent avoir accès à ces services.
Le président : Merci. Madame Meddri, voulez-vous intervenir?
Mme Meddri : Oui, en complément de ce que Mme St-Hilaire a dit sur les immigrants d’expression française. Ils doivent avoir accès à des médecins francophones, point. Maintenant, le défi, c’est d’apporter cette nuance et cette précision dans le système de santé, dans le fonctionnement et la différence entre les pays de provenance des immigrants que nous servons ici au Manitoba et le système de santé canadien. On pense notamment au rôle que peuvent jouer par moments les infirmières praticiennes en complément ou en substitut aux médecins de famille qui ne sont pas disponibles.
Nous mettons de l’avant certains services de santé offerts en français. Assurément, il y a une pénurie de points de services sociaux en français au Manitoba. Pour les personnes qui osent demander des services de counseling et de soutien en santé mentale, avoir accès à des travailleurs sociaux et à des thérapeutes francophones n’est pas chose facile. Même pour l’unique centre de services, la liste d’attente est très longue au Manitoba.
Au Manitoba, pour ce qui est des réfugiés, il y a le programme d’aide à l’établissement. Nous avons une entente avec un organisme qui s’occupe de la santé primaire des réfugiés parrainés par le gouvernement. Une fois qu’ils sont reçus, ils sont référés à cet organisme qui fait l’évaluation de leur santé.
Le défi qui se pose en parallèle, c’est la reconnaissance de la couverture médicale fédérale par toutes les pharmacies. Ce travail se fait de manière continue avec les pharmaciens, pour essayer de leur expliquer que cette couverture existe et qu’elle prend effet à telle date, afin qu’ils puissent donner accès aux médicaments aux réfugiés qui en ont besoin.
Il y a un autre défi qui concerne la sensibilisation des pharmaciens aux différents documents délivrés par le gouvernement fédéral, en l’occurrence.
La sénatrice Poirier : D’après vous, quel rôle devrait jouer le gouvernement fédéral pour améliorer l’accès aux services de santé en français pour les immigrants lorsqu’ils arrivent dans nos communautés? Que pourrait-il faire d’autre dans l’immédiat pour aider les immigrants qui arrivent au pays?
Mme Meddri : C’est là où l’offre active entre en jeu; l’élément que je mentionnais plus tôt concernait les incitatifs, dans lesquels il y aurait des indicateurs ou des conditions que le gouvernement fédéral pourrait annexer au moment du transfert des fonds aux provinces. Le gouvernement pourrait s’assurer qu’il y a des critères d’admissibilité qui sont incontournables. Il pourrait allouer une certaine portion du budget aux soins de santé en français aux provinces et aux territoires et ainsi éviter que ces soins ne soient tributaires de la bonne volonté ou de la couleur du gouvernement au pouvoir au moment où les fonds sont alloués.
Ce serait quelque chose de complémentaire et qui viendrait garantir l’offre active de services en français dans les provinces et les territoires.
Mme St-Hilaire : Je suis tout à fait d’accord avec Mme Meddri. De plus, j’aimerais ajouter qu’il serait intéressant que le gouvernement fédéral finance le secteur communautaire avec une perspective de santé. Souvent, les organismes qui aident les immigrants francophones et qui cherchent du financement sont dirigés vers Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).
L’immigration touche aussi les domaines de l’emploi, de l’éducation et de la santé. Ces gens qui arrivent au pays ont des besoins et ils sont des bénéficiaires. Si Santé Canada ou d’autres ministères pouvaient offrir du financement et conclure des ententes de collaboration avec les organismes à but non lucratif, que ce soit en santé mentale ou avec des cliniques médicales, dans le but de collaborer, cela permettrait d’offrir un service direct et le parcours serait un peu plus facile pour le nouvel arrivant. Celui-ci aurait au moins un premier contact avec le secteur de la santé en français, ce qui faciliterait aussi la charge de travail. Il serait tout à fait indiqué que ces gens aient accès à cette porte d’entrée avec du financement dans le but de se connecter à ce type de service.
Bien évidemment, ce serait merveilleux s’il y avait beaucoup de services disponibles. Je dirai simplement que je sais que certains organismes qui servent la population francophone aimeraient avoir quelqu’un à l’interne pour aider les nouveaux arrivants et les orienter vers les services. Lorsque tu arrives avec ta famille ou que tu vis une grossesse, on te dit quelle est la prochaine étape et qui tu dois voir. Si on pouvait avoir des services ou des programmes pour faire le pont entre l’immigration et la santé, certains organismes seraient peut-être prêts à s’ouvrir à cette perspective.
Le président : Avant de donner la parole à la sénatrice Moncion, j’aimerais poser une question complémentaire à ce sujet; ma question s’adresse aux deux témoins.
Vous parlez du défi, en quelque sorte, d’avoir un lien concret entre le secteur de l’immigration et le secteur de la santé et que cela se passe à tous les ordres de gouvernement. Quelle est votre évaluation du degré de collaboration, par exemple entre IRCC et ESDC, ou, à la limite, avec Santé Canada? Pouvez-vous nous parler du degré de collaboration entre les provinces et le fédéral sur ces questions? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
Madame Meddri, d’une part, vous nous avez parlé de la question des clauses linguistiques et, d’autre part, de la question des ententes bilatérales. Par ailleurs, il y a une information selon laquelle les secteurs de l’immigration et de la santé travaillent en silo. Pourriez-vous nous parler des enjeux et des pistes de solution que vous imaginez sur ce plan? Je vais commencer par Mme Meddri, qui sera suivie de Mme St-Hilaire.
Mme Meddri : Merci beaucoup. Il est clair que c’est un aspect dont le gouvernement fédéral, notamment IRCC, prend de plus en plus conscience, dans le sens où l’objectif est de travailler davantage en collaboration avec les autres ordres de gouvernement et les autres ministères.
Bien entendu, on ne va pas disséquer l’immigrant en fonction du portefeuille. On parle ici des besoins d’une personne; la sphère des besoins est large et elle touche assurément au mandat respectif de chaque ministère.
Au fil des années, nous avons constaté la présence d’initiatives de collaboration entre IRCC et ESDC. On veut inviter l’entrepreneuriat à créer des initiatives innovantes, et des approches semblables existent dans le secteur du logement, en l’occurrence; c’est une chose sur laquelle le ministère travaille.
Cependant, pour ce qui est des autres ministères, cela reste quelque chose qu’il faut encourager à faire plus souvent. Pour ce qui est de la collaboration entre le fédéral et les provinces, il y a des pourparlers. Toutefois, la façon dont cela se traduit concrètement sur le terrain, c’est qu’il n’y a pas encore de visibilité et de rétroaction par rapport à ces éléments.
Mme St-Hilaire : Effectivement, dans le domaine de l’employabilité et du développement économique, cela commence de plus en plus à se voir et on note qu’il y a un intérêt. Je pense que cela est attribuable à la situation. Donc, ce serait peut-être un bon moment de développer cette entente dans le domaine de la santé.
Je sais que la nouvelle politique en immigration francophone lancée en janvier dernier indiquait que l’une des priorités est de favoriser la discussion entre les différents ordres de gouvernement et entre les ministères, dans le but de travailler de façon plus concertée. C’est quelque chose que nous sommes heureux d’entendre et nous avons hâte de voir le résultat.
Je ne pense pas qu’il y ait eu des projets qui combinent santé et immigration ou qui bénéficient aux organismes sur le terrain qui veulent aider les nouveaux arrivants. J’aimerais souligner une chose à laquelle nous n’étions pas préparés et que nous avons trouvée géniale. C’est le nouvel appel de propositions d’IRCC pour 2025-2030 qui a pris fin à la fin de janvier. Dans cet appel de financement pour des organismes d’établissement subventionnés, il y avait une possibilité de participer à l’établissement des nouveaux arrivants francophones et d’offrir des services de counseling à court terme.
À ce moment-là, je sais que les organismes d’établissement francophones de nos régions ont brandi le fait qu’ils ne sont pas spécialisés dans le domaine. Ils ne peuvent pas nécessairement offrir ce service directement aux nouveaux arrivants. Ils auraient préféré que les organismes de santé mentale puissent obtenir le financement qu’IRCC offrait pour développer une branche de services ou même pour employer d’autres personnes pour servir la population immigrante francophone. Comme c’était un appel de propositions mené par IRCC, c’étaient seulement les organismes qui travaillaient avec l’immigration francophone directement qui pouvaient plus facilement obtenir le financement.
On a travaillé à mettre en place un projet multipartite collaboratif où les trois organismes francophones de la région de l’Est de l’Ontario ont tous posé leur candidature pour un projet commun qui visait à récupérer le financement pour permettre aux organismes de santé mentale francophones de ces différentes régions d’employer des gens pour servir la population selon les cibles qu’on avait en tête. C’est un projet qui a été déposé. Est-ce qu’on va en voir les résultats? On ne le sait pas.
En discutant avec les organismes d’établissement francophones et les organismes de santé mentale francophones, on a réalisé que le problème, c’est que le terme « counseling à court terme » ne voulait pas dire la même chose pour IRCC que ce que cela veut dire en santé. Le court terme n’est pas la même durée et n’a pas la même diversité de services. Il a fallu s’assurer d’ajuster le vocabulaire et de comprendre. On voulait réintégrer une partie « sensibilisation », parce que ce sont des services qui peuvent être offerts seulement si les gens comprennent bien ce qu’est la santé mentale dans un système de bien-être; ce n’est pas seulement une personne qui ne va pas très bien.
Il fallait retravailler ensemble sur ce qui pourrait être une situation possible. Ces petites étapes étaient, selon nous, une très belle initiative pour commencer, mais cela a rendu les choses assez difficiles lors d’un appel de propositions important, où une nouvelle case qui pouvait être ajoutée. Mais il fallait profiter de cette occasion, alors on a mis le plus d’efforts possible là-dessus. Cela venait d’IRCC. Est-ce que cela pourrait venir d’un autre ministère, comme Santé Canada? Tout à fait. Pourquoi ne pas permettre aux organismes d’immigration francophones, en collaboration avec des organismes de santé francophones, de déposer des projets? Je crois que ce serait bénéfique et cela nous permettrait d’être plus directement et concrètement liés aux besoins du terrain et de prévenir certains besoins plus importants que l’on pourrait avoir à l’avenir si l’on servait toute la population immigrante lors de l’arrivée au pays. On pourrait faire l’évaluation des besoins; pourquoi ne pas évaluer les besoins en santé et orienter tout de suite les immigrants?
Le président : Merci, c’est très clair; merci de vos interventions.
La sénatrice Moncion : Je vais rester sur le même sujet en allant un peu plus loin. J’aimerais vous entendre sur les ententes collaboratives, car les organismes travaillent souvent en silo. Chaque région identifie ses besoins pour le nombre de médecins et d’infirmières dont elles ont besoin. Vous avez quand même une bonne idée des besoins par région et j’imagine qu’un calcul se fait pour évaluer le nombre de professionnels nécessaires pour répondre aux besoins par région ou par province.
J’aimerais vous entendre sur la coordination de ces chiffres et où se situent les institutions d’enseignement. Souvent, on regarde le financement que le gouvernement fédéral envoie aux gouvernements provinciaux pour l’éducation; les collèges et universités reçoivent les fonds et ensuite, il y a des programmes contingentés qui permettent un certain nombre d’inscriptions. J’aimerais vous entendre sur cette coordination. Est-ce que quelqu’un a idée des besoins et des façons de combler ces besoins un peu partout plus rapidement? Je parle d’une coordination où tous travaillent de façon concertée pour régler certains problèmes. Je parle de votre province et du Manitoba et des efforts qui sont faits dans cette optique.
Mme St-Hilaire : Pour l’Ontario, ce n’est pas nécessairement à notre niveau qu’est faite l’évaluation des besoins en santé. Il y a les réseaux en santé qui font l’inventaire des besoins dans les régions et qui déterminent ce qui est nécessaire ou problématique un peu partout. Dans notre cas, on ne voit pas nécessairement le nombre ou le chiffre exact. Tout ce qu’on peut voir, c’est ce qui se passe dans la communauté par opposition aux besoins. Donc, il y a beaucoup de frustration pour la population francophone qui veut des services en français parce que, effectivement, c’est difficile d’avoir accès au premier service d’entrée en santé. Il y a les médecins de famille, mais avoir accès à des spécialistes francophones, c’est un autre problème.
Pour le calcul des besoins dans la province, je ne pourrais pas vous dire quel est le chiffre. Je veux vous dire qu’il manque des services, encore plus des services en français et dans les régions à l’extérieur des grands centres. C’est la manière dont on se le fait expliquer dans l’approche générale. Puisque notre rôle est avant tout de travailler avec ce dont l’immigration a besoin et peut apporter, lorsqu’on arrive avec le principe des institutions d’enseignement postsecondaire et des quotas, nous n’avons pas toute l’information. Si des gens veulent s’inscrire à des programmes à partir de l’étranger et sont refusés, on en entend parler, car certaines des réponses obtenues ne sont pas nécessairement celles que l’on souhaite obtenir dans le contexte de la communauté francophone pour les étudiants internationaux et autres. Tout ce qu’on a, c’est l’impression générale de la communauté selon laquelle la santé en français est presque inaccessible actuellement pour les nouveaux arrivants.
La sénatrice Moncion : Peut-être que je m’explique mal l’intervention. Vous représentez un grand territoire. Combien vous manque-t-il de médecins sur votre territoire? Avez-vous ce chiffre? Combien vous manque-t-il d’infirmières? C’est sûr qu’il faut que ce soit fait par territoire ou par région, mais ensuite, la province doit quand même avoir des informations précises sur cette pénurie et ces besoins. Ensuite, comment travailler avec les universités et les collèges pour commencer à combler plus rapidement ces besoins? On travaille toujours de façon très compartimentée un peu partout. J’imagine qu’il est plus facile de gérer de petits projets que d’avoir une vue d’ensemble et d’adopter des approches plus concertées pour devenir plus efficaces.
Est-ce que vous participez? Donnez-vous des chiffres? Il manque de professionnels, mais est-ce que quelqu’un a fait une comptabilité? Un médecin a comparu et nous a dit qu’il manquait 137 000 infirmières au Canada. D’accord, on a un chiffre. Maintenant, comment travailler avec les universités pour combler les déficits? Y a-t-il du travail qui se fait en Ontario ou au Manitoba pour nous permettre de régler le problème?
On parle de système à deux vitesses où il y a des médecins qui ne font plus partie du réseau de santé publique et qui ont ouvert des pratiques privées. Combien avez-vous de pratiques privées dans vos régions? Combien de personnes n’utilisent plus le réseau de santé publique et paient pour avoir accès à un médecin? Il est important que vous ayez ces statistiques. Vous avez parlé des cartes santé qui indiqueraient certaines données si elles étaient identifiées — je suis certaine que les provinces ne veulent pas le faire, parce qu’elles ne veulent pas connaître les chiffres — et qui permettraient aussi de connaître les besoins en ce qui a trait aux données.
Le président : Est-ce que Mme Meddri veut intervenir?
Mme Meddri : Je peux donner la perspective du Manitoba. Il y a assurément des projections sur le plan de la main-d’œuvre, de manière générale et par secteur. Selon la période, les pénuries qui sont anticipées, pour ce qui est des prévisions pour les sites qui sont désignés bilingues, c’est un travail qui se fait au niveau des régies. Elles ont ces statistiques et ces projections pour faire des prévisions, notamment pour combler la main-d’œuvre selon les régions, les défis et les possibilités qu’elles représentent.
De quelle façon cela se traduit-il en formation dans les universités? C’est quelque chose qui est pris en compte chez nous, dans la mesure où c’est de cette façon que des places additionnelles ont été allouées à l’Université de Saint-Boniface, l’université francophone du Manitoba, pour justement offrir des places supplémentaires pour des étudiants et étudiantes en soins de santé au Manitoba.
Où et quand les organismes communautaires entrent-ils en jeu? Pour les prévisions de la province, il s’agit d’essayer de toujours attirer l’attention des spécialistes et de garder en tête cette lentille francophone, car c’est quelque chose qui est très important pour nous. Le défi est que, par rapport aux chiffres absolus, nos réalités et nos chiffres sont granulaires. De ce fait, il devient difficile de donner des estimations ou même d’identifier et de donner des données probantes exactes par rapport à un secteur. Par exemple, si on peut parler de régionalisation, des manques par région, cela devient un peu difficile et complexe à ce niveau.
Avec les autres intervenants, notamment les régies, il faut tenir en compte des besoins en main-d’œuvre francophone lors de la formation, certes, mais il faut aussi voir de quelle façon les besoins et les profils des personnes immigrantes peuvent aussi être considérés dans cet éventail de formations et d’accompagnements. Il faut voir quels profils nous avons, quelles sont les barrières, de quelle façon on peut les contourner et quelles sont les façons novatrices de mieux soutenir ces personnes pour qu’elles puissent venir au pays. Cela vient répondre à un problème de société : une population vieillissante et une rareté de la main-d’œuvre qui est de plus en plus criante à tous les niveaux, essentiellement celui de la santé. On a le privilège de voir des initiatives qui commencent à voir le jour, notamment chez nous, au Manitoba, par l’entremise de financement qui provient de Santé Canada avec des employeurs sur le terrain. Il y a des retombées sur le terrain à cause des fruits de la collaboration fédérale-provinciale et avec les intervenants communautaires.
Le président : D’accord, merci.
La sénatrice Clement : Bonjour aux deux témoins. Merci beaucoup pour votre témoignage.
J’ai beaucoup apprécié les questions de mes collègues. J’avais les mêmes questions. Je veux revenir sur la question communautaire. On est en train de faire une étude très intéressante et on a entendu des témoignages remarquables. Je suis en train de rédiger certaines recommandations pour le rapport final. Ce qui m’intéresse, c’est le fait que le communautaire semble combler des lacunes. Ce que vous avez dit plus tôt, madame St-Hilaire, concernant le financement pour les organismes communautaires et l’exemple que vous avez utilisé en réponse aux questions du sénateur Cormier, le counseling à court terme, l’appel de propositions... Est-ce que le fédéral vous a consultés avant de faire cet appel de propositions? Est-ce que cela aurait été une façon sensée d’avoir du financement dans un contexte communautaire?
Mon autre question s’adresse à Mme Meddri. Vous avez parlé d’une formation obligatoire en compétences culturelles. J’aimerais vous entendre un peu plus là-dessus. De plus, j’aimerais bien si vous pouviez faire des commentaires sur ce que vous entendez sur le terrain au sujet de l’existence d’un racisme systémique dans le système de santé. Vos clients, vos intervenants, vos gens parlent-ils de cela? Est-ce que c’est une question qui préoccupe les communautés? Madame St-Hilaire?
Mme St-Hilaire : Merci pour la question.
Est-ce que le gouvernement nous a consultés par rapport à l’appel de propositions? Une consultation en bonne et due forme ou formelle, pas nécessairement. Cependant, je crois que la pandémie a exacerbé tous les problèmes de santé mentale. C’est un sujet dont on a discuté et plusieurs volets ont été ajoutés à l’appel de propositions de cette année, qui était différent. On parle de vérité et réconciliation, on parle de l’ACS plus, on parle de plusieurs volets qui ont été ajoutés cette année dans le but de répondre aux besoins de la population et du secteur communautaire, des besoins qui ont été évoqués dans les cinq dernières années, donc dans le dernier appel de propositions qui prend fin au milieu de 2024.
Selon moi, c’était plus une réaction à un test en vue de vérifier comment le processus pouvait être enclenché dans les communautés et dans le secteur communautaire et de voir comment les gens allaient utiliser ce type de service si on décidait de l’ajouter. Avec les organismes d’établissement, nous avons décidé de faire affaire avec d’autres organismes communautaires en santé mentale pour adopter cette façon de faire, mais il y a plusieurs façons d’utiliser cet outil qui est maintenant offert dans l’appel de propositions. C’était peut-être une tentative d’évaluer cette possibilité.
Si nous avions été consultés, est-ce qu’on en aurait demandé encore plus? Probablement, parce que c’est une belle chose. Cependant, on s’attend rarement à ce que ce type d’appel de propositions inclue beaucoup de choses qui sont à l’extérieur du cadre direct d’IRCC. Pour nous, c’était vraiment une occasion intéressante. On s’est dit qu’il fallait aller de l’avant le plus possible. On a tous envie de dire que si cela fonctionne bien, il y aura une suite, qu’il sera possible d’avoir plus de services et plusieurs types de services à l’intérieur de ce projet, de cette petite note, parce que ce n’était pas nécessairement une section importante de l’appel de propositions, mais une petite possibilité que l’on a tous remarquée. Le vocabulaire utilisé dans l’appel de propositions parlait beaucoup de santé mentale, du bien-être des nouveaux arrivants et de tout ce qui se passe autour du parcours d’intégration.
La sénatrice Clement : Est-ce qu’une consultation aurait été intéressante?
Mme St-Hilaire : Probablement.
La sénatrice Clement : Est-ce que vous avez des forums où le fédéral arrive dans la communauté pour dire qu’il rassemble tout le monde et qu’il va justement vous parler de ses intentions?
Mme St-Hilaire : Il y a des consultations pour certains projets. Il y en a eu récemment. Quand on trouve que la discussion n’est pas assez développée, on en parle aussi et ils nous offrent des possibilités. Ils viennent aussi à nos différents forums. L’été dernier, on a eu un forum provincial en Ontario, et il y avait une délégation. Il y avait huit ou dix personnes d’IRCC qui ont participé aux différents ateliers et présentations au cours desquels on présentait de bonnes pratiques ou des besoins que l’on voulait faire ressortir du lot. Il y a probablement plusieurs choses qu’ils ont notées à ce moment-là. On se sent quand même relativement écouté.
Cependant, on n’a jamais vraiment milité fortement pour avoir plus de services en santé auprès d’IRCC. On sait très bien qu’on peut essayer d’avoir un peu plus de services de financement par l’intermédiaire d’IRCC pour l’employabilité; on peut en avoir un peu, mais jusqu’à un certain point, car cela ne concerne pas que ce ministère. Par contre, travailler avec plusieurs ministères pourrait ouvrir des portes vraiment très intéressantes. S’il y avait une consultation avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Santé Canada pour approcher les organismes communautaires afin de savoir s’ils ont de l’intérêt à bâtir quelque chose ensemble, vous auriez beaucoup de monde autour de la table.
Mme Meddri : Je vais rebondir sur le deuxième volet de votre question, à savoir la formation qui serait rendue obligatoire pour les compétences culturelles et l’élément en lien avec le racisme.
C’est assurément un élément que le secteur communautaire pourrait appuyer. La raison pour laquelle j’ai avancé cela, c’est parce qu’on a appris en 2021, lorsqu’on a demandé de la rétroaction de la part des intervenants en soins de santé, s’ils se sentaient prêts et outillés pour servir une clientèle immigrante en matière de santé, que ce soit la santé primaire ou la santé mentale. La réponse courte était non. De ce fait, un accompagnement en ce sens est obligatoire et indispensable.
Vous avez nommé très clairement la chose que j’avais soulignée de manière indirecte, soit les clichés et les idées préconçues de la part de certains fournisseurs de soins de santé. Donc, justement, des rétroactions en matière de discrimination et de racisme systémique dans le secteur de la santé, ce sont des choses qui sont vécues, partagées et dites très clairement par des personnes avec lesquelles on travaille.
Justement, la formation sur les compétences culturelles permettrait de les accompagner pour leur donner le bénéfice du doute quant à la volonté de bien faire leur travail, afin qu’ils prennent conscience que ce n’est pas parce qu’une personne est différente qu’elle est moins compétente, que ce soit pour se prendre en charge en matière de santé, s’occuper de ses enfants, etc. La liste est longue par rapport à tout cela.
Le président : Merci beaucoup. Cela met fin à ce groupe de témoins.
Mesdames Meddri et St-Hilaire, merci beaucoup pour votre comparution, vos réflexions, vos suggestions et vos recommandations, qui seront fort utiles pour notre rapport. Merci surtout pour le travail de terrain que vous faites dans vos provinces respectives. On sait que les défis sont grands pour vous, mais on sent votre enthousiasme et votre passion à servir vos communautés. C’est très précieux et très inspirant pour nous. Donc, merci à vous deux.
[Traduction]
Chers collègues, nous reprenons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité. Nous accueillons aujourd’hui des témoins qui ont été suggérés par le Réseau communautaire de santé et de services sociaux et qui sont ici pour raconter leur expérience personnelle à titre d’utilisateurs des services de santé dans la langue de la minorité au Québec.
Nous accueillons maintenant, en personne, M. James Robson, navigateur patient pour le Comité d’action sociale anglophone, Mme Brittney Chabot, directrice générale de l’Organisme communautaire anglais du Saguenay-Lac-Saint-Jean et Chloe Régis, mère au foyer. Ils sont accompagnés de Jennifer Johnson, directrice générale du Réseau communautaire de santé et de services sociaux. Bienvenue au Sénat.
Par vidéoconférence, nous accueillons Steve Guimond, guide accompagnateur pour les patients, du Réseau communautaire de santé et de services sociaux, Kayla Kippen, directrice des initiatives en santé, Basse-Côte-Nord du Québec, pour la Coasters Association et Hugo Bissonnet, directeur général de 4Korners. Bienvenue, et merci d’être parmi nous. Nous entendrons d’abord les déclarations préliminaires.
Monsieur Robson, vous avez la parole.
James Robson, navigateur patient, Comité d’action sociale anglophone, à titre personnel : Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous faire part de certains des défis auxquels fait face notre communauté anglophone vivant au Québec en ce qui a trait à l’accès au système de soins de santé.
Comme on l’a dit, je m’appelle James Robson. Je suis navigateur patient pour un organisme communautaire appelé le Comité d’action sociale anglophone. J’aide notre population anglophone à accéder aux soins de santé et à suivre toutes les étapes du processus lorsqu’il y a des barrières linguistiques, et les besoins sont donc considérables.
Aujourd’hui, j’ai trois histoires à raconter. L’une d’entre elles est personnelle et les deux autres proviennent de situations que j’ai vues dans le cadre de mon travail. Je commencerai par l’histoire d’une femme qui est l’une des premières personnes que j’ai aidées. Elle devait suivre un traitement à l’hôpital de Rimouski, qui se trouve à environ quatre heures de chez elle. Souvent, en Gaspésie — la région dans laquelle je travaille —, nous devons nous déplacer assez loin lorsque nous voulons aller quelque part, surtout pour des services de soins de santé.
Cette femme a donc communiqué avec moi. Elle était très nerveuse à l’idée de se rendre à l’Hôpital de Rimouski. Elle n’y était jamais allée auparavant et elle ne savait pas où elle allait. Je lui ai demandé si elle voulait que je l’accompagne et elle a accepté de bon cœur. Auparavant, elle m’avait expliqué qu’elle ne dormait plus depuis des semaines.
Le lendemain du jour où je lui ai dit que je pouvais l’accompagner, je l’ai appelée pour confirmer certains détails et elle m’a dit qu’elle avait réussi à dormir la nuit précédente. C’était très important pour moi, car ce n’était pas le stress lié au cancer et au traitement qui l’empêchait de dormir. C’était plutôt le stress de savoir qu’elle allait devoir aller dans un hôpital où personne ne pourrait parler anglais pour l’aider à s’orienter et que les affiches dans l’hôpital ne l’aideraient pas non plus.
La deuxième histoire que je vais vous raconter est celle d’une travailleuse sociale avec laquelle je travaille dans la région. Elle m’a appelé au sujet d’une personne qu’elle essayait d’aider depuis des mois, mais elle ne savait toujours pas ce dont cette personne avait besoin. Je suis donc allé parler à cette personne. Une demi-heure plus tard, j’ai quitté son domicile, je suis retourné sur le lieu de travail de la travailleuse sociale et j’ai déposé sur la table une liste de tout ce dont cette personne avait besoin. Après des mois de travail, cette personne n’avait pas encore eu accès à des soins de santé, mais j’ai réussi à accomplir cela en une demi-heure parce que je parlais anglais. Pendant des mois, cette personne n’a pas reçu les soins de santé auxquels elle avait droit. Cela ne me semble pas équitable. C’est un problème.
La troisième histoire concerne mon expérience personnelle. J’étais ambulancier paramédical avant de devenir navigateur patient et chef des opérations dans notre région, et je connais donc assez bien le système de soins de santé. En 2019, j’ai été retiré du service en raison d’un trouble de stress post‑traumatique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’expérience a été éprouvante, mais heureusement, je connais très bien le système et je suis également bilingue. J’ai pu obtenir une grande partie de l’aide dont j’avais besoin, mais les besoins en matière de santé mentale sont tellement complexes et différents pour tout le monde et il faut donc être en mesure de bien s’expliquer. J’ai demandé un psychologue anglophone, mais je n’ai pas pu en obtenir un. J’ai donc dû aller au Nouveau‑Brunswick pour en trouver un, avec les autres professionnels avec lesquels je travaillais. Même après avoir eu accès à un travailleur anglophone, ce que je ne pouvais pas faire au Québec, même si je suis bilingue et que je connais bien le système, j’ai quand même touché le fond. Si j’avais été un anglophone unilingue dans la région, je ne sais pas si je serais ici aujourd’hui pour vous en parler.
C’est un honneur de servir la population anglophone. J’espère lui avoir rendu justice aujourd’hui. J’aimerais terminer en avouant que j’étais très nerveux à l’idée d’être ici aujourd’hui. Les gens me demandent souvent si je suis nerveux à propos de certaines choses, et comme je suis un ancien ambulancier, je demande toujours si quelqu’un va mourir. Et en raison de mon trouble de stress post-traumatique, je m’efforce de ne pas me stresser pour chaque petite chose. Toutefois, lorsqu’il s’agit de vie ou de mort, je suis nerveux, et je peux vous dire qu’aujourd’hui, je suis nerveux, car c’est bel et bien une question de vie ou de mort. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, monsieur Robson. La parole est maintenant à Mme Brittney Chabot. Vous avez la parole.
Brittney Chabot, directrice générale, Organisme communautaire anglais du Saguenay-Lac-Saint-Jean, à titre personnel : Mesdames et messieurs les membres du comité, je m’appelle Brittney Chabot et je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de vous faire part aujourd’hui de mon expérience personnelle dans le système de santé du Québec et de vous communiquer le sentiment de la communauté que je sers à titre de directrice générale de l’Organisme communautaire anglais du Saguenay-Lac-Saint-Jean, aussi connu sous le nom de ECO-02.
Grâce au travail de mon mari dans les Forces armées canadiennes, j’ai eu la chance de vivre un peu partout au Canada, soit en Ontario, où je suis née et où j’ai grandi, en Alberta de 2014 à 2016, en Saskatchewan de 2016 à 2021 et maintenant au Québec, où nous vivons à Saguenay depuis le 15 juillet 2021. Comme j’ai fait l’expérience de quatre systèmes de santé provinciaux différents, je peux affirmer en toute confiance que de tous les systèmes dans lesquels j’ai demandé et obtenu des soins de santé au Canada, celui du Québec a été non seulement le plus difficile d’accès, mais aussi celui qui offre l’accès le plus restreint.
Avant mon arrivée, des conjoints de militaires qui vivaient déjà au Québec m’ont avertie que si je parlais anglais, le personnel des hôpitaux ne me prêterait aucune attention ou me refuserait des services et que je serais traitée comme une citoyenne de deuxième classe. J’ai d’abord mis cela sur le compte des stéréotypes, car mon mari est québécois. J’ai non seulement appris que c’était la vérité, mais j’aide maintenant d’autres personnes à s’y retrouver dans ce système de soins de santé semé d’embûches.
Ma première expérience avec le Centre intégré universitaire de santé et de service sociaux, ou CIUSSS, remonte au 1er avril 2022, lorsque j’ai déchiré mon tendon d’Achille. Puisque mon mari était à l’étranger pour son travail, j’avais décidé de faire partie d’une équipe locale de rugby intra-muros pour me faire des amis. Lors d’un entraînement, mon corps s’est déplacé dans une direction pendant que mon pied est resté au même endroit. J’ai été transportée à l’hôpital de Jonquière par une coéquipière et, à mon arrivée, j’ai demandé un interprète. On m’a informée à maintes reprises qu’il n’y avait pas d’interprète. J’ai rappelé à l’infirmière de triage que le CIUSSS payait un accès à la banque d’interprètes de la Capitale-Nationale et que j’avais le droit d’être traitée en anglais, conformément aux 12 droits des usagers. On m’a répondu que ce n’était que pour les rendez-vous, et non pour les urgences.
À cause de ce refus, ce qui devait être un triage de 15 minutes s’est transformé en processus de 40 minutes parce que je devais réfléchir à la manière de décrire ce qui m’était arrivé et ce que mon corps ressentait et ensuite traduire tout cela en français et utiliser des métaphores parallèles et des comparaisons détournées. J’ai été obligée de jouer à ce jeu de « mots connexes » à maintes reprises dans la soirée pour enfin sortir seule, sans béquilles, pendant qu’on me souhaitait bonne chance après un aiguillage vers un chirurgien.
[Français]
C’est à ce point de mon témoignage que j’aimerais vous montrer que même si je suis très compétente en français, je ne serai jamais assez bilingue pour être capable de m’exprimer avec nuance dans le domaine des affaires médicales, qu’il s’agisse de santé physique ou mentale.
En juin 2023, j’ai décidé que, pour mon bien-être, je devais renouveler une ancienne ordonnance pour ma médication contre l’anxiété. J’ai appelé Info-Social 811 une fois par semaine pour prendre rendez-vous avec un médecin. Chaque fois, j’étais capable de parler avec une infirmière bilingue jusqu’à ce qu’on me dise : « Une infirmière de votre région vous appellera pour en discuter davantage et pour fixer un rendez-vous. »
Lorsqu’une infirmière de ma région me rappelait, elle n’était jamais capable de me parler en anglais. Après avoir passé 40 minutes au téléphone en essayant de m’exprimer en français, aucun service d’interprète ne m’était offert et les appels se terminaient toujours avec ceci : « Désolée, madame, aucun rendez-vous n’est offert dans votre région. Si vous vous blessez, rendez-vous dans une urgence, s’il vous plaît. »
[Traduction]
J’ai atteint mon point de rupture lorsque, à la quatrième tentative, l’infirmière qui m’a rappelée m’a dit d’arrêter d’appeler, car il n’y avait aucun rendez-vous disponible et qu’on ne pouvait pas m’aider. Elle m’a dit que si je pensais que j’allais me faire du mal, je devais me rendre à l’hôpital.
La seule raison pour laquelle j’ai pu recevoir des soins de santé mentale, c’est qu’à titre de conjointe de militaire, j’ai pu avoir accès à un programme pilote spécial offert par le Centre de ressources pour les familles de militaires de Bagotville. Le centre avait reçu un financement spécial pour l’exercice 2023-2024, afin de couvrir les frais de rendez-vous avec des cliniciens en pratique privée pour que les membres des familles de militaires puissent recevoir des services de santé mentale immédiats. Je tiens à préciser que je n’ai pu avoir accès à ce service de santé mentale qu’en raison de mon statut de conjointe de militaire et grâce à un projet pilote profitant d’un financement spécial, qui était d’une durée limitée et qui était exécuté par le Centre de ressources pour les familles de militaires de Bagotville.
[Français]
D’un point de vue extérieur, mes expériences ne peuvent sembler que gênantes et mettent en évidence le fait que, pour vivre au Saguenay, il faut au moins être habile en français. Cependant, mesdames et messieurs, si moi, une personne presque bilingue, j’ai des problèmes à m’exprimer en français quand je suis blessée ou malade, imaginez la détresse d’une personne qui n’a pas un assez bon niveau de français.
Même si la communauté des personnes d’expression anglaise ne représente que 0,8 % de la population de la région administrative du Saguenay—Lac-Saint-Jean, soit environ 2 150 personnes, nous avons tous besoin d’avoir accès au réseau de la santé et des services sociaux.
Le plus gros problème que je constate, c’est le manque de connaissance des services disponibles de la part des gens qui travaillent en première ligne. De l’aide existe, malgré de nombreuses lacunes ou des difficultés, et nous souffrons également d’un manque de respect, de services et d’accès, car l’information disponible ne se rend pas assez loin.
[Traduction]
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous demanderais de bien vouloir travailler à l’élaboration d’un plan d’action qui intègre et appuie une meilleure communication entre les services, les paliers de gestion et le personnel, afin d’assurer une connaissance de base des ressources offertes pour servir la minorité linguistique, quelle qu’elle soit. Des études révèlent que les résultats en matière de santé s’améliorent lorsque les personnes sont en mesure de communiquer dans la langue dans laquelle elles se sentent le plus à l’aise.
Je me réjouis de poursuivre mon travail de défense des intérêts de la minorité anglophone dans ma région et d’aider notre réseau local de soins de santé à améliorer l’accès à tous les égards. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, madame Chabot. Madame Régis, vous avez la parole.
Chloe Régis, mère au foyer, à titre personnel : Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir invitée à partager mon expérience avec votre comité. Même si j’habite aujourd’hui à Chicoutimi, j’y ai immigré de Virginie en 2019 pour être avec mon mari. Je suis une épouse et une mère de trois jeunes enfants.
À titre de nouvelle arrivante au Canada, je m’attendais à quelques adaptations culturelles. Cependant, le défi le plus difficile et le plus persistant que j’ai dû relever a été de m’orienter dans le système de soins de santé du Québec. Dans le cadre de mon témoignage ce soir, je décrirai mes expériences à titre de personne enceinte avec des professionnels de la santé et leurs attitudes.
J’aimerais également mentionner qu’en raison du traumatisme causé par mes expériences dans le système de santé, ma famille a été obligée de prendre la décision difficile de quitter le seul foyer que mon mari ait connu.
J’ai accouché deux fois et le Québec m’a laissé tomber deux fois. Les deux fois, on m’a donné mon congé de l’hôpital sans aucune documentation, et mon mari a été obligé de jouer à l’intermédiaire soit pour obtenir ces renseignements, soit pour communiquer avec les spécialistes nécessaires après les faits.
Ma première grossesse a eu lieu pendant la pandémie de COVID-19, et j’étais seule pour m’y retrouver dans les soins prénataux en raison des restrictions, en plus de me voir refuser l’accès à des services d’interprétation. On a déclenché mon accouchement prématurément sans communication et je n’oublierai jamais les cinq professionnels de la santé qui se sont agglutinés autour de mon lit d’hôpital en me criant des directives en français, qui n’est pas ma langue maternelle, pour essayer de me faire changer de position tout en regardant mon mari d’un air effrayé pendant qu’il essayait de me dire quoi faire.
Quelques heures après la naissance de mon fils, il a été transféré à Québec en raison de crises d’épilepsie, sans que je puisse l’accompagner. J’ai dû faire face aux conséquences physiques et émotionnelles d’un accouchement dans l’isolement, sans aucun outil pour déclencher la lactation après avoir été séparée de mon bébé. Quatorze heures après l’accouchement, j’ai été obligée de voyager à deux heures de chez moi pour être avec mon nouveau-né, sans avoir dormi, tout en étant souffrante et angoissée au sujet de l’état de mon fils.
Mon mari et moi avons décidé qu’il devrait communiquer avec la nouvelle équipe soignante, car je ne pouvais pas le faire et j’ai dû composer seule, encore une fois, avec la situation. Les infirmières ont refusé de me prêter attention et j’étais donc angoissée à l’idée de demander de l’aide, car c’était très difficile dans ces conditions. Lorsque j’ai tenté de demander une infirmière qui parlait anglais, on m’a réprimandée et on m’a dit que c’était une demande ridicule.
Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte pour la deuxième fois, je me suis rendue aux services d’urgence en raison de symptômes inquiétants. On m’a dit que tout allait bien, mais que je devais revenir le lendemain pour d’autres analyses de sang. Mon mari a demandé à plusieurs reprises si un interprète serait présent, et on nous a répondu que ce serait le cas. Mais une fois de plus, lorsque je suis arrivée, personne ne pouvait m’aider. Mon mari a passé des heures au téléphone, depuis notre domicile, à essayer d’en savoir plus, pendant que j’étais assise dans la salle d’urgence sans savoir quoi faire. Au bout du compte, Dre Mélanie Rowen m’a informée que je faisais probablement une fausse couche et que je devrais attendre une semaine de plus pour confirmer que c’était bien le cas.
L’hôpital a enfin déclaré que ma fausse couche était terminée, mais pendant les quatre mois suivants, j’ai souffert de règles abondantes et de plus en plus fréquentes. J’ai appelé l’hôpital à plusieurs reprises, mais on ne m’a prêté aucune attention. Au bout du compte, Dre Rowen m’a rappelée et, tout en négligeant mes symptômes, elle a accepté de m’envoyer passer une échographie, où l’on a découvert que ma fausse couche était en fait toujours en cours et que j’aurais besoin d’une autre intervention.
Pendant ma troisième grossesse, j’ai eu plusieurs crises de panique avant mes rendez-vous, car je craignais que mes expériences précédentes se répètent. Mon équipe de soins comptait cinq médecins, car ma grossesse présentait un risque élevé et j’étais enceinte de jumelles. Lorsque j’ai tenté d’établir, à l’avance, un plan pour l’accouchement, afin d’éviter un nouveau déclenchement traumatisant, un médecin m’a dit que je ne pouvais pas décider de la façon dont j’allais accoucher et un autre m’a dit que je ne pensais pas au bien-être de mes bébés.
C’est Dre Suzie Dubois, la seule fournisseuse de soins qui m’a parlé en anglais pendant toute la durée du rendez-vous, qui m’a fait sentir qu’on me voyait et qu’on m’entendait à titre de patiente. Elle m’a écoutée, elle a pris mes inquiétudes au sérieux et elle m’a donné l’impression que mon opinion était importante.
Mes filles sont nées prématurément et, lors de la césarienne d’urgence, j’ai fait une crise de panique sur la table d’opération. Effrayée et seule, j’ai tenté de demander la présence de mon mari, mais les médecins ont plutôt essayé de commencer l’intervention chirurgicale.
On ne sait pas si mes filles sont des jumelles dizygotes ou identiques. Dre Dubois a mentionné la possibilité de leur faire passer un test, mais lorsque j’ai posé la question à leur pédiatre, on m’a répondu que ce test n’existe pas. J’ai appris plus tard que ce n’était pas vrai et que le test n’était tout simplement pas couvert par la Régie de l’assurance maladie du Québec.
Ces expériences ont fait des ravages sur mon bien-être physique et mental et m’ont inculqué un profond sentiment d’anxiété et de méfiance à l’égard des professionnels de la santé. Dans les moments les plus délicats de ma vie, on m’a fait sentir que j’étais un fardeau plutôt qu’un être humain qui a besoin d’aide. Aujourd’hui, ma famille a décidé de déménager près de Thetford Mines pour un nouveau départ, car j’hésite à me faire soigner sans la présence de mon mari pour me servir d’interprète. Je m’inquiète du bien-être de mes enfants dans un système dans lequel je ne peux pas défendre leurs besoins en toute confiance, car j’éprouverai toujours des difficultés avec la terminologie médicale et les nuances dans ce domaine, même avec une connaissance de base du français, qui n’est pas ma langue maternelle.
J’exhorte donc les prestataires de soins de santé et les décideurs politiques du Québec à donner la priorité à l’accessibilité linguistique et à la sensibilisation aux réalités culturelles. Personne ne devrait avoir à subir les expériences auxquelles j’ai dû faire face. Chaque personne, quelle que soit sa langue, mérite de recevoir des soins de santé compatissants, complets et de qualité.
Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, madame Régis.
Madame Johnson, ferez-vous une déclaration préliminaire? Vous avez la parole.
Jennifer Johnson, directrice générale, Réseau communautaire de santé et de services sociaux : Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui des défis auxquels fait face la communauté anglophone du Québec pour avoir accès à des services de santé et à des services sociaux en anglais.
En fait, j’ai comparu devant le comité l’année dernière et j’ai fait une déclaration préliminaire, mais vous ne vous en souvenez probablement pas.
Comme vous l’avez entendu à quelques reprises au cours de votre étude, la non-concordance linguistique entre un patient et les professionnels de la santé peut avoir de graves conséquences, comme Mme Régis vient tout juste de l’expliquer. La capacité à exprimer ses préoccupations en matière de santé et à comprendre le diagnostic et le traitement d’un problème de santé est primordiale pour obtenir de bons résultats en matière de santé. Les barrières linguistiques peuvent entraîner une mauvaise évaluation du patient, un diagnostic erroné, des retards dans le traitement, un plus grand nombre d’erreurs de médication et de nombreux autres résultats indésirables, y compris, dans des cas extrêmes, un décès prématuré.
Vous avez entendu aujourd’hui plusieurs représentants de la communauté qui vous ont parlé des difficultés auxquelles ils font face pour avoir accès à des services de santé. Pour vous aider à mieux comprendre leurs expériences, j’aimerais vous donner un aperçu de la façon dont les services de santé en anglais sont organisés, afin de mieux situer les choses dans leur contexte.
Tout d’abord, le gouvernement provincial a approuvé des plans d’accès pour chaque territoire des CIUSSS, et ces plans indiquent les services qui devraient être offerts en anglais dans chacun des établissements. Ces plans d’accès sont publiés sur le site Web de chacun des CIUSSS, mais ils sont très difficiles à trouver et souvent très difficiles à comprendre pour les patients. Il incombe donc aux CIUSSS et aux organismes communautaires locaux de veiller à ce que les gens comprennent les services qui sont offerts et la façon d’y avoir accès. Il s’agit d’un défi constant pour tous les intervenants, notamment parce que les établissements ne peuvent faire une offre active de service.
Au Québec, il y a 69 établissements « désignés », ce qui signifie que tous leurs services sont offerts en anglais et en français. Sur ces 69 établissements, 37 sont situés sur l’île de Montréal. Sur les 32 établissements restants sur l’île de Montréal, on compte 10 établissements de soins de longue durée et centres de réadaptation. Sur les 22 établissements restants, neuf sont de petits CLSC situés dans des villages de la Basse-Côte-Nord qui desservent une population très isolée et largement unilingue. Huit autres CLSC desservent la région de l’Outaouais. Il reste donc cinq établissements pour le reste du Québec.
Comme vous pouvez l’imaginer, cela signifie que la grande majorité des communautés anglophones de la province n’ont pas d’établissements désignés à leur disposition. Ces communautés doivent donc compter sur leurs établissements locaux pour mettre en œuvre les plans d’accès dont j’ai parlé plus tôt.
C’est aussi une période très difficile sur le plan des ressources humaines. Il peut s’avérer très difficile de trouver et de conserver des professionnels bilingues pour répondre aux exigences de l’OQLF, au droit de travailler en français et aux demandes des syndicats. Les institutions attendent toujours les directives du ministère de la Santé et des Services sociaux et de l’OQLF sur la mise en œuvre de la loi 14 dans le système de santé. Cela pourrait également accroître les difficultés rencontrées par les patients et les professionnels.
En 2021, le CHSSN a interrogé 3 000 anglophones sur leur degré de satisfaction concernant l’accès à des services en anglais. La bonne nouvelle, c’est que 53 % des personnes interrogées se sont déclarées satisfaites des services. La mauvaise nouvelle, c’est que 47 % ne le sont pas. Le degré de satisfaction varie également en fonction de la région où l’on vit. Dans certaines régions comme Laval, le taux de satisfaction atteint 56 %. Dans les régions où les communautés sont les plus petites, l’insatisfaction atteint 86 %.
Comme vous pouvez l’imaginer, les CISSS situés sur l’île de Montréal affichent des degrés de satisfaction relativement plus élevés que le reste du Québec, à l’exception de l’Est de Montréal où les degrés d’insatisfaction sont similaires à ceux des communautés situées à l’extérieur de l’île de Montréal.
Je dois également souligner que la révision complète du système de santé et la création de Santé Québec ont une fois de plus réduit l’influence de la communauté anglophone. Tous les conseils d’administration des CISSS et CIUSSS qui avaient un siège réservé à un représentant de la communauté anglophone seront abolis. Un seul conseil d’administration provincial sera responsable de toutes les institutions, y compris de celles qui ont été créées par la communauté anglophone. Nous avons pu sauver les comités d’accès régionaux qui représentent la communauté anglophone, mais leurs rôles et responsabilités restent à déterminer.
Ce sont là quelques-uns des facteurs qui influencent la capacité des patients de recevoir des services en anglais. Écoutons les autres témoins nous parler de leurs difficultés.
Le président : Merci, madame Johnson. Je donne maintenant la parole à M. Steve Guimond. Vous avez cinq minutes, monsieur. Je vous remercie de votre présence.
Steve Guimond, guide accompagnateur pour les patients, Réseau communautaire de santé et de services sociaux, à titre personnel : Merci. Bonsoir à tous les membres du comité. Je m’appelle Steve Guimond. Je suis guide accompagnateur pour les patients dans la ville de Québec. Je vous remercie de m’accueillir. Je vais vous présenter le projet du Guide accompagnateur pour les patients de la ville de Québec.
Québec est une ville centrale pour les services médicaux spécialisés, et les patients arrivent de tout l’Est du Québec pour s’y faire soigner. À une période très difficile de leur vie, les patients sont obligés de parcourir de grandes distances, parfois plus de 1 000 kilomètres, pour recevoir des soins de santé et sont souvent obligés de rester à Québec pendant de longues périodes.
L’argent versé par le gouvernement pour ces déplacements ne couvre pas le coût réel de l’hébergement, du transport et des repas. Ajoutez à cette expérience une barrière linguistique souvent rédhibitoire et l’absence d’un réseau de soutien social, et vous comprendrez que cela en fait des patients extrêmement vulnérables.
Après avoir entendu de nombreuses histoires de familles anglophones essentiellement unilingues vivant dans l’Est du Québec, qui connaissent toutes sortes de difficultés lorsqu’elles doivent se déplacer pour recevoir ce genre de services, plusieurs organisations communautaires ont uni leurs forces et lancé un projet de recherche-action communautaire pour authentifier ces preuves anecdotiques. De 2015 à 2017, leurs membres ont mené des enquêtes, des groupes de discussion et des entrevues avec des résidants de la Gaspésie, des Îles-de-la-Madeleine, du Bas-Saint-Laurent et de la Côte-Nord.
Les résultats ont révélé que les personnes et les familles avaient cruellement besoin de soutien et qu’elles pouvaient grandement bénéficier d’une personne à Québec pour les aider à répondre à leurs besoins particuliers. Par conséquent, le Réseau communautaire de santé et de services sociaux du Québec, en collaboration avec les organismes communautaires compétents et le CIUSSS Capitale Nationale, a créé le projet du Guide accompagnateur. Ce programme offre aux adultes et aux enfants d’expression anglaise des régions éloignées la possibilité de bénéficier des services d’un guide accompagnateur pour les aider à répondre aux besoins que je viens de mentionner avant et pendant leur traitement dans un hôpital de Québec.
Le guide accompagnateur est donc chargé d’aider à la logistique du voyage et au transport local; de fournir des informations sur la ville, l’hébergement et l’hôpital; de rendre visite aux patients et aux membres de leur famille et, au besoin, de les accompagner et de leur offrir des services d’interprétation; de faciliter la prestation de services de santé en assurant une bonne communication entre les prestataires de soins et les patients; de sensibiliser tout le personnel hospitalier aux besoins des patients anglophones et à leur responsabilité d’y répondre; d’offrir un soutien émotionnel aux patients qui doivent faire face à la peur, à la solitude et à l’anxiété parce qu’ils sont dépassés par leur état de santé; enfin, de faire figure de membre de la famille pour que les patients ne soient pas laissés seuls, en particulier les enfants.
Depuis le lancement du service en mars 2018, plus de 500 patients ont ainsi reçu de l’aide. Si l’on tient compte des visites suivantes au cours des années subséquentes, près de 1 200 clients ont ainsi été servis.
Chaque patient est unique. Nous avons connu un vaste éventail de situations, allant du soutien standard pour le transport, les visites amicales et les accompagnements aux rendez-vous, à des situations plus stressantes comme celle d’un enfant transporté à Québec par avion médicalisé sans accompagnement, à un patient victime de crime ainsi qu’à d’innombrables patients qui se sont retrouvés seuls dans la ville pour des traitements pendant des mois. La plupart de ces patients viennent de petits villages éloignés de Québec. La plupart d’entre eux sont des adultes âgés, souvent très malades, qui ont dû effectuer un voyage long et difficile pour arriver jusqu’ici.
Grâce au travail du guide accompagnateur auprès des patients et de leur famille, nous voyons souvent baisser le niveau de stress et le risque d’incompréhension entre les prestataires de soins et les patients. Le guide accompagnateur améliore l’expérience des soins reçus dans un hôpital et une ville inconnus pour toutes ces personnes.
Ces six années de service sur le terrain nous ont permis d’acquérir une perspective unique des réalités auxquelles sont confrontés les anglophones dans les établissements de santé de la ville de Québec.
Malgré une récente directive linguistique restrictive du gouvernement provincial, ce qui se passe dans les hôpitaux et les cliniques de la ville est un peu différent.
La communication entre les infirmières et les médecins et leurs patients s’est améliorée. Pour ce qui est des médecins, ce n’est pas surprenant étant donné que la langue internationale de la médecine est l’anglais et que nombre d’entre eux ont, à un moment ou un autre, étudié en dehors de la province.
Nous avons eu une plus belle surprise du côté du personnel infirmier, qui a récemment fait l’objet d’un renouvellement important, de sorte qu’une génération plus jeune occupe désormais une grande partie de ses rangs. Il s’agit d’une génération qui, pour diverses raisons, est beaucoup plus à l’aise pour s’exprimer en anglais.
Cependant, des barrières subsistent avec le personnel de première ligne. Malgré ces barrières, les efforts déployés par les employés de la santé de Québec pour les atténuer sont toujours apparents. La santé du patient est au cœur de leur travail et cela, quelle que soit la langue maternelle du patient. Néanmoins, la plupart des établissements de santé n’ont pas de directives claires sur la façon d’accueillir les patients anglophones, et la plupart des méthodes utilisées sont plutôt aléatoires.
Compte tenu de la taille imposante des hôpitaux de la ville par rapport à celle des établissements régionaux que nos clients connaissent, l’absence de signalisation en anglais est un autre obstacle restrictif auquel ils sont confrontés lorsqu’ils tentent de se déplacer à l’intérieur des bâtiments.
D’après ce que nous avons vu et entendu, la documentation médicale est l’aspect le plus préoccupant pour nos clients. À l’exception de quelques articles sélectionnés au hasard, la documentation n’est offerte qu’en français. Qu’il s’agisse de directives préopératoires importantes ou d’informations postopératoires sensibles, les instructions sont fournies dans une langue avec laquelle nos utilisateurs ne sont pas à l’aise.
Malgré les efforts déployés dans certains hôpitaux de la ville pour mieux accommoder les anglophones au chapitre de la documentation, des lacunes inquiétantes subsistent. Malheureusement, c’est le système de santé québécois lui-même qui est à l’origine de ces graves problèmes auxquels il n’a pas encore apporté de solution.
Je vous remercie et j’attends avec impatience vos questions.
Le président : Merci, monsieur Guimond.
Madame Kippen, vous avez la parole.
Kayla Kippen, directrice des initiatives en santé, Basse-Côte-Nord du Québec, Coasters Association, à titre personnel : Bonsoir, monsieur le président. Je salue également tous les membres du comité sénatorial. Je m’appelle Kayla Kippen. Je suis directrice des initiatives de santé de l’Association des Coasters, un organisme communautaire de la Basse-Côte-Nord du Québec.
La Basse-Côte-Nord est une région très particulière du Québec. Elle se compose de 14 collectivités regroupées en 5 municipalités, pour une population totale de 3 345 résidents, dont 85 % sont anglophones selon notre dernier recensement.
Notre région est confrontée à l’un des déclins démographiques les plus marqués de la province, et la majorité des personnes qui s’exilent sont des jeunes et des familles. Évidemment, cela en fait une région très vieillissante, où 25 % de la population totale est âgée de 65 ans et plus.
Il importe également de souligner que le taux de bilinguisme des personnes âgées est très faible. Tout cela pour dire que nos communautés sont parmi les plus dévitalisées de la province et qu’elles sont à majorité anglophone.
La Basse-Côte-Nord est également très isolée et éloignée, sans route directe entre les villages et le reste du Québec. Par conséquent, nos services sociaux et de santé sont très décentralisés, une décentralisation qui ne va qu’en augmentant. Les patients ayant des besoins spécialisés ou nécessitant des services d’urgence doivent prendre l’avion pour se rendre au centre de santé régional ou aux centres plus importants de Sept‑Îles, Baie-Comeau ou Québec.
Qu’est-ce que tout cela signifie en termes d’accès aux services sociaux et de santé pour les anglophones de ma région? Je peux vous raconter des histoires d’aînés anglophones qui ont refusé des rendez-vous médicaux à Québec parce qu’ils craignaient la barrière de la langue.
Je peux vous raconter l’histoire de patients qui n’ont reçu aucune documentation pré- et post-opératoire en anglais, ce qui augmente le stress et l’anxiété de beaucoup de nos concitoyens, en particulier de nos aînés.
Je peux vous raconter l’histoire d’un petit garçon de quatre ans qui a été retenu par trois membres du personnel médical pour subir un échocardiogramme. Aucun des membres du personnel médical ne parlait anglais. Le garçon était terrifié et confus, incapable de comprendre pourquoi il était là. On répétait à sa mère : « S’il vous plaît, dites à votre fils de se calmer. Nous n’arrivons pas à prendre de bonne image. » Personne d’autre qu’elle ne pouvait communiquer avec l’enfant dans cette pièce. Ce jour-là, elle a été obligée de jouer les interprètes au mieux de ses capacités et de faire l’intermédiaire entre l’enfant et le personnel médical.
Je peux aussi vous raconter l’histoire d’une vieille dame qui a été appelée à se rendre à Québec pour un rendez-vous médical le lendemain, ce qui l’obligeait à se rendre à l’aéroport local le soir même pour prendre son vol. Cette femme était là, à l’aéroport, dans sa ville natale, au téléphone avec le centre de santé francophone de Québec, à essayer de comprendre où elle devait se rendre et pourquoi. Ce n’est que par pure chance que quelqu’un qui se trouvait à l’aéroport ce soir-là a pu prendre le téléphone et lui servir de traducteur. Elle a parcouru plus de 1 000 kilomètres ce soir-là, seule, vulnérable, effrayée par la barrière de la langue à son arrivée.
Vous voyez, il y a malheureusement beaucoup d’histoires comme celle-ci chez les anglophones de la Basse-Côte-Nord. Il y a des personnes âgées et des parents avec de jeunes enfants qui parcourent 1 000 kilomètres dans un avion Beechcraft 1900 de 18 passagers pour un rendez-vous de 20 minutes, et beaucoup reviendront des semaines plus tard.
Malgré ces difficultés, nous avons la chance d’avoir des programmes essentiels pour nos patients anglophones qui se déplacent pour obtenir des services extrarégionaux.
Le programme de guide accompagnateur pour les patients, à Québec — celui de Steve Guimond —, a changé la vie des patients devant se déplacer pour recevoir des services médicaux. Soixante-dix pour cent de sa clientèle provient de ma région. Des centaines de patients affirment que les services de M. Guimond ont radicalement changé leur accès à des services en anglais.
Cela étant dit, j’espère que vous retiendrez trois messages essentiels de mes cinq minutes, aujourd’hui.
Premièrement, les citoyens des communautés anglophones des régions rurales et éloignées du Québec comptent parmi nos citoyens les plus à risque. Non seulement se heurtent-ils à la barrière de l’éloignement pour accéder à des services, parce qu’ils vivent dans une certaine région, mais ils risquent de ne pas pouvoir recevoir de services dans leur langue maternelle, la seule qu’ils connaissent.
Deuxièmement, les programmes provinciaux et fédéraux sont souvent conçus en contexte urbain, ce qui se fait malheureusement au détriment des communautés rurales et éloignées. Bien que ce ne soit peut-être pas une priorité pour ce comité aujourd’hui, il est essentiel de comprendre que cela désavantage encore plus les communautés de langue officielle en situation minoritaire des régions rurales et éloignées, parce que les gens de ces communautés doivent au moins avoir la possibilité de discuter de leur santé dans leur langue maternelle.
Enfin, grâce à des programmes comme le programme de guide accompagnateur pour les patients et à la contribution de Santé Canada au Réseau communautaire de santé et de services sociaux, ou RCSSS, au moyen des plans d’action fédéraux, les organismes communautaires comme la Coasters Association Inc. sont mieux outillés pour renforcer nos communautés et adapter le système de santé afin de mieux répondre aux besoins uniques des communautés de langue officielle en situation minoritaire de la Basse-Côte-Nord.
Je vous remercie de m’avoir accordé de votre temps.
Le président : Merci, madame Kippen. Pour terminer, nous entendrons la déclaration préliminaire de M. Bissonnet. La parole est à vous.
Hugo Bissonnet, directeur général, 4Korners, à titre personnel : Chers sénateurs, je vous remercie de nous recevoir. Je m’appelle Hugo Bissonnet. Je suis directeur général de 4Korners, un organisme communautaire des Laurentides. 4Korners offre à la population anglophone des Laurentides un vaste éventail de programmes axés sur un mode de vie sain et la santé mentale, il favorise la créativité et vient en aide aux jeunes, aux familles, aux personnes âgées, aux soignants et à toutes les autres personnes.
La région des Laurentides a connu la croissance démographique la plus élevée de toutes les régions administratives du Québec entre 2007 et 2017, soit une augmentation de 13 %. Elle est la quatrième région en importance au Québec, derrière Montréal, la Montérégie et la région de Québec. D’ici 15 ans, cette région devrait compter la plus forte proportion de personnes âgées de plus de 70 ans au Québec, et 47 000 personnes y parlent l’anglais, soit 7,5 % de la population. Il s’agit d’une augmentation de 1 % depuis le dernier recensement de 2016.
Selon l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle, ou EQDEM, réalisée en 2017, un enfant de maternelle sur trois dont la langue maternelle est l’anglais est susceptible d’être considéré comme vulnérable, contre un sur quatre chez ses pairs francophones.
Étant donné le peu de services disponibles en anglais dans la région — en particulier pour le traitement de l’autisme —, les parents se font parfois dire de déménager à Montréal s’ils veulent obtenir des services pour leurs enfants. Parfois, les orthophonistes incluent leur temps de déplacement dans le temps qu’ils consacrent à leurs patients, ce qui réduit d’autant le temps qu’ils peuvent passer avec les élèves ou les parents.
En voici un peu plus sur la santé et les services sociaux. La région représente 7,9 % de toute la population de la province, mais reçoit 4,5 % des ressources en santé. La croissance démographique va continuer, après s’être déjà accélérée pendant la pandémie avec l’arrivée de citadins dans la région. Par conséquent, l’infrastructure de soins de santé ne suffit plus dans les Laurentides.
De plus, les résidants reçoivent 20 % de leurs soins et 33 % de leurs interventions chirurgicales à l’extérieur de la région, soit à Laval, à Montréal ou à Hawkesbury, en Ontario. Le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides a calculé que le Centre hospitalier régional de Saint-Jérôme, qui est situé dans la capitale de la région, aurait besoin d’environ 200 000 mètres carrés de superficie pour répondre à la demande. Il dispose actuellement de 70 000 mètres carrés.
Les gens du Réseau communautaire de services de santé et de services sociaux ont parlé plus tôt d’un sondage sur l’exclusivité des services en anglais. Malheureusement, c’est la région des Laurentides qui obtient la pire note sur tous les plans; 55 % des gens n’y ont pas été servis en anglais lorsqu’ils se sont rendus dans un centre local de services communautaires, ou CLSC, alors que la moyenne est de 33 %; 46 % n’ont pas été servis en anglais lorsqu’ils ont appelé Info-Santé ou la ligne Info-Social, alors que la moyenne est de 32 % au Québec; 42 % n’ont pas été servis en anglais à l’urgence de l’hôpital ou dans une clinique externe, alors que la moyenne est de 27 %; 33 % n’ont pas été servis en anglais à l’hôpital lorsqu’ils y ont passé la nuit pour obtenir des services; 29 % n’ont pas été servis en anglais par le médecin qu’ils ont consulté, et la plupart d’entre eux vont dans des cliniques privées.
En outre, 28 % n’ont pas été servis en anglais par un professionnel de la santé pour un problème de santé mentale, alors que la moyenne est de 16 % dans la province. Ainsi, afin de pallier les problèmes d’accès à un médecin de famille dans le secteur public, 12 % des anglophones des Laurentides consultent des médecins de famille du secteur privé. La proportion est de 90 % dans le reste de la province, et seulement 4 % des francophones de la région ont recours à des médecins privés.
Dans la communauté anglophone, 31 % des gens ne se sentent pas à l’aise de demander des services en anglais; 59 % disent ne pas se sentir à l’aise en raison de l’attitude du personnel, ce qui s’apparente aux résultats obtenus pour l’ensemble de la province, où la statistique est de 56 %.
En ce qui concerne l’accès à des services en anglais pour les anglophones de la région, de 80 à 90 personnes qui parlent anglais disent qu’elles seraient plus à l’aise et qu’elles aimeraient recevoir des services en anglais pour pouvoir mieux comprendre le traitement.
Avec la loi 14 qui vient d’être adoptée et qui fait du français la langue officielle du Québec, on ne peut pas ignorer les répercussions que cela aura. Cette loi va avoir une incidence sur le fonctionnement de notre organisation. Il faut parfois deux fois plus de temps pour faire le travail. Cela rouvre aussi la plaie de la loi 101. Cela a un effet pervers supplémentaire sur les personnes qui ont vécu la loi 101 et qui vivent la loi 14 : elle crée une stigmatisation et une autostigmatisation lorsqu’il s’agit de demander des services en anglais, à cause des mauvaises expériences vécues auparavant.
Il existe également un système de liste d’attente pour les anglophones des Laurentides, qui attendent qu’un professionnel bilingue les serve ou qu’un professionnel bilingue se sente à l’aise pour les servir. Ce n’est pas une question de bonne volonté. C’est qu’il manque de personnel pour fournir des services en anglais, que ce soit pour une évaluation ou des services plus pointus. Les personnes qui sont sur la liste d’attente sont parfois remises sur la liste jusqu’à ce qu’un membre du personnel bilingue puisse les servir. Les ressources humaines sont un problème partout.
En conséquence, de nombreuses personnes hésitent à demander de l’aide et se retrouvent dans un état de santé plus grave, qui aurait pu être amoindri ou évité.
Parce qu’il y a si peu de services, les gens ont peur de porter plainte parce qu’ils ont peur qu’on les identifie s’ils déposent une plainte contre le système, contre le personnel administratif qui s’efforce de leur fournir des services ou s’ils le font parce qu’ils n’ont pratiquement pas eu accès à des services. Il n’est donc pas facile d’évaluer les difficultés qu’ils éprouvent parce qu’ils veulent garder le silence. Je constate la même chose chez les membres de mon équipe. Parfois, lorsque le système de santé publique prend une décision bizarre, ils ne savent pas si c’est parce que nous sommes anglophones ou s’il s’agit simplement d’une question de gestion.
Le président : Je vais vous demander de conclure, car vous avez dépassé votre temps de parole. Nous aurons toutefois du temps pendant la période réservée aux questions, au cours de laquelle vous pourrez donner de plus amples renseignements. Je vous laisse conclure.
M. Bissonnet : J’avais terminé. Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé.
Le président : Merci à vous tous pour vos témoignages et pour tous les renseignements que vous nous avez fournis. Nous allons maintenant passer aux questions. J’invite mes collègues à poser des questions concises et les participants à répondre de manière concise. Nous voulons que tout le monde puisse s’exprimer.
La sénatrice Moncion : Je m’exprimerai avec concision. J’aimerais en savoir plus sur le programme de navigateur ou de guide accompagnateur pour les patients — son fonctionnement — et sur la formation en compétences culturelles.
M. Robson : Steve Guimond a parlé des personnes qui doivent se déplacer à Québec. Je travaille dans la région de la Gaspésie — je couvre toute la partie sud de la Gaspésie — et je peux accompagner les gens tout au long du processus. Il peut s’agir de prendre rendez-vous et de comprendre l’information liée au rendez-vous et le contenu des documents qu’ils reçoivent. Dans le cadre de mon travail, je me rends également dans des hôpitaux, comme l’Hôpital régional de Rimouski, et je rencontre l’équipe d’oncologie pour m’assurer que nous pouvons offrir des services en anglais. Je peux également accompagner des patients à l’hôpital. Le programme est donc ouvert à presque tout.
Bien souvent, des fournisseurs de soins de santé, comme des travailleurs sociaux des CLSC et des infirmières pivots dans les hôpitaux, communiquent avec moi. Je trouve que dans notre région, il y a en général une volonté de communiquer avec la population anglophone, mais avec la Loi 14, c’est très difficile et il devient de plus en plus compliqué même pour les professionnels de la santé de savoir ce qu’ils sont autorisés ou non à faire en anglais. Ils nous demandent souvent de l’aide.
La sénatrice Moncion : À ce propos, combien y a-t-il de personnes pour faire ce travail? Êtes-vous seul?
M. Robson : Dans ma région, je suis seul, oui.
La sénatrice Moncion : Combien y a-t-il de patients? Quel est le potentiel?
M. Robson : L’année dernière, j’en ai aidé 60 avec environ 125 interventions. L’année précédente, c’était à peu près la même chose.
La sénatrice Moncion : D’accord, mais quelle est la taille de la population?
M. Robson : Il y a environ 8 000 anglophones en Gaspésie. Ils représentent environ 10 % de la population.
Là où je travaille, dans la partie sud, nous disons à la blague que la partie nord ne compte qu’une seule famille. Dans la partie sud de la Gaspésie, je ne me souviens pas exactement, mais c’est entre 15 et 20 %. La majeure partie des anglophones se trouvent entre Matapédia et Gaspé.
La sénatrice Moncion : Pour que je comprenne bien, êtes-vous financé par le gouvernement provincial ou fédéral?
M. Robson : Je suis financé par le Réseau communautaire de santé et de services sociaux, ou RCSSS, qui finance le CISSS, et le CISSS nous finance par des fonds d’adaptation.
La sénatrice Moncion : Nous essayons habituellement d’avoir un médecin pour 800 patients, et vous êtes seul pour environ...
M. Robson : Je suis navigateur patient.
La sénatrice Moncion : Je comprends. Je pense simplement à la taille de la population que vous devez servir.
M. Robson : On parle d’une population très vaste, en particulier la population anglophone. Les gens sont très dispersés sur le territoire. Il est compliqué pour eux de se rendre à leurs rendez-vous, surtout lorsqu’ils sont nerveux à l’idée de parler français.
La sénatrice Moncion : Combien y a-t-il de navigateurs patients ou de guides accompagnateurs pour les patients au Québec?
M. Robson : Puisque je ne peux pas répondre à cette question avec certitude, je ne le ferai pas. Il y a M. Guimond et moi.
La sénatrice Moncion : S’agit-il des cinq dont nous parlions tout à l’heure?
Mme Johnson : Actuellement, il y en a deux, soit un à Québec et un à Gaspé, mais il y a d’autres modèles. Santé Québec dispose d’un soutien à l’orientation. En Abitibi, il y en avait un à l’hôpital. Sur la Côte-Nord, dans la région de Baie‑Comeau, il y en a un à l’hôpital, mais la fonction porte un autre nom. Le tout se développe en fonction des besoins de la communauté.
Je considère que c’est quelque chose qui passe à travers les mailles du filet, parce qu’il n’y a pas vraiment d’enveloppe de financement facile à trouver pour quelque chose du genre. Le gouvernement fédéral est souvent très nerveux au sujet de la prestation de services et nous devons donc le convaincre qu’il ne s’agit pas d’un service, mais que nous aidons des gens à accéder à des services. Nous avons eu des discussions à ce sujet avec Santé Canada, qui est notre principale source de financement. Pour l’instant, nous avons dû retirer le service de navigateur patient du financement de Santé Canada parce que cela mettait le ministère très mal à l’aise. J’ai dû obtenir des fonds auprès de la Fondation de l’Église Unie du Canada, du RUISSS de Québec et du CISSS. Même le Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise contribue désormais. Ce sont là les sources de financement.
J’essaie désespérément d’obtenir des ressources d’ici 2026 non seulement pour ces deux navigateurs ou guides accompagnateurs, mais aussi pour qu’il y en ait un dans chacun des territoires afin d’appuyer le type de services que chaque région... Par exemple, le Saguenay en aurait un différent, probablement plus comme M. Robson que comme M. Guimond à Québec, parce qu’à Québec, ce sont des gens de l’extérieur qui se rendent dans la région; ce ne sont pas tellement les gens du coin qui accèdent aux services, bien qu’il fait cela aussi.
La sénatrice Moncion : Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci aux témoins de partager leur vécu avec nous, surtout le vécu très touchant de Mme Régis. Ma question s’adresse à qui peut y répondre. Il y a un fait bien connu, que ce soit dans la documentation ou dans la vie de tous les jours : quelqu’un qui ne reçoit pas des soins de santé dans sa langue, surtout en matière de santé mentale, court de grands risques de mauvais diagnostic, ce qui peut mener à bien des catastrophes. Cela, tout le monde le sait. Vous, en tant qu’organisme, avez-vous des contacts avec d’autres organismes francophones dans les autres provinces en tant que minorité linguistique? Avez-vous des contacts avec eux pour échanger sur vos défis, sur ce qu’on peut faire pour améliorer la situation? Cela vous est-il arrivé, ces rencontres ou ces liens?
Mme Johnson : Effectivement, on parle souvent avec la Société Santé en français. On a de bons échanges, Antoine Désilets et moi, sur certains défis. On fait parfois des visites dans d’autres régions. Je viens de visiter les Franco-Ontariens du Nord de l’Ontario à Thunder Bay et à Sudbury et on a eu des échanges sur les façons dont ils améliorent l’accès aux services. On a de beaux échanges comme ceux-là. Je suis aussi en train d’organiser un événement auquel participeront tous nos réseaux du Québec et tous les réseaux francophones. On va faire un échange en février 2025, et on aura sûrement de belles discussions en partageant les meilleures pratiques.
Mme Chabot : Vous parlez d’une moyenne régionale; je sais que le siège social, c’est plus provincial, mais il nous soutient en tant que bailleur de fonds. Au Saguenay, je fais beaucoup de travail avec mes partenaires. Comment peut-on aiguiller les gens vers des services? Comme on est la deuxième plus petite minorité anglophone par pourcentage au Québec, c’est important que nos communautés sachent quels sont les accès.
Au sein de notre organisme, on a développé un outil qu’on vient de lancer en mai, qui détaille les services de soins de santé mentale disponibles dans la région. J’ai envoyé un sondage et je sais qu’il y a plus d’organisations qui existent, mais parmi les 12 organismes, en excluant Info-Social 811 et le service Aire ouverte, il n’y en avait que 3 qui donnaient plutôt de l’information et des conseils. Il n’y a aucun thérapeute, ni accompagnement, ni services de première ligne. Vous avez un problème? Voilà la documentation dont vous avez besoin. Il n’y a aucune intervention.
La sénatrice Mégie : J’ai une troisième question. Quel rôle le gouvernement fédéral pourrait-il jouer pour améliorer votre situation, surtout votre situation au Québec? Je ne sais pas si vous avez déjà abordé la question auprès du gouvernement du Québec.
Mme Johnson : Absolument; la vitalité de la communauté est primordiale. Le soutien que l’on donne aux organismes communautaires pour qu’ils puissent rassembler la communauté, exprimer ses besoins et représenter la communauté dans leur région est primordial. Deuxièmement, si on a la capacité de soutenir un programme comme liaison, navigateur de patients ou dans un rôle où la communauté est le principal joueur, je vois cela comme une excellente possibilité pour ce qui est du soutien du gouvernement fédéral.
Mme Chabot : Dans ma région, je fais le travail de M. Robson pour ma clientèle, qui m’appelle et qui dit : « J’ai peur d’appeler le médecin, j’ai peur d’aller à l’urgence, j’ai besoin d’aller voir l’ergothérapeute, mais je ne sais pas où aller. » La plus grande partie de notre financement vient souvent du CHSSN, puis de Santé Canada; on n’a pas le droit de donner les services. Je me sers de mon temps personnel pour accompagner les gens qui en ont besoin.
En parlant de santé mentale, on ne peut même pas payer des cliniques privées. Par exemple, le CRFM de Bagotville a eu un financement spécial pour créer un projet pilote afin que les militaires et leurs familles aient accès à des services de soins en santé mentale. Je n’ai pas le droit, en tant qu’organisme, avec le financement que j’ai, d’avoir une entente avec un clinicien privé pour assurer un accès immédiat à des personnes qui peuvent soutenir la communauté anglophone. Le financement est le plus grand enjeu sur le plan de l’accès aux soins.
La sénatrice Mégie : Puis-je poser une troisième question courte? Pour les communautés francophones en milieu minoritaire, plusieurs d’entre nous insistent pour qu’il y ait des clauses linguistiques dans les rapports entre les provinces et le fédéral.
Pour vous, du côté anglophone au Québec, lorsque l’on conclut un accord financier fédéral-provincial, pensez-vous que les clauses linguistiques seraient bénéfiques pour la communauté anglophone du Québec?
Mme Johnson : Juste pour préciser votre question, vous parlez des fonds fédéraux et des fonds dans les provinces?
La sénatrice Mégie : Oui; on insiste pour qu’une portion particulière soit attribuée à la communauté anglophone pour des services déterminés.
Mme Johnson : Je ne suis pas sûre; je pense que je n’ai pas bien compris la question.
Le président : Si je peux me permettre, madame la sénatrice.
On parle des ententes bilatérales, des transferts en santé que le gouvernement verse aux provinces. Elle vous demande si, à votre avis — on parle des exigences en matière de livraison de services pour les communautés anglophones en milieu minoritaire au Québec —, il serait intéressant d’intégrer les clauses linguistiques dans les ententes de transfert de fonds, pour que le Québec ait des obligations de livrer le service?
Mme Johnson : Oui, absolument; il faudrait prévoir une obligation pour que l’argent qui est transféré se rende à la communauté d’expression anglaise.
Je crois que les budgets sont beaucoup moins importants en santé qu’en éducation. Il y a des négociations pour en obtenir plus, et si c’est le cas, absolument, il faudra un encadrement pour savoir comment l’argent entre dans la province.
J’ai aussi des craintes personnelles. Actuellement, beaucoup d’argent va vers les communautés, et pas vers les provinces. Si on dirige l’argent vers la province au lieu du secteur communautaire, il arrivera exactement ce dont vous parlez : comment pourrons-nous être certains que l’argent bénéficie à la communauté d’expression anglaise? Il faut donc créer un encadrement pour cet argent.
M. Bissonnet : Je crois que ce qui est important, c’est qu’il y ait un transfert vers les provinces. Souvent, il y a beaucoup d’argent qui sert à payer des frais administratifs dans les institutions publiques avant de retourner vers les institutions communautaires. Je crois qu’il y a des paramètres importants. Historiquement, on sait que le Québec n’aime pas l’ingérence dans les décisions liées aux compétences provinciales. Donc, ce n’est pas si simple à faire, même s’il y a des montants qui seraient transférés vers la région.
En même temps, il est important de travailler pour que les professionnels puissent livrer leur expertise en anglais. La plupart des groupes qui sont ici ce soir ont accès à un fonds avec Santé Canada et l’Université McGill qui s’appelle Dialogue McGill, où l’on peut offrir des cours d’anglais aux professionnels de la santé et des services sociaux pour les rendre plus habilités à offrir des services en anglais.
Par contre, cela restreint l’accès à ces cours aux groupes communautaires, qui ont aussi leur propre expertise en santé mentale, en réadaptation, en accompagnement des pairs et dans les banques alimentaires. Les groupes voudraient avoir accès à des cours pour être mieux en mesure de servir la communauté anglophone, donc ce n’est pas un manque d’intérêt. Par contre, on demeure restreint dans notre capacité d’offrir la formation à la communauté et aux professionnels de la santé et des services sociaux et du secteur communautaire. En même temps, si on aide plus de gens à mieux communiquer en anglais, ce serait peut-être plus simple et plus pérenne de penser que les régions sont aussi capables de soutenir, d’accompagner et d’accueillir les communautés d’expression anglaise dans leur région. Ce sont des aspects à explorer.
[Traduction]
La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous de votre présence et de vos témoignages, vraiment.
Au cours de l’étude, on nous a beaucoup parlé des problèmes et des défis liés à l’accès aux services de santé dans une langue minoritaire, que ce soit pour un francophone ou pour un anglophone, au Québec. Cependant, il n’a pas été beaucoup question d’expériences positives et de pratiques exemplaires. Je tiens à vous remercier parce que vous en avez mentionné quelques-unes ce soir, M. Robson, concernant le navigateur patient, et M. Guimond et Mme Kippen, concernant les programmes qui existent — chacun d’entre vous. Ces bonnes pratiques sont importantes et il est tout aussi important que le gouvernement fédéral les comprenne et les recommande.
Puisque nous sommes sur une bonne voie, avec de bonnes pratiques, si des témoins peuvent proposer d’autres bonnes pratiques qu’ils ont vues au Québec et qui pourraient être utiles à d’autres communautés en situation minoritaire au pays, qu’elles soient francophones ou anglophones, et que le gouvernement fédéral devrait connaître, cela pourrait aider.
J’invite tout le monde à intervenir. M. Robson, vous avez levé la main immédiatement. Vous pouvez peut-être commencer.
M. Robson : Je voulais ajouter quelque chose à ce qu’a dit M. Bissonnet. Il a parlé de Dialogue McGill. Comme je l’ai mentionné, je travaille en étroite collaboration avec l’Hôpital régional de Rimouski dans le département de radio-oncologie. La plupart du temps, le plus difficile pour les membres de notre population anglophone est de faire leur chemin dans l’établissement parce qu’il est peu probable que le personnel administratif et le personnel d’accueil soient bilingues. Le plus souvent, les médecins ne sont pas bilingues. C’est mieux du côté des infirmières, mais il est très difficile de s’y retrouver à l’hôpital.
Nous en avons discuté et ils ont commencé à mettre cela en place à l’hôpital. Chaque fois que j’y suis allé, j’ai remarqué qu’une nouvelle personne au secrétariat disait « je vais vous parler en anglais ». Ces personnes sont toujours très fières. La dernière fois, l’un des employés de l’accueil m’a parlé en anglais et il en était tellement fier. Appuyer Dialogue McGill et lancer des initiatives de ce genre est vraiment utile si nous trouvons les bonnes personnes et si les bonnes personnes y donnent suite.
La sénatrice Poirier : Y a-t-il quelqu’un d’autre qui a de bonnes pratiques à faire connaître?
Mme Chabot : L’une des plus grandes réussites que nous avons connues au sein de notre organisme dans notre région ces dernières années est le travail que nous avons accompli avec nos partenaires communautaires.
Nous formons une petite organisation. Je suis directrice générale et j’ai trois employés, dont deux sont des coordonnateurs communautaires, et nous desservons l’ensemble de la région 02. Une grande partie de notre travail se fait en collaboration avec nos partenaires. Le principal obstacle que je rencontre souvent avec eux a à voir avec la francisation.
Je dois expliquer ce que je veux dire.
[Français]
Bien sûr, il y a des gens qui viennent au Saguenay pour apprendre le français et pour s’intégrer.
[Traduction]
Cependant, il faut d’abord qu’ils se sentent à l’aise. C’est très important. Je mentionne souvent le modèle de mobilisation communautaire du RCSSS lorsque je parle à mes partenaires communautaires. Je leur dis : « Écoutez, vous êtes anxieux à l’idée de parler anglais et les gens que j’aide sont anxieux à l’idée de parler français. Comment pouvons-nous remédier à la situation et nous aider mutuellement à comprendre que les Québécois ne détestent pas les anglophones? » C’est en général ce que l’on pense, mais je constate que ce n’est pas vrai la plupart du temps. Nous avons simplement peur de communiquer. La clé du succès réside dans la capacité à faire tomber ces barrières en travaillant ensemble en tant qu’organismes et partenaires communautaires.
Ma région en est un excellent exemple. Nous avons réussi à obtenir trois heures du conte en anglais dans notre bibliothèque locale. C’est géré par la Ville de Saguenay. Des enfants anglophones et francophones y viennent. Nous avons une heure du conte en anglais et une heure de conte bilingue. Il y a la Maison des familles de Chicoutimi, qui offre un programme bilingue sur le rôle parental. Nous amenons les gens à ces organisations communautaires pour qu’ils profitent des services locaux. Le travail de partenariat qui rapproche les deux communautés est l’élément le plus important à examiner.
Le président : Je pense que vous avez posé une question à laquelle beaucoup de gens veulent répondre.
Mme Kippen : Merci beaucoup. Je suis ravie que vous ayez soulevé des points positifs, car il est important de souligner nos réussites. L’un des exemples que je tiens à souligner est lié à notre collaboration avec le comité d’accès régional. Il s’agit des plans d’accès régionaux dont Mme Johnson a parlé plus tôt.
Au CISSS de la Côte-Nord, nous avons mis en place le programme ALLO, un programme d’agent de liaison linguistique. Les professionnels de la santé des établissements, du CISSS de la Côte-Nord, qui sont anglophones et qui peuvent s’exprimer en anglais portent un badge jaune. Ils ont un porte‑nom jaune pour que l’usager puisse mieux déterminer si une personne est capable de parler en anglais avec elle.
Puisque le programme a été lancé il y a quelques années, nous en faisons toujours la publicité, mais il a été très bien accueilli. Récemment, nous nous sommes réunis en comité. Deux autres régions du Québec ont adopté ce programme. Elles ont choisi le jaune comme couleur pour désigner les personnes qui parlent anglais. Un établissement a choisi un tournesol et l’autre région n’a pas nécessairement choisi un symbole, mais elle utilise la couleur jaune.
Je pense qu’il s’agit là d’un exemple unique de pratique exemplaire. C’est quelque chose qui pourrait être mis en œuvre partout dans la province. Et je lève mon chapeau parce que notre comité a été en mesure de se réunir grâce à ma position et de mettre sur pied ce projet, qui aide grandement la population anglophone. Je dirais donc que c’est une grande réussite.
M. Guimond : J’aimerais souligner quelques bonnes pratiques qui sont facilement réalisables, mais qui n’existent pas actuellement dans le système de santé à Québec. L’une d’entre elles a été mentionnée au cours de la première partie de la réunion, celle qui a débuté à 17 heures, et consiste à se préparer à l’arrivée d’anglophones à Québec. Il s’agit de signaler leur arrivée dans le dossier. Ainsi, le système est prévenu que l’on doit réfléchir à la manière dont on va aborder le patient.
Dans le même ordre d’idées — et c’est également un problème au sein du système —, il y a la question de la traduction des documents, que j’ai soulevée pendant mon exposé. Ici, la ville compte essentiellement cinq hôpitaux qui relèvent du réseau des CIUSSS, puis il y a l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie. Je siège au comité pour le CIUSSS depuis 2019. C’était censé faciliter l’accès des anglophones au système de santé de la ville. Malheureusement, cinq ans plus tard, presque rien n’a été accompli. Le premier objectif était de traduire certains documents importants, mais cinq ans plus tard, on n’a pas été en mesure de décider comment procéder pour la traduction et, parallèlement, on n’a pas été en mesure de décider quels documents devaient être traduits.
Il y a cinq ans, j’ai fait remarquer qu’il existait des organismes anglophones à Montréal, où l’on trouve les systèmes anglais et français. Les documents sont là. On m’a répondu : « Eh bien, ici, à Québec, c’est propre à chaque établissement ». Cinq ans plus tard, presque rien n’a été traduit malgré l’existence de ces documents dans la province.
M. Bissonnet : Pour revenir sur ce qu’a dit Mme Kippen, dans les Laurentides, on va aussi de l’avant avec le système des badges jaunes pour que les anglophones puissent repérer plus facilement les membres du personnel qui sont à l’aise de parler l’anglais. Voilà une chose.
La traduction est un problème. Je préside également, pour la région des Laurentides, le comité d’accès pour le CISSS, et nous négocions parfois en quelque sorte pour savoir quelles sont les priorités quant à la traduction. Bien sûr, le financement est un problème parce qu’il y a tellement d’outils et de choses à traduire. Or, je suis d’accord avec M. Guimond. Nous devrions pouvoir mettre en commun certaines ressources, car on a le même formulaire d’évaluation. Nous devrions donc pouvoir essayer de trouver des moyens de mieux travailler avec ce qui existe avant de réinventer la roue. Nous comptons beaucoup sur le financement et nous devons être créatifs.
Il existe également une initiative qui permet à certains systèmes d’avoir accès à un traducteur spécialisé, non seulement en anglais, mais aussi dans d’autres langues. Des organisations comme le CISSS et le CIUSSS peuvent obtenir les services de traducteurs; il existe des banques de traducteurs. Cette initiative n’est pas très connue des professionnels et c’est toujours le ministère qui paie pour la traduction. Ils ne sont donc pas très enthousiastes à l’idée de dire « allez-y, nous avons accès à un traducteur », mais c’est une partie de la solution — au moins à temps partiel — pendant que nous en cherchons une meilleure pour accroître le bilinguisme ou pour aider les personnes qui parlent d’autres langues et qui ont besoin de services et de soins urgents.
C’est aussi quelque chose que nous pourrions explorer pour voir si nous pouvons aller plus loin, en mettant un traducteur à la disposition d’un organisme communautaire qui travaille dans le domaine de la santé et des services sociaux, et peut-être renforcer l’accès. Nous pouvons également dire aux membres de la communauté « vous avez le droit de demander des services ou l’accès à un traducteur », ce qui contribuera à leur donner les moyens de faire valoir leurs droits et de demander à être servis dans leur langue officielle, l’anglais. Cela pourrait aussi faire partie de la solution.
La sénatrice Poirier : Merci beaucoup pour toutes ces bonnes réponses. Je vous en suis reconnaissante.
Est-ce que l’un ou l’une d’entre vous a déjà eu recours aux services d’interprétation? Si oui, quelle a été votre expérience? A-t-elle été bonne? Mauvaise? Comment les choses se sont-elles passées? Si elles ne se sont pas bien passées, pourquoi? Quelqu’un peut-il nous en parler?
Mme Régis : Eh bien, comme on me refusait l’accès à ces services, nous ne pouvons pas y recourir.
Mme Chabot : Nous ne pouvons pas ou c’est pour les rendez‑vous ou les services n’existent pas ou ils ne le savent pas. Au Saguenay, j’ai demandé à obtenir le numéro de la politique. Je l’ai dans mon portefeuille de sorte que lorsque je rencontre des partenaires qui travaillent en santé publique dans les établissements de santé publique ou les CLSC ou des partenaires communautaires qui travaillent dans les hôpitaux, je peux leur dire : « voici le numéro de la politique à laquelle vous avez accès sur Internet ». C’est un document de 14 pages, mais on y explique exactement comment accéder à cette ressource pour les gens. Je ne suis qu’une seule personne par rapport à une institution qui n’a pas trouvé le moyen de faire passer l’information du haut de la hiérarchie aux travailleurs de première ligne.
La sénatrice Poirier : Quelqu’un d’autre veut parler de son expérience?
M. Bissonnet : Il appartient aux chefs des services des CLSC de décider s’ils autorisent ou non leur personnel à faire appel à des services d’interprétation. Il est difficile de dire si c’est bon ou mauvais parce que nous n’y avons pas accès, mais [difficultés techniques] a créé un passeport santé, un outil bilingue contenant des termes clés, que nous distribuons aux professionnels de la santé ainsi qu’aux membres de la communauté, ce qui leur permet au moins de repérer des mots clés relatifs aux maladies physiques, au suivi ou à la formation. Il s’agit donc d’un outil auquel pourrait accéder l’ensemble du réseau d’organismes communautaires. Nous mettons nos ressources en commun.
Ce pourrait être une possibilité à explorer — de bonne foi — pour au moins améliorer l’accès. Dans les Laurentides, nous ajoutons toutes sortes d’appareils électroniques et de logiciels gratuits qui aident à la traduction pour les patients qui ont un téléphone et qui ont accès à une application leur permettant d’obtenir une traduction correcte.
Mme Kippen : Il existe en fait un service d’interprétation dans ma région, dans l’un des principaux centres de santé de Sept-Îles. Il s’agissait d’un projet pilote au départ et il a très bien fonctionné. L’interprète parle cinq langues et aide également les communautés autochtones qui viennent du Nord.
C’est un grand succès et le programme s’est avéré utile pour la population. Le problème, c’est que l’interprète ne dispose pas d’assez d’heures dans une journée. Il n’y a pas assez de personnel. Un seul interprète pour l’ensemble de la population ne suffit tout simplement pas.
Au bout du compte, cette personne est en mesure de servir la population et de nombreuses personnes, mais il y a encore beaucoup de gens qui ne peuvent pas bénéficier des services de l’interprète. C’est donc un excellent programme et les personnes qui y ont accès en sont très reconnaissantes, mais il y a un manque de ressources humaines.
M. Guimond : Le grand problème que je constate ici, à Québec, c’est que de nombreux employés du système de santé ne savent même pas que nous disposons d’une merveilleuse banque d’interprètes. C’est un symptôme des problèmes de lourdeur bureaucratique qui existent dans le système et qui font en sorte que l’information n’est pas transmise aux employés.
La sénatrice Clement : Je vous remercie tous de vos témoignages. Je suis heureuse de vous revoir, madame Johnson. Je suis ravie d’apprendre que vous êtes allée dans le Nord de l’Ontario pour collaborer avec les gens de Sudbury. Je pense que la clé réside dans la collaboration.
Je voudrais me concentrer sur les trois personnes qui ont raconté leur expérience personnelle. C’est une chose très difficile à faire dans n’importe quel contexte, mais aussi dans celui-ci. Monsieur Robson, madame Chabot, vous travaillez sur le terrain, mais vous êtes venus raconter votre expérience personnelle et je vous en remercie.
Ma question s’adresse à Mme Régis. Ce pays — les provinces et les villes — ne veut pas que les gens partent. C’est la raison d’être de notre pays. Nous ne voulons vraiment pas que les gens partent. Nous voulons qu’ils viennent au pays, qu’ils y restent et qu’ils s’y épanouissent, n’est-ce pas? Il était donc difficile de vous entendre dire que vous deviez partir. Nous menons des batailles linguistiques. Nous nous battons dans les écoles. Nous avons toutes sortes de problèmes dans le commerce de détail ou nous nous efforçons tout simplement de faire avancer les choses dans notre vie quotidienne. Comment se fait-il que dans le domaine de la santé, la question linguistique soit plus importante que partout ailleurs?
Mme Régis : Parce que je peux me débrouiller dans ces autres situations. Que ce soit pour la pharmacie, l’école de mon fils ou les programmes d’orthophonie, je peux m’en sortir. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux, mais c’est quand même possible. Lorsque je vais à l’hôpital et qu’il n’y a personne pour m’aider, personne pour faire le lien, je ne peux rien faire. Même si j’étais parfaitement bilingue, je ne pourrais jamais dire en français les choses que j’ai besoin de dire quand je souffre, quand je suis bouleversée en raison de la situation de mon enfant, ou dans toute autre situation pour laquelle je ne peux pas surmonter cette difficulté.
La sénatrice Clement : C’est très bien dit. Je vous remercie. Madame Chabot, vous l’avez dit aussi et vous nous avez montré que vous maîtrisiez le français. Or, quand on est malade, c’est vers sa langue maternelle qu’on se tourne.
Mme Chabot : Souvent, quand on parle de douleur ou de blessure, quand il s’agit de la santé physique, on n’a pas de mot pour dire les choses. Souvent, on se demande comment décrire telle sensation étrange. Lorsque je me suis rompu le tendon d’Achille, je n’ai rien senti d’autre qu’une vibration et une sensation bizarre, mais tout le monde dans la pièce a entendu un claquement, sauf moi. Je ne savais pas ce qui m’était arrivé. Un instant, j’étais debout. L’instant d’après, je me trouvais par terre.
Comment décrire à l’infirmière de triage ce qui s’est passé à ce moment-là et comment mon corps a réagi et s’est senti? Je me dis alors que je connais tel mot. Quel est le mot qui s’en rapproche le plus? Je connais telle phrase, ce n’est pas cela, mais c’est semblable, et on y va à coup d’essais et d’erreurs en essayant de trouver les bons mots. Même si l’on est presque parfaitement bilingue, il existe des nuances dans le vocabulaire médical que les professionnels de la santé connaissent et que le reste de la population ignore. Comment faire pour décrire ce que l’on ressent dans son corps alors qu’il n’y a peut-être pas de mot en anglais pour le décrire? Comment s’y prendre?
La sénatrice Clement : Monsieur Robson, les ambulanciers paramédicaux jouent un rôle très important. Je vous remercie de votre service. Le trouble de stress post-traumatique est un problème important pour les ambulanciers. Je l’ai constaté à l’époque où je travaillais à Cornwall également. Je vous remercie de continuer à travailler en tant que navigateur patient. Je vous remercie tous.
La sénatrice Moncion : Madame Régis, comment allez-vous et comment vont vos enfants? Sont-ils en bonne santé? Comment allez-vous?
Mme Régis : Ils sont en bonne santé et en pleine forme. C’est juste que je ressens beaucoup d’anxiété à propos de tout.
La sénatrice Moncion : Je peux comprendre. Je vous raconterai une anecdote plus tard.
Le président : Merci à vous tous pour votre participation et pour l’information humaine très importante que vous nous avez fournie.
On nous informe des données. Nous entendons parler de technologie et de toutes sortes de choses, mais je pense qu’il est très important que des gens nous racontent ce qu’ils vivent. Il en sera bien sûr question dans notre rapport, et vos témoignages nous aideront à mieux comprendre les problèmes et à déterminer comment combler les besoins. C’est important. Nous ne l’oublierons pas. Je vous remercie tous.
(La séance se poursuit à huis clos.)