LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 21 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonsoir, chers collègues.
Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant de commencer, je demanderais à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son.
[Traduction]
Veuillez tenir votre oreillette éloignée des microphones à tout moment. Lorsque vous ne l’utilisez pas, déposez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous pour votre coopération.
[Français]
J’invite maintenant les membres du comité à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Moncion : Bonsoir. Lucie Moncion, de l’Ontario.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le président : Bienvenue, chers collègues.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue, collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité en recevant un témoin qui est en mesure de traiter du thème des communautés vulnérables, un des sept thèmes de notre étude. En première partie, nous accueillons en présentiel M. Derek B. Montour, président de la Commission santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. Bonsoir et merci d’avoir accepté l’invitation du comité. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires. Elles seront suivies d’une période de questions des sénatrices et des sénateurs.
Monsieur Montour, la parole est à vous.
Derek B. Montour, président, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador : [mots prononcés dans une langue autochtone] Mon nom anglais est Derek Montour. Je suis président du conseil d’administration de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. Je suis également directeur général des services communautaires de Kahnawà:ke Shakotiia’takehnhas.
Je tiens à remercier le Créateur de nous avoir donné cette occasion de nous rencontrer, et de m’avoir donné l’occasion d’être ici aujourd’hui, et je vous remercie de votre invitation. Je tiens également à souligner que nous nous trouvons sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, et je le remercie de nous avoir permis d’y avoir accès.
Je voudrais vous remercier de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui. Mon exposé portera sur les éléments présentés dans le mémoire qui sera soumis plus tard dans la journée aux membres du comité.
Même si l’objectif de votre étude est de recommander au gouvernement fédéral les mesures à prendre pour assurer la prestation de services de santé dans une langue des minorités, nous nous permettrons d’aller au-delà de ce cadre et de partager avec vous les enjeux linguistiques vécus par les Premières Nations, en particulier celles du Québec .
Nous croyons que les services de santé et de bien-être offerts aux Premières Nations doivent être fondés sur une vision intégrée et holistique du bien-être. Cette vision doit nécessairement tenir compte des déterminants sociaux de la santé des Autochtones, qui comprennent la culture et la langue. Enfin, nous ne pouvons pas aborder la question de la santé et du bien-être sans mettre l’accent sur l’autodétermination des Premières Nations, compte tenu du droit des Premières Nations à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale en matière de santé et de bien-être, ainsi que des conflits et des chevauchements entre les compétences provinciales, fédérales et celles des Premières Nations.
Premièrement, le cadre juridique. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, aborde les problèmes linguistiques rencontrés par les peuples autochtones. En ce qui concerne la santé, l’article 24, en particulier, stipule que:
Les peuples autochtones ont droit à leur pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de conserver leurs pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes médicinales, animaux et minéraux d’intérêt vital. Les autochtones ont aussi le droit d’avoir accès, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé.
Le cadre juridique régissant la prestation et l’accès aux services de santé pour les Premières Nations au Québec est complexe, car il repose sur les principes et normes constitutionnels, les lois et politiques fédérales et provinciales, et diverses ententes. Tout cela a souvent été créé sans la participation des Premières Nations.
Pour sa part, le gouvernement du Québec est responsable de développer, d’organiser et d’assurer la prestation des services de santé pour toutes les personnes résidant au Québec, y compris les Premières Nations. Toutefois, le Québec soutient que les services de santé et les services sociaux offerts dans les communautés des Premières Nations demeurent la responsabilité du gouvernement fédéral, à l’exception des soins médicaux qui sont spécifiquement couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec.
Dans la plupart des cas, le gouvernement du Québec refuse de fournir des services de santé dans une communauté à moins qu’il n’y ait une entente pour que la communauté ou le gouvernement fédéral soit responsable de payer le coût total de ces services. D’autre part, il y a un grand nombre de services qui sont normalement offerts par les institutions provinciales que le gouvernement fédéral ne finance pas. Cette situation crée des problèmes d’accès, particulièrement en ce qui a trait à la continuité lorsqu’on passe d’un service à l’autre, ce qui a pour effet de priver les Premières Nations de services essentiels.
De son côté, le gouvernement fédéral a l’obligation de tenir compte des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés dans l’exécution de ses obligations. Il a également des obligations quasi constitutionnelles en vertu de la Loi sur les langues officielles, qui comprend l’obligation d’établir dans les deux langues officielles tout acte relevant du pouvoir exécutif, de s’engager à protéger et à promouvoir le français, et de prendre des mesures positives pour assurer la mise en œuvre de cet engagement.
Deuxièmement, l’accès aux services. Pour les Premières Nations, l’aspect linguistique revêt une importance particulière. Le 1er juin 2022, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, est entrée en vigueur. Les modifications apportées à la Charte de la langue française ont soulevé de nombreuses questions relatives aux droits fondamentaux des Premières Nations, que le gouvernement fédéral a également l’obligation de contribuer à résoudre.
Le 20 avril 2023, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, ou APNQL, et le Conseil en éducation des Premières Nations ont déposé une demande de pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure, attaquant 14 dispositions de la charte. Une telle obligation ne tient pas compte du fait que la majorité des Premières Nations utilisent le français ou l’anglais comme langue seconde. Dans certains cas, cette réalité limite l’accès aux professionnels de la santé et des services sociaux.
Il existe encore des enjeux importants quant à l’accès aux professions du domaine de la santé et des services sociaux pour les Premières Nations. Il est important de garder à l’esprit qu’ils restent des victimes historiques de la Loi sur les Indiens, qui a exigé, de 1876 à 1920, l’émancipation de tout Indien souhaitant devenir avocat ou médecin. Actuellement, les candidats anglophones en particulier ont de la difficulté à obtenir de l’information en anglais concernant l’exercice des professions au Québec et les permis qui y sont associés, et pourtant cette information est essentielle à l’exercice de leur profession en termes de prestation de soins de qualité aux usagers, surtout dans les communautés anglophones.
Troisièmement, l’importance d’environnements culturellement sécuritaires. En ce qui concerne l’accès aux services sociaux et de santé et l’accès aux professions dans ces domaines, il faut préconiser une approche de sécurisation culturelle et tenir compte du respect des différences linguistiques des Premières Nations. Les chefs de l’APNQL ont adopté une déclaration promouvant le droit à des services publics culturellement appropriés, y compris le droit d’accéder à des soins et à des formations adaptés aux réalités linguistiques des Premières Nations.
Il est important de noter que le gouvernement du Québec continue de nier l’existence d’une discrimination systémique, malgré les appels répétés des leaders autochtones et de diverses organisations à reconnaître le principe de Joyce à la suite du décès tragique de Joyce Echaquan.
En conclusion, les réflexions présentées mettent en lumière la complexité et les défis que vivent les Premières Nations en matière de santé au Québec. Dans certains cas, les questions liées à la langue d’usage amènent les Premières Nations à rechercher des services de santé dans les provinces voisines et, dans d’autres cas, à ne même pas fréquenter les établissements du réseau québécois en raison des incidents de racisme et de discrimination vécus ou rapportés dans l’histoire du Québec.
Des solutions doivent être proposées pour résoudre ces problèmes. C’est pourquoi nous invitons le gouvernement du Canada à adopter la norme nationale de sécurisation culturelle qui serait intégrée aux mécanismes organisationnels d’évaluation de la qualité et de la performance des services publics. Même si le gouvernement du Canada ne peut s’ingérer dans les pouvoirs des provinces, reconnus à l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, il peut toutefois utiliser le mécanisme de financement pour influencer les provinces et les territoires et promouvoir des normes de santé rigoureuses pour l’ensemble des Canadiens.
Nous invitons donc le gouvernement du Canada à utiliser le financement comme levier auprès des provinces et territoires pour promouvoir le respect des droits linguistiques des peuples autochtones. Une telle approche, rappelons-le, s’inscrit dans un cadre plus large entourant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
[mots prononcés dans une langue autochtone] Je vous remercie encore une fois de m’avoir accueilli.
Le président : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration, Monsieur Montour. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, monsieur Montour. Je vais vous poser ma question en français, mais vous pouvez répondre en anglais; nous avons la traduction simultanée.
Je vous ai entendu dire que ce qui était difficile pour les personnes des Premières Nations est d’avoir accès à une formation médicale pour devenir médecin ou infirmière. Est-ce quelque chose qui existait avant, ou est-ce encore en cours?
[Traduction]
M. Montour : Je répondrai en anglais. Notre communauté a été colonisée par les Anglais et non par les Français. Les lois deviennent de plus en plus strictes en ce qui concerne l’utilisation du français. Voici un exemple simple : pour l’ordre des travailleurs sociaux, toutes les formations reconnues sont en français. Il n’y en a pas en anglais, donc nos travailleurs sociaux ne peuvent pas obtenir la formation appropriée qui peut ensuite être reconnue par l’ordre des travailleurs sociaux.
Il en va de même pour les difficultés rencontrées dans d’autres domaines. Nous savons que le gouvernement du Québec, pour certains ordres professionnels, a accordé certaines permissions pour reconnaître les professionnels autochtones et les faire bénéficier de droits acquis ou d’une exception à la règle de la langue française, s’ils fournissent ce service au sein d’une communauté des Premières Nations.
Mais il y a un nombre limité de personnes et un nombre limité d’autochtones qui exercent une profession dans le domaine de la santé ou des services sociaux. Le défi consiste à trouver des professionnels qualifiés qui parlent l’anglais ou une langue des Premières Nations et qui peuvent travailler dans une communauté, parce qu’ils doivent passer l’examen de français ou suivre une formation en français afin de répondre aux exigences.
[Français]
La sénatrice Mégie : Votre remarque m’étonne, parce que je sais qu’en ce qui a trait à la médecine, l’Université McGill est ouverte à tout le monde, tout comme l’Université de Montréal. Pour l’Université McGill, c’est en anglais, mais je pense qu’il y a une mixité anglais-français maintenant. Il aurait pu y avoir ces moyens. Si vous me dites que jusqu’à présent, on parle de l’ordre des travailleurs sociaux et non des médecins, ils sont capables d’avoir accès à leur formation.
[Traduction]
M. Montour : Une femme de notre communauté, Ojistoh Horn, est médecin. Elle est devenue médecin en Colombie-Britannique. Elle est revenue chez elle pour exercer. Elle ne souhaitait travailler qu’au sein de la communauté. Je pense qu’elle a tenté de passer l’examen de français à cinq reprises, sans succès. Elle n’a donc pas pu continuer à exercer dans les communautés des Premières Nations. Elle travaille maintenant à Akwesasne, en Ontario. C’est un excellent exemple d’une membre de la communauté qui souhaite travailler au Québec, qui souhaite travailler dans les communautés des Premières Nations, et qui ne peut pas le faire. Cela arrive pour d’autres médecins. Je n’ai pas le nombre exact.
Nous organisons prochainement un forum, presque une célébration, pour les autochtones qui travaillent dans le domaine de la santé, afin de continuer à encourager les personnes qui cherchent à exercer une telle profession dans la région.
Je pense que nous pouvons encore créer des occasions de mentorat et de soutien afin d’encourager la réussite dans ces domaines, mais en fin de compte, le défi consiste à passer les examens de français, ou d’autres examens, afin d’exercer au sein de nos propres communautés. Notre communauté n’est pas francophone. Nous luttons pour maintenir nos propres langues. Elles sont en train de mourir à cause des externats indiens et des pensionnats.
Quand j’allais à l’école, par exemple, nous avions une heure par semaine de Kanien’kehá:ka, ma langue, tout comme nous avions une heure de français par semaine. Je ne parle pas bien le français. Je ne suis pas non plus un très bon locuteur de Kanien’kehá:ka.
Pour que nous puissions nous maintenir — et nous pourrions discuter en tant que peuple de la perte de la langue et de ce qui définit un peuple —, un choix doit être fait. Qu’il s’agisse des Innus, des Mi’kmaq, des Atikamekw ou des Kanien’kehá:ka, nous sommes tous confrontés à cette décision difficile.
[Français]
La sénatrice Mégie : Vous avez parlé de mentorat. Je vois que nous sommes sur une bonne piste, mais cela se produit plutôt dans la communauté, quand ceux qui ont déjà tracé le chemin pour d’autres peuvent les soutenir.
Que pensez-vous que les institutions ou le gouvernement pourraient faire concrètement pour aider à affronter ce genre d’obstacles? Y a-t-il des choses concrètes dont vous avez déjà discuté dans votre communauté?
[Traduction]
M. Montour : Je pense que le mentorat ne doit pas se limiter à la communauté ou à la région. Je comprends votre point de vue. Je ne veux pas vous manquer de respect; je ne connais pas les rouages du rôle du Sénat par rapport à l’influence provinciale et par rapport au Parlement, mais je suis stupéfait qu’une province puisse continuer à créer des lois sur la langue et les utilise pour, à bien des égards, contourner les droits de la personne des anglophones afin de continuer à imposer le français comme seule langue prédominante à pouvoir être utilisée.
Du point de vue de la discrimination systémique, notre communauté était autrefois trilingue. Nous parlions complètement le français, le kanien’kehá:ka et l’anglais. Nous avons été forcés de parler que l’anglais au sein de ma propre communauté, et il en va de même pour les communautés micmaques et algonquines, comme à Kitigan Zibi, par exemple.
Nous nous retrouvons maintenant dans une situation, comme j’ai essayé de l’expliquer plus tôt, où tout ce qui se passe à l’extérieur de la communauté devient plus majoritairement français, et où il y a peu de reconnaissance de Kanien’kehá:ka ou de désir de reconnaître cette langue, ou même l’anglais. La situation devient de plus en plus difficile pour tous les membres de la communauté. Pensez à une personne âgée, à quelqu’un qui bénéficie d’une aide à la vie autonome ou qui a des problèmes de santé. Elle se rend dans un établissement où elle est confrontée à des personnes qui refusent de parler en anglais, qui refusent de reconnaître le défi auquel elle est confrontée, et qui s’appuient sur la loi elle-même, même si le Canada considère qu’il y a deux langues officielles. Au Québec, de plus en plus, on fait valoir qu’il n’y a que le français.
Je ne vois pas comment il ne s’agit pas d’un problème de discrimination systémique. Je ne vois pas en quoi il ne s’agit pas d’un problème que le Sénat ou le Parlement canadien devrait tenter de résoudre.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Moncion : Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit à propos de la division des compétences entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. La santé est une compétence provinciale, mais le gouvernement de la province dit qu’il ne fournira pas de professionnels de la santé s’ils ne sont pas payés par le gouvernement fédéral. Vous ai-je bien compris?
M. Montour : Oui.
La sénatrice Moncion : D’accord. Le gouvernement fédéral effectue de nombreux transferts vers le secteur de la santé au Québec. La province reçoit des milliards de dollars chaque année. Il y a aussi la Loi sur les langues officielles et les fonds pour les langues officielles qui sont censés être accessibles pour les services fournis aux groupes minoritaires dans la province de Québec.
Avez-vous accès à l’un de ces fonds? Savez-vous si vous y avez accès?
M. Montour : Non. Je pense que c’est la raison pour laquelle, dans notre conclusion, nous encourageons le gouvernement du Canada à utiliser le financement comme levier d’influence. Nous savons pertinemment que le gouvernement fédéral verse des paiements de transfert à la province pour que la province fournisse des services de santé et des services sociaux à l’ensemble de sa population.
Toutefois, dans la vaste majorité des cas, le soutien provincial se termine à la frontière de notre communauté. Quasiment aucun service n’est offert dans notre communauté. Je dis « quasiment » parce qu’il y a quelques rares exceptions, normalement parce que le paiement est transféré d’une communauté à l’autre. Dans notre cas, par exemple, nous fournissons des services de protection de la jeunesse par le truchement d’une autorité déléguée. Au lieu de faire appel à la direction de la protection de la jeunesse de la Montérégie et à son personnel, la communauté engage son propre personnel.
Nous fournissons des services 24 heures sur 24. Nous payons ou nous sous-traitons l’administration de la Montérégie pour avoir accès à des services juridiques, à du transport sécuritaire et à des foyers de groupe parce que notre communauté n’a pas encore son propre foyer de groupe. Pour sa part, elle nous paye pour les soins et les services que nous offrons 24 heures sur 24. Voilà un exemple de transfert ou de fonds que nous recevons.
C’est semblable à la manière dont la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est appliquée. C’est la communauté qui applique cette loi; par conséquent, les fonds sont transférés du gouvernement fédéral à la province, puis de la province à la communauté pour qu’elle applique la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Voilà un autre exemple.
Il n’y en a pas beaucoup d’autres.
C’est le code postal — le lieu de résidence — qui détermine si le dossier relève de notre compétence ou de la compétence de la Montérégie. Si la personne vit à l’extérieur de la communauté, le dossier relève de la Montérégie.
Les soins à domicile et les soins communautaires sont d’autres exemples. Nous ne pouvons pas fournir de soins à domicile à l’extérieur de la communauté parce que c’est en dehors de notre compétence. En théorie, nous pourrions le faire, mais les frais ne nous seraient pas remboursés. Si nous commençons à fournir des services à l’extérieur de la communauté, nous n’avons aucun moyen de recouvrer les sommes supplémentaires versées. Le gouvernement fédéral ne payera pas ces services puisqu’ils ne relèvent pas de notre compétence.
Ainsi, nous nous retrouvons dans une situation où les membres de la communauté qui vivent à l’extérieur de notre territoire en raison de problèmes de logement, de violence ou autres n’ont pas accès à nos services. En théorie, leur lieu de résidence leur donne accès aux services de la province, mais c’est là que surviennent les problèmes liés à la discrimination systémique, à la langue et aux enjeux de la sorte.
Par conséquent, nous faisons souvent face au défi de chercher des services accessibles. Nous ne pouvons pas offrir de services aux membres de la communauté qui vivent à l’extérieur de notre territoire parce que nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour répondre à leurs besoins.
Pour revenir à votre question, oui, il y a des paiements de transfert, mais la province n’est pas obligée de fournir ces services. Comment l’on « permet » ou comment l’on empêche que cela se produise est une question plus vaste pour moi, parce qu’il s’agit vraiment de tirer parti des paiements de transfert.
Il en va de même pour la Loi sur les langues officielles. Cela va plus loin. Comment peut-on contraindre la province à respecter les obligations relatives aux deux langues officielles alors qu’elle a le droit d’ignorer la Charte? J’oublie le terme.
Le président : Vous parlez de la disposition de dérogation.
M. Montour : Oui, la disposition de dérogation. Chaque mesure législative — de la loi 101 à la plus récente, le projet de loi 96 — invoque la disposition de dérogation.
La sénatrice Moncion : Des témoins du Nunavut nous ont parlé du système qu’ils ont mis en place : dans 25 communautés nordiques, les services sont offerts par des fournisseurs externes, mais les membres des communautés qui ne parlent ni français ni anglais ont aussi accès à des services d’interprétation pour les diagnostics, en inuktitut et dans d’autres langues. Ce modèle semble fonctionner pour eux. Ce n’est peut-être pas idéal, mais les membres de ces communautés ont accès à des fournisseurs de soins de santé et ils peuvent communiquer avec eux.
Avez-vous accès à des services d’interprétation ou à d’autres moyens de communication vous permettant d’accéder aux services?
M. Montour : Je répondrais de deux façons. Cela nous ramène en partie à votre question précédente. N’oubliez pas que j’essaie de parler au nom de toutes les Premières Nations du Québec et du Labrador. Kahnawake est probablement la seule communauté au Canada qui a son propre centre de soins de santé financé par la province. C’est pourquoi j’ai dit, dans ma déclaration, que les autres communautés n’ont pas accès aux mêmes ressources. Notre entente de nation à nation, conclue avec René Lévesque, remonte à 1984. Elle est unique en son genre. Elle nous fournit un mécanisme pour accéder à des services supplémentaires, y compris des services linguistiques, mais au bout du compte, c’est nous qui devons en assumer les frais.
Il y a des services d’interprétation simultanée, comme ceux offerts en ce moment, mais c’est nous qui devons prendre en charge les frais supplémentaires. C’est tout.
Cela dit, y avons-nous accès? Oui.
La sénatrice Moncion : Pour revenir à Kahnawake, pourquoi n’avez-vous pas accès aux mêmes services que cette communauté? Étaient-ils en place avant l’arrivée du gouvernement actuel?
M. Montour : Excusez-moi, je ne comprends pas.
La sénatrice Moncion : Vous avez dit que Kahnawake avait son propre système, un hôpital ou quelque chose du genre. La communauté a accès aux services qu’il lui faut. Pourquoi votre communauté n’a-t-elle pas accès aux mêmes services?
M. Montour : Nous y avons accès. Ce qui distingue Kahnawake des autres communautés du Québec, c’est qu’elle est la seule à disposer d’un centre de santé financé par la province.
La sénatrice Moncion : Je comprends, d’accord.
M. Montour : C’est le fruit d’une entente conclue entre Kahnawake et le Québec en 1984, soit il y a plus de 40 ans, en plein mouvement séparatiste. Une entente a été conclue pour permettre l’ouverture d’un centre de santé.
La sénatrice Moncion : D’accord.
M. Montour : Le problème dont je parle, c’est le manque d’accès aux mêmes services ou aux mêmes avantages dans les autres communautés des Premières Nations. C’est de ce problème que j’essaie de parler.
C’est la raison pour laquelle j’ai donné l’exemple d’essayer de pratiquer la médecine au sein de la communauté.
En ce qui concerne la langue, nous avons accès aux mêmes services d’interprétation simultanée, mais c’est à nos frais.
La sénatrice Moncion : Pouvez-vous nous expliquer la relation entre le Québec et le Labrador? Le Labrador fait partie de Terre-Neuve-et-Labrador; pourtant, durant votre témoignage, vous avez parlé du Québec et du Labrador.
M. Montour : Je vais répondre de deux façons. Dans le passé, le territoire des Mohawks s’étendait d’Albany jusqu’aux alentours de Montréal ou de Québec et jusqu’au Niagara, le territoire des Sénécas; il formait un triangle. Nous avons des cousins dans différents coins de l’Ontario, du Québec et d’autres régions. La frontière imaginaire qui longe le fleuve et qui sépare nos communautés et nos familles n’existait pas; c’est un produit du colonialisme.
Il en va de même pour le Labrador. La ligne tracée sur la carte sépare des cousins, des parents et des amis appartenant aux communautés innues et naskapies, les communautés situées près de la frontière du Labrador.
Quand l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador a été créée, la décision a été prise d’inclure toutes les communautés de la région contiguë de ce qu’on appelle aujourd’hui le Québec dans le territoire qu’elle représente.
Aujourd’hui, les Innus et les Naskapis du Labrador sont invités à assister à nos réunions. Le problème qui se pose à eux, c’est que leur financement provient de Terre-Neuve-et-Labrador. Étant donné la distance qui les sépare, disons, de la capitale de Terre-Neuve, ils ont rarement accès aux services qu’elle offre. Puisqu’ils sont situés à l’extrémité de Terre-Neuve-et-Labrador — ou du territoire de cette province — et à l’extrémité de notre territoire, ils sont laissés pour compte. Comment les sociétés peuvent-elles soutenir les communautés ayant un accès limité aux services offerts de part et d’autre? Aux problèmes qui se posent à l’intérieur des communautés s’ajoute la question du français.
C’est ce qui explique la décision qui a été prise. Ces communautés sont les bienvenues, mais elles peuvent rarement venir à cause des défis liés à Terre-Neuve.
La sénatrice Clement : Monsieur Montour, je suis ravie de pouvoir vous dire « shé:kon » parce que Cornwall est situé sur le territoire traditionnel non cédé des Mohawks d’Akwesasne. La réponse que vous venez de donner à la sénatrice Moncion me fait penser au territoire d’Akwesasne, situé à cheval sur le Québec, l’Ontario et les États-Unis. Quand nous, les Ontariens, nous rendons sur le territoire, les communautés nous disent que les frontières leur ont été imposées. Sur le plan culturel, elles sont similaires, mais elles doivent composer avec ces frontières. Ainsi, je comprends la réponse que vous avez donnée à la question de la sénatrice Moncion.
Je tiens aussi à dire que j’ai rencontré la Dre Horn. C’est une personne brillante que nous sommes chanceux d’avoir à Akwesasne et à Cornwall, l’hôpital étant situé à Cornwall. C’est intéressant que les gens doivent partir. D’autres en tirent avantage, mais la communauté perd une personne qui voulait pratiquer la médecine sur son territoire.
J’aimerais explorer quelques questions avec vous. Vous avez parlé des déterminants sociaux de la santé des Autochtones. Pouvez-vous nous fournir plus de détails là-dessus? Qu’entendez-vous par là? Comment diffèrent-ils des déterminants sociaux de la santé dont on parle dans d’autres espaces?
M. Montour : Pardonnez-moi, je ne peux pas tous les nommer de mémoire. Je sais que le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, en Colombie-Britannique, a produit de la documentation pertinente là-dessus. Quand on parle des déterminants sociaux de la santé, on pense à la pauvreté, à la situation économique, au logement et aux enjeux de ce genre. Ce qu’on oublie souvent, de la perspective des Premières Nations, c’est la langue — la langue de nos ancêtres —, la culture et les traditions. Il ne faut pas oublier que le Canada a adopté des politiques visant spécifiquement à les entraver ou à les éliminer.
La Thunderbird Partnership Foundation a publié d’excellents documents. Quand cela vient à l’identité et à la santé holistique, au lieu de penser au physique, à l’émotionnel, au mental et au spirituel, il faudrait parler d’espoir, de sens, d’appartenance et de raison d’être. L’idée, c’est que ces notions ont la même portée que le physique, l’émotionnel, le mental et le spirituel, mais on les envisage sous un angle légèrement différent. Par exemple, l’espoir chasse l’apathie et il diminue le risque de suicide. Chacune de ces notions participe au tout.
Quand on pense aux déterminants sociaux de la santé, si l’on ne parle pas d’aspects ou de programmes culturels, par exemple si l’on n’offre pas de programmes axés sur le territoire ou d’occasions de participer à des cérémonies de purification par la fumée, ou encore si les établissements ne reconnaissent pas nos pratiques culturelles, alors la situation est malsaine. Je vous donne un exemple parfait.
Mon fils a 12 ans. Il est né à l’Hôpital Sainte-Justine. Ma femme a dû se battre bec et ongles avec l’administration pour que nous puissions garder son cordon ombilical. Pourquoi? Dans notre culture, c’est important d’enterrer le cordon ombilical sur le territoire lors d’une cérémonie. Cette cérémonie marque l’enracinement de notre peuple dans le territoire d’où il vient. Aux yeux de l’administration de l’hôpital, c’était un déchet biomédical dangereux. Nous avons dû nous battre pour lui faire voir notre perspective.
L’Hôpital Anna-Laberge a une approche différente grâce aux discussions que nous avons avec l’administration depuis de nombreuses années. Qu’il soit question de soins palliatifs ou du recours à différents remèdes comme la purification par la fumée ou autres, les hôpitaux partout au Canada doivent être plus ouverts à l’idée d’appliquer des pratiques traditionnelles. La médecine occidentale reconnaît de plus en plus la valeur des pratiques traditionnelles pour ce qui touche la guérison et le bien-être. Souvent, c’est lié principalement aux croyances et à l’identité. Nous savons que la méditation, les pratiques spirituelles et les croyances religieuses jouent un rôle énorme dans la guérison.
Partout au Canada, on a tenté d’éliminer ou d’interdire les pratiques des Premières Nations; aujourd’hui, notre peuple cherche en quelque sorte à les revitaliser. Kahnawake combat l’assimilation depuis 400 ans; en Colombie-Britannique, le combat dure depuis seulement 200 ou 150 ans. Il faut du temps pour réapprendre ces choses, et les établissements doivent reconnaître la discrimination systémique qui est intégrée au système parce que personne ne nous a demandé de contribuer à sa conception. Ouvrez la porte au changement; permettez-nous de concevoir ensemble un système qui valorise toutes nos pratiques et nos croyances, et non seulement ce que j’appellerais une perception ou une vision du monde eurocentrique. Le système doit tenir compte de toutes nos croyances.
La sénatrice Clement : J’aimerais poursuivre la discussion sur les soins adaptés à la culture. Vous avez abordé le sujet avec la sénatrice Mégie.
Vous venez de décrire le combat que vous avez mené contre l’Hôpital Sainte-Justine. Quelles sont les solutions à ce problème? Vous avez comparé l’Hôpital Sainte-Justine à un autre hôpital ayant de meilleures pratiques. Pourquoi cet autre hôpital a-t-il de meilleures pratiques? Comment en arrive-t-on à la situation que vous avez décrite, où les communautés autochtones réapprennent ces choses et les autres communautés intègrent leurs apprentissages aux soins qu’elles offrent à la population?
M. Montour : Je vais dire deux choses. D’abord, nous devons continuer à nous battre. Je regrette de devoir employer ce terme. Nous devons continuer à insister et à persévérer.
Vous ne pouvez pas nous apprendre notre culture et nos pratiques culturelles. C’est nous qui devons vous les apprendre et vous expliquer ce qui est permis. Or c’est vous qui avez conçu le système. Le système doit faire de la place, il doit créer un espace pour permettre d’apporter des changements. Maintenant, comment y arrive-t-on? Certains changements requièrent une approche descendante, c’est-à-dire qu’ils doivent être intégrés au système. Je reconnais que nous parlons de langues, plus précisément de langues minoritaires. C’est le nœud du problème pour les Premières Nations, qui n’ont pas le choix de recevoir des services dans des établissements situés à l’extérieur de leurs communautés. Le Canada ne peut pas reproduire dans toutes les communautés des Premières Nations l’ensemble des services offerts dans les provinces. C’est impossible. Par conséquent, les établissements doivent créer un espace, obligatoire ou non, où nous pouvons nous réapproprier nos pratiques culturelles.
La sénatrice Clement : Faut-il que ce soit obligatoire? Comprenez-vous ce que je veux dire?
M. Montour : Eh bien, si les gens nient l’existence de la discrimination systémique et qu’ils ne veulent pas modifier le système, le fait que ce soit obligatoire peut être la seule solution. Le gouvernement fédéral reconnaît la discrimination systémique, mais au niveau provincial... Il ne s’agit pas seulement du Québec; je parle du Québec, bien sûr, mais il y a d’autres provinces auxquelles je peux penser qui se trouvent dans la même situation. Si elles n’ont pas l’obligation de changer, si elles nient l’existence d’un problème systémique, alors les gens n’auront pas la volonté d’apporter des changements. Des hôpitaux ou des établissements peuvent avoir la volonté de changer si le leadership est là, ou si des liens existent entre la communauté des Premières Nations et l’établissement pour stimuler le changement.
Dans le cas de Kahnawá:ke, nous assurons la prestation des services sociaux depuis 40 ans. D’autres communautés commencent à peine à reprendre le contrôle pour prendre les décisions. Toutes les décisions étaient prises par des non-Autochtones qui leur disaient ce qu’ils devaient faire pour prendre soin de leurs enfants. On déresponsabilise alors, mais je ne vais pas entrer dans les détails. On ne reconnaît pas alors nos pratiques et on dit qu’elles ne sont pas assez bonnes.
Si les gens n’ont pas la volonté de changer les choses, de changer les pratiques dans un établissement, que peut-on faire d’autre que de présenter cela comme un impératif?
La sénatrice Clement : Nia:wen, monsieur Montour.
Le président : J’ai quelques questions, et certaines peuvent être élémentaires, mais c’est simplement pour comprendre la réalité. Vous avez soulevé de nombreux enjeux, notamment des obstacles liés aux compétences et aux lacunes dans les connaissances.
Tout d’abord, de combien de communautés parle-t-on? J’aimerais simplement avoir une idée claire de leur nombre et comprendre comment les services de santé sont offerts. Pouvez-vous nous donner un aperçu des différentes communautés?
M. Montour : Je pense qu’il y a environ 42 communautés des Premières Nations au Québec. Si on ne compte pas les communautés inuites et cries, qui sont couvertes par des accords distincts, on parle d’environ 28 communautés, qui sont réparties, je crois, en 10 nations différentes.
Il y a trois communautés micmaques en Gaspésie. Il y a ensuite les communautés malécites, un peu au sud-est des communautés micmaques. Elles se trouvaient à l’origine au Nouveau-Brunswick et dans la région du Maine. Les Wendats, qui se trouvaient à l’origine en l’Ontario, se trouvent maintenant, bien entendu, à l’extérieur de la ville de Québec, à Wendake. Il y a aussi trois communautés kanien’kehá:ka : Kahnawà:ke, Kanesatake et Akwesasne. Elles se trouvent près de Montréal, ou disons du côté sud. Les communautés algonquines se trouvent plus près d’Ottawa et s’étendent au Nord jusqu’à Val-d’Or, et plus loin se trouvent les Cris. Si on va vers l’Est, il y a les communautés attikameks, au nombre de trois, et elles se trouvent environ au centre du Québec. Au sud d’elles, près de Trois-Rivières, il y a les communautés abénaquises, au nombre de deux. Enfin, il y a les Naskapis et les Innus. Les Innus se trouvent le long de la Côte-Nord, et il y a aussi une communauté au Lac-Saint-Jean. Puis au Nord, le long de ce que je vais appeler la corne du Labrador, se trouvent les Naskapis. À ma connaissance, on y trouve une communauté, mais je ne sais pas ce qu’il en est au Labrador.
Le président : Je comprends qu’il existe plusieurs communautés qui ont des besoins très précis. Quels sont les enjeux qu’elles ont en commun, et quelles pourraient être les solutions pour les aider? Nous sommes le comité des langues officielles, alors nous sommes conscients, bien sûr, que les langues autochtones sont essentielles pour les communautés, mais dans vos communautés, quels sont les principaux enjeux liés à la prestation des services en anglais? Est-ce lié à la formation des professionnels? Est-ce lié à la prestation de services adaptés à la culture? Si le médecin parle anglais, qu’en est-il de l’offre de services adaptés à la culture, même s’ils ne sont pas offerts dans votre langue en raison des facteurs dont vous avez parlé?
J’aimerais que vous nous parliez de ces sujets. Quels pourraient être les enjeux communs et, parallèlement à cela, les solutions? Nous avons en tête le gouvernement fédéral, bien entendu, parce que notre but est de lui soumettre des recommandations sur les façons d’aider les communautés.
M. Montour : Évidemment, il n’est pas facile pour moi de parler des points communs entre 28 communautés, et encore moins entre 42. Vous avez évoqué un peu le fait que nous avons toutes nos réalités, et certains problèmes auxquels fait face Kahnawà:ke — même si nous faisons tous partie du peuple kanien’kehá:ka —, sont différents de ceux auxquels fait face Akwasasne ou Kanesatake.
Quand je pense aux langues minoritaires, j’envisage la chose sous deux aspects. Premièrement, l’anglais est une langue minoritaire au Québec. Il sera difficile pour tous les habitants d’une communauté anglophone d’avoir accès à des services en anglais à l’extérieur de leur communauté. Le Québec a adopté une loi ou une politique — je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’une loi — obligeant la plupart des établissements à avoir un agent de liaison ou de soutien pour fournir des services d’interprétation. Plus on mettra l’accent sur cela, mieux ce sera, mais ces services sont limités et diminuent à cause de lois comme la loi 96 lorsqu’il y a des professionnels anglophones dans la région.
Je vais vous donner un exemple. Nous avons dû déposer une plainte relative aux droits de la personne à trois reprises parce que nous avions des problèmes à Kahnawà:ke. Des membres de la communauté ont été placés dans un foyer d’accueil francophone où il n’y avait pas de soutien en anglais, même si ce devait être le cas sur papier. Les jeunes, qui se trouvaient déjà dans une situation vulnérable parce qu’ils étaient placés à l’extérieur de la réserve, étaient placés dans un établissement où l’on ne parlait que français et où il n’y avait pas de ressources en anglais. Il nous a fallu en fin de compte y envoyer un de nos intervenants pour fournir ce service. Ce n’est pas logique d’avoir à faire cela quand il s’agit d’un service qui devrait être offert au sein même du système.
Ce sont donc des enjeux pour les communautés anglophones. Il y a aussi, par ailleurs, les communautés éloignées francophones, où le français est souvent la langue seconde, en particulier dans les communautés atikamekws ou innues. Quand les aînés ou d’autres membres se rendent dans un établissement pour obtenir des services, ils parlent français en théorie, mais leur langue maternelle est l’innu, et on n’y offre pas de services en langue innue ou atikamekw.
Dans le cas des Atikamekws, leurs communautés sont tellement éloignées qu’ils doivent aller jusqu’à Joliette pour obtenir des services, et c’est très loin. On assiste alors à des cas comme celui de Joyce Echaquan. Les gens sont peu sensibles aux différences culturelles, et il y a peu de soutien offert. Il n’est pas possible de faire venir une personne qui parle anglais.
Il en va de même du transport médical offert par le gouvernement fédéral. Nous ne pouvons pas faire accompagner la personne qui doit être transportée à l’extérieur de la communauté. Si une personne qui se trouve dans une communauté éloignée doit être envoyée à Québec, Montréal ou Trois-Rivières pour obtenir des soins de santé, nous ne pouvons pas faire en sorte qu’elle soit accompagnée par un interprète ou un membre de la famille pour l’assister. Ces frais ne sont pas couverts. La personne se retrouve alors seule dans ces établissements qui ne disposent pas nécessairement de quelqu’un qui peut l’aider. Il y a donc une barrière linguistique ou culturelle. Comme les grands centres de soins de santé se trouvent principalement à Québec et Montréal — soit là où les investissements sont faits —, les gens qui ont besoin de soins dans les communautés éloignées y sont envoyés.
Le président : Croyez-vous que nous ayons besoin de plus de recherche et de données? Comme les situations auxquelles vous faites face sont complexes, croyez-vous que nous disposons de suffisamment de données désagrégées, ou qu’il faudrait faire plus de recherche pour s’assurer que tous les ordres de gouvernement comprennent bien la situation? Vous donnez des exemples très concrets, mais je me demande si le gouvernement fédéral et les provinces sont au courant de cela.
M. Montour : Je ne pense pas que cela puisse faire de tort, en particulier si c’est fait en collaboration.
Le gros problème quand on parle de recherche, et je veux insister sur ce point, c’est que les Premières Nations sont souvent surmenées par les recherches. Si ces recherches se font en collaboration, et que le but est expliqué, je pense qu’on pourrait avoir un bon partenariat.
Nous avons déjà effectué beaucoup de recherches également, et nous pourrions vous les fournir d’une façon ou d’une autre. À titre d’exemple, nous avons créé une coalition de communautés des Premières Nations anglophones au Québec. Nous avons effectué nos propres recherches sur les enjeux auxquels nous faisons face. Que faut-il faire pour être entendus et pour que l’on donne suite à nos recommandations, quand on continue de se heurter à la même porte et que souvent les gens ne veulent pas nous écouter?
Je serai ravi de faire parvenir nos documents à Catlin, qui pourra vous les acheminer. Toutefois, je pense que les possibilités de partenariats existent vraiment. Il faut qu’il y ait encore et toujours un dialogue. Comme je l’ai dit, nous devons continuer à nous battre, et nous avons besoin des autres — d’alliés — qui sont prêts à nous aider à créer cet espace. Nous demandons à le faire ensemble.
Le président : Je vous remercie beaucoup. Le comité sera heureux, bien entendu, de recevoir tout document. Vous pouvez les acheminer au greffier et nous nous ferons un plaisir de les inclure au dossier.
[Français]
La sénatrice Mégie : J’ai une question qui m’a été remise par ma collègue la sénatrice Audette : l’adoption de la Loi sur les langues autochtones en 2019 a-t-elle eu des effets bénéfiques sur l’accès des Autochtones aux services de santé dans leur langue? Sinon, qu’est-ce qui manque à la Loi sur les langues autochtones pour que ces peuples aient un meilleur accès aux soins de santé dans leur langue?
[Traduction]
M. Montour : Je peux difficilement parler de toutes les Premières Nations au Québec et de leurs expériences.
Je ne sais pas vraiment, en fait, mais j’ai l’impression que la mise en œuvre de la loi n’a pas apporté de changements notables au sein de nos communautés pour ce qui est de l’accès aux services dans notre langue, autre que l’anglais ou le français. Je sais que dans certains établissements, ils se sont vraiment efforcés d’instaurer des changements positifs, en créant des postes d’agent de liaison, etc. Bien évidemment, les services d’interprétation doivent être offerts par des gens de nos communautés. Il faut donc qu’un d’eux veuille travailler à l’extérieur de la communauté et cela peut être difficile pour lui si l’établissement ne lui offre pas une sécurité culturelle.
Je ne peux pas m’attendre à ce que vous appreniez le kanien’kéha — par « vous », j’entends une personne qui travaille, disons, dans un hôpital —, à moins que vous ne soyez déjà un Kanien’kehá:ka, une personne mohawk. Si un des membres de notre communauté va travailler dans cet établissement, et qu’il n’y a pas d’approche de sécurisation, parce qu’on n’y reconnaît pas la discrimination systémique, ou encore qu’on n’y offre pas de services adaptés à la culture — soit tous les éléments dont nous avons besoin pour nous sentir en sécurité dans notre milieu de travail — si cela n’est pas en place, alors il est très difficile de pourvoir ces postes.
Il serait sans doute possible dans certains cas d’avoir des accompagnateurs, mais comme je l’ai dit, il n’y a pas de financement offert pour cela. Les critères du gouvernement fédéral pour utiliser le transport médical ou les services offerts par la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits sont très stricts, et il n’y a pas beaucoup de latitude pour que nous puissions utiliser ces services de manière créative afin que le membre de la communauté bénéficie de la sécurité linguistique ou culturelle dont il a besoin.
Je crois que c’est la réponse que je vous donnerais. Au niveau régional, c’est ce que vivent la plupart des communautés. Je sais que beaucoup de Mi’kmaqs finissent par se procurer des services au Nouveau-Brunswick, ou dans le cas des Algonquins, en Ontario, en raison des barrières linguistiques, en payant, bien entendu, les services de leurs poches.
Quand on se sent vulnérable et inquiet, on veut à tout le moins comprendre ce que le médecin ou le professionnel de la santé nous dit.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Clement : J’ai une seule question. Vous avez dit que le gouvernement du Québec ne reconnaît pas officiellement l’existence du racisme systémique. Croyez-vous que le gouvernement fédéral en fait suffisamment pour reconnaître l’incidence ou l’existence de la discrimination systémique?
M. Montour : Le mot « suffisamment » est subjectif, naturellement.
La sénatrice Clement : Bien sûr. Vous avez raison.
M. Montour : Je pense qu’il y a assurément des progrès. Je vais vous donner un exemple.
Il y a deux ans, on m’a invité à siéger au Groupe consultatif du ministère de la Défense nationale sur le racisme et la discrimination systémiques et sur les préjugés sexistes et à l’égard des membres de la communauté LGBTQ2+ au sein de l’armée.
Cette étude a duré un an, et j’ai eu l’occasion de parler à des militaires et d’examiner le système et les politiques. Tous ces processus et toutes ces initiatives visent à commencer à changer le système.
Toutefois, il ne faut pas l’oublier, et nous en avons parlé au sein du groupe consultatif, où nous étions quatre à siéger. Nous discutions entre nous un jour et nous comparions cela à un bateau rempli d’éléphants venu d’outre-mer. Les éléphants sont arrivés ici et ils ont construit une grande maison pour se loger, une maison conçue pour eux. Ils ont prévu des rampes d’accès pour monter aux étages. Ils ont aménagé l’espace en fonction de leurs besoins. Tout était à leur image dans cette maison. Puis, un jour, une girafe a voulu y aménager. Elle a dû pencher la tête pour pouvoir entrer et elle a dû vivre dans cette maison qui avait été conçue et construite par et pour les éléphants. Puis d’autres créatures ont voulu venir y vivre, mais tout avait été conçu par et pour les éléphants, alors elle n’était pas conçue pour d’autres animaux. On peut agrandir la porte pour permettre à la girafe d’entrer, mais cela demeure une maison conçue par et pour les éléphants.
Donc, à moins que nous commencions à travailler ensemble pour reconstruire le système, il y aura toujours des éléments de discrimination systémique qui en feront partie. Tous les éléments constitutifs du Canada et des provinces ont été mis en place sans les Premières Nations. On peut parler du wampum à deux rangs, de la chaîne d’alliance, des ententes de nation à nation, mais au bout du compte, ces alliances ne sont pas reconnues. En faisons-nous ou non partie, du point de vue des traités, vivants ou non, respectés ou non? Nous n’avons donc pas forcément notre mot à dire au Sénat, à moins de monter à bord du canot, à bord du bateau. L’autodétermination en fait aussi partie.
Nous essayons de créer un système en rassemblant différents éléments, alors que le système n’a pas été fait ou conçu pour cela. Comment peut-on repenser le tout? C’est la question. Si on ne reconnaît même pas l’existence de la discrimination systémique, il y a un problème. Le Canada, à tout le moins, l’a reconnu et a dit qu’il était prêt à y travailler, à réparer le système ensemble. Cela prendra du temps; nous en sommes conscients. Même dans les discussions au sujet du Tribunal canadien des droits de la personne et des services aux familles et à l’enfance, il y a une volonté de s’entendre et d’améliorer les choses.
Si on ne peut pas avoir cela au sein des gouvernements provinciaux... et il n’y a pas que le Québec, car le Manitoba, la Saskatchewan et d’autres font face à des défis similaires. Si on ne le peut pas, comment faire pour en arriver à une volonté de changement?
La sénatrice Clement : Nia:wen.
Le président : Je vous remercie, monsieur Montour, de votre témoignage ce soir. Cela nous est très utile et nous aide à mieux comprendre la situation. Personnellement, c’est une situation que je connais mal et vous nous avez assurément présenté l’information d’une manière constructive.
Je vous remercie d’avoir été avec nous ce soir.
[Français]
Nous allons suspendre la séance, le temps de recevoir nos prochains témoins.
Chers collègues, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité, sous les thèmes de la télémédecine, des nouvelles technologies, de la recherche et des données probantes.
Nous accueillons maintenant en présentiel Sylvie Grosjean, professeure titulaire et titulaire de la Chaire de recherche en francophonie internationale sur les technologies numériques en santé à l’Université d’Ottawa. Nous accueillons également par vidéoconférence Éric Forgues, directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques.
Bonsoir à vous deux, bienvenue et merci d’avoir accepté l’invitation du comité. Commençons avec vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénatrices et sénateurs.
Madame Grosjean, vous avez la parole.
Sylvie Grosjean, professeure titulaire et titulaire de la Chaire de recherche en francophonie internationale sur les technologies numériques en santé, Université d’Ottawa, à titre personnel : Je suis heureuse de pouvoir partager avec vous quelques réflexions sur le sujet. Mon programme de recherche vise à améliorer plus spécifiquement la compréhension des enjeux liés aux usages, mais aussi à la conception des technologies numériques en matière de santé en contexte francophone.
Dans les dernières années, je me suis intéressée à la télémédecine qui, on le sait, s’est rapidement imposée comme un pilier essentiel de la prestation de soins, mais aussi du déploiement d’applications mobiles en santé, de capteurs intelligents et d’objets connectés qui peuvent intégrer ou non des algorithmes d’apprentissage ou de gestion de données.
J’aimerais commencer en parlant d’une étude exploratoire que nous avons menée récemment afin de mieux comprendre les besoins et les attentes des francophones de l’Ontario. Il s’agit d’un bon exemple qui illustre les problèmes qui peuvent se poser ailleurs en ce qui concerne l’usage des technologies en matière de santé pour accéder à des soins virtuels.
Nous avons pu identifier quelques points importants à considérer pour l’avenir des soins virtuels en général pour les communautés francophones vivant en contexte minoritaire. Évidemment, nous avons constaté que la télémédecine est perçue comme une opportunité pour les communautés francophones, parce qu’elle offre un accès à des services en français, particulièrement pour les communautés éloignées.
Cependant, même si cette solution est prometteuse, tout le monde reconnaît qu’elle soulève aussi des enjeux cruciaux en matière d’équité d’accès. De plus, malgré ces avancées technologiques, j’aimerais attirer l’attention du comité sur quatre points.
Le premier point, c’est qu’à mon avis, nous devons avoir une meilleure compréhension des déterminants sociaux et culturels de l’appropriation de ces technologies par les francophones qui vivent en contexte minoritaire. Selon moi, cela est essentiel pour guider et encadrer le développement de ce type de technologies. Il faut pouvoir identifier les services et le type de technologies dont les communautés ont besoin afin de mieux répondre à leurs besoins en général.
Le deuxième point sur lequel j’aimerais attirer votre attention, c’est le manque de visibilité des services de télémédecine offerts en français, la fragmentation de l’offre et sa nécessaire intégration dans les services existants. L’intégration d’une offre de télésoins ou de télémédecine pour les francophones vivant en milieu minoritaire doit s’inscrire dans une offre de soins préexistante, et non pas se substituer à celle-ci. L’adoption de systèmes de télésoins ou de téléconsultation dépend aussi de la réussite de leur intégration sur le plan de l’organisation même des services déjà offerts aux francophones sur le territoire.
Le troisième point concerne la privatisation des services de télémédecine et le risque de créer des iniquités d’accès. Il se met en place une forme de privatisation des services de télémédecine pour répondre à la pénurie des médecins de famille sur l’ensemble du territoire. Ces offres de services ne sont pas soumises à des exigences claires quant à l’offre active ou à l’offre de service en français. Par conséquent, les soins virtuels à but lucratif pourraient créer à l’avenir une nouvelle forme d’iniquité pour les populations francophones minoritaires, qui risquent d’être confrontées à un accès inégal aux soins dans leur langue.
Enfin, le quatrième point que je souhaite souligner est la sous-représentation des francophones dans la conception même de ces technologies. Les technologies de santé numérique et les systèmes d’intelligence artificielle sont majoritairement conçus pour des marchés globaux ou nationaux anglophones, notamment au Canada. Dans leur processus de conception de ces technologies, les concepteurs ne tiennent pas toujours compte des besoins spécifiques des minorités linguistiques comme les francophones. Cela signifie que les perspectives des francophones et les réalités des minorités linguistiques sont rarement prises en compte de façon proactive dès le début du développement de ces technologies. Elles le sont peut-être après, mais pas dès le début.
À l’avenir, la question qui va se poser en ce qui concerne l’entraînement des systèmes d’intelligence artificielle est la suivante : les données intégreront-elles les spécificités des populations francophones vivant en contexte minoritaire? Si les données d’entraînement de ces systèmes proviennent majoritairement de populations anglophones, cela peut limiter la performance et l’efficacité des systèmes pour les francophones. Les outils de diagnostic et d’aide à la décision médicale ou même de reconnaissance vocale peuvent être moins précis et moins performants en français si nous ne faisons pas preuve de prudence à l’avenir.
Je tenais à souligner ces quatre points en guise de démarrage pour la discussion.
Le président : Merci beaucoup, madame Grosjean. Votre présentation était claire et très précise. Monsieur Forgues, la parole est à vous.
Éric Forgues, directeur général, Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques : Bonsoir et merci de l’invitation à comparaître devant le comité.
On m’a demandé de me prononcer sur le thème de la recherche, des données probantes et des solutions pour favoriser l’accès aux soins de santé dans la langue de son choix. L’étude que vous menez est essentielle pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire et pour l’accès de leurs membres à des services de santé dans leur langue.
Une étude récente a montré les avantages de ce qu’on appelle la concordance linguistique entre le patient et le professionnel de la santé sur la qualité des services et la santé des patients. Cet élément a été mentionné par des témoins précédents qui ont comparu devant le comité. Dans certains contextes de soins, la concordance linguistique peut réduire les risques de mortalité et de complications pour la santé des patients. Je ne connais pas d’étude qui a mesuré ces données, mais on peut penser que la concordance linguistique permet aussi de réduire les coûts des services de santé.
Ces résultats de recherche donnent des arguments pour offrir des services de santé dans la langue minoritaire même dans les provinces où il n’y a pas de lois qui obligent à le faire. Toutefois, il est difficile de faire ce type de recherche, car nous n’avons pas souvent les données requises sur la langue du patient et celle du professionnel de la santé. Si la langue dans laquelle on offre des services a des effets positifs sur la santé, il me semble qu’on devrait l’indiquer dans le dossier du patient, tout comme on devrait noter la langue préférée du patient.
Malgré des efforts soutenus fournis par le gouvernement et les organisations francophones depuis un quart de siècle, l’accès à des services de santé dans sa langue reste un défi pour les membres des minorités.
Dans une consultation récente, Santé Canada a constaté qu’obtenir des services de santé dans la langue officielle de son choix est difficile pour une grande majorité de personnes; en effet, 80 % des anglophones au Québec et 77 % des membres de la francophonie canadienne disaient avoir éprouvé des difficultés.
Pour ma part, j’ai surtout concentré mes travaux dans les provinces où des lois linguistiques s’appliquent au secteur de la santé, c’est-à-dire le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse. Dans une étude publiée en 2011, nous avons cherché à mieux comprendre les conditions sociales, mais aussi organisationnelles qui favorisent l’offre de services de santé en français en contexte minoritaire.
Dans une autre étude publiée en 2020, nous avons cherché à comprendre l’effectivité des lois linguistiques dans le secteur de la santé, à partir des perceptions des professionnels de la santé et des gestionnaires des services. Plus récemment, dans une étude qui sera publiée cet automne, nous avons analysé une initiative du Réseau de santé Horizon au Nouveau-Brunswick qui visait à favoriser une culture de l’offre active des services dans les deux langues officielles.
Pour mener ces études, nous avons produit nos propres données à l’aide de sondages et d’entretiens. Ce qui ressort de ces études, c’est que l’offre active de services de santé en français repose sur un ensemble de facteurs.
Cela demande une organisation du travail qui prend en compte les compétences linguistiques des professionnels de la santé, ce qui suppose d’avoir des données internes sur les compétences linguistiques des employés. Cela demande d’identifier des employés bilingues dans les hôpitaux. Cela demande d’offrir de la formation linguistique aux employés et d’organiser des activités pour socialiser en français si on veut maintenir les compétences linguistiques. Il faut aussi embaucher des employés bilingues, désigner des postes bilingues, sensibiliser les employés et les former à l’offre active. Il faut développer des outils pratiques, de la documentation dans les langues minoritaires et un appui technique pour les employés. Il faut aussi connaître la langue des patients qui fréquentent les hôpitaux.
Pour qu’une organisation développe une capacité à offrir des services dans la langue minoritaire, il faut de la planification et des ressources.
Tout cela demande une volonté, un engagement et un leadership fort de la part de la haute direction des hôpitaux.
Donc, pour passer d’une organisation qui a la capacité de faire l’offre de service en français ou dans la langue minoritaire à une organisation qui le fait réellement, il faut que l’offre de service dans la langue minoritaire devienne une valeur et soit intégrée dans la culture organisationnelle. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Forgues, pour cette déclaration d’ouverture.
Nous sommes maintenant prêts à passer à la période des questions. La parole est à la sénatrice Mégie.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Forgues, et selon sa réponse, peut-être que Mme Grosjean pourrait ajouter quelque chose.
Vous avez parlé des données qui manquaient et vous avez dit que la langue des patients n’était pas notée, ainsi que la langue des professionnels de la santé.
Ce que je sais, pour avoir pratiqué la médecine, c’est qu’il y a un espace pour la langue du patient dans les documents électroniques, dans le dossier médical électronique. On met seulement « anglais » ou « français ». Malheureusement, ils ne mettent pas « autre ». La mention « autre », c’est le professionnel de la santé qui doit l’inscrire selon son jugement. On ne voit pas la langue parlée par le professionnel qui voit ce patient.
Pensez-vous que ce serait utile? Pensez-vous qu’il y aurait un effort à faire du côté des programmeurs qui développent ces documents pour commencer à inscrire la langue du professionnel de la santé? Ou y aurait-il des enjeux éthiques?
M. Forgues : J’ai parlé d’une étude, et je crois que c’est le Dr Peter Tanuseputro qui avait comparu devant vous. Aujourd’hui, j’assistais à une conférence du Dr Reaume qui expliquait la manière dont ils s’y sont pris pour faire leur étude en Ontario. Il a fallu utiliser des données administratives, et ils ont utilisé jusqu’à six bases de données pour établir un lien entre la langue du patient, la langue du médecin et les effets potentiels que cela peut avoir sur la santé des patients.
En Ontario, pour les associations professionnelles, si j’ai bonne mémoire, on recense la compétence linguistique des médecins; ce sont eux qui évaluent leur propre compétence linguistique et il arrive avec cette gymnastique d’utiliser plusieurs bases de données pour déterminer s’il y a eu ou non concordance linguistique. Cela devient compliqué, et 40 % des médecins n’indiquent pas leur compétence linguistique dans la base de données en Ontario. Il faudrait aller voir dans les autres provinces ce qui existe en termes d’information et de variables linguistiques pour les professionnels de la santé. Ensuite, c’est la langue du patient.
La langue du patient, à l’Île-du-Prince-Édouard, est sur la carte d’assurance maladie. C’est indiqué sur la carte. Dans les autres provinces, à ma connaissance, je ne crois pas qu’il y ait de variables linguistiques associées à la carte santé. Ce n’est pas le cas au Nouveau-Brunswick ni en Ontario. Pourtant, quand on fait une demande pour obtenir une carte d’assurance maladie en Ontario, par exemple, on doit indiquer la langue de communication avec le gouvernement. On pourrait indiquer cette information sur la carte. Cela faciliterait beaucoup les choses, pas seulement pour la recherche, mais aussi pour les gestionnaires des services.
La sénatrice Mégie : Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Grosjean?
Mme Grosjean : J’ai une précision à faire, parce qu’on a été confronté à un problème quand on a cherché ces données. On a essayé de distinguer deux choses. La communauté francophone se transforme et change. Des francophones sont nés au Canada, mais il y a une grande communauté francophone issue de l’immigration francophone pour qui le français, qui peut être la langue dans laquelle ils veulent avoir les services de santé, n’est pas nécessairement la première langue. Au niveau des données, on demande aussi la langue parlée à la maison, mais on demande la langue dans laquelle ils veulent recevoir des soins de santé. Cela nous permet de savoir si ce sont des personnes qui parlent français à la maison et qui veulent avoir des soins de santé en français, ou si ce sont des personnes allophones qui veulent recevoir des soins de santé en français parce que c’est la langue qu’ils maîtrisent le mieux en dehors de la maison. Je crois que c’est une donnée importante, compte tenu du profil qui se transforme du côté des communautés francophones.
La sénatrice Mégie : Merci. Mon autre question s’adresse à Mme Grosjean. En ce qui a trait aux technologies appliquées à la santé, je vois toujours un obstacle. Peut-être que votre équipe et vous aurez la solution à un certain moment pour traverser l’obstacle de la numératie numérique. On dit souvent aux gens d’aller sur la plateforme X, de cliquer sur ceci ou sur cela.
Cependant, le langage qu’on utilise parfois est hermétique pour la personne, selon la génération à laquelle elle appartient. Y a-t-il un moyen dont vous avez déjà discuté avec vos pairs pour remédier à cela?
Mme Grosjean : Dans le développement de technologies, je travaille avec l’Hôpital d’Ottawa sur le développement d’une plateforme qui servira à des personnes qui souffrent de la maladie de Parkinson pour leur permettre d’accéder à des conseils de santé, par exemple. On sait que souvent, les gens atteints de la maladie de Parkinson sont des gens plutôt âgés, qui ne sont pas forcément à l’aise avec la technologie, et la maladie peut aussi entraver l’usage de la technologie même. On a donc décidé d’adopter une approche participative et collaborative, c’est-à-dire que dès le début de l’idée de cette technologie, avant même qu’elle existe, on a tout de suite engagé les patients à nous faire part de leur expertise comme personnes vivant avec cette maladie, pour intégrer ces enjeux dès le début du processus de conception par rapport à un usage de terminologie qu’ils ne comprenaient pas et pour expliquer comment on peut les guider et les accompagner dans l’usage de ces technologies. Cela se fait vraiment par le développement d’approches participatives, d’approches de coconception, qui nous permettent d’intégrer ces savoirs qu’ont les personnes qui vivent avec une maladie pour les intégrer et, du même coup, d’intégrer des personnes qui ont une faible littératie numérique. Il faut penser à la conception de ces outils en ayant en tête ces utilisateurs.
La sénatrice Mégie : Monsieur Forgues, vous avez parlé des différentes provinces où vous avez fait vos études, surtout les provinces qui ont des lois sur la concordance linguistique.
Est-ce qu’il y a une raison précise, ou est-ce juste parce que cela facilitait vos recherches?
M. Forgues : L’étude qu’on a faite sur l’effectivité des lois linguistiques visait à voir jusqu’à quel point on respecte la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les services en français en Ontario, l’équivalent au Manitoba et il y a aussi une loi sur les services en Nouvelle-Écosse.
Par définition, il fallait aller dans les provinces où il y avait un contexte législatif qui s’appliquait au secteur de la santé. Pour ce qui est de l’Île-du-Prince-Édouard, cela s’applique seulement pour la ligne télésanté — à moins que cela ait changé récemment —, où il faut faire l’offre de service en français là aussi.
On voulait comprendre, dans ces environnements où il y a des lois, jusqu’à quel point les professionnels de la santé comprennent leurs obligations, par exemple, s’ils sentent qu’ils sont outillés pour offrir des services en français. L’organisation prend-elle aussi des mesures adéquates pour les aider, les former, les informer, pour que, tout compte fait, on s’assure de respecter la loi? Même si l’obligation ne repose pas sur des individus en particulier, cela repose sur des institutions. Il y a tout un contexte organisationnel qui doit être mis en place pour faire en sorte qu’il y ait une offre de service en français ou dans les deux langues officielles.
Or, ce qui est intéressant avec les études sur la concordance linguistique, c’est que cela donne des arguments pour aller dans les provinces où il n’y a pas nécessairement de loi linguistique qui s’applique au secteur de la santé, mais avec des études montrant que cela peut avoir des effets positifs réels dans un contexte de concordance linguistique, c’est-à-dire que le professionnel de la santé parle la langue préférée du patient, cela peut donner des arguments économiques, en matière de santé et de qualité des services. Cela permet de mettre en place des moyens organisationnels pour que les patients francophones puissent recevoir des services dans la langue de leur choix.
La sénatrice Moncion : Ma question est rattachée à la volonté des gouvernements de faire une offre active réelle dans la langue des minorités. Y a-t-il une volonté ou une résistance?
Mme Grosjean : C’est une question intéressante. On a fait une revue de la littérature pour le Consortium national de formation en santé (CNFS) l’année dernière. On a essayé de voir la télémédecine et l’offre active — on ciblait cela — et on a examiné la question à l’échelle pancanadienne; or, c’est très hétérogène d’une province à l’autre. Ce qu’on a remarqué, c’est qu’il pouvait y avoir une volonté, mais tout relève de la manière dont elle est mise en œuvre.
La tâche repose souvent sur le patient francophone qui doit aller chercher les services. Il y a un petit onglet quelque part qui dit : « Si vous voulez un service en français, cliquez ici »; cela exige du patient qu’il fasse lui-même le travail pour aller chercher le service.
C’est une offre qui existe, mais qui demande un travail, d’une certaine manière, de la part de la personne francophone qui souhaite obtenir un service. C’est à elle à faire la démarche, alors on se dédouane avec le petit onglet français. Or, je pense que l’on peut faire mieux, parce que ce sont des services de traduction qui sont offerts, mais cela crée un délai dans la prise en charge. Puis, dans d’autres provinces, une offre active sera donnée. C’est très hétérogène et cela se décline d’une manière très différente d’une province à l’autre.
La sénatrice Moncion : Merci. Nous avons parlé du petit onglet. Parlons maintenant de la question de créer une télémédecine dans chaque province, alors qu’on pourrait créer une télémédecine pancanadienne qui serait accessible à n’importe quel patient, francophone ou anglophone, qui voudrait avoir accès à un médecin. Est-ce quelque chose qui est envisagé ou envisageable, ou est-ce financé à l’échelle provinciale et fait en fonction des disponibilités des personnes qui peuvent offrir les services dans les deux langues?
Mme Grosjean : Je vais prendre le temps de répondre, parce que l’année dernière, on a fait une activité avec des francophones en Ontario pour imaginer les soins virtuels en 2050; on les a projetés dans l’avenir pour essayer de voir ce qu’ils voulaient. Ce qui est apparu comme enjeu est la fragmentation de l’offre. Cela veut dire qu’il y a de l’offre, il y a des projets très intéressants qui se font, mais l’offre est fragmentée. Les personnes qui ont participé à l’étude affirmaient qu’elles avaient besoin d’être aidées pour naviguer dans cette offre. Souvent, elles imaginaient un portail central vers lequel elles seraient dirigées et dans lequel elles pourraient naviguer dans une offre de télémédecine en fonction de leurs besoins. Pour l’heure, cela n’existe pas. Il y a une fragmentation de l’offre.
Effectivement, si l’on pouvait aider les francophones minoritaires à naviguer dans une offre de service de télémédecine en français à partir d’un point central, d’un point de contact central, ce serait vraiment quelque chose dans l’imaginaire, quelque chose de très intéressant pour l’avenir, d’autant plus qu’on sait aujourd’hui que le point de contact pour les personnes, c’était leur médecin de famille, qui leur permettait de naviguer dans le système. Or, on sait maintenant que bien des gens n’ont plus ce point de contact. Il faudra aider les personnes à naviguer dans ce système de santé qui peut être fragmenté quant à l’offre de télésoins ou de télémédecine, et je pense que le fait d’avoir un point de contact pourrait être extrêmement enrichissant.
M. Forgues : Je peux mentionner que la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick a produit deux rapports. Je ne sais pas si je vais parler de la même chose que Mme Grosjean, mais quand on parle de télémédecine, il y a les services qui sont offerts sur Internet, par exemple. Ils sont accessibles au Nouveau-Brunswick, et on mise beaucoup sur ces services. La commissaire a noté qu’il y avait des cas où il n’y avait pas d’offre active, où l’attente était plus longue du côté francophone que du côté anglophone, où les gens qui offraient les services ont demandé aux patients qui s’exprimaient d’abord en français s’ils pouvaient s’exprimer en anglais.
Il y a différentes situations problématiques qui ont été relevées par la commissaire. Pour répondre à la question, il faut voir si ce sont des compagnies qui viennent d’autres provinces, d’autres régions du Canada, que le gouvernement engage comme sous-traitants pour essayer de répondre à certaines situations de crise ou à des besoins criants dans le système de santé au Nouveau-Brunswick.
Donc, on fait appel à ces firmes qui offrent les services, mais qui ne connaissent pas nécessairement le contexte de la province, la législation sur les langues officielles et l’obligation de faire l’offre active dans les deux langues officielles. Il y a une sensibilisation à faire, parce qu’il y a des contextes qui varient d’une province à l’autre au pays. C’est une chose.
En ce qui concerne la question de la volonté ou le leadership des gouvernements, ce que j’ai pu remarquer, c’est que cela joue un rôle déterminant au sein non seulement d’une province, mais aussi d’une organisation et d’une régie de santé, par exemple. Le leadership qui est exercé dans la haute direction joue un rôle important dans tout ce qui va suivre et se mettre en place. Je crois que c’est là où les chercheurs et les différents partenaires ont un rôle à jouer pour faire connaître les résultats des différentes recherches qui sont faites. Il faut les faire connaître dans des contextes de colloques et des contextes académiques, mais aussi auprès des parties prenantes, des décideurs et des intervenants. Il y a peut-être un relais qui ne se fait pas toujours bien, soit le transfert des connaissances. Je dirais qu’en matière d’enjeu ayant trait à l’accès aux données et au développement de la recherche, il y a quand même eu un développement des capacités de recherche, mais il y a beaucoup de travail qui reste à faire. On a encore beaucoup de difficulté à avoir accès à des données, mais ce qu’on doit prioriser aussi, c’est dans le transfert des connaissances dans la communauté. On parle souvent entre nous — entre convaincus, dirais-je —, mais il faut aussi parler à des gens qui sont moins convaincus. Il y a un gros travail de communication à faire.
La sénatrice Moncion : L’autre aspect qui est quand même pernicieux dans notre système, c’est qu’à l’heure actuelle, il y a des pénuries de médecins partout. Lorsqu’on n’a plus de médecins, on prend celui ou celle qui est disponible, peu importe la langue parlée. Très souvent, les francophones se retrouvent avec des médecins anglophones et doivent recevoir leurs services en anglais. Cela n’est pas compté. Vous parliez justement tout à l’heure de la carte d’assurance maladie qui, elle, indique si l’on veut recevoir notre correspondance en français ou en anglais, mais elle n’indique pas si un médecin anglophone offre des services à un patient francophone. Il y a toute une série de données qui ne sont pas utilisées ou qui ne sont pas accessibles, plutôt, parce qu’on n’a pas cette information qui pourrait être inscrite tout simplement sur une carte d’assurance maladie.
Je reviens à la volonté de nos gouvernements; ils doivent faire un choix entre faire l’autruche en disant : « On n’a pas de données, donc on ne peut pas offrir les services, on ne le sait pas », ou la volonté de dire qu’ils vont peut-être le faire à un moment donné pour savoir quels sont nos besoins réels.
Mme Grosjean : La question se pose aussi pour l’avenir, parce qu’on sait maintenant que les systèmes d’intelligence artificielle sont entraînés à partir de données que l’on produit, que nos hôpitaux et les provinces produisent. Je pense qu’il y a une question très importante à se poser aujourd’hui : à partir de quelles données veut-on entraîner ces systèmes qui fonctionneront à l’intérieur de notre système de santé et qui nous permettront de développer des technologies pour faire de la médecine prédictive ou préventive? Je pense qu’il y a une question à se poser très sérieusement, à savoir comment on peut identifier et mieux identifier les francophones dans les données existantes. Comment peut-on essayer de mieux identifier les particularités des francophones en matière de besoins de soins de santés, de soins de soutien à la maison, de soins à domicile, et cetera? Je pense que tant qu’on n’aura pas de bases de données francophones solides, il y a un risque à l’avenir par rapport à l’entraînement des systèmes d’intelligence artificielle, parce qu’on sera entraîné vers les données disponibles, donc à la base peut-être vers des données partiales qui risquent d’avoir des conséquences dramatiques sur la santé des gens, comme des diagnostics retardés, des plans de traitement mal adaptés ou des choses comme cela.
M. Forgues : Si je peux me permettre, je plaiderais pour la prudence avant de nous lancer dans des solutions de type technologique et d’intelligence artificielle; il faut vraiment s’assurer que ce soit adapté aussi à un contexte bilingue et de langues officielles.
Oui, à partir du moment où l’on sait que la concordance linguistique a des effets positifs sur la santé et la qualité des services... C’est assez récent comme recherche : on parle de 2022 ou 2023. Vous avez déjà invité Peter Tanuseputro qui en a parlé. Il y a le Dr Michael Reaume qui pourrait être invité et qui pourrait en parler longuement aussi. On ne peut plus plaider l’ignorance. On sait maintenant que cela a un effet. Je crois que cela devient nécessaire d’intégrer ces informations même dans le dossier du patient. On a la langue du patient et on devrait avoir la langue du professionnel de la santé — il y a les médecins et les autres membres du personnel — pour faire en sorte que, dans le dossier du patient, on puisse voir aussi si les services ont été offerts dans la langue préférée du patient. Cela devient un outil de gestion.
Pendant la discussion qui s’est tenue au colloque d’aujourd’hui, la conférence à laquelle j’ai participé, il y avait le Dr Denis Prud’homme, recteur à l’Université de Moncton, qui a dit que les États-Unis ont une longueur d’avance sur le Canada en raison d’un contexte qui est très différent, où l’on enregistre ces informations beaucoup plus facilement qu’on ne peut le faire ici, malgré le fait qu’on ait une Loi sur les langues officielles. Pour eux, c’est pour éviter des poursuites parce qu’il y a eu un malentendu sur la qualité des services de santé qui ont été offerts. Donc, le contexte est différent, mais c’est possible de le faire quand même. C’est une question de volonté.
La sénatrice Moncion : Merci.
La sénatrice Clement : Merci, madame Grosjean et monsieur Forgues, pour vos témoignages et vos carrières. Cela nous aide beaucoup.
Madame Grosjean, vous avez énuméré quatre points et ce sont les deux derniers qui m’ont fait réfléchir. Vous avez mentionné la privatisation de services à but lucratif qui n’incorporent peut-être pas suffisamment l’offre active. Pouvez-vous nous donner un peu plus d’exemples là-dessus et des pistes de solution?
Le quatrième point revient à la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Moncion concernant la sous-représentation des francophones en intelligence artificielle — partout, en fait. Les personnes noires et racisées sont très concernées par cela, pas seulement du côté francophone. On ne participe pas à la création de ces programmes. Avez-vous des pistes de solution?
Mme Grosjean : Le premier point par rapport au système de télémédecine à but lucratif, dans la recension de littérature qu’on a faite, on s’est rendu compte effectivement qu’il n’y avait pas d’offre active. C’était vraiment au patient de faire lui-même la demande et s’il ne le faisait pas, il n’avait pas accès à cette offre. La conclusion qu’on a faite, c’est de se dire qu’il faudrait peut-être développer une norme partagée qui s’impose a minima. Est-ce que ce devrait être une réglementation de Santé Canada? Je ne sais pas, mais il y a quelque chose à faire pour qu’il y ait une norme partagée qui impose un minimum. On ne demande pas que tous les médecins soient bilingues, mais qu’il y ait un minimum d’accès à un service en français.
La sénatrice Clement : Pour tous les services?
Mme Grosjean : Pour la télémédecine surtout, parce que c’est le service qui est le plus utilisé en ce moment. Il y a eu une augmentation depuis la pandémie de l’utilisation des services de téléconsultation. Quand je parle de téléconsultation, c’est de pouvoir avoir un contact avec un médecin qui pourra me conseiller si j’ai un rhume ou si j’ai besoin de savoir quelque chose de particulier. Très rapidement, je peux consulter quelqu’un en téléconsultation si je n’ai pas de médecin de famille. Dans ce cas, je pense qu’il faudrait peut-être, notamment pour les services fournis par des services privés, imposer au moins une norme a minima d’offre active ou d’offre de soins en français dans ces cliniques.
La sénatrice Clement : Donc, la privatisation amène un risque.
Mme Grosjean : Oui, elle amène un risque d’accès inégal aux soins de santé dans sa langue. Certaines cliniques choisiront de ne pas offrir de service en français parce que c’est peut-être trop coûteux pour elles si elles n’ont pas de médecin bilingue ou francophone ou si elles ne sont pas capables d’en recruter. Le problème de la formation va se poser à un moment ou un autre. Actuellement, il existe un risque majeur de créer des inégalités d’accès à un service en français. Ce risque est bel et bien réel.
Pour répondre à votre deuxième question sur la conception de ces technologies, dans le marché d’aujourd’hui, on sent que des acteurs ont envie de s’imposer pour développer leurs technologies et les vendre aux hôpitaux et aux provinces. On devrait donc exiger un minimum quant à la façon dont cette technologie a été conçue. Ont-ils intégré des voix minoritaires dans le processus de conception, qu’il s’agisse de minorités linguistiques ou autres? On doit leur demander comment ils ont intégré ces voix.
Je crois qu’il faut aussi prendre des précautions quant au processus de conception, car cet aspect est important. On ne vit pas sa santé et sa maladie de la même manière. Il y a une dimension culturelle, sociale et linguistique, mais la langue va avec un aspect social et culturel. On ne vit pas la santé de la même manière, on ne vit pas son corps de la même manière et on n’exprime pas sa douleur de la même manière. Ces dimensions doivent être prises en considération, même dans la conception de ces technologies. La conception de la technologie d’aujourd’hui se fait dans une sorte de « technosolutionisme ». On pense qu’elle est une solution à tous nos maux. Toutefois, elle doit aussi être vue dans une perspective que l’on dit « sociotechnique », où l’on intègre l’aspect social au développement de la technologie. Cela implique de tenir compte aussi de la voix des minorités dans le processus de conception.
La sénatrice Clement : Merci.
Monsieur Forgues, j’aimerais revenir à la question de la sénatrice Moncion. On parle de crise du logement, mais aussi de crise du système de santé. On a de la difficulté partout à trouver quelqu’un qui peut nous offrir des services de santé. Comme francophones, nous avons l’habitude de dire : « Si je dois attendre trop longtemps, je vais trouver des services en anglais. »
Avez-vous des études particulières portant sur les délais qui pourraient être plus longs pour les francophones ou les nouveaux Canadiens ayant le français comme première langue pour accéder aux services? Avez-vous des données qui montrent qu’on est découragé et qu’on ne demande donc même plus les services, parce qu’on veut juste se faire soigner?
M. Forgues : Il existe des études. Je pourrais vous envoyer des références qui montrent que ce genre de dynamique peut se produire. Je n’ai moi-même pas fait de telles études. Fait intéressant avec la téléconsultation, quand on demande un service, on appelle et on appuie sur le bouton « service en français ». Normalement, le message est enregistré. Mme Grosjean pourra peut-être en parler, mais je vois un potentiel pour ce type d’analyse, à savoir la langue demandée par rapport au service offert et au délai provoqué par le fait d’avoir choisi le français par opposition à l’anglais. L’intérêt des outils technologiques, c’est qu’il y a une trace, et si on a accès aux données, on peut faire ces analyses. Je vois donc ici un potentiel vraiment intéressant.
En situation de pénurie, on entend souvent dire qu’il est déjà difficile de trouver des infirmières. Chercher en plus des infirmières bilingues ajoute à la difficulté. Il reste qu’on a des obligations et qu’il faut trouver des moyens, quitte à embaucher une personne anglophone. Obtenir le profil linguistique du personnel serait un pas dans la bonne direction. Le fait de connaître les compétences linguistiques du personnel nous permettrait ensuite de prendre les moyens de nous de faire en sorte que, dans une équipe, au moins une personne soit bilingue et puisse offrir les services. Ce n’est pas nécessairement tout le monde qui doit être bilingue pour assurer l’offre active. Dans la culture de l’offre active, la formation doit être faite et on doit rappeler qu’on peut assurer l’offre active même si on est unilingue, car on sait qu’il existe des outils. Si je ne peux pas offrir le service en français, je sais que j’ai des collègues désignés qui peuvent le faire, même si en pratique cela reste compliqué, car ils ne sont peut-être pas toujours présents ou parce qu’on a peur de les déranger. Toutes sortes de raisons font en sorte qu’on n’assure pas l’offre active, même si on devrait le faire.
Un autre risque qui a été évoqué par rapport à la téléconsultation est le fait que l’offre de service par Internet ou par télémédecine est un peu désinstitutionnalisée. Elle se fait dans un monde virtuel qui n’est pas nécessairement rattaché à une institution qui serait désignée, par exemple, si on était en Ontario. On se trouve un peu dans les airs avec la télémédecine sans être rattaché à une institution. C’est là où l’on perd de vue les obligations linguistiques dans des endroits comme en Ontario ou au Manitoba, où l’offre active des services en français doit se faire dans certaines institutions désignées.
Au Nouveau-Brunswick, l’offre active de service doit se faire dans les deux langues officielles. On a alors recours à des entreprises qui ont peut-être travaillé en Ontario, on les déplace au Nouveau-Brunswick et quelque chose peut se perdre.
Je ne sais pas si je réponds à votre question.
La sénatrice Clement : Le point que vous soulevez est intéressant. Sur Internet, on est un peu déconnecté de nos institutions ou on a le sentiment de l’être. Ce point est intéressant. J’ai aimé votre réponse sur la panoplie de choses dont on a besoin : des postes bilingues, des désignations, du leadership, des politiques... Je comprends votre point de vue.
Madame Grosjean, avez-vous une réaction à cette question?
Mme Grosjean : Je trouve très juste et important qu’on offre des services de télémédecine qui ne sont pas forcément ancrés ou connectés avec d’autres services ou avec des hôpitaux. Ceci va soulever la question de la continuité des soins. Vous avez une consultation de 15 minutes avec un médecin, puis, peut-être deux mois plus tard, votre enfant tombera malade et vous aurez une téléconsultation. Est-ce que ce sera le même médecin qui sera disponible ou non?
On doit donc aussi poser la question de la continuité des soins. Or, nous savons aussi que les francophones vivant en situation minoritaire ont souvent le profil d’une population plus âgée qui a plus de comorbidités. Les recherches ont montré depuis longtemps qu’il y a un profil de santé qui fait que, effectivement, cela peut aussi pénaliser certaines personnes, parce qu’il y aura un manque de continuité des soins. Ce sera alors une « santé à l’acte ». Je crois effectivement que ce risque est aussi présent.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Je vais à mon tour vous poser quelques questions, madame Grosjean. Des quatre éléments que vous avez identifiés, la sénatrice Clement s’est intéressée au troisième et au quatrième. Je m’intéresserai au premier et au deuxième.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur les déterminants sociaux et culturels face à l’utilisation des nouvelles technologies? Ma question pourrait aussi s’adresser à M. Forgues. En termes d’études, d’information et de données, est-on bien outillé pour comprendre quels sont ces déterminants et comment en tenir compte dans l’utilisation et la mise en place d’une télémédecine axée sur les nouvelles technologies?
Mme Grosjean : Ce point est important pour moi, car j’ai entamé une recherche financée par le Consortium national de formation en santé. J’ai essayé de trouver des données pour me documenter sur l’accès des communautés francophones en milieu minoritaire aux technologies de santé. J’ai aussi tenté de voir quels étaient les profils des utilisateurs de ces technologies, et je me suis retrouvée avec des données très fragmentées. Le Nouveau-Brunswick produit des choses intéressantes, mais dans les autres provinces, je n’avais presque rien.
Actuellement, il existe très peu de choses.
J’ai été voir d’autres minorités aux États-Unis pour connaître leurs enjeux afin d’identifier des hypothèses de travail avec lesquelles je pourrais commencer à travailler. Une étude plus poussée est nécessaire pour connaître les besoins des communautés au Manitoba, en Alberta, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Ils ne sont pas les mêmes, car la géographie et le profil de la population ne sont pas les mêmes. Quelles technologies vise-t-on? Vise-t-on les soins à domicile avec des télésoins ou plutôt les maladies chroniques et leur suivi à domicile? On sait très peu de choses en ce qui concerne les besoins sur le terrain et les orientations à prendre, car développer des technologies est très coûteux. Il serait pertinent d’obtenir plus de données, par exemple sur les soins à domicile, les soins palliatifs, les traitements du cancer, les maladies chroniques, et cetera.
Par contre, on a beaucoup de données sur les déterminants sociaux de la santé en général pour les francophones. Mon collègue pourra sûrement en parler. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’usage, l’appropriation et les besoins en matière de technologie numérique de santé.
Le président : Avons-nous des données qui s’appuient sur ce que vous disiez au départ, c’est-à-dire que la communauté francophone évolue beaucoup et constamment, notamment à cause de l’immigration, ce qui fait que le profil des francophones d’aujourd’hui est très différent de ce qu’il était il y a quelques années?
Monsieur Forgues, voulez-vous prendre la parole sur cette question?
M. Forgues : Pour ce qui est des déterminants de la santé, la langue n’est pas reconnue comme un déterminant de la santé.
Le président : Devrait-elle l’être, à votre avis?
M. Forgues : Il y a des travaux qui tendent à le montrer, comme ceux de Louise Bouchard qui vont en ce sens. Les travaux récents dont je parlais tendent aussi à montrer que la langue des services serait un déterminant de la santé. On commence même à pouvoir le mesurer. Je crois qu’il y a de bons arguments qui militent en faveur de la reconnaissance de la langue comme déterminant de la santé. Il commence à y avoir des études qui le démontrent.
Le président : D’accord.
Madame Grosjean, le deuxième élément que vous avez abordé est le manque de visibilité et la fragmentation de l’offre. Vous parliez d’intégrer cette nouvelle technologie à l’intérieur des services existants et de la façon dont on peut guider le patient vers ces services. Vous nous avez peu parlé de ce que cela veut dire comme formation pour les professionnels de la santé, non seulement sur le plan linguistique, mais de l’utilisation de ces nouvelles technologies. La formation actuelle des professionnels de la santé devrait-elle être adaptée pour inclure la maîtrise de l’utilisation de nouvelles technologies?
Monsieur Forgues, a-t-on des données sur cette question des besoins spécifiques et des capacités à maîtriser ces outils?
Mme Grosjean : Il est vrai que la question de l’intégration a été soulevée par les participants à notre recherche. Il existe une crainte chez les francophones de voir une substitution de l’offre de service en présentiel par une offre de service à distance. Cela vient reconfigurer l’usage de la téléconsultation. On a fait beaucoup d’études sur ce qu’elle transforme dans la communication entre le patient et le médecin. Lors de téléconsultation, on ne peut pas toucher ni sentir. Il y a une préoccupation en ce qui concerne l’examen physique qui doit se réaliser différemment. On a travaillé avec des professionnels afin de comprendre comment ils adaptaient leur travail avec le patient, alors qu’ils ne peuvent pas le toucher, pour avoir quand même des sensations et un retour sensible et les aider dans leur raisonnement clinique.
Il y a des formations qui se mettent en place dans les facultés de médecine. L’Université d’Ottawa, depuis la pandémie, a développé un programme pour accompagner les médecins à faire de la télémédecine. Par contre, cela va au-delà des médecins. L’ensemble des professionnels de la santé d’aujourd’hui, que ce soit les infirmières, les physiothérapeutes ou les orthophonistes, est amené à utiliser ces technologies. Ces formations doivent être plus présentes dans les divers programmes d’études.
Les travaux en télémédecine le montrent, que ce soit en sociologie ou dans d’autres domaines : cela reconfigure le travail de soin. On a travaillé sur le télésuivi de patients cardiaques à domicile ou le télésuivi de traitements du cancer à domicile avec des collègues. Le travail de l’infirmière n’est plus tout à fait le même. Par exemple, pour les télésuivis de patients cardiaques, elle va recevoir beaucoup de données. Le patient devra recueillir des données chez lui. Il y a tout un travail de lecture et d’interprétation des données et de communication avec le patient par téléphone. Le travail des soins se reconfigure aussi. Il faudra accompagner les professionnels de la santé pour qu’ils transforment leur pratique de soins. Ils vont être amenés à travailler beaucoup plus avec des données. Cela fera partie des formations qu’il faudra mettre en place pour aider les professionnels à travailler avec ces données tout en offrant des soins personnalisés, adaptés et humains, parce que les données peuvent être froides, et il peut être inquiétant pour un patient de voir des lumières rouges s’allumer sur son capteur lorsqu’il ne les comprend pas. Il faudra quelqu’un, au bout du téléphone, pour expliquer que ce n’est pas grave. Ces dimensions sont aussi à travailler.
Le président : Monsieur Forgues, lors de votre déclaration liminaire, vous avez parlé d’un ensemble de facteurs qui favorisent l’offre active de services de santé en français, comme les compétences linguistiques des professionnels de la santé, les données internes sur les compétences linguistiques des employés et l’identification d’employés bilingues. Vous avez aussi parlé d’embaucher des employés bilingues. En ce qui concerne la recherche de données, est-ce que Santé Canada ou le gouvernement fédéral tiennent compte de l’ensemble de ces considérations? L’offre active est au cœur de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Considérez-vous que ces différentes considérations sont prises en compte? Sinon, avons-nous besoin de davantage de données ou de recherches pour faire valoir l’importance de ces différents facteurs?
M. Forgues : Souvent, j’utilise cette métaphore lorsque je parle de la concordance linguistique qui a des effets positifs sur la santé des patients : si c’était un médicament, il faudrait voir comment le fabriquer. On fabrique la concordance linguistique dans une organisation. Comme vous le mentionniez, il s’agit d’un ensemble de facteurs. Il faut comprendre comment on peut réunir toutes sortes d’outils à l’intérieur d’une organisation sans que la mayonnaise prenne, c’est-à-dire sans nécessairement que l’offre active se fasse. Il s’agit vraiment d’avoir une approche globale et de considérer l’ensemble de ces facteurs, mais aussi d’essayer de faire en sorte qu’il y ait une culture de l’offre active qui se développe — donc de passer de la capacité à faire de l’offre active à une volonté de faire de l’offre active. Cela renvoie à cet ensemble de facteurs qui peuvent intervenir au sein d’une organisation, en commençant par un leadership, par un signal qui est envoyé à un certain niveau.
Les hôpitaux sont gérés par les provinces. Santé Canada peut sûrement outiller les professionnels pour favoriser un travail de compréhension et de recherche afin de comprendre ce qui facilite l’offre active. Cela reste tout de même une responsabilité des provinces. C’est un leadership qui doit être exercé à l’échelle des gouvernements provinciaux, des hautes directions des régies ou des réseaux de santé. Il y a un savoir-faire à développer au sein des organisations.
Il n’y a pas de recette magique. Il n’y a pas un facteur qui l’emporte plus qu’un autre; il faut vraiment avoir une approche systémique et s’assurer qu’il y a une volonté qui s’exprime et qui s’exerce. Il faut qu’il y ait également une reconnaissance symbolique de la diversité linguistique et culturelle grâce à des gestes symboliques. Il pourrait y avoir une journée, par exemple, où l’on favorise les services en français ou la reconnaissance du fait français. Il y a des gestes symboliques qui peuvent jouer un rôle important.
Le président : Dans le contexte d’activités de socialisation et de valorisation de la langue, le secteur des arts et de la culture et les artistes dans notre communauté ont assurément un rôle important à jouer. J’apprécie votre réponse.
Je vous remercie, madame Grosjean et monsieur Forgues, pour vos interventions et vos réponses éclairantes, qui vont nous aider dans la poursuite de nos travaux.
Chers collègues, pour notre troisième partie, nous revenons au thème des communautés vulnérables.
Nous sommes heureux d’accueillir en présentiel Mme Sylvie Sylvestre, proche aidante francophone de l’Ontario.
Bonsoir et bienvenue parmi nous. Je vous remercie d’avoir accepté de venir nous rencontrer. Nous sommes prêts à entendre vos remarques liminaires. Nous procéderons ensuite à une période de questions avec les sénateurs et sénatrices.
Sylvie Sylvestre, proche aidante, à titre personnel : Je vous remercie de l’occasion de vous présenter mon témoignage comme proche aidante. Je m’appelle Sylvie Sylvestre et j’ai été proche aidante de mes parents unilingues francophones pendant 10 ans, et ce, à une distance de 200 kilomètres entre ma ville et la leur, dans le Nord de l’Ontario.
Durant ces 10 années de proche aidance, j’ai aidé mes parents à accéder à des soins primaires, des soins à domicile et des soins personnels, des services de santé mentale, des soins de longue durée et des soins palliatifs.
Pendant 7 de ces 10 années, j’ai voyagé toutes les deux fins de semaine pour m’occuper de mes parents, puisque ma mère a été en soins de longue durée pendant sept ans alors que mon père était à la maison.
Mon père a résidé en soins de longue durée pendant 10 mois, dans la même chambre que ma mère.
Je suis maintenant en post-aidance depuis un an et demi. Je dois vous avouer que l’accès aux services de santé en français pour mes parents a été très difficile et a présenté de nombreux défis.
Cela a pris beaucoup de mon énergie et de mon temps, mais je me suis dévouée pour m’assurer qu’ils aient accès à des services de santé de qualité dans leur langue maternelle, surtout lorsqu’il n’y avait pas d’offre de service active en français. Mon rôle de proche aidante a été difficile en soi, mais ajouter à tout cela la tâche d’assurer un accès aux services en français a rendu mon rôle encore plus difficile.
Mes parents étaient vulnérables et ne s’affirmaient pas; donc, j’ai été obligée de m’affirmer pour eux et de sensibiliser les professionnels de la santé à l’importance des services de santé dans leur langue maternelle et de l’offre active. Certains refusaient de me croire et continuaient de parler à mes parents en anglais, mais plus lentement, plus fort et comme à un bébé. J’ai dû changer mon vocabulaire et arrêter de dire que mes parents parlaient seulement le français, mais plutôt dire que mes parents comprenaient seulement le français.
Cela n’a pas été facile de les sensibiliser à l’importance des services en français et de l’offre active, mais quand les gens ne comprenaient pas, il m’était impossible de ne rien faire.
J’ai vécu plusieurs défis en tant que proche aidante et il y a eu plusieurs moments très difficiles. Je vous en raconte deux où j’ai vu les impacts des barrières linguistiques.
Ma mère de 75 ans est allée seule à l’urgence dans un hôpital désigné en vertu de la Loi sur les services en français de l’Ontario et elle m’a appelée ensuite en me disant : « Je suis allée pour une douleur abdominale extrême et je crois qu’on m’a dit que j’ai une infection aux oreilles. On m’a donné des médicaments, je ne sais pas quand les prendre, je ne suis pas certaine quand je dois faire un suivi avec mon médecin de famille. »
L’autre histoire a trait à mon père, quand j’ai été à son chevet lorsqu’il a été admis durant six jours dans une unité de cardiologie, encore une fois, dans un autre hôpital désigné en vertu de la Loi sur les services en français.
J’ai passé 12 à 14 heures par jour à son chevet et malheureusement, j’y ai vu l’insuffisance de services en français.
Après les deux premiers jours et après avoir tenté d’avoir des services en français — avec très peu de succès —, j’ai cessé d’en faire la demande. Je n’avais plus l’énergie de m’affirmer et de demander.
Au quatrième jour de son hospitalisation, mon père a développé un délirium : il était redevenu mécanicien dans son garage et tentait de quitter les lieux, parce qu’il devait aller réparer un poids lourd en panne sur le bord d’un chemin. Je tentais de le garder dans sa chambre. Je devais gérer la situation en interprétant pour le personnel. J’étais épuisée. On m’a offert de l’attacher dans son lit. Cela a été difficile, mais j’ai accepté qu’on lui place un bracelet de protection afin que les portes des ascenseurs se verrouillent s’il tentait d’y entrer. En soirée, j’étais vraiment épuisée; je devais aller me reposer, donc je n’ai pas eu d’autre choix que de demander au personnel qu’on l’attache à son lit.
Tous les soirs, pendant six jours, avant de partir pour la nuit, je m’assurais qu’il y avait du personnel francophone, parce qu’il n’était pas toujours jumelé à du personnel francophone. À la sixième journée de son hospitalisation, une gériatre est venue l’évaluer, parce que depuis quatre ou cinq jours, on lui avait diagnostiqué la maladie à corps de Lewy, qui est une forme de trouble neurocognitif. Avec mon appui en matière d’interprétation, le diagnostic a été écarté. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres pendant une période de 10 ans.
J’aurais eu besoin d’être sensibilisée, non pas par moi-même, mais par les autres, sur l’importance des services en français, de l’offre active, de capter l’identité linguistique de mes parents et d’avoir un continuum de soins en français. Évidemment, j’aurais eu besoin de personnel francophone, ce qui est de plus en plus un défi. Merci d’avoir écouté mon témoignage. J’en suis vraiment reconnaissante.
Le président : Merci beaucoup, madame Sylvestre. C’est nous qui sommes reconnaissants. Nous vous remercions de votre générosité, de votre courage et de votre sens de l’engagement envers vos parents. Au-delà des questions linguistiques, vous êtes une personne très inspirante. Merci d’être avec nous. Nous allons commencer notre période d’échanges avec les sénatrices.
Sénatrice Mégie, la parole est à vous.
La sénatrice Mégie : Merci, madame Sylvestre, pour votre témoignage très touchant. Vous savez, vos parents auraient fait partie de ma clientèle au temps où je pratiquais la médecine. Je comprends ce que vous venez de nous raconter.
Je vais vous poser une question concernant le besoin d’interprétation. Un médecin du Manitoba que nous avons rencontré le 6 mai dernier nous disait que le fait que les proches aidants jouent le rôle d’interprète sans avoir les compétences requises peut être une source d’erreur, d’omission ou de stress. Avez-vous suivi une formation d’interprète, ou pensez-vous que ce serait intéressant d’en avoir une et que cela aurait diminué votre épuisement?
Mme Sylvestre : Je n’ai pas de formation d’interprète ni de formation en santé. Je connais maintenant davantage les risques auxquels j’ai exposé mes parents quand j’agissais à titre d’interprète. Premièrement, il n’y avait pas de confidentialité quand je les accompagnais. Peut-être que mon père aurait voulu dire des choses qu’il n’a pas dites parce que sa fille était là.
Est-ce que j’ai bien interprété? Je me pose des questions. Je me souviens que j’avais 16 ans la première fois que j’ai accompagné ma mère pour lui servir d’interprète; je me sentais intelligente. Ma mère me disait : « J’ai mal aux reins. » J’ai dit au médecin : « Her kidneys hurt. » Je comprends maintenant que c’était une erreur.
Est-ce que j’ai fait d’autres erreurs sans m’en rendre compte? Maintenant, je réalise l’importance de ne pas être interprète, mais d’avoir recours à des interprètes formels. Il y aurait eu de la confidentialité avec l’interprétation, comme mes parents l’auraient souhaité. Souvent, j’interprétais et je disais que mon père disait ceci et que moi j’ajoutais cela. Donc, j’ajoutais ma perception et j’imagine que lui ne comprenait rien. Je n’étais pas juste envers lui non plus lorsque j’ai adopté ce genre de comportement.
La sénatrice Mégie : J’ai vu que vous aviez eu beaucoup de déplacements à faire. Sentiez-vous que vos parents étaient deux fois plus épuisés qu’avant le départ lorsqu’ils arrivaient dans le bureau du médecin? Est-ce que cela aurait pu teinter la relation médecin-patients ou les réponses qu’ils donnaient au médecin? Avez-vous perçu cela?
Mme Sylvestre : Non, pas nécessairement. Pas de mes parents. Je dois dire que oui, c’était exigeant, parce qu’à Chapleau nous avons été pendant six ou sept ans sans médecin de famille et nous n’avions que des médecins suppléants. Cela a été difficile.
Ensuite, pour mes déplacements, je gardais environ la moitié de mes vacances par année pour leurs rendez-vous médicaux, parce que je devais soit conduire 200 kilomètres et les ramener à Timmins, soit conduire 200 kilomètres et les ramener ensuite 400 kilomètres plus loin à Sudbury pour aller consulter une gamme de spécialistes. C’est beaucoup.
Je n’ai pas vu leur épuisement ou leur réticence, mais plutôt la mienne.
La sénatrice Mégie : On parle beaucoup de télémédecine. Pensez-vous que cela aurait pu vous aider, a posteriori, dans les démarches avec vos deux parents?
Mme Sylvestre : Cela a aidé. Mon père était un fan de télémédecine, surtout en hiver. Lorsqu’il n’avait pas à voyager, il disait : « Oh! Wow! Je suis allé et j’ai pris une demi-heure de mon temps aujourd’hui plutôt qu’une journée et demie. » Mais ce n’était pas garanti que les spécialistes qu’on voyait étaient francophones. Je devais quand même me déplacer pour agir comme interprète, ce que je n’aurais pas dû faire, ou m’assurer que la personne qui l’accompagnait en télémédecine était une infirmière francophone. Je devais toujours m’en assurer.
La sénatrice Mégie : Merci.
La sénatrice Moncion : Merci de votre témoignage. Je pense que ce sont des choses que l’on vit, surtout dans le Nord de l’Ontario, car les distances sont grandes; de Chapleau à Timmins, c’est 200 kilomètres, vers Sault-Sainte-Marie, c’est 300 kilomètres, et vers Sudbury, c’est 400 kilomètres.
Vous avez parlé des risques associés à l’interprétation. Quelles sont les autres leçons que vous avez apprises en étant une proche aidante à distance?
Mme Sylvestre : C’est de prendre soin de moi. J’ai dû faire un burn-out et prendre quatre mois de congé pour remettre mes pendules à l’heure et changer un peu ma façon de faire. J’y allais quand même toutes les deux fins de semaine, mais j’ai appris que je ne pouvais pas y passer des semaines entières, parce que c’était pire pour moi. Quand j’étais à Chapleau, je les visitais trois fois par jour pendant une semaine, ce qui était beaucoup plus épuisant que de faire la route de 200 kilomètres la fin de semaine et revenir. Avant la pandémie, je sortais ma mère des soins de longue durée et je la ramenais à la maison avec la famille. J’ai dû apprendre en faisant un burn-out. J’ai appris à m’affirmer quand je voyais certains membres du personnel avec une insécurité linguistique. J’avais demandé spécifiquement des soins à domicile en français.
Finalement, on avait embauché une personne bilingue. Je me déplace, j’arrive à la maison pour la première visite. Elle arrive, elle entre, elle me parle en anglais. Je dis : « On m’a dit que tu étais bilingue. » Elle me dit : « Oui, mais je me sens plus à l’aise en anglais. » Je lui réponds: «Non, non. Mon père est ici et il doit faire partie de la conversation, on se parle en français. » Parfois, c’était difficile pour moi de m’affirmer, mais je le faisais pour mes parents. Lorsqu’il n’y avait pas d’offre, je demandais le service. C’est difficile, mais j’en ai vu plusieurs qui ne le demandaient pas.
La sénatrice Moncion : D’autres risques étaient associés au fait que vous vous déplaciez dans le Nord en hiver. Il y a quand même des risques associés à la température. J’imagine que vous ne voyagiez pas lorsqu’il neigeait ou lorsqu’il y avait verglas?
Mme Sylvestre : Non, et je ne voyage pas la nuit, ce qui fait que l’hiver, les fins de semaine étaient très courtes. C’était difficile de ramener ma mère plus tôt à la résidence. Je devais partir plus tôt pour arriver avant la noirceur.
La sénatrice Moncion : Est-ce que vous avez eu accès au dédommagement offert aux patients qui doivent se déplacer dans le Nord?
Mme Sylvestre : J’en ai entendu parler.
La sénatrice Moncion : Le dédommagement n’est probablement pas pour tous, mais je sais que lorsqu’un patient part du Nord pour se faire soigner à l’extérieur de sa région, des fonds sont disponibles. Vous me dites que vous n’êtes pas au courant qu’il y avait des fonds?
Mme Sylvestre : Vous parlez de la subvention pour les déplacements?
La sénatrice Moncion : Oui.
Mme Sylvestre : Oui, je suis au courant, mais je crois que les fonds étaient alloués au patient plutôt qu’au proche aidant.
La sénatrice Moncion : Ce que l’on remarque, c’est que lorsque c’est le conjoint qui est proche aidant, il va y laisser sa santé en s’occupant de la personne malade. Dans votre cas, c’est vous qui y avez laissé votre santé pendant un certain temps.
Mme Sylvestre : En fait, mon père prenait aussi soin de ma mère avant qu’elle soit admise aux soins de longue durée. En trois semaines, ma mère est passée des soins aigus, aux soins de répit, aux soins de longue durée. J’allais la visiter moins souvent à ce moment-là.
Je ne voyais pas l’impact de tout cela jusqu’au jour où mon père a fait un burn-out. À l’âge de 79 ans, il continuait de travailler à temps plein comme mécanicien et il prenait soin de ma mère, qui se levait souvent la nuit. Elle ne prenait pas adéquatement ses médicaments pour le Parkinson; elle a commencé à chuter de plus en plus et à se blesser.
C’est à ce moment-là que j’ai reçu l’appel de l’infirmier praticien qui m’a dit : « Sylvie, ta mère ne ressort pas. Ta mère s’en va aux soins de longue durée. Ton père vient de faire un burn-out lui aussi. »
La sénatrice Moncion : C’est une histoire que je connais. Merci, madame Sylvestre, et bravo pour votre courage.
Mme Sylvestre : Merci.
La sénatrice Clement : Madame Sylvestre, je vais dire comme monsieur le président : vous êtes inspirante. Tout votre témoignage résume exactement ce que nous avons entendu pendant notre étude sur le manque d’offre active, la fragmentation de l’offre et l’épuisement des familles.
À un certain moment, vous avez dit ceci : « Je ne demande plus rien, parce que je n’ai plus d’énergie. » Tout cela est très représentatif des témoignages que nous avons entendus.
Mon papa a 102 ans. C’est très beau, mais la responsabilité tombe beaucoup sur les épaules de ma sœur, qui vit à Montréal. C’est difficile pour elle, c’est difficile pour toute la famille. Donc, je vous remercie de votre témoignage.
J’ai deux questions. Vous avez donné des entrevues dans les médias parce que vous êtes très éloquente. Ces entrevues et votre désir de conscientiser les gens, est-ce que cela a mené à quelque chose?
Mme Sylvestre : Je n’ai pas réalisé l’ampleur de mon témoignage lors de ma première entrevue avec Radio-Canada, où on est venu passer cinq heures avec ma mère, mon père et moi. Je connaissais l’importance des témoignages et des histoires de patients, mais je n’ai pas réalisé l’ampleur de tout cela jusqu’à ce que ce reportage soit diffusé. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, je rencontrais des gens dans la rue et on me donnait des câlins. Les gens me disaient que mon témoignage les avait touchés. On me disait : « Moi aussi, je vis cela. J’ai besoin de te parler. Peux-tu venir prendre un café? J’ai besoin de tes conseils. »
J’ai réalisé l’importance de mon témoignage et avec le temps, j’ai continué à faire des témoignages et des entrevues avec Radio-Canada. J’ai commencé à faire des présentations comme proche aidante, dont une à l’Université de Hearst, et aujourd’hui je suis ici.
La sénatrice Clement : Cela nous donne des pistes de solution pour identifier les besoins et aider les gens.
Cela m’amène à ma deuxième question, qui concerne les services en français pour les proches aidants. Est-ce qu’il existe des réseaux d’aide en français pour vous? Et pour les gens qui vous donnaient des câlins dans la rue, est-ce qu’il y a des réseaux francophones pour les soutenir?
Mme Sylvestre : Il y en a très peu. Souvent, on va offrir des groupes de soutien bilingues, alors qu’on sait qu’un groupe de soutien bilingue devient très vite un groupe de soutien en anglais. Je mettrais cela de côté, parce que ce n’est pas pour moi.
J’ai travaillé avec Conseil des familles Ontario pour les conseils de famille de soins de longue durée. Au début de la pandémie, il y avait des forums de famille virtuels; j’ai assisté au premier, et on était quatre à travers la province. Je me suis inscrite au deuxième, il a été annulé parce que j’étais seule. La même chose s’est produite pour le troisième et le quatrième; j’étais seule et il a encore été annulé.
On m’a approchée et on m’a demandé : « Si on te donne du soutien, est-ce que tu voudrais créer un réseau en français? » Quatre ans plus tard, je préside toujours le Réseau francophone des Conseils de familles Ontario. On est un petit groupe, avec une vingtaine de membres. On se rencontre tous les mois et on s’entraide avec nos conseils de familles.
Je continue à siéger au conseil de famille à la résidence Bignucolo, à Chapleau, à titre de présidente sortante. Cela me donne deux fois plus de travail, parce que je tiens à avoir une rencontre en anglais et une en français. Je ne veux pas de rencontres bilingues, qui prennent deux fois plus de temps ou qui deviennent des rencontres en anglais seulement.
J’ai eu accès aux services de la Société Alzheimer dans ma ville, à Timmins, où j’ai reçu des services en français. J’ai eu accès aux services d’un travailleur social anglophone, mais parce que j’en avais besoin, j’ai eu ce choix à faire.
La sénatrice Clement : Merci pour votre témoignage.
Le président : Merci. En vous écoutant, je me dis que vous avez pris sur vos épaules de grandes responsabilités pour que vos parents aient accès à des soins de santé adéquats. Vous avez assumé ces responsabilités au détriment de votre propre santé.
Dans le contexte du gouvernement fédéral, sachant que les services sont dispensés par les provinces, qu’est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour aider les personnes aidantes comme vous, à votre avis?
Il y a le Centre canadien d’excellence pour les aidants, qui a proposé de définir une stratégie nationale pour les aidants et de prévoir des crédits d’impôt pour reconnaître ce travail.
Est-ce que c’est une bonne idée, à votre avis? Est-ce que l’idée d’une stratégie nationale qui permet de reconnaître les aidants naturels, de définir leurs besoins et de favoriser la possibilité que les provinces et les territoires puissent leur donner des ressources pourrait être un moyen de contribuer à l’amélioration de la situation des aidants naturels comme vous?
Mme Sylvestre : Tout à fait, oui. Nous avons besoin d’une stratégie nationale pour jouer un rôle de leadership et pour travailler en partenariat avec les provinces et les territoires pour faire avancer les choses. Moi aussi, j’ai besoin d’offre active comme proche aidante, parce qu’on ne voyait pas ce que j’avais dans mon assiette, et j’en avais beaucoup. Oui, tout à fait.
Le président : Si vous deviez énumérer les trois choses les plus importantes pour vous dans cette stratégie qui vous auraient considérablement aidée, quelles seraient-elles?
Mme Sylvestre : Pour moi, il s’agit de revenir à la sensibilisation des professionnels de la santé quant à l’importance du rôle que tous doivent jouer, qu’on soit francophone ou non. Qu’est-ce qu’on peut faire? Cela peut être aussi simple que de porter l’épinglette « je parle français » ou d’avoir de l’affichage lorsqu’on entre dans un établissement afin que l’on ressente une culture organisationnelle bilingue. J’aurais été beaucoup plus à l’aise avec cela plutôt que de me faire accueillir avec mon père et qu’on l’appelle ainsi : « Roger Sylvester, it’s your turn. » Qu’est-ce que c’est, cela?
L’idée, c’est de demander à quelqu’un quelle est sa langue maternelle et dans quelle langue officielle du Canada il est le plus à l’aise de recevoir des services. Moi, en tant que proche aidante, je suis plus à l’aise de recevoir mes services en français et de communiquer avec d’autres proches aidants francophones. Cela prend beaucoup de sensibilisation à cet effet pour arrêter de penser : « C’est à toi de demander » et de me faire blâmer. Je me souviens d’une fois où l’on m’a donné un formulaire. C’est mon père qui devait le signer. J’ai dit non et j’ai dit que j’avais besoin du formulaire en français. Je savais que j’étais dans un établissement désigné, en plus. Je me suis fait blâmer : « Mais tu avais l’air pressée. » Est-ce qu’on m’a vue marcher avec ma mère? Je dois la tenir et elle se déplace avec une marchette. Je ne suis jamais pressée. On m’a fait sentir coupable d’avoir demandé. S’il y avait une offre active, je n’aurais pas eu cette culpabilité-là.
La sénatrice Moncion : J’ai une question sur le travail que vous faites en ce moment à l’échelle de la province. C’est du bénévolat?
Mme Sylvestre : Oui, c’est du bénévolat.
La sénatrice Moncion : Vous êtes très altruiste, même au-delà de vos devoirs.
J’aimerais vous entendre sur le fait — et je reviens à la question que je vous ai posée tout à l’heure — que les aidants naturels n’ont aucune compensation et que les gouvernements bénéficient du fait que le fardeau de plusieurs rendez-vous médicaux est assumé par les familles, et non pas par le système de santé. Cela fait qu’il n’y a pas de statistiques qui sont recueillies par rapport à cela et qu’il n’y a pas de services offerts. J’aimerais vous entendre sur le fardeau financier que cela représente.
Mme Sylvestre : Pour moi, il n’y a pas eu de fardeau financier, sauf pour mes vacances. Je m’assurais de garder la moitié de mes vacances pendant l’année pour mes parents. Cela a été le burn-out, évidemment. Du côté financier, quand j’ai fait un burn-out, je ne gagnais pas le même salaire qu’avant, évidemment. Il y a eu ce côté-là, mais financièrement, cela se passe bien.
Pour mes parents, cela se passait bien financièrement aussi. Je n’ai pas eu à débourser quoi que ce soit pour eux. Le montant de 2 500 $ par personne par mois pour les soins de longue durée, qui est ce qu’on donnait pour la subvention de voyage, cela aidait un peu. Cela n’aidait pas à 100 %, mais cela convenait à mes parents.
Oui, il y a eu des effets. Je l’ai moins ressenti, mais je peux le voir dans mon entourage. Il y avait seulement 25 résidants à la résidence, donc on se connaît et on se parle, que ce soit dans la salle à manger, dans le stationnement ou avec un café. J’ai vu que certaines personnes avaient beaucoup plus de défis que moi sur le plan financier et elles ne pouvaient pas toujours se permettre de prendre des congés, comme j’ai pu le faire. J’ai eu beaucoup de soutien de la part de mon employeur pendant toute cette période.
La sénatrice Moncion : Mon autre question porte sur les services d’inspection. Est-ce qu’il y avait des inspecteurs qui passaient pour vérifier la qualité des services offerts en français? Avez-vous eu à répondre à des sondages par rapport au travail qui se faisait avec vos parents?
Mme Sylvestre : Pour les inspections, je suis au courant, parce qu’avec le Conseil des familles, c’est toujours un sujet à l’ordre du jour. Nous avons les résultats, mais ils portaient sur la qualité des soins et la sécurité, malheureusement pas sur les services en français, qui font pourtant partie de la sécurité et de la qualité. Par contre, je dois dire que j’ai fait des plaintes, que ce soit aux organismes eux-mêmes ou aux commissaires aux services en français, mais j’ai aussi fait des compliments, car cela devient très lourd parfois. C’est lourd pour moi, mais pour eux aussi de recevoir seulement des plaintes. Je m’assurais, quand il y avait de bons coups, de les partager.
La sénatrice Moncion : Vous avez parlé du temps de la COVID. Vos parents étaient-ils là pendant la COVID?
Mme Sylvestre : Ma mère était en soins de longue durée pendant la COVID.
La sénatrice Moncion : Quelle était la qualité des services qu’elle a reçus pendant cette période?
Mme Sylvestre : Je ne pouvais pas entrer, donc je ne pouvais pas voir. On m’a offert des séances avec elle tous les jours, un petit 15 minutes. Je pouvais la voir dans la salle d’activité accompagnée d’une étudiante qui parlait français. J’aurais voulu être l’étudiante, parce que c’est elle qui lui jouait dans les cheveux et qui la dorlotait. C’était mon rôle. Je leur disais toujours : « Donnez-moi la même formation que l’étudiante pour que je puisse m’occuper de ma mère », mais c’était impossible d’entrer. C’est passé de la séance virtuelle à une visite dehors à sa fenêtre, puis à une visite où on l’a amenée dans la cour intérieure. Mon père, mon frère et moi étions dehors de l’autre côté de la clôture, jusqu’à ce que je puisse entrer dans la cour intérieure, mais je ne pouvais pas la toucher. Ma mère avait tendance à glisser. Je devais appeler sur mon téléphone cellulaire et demander qu’on envoie quelqu’un pour remonter ma mère toutes les cinq minutes pendant une demi-heure. Cela a été une progression, jusqu’au point où j’ai pu rentrer avec mon père. Nous avons reçu une formation — je dois dire que c’était une formation de 15 minutes — sur le lavage des mains, la désinfection de ce que nous avions touché et le port du masque et de la visière. On nous avait mal conseillés; on nous avait dit : « Vous ne pouvez pas toucher votre mère. » C’était difficile de voir mon père pleurer parce qu’il ne pouvait pas la toucher.
Le président : Merci. S’il n’y a pas d’autres questions, madame Sylvestre, nous vous remercions de votre générosité et de votre témoignage. Je suis certain qu’il y a beaucoup de Canadiens et Canadiennes qui apprécient que vous ayez partagé votre réalité avec nous. Nous allons tenir compte de vos commentaires et de vos réflexions dans l’élaboration de notre rapport. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)