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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 16 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 9 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour poursuivre son étude sur les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada, incluant la sécurité maritime.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mon nom est Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai l’honneur ce matin de présider ce comité et cette séance. Nous tenons aujourd’hui une séance du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

Si un problème technique survient, particulièrement en ce qui a trait à l’interprétation, veuillez me le signaler ou l’indiquer à la greffière et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

Je souhaite prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité qui se sont joints à nous ce matin de se présenter, en commençant par la sénatrice qui se trouve directement à ma droite.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

Le président : Le 10 février 2022, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a été autorisé à examiner, en vue d’en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans au Canada. En vertu de ce mandat, le comité accueillera aujourd’hui des représentants du commissaire à l’environnement et au développement durable pour discuter des rapports qu’ils ont présentés récemment en lien avec notre mandat.

Au nom des membres du comité, je vous remercie de votre présence, et je vous demanderais de vous présenter, s’il vous plaît.

Jerry V. DeMarco, commissaire à l’environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada : Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens également à vous remercier de nous donner l’occasion de discuter de deux récents rapports d’audit sur les espèces en péril qui ont été déposés au Parlement en octobre 2022.

Je tiens à reconnaître que cette audience se déroule sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je suis accompagné de Milan Duvnjak et de David Normand, les directeurs principaux qui étaient responsables des audits.

Les rapports que nous avons présentés, intitulés La protection des espèces aquatiques en péril et Progrès réalisés par les ministères et organismes dans la mise en œuvre des stratégies de développement durable—Espèces en péril, ainsi que le document d’information connexe sur la biodiversité au Canada indiquent que la biodiversité du Canada est sérieusement menacée, la liste des espèces en voie de disparition, des espèces menacées ou des espèces préoccupantes s’allongeant chaque année. Chaque disparition d’espèce perturbe davantage l’équilibre délicat de nos écosystèmes et constitue un manquement à notre devoir collectif de protection et de rétablissement des espèces en péril.

Dans notre rapport sur la protection des espèces aquatiques en péril, nous avons examiné si Pêches et Océans Canada, aussi appelé le MPO, en collaboration avec ses partenaires, protégeait certaines espèces aquatiques évaluées comme étant en péril aux termes de la Loi sur les espèces en péril.

Dans l’ensemble, nous avons constaté que l’approche adoptée par Pêches et Océans Canada pour protéger les espèces évaluées comme étant en péril avait contribué à des retards importants dans l’inscription des espèces devant être protégées au titre de la Loi sur les espèces en péril. Le ministère a surtout axé ses activités d’acquisition des connaissances sur les espèces ayant une valeur commerciale. Par conséquent, il y avait un manque de connaissances sur certaines espèces, ce qui a eu une incidence directe sur les mesures requises pour les protéger.

Le ministère n’avait pas encore donné de conseils au Cabinet quant à la nécessité d’assurer une protection légale pour la moitié des espèces évaluées comme étant en péril depuis 2004. Nous avons constaté que les analyses à l’appui des avis d’inscription des espèces devant être protégées n’étaient pas toujours claires et suffisantes et que le ministère avait évité d’inscrire de nombreuses espèces, comme la morue, si elles avaient une valeur commerciale.

Dans le cas des espèces inscrites sur la liste des espèces à protéger, Pêches et Océans Canada manquait de personnel pour assurer le respect de la Loi sur les espèces en péril et de la Loi sur les pêches, les deux principales lois régissant la protection de la biodiversité aquatique. Par exemple, le nombre de ressources consacrées aux efforts d’application des mesures de protection des espèces d’eau douce en péril dans les plus grandes régions du ministère était peu élevé.

Le manque de connaissances sur les espèces, le penchant à ne pas protéger des espèces ayant une valeur commerciale au titre de la Loi sur les espèces en péril, les retards importants dans l’inscription des espèces devant être protégées et la capacité limitée pour assurer l’application des lois ont des effets négatifs sur les écosystèmes et les collectivités qui en dépendent.

Je vais maintenant passer au document intitulé Rapports du commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du Canada—La protection des espèces en péril. Dans le cadre de cet audit, nous avons examiné comment Environnement et Changement climatique Canada, Pêches et Océans Canada et Parcs Canada avaient contribué à l’atteinte de la cible visant les espèces en péril associée à l’objectif « Populations d’espèces sauvages en santé » de la Stratégie fédérale de développement durable.

[Français]

Dans l’ensemble, les trois organisations ont déterminé dans leurs stratégies ministérielles respectives les mesures qu’elles prévoyaient prendre. Cependant, il était difficile de voir en quoi ces mesures prévues permettraient d’atteindre la cible relative aux espèces en péril. Cela est attribuable au fait que les plans des organisations comprenaient seulement certaines activités de conservation et de rétablissement nécessaires pour suivre et démontrer les progrès réalisés.

Compte tenu de ces lacunes dans les stratégies ministérielles, les rapports d’étape des trois organisations concernant leurs mesures prévues ont omis de prendre en considération certains aspects des activités de conservation et de rétablissement qui sont nécessaires pour brosser un tableau complet de la situation. Des actions mesurables et des rapports clairs sur les progrès réalisés sont importants pour indiquer au Parlement et à la population canadienne si le Canada respecte ses engagements en matière de biodiversité.

La production de rapports est importante, mais ce sont les résultats qui comptent vraiment. Malheureusement, à cet égard, le bilan n’est pas positif. Au cours des huit dernières années, les résultats ont stagné et sont restés bien en deçà de la cible liée au rétablissement des espèces en péril. Comme l’indique notre document d’information sur la biodiversité au Canada, il n’existe pas de loi générale sur la biodiversité à l’échelle fédérale.

Toutefois, le gouvernement fédéral s’est engagé à plusieurs reprises à protéger la biodiversité du Canada en adoptant une loi précise pour protéger les espèces en péril, tant sur terre que dans l’eau. Il existe un ensemble de lois disparates liées à la biodiversité, dont la Loi sur les espèces en péril, qui a été adoptée il y a près de 20 ans. Cette loi vise à prévenir toute autre disparition d’espèces grâce à la protection et au rétablissement des espèces en péril partout au Canada, qu’elles aient une valeur commerciale ou non. La protection de la nature pour son propre bien et pour l’importance qu’elle revêt aux yeux des Canadiennes et des Canadiens est au cœur de ces lois.

Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming, qui a été adopté à Montréal en décembre 2022, reconnaît l’urgence d’améliorer la réponse à la crise de la biodiversité. Je crains fort que notre pays n’en fasse tout simplement pas assez pour contrer la perte de biodiversité. Il s’agit d’un enjeu que nous avons soulevé dans de nombreux audits, et plus récemment dans les deux présents rapports et dans notre document d’information sur la biodiversité au Canada.

Pour mettre fin à la perte d’espèces en déclin ou à risque d’extinction et renverser la vapeur, il est urgent que le gouvernement fédéral et d’autres administrations interviennent. Plus le temps passe, plus les risques qui pèsent sur ces espèces augmentent, de même que les difficultés et les coûts de leur rétablissement. Ce fardeau ne devrait pas être imposé aux générations futures.

Je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.

Merci.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie, monsieur le commissaire. Je suis sûr que nous aurons des questions intéressantes de la part de nos sénateurs. Nous allons commencer par notre vice-présidente, la sénatrice Busson.

La sénatrice Busson : Merci à tous de votre présence. Le travail que vous réalisez est incroyablement important. Pour ce qui est de la biodiversité, et pour la gouverne de notre comité en particulier, j’aimerais me concentrer sur Pêches et Océans.

L’audit que vous avez mené visait principalement à déterminer si Pêches et Océans Canada protège de manière adéquate les espèces aquatiques reconnues comme étant en péril. Vous avez constaté qu’il y avait davantage de données et de renseignements recueillis sur les espèces à valeur commerciale que sur les espèces à valeur non commerciale. Votre rapport va même plus loin, affirmant que sans un changement dans la façon dont le ministère recueille les données, « [...] il sera difficile de prendre les mesures appropriées pour protéger bon nombre de ces espèces. »

Le ministère a-t-il les capacités financières et les ressources humaines nécessaires pour mener des recherches sur l’ensemble des espèces aquatiques relevant de sa compétence? Le ministère pourrait-il mieux tirer parti d’autres partenaires de recherche, comme le milieu universitaire, pour l’aider à remplir son mandat en matière de recherche sur les espèces en voie de disparition?

M. DeMarco : Je vous remercie de cette question, qui est directement liée à deux de nos recommandations : la recommandation 7.27, qui concerne les lacunes à combler en matière de connaissances, ainsi que la recommandation 7.32, sur la collaboration avec d’autres administrations afin d’être en mesure de prendre des décisions fondées sur des éléments probants. Je suis tout à fait d’accord pour dire que le ministère doit faire davantage d’efforts pour recueillir des données et collaborer avec d’autres acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux dans le but d’améliorer sa base de renseignements.

Nous avons notamment constaté que les activités d’acquisition de connaissances étaient plus limitées en ce qui concerne les espèces d’eau douce, qui n’ont généralement pas une grande valeur commerciale, que pour les espèces ayant une valeur commerciale. Il est intéressant de constater, et ce n’est pas indiqué dans le rapport, que dans le cas de la collecte de renseignements et de l’application de la loi, l’accent est moins mis sur la partie centrale du Canada, là où se trouvent la plupart des espèces d’eau douce. Autre fait intéressant qui ne figure pas non plus dans le rapport, la plupart des espèces aquatiques qui ont disparu au Canada se trouvaient dans la zone d’eau douce, et non dans la zone d’eau salée. Il ne s’agit pas simplement d’un problème hypothétique. En effet, les espèces qui ont souvent été le plus menacées, y compris les 8 à 10 espèces ayant disparu, sont, toutes sauf une, des espèces d’eau douce.

Il y a des conséquences à ne pas consacrer suffisamment de ressources pour les espèces d’eau douce, car ces espèces sont importantes de manière intrinsèque, sans égard à leur valeur commerciale. L’histoire de notre pays nous a montré que ce peu d’égard envers la protection des espèces d’eau douce a eu des conséquences bien réelles; certaines espèces ont disparu, et de nombreuses autres sont en péril, mais elles peuvent encore être sauvées si nous déployons des efforts supplémentaires.

La sénatrice Busson : Si vous me permettez de préciser la deuxième partie de ma question, je suis particulièrement intéressée d’entendre votre opinion à ce sujet. S’agit-il pour le ministère d’un problème de recherches et de collectes de données « mal ciblées », ou plutôt d’un manque de ressources pour effectuer le travail adéquat?

M. DeMarco : Oui, c’est une excellente question. Nous avons indiqué de façon claire dans notre rapport qu’il y avait un manque de ressources financières affectées à la partie centrale du Canada, là où les écosystèmes d’eau douce prédominent. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’application de la loi, bien que certains enjeux touchent également l’acquisition de données et de renseignements. Nous n’avons pas recommandé de réaffecter de ressources allouées aux côtes vers le centre du pays. En effet, nous ne pensons pas qu’il y ait des ressources excédentaires sur les côtes pouvant être réaffectées vers les régions d’eau douce. Selon toute vraisemblance, c’est une augmentation des ressources qui est nécessaire, et non une réaffectation. Nous n’avons pas constaté un surplus de ressources affectées aux côtes, mais plutôt qu’en comparaison, il y a encore moins de ressources affectées à l’intérieur des terres.

La sénatrice Busson : Excellent. Merci beaucoup.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de vous être joints à nous. C’était très intéressant. J’ai essayé de prendre des notes, mais vous parlez vite, alors pardonnez-moi si mes notes semblent confuses.

Vous avez dit qu’aucun rapport n’a été fait concernant la morue. Je suis originaire de la côte Est et je trouve cela étrange qu’il n’y ait pas de rapport pour vérifier comment cette espèce se porte, car nous avons eu un moratoire sur la pêche à la morue pendant si longtemps. Vous avez parlé de la partialité entourant l’inscription d’espèces commerciales en péril, et la morue se qualifie pourtant certainement comme une espèce commerciale.

Pourriez-vous préciser votre pensée à ce sujet? Il me semble très inhabituel que, dans le cadre d’un rapport sur les espèces en péril, il ne soit pas question de la morue et des espèces commerciales. Pourtant, ce type d’espèces semblent être les plus importantes et les plus préoccupantes aux yeux des pêcheurs.

M. DeMarco : En fait, nous faisons bien référence à la morue dans le rapport. Je vais vous trouver le passage en question. Plusieurs populations sont mentionnées dans la partie 7.6 pour ce qui est de l’historique de la situation, et dans la partie 7.8 pour ce qui a trait à la décision de ne pas inscrire la morue de l’Atlantique sur la liste. Il s’agit évidemment de l’espèce aquatique la plus médiatisée au pays, en raison du moratoire imposé en 1992, qui a entraîné, si je me rappelle, les plus importantes mises à pied de l’histoire canadienne. On n’aurait pas dû en arriver là. Comme nous le savons, il y a beaucoup de leçons à tirer de cet événement.

Le Bureau du vérificateur général a déjà fait rapport sur la question en ce qui concerne le programme d’aide ayant été mis en place à la suite du moratoire. Nous avions alors formulé des recommandations qui s’avèrent encore pertinentes aujourd’hui dans d’autres domaines, notamment dans le dossier controversé de la « transition équitable », dont vous avez abondamment entendu parler ces derniers temps.

Comme je l’ai dit, nous avons abordé la question de la morue. La décision d’inscrire ou non cette espèce sur la liste est à nouveau ouverte, et relève du Cabinet. Évidemment, nous ne menons pas d’audit sur les décisions prises par le Cabinet, mais c’est un sujet qui risque éventuellement de revenir sur le tapis. En effet, la morue a été réévaluée comme étant une espèce menacée, du moins les populations de morue qui se trouvent le plus au sud. Cela reste à voir.

Fait intéressant à souligner au sujet de la morue, cependant, c’est qu’en 1992 — je suppose que c’était au printemps ou à l’été —, lorsque le moratoire a été mis en place, l’idée initiale était d’avoir un moratoire de deux ans pour lui donner le temps de se rétablir au point où elle pourrait être pêchée commercialement à nouveau. Nous sommes maintenant en 2023, et il y a eu un certain rétablissement marginal, mais il est loin d’atteindre le niveau espéré. L’écosystème océanique est un système très complexe, et le simple fait d’imposer un moratoire ne signifie pas automatiquement que le poisson va se rétablir.

C’est un enjeu difficile où de nombreuses leçons peuvent être tirées pour ce qui est d’adopter une approche de précaution.

La sénatrice Cordy : Je pense que ceux d’entre nous qui viennent de la côte Est se souviennent tous de John Crosbie faisant cette annonce dans sa circonscription, ce qui était très courageux de sa part de le faire là et non à Ottawa. Personne ne pensait que nous serions ici en 2023 et qu’il n’y aurait toujours pas de changement, voire pire. Je vous remercie de cela.

Vous avez parlé des espèces en péril pour lesquelles des mesures urgentes doivent être prises, et c’est certainement impératif, mais le délai moyen pour inscrire une espèce sur la liste de la Loi sur les espèces en péril est de 3,6 ans, certains délais pouvant aller jusqu’à 11 ans. L’espèce pourrait disparaître en 11 ans s’il s’agit d’une espèce en péril. Vous avez parlé de la pêche à la morue et vous avez dit qu’elle n’aurait jamais dû atteindre ce point où il fallait un moratoire complet; des mesures auraient dû être prises avant cela.

Il me semble qu’un délai de 11 ans pour faire inscrire une espèce sur la liste si elle est considérée comme une espèce en péril pendant votre étude est tout simplement bizarre.

M. DeMarco : Effectivement, il y a un certain nombre d’enjeux liés à cette question, sénatrice.

À la pièce 7.7, nous avons une liste des années moyennes pour fournir des conseils sur l’inscription ainsi que la durée de certaines des périodes les plus longues — jusqu’à 11 ans, comme vous l’avez mentionné.

À mon avis, c’est l’une des leçons qui n’a pas encore été tirée au Canada, à savoir qu’il faut agir. Le gouvernement qualifie les changements climatiques et la biodiversité de crises mondiales, tout comme les Nations unies. Ces deux crises, ainsi que la pollution, sont considérées comme les trois menaces planétaires en termes d’enjeux environnementaux; pourtant, bon nombre des mesures prises ne reflètent pas cette urgence. Et le temps est compté.

Nous n’en sommes qu’à la première étape, n’est-ce pas? Il s’agit de décider de l’inscription sur la liste après que l’organisme scientifique, le COSEPAC, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, a déjà déterminé que l’espèce est en danger. Le fait que cette décision prenne jusqu’à 11 ans ne reflète pas le fait que nous traversons une crise de la biodiversité. Elle ne reflète pas non plus ce qui est prévu dans la Loi sur les espèces en péril et dans la politique du ministère des Pêches et des Océans, à savoir le principe de précaution selon lequel il ne faut pas attendre de disposer d’une information parfaite avant de prendre des mesures qui contribueraient à prévenir d’autres dommages à l’espèce ou à l’environnement. Le fait que le ministère prenne autant de temps pour fournir des avis d’inscription est l’un des problèmes majeurs de la mise en œuvre de cette loi.

L’un des enjeux, qui n’est pas précisé dans notre rapport mais qui pourrait être pertinent pour ce comité compte tenu du sujet à l’étude aujourd’hui — et qui est examiné dans le cadre de la Loi sur les pêches plus moderne, avec les changements qui sont entrés en vigueur il y a quatre ans —, consiste à savoir si la Loi sur les espèces en péril doit être mise à jour pour mieux refléter une approche de précaution et ce que nous appelons maintenant une crise de la biodiversité.

Elle a été rédigée il y a plus de 20 ans. Elle comporte beaucoup de processus et beaucoup de temps a été consacré à ces processus, mais elle ne met pas beaucoup l’accent sur les résultats. C’est un aspect qui pourrait faire l’objet de questions de la part du comité à l’intention des ministères, à savoir s’il est temps d’ouvrir la Loi sur les espèces en péril pour la rendre plus efficace et plus axée sur les résultats en ce qui concerne la protection des espèces en péril et le maintien des pêches et des autres populations pour les collectivités qui en dépendent.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de vos remarques, et merci à votre personnel et à vous de tout le travail que vous faites.

M. DeMarco : Je vous remercie.

Le président : Je veux seulement revenir sur les questions de la sénatrice Cordy.

La semaine dernière, on nous a annoncé — il y a quelques semaines maintenant, je suppose — que les évaluations des stocks de poissons n’auront pas lieu à Terre-Neuve-et-Labrador et sur la côte Est cette année en raison du déclassement de navires et du manque de navires appropriés pour effectuer les recherches.

Vous avez mentionné dans l’une de vos réponses à la sénatrice Cordy que la morue a de nouveau été inscrite dans la zone de danger. C’est arrivé à St. John’s le 2 juillet 1992, lorsque John Crosbie en a fait l’annonce, et je sais que très peu de gens dans cette salle pensaient que ce serait pour deux ans, mais je ne pense pas qu’aucun d’entre eux pensait que ce serait pour plus de 20 ans.

Les opinions sur l’évaluation des stocks varient selon que l’on parle aux gens sur le quai ou aux personnes qui présentent les données scientifiques. Je me demande, aux fins du compte rendu, quels travaux vous avez menés sur la morue et quels sont les résultats de ces travaux en lien avec les rapports.

M. DeMarco : Merci de la question, monsieur le président.

Pour ce qui est des travaux précis qui ont été réalisés sur la situation de la morue, le Bureau du vérificateur général a publié un rapport sur le programme d’aide qui a suivi le moratoire il y a environ 20 ans. Ensuite, comme je l’ai évoqué avec la sénatrice Cordy, nous avons des références à la morue dans ce rapport.

Nous n’avons pas de plan de vérification qui se penche précisément sur cette espèce, mais j’aimerais vous faire savoir que nous avons récemment commencé une vérification de la capacité de surveillance du ministère pour les pêches en général, y compris la morue, et nous espérons qu’un jour il y aura à nouveau une pêche commerciale de la morue si le stock se rétablit. Nous nous penchons donc sur cette question, mais au niveau des programmes, et non au niveau des espèces, pour ce qui est de la capacité du MPO à surveiller adéquatement les espèces.

Nous en parlons dans ce rapport, car nous constatons qu’il y a un certain nombre d’espèces pour lesquelles nous considérons que les données sont insuffisantes. En d’autres termes, ils ne disposent pas de suffisamment de données à leur sujet, et nous avons formulé des recommandations précises que le ministère a acceptées — avec des échéances, ce dont nous réjouissons — et qu’il met en œuvre pour aider à combler ces lacunes.

Il n’est jamais possible de tout savoir sur une espèce. On peut faire de l’échantillonnage, on peut faire de la surveillance, etc. C’est pourquoi j’aimerais revenir sur le point que j’ai soulevé plus tôt avec la sénatrice Cordy : il est conseillé d’adopter une approche de précaution afin que la situation n’atteigne pas un seuil critique, comme cela s’est produit dans le cas de la morue ou, en fait, à l’époque moderne, dans le cas de certaines remontées de saumon de la côte Ouest également, c’est-à-dire qu’on en arrive à des déclins catastrophiques.

Nous examinons la capacité du ministère à surveiller les pêches et nous serions ravis d’être convoqués à nouveau pour discuter de ce rapport l’an prochain lorsque le rapport sera achevé.

Le président : Je m’en réjouis, car le nombre total admissible de captures est fondé sur des connaissances scientifiques recueillies il y a trois, quatre, cinq ans, voire plus. C’est ce qui suscite beaucoup d’animosité chez les personnes qui tirent leur subsistance des océans, le fait que le ministère des Pêches et des Océans fonde le nombre total admissible de captures sur des données scientifiques désuètes, selon ces personnes.

M. DeMarco : Oui.

Le président : J’ai certainement hâte de voir ce rapport.

M. DeMarco : Je devrais ajouter quelques observations à ce sujet. Vous m’avez fait penser à une autre chose, à savoir que la prise de décision fondée sur la science est importante, mais que la contribution de la communauté est également importante, ainsi que les connaissances de la communauté, les connaissances traditionnelles autochtones, etc. Ce sont tous des facteurs qui doivent être pris en compte.

Les êtres humains font partie de l’écosystème. Il n’y a pas que les scientifiques qui disposent des connaissances sur une espèce.

La sénatrice Ataullahjan : La vérification a révélé que Pêches et Océans Canada ne disposait pas de suffisamment de personnel pour faire appliquer la Loi sur les espèces en péril et la Loi sur les pêches, plus particulièrement les régions de l’Arctique, de l’Ontario et des Prairies.

Pourquoi y a-t-il moins d’agents des pêches affectés aux régions de l’Arctique, de l’Ontario et des Prairies que dans les autres régions? À votre avis, ce nombre réduit d’agents des pêches a-t-il nui à la capacité du ministère de recueillir de l’information?

M. DeMarco : Oui. Nous avons conclu que cette capacité cause problème, tant pour la collecte de données scientifiques et la collecte de connaissances communautaires que pour l’application de la loi dans les régions du centre et de l’Arctique qui relèvent du MPO.

Vous pourriez inviter des fonctionnaires du ministère pour qu’ils tentent de vous en expliquer la raison, mais nous avons remarqué qu’il y a souvent un parti pris en ce qui concerne les ressources au sein du ministère en matière d’application de la loi et de collecte de données — l’inscription d’espèces à la liste — entre les espèces commerciales et les espèces non commerciales.

Ce ne sont pas exactement des synonymes d’espèces marines et d’espèces d’eau douce, car certaines espèces d’eau douce ont également une valeur commerciale, mais nous constatons un manque d’attention à l’égard des espèces d’eau douce, tant en ce qui concerne la collecte de données que l’application de la loi. Cependant, comme je l’ai dit plus tôt, je ne suis pas un partisan de la réorientation des capacités des régions côtières vers le centre. Je ne pense pas qu’il y ait une capacité excédentaire dans l’une ou l’autre des régions. Il faudrait donc augmenter les ressources afin de combler cette lacune, plutôt que de réaffecter les ressources.

La sénatrice Ataullahjan : L’autre chose que vous avez dite, c’est que l’approche du ministère des Pêches et des Océans a contribué à des retards importants. Ils n’ont pas encore donné son avis au Cabinet. Pourquoi ces retards?

M. DeMarco : C’est une question à laquelle nous ne pouvons répondre que partiellement, car c’est le ministère qui prend ces décisions en préparant le dossier d’information pour que le Cabinet puisse prendre une décision, et c’est ensuite au Cabinet qu’il revient de prendre la décision d’inscrire une espèce à la liste ou non.

Nous avons constaté que c’est aussi complexe que la réponse du ministère à notre recommandation à cet égard. Il s’agit d’un processus complexe — la collecte d’informations auprès des intervenants, de la communauté scientifique et ainsi de suite, sur la liste.

Il convient toutefois de se demander s’il vaut la peine de consacrer autant de ressources et autant d’années à réexaminer ce qui a déjà été déterminé par l’organisme scientifique, à savoir que l’espèce est en péril ou non. C’est parce que de nombreux facteurs socioéconomiques entrent en ligne de compte dans la phase d’inscription sur la liste en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada.

En l’absence d’un processus d’inscription fondé sur des données scientifiques, il est presque inévitable qu’il y ait un grand nombre de débats et de retards comme celui-ci pour les espèces controversées, y compris celles qui ont une valeur commerciale, parce que toutes ces considérations socioéconomiques sur ce qui devrait être fait au sujet de l’espèce sont canalisées dans la décision d’inscrire une espèce, par opposition aux décisions en aval sur ce qui sera fait en termes de rétablissement et de protection de l’espèce.

La Loi sur les espèces en péril du Canada comprend un processus d’inscription des espèces qui relève du Cabinet, par opposition à un processus d’inscription fondé sur la science que d’autres pays utilisent. C’est l’une des raisons pour lesquelles le processus d’inscription s’enlise.

Malheureusement, comme l’a mentionné la sénatrice Cordy, ce processus peut aller à l’encontre du principe de précaution, car le déclin des espèces peut se poursuivre pendant que l’on attend qu’une décision soit prise quant à leur inscription sur la liste.

J’aimerais que davantage de ressources soient consacrées à la protection et au rétablissement des espèces plutôt qu’à de longues délibérations pour décider si l’espèce doit être protégée ou non. La Loi sur les espèces en péril est censée protéger et rétablir toutes les espèces en voie de disparition et menacées et empêcher les espèces préoccupantes de devenir des espèces en voie de disparition ou menacées. Pourtant, ces longs délais ne sont pas proportionnels à l’urgence et à l’ampleur de ce que l’ONU appelle désormais une crise de la biodiversité.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

Le président : Nous allons passer à la sénatrice McPhedran. Avant de le faire, je tiens à la remercier de nous avoir envoyé des échantillons de viande de phoque ce matin. Merci.

La sénatrice McPhedran : Merci, monsieur le président.

Merci à chacun d’entre vous de votre présence, et merci de nous donner autant de renseignements importants. J’espère que ma question ne s’éloigne pas trop du sujet. J’ai remarqué qu’il ne semblait pas y avoir, dans les rapports ou les documents que nous avons reçus de votre bureau et d’autres, de référence aux risques potentiels de l’exploitation minière en mer. Je sais que la France, par exemple, a fait preuve de leadership dans ce domaine en changeant sa politique. Je me demandais si vous pouviez établir un lien entre les répercussions potentielles de l’exploitation minière en mer et ce sur quoi nous nous concentrons aujourd’hui.

M. DeMarco : Vous avez raison. Cette question s’écarte beaucoup de la portée de ce rapport, donc nous n’avons rien à dire à ce sujet dans le rapport.

La question de l’exploitation minière côtière, en ce qui concerne les effluents provenant des mines de métaux et de la pollution et de l’incidence sur les poissons, a fait l’objet d’un de nos récents rapports, mais nous n’avons pas examiné cette question en lien avec les océans. Les zones de protection marine sont sur notre liste de sujets d’audits potentiels. Cette question serait certainement soulevée si nous entreprenions un audit sur les zones de protection marine au cours des prochaines années.

Je peux répondre à votre question de manière générale. Les écosystèmes aquatiques et marins dont vous parlez sont très complexes. Il est souvent difficile de suivre les espèces individuelles et leurs populations. Ces écosystèmes sont intégrés dans un écosystème plus vaste, et sont touchés par des phénomènes qui viennent d’au-delà de nos frontières. Par exemple, les changements climatiques ont une incidence sur l’acidification et les changements de température des océans. Il est donc important d’examiner cette question de manière globale, et c’est peut-être une question que nous pourrons aborder dans un autre audit.

La sénatrice McPhedran : Si vous me le permettez, j’aimerais vous demander, en tant que simple parlementaire, si vous pouviez ajouter ce sujet à votre liste. Nous parlons de la biodiversité et de nombreux éléments qui s’y rattachent, et je pense que cette question a été définie comme un élément clair et important que nous devrions examiner de plus près au Canada.

M. DeMarco : Merci pour cette suggestion. La protection de l’environnement marin figure certainement sur notre liste de sujets d’audit potentiels pour les années à venir, et c’est un sujet important. Il s’agit aussi d’une question qui a suscité une attention toute particulière lors de la Conférence des Parties sur la biodiversité qui s’est tenue à Montréal en décembre, en raison d’un nouvel objectif de protection de l’environnement marin à l’échelle mondiale, soit 30 % d’ici 2030. Le Canada a également pris un engagement à cet égard.

Nous avons pris bonne note de votre suggestion et nous vous en remercions.

La sénatrice McPhedran : Merci.

Le sénateur Smith : Merci de me permettre de participer à la réunion d’aujourd’hui.

En ce qui concerne les espèces marines, avez-vous eu l’occasion d’évaluer si le gouvernement fédéral mobilise efficacement ses partenaires internationaux pour soutenir les pêches et prévenir la disparition des espèces? Nous entendons beaucoup parler des pays étrangers qui utilisent nos eaux, du Nord et du Sud, et nous apprenons entre autres que la Chine, plus précisément, a acheté des permis de pêche au cours des dernières années.

Dans le cadre de vos échanges avec vos partenaires internationaux, menez-vous un examen constant pour vérifier si ces intervenants nous aident vraiment à préserver nos ressources en agissant de façon positive?

M. DeMarco : De plus en plus de questions environnementales et de développement durable sont reconnues en raison des liens qui existent entre les pays et les continents. Le secteur des pêches touche probablement l’enjeu le plus évident pour ce qui est de la possibilité d’une tragédie des ressources d’usage commun en raison de la surpêche, de la part de pêcheurs canadiens ou étrangers, par exemple. Il va sans dire que le Canada a des problèmes depuis longtemps à cet égard. Cela remonte à la « guerre du flétan noir » et même avant pour ce qui est des problèmes liés aux bateaux étrangers.

Le Canada possède le plus long littoral au monde et une énorme quantité d’eau douce. Nous occupons une position unique en tant que gardiens d’une grande partie de la biodiversité marine et d’eau douce du monde, mais nous avons aussi la responsabilité d’essayer de la protéger. Malheureusement, notre bilan actuel montre que plusieurs espèces ont disparu, en particulier dans la région des Grands Lacs, et il existe maintenant plus de 100 espèces aquatiques en péril.

Cette question requiert l’attention du monde entier, comme la sénatrice McPhedran vient de le dire. Nous participons à l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques. Je vais d’ailleurs assister à leur réunion le mois prochain, et je soulèverai cette question et dirai qu’il s’agit d’une préoccupation à laquelle nous devons nous attaquer, à la fois par l’entremise de la coopération intergouvernementale pour traiter des questions internationales de ce genre, et en tant que bureaux d’audit, pour essayer de trouver des solutions.

Nous avons été les premiers à nous attaquer à un autre problème international avec nos audits sur les changements climatiques. Notre bureau est très fier de cette initiative. Le Bureau du vérificateur général a été un chef de file en examinant les engagements nationaux pris pour lutter contre les changements climatiques à l’échelle internationale.

Nous travaillons depuis peu avec la communauté internationale, au sein des établissements de vérification, pour examiner les liens entre la protection de la biodiversité et les changements climatiques. Cette question pourrait donc être l’un des sujets que nous pourrions examiner.

Le sénateur Smith : Sommes-nous dotés des infrastructures nécessaires pour mener une vérification adéquate de concert avec nos partenaires internationaux? C’est une chose d’entretenir des liens avec les gens, mais c’en est une autre de s’assurer que les gens reconnaissent que le Canada protégera ses biens composés d’une foule d’espèces de poisson différentes. Pensez-vous que nous avons les capacités physiques nécessaires pour accomplir du bon travail, étant donné la taille de l’océan qui nous entoure?

M. DeMarco : Le Canada a la chance de disposer d’un vaste territoire, mais cette réalité fait qu’il est difficile de tout surveiller. Les océans sont vastes, il est donc impossible de savoir ce qui se passe partout. Évidemment, la pêche légale et illégale peut contribuer au problème. Il n’est pas possible de tout surveiller en permanence, mais j’ose espérer que si le Canada travaille avec ses partenaires internationaux de manière efficace, il n’y aura pas autant de tragédies des ressources d’usage commun qui feraient en sorte que d’autres nations contribueraient au problème plutôt qu’à la solution. Comme nous appartenons à un bureau de vérification, nous travaillons avec d’autres bureaux de vérification dans le monde. Il revient donc au gouvernement du Canada de s’occuper de cette question et non à nous.

Le sénateur Smith : En effet. Merci.

Le président : Je me demandais si vous pouviez, aux fins du compte rendu, encore une fois, nous en dire davantage sur les espèces qui ne sont pas en péril et qui deviennent des espèces disparues. Il existe six catégories. Selon le rapport, l’ours polaire n’était pas une espèce en péril en 1986 puis, cinq ans plus tard, en 1991, il est devenu une espèce préoccupante. L’oiseau le plus répandu en Amérique du Nord, la tourte voyageuse, est une espèce disparue. C’était l’oiseau le plus commun à une certaine époque et il est devenu une espèce disparue en 1985.

Je me demandais si vous pouviez parcourir la liste des espèces qui sont « non en péril » et qui deviennent des « espèces disparues » et nous décrire brièvement chaque liste, au moins à l’intention de ceux qui nous écoutent et qui suivent le processus.

Lorsque je retourne dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, nous ne cessons d’entendre que nous sommes en danger, menacés, quelque part entre les deux — pas considérés comme disparus —, mais que nous sommes loin de ne pas être en péril. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur les différentes catégories, aux fins du compte rendu? Merci.

M. DeMarco : Merci. Toute une terminologie, voire un langage, a été développée pour essayer de classer les niveaux de risque associés à la biodiversité. Cette classification s’utilise aussi bien au niveau des espèces qu’au niveau des populations.

La pièce 7.2 fournit une explication des différentes catégories, allant de la catégorie « espèce non en péril » à la catégorie « espèce disparue ». Il est intéressant que vous ayez parlé de la progression des espèces appartenant à la catégorie « non en péril » vers des niveaux de risque plus élevés jusqu’à la disparition. Nous espérons que cette progression ne sera plus considérée comme inévitable et que nous pourrons maintenir les espèces dans la catégorie « non en péril ». Autrement dit, il faut veiller à ce que les espèces communes le demeurent, au lieu d’attendre qu’elles soient en péril pour déployer des efforts d’arrière-garde pour les rétablir.

Vous avez souligné que le Canada se distingue d’une triste façon, car — et même certains problèmes existent depuis bien avant la Confédération — sur notre territoire, certaines des espèces les plus communes se retrouvent dans la catégorie des espèces en voie de disparition ou, dans le cas de la tourte voyageuse, deviennent une espèce disparue. Giovanni Caboto, ou John Cabot, comme on l’appelle, a parlé de la surabondance de poissons, surtout la morue, lors de ses voyages vers la côte Est. Jacques Cartier a mentionné la surabondance de tourtes voyageuses, je crois, lorsqu’il est débarqué à l’Île-du-Prince-Édouard. Il y avait une surabondance de bisons et de saumons sur la côte Ouest et de caribous dans les régions du Nord. Toutes ces espèces étaient extrêmement importantes pour les peuples autochtones du Canada, et pourtant, à l’époque postcoloniale, nous avons assisté à un déclin spectaculaire de nombre d’entre elles. Ce ne sont pas seulement les espèces rares qui ont disparu, mais aussi certaines des espèces les plus répandues.

Pour répondre à votre question, lorsque nous parlons d’espèces « non en péril » — et lorsque je dis « nous », je parle de tous ceux qui abordent cette question au Canada en fonction des définitions utilisées par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada —, il s’agit d’une évaluation scientifique selon laquelle l’espèce n’est pas en péril dans les circonstances actuelles et sa situation est favorable; elle est en sécurité pour le moment.

La catégorie suivante est celle des « espèces préoccupantes ». Il s’agit d’un avertissement qui signale des problèmes associés à l’espèce quant à sa population, aux tendances qui la touchent, aux risques et à un ensemble de facteurs qui inclut les caractéristiques biologiques, notamment. Ces éléments montrent que l’espèce pourrait glisser vers les catégories des espèces menacées ou en voie de disparition si elle n’est pas gérée correctement dans le cadre du plan de gestion qui est requis en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

La situation s’aggrave progressivement lorsque l’on passe à la catégorie des « espèces menacées », puis à celle des « espèces en voie de disparition ». Dans le cas d’une espèce en voie de disparition, c’est comme si l’espèce se retrouvait à l’urgence, si je peux employer cette analogie, et des mesures draconiennes étaient nécessaires pour empêcher sa disparition. Cela m’amène à la catégorie suivante, celle des « espèces disparues du pays » qui existent encore ailleurs, généralement aux États-Unis ou dans des zoos ou des programmes d’élevage en captivité. Une « espèce disparue du pays » signifie qu’une espèce existe toujours physiquement, mais qu’on ne la trouve plus au Canada.

Enfin, il y a la catégorie « espèce disparue ». Au Canada, à notre époque, près de 20 espèces ont disparu, et cela inclut, comme vous l’avez mentionné, ce qui était autrefois l’oiseau le plus répandu en Amérique du Nord, la tourte voyageuse.

J’ose espérer qu’étant donné les dures leçons que nous avons tirées en Amérique du Nord quant à notre incidence sur la biodiversité, nous ne répéterons pas ces erreurs avec d’autres espèces. J’espère qu’en travaillant avec nos partenaires internationaux, nous respecterons l’engagement que nous avons pris à Montréal en décembre, qui est de vivre plus en harmonie avec la nature et d’interrompre et d’inverser la perte de biodiversité d’ici 2030 au Canada. Nos partenaires internationaux se sont également engagés à cet égard. Espérons que cette liste d’espèces « non en péril » ne suive pas une progression inévitable pour devenir une liste d’espèces « disparues ». Considérons plutôt cette possibilité comme une tendance à laquelle nous souhaitons mettre fin afin que les espèces restent dans la catégorie « non en péril » et que les espèces qui sont en péril soient rétablies pour qu’elles puissent être retirées de la liste et placées dans la catégorie « non en péril ». Il s’agit de notre objectif ultime.

Le président : Environnement et Changement climatique Canada utilise-t-il un processus différent de celui de Pêches et Océans pour recueillir des données sur les espèces en péril? Si oui, y a-t-il un processus qui est plus efficace ou qui fonctionne mieux que l’autre, ou existe-t-il une différence dans la façon dont on recueille les données?

M. DeMarco : Il existe des différences quant aux techniques d’échantillonnage et aux méthodes employées pour recueillir des données sur les espèces terrestres par rapport aux espèces aquatiques et entre les différents taxons. Qu’il s’agisse du recensement des mammifères ou des insectes, les méthodes utilisées seront très différentes. En effet, une variété de méthodes sont utilisées en fonction du type d’espèce et de l’environnement, ainsi qu’en fonction de l’abondance de l’espèce. Certaines espèces sont très difficiles à suivre parce qu’elles sont déjà extrêmement rares.

Les deux ministères sont censés alimenter le même processus en vertu de la loi qui stipule que le ministre de l’Environnement et du Changement climatique doit présenter une recommandation au Cabinet quant à l’inscription ou non d’une espèce. Nous avons formulé une recommandation pour régler les problèmes que nous avons décelés à cet égard lors de cet audit. À la recommandation 7.64, nous proposons de définir plus clairement les rôles et les responsabilités partagés entre Environnement et Changement climatique Canada et le MPO, car la loi prévoit un processus précis qui fait en sorte qu’Environnement Canada reçoit de l’information du MPO et le consulte. En pratique, nous avons constaté qu’Environnement Canada cédait en grande partie cette responsabilité au MPO, même si la loi exige qu’Environnement Canada joue un rôle central.

Les ministères se sont entendus avec nous à ce sujet, et ils entreprendront, d’ici décembre de cette année, des efforts pour définir plus clairement les rôles et les responsabilités en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

La sénatrice Ataullahjan : Étant une sénatrice de Toronto, je m’intéresse aux Grands Lacs.

Croyez-vous que les mesures actuelles de protection de la biodiversité des Grands Lacs soient suffisantes? Le sujet n’est abordé que lorsque surgit une nouvelle espèce envahissante, particulièrement en ce qui concerne le lac Ontario. Autrement, je n’en entends jamais parler. En fait-on suffisamment pour protéger la biodiversité des Grands Lacs?

M. DeMarco : Je crois que non. On peut certainement agir davantage pour rétablir les Grands Lacs et les remettre en bon état quant à la biodiversité et la qualité de l’eau, de manière à pouvoir s’y baigner, s’y abreuver et y pêcher.

Il y avait autrefois des pêches commerciales de plus grande ampleur sur les Grands Lacs. Malheureusement, tant du côté américain que du côté canadien, l’écosystème a été modifié de manière draconienne, pas uniquement en raison de la surpêche, mais aussi, plus précisément, en raison de la pollution et des espèces envahissantes. Beaucoup d’efforts sont déployés pour tenter d’assainir les Grands Lacs.

On ne peut pas les remettre dans leur état d’origine. Plusieurs espèces ont complètement disparu. Toutefois, on peut certainement rehausser les efforts pour en améliorer la qualité de l’eau, restaurer les habitats, et ainsi de suite.

Un programme est entièrement consacré au recensement des secteurs préoccupants et au financement des remises en état. Bien des sites portuaires et sites d’usines autour des Grands Lacs sont devenus très pollués au début de l’ère industrielle. Depuis, il y a eu des progrès. La décontamination de certains sites portuaires a sans aucun doute fait partie des bonnes nouvelles, mais la menace d’espèces envahissantes inédites et de nouveaux types de polluants est constante.

Il nous faut demeurer vigilants et ne pas mettre une croix sur les Grands Lacs. Bien qu’ils ne soient que l’ombre d’eux-mêmes comparativement à leur biodiversité d’il y a quelques siècles, ils sont tout de même l’une des sources majeures d’eau douce du Canada et des États-Unis, et nous devons nous efforcer de les protéger.

Espérons que, grâce à ce rapport et à notre rapport de l’an dernier sur la gestion collaborative des bassins hydrographiques — où nous avons étudié précisément des bassins comme le lac Érié, ainsi que d’autres ne faisant pas partie des Grands Lacs, comme le lac Winnipeg et la rivière Saint-Jean —, des efforts constants seront déployés pour restaurer la qualité de l’eau et la biodiversité des Grands Lacs. Espérons aussi qu’on puisse, dans l’avenir, reprendre certaines pêches commerciales sur les Grands Lacs, si nous réussissons à y rétablir et à y assurer la viabilité des populations de poissons.

La sénatrice Ataullahjan : Je consulte les notes que nous avons, où il est question du saumon jadis abondant dans le bassin hydrographique du lac Ontario. Ce saumon n’existe plus, mais le saumon de l’Atlantique a été réintroduit dans le bassin. Comment se déroule l’opération? Existe-t-il des données et des statistiques sur la question?

M. DeMarco : Oui. Parmi les espèces ayant des populations distinctes — « distinctes » sur le plan géographique ou génétique; parfois les deux, dans certaines circonstances —, il y a le saumon de l’Atlantique, qui, bien sûr, est une espèce que l’on trouvait non seulement dans le lac Ontario, mais aussi dans tous les bassins hydrographiques de l’Est de l’Amérique du Nord reliés à l’océan. Malheureusement, nous avons perdu la population génétiquement distincte du lac Ontario. Cette population est une espèce disparue. En vertu de la Loi sur les espèces en péril, le terme « espèce » est d’usage même si l’on parle d’une population précise au sein d’une espèce ou d’un sous-groupe d’une espèce. Plusieurs lignées génétiques différentes de saumon de l’Atlantique ont été réintroduites dans le lac Ontario, dans l’espoir d’y assurer la présence de l’espèce, même si les lignées n’ont pas exactement le même profil génétique qu’à l’origine.

Ce projet n’a pas fait l’objet d’une vérification, mais je crois que les résultats étaient inégaux, car tout dépend de la population source et de la composition génétique de la population source du saumon de l’Atlantique qui a été réintroduite en Ontario. Reste à voir dans quelle mesure l’entreprise sera une réussite. On a connu une situation semblable avec d’autres espèces, où on a craint de perdre une lignée génétique distincte ou une population précise et où il faut chercher une nouvelle source pour tenter à tout le moins de rétablir une population qui ressemble à celle qui était présente à l’origine. C’est le cas, par exemple, du wapiti de l’Est, aujourd’hui disparu, mais qu’on tente de remplacer dans l’écosystème par une espèce de l’Ouest.

Les résultats restent donc à voir. Je ne sais pas si la population deviendra autonome, étant donné les différences génétiques entre les populations sources actuelles et la population d’origine du lac Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

La sénatrice Busson : Votre réponse à la question de la sénatrice Ataullahjan a soulevé une autre question dans mon esprit. Je viens de la côte Ouest. Je crois que la présente discussion rappelle à certains d’entre nous qu’il y a de la pêche commerciale à l’intérieur des terres, pas seulement dans les zones côtières du pays. Moi-même, je sais pour avoir vécu en Saskatchewan qu’il s’y trouve un secteur de la pêche commerciale, ce qui étonne bien des gens qui ne sont pas au courant.

Dans vos discussions et dans le cadre de votre vérification, vous soulignez des lacunes majeures qui ont été décelées dans l’application et le respect de la Loi sur les espèces en péril et de la Loi sur les pêches de manière générale, ainsi qu’une disparité importante entre l’application de la loi dans les zones côtières et sur les voies navigables intérieures.

À votre avis, et à la lumière de votre enquête sur les données, quelles pourraient être les raisons pour lesquelles les agents des pêches sont moins nombreux à être affectés dans les Prairies, dans la région arctique et en Ontario que dans d’autres régions?

M. DeMarco : Nous avons, comme le montre la pièce 7.11, établi le nombre d’espèces en péril dans les régions, ainsi que le nombre d’agents des pêches disponibles pour faire respecter tant la Loi sur les pêches que la Loi sur les espèces en péril. D’après nos constatations, en dépit de la présence de certaines petites exploitations commerciales à l’intérieur des terres, y compris sur le lac Érié et d’autres, la plupart des efforts sont déployés pour soutenir les pêches commerciales. D’après les renseignements recueillis et les activités d’application de la loi, les ressources tendent à se concentrer davantage sur les côtes, parce que la majorité des pêcheries commerciales, mais pas toutes, sont sur les côtes de l’Atlantique et du Pacifique, beaucoup moins sur la côte de l’Arctique.

C’est tout ce que l’on peut dire sur le sujet. Le ministère nous a également fait remarquer qu’il s’agit d’un domaine d’emploi spécialisé. Les agents des pêches en attente de recrutement ne se bousculent pas au portillon. De ce fait, le ministère doit former les recrues pour ce type d’emploi. En fin de compte, la question est de savoir si le Canada souhaite prévenir d’autres extinctions dans les bassins d’eau douce, sachant qu’il a perdu plusieurs espèces au fil des derniers siècles. Si c’est le cas, il faudra déployer plus de ressources, même si ces activités ne seront pas très rentables pour protéger ses intérêts commerciaux. Elles le seront davantage du point de vue de la protection de la biodiversité et du patrimoine naturel, qui a une grande importance au Canada.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup.

Je parle habituellement de la côte Est, mais pour revenir aux propos des sénatrices Ataullahjan et Busson, on ne peut oublier les lacs d’eau douce, plus particulièrement les Grands Lacs, qui constituent une large proportion de notre territoire, et la manière dont on peut effectuer des tests pour protéger la biodiversité. Il faut s’y attaquer en collaboration avec les États-Unis. On ne peut aborder la question des mesures canadiennes contre la pollution sans parler aussi des mesures américaines, parce que les eaux, elles, circulent sans égard aux frontières.

J’ai entendu dire que les Canadiens sont parfois peu rigoureux dans leur financement de la protection des Grands Lacs. Ce n’est pas à dire qu’ils ne s’en soucient pas, mais les Américains semblent toujours se présenter aux discussions avec un meilleur financement. L’avez-vous remarqué? Est-ce que cette situation fait partie de votre réalité?

M. DeMarco : Puisque nous n’avons pas fait de vérification des programmes de rétablissement des Grands Lacs récemment, j’hésite à me prononcer sur l’état actuel du financement, qui a changé au fil des ans, selon les gouvernements en place et d’autres facteurs. Je n’ai pas de chiffres à vous donner à ce sujet, mais en plus des aires marines protégées, la protection des Grands Lacs est un des domaines que nous pourrions réexaminer en raison du travail de longue haleine effectué des deux côtés de la frontière pour assainir les secteurs préoccupants, particulièrement les zones portuaires polluées, entre autres.

Voilà un sujet que nous pouvons ajouter à notre liste d’audits potentiels. Cela dit, je n’ai aucun chiffre quant à savoir si le Canada met sa juste part dans la cagnotte pour les travaux d’assainissement des Grands Lacs à l’heure actuelle. Je suis désolé.

La sénatrice Cordy : À tout le moins, il y a maintenant un dialogue officiel et une entente Canada—États-Unis au sujet des Grands Lacs, ce qui est un aspect positif. J’aurai des rencontres à Washington au sujet des Grands Lacs dans quelques semaines, alors je pourrai y poser ces questions. Je vous remercie.

M. DeMarco : Merci. Peut-être aurez-vous une influence sur la réponse, si nous menons une vérification dans l’avenir. En effet, grâce à l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, à la Commission mixte internationale et d’autres, il existe des mécanismes de coopération, mais le financement doit être au rendez-vous, comme vous l’avez fait remarquer.

La sénatrice Cordy : Absolument. Je vous remercie.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais ajouter, tant au procès-verbal qu’à votre examen de la question de la pêche hors des zones océaniques, qu’au Manitoba, il y a plus de 200 lacs exploités par la pêche commerciale. Les dirigeants du secteur, des pêcheurs autochtones et non autochtones qui joignent leurs efforts, soulignent le problème que représente le chevauchement des compétences provinciales et des lignes directrices fédérales, en quasi-absence d’agents fédéraux dans la province.

Je voulais inscrire cet enjeu au procès-verbal, parce que la pandémie a eu un effet très grave sur ces pêcheurs commerciaux au Manitoba et qu’il y a des enjeux continuels quand on cherche un équilibre entre la viabilité du secteur de la pêche commerciale et la protection de l’environnement.

M. DeMarco : Oui, il est question de coopération intergouvernementale et de coopération entre le gouvernement, les communautés et les intervenants dans la deuxième recommandation de ce rapport sur les espèces aquatiques en péril. Ce thème est également central dans l’audit que nous avons mené il y a un peu plus d’un an sur les bassins hydrographiques. Parmi les trois bassins hydrographiques choisis pour une étude approfondie figurait justement le lac Winnipeg. Je vous invite à consulter cet audit. Vos collègues ou vous-même pourriez demander au ministère une mise à jour sur l’état d’avancement de la mise en œuvre puisqu’il a accepté nos recommandations pour améliorer la coopération et la collecte de renseignements pour les bassins hydrographiques.

Je ne sais pas si vous avez quoi que ce soit de nouveau à ajouter ou si cet autre audit aura une incidence sur l’audit en cours concernant la surveillance des pêches. Aimeriez-vous ajouter quelque chose?

David Normand, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Non, pas sur cet élément en particulier parce que l’audit sur la surveillance des poissons, pour l’instant, vise les espèces marines dans les océans et non pas les espèces dans les écosystèmes intérieurs d’eau douce, mais nous pourrions nous pencher sur cet autre aspect.

La sénatrice McPhedran : Pourriez-vous ajouter cet élément d’information à votre liste puisque j’aimerais obtenir ces renseignements? Ma demande se transformera peut-être en demande de la part du comité en entier, mais j’aimerais beaucoup avoir la mise à jour que vous avez mentionnée, monsieur le commissaire.

M. DeMarco : En date d’aujourd’hui, le ministère devrait avoir mis en œuvre les recommandations de notre audit sur les bassins hydrographiques. Il est important que des comités comme celui-ci ainsi que les parlementaires, individuellement, demandent des comptes aux ministères. En effet, nous formulons des recommandations, puis les ministères y réagissent, habituellement pour abonder dans le même sens que nous et pour s’engager à agir; or, c’est la mise en œuvre qui compte vraiment. Nous passons à un nouvel audit, et nous pouvons faire un suivi quelques années plus tard, mais, entretemps, d’autres mécanismes de reddition de comptes — y compris des comités comme celui-ci — peuvent tenir à l’œil les ministères pour s’assurer qu’ils font des suivis et réalisent ce qu’ils se sont engagés à faire dans leurs réponses à nos différents audits.

La sénatrice McPhedran : Merci.

Le sénateur Smith : L’échange de données entre les agences et ministères fédéraux semble représenter un problème et un défi systémiques. La vérificatrice générale, Karen Hogan, a comparu devant notre Comité des finances hier soir. Elle a souligné la nécessité d’améliorer la collecte de données et l’échange de renseignements. Voici ma question : trouvez-vous que, dans le cadre d’audits sur la biodiversité, les ministères et les agences responsables recueillent des données de qualité et les échangent efficacement avec leurs partenaires?

M. DeMarco : Dans cet audit ainsi que dans le rapport Progrès réalisés par les ministères et organismes dans la mise en œuvre des stratégies de développement durable, nous reconnaissons non seulement que l’enjeu concerne différents ministères — ce qu’on appelle communément un « enjeu horizontal » dans le jargon gouvernemental —, mais aussi qu’il est intergouvernemental et, dans certains cas, comme les changements climatiques, les océans et d’autres, international. Il y a toujours des progrès à faire à cet égard. Nous avons vu des exemples d’étroite coopération. Par exemple, si Environnement Canada gère une espèce en péril qui se trouve partiellement dans les parcs nationaux, il existe des mécanismes de coopération. Ces cas sont assez simples. Certains des exemples que la sénatrice McPhedran vient de mentionner et qui impliquent différentes administrations sont plus complexes.

En réponse à votre question, je dirais qu’une certaine coopération a déjà lieu, mais qu’elle pourrait s’accentuer, d’autant plus qu’on reconnaît davantage l’interaction entre tous ces enjeux. De nos jours, il est vraiment difficile de gérer tout enjeu — qu’il s’agisse des soins de santé ou des questions financières, environnementales ou de développement durable — de façon à refléter les vases clos des ministères qui ont été créés il y a des siècles. Dans bon nombre de nos audits, nous constatons que les gouvernements ont du mal à travailler de façon horizontale et adoptent plutôt une approche verticale, c’est-à-dire en vase clos. C’est un défi pour les dossiers environnementaux.

La dernière fois que je me suis trouvé dans cette pièce, je comparaissais devant un autre comité sénatorial afin de discuter d’hydrogène. Environnement Canada et Ressources naturelles Canada défendaient des opinions opposées sur le sujet à l’étude : le rôle de l’hydrogène pour atténuer les changements climatiques et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Oui, beaucoup d’améliorations peuvent être apportées, et les structures qu’on a érigées en vase clos au fil du temps nuisent — plutôt que de la faciliter — à la résolution d’enjeux intersectoriels comme la biodiversité, les changements climatiques, la santé et bien d’autres.

Le sénateur Smith : Il y a de toute évidence un groupe de leaders qui est conscient des enjeux et des problèmes. Or, y a-t-il un mouvement en branle pour essayer d’améliorer certaines des méthodes désuètes de mise en commun ou d’analyse de données afin que nous soyons plus avant-gardistes — je rechigne à employer ce mot — par rapport aux différentes réalités actuelles?

M. DeMarco : Je n’ai pas d’exemple à vous donner dans le domaine de la biodiversité, mais nous pourrions étudier la question à l’avenir. Nous nous sommes intéressés à cet aspect sur le plan du climat récemment. Comme l’enjeu est devenu plus critique et s’est transformé en crise, certains pays ont décidé de ne plus confier la responsabilité primaire de la lutte aux changements climatiques à leur ministère de l’Environnement ou à leur ministère équivalent, mais plutôt de la confier à un organisme central. Comme vous le savez, au Canada, les rôles de l’administration centrale portent davantage sur les questions financières et moins sur les autres types d’enjeux. Dans les pays de par le monde, on pourrait assister au traitement coordonné et centralisé des questions environnementales et de développement durable. Cette approche serait effectivement avantageuse puisqu’on reconnaît à quel point ces enjeux sont importants et à quel point l’incapacité à bien les régler, à cause d’approches cloisonnées par le passé, a entraîné la crise actuelle.

J’imagine que, dans les pays qui ont commencé à aborder les changements climatiques de façon centralisée, comme la France et le Royaume-Uni, on pourrait également tirer des leçons sur la biodiversité.

Le président : Merci, honorables sénateurs, et merci aux témoins qui nous ont consacré du temps aujourd’hui.

Il ne fait aucun doute que la séance a été des plus instructives et fructueuses. Le sujet s’écarte quelque peu de nos études habituelles, mais il intéresse tout le monde ici présent. Je vous remercie de votre travail et de la possibilité que vous comparaissiez à nouveau devant nous avec, espérons-le, plus de renseignements sur des sujets qui nous concernent en tant que comité et sénateurs.

(La séance est levée.)

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