LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 18 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 h 59 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis actuellement président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
[Traduction]
Avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les directives à suivre afin d’éviter les incidents de rétroaction audio. Veuillez garder votre oreillette loin de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la vers le bas sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Je vous remercie tous de votre coopération.
[Français]
J’aimerais maintenant inviter les membres du comité autour de la table à se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Bienvenue, chers collègues.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue, ainsi qu’à tous les téléspectateurs au pays qui nous regardent. J’aimerais souligner que nous participons à cette réunion depuis le territoire non cédé de la nation algonquine anishinaabe.
[Français]
Ce soir, pour notre dernière séance portant sur notre étude des services de santé dans la langue de la minorité, nous accueillons des organismes qui sont en mesure de parler du thème de la recherche et des données probantes, qui est l’un des sept thèmes de notre étude.
[Traduction]
Nous accueillons en personne M. Christian Baron, vice-président des Programmes de recherche aux Instituts de recherche en santé du Canada. Bienvenue, monsieur.
[Français]
Nous accueillons également par vidéoconférence Isabelle Giroux, coresponsable du Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire de l’Université d’Ottawa. Bienvenue, madame Giroux.
Merci à tous les deux d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant nous. Nous sommes maintenant prêts à entendre vos remarques liminaires. Elles seront suivies d’une période de questions de la part des sénatrices et sénateurs.
[Traduction]
Monsieur Baron, vous avez la parole.
[Français]
Christian Baron, vice-président à la recherche — Programmes, Instituts de recherche en santé du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Dans un premier temps, je tiens à remercier le comité de l’invitation à comparaître ici aujourd’hui. Je suis vraiment honoré d’avoir la possibilité de soutenir vos travaux très importants sur le soutien aux personnes qui vivent dans un contexte linguistique minoritaire.
[Traduction]
Comme vous le savez sans doute, les Instituts de recherche en santé du Canada, ou les IRSC, sont l’organisme de financement de la recherche en santé du gouvernement fédéral. Ils encouragent l’essor du milieu en finançant et appuyant chaque année jusqu’à 16 000 chercheurs et stagiaires de calibre mondial. Les IRSC font preuve d’excellence dans tous les grands thèmes de la recherche en santé, soit la recherche biomédicale, la recherche clinique, la recherche sur les services de santé et la recherche sur la santé des populations.
La majeure partie du financement des IRSC est consacrée à des recherches menées à l’initiative des chercheurs par l’entremise du programme phare de l’organisme — le Programme de subventions Projet —, dans le cadre duquel les chercheurs peuvent proposer un projet dans un domaine de leur choix ayant trait à la santé.
En ce qui concerne la discussion d’aujourd’hui, les IRSC reconnaissent qu’il convient de relever les défis particuliers auxquels sont confrontés les Canadiens vivant dans des communautés linguistiques minoritaires. C’est pourquoi ils soutiennent des investissements ciblant les communautés de langue officielle en situation minoritaire, ou CLOSM, qui visent à mieux comprendre les enjeux de santé touchant les populations canadiennes francophones ou anglophones en situation minoritaire. En fait, les IRSC investissent 3 millions de dollars sur 6 ans pour financer deux équipes dirigées par des chercheurs d’une CLOSM — soit une équipe dans une communauté francophone hors Québec et une autre dans une communauté anglophone au Québec — dans le but de produire des connaissances et ainsi mieux comprendre les problèmes de soins de santé touchant les minorités de langue officielle au Canada.
Ces équipes devraient, par des recherches concertées, approfondir les connaissances sur ces problèmes et ainsi en accélérer la résolution. L’investissement favorisera les collaborations qui établissent et renforcent la conception conjointe...
Le président : Excusez-moi, monsieur Baron. Puis-je vous demander de ralentir un peu pour que nous soyons sûrs que l’interprétation fonctionne bien?
M. Baron : Je le peux certainement.
L’investissement favorisera les collaborations qui établissent et renforcent la conception conjointe et les partenariats entre les chercheurs et les communautés en situation minoritaire; facilitera, à l’aide d’activités de mobilisation des connaissances, la prise en compte de données probantes pour orienter les politiques et les programmes de santé; et développera la capacité de recherche par la création d’un milieu de formation de qualité pour les stagiaires et les chercheurs en début de carrière.
[Français]
En outre, les IRSC ont profité de leurs quatre derniers concours de subventions Projet pour inviter des chercheurs à soumettre leurs propositions de recherche portant en priorité sur la santé dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Parmi les projets proposés, je citerais par exemple celui mené par la Dre Lise Bjerre, de l’Institut du Savoir Montfort d’Ottawa, dont l’équipe de recherche s’emploie à comprendre les difficultés pour les francophones du Nord de l’Ontario à obtenir des soins de santé en français. En plus de nous aider à faire la lumière sur cet enjeu important, ce projet pourrait déboucher sur la création d’une carte interactive des fournisseurs de soins de santé qui offrent des services en français dans le Nord de l’Ontario.
De plus, les IRSC réitèrent leur engagement à l’égard de la recherche axée sur le patient, leurs soignants et leur famille en tant que partenaires dans le processus de recherche. Par exemple, par leur Stratégie de recherche axée sur le patient, les IRSC épaulent le Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du nord, qui s’emploie à répondre aux besoins des communautés du Nord de l’Ontario, particulièrement les communautés rurales, autochtones et francophones. Le centre a récemment réalisé des projets visant à combler les besoins d’immigrants francophones, comme la création d’un outil à l’intention des fournisseurs de soins pour faciliter les interactions avec les immigrants francophones.
Outre les investissements ciblés dans la recherche, les IRSC s’emploient à promouvoir l’inclusion et l’avancement des groupes sous-représentés en science comme moyen de rehausser le niveau d’excellence en recherche, en formation et en mobilisation des connaissances.
Ils appliquent une série de mesures pour s’acquitter de leurs obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles, notamment des mesures propres à assurer l’accès équitable des chercheurs en santé aux programmes et aux services des IRSC, et ce, dans la langue officielle de leur choix.
Par exemple, les IRSC ont mis en place des mesures de rééquilibrage dans leurs concours de subventions Projet pour veiller à ce que la proportion des subventions accordées aux demandes rédigées en français soit au moins égale à celle des demandes présentées en français. Ils ont aussi pris des dispositions pour renforcer leur capacité d’évaluer les demandes dans les deux langues officielles, en faisant traduire les documents d’évaluation par les pairs et en mettant en œuvre une stratégie de recrutement ciblée afin d’accroître le nombre de pairs qui sont en mesure d’évaluer des demandes en français.
Ce sont là seulement quelques-unes des mesures que les IRSC ont prises pour honorer leur engagement indéfectible à servir les acteurs du milieu de la recherche dans la langue officielle de leur choix.
Bref, par la recherche qu’ils financent, la mobilisation des connaissances, les partenariats de collaboration et l’amélioration de leurs politiques et procédures de financement, les IRSC favorisent l’évolution vers un système de santé plus équitable et plus inclusif pour l’ensemble de la population canadienne.
Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre aux questions du comité.
Le président : Merci beaucoup, monsieur. La parole est à vous, madame Giroux.
Isabelle Giroux, coresponsable du Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire, Université d’Ottawa, à titre personnel : Bonjour et merci. Les membres du Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire de l’Université d’Ottawa — aussi connu sous le nom de GReFoPS — sont très reconnaissants de votre écoute concernant les résultats émanant de la recherche et des données probantes au sujet des services sociaux et de santé offerts aux communautés francophones en situation minoritaire — ou CFSM — canadiennes.
Les sept éléments principaux que nous voulons porter à votre attention sont les suivants.
Premièrement, l’offre active de services sociaux et de santé dans les langues officielles, dont le français, augmente la qualité et la sécurité des services sociaux et de santé pour les Canadiens, y compris celles et ceux qui sont issus des CFSM. L’offre active, c’est :
[...] une invitation [...] à s’exprimer dans la langue officielle de son choix. L’offre de parler dans la langue officielle de son choix doit précéder la demande de service.
Il s’agit aussi de veiller par la suite à assurer la continuité des services dans la langue officielle de préférence.
Je vais sauter certains sous-éléments en raison du temps qui m’est alloué. Toutefois, je serai ravie d’y revenir par la suite.
Le manque d’offre active contribue à réduire la qualité, mais aussi la sécurité des services sociaux et de santé, puisqu’il peut mener à des difficultés et à des bris de communication, à une mauvaise évaluation des besoins, à des diagnostics erronés, à des différends et des conflits, à des erreurs médicales, à l’incapacité à pouvoir fournir un consentement éclairé, à des complications de l’état de santé, etc.
Deuxièmement, les Canadiens des communautés francophones en situation minoritaire ont besoin d’offre active pour se prévaloir de leur droit d’accès à des services sociaux et de santé dans la langue officielle de leur choix, puisque les résultats de la recherche montrent que, malgré les besoins, les individus des CFSM n’ont pas tendance à demander des services en français pour plusieurs raisons qui ont été bien documentées, dont la gêne, l’insécurité linguistique, la crainte de paraître exigeant, la peur de devoir attendre plus longtemps, la peur que les services ne soient pas de bonne qualité, l’anxiété et j’en passe.
Troisièmement, l’offre active de services sociaux et de santé dans les langues officielles est une compétence, donc son apprentissage doit inclure l’acquisition de connaissances — soit les savoirs —, le développement d’habiletés pratiques — comme le savoir-être, savoir-faire, savoir agir — et la mise en pratique progressive permettant d’utiliser son jugement dans son application. Nos travaux ont permis d’identifier 21 indicateurs de compétence essentiels de l’offre active de services sociaux et de santé en français pour appuyer l’apprentissage et permettre l’évaluation formative de futurs professionnels dans le cadre d’activités d’apprentissage simulées.
L’offre active de services en français est une compétence complexe qui doit être enseignée, pratiquée et évaluée dès les premières années de formation des futurs professionnels des services sociaux et de santé, afin qu’ils puissent progressivement apprendre à adopter les divers comportements d’offre active pour augmenter leur niveau de confiance en ces habiletés.
Quatrièmement, selon nous, la formation expérientielle à la compétence de l’offre active avec une approche de collaboration interprofessionnelle est efficace pour augmenter la compétence des prestataires francophones, anglophones et allophones, dont les professionnels futurs et actuels, afin que ces derniers adoptent une approche inclusive de tous les prestataires de services sociaux et de santé. Nous croyons que la bonification de la formation à l’offre active des professionnels futurs et actuels dans les milieux de formation et de pratique aura un effet boule de neige et permettra d’augmenter l’accès des membres des CFSM à des soins sécuritaires et de qualité.
Cinquièmement, la pénurie de professionnels de services sociaux et de santé bilingues pourrait être comblée par un meilleur appui à des programmes de formation offerts en français en contexte minoritaire aux futurs professionnels, qui ont bien peu de ressources pour appuyer la formation de qualité — y compris la formation expérientielle — des étudiants issus des CFSM.
Sixièmement, la langue étant un déterminant important de la santé des Canadiens, une approche proactive fournissant aux établissements de formation et de soins les ressources nécessaires à la mise en place de l’offre active et de stratégies efficaces pour augmenter la performance des systèmes de santé à l’endroit des CFSM permettrait d’augmenter l’équité d’accès à des soins sécuritaires et de qualité pour les Canadiens, tout en réduisant les frais associés à ces services. Cela inclut la mise en œuvre de la formation expérientielle progressive à l’offre active dans les programmes de formation initiale et assurant la formation continue des prestataires de services sociaux et de santé, ainsi que l’évaluation de ses retombées. Cela inclut également l’intégration de cette compétence essentielle pour les Canadiens dans le programme de formation obligatoire des disciplines relatives aux services sociaux et de la santé, qui est régi par les organismes de réglementation professionnelle des services sociaux et de santé, ainsi que les normes nationales d’agrément des programmes de formation de ces professionnels. J’y reviendrai. Vous avez les résultats du plaidoyer en main.
Septièmement, il est nécessaire d’appuyer la recherche multiannées sur l’offre active au bénéfice des CFSM avec davantage de ressources. Ceci permettrait d’évaluer la mise en œuvre de la formation expérientielle à la compétence de l’offre active et des retombées de la formation des professionnels futurs et actuels des milieux de formation dans les universités et les collèges et dans les milieux de pratique des services sociaux et de santé pour les bénéficiaires, ainsi que la collaboration et le partage national des meilleures pratiques de formation à l’offre active et d’évaluation des retombées de formation, tant pour les anglophones et les allophones que pour les francophones. Ceci permettrait d’adopter une approche plus concertée et efficace.
Il faudrait aussi considérer qu’il y a 20 % de plus de mots en français qu’en anglais. Les organismes subventionnaires devraient donc non seulement donner assez de subventions pour la recherche sur les CFSM, mais également inclure 20 % plus de places pour les demandes de financement soumises en français, sans parler de l’appui aux évaluations par les pairs qui comprennent la réalité des CFSM. Cela permettrait aux chercheurs en services sociaux et de santé des CFSM de soumettre leurs demandes de financement en français.
En somme, ces sept éléments montrent qu’il faut assurer un meilleur appui et accorder plus de ressources en services sociaux et de santé aux membres des CFSM au Canada.
Nous espérons que ces résultats serviront de recommandations au gouvernement fédéral sur les mesures à prendre pour rehausser la qualité et la sécurité de la prestation des services sociaux et de santé en français pour les CFSM du Canada. N’hésitez pas à nous dire si vous voulez plus d’information sur ces éléments ou sur d’autres aspects liés à la situation des CFSM. Merci beaucoup.
Le président : Merci de cette présentation, madame Giroux. Nous allons maintenant passer à la période des questions des sénateurs et sénatrices.
Je donne d’abord la parole à la sénatrice Moncion, qui sera suivie de la sénatrice Mégie. Vous avez amplement de temps pour poser vos questions.
La sénatrice Moncion : Ma première question s’adresse à vous, monsieur Baron. Vous avez mentionné, en parlant des recherches en français, que vous avez des demandes et que vous voulez offrir un accès équitable aux recherches en français et en anglais.
Lorsqu’un chercheur présente sa demande, c’est-à-dire lorsqu’il présente les résultats de sa recherche, est-ce qu’il les présente en français, ou doit-il les présenter dans un format bilingue?
M. Baron : Merci de cette question. C’est le choix des chercheurs de présenter soit en anglais, soit en français. On laisse le libre choix aux chercheurs. Comme je l’ai mentionné brièvement dans mon allocution, les demandes sont traduites pour que tous les membres d’un comité de pairs qui évaluent les demandes de subvention puissent bien les comprendre. Notre but est que, indépendamment de la langue choisie pour la présentation des résultats de recherche, elle soit évaluée de façon équitable. Nous voulons que l’excellence de la recherche et son impact soient évalués de la même façon, même si les membres du comité d’évaluation ne sont pas tous bilingues.
La sénatrice Moncion : Je vais aller plus loin avec ma question. Si, par exemple, un chercheur présente sa demande ou les résultats de sa recherche en français, allez-vous faire traduire — j’imagine — les résultats de la recherche, ou allez-vous les conserver dans leur intégralité en français?
M. Baron : Merci pour cette excellente question. Aux IRSC, puisque l’évaluation des demandes de subvention est très importante, nous prenons plusieurs mesures pour nous assurer de la qualité de la présentation.
Dans un premier temps, comme Mme Giroux l’a souligné, nous donnons 20 % de plus d’espace pour que les chercheurs francophones puissent présenter leurs demandes de la même façon, étant donné que le français écrit prend plus de place. De plus, nous faisons traduire les demandes pour les membres du comité des pairs qui ne sont pas capables d’évaluer des demandes en français. Troisièmement, nous avons fait des efforts importants pour faire en sorte que la traduction devienne de moins en moins nécessaire. Nous avons établi une stratégie de recrutement d’évaluateurs pour que 25 % au moins des membres du comité des pairs soient en mesure d’évaluer les demandes en français sans avoir recours à la traduction. Or, la réalité canadienne, c’est que ce n’est pas tout le monde qui est bilingue. Pour les autres chercheurs qui évaluent les demandes, nous les faisons traduire pour qu’ils puissent effectuer l’évaluation de la bonne façon.
Le président : Madame Giroux, vouliez-vous intervenir sur cette question de la sénatrice Moncion?
Mme Giroux : Je salue les IRSC pour les 20 % d’espace supplémentaire, mais ce n’est pas le cas de tous les conseils et de toutes les agences subventionnaires. Merci de votre leadership à ce sujet.
Il y a de gros dilemmes chez les chercheurs. Plusieurs d’entre eux décident de soumettre leur recherche en anglais, parce qu’ils ont peur que leur demande ne soit pas bien comprise, en plus de la crainte de manquer d’espace. Par exemple, si une demande est trop robotique parce qu’on n’a pas les 20 % de plus, on a peur que les arbitres ne comprennent pas bien ce qu’on dit ou on craint de se faire reprocher qu’on n’a pas assez de détails pour bien comprendre la demande en raison du manque d’espace.
De plus, souvent, les personnes en situation majoritaire qui revoient les demandes ne comprennent pas la situation. Cela peut fluctuer. Par exemple, une demande de subvention soumise en français à l’origine peut être jugée d’une certaine façon, mais si on la resoumet en anglais, elle est évaluée d’une autre manière.
Je ne sais pas si vous comprenez ces barrières pour les chercheurs. C’est comme faire de la gymnastique quand on essaie de déterminer si on aura plus de chance en soumettant sa demande en anglais. Il est possible que la réalité ne soit pas comprise des francophones en situation minoritaire. Il est aussi possible de se faire critiquer, car notre demande risque de ne pas être bien comprise à cause du manque d’espace dans toutes les sections de la demande.
À l’exception des Instituts de recherche en santé du Canada, lorsque nous soumettons une demande en français, nous pouvons maintenant utiliser 20 % plus de mots. Une demande détaillée contient un abrégé et différentes parties. On a un nombre précis de caractères ou de pages limite. Nous devrions bénéficier de ces 20 % de mots de plus dans toutes les sections d’une demande. On vous remercie pour cela. Avec le leadership des Instituts de recherche en santé du Canada, on espère que tout cela aura un impact sur les autres membres des trois conseils subventionnaires, puisque les chercheurs leur soumettront également des demandes de subventions ce qui concerne la situation de santé et des services sociaux des francophones en situation minoritaire.
Le président : Merci de ces précisions, madame Giroux.
La sénatrice Moncion : Cela ressemble à une perte de sens. Cela revient un peu aux réponses de Mme Giroux. Un chercheur fait une demande de subvention en français et elle est présentée à un jury composé de membres francophones et anglophones. Pour répondre aux besoins des membres des jurys qui sont anglophones, vous devez traduire le document. Il peut y avoir une perte de sens entre ce qui est écrit en français et en anglais. Lorsqu’elle est traduite en anglais, est-ce que le chercheur qui a soumis la demande a un droit de regard sur la version anglaise qui est présentée? Il a soumis une version en français, que vous avez fait traduire. Est-ce que le chercheur francophone revoit cette demande traduite en anglais pour s’assurer que le sens soit le même?
M. Baron : Merci de votre très bonne question. Je n’ai pas de réponse immédiate. Selon ma compréhension, les chercheurs ne vont pas valider cette demande. Ce serait une très bonne suggestion que l’on pourrait considérer à l’avenir.
Je vous remercie, madame Giroux, d’avoir souligné nos efforts.
Cela dit, les Instituts de recherche en santé du Canada travaillent étroitement avec les autres conseils. Comme vous l’avez souligné, ces enjeux concernent tous les chercheurs dans tous les domaines de recherche. Je reconnais les Instituts de recherche en santé du Canada et les autres conseils qui traduisent les demandes. On investit beaucoup pour obtenir des traductions de qualité. Une validation faite par les chercheurs est une très bonne idée. Je vais la proposer aux Instituts de recherche en santé du Canada pour considération.
La sénatrice Moncion : À l’étape suivante, quand vous recevez une demande en anglais, la faites-vous traduire pour que vos membres du jury la revoient? L’anglophone n’est pas en mesure de vérifier s’il y a une perte de sens. À ce moment-là, est-elle présentée en anglais? Je cherche à savoir si c’est pareil des deux côtés.
M. Baron : Au besoin, on fera la traduction de l’anglais vers le français. Toutefois, puisque la grande majorité des demandes sont soumises en anglais, la traduction n’est pas vraiment nécessaire.
Je vous ai donné une liste de suggestions de mesures visant à augmenter le nombre de demandes en français. Pour l’instant, je dois admettre que le succès n’est pas celui que nous souhaitions. Seulement 2 % des projets soumis sont rédigés en français. On aimerait en avoir plus afin de bâtir une communauté bilingue. Toutefois, indépendamment de cela, même si le nombre de demandes est relativement limité, nous avons rehaussé le nombre d’évaluateurs bilingues au comité pour atteindre au moins 25 % dans le but d’éviter la nécessité de la traduction et la perte de sens du contexte, comme vous l’avez très bien souligné.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Baron.
Je salue l’initiative de la mise en œuvre des programmes catalyseurs visant à améliorer la santé des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ces initiatives sont-elles toujours en vigueur, ou continuent-elles de plus en plus à prendre de l’expansion?
M. Baron : Je vous remercie, madame la sénatrice, pour votre excellente question. En 2020, les Instituts de recherche en santé du Canada ont mis en œuvre un plan d’action pour améliorer l’accès des chercheurs et la capacité d’évaluer les demandes dans les deux langues officielles, et ce, en portant une attention particulière aux personnes vivant en situation linguistique minoritaire. Nous avons commencé en créant plus de capacité et avec des subventions relativement petites, comme 100 000 $ pour une année, afin de soutenir de façon stratégique cette croissance de capacité dans la communauté de recherche. Plusieurs millions de dollars ont été investis de cette façon.
Je dirais que nous en sommes maintenant à la deuxième étape. Nous finançons deux plus grosses subventions d’équipe, soit une pour la communauté francophone qui vit en situation minoritaire et une pour la communauté anglophone vivant en situation minoritaire. Encore une fois, ceci vise à contribuer à la croissance du nombre de chercheurs et d’étudiants.
On peut voir se dessiner une trajectoire qui pourrait mener à d’autres investissements à l’avenir. Il est difficile de le prévoir en ce moment, mais nous sommes en contact très étroit avec la communauté, comme Mme Giroux et ses collègues, car nous voulons savoir si cela répond à leurs besoins et aux besoins de leur communauté et savoir ce que l’on peut faire différemment. On est toujours à l’écoute.
De plus, je parle de sommes relativement petites qui sont investies stratégiquement dans des domaines de recherche. Cela dit, les Instituts de recherche en santé du Canada investissent 325 millions de dollars deux fois par année dans un concours ouvert, le concours de subventions Projet. C’est un concours ouvert aux demandes dans n’importe quel domaine de recherche. Pour les chercheurs qui s’intéressent à des questions dont on discute ici, comme les communautés francophones en situation minoritaire, ou les communautés de langue anglaise en situation minoritaire, il est toujours possible d’aller chercher beaucoup plus d’argent au moyen du concours ouvert, qui est vraiment ouvert et dirigé par les intérêts des chercheurs. On essaie de les accommoder grâce aux mesures dont nous avons déjà discuté pour faire suite aux questions de votre collègue.
La sénatrice Mégie : Merci. Avez-vous commencé à recueillir des informations sur les retombées de ces initiatives?
M. Baron : Merci pour cette très bonne question. La mobilisation des connaissances, la mesure des retombées, cela fait toujours partie des travaux des Instituts de recherche en santé du Canada. Cela dit, notre rôle est de financer la recherche, ce qui inclut la recherche évaluative. Je n’ai pas d’informations à ce sujet en ce moment. On pourra vous fournir des informations plus complètes.
On a mis cette stratégie en place depuis 2020. Je pense qu’en somme, on a bien progressé. Pour les investissements que j’ai mentionnés, les subventions d’équipe seront financées et annoncées très bientôt. Il s’agit de notre réaction à la rétroaction de la communauté, qui nous a demandé plus d’investissements stratégiques. Pour nous, c’est une façon importante de réagir. On verra quelles seront les retombées.
Le président : Madame la sénatrice, je crois que Mme Giroux veut intervenir sur cette question.
Mme Giroux : Merci beaucoup pour tout ce que vous mentionnez par rapport aux Instituts de recherche en santé du Canada. Cela aide assurément les minorités. En même temps, il existe des barrières systémiques, car il y a un manque de recrutement dans les professions de la santé et des services sociaux. Les programmes ont peu de ressources pour attirer les candidats.
Comme je l’ai mentionné dans notre plaidoyer, il y a plusieurs barrières pour les programmes de formation en situation minoritaire. Cela signifie que les éducateurs qui sont aussi des chercheurs ont moins de relève pour former les futurs chercheurs et les étudiants diplômés et aider à la relève dans la recherche sur les minorités.
Aussi, lors du dernier congrès de l’Acfas, on a tenu un symposium sur la situation des communautés francophones en situation minoritaire, et on a abordé le fait que les appuis financiers sont encore ponctuels, malgré le financement qui vient d’être octroyé pour la subvention d’équipes responsables de la recherche sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire des IRSC. Nous sommes vraiment heureux de cela, puisque cela durera plusieurs années. Toutefois, le financement offert est souvent petit et ponctuel, ce qui rend l’appui à la relève et le réseautage canadien complexes.
Lors de ce symposium sur les francophones en situation minoritaire au Canada, on a constaté qu’il y a beaucoup d’initiatives, mais on a de la difficulté à collaborer et à mesurer l’impact des meilleures pratiques dans les milieux à cause du manque de ressources.
Je veux également mentionner que, comme chercheurs en situation minoritaire, on fait aussi des efforts pour publier notre travail en français, ce qui n’est pas considéré dans les facteurs d’impact pour les anglophones quand les chercheurs soumettent des demandes de financement. On fait une demande de subvention et on va examiner certains facteurs d’impact. Les publications en français ne sont pas prises en compte, donc on se retrouve souvent comme chercheurs à devoir décider si on va publier en anglais, pour contribuer aux facteurs d’impact, ou en français, en raison du lien avec nos subventions pour les francophones en situation minoritaire.
Nous avons donc des débats en ce sens, qui font en sorte qu’on est défavorisé à travers le cycle de formation de recrues en matière de recherche et l’appui à la recherche dans tout ce processus, jusqu’aux retombées à travers le Canada. Bien qu’on soit un groupe très motivé et qui veut progresser, il devrait y avoir des enveloppes particulières pour aider à faire de la recherche pendant plusieurs années, plutôt qu’une de fois de temps en temps. Toutefois, on apprécie vraiment ce qui se fait déjà.
De plus, il y a eu — en 2023, je crois — une très belle conférence des CLOSM, qui a été une excellente occasion de réseautage. S’il était possible de favoriser ces réseautages dans tout le pays, cela aiderait la recherche pour les francophones et les anglophones en situation minoritaire.
Le président : Merci, madame Giroux.
La sénatrice Mégie : Vous avez parlé de concours. À quoi sert-il? Est-ce qu’on y évalue la qualité de ce qui est présenté, la langue utilisée pour la demande ou l’objectif de la recherche? Sur quels critères le candidat est-il jugé comme pour obtenir une subvention?
M. Baron : Merci pour cette excellente question qui touche aussi à certains points que Mme Giroux a soulignés.
C’est un mélange de critères; c’est une évaluation effectuée par un comité de pairs, qui sont des chercheurs et chercheuses pouvant évaluer des demandes dans certains domaines de recherche et aux IRSC. Un exemple serait notre concours Projet, dans lequel une soixantaine de comités ont pour tâche de classer les demandes pour qu’elles puissent être évaluées par des collègues qui possèdent une expertise. On examine la qualité et l’impact de la recherche. C’est donc une évaluation multifactorielle qui est effectuée.
Comme Mme Giroux l’a souligné, il y a des défis importants surtout pour les chercheurs francophones, notamment une certaine culture en recherche qui existe au sujet des soi-disant facteurs d’impact. En effet, certains journaux sont considérés comme plus importants que d’autres, et cette évaluation métrique existe encore. Nous avons modifié notre politique d’évaluation pour ne pas avoir à omettre complètement le facteur d’impact, mais pour le rendre moins important par rapport à d’autres facteurs. On met donc notamment l’accent sur l’impact de la recherche et sur l’impact sociétal de la recherche.
Donc, le facteur impact reste toujours sur la table et dépend aussi des piliers des domaines de recherche. Il y a certains domaines de recherche pour lesquels c’est le plus important critère, mais on fait vraiment en sorte de dissocier l’évaluation de la qualité et de l’impact de ce genre d’évaluation métrique, qui est un peu artificielle et qui désavantage assurément la recherche en français. On l’a bien compris, et c’est grâce à la politique des trois conseils, qui a abondé dans ce sens.
La sénatrice Mégie : J’ai une dernière question. Arrivez-vous à trouver un équilibre entre les juges francophones et les juges anglophones dans ce concours?
M. Baron : C’est une excellente question. C’est un défi, je ne peux pas le nier. La majorité des évaluateurs évaluent les demandes en anglais, parce que c’est ce qu’ils ont l’habitude de faire, et c’est pour cette raison qu’on a déployé des efforts additionnels pour recruter au moins 25 % de chercheurs dans un domaine dans lequel ils peuvent évaluer les demandes en français. Cela ne veut pas forcément dire qu’il faut des évaluateurs francophones. La proportion de francophones au sein de la population québécoise est plus élevée que cela, et on peut ajouter à cela les francophones issus de l’extérieur du Québec. Ces 25 % devraient donc refléter la présence des francophones à travers le pays, et nous essayons d’avoir des gens compétents pour évaluer des demandes en français. Il y a tout de même un manque dans le pays bilingue que nous sommes, car la proportion devrait être plus élevée que cela, mais on vise une cible réaliste de 25 %. Nous l’avons atteinte.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
Le président : J’aurais une question complémentaire. Quand vous dites 25 %, est-ce que c’est la proportion de ceux qui ont les compétences pour lire et pour comprendre le français, ou est-ce que cela inclut des gens qui ont aussi une connaissance des réalités des communautés francophones en milieu minoritaire? En effet, au-delà du fait de comprendre une langue, il y a tout un contexte social à comprendre pour qu’une recherche soit importante dans une partie donnée du pays. Ces compétences sont-elles aussi demandées aux jurys?
M. Baron : C’est une excellente question. La compétence pour évaluer un sujet de recherche est évaluée séparément. Comme je le mentionnais, nous avons une soixantaine de comités qui couvrent toute la recherche médicale, et les chercheurs doivent autodéclarer leurs compétences à évaluer dans ce domaine de recherche. Cela veut dire que, pour les chercheurs qui vont évaluer les demandes du réseau en voie d’être financées, ils seront recrutés, et ces chercheurs doivent posséder une compétence non seulement pour évaluer, mais aussi une compétence linguistique. La compétence des chercheurs comme telle est donc évaluée par autodéclaration dans un domaine particulier, mais cela se fait séparément, parce qu’on parle ici de recherche dans des domaines d’expertise scientifique et culturelle ainsi que de compétence linguistique.
Le président : Merci, monsieur Baron.
La sénatrice Clement : Merci pour vos témoignages et félicitations pour vos carrières. Je pense que mes collègues ne seront pas surpris de m’entendre parler d’intersectionnalité, car c’est ce qui m’intéresse en priorité, et de la complexité que tout cela ajoute dans le domaine de la recherche.
Monsieur Baron, j’étais avec les sénateurs de descendance africaine cet après-midi et on a entendu parler favorablement de votre institut grâce à l’initiative Santé mentale noire Canada. C’est une bonne chose.
Vous avez parlé des outils pour les immigrants, donc j’aimerais d’abord savoir qui peut s’en servir. Ensuite, qu’est-ce qui a amené leur développement? Qu’est-ce que cela va donner? Cela m’intéresse aussi de savoir s’il y a eu une augmentation des demandes de recherche concernant non seulement la langue de la minorité, mais aussi les francophones qui font partie d’une communauté immigrante ou racisée. Est-ce qu’il y a une tendance pour ce genre de recherche? Est-ce qu’il y a des partenariats en matière d’accès à l’information? Vous financez des recherches, mais est-ce que ces données sont accessibles à la communauté?
J’étais à Hawkesbury samedi avec des immigrantes de pays africains francophones, qui avaient beaucoup de questions sur les données, mais qui n’ont aucun moyen de savoir où obtenir des informations qui pourraient les aider à s’organiser en communauté pour répondre à leurs besoins.
Madame Giroux, si vous avez des commentaires à faire à ce sujet, ce serait intéressant. C’est fascinant ce que vous dites sur l’offre active, quand vous affirmez qu’il y a des moments de réussite, mais que si on ne le fait pas à l’instant même de la demande de service, cela amène les gens vers autre chose.
Je ne sais pas si vous avez aussi des commentaires à faire sur la façon de rétablir cette situation quand l’erreur a déjà été commise. C’est beaucoup de questions; à vous de choisir celles auxquelles vous voulez répondre.
M. Baron : Ce sont de bonnes questions. Je ne suis pas certain d’avoir bien saisi toutes les questions. Pour les IRSC, il est assurément crucial, dans toutes nos demandes de financement, de regarder certains critères comme les besoins sociétaux et les questions d’équité, de diversité et d’inclusion qui, bien sûr, incluent des questions concernant la santé des populations immigrantes.
Pour ce qui est de la publication des données, pour les IRSC, l’accessibilité des données, la mobilisation des connaissances et la publication sont certainement les facteurs clés pour les trois conseils. Un autre aspect sur lequel les chercheurs sont évalués quand ils veulent obtenir un financement supplémentaire à l’avenir, c’est de publier les données de la recherche dans un format qui est au moins accessible à la communauté scientifique. Cependant, je réalise que ce n’est pas facile pour les chercheurs et que cela dépend beaucoup du domaine dans lequel œuvrent ces derniers.
De plus, la mobilisation des connaissances est un volet très important pour nous, tout comme le fait de travailler en étroite collaboration avec les communautés qui sont concernées.
Comme je l’ai mentionné dans mes remarques liminaires, dans la Stratégie de recherche axée sur le patient et les partenaires, on parle de moins en moins des patients, mais des partenaires qui peuvent être des soignants; ça, c’est de la recherche très proche des personnes, et les retombées de ces recherches doivent être accessibles à ces personnes. Est-ce qu’on en arrive toujours là? On essaie d’être à l’écoute des communautés pour savoir de quoi elles ont besoin.
Je peux vous donner un exemple. Les IRSC ont plusieurs comités consultatifs, et un de ces comités nous a aidés avec notre plan d’action antiracisme. On a vraiment travaillé avec des chercheurs, mais aussi avec des membres de la communauté pour nous informer sur les vrais défis de la communauté. Un autre comité consultatif travaille sur la recherche sur le sida et les maladies infectieuses. On visite régulièrement les communautés, on parle avec elles, parce qu’on veut comprendre leurs vrais besoins.
Le troisième élément dont je veux parler, c’est qu’aux IRSC, on a mis beaucoup d’efforts dans le financement de la recherche effectuée par la communauté. Généralement, on pense que la recherche, surtout dans les IRSC, se fait dans les universités, dans des bâtiments avec des laboratoires très bien équipés, mais pour nous, le financement de la recherche dans les communautés, c’est vraiment un enjeu très important. On a travaillé fort pour rendre des organismes communautaires admissibles pour qu’ils reçoivent directement le financement de la recherche; cela concerne les communautés, y compris les personnes racisées, mais aussi les Autochtones. Pour nous, c’est important.
Comme dans les CLOSM, il faut bâtir plus de capacité, parce que nous sommes convaincus que, pour améliorer la santé des Canadiens, il faut vraiment être à l’écoute des besoins sur le terrain et aussi financer la recherche qui est loin de la recherche fondamentale, donc ce qu’on appelle plutôt la recherche sur la mise en œuvre. On veut comprendre pourquoi, par exemple, certains médicaments ne sont pas acceptés par la communauté. Quelle est la vraie raison? Il y a plusieurs sujets, et je peux en nommer certains pour lesquels une solution médicale existe, mais elle n’arrive pas jusqu’à la population. C’est aussi un enjeu de recherche que l’on finance. C’est très important. On veut que les médicaments, la prévention et les vaccins arrivent au bon endroit.
Je ne pense pas que j’ai répondu à toutes vos questions. La dernière chose que j’aimerais dire, c’est que quand on évalue les demandes que l’on reçoit, on regarde la section sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) dans notre questionnaire. On demande des informations sur l’origine des personnes et on ne peut pas conclure que ce sont des immigrants ou non. Par contre, on demande, par exemple, si ce sont des personnes racisées. Dans les derniers concours, on a vu jusqu’à 30 % de personnes racisées soumettre des demandes. Parmi eux, il y a bien sûr des immigrants, mais aussi des personnes qui peuvent vivre au Canada depuis longtemps.
La sénatrice Clement : C’est de cela que vous parlez lorsque vous parlez des outils pour les immigrants francophones? C’est ce que vous avez mentionné dans vos remarques liminaires.
M. Baron : Des outils...
La sénatrice Clement : Est-ce que c’est de cela que vous parlez? J’essaie de comprendre.
M. Baron : Je m’excuse.
[Traduction]
La sénatrice Clement : N’avez-vous pas parlé des outils pour les immigrants francophones?
M. Baron : Vous vous intéressez aux outils pour les immigrants francophones?
[Français]
Je parlais des outils dont les personnes ont besoin pour avoir accès à l’information qui permet de faire des demandes de subventions, oui.
La sénatrice Clement : Quand les chercheurs vont soumettre leur demande.
M. Baron : Oui, voilà. On essaie de rendre le financement pour la recherche accessible à des groupes communautaires. Typiquement, la réputation des IRSC est que l’on finance la recherche dans des installations soi-disant modernes, avec beaucoup d’équipement, mais la réalité, c’est que les IRSC financent tous les domaines de la recherche, y compris la recherche communautaire, celle qui se fait dans les communautés, notamment des communautés comptant des immigrants.
La sénatrice Clement : D’accord. Merci.
Mme Giroux : Merci beaucoup. Vous avez d’excellents points au sujet des populations vulnérables; dans mes remarques liminaires, je n’ai pas eu le temps de tout lire à ce sujet, et c’est pour cela qu’on vous a envoyé les versions anglaise et française détaillées avec les références scientifiques. Je vous saurais gré de les examiner plus en détail après notre discussion.
Il est évident qu’on a identifié des populations encore plus vulnérables au sein des communautés linguistiques minoritaires, et les populations immigrantes font partie de cette liste.
Comme groupe de recherche, on inclut des chercheurs qui sont justement issus de ces différentes communautés qui sont encore plus vulnérables. On a aussi eu des pourparlers afin de mieux comprendre la situation. On a développé des outils éducatifs et on s’en sert pour former les futurs professionnels et les professionnels actuels à la réalité des personnes immigrantes. Au fond, la langue minoritaire, c’est une barrière supplémentaire pour les personnes immigrantes pour ce qui est de l’accès aux services.
Quand on arrive au pays comme immigrant et qu’on est en situation francophone minoritaire, et que tout à coup on ne se sent pas bien et qu’on doit avoir accès à des services, il y a souvent un bris de communication lié à la langue. Souvent, la langue première des personnes n’est ni le français ni l’anglais, et on doit essayer de savoir quoi faire par rapport à la compréhension du système de santé et des services sociaux. On a même développé des outils qui permettent de comprendre un peu mieux, parce que c’est quand même assez dramatique ce qu’on entend de la part des services communautaires pour les immigrants en ce qui a trait à l’accès aux soins de santé. Ce ne sont pas toujours des histoires de succès. Souvent, les personnes se découragent et arrêtent d’essayer d’obtenir des soins, et elles sont tellement isolées et vulnérables que parfois, leur état de santé empire.
Du point de vue de la santé physique et de la santé mentale... C’est pour cette raison que vous verrez aussi dans cette liste des personnes vulnérables, des personnes avec des difficultés en matière de santé mentale rendent les gens vulnérables. Si on additionne tout cela, on a des cas de personnes qui ont des difficultés d’accès. Donc oui, la recherche est importante, comme on l’a mentionné, et je salue les IRSC, parce qu’ils ont des lignes directrices que les chercheurs utilisent par rapport à la recherche centrée sur les besoins des patients, des patients partenaires, et ils impliquent les communautés dès le début de la planification et pendant toute la durée des projets. Ce sont des initiatives qui favorisent les groupes minoritaires.
Dans la recherche, on identifie les genres. Ce serait bien, quand on identifie la langue des participants à une recherche, de pouvoir identifier s’il y a des francophones, des anglophones, des allophones et s’il y a des groupes qui sont en situation minoritaire, puisqu’on sait que lorsqu’on présente une demande de subvention, on doit bien expliquer comment on traitera les données liées au genre. Ce serait bien d’avoir une éducation supplémentaire liée à la situation de la langue minoritaire et d’avoir l’information nécessaire pour faire l’analyse de ces données par la suite, comme elles ont été rapportées par les chercheurs.
Pour répondre directement à votre question, il y a plusieurs personnes qui ont des défis liés à l’accès aux services sociaux et de santé, et beaucoup de témoignages indiquent que, en situation d’anxiété, les personnes ont de la difficulté à faire un plaidoyer pour cet accès, compte tenu de l’effort supplémentaire que cela demande. Quand on a une offre active, on donne à la personne la possibilité de s’exprimer dans la langue officielle de son choix; cela réduit l’anxiété, rassure et accompagne les personnes et leur famille qui ont besoin d’appui, tandis que si ce n’est pas fait dès le début, il y a des risques que ces personnes n’aient pas accès aux soins de santé, ce qui peut entraîner des conséquences négatives. On croit épargner de l’argent en ne rendant pas l’offre active obligatoire, mais au bout du compte, on perd en qualité de vie, en complications et en temps lorsque ces personnes subissent des complications et qu’il y a des allers-retours. Ce sont de gros défis pour les membres de la communauté.
Finalement, ce serait moins cher de faire de l’éducation sur l’offre active et d’en mesurer les impacts. On a déjà des preuves de l’impact positif de l’offre active; on n’en a pas beaucoup, mais on espère avoir plus de ressources pour faire plus de recherche. On travaille énormément avec les institutions, qui ont de grands défis.
Je n’ai pas eu le temps de lire tout ce que vous pourrez voir dans les remarques liminaires concernant les défis des gestionnaires qui essaient d’implanter l’offre active et de l’évaluer, mais il y a assurément un manque de ressources. Les gestionnaires et les membres de la communauté veulent en faire plus, mais avec très peu.
La sénatrice Clement : Merci beaucoup.
Le président : Avant de passer au deuxième tour, j’aurais une question. Comment se fait le partage des données? Il semble qu’effectivement, il y a tout un écosystème autour de la recherche, la recherche plus formelle et la recherche dans les communautés. Il y a des données qui émanent de cela. Est-ce qu’il y a suffisamment de soutien pour faciliter le partage de ces données? Si oui, quels sont ces moyens? Et s’ils ne sont pas suffisants, comment le gouvernement fédéral, dans sa capacité à financer la recherche, peut-il mieux soutenir le partage des données, afin de faire en sorte que les communautés et les citoyens puissent les utiliser adéquatement?
Mme Giroux : Bien sûr, les alliés des groupes minoritaires, y compris le Consortium national de formation en santé, ou CNFS, et les différentes institutions d’enseignement universitaire et collégial font un superbe travail avec des ressources qui devraient être augmentées pour assurer la formation de la relève à tous les niveaux, par exemple. Je sais qu’il y a des symposiums organisés où l’on peut simuler ces échanges. La Société Santé en français est également directement en lien avec la communauté dans tous les réseautages à travers le pays. Donc, ils vont essayer de continuer de transmettre l’information.
C’est sûr que les chercheurs vont établir des réseaux avec la Société Santé en français et le CNFS pour partager les résultats de la recherche. Le GReFoPS a un site Web également, donc on essaie aussi de partager l’information. Évidemment, à part les sites Web statiques, on pense qu’il y a beaucoup à gagner grâce aux échanges et aux discussions avec les membres de la communauté et avec les plateformes qui permettent de les appuyer. Donc, plus d’appui à cet égard serait vraiment apprécié.
Le président : Merci. J’aurais maintenant une question pour M. Baron.
[Traduction]
Le 27 novembre 2023, Suzanne Dupuis-Blanchard, professeure à l’Université de Moncton, a fait des observations sur les Instituts de recherche en santé du Canada devant notre comité, sur lesquelles j’aimerais avoir des éclaircissements, si possible.
Elle a dit ce qui suit, et je cite directement son témoignage :
Pour nous, les chercheurs, c’est le financement fédéral qui est important. [...] [Les] Instituts de recherche en santé du Canada [...] offraient un concours spécifique pour les CLOSM et [...] j’ai bénéficié de ce financement. Ce financement ou ce concours s’est terminé et on nous a dit qu’il allait revenir. [...] Malheureusement, j’ai appris que, en raison de compressions budgétaires au sein de différents ministères fédéraux, il n’y aurait pas de concours spécifique sur les CLOSM [...].
Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet, monsieur?
M. Baron : Merci beaucoup, monsieur le président. C’est une excellente question. Je pense que la collègue qui a fait ces remarques se basait sur une situation passée. Nous avons rétabli ces financements de la recherche sur les CLOSM d’abord, puis les subventions servant de catalyseurs pendant de nombreuses années, et nous sommes maintenant en train de nous préparer pour les subventions d’équipe qui sont mises en place. Je pense que ce n’est pas nécessairement fini. Même si je ne peux pas me projeter dans l’avenir, je pense qu’une tendance se dessine.
Les IRSC ont écouté la communauté. Nous avons discuté avec RechercheNB ce matin, et avons eu un très bon échange sur d’autres choses que nous pourrions faire pour soutenir davantage la recherche dans les petites institutions rurales. C’était très productif et nous sommes impatients de travailler avec eux à l’avenir.
Pour ce qui est de la question concernant les CLOSM, je pense que nous avons écouté la communauté. Nous avons fait ce qui était demandé, ces concours sont en cours, et les résultats seront annoncés dans les prochaines semaines.
Le président : Je vous remercie, monsieur.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à Mme Giroux. La sénatrice Mégie vous a posé une question concernant les publications en français et en anglais. Vous avez quand même mentionné que pour l’enveloppe de recherche que vous receviez la plupart du temps, lorsque vous faisiez une demande en français, vous publiiez en français. Est-ce que vous publiez seulement en français ou si dans votre publication... C’est cela, vous publiez dans les deux langues.
Mme Giroux : Oui.
La sénatrice Moncion : Afin de pouvoir être lue par les francophones et les anglophones.
Mme Giroux : Oui, exactement. Je pense qu’il y a plusieurs chercheurs comme moi qui vont alterner entre les publications en français et en anglais. Vous allez le voir dans la liste de référence que je vous ai mentionnée : on voit des publications en anglais sur les francophones en situation minoritaire et on en voit aussi en français.
Évidemment, on essaie de soutenir la communication scientifique en français, et quand on a la possibilité d’avoir des journaux qui le permettent, c’est fantastique. Donc, il y a certains journaux qui permettent de publier en français ou en anglais. Toutefois, cela reste très limité, comme on le sait, mais au moins, quand les abrégés sont traduits, si on peut continuer d’encourager cela, comme le fait le gouvernement la plupart du temps dans les deux langues, c’est vraiment apprécié.
Néanmoins, si un chercheur publie en français, il sait qu’il va rejoindre et être mieux compris par les collègues et les communautés francophones, ce qui permettra justement d’informer les membres de la communauté qui vont fouiller sur Internet et lire en français.
Cependant, on sait que cela ne sera pas inclus dans les facteurs d’impact et on sait qu’on devra adapter la publication en anglais. Donc, il y a des chercheurs comme moi qui publient beaucoup en français parce qu’ils sont fiers de faire de la recherche sur les minorités francophones. On veut aussi utiliser nos publications comme moyen de dissémination.
La sénatrice Moncion : Vous vivez avec le fait que vous ne serez probablement pas lus par les anglophones si vos recherches sont publiées seulement en français.
Mme Giroux : Exactement.
La sénatrice Moncion : Alors que l’inverse n’est pas vrai? Un chercheur qui publie en anglais seulement sera lu par les francophones et les anglophones, alors que le chercheur qui publie en français seulement sera lu par les francophones et les personnes bilingues.
Mme Giroux : Votre question est vraiment intéressante. Je suis de Québec et je réseaute avec les éducateurs, et ce n’est pas vrai que tous les éducateurs et chercheurs francophones sont bilingues. Je me retrouve donc souvent dans les réunions, puisque je suis bilingue, à aider à la traduction et au transfert d’information et à m’assurer que certains documents officiels ont une version en français ou en anglais et vice versa, puisqu’on doit essayer de s’entraider dans les deux langues, peu importe où l’on est au pays. Ce n’est pas facile et on doit souvent faire un choix, mais je ne présumerai pas que les chercheurs francophones comprennent nécessairement tout des publications en anglais.
Donc, les bonnes pratiques, c’est essayer d’avoir au moins les sommaires publiés dans les deux langues pour ce qui est des publications, et je dirais que les documents officiels et la documentation pertinente à la recherche au Canada en général devraient être traduits dans les deux langues. Comme je le mentionnais, les chercheurs comme moi passeront du français à l’anglais pour s’assurer que l’information disséminée est la même.
Ce que vous dites est très intéressant. Je pense qu’il y a peut-être plus d’anglophones qui ne comprennent pas le français au Canada, donc c’est certain que si l’on publie en français dans une revue où le sommaire n’est pas disponible en anglais, les anglophones ne nous liront pas autant ou ne vous liront pas du tout. Il n’y aura que les bilingues qui nous liront.
On apprend donc à naviguer là-dedans, mais ce n’est certainement pas en notre faveur.
Le président : Merci.
En conclusion, si le gouvernement fédéral devait investir massivement pour vous aider, dans vos mandats respectifs, à faire votre travail en ayant encore plus d’impact, quelle serait la priorité?
Monsieur Baron, pour conclure, si vous aviez à identifier vos priorités pour traiter de la question des communautés de langue officielle et des services en situation minoritaire au moment de recevoir une somme d’argent importante, ou mettriez-vous cet argent?
La même question s’adresse également à vous, madame Giroux.
M. Baron : C’est une excellente question. Ce n’est pas mon rôle de faire ce genre de suggestions au gouvernement fédéral, mais je tiens tout de même à souligner qu’il y a des investissements majeurs qui ont été faits. Le budget de 2024 constituait un investissement majeur en recherche pour les trois conseils, et même si ce n’est pas mon rôle de vous indiquer où va cet argent, je peux souligner que la recherche ayant trait aux personnes en situation linguistique minoritaire est une priorité. Je ne peux pas prédire ce qui se fera, mais vous verrez que ce sera une priorité, et pour de bonnes raisons.
De plus, des investissements considérables ont été faits pour renforcer la recherche en français par l’intermédiaire de Patrimoine canadien, avec qui nous travaillons étroitement, ainsi qu’avec les trois conseils subventionnaires et avec l’Acfas. J’étais d’ailleurs au gala de l’Acfas qui s’est tenu la semaine dernière. Nous sommes toujours à l’écoute, car nous voulons faire mieux, et c’est de là que vient la nécessité de rester en contact avec Mme Giroux et ses collègues, pour savoir de quelle façon l’argent pourrait le mieux servir les Canadiens et Canadiennes.
Le président : Madame Giroux, brièvement, où investiriez-vous votre argent?
Mme Giroux : C’est certain que je vous ai donné sept points, et je pense qu’on y croit, mais en ordre de priorité, je pense que je dirais d’abord que ce serait dans la formation à l’offre active. C’est une compétence. Ce n’est pas juste de dire : « Bonjour, hello », puis de mettre fin à la formation en matière d’offre active; c’est vraiment une compétence qu’il faut développer et pratiquer. Du point de vue de la recherche, il faut également évaluer les impacts de la formation une fois qu’elle est implantée.
Je mettrais donc de l’argent dans la formation des futurs professionnels et des professionnels actuels, j’aiderais les gestionnaires à l’implanter dans les universités et les collèges et dans les milieux de pratique. Ensuite, on pourrait évaluer les retombées de l’éducation à l’offre active en incluant les bénéficiaires et les chercheurs de la relève également. C’est ce qu’on dit : on sera bientôt à court de moyens, parce qu’on n’a pas assez de professionnels bilingues formés en situation minoritaire. On a donc besoin d’appuyer les programmes de formation en situation minoritaire, puisque, comme je l’ai expliqué dans mon document de plaidoyer, on y arrive difficilement avec le peu de ressources que l’on a. Or, en formant les futurs professionnels de façon interprofessionnelle, conjointement avec la recherche, cela amènera plus de chercheurs, donc plus de membres de comité aux IRSC et ils pourront prendre la relève.
Nous sommes l’avenir de la recherche, mais ce sont eux aussi, les futurs professionnels de la relève, et il faut y veiller. Nous sommes très dévoués à la cause de la formation de la relève avec le GReFoPS. On y croit, mais il faut du soutien pour être en mesure d’y arriver. Il faut des enveloppes budgétaires réservées pour aider particulièrement les recherches portant sur la situation minoritaire, avec l’Acfas et les autres organismes, et il faut que l’on se parle davantage à travers le pays au sujet de la recherche et des bonnes pratiques.
Le président : Merci beaucoup, madame Giroux et monsieur Baron, pour vos excellentes présentations et vos réponses éclairantes.
Merci également à mes collègues d’avoir été là et d’avoir commencé cette conversation si intéressante. C’est la dernière réunion sur cette étude que nous menons. Nous allons maintenant entamer la prochaine étape, qui est celle de la rédaction du rapport.
Comme il n’y a pas d’autres points à l’ordre du jour, je vous remercie.
(La séance est levée.)