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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 5 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits autochtones au Canada.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai l’honneur de présider cette réunion. Nous tenons aujourd’hui une séance hybride du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

Je rappelle aux sénateurs et aux témoins qu’ils doivent garder leur micro désactivé en tout temps, sauf si la présidence leur accorde la parole. En cas de problèmes techniques, surtout en ce qui a trait à l’interprétation, veuillez en aviser le président ou le greffier, et nous tâcherons de régler le problème. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez communiquer avec le centre de services de la DSI en utilisant le numéro d’assistance technique qui vous a été fourni. Enfin, je rappelle à tous les participants qu’il est interdit de copier, d’enregistrer ou de photographier les écrans Zoom. Vous pouvez utiliser et diffuser les délibérations officielles, qui sont disponibles à ces fins sur le site SenVu.

J’aimerais prendre quelques instants pour présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la vice-présidente du comité, la sénatrice Busson, de la Colombie-Britannique; la sénatrice Ataullahjan, de l’Ontario; le sénateur Christmas, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Cordy, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard; le sénateur Kutcher, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice McPhedran, du Manitoba; le sénateur Quinn, du Nouveau-Brunswick; et le sénateur Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur les pêches fondées sur les droits autochtones.

Je signale aux membres du comité et aux témoins que je devrai m’absenter pour la dernière demi-heure de la réunion. La vice‑présidente, la sénatrice Busson, occupera alors le fauteuil. Je vous saurais gré d’être aussi patient et gentil avec elle que vous l’êtes avec moi.

Nous avons le plaisir d’accueillir... Je m’excuse à l’avance si je ne prononce pas les noms comme il faut. Je vais faire de mon mieux pour les prononcer correctement. Certaines personnes me disent que j’ai encore du travail à faire pour maîtriser la langue anglaise, étant donné que je viens de Terre-Neuve-et-Labrador.

Nous avons le plaisir d’accueillir la cheffe Carol Dee Potter et Eric Zscheile, de la Première Nation de Bear River, le grand chef Jacques Tremblay et Guy-Pascal Weiner, de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, de même que Tara Levi, directrice générale, et Me Bruce McIvor, avocat, de Mawiw Council Inc.

Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être là aujourd’hui. Je crois comprendre que vous avez des observations préliminaires à faire. Après votre exposé, les membres du comité auront sans doute de nombreuses questions à vous poser.

Pour commencer, j’aimerais donner la parole à la cheffe Potter.

Carol Dee Potter, cheffe, Première Nation de Bear River : Je remercie le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui pour parler de la mise en œuvre des droits de pêche des Mi’kmaqs. Je suis cheffe de la Première Nation de Bear River depuis 11 ans et mon conseil, les anciens de ma communauté et moi collaborons en vue de mettre en œuvre nos droits de pêche dans l’intérêt des enfants, des petits-enfants et des générations à venir.

J’ai toujours pêché. Mes parents et mes grands-parents m’ont appris comment pêcher pour nourrir notre famille et gagner notre vie. Pour moi, la pêche n’est pas simplement un moyen de subvenir aux besoins de ma famille; c’est un lien direct avec mes ancêtres et la culture mi’kmaq qu’ils m’ont inculquée. Nous sommes et avons toujours été un peuple de pêcheurs. La pêche fait partie intégrale de mon attachement à la terre et à l’eau qui m’entourent.

Dans mon bref exposé, j’aimerais présenter deux arguments. Premièrement, tous les Mi’kmaqs possèdent le droit constitutionnel de pêcher pour se nourrir et gagner leur vie. Deuxièmement, toutes les collectivités mi’kmaqs ont le droit de gouverner elles-mêmes, comme bon leur semble, la mise en œuvre de ce droit, en coopération avec le Canada.

Parlons du droit de pêcher. Toute ma vie, j’ai su, grâce aux enseignements de mes anciens, que j’avais le droit de pêcher conformément aux droits inhérents de mes ancêtres et aux traités que ces derniers ont conclus avec la Couronne. Toute leur vie, tous les Mi’kmaqs savent ce que les tribunaux ont enfin accepté il y a 20 ans dans l’arrêt Marshall. On m’a également enseigné que mon droit de pêcher doit toujours être guidé par la loi mi’kmaq du Netukulimk : je peux uniquement prendre ce dont j’ai besoin; je suis personnellement responsable de protéger les terres, les eaux et les ressources; je ne dois pas exploiter ce que le Créateur m’a donné; et je dois veiller à ce que mes enfants, mes petits-enfants et les générations futures jouissent des mêmes possibilités. Voilà pourquoi la Première Nation de Bear River n’a jamais signé d’accord avec le ministère des Pêches et des Océans depuis l’arrêt Marshall, car les accords proposés portaient sur la pêche commerciale, et, compte tenu de notre culture et des droits des Mi’kmaqs, ma collectivité n’est pas intéressée à développer une telle pêche.

À ce jour, les membres de Bear River ne peuvent toujours pas accéder pleinement aux ressources halieutiques, en particulier à des fins de subsistance convenable.

En coopération avec d’autres collectivités du district de Kespukwitk du Mi’kma’ki, nous déployons tous les efforts possibles auprès du ministère des Pêches et des Océans pour pleinement mettre en œuvre ces droits. Nous effectuons des progrès, mais pas suffisamment et beaucoup trop lentement. Le ministère nous demande d’être patients. Or, cela fait 20 ans que l’arrêt Marshall a été rendu. Le ministère continue de soutenir l’intérêt de la pêche commerciale avant celui des Mi’kmaqs.

J’ai toujours maintenu que tous les Néo-Écossais sont visés par les traités. En ce qui a trait au partage des ressources qui nous entourent, nous sommes égaux. La Première Nation de Bear River a toujours entretenu de bonnes relations avec ses voisins non autochtones. Toutefois, notre communauté mi’kmaq est loin d’avoir accès à sa juste part.

Parlons du droit à l’autonomie gouvernementale. Je soutiens sans réserve que les Mi’kmaqs ont le droit de gouverner eux‑mêmes leurs pêches fondées sur leurs droits, conformément à ce qui a été convenu par nos ancêtres respectifs au moment de conclure les traités. J’accepte que l’autonomie gouvernementale des Mi’kmaqs en matière de pêche doive se faire en coopération et en collaboration avec le Canada. Chacun de nous a la responsabilité de faire en sorte que la pêche soit sécuritaire et durable ainsi que de mettre en œuvre adéquatement les droits constitutionnels de notre communauté. Notre gouvernement et votre gouvernement doivent trouver une solution qui fonctionne et que chacun de nous appuie.

Pour favoriser notre autonomie gouvernementale relativement à la pêche, la Première Nation de Bear River s’est jointe aux Premières Nations d’Acadia, de la vallée d’Annapolis et de Glooscap pour créer un plan de gestion des pêches pour le district de Kespukwitk. Nous nous entraidons et mettons en commun nos plans de gestion des espèces, nos formations communautaires et nos consultations en matière de pêche. Nous déterminons ensemble le meilleur moyen de répartir dans l’ensemble du district l’accès à la pêche à des fins de subsistance.

Nous faisons front commun pour négocier avec le ministère des Pêches et des Océans afin de faire valoir nos plans de gestion communautaires. En tant que collectivités de Kespukwitk, nous sommes tenus de protéger notre région, responsabilité que nous prenons au sérieux. Cela ne veut pas dire qu’il est interdit aux Mi’kmaqs de l’extérieur de Kespukwitk de pêcher dans notre district. Les districts des autres collectivités doivent travailler avec nous pour planifier la gestion et assurer adéquatement la durabilité et la sécurité. En tant que membres de l’Assemblée des chefs mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse, nous examinons les moyens d’y parvenir.

Les observations que je vous ai transmises sont fondées sur les enseignements de mes anciens et le respect notre responsabilité commune de protéger.

Aussi frustrant que la situation puisse être depuis 20 ans, je continuerai de collaborer avec le Canada pour enfin trouver une solution respectueuse afin de mettre en œuvre les droits issus des traités. Car leur mise en œuvre est indispensable. Je demande simplement au ministère, lorsqu’il négocie l’avenir des pêches, de cesser de protéger en priorité la pêche commerciale, ses propres pouvoirs ou son contrôle et de commencer à aider, en priorité, les Mi’kmaqs à mettre en œuvre leurs droits constitutionnels. Au bout du compte, cela mènera à une meilleure pêche pour nous tous. Wela’lioq, merci.

Le président : Merci, cheffe.

[Français]

Jacques Tremblay, grand chef, Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk : Bonjour tout le monde. Merci de nous recevoir ce matin et merci de nous permettre de présenter brièvement notre nation et de vous parler de notre entente de pêche avec le ministère des Pêches et Océans Canada. Je suis accompagné de Guy-Pascal Weiner, directeur des pêches commerciales à la Première Nation.

La Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, autrefois Première Nation Malécite de Viger, est la seule nation Wolastoqiyik en territoire québécois. Six autres nations Wolastoqiyik se trouvent au Nouveau-Brunswick. Après la perte des terres de la réserve de Viger en 1869, la communauté s’est dispersée sur le territoire du Québec, du Canada et des États‑Unis.

C’est en 1987 que se sont amorcés, sous l’initiative d’un petit groupe de personnes, des travaux visant à retrouver les descendants des Malécites afin de faire revivre et reconnaître officiellement notre communauté. Après quelques années d’efforts soutenus, l’Assemblée nationale du Québec a adopté, en 1989, une motion reconnaissant officiellement la Première Nation Malécite de Viger comme la 11e nation autochtone du Québec, et j’inclus évidemment les Inuits.

Depuis ce temps, le chemin parcouru est impressionnant. La nation s’est engagée sur le long chemin de la réappropriation culturelle et identitaire tout en déployant des moyens considérables pour se développer sur les plans politique et socioéconomique.

Aujourd’hui, la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk possède une petite terre de réserve à Cacouna, dans le Bas‑Saint‑Laurent, et les membres forment une diaspora de 1 900 personnes. Nos membres sont répartis sur tout le territoire québécois et au-delà. Plusieurs membres de la nation se rendent toujours sur le Wolastokuk, notre territoire ancestral, pour y pratiquer des activités traditionnelles.

Dans cet élan d’autodétermination, la communauté a choisi de reprendre son nom d’origine en 2019, soit la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. Cette identité est intimement liée à l’eau et au fleuve. Le terme « Wolastoqiyik » signifie « peuple de la belle et généreuse rivière », soit la rivière Saint-Jean qui se trouve au cœur du Wolastokuk, notre territoire ancestral. Le terme « Wahsipekuk » signifie quant à lui « près du fleuve Saint-Laurent ». La réappropriation de ce nom démontre toute l’importance culturelle et historique des cours d’eau et des ressources halieutiques pour les membres de notre communauté.

D’ailleurs, cette relation avec l’eau est au cœur de plusieurs projets porteurs pour la nation. Entre autres, nous avons signé des ententes d’occupation avec le gouvernement du Québec pour les terres adjacentes au port de Gros-Cacouna. La Première Nation établit actuellement divers partenariats essentiels au développement de ces terres afin de collaborer avec les différentes parties prenantes. Nous souhaitons créer une synergie unique sur ce site ainsi que sur les terres limitrophes de ce site, notamment sur la montagne sacrée de Gros-Cacouna.

De plus, depuis l’arrêt Marshall qui est venu confirmer que les Premières Nations signataires des traités de paix et d’amitié ont des droits de pêche commerciale reconnus et protégés constitutionnellement, la nation a entamé diverses démarches afin de se réapproprier le fleuve et ses ressources. Ces démarches ont d’abord débuté par des discussions entre nous et le gouvernement du Canada qui se sont conclues par la signature d’une entente-cadre visant le renouvellement de la relation avec le Canada en 2019. Cette entente prévoit essentiellement des termes généraux de discussion afin de s’offrir un canal de discussion officiel pour la mise en œuvre des droits des Wolastoqiyik.

Par la suite, la Première Nation et le ministère des Pêches et Océans Canada ont conclu l’accord concernant les ressources halieutiques. Cet accord touche uniquement les pêches commerciales. Il a notamment pour but de favoriser l’accès aux ressources halieutiques, de convenir de modes de gestion collaborative et participative ainsi que de favoriser l’autonomie gouvernementale dans la gestion des ressources halieutiques exploitables sur le plan commercial. L’accord concernant les ressources halieutiques prévoit également des contributions réparties sur 10 ans divisées en quatre principaux secteurs, pour une valeur totale d’environ 12 millions de dollars. Je vais vous faire grâce de la répartition par secteur.

Ainsi, aujourd’hui, de l’estuaire jusqu’au fond des chenaux du golfe Saint-Laurent, les pêches commerciales de la Première Nation capturent diverses espèces de poissons, de mollusques, d’échinodermes et de crustacés. C’est environ une quinzaine d’emplois directs qui rayonnent dans l’est du Québec avec une autre quinzaine de postes qui gravitent autour de ces activités pendant la période d’exploitation. Nous sommes donc très fiers de la signature de cet accord. De surcroît, nous avons été la première communauté de l’est du Canada à signer une entente concernant les pêches commerciales avec le Canada, ce qui démontre tout le dynamisme de notre communauté.

Par conséquent, la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk reconnaît que le financement qu’elle reçoit pour ses activités de pêcheries commerciales est un levier positif pour mettre en œuvre des projets de transformation et de valorisation des produits de la mer. L’accord permet également d’éviter des conflits entre Autochtones et non-Autochtones en imposant un seul et même système pour tous.

Cependant, comme il a été formulé de vive voix auprès des représentants du gouvernement du Canada lors de la négociation de l’accord, nous ne considérons pas que cet accord puisse être qualifié d’entente de réconciliation. En effet, la base non négociable de l’accord consistait pour la Première Nation à se soumettre au cadre réglementaire fédéral sur les activités de pêche en échange d’un financement pour l’exploitation des ressources halieutiques, et la gouvernance et la gestion y étant liées. Les montants de financement étaient prédéterminés. Ces montants n’ont donc pas fait l’objet d’une négociation axée sur la vision et les objectifs de la Première Nation quant au développement de ces pêcheries et au plein respect des droits à cet égard.

Un calcul sommaire permet d’affirmer qu’un montant d’environ 6 millions de dollars à titre de fonds des activités de pêche malécite, s’il est dépensé strictement en droit d’accès, par exemple les permis, est loin de permettre l’atteinte d’un seuil de subsistance convenable pour notre communauté. Il faut considérer que le prix des permis de pêche est systématiquement gonflé par les vendeurs non autochtones en raison du financement que les Premières Nations reçoivent du gouvernement du Canada. L’achat d’accès à la ressource dans le système actuel ajouté à cette surenchère fait donc en sorte que l’argent du financement est vite retourné à l’extérieur de la communauté.

La vision de la Première Nation quant à ses droits de pêche issus de traités s’intègre dans la vision de son autonomie gouvernementale et l’augmentation de ses pouvoirs décisionnels dans la gestion de ses droits, ce qui n’est pas adéquatement mis en œuvre, à notre avis, à la suite de la signature de l’accord. À titre d’exemple concret, la semaine dernière, la Première Nation recevait une correspondance de Pêches et Océans Canada (le MPO) qui confirmait le maintien, pour une cinquième année, du protocole de pêche expérimentale au homard dans la zone 19 A-1.

Depuis 2018, la Première Nation mène une pêche expérimentale au homard dans cette sous-zone. Nous demandons la transition du statut expérimental vers un statut exploratoire devant les débarquements abondants et de qualité dont nous avons été témoins au cours des deux dernières années.

Une réunion du comité de mise en œuvre de l’accord s’est tenue le 9 mars dernier. Lors de cette rencontre, il a été discuté de l’orientation du MPO, qui entendait maintenir le statut expérimental de ces pêches en invoquant une incapacité à réaliser les analyses requises dans les délais ainsi qu’une prise de données inadéquate effectuée par la Première Nation. Selon les explications données lors de cette rencontre, une modification des efforts de pêche, à ce moment-ci, risquerait de compromettre l’analyse et de nuire au protocole de travail.

Évidemment, nous ne sommes pas d’accord. Pour la Première Nation, la réconciliation et la reconnaissance de son autonomie gouvernementale passent par une reconnaissance d’un rôle permanent et actif dans les mesures de conservation de la ressource à l’égard de laquelle elle jouit de droits constitutionnels. Or, les paramètres de conservation sont actuellement entièrement déterminés par le gouvernement du Canada.

La vision de la Première Nation de la mise en œuvre de ses droits de pêche inclut une participation active, voire éventuellement centrale, à la détermination des objectifs de conservation et l’élaboration des mesures de conservation, ce qui pour l’instant, semble être une vision opposée à celle du MPO, malgré la signature de l’accord concernant les ressources halieutiques.

En espérant le tout utile à l’évolution de la politique du MPO sur la mise en œuvre des droits issus de traités de paix et d’amitié, veuillez agréer, chers membres du comité, l’expression de nos sentiments distingués. Merci beaucoup. Woliwon.

[Traduction]

Le président : Merci, chef Tremblay.

Tara Levi, directrice générale, Mawiw Council Inc. : Bonjour, sénateurs. Aujourd’hui, je présente des observations au nom des Premières Nations d’Elsipogtog et d’Esgenoopetitj concernant la nécessité de prendre des décisions réellement communes avec le Canada en ce qui a trait à nos pêches. Ensemble, nos deux Premières Nations représentent la plus importante flotte de pêche autochtone du Canada atlantique, puisqu’elles comptent 400 pêcheurs et 110 bateaux.

Comme vous l’entendrez dans mon exposé ce matin, lorsque le ministère des Pêches et des Océans réglemente unilatéralement les pêches des Premières Nations, non seulement il ne respecte pas notre droit inhérent, protégé par la Constitution, à l’autonomie gouvernementale, il compromet également la vie des membres de notre population.

Je vais donner un peu de contexte concernant notre entente relativement aux pêches. En 2019, nos Premières Nations ont conclu avec le Canada une entente provisoire sur les pêches. Aux termes de cette entente, le Canada s’est engagé à élaborer, de concert avec nos Premières Nations, une approche collaborative de gestion de nos pêches. Nos nations espéraient que cette entente mènerait à une véritable relation de gouvernement à gouvernement en ce qui concerne la gestion de nos pêches. Le paragraphe 4.1(1) de la Loi sur les pêches habilite le Canada à conclure un accord avec les nations autochtones. Or, nous voilà trois ans plus tard, et le ministère des Pêches et des Océans refuse toujours de négocier une véritable entente de prise de décisions partagée tenant compte de notre compétence et de notre pouvoir décisionnel inhérents. Plutôt, on nous limite à un cadre de travail axé sur la consultation dans le cadre duquel nos Premières Nations peuvent uniquement formuler des recommandations à l’intention de la ministre à l’égard des décisions ayant une incidence sur nos pêches.

Il faut établir un véritable cadre de prise de décisions partagée qui reconnaît notre droit de réglementer nos pêches conformément à nos lois autochtones et à nos structures de gouvernance. Il existe déjà un outil législatif en place que l’on pourrait utiliser à cette fin. Ce qu’il manque, c’est la volonté politique de le faire.

Le besoin d’une prise de décisions partagée est personnel. Dans les jours qui ont précédé l’ouverture de la saison 2021 de la pêche au crabe des neiges, nos nations ont imploré le ministère des Pêches et des Océans de la retarder. Nous savions qu’il y avait toujours de la glace sur l’eau, ce qui mettrait nos pêcheurs en danger. Il y a un peu plus d’un an, nos collectivités ont perdu deux membres d’équipage : Jonathan Craig Sock, surnommé Jumbo, ainsi que Seth Monahan.

Voilà la raison pour laquelle on ne peut limiter notre rôle à la simple formulation de recommandations. Si nos nations étaient respectées et qu’on nous consultaient à titre de décideurs en ce qui a trait à nos pêches, cela ne se serait pas produit. Ces discussions doivent être appuyées par un financement adéquat pour la création de nos programmes de gouvernance, y compris la formation de nos gardes-pêche et de nos pêcheurs. Lorsque cette formation et notre matériel sont sous-financés, cela compromet la vie des membres de nos collectivités. Nous connaissons notre territoire et nos eaux. La prise de décisions partagée reconnaît que, ensemble, nous pouvons faire mieux et prendre de meilleures décisions.

Le Canada peut et doit faire mieux pour les Autochtones au Canada. La voie de l’avenir est la véritable prise de décisions partagée concernant nos pêches. Wela’lin, merci.

Le président : Merci, madame Levi.

Nous passons maintenant aux questions des sénateurs, mais d’abord, je préviens les sénateurs que la liste des personnes qui souhaitent intervenir est longue et que nous accueillerons un autre groupe de témoins ce matin. Ainsi, si vous avez deux questions, je vous prierais, si possible, de les combiner en une seule et de préciser à qui elles s’adressent afin d’économiser du temps. Je regrette de devoir mettre de la pression, mais je n’ai pas le choix, car nous sommes serrés dans le temps.

La sénatrice Busson : Ma question s’adresse à la cheffe Potter. Cheffe Potter, dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné que vous n’avez pas signé d’accord sur les pêches avec le ministère des Pêches et des Océans dans votre quête de solution pour mettre en œuvre votre droit à une pêche de subsistance convenable. Vous avez parlé de la nécessité de l’autonomie gouvernementale pour négocier une solution.

Selon vous, à la lumière de vos négociations en cours avec le ministère des Pêches et des Océans, comment peut-on raisonnablement intégrer l’autonomie gouvernementale dans la solution? Croyez-vous que le ministère des Pêches et des Océans soit le bon ministère pour régler la question de la mise en œuvre du droit à une pêche de subsistance convenable?

Mme Potter : Je vous remercie de la question, mais je préférerais qu’Eric Zscheile y réponde au nom de la Première Nation de Bear River.

Eric Zscheile, négociateur avec Kwilmu’kw Maw-klusuaqn (KMKNO), Première Nation de Bear River : C’est une excellente question, sénatrice. À l’heure actuelle, les collectivités de Kespukwitk collaborent avec le ministère des Pêches et des Océans afin de mettre en œuvre des plans de gestion communautaires.

Dans notre système, les collectivités collaborent avec les pêcheurs et élaborent un plan de gestion propre à chaque espèce pour éclairer la mise en œuvre du droit à une pêche de subsistance convenable. Ensuite, nous discutons avec le ministère des Pêches et des Océans pour déterminer comment cette mise en œuvre peut se faire dans le respect de nos mandats respectifs. Certains aspects de nos mandats ne sont toujours pas compatibles, mais nous constatons que des parties suffisantes se rejoignent pour nous permettre de commencer à mettre à l’essai, provisoirement, des solutions.

Par exemple, à Kespukwitk, nous avons créé un plan de gestion communautaire pour la pêche au homard et un autre pour la pêche à la civelle, lesquels régissent les activités des pêcheurs. Pour sa part, le ministère des Pêches et des Océans autorise ces activités. Ainsi, aucun accord ni aucun permis n’est nécessaire. Les Premières Nations sont régies par leurs plans communautaires et le ministère fonctionne par autorisation. Les négociations servent en réalité à harmoniser l’autorisation du ministère et le plan communautaire de la Première Nation de sorte que tout le monde fasse les choses comme prévu.

Jusqu’à présent, le processus fonctionne plutôt bien, et nous avons réussi à faire en sorte que des gens puissent pêcher à des fins de subsistance convenable et vendre leurs prises sans trop de problèmes. Nous avons réussi à amener les forces de l’ordre à aider ceux qui pêchent à des fins de subsistance à le faire en toute sécurité.

Le président : Merci, monsieur Zscheile.

Le sénateur Francis : Merci. Je me joins à vous aujourd’hui depuis mon bureau situé sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Ma question s’adresse au grand chef Tremblay ainsi qu’au Mawiw Council. Les Premières Nations que vous représentez ont signé un accord de réconciliation des droits. J’aimerais que vous nous parliez de cette expérience. Pourriez-vous nous dire quels mécanismes juridiques sont disponibles en vertu des accords de réconciliation des droits pour créer l’espace nécessaire à la véritable prise de décisions partagée? De plus, votre relation et votre expérience avec le ministère des Pêches et des Océans se sont-elles améliorées depuis la nomination de la ministre Murray?

Mme Levi : Je vais laisser à Me Bruce McIvor le soin de répondre à la question au nom du Mawiw Council.

[Français]

M. Tremblay : Merci pour la question, sénateur. Tout d’abord, notre relation avec les gens du MPO est très respectueuse, je tiens à le mentionner.

Lorsqu’on avait convenu de mettre en œuvre une entente de réconciliation avec le Canada dans le cadre de nos pêches, en cours de route — et c’est à notre demande — nous avons retiré le nom d’entente de réconciliation. Cette entente nous convient en partie, puisqu’elle nous permet quand même de développer nos pêches, mais selon les normes et la vision du Canada. On voulait avoir un rôle plus participatif dans l’entente, et j’ai donné l’exemple de la pêche au homard où on prend nos propres données.

Nous faisons partie de l’Association de gestion halieutique autochtone avec les peuples mi’kmaq et malécite. Nous avons des scientifiques qui travaillent pour nous; ils prennent les données sur nos bateaux et les analysent. Cependant, le Canada garde toujours sa formule de gestion d’un programme conventionnel. Notre nation est en mesure de prendre davantage de responsabilités. Nous avons établi des systèmes de gestion et d’administration financières impeccables à l’intérieur de la nation. Nous avons des scientifiques qui collaborent avec nous. Nous travaillons avec l’Institut Maurice-Lamontagne, avec Pêches et Océans. Nous avons également des liens étroits avec le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins pour la protection des mammifères marins, ce qui nous permet d’améliorer continuellement nos techniques de pêche.

Donc, nous sommes rendus à un niveau où on peut passer à une prochaine étape. Lorsqu’on parle d’autodétermination et d’autonomie gouvernementale, il faut tendre vers cela. Malheureusement, l’entente actuelle ne nous convient qu’en partie, car c’est la gestion d’un programme conventionnel.

Encore une fois, les discussions que nous avons avec le personnel du MPO sont respectueuses et cordiales.

[Traduction]

Me Bruce McIvor, avocat, Mawiw Council Inc. : Merci, sénateur, et merci de me donner l’occasion de répondre à votre question au nom des Premières Nations d’Elsipogtog et d’Esgenoopetitj. Ce qu’il importe de souligner, c’est que la loi prévoit un mécanisme pour parvenir à une véritable prise de décisions partagée.

Or, nous constatons que le mandat actuel du gouvernement fédéral ne va pas dans cette direction; il mise plutôt, comme d’habitude, sur la prise de décisions fondées sur la consultation, où le pouvoir décisionnel repose entièrement entre les mains de la ministre fédérale.

Cela dit, la situation est unique. Comme le savent les sénateurs, l’article 4.1 de la Loi sur les pêches a été modifié il y a plusieurs années pour permettre au gouvernement de conclure des accords de prise de décisions partagée avec les gouvernements autochtones. C’est prévu par la loi. Je fais ce travail à la grandeur du pays. En général, il n’existe aucun mécanisme prévu par la loi à cette fin. Or, dans le cas du gouvernement fédéral, le mécanisme existe. Ce qu’il manque, c’est la volonté politique de tenir ce dialogue avec les Mi’kmaqs pour parvenir à un accord de prise de décisions réellement partagée.

Il est très important de souligner qu’un tel accord peut être fondé sur les lois inhérentes des Mi’kmaqs et leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Cela serait conforme aux engagements pris par le gouvernement fédéral relativement à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, puisque la loi précise que le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour la respecter. En concluant des accords sur la prise de décisions partagée, le gouvernement appliquerait l’article 18 de la déclaration.

Ce n’est pas simplement une possibilité. Les Premières Nations d’Elsipogtog et d’Esgenoopetitj soutiennent que le gouvernement fédéral est indéniablement tenu de prendre des mesures en ce sens, et le Parlement a justement créé cet espace à cette fin. Ce qu’il faut, maintenant, c’est une volonté politique de la part du cabinet de la ministre pour y arriver. Merci beaucoup.

Le sénateur Francis : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Cheffe Potter, je vous remercie pour l’aide que le peuple mi’kmaq a apportée au peuple acadien au cours des jours les plus sombres de notre histoire. Je veux reconnaître cela ce matin. Je tiens également à souligner que je vous parle du territoire algonquin anishinabe ce matin.

Ma première question s’adresse à la cheffe Potter et à Mme Levi. J’ai de la difficulté à réconcilier le fait qu’on parle, dans le cas des peuples autochtones, de droits constitutionnels et d’autogouvernance — que je reconnais. Comment ces deux visions peuvent-elles se rejoindre? Il me semble qu’elles ne sont pas forcément réconciliables.

Ma deuxième question s’adresse à M. Tremblay. Vous avez parlé de l’entente avec le gouvernement fédéral. Comment avez‑vous réussi à établir un climat de confiance qui a permis cette signature d’entente? Ce genre d’entente ne se retrouve pas vraiment ailleurs, si je comprends bien. Merci.

[Traduction]

Mme Potter : Je vous remercie de la question, mais je vais également demander à Eric Zscheile d’y répondre. Merci.

M. Zscheile : Merci beaucoup, cheffe Potter.

Du point de vue des Mi’kmaqs, les traités visaient principalement à instaurer la cogestion et la cogouvernance, l’idée étant que deux peuples de culture différente s’autogouvernant pouvaient tout de même trouver un moyen de partager les ressources d’une manière qui convienne à leur culture respective.

En Nouvelle-Écosse, nous avons un concept que nous appelons « le double regard » et qui signifie combiner les connaissances scientifiques occidentales et le savoir traditionnel, car les deux sont utiles pour déterminer la meilleure façon de gérer les ressources. En bref, quand on parle de cogestion, on fait valoir l’idée que le Canada et les Mi’kmaqs gèrent conjointement les pêches de la manière la plus avantageuse qui soit pour nos deux communautés.

Chacun de nous a donc un rôle à jouer, et cela est tout à fait compatible avec l’idée que deux gouvernements peuvent travailler ensemble pour trouver un meilleur moyen de gérer les ressources.

Mme Levi : Je comprends la même chose que l’intervenant précédent. Nous sommes conscients que le ministère des Pêches et des Océans est là pour rester, alors que pourrions-nous faire de mieux sinon que de tenter de collaborer avec lui et de développer notre structure de gouvernance et nos pêches. C’est ce que nous faisons en ce moment. Nous avons un agent des pêches du ministère en détachement chez nous qui aide à former nos gardes-pêche en raison des incidents survenus l’an dernier, car la Garde côtière, le ministère des Pêches et des Océans et la GRC n’ont effectué aucune recherche pour trouver Jumbo; nous avons dû envoyer nos propres membres à sa recherche.

Nous sommes conscients qu’il faut travailler ensemble et sommes disposés à le faire. Nous employons le mot « collaboration », mais c’est la terminologie du gouvernement. Nous avons signé un accord global à l’égard duquel le ministère a rempli deux de ses trois obligations. Nous attendons toujours en ce qui a trait à l’aspect de la collaboration, qui semble le plus difficile à concrétiser. Nous sommes prêts à collaborer et, comme je l’ai dit, nous souhaitons réglementer nos propres pêches, mais nous voulons le faire de la façon qui sera la plus avantageuse pour tous.

[Français]

M. Tremblay : Merci, monsieur le sénateur, pour la question. Comment avons-nous réussi à établir un climat de confiance avec le gouvernement fédéral?

Tout d’abord, peu avant la signature de l’entente sur les pêches, nous avons signé une entente-cadre avec le gouvernement du Canada qui, pour résumer, mentionnait que lorsque notre nation parle avec le Canada, on parle de gouvernement à gouvernement, de nation à nation. En tenant compte de ce qui précède, on a établi un cadre pour des discussions à venir sur différents sujets.

Par la suite, nous en sommes arrivés à l’entente sur les pêches. Comment cela s’est-il produit? On nous avait invités à rencontrer le négociateur du gouvernement de l’époque, M. James Jones, nous demandant si nous étions prêts à considérer la possibilité d’une entente de réconciliation dans le cadre des pêches.

Effectivement, nous avons été d’accord pour négocier cette entente. Ce qui était prévu au départ, c’était quelque chose comme environ cinq ans; nous avons réussi à le réaliser en deux ans, mais en cours de route, nous nous sommes aperçus que l’entente, qui devait être une entente de réconciliation, pour nous, n’allait pas si loin. C’était une entente ou un programme propre à notre nation avec l’idée de départ d’une entente de réconciliation, mais qui a fini par être une entente sur les pêches, une entente de développement de nos pêches commerciales.

Encore une fois, c’est intéressant pour nous, mais aujourd’hui, nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin quant à l’autodétermination. Avec le port de Gros-Cacouna, nous collaborons également avec le gouvernement fédéral, avec Parcs Canada, ainsi que différents organismes, par exemple le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent, on veut être les gardiens du fleuve.

On est donc en mesure de pratiquer une autogestion pour être capable de pêcher selon la qualité et l’abondance des ressources. Nous sommes en mesure de protéger les ressources, nous avons des gens compétents pour le faire et nous pouvons le faire. Nous souhaitons avoir plus de liberté dans ce rôle tout en étant en constante discussion avec le MPO. On pourrait partager nos connaissances et nos données. On souhaite aller plus loin. Le moment est propice pour aller beaucoup plus de l’avant vers l’autodétermination. Nous avons la capacité de pratiquer une autogestion. On vise, comme tout le monde, la cible d’autonomie gouvernementale. Le moment est parfait pour faire un pas en avant.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Merci, chef Tremblay.

Le sénateur Christmas : Merci aux témoins qui ont comparu ce matin. Monsieur le président, j’ai deux questions à poser; une s’adresse au Mawiw Council et l’autre à la Première Nation de Bear River.

Madame Levi, tout d’abord, je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances. Je vous parle depuis la Première Nation de Membertou, ici, au Cap-Breton, ou Unama’ki. La perte de M. Sock et de M. Monahan a été un choc pour nous, ici, aussi. Nous avons été stupéfaits lorsque les équipages ont été envoyés dans des eaux recouvertes de glaces. Nous avons été encore plus stupéfaits par le refus d’assister au sauvetage.

J’étais très déçu quand vous avez mentionné — je crois que Me McIvor en a aussi parlé — que le MPO a refusé d’utiliser l’article 4.1 de la Loi sur les pêches. Le comité devant lequel vous prenez la parole aujourd’hui a consacré beaucoup de temps à la modification de la Loi sur les pêches, et nous avons travaillé très fort pour inclure l’article 4.1 pour permettre à la ministre de conclure directement des accords avec les Premières Nations sur une base bilatérale de nation à nation. D’après ce que vous dites tous les deux, le MPO manque la volonté politique de le faire, mais voici ma question : le MPO vous a-t-il donné une raison officielle pour justifier son refus d’utiliser l’article 4.1 pour établir des ententes avec les membres du Mawiw Council?

Me McIvor : Je vais faire de mon mieux pour vous répondre, monsieur le sénateur. Merci de votre question et de la gentillesse de vos paroles sur la perte des membres de la communauté. Le chef Sock et le chef Alvery viennent tout juste d’avoir une réunion productive avec la ministre Murray et le ministre Miller pour en parler directement. Ils ont été contents que les ministres aient pris le temps de le faire. Les chefs ont été catégoriques. C’est ce qu’ils souhaitent : se réunir pour discuter de la mise en œuvre. Ils ont bon espoir que les ministres reviendront, surtout la ministre Murray, pour dire qu’ils sont prêts à prendre leurs responsabilités et à discuter de la manière d’utiliser l’article.

Je ne sais pas exactement ce qui pourrait justifier leur réticence. Je pense que c’est peut-être en partie une question de savoir qui détient le pouvoir de conclure ce genre d’ententes. Comme vous le savez, sénateur, cela relève du pouvoir décisionnel inhérent des Mi’kmaq. Il n’existe aucune exigence relative à la délégation des pouvoirs aux gouvernements autochtones pour conclure ces ententes, et nous sommes d’avis que ce serait une très bonne occasion pour le gouvernement fédéral de prendre ses responsabilités et mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en fonction du pouvoir inhérent des Mi’kmaq.

Pour poursuivre cette ligne de pensée et revenir sur la question du sénateur Cormier, je dirai que c’est une excellente occasion de participer au fédéralisme coopératif. Comme le savent les sénateurs, l’article 4.1 visait initialement le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, et le Parlement a élargi sa portée pour y inclure les gouvernements autochtones sur une base égale. Cela ne découle pas uniquement de la longue histoire des traités, mais du droit canadien. Les principes sont présents. Ils reposent sur la manière dont le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux coopèrent depuis des décennies, voire depuis 150 ans. Nous pouvons faire fond sur ces principes et les principes du droit mi’kmaq pour créer une entente vraiment importante qui va au-delà de la consultation ordinaire pour arriver à des décisions véritablement concertées. Je sais que les Elsipogotog et les Esgenoopetitj sont impatients d’avoir cette conversation avec le gouvernement fédéral.

Le sénateur Christmas : J’aimerais poser ma deuxième question aux représentants de la Première Nation de Bear River. Je suis très heureux de vous voir, cheffe Potter et monsieur Zscheile. C’est avec grand intérêt que j’ai suivi la relation unique que vous avez établie avec le MPO. Je pense que M. Zscheile a décrit la façon dont votre communauté a élaboré des plans communautaires et la façon dont vous avez travaillé avec le MPO pour obtenir les autorisations, et je pense que M. Zscheile a mentionné que vous aviez réussi à établir une harmonie entre tous ces éléments. Il me semble que c’est ainsi que les traités sont censés fonctionner.

Monsieur Zscheile, je sais que vous avez plaidé en justice les traités des Mi’kmaq pendant de nombreuses années, y compris la cause Marshall. Actuellement, le MPO promeut encore les ententes de réconciliation des droits. L’approche présentée par Bear River — en fait, par l’ensemble du district Kespukwitk — s’inspire d’un modèle différent. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cette approche de Bear River s’inspire davantage de l’esprit et de l’intention de nos traités antérieurs, comparativement à l’approche du MPO fondée sur la réconciliation des droits?

M. Zscheile : Oui. Merci beaucoup, sénateur Christmas. En passant, je suis heureux de vous revoir. L’approche est différente. Je pense que ce qui s’est passé en Nouvelle-Écosse est... Comme vous l’avez dit, j’étais l’un des avocats plaidants dans l’affaire Marshall quand j’étais beaucoup plus jeune, car cette affaire remonte à très loin. Je pense que ce que nous essayons de dire, c’est que nous avons analysé l’arrêt Marshall encore et encore et encore pendant assez longtemps. Nous devons vraiment nous asseoir et commencer à trouver des moyens d’aller de l’avant, même s’il s’agit de mesures provisoires ou de simples efforts en vue de trouver une approche, sans savoir exactement où elle nous mènera.

Toutefois, vous avez raison. Voici ce que nous voulons dire : selon ce que j’ai vu en court et entendu de la part des Aînés lorsque les traités ont été établis, il a deux peuples. Ils ont tous deux convenu qu’ils devaient pouvoir gouverner leurs communautés comme ils l’entendaient, car ils comprenaient leurs communautés et leurs structures sociales. Cependant, ils savaient aussi qu’ils devaient partager la terre et les ressources et que la seule façon d’y parvenir et de faire avancer les choses était de coopérer et d’avoir des discussions.

Ainsi, lorsque nous avons examiné l’approche relative aux accords de réconciliation des droits, l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse l’a rejetée simplement parce qu’elle semblait être une approche unilatérale qui ne respectait pas les connaissances communautaires que les Mi’kmaq voulaient poursuivre.

Nous avons donc commencé à adopter l’approche de la communauté kespukwitk, dont le mérite revient aussi à la communauté potlotek et à Unama’ki puisqu’ils ont certainement été parmi les premiers à adopter cette approche dans la région. Je dois dire que je souscris à toute l’analyse de l’article 4.1 que M. McIvor vient de fournir. Je partage aussi ses frustrations. Je pense que les discussions de haut niveau que nous avons eues sur le sujet ne semblaient mener nulle part. Nous discutions de principes. Nous discutions de sections de lois. Cela ne semblait mener nulle part.

Ainsi, en Nouvelle-Écosse, nous avons adopté en quelque sorte une approche ascendante et commencé à dire : « Trouvons des moyens de passer de la parole aux actes. Essayons de dissiper les craintes du ministère des Pêches et des Océans, des communautés mi’kmaq et du secteur de la pêche commerciale et d’être en mesure de dire que nous pensons qu’une pêche de subsistance peut être mise en œuvre d’une manière un peu différente de ce qu’elle a toujours été, mais d’une manière qui respecte pleinement la durabilité et la sécurité sur les eaux. »

Comme l’a dit la cheffe Potter, la Première Nation de Bear River a une relation de travail avec ses voisins non autochtones. Cette relation existe depuis des générations. Il est impossible pour une petite communauté comme Bear River d’exister sans avoir de bonnes relations avec ses voisins. Nous essayons donc de trouver des moyens de mettre en œuvre une pêche et de mieux comprendre les relations qui ont été établies au fil des ans. Ainsi, avec tout le respect que je dois à quelqu’un comme moi, au lieu de travailler avec un groupe d’avocats dans une série de salles qui essaient de trouver une solution, nous avons commencé à travailler avec les pêcheurs et à élaborer des plans qui étaient logiques pour eux en tant que pêcheurs. Ensuite, nous avons commencé à appliquer ce plan pour voir ce qui était possible.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Zscheile.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup à nos témoins d’aujourd’hui. Je m’adresse à vous depuis le territoire du peuple algonquin anishinabe. Nous avons entendu de nombreux témoignages sur les obstacles qui ont nui à la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits. Notre rapport comprendra des recommandations sur les mesures à prendre. Si vous pouviez y inclure une ou deux recommandations clés, quelles seraient‑elles? Si possible, j’aimerais entendre la réponse des trois témoins.

Le président : Comme nous approchons de la fin de la période de questions, je veux donner aux trois témoins l’occasion de répondre, mais soyez conscients du temps.

Me McIvor : Comme le temps file, je vais répondre en premier et je serai bref. J’ai deux points importants. Premièrement, il y a une obligation positive d’aller de l’avant avec la mise en œuvre d’un accord en vertu de l’article 4.1. Cette obligation existe et le gouvernement doit l’explorer. Deuxièmement, il y a une obligation positive de le faire conformément à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du gouvernement fédéral, qui est non seulement une loi ambitieuse axée vers l’avenir, mais aussi une loi qui crée une obligation de le faire maintenant. Merci.

Le président : Merci, maître McIvor.

[Français]

M. Tremblay : Je partage l’opinion de celui qui a parlé avant moi. J’ajouterais simplement qu’on entend beaucoup parler d’ententes de réconciliation sur le plan politique. Je ne sais pas si c’est la machine qui n’est pas capable de suivre, mais ça prend une orientation politique encore plus claire pour que la machine puisse s’ajuster.

Encore une fois, nos discussions avec les gens du MPO sont correctes, ce sont des gens qui sont habitués à gérer des programmes normés. Lorsqu’il y a des ententes de réconciliation, d’autodétermination, d’autonomie gouvernementale, ce sont des mots qui ne semblent pas faire partie de leur vocabulaire et ils ne semblent pas avoir l’autorisation d’aller plus loin avec ça. Il va falloir ajuster les discours. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, chef.

M. Zscheile : Je recommanderais seulement de faire preuve de souplesse et de négocier dans un esprit de réconciliation. C’est vraiment tout ce que nous demandons. Nous pouvons trouver une solution à n’importe quel problème tant que les deux parties sont souples et essaient de réaliser quelque chose que nous devons tous réaliser dans le cadre de la relation fondée sur les traités.

Le président : Merci, monsieur Zscheile.

La sénatrice Cordy : Je vous parle aujourd’hui depuis les terres non cédées du peuple mi’kmaq. Merci beaucoup à nos témoins d’aujourd’hui. Leurs témoignages nous ont été très utiles dans notre étude, surtout pour moi. Je suis une nouvelle membre du comité.

Madame Levi, je vous ai entendu parler de participation partagée; grand chef Tremblay, vous avez parlé de discussions de gouvernement à gouvernement; et maître McIvor, vous avez parlé de la nécessité d’un véritable processus décisionnel partagé. De plus, nous avons entendu la mention de « discussions de nation à nation » dans les réunions afin qu’il s’agisse de discussions entre égaux et d’une véritable participation au processus décisionnel et pas seulement de consultations.

Monsieur Zscheile, je pense que vous avez parlé du fait que nous analysons l’arrêt Marshall depuis plus de 20 ans et que nous tenons toujours des réunions sans solutions. Pourtant, nous savons que la loi existe; il n’y a donc pas de volonté politique. Dans sa question précédente, la sénatrice Busson a demandé si le ministère des Pêches et des Océans a vraiment le mandat de négocier la mise en œuvre du traité ou si cela devrait être le mandat du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord.

Étant donné qu’il ne reste pas beaucoup de temps, je suppose que ma deuxième question est la suivante : quel rôle le ministère des Pêches et des Océans devrait-il jouer dans la pêche de subsistance?

Me McIvor : Je vous remercie de votre question, sénatrice Cordy. Je pense que les ministres Murray et Miller ont tous deux un rôle à jouer dans ce dossier. C’est l’une de ces situations où ce n’est pas nécessairement un seul ministère, notamment le ministère des Pêches et des Océans, qui prend l’initiative. Je pense que les deux ministères doivent participer à parts égales parce que c’est essentiel à la mise en œuvre des droits.

Cela renvoie vraiment à la question de savoir comment mettre en œuvre l’arrêt Marshall. Je suis d’accord avec les autres témoins : le gouvernement parle trop et n’agit pas assez. L’une des raisons pour lesquelles il y a eu tant de discussions est parce qu’on a mis l’accent sur le mot « convenable ». Je pense que le ministère des Pêches et des Océans et le gouvernement fédéral doivent s’en éloigner, car ils semblent l’utiliser comme excuse pour ne pas mettre en œuvre le droit à la pêche commerciale. Ils disent qu’ils doivent d’abord déterminer ce que signifie « convenable ». Non, ce n’est pas le cas. Il faut créer l’espace nécessaire pour mettre en œuvre la pêche commerciale des Mi’kmaqs. À l’instar de la conservation, s’il devient nécessaire d’imposer une limite, cela fera l’objet d’une discussion ultérieure.

Dans le cadre de mon travail, j’ai constaté que l’accent qui est mis sur le mot « convenable » a été utilisé pour entraver la mise en œuvre de la pêche. Il s’agit d’une pêche commerciale. Étant donné que c’est un droit issu du traité, il y a une obligation positive de le mettre en œuvre et c’est ce que le gouvernement doit faire en collaboration avec ses partenaires du traité. Merci beaucoup.

Le président : Merci, maître McIvor.

Honorables sénateurs et témoins, voilà qui met fin à notre premier panel. Nous avons dépassé de deux minutes le temps qui nous était alloué. J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier chacun de nos témoins de ce matin. Vous nous avez certainement fourni d’excellents renseignements supplémentaires pour notre étude.

Comme j’essaie de le dire la plupart du temps, s’il y a quelque chose qui vous vient à l’esprit après la réunion d’aujourd’hui et que vous pensez qu’il serait utile que nous sachions ou que nous ayons, en particulier les recommandations au ministère et au gouvernement, n’hésitez pas à le transmettre au greffier. Nous pouvons l’inclure dans nos discussions sur l’étude. Je vous remercie tous d’avoir pris le temps de nous informer ce matin.

Honorables sénateurs, le comité poursuit son étude de la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits autochtones au Canada. Pour notre deuxième panel, nous avons le plaisir d’accueillir Megan Bailey, professeure associée, Chaire de recherche du Canada en gouvernance intégrée des océans et du littoral, Université Dalhousie, et Shelley Denny, directrice, Recherche aquatique et intendance, Unama’ki Institute of Natural Resources. Au nom des membres du comité, je vous remercie d’avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui. Après la présentation de vos observations préliminaires, je suis sûr que les membres de notre comité auront des questions à vous poser.

Megan Bailey, professeure associée, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invitée à me joindre à vous aujourd’hui pour parler des pêches fondées sur les droits autochtones. Je suis professeure à l’Université Dalhousie, qui se trouve à Mi’kma’ki. J’ai fait mes études en zoologie, en gestion des pêches, en économie des pêches et en gouvernance marine. Fait important, je ne suis ni Autochtone ni biologiste spécialisée dans le homard. J’ai deux garçons, un de 2 ans et un autre de 7 ans, et j’ai accepté l’invitation de témoigner devant vous aujourd’hui en partie parce que je l’ai reçue, mais aussi parce que j’estime avoir une responsabilité envers eux et envers les générations futures qui seront redevables à l’océan et aux systèmes de gouvernance que nous leur laisserons.

Il y a un an, j’ai élaboré un protocole d’échantillonnage du homard avec la Première Nation Sipekne’katik dans le cadre de son étude sur la conservation du homard afin de combler les lacunes qu’elle avait trouvées dans nos connaissances scientifiques sur le homard, la pêche du homard et la zone de pêche du homard 34, ou ZPH 34, en dehors de la saison commerciale. Ces lacunes existent en partie parce que nous ne recueillons aucune information pendant cette période de l’année. Pourtant, le ministère des Pêches et des Océans soutient que la conservation des stocks est une préoccupation et que les pêches issues d’un traité qui ont lieu en dehors de la saison commerciale ne peuvent pas être sanctionnées. Selon sa propre évaluation, la population de homards dans la ZPH 34 a atteint des sommets quasi historiques et la pêche au homard ici est certifiée par le Marine Stewardship Council, ce qui signifie qu’elle satisfait à la norme de durabilité environnementale la plus élevée que nous ayons. À ce jour et à ma connaissance, le ministère des Pêches et des Océans n’a présenté aucune donnée probante à la Première Nation Sipekne’katik que sa pêche issue d’un traité nuit à l’état de la population de homard.

En réponse aux questions sur la saisonnalité, le ministère des Pêches et des Océans a produit un document qui justifie le régime actuel de gestion saisonnière des pêches commerciales du homard dans le Canada atlantique. Ce régime est axé sur quatre éléments clés : le contrôle de la mortalité par pêche, la protection des stades importants du cycle biologique, le maintien de l’ordre dans les pêches et la cohérence des données scientifiques. Tous ces éléments sont importants. À mon avis, aucune de ces justifications n’a d’effet direct pertinent sur notre capacité à gérer les populations de homard si la pêche a lieu en dehors des saisons commerciales actuellement établies. Elles témoignent seulement de notre réticence à le faire.

Étant donné le manque de données probantes sur les conséquences possibles de la pêche en dehors de la saison commerciale sur la ZPH 34, la Première Nation Sipekne’katik a pris l’initiative de recueillir elle-même des données sur sa pêche pour contribuer aux évaluations de la population. J’ai participé à cet effort.

Il semblerait qu’on demande à la Première Nation Sipekne’katik et à d’autres Premières Nations de porter tout le fardeau de la conservation en ce qui concerne la durabilité d’une ressource partagée. Le fardeau imposé n’est ni juste ni équitable. Il est également injuste de demander aux pêcheurs commerciaux de homard de remplir toutes les responsabilités du Canada aux termes des traités. Lorsque les pêcheurs non autochtones plaident pour la conservation du homard, ils plaident pour leur gagne‑pain et le bien-être de leurs familles. À l’automne 2020, un pêcheur commercial m’a demandé pourquoi je parlais aux médias de ce que j’estimais être l’absence de problèmes de conservation. Je lui ai répondu que je voulais être fière de la personne que je suis en ce moment pour mes fils. Il m’a répondu : « Et que devrais-je dire à mes fils? Que j’ai perdu tout ce pour quoi leur grand-père a travaillé si fort? » En réalité, lui et moi ne sommes pas si différents.

Permettez-moi de profiter de l’occasion pour dire que les pêches du homard de l’Atlantique sont des réussites sur le plan de la gestion des pêches. La pêche a fourni des emplois et des revenus durables aux pêcheurs de l’ensemble du Canada atlantique rural et l’état des stocks est resté sain. Cependant, cela a aussi créé de l’inertie et le sentiment que la façon dont la pêche a été gérée dans le passé et dont les bénéfices ont toujours été répartis demeure la bonne façon de faire les choses aujourd’hui. Cela ne peut pas être vrai si le système de gestion ne respecte pas les droits des peuples autochtones qui sont protégés par les traités et confirmés par les tribunaux.

Cela m’amène à la question que je cherche à répondre avec mes recherches et que je pense que nous avons en commun : comment pouvons-nous maintenir une pêche au homard durable tout en veillant à ce que les bénéfices qui découlent de la pêche du homard soient répartis de manière plus équitable?

Je propose cinq mesures qui permettraient de réaliser des progrès.

La première consiste à reconnaître les multiples formes de gouvernance. L’hypothèse selon laquelle les pêcheries non assujetties à la réglementation du ministère des Pêches et des Océans sont, par définition, non réglementées est tout simplement fausse. Les lois et les coutumes autochtones guident également l’exploitation durable des ressources. On peut faire fond, par exemple, sur le travail réalisé par Shelley Denny sur les nouveaux modèles de gouvernance des pêches. De plus, les systèmes de cogestion dans les secteurs visés par des revendications territoriales peuvent fournir d’autres modèles dont on peut s’inspirer, même s’il ne faut peut-être pas les reproduire dans leur intégralité.

La deuxième consiste à reconnaître l’importance de la mortalité globale. Si on traite un groupe de pêcheurs comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, on ne tient pas compte d’un principe fondamental de la gestion des pêches, à savoir que la mortalité globale des stocks est importante et pas seulement la mortalité marginale de ce que certains considèrent comme des nouveaux venus. Si la conservation est une source de préoccupation, c’est parce que le taux de mortalité globale est trop élevé.

La troisième consiste à changer la loi. Depuis que la Cour suprême a déclaré Donald Marshall Jr. non coupable d’infractions à la Loi sur les pêches en 1999, aucune loi portant sur une subsistance convenable n’a été modifiée. Par conséquent, si Donald Marshall Jr. était encore parmi nous aujourd’hui et qu’il pêchait comme il l’avait fait, il pourrait être inculpé et le serait probablement. Il faut changer la loi. Il faut donner aux agents de conservation du ministère des Pêches et des Océans le mandat de faire leur travail de façon juste.

La quatrième consiste à diversifier les portefeuilles économiques. La pêche du homard n’est qu’un moyen parmi d’autres de faire valoir les droits issus de traités. La diversification vers d’autres pêches et vers des activités de subsistance terrestres est essentielle. Mais encore plus que cela, il est important de comprendre que la conservation du homard peut dépendre autant de la prospérité économique globale et des possibilités d’emploi pour les Canadiens que de notre régime de gouvernance des pêches.

Enfin, il faut mettre en œuvre une approche fondée sur les droits. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et les travaux réalisés par des universitaires autochtones comme Russ Jones, Ken Paul et Sherry Pictou sur la manière dont les droits autochtones peuvent et devraient s’appliquer aux ressources marines peuvent fournir un très bon point de départ.

Pour terminer, je ne suis pas Autochtone et je ne peux pas comprendre la lutte douloureuse que les Autochtones doivent mener chaque jour pour défendre leurs droits. Nous sommes nombreux à tenir nos droits pour acquis et à croire que le gouvernement respectera ses promesses; je sais que c’est le cas pour moi. Cependant, il y a des obligations en matière de droits de la personne et de droits autochtones au Canada qui ne sont pas remplies. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de comparaître devant le comité aujourd’hui et je vous remercie d’avoir entrepris ce travail difficile et important. Merci.

Le président : Merci, professeure.

Shelley Denny, directrice, UINR–Unama’ki Institute of Natural Resources, à titre personnel : Wela’lioq. Je vous remercie de me donner l’occasion aujourd’hui de présenter les résultats de mes recherches. Au cours des sept dernières années, je me suis penchée sur la question précise à laquelle le Sénat tente de répondre.

Mes recherches font partie d’un projet plus vaste appelé Fisheries-Western Indigenous Knowledge Systems, ou Fish‑WIKS. Ce projet vise à examiner les façons dont les différents systèmes de connaissances peuvent être exploités et à améliorer la gouvernance des pêches au Canada. Le projet a reçu le soutien de l’Assemblée des Premières Nations et du ministère des Pêches et des Océans.

J’ai commencé mes recherches avec la question suivante : comment peut-on mettre en œuvre en Nouvelle-Écosse le droit des Mi’kmaqs de pêcher pour assurer leur subsistance? Selon mes recherches, la réponse ne se limite pas à la mise en œuvre un droit. La question s’inscrit dans un processus plus vaste et plus compliqué que l’autorité fédérale sur les droits issus de traités des Mi’kmaqs, comme l’a montré la justification.

Il s’agit d’une question de gouvernance. Il est important de comprendre que la gouvernance n’implique pas nécessairement le gouvernement ou le rôle de la loi et du gouvernement. La gouvernance est la capacité de faire avancer les choses sans nécessairement détenir la compétence juridique d’ordonner leur réalisation. C’est par l’intermédiaire des processus interactifs que la société et l’économie sont orientées vers des objectifs négociés collectivement.

La gouvernance est encore plus compliquée, compte tenu des contextes historique, politique et juridique des droits ancestraux des Mi’kmaqs issus de traités. Par exemple, les traités conclus avant la Confédération entre la Couronne et les Mi’kmaq n’ont pas fait disparaître la souveraineté des Mi’kmaqs. L’imposition de la Loi sur les Indiens a divisé les nations autochtones en Premières Nations ou a remplacé les formes traditionnelles de gouvernance.

Le pluralisme juridique joue un rôle important dans l’autonomisation d’un double système juridique et les droits mutuels à l’autodétermination, conformément aux articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle. Cela crée des difficultés pour les pêcheurs mi’kmaqs en ce qui concerne le respect de la loi canadienne et donne aux Mi’kmaqs la capacité de faire des lois. De plus, les interprétations de la jurisprudence limitent les droits autochtones issus de traités.

Pour citer le problème et trouver une solution, j’ai adopté l’approche à double perspective. Cela renvoie à l’utilisation des forces des systèmes de connaissances autochtones et occidentaux au profit de tous. Il est important de noter que l’approche à double perspective reconnaît que les systèmes de connaissances sont axés sur des croyances et influencent les valeurs et que ces deux méthodes de connaissance sont souvent en conflit à cause de valeurs et de croyances contradictoires. Cette interaction entre les systèmes de connaissances entraîne souvent des tensions qui peuvent mener à une meilleure compréhension des différences ainsi qu’à l’utilisation de valeurs et de croyances communes, ce qui peut être utilisé pour faire le pont entre des systèmes de connaissances afin de trouver des solutions.

Dans le cadre de mes recherches, 52 entrevues ont été menées auprès de pêcheurs mi’kmaq, de dirigeants, de personnes œuvrant dans des domaines connexes, d’organismes mi’kmaqs et autochtones, de fonctionnaires fédéraux et provinciaux et de pêcheurs non mi’kmaqs. À partir de ces entrevues, les Mi’kmaqs ont souligné les difficultés que posent les relations conflictuelles, la contestation de la légitimité du système de gouvernance et la marginalisation des pêcheurs mi’kmaqs.

Un élément important est qu’il existait des sous-catégories de défis pour les participants mi’kmaqs. Par exemple, en plus des relations conflictuelles entre les pêcheurs mi’kmaqs et non mi’kmaqs et entre les Mi’kmaqs et le ministère des Pêches et des Océans, le MPO, l’existence de conflits internes a également été soulevée. Ces conflits se manifestent dans les désaccords au sein des organisations politiques et du leadership, ainsi que dans le manque de coordination et de collaboration avec le Grand Conseil des Mi’kmaqs.

Si autant les Mi’kmaqs que les participants provinciaux du MPO contestent la légitimité du système de gouvernance de l’autre — par « légitimité », je parle de la perception d’une action politique comme un droit ou simplement celle des personnes impliquées, intéressées ou touchées par l’action en question —, des différends internes ont également été révélés. Les pêcheurs mi’kmaqs contestent également la légitimité du système de gouvernance mi’kmaq en ce qui a trait au résultat des consultations et des négociations avec le MPO, notamment au sujet des ententes et des conditions des permis. La question de la légitimité n’est toujours pas résolue entre le Grand Conseil des Mi’kmaqs et les gouvernements des Premières Nations en matière de compétence et d’autorité.

En outre, non seulement les pêcheurs mi’kmaqs ont été marginalisés par le MPO, mais en plus, ils l’ont été par leurs propres communautés. Ces problèmes sont révélateurs d’une faible gouvernabilité découlant de la manière dont la gouvernance est mise en œuvre.

Trois conclusions importantes ont été obtenues au moyen d’une analyse transversale des évaluations de la gouvernabilité des deux études de cas portant sur le saumon et le homard. Premièrement, les trois modes de gouvernance — hiérarchique, autonomie et co-gouvernance — sont nécessaire pour accroître l’efficacité et la légitimité de la gouvernance actuelle des pêcheurs, malgré les différences de vulnérabilité des systèmes naturels. À l’heure actuelle, il n’y a que des gouvernements hiérarchiques, incarnés par le MPO.

Deuxièmement, les écarts en matière de gouvernance contribuent directement aux problèmes. L’absence de co‑gouvernance mine les relations et contribue à l’insuffisance des échanges culturels. L’absence d’autonomie gouvernementale contribue à la marginalisation et à l’exclusion des pêcheurs mi’kmaqs dans les interactions et le processus décisionnel de la gouvernance.

Troisièmement, la vulnérabilité en matière de conservation en tant que motif justifiant la violation des droits issus de traités des Mi’kmaqs n’a pas été retenue comme élément central de la détermination du mode adéquat de gouvernance. Ces conclusions ne correspondent pas aux arrêts Sparrow et Marshall dans lesquels la Cour suprême du Canada affirme que la violation des droits ancestraux et issus de traités et l’imposition de limites à leur sujet sont nécessaires en matière de conservation lorsqu’on peut les justifier. En outre, la légitimité et l’efficacité du mode de gouvernance hiérarchique actuel du MPO n’ont pas été démontrées en matière de gouvernance des droits ancestraux et issus de traités.

Au moyen des occasions et résultats partagés des analyses de gouvernabilité, un modèle de rechange de gouvernance des pêches qui respecte l’autorité des Mi’kmaqs et du MPO en matière de gouvernance a été conçu. J’ai appelé ce modèle « Ankukankua’tu », ce qui signifie « conclusion d’une entente ».

Ce modèle comprend quatre éléments : l’établissement d’une association de pêcheurs mi’kmaqs autonome par district comprenant un tribunal disciplinaire approprié pouvant agir de façon indépendante des Premières Nations mi’kmaqs; l’établissement d’un mode d’autonomie gouvernementale entre l’association de pêcheurs autonome et le MPO, avec une responsabilité déléguée à l’unité de co-gouvernance; l’amélioration des interactions entre les pêcheurs mi’kmaqs, l’État et les industries au moyen de forums ayant recours au double regard; la création de politiques pertinentes pour les pêches autochtones tenant compte du droit de pêcher garanti par un traité.

La mise en œuvre d’un modèle de gouvernance pourrait accroître la légitimité et l’efficacité de la gouvernance des droits ancestraux et issus de traités en matière de pêche en Nouvelle-Écosse. Cela n’exigerait pas de modification de la législation actuelle ou de la loi constitutionnelle. Le modèle n’exige qu’une volonté des parties à partager les pouvoirs et les responsabilités et à « conclure une entente » en signe de réconciliation. Wela’lioq.

Le président : Merci, Madame Denny. Nous allons passer aux questions.

La sénatrice McPhedran : La semaine dernière, le comité a reçu des témoins qui ont tous parlé des interventions du Canada reposant sur la conservation et la préservation dans les pêches fondées sur les droits. Ces témoins, à l’instar de ceux entendus aujourd’hui — je crois que c’est le chef Tremblay qui en a parlé plus tôt —, ont souligné la façon dont les fonctionnaires se servent souvent de la conservation pour justifier le contrôle des pêches fondées sur les droits et ils ont mentionné que, bien souvent, rien ne soutenait les allégations relatives à la conservation.

J’aimerais que chacune de vous me dise ce qu’elle voudrait voir changer dans la législation actuelle. Madame Denny, je sais que vous avez dit dans votre exposé que vous ne croyiez pas que les lois devaient être modifiées. Ma question est légèrement différente. Y a-t-il des modifications aux lois actuelles et à l’autorité de gouvernance du MPO qui sont requises pour répondre aux besoins et atteindre les résultats en matière de conservation?

Mme Bailey : Merci de votre question, sénatrice.

J’ai écouté certains des témoignages et je suis vraiment heureuse qu’ils soient accessibles en ligne. Différentes choses sont en train de se passer. Une de ces choses concerne la législation en matière de co-gouvernance. Comme le disait Mme Denny, je crois, cela existe et le groupe de témoins précédent a parlé de l’article 4.1 de la Loi sur les pêches. Cependant, je crois qu’il y a également le rôle que jouent les agents de conservation sur l’eau.

Ce que j’ai entendu de certains membres de la communauté, c’est que, sur l’eau, les agents de conservation ne font que leur travail. C’est ce qui engendre le conflit, que ce soit lorsque les agents veulent retirer des cages ou arraisonner des bateaux, etc., ils considèrent que cela fait partie de leur mandat, parce que les pêches concernées se font en violation de la Loi sur les pêches.

À mon avis, il y a à la fois la question de l’application sur l’eau, où la législation n’a pas changé, ce qui fait en sorte que les agents de conservation ne peuvent pas se retirer et laisser les pêches garanties par des droits issus de traités se dérouler, mais je crois également qu’il y a des modèles au pays et ailleurs et des dispositions de la Loi sur les pêches qui permettraient l’établissement d’une co-gouvernance.

La conservation demeure un motif de violation des droits, notamment en raison de l’ajout amené par l’arrêt Marshall II. Il semble que ce soit le seul motif que l’industrie de la pêche soit prête à accepter et qui permet au MPO de dire : « Oui, la Cour suprême semble confirmer que nous pouvons agir de la sorte à des fins de conservation. »

Je n’ai entendu personne dire que la conservation des ressources n’est pas importante. À mon avis, cet argument serait non recevable. Tout le monde veut assurer la survie du homard et du saumon. La conservation est une valeur commune, mais s’en servir pour justifier un refus de coopérer ou une violation des droits est incohérent.

J’ajouterais également que la pêche à des fins sociales, cérémoniales ou de subsistance se déroule en dehors de la saison de pêche commerciale dans la zone LFA 34. L’exercice de ce droit inhérent est permis par le MPO pendant l’été, mais pas celui des droits de pêche issus de traités. En ce qui concerne le homard, l’étiquette qui se trouve sur la cage n’a aucune incidence. C’est une autre incohérence de la part du gouvernement; on peut violer tel droit pour des motifs de conservation, mais pas tel autre.

Le motif n’est pas la conservation. Les stocks n’ont jamais été aussi élevés. Je crois que c’est le motif que la population est prête à accepter; l’industrie de la pêche peut se servir de ce motif, alors c’est celui qui est invoqué. D’après moi, comme vous le dites, cela ne repose pas sur des données.

Merci, sénatrice.

Mme Denny : J’ai dit que je ne croyais pas que les lois devaient être changées, mais il y a assurément un problème important quant à la politique du MPO relative à l’exercice des droits de pêche issus de traités. Je crois que beaucoup de travail peut être fait pour soutenir l’autonomie gouvernementale et la co-gouvernance en ce qui concerne les espèces ayant des problèmes de conservation. La solution n’est pas vraiment de modifier les lois; c’est de modifier les politiques et d’en adopter de plus adéquates.

Une des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord, c’est l’existence d’une seule politique nationale pour les pêches autochtones. Ces pêches sont toutes différentes et complexes et les traités varient d’une région à l’autre du pays. Il serait préférable d’établir des politiques régionales sur les pêches autochtones adaptées au contexte des Premières Nations. En plus de cela, il y a assurément certains problèmes relatifs aux politiques qui pourraient être réglés.

Le sénateur Ravalia : Je remercie tous les témoins. Ma question s’adresse à Mme Bailey.

Vous avez clairement décrit le lien entre le savoir ancestral et la science contemporaine en matière de gestion des pêches. Connaissez-vous une solution qui permettrait de mieux intégrer ce processus? Lorsque le savoir autochtone ou ancestral ne correspond pas aux conclusions scientifiques contemporaines, est-ce qu’un des deux devrait avoir préséance sur l’autre? Merci.

Mme Bailey : Merci, sénateur. Mme Denny a parlé du double regard, qui est l’un des cadres permettant d’utiliser les forces de différents systèmes de connaissances. Les deux systèmes ne sont pas toujours au diapason. Mme Denny l’a bien expliqué. Dans certains projets de partenariat auxquels nous avons travaillé ensemble, il y a parfois des confrontations. La solution n’est pas toujours claire. Cependant, en prenant certains éléments de chacun des systèmes en fonction du contexte et du problème, je crois qu’un des éléments — cela fait partie du projet plus étendu auquel travaille Mme Denny pour Fish-WIKS —, c’est l’idée voulant que la connaissance repose sur un système relatif à la façon dont vous avez acquis cette connaissance, système qui est également clairement lié à l’ontologie et à la compréhension que vous avez de votre place dans le monde.

Par exemple, la saisonnalité, telle que nous en avons parlé aujourd’hui et telle qu’elle est abordée par le MPO, concerne la pêche commerciale. On parle de saison commerciale. La saison de pêche des Mi’kmaqs peut être très différente. De ce que j’en sais, la saison de la pêche pour les Mi’kmaqs serait le printemps, l’été et l’automne, avec la pêche à Shubie, puis l’hiver, avec une pêche qui se fait de plus en plus vers l’intérieur des terres.

Pour moi, cela concerne votre question au sujet des connaissances et des systèmes de connaissances et du fait que les connaissances autochtones ne se limitent pas à l’idée que se fait le système de connaissances occidental des données, soit, que voit-on sur l’eau? Il y a également des enjeux culturels et l’ontologie sur lesquels repose ce système de connaissances.

La définition de la saisonnalité, encore une fois, est quelque chose qu’on considère comme étant figé. Les pêcheurs qui parlent de saisonnalité le font pour une raison; certains parlent de saison commerciale pour des raisons commerciales, mais peut‑être que les pêcheurs mi’kmaqs parlent de saisonnalité pour des raisons propres aux Mi’kmaqs. Ce genre de discussion n’a pas eu lieu.

Il y aurait beaucoup d’occasions. Dans la Loi sur les pêches, il est indiqué que le ministre peut ou doit — je ne me souviens pas si c’est « peut » ou « doit » dans ce cas précis — prendre en considération les connaissances autochtones dans la prise d’une décision lorsque de telles connaissances lui sont communiquées et il est également question de la propriété et de la possession des connaissances autochtones.

Je ne sais pas s’il est possible de déterminer dans quel cas tel type de connaissances est meilleur qu’un autre. Je crois que tout dépend du contexte et, comme l’a souligné Mme Denny, de la région. Tant que tous ne seront pas réunis pour communiquer, collaborer et bâtir une relation, il sera extrêmement difficile d’avoir ne serait-ce que des discussions sur l’appariement des systèmes de connaissances.

Établir des liens est un idéal et je crois que les processus fondés sur le consensus sont importants. J’ai souvent participé à ce genre de processus. Ils prennent beaucoup de temps, mais c’est extrêmement puissant de réunir des gens qui ont des systèmes de connaissances et des avis différents, qui travaillent sur une longue période pour arriver à un consensus sur les compromis et qui sont prêts à prendre le temps qu’il faut pour arriver à ce consensus au sujet du contexte, des ressources ou de l’enjeu scientifique concerné. Merci, sénateur.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup, c’est apprécié.

Le sénateur Francis : Je remercie tous les témoins qui sont présents. On a peut-être déjà répondu indirectement à ma question, mais je vais la poser pour être bien certain de la réponse. Elle s’adresse aux deux témoins.

Quelles sont les données dont se sert le MPO pour limiter l’exercice d’un droit issu de traités aux saisons de pêche commerciale? Cette décision tient-elle compte d’autre chose que les conditions du marché?

Mme Denny : Je n’ai pris part à aucune des discussions où le MPO tentait de justifier la limitation de l’accès à la ressource. Dans la plupart des cas, c’est comme si le ministère favorisait l’industrie.

Je peux comprendre que, du point de vue scientifique concernant la pêche, il peut arriver que pêcher pendant une saison donnée crée des problèmes pour les homards. En même temps, cela ne signifie pas nécessairement que les stocks diminueront. Je crois qu’un des types de connaissances et qu’une des visions du monde ont beaucoup d’influence sur la façon de faire les choses. Je crois qu’il y a là un déficit. On ne prend pas en compte différentes façons de pêcher et de comprendre les raisons pourquoi les choses se font. Certaines de ces décisions sont en grande partie fondées sur de mauvaises informations.

Si on revient à ce que Mme Bailey a dit, la saisonnalité s’explique de différentes façons et les Mi’kmaqs ont leurs propres raisons pour l’exercice de leur droit de pêche, qui sont différentes des raisons relatives à la pêche commerciale. Je crois que leurs raisons sont aussi valables.

Mme Bailey : Merci de votre question, sénateur. Je suis entièrement d’accord avec Mme Denny. Il y a des raisons, absolument. C’est dans le document justificatif du MPO. Pêcher pendant la saison de mue peut avoir des conséquences. Encore une fois, cela ne signifie pas qu’il est impossible de pêcher pendant cette période, mais il faut connaître les impacts que cela implique.

Par exemple, j’ai justement discuté avec un biologiste de Listuguj la semaine dernière. Nous avons parlé d’une étude menée dans la région dans les années 1990 sur la capturabilité — la proportion de la population de homard qu’une cage capture — à différentes périodes de l’année. À l’automne, ce serait environ sept fois plus qu’au printemps. C’est notamment en raison de l’appétit plus vorace des homards et de la mue qui vient de se terminer. Cette caractéristique de leur comportement les rend plus faciles à attraper.

Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas pêcher le homard à l’automne. D’après ce que j’ai retenu de cette conversation, cela signifie que, chaque fois qu’on pose une cage en automne, il faut être conscient qu’elle aura un impact sept fois plus grand qu’une cage posée au printemps.

C’est un élément important dont il faut tenir compte. Encore une fois, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas pêcher à l’automne — il y a de la pêche à l’automne —, mais il faut comprendre que la pêche dans cette période de l’année a un effet plus important sur le nombre d’individus capturés.

Il n’y a aucune donnée et c’est la vérité; je n’exagère pas. Le MPO effectue un relevé au chalut dans la baie Saint Mary’s une journée pendant l’été pour plusieurs espèces en même temps. On fait un relevé de tout ce qui est capturé pour avoir une idée de la situation. Il ne se fait rien de la fin de la pêche commerciale, en mai, à la réouverture en novembre, alors nous n’avons pas de données. Nous ne connaissons pas la condition des carapaces; nous ne savons rien au sujet de la taille des individus ou du ratio entre les sexes. Nous ne connaissons pas les chances de survie des homards à carapace molle remis à l’eau dans la baie Saint Mary’s, la LFA 34. Nous ne connaissons pas ces éléments et c’est correct. Il faut recueillir des données et essayer de le savoir.

Ce n’est pas que la conservation n’est pas importante; il est évident que, selon la période de l’année, la pêche aura un impact différent sur la mortalité du stock et c’est tout à fait correct. C’est seulement qu’il faut en tenir compte. Il est malheureux qu’on ne veuille même pas recueillir des données ou participer à un effort de collecte de données pour essayer de comprendre l’importance de cet impact.

Comme l’a souligné Mme Denny, dire que, parce qu’on a fait certains efforts en ce sens pendant l’été, on peut déterminer en quelque sorte qu’il y aurait un problème et qu’il ne faudrait pas pêcher n’est pas raisonnable.

Le MPO continue, je crois, de se servir de ces caractéristiques comportementales, des stratégies du cycle vital des homards, pour dire qu’il ne faut pas pêcher pendant telle période, alors qu’il ne se sert pas de données concernant l’effet réel qu’aurait la pêche sur les stocks à ce moment précis de l’année.

Merci.

Le sénateur Francis : Je vous remercie de vos réponses.

Le président : Je dois vous informer que, comme je l’ai mentionné plus tôt, je dois partir pour un rendez-vous médical. La sénatrice Busson occupera le fauteuil. C’est maintenant au sénateur Cormier de poser des questions. Bonne chance pour le reste de la réunion. Prenez soin de vous.

La sénatrice Bev Busson (vice-présidente) occupe le fauteuil.

Le sénateur Cormier : Merci, mesdames Denny et Bailey.

[Français]

Je ne veux pas simplifier le processus de négociation qui est en cause en ce moment. On parle de droits, de lois, de traités dans les discussions qui se passent avec le gouvernement fédéral.

Je voudrais vous entendre sur cette question. Je vois plutôt ce processus comme un triangle où il y a, d’un côté les pêcheurs autochtones et les pêcheurs non autochtones qui font la pêche commerciale, et il y a le gouvernement fédéral en haut de ce triangle. Il me semble qu’il y a des conversations entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral qui existent ainsi que des conversations entre les pêcheurs commerciaux et le gouvernement fédéral qui existent, mais je ne saisis pas bien comment, à la base, les autochtones et les non-autochtones travaillent ensemble pour trouver des solutions aux problèmes qu’on a énoncés.

Qu’est-ce que le gouvernement fédéral peut faire pour mettre en place les conditions qui permettraient ce dialogue qui me semble si important et qui est à la base de la solidarité et du travail commun de nos communautés?

[Traduction]

Mme Denny : C’est une bonne question, sénateur, et c’est vrai qu’il s’agit d’une des lacunes de la gouvernance actuelle.

Le modèle que j’ai élaboré, Ankukankua’tu, tient compte de cette réalité. Les traités ont des incidences sur l’ensemble de la société. Ils ne concernent pas seulement les différents gouvernements; ils ont un effet sur toute la société. Dans mon modèle, j’ai prévu une place pour ces interactions et ces dernières sont très importantes pour l’amélioration de la transparence entre les pêcheurs, qui est inexistante à l’heure actuelle. C’est une chose que peut faire le gouvernement.

Je crois que la meilleure chose que pourrait faire le gouvernement fédéral serait d’aider l’industrie à comprendre que les droits issus de traités font non seulement partie de la Constitution, mais peuvent également jouer un rôle de premier plan dans les pêches comme telles. S’ils sont inclus dans les politiques, cela crée de la légitimité pour l’industrie. Je crois que reconnaître ces traités et leur donner une place prépondérante dans les politiques actuelles, créer des occasions d’autonomie gouvernementale — qui existent déjà, mais qui devraient être incluses dans les politiques — et de co-gouvernance permettrait de s’assurer que les pêcheurs, les pêcheurs non mi’kmaqs et non autochtones, soient inclus dans les discussions sans nécessairement faire partie de l’entente de co-gouvernance.

Mme Bailey : Merci de la question, sénateur.

J’aime beaucoup le point soulevé par Mme Denny au sujet des incidences des traités sur l’ensemble de la société, parce que nous avons tous des responsabilités à cet égard.

Il y a eu des témoignages la semaine dernière au sujet de la possibilité pour le MPO et la GRC de prendre un pas de recul face au rôle d’application des règlements et d’agir plutôt en protecteurs, dans ce cas-ci, des Mi’kmaqs. Je trouve également cela très sensé dans ce contexte et je vois un lien avec ce qu’a dit Mme Denny au sujet de l’éducation et des fondations à établir au sujet de ce qui est un comportement acceptable et de ce qui est un comportement inacceptable.

Je me souviens que, à l’automne 2020 — il faudrait que je vérifie la date; je crois que c’était le 17 septembre —, la nation de Sipekne’katik a commencé sa pêche de subsistance convenable et, le 18 septembre, le ministre des Pêches a affirmé que ce n’était pas légal, puis la ministre Bennett a affirmé : « Eh bien, peut-être que c’est légal. » Puis, le ministre des Pêches a fait une nouvelle déclaration pour dire que c’était correct. Puis, ce n’était plus correct. Ce genre de messages est très problématique. Autant les pêcheurs commerciaux que le reste des Canadiens se demandaient si c’était légal ou pas. Comment s’y retrouver?

Changer le message de la sorte et rester flou quant à la possibilité de protéger ce droit ont rendu ce message très problématique.

Comme le reste de la population, les pêcheurs commerciaux n’ont reçu que très peu d’éducation au sujet des traités et de la compréhension des droits. Je sais qu’un des témoins du groupe précédent a aussi parlé d’éducation. Je crois que c’est un élément extrêmement important. Il existe différents moyens de communication et de coopération. Le MPO a lancé une table ronde sur le homard où les associations de pêcheurs, les organisations autochtones, les universitaires et le gouvernement peuvent se réunir pour discuter même uniquement de science. Je crois que ce serait un bon point de départ pour la collaboration où le facteur politique serait un peu mis de côté, ce qui n’est pas possible autrement. J’ai travaillé sur l’aspect scientifique de cet enjeu et je suis consciente que ce dernier est hautement politique. Il y a cependant des possibilités. Il y a les tables rondes. Il y a aussi des comités de gestion qui se réunissent.

Je crois aussi que le gouvernement doit communiquer très clairement qu’il s’agit d’une pêche fondée sur des droits, qu’elle doit avoir lieu et qu’elle doit être protégée par le gouvernement pour que les pêcheurs et la communauté soient en sécurité.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.

Le sénateur Christmas : Je remercie les deux témoins de faire part de leur expertise, des résultats de leurs recherches et de leurs expériences dans le domaine des pêches. Je leur en suis fort reconnaissant.

Ma question s’adresse à Mme Denny. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné que le ministère des Pêches et des Océans est inefficace lorsqu’il s’agit de faire respecter les droits issus de traités, et qu’il n’y a pas d’approche de gestion autonome ou de cogestion à l’égard des pêches. Pendant vos sept années de recherche, vous avez découvert un modèle particulier et très différent fondé sur les districts, car les Mi’kmaqs considèrent qu’ils sont divisés en districts dans l’ensemble des Maritimes, et que la création d’une association de pêcheurs fondée sur les districts devrait être au cœur de ce nouveau modèle.

Pouvez-vous expliquer pourquoi vous êtes arrivée à cette conclusion, et comment ce modèle permettrait de changer notre façon de gérer les pêches dans l’Atlantique?

Mme Denny : Le modèle axé sur la création d’une association de pêcheurs autonome fondée sur les districts était important, parce que les différends étaient fréquents entre les communautés mi’kmaqs. Il n’est pas toujours dans l’intérêt supérieur de la population de faire intervenir des dirigeants quand les gens ne parviennent pas à s’entendre. Certaines mesures aideraient à régler ces différends.

Par ailleurs, cette approche contribuerait à sortir les pêcheurs de la marginalité ainsi qu’à rendre les choses plus claires. Le territoire mi’kmaq se divise en sept districts. Quatre d’entre eux se trouvent en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick. Il y aurait donc quatre zones autonomes.

Pour revenir à l’histoire derrière les districts, mentionnons que les Mi’kmaqs jouissaient essentiellement d’une certaine autonomie au sein de leurs propres districts pour gérer leurs ressources de manière à ce qu’elles puissent durer pendant sept générations. Par ailleurs, il y a une possibilité de revenir à un mode de gestion traditionnel comme autrefois. Les traités et le mode de gouvernance du passé ne sont pas pris en compte dans la Loi sur les Indiens. C’est la loi qui s’applique de nos jours, mais ce n’était pas le cas autrefois.

La gestion s’exerçait en fonction des valeurs des gens, de leur éducation et de la façon dont ils avaient été élevés. Les pêcheurs et les communautés participaient à la gestion en collaboration avec le Grand Conseil des Mi’kmaqs; ce n’était pas que le conseil qui s’en chargeait. C’est une distinction importante, car le Grand Conseil était là pour aider les gens à vivre en harmonie, et c’est aussi l’idée derrière le concept de Netukulimk; il s’agit d’aider les gens à vivre en harmonie dans leur district, mais aussi de pouvoir mettre en commun les ressources des districts si c’est possible. Il ne s’agissait pas seulement d’organiser un secteur en particulier. On peut aussi aller d’un district à l’autre tout en suivant les règles.

Je crois que cela rendrait les choses plus claires. Quand il y a 13 communautés autochtones, il peut y avoir 13 ensembles de règles différents en matière de pêche dans un secteur, et ce n’est pas viable. Cela ne rend pas les choses plus claires pour la population. Je crois qu’on pourrait se fonder sur les districts qui sont encore en place. Ces districts ont été maintenus, avec la tradition orale, et c’est un mode de gestion géographique d’une importance fondamentale que nous pourrions employer pour nous organiser et pour concevoir des régimes de gestion mieux adaptés au milieu.

Le sénateur Christmas : Merci, Mme Denny. Lorsque nous avons entendu le groupe de témoins précédent, la cheffe Potter, de la Première Nation de Bear River, a parlé de l’entente fondée sur le district qu’elle a conclue avec le ministère des Pêches et des Océans, et qui concerne l’Acadie, sa communauté, les communautés d’Annapolis Valley et de Glooscap ainsi que le district de Kespukwitk. Que pensez-vous de cette approche et de la façon dont ces intervenants se sont entendus avec le ministère des Pêches et des Océans, même si tous les incidents violents qui se sont produits sur la côte Sud se sont déroulés dans ce district?

Mme Denny : En fait, c’est là que j’ai effectué la plus grande partie de mes travaux de recherche. Je crois qu’ils sont sur la bonne voie. On pourrait apporter certains changements pour accroître la participation des pêcheurs au sein du système de gestion.

La seule chose qui me préoccupe — et je me suis penchée sur certains plans de gestion autonome des pêches fondées sur le concept de Netukulimk —, c’est que le mode de gestion est fortement axé sur l’idée voulant que la gestion relève non pas de l’ensemble des membres des Premières Nations, mais du chef et du conseil. Cela ne permet pas vraiment de remettre entre les mains des pêcheurs la responsabilité d’établir les règles à suivre. Les pêcheurs doivent consulter le chef et le conseil, et je pense que les pêcheurs pourraient prendre eux-mêmes des décisions au lieu de s’en remettre aux décisions des chefs et des conseils.

Voilà quelques détails qu’on pourrait régler, mais je pense qu’ils sont sur la bonne voie pour ce qui est de l’organisation selon les districts. Ils connaissent leurs propres pêches. Ils vivent dans cette région. Ils ont les connaissances sur le milieu et le savoir mi’kmaq dont ils ont besoin pour pêcher de la bonne façon. Ils ont établi des relations avec les non-Autochtones des environs, et je pense qu’il est important d’entretenir ces relations. Dans certains cas, les différends viennent en grande partie de gens de l’extérieur qui viennent pêcher dans ces secteurs. Ce ne sont pas nécessairement des membres de la collectivité locale, mais des gens d’ailleurs qui veulent pêcher selon des règles différentes dans un endroit où ce genre de pratique peut certainement créer des conflits. Merci.

Le sénateur Christmas : Merci, madame Denny.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. C’est vraiment formidable d’avoir accès à l’information fondée sur des données scientifiques que vous avez présentée aujourd’hui. Je vous remercie infiniment toutes les deux.

Je me demande si vous pourriez expliquer le concept mi’kmaq de Netukulimk, qui regroupe le droit souverain et les croyances et pratiques collectives en ce qui concerne la protection, la récolte et la gestion des ressources de manière à en assurer la durabilité, ainsi que la façon dont ce concept a été appliqué à la pêche de subsistance. Je me demande également si ce concept s’accorde avec l’approche descendante et réglementée du ministère des Pêches et des Océans, car, selon ce que nous avons entendu non seulement dans les témoignages d’aujourd’hui, mais dans tous les témoignages, je dirais qu’il y a non pas un dialogue de nation à nation en ce qui concerne les pêches, mais une approche descendante.

Mme Denny : Le concept de Netukulimk renvoie à une valeur très importante pour le peuple mi’kmaq en ce qui a trait à notre façon de gérer les ressources dont la Terre mère nous a fait don. Il s’agit de vivre en harmonie, donc de s’assurer qu’on ne nuit pas inutilement à quelque chose, qu’on ne gaspille pas, qu’on partage et qu’on offre quelque chose en retour lors des cérémonies. Ce sont des choses qui ne sont pas généralement prises en compte dans les plans de gestion des pêches.

C’est le genre de savoirs et d’enseignements qui nous sont transmis. Cela se reflète dans le langage, dans la vie communautaire, dans l’idée de pouvoir subvenir aux besoins des gens et dans le fait que les Mi’kmaq comprennent que cela fait partie de leurs responsabilités.

Cette conception de la responsabilité fait aussi partie des différences. À l’extérieur du monde mi’kmaq et du monde autochtone, il incombe toujours au gouvernement de veiller à ce que les ressources soient disponibles, d’être responsable de quelque chose. Mais dans le monde mi’kmaq, nous devons tous assumer la responsabilité. Nous avons cette responsabilité. Il y a donc une incompatibilité avec l’approche descendante ou ascendante. La responsabilité incombe à tous et non seulement aux chefs, aux conseils et au gouvernement du Canada. Selon le concept de Netukulimk, nous avons tous la responsabilité de vivre en harmonie avec la Terre mère. C’est notre mode de subsistance.

La sénatrice Cordy : Madame Bailey, vous avez dit que la responsabilité concernant la durabilité semble toujours être renvoyée au peuple mi’kmaq, du moins dans le Canada atlantique, et que ce groupe est en quelque sorte perçu comme la goutte qui fait déborder le vase. C’est ce que nous avons constaté l’année dernière, dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, lorsque des Autochtones ont été arrêtés même s’ils ont le droit de pêcher.

C’est en quelque sorte un effort de relations publiques que nous devons faire, et ce n’est pas vraiment juste, mais comment peut-on surmonter cette difficulté? Madame Denny, vous venez de donner un bon aperçu des croyances mi’kmaqs en faveur de la durabilité et de la responsabilité personnelle en ce qui a trait à la durabilité des pêches, mais ce n’est pas ainsi que les choses sont présentées. Dans le conflit, on dirait que le blâme est toujours jeté sur le bien plus petit groupe de pêcheurs autochtones. Encore une fois, c’est ce qu’on a vu dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, et le nombre de pièges installés par les Mi’kmaqs était minime par rapport aux pièges des pêcheurs commerciaux dans cette région.

Mme Bailey : Je vous remercie de la question, sénatrice. J’ai quelques observations à faire. Bien des gens ont parlé de cette idée de hiérarchie des droits et privilèges, n’est-ce pas? L’idée voulant que la mortalité globale importe est fondamentale. Compte tenu de cela, s’il y a des préoccupations par rapport à la conservation, qui doit en assumer la responsabilité? En ce qui a trait à la hiérarchie des droits et des privilèges, il devrait incomber aux pêcheurs commerciaux de faire de la place aux détenteurs de droits pour qu’ils puissent exercer leurs droits issus de traités en pratiquant la pêche. Si on considère les pêches en général, il y a déjà une pêche commerciale — et je vais parler plus particulièrement de la baie Ste-Marie et de la zone de pêche du homard 34 — qui se pratique de novembre à mai. Comme vous l’avez dit, il y a près de 1 000 détenteurs de permis, et chacun d’eux peut poser 350 pièges. C’est un effort de pêche énorme. À l’heure actuelle, il n’est peut-être pas prudent pour l’équipage d’un petit navire appartenant à des Mi’kmaqs de naviguer sur ces eaux en cette période où les conflits sont nombreux. Ce n’est peut-être pas non plus la situation la plus équitable sur le plan économique, compte tenu des autres navires concurrents, du coût du carburant, et cetera.

Pour la nation de Sipekne’katik, l’idée de pratiquer la pêche à un moment où il est plus sécuritaire pour elle de le faire pourrait lui être profitable sur le plan économique si cela comprenait un droit de vente, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les membres de cette nation font tout ce qu’ils peuvent pour profiter le plus possible de leur droit de pêche.

Nous entendons parler des traits de comportement et des caractéristiques du cycle biologique du homard. L’été n’est peut‑être pas le meilleur moment pour pêcher. Si c’est bien le cas — nous ne pouvons pas le savoir parce que nous n’avons pas les données nécessaires —, quand la Première Nation de Sipekne’katik pourrait-elle vouloir pêcher étant donné que de multiples groupes, les Premières Nations de Bear River, d’Acadia et de Glooscap, tentent bien sûr d’en faire autant au même endroit?

À mon avis, une approche régionale et, encore une fois, établie à partir de la base est très logique. Comment ces Premières Nations peuvent-elles travailler ensemble pour établir les types et les périodes de pêche permettant de respecter les droits inhérents et les droits issus de traités? Quelle mortalité additionnelle est permise pour la pêche commerciale et qu’en est-il du nombre de casiers? J’imagine qu’on fonctionnerait pour ainsi dire à l’inverse. En ce moment, il y a la pêche commerciale, et nous nous demandons comment intégrer quelques casiers supplémentaires ou mettre en place une pêche sécuritaire pour nous. Il me semble que nous devrions suivre le processus inverse.

Je ne suis pas certaine d’avoir bien répondu à votre question. Quoi qu’il en soit, je vous remercie.

Le sénateur Quinn : Je remercie Mme Bailey et Mme Denny de leur excellent exposé. Je remercie également mes collègues de leurs questions parce qu’elles ont fait ressortir des points de vue et des renseignements encore plus intéressants. Je suis un nouveau membre de ce comité. Au cours des dernières séances auxquelles j’ai assisté, une diversité de points de vue a été présentée sur de nombreux aspects, du rôle du gouvernement fédéral qui se limiterait à garantir la protection des pêcheurs autochtones jusqu’à la question de savoir qui devrait établir les règles et prendre l’ensemble des décisions.

À mon avis, les exposés d’aujourd’hui sont instructifs parce qu’on semble s’entendre sur le fait que l’enjeu principal est la non-application de l’arrêt Marshall. Des mesures provisoires ont été mises en place il y a 21 ou 22 ans. Je ne sais pas combien de temps des mesures provisoires devraient s’appliquer, mais 22 ans me semblent une période terriblement longue. À ce que je comprends, les droits inhérents prévus à l’article 35 ne sont tout simplement pas appliqués ou respectés.

Aujourd’hui, quelques concepts intéressants ont été soulevés. Mme Bailey a notamment parlé d’une association indépendante fondée sur les districts. J’ai aussi relevé ce qu’ont dit Mmes Denny et Bailey à propos des données. Existe-t-il un modèle qui permet de regrouper les données provenant du gouvernement et des Premières Nations afin que des experts indépendants les étudient pour contribuer à ce processus décisionnel? Y a-t-il ce genre de rôle? Je le demande parce que, au bout du compte, le comité doit faire des recommandations.

Mme Bailey : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Je dirais qu’il y a absolument une place pour un tel rôle. Par rapport à mon travail avec la Première Nation de Sipekne’katik encore une fois, la bande a communiqué au MPO sa volonté de participer à l’étude scientifique. À ce que je comprends, le MPO a refusé cette collaboration. Par conséquent, les données recueillies par la Première Nation de Sipekne’katik lui appartiennent. La souveraineté des données est importante. Elles appartiennent à la bande. Si elle décidait de les transmettre au MPO, j’imagine que le ministère serait très intéressé de savoir de quels types de données il s’agit et quelle est la mortalité pendant l’été.

Je soulignerai également, par exemple, que j’ai dû obtenir un permis scientifique pour procéder à l’échantillonnage du homard à bord d’un bateau, et le MPO a dit que l’utilisation de casiers pour des activités scientifiques n’est permise qu’avec des étiquettes de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Nous ne pouvions pas échantillonner le homard avec des casiers ayant des étiquettes pour la pêche fondée sur les droits issus de traités. Le fait d’empêcher la collecte de données au moyen de la pêche fondée sur les droits issus de traités n’augure rien de bon pour la coopération scientifique. Je suis tout à fait d’accord avec vous : il y a un énorme rôle à jouer pour tenter de regrouper toutes ces données, et c’est essentiellement ce qu’il faut faire.

Par ailleurs, les pêcheurs commerciaux affirment que leur pêche est moins abondante dans la baie St. Mary’s. Les pêcheurs autochtones en sont peut-être la raison, et le nombre de prises global serait le même. Selon moi, ces observations ne permettent pas de conclure qu’il y a un problème de durabilité; les prises sont tout simplement réparties de façon différente. Toutefois, les pêcheurs commerciaux ne voient que la diminution du nombre de prises et ils craignent qu’il y ait des problèmes de stocks. Ces homards sont tout simplement pêchés par d’autres personnes.

Comme je l’ai déjà dit, sans toutes les données nécessaires, il est difficile de comprendre ce qui se passe. J’appuierais donc sans réserve ce type de recommandation et je serais ravie de voir des mesures qui permettraient de favoriser une coopération scientifique.

Le sénateur Quinn : Madame Denny, plus tôt au cours de la séance, vous avez parlé de lacunes en matière de politiques, et nous en avons défini quelques-unes dans le cadre de nos discussions. Si vous êtes d’avis que d’autres lacunes n’ont pas encore été soulevées, et je m’adresse aussi à vous, madame Bailey, je vous invite à soumettre vos réflexions à ce sujet à la présidence. Cette séance a été très utile, et je vous en suis reconnaissant. Merci.

Mme Denny : Je voudrais ajouter quelque chose à propos de la dernière question sur la possibilité de partager les données et de travailler ensemble. Le modèle que je propose prévoit un tel espace. C’est essentiellement un forum interactif à double regard. Il permet aux gens de se réunir pour parler, échanger, apprendre et, plus important encore, s’adapter à un savoir différent.

La question des politiques du MPO est importante parce qu’il n’y a rien pour guider la gestion des ressources ou le travail des scientifiques dans ce domaine. Une grande politique définit comment le MPO devrait travailler avec les Premières Nations. C’est une politique axée davantage sur les gens pour établir des relations et renforcer la compréhension. Il serait toutefois possible de réviser la Stratégie des pêches autochtones, un document de 1993, soit dit en passant. Il est donc très vieux et nécessite une révision importante. L’autorité du MPO est renforcée dans cette politique : si une entente n’est pas conclue, le MPO a toujours l’autorité d’imposer des conditions de permis à une collectivité selon sa propre évaluation des besoins. Encore une fois, le pouvoir que le MPO exerce sur ces collectivités n’a‑t-il pas l’effet de les marginaliser? De plus, il n’y a aucune communication. La plupart de ces collectivités s’opposent à l’imposition de telles conditions parce que, d’abord, elles n’ont pas donné leur accord et, ensuite, aucune communication sur ces conditions n’est envoyée aux membres des collectivités. Ainsi, ils enfreignent souvent leur entente permettant la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles sans même le savoir parce qu’il n’y a aucune interaction entre les pêcheurs et le MPO, ou les Premières Nations et les pêcheurs à ce sujet.

Je crois que le MPO doit reconnaître cet enjeu lié aux politiques. Il doit soutenir les pêches autochtones et faire en sorte de les rendre légitimes aux yeux des pêcheurs non autochtones également. Ne pas s’en occuper ne fait que créer d’autres problèmes à long terme.

La vice-présidente : Merci, madame Denny.

La sénatrice McPhedran : Je vais résumer une bonne partie de ce que nous avons entendu la semaine dernière et certains éléments des témoignages de cette semaine en disant que le racisme systémique est à ce point enraciné dans la loi sur le MPO que même les gens avec de bonnes intentions ne peuvent pas faire grand-chose. Pensez-vous que cette loi doit être modifiée? Pensez-vous qu’un modèle viable devrait inclure une responsabilité partagée entre le MPO, Relations Couronne-Autochtones et peut-être d’autres ministères?

Mme Denny : Comme je l’ai dit, le modèle que j’ai proposé vise l’application de traités, et non pas nécessairement la création de quelque chose de nouveau. Il prévoit quelque chose de nouveau pour le présent siècle : une approche que le gouvernement fédéral pourrait adopter. Compte tenu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, il y aura un examen des lois. Or, le MPO a déclaré que ce processus ne changerait pas ses lois. Il cherche plutôt à mettre en place de meilleurs mécanismes de gouvernance et à en tirer parti. Je crois que c’est important.

Encore une fois, c’est le manque de volonté politique qui nous empêche d’aller de l’avant. En ce qui concerne les relations avec la Couronne, le modèle que je propose ne nécessite pas un accord sur l’autonomie gouvernementale. Il faut distinguer un mécanisme indépendant, qui ne relève pas d’un gouvernement, de l’autonomie gouvernementale, qui s’appuie sur une entente de gouvernement à gouvernement. La politique sur l’autonomie gouvernementale prévoit des conditions précises qui...

La vice-présidente : Je suis désolée, madame Denny, mais je dois vous interrompre. Nous devons nous arrêter à 11 heures pile pour les interprètes. Je tiens à remercier tous les témoins d’avoir participé à notre réunion.

(La séance est levée.)

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