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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 22 mars 2022

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits autochtones au Canada.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je suis Fabian Manning, sénateur de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, et j’ai le plaisir de présider la réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, qui se déroulera sous forme hybride.

J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qu’ils doivent garder leur micro en sourdine en tout temps, sauf quand ils sont nommés par la présidence. S’il y a des problèmes techniques, en particulier en lien avec l’interprétation, veuillez les signaler au président ou au greffier, et nous essaierons de résoudre le problème. Si vous avez d’autres problèmes techniques, veuillez communiquer avec le centre de service de la DSI au numéro d’assistance technique qui vous a été fourni.

Enfin, je tiens à rappeler à tous les participants qu’il est interdit de copier, d’enregistrer ou de photographier vos écrans Zoom. Vous pouvez utiliser et partager les délibérations officielles diffusées sur le site Web SenVu pour cela.

J’aimerais prendre un moment pour présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui, en commençant par notre vice‑présidente : la sénatrice Busson, de la Colombie‑Britannique, la sénatrice Ataullahjan, de l’Ontario, le sénateur Christmas, de la Nouvelle‑Écosse, la sénatrice Cordy, de la Nouvelle‑Écosse, le sénateur Cormier, du Nouveau‑Brunswick, le sénateur Francis, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, le sénateur Kutcher, de la Nouvelle‑Écosse, le sénateur Quinn, du Nouveau‑Brunswick, et le sénateur Ravalia, de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur les pêches fondées sur les droits autochtones. Nous avons le plaisir d’accueillir Me Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone, de l’Université Ryerson; Mme Nicole O’Byrne, professeure associée, de l’Université du Nouveau‑Brunswick; et Mme Constance MacIntosh, professeure de droit, de l’Université Dalhousie. Au nom des membres du comité, merci d’être avec nous aujourd’hui.

Je sais que vous avez des déclarations préliminaires à nous présenter, et les membres du comité auront ensuite des questions à vous poser. Pour commencer, j’aimerais donner la parole à Mme MacIntosh. Allez‑y.

Constance MacIntosh, professeure de droit, Université Dalhousie, à titre personnel : Mesdames et messieurs les membres du comité, merci beaucoup de m’accueillir aujourd’hui. Je m’adresse à vous depuis K’jipuktuk, à Mi’kma’ki, et je vais restreindre mon exposé aux droits des Micmacs et des Malécites de décider de la façon dont sont exercés leurs droits issus de traités sur la pêche ainsi qu’au rôle du gouvernement fédéral dans les traités de pêche.

Pour situer le contexte — et j’espère que cela ne vous est pas inconnu —, le droit des Micmacs de pêcher et de vendre leurs prises a été confirmé par la Cour suprême en 1999 dans les arrêts Marshall; il a été reconnu comme un droit protégé par la Constitution et, plus précisément, il est protégé par les traités de paix et d’amitié de 1752, 1760 et 1761, dans lesquels on promettait aux Micmacs un droit de récolte et de commerce ou de vente de leurs poissons.

Cela veut dire — et c’est mon premier point — que le seul rôle du gouvernement fédéral dans les pêches micmaques en vertu d’un traité est de protéger les pêcheurs qui exercent leur droit de récolter et de vendre le poisson. Il doit veiller à ce que les pêcheurs puissent réellement exercer leur droit.

Ce droit de pêche est un droit commercial, et la Cour suprême du Canada le décrit comme étant limité par son but, d’assurer une « subsistance convenable ». Qu’est‑ce que cela veut dire? Les cours nous disent que le sens de la « subsistance convenable » change, parce que les droits ancestraux changent et évoluent pour rester pertinents et utiles, en particulier pour les titulaires de droits, c’est‑à‑dire les Micmacs. Donc, le sens du droit issu de traités dépend de la façon dont les Micmacs envisagent la façon dont ils peuvent l’exercer pertinemment, c’est‑à‑dire en fonction de leurs besoins, valeurs et lois actuels.

Je pourrais parler toute la journée de la subsistance convenable, mais je veux rapidement souligner que ces valeurs comprennent des valeurs de conservation qui sont inhérentes à... une pratique de gestion durable des ressources. Les cours canadiennes ont été claires, en ce qui concerne la gouvernance : ce sont les collectivités et les gouvernements autochtones qui gouvernent la façon dont les Autochtones peuvent exercer leurs droits.

C’était mon premier point.

Mon deuxième point concerne la façon dont les droits des Micmacs issus de traités convergent avec le gouvernement fédéral. Je vais aborder la question de la réglementation.

Le gouvernement fédéral, selon la Cour suprême, peut adopter des lois qui auront une incidence sur les droits issus de traités, y compris les droits de nature commerciale issus de traités, mais le seuil à atteindre est très élevé pour que ces lois soient constitutionnelles, puisque l’article 35 de la Loi constitutionnelle limite les pouvoirs fédéraux. Pour que le gouvernement fédéral puisse légalement jouer un rôle dans la réglementation des pêches micmaques fondées sur les droits issus de traités, au‑delà de la protection, un critère à deux volets doit être rempli : premièrement, le gouvernement doit démontrer qu’une loi qui va à l’encontre de ces droits doit poursuivre un objectif impérieux et réel, par exemple, selon ce qui a été établi, des objectifs de conservation et de gestion des ressources. Cependant, il doit y avoir des preuves réelles montrant, c’est‑à‑dire, entre autres, qu’il y a des besoins en matière de conservation et que l’intervention fédérale est vraiment nécessaire.

Les objectifs peuvent aussi comprendre la participation de groupes non autochtones à la récolte d’une ressource.

Il y a en outre un processus qui, dans le passé, a souvent empêché le gouvernement fédéral d’adopter des lois constitutionnelles. Ce processus est censé assurer que tout ce que fait le gouvernement fédéral est conforme aux obligations fiduciaires de la Couronne ou du gouvernement envers les Micmacs en leur qualité de peuple autochtone. Un élément essentiel de ce processus est le devoir de consulter; de comprendre la nature du droit issu de traités; et que toute nouvelle réglementation doit respecter ces droits ou en tenir compte, et cela comprend — et c’est d’ailleurs à cet égard que le Canada manque constamment à son devoir — le droit des Micmacs de gérer leurs propres pêches. Si le gouvernement fédéral conclut qu’il doit adopter des lois qui empiètent sur l’exercice de ces droits issus des traités, ces lois ne doivent pas être excessives; l’empiétement et les répercussions doivent être minimaux. De plus, tout régime fédéral doit faire en sorte que les titulaires de droits micmacs ont un accès prioritaire à la ressource, par exemple, après la prise en considération des besoins de conservation.

La Cour suprême a déclaré que cela ne veut pas dire un accès exclusif, mais plutôt un accès prioritaire par rapport à tous les autres utilisateurs. Il faut établir ce que cette priorité suppose en consultant directement les Micmacs. Personne d’autre ne peut affirmer ce que cela veut dire pour eux, un accès prioritaire.

Quand la Cour suprême s’est penchée sur la réglementation fédérale sur les pêches, en 1999, dans l’arrêt Marshall, la réglementation fédérale était très loin de satisfaire aux critères. Le régime fédéral actuel... À ma connaissance, les lois n’ont pas changé depuis l’arrêt Marshall, alors si elles étaient contestées de nouveau aujourd’hui, encore une fois, je doute qu’elles seraient considérées comme légales.

Depuis 1999, il y a eu un certain nombre d’initiatives fédérales à court terme de financement et d’octroi de permis. Cela me ferait plaisir d’en parler davantage durant la période de questions. Je peux vous dire que, à mon avis, aucune ne respecte les droits de gouvernance des Micmacs. Tout ce que nous avons, ce sont des ententes à court terme sur les récoltes. Nous pourrons en discuter, si vous le voulez.

Pour résumer le tout, mes points sont que : les Micmacs ont un droit issu des traités pour une pêche de subsistance convenable, et ce droit est réglementé par les gouvernements micmacs, en conformité avec les lois, les valeurs et les connaissances micmaques; la nature de ce droit, en ce qui concerne la façon dont la pêche peut être réglementée, doit changer pour être pertinent et utile pour les Micmacs; et le seul rôle que le gouvernement fédéral peut jouer, à l’égard des traités de pêche, est de protéger le droit issu de traités de façon que les Autochtones soient libres de pêcher et de vendre, en application des traités. Aussi, si le gouvernement fédéral veut jouer un rôle dans la réglementation des pêches de subsistance convenable, il doit alors respecter les droits des Micmacs issus de traités de gérer leurs propres pêches et d’établir ce que signifie un droit à une subsistance convenable, leur accorder la priorité sur les autres utilisateurs et atténuer les impacts.

De plus, et surtout à la lumière du projet de loi C-15, le gouvernement fédéral doit respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones; Me Palmater est d’ailleurs une experte du sujet, alors je vais m’en remettre à elle pour cela. C’était ce que j’avais à dire.

Le président : Merci. Maître Palmater, vous avez la parole.

Me Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone, Université Ryerson, à titre personnel : Bonjour, et merci de me donner cette occasion, [mots prononcés dans une langue autochtone] Pam Palmater. Je viens de la nation souveraine micmaque, qui se trouve sur le territoire non cédé Mi’kma’ki, et ma communauté d’origine est Ugpi’Ganjig, ou Eel River Bar, mais je m’adresse à vous aujourd’hui depuis les territoires souverains des Mississaugas de l’île Scugog.

Je suis avocate spécialisée en droit autochtone depuis 23 ans, dont 10 ans passés à Justice Canada. J’ai mon doctorat en droit et en droit autochtone, et je pratique le droit international de la personne.

Je suis ici pour vous parler spécifiquement des pouvoirs d’autodétermination, des compétences et des droits inhérents des Premières Nations, mais en particulier du droit des Micmacs de gérer et de protéger nos pêches ainsi que d’en tirer parti. Cela est légèrement différent d’une pêche fondée sur les droits.

Depuis que l’article 35 a été adopté, dans la Loi constitutionnelle, les gouvernements fédéral et provinciaux livrent une longue et douloureuse guerre d’usure contre les Premières Nations et en particulier contre les Micmacs, une guerre dont l’enjeu sont les pouvoirs et les compétences. Alors que l’article 35 devait être une forme de protection de nos droits, les gouvernements nous ont combattus à chaque étape. Au lieu d’accorder à notre droit la priorité constitutionnelle qu’il mérite, l’article 35 a servi à justifier d’importants empiétements sur nos droits, en les ramenant à de simples programmes ou initiatives. L’article 35 est essentiellement devenu une arme contre nous, et de façon très littérale; la GRC, le MPO et la Garde côtière sont entrés armés sur nos territoires pour protéger les activités de l’industrie, qui ne sont pas protégées par la Constitution.

Nous savons que nous n’avons pas accès à la vraie justice, puisque toutes les commissions d’enquête et enquêtes qui se sont penchées sur le système judiciaire ont révélé que le système discrimine les Autochtones et qu’il entretient un préjugé racial contre eux; même les injonctions jouent contre nous.

C’est pour cette raison que nous avons milité pour l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et en particulier sur son adoption ici au Canada. À présent, grâce au projet de loi C-15, il a été reconnu et confirmé que la déclaration peut s’appliquer à certains égards au droit canadien. Cela change tout. La Déclaration des Nations unies sur les droits des autochtones représente une norme minimale pour la survie, la dignité et le bien‑être des peuples autochtones, et il est important de souligner qu’elle protège nos lois, pouvoirs, compétences et droits de gouvernance inhérents en ce qui concerne nos pêches. Cela englobe l’autodétermination, l’autonomie, le droit d’être des décideurs et non des intervenants dans toutes les affaires qui touchent nos pêches, et aucune décision ne peut être prise tant que nous n’aurons pas donné notre consentement libre, préalable et éclairé. Nous sommes loin des consultations et des arrangements; notre consentement est exigé, et cela touche nos terres, nos eaux et nos mers côtières. C’est quelque chose qui touche très particulièrement les Micmacs.

Nous avons le droit de contrôler et d’utiliser ces ressources et de les gérer comme nous l’entendons, y compris en ce qui a trait à la conservation et à la protection de ces ressources. Nous avons le droit de faire appliquer nos traités. Donc, cela change tout, et en particulier en ce qui concerne les pêches, et ce, malgré la déclaration de Justice Canada selon laquelle la Déclaration des Nations unies n’a pas d’incidence immédiate sur les activités, les politiques et les lois relatives aux pêches. C’est absolument nécessaire, et cela va de pair avec la conclusion de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, qui a démontré que le Canada avait directement causé, avec ses lois, politiques et processus, un génocide historique et qui se poursuit.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est censée combler ces manquements continuels. Cela veut dire que toutes les lois, politiques et pratiques canadiennes doivent changer, mais surtout ce que les cours ont fait par rapport à l’article 35. J’irais jusqu’à dire que ces anciennes décisions judiciaires, compte tenu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, doivent être réexaminées, parce qu’elles ont restreint injustement les droits des Autochtones.

Pour les Micmacs, c’est une question urgente. Vous avez vu il n’y a pas si longtemps des actes de violence, de racisme, de haine et d’intimidation ainsi que des menaces physiques et des destructions de biens, par des acteurs relevant de l’État ou non, et le gouvernement n’est pas intervenu ou n’a pas tenté de protéger les victimes. Les choses étaient si graves que nous avons dû demander l’intervention des Nations unies, par l’intermédiaire du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et ses mesures d’alerte rapide et procédures d’intervention d’urgence. Nous avons documenté tous ces graves manquements, ces menaces à notre sécurité et à nos droits, et avons présenté les preuves aux autorités.

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies a demandé au Canada de combattre la violence et la discrimination dont nous faisons constamment l’objet, afin d’éviter que des vies soient perdues, de faire enquête sur les raisons pour lesquelles les responsables ne protègent pas activement nos droits, et plus important encore, de protéger et de respecter les lois et les droits micmacs et d’abroger les lois et politiques fédérales et provinciales qui restreignent ces droits.

Ma recommandation est que le Canada le fasse, tout simplement. Ma seule recommandation est que le Canada réalise un vaste examen de ses lois, politiques et pratiques en matière de pêche, y compris en ce qui concerne l’application et la surveillance de la loi, le tout en partenariat avec les Premières Nations, avec des représentants de notre choix à l’échelon local, les titulaires de droit. Nous voulons des pouvoirs de gouvernance sur les pêches, pas seulement y avoir accès. Merci.

Le président : Merci. Je sens énormément de passion dans ce que vous dites toutes les deux.

Nicole O’Byrne, professeure associée, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Merci de l’occasion que vous me donnez. J’ai un avantage, parce que cela fait des années maintenant que j’admire le travail de Mme MacIntosh et Me Palmater. Je doute qu’elles savent qui je suis. Je suis historienne de la Constitution. Je travaille à la Faculté de droit de l’Université du Nouveau‑Brunswick depuis 2009, et mon domaine d’enseignement est les relations entre les Autochtones et les non‑Autochtones.

Je faisais mes études en droit quand l’arrêt Marshall a été rendu, à l’automne 1999. Je suivais avec plaisir le cours de James Youngblood Henderson, titulaire d’une bourse universitaire. J’étais dans son bureau. Je lui ai dit que je n’étais pas Autochtone et que je trouvais tout cela illogique. Je ne savais pas ce que je pouvais faire. Il m’a dit d’étudier les décideurs, et c’est donc ce que je fais depuis une vingtaine d’années.

En quelques minutes, je vais essayer ici de vous parler un peu de la situation de départ et de la situation actuelle, et j’espère que cela nous permettra de nous orienter un peu quant à la voie à suivre à l’avenir, en tirant des leçons du passé.

J’ai des maîtrises et un doctorat dans le domaine des ressources naturelles, plus précisément les lois sur le transfert des ressources naturelles de 1930, aussi connues sous le nom de Loi constitutionnelle de 1930. Je vais essayer de vous convaincre que cela est pertinent.

Le rapport Macdonald, publié en 2020, présente énormément de recommandations pour la suite des choses. Il est assez récent. La vérité, ce n’est pas que nous ne savons pas quels sont les problèmes, c’est plutôt que nous n’avons pas la volonté politique de prendre le risque de vraiment faire avancer les choses.

Remontons dans le passé. La Loi constitutionnelle de 1867 était novatrice : elle a réuni anglophones et francophones dans une nouvelle entente constitutionnelle qui partageait la souveraineté, les compétences et le pouvoir décisionnel de manière à ce que nous puissions édifier la nation. Avant cela, la souveraineté n’était pas divisible.

Nous avons en quelque sorte oublié à quel point cette expérience était révolutionnaire en 1867, mais évidemment, certaines personnes ont été exclues du contrat social et de la discussion constitutionnelle. Les gens des Premières Nations étaient considérés comme des objets relevant de la compétence fédérale, selon l’article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867. C’est un véritable problème.

Une autre omission était que les territoires n’étaient pas des provinces, en 1867. L’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba ont rejoint la Confédération plus tard, mais pas en tant que partenaires égaux. Ils n’avaient aucun pouvoir sur leurs ressources naturelles ou les terres du domaine public. Ottawa a conservé ces pouvoirs afin de pouvoir coordonner les politiques sur le patrimoine familial, l’immigration et les chemins de fer, qui avantageaient l’ensemble du pays. C’était généreux de sa part. Je viens de l’Ouest du Canada.

Qu’est‑il arrivé ensuite? Louis Riel, le chef du gouvernement provisoire de la colonie de la rivière Rouge, déclare — et tous les politiciens de l’Ouest après lui ont fait valoir le même argument — que l’autonomie gouvernementale signifie avoir le contrôle sur les ressources naturelles des terres du domaine public afin de pouvoir percevoir les impôts et les recettes générées par le domaine public et mettre en œuvre des politiques publiques qui reflètent les intérêts culturels et linguistiques des gens qui sont gouvernés sur ce territoire. C’est l’essence même de l’autonomie gouvernementale.

Pendant environ 60 ans, les politiciens de tous les partis des provinces des Prairies se sont rendus à Ottawa pour dire qu’ils n’étaient pas égaux aux autres provinces de la Confédération. L’ancien premier ministre, Mackenzie King, a dit en 1930 : « D’accord, les conditions sont réunies, alors nous allons transférer les ressources. » Environ 10 ans plus tôt, l’ancien premier ministre Meighen avait dit :

C’est comme essayer de débrouiller un œuf brouillé. C’est une chose d’avoir le contrôle et l’autorité à un palier de gouvernement, mais, après 60 ans, essayer de déplacer cela à un autre palier de gouvernement, c’est comme essayer de débrouiller un œuf brouillé.

Voilà la situation dans laquelle nous sommes présentement, parce que ce contexte historique a bien sûr de l’importance. J’espère pouvoir vous convaincre. C’est un exemple qui montre que la gouvernance et les pouvoirs constitutionnels changent.

Pourquoi ce contexte historique est‑il important? Nous avons transféré le contrôle et l’administration des terres du domaine public. Nous avons modifié la nature de l’autonomie gouvernementale dans notre pays, dans le passé. Et maintenant, quels sont les problèmes clés que nous devons affronter? L’une des principales questions qu’a entraînées la Loi constitutionnelle de 1982, et le problème qui se pose, c’est que nous devons reconnaître et confirmer les droits ancestraux et issus de traités, et aussi honorer l’essence de l’autonomie gouvernementale que cette reconnaissance suppose. Ce n’est pas suffisant de simplement dire que ces choses existent et que nous faisons revivre l’histoire. Parce que ces choses font partie de la Constitution, elles ont un sens, elles doivent être mises en œuvre et elles doivent être actualisées.

Le défi, c’est que nous devons passer d’une division à deux ordres de gouvernement — le fédéral et le provincial — à une division à trois ordres, le fédéral, le provincial et, bien sûr, celui des Autochtones.

Donc, on a fait fi des peuples autochtones en 1867, sauf pour dire qu’ils étaient des objets relevant de la compétence fédérale, mais notre contrat social, en tant que nation, doit réellement reconnaître et inclure l’autonomie gouvernementale des Autochtones. Tout comme nous avons modifié la Constitution en 1930 pour donner une autonomie gouvernementale réelle aux provinces des Prairies, je soutiens que nous devons le faire également pour l’autonomie gouvernementale des Autochtones.

Un certain nombre de défis se posent, nous le savons tous. Premièrement, il y a une limite à ce que nous pouvons accomplir grâce aux poursuites judiciaires. L’arrêt Marshall a été rendu en 1999, mais qu’est‑ce que cela veut dire? Comme l’a fait valoir Mme MacIntosh, ces droits évoluent au fil du temps. La cour n’est pas l’institution la mieux placée pour s’occuper de ce genre de questions, étant donné que, dans les faits, nous traitons avec le gouvernement. On s’adresse aux gouvernements fédéral et provinciaux, mais ils se sont montrés très réticents à prendre des risques politiques et à s’occuper de ce genre de dossiers, car ils sont très épineux, et les choses peuvent aller de travers. Il peut y avoir des erreurs, et les gouvernements ne veulent pas assumer la faute. Nous devons trouver une façon de transférer le contrôle et passer d’une division à deux ordres à une division à trois ordres qui reflète la réalité historique du Canada, une réalité qui n’est pas seulement fondée sur les anglophones et les francophones, mais sur les Anglais, les Français et les Autochtones. C’est cette histoire que nous apprenons présentement, que nous révélons et que nous montrons réellement.

Nous avons d’autres défis à relever. Les non‑Autochtones, avec qui j’interagis la plupart du temps au sujet de ces questions, ne savent pas qu’il y a des traités et des bénéficiaires de ces relations issues de traités et de promesses faites il y a très longtemps. C’est un problème : le niveau de connaissance des non‑Autochtones. C’est souvent pour cela que les non‑Autochtones croient à tort que ce genre de droits, comme les pêches fondées sur les droits autochtones, sont plutôt un privilège, un programme d’aide sociale ou un autre extra. Ce n’est pas vrai. Nous parlons d’une pêche fondée sur les droits, et non pas d’une pêche fondée sur les besoins. Il y a une grande différence, et les gens ne comprennent pas l’essence de ce qu’est une pêche fondée sur les droits. Cela mène à de la frustration, à des manifestations, et ainsi de suite.

Une autre chose : nous avons évidemment constaté que la loi n’est pas appliquée en ce qui concerne les pêcheurs dans les pêches fondées sur les droits autochtones, et cela menace la primauté du droit, parce que les gens ne font plus confiance à Pêches et Océans Canada, au MPO, ou à la GRC pour ce qui est de protéger vraiment leurs intérêts. Il y a un tas d’exemples.

Pour conclure : de quoi avons‑nous besoin? Nous avons besoin d’un meilleur endroit où régler les différends entre les trois ordres de gouvernement. Nous ne pouvons pas continuer tout simplement de nous adresser aux tribunaux. Ils ne sont pas la bonne institution pour surveiller ce genre d’ententes de gouvernance multilatérales, dont nous avons besoin pour gérer les ressources. Nous avons aussi besoin que la loi soit appliquée correctement. Nous avons besoin d’éduquer l’ensemble des utilisateurs des ressources, en particulier les utilisateurs non autochtones, qui n’ont généralement pas appris ou compris ce que veulent dire ces droits constitutionnels.

Je vais m’arrêter ici. Je suis impatiente de répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame O’Byrne. Merci à tous les témoins. Je siège au comité depuis longtemps, et nos témoins de ce matin ont clairement fait preuve d’énormément de passion; la période de questions n’en sera que plus intéressante.

La sénatrice Busson : Merci à toutes les témoins. Comme l’a très bien souligné le président, la passion est palpable dans la salle aujourd’hui. Il s’agit d’un dossier extrêmement important, un dossier que nous n’avons pas traité correctement au cours de l’histoire de notre pays, et c’est pour cela que nous en sommes là aujourd’hui.

Les aperçus que vous nous avez présentés étaient très intéressants : l’effet de l’article 35, dont Me Palmater a parlé, et aussi les effets de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et l’importance de ce qui est arrivé depuis qu’elle a été adoptée par notre gouvernement. Je me demandais si l’une ou l’autre des témoins pourraient nous donner des exemples de modèles de pêche fondés sur les droits autochtones, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde, qui fonctionnent bien. Que ce soit grâce à des ententes de cogestion ou à des ententes officielles avec les gouvernements, y a‑t‑il des endroits où la culture autochtone a permis une pêche fondée sur les droits qui fonctionne? Le mieux serait un exemple au Canada, mais peu importe où c’est. Cela m’intéresserait de le savoir. L’une d’entre vous a‑t‑elle de l’information là‑dessus?

Me Palmater : J’hésite toujours énormément à donner des exemples de ce qu’on appelle des « pratiques exemplaires », parce que c’est habituellement le gouvernement qui leur donne cette étiquette. C’est habituellement une initiative ou un programme exécuté par le gouvernement et présenté comme une pratique exemplaire, même s’il y a d’autres circonstances.

Ce que je pourrais dire, c’est que l’une des meilleures pratiques exemplaires que j’ai vues, d’un point de vue autochtone, est ce que la communauté micmaque de Sipekne’katik a fait. Elle a travaillé pendant des années avec la communauté. Elle s’est engagée auprès d’elle, a réalisé des études et fait ses propres recherches scientifiques, et aussi de la science collaborative. Elle a trouvé des processus, des lois et des pratiques de gouvernance qui répondaient aux exigences en matière de conservation et allaient encore plus loin et qui respectaient leurs droits. Il y a eu un engagement complet quant à l’ensemble de leurs droits. C’est l’un des meilleurs exemples dont j’ai été témoin. Nous avons vu les résultats, mais je crois que, pour la suite des choses, c’est exactement le genre d’initiative dont nous avons besoin pour soutenir les Micmacs et d’autres peuples qui veulent assurer leur propre gouvernance et élaborer leurs propres lois et règlements sur les pêches.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup, maître Palmater. Merci de votre réponse. Je suis heureuse d’apprendre qu’il y a des exemples que nous pouvons utiliser. Peut‑être que vous n’aimez pas l’expression « pratique exemplaire », mais c’est certainement un exemple de lumière au bout du tunnel et de réussite possible, parce que nous entendons trop souvent parler d’échecs abjects dans la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits.

Je n’ai pas d’autres questions à ce sujet. Merci de votre explication.

Le sénateur Francis : Bonjour, tout le monde. Je me joins à vous aujourd’hui depuis mon bureau situé sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

La question s’adresse à tous les témoins. Lors de notre dernière réunion, le sous‑ministre adjoint principal, M. Jean‑Guy Forgeron, a dit qu’aucune modification à la loi ou à ses règlements n’était envisagée pour mettre en œuvre les droits issus de traités à une pêche à des fins de subsistance convenable. Il a même avancé que le ministère avait déjà les outils législatifs et réglementaires nécessaires pour faire avancer les pêches commerciales communautaires dans tout le Canada, y compris les pêches à des fins de subsistance convenable.

En tant qu’expertes, croyez‑vous que des modifications à la loi et à ses règlements sont toujours nécessaires pour mettre en œuvre les droits issus de traités à une pêche à des fins de subsistance convenable, et si oui, la cogestion des pêches serait‑elle une option si on arrivait à générer suffisamment de volonté politique?

Mme MacIntosh : Je pourrais essayer de répondre.

Le président : Allez-y. Tout le monde aura l’occasion d’intervenir.

Mme MacIntosh : Le régime législatif fédéral actuel, à mon avis, est inconstitutionnel, parce qu’il a été rédigé unilatéralement par le gouvernement fédéral, sans la participation des peuples autochtones qui, du point de vue du gouvernement fédéral, y sont assujettis. Donc, le gouvernement défend un régime inconstitutionnel et dit qu’il n’a pas besoin de nouveaux outils législatifs. Je répondrais qu’il faut repenser les outils juridiques existants afin qu’il soit explicite qu’ils ne s’appliquent pas aux peuples autochtones, pour commencer. Il y a un certain nombre d’instruments réglementaires qui, bien sûr, pourraient aider à soutenir les pêches à des fins de subsistance convenable, mais ils ne sont pas appliqués. Je parle, par exemple, de nos mesures élémentaires de protection de base, du maintien de l’ordre, et de l’échec complet de celui‑ci. On n’y a pas donné suite. Le Canada ne s’en sort pas très bien du côté du maintien de l’ordre ces temps‑ci.

Donc, je ne suis pas d’accord avec ce qu’il a dit. Je crois que, depuis 1999, le gouvernement fédéral a échoué sur toute la ligne pour ce qui est de vraiment collaborer avec les Micmacs sur le sens de la pêche en vertu d’un traité; c’est un bon exemple de raison pour laquelle nous ne disposons pas de suffisamment d’outils.

Je voulais parler des initiatives, mais je vais pouvoir le faire plus tard et dire pourquoi elles ne sont pas adéquates. Quoi qu’il en soit, je suis tout à fait en désaccord.

Maître Palmater, vous pouvez poursuivre, si vous le voulez.

Me Palmater : Je suis tout à fait d’accord, pour toutes les raisons que Mme MacIntosh a données, mais aussi parce qu’on a conclu, encore et encore, que les lois, les politiques, les pratiques, la réglementation et les structures de gouvernance violent la Constitution, et pourtant, rien de tout cela n’a fait l’objet d’une réécriture approfondie. Nous devons aussi nous rappeler que le droit des Micmacs à la pêche, et cela vaut aussi pour d’autres ailleurs au pays et dans d’autres territoires, est un droit issu de traités, en plus d’être un droit ancestral. C’est aussi un droit inhérent, parce que nous parlons de territoires non cédés, d’eaux et de ressources non cédées, et c’est là que se trouve le poisson. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones souligne précisément que nous avons le droit de gouverner tous nos territoires ancestraux, nos eaux et nos ressources.

Le rôle du gouvernement fédéral a radicalement changé. Littéralement, il a fait une volte‑face complète. Ce n’est pas le gouvernement fédéral qui remplit ce rôle pour les peuples autochtones; c’est maintenant nous qui assumons ce rôle. Quand le gouvernement fédéral pourra travailler avec nous en collaboration, la gouvernance conjointe sera peut‑être possible, mais jusque‑là, le seul rôle du gouvernement fédéral en ce qui concerne les Micmacs et les autres pêches est de protéger notre droit de gouverner nos propres pêches, d’en tirer profit, de les contrôler, de les étudier, de les surveiller et de décider qui y a accès.

Mme O’Byrne : Je me suis dépêchée d’aller chercher un rapport pour répondre à la première question de la vice‑présidente. En 2010, le programme de recherche intégrée pour le développement économique des Autochtones de l’Atlantique a publié un rapport, par l’intermédiaire de l’Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs Secretariat — le Secrétariat du congrès stratégique des chefs des Premières Nations de l’Atlantique —, de l’Université Memorial. Dans ce rapport long de centaines de pages, on soulignait des facteurs de réussite essentiels. Les auteurs ont examiné une foule de modèles de pêche et les ont évalués en questionnant les gens qui les appliquent sur le terrain. Ils ont mené des entrevues approfondies, et ainsi de suite.

Aujourd’hui, le rapport est un peu daté, mais il peut vous donner une bonne idée de ce qui se passe de ce côté‑là.

Comme Me Palmater l’a dit, ce ne sont pas les indicateurs de réussite selon le MPO qui sont importants, mais bien ce que les membres de la communauté considèrent comme étant une réussite, et cela couvre un large éventail.

Je peux envoyer la référence au greffier.

Pour revenir à la citation du sous‑ministre du MPO, qui a dit que tout allait bien, je dirais que c’est quelque chose qui me touche, parce que j’ai passé les 20 dernières années environ à étudier cette question. L’arrêt Marshall a entraîné des changements majeurs. Dire qu’ils ont déjà le régime législatif et réglementaire nécessaire pour gérer les changements majeurs entraînés par l’arrêt Marshall, c’est déconcertant, pour ne pas en dire plus, parce que ce n’est pas vrai. Comme mes collègues l’ont dit, les régimes réglementaires du gouvernement sont inconstitutionnels. C’est une structure de haut en bas. Il n’y a pas eu consultation.

En outre, il n’y a pas eu de changement depuis des générations. C’est parce que — et j’espère réussir à faire un lien avec ce que j’ai dit plus tôt — le gouvernement n’a pas renoncé le moins du monde à son contrôle sur la ressource, et il ne l’a pas transféré non plus. L’autonomie gouvernementale, cela exige davantage que quelques petits commentaires ou une petite consultation, mais le MPO a conservé le contrôle, il se défend en disant qu’il doit s’occuper de conservation, de ceci et de cela.

Comme Mme MacIntosh l’a souligné, il faut que cela soit limité, et vous devez donner aux pêcheurs autochtones la priorité sur ce droit, afin qu’ils puissent jouer un rôle pour équilibrer le tout, etc. Mais aucune mesure réelle n’a été prise, et je crois que je ne le dirai jamais assez, depuis l’arrêt Marshall, pour vraiment transférer ce contrôle et trouver les nouveaux modèles de gouvernance partagés dont nous avons besoin pour vraiment répondre à tous les besoins et tous les intérêts des utilisateurs de la ressource.

Le sénateur Francis : Ma prochaine question s’adresse à Me Palmater, mais je serai heureux d’entendre aussi les autres témoins.

Est-ce que toutes les Premières Nations concernées par l’arrêt Marshall ont la capacité interne, l’expertise et les ressources nécessaires pour négocier des ententes à court et à long termes avec Pêches et Océans Canada?

Me Palmater : Merci de la question. Si vous parlez de capacité financière, de capacité infrastructurelle, de rapports de recherche, de soutiens juridiques, de soutiens stratégiques, nous n’en avons pas autant que les gouvernements fédéral et provinciaux, bien sûr que non, et la raison en est que nous avons été exclus de nos propres économies, comme la pêche, par exemple.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en parle également. Nous avons non seulement le droit de gouverner cela et de promulguer nos propres lois et de décider ce qui se passe et de protéger nos pêches et d’en tirer profit, mais nous avons aussi le droit de décider des façons et des moyens. Le Canada, en tant que pays, en tant qu’État, est obligé par la loi de nous fournir tous les outils et tous les moyens dont nous avons besoin pour y arriver. Il y a beaucoup de retard à rattraper.

Donc, non seulement il faudrait que toutes les lois et politiques du MPO changent, mais il devrait aussi y avoir d’énormes sommes d’argent pour nous, à hauteur de ce que le MPO paie ses propres agents des pêches, ses chercheurs et son personnel juridique et tout le reste.

La sénatrice McPhedran : Je vous parle aujourd’hui depuis le territoire non cédé ni abandonné du peuple algonquin anishinabe, où se situe le Parlement du Canada.

Merci beaucoup, madame MacIntosh, maître Palmater et madame O’Byrne. Non seulement j’entends votre passion, mais je veux souligner, aux fins du compte rendu, que ce que vous dites reflète une analyse profonde, fondée sur des données probantes et énormément de recherche. Merci beaucoup de faire profiter le comité de votre expertise.

Je veux admettre les déclarations qui ont été faites ici aujourd’hui ainsi que l’information probante qui a été présentée sur les violations des lois en vigueur, autant par le gouvernement fédéral que par les gouvernements provinciaux, et je voudrais poser ma question dans le contexte de l’adoption par le Canada de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de son intégration à nos lois nationales.

Ma question ne porte pas tellement sur le « quoi », mais plutôt sur le « comment ». Puisque nos expertes d’aujourd’hui nous ont unanimement dit que les lois en vigueur ne sont pas viables et qu’elles sont probablement inconstitutionnelles, quelle serait la meilleure façon, d’un point de vue législatif, de nous attaquer au problème? Faudrait‑il un projet de loi omnibus? Je pose la question à toutes nos expertes, s’il vous plaît.

Mme MacIntosh : Je peux essayer de répondre. J’hésiterais à ajouter quoi que ce soit à une loi tout de suite. J’aimerais revenir à quelque chose que Me Palmater a dit, soit que tous les Micmacs, et cela a commencé particulièrement vers 2020... Les communautés micmaques étaient si frustrées par l’absence d’évolution réelle vers la reconnaissance de ce que pourrait être une pêche fondée sur les droits issus de traités.

En 2020, en particulier, les communautés ont accru leurs efforts pour déterminer comment elles exerceraient leurs droits issus des traités. Je commençais à être préoccupée par la possibilité qu’une initiative législative fédérale interfère indûment avec ce que les communautés réalisent sur le terrain.

Selon moi, le rôle du gouvernement fédéral, dans l’immédiat, s’il y a une chose que les agents fédéraux doivent faire présentement, c’est de prendre des mesures pour protéger les pêcheurs autochtones quand ils pêchent, quand ils cherchent à vendre leurs prises et quand ils veulent assurer la gouvernance de leurs propres pratiques. S’il faut changer la loi pour dire explicitement que ce rôle échoit au gouvernement fédéral et qu’il doit remplir cette tâche, alors soit.

Je pourrais imaginer un cadre législatif. Je crois que nous avons besoin de définir un mandat plus explicite. Encore une fois, je ne sais pas si le meilleur outil pour cela serait une loi, mais il faut un mandat et une ordonnance explicites pour aller de l’avant et avoir des discussions fructueuses avec les collectivités, ici, pour soutenir les efforts qu’elles font. Je vais m’arrêter ici.

Me Palmater : Les projets de loi omnibus — en fait, la plupart des projets de loi — ne nous sont jamais favorables. Les projets de loi omnibus sont probablement les pires. Ce n’est pas nous qui tenons le stylo quand le projet de loi est rédigé. C’est uniquement Justice Canada. De plus, cela ne s’aligne pas sur le contenu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Je suis d’accord avec Mme MacIntosh. Le seul rôle que le gouvernement fédéral doit jouer, par rapport aux Micmacs ou aux autres pêches, c’est de protéger nos droits. Provisoirement, le gouvernement fédéral devrait et pourrait nous exempter des lois, politiques et règlements obligatoires qui sont présentement en vigueur; il pourrait mobiliser et réorienter ses agents d’application de la loi pour qu’ils protègent nos droits, qu’ils nous protègent pendant que nous gouvernons nos droits et qu’ils nous protègent du racisme, de la haine et de la violence. Parallèlement, le gouvernement devrait nous consulter sur la façon dont nous allons procéder pour la suite des choses.

À cette fin, nous avons besoin d’outils et de moyens pour accroître toutes nos structures de gouvernance, qu’on nous a refusées en excluant nos économies. Il y a aussi la question des réparations qui nous sont dues. Pendant des générations, nous n’avons pas pu utiliser la ressource, et nous n’avons rien reçu. Tout cela pourrait soutenir notre gouvernance sur les pêches, et à mon avis, n’importe quoi de moins — et le MPO nous en donnera beaucoup moins — sera une perpétuation des violations de nos droits de la personne et du génocide visant à détruire nos communautés et nos structures de gouvernance. Cela est tout simplement indéfendable, maintenant que le Canada a reconnu que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones s’applique aux lois canadiennes.

Mme O’Byrne : Quand le gouvernement a dû transférer le contrôle et les pouvoirs d’Ottawa aux trois provinces des Prairies, il a fallu trois commissions royales, plusieurs années, plusieurs actions en justice pour débrouiller l’œuf brouillé, comme je le disais plus tôt. Cela ne peut pas se faire grâce à un projet de loi omnibus ou sous la direction du gouvernement fédéral.

Puisque la sénatrice a posé la question, je vais parler un peu plus de l’histoire constitutionnelle, étant donné qu’elle l’a vécue. Vous vous souvenez de Allan Blakeney. Il a siégé à la CRPA. Ils étaient tous des membres de la Commission royale sur les peuples autochtones, ou CRPA. Il a démissionné de la CRPA parce qu’il était question d’une relation de nation à nation. Tout cela est très important. La CRPA a été une étape importante de l’histoire de notre pays, mais M. Blakeney a démissionné parce qu’il savait qu’elle n’allait pas aboutir aux questions que nous posons ici aujourd’hui : comment et pourquoi? Comment passons‑nous d’un échelon de contrôle, de gouvernance et d’administration à un autre? Je l’ai interviewé il y a plusieurs années. Il a dit que si ce n’était pas notre objectif, que si l’autonomie gouvernementale ne l’était pas, alors à quoi bon en parler?

Nous devons parler de tout cela dans le contexte d’une nouvelle discussion constitutionnelle, d’un modèle de gouvernance partagée. Nous ne pouvons pas simplement continuer d’ajouter au modèle existant ou de le modifier, parce que la souveraineté de la Couronne et le gouvernement fédéral ont un tel contrôle et de tels pouvoirs que nous ne sommes pas du tout sur un pied d’égalité. Nous devons abattre tout cela et vraiment réorganiser les pièces, si nous voulons aller de l’avant en respectant les promesses faites dans les traités, les traités historiques qui ont été reconnus par la Constitution.

Puis, nous devons nous occuper de la question de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, dont les éléments sont essentiellement similaires à ce qui a été énoncé dans les relations issues de traités, c’est‑à‑dire qu’il ne s’agit pas tout simplement d’un pouvoir qui en domine d’autres, sujets et objets; il faut plutôt que tout le monde participe au contrat social et à la discussion constitutionnelle pour véritablement régler la question des ressources, pour échanger et pour partager la responsabilité. Le gouvernement fédéral doit être poussé dans cette direction. Il ne peut pas prendre les commandes.

Mme MacIntosh : Je ne crois pas que ce soit nécessaire de débrouiller l’omelette. Les traités ont force de loi. Nous avons déjà des lois en vigueur. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi. Ce dont nous avons besoin, c’est que le gouvernement fédéral arrête d’appliquer des lois inconstitutionnelles, des lois qui ont déjà été jugées inconstitutionnelles, et nous avons besoin de commencer à permettre l’application des droits issus de traités.

Ce qui m’inquiète, parfois, c’est que ces discussions peuvent devenir complexes, on va dans toutes les directions et on a l’impression qu’il faut régler tous les détails avant de faire quoi que ce soit. Nous avons déjà le plus important ici, c’est‑à‑dire le traité, et il s’inscrit dans notre Constitution.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais vous poser une question complémentaire, en restant sur le thème du « comment ». Merci d’avoir donné des réponses claires sur la possibilité d’un projet de loi omnibus.

Je vais demander à chacune de nos expertes : quelle est la prochaine grande étape que le Comité des pêches du Sénat devrait envisager de recommander, la meilleure prochaine étape?

Mme MacIntosh : Je ne peux pas dire que je suis certaine de ce que serait la meilleure prochaine étape, mais je sais qu’il faut surtout veiller à ce que les lois fédérales sur les pêches respectent la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est ce qu’exige le projet de loi C-15. Nous savons déjà que le régime fédéral actuel ne respecte pas la loi, alors il faut le modifier pour qu’il la respecte.

Me Palmater a fait une recommandation sur la façon d’approcher cela, et je dirais que c’est l’une des approches les plus faciles : plus précisément, il faudrait que les pêches en vertu d’un traité soient explicitement exclues de la portée du régime législatif fédéral. Je crois que ce serait dans vos cordes.

Me Palmater : Je suis surprise que cela n’ait pas déjà été fait, mais il est absolument essentiel que le gouvernement fédéral discute avec le gouvernement micmac et les gouvernements des autres nations, et nous allons choisir ses représentants. Il faut arrêter de parler à l’Assemblée des Premières Nations, à l’Association des femmes autochtones ou à n’importe quelle autre organisation autochtone nationale où il n’y a pas de titulaires de droits. Le gouvernement fédéral doit réellement discuter avec nous, et nous choisirons ses représentants, à propos de la façon dont nous allons procéder pour examiner toutes ces lois.

D’ici là, la pêche micmaque doit être exemptée de la loi fédérale, qu’il s’agisse de la pêche fondée sur les droits inhérents, sur les droits ancestraux ou sur les droits issus des traités ou de n’importe quelle autre pêche. Si le gouvernement fédéral doit adopter une loi — et je doute que ce soit nécessaire —, il doit s’engager à protéger notre droit de gérer nos pêches comme nous l’entendons. Le gouvernement doit nous fournir les outils et les moyens d’accroître et d’augmenter notre capacité de gouverner et de gérer la pêche.

Le gouvernement fédéral ne mérite pas d’être cogestionnaire de la ressource. Il a pour ainsi dire amené de nombreux stocks de poisson pratiquement au bord de l’extinction, il a permis à des pêcheurs non autochtones d’avoir un monopole économique et il a exclu les Micmacs et les autres Premières Nations. Pourtant, les Micmacs et les autres Premières Nations ont toujours fait preuve d’une grande générosité et continuent de vouloir discuter avec le gouvernement fédéral.

Donc, le gouvernement pourra peut-être, à un moment donné, avoir le droit de participer à une gouvernance conjointe, mais il faudra d’abord qu’il fasse toutes ces autres choses et qu’il discute avec les Micmacs et les autres Premières Nations sur un pied d’égalité, et non pas à la pointe du fusil, en les menaçant de poursuites, en les menaçant d’arrestation ou d’exclusion. Les choses ne peuvent tout simplement pas se faire ainsi.

Nous avons avant tout besoin d’autonomisation. Nos droits doivent être reconnus et protégés, et c’est la chose la plus importante que le gouvernement puisse faire.

Mme O’Byrne : Je vais oser intervenir : puisqu’il ne s’est pas passé grand‑chose depuis 1999 et les arrêts Marshall — et le problème existait bien avant ces arrêts —, j’encouragerais le Sénat à demander la mise sur pied d’une commission royale qui aurait le pouvoir de convoquer des gens, de recueillir des preuves et de vraiment commencer à sensibiliser le public. Les commissions royales sont excellentes pour réunir toutes les parties concernées. Elles sont indépendantes — à un degré de séparation — du gouvernement. Alors je vous encourage à y réfléchir.

Une enquête publique serait aussi une option.

Bien sûr, le gouvernement fédéral n’a pas à obéir, mais dans le passé, nous avons vu le Sénat mettre sur pied une commission royale sur l’assurance‑maladie, la Commission Romanov, et le Sénat a aussi publié le rapport Kirby, un rapport supplémentaire sur l’assurance‑maladie.

Donc, le Sénat a énormément d’autorité et de pouvoir et il peut exiger des documents et des dossiers et des personnes; il peut assigner des témoins à comparaître et faire ce genre de choses. Votre intérêt, dans la mesure où je peux l’apprécier et le comprendre, aujourd’hui, est une première étape extrêmement importante pour amener cette discussion au premier plan, parce qu’il y a un très grand déséquilibre, et c’est un problème irréductible. Le sénateur Francis a cité un fonctionnaire très haut placé du ministère des Pêches et des Océans, et je crois que cela montre que nous avons passé l’étape de la simple discussion; nous devons commencer à véritablement exiger davantage d’éléments de preuve. Je donne aussi des cours sur les éléments de preuve et des cours avancés sur les éléments de preuve, ici, à la Faculté de droit. Le temps est venu que certaines personnes rendent des comptes quant à l’inaction.

Et cela ne peut pas être fait sous la direction du gouvernement fédéral; il faut que cela soit fait à un degré de séparation du MPO, de la GRC et de RCAANC, pour parler très franchement.

Le président : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vous parle ce matin du territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe et je la remercie de nous y accueillir. Je veux sincèrement remercier les expertes‑témoins pour la clarté de leurs propos et la passion avec laquelle elles ont livré leurs arguments.

Ma question s’adresse à nos trois témoins, mais peut‑être plus spécifiquement à Mme Nicole O’Byrne, que je veux remercier pour son travail sur le rapprochement des communautés autochtones et non autochtones du Nouveau‑Brunswick, ainsi qu’à Mme MacIntosh.

Il y a un peu plus de 20 ans, un conflit important a éclaté entre des pêcheurs micmacs et des pêcheurs acadiens au Nouveau‑Brunswick. Cette crise, que l’on a nommée la crise de Burnt Church, a divisé les communautés de cette région pendant plus d’un an. Nous portons, encore aujourd’hui, les blessures affectives de ce conflit difficile. Grâce à l’embauche d’un médiateur, des ententes intérimaires et non permanentes ont été signées à ce moment‑là sans vraiment, à ma connaissance, définir ce qu’est une pêche de subsistance.

Madame MacIntosh, considérez‑vous que cette crise — car j’imagine que vous l’avez étudiée — s’est réglée en respectant les droits d’autogouvernance des peuples autochtones, puisqu’il semble que les choses fonctionnent bien maintenant? J’aimerais que vous parliez plus en détail de ce sujet.

Madame O’Byrne, quelles leçons pouvons‑nous tirer de cet événement qui date de plus de 20 ans? Comment ce conflit s’est‑il réglé, s’il s’est réellement réglé, et comment cela peut‑il éclairer nos discussions aujourd’hui?

[Traduction]

Mme O’Byrne : Merci beaucoup de la question. Je vais éviter de m’embarrasser aujourd’hui à cause de ma piètre maîtrise de votre langue. Ces questions sont trop sérieuses pour cela.

Je vais répondre à votre deuxième question en premier : quelles leçons avons‑nous retenues de Burnt Church? C’est quelque chose que j’enseigne à mes étudiants depuis longtemps maintenant. Il existe un documentaire de l’ONF intitulé Is The Crown at War with Us?, soit « Est‑ce que la Couronne est en guerre contre nous? » C’est une chose de lire là‑dessus, mais c’en est une autre de voir le bateau du ministère des Pêches et des Océans frapper un bateau autochtone et de voir les gens sauter à l’eau. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts. Quand mes étudiants voient cela, ils commencent à comprendre l’ampleur du problème et le besoin de discuter.

Beaucoup de mes étudiants viennent de collectivités francophones. Ils ont grandi dans ces collectivités, et ils ne comprennent pas la différence entre une pêche fondée sur les droits et une pêche fondée sur les besoins, et ce, même si les collectivités vivent côte à côte et sont très intégrées l’une à l’autre. Il y a énormément d’exemples où on oublie le côté et les liens humains, avec ces définitions juridiques, les affrontements et la façon dont nous considérons la subsistance convenable et d’autres choses du genre.

Ici, au Nouveau‑Brunswick, nous avons constaté un véritable manque de leadership de la part du gouvernement provincial. Il ne fournit aucune aide et ne fait preuve d’aucune initiative pour mener des discussions productives, et c’est évidemment parce qu’il participe à l’exploitation de la ressource et doit concilier tous les intérêts des gens qui vivent dans ces collectivités. Il y a des leçons à retenir ici. Ce qui est arrivé en Nouvelle‑Écosse, l’année dernière, c’est évidemment arrivé il y a une vingtaine d’années au Nouveau‑Brunswick, et nous sommes pour ainsi dire à un cheveu de revoir les barricades et de revivre l’acrimonie.

Nous avons besoin de leadership, mais ce n’est pas ce que nous voyons au Nouveau‑Brunswick. Bien sûr, le gouvernement provincial ici s’oppose à l’affirmation du titre ancestral non éteint et, dans le cadre de ce litige, inévitablement, beaucoup d’avocats vont se faire beaucoup d’argent — peut‑être que c’est une bonne chose pour mes étudiants à la recherche d’un emploi —, parce que, dans 10 ou 15 ans, quand tout cela se sera frayé un chemin jusqu’aux tribunaux, le tribunal va dire : « Bien sûr qu’il y a un titre ancestral non éteint », parce qu’il n’y a rien dans les traités de paix et d’amitié qui dit que le territoire a été cédé. Ce n’est tout bonnement pas arrivé.

Donc, tout ça est inévitable. Nous devons continuer d’éduquer les gens et de leur parler. Il faut vraiment que les non‑Autochtones comprennent l’histoire et tout ce qu’implique cette discussion.

J’ai déménagé au Nouveau‑Brunswick en 2009, et une chose que j’ai vraiment commencé à aimer, c’est la relation et la communauté. Les gens se soucient vraiment les uns des autres, ici. Donc, si nous pouvons surmonter une partie des embûches, les gens ont vraiment cela à cœur et ont ce genre de relations, ici dans les Maritimes.

Je suis peut‑être optimiste, mais nous devons éduquer les gens et nous avons besoin d’un peu de leadership politique.

Le président : Est-ce qu’une autre témoin voudrait intervenir?

Mme MacIntosh : Sénateur Cormier, j’ai vraiment aimé que vous demandiez si cela allait se régler si on respectait l’autogouvernance. Pour répondre à cela, je dirais d’abord que le problème ne peut être réglé si on ne respecte pas l’autogouvernance. Il faut que cela se fasse.

Je ne vais pas parler de la situation au Nouveau‑Brunswick — je m’en remets entièrement à Mme O’Byrne sur cette question —, mais je dirais que la source des tensions et de la violence est surtout l’incertitude permanente qui règne parce que le gouvernement fédéral n’arrête pas de dire qu’il ne sait pas à quoi pourrait ressembler la pêche en vertu d’un traité, ce qu’est une pêche fondée sur les droits inhérents, et que « peut‑être que ces Autochtones enfreignent la loi », alors on va en arrêter quelques‑uns.

Donc, le gouvernement n’est pas exactement un modèle à suivre dans cette situation, pour ce qui est de donner au public l’assurance que les choses ne sont pas complètement chaotiques sur les eaux. De ce côté‑là, le gouvernement fédéral fait plutôt empirer les choses.

Les collectivités micmaques, en particulier en Nouvelle‑Écosse, ne cherchent pas à priver les pêcheurs commerciaux non autochtones de l’accès à la ressource. Les collectivités, comme la Première Nation de Bear River, ont fait amplement participer les pêcheurs locaux non autochtones quand elles ont élaboré leur propre plan de pêche, lequel est fondé sur les droits issus de traités ou sur les droits inhérents. Donc, nous avons ces collectivités locales. Peut‑être que je répète ce que Mme O’Byrne a dit. Beaucoup de gens sont généreux, bienveillants et attentifs, et ces gens ont facilement suivi. Nous avons besoin d’un contexte où les droits d’autogouvernance des Micmacs sont respectés, où le gouvernement respecte leurs droits de pêche et les protégera si des gens tentent d’interférer illégalement, et c’est ainsi qu’ils pourront gouverner adéquatement.

Ma recommandation est qu’ils mettent en place des régimes de gouvernance inclusifs, où d’autres gens peuvent être invités à participer de façon qu’ils ne s’appauvrissent pas. Aucune collectivité micmaque ne pourra pêcher tant de poissons que les pêcheurs commerciaux vont sombrer dans la pauvreté.

Me Palmater : Pour ce qui est de la situation des Micmacs, il n’y avait aucun conflit, absolument aucun. C’était un conflit unilatéral, motivé par le racisme, la haine, la violence, la criminalité, la cupidité et l’intimidation, et il s’est déroulé au vu et au su de la GRC, du MPO et de la Garde côtière. Nos droits ont été complètement bafoués. Il n’y a aucune circonstance, peu importe si vous êtes d’accord avec nous ou pas, où les gens auraient le droit de faire ce genre de choses, comme tirer des fusées éclairantes sur les Micmacs et même ouvrir le feu. Des gens auraient pu être tués. Rien ne justifie cela. C’est une conséquence directe du racisme dans la société, effectivement, mais c’est aussi une conséquence de l’échec total du gouvernement du Canada à énoncer très clairement que les Micmacs ont des droits, ceux de gouverner et de protéger et d’exploiter leur territoire, d’éduquer les gens à ce sujet et de démontrer leur force très publiquement et fermement pour protéger les droits des Micmacs. Si cela était, il n’y aurait personne à Mi’kma’ki qui continuerait à menacer les Micmacs, à menacer les entreprises pour qu’elles refusent de faire affaire avec nous, et à faire tout ce dont nous avons parlé.

Nous avons été très, très clairs. Gouvernance ne veut pas dire exclusion, mais bel et bien gouvernance. Un changement de gouvernance suppose un changement des lois, des processus, de nos façons de faire les choses et de notre fonctionnement. Ce n’est pas quelque chose qui peut être dirigé par le gouvernement fédéral, puisque celui‑ci a échoué sur tous les plans. Certains pêcheurs commerciaux doivent aussi intervenir dans tout cela, parce qu’ils savent que la Cour suprême du Canada a confirmé nos droits, mais ils ont dit : « Nous n’allons pas respecter les droits issus de traités. Peu importe, nous ne les respectons pas. » C’est un problème dans certains secteurs de l’industrie de la pêche commerciale.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.

Le sénateur Kutcher : Je remercie énormément les témoins d’aujourd’hui. Vous nous êtes d’une très grande aide.

Comme certains de mes collègues, je viens du territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, à Ottawa.

Certains de nos témoins précédents ont soulevé des préoccupations en ce qui concerne le racisme systémique au sein du MPO. Êtes‑vous d’accord avec eux et, si oui, comment cela a‑t‑il, selon vous, empêché de trouver une solution à la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits autochtones?

Mme MacIntosh : Je vais laisser Me Palmater commercer. Je serai là pour l’appuyer.

Me Palmater : Merci, madame MacIntosh.

J’ai fait énormément de recherches là‑dessus, pas seulement dans le cadre de l’enquête nationale, mais aussi dans le cadre d’autres processus des Nations unies. L’ampleur du racisme systémique dans tous les organismes d’application de la loi... Le maintien de l’ordre, l’application de la loi sur les ressources naturelles, le service correctionnel, et j’en passe, il n’y a pas seulement les lois et les politiques qui sont discriminatoires. Ça, c’est le papier. Ce dont on parle ici, c’est de racisme systémique répandu contre les Premières Nations ainsi que des stéréotypes contre non seulement les Micmacs, mais contre des gens de partout au pays. C’est un problème qui n’a jamais été réglé.

Comment savons‑nous que ces choses existent? Eh bien, nous le savons grâce aux enquêtes nationales et aux commissions publiques. Il y en a eu une foule : l’enquête Marshall, l’enquête Ipperwash et la Commission royale sur les peuples autochtones. C’est tellement répandu qu’on ne peut pas simplement blâmer quelques pommes pourries. C’est plutôt qu’il y a quelques bonnes pommes qui sont à la merci de gens très systématiquement racistes, haineux et violents.

Parlant de la GRC, qui intervient souvent relativement à nos pêches, un ancien juge de la Cour suprême du Canada vient de publier un rapport intitulé Rêves brisés, vies brisées : Les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes au sein de la GRC, et sa conclusion était que la GRC est tellement raciste, misogyne, homophobe et violente qu’elle ne peut pas se corriger elle‑même. Les agents représentent un danger même pour leurs propres collègues féminins. On a été outré d’apprendre le nombre de leurs propres collègues féminins qui ont été victimes de viols perpétrés avec violence. Imaginez : ils ont un autre record, celui du plus haut taux de fusillades contre des Autochtones, aussi à Mi’kma’ki.

Donc, vu ce qui se passe au sein du MPO et la façon dont il agit — et vous pouvez voir les agents sur les médias sociaux faire des commentaires racistes et affreux contre les Micmacs, niant nos droits —, comment diable sommes‑nous censés discuter avec lui, en tant que nation micmaque, si nous ne sommes pas réellement à un échelon supérieur, par rapport aux pouvoirs fédéraux en place, et que nous ne pouvons pas faire appliquer les lois et les pratiques et droits de gouvernance à l’échelon administratif ou institutionnel, parce qu’il ne le fait pas lui‑même? Nous n’avons pas besoin d’une autre enquête publique ou d’une autre commission royale là‑dessus. Nous avons bien suffisamment de preuves pour prendre des mesures, y compris nous débarrasser des gens systématiquement racistes et violents et haineux au sein du MPO, de la GRC et de n’importe quel autre organisme d’application de la loi.

Mme MacIntosh : Je ne crois pas qu’il y a vraiment quoi que ce soit à ajouter. Sénateur Kutcher, les répercussions du racisme au sein du MPO sont graves.

Le sénateur Kutcher : On a posé la même question aux représentants du MPO, et ils ont dit que, selon eux, ils avaient pris des mesures pour corriger le problème du racisme systémique. Notamment, au moyen de formations contre les préjugés et sur la diversité.

Nous savons aussi que les études, au mieux, soulèvent des préoccupations quant à l’incidence de ce genre d’interventions. Il n’y a pas énormément de données probantes montrant que cela permet de changer le racisme systémique, mais cela permet au moins de dire aux gens qu’ils font quelque chose, de cocher une case.

Qu’est-ce que le MPO pourrait faire d’autre, et que pourrions‑nous faire, la société civile, pour lutter contre ce problème et peut‑être combattre plus efficacement le racisme systémique, mis à part la formation sur les préjugés?

Me Palmater : Je pense que c’est la question que je préfère, parce que la chose la moins utile qui ait jamais été faite par les organismes d’application de la loi ou le service correctionnel ou n’importe quel organisme d’application de la loi sur les ressources naturelles, c’est ces soi‑disant formations sur les réalités culturelles, sur la sensibilité à la culture, sur les préjugés, sur la discrimination, parce que les gens ne les appliquent pas. Tout le système et même les organismes responsables des lois et de l’application des lois sont conçus de façon à appliquer les lois canadiennes à grand renfort d’armes, en utilisant la violence contre les Micmacs et les autres. La seule façon d’arrêter cela, c’est que le MPO ne soit plus responsable de l’application de la loi et cesse de s’en prendre aux Micmacs.

Il en va de même pour la GRC. Lorsqu’il est question des pêches, elle ne doit plus être responsable de l’application de la loi qui cible les Micmacs. Son seul rôle devrait être de protéger les Micmacs. Cela changerait fondamentalement et littéralement tout. Il n’y aurait plus de fusillades par la police, d’agressions, de criminalisation ou d’arrestations de Micmacs ou d’autres personnes, par rapport aux pêches. Je crois que cela pourrait s’appliquer à un large éventail de choses.

Même la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes est venue ici et a dit que le Canada devait adopter une politique de tolérance zéro à l’égard de tous ces actes de violence commis lors des activités d’application de la loi, en particulier lorsque cela concerne des femmes autochtones, et qu’il devait aussi mettre en œuvre et respecter tous nos droits de la personne, y compris la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Je ne sais pas combien il faut encore de CVR, d’enquêtes nationales, de comités des Nations unies et de commissions interaméricaines — et il y en a déjà beaucoup —, en particulier sur les activités policières, qui diront : voici ce que vous devez faire. Mais ils veulent seulement rafistoler un peu les choses. Ils veulent faire ce qui est facile, mais sans apporter de modifications réelles ou même simplement s’enlever du chemin. Il faut que nous les écartions du chemin.

Le sénateur Christmas : Merci à tous nos invités et à toutes nos témoins d’aujourd’hui. Je vous parle depuis ma communauté micmaque natale de Membertou, dans le district d’Unama’ki.

Je remercie nos trois témoins d’avoir attiré notre attention sur un sujet qui a été négligé : les droits à l’autodétermination et à l’autogouvernance des peuples autochtones, relativement aux pêches et aux ressources naturelles. Comme nos témoins le savent, les droits à l’autodétermination sont clairement énoncés aux articles 3 et 4 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones

J’aimerais discuter du rôle de la communauté internationale, représentée par les Nations unies, dans ce dossier.

Maître Palmater, merci d’avoir parlé de la plainte déposée par la Première Nation de Sipekne’katik auprès du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale. Je crois savoir que vous étiez l’une des auteurs de la plainte.

Pouvez‑vous nous expliquer pourquoi cette plainte en particulier a été déposée auprès des Nations unies? Pouvez‑vous nous expliquer certains des événements qui ont donné lieu à cette plainte? Pouvez‑vous nous expliquer certains des recours que demande la partie plaignante?

Me Palmater : Merci de poser la question, parce qu’elle est très importante.

Nous savons qu’à l’époque, le racisme contre les Micmacs était largement répandu, et qu’il y avait un nombre élevé d’actes racistes à Mi’kma’ki relativement aux pêches, et ce n’était pas la faute des Micmacs.

Les gens à Sipekne’katik ont passé des années à élaborer leurs lois. Ils ont avisé tout le monde. Ils voulaient bien travailler avec le gouvernement. Ils ont avisé le gouvernement provincial, le gouvernement fédéral, la GRC et le MPO. Ils ont dit : voici comment les choses vont être mises en œuvre, alors travaillons ensemble, parce que nous avons peur qu’il y ait encore des éléments racistes dans la société qui pourraient constituer un risque pour nous.

Ils n’ont pas répondu. Ils n’ont pas travaillé avec les Micmacs, et nous avons vu des centaines et des centaines de pêcheurs non autochtones, beaucoup d’entre eux des pêcheurs commerciaux, commettre des actes de violence et agresser physiquement les Micmacs, menacer d’agresser les Micmacs, détruire les casiers des bateaux, les autres engins et le matériel, incendier des bâtiments sans aucun égard pour la vie humaine, tirer des fusées d’éclairage sur les Micmacs, ouvrir le feu sur eux avec des armes à feu à différents endroits à Mi’kma’ki.

En plus, il y a eu une énorme foule de gens qui sont allés voir les différents acheteurs et les ont menacés de leur infliger le même traitement s’ils achetaient des Micmacs; alors on ne cherche pas uniquement à nous empêcher physiquement de pêcher, on veut s’assurer que nous ne pourrons jamais vendre notre poisson, peu importe le type de pêche. Ils veulent exclure les Micmacs, une chose que les Micmacs n’ont jamais voulu faire. C’est pour cette raison que nous avons fait cela. Nous avons vu ce qui est arrivé. Nous avons vu la GRC rester les bras croisés, sans intervenir. Le MPO confisquait aussi notre matériel.

Nous nous sommes dit, d’accord, nous n’avons pas accès à la justice ici. Toutes les enquêtes ont conclu qu’il y avait des préjugés raciaux et de la discrimination et que les organismes d’application de la loi utilisent plus souvent la violence contre nous que contre les leurs.

Nous nous sommes adressés aux Nations unies parce qu’elles ont des procédures d’intervention d’urgence, si vous vous retrouvez dans une situation où les violations des droits de la personne sont si graves et si extrêmes que vous avez besoin d’une intervention urgente. Nous ne nous sommes pas simplement adressés aux Nations unies en disant qu’on violait nos droits. Nous avons documenté cela avec des vidéos, des photos et des témoignages. C’était partout dans les médias sociaux, et tout le monde pouvait les voir. Les Canadiens sont littéralement restés les bras croisés et ont regardé tout cela arriver.

Les Nations unies nous ont répondu. Nous nous sommes adressés à elles parce que nous n’avions aucun accès à la justice, ici. Même quand on voulait faire quelque chose pour les droits de la Première Nation Sipekne’katik et des autres, il n’y a rien qui se faisait.

Les fonctionnaires fédéraux disaient plutôt que nous pêchions illégalement, hors saison, ce qui revenait essentiellement à jeter de l’huile sur le feu, et ils participaient aussi aux discussions sur les médias sociaux avec les pêcheurs qui faisaient beaucoup de problèmes et étaient peut‑être même violents. C’est pourquoi nous nous sommes adressés aux Nations unies pour leur demander d’examiner nos preuves, d’examiner nos droits de la personne et peut‑être d’intervenir au Canada.

Et c’est exactement ce que les Nations unies ont fait. Elles se préoccupaient énormément du risque de pertes de vie, de la violence continue, du fait que nous étions coupés de notre ressource, du fait que nous étions expulsés par la force de nos territoires et de tous les manquements dont nous avons parlé ici aujourd’hui. Pourquoi le Canada ne prend‑il pas de mesures pour protéger Micmacs contre les préjudices, et deuxièmement, pour nous protéger, nous et nos droits?

Les Nations unies ont demandé spécifiquement au Canada d’abroger toutes les lois fédérales ou provinciales qui entrent en conflit avec ces droits. Certaines de ces lois imposent des restrictions quant aux acheteurs à qui nous pouvons vendre; elles régissent nos saisons et nous interdisent de faire des choses en vertu des lois micmaques et tout le reste. Elles érigent une barricade contre notre droit de participer à l’économie. Nous demandons que ces barricades soient renversées, parce qu’elles violent les droits de la personne, et nous voulons dire au Canada que c’est ce que vous devez faire.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup de nous faire part de vos réflexions, maître Palmater. Au Canada, les Micmacs ont épuisé tous les recours juridiques. Nous avons un arrêt de la Cour suprême du Canada. Au cours des 20 dernières années, je crois que nous avons épuisé tous les moyens au Canada de travailler avec le gouvernement pour essayer de régler le problème. Vous devez comprendre aussi à quel point tout cela nous frustre, que nous soyons Micmac, Wolastoqey ou Passamaquoddy.

Maintenant que l’attention des Nations unies s’est portée sur le Canada et son traitement des pêcheurs, j’aimerais savoir si, selon vous, les Canadiens autochtones ou les Canadiens qui sont leurs alliés devraient demander à la communauté internationale, les États membres des Nations unies, d’envisager de boycotter tous les produits de la pêche canadienne qui n’ont pas été récoltés par des Autochtones ou, à tout le moins, qui n’ont pas été récoltés en conformité avec les modalités commerciales de nos traités. J’aimerais avoir votre opinion là‑dessus, maître Palmater, et aussi celle des autres témoins, à propos de l’idée de lancer un boycott international des produits de la pêche canadienne.

Me Palmater : Merci. C’est une question vraiment importante, mais elle risque d’être mal interprétée.

Comme vous le savez, puisque vous êtes de Mi’kma’ki — et je suis de Mi’kma’ki aussi, d’une région qu’on appelle aujourd’hui le Nouveau‑Brunswick —, nous sommes confrontés aux mêmes problèmes, simplement à différents endroits de Mi’kma’ki. Nous avons toujours dit que nous voulons gouverner nos propres pêches, nos terres et nos eaux, en appliquant nos propres lois et réglementations, déterminer ce qui doit être conservé, ce que nous pouvons exploiter. Et ce n’est pas de façon exclusive, pas pour dire : « Les pêcheurs non autochtones peuvent quand même pêcher, mais selon ces modalités et pas plus qu’une telle quantité. » Ces décisions nous reviennent.

Cela étant dit, nous avons longtemps fait valoir devant la communauté internationale que quiconque récolte une ressource naturelle, que ce soit le bois d’œuvre ou n’importe quelle autre ressource naturelle au Canada, sur n’importe quel territoire non cédé, comme Mi’kma’ki, et qui n’a pas respecté les droits de la personne et les lois autochtones... Et rappelez‑vous, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones établit que les droits de la personne sont les normes minimales. Donc, s’ils ne se conforment pas aux normes minimales — les normes confirmées, disons, par les Micmacs ou par une autre entité —, ils ne devraient pas avoir le droit de vendre, et il faudrait que cela soit précisé dans les accords commerciaux.

Je vous ai parlé plus tôt, entre autres, des accords commerciaux internationaux, du fait que nous en sommes exclus et de ce dont nous avons besoin pour protéger nos ressources naturelles.

Je crois que, s’ils continuent à violer illégalement nos droits de la personne, nous allons devoir plaider notre cause. Seules les pêches qui respectent les droits fondamentaux de la personne et nos lois recevront notre autorisation. Vous verrez que la grande majorité des non‑Autochtones et des pêcheurs individuels seront probablement plus qu’heureux de se conformer. Ce sont seulement les gens qui ont un monopole ou les éléments racistes de l’industrie commerciale, qui sont d’emblée contre les droits, qui pourraient avoir un problème avec cela.

Mme MacIntosh : J’hésiterais à proposer un boycott, à moins que l’initiative vienne vraiment des communautés, bien sûr. Je commencerais par là. Je ne veux pas avoir l’air d’aller trop loin, puisque je ne suis pas de la communauté micmaque.

Vos commentaires me font penser, malgré tout, à ce qui est arrivé après l’arrêt Tsilhqot’in, qui reconnaissait le titre ancestral en Colombie‑Britannique. Une crainte se dessinait en arrière‑plan, et les non‑Autochtones se demandaient ce qui allait arriver à tous ces Blancs qui vivaient tout près du territoire de la nation Tsilhqot’in, ou même qui avaient une maison sur le territoire de la nation Tsilhqot’in visé par la revendication.

Les gens ont agité l’épouvantail, mais, au bout du compte, les gens, les familles qui étaient voisines et qui avaient vécu jusque‑là près des communautés Tsilhqot’in étaient très heureux d’être gouvernés par les Tsilhqot’in parce qu’ils savaient qu’ils allaient protéger leurs intérêts; ils avaient tissé des liens.

À mesure que nous nous approchons — espérons‑le — du respect des droits de gouvernance autochtone sur les pêches, je ne serais pas surprise de voir des pêcheurs non autochtones demander d’être intégrés d’une façon ou d’une autre à ce régime, en particulier parce que ces pratiques de gestion de la ressource vont continuer dans l’avenir. Les gens qui travaillent dans une pêche micmaque fondée sur les droits issus de traités ou les droits inhérents savent que la ressource est exploitée d’une façon qui permettra à leurs petits‑enfants de pêcher eux aussi. Cela leur est d’un grand réconfort.

Mme O’Byrne : J’aimerais soulever rapidement quelques points. Je vous remercie d’avoir dit que les recours juridiques avaient été épuisés. Quand vous dites que « les recours juridiques ont été épuisés », vous devez comprendre la façon dont les cours sont conçues, d’un point de vue institutionnel. Elles sont essentiellement conçues pour traiter des affaires à somme nulle. Vous allez devant la cour, vous avez un droit sur quelque chose, vous avez un recours. Elles ne sont pas conçues pour traiter les affaires de gouvernance et de gouvernementalité.

Dans le passé, évidemment, les Autochtones ont utilisé tous les moyens à leur disposition — les litiges, la politique, les élections, les barricades, les manifestations si nécessaire —, en changeant et en bougeant tout le temps. Peut‑être que la politique est davantage la solution, parce que l’article 35, qui reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités, n’est pas inscrit dans la Charte. Bien sûr, le discours sur les droits est aussi une partie à somme nulle : il y a eu violation de mes droits, je vais devant la cour, je demande réparation. Il n’y a pas de nuances.

Quand nous parlons de gouvernance partagée et de trois ordres de gouvernement, nous devons trouver une façon de nous orienter dans ces différentes relations et avoir un nouveau genre de mécanisme de règlement des différends. Nos institutions actuelles ne sont pas conçues pour gérer tout cela très efficacement. Je crois que c’est ce qui a fait en sorte que les moyens juridiques ont été épuisés.

Je suis heureuse que nous puissions par exemple aller voir la communauté internationale pour faire un coup d’éclat et peut‑être déclencher une discussion. Cela peut être efficace. Nous savons que les manifestations peuvent amener les politiciens à enfin accepter un accord ou un autre, ou du moins admettre qu’il faut des négociations. Si on veut être vraiment optimiste à propos du Nouveau‑Brunswick — pour revenir à la question du sénateur Cormier —, cela a été l’issue de Burnt Church, mais cette politique de la corde raide est très dangereuse.

Tout le monde a intérêt à ce que tous les ordres de gouvernement, y compris les ordres autochtones de gouvernement, s’assoient ensemble pour trouver une façon de créer un véritable modèle de gouvernance partagée pour ces ressources. Si le gouvernement refuse de bouger, nous devons trouver des façons de le faire bouger.

La sénatrice Cordy : Je vous parle aujourd’hui depuis le territoire non cédé des Algonquins et des Anishinabes. Je tiens à dire un énorme merci aux témoins. Nous avons une discussion très franche, directe, sans retenue. C’est de cela dont nous avons besoin, si nous voulons discuter des pêches micmaques ou autochtones.

Je viens de la Nouvelle‑Écosse, et je me souviens de l’arrêt Marshall en 1999, il y a 23 ans. Ici, on continue d’en parler, mais les choses n’ont pas vraiment bougé, et c’est frustrant. Je me rappelle avoir dit que cela remontait à 10 ans, 15 ans. Maintenant, cela fait 22 ans, et nous en discutons encore, parce que l’arrêt n’a pas encore été mis en œuvre. Cela ne fonctionne tout simplement pas. Nous en sommes encore pour ainsi dire toujours à la ligne de départ.

Nous l’avons constaté avec les pêches — et d’autres en ont parlé —, il y a eu de la violence et de la destruction de biens. C’est arrivé en Nouvelle‑Écosse et dans le Sud‑Ouest de la Nouvelle‑Écosse, l’année dernière. Ce n’est pas un cas isolé. Le sénateur Cormier a parlé de Burnt Church. C’est réel.

Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit. Il faut prendre des mesures maintenant, pas dans 5 ans ou dans 23 ans. Les peuples autochtones — comme on nous l’a dit encore aujourd’hui — ne participent pas au processus décisionnel. Ils sont tout bonnement mis à l’écart, et on leur dit quoi faire.

Le ministère fédéral dirigeant les négociations de nation à nation devrait‑il être Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada, plutôt que Pêches et Océans Canada? Il ne semble pas y avoir de négociations de nation à nation avec le ministère des Pêches. Est‑ce que cela pourrait changer les choses, d’une façon ou d’une autre?

Mme O’Byrne : Mes étudiants me posent cette question chaque année, quand ils regardent la vidéo de ce qui est arrivé à Burnt Church. Avant, c’était Affaires indiennes et du Nord Canada. Que leur est‑il arrivé? Ce ministère n’a fait preuve d’aucun leadership. La Loi sur les Indiens est toujours en vigueur dans notre pays, même si elle est tout à fait méprisable. Mes étudiants trouvent difficile de même dire « Loi sur les Indiens », parce qu’ils sont mal à l’aise de prononcer ces mots, et pourtant elle existe encore. Il n’y a pas eu de leadership ni de coordination. Le ministère s’est retiré, et il reste le MPO et la GRC qui ne savent pas quoi faire. Le fédéral, représenté par RCAANC, est invisible. Il va peut‑être intervenir, si on lui demande, pour fournir quelques ressources ou assurer une coordination minimale, mais il n’a fait preuve d’aucun leadership.

J’ai parlé avec quelqu’un qui travaille pour une des Premières Nations ici au Nouveau‑Brunswick, la semaine dernière, pour me préparer à la réunion d’aujourd’hui, et c’était exactement de cela dont cette personne se plaignait : il n’y a pas de leadership, pas de ressources, et le ministère ne joue aucun rôle réel. Donc, aussi bien se demander pourquoi il continue d’exister. C’est une autre chose que nous devons débrouiller dans l’œuf brouillé : avons‑nous besoin du RCAANC, et avons‑nous besoin de la Loi sur les Indiens? C’est une autre discussion à part entière.

Vous avez posé une excellente question, parce qu’il y a des façons d’amener ces intérêts à participer aux discussions, parce que si le gouvernement fédéral va simplement disparaître et n’intervenir que pour faire appliquer la loi, par l’intermédiaire de la GRC et du MPO, c’est un véritable problème.

Je n’ai pas de réponses à vous donner, mis à part pour dire que le ministère n’a aucune présence réelle au Nouveau‑Brunswick.

Mme MacIntosh : Je dirais que si votre comité du Sénat peut recommander que le gouvernement fédéral abroge cette loi fédérale raciste et inconstitutionnelle, à tout le moins pour ce qui est de son application au peuple micmac, les Micmacs pourront exercer leurs droits inhérents relatifs à la pêche, et ils commencent tout juste à le faire. Si le Canada veut mettre sur pied un accord sur une éventuelle relation partagée, peut‑être que les choses pourraient progresser un peu si cette pêche était en place, active et protégée, et nous réussirions à faire des progrès, même si ce n’est pas arrivé depuis 1999.

Les fonctionnaires du MPO ne sont évidemment pas les bonnes personnes pour participer à cette discussion. Je ne suis pas certaine que les fonctionnaires de Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada le sont non plus. Nous avons besoin de gens dont le mandat est vraiment de conclure des accords, pas de gens qui se contentent de dire qu’ils sont là pour écouter, parce que leur écoute devient une consultation, et cela est ensuite utilisé contre les Autochtones plus tard.

Nous avons besoin d’un changement à 180 degrés, d’un signal de départ : « Peuples autochtones — peuples micmacs —, vous pouvez exercer votre droit inhérent à la pêche. Nous vous faisons confiance pour gouverner raisonnablement. Nous vous faisons confiance en matière de conservation. Nous sommes convaincus que vous savez ce que vous faites en tant que peuple, qui pêche depuis des temps immémoriaux. »

Si le gouvernement fédéral veut jouer un rôle dans la forme que prendra la pêche, il peut s’asseoir à la table de discussion avec les peuples micmacs et conclure un accord avec eux. Je ne vois aucune raison pour laquelle il n’y a pas de pêche micmaque en ce moment, une pêche qui bénéficierait d’une protection complète, comme l’exige la primauté du droit.

Le président : Merci, sénatrice Cordy. Avez‑vous une question complémentaire?

La sénatrice Cordy : Je pense que Mme Palmater avait aussi levé la main.

Me Palmater : Je suis d’accord avec Mme MacIntosh. Au bout du compte, c’est impossible d’avoir des négociations de nation à nation dans un contexte de nation à ministère, comme c’est le cas présentement, qu’il s’agisse de RCAANC ou de discussions avec le MPO, la GRC, Santé Canada ou Condition féminine Canada. Une relation de nation à bureaucrate du ministère, ce n’est pas une relation de nation à nation.

Nous avons besoin que le Cabinet et le gouvernement du Canada prennent des décisions claires et fermes, pour dire qui va s’asseoir à la table de négociations avec un véritable mandat. Ils devraient dire : « Le temps que nous fassions cela, ce qui va prendre une éternité, nous allons exempter les Micmacs et les autres Premières Nations des lois, politiques et règlements du MPO. Nous allons modifier nos mécanismes d’application de la loi afin de protéger les peuples micmacs contre quiconque, de n’importe quelle communauté ou industrie, voudrait utiliser la violence. Nous allons fournir des moyens et des outils pour renforcer l’autodétermination et les capacités de tous nos conseillers, chercheurs et scientifiques. Ensuite, nous serons prêts à nous asseoir et à examiner nos lois et à discuter d’un éventuel modèle de gouvernance conjoint, si vous le voulez. »

La sénatrice Cordy : Merci. Je vais vraiment devoir lire la transcription de la réunion. J’essaie de prendre des notes, mais ce n’est pas suffisant, parce que tout me semble si important.

Est-ce que les Micmacs et les autres Premières Nations, en plus d’avoir le droit issu de traités de pêche à des fins de subsistance convenable, ont aussi le droit de gouverner leurs propres pêches? Je sais que vous avez donné diverses réponses, mais j’aimerais que ce soit un peu plus direct et précis, cette fois.

Me Palmater : Est-ce que cette question est pour moi?

Le président : Allez-y, maître Palmater.

Me Palmater : Les Micmacs — et je ne représente pas évidemment tous les peuples micmacs —, d’après tout mon travail et mes études, les Micmacs ont, d’abord et avant tout, un pouvoir inhérent d’exercer leur souveraineté, leur compétence et leur gouvernance pour régir la ressource et l’exploiter. Cela date de bien avant l’article 35.

De plus, l’article 35 reconnaît les droits ancestraux relatifs à la pêche. Nous n’avons pas vraiment mis à l’épreuve les droits ancestraux des Micmacs de pêcher, et ces droits sont très différents des droits issus de traités et de ce qui est protégé par un traité. Donc, la Cour suprême du Canada a limité le traité en question à la « subsistance convenable ». Je crois que cette décision est erronée, compte tenu des lois internationales sur les droits de la personne, et qu’elle va devoir être réexaminée. Je ne crois pas qu’un plafond soit nécessaire, dans ce contexte.

Cela dit, il ne s’agit que d’un de nos vastes droits, pouvoirs et compétences, compte tenu de ce que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et toutes les autres lois internationales ont dit sur notre droit de régir, d’exploiter, de contrôler, de conserver et d’exploiter la ressource... Nous pouvons faire ce que nous voulons.

Le président : Merci, maître Palmater, et merci, sénatrice Cordy.

Avant de donner la parole à la sénatrice Ataullahjan, je tiens à aviser les sénateurs et sénatrices ainsi que les témoins qu’il nous reste qu’environ 24 minutes. Nous devons nous arrêter à l’heure fixe, à cause du format hybride. Comme l’a dit la sénatrice Cordy, « les petites questions débouchent parfois sur de longues réponses ». Je voulais simplement que tout le monde soit au courant.

Aussi, à la fin de la réunion d’aujourd’hui, si le temps nous le permet — et sinon, nous le ferons par écrit —, quand nous réalisons une étude comme nous le faisons présentement au comité, le but de notre rapport est de formuler, au bout du compte, des recommandations, et ce que nous recommanderions au Sénat, ce serait de donner suite au travail que nous avons accompli.

J’aimerais demander à l’ensemble des témoins, si possible, de formuler une recommandation ou de proposer quelque chose que nous pourrions ajouter à nos recommandations. Nous allons y revenir, mais je voulais simplement vous donner un peu de temps pour y réfléchir, avant de poursuivre. J’espère que nous aurons le temps de vous poser à chacune cette question, à la fin.

Nous sommes censés avoir un deuxième tour, mais je ne sais pas si cela sera possible, parce qu’il nous reste encore trois sénateurs au premier tour.

La sénatrice Ataullahjan : Je siège depuis très peu de temps au comité, alors j’apprends.

Ma question s’adresse à toutes. Une chose que j’ai relevée en particulier dans vos témoignages est qu’il y a une absence de connexion entre le gouvernement fédéral et les communautés autochtones. Puisque les consultations semblent insatisfaisantes, comment la présence de conseillers autochtones au sein des ministères fédéraux, comme le MPO, pourrait‑elle contribuer à faire avancer les dossiers comme celui des pêches à des fins de subsistance convenable? Nous continuons d’entendre qu’il y a du racisme systémique au MPO et dans certains autres ministères.

Mme O’Byrne : Merci de poser cette question, surtout que nous sommes tous à la recherche de connaissances. Pour revenir à ce que la sénatrice Cordy a dit à propos de prendre des notes, en tant que non‑Autochtone qui apprend sur le sujet, j’ai trouvé un livre de Peter H. Russell intitulé Canada’s Odyssey, soit l’Odyssée canadienne. Ce livre donne un bon aperçu. L’auteur a étudié ces questions pendant 60 ans, et son livre s’adresse aux non‑Autochtones qui commencent à se renseigner sur ces dossiers. Je vous le recommande fortement.

Pour revenir à la question des conseillers autochtones, je crois que ce serait excellent. Il faut qu’on examine divers modèles, parce qu’il y en a plus d’un, dans les collectivités autochtones. Souvent, ce qui arrive, c’est qu’on dit : « Trouvons une personne autochtone », et comme Me Palmater vient de le dire, elle ne parle pas au nom de tous les Micmacs. Je peux vous dire qu’il y a une richesse de diversité et de pluralité qui dépasse l’entendement dans les collectivités autochtones du pays, et même si elles sont une source qui peut nous apporter beaucoup, vous ne pouvez pas dire à un Cri du Nord de la Saskatchewan qu’il a le même point de vue qu’un autre Autochtone vivant dans une autre partie du pays.

Il doit y avoir des façons de fournir des conseils d’une façon qui soit plus utile, mais vous ne pouvez absolument pas vous attendre à ce qu’il y ait quelques voix autochtones à la table et décider que cela est suffisant, parce que la question est bien trop complexe pour cela.

Mme MacIntosh : S’il y avait un groupe consultatif autochtone qui est indépendant, qui n’a pas besoin d’appartenir à la base du MPO, et qui a de l’expérience en matière de microagressions racistes et dont les membres peuvent se réunir, travailler ensemble et contribuer ou diriger ou jouer un rôle, cela serait préférable au simple fait d’avoir des conseillers individuels. Je crois que ce serait un environnement de travail très toxique pour eux, et que cela pourrait leur causer de graves préjudices. Un comité autochtone indépendant pourrait certainement contribuer réellement à ce qui se passe sur le terrain.

Je voulais ajouter quelque chose par rapport à la question de la sénatrice Cordy sur les droits de gouvernance, parce que la Cour suprême du Canada a énoncé très clairement que tous les droits autochtones comprennent le droit de la collectivité de déterminer comment le droit est exercé. Donc, il y a nécessairement un aspect politique. C’était dans les arrêts Sappier et Gray, en 2006.

Me Palmater : Vous posez une question importante, parce que les gouvernements, avec la politique du « précipice à bisons des années 1980 », ont essayé de mettre en place une tactique très ciblée visant à appliquer toutes ces politiques vraiment destructives, mais ils allaient s’assurer qu’il y a des représentants des Premières Nations à leurs côtés, pour faire une foule d’annonces conjointes et faire semblant que c’était dans notre intérêt supérieur. Ils ont vu à quel point cela a été efficace, en réalité.

Malheureusement, il ne s’agit pas seulement du gouvernement en place : cela concerne tous les partis politiques, fédéraux et provinciaux. Ils cherchent des Autochtones qui partagent leur point de vue ou qui pourraient le partager pour obtenir un emploi ou quelque chose d’autre, et c’est souvent ainsi qu’ils obtiennent ce genre de béni‑oui‑oui.

Je parle par expérience. J’ai travaillé au gouvernement fédéral pour Justice Canada et Affaires indiennes pendant 10 ans. Peut‑être que les choses ont changé, mais je n’ai entendu aucun de mes collègues dire que les choses ont beaucoup changé.

Il y a aussi des gens qui font beaucoup d’efforts pour dire : « Vous devez faire ces changements », et comme l’a dit Mme MacIntosh, ils repartent énormément déçus.

Cela dit, il n’y a aucun conseiller autochtone, peu importe le ministère, qui peut faire ce travail. C’est un travail de nation à nation, et nous devons décider de nos représentants. Si les Micmacs disent : « Oui, nous voulons qu’il y ait un conseiller autochtone à Affaires indiennes », alors d’accord, allez‑y. Mais c’est le choix des Micmacs. « Nation à nation » veut dire beaucoup plus que des conseillers individuels, qui sont censés avoir une connaissance générale de tous ces dossiers.

Oui, le MPO est un ministère fédéral, mais la relation de nation à nation, c’est avec les Micmacs sur le terrain, avec les Wet’suwet’en ou avec les Haïdas. Cela veut dire que vous devez discuter avec les titulaires de droits, et cela comprend le chef et le conseil, les chefs traditionnels, les pêcheurs communautaires, les femmes autochtones, les experts autochtones et les militants autochtones.

Vous devez aussi, en particulier, garder à l’esprit que l’enquête nationale et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones font valoir qu’il faut donner une attention ciblée et particulière aux femmes autochtones. Je dirais même que les femmes micmaques, dans le passé, ont elles aussi été exclues de participer à la gouvernance, et même de participer à leur collectivité. Présentement, des centaines de milliers de femmes et d’enfants des Premières Nations sont exclus de leurs collectivités. Ils n’ont pas leur mot à dire sur ce qui va leur arriver.

Nous avons beaucoup de pain sur la planche, et je ne crois pas que cela puisse se faire avec des conseillers autochtones, au niveau national. Le travail peut seulement se faire de nation à nation, avec des représentants de notre choix. Peut‑être que nous pourrions le faire nation par nation, en tant que Première Nation locale, région ou région visée par un traité, mais c’est à nous de décider, et les décisions sont différentes d’un bout à l’autre du pays.

Le sénateur Quinn : Je tiens à remercier sincèrement les témoins de s’être exprimées avec autant de clarté, compte tenu de la complexité incroyable du sujet. J’ai de l’expérience avec Affaires indiennes Canada, parce que j’y ai travaillé en tant que haut fonctionnaire, et aussi au Conseil privé en tant que haut fonctionnaire, et notre discussion actuelle est probablement l’une des meilleures, sinon la meilleure que je n’aie jamais eue. Je veux remercier tous mes collègues d’avoir posé des questions vraiment excellentes, parce que toutes les questions que je songeais à poser l’ont déjà été, et les réponses ont été particulièrement solides.

Je pense à notre nation et à notre conception du monde, aux critiques que nous exprimons envers d’autres pays, et pourtant, nous avons encore ici au Canada des discussions comme celles‑ci. C’est dérangeant, et d’une certaine façon gênant, et pourtant, c’est la réalité.

Je ne veux pas penser qu’il existe une solution qui fonctionnerait comme on allume un interrupteur. Je ne crois pas que cela existe. Je crois que cela ne ferait que créer un conflit, dès le départ, avec les gens sur le terrain. L’un des aspects qui manquent, comme l’ont dit très honnêtement toutes les témoins que j’avais déjà entendues quelques fois, c’est le mot « éducation ». Nous avons un dossier complexe qui ne peut pas être réglé du jour au lendemain, alors où commençons‑nous pour changer les choses?

J’ai grandi au Nouveau‑Brunswick, et je ne me souviens de rien, dans mon éducation, qui concernait l’histoire autochtone. J’ai appris des choses des aînés à Affaires indiennes, parce que j’avais des mentors qui étaient des aînés, dans l’Ouest et dans l’Est.

Le gouvernement fédéral bricole ses lois. Il essaie des choses et trouve des solutions de contournement. Y aurait‑il une façon pour le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les Premières Nations de travailler ensemble, grâce au système d’éducation, afin que nous puissions commencer à éduquer les jeunes qui commencent leur vie, afin qu’ils ne soient pas autant aveuglés et remplis de préjugés que tous les autres qui sont passés par nos systèmes?

Mme MacIntosh : Bien sûr, sénateur Quinn. C’était un élément central des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, de changer radicalement la façon dont l’histoire du Canada et l’histoire actuelle du Canada sont enseignées, pour corriger l’effacement, la réduction au silence et les mensonges éhontés qui existent dans une grande partie du programme d’éducation actuel. Je sais que beaucoup de provinces ont apporté des changements à leur programme, mais je ne sais pas de quoi il s’agit.

Oui, l’éducation est un facteur clé, mais, parallèlement, il serait essentiel de ne jamais recommander que les Micmacs attendent que les non‑Micmacs comprennent les droits micmacs issus de traités pour les protéger et les exercer.

Me Palmater : L’éducation publique, c’est toujours quelque chose d’important. Il n’y a pas eu une enquête nationale, une commission, un rapport ou une étude, au cours des 50 dernières années, qui n’a pas compté, parmi ses recommandations, de la formation de sensibilisation à la culture ou de l’éducation publique.

C’est très important à tous les niveaux, et pas seulement de la maternelle à la fin du secondaire, mais aussi pour le public et ce que les gens voient dans les médias, à la télévision, et ainsi de suite. Une partie de la solution pourrait être de fournir les moyens et les outils de mettre en œuvre le droit des peuples autochtones, énoncé dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, d’avoir leurs propres médias et de participer à l’éducation, afin qu’ils puissent intervenir de ce côté‑là, et le gouvernement pourrait les appuyer.

Cela dit, la dernière chose que nous devrions faire, c’est attendre que tout le monde soit d’accord et que tout le monde comprenne. Il va toujours y avoir une partie de la population qui ne sera pas d’accord. Les droits de la personne ne sont pas un concours de popularité, et cela vaut aussi pour les droits autochtones. Peu importe si les gens les connaissent, les comprennent ou y sont favorables, ce sont des droits, et le Canada a le devoir de veiller à ce que le message qu’il continue d’envoyer est qu’il en va de notre responsabilité légale et morale. Nous allons défendre et protéger les peuples autochtones dans ce contexte, au lieu d’avoir des politiciens qui agissent comme si nous étions des criminels et des insurgés qui doivent être contrôlés, surveillés, criminalisés et incarcérés, comme c’est le cas présentement, parce que cela n’envoie pas un message qui dit que nous devons tous travailler ensemble, bien au contraire.

Mme O’Byrne : Peut-être que je pourrais intervenir. Je suis une éducatrice, et ce sujet me tient un peu trop à cœur pour que je le laisse passer sans intervenir.

Pour dire les choses franchement, il y a eu la Commission de vérité et réconciliation en 2015, et je fais partie d’un certain nombre de comités qui discutent de sa mise en œuvre, de ce que nous devons faire et des vidéos. À dire vrai, il est plus facile que jamais de communiquer avec les gens aujourd’hui. Vous pouvez mettre une vidéo en ligne sur YouTube, et les gens y ont accès, et ce genre de choses, c’est vraiment formidable. À présent, quand j’assiste à la plupart de ces réunions, je lève la main et je dis : où est l’argent? Où est l’argent pour faire tout cela?

Donc, après la CVR, comme Me Palmater l’a dit, toutes les études depuis des décennies concluent que nous avons besoin de plus d’éducation, mais je n’ai pas constaté que l’on consacrait plus de fonds à l’éducation. On mise trop, d’une certaine façon, sur le bénévolat. Je ne suis pas Autochtone. Je suis la seule personne de notre corps enseignant qui donne des cours sur la gouvernance autochtone. Nous avons besoin de plus de gens qui font cela. Pour parler franchement, nous avons besoin de plus d’argent dans le système afin que nous puissions faire cela à tous les niveaux. Le programme est en cours d’élaboration, il y a de la bonne volonté, mais les universités, les collèges communautaires et les écoles secondaires n’ont tout simplement pas les fonds pour cela, pas dans la mesure où nous en avons besoin.

Le sénateur Quinn : Maître Palmater, je suis d’accord pour dire que des mesures doivent être prises. Pourrait‑il y avoir une mesure globale? Est‑ce que ce serait possible d’aller dans une région qui a la capacité et un environnement de coopération pour dire : voici, faites exactement ce que vous dites, maître Palmater. Y aurait‑il une façon de faire cela dans une région, de dire voici comment les choses peuvent être faites, et tout pourra évoluer rapidement à partir de là? Est‑ce que c’est quelque chose qui peut être fait?

Me Palmater : Il y a toujours beaucoup de choses qu’on peut faire. Le fait est que, quand on veut faire progresser les choses et mettre en place un cadre sur les droits de la personne et les droits autochtones, il va y avoir beaucoup de difficultés; il va y avoir des conflits sociaux, de la confusion sociale, mais cela arrive dans toutes les sociétés. C’est de cette façon qu’on va arriver là où nous voulons être.

Les Micmacs le disent depuis des générations : bonjour, assoyons‑nous et discutons de gouvernance, de droits issus de traités et de bien d’autres choses. C’est aussi le cas de beaucoup d’autres Premières Nations, parce que nous assurons une coordination avec elles à l’échelle du pays.

Cela étant dit, il nous a fallu 500 ans pour en arriver là. Si on dit qu’il va falloir prendre beaucoup de temps pour régler le problème, c’est inacceptable. Dans une semaine, on pourrait adopter un projet de loi qui dit : les Micmacs sont exemptés de toutes les lois, politiques et règlements du MPO, et nous avons modifié notre régime d’application de la loi pour les protéger et faire appliquer leurs droits et les protéger pendant qu’ils font cela, alors voici les moyens et les outils pour que les Micmacs puissent faire tout ce qu’ils doivent faire pour régir leur pêche, jusqu’à ce que nous ayons le temps de nous asseoir avec eux à la table de négociation pour négocier un mandat et le reste des trucs à long terme. Il y a toujours des trucs à faire, entretemps, et c’est ce qu’il faut faire.

Le sénateur Quinn : Merci beaucoup maître, et merci aux témoins.

Le président : Maître Palmater, je m’excuse de vous précipiter, mais notre temps tire à sa fin.

Le sénateur Ravalia : Merci aux témoins. Grâce à vous, nous avons eu aujourd’hui une discussion très passionnée et convaincante.

Compte tenu des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, y aurait‑il des exemples de modèles de mise en œuvre des droits autochtones qui ont été fructueux, que nous pourrions utiliser comme fondement, pour la suite des choses, si nous arrivions à corriger tous ces énormes problèmes de racisme systémique, et les nombreux autres problèmes que vous avez soulevés aujourd’hui? Y a‑t‑il un exemple quelque part, pour que nous puissions planter une graine et dire : nous avons eu quelques réussites ici. Qu’est‑ce qui a fonctionné? Pouvons‑nous utiliser cela comme fondement pour que nos collectivités appliquent ce modèle?

Me Palmater : Je crois qu’une question similaire a déjà été posée. J’hésite toujours à donner en exemple d’autres pays ou d’autres groupes autochtones, parce que les circonstances politiques, les lois et l’histoire sont différentes. De même, ici au Canada, vous ne pouvez pas vraiment comparer ce que les Micmacs font à ce que les Haïdas font ou à ce que les Mohawks font, par exemple.

Cela dit, je pense que nous devons envisager les choses un peu différemment, respectueusement. Au lieu de chercher à savoir quelles sont les pratiques exemplaires ou quels sont les meilleurs exemples de cas où le gouvernement a une excellente relation, essayons de voir quelles sont les pratiques exemplaires et les meilleurs scénarios dans nos Premières Nations.

Par exemple, après que la Sûreté du Québec est intervenue et a brutalisé les Micmacs à Listuguj, parce qu’ils essayaient de protéger leur rivière et de régir leur pêche, les Micmacs ont remporté, des années plus tard, le prix de la rivière la mieux protégée et la mieux gérée.

Regardez le cas de Sipekne’katik, et ce qu’ils ont fait pour s’assurer que tout le monde était informé et que tout le monde participe. Ils ne méritaient pas la réaction qu’ils ont eue, mais ils disaient : voici ce que nous faisons, travaillons ensemble. Ils n’arrêtaient pas de tendre la main.

Donc, je pense qu’il y a beaucoup d’excellents exemples provenant de la nation micmaque, où nous disons : oui, ce qui se fait là‑bas est bien. Cela représente la collectivité. Cela représente ce district ou cette région. Au lieu d’essayer de chercher ce qui serait de bons exemples pour le gouvernement fédéral ou provincial... parce que dans 99 % des cas, les ententes, les situations, les initiatives ou les programmes étaient tous exécutés par le gouvernement du haut vers le bas ou étaient imposés avec un fusil sur la tempe, parce que la GRC intervenait pour arrêter des gens, ou alors c’était le MPO qui le faisait. Envisageons les choses d’une autre façon. Regardons ce qui se fait sur le territoire micmac. Vous seriez en excellente position, sur le territoire micmac, pour entamer les relations souhaitées.

Le sénateur Ravalia : D’un point de vue plus large, croyez‑vous que, à un moment donné, certaines des dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pourraient faire partie de nos lois ici? Est‑ce que cela simplifierait le processus? Est‑ce que cela faciliterait l’adoption d’une approche plus uniforme pour le gouvernement fédéral, afin qu’il puisse travailler de nation à nation?

Me Palmater : C’est une excellente question. Je vais essayer de répondre rapidement.

Le projet de loi C-15 ne fait pas que reconnaître la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones; il contient une déclaration précise selon laquelle la déclaration est maintenant applicable en droit canadien. Cela veut dire qu’il existe une nouvelle norme pour examiner l’ensemble des lois, des politiques et des pratiques du gouvernement fédéral, ainsi que les lois provinciales, indirectement, mais au niveau fédéral, il faut que cette norme soit respectée. Le Canada doit mettre au point un plan d’action national pour s’en assurer.

Donc, nous en sommes déjà là. Il reste à savoir si le gouvernement fédéral va s’asseoir à la table de négociation et travailler avec nous dans le cadre de ce processus, pour veiller à ce que toutes les lois, toutes les politiques, toutes les pratiques et tous les règlements soient conformes à la norme minimale consistant à respecter les droits de la personne, comme l’exigent la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et d’autres documents internationaux.

Le président : Merci, sénateur Ravalia. Merci, maître Palmater.

J’offre mes plus sincères excuses à tous les sénateurs et à toutes les sénatrices qui ont demandé d’intervenir au deuxième tour. Nous manquons de temps. Il ne nous reste plus que deux ou trois minutes maintenant.

Je préside le comité depuis maintenant près de 10 ans, et je ne crois pas avoir jamais dit que j’adorerais rester ici toute la journée et poursuivre la discussion. Tout cela a été très informatif et instructif. Je tiens à remercier toutes nos témoins de nous avoir donné leurs connaissances, leurs expériences, leur expertise et leur temps. J’ai parlé de passion plus tôt, et il ne fait aucun doute que vous êtes passionnées par ce que vous faites.

J’espère que le travail ici permettra de contribuer, du moins un peu, aux efforts, et que le rapport que nous allons présenter au Sénat comprendra un grand nombre de vos commentaires aujourd’hui.

Il n’y a pas assez de temps pour que vous puissiez chacune nous faire une recommandation, alors j’aimerais vous demander de prendre le temps d’envoyer à notre greffier tout ce qui, selon vous, serait utile pour notre rapport, en matière de recommandations, et s’il y a quoi que ce soit que vous vouliez dire, mais que vous n’avez pas pu mentionner aujourd’hui, sentez‑vous libre d’envoyer cela aussi à notre greffier.

Pour revenir aux discussions sur le droit, on m’a dit il y a longtemps que des obstacles juridiques ne vous autorisent pas à en faire fi. Donc, nous devons savoir ce que sont ces obstacles, et je veux dire en tant que non‑Autochtones.

J’apprends énormément de choses pendant tout ce processus. Je viens de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, et je viens de finir de lire un livre — et j’ai aussi mon livre — intitulé Empty Nets: How Greed and Politics Wiped Out The World’s Greatest Fishery, soit « Filets vides : Comment la cupidité et les politiques ont décimé la plus grande pêche du monde ». On y parle de la mauvaise gestion des pêches dans notre province. Nous récoltons tout ce que nous avons semé de mauvais. Donc, je comprends pleinement votre point de vue.

Sénatrice Busson, je m’excuse, mais nous ne pourrons pas passer à huis clos pour discuter, comme vous le vouliez plus tôt. Nous allons prendre des dispositions pour faire cela avec le comité directeur sous peu.

Je crois que c’est tout ce que j’ai à faire. Je veux remercier nos témoins de leurs commentaires très francs et de leurs réponses à nos questions. Je veux aussi remercier nos sénateurs et nos sénatrices des questions très éclairées qu’ils ont posées ce matin.

(La séance est levée.)

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