LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 7 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Chers collègues, je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
[Traduction]
Avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices à suivre afin d’éviter les incidents liés aux retours de son. Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous pour votre coopération.
[Français]
J’aimerais maintenant inviter les membres du comité qui sont ici aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Moncion : Bonjour. Lucie Moncion, de l’Ontario.
La sénatrice Audette : [mots prononcés en innu-aimun] Michèle Audette, du Québec.
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le président : Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs et aux téléspectatrices de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité en recevant des organismes qui sont en mesure de traiter du thème des professionnels de la santé, soit l’un des sept thèmes de notre étude.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons en présentiel le Dr Jean A. Roy, président de Médecins francophones du Canada.
Bienvenue parmi nous, docteur Roy. Nous souhaitons aussi la bienvenue aux témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence. De l’Association des facultés de médecine du Canada, nous accueillons Danielle Barbeau-Rodrigue, présidente du Réseau des minorités francophones et directrice du Bureau des affaires francophones à l’Université de l’École de médecine du Nord de l’Ontario, le Dr Julien Poitras, membre du conseil d’administration et doyen de la Faculté de médecine de l’Université Laval, et Anne Leis, membre du Réseau des minorités francophones et professeure de santé communautaire et d’épidémiologie à la Faculté de médecine de l’Université de la Saskatchewan.
Bienvenue et merci d’avoir accepté l’invitation du comité. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénatrices et sénateurs. Docteur Roy, la parole est à vous.
Dr Jean A. Roy, président, Médecins francophones du Canada : Merci de m’avoir permis de témoigner devant ce comité sénatorial. Je salue les distingués sénatrices et sénateurs de ce comité, en particulier la Dre Marie-Françoise Mégie, que je connais bien, car nous sommes membres de la même association.
J’ai été invité à titre de président de Médecins francophones du Canada, anciennement l’Association des médecins de langue française du Canada, fondée en 1902. Ce n’est pas une nouvelle association.
Médecins francophones du Canada offre de la formation médicale continue et du développement professionnel aux médecins et aux professionnels de la santé à travers le pays. Nous œuvrons pour parfaire la compétence des professionnels de la santé afin qu’ils puissent offrir des services de la plus haute qualité à la population francophone partout au pays. Cela se fait toujours dans le but d’offrir des services aux francophones. Nous avons aussi le mandat de favoriser le bien-être, la responsabilité sociale et la protection de l’environnement.
L’association veut aussi favoriser le réseautage — et c’est l’un des points que je vais souligner à la fin de ma présentation — et encourager les membres des communautés francophones à travailler ensemble dans leur communauté, mais aussi en partenariat avec tous les francophones du pays et, bien sûr, avec les membres québécois de l’association.
Je me présente : je suis médecin de famille et professeur agrégé de médecine familiale à l’Université d’Ottawa et je travaille à l’Équipe de santé familiale académique Montfort. C’est l’unité de formation en médecine familiale francophone de l’Université d’Ottawa à Montfort. Je suis aussi médecin à l’Hôpital Montfort depuis 1988.
Pour vous donner une idée de l’endroit d’où je viens, j’ai participé à la création du programme de résidence en médecine familiale en français en 1992 à Ottawa. On est venu nous chercher et c’est à ce moment-là que je suis tombé sans le savoir dans la pédagogie médicale et dans l’enseignement. J’ai assumé diverses responsabilités au sein de ce programme au cours des années. Je dirige maintenant le programme d’éthique, d’humanités et de médecine comportementale.
J’ai aussi participé à la création du Bureau des affaires francophones de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa et j’ai œuvré à titre de vice-doyen pendant plus de 16 ans. Le volet francophone du programme de médecine de l’Université d’Ottawa est né d’une recommandation faite en 1995 — c’est important de le souligner — dans le cadre d’un projet qui s’appelait Educating Future Physicians for Ontario (EFPO). Je répète constamment aux étudiants qu’ils sont là pour servir les francophones de l’Ontario, car c’est ce qu’ils ont demandé — ils veulent des médecins et des professionnels qui parlent leur langue.
J’ai aussi eu le bonheur de travailler sur le terrain et de mettre en œuvre le plan du Consortium national de formation en santé (CNFS). Chaque année à Ottawa depuis 2000, huit étudiants qui proviennent de l’extérieur du Québec et de l’Ontario — et certains de communautés francophones minoritaires — viennent étudier la médecine à Ottawa. Je précise que l’on s’empresse de les renvoyer dans leur communauté le plus souvent possible. Cela fonctionne bien, car la plupart de ces étudiants retournent dans les communautés minoritaires francophones pour faire leurs stages et rencontrer les gens de la communauté. J’ai rencontré à cet effet bon nombre de gens qui font partie du groupe de témoins que je vois à l’écran.
J’ai beaucoup appris sur les besoins de ces communautés et j’y ai tissé des liens durables. Pendant tout ce temps, j’ai aussi travaillé à transformer l’Hôpital Montfort en institution universitaire de haut calibre.
La meilleure façon de décrire ce que j’ai fait est la suivante : j’étais là à ce moment, on est parti d’un hôpital communautaire francophone et on en a fait un centre universitaire qui commence à avoir une certaine renommée et qui fait de la recherche en bonne et due forme. Je travaille maintenant surtout au développement de la recherche clinique ainsi qu’en pédagogie médicale.
Les éléments que j’ai pensé à souligner dans cette présentation — on verra ensuite où cela va nous mener —, c’est que je crois qu’il faut encourager toutes les initiatives permettant de regrouper et de réseauter les francophones, surtout dans les communautés minoritaires.
Pour l’avoir souvent entendu dire — et Anne Leis répétera peut-être la même chose —, même les francophones dans les communautés minoritaires ne se connaissent pas nécessairement toujours s’il n’y a pas beaucoup de réseaux. C’est une des premières choses qui est importante, que ces gens se connaissent et travaillent ensemble. Cela pourrait être un des rôles que nous pourrions assumer, tout en essayant de faciliter ces rencontres à Médecins francophones du Canada.
Une chose très importante en laquelle je crois fermement — et je n’aurais peut-être pas parlé de la même façon il y a longtemps, car j’étais peut-être plus naïf —, c’est que si on n’a pas la gestion de nos institutions, des soins et de la formation, que ce soit la clinique, l’hôpital ou l’université, cela ne fonctionnera pas à long terme, à mon avis.
Les professionnels doivent avoir la chance d’exercer leurs compétences en français dans un milieu francophone pour bien servir la population francophone et maintenir un haut niveau d’expertise. Si on veut aller plus loin, si on a une ergothérapeute ou un physiothérapeute qui parle français, il faut que les gens puissent travailler ensemble en français si on veut créer un milieu. Il faut le faire d’abord pour connaître la terminologie médicale et la langue du patient, qui ne sont pas les mêmes, mais tout découle de cela aussi. Il y a un langage et des habiletés à développer pour bien soigner les patients francophones; si on ne le fait pas, ce n’est pas juste de la traduction, c’est beaucoup plus profond et précieux que cela.
Il y a une autre chose que j’ai envie de vous dire — et je m’avance sûrement sur un terrain glissant —, c’est que nous sommes quand même contents des institutions gérées par les francophones; cela nous assure une certaine pérennité, mais je m’inquiète pour la suite. Dans ma clinique, on était 60 % de francophones; c’était une clinique désignée francophone, et on s’est rendu compte récemment qu’on était maintenant 40 % de francophones. C’est à Ottawa, donc dans une région où il y a beaucoup de francophones. On a la liberté de choisir, puisqu’on fait de la médecine familiale, mais on est vite saturé. On cherche des médecins, donc on va donner un accès préférentiel aux francophones, sinon on va devenir anglophones.
Je travaille aussi depuis 36 ans à l’Hôpital Monfort et les ratios sont inversés. On est passé à 50 % de patients anglophones. On ne peut pas les refuser quand ils se présentent à l’urgence, mais en même temps, je sens que c’est une menace à long terme. Je n’en ai pas parlé à d’autres; ce sont vraiment mes impressions et mes inquiétudes personnelles pour l’avenir du français et des professionnels de la santé qui parlent français.
Je vous remercie de votre attention et je suis disponible pour répondre à vos questions.
Le président : Docteur Poitras et madame Barbeau-Rodrigue, c’est à votre tour. Vous avez cinq minutes pour vos remarques préliminaires, puis nous procéderons à la période des questions. La parole est à vous.
Dr Julien Poitras, membre du conseil d’administration, Association des facultés de médecine du Canada : Merci, monsieur le président.
Honorables sénateurs et sénatrices, sénatrice Michelle Audette, qui est une collègue de l’Université Laval, kuei, merci de nous avoir invités à contribuer à cette étude sur une problématique essentielle pour la prestation de soins de santé équitables dans les communautés de langue minoritaire.
Je suis médecin et doyen de la Faculté de médecine de l’Université Laval, membre du conseil d’administration de l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC) et président du comité permanent sur la responsabilité sociale de cette association.
Je suis accompagné de mes collègues Danielle Barbeau-Rodrigue, présidente du Réseau des communautés francophones minoritaires de l’AFMC et directrice du Bureau des affaires francophones à l’Université de l’École de médecine du Nord de l’Ontario (EMNO), ainsi qu’Anne Leis, professeure au Département de santé communautaire et d’épidémiologie à la Faculté de médecine de l’Université de Saskatchewan.
Ensemble, nous représentons l’AFMC, qui incarne la voix de la médecine universitaire, qui regroupe les 17 facultés de médecine du pays et qui représente près de 2 700 diplômés chaque année, 11 500 étudiants en formation prédoctorale et 15 000 résidents.
L’AFMC effectue un travail clé dans certains domaines, notamment dans la réalisation de formations comme celle sur les opioïdes ou la sécurisation culturelle, et elle peut avoir une influence réelle sur l’enseignement qui se fait dans nos facultés de médecine.
Nous sommes ici pour témoigner de l’importance de la formation médicale dans le cadre des services de santé en français, particulièrement dans un contexte minoritaire. C’est un enjeu crucial pour garantir un accès équitable aux soins pour tous les Canadiens et Canadiennes; par ailleurs, l’équité en matière d’accès doit inclure des considérations linguistiques quand la sécurité d’un patient ou d’une patiente peut être compromise si celui-ci ou celle-ci ne peut s’exprimer dans sa langue officielle de préférence.
Au cours des dernières années, les facultés de médecines canadiennes ont investi des efforts importants quant à la sécurisation culturelle et à l’accès à des études de médecine pour les membres des communautés des Premiers Peuples et celles des populations noires, tout en reconnaissant les besoins importants en ce sens et le racisme dont ces communautés ont été victimes. Nous saluons l’attention que le comité sénatorial porte à l’accès équitable pour les Canadiens et Canadiennes en situation minoritaire et nous vous en remercions.
La communication entre le médecin et le patient est cruciale, et l’histoire de cas révèle souvent des détails indispensables pour parvenir à un diagnostic. La possibilité de raconter cette histoire dans la langue de son choix est donc fondamentale.
Aujourd’hui, nous vous proposons plus spécifiquement des initiatives pour élargir l’accès aux soins et aux services de santé en langue française.
Nous avons constaté un manque de formation en santé en français à l’extérieur du Québec, de l’Université d’Ottawa, de l’Université de l’École de médecine du Nord de l’Ontario (EMNO) et du campus délocalisé de Moncton.
En effet, de nombreux étudiants et étudiantes qui étudient la médecine en anglais uniquement ont suivi une immersion linguistique en français jusqu’à la fin de leur secondaire. La formation médicale actuelle au Canada est rigoureuse et soumise à des normes strictes.
Malheureusement, cela limite l’innovation et les ressources nécessaires à ces innovations sont souvent insuffisantes. Pour parvenir à l’équité dans la prestation des soins, il est nécessaire de développer des options de formation en français intégrées dans le programme de cours des universités anglophones.
Un modèle qui a fait ses preuves est celui des contingents, comme celui des Premières Nations et des Inuits. Ce modèle découle d’un constat documenté concernant le déficit de services à ces populations, avec des ressources consacrées à susciter des vocations tôt dans le parcours scolaire, par exemple, en sensibilisant les élèves dans les écoles secondaires. Ce processus permet d’identifier dans la communauté des candidats potentiels pour des études en médecine, qui sont alors préparés et favorisés pour l’admission. Une fois admis, un esprit de communauté se crée entre les étudiants de ces populations, qui se côtoient, se reconnaissent et sont accompagnés par des mentors pour assurer leur intégration et le maintien de leur identité. Une approche similaire pourrait être mise en œuvre pour repérer des candidats francophones qui souhaitent intégrer des facultés de médecine anglophones.
Nous pourrions également envisager de développer des programmes de bourses ou de soutien financier pour ces étudiants, ainsi qu’un accompagnement pour contrer l’insécurité linguistique.
Parmi d’autres exemples, citons les cliniques simulées linguistiques (CSL) en Saskatchewan, où des ateliers offrent aux futurs praticiens et praticiennes la possibilité de consolider leur vocabulaire médical en français avec une clientèle simulée francophone. Nous proposons également l’établissement d’un certificat de terminologie médicale reconnu par les universités afin d’officialiser cette compétence, ce qui nécessitera des ressources pour assurer sa mise en œuvre.
Lorsqu’on donne des formations en petits groupes, il serait notamment bénéfique d’offrir une option en français pour les étudiants francophones, ainsi que la possibilité de faire des stages avec des précepteurs francophones. Le lancement de la nouvelle initiative Voie vers la médecine en français à l’Université de l’EMNO représente une avancée en ce sens.
Enfin, si un médecin en formation ne parle pas la langue de la minorité et s’il y a une situation d’urgence où le choix d’un prestataire de soins n’est pas possible, il doit au moins posséder les compétences nécessaires pour utiliser efficacement un service d’interprétation.
Pour conclure, les besoins en ressources sont importants, mais il est avant tout essentiel que le gouvernement canadien envoie un message clair et sans équivoque sur l’importance de garantir à chaque Canadienne et Canadien l’accès à des services de santé dans la langue officielle de son choix, même si elle est minoritaire. C’est notre premier souhait à l’AFMC dont découle tout le reste.
Nous recommandons ensuite de mandater et de doter l’AFMC des ressources nécessaires pour effectuer un scan environnemental sur cette question et développer une série de recommandations visant à accroître l’offre de formation dans les langues minoritaires dans toutes les facultés de médecine. Cela pourrait inclure le recueil de données linguistiques sur les étudiantes et étudiants francophones et francophiles à l’extérieur du Québec, un accès facilité, des contingents particuliers, de la formation continue, etc.
Une fois ces recommandations clairement établies, elles devraient être intégrées dans les normes d’agrément des facultés de médecine canadiennes. Toutefois, pour que ces changements aient lieu et que les normes soient respectées, nous aurons besoin d’investissements considérables pour structurer des programmes et améliorer l’offre de formation en français dans toutes les facultés de médecine, et pas uniquement dans celles qui offrent déjà des programmes en français.
Plus nous soutenons la diplomation d’une clientèle étudiante qui parle français, plus nous contribuons à garantir la capacité future d’enseignement, de préceptorat et d’offre de stages cliniques en français et à assurer l’accès à des soins dans la langue officielle minoritaire choisie par les Canadiens et les Canadiennes.
Nous vous remercions de votre attention. Monsieur le président, je me permets de souligner que nous gagnons quelques minutes, puisque je regroupais la présentation de mes collègues Mme Barbeau-Rodrigue et Mme Leis, donc il n’y a pas d’autres présentations avant la période des questions.
Le président : Nous sommes maintenant prêts à passer à la période des questions. Chers collègues, comme d’habitude, nous vous accordons cinq minutes pour vos questions, y compris les réponses des témoins. Nous disposons d’un temps assez important.
La sénatrice Moncion : Ma première question s’adresse au Dr Roy. Vous avez mentionné la gestion des institutions et vous avez cerné trois points, soit les initiatives qui encouragent les francophones, les connaissances et le travail en collaboration. Vous avez parlé de la gestion de nos institutions et de celles de la région; parliez-vous des 17 institutions au Canada?
Dr Roy : J’ai parlé de façon générale. Quand on a la gestion de nos institutions, c’est plus facile de fonctionner. Si on représente un petit tout faisant partie d’un grand ensemble anglophone ou d’une grosse université, ce n’est pas toujours facile de continuer de fonctionner en français; c’est ce que je voulais dire.
La sénatrice Moncion : En ce qui a trait à la gestion, c’est donc par, pour et avec les francophones?
Dr Roy : Oui.
La sénatrice Moncion : Ou est-ce plutôt avec les anglophones?
Dr Roy : Ce n’est pas toujours possible; je suis réaliste. Je peux prendre un exemple loin de moi; je ne le connais pas bien, donc si je fais des erreurs de citation, on ne pourra pas m’en vouloir. Quand nous avons travaillé pour le Consortium national de formation en santé (CNFS), nous avions notamment recruté des étudiants dans les écoles en Alberta. À ce moment-là, on communiquait avec le Campus Saint-Jean, autrefois appelé le collège Saint-Jean; on a organisé des formations avec les médecins là-bas, on les a réunis alors que j’étais à l’Université d’Ottawa, il y avait des gens qu’on connaissait, donc on pouvait les appeler et trouver des précepteurs et des superviseurs pour nos étudiants. Éventuellement, ce campus a fusionné avec l’Université de l’Alberta; je ne connais pas les détails, mais depuis ce temps-là, on a un peu perdu le filon en ce qui concerne les francophones. On a continué avec les autres contacts qu’on avait, mais sans le collège Saint-Jean, on a perdu une institution qui était solide et utile pour nous. Voilà un exemple. La gestion a été perdue dans un plus grand ensemble.
On ne vit pas cela à Montfort, mais à la Faculté de médecine ici, ce n’est pas toujours facile. Nous sommes le Bureau des affaires francophones, qui a été fondé en 1995, et nous devons encore nous battre pour notre personnel et nos droits. On pense que c’est acquis, mais ce n’est jamais acquis. On dépense beaucoup d’énergie à se battre pour exister au lieu de réaliser nos projets, qui sont plutôt intéressants et qui sont liés à ce que les gens ont dit. Voilà deux exemples.
La sénatrice Moncion : Êtes-vous financés de manière équitable, ou est-ce toujours un combat?
Dr Roy : Je pense que le consortium est bien financé; c’est une initiative fédérale qui est arrivée au moment où Montfort allait être fermé. Nous recevons un bon financement qui nous a permis de faire de grandes avancées, comme des contacts et des formations. Par exemple, on a un grand succès au Manitoba, parce qu’il y a une bonne communauté et qu’on a un coordonnateur régional là-bas qui nous trouve des stages. Chaque année depuis 20 ans, je vais donner des formations pédagogiques aux superviseurs et cela fonctionne bien, et le CNFS nous subventionne bien aussi.
La sénatrice Moncion : Mes autres questions s’adressent à l’Association des facultés de médecine du Canada. Vous avez parlé des cliniques linguistiques et je trouvais cela intéressant, parce que vous en avez parlé pour les Premières Nations et les Inuits. Comment cela se passe-t-il, par exemple, dans d’autres provinces que le Québec, pour réunir les gens afin qu’ils puissent avoir accès à ces cliniques, être en mesure de travailler ensemble et s’entraider?
Anne Leis, membre, Réseau des minorités francophones, Association des facultés de médecine du Canada : Je vais répondre, parce que nous avons commencé ces cliniques linguistiques avec patients simulés francophones d’abord en personne avec des formateurs. On avait des patients qui venaient sur place, qui étaient formés et qui devaient parler en français avec des étudiants en médecine dans différentes salles. Avec la pandémie, on est passé au Zoom et on a réussi à créer une communauté d’étudiants en médecine qui sont intéressés à améliorer leur terminologie médicale en français. Maintenant, on organise régulièrement, de quatre à six fois par année, des cliniques linguistiques avec patients simulés qui sont ouvertes à tous les étudiants francophones et francophiles des facultés de médecine anglophones.
Par exemple, on a eu des gens de l’Université de la Saskatchewan, de l’Université de la Colombie-Britannique, de divers établissements de l’Ontario, de l’Université Dalhousie, etc. Il faut composer avec les fuseaux horaires, mais cela fonctionne très bien et les étudiants sont extrêmement satisfaits quand ils arrivent à se libérer pour participer à ce genre d’exercice. Le but est de leur donner confiance et de leur dire : « Vous avez déjà appris le français, vous venez peut-être de l’immersion, ou vous êtes francophones, oui, vous avez fait vos études en anglais, mais vous avez des connaissances de base en français en médecine. » Il suffit de leur donner confiance; ils ont quand même une certaine base en français, ils peuvent commencer l’histoire du patient, donc on leur donne des cas cliniques et on les installe dans une salle avec un patient. On les fait répéter le même scénario avec un autre patient, puis tout à coup ils disent que la deuxième fois, c’était plus facile, et que la troisième fois, c’était un peu plus facile. Il s’agit simplement de leur donner du vocabulaire, parce qu’ils n’ont pas tout le vocabulaire, mais de leur donner confiance dans le fait que ce n’est pas un problème insurmontable. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.
La sénatrice Moncion : Oui. J’ai une question de suivi et j’en ai d’autres pour les autres témoins — on aura sûrement le temps. Le genre de suivi que vous allez donner à ces personnes qui font partie de vos petits groupes, pour voir si, une fois qu’ils seront sur le marché du travail, dans les hôpitaux notamment... Est-ce que vous allez mettre en place ce genre de système pour voir s’ils sont en mesure de continuer à pratiquer la médecine en français? Parfois, des gens disent qu’ils ont appris le français, mais ils l’ont perdu, car ils ne s’en servent pas assez souvent, ils ne sont pas à aise, donc ils le perdent. C’est le genre de suivi qu’il faudra assurer pour que l’initiative continue et prenne de l’expansion.
Mme Leis : Oui, je suis d’accord. Vous parlez de l’évaluation de ce genre de clinique linguistique simulée ou d’autres initiatives. C’est extrêmement important. L’un des défis auxquels nous faisons face, c’est que les étudiants en médecine qui font des études prédoctorales vont en résidence; ils postulent à différents endroits, mais ils ne sont pas nécessairement dans des milieux francophones non plus. Vous savez, quand on est dans un milieu minoritaire, on n’est pas sûr de rencontrer nécessairement des patients francophones; c’est un peu le jeu du hasard, à moins d’avoir des structures plus solides comme à Ottawa, à Montfort ou peut-être au Manitoba, comme le disait le Dr Roy, où il y a une formation en médecine familiale en français. C’est un défi, bien sûr, mais on fait ce qu’on peut.
La sénatrice Moncion : Merci. Ai-je encore du temps?
Le président : On y reviendra. Il y aura sûrement un deuxième tour.
La sénatrice Mégie : Ma première question est justement pour l’Association des facultés de médecine du Canada, car la clinique linguistique a attiré mon attention. Est-ce que cela fonctionne seulement quand on est en Saskatchewan ou avec le système Zoom, ou êtes-vous en mesure de les transférer ailleurs dans d’autres provinces?
Mme Leis : Oui, justement c’est ce que je disais tout à l’heure. Depuis qu’on a Zoom, c’est d’ailleurs plus facile, selon le nombre d’étudiants inscrits. La publicité, c’est toujours un défi; on utilise Facebook ou d’autres moyens, ainsi que les listes qu’on a dans les différentes universités, mais cela ne se rend pas toujours aux étudiants qui seraient intéressés. C’est beaucoup de travail d’organiser cela. Effectivement, des étudiants de certaines universités anglophones y ont participé, pas forcément régulièrement, mais une, deux ou trois fois. La beauté de cela, c’est qu’on s’est concentré sur la médecine, mais avec Franco‑santé [Difficultés techniques] il est possible d’inclure des étudiants en pharmacie ou issus d’autres professions.
Cependant, lorsqu’on propose des scénarios, ils se doivent d’être adaptables en fonction des étudiants qui participent. C’est un degré de plus de complexité. Pour l’instant, cela se fait sur une base volontaire. On n’a pas beaucoup de moyens. Le Dr Poitras disait plus tôt qu’il faudrait que ce soit mieux intégré dans le curriculum des facultés de médecine.
Dr Poitras : Je peux ajouter que c’est vraiment dans un contexte où ces initiatives ne sont pas structurées. Ce sont les étudiants qui, sur une base volontaire, vont participer. Il y a certainement une structure qui peut être mise en place. Certains programmes de médecine offrent différents profils à leurs étudiants. Un profil francophone pourrait être intéressant. Cela deviendrait une façon de structurer davantage ce genre d’initiative.
La sénatrice Mégie : Justement, j’ai une question qui concerne le réseautage qui nous permettrait d’étendre tout cela. Qu’en est-il du projet Franco Doc? Cela peut paraître vieux, mais cela fait un bout de temps que je n’en entends plus parler. Vous êtes peut-être un peu trop jeune pour le connaître. Il concernait le réseautage des professionnels de la santé dans différentes provinces. Cela n’existe plus?
Danielle Barbeau-Rodrigue, présidente, Réseau des minorités francophones, Association des facultés de médecine du Canada : Je préside le Réseau des communautés francophones minoritaires. C’est à partir de ce réseau que Franco Doc a pris vie grâce au Dr Aurel Schofield, du Nouveau‑Brunswick. On a eu six bonnes années, soit de 2015 à 2021. Malheureusement, on n’a pas pu renouveler le financement pour ce beau projet. Comme Mme Leis le disait plus tôt, on l’a un peu cédé à Franco-santé. Même si la perspective en médecine n’est pas aussi évidente dans ce projet, ce sont plutôt les autres professions qui s’impliquent, beaucoup plus que nos étudiants et résidents en médecine.
Comme le disait le Dr Poitras un peu plus tôt, l’avantage du projet Franco Doc est que l’on a identifié beaucoup d’étudiants et de résidents francophones qui étudiaient la médecine dans les institutions anglophones. Cela nous donne une raison de refinancer ce projet. Il est important que l’on puisse identifier nos étudiants et résidents francophones et francophiles pour nous aider à augmenter notre capacité de francophones à prodiguer des soins à nos populations francophones à travers le pays.
Malheureusement, Franco Doc ne fonctionne pas en ce moment. Toutefois, nous gardons espoir de le faire renaître.
La sénatrice Mégie : Merci.
Ma question s’adresse au Dr Roy. Vous nous disiez plus tôt qu’au tout début, il y avait 60 % de professionnels ou de médecins francophones et 40 % de non-francophones, mais que les proportions ont changé. Est-ce purement une question démographique? Y a-t-il plus de patients anglophones, ce qui a mené à l’attrition? Y a-t-il des patients francophones qui se présentent et qui jugent qu’ils doivent parler en anglais, parce qu’ils sont dans un milieu anglophone?
Dr Roy : Je ne parlais pas des professionnels. Dans la clinique ESFAM et à l’Hôpital Montfort, la grande majorité des professionnels s’expriment en français. Même s’il arrive parfois qu’il y ait des anglophones, ils finissent par apprendre le français, car le milieu est tout de même très francophone. La population d’Ottawa grossit.
Parfois, je donne l’exemple d’Orléans. C’était autrefois une ville francophone. Maintenant, elle est plus anglophone. Ce n’est pas de la mauvaise volonté de la part des personnes. J’aime dire qu’on est victime de notre succès à l’Hôpital Montfort et à notre clinique. Les gens aiment bien ce que l’on offre, parce qu’on fait du beau travail. Les gens sont intéressés et veulent venir avec nous. C’est ce qui arrive. Que faire si, ultimement, à un moment donné, on ne sert plus les francophones? Ce n’est pas génial.
La sénatrice Mégie : Merci.
Le sénateur Aucoin : Docteur Roy, vous avez dit plusieurs choses, notamment que le Consortium national de formation en santé est financé par le gouvernement fédéral. Cela semble bien fonctionner. Y a-t-il d’autres initiatives que le gouvernement fédéral pourrait faire pour améliorer les services de santé à la population francophone?
Dr Roy : J’ai un peu trempé dans toutes ces initiatives pour enseigner en français. J’ai travaillé longtemps avec Mme Leis sur ce sujet. On était un peu l’embryon des cours de français qu’ils donnent.
Je pense que toutes ces initiatives sont bonnes et fonctionnent. Il faudrait les évaluer davantage. Ce sont des initiatives qui fonctionnent. Franco Doc fonctionnait. Toutefois, ce programme vivait de subvention en subvention. Cela fait longtemps que je n’y ai pas été impliqué. On commençait à mener le projet et la subvention a pris fin. Toutes les initiatives de Médecins francophones du Canada, qui faisait d’ailleurs partie de Franco Doc, mériteraient d’être encouragées et financées. Il faudrait penser globalement et choisir ce que l’on veut faire. Tout ce qu’on a entendu jusqu’à présent, ce sont des choses qui ont été essayées. Tout cela gagnerait à être subventionné. Le consortium est relativement bien financé. Cela nous a permis de faire plusieurs choses. On a tenu plusieurs de ces rôles dans le temps.
Le sénateur Aucoin : Tenez-vous compte des statistiques sur le succès de ces initiatives?
Dr Roy : C’est une bonne question, parce qu’on a parlé d’évaluation. Je ne suis pas certain que cela a été évalué.
À ce point-ci de ma vie, je travaille avec des évaluateurs de projets. Je crois beaucoup à cela. Il faut évaluer nos projets. Je ne suis pas impliqué depuis un certain temps, quoique je siège toujours à certains comités pour recruter des professeurs. On avait évalué certains éléments. On sait qu’une grande partie des huit étudiants, chaque année pendant 20 ans, sont retournés dans des régions minoritaires francophones. On en échappe quelques‑uns qui restent à Ottawa ou à l’Hôpital Montfort. En général, on n’est pas trop content quand ils restent chez nous. Le but est de les retourner dans leur région. On avait des chiffres très encourageants. Je ne m’en souviens plus, mais c’était plus de 60 % des gens qui retournaient dans un milieu minoritaire francophone.
Le sénateur Aucoin : Vous avez parlé de formation. J’ai cru que vous étiez en train de nous dire que l’avenir de l’Hôpital Montfort était assuré.
Je suis avocat de formation et j’ai souvent trempé dans les droits linguistiques. L’Hôpital Montfort n’a pas toujours été dans la position où il est aujourd’hui. Avez-vous des garanties que l’Hôpital Montfort restera et que l’engagement pris par les gouvernements en vue d’assurer l’enseignement et la pérennité de la formation des médecins et des professionnels de la santé continuera à l’avenir?
Dr Roy : Je suis quand même plus optimiste qu’avant. J’étais là durant la bataille. À un certain moment, il restait six médecins de famille. J’étais l’un de ceux-là. L’hôpital a failli fermer. On s’est battu. On a une institution qui fonctionne bien en français maintenant et qui forme plusieurs francophones.
Est-on sûr de rester à long terme? J’ai compris que l’on ne peut jamais être sûr de quoi que ce soit à long terme en ce qui concerne les droits des francophones. Il faut toujours se battre un peu. Disons qu’il y a une certaine accalmie actuellement. L’enjeu, c’est plutôt l’attrition et la population qui est de plus en plus anglophone. Je ne sais pas comment résoudre ce problème.
On se doit aussi de respecter la Charte canadienne des droits et libertés. On ne peut pas refuser de soigner des gens. En ce sens, il y a une menace à long terme.
À notre clinique, qui est plus petite, il y a des urgences quotidiennement. On peut se permettre de choisir nos patients, ce que l’on n’aime pas faire. Toutefois, à un certain moment, on existe pour les francophones et il faut bien que l’on serve les francophones. Rien n’est garanti. Je suis bien conscient que la situation est toujours précaire.
Le sénateur Aucoin : Merci.
Le président : Ma première question s’adresse au Dr Poitras. En fait, vous avez énoncé un certain nombre de mesures possibles pour améliorer la disponibilité de soins en français. Est-ce que je me trompe en disant qu’il y a plusieurs initiatives de toutes sortes et qui viennent de différents groupes pour favoriser les compétences linguistiques, mais qu’il y a un manque de structure à l’intérieur des milieux pour pérenniser et faire en sorte que les formations sont vraiment intégrées dans les centres universitaires en santé? Que pouvez-vous nous dire par rapport à cela? Je m’adresse au Dr Poitras, mais cette question s’adresse à tous.
Dr Poitras : Je peux confirmer vos dires. On a eu des exemples d’initiatives extrêmement intéressantes, mais qui sont prises de façon individuelle par certaines facultés, sans avoir de point d’orgue qui permet d’aligner les choses et de structurer plus globalement un effort de ce côté.
Dans mon introduction, j’ai mentionné une initiative, qui peut nous aider à aller dans cette direction, à relier plusieurs de ces initiatives et à les structurer davantage au moyen de solutions qui n’avaient pas été identifiées individuellement, mais qui pourront l’être globalement par l’ensemble des facultés de médecine et par l’Association des facultés de médecine du Canada, puisqu’on a déjà fait ce genre de travail sur certains problèmes spécifiques.
Mme Barbeau-Rodrigue : Je peux parler surtout de ce qui se passe à mon université. On est maintenant une université; on a été une faculté jusqu’en 2022. Maintenant, on est l’Université de l’École de médecine du Nord de l’Ontario.
On n’a jamais eu de financement spécifiquement pour les francophones, bien qu’on ait toujours eu une voie d’admission francophone. Notre mandat de responsabilité sociale nous oblige à répondre aux besoins de toutes les populations du Nord de l’Ontario, y compris les francophones, même si notre programme a toujours été enseigné en anglais seulement. C’est bizarre de dire qu’on recrute des francophones, mais qu’on va leur enseigner en anglais seulement.
Le Bureau des affaires francophones et francophiles (BAFF) de l’université existe depuis 2005, mais on n’avait pas reçu de financement pour faire quelque chose d’important.
On a commencé à offrir des séances facultatives aux étudiants francophones et francophiles.
Depuis 2022, on s’est donné le devoir et la mission de créer ce qu’on appelle la Voie vers la médecine en français. Ce sont des séances — pas le programme en entier — où l’on enseigne le même cursus qu’aux étudiants anglophones, mais il est offert en français. C’est un petit pas, car cela fait peur à nos collègues anglophones lorsqu’on offre trop de français, malheureusement.
On arrive à avoir des pionniers chez nos étudiants francophones. De tels exemples montrent ce qui pourrait se produire avec un meilleur financement et plus de planification stratégique.
Comme le Dr Poitras l’a dit, pour l’Association des facultés de médecine du Canada, le fait d’avoir quelque chose qui est national aurait un gros impact sur la prestation des soins de santé français, parce que l’on pourrait former plus de pourvoyeurs de santé en français.
Le président : L’objectif de ma question, c’est qu’on doit faire rapport et présenter des recommandations au gouvernement. Vous parliez de financement, mais est-ce que c’est le meilleur moyen d’assurer une pérennisation de structure, pour faire en sorte qu’on assure les soins en français à l’avenir?
Le financement est important, mais y a-t-il d’autres mécanismes qui seraient importants?
Mme Leis : Je voulais revenir au texte que le Dr Poitras a lu tout à l’heure. Je crois que la question est la suivante : que peut faire le gouvernement fédéral dans une formation qui est souvent de compétence provinciale?
Le gouvernement fédéral a le devoir d’appuyer les Canadiens et Canadiennes dans tous les services qu’ils reçoivent dans leur langue.
Pour l’Association des facultés de médecine du Canada, il y aurait moyen de dire que ces facultés ont une responsabilité sociale de trouver des moyens d’offrir de la formation en français, d’identifier des étudiants qui sont francophiles ou francophones et de trouver des initiatives qui pourraient financer leur curriculum.
Il y a une exigence ou un mandat qui doit être donné et qui va au-delà des querelles de clocher. Ce n’est pas la question d’avoir une option ou non.
Dans l’Ouest canadien, les gens disent : « Ah, il y a combien de francophones? Cela ne vaut pas la peine, cela coûtera trop cher. » On n’a jamais raison, parce qu’on est minoritaire. Je pense donc qu’il y aurait une façon de trouver des moyens de mettre de la pression sur des institutions qui forment des professionnels de la santé, dont des médecins, par exemple.
Le président : Vous n’avez pas beaucoup parlé de l’enjeu de la mobilité ou des barrières qui empêchent cette mobilité interprovinciale et interterritoriale. Qu’avez-vous à dire par rapport à cela? C’est quand même une barrière pour la livraison des services en français, parce qu’il y a des paramètres par province qui nuisent à une plus grande mobilité.
Dr Poitras : Lorsque vous parlez de mobilité, vous parlez de la mobilité étudiante, je présume?
Le président : De la mobilité étudiante, mais aussi la mobilité des médecins après leur formation.
Dr Poitras : Il faut se rappeler que la formation en médecine compte deux étapes importantes : le prédoctoral et l’externat. C’est habituellement une première formation d’une durée de quatre ou cinq ans. La résidence dure aussi entre deux et cinq ans. Il y a une mobilité vraiment importante sur le plan de la résidence.
À ce moment-là, les étudiants qui ont terminé leur prédoctoral peuvent faire leur résidence partout au Canada et aller dans les différentes universités. Il y a une mobilité actuellement avec un certain exode à partir du Québec, où les francophones vont étudier dans leur programme de résidence à l’extérieur du Québec dans des facultés anglophones ou francophiles, compte tenu de la situation.
On constate un problème de mobilité en sens inverse. On a environ 80 postes de résidence en médecine familiale par année qui sont laissés vacants au Québec, alors qu’il y a des étudiants dans le reste du Canada qui ne trouvent pas de poste de résidence.
On aurait avantage à accroître l’aspect de la langue française de nos étudiants dans les facultés anglophones pour se donner accès à cette mobilité et diplômer davantage de médecins qui ont des compétences en médecine familiale et dans d’autres spécialités.
Le président : Merci de cette réponse.
Dr Roy : Cela a été bien expliqué. On ne contrôle pas beaucoup la résidence.
Le CNSF a beaucoup exploré la possibilité de subventionner des résidences francophones. C’est assez compliqué et très cher. La résidence est payée par les provinces; c’est un obstacle. C’est aussi un obstacle de retourner les francophones dans leur région; évidemment, ces gens-là ont 25 ou 30 ans.
Il y a un concours à travers le Canada; ils n’ont pas le choix. Ils posent leur candidature et indiquent l’endroit qu’ils souhaitent en priorité, mais ils peuvent se retrouver ailleurs. Souvent, ils rencontrent l’âme sœur et le francophone formé pour retourner au Manitoba va se retrouver à Montréal ou ailleurs. C’est complexe.
Il faudrait deux heures pour en discuter avec des spécialistes, mais ce serait intéressant éventuellement de parler des résidents.
Les médecins sont assez mobiles au Canada; il n’y a pas vraiment d’obstacles. Ce n’est pas très compliqué de travailler dans une autre province.
La sénatrice Audette : Je salue mon collègue — je suis contente de vous voir.
D’ailleurs, ma question s’adresse à vous. Merci à tous ceux et celles qui ont pris la parole jusqu’à maintenant.
Vous avez mentionné qu’il y avait des places réservées pour les Premières Nations qui souhaitent entrer dans une faculté de médecine au Québec. Il y a quatre facultés; je ne peux pas parler pour les autres territoires à travers le Canada.
Aujourd’hui, nous devons dire non. Il y a une grande demande, et cet élément avait été négocié dans le contexte de l’autodétermination des Premières Nations pour qu’elles retournent dans leur territoire à cause du manque d’effectifs. Est‑ce que cela visait à proposer que les facultés fassent en sorte de réserver des places pour un étudiant francophone qui habite au Manitoba ou en Colombie-Britannique, dans l’espoir qu’on lui réserve une place ou deux — je ne sais pas, c’est à vous de décider —, et que le gouvernement fédéral puisse soutenir ce genre d’initiative?
Je trouve que votre mesure est bonne pour le Québec, telle que je la vois à travers le Canada. Pour revenir à ma question initiale, a-t-on espoir que cette relève puisse offrir les services auxquels tout le monde a droit, peu importe la langue que l’on parle, dans ce cas-ci le français?
Dr Poitras : Oui, sénatrice Audette. Je dois préciser que des contingents existent également dans d’autres facultés canadiennes à l’extérieur du Québec pour ce qui est des Premières Nations. Ma proposition va d’ailleurs en ce sens, non pas de réserver un contingent au Québec, mais plutôt dans les différentes facultés anglophones. Comme on le disait plus tôt, le fait d’avoir un contingent permet de bien structurer les choses et demande un effort pour susciter des vocations chez les étudiants et étudiantes très tôt dans leur parcours, même au secondaire.
Cela nécessite également de « préparer », entre guillemets, leur intégration à une faculté de médecine, tout comme la construction d’une communauté. Vous le disiez bien, c’est un beau succès qu’on a au Québec à ce point de vue. Cela permet de développer un esprit de communauté chez les étudiants, qui se reconnaissent entre eux, qui peuvent être accompagnés de mentors qui ont suivi le même cheminement et qui vont davantage persévérer dans leurs études et développer une identité forte et une pratique saine au sein de leur communauté. C’est également une pratique qui permet de servir les communautés francophones, qu’elles se trouvent dans l’Ouest du Canada, au centre ou ailleurs.
Voilà l’esprit de notre proposition d’aujourd’hui. Mes collègues Anne et Danielle voudront peut-être compléter ma réponse.
Mme Leis : Non, je pense que vous avez très bien répondu à la question. Parfois, nous avons des étudiants qui parlent français, mais je crois qu’ils ont peur d’avoir une charge de travail supplémentaire s’ils font des études en français ou des ateliers extracurriculaires, en plus du curriculum, qui est déjà très exigeant.
S’il y avait plus de légitimité à faire une formation ou une partie de sa formation en français, je crois que cela aiderait les étudiants à adopter le fait français plus facilement. Pour l’instant, c’est souvent perçu comme une charge supplémentaire. C’est bien de l’avoir, mais il n’y a aucune obligation.
Tout ce que l’on peut faire pour rendre la formation plus structurée, plus attractive et désirable, par exemple avec des bourses ou des incitatifs, pourrait aider.
La sénatrice Audette : Merci.
Le président : Docteur Roy, vous vouliez répondre à la question?
Dr Roy : Je ferai très court.
Comme on l’a montré au Nouveau-Brunswick — notamment le Dr Aurel Schofield —, lorsque les gens font des stages en région, ils ont beaucoup plus de chance d’y retourner. La raison est simple. Le métier de médecin n’est pas facile et demande beaucoup d’habiletés et de sensibilité, et si je me dis que je voudrais retourner travailler dans une clinique du Grand Nord sans y être jamais allé auparavant, je n’irai pas, car je voudrai rester en sécurité chez moi. Il faut donc penser à recruter dans les communautés et y retourner. Ce sont d’ailleurs des éléments clés qui se sont avérés dans le cas du CNFS.
Le président : Merci.
La sénatrice Moncion : Je sais que dans le Nord de l’Ontario, à l’École de médecine, il y avait à l’époque des places désignées pour les Autochtones, mais je crois qu’il n’y en avait pas nécessairement pour les francophones. Donc, c’était pour les meilleurs, mais il y avait des places qui étaient réservées aux Autochtones; cela fonctionnait, parce que vous aviez quand même un bon bassin de recrutement.
À l’extérieur du Québec, avons-nous des places désignées dans les universités? Est-ce quelque chose que les universités qui ont des facultés de médecine pourraient penser à mettre en place pour ce qui est du nombre de places pour les francophones et pour les Autochtones, avec un nombre un peu plus limité pour les anglophones?
Le président : Allez-y, madame Barbeau-Rodrigue.
Mme Barbeau-Rodrigue : Merci bien.
Tous les programmes de médecine sont contingentés, ce qui fait que chaque université a un nombre de places limité.
À l’Université de l’EMNO, dans le Nord de l’Ontario, on n’a que deux places désignées pour les candidats autochtones. Exceptionnellement, cette année, 13 étudiants autochtones ont été admis. C’est la même chose pour les francophones; le nombre est contingenté à 16, mais on a 22 francophones qui s’identifient comme tels. Vous avez donc raison : on n’a pas de places désignées pour les francophones, mais on en a toujours eu beaucoup plus que ce qui avait été recommandé en 2005, lorsqu’un rapport produit par la communauté avait réclamé sept places. C’est donc bien que nous n’ayons pas suivi cette recommandation, parce qu’on en serait encore à sept places aujourd’hui.
C’est la réalité dans plusieurs universités : les places sont contingentées et certaines sont assignées, me semble-t-il, aux étudiants autochtones. Je ne connais évidemment pas toutes les universités, mais on commence à procéder de la même façon avec les candidates et les candidats noirs pour essayer d’équilibrer les proportions dans les classes. C’est donc un phénomène que l’on voit un peu partout.
Du côté francophone, j’estime que c’est un plus grand défi encore, en raison du manque de formation en français, ce qui fait en sorte que des places ne sont pas offertes, même s’il y a bel et bien des étudiants francophones dans toutes les facultés.
Le président : Merci.
La sénatrice Moncion : Y a-t-il des initiatives qui se font entre les universités francophones pour avoir des échanges dans les programmes de médecine ou pour obtenir des expertises?
L’Université de Sudbury, par exemple, donne des cours en collaboration avec l’Université d’Ottawa, afin que les étudiants aient accès à certains cours. Y a-t-il ce genre de possibilités, de façon à ce que les universités qui offrent des programmes en français puissent aussi offrir des programmes à distance? Existe‑t-il des partenariats entre les universités offrant des programmes de formation en médecine pour faire un échange de bonnes pratiques en français?
Mme Leis : Je répondrai en donnant un exemple. Le certificat de terminologie médicale qu’on est en train de mettre en place à l’Université de la Saskatchewan est un partenariat avec la Cité universitaire francophone de Regina, qui va donner des cours de mise à niveau en français, et avec l’Université du Manitoba, avec le Dr José François. Ils font de la mise à niveau en français et en terminologie médicale avec leurs étudiants de première et deuxième année. On pourrait bénéficier de certains de ces ateliers.
C’est un petit exemple, mais de façon générale, sur le plan du curriculum, je ne pense pas que cela existe entre universités anglophones; chacune a son programme et l’enseigne.
Le président : Merci.
Dr Poitras : On commence à collaborer davantage. Il y a quand même une difficulté, en ce sens que c’est une réalité de systèmes provinciaux isolés les uns des autres, et ce n’est pas toujours facile d’échanger des étudiants ou autres. On se bute parfois à certaines difficultés de nature administrative, même s’il existe une volonté de faire les choses. On a d’ailleurs un projet à l’Université Laval, qui est d’exposer nos étudiants et étudiantes à des stages dans des milieux où la langue française est minoritaire. Nous pensons que cela pourra les aider à développer une connaissance de cette réalité pour l’intégrer ensuite dans leur pratique, et même leur donner envie de s’investir dans une pratique en Saskatchewan ou en Alberta, par exemple.
Mme Barbeau-Rodrigue : J’ajouterais que sur le plan de la formation professionnelle et du maintien des compétences des médecins qui ont déjà leur pratique ou des résidents, il y aurait probablement plus d’échanges et de partage entre provinces et entre institutions. Je pense que ce serait probablement un peu plus facile qu’avec les étudiants.
Le président : On comprend bien qu’il y a des barrières administratives.
Le sénateur Aucoin : Je continue dans la même veine avec le cas de la Nouvelle-Écosse. Je sais que l’Université de Moncton n’accepte pas d’étudiants francophones de la Nouvelle-Écosse. C’est une nouvelle faculté de médecine. Il y a une ou deux places réservées à l’Université d’Ottawa et à Sherbrooke, mais à ma connaissance, l’Université Dalhousie n’a pas de programme en français ni de places réservées pour les francophones.
À ma connaissance, il n’y a pas d’échanges avec l’Université d’Ottawa pour les francophones.
Est-ce qu’il y aurait des choses à faire dans ces domaines avec les universités anglophones du Canada qui accueillent nos étudiants francophones parce qu’il n’y a pas d’autres places ailleurs au Canada?
Dr Roy : C’est une grande question. C’est clair, on a parlé de formation médicale continue et de développement professionnel; c’est déjà quelque chose qui est plus décloisonné, où il y a déjà des collaborations, que ce soit du point de vue éducatif — avec le Manitoba, par exemple, on fait des choses comme celles-là. Mais je pense que tout se tient. S’il y a des professionnels en pratique qui se connaissent et collaborent, ce sera plus facile ensuite de recevoir des étudiants d’autres provinces pour faire des stages, par exemple. Donc, si on peut encourager ces partenariats et le partage dans les communautés, je pense qu’on sera gagnant, parce que c’est ce dont on a besoin.
Le président : Docteur Roy, docteur Poitras, madame Leis, madame Barbeau-Rodrigue, merci beaucoup de vos témoignages et de vos réponses, qui nous ont bien montré la complexité d’arrimer les différentes réalités en matière de formation médicale en français. Vos commentaires et vos suggestions vont certainement nous aider dans notre rapport.
Merci de votre présence ce soir. Nous allons suspendre brièvement la séance, le temps d’accueillir nos prochains témoins.
Chers collègues, nous reprenons maintenant nos travaux pour poursuivre notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité, sous le thème de la télémédecine et des nouvelles technologies.
Nous accueillons maintenant en présentiel, du Bureau de la concurrence, M. Anthony Durocher, sous-commissaire de la Direction générale de la promotion de la concurrence, et Mme Flore Kouadio, agente principale du droit de la concurrence par intérim à la Direction générale de la promotion de la concurrence.
Nous accueillons également par vidéoconférence Mme Norma Ponzoni, professeure agrégée et infirmière clinicienne à l’Université McGill, facilitatrice du Programme de télémédecine de l’Université de Moncton, ainsi que Mme Chadia Kombo, adjointe à la directrice à la Direction de l’informatisation clinique et académique du Centre hospitalier à l’Université de Montréal et gestionnaire du Centre de coordination de la télésanté pour le territoire du RUISSS de l’Université de Montréal, Réseau québécois de la télésanté.
Vous avez tous des titres assez importants; on a très hâte de vous entendre.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de vous être joints à nous ce soir. Commençons par vos remarques préliminaires, qui seront suivies des questions des sénateurs.
[Français]
Madame Kouadio, la parole est à vous.
Flore Kouadio, agente principale du droit de la concurrence par intérim, Direction générale de la promotion de la concurrence, Bureau de la concurrence Canada : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de nous avoir invités à témoigner devant vous aujourd’hui.
[Traduction]
J’aimerais commencer par reconnaître que je m’adresse à vous aujourd’hui sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe.
[Français]
Je m’appelle Flore Kouadio et je suis agente principale du droit de la concurrence par intérim à la Direction de la politique, de la planification et de la promotion, Direction générale de la promotion de la concurrence, Bureau de la concurrence Canada. Je suis accompagnée aujourd’hui d’Anthony Durocher, sous‑commissaire, Direction générale de la promotion de la concurrence.
[Traduction]
Le Bureau est un organisme indépendant d’application de la loi qui protège la concurrence et en fait la promotion au profit des entreprises et des consommateurs canadiens. Nous faisons ce travail parce que la concurrence favorise la baisse des prix et l’innovation tout en alimentant la croissance économique.
[Français]
Nous assurons et contrôlons l’application de la Loi sur la concurrence. Nous menons des enquêtes et luttons contre les pratiques commerciales anticoncurrentielles, notamment la fixation des prix, les pratiques commerciales trompeuses et l’abus de position dominante. Nous examinons également les fusions pour nous assurer qu’elles ne nuisent pas sensiblement à la concurrence. Enfin, nous faisons la promotion de politiques et de règlements qui favorisent la concurrence.
En juillet 2020, le bureau a lancé une étude de marché sur le secteur des soins de santé au Canada, dont l’objectif était d’examiner la façon de soutenir les services de santé numériques grâce à des politiques favorisant la concurrence. Ces politiques peuvent stimuler l’innovation, accroître le choix et élargir l’accès aux services de santé numériques à travers le pays.
[Traduction]
À la suite d’une consultation publique, le Bureau a relevé trois grands sujets d’étude.
Le premier est celui des données et des renseignements. Le Bureau a examiné les façons d’améliorer l’accès, l’utilisation et l’échange des données et de renseignements médicaux numériques, notamment en considérant la façon dont leur échange et interopérabilité peuvent améliorer le paysage concurrentiel et accélérer le développement et l’adoption des services de santé numérique.
[Français]
Le deuxième sujet d’étude concernait les produits et services. Le Bureau de la concurrence a examiné les enjeux touchant au développement, aux approbations, à l’approvisionnement et à la commercialisation des produits et services numériques.
Le troisième sujet d’étude concernait les fournisseurs de soins de santé. Le Bureau de la concurrence a examiné la capacité des fournisseurs de soins de santé à offrir des soins numériques aux patients et, plus spécifiquement, les enjeux liés aux codes de facturation, à la rémunération, à l’autorisation d’exercer et au champ de pratique.
[Traduction]
Il importe de noter que l’utilisation des langues officielles dans le secteur de la santé n’a pas fait l’objet d’un sujet d’étude.
[Français]
Le mandat du Bureau de la concurrence se limite à la protection et à la promotion de la concurrence. Toutefois, un marché concurrentiel oblige les entreprises à s’adapter aux besoins des consommateurs, ce qui peut inclure les langues officielles dans lesquelles ces entreprises offrent leurs services.
Tout cela mène à des soins de santé qui sont axés davantage sur le patient.
[Traduction]
Avant de répondre à vos questions, je tiens à préciser que la loi oblige le Bureau à mener ses enquêtes en privé et à protéger la confidentialité des renseignements que nous obtenons. Cette obligation pourrait nous empêcher de discuter de certaines de nos enquêtes actuelles et antérieures.
[Français]
J’aimerais remercier de nouveau le comité de nous avoir donné l’occasion de comparaître ici aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci pour vos remarques liminaires.
[Traduction]
Norma Ponzoni, facilitatrice, Programme de télésanté, Université de Moncton : Je vous remercie.
Bonsoir, distingués sénateurs et collègues. J’ai été invitée à partager mon expérience en tant qu’infirmière enseignante et travailleuse de la santé de première ligne au Québec. J’ai été infirmière pendant 26 ans, et je suis actuellement professeure agrégée à l’Université McGill et infirmière clinicienne au Centre universitaire de santé McGill. Afin de me situer dans cette conversation, j’aimerais également préciser que ma langue maternelle est le français.
Pour les Canadiens, s’orienter dans un système de santé où les médecins ne parlent pas leur langue peut être intimidant, susciter des craintes et, dans certains cas, mettre leur vie en danger. Aujourd’hui, je vous soumets trois recommandations clés.
Tout d’abord, il convient d’examiner attentivement les effets des nouveaux changements apportés aux politiques. Au Québec, un certain nombre de nouvelles décisions politiques risquent d’être préjudiciables à la communauté minoritaire anglophone. Un exemple est la création récente de Santé Québec, un organe administratif central pour la gestion des soins de santé. Bien qu’il s’agisse d’une stratégie bien intentionnée visant à assurer une meilleure répartition des ressources, en réalité, ce type de politique ne tient pas compte de la complexité de notre tissu. L’hypothèse selon laquelle n’importe quel prestataire de soins de santé peut être transféré dans une région où il y a des coupures de services ne tient pas compte des compétences linguistiques ou de l’expertise professionnelle développée au fil du temps dans le travail avec des communautés ou des cultures particulières. Comme nous le savons, prodiguer des soins, c’est entrer en relation. Rompre ces relations au nom de la mobilité peut nuire à l’établissement de la confiance.
Un autre exemple est le projet de loi 96, qui limite l’utilisation de l’anglais dans certains contextes de soins de santé, et qui demande à l’Office de la langue française d’effectuer des vérifications pour s’assurer que le français est parlé au travail. Si la protection de la langue française est louable, il est illogique d’obliger les médecins à communiquer en français dans des établissements traditionnellement anglophones où le français est probablement la deuxième langue des deux parties. Plus important encore, il s’agit d’une charge de travail et d’une source d’anxiété pour les médecins surchargés qui ont déjà prouvé leur maîtrise du français pour obtenir leur permis d’exercice.
Je recommande qu’un financement fédéral accompagne l’obligation de prendre en compte et d’atténuer l’effet de ces politiques sur la minorité linguistique — qu’il s’agisse du français ou de l’anglais — selon la province.
Deuxièmement, il faut assurer la formation des prestataires de soins de santé dans la langue de la minorité linguistique. Lorsque les prestataires de soins de santé sont en mesure de communiquer avec les patients dans la langue de leur choix, cela a un impact direct sur la qualité des soins et les résultats globaux en matière de santé. En outre, cela améliore la sécurité des patients en réduisant les malentendus et les erreurs. Les patients sont plus enclins à partager des détails cruciaux sur leurs symptômes, leurs antécédents médicaux et leurs préoccupations dans la langue qu’ils préfèrent. Malheureusement, au Québec, selon Statistique Canada, 40 % des professionnels de la santé à Montréal et 60 % des prestataires dans le reste de la province ne peuvent tenir une conversation en anglais.
Voici ce que je vous recommande personnellement. Premièrement, il faut financer la formation linguistique de tous les étudiants en santé et fournisseurs de soins de santé afin d’assurer une maîtrise adéquate du français et de l’anglais dans les provinces comme le Québec, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba, où l’anglais ou le français sont parlés par une minorité. D’autre part, compte tenu de l’importance de la formation clinique pour les professionnels de la santé, il faut considérer certains hôpitaux, cliniques et systèmes de santé et de services sociaux comme des lieux d’entraînement pour les programmes offerts dans la langue de la minorité linguistique.
En troisième lieu, il faut financer les ressources en différentes langues. Nous devons reconnaître que des millions de Canadiens n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle. Offrir des services d’interprétation professionnels, des systèmes de traduction numérique et une traduction des documents de santé essentiels dans les langues les plus couramment parlées au sein d’une communauté donnée contribuerait à créer des environnements plus accueillants pour tous les patients. Ces mesures doivent être offertes dans tous les établissements de santé, des hôpitaux urbains aux cliniques rurales en passant par les centres de santé autochtones.
Je recommande au gouvernement fédéral de financer adéquatement la traduction des sites Web en santé, du matériel pédagogique tel que les brochures et les affiches, des manuels qui accompagnent les équipements médicaux, et ainsi de suite.
En conclusion, les mesures que je recommande contribueront à créer un système de soins de santé plus inclusif et plus équitable pour tous. Je vous remercie.
Le président : Madame Ponzoni, je vous remercie pour votre déclaration très claire.
[Français]
Chadia Kombo, gestionnaire, Centre de coordination de la télésanté pour le territoire du RUISSS de l’Université de Montréal, Réseau québécois de la télésanté : Bonjour. Honorables sénateurs et sénatrices, je suis heureuse de m’adresser à vous aujourd’hui au nom du Réseau québécois de la télésanté. Notre réseau regroupe des répondants télésanté des 34 établissements de santé du Québec, ainsi que les centres de coordination de la télésanté.
Le Réseau québécois de la télésanté joue un rôle essentiel dans le développement et la mise en œuvre de services de télésanté au Québec. En tant que gestionnaire du Centre de coordination de la télésanté du territoire du RUISSS de l’Université de Montréal, je suis particulièrement investie dans cette thématique.
Au Québec, la télésanté est définie comme l’ensemble des activités de santé et de services sociaux offertes à distance grâce aux technologies de l’information et de la communication. Elle facilite grandement l’accès aux soins, grâce à un suivi personnalisé et adéquat pour les patients à domicile en temps réel, et elle réduit également la durée des hospitalisations en encourageant l’autonomie des patients et en leur donnant les outils et les connaissances nécessaires pour gérer leur propre santé.
La télésanté permet aux patients de rester à domicile; elle améliore leur qualité de vie en préservant leurs liens sociaux et en leur faisant économiser de l’argent.
Il est crucial de souligner que les barrières linguistiques représentent un obstacle majeur pour certains patients. Les barrières linguistiques en télésanté peuvent non seulement limiter l’accès aux services, mais aussi compromettre la qualité des soins et la satisfaction des patients. Les barrières linguistiques peuvent avoir des conséquences néfastes sur la qualité des soins, et ces impacts sont amplifiés dans le contexte de la télésanté.
Dans le cadre de la télésanté, le patient est souvent amené à prendre en charge une partie de ses soins, par exemple en effectuant lui-même des prélèvements de santé, comme la glycémie pour le diabète, qui est une maladie chronique. Il peut être amené à ajuster lui-même son traitement selon ses symptômes. Si les instructions ne sont pas comprises, le patient risque de ne pas adopter les bons comportements et de mettre sa santé en péril.
La compréhension mutuelle entre le professionnel de la santé et le patient est un pilier de la relation thérapeutique.
La télésanté offre de nombreuses ressources en ligne, mais ces ressources doivent être accessibles à tous. Un patient qui ne maîtrise pas la langue officielle peut avoir du mal à naviguer sur ces plateformes et à trouver l’information dont il a besoin. Cela limite son pouvoir d’agir et son sentiment d’être acteur de sa santé. Les malentendus linguistiques peuvent aussi mener à des diagnostics erronés, ce qui peut avoir des conséquences graves sur la santé des patients. La communication, lorsqu’elle est mauvaise, peut entraîner une non-adhésion au traitement et réduire ainsi l’efficacité des soins.
Donc, les recommandations que je veux faire aujourd’hui seraient notamment d’avoir des services d’interprétation en temps réel pour assurer une communication fluide et personnalisée lors des consultations virtuelles et favoriser une meilleure compréhension des besoins du patient et une adaptation des soins en conséquence.
Toutefois, il est essentiel de faire en sorte que les services d’interprétation respectent les normes de confidentialité et de sécurité des données médicales. Des plateformes de télésanté devraient être équipées de fonctionnalités d’interprétation intégrée. Cela faciliterait l’accès à ce service pour les patients et les professionnels de la santé.
Il faudrait également que les établissements puissent produire des documents d’information; ces derniers devraient être clairs, précis et concis dans les différentes langues, afin de permettre aux patients de mieux comprendre leur condition, de suivre leur traitement et de prendre des décisions éclairées sur leur santé.
Les ressources en ligne devraient être mises à jour régulièrement pour faire en sorte qu’elles répondent aux besoins spécifiques de chaque communauté linguistique.
Je vous remercie.
Le président : Merci de votre déclaration. Nous sommes prêts à passer à la période des questions et des réponses des sénateurs et des témoins.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Kombo, mais je remercie tous les témoins de venir nous aider avec notre étude aujourd’hui.
Depuis combien de temps la télésanté au Québec existe-t-elle officiellement? À un certain moment, il y a des médecins qui voulaient l’utiliser, mais c’était bien longtemps avant la COVID-19 et c’était vraiment difficile, car le Collège des médecins du Québec refusait. Depuis combien de temps est-elle acceptée ouvertement?
Mme Kombo : La télésanté existe officiellement depuis assez longtemps, mais effectivement, on a vu une accélération de l’utilisation des services de télésanté depuis la COVID-19, notamment la téléconsultation. Les médecins ont beaucoup embarqué dans ces services et ont offert des soins aux patients qui en avaient besoin. Depuis que l’urgence sanitaire a été levée, on remarque une baisse de l’utilisation des technologies pour offrir des soins aux patients.
La sénatrice Mégie : Vous avez remarqué une baisse après la COVID-19, finalement?
Mme Kombo : Oui, il y a eu une grosse baisse à ce niveau.
La sénatrice Mégie : Êtes-vous au courant de la façon dont les médecins sont payés pour les consultations? C’était le reproche que l’on faisait avant et qui faisait qu’ils ne voulaient pas l’utiliser.
Mme Kombo : Tout à fait. Actuellement, les médecins sont payés pour les téléconsultations par l’intermédiaire de la RAMQ; ils sont également payés pour la téléinterprétation. Par exemple, les radiologues qui interprètent des scans ou des scans de radiologie sont payés selon le nombre qu’ils examinent. C’est comme ça qu’ils sont rémunérés. Je sais qu’il y a des discussions pour que les médecins puissent être payés pour la téléconsultation à temps différé. Il y a une différence entre la téléconsultation en temps réel, dont on parle aujourd’hui, qui est une téléconsultation reconnue, mais il y avait aussi des éléments de téléconsultation en temps différé qui posaient problème sur le plan de la rémunération. Aux dernières nouvelles, cela devrait se régler bientôt.
La sénatrice Mégie : Merci. J’ai une dernière petite question.
Par rapport au respect, bien que vous sachiez qu’il y a un bon respect des normes de confidentialité vis-à-vis des données personnelles des patients... Je ne sais pas comment on peut s’y prendre pour respecter les normes, surtout si on a besoin d’interprétation; au Québec on aurait peut-être besoin d’interprétation en anglais pour les communautés anglophones.
Je ne sais pas si vous êtes la seule ou si d’autres pourraient nous parler des normes de confidentialité à ce niveau.
Mme Kombo : Certains établissements, en tout cas dans le territoire que je gère un peu, avaient mis en place des services d’interprétation au moment de la COVID-19. Effectivement, c’est un service qui a été vraiment essentiel et ils ont fait des accords à ce niveau. Lorsqu’on a des établissements qui voudraient prolonger ce genre de service dans notre réseau, on les met en communication pour qu’ils puissent le développer de la même façon dont cela a été développé dans les autres établissements.
C’est de cette façon qu’on le fait, mais on a entendu dire que ces services d’interprétation coûtent cher, parce que ce sont des personnes qui doivent être disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, parce qu’on ne sait jamais quand une personne aura besoin de ce service. Certains établissements ont dû diminuer l’offre de ces services et utilisent des technologies qui font de l’interprétation en temps réel. On sait que sur Teams ou Zoom, ce service pourrait être développé, mais cela demande un investissement.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Madame Ponzoni, vous avez parlé de certaines barrières issues de la législation provinciale. Considérez-vous que les nouvelles technologies pourraient mieux respecter les droits linguistiques des patients? Vous n’en avez pas parlé. Au Québec, par exemple, les nouvelles technologies régleraient-elles les enjeux que vous avez soulevés?
Mme Ponzoni : De quelles nouvelles technologies parlez‑vous?
Le président : Je pense notamment à la traduction, pour vous assurer que vous avez des services permettant aux Québécois anglophones d’être servis dans leur langue. Quel est votre point de vue sur l’utilisation des nouvelles technologies et, si c’est pertinent, que peut faire le gouvernement fédéral à cet effet?
Mme Ponzoni : J’ai parlé des dispositifs de traduction numérique qui se sont avérés efficaces pour aider les médecins cliniciens à offrir des soins ou à discuter avec les patients en situation de minorité linguistique. Le problème est que lorsque les cliniciens ne maîtrisent pas ou très peu l’anglais, par exemple, il est difficile de savoir si la traduction proposée par un dispositif est correcte ou non. J’hésiterais à me fier uniquement à un dispositif dont je ne pourrais pas vraiment juger la fiabilité de ce qui est dit.
Le président : Y a-t-il certaines régions du Québec où les services en anglais sont plus difficiles à obtenir que d’autres?
Mme Ponzoni : Même sur l’île de Montréal, nous devons souvent référer nos patients à des services de soins communautaires, ou CLSC, dans une région particulière comme l’est de l’île, où les services en anglais ne sont pas nécessairement garantis ou les médecins auront vraiment de la difficulté à répondre aux besoins des patients anglophones.
Le président : Je vous remercie pour ces réponses.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse au Bureau de la concurrence Canada.
Je voudrais parler des dossiers médicaux. Je pense que vous en avez parlé quand vous avez évoqué le partage d’information numérique. Je sais que, par exemple, les médecins qui font faire toutes sortes de scans et de suivis sont propriétaires, si l’on veut, de tous les tests qu’ils ont fait faire pour leurs patients, à moins que je ne me trompe.
Personnellement, pour l’instant, les seules informations auxquelles j’ai accès sont les résultats des prises de sang. Avec l’entreprise avec laquelle je fais affaire, LifeLabs, c’est la seule information que je peux avoir actuellement, et mon médecin reçoit les résultats de tous les autres tests. Donc, si je change de ville et si j’ai une urgence dans une autre ville, je devrai probablement repasser tous ces tests, alors que si j’avais accès à mon dossier médical à un seul endroit, les médecins pourraient voir de quand datent les informations. Je voudrais vous entendre sur la concurrence qui existe entre les médecins par rapport à la propriété de tous ces tests.
Mme Kouadio : Dans notre premier rapport, nous avons abordé la question du partage des données et des renseignements de la santé numérique. Le partage peut se faire entre professionnels de la santé, mais également entre le médecin et le patient. L’une de nos recommandations était de faciliter le partage de données. La concurrence que nous avons constatée au moment de notre étude de marché a révélé que 86 % de médecins de famille qui offrent des services de soins primaires collectaient et utilisaient les dossiers médicaux électroniques, mais seulement 25 % partageaient les informations.
Notre recommandation, dans le premier rapport, était d’avoir des mesures qui faciliteraient le partage d’information entre patients et médecins et également entre médecins. L’un des aspects à considérer, c’est que, à l’époque de l’étude, il y avait surtout trois entreprises qui concevaient et produisaient ces systèmes : TELUS Santé, QHR Technologies et WELL Health Technologies Corp étaient les plus dominantes sur le marché.
Au moyen de politiques proconcurrentielles qui faciliteraient le partage de données entre les patients, les médecins et les différents systèmes qu’utilisent les fournisseurs de soins de santé, il serait possible pour les nouvelles entreprises d’entrer plus facilement sur le marché.
La sénatrice Moncion : Pour ce qui est du domaine bancaire, les institutions financières veulent garder l’information de leurs clients et ne veulent rien partager, mais des lois ont été adoptées pour qu’on ait des systèmes bancaires ouverts, où toute l’information financière d’une personne lui appartient et où elle peut choisir de partager avec l’institution financière de son choix. J’aimerais vous entendre sur ce concept.
Je comprends que vous êtes au Bureau de la concurrence Canada. Je ne sais pas si cela existe encore, mais est-ce quelque chose qui pourrait être réglementé et implanté dans le système canadien de soins de santé?
Anthony Durocher, sous-commissaire, Direction générale de la promotion de la concurrence, Bureau de la concurrence Canada : C’est un parallèle très intéressant avec les services bancaires. D’une part, l’échange de données promeut la concurrence et l’innovation, mais il faut toujours reconnaître que cela doit se faire de façon sécuritaire et efficace pour protéger l’information confidentielle. Si on regarde tant les renseignements médicaux que les renseignements financiers, ceux-ci doivent être bien protégés pour donner confiance.
Cela fait plusieurs années que nous faisons la promotion de l’importance d’avoir un cadre réglementaire pour les services bancaires ouverts afin de promouvoir la concurrence. C’est un dossier que l’on suit de très près. Depuis la publication de notre rapport, on a remarqué ces dernières années dans le secteur des soins de santé numériques qu’il y a une certaine conjoncture favorable pour faire des démarches afin que tous les ordres de gouvernement comprennent bien l’importance du partage des données numériques. Par exemple, le projet de loi C-72, qui est quand même très récent, avait des aspects très positifs pour ce qui est de reconnaître l’importance de l’échange de données en matière de santé.
La sénatrice Moncion : Sauf qu’ils ont omis encore une fois de mettre des composantes linguistiques pour reconnaître les droits des francophones dans ce projet de loi. On a cette information. Il y a quand même une certaine ouverture de ce côté.
En ce qui a trait à la propriété des données, intervenez-vous sur ce plan ou intervenez-vous seulement sur le plan de la concurrence qui se fait entre les différentes entreprises?
M. Durocher : Surtout en ce qui a trait à la concurrence entre les entreprises. Souvent, il y a aussi des questions de propriété intellectuelle et là, ce sont des enjeux complexes avec l’application de la Loi sur la concurrence quand il s’agit de déterminer à qui appartiennent les données. Ce sont souvent des questions qui sont réglées en litige. On détermine si les données appartiennent au consommateur, au patient ou à une entreprise. C’est une question très particulière. Ce sont des enjeux assez complexes qui font partie de la propriété intellectuelle.
La sénatrice Moncion : Merci.
Le sénateur Aucoin : Depuis votre rapport et depuis la présentation du projet de loi C-72, avez-vous remarqué s’il y a eu des discussions, ou si les entreprises qui avaient ces données ont établi une meilleure collaboration? Est-ce que le Bureau de la concurrence peut faire davantage pour encourager le partage de données?
M. Durocher : Pour la collaboration entre entreprises, on ne connaît pas très bien le dossier. Dans une certaine mesure, le Bureau de la concurrence Canada ne veut pas que les entreprises collaborent trop et qu’elles se fassent concurrence. On a remarqué un peu plus de collaboration entre les gouvernements. En octobre dernier, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé ont approuvé un plan d’action mixte sur les données de santé et la santé numérique qui comprend des normes d’interopérabilité. La base pour l’échange d’information est d’avoir des systèmes où l’on peut se parler et où une technologie commune facilite l’échange d’information. C’est exactement ce qu’on voit dans le cas des services bancaires ouverts. Tout le monde doit s’entendre. C’est la plomberie derrière le système. Ce sont des étapes plutôt positives qui montrent qu’on commence à prioriser l’échange entre les systèmes.
Le sénateur Aucoin : Merci. Ma question s’adresse aux personnes qui sont en vidéoconférence. Vous avez parlé de l’intelligence artificielle et d’une diminution de la télémédecine. Y a-t-il lieu d’examiner s’il n’y aurait pas moyen de faire en sorte que la télémédecine soit plus largement utilisée? On sait que cela peut être beaucoup moins coûteux et que c’est, jusqu’à un certain point, plus efficace. Pouvez-vous commenter?
Mme Kombo : Dans notre réseau, on regarde comment on peut faire pour que les utilisateurs embarquent dans la télémédecine, mais plus largement dans la télésanté.
Lorsque la pandémie est arrivée, tout le monde a embarqué. On a vu de gros scores. La téléconsultation a prouvé que cela pouvait être un service pérenne et surtout, les utilisateurs patients étaient très satisfaits de ce service, mais on fait maintenant face à une baisse.
Lorsque nous avons interrogé les cliniciens pour comprendre ce qui expliquait cette baisse, la lourdeur administrative a souvent été mentionnée. Il est beaucoup plus facile pour un médecin de prendre le téléphone et d’appeler son patient que d’utiliser Teams, qui est l’outil privilégié par le gouvernement québécois pour tout ce qui a trait à la téléconsultation. On sait que Teams est lourd et a plusieurs fonctionnalités, ce qui rend la tâche difficile pour les médecins qui veulent y adhérer. Il faut envoyer des liens par courriel. On a des personnes qui ont un niveau de littératie qui peut être bas ou qui ont des problèmes avec Internet ou qui n’ont pas les outils technologiques nécessaires pour bénéficier d’une téléconsultation vidéo. Le patient doit avoir les équipements adéquats. Ce sont des freins qui font que les médecins ou les professionnels utiliseront davantage le téléphone.
Ce que l’on a montré dans notre réseau, c’est que le téléphone ne peut pas être mis au même niveau qu’une consultation vidéo. Il y a tout le côté non verbal ou visuel du patient qui n’est pas pris en compte par le téléphone. De plus, la téléconsultation vidéo est un moment qui a été déterminé; c’est comme un rendez-vous. C’est exactement comme lorsque le patient a un rendez-vous médical, qu’il se déplace et va voir son médecin. Le téléphone, c’est spontané. Le patient peut être en train de faire quelque chose d’autre. Lorsqu’on appelle, s’il y a une difficulté linguistique, elle sera exacerbée par le fait qu’on manque de visuel.
Toutes les démarches que l’on veut mettre en place pour augmenter l’utilisation de la télésanté se butent à une gestion du changement, mais aussi à un paradigme qui suppose que les médecins peuvent offrir ces services. Certaines choses pourraient aider. Quand on forme des professionnels, on devrait intégrer cette notion de télémédecine ou de télésanté dans les formations académiques. Ce n’est pas offert actuellement ni aux médecins ni aux infirmières, qui sont les principaux utilisateurs de cet outil auprès de leurs patients.
Le sénateur Aucoin : Merci.
Le président : Madame Ponzoni, j’aimerais vous entendre sur le programme de télésanté à l’Université de Moncton. Vous auriez travaillé à la mise en place de ce programme. Comment le programme a-t-il été développé, pour quelle raison et qui a participé à sa création? Vous avez été très importante dans la mise en place de ce programme. Pourriez-vous nous en parler?
[Traduction]
Mme Ponzoni : Le programme a été développé avec une de mes collègues, Mme Antonia Arnaert, à la demande de l’Université de Moncton dans le but d’offrir du contenu sur la télésanté à leurs étudiants francophones. Ma collègue avait une certaine expertise dans le domaine de la télésanté. Ensemble, nous avons donc conçu ces modules éducatifs qui sont offerts à titre de perfectionnement aux professionnels de la santé du Nouveau-Brunswick.
Si je peux répondre à la question précédente, il est important de prendre en compte la culture numérique et l’âge des utilisateurs. Il faut aussi que les professionnels de la santé soient formés à l’utilisation d’un outil comme Teams, mais du côté des destinataires, les connaissances numériques des utilisateurs ne sont pas toujours suffisantes pour assurer une bonne communication ou même pour être en mesure de se connecter avec les patients de manière fiable. En outre, certains programmes proposent des iPads ou d’autres appareils pour les aider à se brancher, mais ce n’est pas garanti non plus. Tous les programmes n’offrent pas la technologie aux utilisateurs, de sorte que l’accès à des ordinateurs ou même à des téléphones intelligents n’est pas garanti, selon le budget des utilisateurs, par exemple.
[Français]
Le président : Il y a cet enjeu et vous le soulignez bien. Y a‑t-il d’autres commentaires en ce qui concerne les défis d’accès dans les régions éloignées, dont celui de l’accès à Internet? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Qui veut répondre à cette question? C’est un enjeu réel, et l’un ne va pas sans l’autre.
Mme Kombo : On fait face à un problème d’accès à Internet chez les patients. Certains programmes offrent aux patients des tablettes avec des données mobiles. Là encore, ce n’est pas suffisant. Plusieurs patients n’ont pas accès à la télésanté pour cette raison. Il y a des critères d’exclusion qui font qu’à la base, les services de télésanté sont déjà inéquitables. Plusieurs patients ne peuvent pas en bénéficier à cause de tout cela. Même si le programme peut offrir des tablettes avec des données mobiles, si la région n’est pas couverte, on ne peut pas offrir le service. Teams est gourmand en matière de données. C’est la plateforme qui a été choisie par le ministère.
Ces populations devraient bénéficier de la télémédecine. On a développé une matrice. On veut comptabiliser l’économie que font les patients qui n’ont pas à se rendre dans un service médical donné, qui peut être situé à plusieurs centaines de kilomètres de chez eux. On se rend compte que les patients économisent beaucoup d’argent en ne se déplaçant pas. Malheureusement, pour ceux qui dépensent le plus, on n’a pas de solution pour eux, car Internet ne va pas jusqu’à eux. Le défi persiste.
Le président : Quelle serait votre recommandation au gouvernement fédéral en cette matière? Que pouvez-vous faire comme recommandation que nous pourrions transmettre?
Mme Kombo : Ce serait de trouver une solution pour qu’Internet aille jusqu’à eux. Je sais que, dans les régions nordiques, on voulait passer par les satellites. C’était une avenue qui était sur la table. Malheureusement, là encore, on se retrouve avec des moyens financiers qui ne suivent pas. Ces populations, qui devraient bénéficier grandement des services de télésanté qu’offrent les régions urbaines, n’y ont pas accès, car Internet ne va pas jusqu’à eux.
Ma recommandation serait d’aller creuser cette avenue des satellites, pour qu’on puisse offrir ces services aux régions éloignées.
Le président : Merci.
Je vais poursuivre avec les gens du Bureau de la concurrence Canada. Y a-t-il assurément un défi de concurrence ou non? Que pouvez-vous dire par rapport à cela? C’est une question importante, cet accès à Internet. Je ne parlerai pas de la situation dans ma propre province. Trop souvent, il n’y a pas suffisamment de concurrence. On le voit en matière de téléphones cellulaires, ce manque de concurrence. Que pouvez‑vous nous dire par rapport à cet enjeu?
M. Durocher : La concurrence dans le secteur de la télécommunication demeure l’un des secteurs prioritaires pour notre bureau. C’est aussi l’un des secteurs où l’on reçoit le plus de plaintes de la part des Canadiennes et Canadiens. Notre rôle est de protéger la concurrence et d’en faire la promotion. Pour en faire la promotion, on travaille à faire des recommandations au CRTC en ce qui concerne le cadre réglementaire, autant pour Internet que pour le sans-fil, afin de promouvoir la concurrence et de trouver le juste équilibre entre l’abordabilité et les incitatifs pour investir, surtout dans les régions éloignées.
Le rôle de notre bureau en ce qui concerne la protection de la concurrence est de faire la mise en œuvre de la Loi sur la concurrence. Il y a plusieurs aspects. Premièrement, la révision des fusions en vue d’empêcher un accroissement du pouvoir sur le marché.
Par exemple, nous avons fait une demande récemment auprès du tribunal pour bloquer la transaction entre Shaw et Rogers. Malheureusement, nous avons perdu cette cause et la transaction a pu aller de l’avant. C’est le genre d’exemple de mise en œuvre auquel on fait allusion.
Le président : Pourquoi l’avez-vous perdue?
M. Durocher : On a demandé au tribunal de bloquer la fusion. Or, le Tribunal de la concurrence a jugé qu’il n’y avait pas diminution sensible de la concurrence avec la fusion. Nous avons porté la décision en appel et malheureusement, la Cour fédérale a maintenu la décision.
Le président : Merci de cette information.
La sénatrice Moncion : Je vais poursuivre dans la même veine et j’aurai ensuite une ou deux questions pour les représentants du Bureau de la concurrence.
Pour les personnes en ligne, vous avez parlé de la qualité de l’interprétation. Vous disiez que l’interprétation était importante et que les interprètes devaient être des humains, et non des machines. Nous avons rencontré des témoins du Nord qui travaillent avec les Inuits. Ces personnes se servent beaucoup des iPads et elles nous ont dit que l’interprétation fonctionnait bien pour leur travail avec les Inuits.
Pourquoi l’interprétation fonctionne-t-elle avec les Inuits, mais pas dans les CLSC où les patients se rendent et ne parlent pas la langue, comme Mme Ponzoni l’a précisé? Pourquoi le service d’interprétation sur iPad ne pourrait-il pas fonctionner dans ce cas?
Mme Ponzoni : Le service pourrait fonctionner si on avait accès aux technologies. Le problème en ce moment, c’est que l’accès à des ordinateurs n’est même pas garanti.
La sénatrice Moncion : Même dans les CLSC?
Mme Ponzoni : Oui. Ils n’ont pas accès à ces technologies en ce moment.
La sénatrice Moncion : Elle est accessible pour les Inuits, mais pas pour un patient anglophone, par exemple, qui se rend à un CLSC et qui veut se faire servir dans sa langue? Il existe vraiment une barrière à l’intérieur de la province en la matière.
Ceux qui nous en ont parlé, si je ne me trompe pas, c’étaient les Inuits du Québec. Il semble donc y avoir une barrière entre les services aux Autochtones et aux Inuits et ceux qu’on offre aux anglophones du Québec.
Mme Ponzoni : Ces outils seraient d’une grande utilité aux cliniciennes francophones pour offrir des services aux patients anglophones. L’argent est octroyé davantage dans les régions du Nord du Québec où il y a une plus grande population autochtone. Pour la plupart, ces personnes ne parlent que l’anglais ou leur deuxième langue est l’anglais. L’enjeu est donc plus présent pour ce qui est d’assurer une bonne communication avec les cliniciennes, qui viennent souvent de l’Université McGill.
La sénatrice Moncion : Merci.
Madame Kombo, vous avez mentionné que la qualité de l’interprétation n’était pas bonne lorsqu’on utilisait des iPads. Est-ce que je me trompe? Vous avez bien mentionné cela tout à l’heure?
Mme Kombo : Ce n’est pas tant un problème de qualité quand on utilise des iPads. Nous avons remarqué qu’il y a un problème de financement pour les humains qui font l’interprétation. Certains établissements utilisent des technologies. Les technologies pour l’anglais et le français fonctionnent bien. Toutefois, dès qu’on parle une autre langue, on commence à avoir des soucis d’interprétation. Si le patient et le professionnel de la santé ne parlent pas la même langue, il risque d’y avoir des problèmes. Certains établissements, comme celui du Centre-Ouest, ont acheté une technologie et ils en sont très satisfaits, car elle fait même la communication en pendjabi.
La sénatrice Moncion : J’allais justement vous poser la question. On parle de quelle langue?
Mme Kombo : Comme ils ont une population importante qui vient de l’Inde, les gens parlent beaucoup le pendjabi, et l’enjeu était bien présent avec ces patients. Ils devaient crier chaque fois au micro pour savoir si quelqu’un qui parlait le pendjabi pouvait venir prêter main-forte. On faisait alors face à des problèmes de confidentialité, car ce ne sont pas des interprètes certifiés. Ce ne sont que des personnes qui parlent la langue et qui venaient traduire ce que disaient le médecin et le patient. Il suffisait que la personne ne comprenne pas vraiment le contexte, et la traduction pouvait être erronée.
La sénatrice Moncion : D’accord. Merci.
Le sénateur Aucoin : Vous avez mentionné que certains sont satisfaits et que d’autres ne le sont pas. Avez-vous mené des sondages ou fait des études pour mesurer le niveau de satisfaction et, dans le cas d’une baisse, en connaître la cause? Avez-vous des données spécifiques ou scientifiques qui pourraient nous dresser un portrait plus juste de la situation?
Mme Kombo : Pour ce qui est de la télésanté?
Le sénateur Aucoin : Oui.
Mme Kombo : Au CHUM, où je travaille, on a fait un sondage auprès de 72 médecins qui y ont répondu. La technologie était l’argument qui revenait le plus souvent. On parle de la technologie Teams qui est mise de l’avant par le gouvernement du Québec. La plateforme Teams vise un travail collaboratif. Quand on veut collaborer entre professionnels ou avec le personnel de bureau, ce système fonctionne très bien et son utilisation est facile. Les médecins nous disent être des personnes de terrain. Souvent, ils activent Teams et le voyant peut être vert, parce qu’ils n’ont pas de rencontre. Or, ils sont sur le terrain. Donc, ils peuvent être interpellés par des textos et des appels inopportuns, ce qui les embête. Malheureusement, nous n’avons pas de solution à leur proposer, mais nous leur avons dit de prévoir des plages horaires pour les téléconsultations. Lorsque vous êtes sur le terrain, ce n’est peut-être pas le bon moment pour activer Teams. S’ils prévoient une demi-journée pour faire des téléconsultations, ce système pourrait être bénéfique, parce qu’ils sont disponibles pour les téléconsultations. Ce sont les recommandations que nous leur avons faites.
Il y a également tout le soutien en arrière-plan. Comme le disait plus tôt Mme Ponzoni, nous offrons du soutien aux médecins qui seront outillés pour utiliser la technologie. Cependant, pour le patient qui a un rendez-vous en téléconsultation et qui n’est pas en mesure de se brancher, la téléconsultation est perdue.
Le sénateur Aucoin : C’est justement ce que j’essaie de savoir. Avez-vous des données pour expliquer pourquoi les gens ne sont pas capables? Est-ce une question de langue ou de technologie? C’est ce à quoi je faisais allusion. Avez-vous des données qui nous diraient pourquoi cela fonctionne ou pas?
Mme Kombo : Les données que nous avons résultent de ce qu’on a fait avec le CHUM. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux a aussi publié une étude qui pourrait certainement répondre à la question, car ils ont mis en évidence certaines barrières linguistiques.
Le sénateur Aucoin : Pouvez-vous nous faire parvenir ces données?
Mme Kombo : Bien sûr.
Le sénateur Aucoin : Merci.
Le président : Nous en sommes à la fin de cette réunion. En reconnaissant que la livraison des services de santé est de compétence provinciale et territoriale, on constate les défis ayant trait au rôle que doit jouer le gouvernement fédéral.
Vous nous avez donné certaines pistes. Si vous avez d’autres recommandations qui s’adressent spécifiquement au gouvernement fédéral après cette rencontre, n’hésitez surtout pas à les transmettre à notre comité.
Nous vous remercions d’avoir été avec nous aujourd’hui. Merci au Bureau de la concurrence Canada de nous avoir éclairés. Merci à vous et bonne soirée.
(La séance est levée.)