LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 25 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 h 59 (HE), pour son étude sur l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi; et à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez‑la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.
Merci à tous de votre coopération.
J’aimerais maintenant inviter les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Youance : Suze Youance, Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Merci. Bienvenue, chers collègues.
[Traduction]
Je veux également souhaiter la bienvenue aux gens de partout au pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que je participe à cette réunion depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
[Français]
Ce soir, nous accueillons Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, pour discuter du rapport Un avenir en commun : regard sur nos communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Il est accompagné de Pierre Leduc, commissaire adjoint, Direction générale de l’orientation stratégique et des relations externes, et de Patrick Wolfe, commissaire adjoint, Direction générale de la conformité et de l’application de la loi. Le commissaire est entre bonnes mains ce soir et il est bien entouré.
Bonsoir, monsieur Théberge. Merci d’avoir accepté notre invitation et bienvenue parmi nous.
Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires. Elles seront suivies d’une période de questions des sénatrices et sénateurs. La parole est à vous, monsieur le commissaire.
Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonsoir.
Le 9 octobre dernier, j’ai publié mon rapport Un avenir en commun : regard sur nos communautés de langue officielle en situation minoritaire, qui met en lumière certains enjeux auxquels font face ces communautés.
Les pistes de solution proposées s’adressent aux personnes qui ont le pouvoir de changer les choses, que ce soit sur le plan politique, institutionnel ou social.
Dans cette optique, voici un aperçu de nos observations.
Depuis mon entrée en fonction, je ne cesse de dire que l’éducation constitue l’outil le plus puissant d’une communauté pour assurer sa survie et l’épanouissement de sa langue et de sa culture. Le continuum en éducation est essentiel pour les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire du Canada.
Heureusement, la version modernisée de la Loi sur les langues officielles énonce l’engagement du gouvernement fédéral à accroître les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue tout au long de leur vie. Il est primordial que les institutions fédérales se concertent avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin d’obtenir des résultats qui répondent aux besoins des communautés.
Nous avons également examiné de près les ententes intergouvernementales. L’absence de clauses linguistiques solides et précises se traduit trop souvent par une aide financière qui ne parvient pas à la communauté ou qui ne répond pas à ses besoins et priorités. Les clauses doivent prévoir des mécanismes d’évaluation et de surveillance ainsi que des mécanismes clairs de transparence et de reddition de comptes qui auront des effets tangibles, mesurables et durables pour la communauté.
Nous savons tous que l’immigration est un élément clé de la vitalité démographique au pays. Par exemple, le personnel enseignant, la population étudiante et les travailleurs de la santé francophones nouvellement arrivés peuvent contribuer à bâtir des milieux de vie où les gens peuvent s’épanouir dans leur première langue officielle.
Pour assurer le succès de cet important projet de société, je m’attends à ce qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada crée les conditions favorables à un meilleur continuum en matière d’immigration, depuis le recrutement jusqu’à l’intégration complète et la rétention des nouveaux arrivants dans les communautés minoritaires francophones.
[Traduction]
Le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 en est maintenant à sa deuxième année. Bien que le financement connexe ait été augmenté, il y a encore des retards récurrents dans l’octroi des fonds aux organismes communautaires. Je demande au gouvernement de réévaluer son approche afin d’éviter ces retards et de continuer à bonifier son approche quant au suivi, à la mesure et au processus de versement des fonds liés au plan d’action.
Interagir avec le gouvernement fédéral et obtenir des services dans la langue officielle de la minorité sont des éléments essentiels de la vitalité des communautés. Je suis donc heureux que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ait annoncé que plus de 700 points de service existants seront désignés bilingues.
J’aimerais maintenant vous parler des communautés d’expression anglaise du Québec. Au cours des deux dernières années, ces communautés ont vu leur politique linguistique changer considérablement en raison de l’élargissement de la Charte de la langue française du Québec et de la modernisation de la loi à l’échelle fédérale.
Je suis à l’écoute de leurs préoccupations et je surveillerai de près la mise en œuvre de cette politique, afin d’analyser l’incidence de toute modification sur les minorités francophones et anglophones du pays.
Assurer le dynamisme des communautés de langue officielle en situation minoritaire, c’est investir dans un Canada diversifié, ouvert et respectueux, non seulement à l’égard de sa population, mais aussi de son histoire et de l’avenir que nous façonnons ensemble. Il est temps que les institutions fédérales prennent des mesures concrètes pour garantir le respect des droits des communautés.
Afin de protéger ces communautés et d’assurer leur plein épanouissement, le Commissariat aux langues officielles continuera de surveiller l’environnement public, de mener des enquêtes et d’émettre des recommandations aux institutions. Je continuerai aussi de mettre en œuvre les nouveaux outils, comme les accords de conformité, les ordonnances et, éventuellement, les sanctions administratives pécuniaires lorsque les règlements sur l’application du pouvoir seront adoptés.
En terminant, j’espère que ces éléments alimenteront vos réflexions sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans la langue officielle de votre choix.
[Français]
Le président : Merci, monsieur le commissaire. Nous allons passer à la période des questions des sénatrices et sénateurs.
Le sénateur Aucoin : Merci, monsieur le commissaire, de vous être déplacé pour nous rencontrer. Ce que vous avez à dire est très intéressant.
J’aimerais explorer un sujet avec vous, car vous avez parlé de l’éducation. Lorsque les ententes fédérales et provinciales sont négociées, vous avez dit qu’il fallait trouver une façon pour que les gouvernements rendent des comptes sur ces fonds. Est-ce qu’on pourrait trouver une façon pour que les communautés francophones se trouvent à la table de négociations lorsque ces ententes sont négociées et tout au long du processus, jusqu’à ce que l’argent soit transféré et utilisé?
Actuellement, si je comprends bien, les ententes fédérales-provinciales sont négociées entre le fédéral et les provinces et les conseils scolaires — dans le cas de l’éducation —, mais cela pourrait peut-être s’appliquer à d’autres domaines, car ils ne sont pas nécessairement à la table. Qu’est-ce qui se passe avec ces fonds qui, par le passé, étaient attribués aux francophones? Est‑ce qu’on avait une façon de mesurer ou de s’assurer que les fonds allaient où ils étaient censés aller? Selon vous, est-ce qu’il y aurait une façon d’inclure cela dans les nouveaux règlements, ou avez-vous d’autres recommandations?
M. Théberge : La situation que vous décrivez se répète année après année depuis plusieurs décennies.
Dans la nouvelle partie VII de la loi, on parle d’un « mécanisme de consultation » des communautés de langue officielle en situation minoritaire pour faire en sorte de bien répondre à leurs besoins. De plus, il incombe aux institutions fédérales de faire des études d’impact pour faire en sorte que les programmes et politiques n’aient pas d’effet négatif ou néfaste sur les communautés.
On n’a pas encore le règlement relatif à la partie VII. On l’attend incessamment. Dans le règlement, il est important d’avoir deux choses : d’une part, il faut bien préciser la nature des clauses linguistiques et les manières dont on va faire la mise en œuvre des clauses linguistiques, et d’autre part, il faut mieux définir le mécanisme de consultation auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Je pense qu’on a ces deux éléments dans le règlement, bien sûr, car on y précise la démarche à suivre pour la consultation et on donne des précisions sur le langage relatif aux clauses linguistiques. Actuellement, dans la partie VII, on ne voit pas le mot « doit »; c’est une chose un peu plus vague. Il faudrait préciser dans le règlement qu’on doit inclure des clauses linguistiques. Le défi, c’est qu’on tombe dans les relations fédérales-provinciales-territoriales.
Le sénateur Aucoin : Merci.
La sénatrice Moncion : Ma question touche une observation, un commentaire qui se trouve dans votre document, à la page 6, où vous indiquez ceci :
Les universités, cégeps et collèges anglophones du Québec font partie de la solution, pas du problème. Ces établissements peuvent jouer un rôle de premier plan dans le projet sociétal de protéger et promouvoir la langue française.
Cela vient faire une connexion, si vous voulez, avec le commentaire que vous avez fait par rapport à la minorité anglophone du Québec et à l’éducation :
Compte tenu du fait qu’ils sont un pôle d’attraction à l’échelle nationale et mondiale, ils deviennent une ressource précieuse pour ceux et celles qui recherchent une expérience d’études postsecondaires en anglais tout en vivant en contact avec la francophonie.
Pouvez-vous expliquer votre raisonnement?
M. Théberge : Dans une étude que nous avons effectuée au sein de la société québécoise sur les relations entre les anglophones et les francophones, nous avons constaté, en premier lieu, qu’un pourcentage très élevé d’anglophones au Québec est bilingue. Ils parlent souvent le français et consomment des produits culturels en français. Ils ne se voient pas comme des agents assimilateurs. Je vois mal comment on peut prendre les institutions ou les structures qui ont été mises en place pour assurer le développement d’une communauté et limiter leurs capacités, puis s’attendre à ce que cela ait un impact positif sur la majorité québécoise. Nous avons vu dans l’étude que la grande majorité des membres de la communauté anglophone veulent contribuer comme citoyens à la province de Québec.
La sénatrice Moncion : Il y a des cours donnés en français à Concordia et à McGill. Il y a maintenant certaines obligations qui font en sorte que les anglophones qui décident d’étudier à Montréal doivent suivre des cours de français. Ces exigences semblent avoir choqué les anglophones qui venaient étudier à Concordia et McGill. C’est un peu dans ce sens que vous aviez inscrit votre commentaire à propos des anglophones qui viennent étudier dans une université anglophone et qui sont exposés à l’élément francophone de la province. C’est peut-être plus en ce sens que je voulais mieux comprendre votre commentaire. Souvent, quand des francophones se retrouvent avec des anglophones, la langue utilisée est l’anglais, et quand des anglophones se retrouvent avec des francophones, c’est la même chose. Dès qu’il y a des éléments anglophones, la langue utilisée, en général, c’est l’anglais.
M. Théberge : Je suis diplômé de l’Université McGill. Quant à ce qui a été proposé par le gouvernement sur le plan d’un certain pourcentage de cours en français, ce qui est important lorsqu’on veut un changement de régime linguistique, c’est de consulter la communauté et les institutions. Dans son rapport, M. Dubreuil, commissaire à la langue française du Québec, parle d’augmenter le pourcentage de cours en français dans les institutions postsecondaires de façon graduelle, en consultation et en partenariat avec les institutions postsecondaires anglophones au Québec.
Il est également important de se rappeler que la minorité anglophone au Québec est une minorité de langue officielle qui a ses infrastructures et ses institutions. Tout comme nous voulons assurer que les institutions francophones hors Québec soient solides et robustes, la communauté anglophone du Québec mérite aussi des institutions solides et fortes. En passant, cette année, à l’Université McGill, la population étudiante a augmenté de 1,1 % grâce à la participation d’un plus grand nombre de francophones.
La sénatrice Moncion : Est-ce qu’ils étudient en français ou en anglais?
M. Théberge : Je ne sais pas. Il peut y avoir un certain nombre de cours en anglais ou en français. Je ne sais pas.
La sénatrice Moncion : J’aborde un autre commentaire que vous avez fait dans votre document, au dernier paragraphe de la page 14 :
Enfin, une perception erronée qui persiste chez environ la moitié des francophones du pays est que les communautés anglophones du Québec forment une élite privilégiée, et peu intégrée à la société québécoise contemporaine.
J’étais plus ou moins d’accord avec votre commentaire. J’ai l’impression qu’à l’extérieur du Québec, les anglophones des autres provinces canadiennes considèrent les anglophones québécois comme moins bien traités au Québec, et ils utilisent cet argument pour moins bien traiter les francophones dans leurs provinces. Vous parlez de la perception des francophones; j’ai une perception différente. Je voulais vous entendre sur ce commentaire. Il est juste, mais je voulais connaître votre raisonnement.
M. Théberge : Il existe une perception selon laquelle la communauté anglophone au Québec est bien nantie, élitiste, et cetera. C’était peut-être le cas dans les années 1970, quand j’étais étudiant à l’université. Il y a plusieurs facteurs qui ont changé cela, dont la migration d’un nombre important d’anglophones vers d’autres provinces et l’immigration. L’immigration a transformé la communauté anglophone du Québec. Il y a les communautés traditionnelles, par exemple, sur la Côte-Nord et dans les Cantons-de-l’Est, qu’on appelle souvent les « anglophones historiques », mais à Laval et sur l’île de Montréal, c’est une nouvelle génération. Il y a des gens qui viennent de partout.
Souvent, quand on a une perception d’une communauté, il est très difficile de la modifier. J’étais en Saskatchewan et il y avait un Québécois à cette rencontre qui m’a dit : « Je ne savais pas qu’il y avait des francophones en Saskatchewan. » C’est très difficile de briser les perceptions d’un côté ou de l’autre. Ce n’est plus la même communauté qui dominait l’économie ou l’espace public dans les années 1960 ou 1970, mais cette perception perdure dans plusieurs régions du pays.
La sénatrice Moncion : Ma perception — et je vais m’arrêter là —, c’est que les autres provinces regardent la façon dont on traite les anglophones au Québec et se disent : « S’ils ne sont pas bien traités là-bas, on ne devrait pas mieux traiter les francophones dans nos provinces. » J’ai l’impression qu’il y a un combat qui existe dans chaque province et qu’on utilise ces arguments pour justifier le fait qu’ils n’offriront pas de services aux francophones dans leur province. C’est juste une digression. Merci.
La sénatrice Mégie : Bienvenue chez nous, monsieur Théberge. Je suis bien contente de vous revoir avec vos collègues. Ma question porte sur votre réponse au sénateur Aucoin sur la définition des clauses linguistiques. Y a-t-il un plan quand on parle de clauses linguistiques? Quelles seraient les clauses linguistiques efficaces qui feraient en sorte d’obtenir des résultats?
M. Théberge : Je pense que, dans une clause linguistique robuste ou efficace, il faut spécifier des résultats tangibles et une reddition de comptes, c’est-à-dire une comptabilité de ce que l’on fait avec les fonds. Il faut aussi que ce soit transparent. Je pense que la transparence est un principe de base. Sinon, on ne sait pas trop ce qui se passe avec les fonds. Il faut que ce soit comptabilisé et il faut s’assurer que cela mène à des résultats tangibles qui sont évalués. C’est assurément une démarche qu’on peut décrire dans un règlement.
La sénatrice Mégie : Merci. J’ai une autre question : avez‑vous des échos de Patrimoine canadien et du Conseil du Trésor concernant les recommandations de votre dernier rapport annuel portant sur l’élaboration d’indicateurs et l’échéance demandée pour préparer la révision de la Loi sur les langues officielles aux 10 ans? Avez-vous des indicateurs à recommander?
Pierre Leduc, commissaire adjoint, Direction générale de l’orientation stratégique et des relations externes, Commissariat aux langues officielles : Patrimoine canadien a confirmé qu’ils ont entamé un exercice. C’est toujours sur le radar. Par contre, on en est au début. Les délais que nous avions proposés sont quand même d’un an et demi ou deux ans. Nous avons justement échangé à ce sujet ce matin à mon niveau.
M. Théberge : Pour répondre à la deuxième partie de votre question, on se penche sur le genre d’indicateurs qu’on pourrait utiliser pour évaluer l’impact de la loi, d’une part sur les communautés et d’autre part sur l’appareil fédéral. Par exemple, il pourrait y avoir des indicateurs démographiques ayant trait à la vitalité par rapport à l’état de santé des institutions d’enseignement, des facteurs socioéconomiques, des indicateurs sur la rétention des immigrants. Il y a plusieurs indicateurs qu’il faut développer.
Toutefois, ce qui est important, c’est de ne pas tarder. Nous sommes en 2024, presque en 2025. On parle de moins de 10 ans, donc de 2033. Le temps s’écoule rapidement. Si on n’a pas des indicateurs en place pour mesurer l’impact de la loi sur les communautés ou sur l’appareil fédéral, comment pourra-t-on honnêtement se présenter dans sept ans avec des données fiables pour mieux éclairer la prochaine révision de la Loi sur les langues officielles? Certaines parties de la loi n’ont pas été touchées dans cette première modernisation. Les parties IV et V n’ont pas été touchées. La partie V, sur la langue de travail, demeure un enjeu important au sein de l’appareil fédéral.
La sénatrice Mégie : Je vous remercie.
Vous avez parlé de la rétention des immigrants. La semaine dernière, nous avons eu une rencontre avec un groupe de travail qui a justement publié un rapport sur les immigrants qui quittent le Canada. La plupart de ceux qui partent sont des francophones. Avez-vous eu vent de cela? Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles on est incapable de les retenir?
M. Théberge : Certainement, j’ai eu vent de cette étude. Il y a de multiples facteurs qui contribuent au départ des immigrants francophones. Premièrement, si on s’installe dans des communautés minoritaires à l’extérieur du Québec, il y aura des défis sur le plan de l’employabilité. Très souvent, dans ces communautés, on doit parler anglais, on doit maîtriser l’anglais à un certain niveau. Aussi, il y a une question de reconnaissance des diplômes et des acquis et un manque pour ce qui est d’une communauté d’accueil.
Lorsqu’on parle d’immigration, il y a tout un continuum, de la sélection jusqu’à l’établissement et à l’intégration dans les communautés. Je ne suis pas convaincu qu’on a tous les moyens nécessaires pour retenir les nouveaux arrivants. Il faut également reconnaître que les gens sont souvent là parce que c’est leur projet de vie, et ils ont besoin d’un emploi et d’un logement; ils sont aussi au Canada pour assurer le bien-être de leurs enfants. On n’a pas tout ce qui est nécessaire pour bien accueillir et intégrer les nouveaux arrivants. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada doit faire un meilleur travail sur le plan des politiques, notamment lorsqu’on parle de lentille francophone; il faut réellement comprendre tout le continuum et comprendre aussi comment on peut mieux soutenir les nouveaux arrivants.
La sénatrice Mégie : Je vous remercie.
La sénatrice Clement : Bonjour et bienvenue. Je veux continuer sur la question de l’immigration francophone.
Je veux d’abord vous remercier de votre récente visite à Cornwall. Cela nous fait honneur. J’ai eu une rencontre ce matin avec les intervenants communautaires qui vont appuyer la démarche des communautés francophones accueillantes. Cornwall vient d’être annoncée comme étant une communauté francophone accueillante. On en est très fier. Toutefois, on doit aussi s’organiser. On doit parler à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, déterminer quel fiduciaire va gérer l’argent et tout le reste.
Je vais faire comme la sénatrice Moncion. Aux pages 10 et 11 de votre rapport, vous dites deux choses, et vous venez de le répéter en répondant à la question de la sénatrice Mégie : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada devra écouter activement les communautés francophones. Ces communautés déplorent la lourdeur des modalités administratives liées au programme. Je l’ai entendu encore ce matin. J’ai entendu qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’est pas en train d’écouter et que c’est compliqué. Les intervenants de Cornwall sont empêtrés. On est fier, mais comment passer à la prochaine étape? Ce sont des questions concrètes que je vous pose. Que doit-on faire pour qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada écoute? Les communautés francophones accueillantes ont été annoncées, tout cela se fait en réponse à ce que vous avez dit, à ce que vous avez écrit, mais cela ne se passe pas très bien.
M. Théberge : Cela fait un certain nombre d’années que je demande d’avoir une stratégie francophone séparée des programmes réguliers d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, c’est-à-dire d’avoir une voie francophone, une stratégie d’immigration francophone, pas une lentille francophone sur des programmes qui existent déjà, mais bel et bien une voie francophone pour appuyer tous ces gens. Il y a énormément de choses qui se passent actuellement à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada; on change de cible.
La sénatrice Clement : C’est vrai.
M. Théberge : Il y a tellement de choses que cela amène un peu d’ambiguïté et d’incertitude. On a une dualité en immigration, c’est-à-dire qu’il y a une voie francophone et une voie anglophone. À mon avis, si on avait une voie francophone, cela permettrait de mettre en place toutes les structures nécessaires pour accompagner ces gens.
L’autre point que vous avez soulevé, c’est la question de la lourdeur administrative. Elle est dénoncée non seulement par ces groupes, mais aussi par d’autres qui disent que le ministère est très exigeant pour ce qui est de la paperasse administrative qu’on doit compléter. Il faut absolument trouver une façon de réduire ce fardeau. Est-ce une question de culture au sein du ministère? Une manière de le faire, ce serait que dans la partie VII de la loi, on parle de l’immigration comme telle, d’un plan qui a été soumis, en passant, et qui est dans sa deuxième année. Toutefois, on devrait peut-être préciser certains éléments dans ce plan et dans la partie VII en ce qui a trait à l’immigration, soit de parler de diminuer le fardeau administratif ou du fait de développer une voie francophone. On pourrait ajouter un programme quelconque et parler des étudiants internationaux, des travailleurs temporaires, des résidents permanents et des immigrants économiques. Ce qu’on pourrait faire, c’est d’ajouter un critère francophone. Ce serait beaucoup plus utile si on avait une voie francophone, car les gens ne viennent pas des mêmes pays. On pourrait sûrement développer deux voies séparées.
La sénatrice Clement : Qui fait cela?
M. Théberge : C’est dans le mandat d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada de le faire. Je ne suis pas le premier à faire cette proposition.
La sénatrice Clement : Quand progressera-t-on avec la partie VII?
M. Théberge : Une fois qu’on aura un règlement.
La sénatrice Clement : Cela commence à être urgent.
M. Théberge : Dès l’adoption du projet de loi C-13, dès la première journée, on a demandé qu’un règlement soit rapidement élaboré. On nous dit que le règlement sera prêt en 2025, et 2025, c’est bientôt.
La sénatrice Clement : C’est bientôt. Quand vous parlez de voie francophone, voulez-vous dire un plan stratégique séparé, par et pour?
M. Théberge : Oui, par et pour.
La sénatrice Clement : Mais mené par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada?
M. Théberge : Il y aurait une division d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada qui en serait responsable. Il y a quand même une expertise nécessaire dans le domaine. L’immigration est un sujet complexe. Si je reprends l’exemple des étudiants internationaux, pendant longtemps, tous les visas passaient par Dakar pour toute l’Afrique de l’Ouest; c’est ridicule. C’est important de s’assurer qu’on a de bonnes structures en place pour faire le travail.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Je ne sais pas si c’est votre dernière rencontre avec nous, puisque votre mandat se terminera bientôt, mais c’est certainement l’occasion d’écouter et d’obtenir de vous les conseils les plus clairs, comme vous le faites toujours.
En ce qui concerne la partie VII, il y aura trois règlements, et on entend dire que les trois règlements seraient peut-être créés ensemble, puis seraient présentés ensemble. Qu’est-ce que vous en pensez, en matière d’efficacité et de priorité? Évidemment, les trois règlements sont importants. Que pouvez-vous dire sur cette question? On connaît la lenteur de la prise de règlement sur la partie VII et sur la définition de ce règlement. On entend également dire que le gouvernement veut avancer sur les autres règlements en même temps. Est-ce que c’est une bonne approche dans le contexte actuel, où il y a urgence pour les communautés de langue officielle?
M. Théberge : Je dirais que la priorité, c’est le règlement sur la partie VII; la partie VII est déjà là, elle est en vigueur.
Est-ce que la partie VII comprend plusieurs éléments? Oui, mais cela incombe aux institutions fédérales de prendre des mesures. Il incombe au gouvernement fédéral de prendre des mesures positives pour assurer le développement et soutenir les communautés minoritaires. Il lui incombe de consulter, mais la manière de le faire n’est pas précisée.
Par exemple, lorsqu’on parle de consultation, on ne veut pas créer une structure lourde pour les communautés ni que cette structure devienne un fardeau. Il est important de développer un mécanisme raisonnable en ce qui concerne la consultation.
De plus, il est important que l’on parle des clauses linguistiques dans la partie VII. On avait beaucoup de difficulté avec la partie VII avant la modernisation de la loi, parce qu’il n’y avait pas de règlement. Donc, les institutions fédérales faisaient un peu ce qu’elles voulaient; maintenant, elles ont la responsabilité de prendre des mesures positives.
Cependant, tant et aussi longtemps qu’on ne précise pas tout cela dans le règlement, on est en attente. Cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas prendre de mesures positives; au contraire, ils peuvent certainement le faire.
Au mois de mai dernier, j’ai rencontré tous les sous-ministres fédéraux pour leur expliquer leurs obligations face à la partie VII. Tout cela est compris de façon générale, mais ce qu’il faut pour assurer la mise en œuvre, c’est un règlement beaucoup plus clair.
Pour ce qui est des autres règlements, ils sont importants, mais lorsqu’on parle de la Loi sur l’usage du français, nous n’avons pas de décret et il nous en faut un. Les sanctions pécuniaires, c’est dans un domaine particulier relatif au transport; c’est important, mais ce qui touche les communautés en ce moment, c’est la partie VII.
Le président : Le gouvernement a bien dit qu’il mettrait en place un Centre de renforcement de la partie VII de la Loi sur les langues officielles; il l’avait promis. À votre avis, qu’en est-il? Quel rôle cela va-t-il jouer et de quelle façon cela va-t-il aider les communautés et le gouvernement à avancer sur la mise en œuvre de la partie VII?
M. Théberge : Y a-t-il toujours des rencontres avec PCH à ce sujet?
M. Leduc : Oui, avec Patrimoine canadien et le Conseil du Trésor, effectivement. On nous a dit qu’ils avaient bien été consultés à quelques reprises sur la question de la partie VII. On nous dit que les prochaines étapes de consultation se feront surtout avec les Premières Nations à l’échelle du pays, avant de passer aux prochaines étapes.
Le président : C’est le Centre de renforcement de la partie VII de la Loi sur les langues officielles; le gouvernement a promis de le mettre sur pied.
M. Leduc : Au sujet du règlement, pardon. Oui, le Centre de renforcement de la partie VII de la Loi sur les langues officielles est toujours dans les plans du Conseil du Trésor. Malheureusement, je n’ai pas beaucoup de détails à ce sujet.
M. Théberge : Les choses ne bougent pas vite.
Le président : Avez-vous l’impression que le plan de match du gouvernement est clair sur cette question? Avez-vous l’impression que la feuille de route pour mettre en place le règlement de la partie VII et les éléments qui tournent autour de tout cela est claire? Vous observez quand même ce qui se passe.
M. Théberge : À mon avis, je dirais qu’au début du processus, c’était clair et on voulait aller rapidement. Maintenant, on tombe dans une période de préconsultation et de consultation, et j’ai l’impression que cela n’était pas nécessairement prévu. Comme M. Leduc l’a mentionné, on doit maintenant consulter les Premières Nations; cela n’avait jamais été fait auparavant. Donc, il faut voir comment ce sera fait. Cela prendra du temps et le temps n’est pas notre ami, étant donné le contexte dans lequel on se trouve actuellement. Il faut quand même que ce soit dans la Gazette du Canada.
Au début, on avait un plan de match solide, mais il y a eu des obstacles en cours de route.
Le président : J’aimerais vous entendre sur la question du financement, des délais et des retards en fonction des versements qui viennent du Plan d’action pour les langues officielles; les communautés se plaignent énormément de retards. Cela semble être un problème récurrent.
Selon vous, est-ce que cela mériterait de mener une étude à ce sujet? C’est une question qu’on peut se poser en tant que comité et que d’autres comités peuvent se poser aussi. Est-ce qu’il n’y a pas lieu de mener une étude pour comprendre les enjeux associés aux retards, aux versements et à la lourdeur administrative? Il me semble qu’il y a là toute une zone assez confuse. Que pouvez‑vous nous dire à ce sujet?
M. Théberge : Dans toutes les consultations qu’on a faites auprès des communautés à travers le pays pour rédiger ce rapport, je dirais que c’est l’enjeu qui a été soulevé presque partout par les intervenants. Ce n’est rien de nouveau. Lorsqu’on a fait la vigie de l’ancien Plan d’action sur les langues officielles, la situation était la même : cela prenait du temps. Ce n’est pas comme si les organismes avaient de grosses lignes de crédit avec lesquelles elles peuvent fonctionner; elles ont besoin de ces fonds pour travailler et livrer des programmes.
Est-ce qu’on pourrait mener une étude? La question serait plutôt : qui serait le mieux placé pour faire cette étude et quelle expertise serait nécessaire? On parle vraiment de la machine gouvernementale, je dirais même la quincaillerie du gouvernement, et il faut une certaine expertise pour faire ce genre de travail. Je pense qu’il faut faire ce genre d’étude afin de mieux comprendre les raisons de cette lourdeur administrative.
La question de savoir qui est le mieux placé... C’est une étude qui exige des compétences et des expertises dans des domaines très spécifiques.
Le président : Je vous remercie.
Avant de passer au deuxième tour et de céder la parole au sénateur Aucoin, j’aurais une dernière question pour vous.
Lorsque vous avez comparu devant notre comité le 27 mai dernier, je vous avais posé une question sur l’enquête portant sur la plainte déposée au sujet des plafonnements des permis d’études. Pouvez-vous nous parler des progrès de cette enquête?
M. Théberge : Je vais céder la parole à M. Wolfe.
Patrick Wolfe, commissaire adjoint, Direction générale de la conformité et de l’application de la loi, Commissariat aux langues officielles : Je pense que c’est moi qui vous avais répondu à ce moment-là. On arrive à la fin de l’enquête; malheureusement, nous sommes encore dans le processus d’enquête. On n’entrera pas dans les détails, mais l’enquête avance bien et nous allons bientôt remettre notre rapport final.
M. Théberge : Même si on ne parle pas de l’enquête, en ce qui concerne le plafonnement, il y a quand même eu des initiatives de la part d’IRCC. Encore une fois, on a mis en place un projet spécial et c’est très lourd. Les institutions de l’Atlantique nous l’ont mentionné; c’est très lourd de participer à ce projet pilote. Cela revient un peu à ce que je mentionnais plus tôt : il y a beaucoup de choses qui se passent en même temps dans le domaine de l’immigration, que ce soit les immigrants internationaux, les nouvelles cibles ou les travailleurs temporaires. On ne sait pas toujours sur quel pied danser.
Le président : Je vous remercie pour votre réponse.
Le sénateur Aucoin : Pour ce qui est de votre position par rapport à la partie VII et aux exigences ou aux éléments qui pourraient se trouver dans le règlement, est-ce que vous avez fait part de vos exigences et de vos doléances au gouvernement?
Est-ce qu’il y a un mécanisme par lequel vous pouvez nous assurer que les mesures qu’on a vues dans le rapport vont se retrouver dans le règlement? Quelle garantie avons-nous?
M. Théberge : D’abord, sur notre site Internet, il y a un positionnement sur la partie VII. On a aussi développé une feuille de route pour les institutions fédérales pour la mise en œuvre de la partie VII, selon notre interprétation de celle-ci. Étant donné qu’il y a un vide, nous avons décidé de le remplir avec cette feuille de route pour les institutions fédérales.
J’y ai fait référence lors de ma rencontre avec les sous-ministres au mois de mai dernier. On a aussi partagé notre position avec la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, la FCFA, et le Quebec Community Groups Network, le QCGN; nos intervenants sont très conscients de notre approche et elle est connue du gouvernement.
Le sénateur Aucoin : J’ai peut-être mal posé ma question. Quelle garantie avez-vous que cette position va se retrouver dans le règlement?
M. Théberge : Il n’y a aucune garantie dans la vie. Nous faisons notre travail dans le sens où lorsqu’on nous consulte, on met de l’avant nos positions, on espère toujours et on revient à la charge. Lorsqu’on nous envoie une autre ébauche ou un autre document, on fait d’autres suggestions.
En fin de compte, à un certain moment, il revient au gouvernement de décider ce qu’on va inclure ou non dans le règlement.
On veut un règlement explicite, clair, qui encadre les institutions fédérales. Par le passé, trop souvent, le Secrétariat du Conseil du Trésor a émis des directives vagues. Nous voulons que ce soit beaucoup plus clair et beaucoup plus précis et nous l’avons indiqué dans notre document.
Le sénateur Aucoin : Sur les données que Patrimoine canadien obtient, je pense qu’ils ont décidé que ce serait encore des estimations de population ou des ayants droit. Est-ce qu’il y a une chance qu’on ait les données réelles à un moment donné? Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour avoir ces chiffres plutôt que des estimations? Cela pourrait faire une grosse différence.
M. Théberge : Je crois que c’est une question de volonté. Demander une estimation ou le nombre réel, c’est une question de volonté. Je sais que Statistique Canada peut certainement faire l’un ou l’autre. C’est extrêmement important d’avoir un dénombrement juste, parce que cela a un impact sur plusieurs communautés. Si on estime qu’il y a tant d’ayants droit à tel endroit, il y en a peut-être plus — ou moins.
Ce dont je me souviens, lorsque j’occupais des postes dans le domaine de l’éducation, surtout comme sous-ministre adjoint, c’est que quand on demandait combien d’écoles on devrait construire, je répondais : « Autant que possible », parce que chaque fois qu’on construisait une école, peu importe la ville, elle était remplie tout de suite; on n’avait pas les bonnes données. Donc, c’est clair que ces données sont cruciales et qu’elles doivent être précises. Il faudrait savoir que, dans telle circonscription, il y a tant d’ayants droit.
Il y a un très fort pourcentage d’ayants droit qui ne sont pas inscrits dans les écoles de la minorité. À la maternelle, chaque année que l’on manque une cohorte, cela a un impact dans le système pour les 12 prochaines années.
L’autre point important par rapport à cela, c’est que les communautés se déplacent. Il y a des ayants droit maintenant dans les communautés où il n’y en avait pas auparavant.
Quand j’étais étudiant à l’Université d’Ottawa, il y a très longtemps, il n’y avait pas d’école francophone à Barrhaven, et aujourd’hui il y en a une. La francophonie se disperse et se transforme et c’est important d’avoir ces données.
La sénatrice Moncion : Je reviens au document. Dans la section « Recherche scientifique en français », vous indiquez qu’il y a un autre enjeu important qui a fait surface dans les dernières années, à savoir le déclin progressif de la recherche scientifique faite en français au Canada.
On sait que les conseils subventionnaires fédéraux accordent plus de 40 % de leur financement à des projets en anglais et qu’ils reçoivent de moins en moins de demandes de financement en français.
Croyez-vous que cela vaudrait la peine que tous les projets qui reçoivent du financement du gouvernement fédéral... Je ne veux pas que vous me répondiez par oui ou non, mais lorsqu’il y a du financement du gouvernement fédéral qui est fourni pour des projets de recherche, croyez-vous que les recherches doivent obligatoirement être publiées en français et en anglais?
M. Théberge : Cela dépend si l’on parle des conseils subventionnaires. Si on parle de conseils subventionnaires, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et les Instituts de recherche en santé du Canada, par exemple, ce sont eux qui financent la recherche et il y a très peu de critères en matière de langue de publication.
Ce qui me préoccupe énormément, c’est que la publication de recherche en anglais semble être une tendance lourde à l’échelle mondiale.
Ce qui me semble important, c’est qu’au sein des conseils subventionnaires il y ait des programmes spécifiques pour les communautés francophones en milieu minoritaire, ou les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM); cela a déjà existé auparavant.
Avant, il y avait des programmes particuliers au Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour les communautés et Patrimoine canadien (PCH) a mis sur pied un comité d’experts sur cette question. L’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (Acfas) a été financée — c’est un centre pour soutenir la publication en français. Ce qui me préoccupe, c’est la question de la traduction; on va produire un texte en français, on va le publier en anglais et on paie pour des frais de traduction. Est-ce que c’est ce qui va assurer la viabilité ou la vitalité de la langue française dans le monde de la recherche scientifique? Je n’en suis pas convaincu.
On tombe dans le monde de la publication universitaire, qui est dominé par quelques grandes firmes internationales qui contrôlent tout. Comment peut-on faire en sorte, lorsqu’on publie dans une revue francophone, lorsqu’on fait une demande pour l’agrégation ou la titularisation, de reconnaître que cette revue sera aussi bonne qu’une autre? C’est un écosystème très complexe, mais les institutions fédérales doivent prendre des mesures positives pour appuyer la publication en français.
La sénatrice Moncion : Oui, parce que vous l’avez mentionné. Les publications se font en anglais tout simplement parce qu’à l’échelle scientifique mondiale, elles peuvent être traduites en français. Il y a très peu de chercheurs francophones et ils se disent souvent : « Si je veux être lu, je dois publier en anglais. »
Nous sommes un pays bilingue et les fonds de recherche proviennent souvent du gouvernement, qui représente les anglophones et les francophones et qui affirme que le Canada est un pays bilingue. Cela devrait devenir une condition : « Vous recevez notre argent, vous publiez en français et en anglais, pas seulement dans une des deux langues. »
Quand j’ai étudié dans les différentes universités, cela me dérangeait énormément. J’avais choisi d’étudier en français et cela me dérangeait de voir que je n’avais accès qu’à des livres en anglais dans certaines matières. Je trouvais cela aberrant qu’une francophone doive payer pour lire en anglais. Ce n’est pas parce que j’en suis incapable. Je suis bilingue et je serai toujours capable de lire les deux langues, alors que l’inverse n’est pas nécessairement garanti. Un anglophone n’est pas nécessairement en mesure de lire en français. C’était toujours le nivellement par l’élément le plus simple, qui est considéré comme étant l’anglais. C’est ce qui fait que cela a un effet de contamination; on publie en anglais, donc cela fait que, tranquillement, les jeunes vont à l’université et il y a un moins bon accès à de la documentation en français. C’est comme ça dans notre pays : on nivelle et on encourage l’anglicisation même dans les études.
M. Théberge : Je vais donner un exemple qui n’a rien à voir avec le Canada. Je connais des chercheurs au Chili qui ne parlent pas du tout anglais. Ils font de la recherche en agriculture et elle est publiée en anglais.
Ils rédigent en espagnol; ils ne parlent pas anglais, mais ils publient en anglais. C’est devenu une tendance mondiale. Quand j’étais à l’Agence universitaire de la Francophonie, c’était un sérieux problème; on parle de la France et d’autres pays. On devrait peut-être avoir ce genre d’exigence au Canada si la recherche est financée par des fonds publics. Votre suggestion a peut-être du mérite.
La sénatrice Moncion : Les Chiliens, c’est certain qu’ils écrivent en espagnol et ensuite, c’est traduit en anglais.
M. Théberge : C’est un phénomène mondial. Quand je parlais plus tôt du monde des revues scientifiques, il est dominé par quelques grandes compagnies. C’est un défi international, mais il faut trouver des solutions locales.
La sénatrice Moncion : Merci beaucoup.
Le président : J’aimerais vous ramener à la gouvernance faite par l’appareil fédéral. Vous avez abordé le sujet tout à l’heure, mais j’ai une question sur les plans de mise en œuvre de la partie VII par les sous-ministres et les administrateurs fédéraux. De quelle manière le commissariat surveille-t-il cela? Est-ce que le commissariat compte agir contre les institutions récalcitrantes? Quel est votre portrait de la situation, et comment le commissariat peut-il être un inducteur de dynamisme pour mettre en œuvre la partie VII?
M. Théberge : Dès l’adoption du projet de loi C-13, il y a eu une première rencontre avec la présidente du Conseil du Trésor, Mme Anand, pour lui faire part des nouvelles responsabilités en matière de gouvernance pour le Secrétariat du Conseil du Trésor.
Par le passé, le secrétariat n’était pas assez précis sur le plan des attentes dans ses directives. Ce qu’on espère maintenant, c’est que, étant donné que dans la loi on donne la responsabilité de la gouvernance de façon générale au secrétariat et de la gouvernance de la partie VII à Patrimoine canadien, on va développer des cadres de responsabilisation beaucoup plus solides. Encore une fois, on nous consulte et on fait ce qu’on peut pour inclure nos propositions dans tout cela.
Dans un modèle de style Westminster, cela revient beaucoup au sous-ministre, qui a beaucoup de flexibilité et de marge de manœuvre dans la mise en œuvre. Ce qu’on veut, c’est quelque chose de beaucoup plus prescriptif que suggestif, mais il y a une tradition qui existe. Lorsqu’on nous consulte, on fait la vigie de tout ce qui sort relativement aux directives du secrétariat, mais ils ne comprennent pas encore très bien le rôle qu’ils doivent jouer sur le plan de la gouvernance.
C’est fantastique : on a une nouvelle loi, mais sans une mise en œuvre robuste de cette loi, elle n’aura pas l’impact que l’on souhaite. On a beaucoup d’attentes vis-à-vis du projet de loi C-13. Cependant, il est important de se rappeler qu’il faut une mise en œuvre qui respecte non seulement la lettre de la loi, mais aussi l’esprit derrière la loi.
Vous vous rappelez sûrement les débats que nous avons eus autour de la modernisation; on voulait que la loi ait un impact sur le développement des communautés. En passant, lorsque le règlement sera devant vous, votre comité pourra l’étudier en profondeur, en long et en large, et voir où sont les forces, les faiblesses et les failles. Il y a encore beaucoup de travail à faire sur le plan de la mise en œuvre. Cela fait presque deux ans et c’est comme si on en était encore à nos premiers pas.
Le président : J’ai une question qui n’est pas abordée dans votre document, parce qu’on parle beaucoup de la gouvernance de l’État et des communautés. Par contre, il y a un certain nombre d’institutions fédérales responsables de la culture, comme le Centre national des arts et le Conseil des arts du Canada. Ces organisations culturelles ont des responsabilités en matière de langues officielles. Au commissariat, veillez-vous à vérifier si ces grandes institutions prennent leurs responsabilités en matière de langues officielles? Est-ce un sujet que le commissariat aborde ou non?
M. Théberge : C’est un sujet que nous n’avons pas abordé, à ma connaissance, et je ne pense pas qu’on ait reçu de plaintes récemment. C’est un excellent point que vous apportez, parce que ce sont des institutions qui ont un impact énorme sur le développement des communautés. Encore une fois, ces institutions sont assujetties à la partie VII de la loi, donc elles doivent prendre des mesures positives. Ce qui me préoccupe, c’est que dans la partie VII, les possibilités sont extraordinaires, mais il faut qu’il y ait une volonté de passer à l’action et de bien respecter ces obligations relativement à la partie VII, une volonté d’être proactif au lieu d’être réactif. Il faut que chaque institution fédérale se penche sur l’impact qu’elles ont sur les communautés. Très souvent, elles se disent que ça ne les touche pas comme institutions fédérales, mais c’est surprenant à quel point on peut toucher le développement des communautés, peu importe dans quelle institution on travaille.
Le président : En ce qui concerne le travail qu’on a fait sur la modernisation de la loi, vous avez dit que le gouvernement mène une consultation auprès des Autochtones sur la question de la partie VII. Je ne veux pas vous mettre à la porte ni vous faire partir trop vite, mais je pense que c’est le moment idéal pour obtenir vos réflexions sur les relations entre les langues officielles et les langues autochtones qui sont, évidemment, dans l’environnement. On est tous d’accord pour dire qu’il faut revitaliser les langues autochtones, qu’il faut y travailler. Ce ne sont pas des langues officielles dans la Constitution et dans la Loi sur les langues officielles, mais comment entrevoyez-vous cette relation, et quel devrait être le travail qui devrait être fait pour bien intégrer les enjeux liés aux langues officielles et aux langues autochtones au Canada?
M. Théberge : Je pense qu’il est important de comprendre que les défis liés aux langues autochtones ne sont pas nécessairement les mêmes que les défis liés aux langues officielles. J’ai eu de très bonnes rencontres avec le commissaire aux langues autochtones, M. Ronald Ignace, et il est très conscient des défis auxquels ils font face. Ils nous demandent notre appui pour ce qui est des leçons apprises.
Le président : En quoi ces défis sont-ils différents?
M. Théberge : Je vais vous donner un exemple : en Colombie-Britannique, il y a plusieurs langues autochtones. Il y en a des dizaines et des dizaines, mais il y a peu de locuteurs de ces langues; on veut enseigner ces langues, mais personne n’enseigne la langue. Ils veulent développer un programme où on fait de l’immersion dans une langue autochtone et où on apprend à enseigner cette langue en même temps.
L’autre point important en éducation, c’est qu’il y a ce qu’on appelle en anglais les teachables. Pour obtenir son certificat en éducation, il faut être en mesure d’enseigner les teachables. Les langues autochtones ne sont pas des teachables pour l’instant. Il faut former des professeurs. Il faut trouver des gens. Je sais qu’il y existe un partenariat avec l’Université Simon Fraser. L’autre défi, c’est le nombre de langues parlées; il y a aussi des langues qui sont associées à un territoire, mais au-delà ce territoire, on ne parle pas cette langue. Je pense que ce sont deux régimes qui peuvent coexister. Par exemple, à Iqaluit, ils ont trois lois sur les langues officielles : il y a la loi fédérale, la loi territoriale et la Loi sur la protection de la langue inuit, et les trois coexistent sur le même territoire. Ils ont des défis, mais je pense qu’il faut préserver ce qui est en place.
Comment peut-on revitaliser toutes ces langues? Bientôt, on va en arriver à une révision de la Loi sur les langues autochtones.
Le président : Oui, tous les cinq ans.
M. Théberge : Cela commence : ce sera en 2024 et 2025. C’est à ce moment-là qu’on doit se pencher... On a identifié certains objectifs. Où en est-on? On a de très bons contacts avec le commissariat; ils font partie de l’association internationale et on les appuie du mieux que l’on peut, mais je pense que les deux systèmes peuvent coexister en même temps.
Le président : D’accord, merci beaucoup.
Nous en sommes à la fin de cette séance, mais je voudrais quand même, s’il n’y a pas d’autres questions de la part de mes collègues... Je relisais la conclusion de votre rapport et il y a des mots clés qui ressortent. Vous dites que « la vitalité des langues officielles nécessitera toujours notre vigilance ». Vous dites que « toutes les parties prenantes [doivent veiller] au grain ». Vous dites que « le Commissariat devra rester aux aguets ». Malgré votre optimisme, parce qu’il y a un certain optimisme qui se dégage de votre rapport, vous identifiez quand même, au moyen de ce vocabulaire, un certain nombre de défis et une vigilance à observer.
Si vous aviez un message à nous livrer en concluant cette séance, et comme c’est peut-être votre dernière séance avec nous, quel serait le message clé qui ferait en sorte que, dans 10 ans, quand la loi sera renouvelée, on aura l’impression qu’on aura quand même renforcé à la fois les langues officielles de ce pays et les communautés de langue officielle en situation minoritaire?
M. Théberge : Je pense qu’on s’est donné des outils, soit la loi et le plan d’action, mais on doit les utiliser pleinement pour être en mesure non seulement de solidifier les acquis, mais aussi de toujours progresser. On ne peut jamais être satisfait d’où l’on en est actuellement. Lorsqu’on est en milieu minoritaire, le statu quo est un recul. On doit toujours avancer.
Les choses avancent. Quand j’étais jeune, il y a plusieurs années, il n’y avait pas d’écoles comme celles que nous avons aujourd’hui, mais les défis et les tendances sont différents. Il y a des forces extérieures qui ont un impact énorme sur nos communautés. Lorsqu’on a adopté la première loi, les médias sociaux et la technologie n’existaient pas. Il faut toujours être vigilant et être aux aguets. Comment est-ce qu’on s’adapte? Comment peut-on utiliser la loi et les mécanismes dans la loi pour faire face à ces défis et résoudre plusieurs des obstacles qui sont devant nous?
[Traduction]
En 2018, quelqu’un a dit : « Vous savez, monsieur Théberge, la question des langues officielles est réglée. Il n’y a plus de problèmes. »
[Français]
Moi, j’ai dit : « With all due respect... »
Il existe cette pensée que les langues officielles sont un problème qui est réglé. Je pense qu’on ne réglera jamais la question des langues officielles. Cela fera toujours partie du tissu canadien. Certaines choses vont changer, mais ce n’est pas une question qui peut se régler. C’est une valeur canadienne, une valeur contemporaine; ce n’est pas une valeur historique, c’est une valeur contemporaine qui évolue dans le temps. Il faut en être conscient.
Le président : Sur ce, monsieur le commissaire, merci beaucoup. Je prends la parole, au nom de mes collègues, pour vous remercier pour tout le travail que nous avons fait ensemble, notamment toute cette grande démarche sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Vos conseils, vos observations, votre surveillance et votre collaboration dans le dialogue que nous avons établi nous ont été très utiles. Chaque fois que vous êtes venu au comité, cela nous a toujours été utile, que ce soit dans le cadre de notre étude ou pour l’examen du projet de loi. Je veux sincèrement vous remercier, en espérant évidemment que vous serez toujours dans l’environnement de nos travaux.
Merci aussi à vos collègues. Le commissariat, bien évidemment, c’est vous en raison de votre présence, mais c’est aussi beaucoup le personnel. Vous en êtes à une étape importante de renouvellement et de changement. C’est une grande responsabilité qui incombe au commissariat, mais c’est un rôle crucial que vous jouerez pour l’avenir des langues officielles au Canada. Merci beaucoup de votre comparution ce soir et à bientôt, sans doute.
M. Théberge : Merci.
Le président : Sur ce, nous allons faire une pause et nous reviendrons à huis clos, chers collègues.
(La séance se poursuit à huis clos.)