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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 14 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 18 h 33 (HE), avec vidéoconférence, afin d’étudier le cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada, incluant la sécurité maritime.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je suis Fabian Manning, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai le plaisir de présider la réunion du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

S’il y a des problèmes techniques, en particulier en lien avec l’interprétation, veuillez les signaler à la présidence ou au greffier, et nous essaierons de résoudre le problème. J’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Ataullahjan : Selma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Je tiens à remercier le sénateur Kutcher de m’avoir remplacé vendredi au comité alors que nous demandions notre financement pour nous rendre à Terre-Neuve-et-Labrador à la fin avril afin de poursuivre notre étude de l’industrie du phoque. Je n’ai pas entendu parler des résultats de la réunion. J’espère qu’elle s’est très bien déroulée. Si ce n’est pas le cas, nous devrons peut-être régler ce problème plus tard. Pour l’instant, toutefois, tout va bien.

Je voudrais souhaiter à toutes les personnes que cela intéresse une bonne Saint-Valentin, puisque nous sommes ici en cette journée spéciale.

Le 10 février 2022, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a reçu l’autorisation d’étudier les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans au Canada et d’en faire rapport.

Aujourd’hui, dans le cadre de ce mandat, le comité entendra Jason Spingle, secrétaire-trésorier et représentant de la Fish, Food and Allied Workers Union (FFAW-Unifor). C’est un plaisir de vous voir. Au nom des membres du comité, je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui. Je sais que le temps hivernal sévit à St. John’s, d’après ce que ma fille m’a dit il y a quelques minutes. Vous avez une déclaration préliminaire à faire, je crois. Je vais vous donner la parole, puis les sénateurs poseront leurs questions. La parole est à vous, M. Spingle.

Jason Spingle, secrétaire-trésorier, FFAW-Unifor : Honorables sénateurs, merci beaucoup et bonne Saint-Valentin. Je suis sur la côte Ouest de Terre-Neuve, où se trouve ma résidence. Il semble que j’aie échappé à la grande tempête de la Saint-Valentin sur Avalon.

Au nom de nos 14 000 membres et plus de Terre-Neuve-et-Labrador, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser aux honorables membres du comité sénatorial dans le cadre de la réunion d’aujourd’hui.

La Fish, Food and Allied Workers Union représente chaque pêcheur côtier de notre province, ce qui correspond à environ 3 000 entreprises de propriétaires-exploitants et leurs plus de 7 000 membres d’équipage. Nous comptons également parmi nos membres des milliers de travailleurs des usines de transformation du poisson, du transport maritime, de la fabrication de métaux, de l’hôtellerie et d’autres secteurs de la province.

À Terre-Neuve-et-Labrador, la valeur de la pêche côtière ne peut être sous-estimée. Il s’agit de notre plus ancienne industrie. Elle est étroitement liée à notre culture et continue d’offrir une stabilité économique et des débouchés à nos collectivités côtières et rurales. Tout au long de notre riche histoire, les travailleurs de Terre-Neuve-et-Labrador ont associé leur vie et leur gagne-pain à l’océan qui nous entoure. Ce dévouement continue d’être l’épine dorsale de la province. Il permet de soutenir une industrie d’une valeur annuelle d’un milliard de dollars, qui continue de croître et d’offrir de nouveaux débouchés.

La pêche côtière fait également partie intégrante du tourisme provincial et constitue l’un des principaux attraits pour lesquels les gens du monde viennent visiter notre province.

Aujourd’hui, notre succès collectif dépend du maintien de la valeur de cette industrie entre les mains compétentes de ces travailleurs. Pas seulement pour Terre-Neuve-et-Labrador, mais pour le Canada. Le gouvernement fédéral a réalisé des progrès pour renforcer les politiques concernant les propriétaires-exploitants et la séparation des flottilles. Il a été reconnu à maintes reprises que la préservation du fondement de la pêche axée sur le modèle des propriétaires-exploitants est essentielle à la durabilité économique des collectivités côtières. Pourtant, année après année, nous sommes témoins du changement de contrôle du secteur de la transformation, et nos membres continuent de soulever des inquiétudes quant à la concentration des pêcheries entre les mains de grandes sociétés, en particulier celles d’autres pays. La mainmise accrue des sociétés a entraîné des répercussions négatives évidentes. Elle a fait baisser la concurrence sur les quais, a étouffé la capacité des pêcheurs à trouver de nouveaux acheteurs et a réduit les relations de travail à un système d’arbitrage contraignant qui penche en faveur des transformateurs en raison du manque de transparence et, je dirais, de concurrence.

Les répercussions négatives ne font qu’empirer lorsque la mainmise est celle de sociétés étrangères. En 2020, le ministre provincial — qui détient le pouvoir ultime sur l’octroi de permis de transformation à Terre-Neuve-et-Labrador — a approuvé l’ajout de cinq usines aux neuf usines existantes de Royal Greenland dans l’Est du Canada. Cet ajout fait passer la présence de cette société à un total de 14 usines dans la région, dont 12 à Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons fait l’expérience directe des répercussions négatives de ce virage. Une société d’État étrangère est devenue la plus grande société de transformation de Terre-Neuve-et-Labrador grâce à plusieurs acquisitions. Royal Greenland est détenue par le gouvernement du Groenland et, en tant que pays constitutif du Danemark, elle peut accéder à des investissements en capital sans précédent pour poursuivre son expansion dans n’importe quel marché.

L’une des questions essentielles qui demeurent sans réponse et que la FFAW-Unifor entend faire entendre aux honorables sénateurs aujourd’hui est la suivante : qu’est-ce qu’une plus grande part de marché pour un plus petit nombre de sociétés signifie pour les entreprises, les travailleurs et les collectivités du pays?

En seulement cinq ans, Royal Greenland est passée d’une société totalement absente à la plus grande société de transformation du poisson de la province. Le succès de Royal Greenland dépend de l’intégration verticale des flottilles de pêche et du secteur de la transformation des fruits de mer. Royal Greenland s’assure des conditions lui permettant de contrôler tous les aspects de la pêche, notamment en veillant à ce que ses filiales aient un accès privilégié aux quotas ou aux débarquements, bien que de telles pratiques ne soient pas autorisées dans le secteur de la pêche côtière. Afin de contourner les règlements fédéraux canadiens, Royal Greenland a créé sa propre forme d’intégration verticale par l’acquisition de contrats qui les placent illégalement en contrôle de permis de pêche.

L’inscription de la politique du propriétaire-exploitant dans la loi en 2021 a été célébrée dans toute l’industrie, car elle visait à protéger la valeur des pêches en s’assurant qu’elles restent dans les collectivités locales. Cependant, en tant qu’organisme de réglementation, le ministère des Pêches et des Océans du Canada, ou MPO, s’est révélé mal outillé pour faire appliquer cette politique. Le MPO n’a encore imposé aucune sanction concernant les plus de 30 dossiers sur lesquels il a enquêté depuis l’inscription de la politique dans la loi en 2021. Au lieu de cela, sa réaction a été d’orienter gentiment les sociétés pour les aider à se conformer à la loi. À la grande déception des pêcheurs indépendants de tout le Canada, la politique du propriétaire-exploitant s’est révélée n’être qu’un exercice d’organisation d’ateliers pour le MPO, sans aucun effet dissuasif ni aucune conséquence en cas d’infraction.

L’année dernière, en 2022, la pêche côtière à la crevette a été bloquée parce que Royal Greenland a refusé de payer un prix équitable aux pêcheurs de crevettes de Terre-Neuve-et-Labrador, leur disant d’envoyer leurs embarcations et leurs produits au Québec s’ils voulaient un meilleur prix. Pendant ce temps, Royal Greenland payait plus cher un produit de moindre valeur et deux fois congelé provenant des chalutiers-usines pour le transformer dans son usine de Terre-Neuve. Voilà le type de comportement odieux auquel sont maintenant confrontés les travailleurs canadiens qui continuent de gagner leur vie dans cette industrie. Voilà le niveau de respect que Royal Greenland accorde aux pêcheurs et aux travailleurs des usines de Terre-Neuve-et-Labrador.

C’est pourquoi, honorables sénateurs, nous devons nous demander en tant que Canadiens — en tant que Terre-Neuviens et Labradoriens, assurément — si l’avenir de notre pêche sera dynamique et durable. Notre pêche va-t-elle continuer de contribuer à la richesse de notre culture et de notre économie? Sera-t-elle composée, comme elle l’est aujourd’hui, de milliers d’entreprises de propriétaires-exploitants et d’équipages de collectivités côtières qui débarquent et transforment leurs prises, dans un régime où la valeur de la pêche est répartie entre les personnes qui sont à proximité de la ressource? Ou sera-t-elle contrôlée par une petite poignée de personnes qui la transforment dans des zones extracôtières ou à l’étranger et qui extraient d’importantes richesses de nos collectivités, de notre province et de notre pays? Dans un tel cas, que restera-t-il de notre province telle que nous la connaissons?

Il incombe à chaque sénateur ici présent et à tous les Canadiens qui accordent de l’importance à nos océans de protéger cette ressource publique et de s’assurer que les avantages économiques et sociétaux qui découlent de nos eaux profitent à la population canadienne.

En conclusion, je remercie les membres du comité d’accorder de l’attention à la gravité de cette question. Je suis impatient de répondre à vos questions. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Spingle. Vous ne mâchez certainement pas vos mots en exprimant vos préoccupations.

Passons maintenant à la sénatrice Busson, la vice-présidente de notre comité, pour la première question.

La sénatrice Busson : Merci, monsieur Spingle, d’être là au milieu d’une tempête et à cette heure de la soirée. Nous apprécions votre opinion.

Ma question porte sur les politiques de séparation de la flottille du MPO. Vous avez mentionné que vous êtes préoccupé par la façon dont cette politique est mise en œuvre. Cette politique vise à interdire aux entreprises de transformation et aux entités étrangères de se procurer des permis de pêche et d’établir cette intégration verticale de la pêche côtière. Pourriez-vous nous dire si vous pensez que la politique mise en place est efficace ou non? Si elle ne l’est pas, quelles autres mesures aimeriez-vous que le gouvernement fédéral adopte pour garantir que les permis de pêche sont exclusivement accordés aux pêcheurs côtiers et protéger la culture et les ressources halieutiques de Terre-Neuve-et-Labrador?

M. Spingle : Merci de votre question. Le gouvernement a maintenant inscrit la politique dans la loi, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration d’ouverture. Nous avons nous‑mêmes demandé au MPO de faire un suivi. Des signes très clairs indiquent que le ministère est bien au fait de l’existence d’accords entre des entreprises et des particuliers. L’une des rumeurs — à défaut d’un meilleur terme — que nous avons entendues est que le MPO donne en fait aux personnes, y compris aux entreprises, la possibilité de se conformer. Maintenant, selon moi, si quelqu’un présente des irrégularités financières, par exemple, qu’elles soient personnelles ou commerciales, des organismes comme l’Agence du revenu du Canada — si je comprends bien — peuvent rapidement retracer les renseignements financiers, n’est-ce pas? Ce sont des procédés d’enquête de base.

Pour toutes les pêches, comme la pêche du crabe des neiges, qui est une espèce importante — j’ai entendu dire qu’elle est achetée non seulement à Terre-Neuve-et-Labrador, mais aussi dans le Canada atlantique pour un montant pouvant atteindre 50 $ la livre —, si vous avez un quota de ne serait-ce que 10 000 livres, vous pouvez faire le calcul, n’est-ce pas? Nous parlons ici de grosses sommes d’argent. Il me semble que si plusieurs de ces entreprises sont essentiellement financées par des sociétés — j’ai mentionné Royal Greenland, mais il y en a d’autres —, les fonctionnaires du ministère fédéral ou d’autres organismes qui travaillent avec elles seraient en mesure de les retracer.

Selon les commentaires que nous avons reçus du ministère, il ne semble pas y avoir de hâte à aller au fond des choses concernant un grand nombre de ces transactions. L’excuse selon laquelle le gouvernement leur donne la possibilité d’apporter des correctifs s’ils sont une partie d’un accord de contrôle n’est pas suffisante de notre point de vue. Cela fait maintenant plus de 10 ans que le gouvernement — et le MPO à titre de principal organisme du gouvernement — gère la pêche et a déclaré qu’il allait sévir. La politique a été officiellement mise en œuvre l’année dernière.

Ce que je vois, c’est que nous avons besoin d’un groupe de travail composé de personnes qui ont l’expertise pour mener ces enquêtes. Ces personnes connaîtraient le contexte mieux que moi, elles pourraient rapidement se pencher sur la question et obtenir des renseignements. Si des gens contreviennent à la loi, ils doivent en assumer les conséquences parce que tout le monde savait bien de quoi il en retournait.

Ce que je dirais pour résumer — désolé de ma réponse un peu longue — c’est qu’il faut suivre l’argent. Aucune de ces choses n’est remise gratuitement. Nous parlons de centaines de milliers, voire de millions de dollars dans de nombreux cas. Je peux me tromper, mais quelqu’un devrait être en mesure de trouver une trace écrite de ces transactions.

La sénatrice Busson : Pour résumer, il me semble que vous dites que ce n’est pas la politique qui est en cause, mais la surveillance et l’application de la politique?

M. Spingle : Oui, je pense que la politique est très claire. Un transformateur de poisson n’est pas autorisé à détenir une entreprise ou un permis de pêche ni à avoir une quelconque influence sur ceux-ci. Il offre de l’argent pour le poisson, il l’achète et c’est la fin de l’histoire. Comme je l’ai dit, des informations circulent partout selon lesquelles de l’argent est distribué à des individus pour acheter des entreprises ou contrôler des entreprises. Ces informations indiquent où va le poisson par la suite, quand il est pêché, tous ces aspects.

La politique est assez claire. Séparation des flottes et propriétaire-exploitant. Cependant, l’application ne semble pas être aussi claire que la politique.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

Le président : Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, M. Spingle, d’être parmi nous. Je tiens à préciser que je pose des questions en mon nom et au nom du sénateur Ravalia, qui ne peut être parmi nous aujourd’hui. Il m’a consacré Terre-Neuvien d’honneur pour deux heures. « Pas une seconde de plus », a-t-il dit.

Merci de nous faire part de ces préoccupations. Vous avez mentionné des problèmes au sujet de Royal Greenland. Avez‑vous fait part de vos préoccupations au MPO ou à d’autres pouvoirs?

M. Spingle : Nous avons soulevé ces préoccupations. J’occupe ce poste de leadership depuis quelques mois seulement, mais je sais que nous avons soulevé ces préoccupations. Nous sommes en présence d’une entreprise étrangère qui s’est établie partout dans le Canada atlantique. Elle prend de plus en plus de place chaque jour. J’ai vu son énoncé de mission, qui consiste essentiellement à accroître son influence ou sa présence dans le secteur des pêches de l’Atlantique Nord.

Je suis allé à une conférence en Islande en 2018 et j’ai parlé à un représentant du Groenland. Royal Greenland — je suppose que l’entreprise a été nommée là-bas — s’est présentée, a payé des prix plus élevés et a donné des primes et des choses de ce genre que les autres petites entreprises indépendantes ne pouvaient pas se permettre. En deux ans, elle a vraiment mis la pression sur les petites entreprises. La société possède la plupart de ce qui se trouve au Groenland à l’heure actuelle. Je tiens ces renseignements directement du représentant, le monsieur de Nuuk. Je m’excuse de ne pas me souvenir de son nom. Je pourrais vous l’envoyer.

En tout cas, c’est le genre de choses que nous voyons ici, où Royal Greenland est impliquée. Cette société paie plus que les autres entreprises établies, plus que les entreprises locales ou régionales. Je suis sûr qu’elle paie plus pour des produits comme le flétan et la crevette. Nous avons observé de tels cas il y a quelques années, et aussi récemment. Elle a également établi des partenariats avec certaines grandes entreprises ici, à Terre-Neuve-et-Labrador.

Dans ma déclaration d’ouverture, j’ai mentionné les collectivités. Je suis originaire d’une petite collectivité de pêcheurs dans le détroit du Labrador. Ce sont les gens que j’ai représentés. Je sais que nous avons des problèmes et des défis démographiques. Nous pouvons parler du tourisme et de choses comme les publicités qui font rêver. Terre-Neuve-et-Labrador est réputée pour ces publicités, mais j’en vois aussi de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai parlé à beaucoup de touristes, même avant de travailler avec le syndicat, et c’est la raison pour laquelle les touristes visitent ces endroits.

En résumé, c’est ce que nous craignons, et nous pouvons la voir. Les gens sont souvent attirés par le gain à court terme. Il est difficile de dire à un pêcheur : « Eh bien, vous ne devriez pas aller chercher un prix un peu plus élevé parce qu’il y a d’autres préoccupations. » Je pense que c’est la responsabilité du gouvernement et des chefs de file de l’industrie de protéger les pêches de notre mieux.

En ce qui concerne le commentaire précédent de la sénatrice Busson, la politique est très claire. Elle doit protéger la séparation des flottilles. Allons-nous chercher à en faire plus afin de faire appliquer cette politique? Nous devons nous demander : quelle est la prochaine étape?

Enfin, je pense que nous allons voir des changements. Désolé d’insister sur ce point. Nous allons assister à des changements inévitables attribuables à la démographie. Cela ne signifie toutefois pas que nous devons perdre toutes nos collectivités côtières ni tout notre patrimoine rural. C’est ce que je dirais. Et cela ne concerne pas seulement Terre-Neuve-et-Labrador, mais aussi le Canada atlantique et le Québec.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de votre réponse. Les préoccupations que vous avez soulevées nous intéressent grandement. Elles sont très importantes.

J’essaie de comprendre ce qui s’est passé. Lorsque votre association a soulevé ces questions auprès du MPO, comment a‑t-il réagi? Quel a été le résultat? A-t-il fait quelque chose qui, selon vous, montre qu’il prend vos préoccupations au sérieux? Quelles mesures a-t-il prises, le cas échéant?

M. Spingle : De nouveau, je m’excuse. Je vais essayer de me concentrer, merci de répéter la question. Nous n’avons vu aucune mesure de la part du MPO. Comme je l’ai dit plus tôt, il s’est en quelque sorte déchargé de ses responsabilités. On nous a dit : « La politique vient d’être inscrite. Nous travaillons sur cette question. Nous essayons de faire nos enquêtes. » Ensuite, il y a les problèmes liés à la quantité de personnel disponible. On nous dit également que ce sont des questions complexes, et ainsi de suite. Il semble que nous obtenions souvent plus d’excuses que nous voyions des mesures concrètes visant à régler ce problème. Nous n’observons pas vraiment de changement, très franchement.

Si rien ne change, je ne vois pas cela comme une évolution progressive. Je pense que la situation va s’aggraver. Je ne veux pas m’écarter du sujet, mais il y a d’autres politiques — des politiques relatives aux pêcheurs — qui sont maintenant connexes et qui pourraient vraiment aggraver la situation de manière significative dans les deux prochains mois, selon leur évolution. Honnêtement, nous ne voyons vraiment pas de mesures concrètes qui permettent de régler la situation.

Le sénateur Kutcher : Merci. D’autres préoccupations ont été soulevées au sujet de la non-conformité, concernant non seulement Royal Greenland, mais aussi d’autres éléments. Avez‑vous des suggestions à nous faire sur la façon dont le MPO pourrait mieux résoudre ces problèmes en particulier? Quel genre de mesures devrait-il prendre? Qu’est-ce que cela prendrait pour que vous considériez qu’il s’attaque réellement à ces problèmes? Que leur conseilleriez-vous de faire?

M. Spingle : Bien, je dirais ceci, sans vouloir paraître tourné vers mes propres intérêts de quelque façon que ce soit. Notre organisation est reconnue dans la province, et aussi dans le pays, comme le représentant officiel des pêcheurs côtiers de la province. Nous sommes toutefois une organisation démocratique. Je suis ici ce soir, et notre président, Greg Pretty, sera peut-être à l’antenne dans quelques semaines, ou nous parlerons peut-être sur les lignes ouvertes ou à la télévision.

Nous avons tenu une réunion il y a quelques semaines à laquelle participaient plus de 30 de nos représentants élus, qui composent ce qu’on appelle le conseil côtier. Ce fonctionnement ressemble beaucoup à celui de n’importe quel organisme dont les représentants sont élus. Le sénateur Manning connaît la plupart de ces personnes. Elles représentent toutes les régions de la province et toutes les flottilles, y compris les membres d’équipage. Nous nous réunissons dans un cadre très officiel, généralement sur une période de deux jours, deux fois par an, et nous débattons de ces politiques. Nous adoptions des motions officielles. Nous constatons que l’on prête de moins en moins attention à l’enjeu des pêches. Nous constatons que l’on accorde de moins en moins de crédibilité à ces dirigeants élus, par exemple, dans toute la province.

Assurément, tout le monde au sein du MPO dans la province ainsi qu’au sein du gouvernement provincial connaît le conseil côtier. Ils se tiennent informés de ce qu’il s’y passe globalement. Je dirais en fin de compte que nous avons des débats aussi difficiles que ceux que vous pourriez avoir. Nous présentons des motions. Lorsqu’elles sont adoptées, ce n’est pas moi ou notre président qui parle, c’est le conseil qui parle.

Nous constatons que l’on semble accorder de moins en moins d’attention au conseil côtier et aux autres comités élus. On semble accorder plus d’attention aux individus, qui ont souvent des opinions différentes des nôtres. Ils parlent très souvent en leur nom ou au nom de petits groupes qui ne sont pas élus.

Comme je l’ai dit, tout le monde a la possibilité de se présenter, mais ce sont là certaines de nos préoccupations. Je les vois et je pense que beaucoup de nos membres seraient d’accord pour dire que notre conseil en particulier n’a pas reçu assez de crédibilité pour le travail qu’il fait.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

La sénatrice McPhedran : Je sais que ce comité a entendu le témoignage d’un certain nombre de représentants décrivant l’incidence des accords de contrôle ou de contrôle de fait sur les collectivités.

Nous entendons vos commentaires ce soir, mais je veux m’assurer de ne pas les avoir interprétés. Nous savons que ces accords de contrôle ont été non seulement officiellement découragés, mais qu’ils sont complètement contraires à la politique. C’est le cas depuis 1979. C’est l’information qui nous a été donnée.

Des témoins précédents nous ont dit que la surveillance de Pêches et Océans Canada, si elle existe, ne semble pas être très efficace.

On nous a également dit très récemment, je crois que c’était en avril 2021, qu’il y avait eu des changements réglementaires qui étaient censés répondre exactement au genre de préoccupations que vous avez soulevées ce soir. D’après votre témoignage, ai-je bien compris que ces changements ne semblent avoir fait aucune différence, et certainement aucune différence positive?

M. Spingle : Une fois de plus, je dirais que la réponse à votre question est que rien de ce que nous voyons n’indique qu’il y ait eu des changements positifs dans l’application de cette politique.

Je comprends votre point de vue, sénateur. Ces mesures ont été mises en œuvre en 1979. Toutes allégeances politiques mises à part, le très honorable Roméo LeBlanc a mis en œuvre ces mesures. Il a été félicité dans tout le Canada atlantique et au Québec pour avoir protégé les entreprises et, surtout, les collectivités côtières.

Je dis « rurales », mais certaines d’entre elles sont plus grandes. Twillingate et Bonavista sont rurales, mais il y a tout de même plus de 2 000 personnes qui y vivent. Ce sont aussi des collectivités dynamiques dans le contexte des dernières années.

Non, nous n’avons vu aucune mesure efficace.

J’y ai réfléchi, et vous m’avez posé des questions à ce sujet. Je dirais que ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un comité ou d’un groupe de travail. Je pense que quelqu’un doit comprendre les pêches, mais aussi les enquêtes et les finances.

Si nous mettons en œuvre les règles, et que nous y croyons tous — vous ne trouverez personne là-bas — ou très peu de gens — qui dit : « Nous ne voulons pas de cette politique. » Il y a des personnes qui disent qu’il faut se débarrasser de toutes les collectivités rurales. Je dois parfois avoir cette discussion avec nos propres membres.

Notre vice-président Tony Doyle vit à Conception Bay. Il a un bateau de 40 pieds et pêche le crabe des neiges, la morue et le homard, et son fils pêche avec lui. Il y a 100 entreprises de ce type à Conception Bay. Elles soutiennent des collectivités comme Bay de Verde. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où je ne suis pas allé dans la province. Je suis allé à cet endroit. Ce serait l’un de ceux que j’irais visiter pour voir une collectivité de pêcheurs historique et actuelle.

Quoi qu’il en soit, nous avons ces conversations maintenant. Il suffit de quelques palangriers, qui peuvent venir de n’importe où. Regardez la pêche au crabe en Alaska. Je ne veux pas avoir l’air d’exagérer, mais certains diraient que c’est le genre de bateau avec lequel on voudrait pêcher le crabe des neiges, quelle que soit la distance qui nous sépare de la côte. On y trouve de l’eau de mer réfrigérée et tout ça. Ces bateaux remontent leurs casiers, et en moins de trois heures, ils sont de retour à terre. On dirait presque que les crabes, avec un peu de glace dessus, viennent de sortir de l’eau.

Je crains que ce soit le genre de choses que certaines personnes veulent acquérir, et elles le font en ayant plus de contrôle, en étant capables d’acheter des entreprises pour d’autres personnes et en avançant l’argent. C’est dans cette direction qu’elles veulent que les choses aillent. Elles veulent plus de consolidation, moins de navires. Elles veulent essentiellement posséder le poisson dans l’eau et dire aux gens quand et où ils peuvent aller le pêcher.

C’est un modèle. Il n’y a aucun doute là-dessus. Je ne pense cependant pas qu’aucun d’entre nous ici ne croit à ce modèle, tant s’en faut. À mon avis, il n’est même pas nécessaire de le laisser se précipiter.

Je pense que nous devons envoyer — en tant que gouvernement, en tant que pays et en tant que peuple — le message que nous aimons nos collectivités côtières et que nous allons les protéger.

J’en ai parlé. Aucune personne ne m’appelle pour me dire qu’elle ne peut pas vendre son entreprise. Beaucoup de jeunes me disent toutefois qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter d’entreprise.

Je sais que nous ne pouvons pas définir le marché en soi, mais un jeune qui doit s’adresser à un établissement de crédit officiel ne va pas pouvoir concurrencer une entreprise internationale qui est financée, potentiellement, par un pays ou d’autres entités importantes.

Voilà ce à quoi nous sommes confrontés maintenant, et nous devrons prendre une décision.

La sénatrice McPhedran : Monsieur Spingle, dans le scénario que vous venez de nous présenter, vous avez brossé un tableau de l’avenir qui va transformer des personnes indépendantes et fières qui vivent dans les collectivités en serviteurs et en serfs d’une société internationale.

Je me demande si l’une des questions sur laquelle nous devons nous pencher, en tant que comité, n’est pas la différence entre une politique et une loi, et si l’absence d’application dont nous parle presque tout le monde de Pêches et Océans peut avoir un rapport avec le fait qu’il s’agit d’une politique et que les règlements ne sont pas faciles d’accès et apparemment ne sont pas utilisés de manière optimale pour une certaine forme d’application.

Ma question porte également sur le point que vous avez soulevé à plusieurs reprises, à savoir que Royal Greenland est une société internationale. L’absence d’application de la loi est-elle due en partie au fait qu’il s’agit d’une politique et non d’une loi? Est-ce dû en partie au fait que des sociétés internationales comme celle-ci sont hors de portée d’une institution nationale comme Pêche et Océans? Est-ce cela que vous voyez?

M. Spingle : C’est certainement ce que nous commençons à constater. Je ne suis pas un expert en droit, et encore moins en droit international, mais j’apprécie vraiment votre commentaire. Peut-être que c’est cela le problème, que c’est un enjeu plus important. J’y ai déjà pensé. La plupart des gens que je connais au MPO sont des gens bien, mais je ne sais pas s’ils ont l’expertise pour s’occuper de cette question, en particulier s’il s’agit d’une politique et non d’une loi.

Je suis désolé d’insister sur certains points. Je me sens vraiment privilégié d’avoir l’occasion de prendre la parole. Je représente depuis presque 25 ans les collectivités côtières vivant de la pêche, ce qui comprend nos membres, les pêcheurs et les travailleurs de la transformation. Les collectivités sont ce qu’il y a de plus important. Je l’ai dit, et nos membres sont d’accord.

Avons-nous une vision de la façon dont nous voulons que les choses se fassent? Je ne le pense pas. Je ne pointe pas tout le monde du doigt. Nous disons que nous n’arrivons pas à attirer les jeunes dans la pêche. Ce n’est pas un nouvel enjeu, mais que faisons-nous vraiment pour appuyer le fait que c’est ce que nous voulons? Est-ce que c’est ce que nous voulons pour l’avenir de l’Île-du-Prince-Édouard ou de Terre-Neuve-et-Labrador?

Je ne pense pas que ce soit une question imaginaire. C’est ce à quoi les pêches pourraient ressembler. C’est ce à quoi certaines personnes veulent qu’elles ressemblent. Nous menons actuellement une lutte à propos du sébaste pour tenter de sauver une flotte de pêche de crevettes à Terre-Neuve-et-Labrador, au Québec et au Nouveau-Brunswick en particulier. Il y a des gens qui disent : « Oh, non, c’est dommage, mais c’est comme ça. Nous voulons amener un congélateur industriel dans ce petit ou moyen barachois du golfe du Saint-Laurent, prendre le poisson et l’envoyer outre-mer. » Cette activité va faire disparaître une flotte de Rivière-au-Renard, de Shippagan, d’Anchor Point, de Port au Choix — je ne sais pas si vous connaissez ces collectivités — ou de Matane.

La situation est devenue critique. Tout est lié maintenant. Nous avons formé une coalition. Nous nous affrontions probablement plus il y a 20 ans, alors que maintenant nous constatons que nous devons nous rassembler pour essayer d’assurer un avenir à nos pêcheurs et à leurs collectivités.

Je pense que nous sommes à un moment tournant et que le problème est probablement apparu de manière relativement progressive au cours des 30 dernières années. Selon les décisions que nous prendrons et le leadership que nous assumerons, collectivement, soit la situation se stabilisera, soit nous tomberons directement dans le précipice, et il sera alors trop tard.

La sénatrice McPhedran : Merci de nous donner des réponses approfondies et de nous aider à avoir une meilleure compréhension de ce qui est en jeu.

M. Spingle : Merci.

Le président : Je veux faire écho aux commentaires de M. Spingle, qui a mentionné Tony Doyle, de Bay de Verde. Au fil des ans, j’ai participé à de nombreuses réunions au bureau de l’administration portuaire, sur la colline de Bay de Verde. C’est une très belle collectivité à visiter. Il est agréable de parler avec ses habitants, y compris M. Doyle. J’ai eu une excellente expérience auprès d’eux.

Le sénateur Quinn : Merci, monsieur Spingle. Je vous remercie réellement de votre présence ici ce soir. Je vous remercie de nommer certaines des collectivités de Terre-Neuve-et-Labrador. Je peux vous dire que j’ai visité la plupart des collectivités de pêcheurs de Terre-Neuve lorsque je naviguais sur un petit pétrolier qui approvisionnait diverses usines. Le nombre de ces usines, comme vous le savez, a beaucoup diminué.

J’aimerais des précisions. Lorsque Royal Greenland, par exemple, acquiert une usine de transformation, qui approuve cette transaction? Est-ce le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial?

M. Spingle : Le gouvernement provincial l’approuve.

Le sénateur Quinn : Ma question est à deux volets. Nous sommes un peu dans une impasse du fait que la politique créée par le MPO — qui semble, d’après d’autres témoins, manquer cruellement de ressources pour l’appliquer — est une partie du problème. Mais l’autre partie du problème, c’est que le gouvernement provincial permet l’évolution de la situation en autorisant l’acquisition des ressources par des sociétés étrangères. C’est une arme à double tranchant.

Ce qui est vraiment triste à voir, c’est qu’il semble que le gouvernement provincial n’a pas de vision stratégique à long terme, car il surveille les collectivités côtières, les usines de transformation, les emplois, tout ce que vous voulez. Il y a une consolidation des flottes et moins de gens sur l’eau, ce qui mène à la mise à mort des collectivités.

Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement provincial n’adopte pas une position plus ferme afin de ne pas permettre aux sociétés étrangères de menacer l’existence même des quelques collectivités restantes ici, sur la côte de Terre-Neuve.

Je ne sais pas ce que vous en pensez. Je vous demande de nous faire part de vos observations à ce sujet.

M. Spingle : J’essaie d’être juste, je suppose. Nous avons tous chaque jour des défis à surmonter. Cette situation nous cause des problèmes.

Je vais sortir de mon domaine d’expertise en disant que le premier ministre de la province a essayé au cours des derniers mois de trouver un médecin pour le service des urgences de beaucoup de ces collectivités, parce qu’il n’y en avait pas.

Puis, il y a la question démographique. Je vais me risquer et dire que je pense que nous assisterons peut-être à la plus grande pêche au crabe des neiges du monde. Cela inclut Terre-Neuve-et-Labrador, qui a le plus gros quota au monde — je ne suis pas sûr pour la Russie, mais certainement en Amérique du Nord, alors qu’au Nouveau-Brunswick, la région adjacente à Shippagan n’est pas si loin derrière nous.

Il y a 25 ans, lorsque j’ai commencé à travailler pour le syndicat, nous avions de trois à quatre fois la capacité mondiale de transformation de tout le crabe des neiges qui arrivait aux ports. L’Alaska avait alors beaucoup plus de quotas. L’âge moyen des travailleurs dans nos usines était d’environ 40 ans.

Je peux vous dire dès maintenant que, sans une prolongation de la saison cette année — sans une certaine planification que nous n’avons pas eue —, nous n’aurons pas la capacité de transformer le crabe des neiges. Je pense que le Canada atlantique souffre des mêmes problèmes, que ce soit l’Île-du-Prince-Édouard ou...

Les gens me disent : « Faites venir des acheteurs de l’extérieur pour acheter notre crabe des neiges. » Sauf que la question est de savoir qui va le transformer, car le Nouveau-Brunswick, le Québec et d’autres endroits doivent surmonter les mêmes défis.

Encore une fois, je ne veux pas pointer personne du doigt, mais il s’agissait de voir l’iceberg venir. Il n’est cependant pas encore arrivé jusqu’à nous, nous nous sommes juste un peu orientés dans cette direction ou dans une autre sans vraiment mettre en place un plan stratégique. Je pense sincèrement qu’il nous revient de résoudre le problème. Nous en discutons au sein de l’industrie, mais c’est la première fois que j’ai l’occasion de parler à des gens comme vous qui ont une certaine influence. Vous voyez ce que je veux dire?

Il faut rassembler la ministre des Pêches et toutes les personnes concernées autour de la table pour tenir cette conversation, c’est-à-dire ne pas parler seulement de quotas de poissons, mais parler en détail du type de pêche que nous souhaitons voir dans 10, 15 et 20 ans — c’est-à-dire élaborer un plan stratégique ou une vision. Je ne pense pas que cela concerne uniquement Terre-Neuve-et-Labrador. En toute honnêteté, je ne pense pas que cette question ait été discutée assez en détail nulle part.

J’entends les premiers ministres provinciaux et territoriaux parler de soins de santé, de pétrole et de gaz et d’énergie. Cependant, il y a une pêche d’un milliard de dollars à Terre-Neuve, et tout autant en Nouvelle-Écosse. Dans toutes les provinces de l’Atlantique et au Québec, la pêche est essentielle à toutes les collectivités à proximité du golfe du Saint-Laurent. De plus, le tourisme est lié à cela.

Je vais peut-être me critiquer moi-même pour ne pas l’avoir suggéré plus tôt, mais cette discussion doit avoir lieu — et rapidement —, car d’énormes conséquences nous guettent.

Le sénateur Quinn : Je me demande si vous êtes d’accord pour dire que le partage des compétences n’aide pas la situation. En d’autres termes, le fait que c’est la province qui fait l’acquisition d’usines de transformation du poisson, mais que c’est le gouvernement fédéral qui met en place des politiques, sans toutefois affecter les personnes compétentes pour faire appliquer la loi sur le quai et sur l’eau, cela ne peut certainement pas aider. Êtes-vous d’accord?

M. Spingle : Oui. Il est certain que, dans l’ensemble, la situation laisse à désirer. S’il y a quelque chose qui peut être examiné... Encore une fois, si vous aviez un comité d’experts, je lui dirais d’examiner les propriétaires-exploitants et la concentration des pêcheries entre les mains de grandes sociétés, ainsi que l’application des règles. Cela devrait probablement impliquer quelqu’un du côté provincial également, étant donné que toute la transformation est contrôlée par les provinces. Peut‑être que les réponses sont là et que nous ne les avons pas encore trouvées. La question est de savoir ce que nous souhaitons.

Le sénateur Quinn : Bien. L’un des sujets que j’ai abordés avec des témoins précédents, c’est qu’à un moment donné, il y a eu une discussion dans ma province, le Nouveau-Brunswick, au sujet d’un problème d’application de la loi dans une autre pêcherie.

On a discuté du fait que la province du Nouveau-Brunswick devrait assumer un rôle plus important. En d’autres termes, avoir une responsabilité déléguée du gouvernement fédéral pour exécuter une fonction qui touche directement leur économie; du point de vue fédéral, on n’a pas réussi à trouver les ressources nécessaires pour s’occuper de cet aspect de l’économie locale.

Je me demande si c’est quelque chose dont le comité devrait tenir compte dans le rapport qu’il produira sur le partage des compétences. Je suis fermement convaincu que les personnes les plus touchées ont le plus intérêt à ce que cette pêche soit protégée, en particulier dans les eaux territoriales de la province.

Je me demande si vous recommanderiez au comité d’en parler et d’y réfléchir davantage pour que la province joue un rôle plus important.

M. Spingle : Je le recommande certainement à 100 %, sénateur, oui. Merci.

Le président : Monsieur Spingle, je veux revenir sur un point que vous avez mentionné plus tôt. J’entends beaucoup de choses là où je vis, à Terre-Neuve-et-Labrador, au sujet des jeunes qui se lancent dans la pêche et des coûts associés.

Une fois qu’une licence est mise en vente, comme vous l’avez évoqué, nous n’avons parfois aucune idée de la provenance de l’argent nécessaire à l’achat de cette licence. Il y a un processus. Je ne suis pas sûr que tous les sénateurs sont au courant. Pour qu’une personne puisse posséder un permis, il faut atteindre ce qu’on appelle le niveau II. C’est un processus de cinq ans. Il faut participer à la pêche pendant cinq ans et il faut qu’elle représente 75 % de son revenu annuel pour pouvoir gravir les échelons jusqu’au niveau II.

Je me base uniquement sur le souvenir d’une conversation que j’ai eue avec un jeune pendant la fin de semaine.

Est-ce le cas? Faut-il cinq ans de travail et faut-il que la pêche représente 75 % de ses revenus sur cette période de cinq ans pour atteindre le niveau II afin de pouvoir détenir un permis à son nom?

M. Spingle : C’est exact. C’est un système qui a été instauré officiellement en 1997, et il est administré par l’Office d’accréditation des pêcheurs professionnels. Il y a deux exigences. Il faut que la pêche représente 75 % de vos revenus pendant la saison de la pêche. Cependant, dans la plupart des cas, l’Office est très flexible quant à la définition de la saison de pêche. On peut toujours faire appel à l’Office ou lui communiquer des renseignements. En gros, l’Office vous reconnaîtra si vous pêchez pendant la saison du crabe ou du homard.

L’autre élément, c’est qu’au bout de deux ans de travail, on obtient le niveau I. N’importe qui peut devenir apprenti et se joindre à l’équipage d’un pêcheur professionnel. La personne doit seulement travailler avec un pêcheur professionnel. Toutefois, en deux ans, cette personne peut être considérée comme étant de niveau I; je trouve que c’est peu de temps. Ensuite, la personne peut travailler dans n’importe quelle entreprise, peu importe qu’il y ait une désignation médicale ou une désignation occasionnelle. En gros, cette personne est engagée dans la bonne voie. Elle ne peut toutefois pas être pleinement propriétaire de son entreprise avant trois autres années. De plus, les périodes ne doivent pas nécessairement être consécutives. On peut pêcher deux ans, aller faire autre chose pendant un an, puis revenir. Il y a une certaine flexibilité.

Si je peux me permettre de faire une recommandation au comité, parce que ce point m’intéresse vraiment, et je pense qu’il est mal interprété... Mark Dolomount est le directeur général de l’Office d’accréditation des pêcheurs professionnels, et il est plus éloquent sur ce sujet, car c’est sa réalité quotidienne. En gros, M. Dolomount dit qu’il y a plus de 2 000 personnes de niveau II — je l’ai mentionné brièvement tout à l’heure —, et que la plupart d’entre elles veulent être en mesure de posséder leur propre entreprise un jour. Quelque chose les en empêche.

Aucun propriétaire d’entreprise ne dit qu’il n’arrive pas à vendre son entreprise, mais des centaines de pêcheurs professionnels de niveau II disent que la situation est telle qu’ils ne peuvent tout simplement pas avoir accès aux entreprises mises sur le marché ou bien que la concurrence leur cause du tort.

Le président : Donc, si vous êtes dans l’industrie pendant deux ans, vous pouvez travailler, mais vous ne pouvez pas être propriétaire.

M. Spingle : C’est exact. Vous ne pouvez pas être propriétaire.

Le président : Mais vous pouvez travailler.

M. Spingle : On ne peut pas être propriétaire, et je suppose que si quelqu’un envisageait d’être le prochain propriétaire d’une entreprise à Bay de Verde — puisque nous en parlons — c’est ce que cette personne souhaiterait, je l’espère. À Bay de Verde, on voudrait que l’acheteur poursuive la pêche à Bay de Verde. Certes, il y aura des entreprises qui se déplaceront de haut en bas dans la baie ou ailleurs. Cependant, comme je l’ai dit plus tôt, je pense que notre objectif — et c’est une ambition —, c’est cela, parce que c’est une merveilleuse façon de pêcher le crabe des neiges, la morue, le maquereau et d’autres espèces. Il faut de plus gros bateaux pour aller plus loin en mer, mais dans la Conception Bay, par exemple, on n’a pas besoin d’un gros bateau. Je dirais que les facteurs économiques y sont défavorables.

Monsieur le président, je pense que M. Dolomount pourrait vraiment donner au comité un bon aperçu de la professionnalisation. Beaucoup disent qu’elle est une entrave pour les gens et pour la prochaine génération. Je ne pense pas que ce soit cela qui l’entrave. Comme je l’ai dit, M. Dolomount peut certainement vous donner un meilleur aperçu que moi. Je comprends les règles de base, mais il côtoie réellement ces personnes tous les jours de sa vie. Il sait quels sacrifices ils font pour se professionnaliser. Il connaît leurs objectifs ou leurs aspirations à devenir la prochaine génération de pêcheurs indépendants à Terre-Neuve-et-Labrador et au Canada.

Le président : Je vous remercie. Nous allons certainement donner suite à cette suggestion. Nous vous en remercions vivement, car, comme vous l’avez mentionné, il y a beaucoup de gens qui ne connaissent pas forcément les tenants et les aboutissants de ce milieu. Les possibilités d’avancement des pêcheurs ne sont pas nécessairement rigides. Il y a une certaine flexibilité. Certaines personnes à qui j’ai parlé ne sont peut-être même pas conscientes de la flexibilité qui existe. Je vous remercie pour cela.

Comme j’aime me le répéter, je suis ici et j’ai le privilège d’être président du comité, mais je n’ai jamais pêché de ma vie. Cependant, je sais combien c’est important pour tout le monde où j’habite et pour les communautés rurales de Terre-Neuve-et-Labrador. Une grande partie de mon éducation provient d’un autre membre de votre conseil de pêche côtière, Andy Careen, que vous connaissez sûrement. Si vous ne partagez pas nécessairement tous ses avis, il possède toutefois de grandes connaissances et il n’hésite pas à les transmettre au moment opportun.

Je tiens à vous remercier. C’était un plaisir de vous accueillir ici pour que vous nous donniez un aperçu des préoccupations actuelles. Il s’agit d’une question très importante pour nous. Grâce à notre travail au comité, nous espérons pouvoir au moins formuler quelques recommandations sur la base de ce que nous avons entendu. Nous avons encore plusieurs autres témoins à entendre.

La professionnalisation des pêcheurs est une préoccupation récurrente, comme vous l’avez dit, depuis la fin des années 1990; essayons donc de trouver un moyen de parvenir à notre objectif pour protéger non seulement les pêcheurs, mais aussi les communautés qui dépendent de ces pêcheurs.

Sur ce, M. Spingle, merci pour votre temps. Nous vous souhaitons bonne chance. Merci au comité. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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