LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 mars 2023
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 9 h 6 (HE), avec vidéoconférence, afin d’étudier les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, je m’appelle Fabian Manning. Je suis sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai le plaisir de présider la réunion ce matin.
Nous tenons aujourd’hui une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. S’il y a des problèmes techniques, en particulier en lien avec l’interprétation, veuillez les signaler au président ou à la greffière, et nous essaierons de résoudre le problème.
Je souhaite prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Francis : Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Ravalia : Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice R. Patterson : Je suis Rebecca Patterson, de l’Ontario.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci.
Conformément à l’ordre de renvoi adopté par le Sénat le jeudi 10 février 2022, le comité poursuit son étude sur les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Aujourd’hui, dans le cadre de ce mandat, le comité entendra, au cours de la première série de questions, des représentants de Pêches et Océan Canada sur le thème de l’indépendance de la pêche côtière commerciale au Canada atlantique et au Québec. Certains témoins se sont joints à nous par vidéoconférence, alors que d’autres sont ici en personne. Je demanderais aux témoins ici en personne de se présenter d’abord, puis nous passerons à ceux et celles qui assistent à la séance par vidéoconférence.
Jennifer Buie, directrice générale par intérim, Gestion des ressources halieutiques, Pêches et Océans Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je m’appelle Jennifer Buie, et je suis directrice générale par intérim, Gestion des ressources halieutiques, à Ottawa.
Jennifer Mooney, directrice, Opérations nationales d’octroi de licences, Pêches et Océans Canada : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Mon nom est Jennifer Mooney, et je suis directrice aux Opérations nationales d’octroi de licences, à Ottawa.
Doug Wentzell, directeur général régional, région des Maritimes, Pêches et Océans Canada : Bonjour, distingués sénateurs et honorables collègues. Je m’appelle Doug Wentzell, et je suis directeur général régional, région des Maritimes.
[Français]
Maryse Lemire, directrice régionale, Gestion des pêches, région du Québec, Pêches et Océans Canada : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je m’appelle Maryse Lemire, directrice régionale, Gestion des pêches, région du Québec, Pêches et Océans Canada.
[Traduction]
Le président : Au nom des membres du comité, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui. Je crois comprendre que Mme Buie souhaite présenter un mot d’ouverture. Après son exposé, les membres du comité pourront poser leurs questions aux témoins.
Mme Buie : Merci beaucoup pour cet accueil chaleureux. Tout d’abord, je tiens à souligner que je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Nous sommes ici aujourd’hui pour appuyer l’étude du Comité sur l’indépendance de la pêche commerciale au Canada atlantique et au Québec. Dans mes remarques préliminaires, je souhaite aborder plusieurs thèmes clés étant ressortis des discussions qui ont eu lieu jusqu’à présent, en commençant par la politique du propriétaire-exploitant. Cette politique de longue date, désormais inscrite dans la réglementation, vise à garantir que la personne qui détient un permis de pêche conserve les droits et les privilèges associés à ce permis. La notion de propriétaire-exploitant signifie que les bénéfices tirés de l’exploitation de la ressource demeurent entre les mains d’une pluralité d’exploitants entièrement indépendants qui contribuent à la vitalité de leurs collectivités, plutôt qu’entre les mains d’un nombre restreint de particuliers ou d’entreprises qui contrôleraient plusieurs bateaux et s’approprieraient la majorité des bénéfices économiques.
Plusieurs intervenants vous ont fait part d’une préoccupation connexe, à savoir la possibilité de conclure des accords de contrôle, et notamment des ententes financières, qui enlèvent au titulaire d’une licence le contrôle de ses droits et privilèges au profit d’une tierce partie. Nous reconnaissons et partageons l’inquiétude de voir de tels accords entraîner une diminution des avantages économiques pour les pêcheurs, leurs familles et les collectivités côtières.
[Français]
À la suite de l’adoption du projet de loi C-68 et des nouveaux règlements, la mise en place est assurée par deux services distincts au sein du MPO. Le service Émission de permis effectue les examens administratifs de l’admissibilité des titulaires, tandis que le service Conservation et protection est responsable de l’application de la loi.
Comme les intervenants l’ont fait remarquer à juste titre, les enquêtes menées par le service Conservation et protection sont nécessairement confidentielles et doivent le rester pour ne pas compromettre l’intégrité des poursuites en justice qui pourraient en résulter.
[Traduction]
Par ailleurs, ce type d’enquêtes peut prendre un temps considérable, voire s’étaler sur plusieurs années. Compte tenu de cette complexité, des compétences spécialisées et des techniques d’enquête avancées sont nécessaires. Des stratégies et des processus complets ont été élaborés pour aider les agents des pêches à mener à bien ce genre d’enquêtes complexes. Nous continuons de collaborer avec le Service des poursuites pénales du Canada et d’autres parties clés afin d’obtenir du soutien pour mettre en œuvre des mesures d’application de la loi dans ces types de dossiers.
En ce qui a trait à l’aspect administratif de la mise en œuvre de la réglementation relative à la pêche côtière, l’approche du ministère des Pêches et des Océans, le MPO, consiste à faire appliquer les règlements. Cela se produit lorsque le personnel chargé des permis cerne des préoccupations concernant l’admissibilité d’un permis. Le personnel chargé de la délivrance des permis recherche des éléments potentiellement problématiques dans la documentation qu’il reçoit, fait part de ses préoccupations de manière transparente avec le titulaire de permis ou à son représentant, puis s’efforce de leur fournir les renseignements nécessaires pour leur permettre de se conformer à la réglementation.
Comme l’ont fait remarquer les parties prenantes, les accords financiers entre les pêcheurs et les tiers présentent des points forts et des points faibles. Les prêts, les contrats de location de navires et les accords d’approvisionnement font tous partie de la réalité évolutive des pêcheries modernes. Il s’agit également d’accords négociés entre des parties privées, et le MPO ne peut pas dicter les termes spécifiques de ces accords.
Les pêcheurs concluent ces accords de leur plein gré et selon leur propre intérêt. Le MPO s’efforce d’appliquer la réglementation afin de protéger les pêcheurs et leurs communautés sans entraver leurs possibilités de croissance.
Il est également important de noter que l’octroi de permis n’a pas pour but d’être punitif. Je suis heureuse d’annoncer qu’un total de 1 724 titulaires de permis ont fait l’objet d’un examen et que, dans 623 cas, le MPO a demandé des renseignements supplémentaires. Les accords financiers entre les pêcheurs et les tiers ont été le facteur le plus courant à l’origine d’un examen administratif plus approfondi. Au total, 37 pêcheurs ont fourni de nouveaux accords qui sont maintenant conformes à la réglementation.
[Français]
Comme mesure supplémentaire de responsabilisation, l’information sur les examens administratifs du MPO est maintenant disponible sur notre site Web, avec des données qui seront mises à jour tous les six mois. Il s’agissait d’une demande de l’industrie, et nous la remercions de cette suggestion qui a maintenant été mise en œuvre.
De plus, nous avons affiché sur ce même site Web quatre documents d’orientation différents auxquels l’industrie peut se référer au besoin pour aider les pêcheurs et les intervenants à comprendre les règles.
[Traduction]
Pour conclure, je souhaite réaffirmer notre objectif de maintenir des liens de communication étroits avec l’ensemble des membres de la pêche côtière. Nous apprécions grandement l’expérience de première main des pêcheurs qui, dans de nombreux cas, sont les dépositaires de plusieurs décennies, voire plusieurs générations de sagesse.
Nous serons heureux de répondre aux questions du comité.
Le président : Je vous remercie, madame Buie. Excellentes remarques préliminaires.
Le sénateur Francis : Le ministère a-t-il évalué la manière dont la concentration des entreprises, la propriété étrangère et l’intégration verticale du secteur de la pêche affectent les pêcheurs de différents milieux socio-économiques, régions et cultures?
Mme Buie : Merci pour cette question, sénateur. En ce moment, nous menons une étude assez complète. Nous sondons nos détenteurs de permis de pêche semi-hauturière et hauturière pour nous assurer que nous avons une compréhension claire de la propriété étrangère des permis. Comme vous le savez, nous avons une politique selon laquelle les permis doivent être détenus à 51 % par des Canadiens.
Cette étude est en cours depuis un an. Les enquêtes ont eu lieu l’année dernière, et nous en sommes maintenant à l’étape de l’analyse des données. Un rapport devrait être publié dans le courant de l’année.
Le sénateur Francis : Je vous remercie.
Le sénateur Ravalia : Merci aux témoins qui sont venus ici en personne et à ceux et celles qui participent à la séance virtuellement.
Je pense aux collectivités rurales qui dépendent fortement de la pêche, et je me demandais si vous pouviez nous donner plus de détails concernant vos stratégies de communication avec les personnes qui pratiquent la pêche au sein des collectivités rurales?
J’apprécie que les politiques de conservation et de protection de la diversité soient des éléments importants au sein du MPO. Toutefois, inévitablement, dans chaque conversation que j’ai avec un pêcheur côtier de ma communauté, je remarque un sentiment d’antagonisme envers le MPO en ce qui concerne plusieurs points d’achoppement : la surréglementation, l’octroi excessif de permis, les débats sur la gestion de la santé des stocks, les préoccupations liées aux phoques et à leur impact sur les pêcheries, et ainsi de suite. Au sein de ma communauté, la négativité à l’endroit du MPO est constante, et j’ai l’impression que cela met les agents des pêches dans une situation très délicate.
De mon point de vue, la communication sur le terrain laisse à désirer. Je me demandais si vous pouviez nous en dire plus à ce sujet.
Mme Buie : Je vous remercie de votre question, sénateur. En ce qui concerne la communication avec les intervenants, je dirais que nous disposons d’un processus assez solide, notamment en ce qui a trait à la prise de décisions en matière de quotas et d’autres mesures de gestion.
Par exemple, nous organisons des réunions consultatives annuelles auxquelles les pêcheurs peuvent participer. Par ailleurs, nous menons régulièrement des tables rondes régionales au cours desquelles les pêcheurs eux-mêmes ont l’occasion de soulever diverses questions. Notre direction de la conservation et de la protection, ainsi que les gestionnaires de la pêche, sont présents pour répondre aux préoccupations de tout un chacun.
En ce qui concerne votre question spécifique sur la réalité du terrain, je préfère me tourner vers mon collègue, M. Wentzell, pour y répondre plus précisément.
M. Wentzell : Merci pour cette question, sénateur. J’ajouterais à la réponse de mon collègue que non seulement nous avons organisé des réunions de comités consultatifs, — c’est l’un des principaux éléments de notre gestion des pêches —, mais que nous nous entretenons régulièrement avec les pêcheurs par l’entremise de nos bureaux de secteur, à une échelle très locale. Nous disposons d’une présence de nos agents des pêches, qui s’entretiennent avec les pêcheurs en mer et sur les quais. Nos agents communiquent également avec d’autres intervenants, car nous sommes impliqués dans la protection de l’habitat, dans les ports pour petits bateaux, et dans un certain nombre de secteurs d’activités différents.
Nonobstant le point soulevé par le sénateur, il est important de rappeler que le MPO gère une ressource biologique limitée. Nous comptons de plus en plus d’utilisateurs des océans, si l’on peut dire, et nous cherchons à développer les secteurs de la technologie océanique et à intégrer d’autres intervenants à l’économie océanique. De fait, cela entraîne un grand nombre de questions, et un degré élevé d’engagement qui témoignent de l’importance de ce type de ressources pour les collectivités côtières et autochtones.
La question est donc très pertinente, et nous devons la prendre à cœur pour nous assurer que nous sommes pleinement engagés sur le terrain.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup, monsieur Wentzell. Il y a bien entendu des zones concurrentes au sein des océans. D’une part, le gouvernement fédéral souhaite créer de plus en plus de zones marines protégées, et d’autre, part, il y a une concurrence pour l’espace entre les pêcheurs et, maintenant, l’industrie pétrolière et gazière.
Dans quelle mesure le MPO communique-t-il avec les industries pétrolière et gazière et avec le ministère de l’Environnement en ce qui concerne le respect de certaines exigences en matière de protection marine?
M. Wentzell : Nous sommes régulièrement en contact avec nos collègues, aussi bien au gouvernement fédéral, par l’entremise de Ressources naturelles Canada, qu’à l’échelon provincial, soit par le truchement, dans notre cas, de l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers, pour discuter de ces enjeux importants.
Encore là, le sénateur a tout à fait raison de parler d’intérêts divergents. Je travaille dans les Maritimes, une région où nous ne ménageons pas nos efforts pour protéger nos ressources marines. Nous avons ainsi déjà établi un certain nombre d’aires protégées et de refuges marins, et d’autres suivront sous peu. Il faut absolument que les gens de divers secteurs industriels, y compris celui des hydrocarbures, participent assidûment à ces discussions. J’ajouterai seulement que nous continuons d’accentuer nos efforts dans un domaine que nous appelons la planification spatiale marine. Ainsi, pour toutes les questions touchant la protection, la pêche commerciale, les transports ou les autres utilisateurs de l’océan, nous nous assurons d’effectuer une planification plus réfléchie afin d’éviter les conflits entre les différents groupes d’utilisateurs. Ce sera l’un des éléments sur lesquels nous allons dorénavant concentrer nos efforts.
Le sénateur Kutcher : Merci à tous de votre présence. Je dois admettre que je ne sais plus trop quoi penser tellement il y a une rupture entre ce que nous disent aujourd’hui les représentants du ministère et ce que le comité a entendu auparavant de la bouche de nombreux pêcheurs. Ceux-ci n’ont en effet pas cessé de nous faire part de leurs préoccupations depuis l’entrée en vigueur en 1979 de la politique sur la séparation des flottilles interdisant les accords de contrôle. Disons que l’année 1979 nous ramène plutôt loin en arrière. Je me réjouis d’apprendre que vous avez amorcé une étude en 2022, car on n’a pas manqué de nous répéter que les fautifs ne s’exposent à aucune conséquence et que l’on n’en fait pas suffisamment pour voir à l’application des règles en place. C’est presque kafkaïen, car j’entends, d’une part, les pêcheurs dirent une chose et, d’autre part, les gens du ministère affirmer totalement le contraire. Je vous prierais de bien vouloir m’aider à mieux comprendre ce qui pourrait inciter les pêcheurs à se présenter ici pour soutenir que la gestion des accords de contrôle est vraiment problématique, qu’il n’y a aucune conséquence et que l’application des règles fait totalement défaut. Certains témoins nous ont indiqué que le ministère n’avait pas la capacité nécessaire ni la volonté de le faire. J’arrive difficilement à comprendre, et je vous saurais gré d’éclairer ma lanterne.
Mme Buie : Certainement. Merci pour la question. Nous avons entendu la même chose à la faveur de nos communications constantes avec les intéressés concernant l’application du Règlement sur la pêche côtière. Il ne faut pas oublier que si cette politique existe depuis 1979, les mesures en question n’ont été intégrées à notre trousse d’outils législatifs qu’il y a deux ans à peine.
Nous avons donc consacré les deux dernières années à peaufiner ces outils et à nous donner les moyens nécessaires pour bien nous en servir. Comme je l’ai indiqué dans mes observations préliminaires, nous avons effectué un grand nombre d’examens administratifs des permis de pêche côtière, certains étant ciblés alors que d’autres ne l’étaient pas. Notre objectif est de faire en sorte que ces titulaires de permis respectent notre réglementation.
Nous avons en outre affiché de grandes quantités d’information sur notre site Web, y compris des lignes directrices sur la façon de se conformer au Règlement et d’éviter de conclure des accords de contrôle. Nous avons fait montre d’une grande transparence quant au nombre de pêcheurs qui ont été visés par un examen et qui ont dû ensuite se conformer à la réglementation.
Le ministère estime avoir fait le nécessaire pour améliorer ses outils au fur et à mesure. Nous effectuons de plus en plus d’examens administratifs des permis. Nous comptons sur nos pêcheurs et les autres intervenants de l’industrie pour nous prévenir lorsqu’ils constatent qu’il pourrait y avoir un accord de contrôle, auquel cas nous prenons les mesures qui s’imposent.
Comme je l’ai noté également dans mon exposé liminaire, il faut pouvoir compter sur un vaste bassin de compétences, notamment en juricomptabilité, pour mener ces examens aux fins de la conservation et de la protection. Notre Direction générale de l’application de la loi peut s’en remettre à cette fin à un groupe spécialisé se chargeant de ces examens, mais cela exige beaucoup de temps. Il faut en outre prévoir des délais considérables une fois l’information nécessaire obtenue pour qu’un cas soit traité par le Service des poursuites pénales, puis par le système judiciaire.
Je pense que nous avons réalisé d’importants progrès au fil des deux dernières années. Nous demeurons en contact avec les différentes parties prenantes de notre secteur. Ce sont ces mêmes intéressés qui nous ont aidés à rédiger le Règlement. Nous avons un processus en place. Je répète qu’il ne s’agit pas pour nous de nous montrer punitifs, mais plutôt de veiller à ce que les pêcheurs respectent les dispositions réglementaires. Nous travaillons donc avec eux. S’il y a un message que je souhaite vous transmettre aujourd’hui, c’est bien celui-là. Nous travaillons avec eux pour les aider à se conformer à la réglementation.
Le sénateur Kutcher : Merci pour ces précisions. Je vous en suis reconnaissant, mais cela n’explique toujours pas les divergences constatées. Si vous déployez les efforts requis — et rien ne pourrait nous porter à croire le contraire —, ou bien ce message ne passe carrément pas ou alors les gens ne voient pas à le relayer. Les discours tenus de part et d’autre demeurent donc bien différents.
La question continue de se poser. Pourquoi nous font-ils part de toutes ces préoccupations que, de votre côté, vous vous efforcez d’atténuer, d’après ce que vous nous dîtes? Je ne comprends pas cette disparité dans les points de vue. Je ne crois pas que nous ayons entendu qui que ce soit affirmer que le ministère s’emploie à trouver des solutions, et que l’on est vraiment ravi que ce soit le cas et désireux d’apporter sa collaboration. À ma connaissance, personne ne nous a dit une telle chose. Il y a un problème quelque part, mais où exactement?
Mme Buie : Peut-être pourrais-je demander à ma collègue, Jennifer Mooney, la directrice de notre système national d’octroi de permis, de vous répondre.
Mme Mooney : Merci pour la question. Ces divergences de vues dont vous parlez pourraient notamment être attribuables aux différentes façons de mesurer la réussite. Je crois que les gens de l’industrie vous ont indiqué à juste titre que nous n’avions encore annulé aucun permis à la suite de la mise en œuvre du Règlement sur la pêche côtière. J’ai certes pu les entendre moi aussi affirmer que le nombre de permis annulés est l’un des principaux paramètres sur lesquels ils se basent pour évaluer l’efficacité du programme. Nous en avons d’autres.
Comme Mme Buie l’a déjà indiqué, nous travaillons avec les titulaires de permis pour les aider à respecter la réglementation. Nous avons ainsi évalué l’admissibilité d’environ 20 % des titulaires de permis en application du Règlement sur la pêche côtière. Nous avons aussi effectué des vérifications ponctuelles au sein de certains secteurs des pêches dans des zones régionales données, et nous avons mis au jour des cas où des détenteurs de permis devaient, par exemple, rajuster leur structure de propriété ou leurs ententes de prêt afin d’éviter d’être assujettis à un accord de contrôle.
Je crois donc que nous n’utilisons pas les mêmes indicateurs de réussite que l’industrie. Le Règlement lui-même a été conçu de manière, comme le mentionnait Mme Buie, à inciter les titulaires de permis à s’y conformer. Ces gens-là sont tout à fait justifiés d’avoir certaines inquiétudes. Notre site Web accessible à tous propose des lignes d’information permettant, par exemple, à un titulaire de permis ou à une association au fait de préoccupations concernant la situation marine ou le risque que certains titulaires aient conclu des accords de contrôle, de communiquer ces renseignements anonymement au ministère de telle sorte que notre personnel de Conservation et protection puisse faire enquête. Peut-être que cela peut contribuer en partie à combler ce fossé que vous déplorez.
Le sénateur Kutcher : On nous a notamment suggéré la création d’un groupe de travail réunissant le MPO et les pêcheurs pour essayer de régler la question. Je suis impressionné par tout ce beau travail que vous accomplissez. Je me sentirais toutefois plus rassuré d’entendre les pêcheurs eux-mêmes affirmer que vous faites de très bonnes choses et qu’ils veulent travailler avec vous, mais ce n’est tout simplement pas ce que nous entendons.
Je vois très bien où vous voulez en venir, mais ce n’est tout de même pas ainsi que l’on va régler le problème. Il y a effectivement un problème et il faut trouver des solutions. C’est une bonne chose que d’afficher des informations sur un site Web, mais les pêcheurs que je connais ne vont pas prendre le temps de s’asseoir pour consulter le site du ministère. Ils ont d’autres choses à faire. Quelle est votre stratégie pour aplanir ces divergences? Est-ce que vous avez une stratégie, ou serait-il bon que l’on en élabore une?
Mme Mooney : Nous en avons une. Je pourrais ajouter que nous avons un système bien intégré permettant à notre administration centrale de travailler à la gestion des cas de concert avec les agents régionaux chargés de la délivrance des permis. Notre stratégie nous permet, par exemple, lorsqu’un titulaire veut transférer son permis, d’effectuer un examen approfondi pour déterminer son admissibilité en vertu du Règlement, en même temps que celle de l’éventuel titulaire avant que le permis soit réattribué à celui-ci. C’est ce que nous faisons actuellement. Nous pouvons compter sur un comité opérationnel et de direction qui supervise efficacement ce processus et participe à la gestion des cas et à la prise de décisions. Nous pouvons ainsi appliquer le Règlement sur la pêche côtière de façon uniforme dans l’ensemble du ministère, et il en va de même des décisions sur la délivrance de permis.
Pour ce qui est du rayonnement, il ne fait aucun doute que Mme Buie et moi-même nous sommes rendues disponibles et avons participé à différentes rencontres avec des associations et des titulaires de permis pour assurer une mise en œuvre adéquate du Règlement. Nous nous ferons certes un plaisir de continuer à le faire. Quant à savoir si ces efforts sont d’une portée suffisamment large, je serais certes intéressée d’entendre les recommandations du comité à ce sujet et disposée à envisager les mesures supplémentaires que nous pourrions prendre pour toucher un plus vaste public, y compris au sein des collectivités rurales, comme vous l’avez mentionné.
Le sénateur Kutcher : Merci.
Le président : Des témoins nous ont parlé des obstacles qui nuisent à l’intégration des jeunes dans l’industrie des pêches. Comme je viens moi-même de Terre-Neuve-et-Labrador, c’est une problématique que je connais on ne peut mieux. Nous avons une population vieillissante, comme nous le savons tous trop bien. L’intégration des jeunes est plus difficile qu’il y a 20 ans, notamment en raison des coûts qui y sont associés. Il y a un certain temps, j’ai été contacté par l’un des nombreux jeunes — je ne me souviens pas du chiffre exact, mais je pense qu’il y en a 2 000 à Terre-Neuve-et-Labrador — qui ont réussi leur formation de niveau 2, mais qui n’ont toujours pas obtenu de permis alors même qu’ils y seraient admissibles. Comme il faut plus de 1 million de dollars pour avoir accès à l’industrie dans ce cas particulier, ces jeunes doivent s’adresser aux institutions financières locales, lesquelles ne sont guère portées à leur venir en aide, comme vous pouvez vous l’imaginer. Ils se tournent donc vers les entreprises de pêche locales, une perspective pas beaucoup plus encourageante en raison notamment des interdits touchant les accords de contrôle et de la structure des prêts. Je sais que, grâce à votre travail, certains cherchent à s’éloigner des accords de contrôle pour conclure d’autres formes d’entente.
J’aimerais savoir quels conseils pourrait donner le ministère à une jeune personne admissible à l’obtention d’un permis qui ne reçoit pas le soutien d’une institution financière locale? Comme je suis sénateur et ancien député à la Chambre des communes, il arrive que des gens s’adressent à moi pour obtenir des conseils ou des suggestions quant à la façon de contourner certains obstacles. Je ne sais pas trop quoi leur dire dans ce cas particulier, car je ne voudrais surtout pas les aiguiller sur une voie qui ne les mènera nulle part. Je ne sais pas si vous pouvez nous dire ce que vous en pensez, madame Buie ou encore madame Mooney.
Mme Buie : Merci pour cette question, monsieur le président. Je pense que c’est aussi une source de préoccupation pour le ministère. Compte tenu de l’augmentation substantielle du prix des permis au cours des dernières années, il est effectivement devenu très difficile pour les jeunes d’accéder au secteur des pêches. Nous savons qu’il y a une cohorte vieillissante de pêcheurs qui, après de nombreuses années de travail en mer, souhaiteraient transférer leur permis à des plus jeunes, et nous avons mis en place les outils et les mécanismes nécessaires pour un tel transfert aux membres d’une même famille.
Pour ce qui est des nouveaux arrivants dans l’industrie qui ne peuvent pas hériter d’un permis déjà dans la famille, la situation est particulièrement difficile. Comme vous l’avez mentionné, des ententes peuvent effectivement être conclues avec des entreprises de transformation et des institutions bancaires pour donner à un jeune le coup de pouce financier dont il a besoin pour faire sa place dans le secteur. En adoptant ces dispositions, nous voulions nous assurer que ces ententes vont dans le sens des objectifs de notre Règlement sur la pêche côtière et qu’il ne s’agit pas d’accords de contrôle. À titre d’exemple, les ententes doivent inclure une clause de retrait permettant aux pêcheurs de s’en dégager à un certain moment. En outre, le pêcheur ne doit pas avoir une dette à perpétuité envers l’entreprise de transformation. C’est le genre de mesures dont parlait Mme Mooney. Il s’agit des éléments déclencheurs pour qu’une enquête soit menée aux fins de l’application du Règlement sur la pêche côtière.
Peut-être que mes collègues régionaux, M. Wentzell et Mme Lemire, pourraient vous fournir d’autres indications particulières à la situation dans leur coin de pays.
M. Wentzell : Merci beaucoup. Il ne fait aucun doute que les propos de ma collègue et vos propres observations, monsieur le président, m’interpellent au plus haut point compte tenu des préjugés entourant les accords de prêt conclus avec des entreprises de transformation dans les collectivités côtières. Cela nous ramène à des questions posées précédemment concernant le travail de consultation que nous devons effectuer sur le terrain pour déterminer ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas en termes de réglementation. Ce n’est pas d’hier que des pêcheurs en arrivent à des ententes avec des entreprises de transformation, mais il ne faut pas en conclure pour autant qu’il s’agit d’accords de contrôle influant sur la façon dont le permis est exploité, administré ou réattribué. Nous devons être vraiment très clairs dans nos communications avec les pêcheurs pour qu’ils comprennent bien qu’il leur est possible d’accéder à des fonds et à des capitaux à ces différentes fins, sans que ce soit nécessairement dans le cadre d’un accord de contrôle.
Nous offrons aussi de nombreux programmes de concert avec nos homologues provinciaux pour aider les jeunes à avoir accès à l’industrie à titre de partenaires d’un pêcheur établi, de membres d’équipage, etc. C’est une des caractéristiques clés de nos efforts de collaboration avec différents partenaires dans la gestion globale du secteur des pêches.
J’ajouterais en terminant que nous avons aussi consulté les associations de pêcheurs quant aux mesures que le ministère devrait prendre quand vient le temps de retirer le permis lorsqu’il est confirmé qu’il y a accord de contrôle. Je m’attends à ce que nous obtenions les résultats souhaités en poursuivant dans la même voie avec le concours des différents intervenants pour l’application du Règlement. Ce dialogue incessant pourrait permettre d’ouvrir la voie à l’intégration de nouveaux pêcheurs.
Pour revenir à la discussion de tout à l’heure concernant les intérêts divergents que nous devons concilier, il y a aussi les groupes autochtones qui réclament l’accès à la ressource pour assurer le plein respect de leurs droits fondamentaux. Nous devons trouver le juste équilibre entre toutes ces revendications dans le cadre des processus que nous avons mis en place pour déterminer qui doit avoir accès au secteur des pêches et pour délivrer des permis en conséquence. Nous discutons activement de tous ces éléments avec les parties intéressées et nos partenaires sur le terrain. Je vous remercie.
Le président : Merci.
La sénatrice R. Patterson : Ma question va un peu dans le sens de celle du sénateur Kutcher et s’adresse sans doute plutôt à vos collègues des régions. Elle concerne en fait les accords de contrôle.
Comme j’en suis à mes premières armes au sein du comité, j’apprends un peu sur le tas, mais j’aimerais bien en savoir davantage sur les incidences de ces accords de contrôle sur les pêches régionales.
Je sais que certains de mes collègues se sont fait dire que cela demeure, assurément au Québec en tout cas, un obstacle de taille à l’expansion de l’industrie. Je serais donc curieuse de savoir quels rôles vous pouvez jouer à titre de représentants du gouvernement fédéral dans vos régions respectives. Je vous remercie.
[Français]
Mme Lemire : Je vous remercie de la question. Certains représentants de l’industrie nous parlent effectivement de l’existence d’accords de contrôle. On les invite alors à nous fournir plus d’information; il existe des moyens qu’ils peuvent utiliser pour nous divulguer de l’information de façon confidentielle. À partir de là, on reste attentif à tout élément additionnel qui pourrait porter à croire qu’il y a un accord de contrôle. En fait, toutes les demandes de réassignation de permis sont systématiquement examinées avant que le permis soit transféré au destinataire pour s’assurer qu’il n’y a pas un enjeu ou un accord de contrôle.
Donc, les gens doivent nous fournir toute la documentation relative à des ententes pour examen avant qu’on procède à la réassignation. Cela inclut toute entente financière, quelle qu’elle soit. On les compare à des listes de vérification que nos agents responsables de la délivrance de permis ont en main et dès qu’il y a des éléments déclencheurs, cela nous amène à réclamer des documents additionnels ou à pousser l’analyse plus loin. Donc, on va s’assurer de pousser notre analyse le plus loin possible pour assurer que les ententes qui sont en place sont conformes au règlement avant de procéder à la réassignation du permis vers le destinataire.
Cet exercice se fait systématiquement pour toute demande de réassignation de permis. On procède aussi à des examens qu’on appelle des « examens non ciblés ». Il s’agit de pige aléatoire de titulaires de permis. On pige alors le nom de titulaires de permis pour une flottille donnée et on procède à la vérification auprès des titulaires de permis identifiés pour s’assurer qu’ils sont conformes au règlement. On leur envoie des questionnaires, puis on exige des documents et on fait un examen complet pour confirmer leur admissibilité.
Il arrive dans certains cas qu’il y ait des éléments qui ne sont pas nécessairement conformes, alors on travaille avec le titulaire de permis pour s’assurer qu’il se conforme à la réglementation. Dans le cas de la région du Québec, les différents examens effectués à ce jour ont mené à une conformité à l’égard du Règlement.
La sénatrice R. Patterson : Merci pour la réponse; c’est vraiment clair pour ce qui est du processus.
Quelles sont les réactions de la communauté des pêcheurs du Québec aux accords de contrôle en ce qui a trait aux individus, plutôt qu’au processus et aux plaintes, si l’on veut?
Mme Lemire : Jusqu’à ce jour, nous n’avons pas reçu de plainte formelle au ministère. On a simplement eu quelques discussions avec des représentants d’associations qui nous ont dit qu’ils soupçonnaient l’existence d’accords de contrôle, mais on n’a reçu aucune plainte officielle au moyen des canaux en place.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Je suis vraiment ravie que les sénateurs Ravalia et Kutcher aient abordé quelques-uns des sujets que j’avais à l’esprit aujourd’hui. Je voudrais revenir à une question qui exige de prendre davantage de recul. Nous avons pu entendre les différents points de vue des responsables de la délivrance des permis, notamment quant à la consultation des gens sur le terrain. Toutes les personnes ici présentes souhaitent voir la profession de pêcheur s’épanouir pleinement en veillant à ce que chacun puisse travailler suffisamment pour satisfaire à ses besoins tout en ayant également des comptes à rendre.
Je vais d’abord m’adresser à nos témoins en mode virtuel. Dans le cadre du travail que vous accomplissez au quotidien, avez-vous l’occasion de marquer une pause pour réfléchir aux obstacles ainsi créés pour nos pêcheurs locaux? En quoi votre travail contribue-t-il au bon fonctionnement de l’ensemble de l’industrie des pêches de telle sorte qu’elle soit une composante dynamique et viable de l’économie canadienne tout en étant porteuse d’espoir pour la prochaine génération? C’est en fait ce que je voudrais savoir. Comment votre travail permet-il de susciter de l’espoir et d’améliorer l’efficience et en quoi peut-il demeurer par ailleurs une entrave aux efforts déployés en ce sens?
M. Wentzell : Merci beaucoup, sénatrice. D’après mes discussions avec l’industrie de la pêche dans la région des Maritimes, je peux dire qu’il est tout à fait clair que l’importance qu’occupe la pêche commerciale au sein des collectivités autochtones et côtières est un élément clé. En Nouvelle-Écosse et le long de la côte du Nouveau-Brunswick, de nombreuses collectivités existent en fait en raison de la pêche commerciale. Cette mesure législative et nos démarches pour faire respecter la réglementation sur la pêche côtière ont une importance, car lorsque les pêcheurs locaux exercent un contrôle sur leurs permis, sur leurs revenus et sur les bénéfices que leur procurent leurs permis, ils sont en mesure de subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leurs familles et de leurs collectivités comparativement à une situation où ces bénéfices et leurs revenus profitent à des entités plus centralisées.
C’est une question valable. Le principal défi pour mon équipe et moi-même au cours des deux dernières années a été le fait que ce travail prend du temps, comme nous l’avons expliqué. Nous avons fait preuve d’une très grande transparence envers les associations de pêcheurs relativement à notre travail et aux chiffres. Nous avons pu leur confirmer que nos partenaires en matière d’application de la loi au sein du service Conservation et protection mènent des enquêtes. Nous tentons de leur donner des assurances et de leur expliquer que ce travail prend du temps.
En ce qui a trait à l’optimisme en général, nous avons la chance d’avoir un certain nombre d’entreprises de pêche, grâce au bon travail de conservation de l’industrie et des collectivités côtières et autochtones, qui prennent les mesures nécessaires pour assurer la prospérité dans l’avenir. Il y a un niveau élevé d’optimisme. Il a été question à CBC ce matin de l’abondance du homard et du travail de la Fishermen and Scientists Research Society. Cet organisme travaille avec nous à la conservation depuis de nombreuses années.
Je pense qu’il y a de l’optimisme relativement à la ressource et au travail effectué pour appuyer la conservation. Je crois que ce travail vise à s’assurer que les collectivités côtières qui travaillent d’arrache-pied continuent à récolter les fruits de leur labeur. Il y a de l’optimisme et un grand intérêt, et, par conséquent, le ministère a la responsabilité de mettre en œuvre cette importante réglementation.
La sénatrice M. Deacon : Je ne sais pas si quelqu’un d’autre veut répondre, mais je vous donne l’occasion de le faire. Merci.
Le sénateur Ravalia : Madame Buie, durant votre exposé, vous avez affirmé que 1 724 détenteurs de permis ont fait l’objet d’un examen et que le ministère a demandé à 623 d’entre eux de fournir des renseignements supplémentaires. Vous avez également déclaré que 37 pêcheurs ont fourni de nouvelles ententes qui sont désormais conformes à la réglementation.
Est-ce que le ministère a recensé des cas de non-conformité à la réglementation? Mme Mooney a fait allusion plus tôt au fait qu’aucun permis n’a été révoqué. Y a-t-il des préoccupations concernant la non-conformité à la réglementation?
Mme Buie : Je vous remercie beaucoup pour votre question, sénateur. En ce qui a trait aux 37 pêcheurs qui ont conclu de nouvelles ententes afin de se conformer à la réglementation, ils étaient parties à une entente de contrôle. C’est pourquoi nous avons travaillé conjointement avec eux afin qu’ils se conforment à la réglementation en concluant une nouvelle entente qui respecte la réglementation.
Si vous me le permettez, je vais céder la parole à Mme Mooney, qui a peut-être d’autres détails à vous fournir.
Mme Mooney : Merci. C’est un bon exemple du travail que nous effectuons pour amener les titulaires de permis à se conformer à la réglementation.
Ces pêcheurs ont fait l’objet d’une évaluation pour déterminer leur admissibilité. Comme je l’ai mentionné plus tôt, lorsqu’un détenteur de permis souhaite transférer son permis à un autre titulaire de permis, les deux parties font l’objet d’un examen. Les chiffres qu’on a mentionnés sont une bonne indication que nous progressons et que nous examinons l’admissibilité des titulaires.
Même si, jusqu’à maintenant, environ 20 % des titulaires de permis seulement, sur les 10 000 détenteurs de permis assurés dans l’Est du Canada, ont fait l’objet d’un examen, nous continuons de procéder à des examens ciblés et non ciblés, dans le cadre de notre travail de mise en œuvre de la réglementation. Nous allons continuer de travailler avec les titulaires de permis et de veiller à ce que ceux qui ont conclu des ententes de contrôle modifient leurs structures organisationnelles ou leurs accords financiers de façon à se conformer à la réglementation.
Le sénateur Ravalia : Avez-vous été surprise de ne pas avoir à révoquer des permis?
Mme Mooney : Je dois dire que nous avons un processus très clairement défini, y compris dans la réglementation. Ce processus consiste à travailler avec les détenteurs de permis pour leur permettre de se conformer à la réglementation. Si nous déterminons, d’après les renseignements dont nous disposons, qu’un détenteur n’est pas admissible à un permis de pêche côtière, nous communiquons avec lui par courrier, conformément à la procédure officielle. Le détenteur dispose de 10 jours pour fournir au ministère des informations supplémentaires. Le ministère examine ensuite ces informations, puis il prend une décision concernant l’admissibilité. Si le ministère détermine que le détenteur n’est pas admissible à un permis, il perd son droit de pêcher et il dispose de 12 mois pour se conformer à la réglementation. Il bénéficie donc de cette période pour se conformer à la réglementation. C’est ce qui est prévu dans la réglementation.
Je sais que l’industrie a également des préoccupations relativement au fait que certains titulaires de permis soient parties à des ententes de contrôle. Il y a un processus à suivre — certains diront peut-être que c’est un long processus — afin de se conformer à la réglementation. On a souligné plus tôt que l’octroi de permis n’est pas destiné à être punitif, mais nous voulons nous assurer que les détenteurs de permis de pêche côtière exercent un contrôle sur leurs entreprises en mer et sur terre. En mer, ils décident qui peut pêcher sur leur bateau. Ce sont eux personnellement qui pêchent avec leurs permis. Ils désignent des exploitants substituts. Sur terre, ils contrôlent leurs entreprises et ils en retirent les bénéfices. Ils sont les bénéficiaires de ces permis.
Le président : Une sénatrice qui ne pouvait pas se joindre à nous ce matin, la sénatrice McPhedran, nous a envoyé quelques questions. Le temps ne me permet pas de poser toutes ses questions, mais, aux fins du compte rendu, je vais en poser une. Voici donc une des questions de la sénatrice McPhedran :
Des témoins qui ont comparu devant le comité au cours des dernières semaines ont affirmé que le ministère est sous-financé et qu’il n’a pas la capacité nécessaire pour mettre en œuvre ses programmes, pour soutenir les collectivités de pêcheurs locales et pour travailler à la mise en application de la réglementation. Est-ce que les efforts du ministère sont entravés par un manque de financement ou d’expertise, et quelles sont les ressources dont le ministère aurait besoin pour faire appliquer la réglementation? Aussi, quelles recommandations pourrions-nous envisager d’inclure dans notre rapport afin de soutenir le travail que vous effectuez?
Mme Buie : Je vous remercie pour cette question, monsieur le président. Je dois dire que nous avons des agents de conservation et de protection qui s’occupent de la juricomptabilité relative aux éventuelles ententes de contrôle. Je crois aussi que le service Conservation et protection a des agents de réception des demandes dans divers bureaux régionaux, qui peuvent communiquer avec les pêcheurs et obtenir des tuyaux et d’autres renseignements concernant d’éventuelles ententes de contrôle.
À l’heure actuelle, nos ressources sont assez satisfaisantes, je dirais, dans le secteur de la conservation et de la protection. Bien sûr, nous avons procédé à l’examen de seulement environ 20 % des permis. Si nous disposions de davantage de ressources, nous serions en mesure d’accroître ces types d’activités.
Comme Mme Mooney l’a expliqué, il existe divers comités administratifs au sein du ministère, auxquels siègent des employés des régions et de l’administration centrale, qui prennent le temps d’examiner toute l’information. Il existe aussi un comité de direction.
Nous sommes bien organisés à l’interne pour procéder à un bon nombre d’examens de permis. Toutefois, comme je l’ai dit, nous pourrions en faire davantage avec plus de ressources. Je pense qu’il en va de même pour de nombreux autres secteurs au sein du ministère.
Le président : Je remercie nos témoins de ce matin et je remercie les sénateurs pour leurs questions. Nous avons eu une discussion fort intéressante.
Avant de continuer, je dois dire que j’ai oublié de dire quelque chose au début de la réunion et j’aimerais le faire maintenant. J’aimerais souhaiter officiellement la bienvenue à la sénatrice Patterson, qui est devenue une membre permanente du comité. Nous avons hâte de bénéficier de son expertise. La sénatrice Deacon représente ce matin un autre sénateur, et elle espère un jour devenir elle aussi une membre permanente du comité. Nous y voyons. Il est facile d’obtenir une lettre de référence si vous en avez besoin d’une, sénatrice Deacon.
Durant la deuxième partie de notre réunion, nous allons entendre les représentants suivants du ministère des Pêches et des Océans au sujet des récents rapports du commissaire à l’environnement et au développement durable. Je vais demander aux témoins de se présenter.
Kate Ladell, directrice générale, Gestion de la biodiversité, Pêches et Océans Canada : Bonjour et merci beaucoup de m’accueillir. Je m’appelle Kate Ladell et je suis directrice générale, Gestion de la biodiversité, à Pêches et Océans Canada.
Alexandra Dostal, sous-ministre adjointe principale, Écosystèmes aquatiques, Pêches et Océans Canada : Bonjour. Je m’appelle Alexandra Dostal et je suis sous-ministre adjointe principale, Écosystèmes aquatiques, à Pêches et Océans Canada.
[Français]
Simon Nadeau, directeur, Science des mammifères marins et de la biodiversité, Pêches et Océans Canada : Bonjour, je m’appelle Simon Nadeau et je suis directeur, Science des mammifères marins et de la biodiversité, à Pêches et Océans Canada.
[Traduction]
Mme Buie : Bonjour à nouveau. Je m’appelle Jennifer Buie et je suis directrice générale par intérim, Gestion des ressources halieutiques.
Le président : Bonjour. Je crois savoir que Mme Dostal a un exposé à présenter. Lorsque vous aurez terminé, les sénateurs auront des questions à vous poser.
Mme Dostal : Bonjour, sénateurs. Je m’appelle Alexandra Dostal et je suis accompagnée de mes collègues du ministère des Pêches et des Océans. Nous sommes ravis d’avoir l’occasion de comparaître aujourd’hui devant le comité au nom du ministère.
Aujourd’hui, nous allons parler de deux des rapports du commissaire à l’environnement et au développement durable qui ont été déposés au Parlement en octobre 2022. Il s’agit du rapport intitulé La protection des espèces aquatiques en péril et du rapport intitulé Progrès réalisés par les ministères et organismes dans la mise en œuvre des stratégies de développement durable — Côtes et océans sains, Lacs et cours d’eau vierges et Alimentation durable.
[Français]
En déposant ces rapports de vérification, le commissaire à l’environnement et au développement durable a fourni aux parlementaires et aux Canadiens des analyses et des recommandations indépendantes sur la façon dont Pêches et Océans Canada, en collaboration avec d’autres, peut gérer plus efficacement ses activités, ses responsabilités et ses ressources liées aux espèces aquatiques en péril.
Nous remercions le commissaire de son travail et reconnaissons les conclusions du rapport. De plus, nous nous sommes montrés d’accord avec toutes les recommandations formulées et nous prenons des mesures pour y répondre. L’appel à l’action du commissaire contribue à la sensibilisation par rapport à la crise de la biodiversité et met au défi le gouvernement et ses partenaires d’offrir les meilleurs résultats environnementaux possibles pour les Canadiennes et les Canadiens, maintenant et pour les générations futures.
[Traduction]
Les Canadiens veulent être sûrs que le gouvernement fédéral dispose de renseignements scientifiques solides, qu’il travaille en étroite collaboration avec d’autres administrations et partenaires dans l’ensemble du pays, qu’il prend des décisions d’inscription en temps opportun et fondées sur des analyses claires et objectives et qu’il a la capacité requise pour la conformité et l’application de la loi pour protéger et rétablir les espèces aquatiques en péril du Canada.
En tant qu’organisation à vocation scientifique, Pêches et Océans Canada reconnaît pleinement l’importance de solides données scientifiques à l’appui de décisions. Pêches et Océans Canada recueille de nouveaux renseignements sur les espèces aquatiques sur une base continue afin de s’assurer que les données et les informations sur l’état et les tendances des populations éclairent la priorisation et l’évaluation des espèces.
Le succès de la protection et du rétablissement des espèces aquatiques en péril du Canada est une responsabilité partagée. À cette fin, le ministère s’appuie sur une étroite collaboration avec d’autres ministères fédéraux, les provinces et les territoires, les peuples autochtones, les organismes non gouvernementaux et, de manière plus générale, l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens lorsqu’il prend des mesures pour rétablir et protéger les espèces aquatiques en péril. Pêches et Océans Canada travaille avec des partenaires pour faire avancer les projets d’intendance et de rétablissement dans tout le Canada. Les investissements réalisés dans le cadre de l’initiative du Patrimoine naturel ont été essentiels pour le ministère et ont permis de jeter les bases des travaux en cours pour passer d’une approche à espèce unique à une approche multiespèces en matière de rétablissement et de protection, là où cela s’avère judicieux.
[Français]
À l’échelle fédérale, Pêches et Océans Canada travaille de près avec Environnement et Changement climatique Canada et Parcs Canada pour assurer le succès de la mise en œuvre de la Loi sur les espèces en péril et de ses objectifs. Afin de préciser davantage les rôles et les responsabilités, les représentants de Pêches et Océans Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada travaillent de concert pour élaborer un protocole d’entente qui permettra de mieux documenter les partenariats, la collaboration et l’échange de renseignements.
La collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux est un élément fondamental de la mise en œuvre de la Loi sur les espèces en péril. Pêches et Océans Canada continuera de travailler en étroite collaboration avec ses homologues provinciaux et territoriaux pour partager et recueillir des renseignements sur les espèces aquatiques en péril, afin d’appuyer des prises de décisions fondées sur les données probantes.
[Traduction]
De façon plus générale, Pêches et Océans Canada mène une variété d’activités de sensibilisation et de mobilisation en ligne, en personne et en milieu aquatique avec les Canadiennes et les Canadiens d’un océan à l’autre et s’est engagé à appuyer leurs efforts visant à protéger et à rétablir les espèces aquatiques en péril. Le ministère prendra en compte les pratiques exemplaires afin de veiller à ce que ces activités de sensibilisation et de mobilisation soient efficaces.
La vérification a présenté des conclusions sur la rapidité et la méthodologie liées au processus d’inscription des espèces. Pêches et Océans Canada convient que des décisions d’inscription basées sur des données probantes et en temps opportun sont essentielles pour veiller à ce que les espèces aquatiques puissent bénéficier des protections appropriées. Le ministère continuera d’examiner des façons de simplifier les processus ministériels d’inscription dans la mesure du possible, en soulignant que certains éléments ne devraient pas être précipités, y compris les consultations avec les partenaires autochtones et les conseils de gestion de la faune. Pêches et Océans Canada met également en place des mesures pour améliorer les directives, les suivis et les pratiques de documentation afin de s’assurer que les analyses à l’appui des décisions d’inscription soient claires, objectives et bien documentées.
Concernant la capacité du ministère pour la conformité et l’application de la loi, Pêches et Océans Canada continuera de prendre des mesures pour augmenter le nombre d’agents des pêches pour pourvoir les postes vacants à l’échelle nationale et pour améliorer la collecte et l’uniformité des données afin de faire rapport sur les activités de conformité et d’application.
Bien que Pêches et Océans Canada continue de prioriser la conservation et la protection de toutes les espèces aquatiques, le ministère doit également tenir compte d’autres obligations, comme les droits de pêche des Autochtones et les réalités économiques des collectivités côtières, entre autres facteurs, lors de l’élaboration des recommandations d’inscription. Pêches et Océans Canada s’appuie sur des données scientifiques solides, des analyses socio-économiques et des consultations publiques afin de fournir des recommandations d’inscription qui sont dans l’intérêt supérieur de l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens.
Lorsque les espèces aquatiques ne sont pas inscrites en vertu de la Loi sur les espèces en péril, le ministère continue de fournir des protections au moyen des exigences législatives et réglementaires de la Loi sur les pêches, y compris les dispositions sur les stocks de poissons et l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de plans de gestion des pêches propres à l’espèce, s’il y a lieu. En outre, les politiques de Pêches et Océans Canada, comme le cadre de l’approche de précaution, fournissent des mesures qui protègent les stocks. Tout simplement, le fait qu’une espèce ne soit pas inscrite en vertu de la Loi sur les espèces en péril ne signifie pas l’absence de protection.
En ce qui concerne la vérification des progrès réalisés par les ministères et organismes dans la mise en œuvre des stratégies de développement durable, le rapport souligne la possibilité pour le ministère de fournir aux Canadiens et aux parlementaires plus de détails sur les activités de conservation et de rétablissement en cours afin de mieux démontrer les progrès réalisés en vue d’atteindre l’objectif fédéral en matière d’espèces en péril.
[Français]
Plus précisément, le commissaire a noté que les mesures ministérielles liées aux espèces en péril décrites dans la Stratégie ministérielle de développement durable de Pêches et Océans Canada devraient inclure des renseignements supplémentaires sur l’élaboration de stratégies de rétablissement, de plans de gestion, de plans d’action et d’activités de surveillance.
Nous sommes d’accord avec cette recommandation. Notre prochaine stratégie de développement durable comprendra un ensemble complet de mesures et d’indicateurs de rendement connexes qui mettront en évidence tous les éléments de l’important travail qui se fait actuellement pour appuyer la protection et le rétablissement des espèces aquatiques en péril.
Nous allons également réexaminer la mesure du rendement de notre Stratégie ministérielle de développement durable, pour nous assurer qu’elle est spécifique et pertinente et qu’elle comprend des objectifs assortis d’échéances que nous pouvons utiliser pour démontrer les progrès accomplis.
À l’appui de l’objectif fédéral en matière d’objectifs de population pour les espèces en péril, Pêches et Océans Canada continuera d’utiliser pleinement les outils législatifs et réglementaires à sa disposition pour renforcer les mesures de protection et favoriser le rétablissement des espèces aquatiques en péril du Canada. Ce travail sera effectué en collaboration avec les partenaires fédéraux, les provinces et les territoires, les peuples autochtones et les parties prenantes.
[Traduction]
Les tendances des populations et de la répartition des espèces continueront à faire l’objet d’un rapport annuel, en collaboration avec Environnement et Changement climatique Canada, responsable au niveau fédéral des tendances des populations d’espèces en péril et des indicateurs canadiens de durabilité de l’environnement.
Rappelons, toutefois, qu’un bon nombre de facteurs peuvent avoir une incidence sur le rétablissement des espèces, notamment la durée de vie de ces mêmes espèces, leur cycle reproductif, l’état de leur habitat et des menaces comme la perte d’habitat, la pollution et les changements climatiques.
En outre, nous nous réjouissons de l’occasion qui nous est donnée de fournir des informations supplémentaires sur la manière dont le ministère soutient les objectifs de développement durable des Nations unies. Nous collaborerons avec nos collègues d’Environnement et Changement climatique Canada et du Secrétariat du Conseil du Trésor pour nous assurer que nous communiquons ces informations conformément à leurs directives révisées.
Ce travail sera mis en évidence dans notre prochaine stratégie ministérielle de développement durable. Ce document sera publié à l’automne 2023, à l’appui des objectifs et des cibles de la Stratégie fédérale de développement durable 2022-2026.
En terminant, Pêches et Océans Canada est déterminé à s’acquitter de son rôle dans la protection des espèces aquatiques en péril en utilisant les outils législatifs et réglementaires à sa disposition, notamment la Loi sur les espèces en péril et la Loi sur les pêches. Les fonctionnaires du ministère continueront de tirer pleinement parti de ces outils législatifs tout en travaillant avec leurs partenaires d’un océan à l’autre pour améliorer les mesures de protection et de rétablissement des espèces aquatiques en péril.
Merci pour votre attention. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Dostal. Je tiens à dire à tous que nous devons absolument terminer à 11 heures. Je n’aime pas intervenir durant les questions ou les réponses. J’aime donner à chaque personne l’occasion de dire ce qu’elle a à dire. Cependant, si cela s’avère nécessaire, je vais intervenir. Je tenais à vous en avertir.
Le sénateur Francis : Pourquoi le Canada n’a-t-il pas appliqué la Loi sur les espèces en péril pour protéger les populations de poissons en déclin, comme le saumon du Pacifique, l’une des espèces les plus importantes sur le plan commercial au pays? Au moins 48 populations de saumon du Pacifique et de truite risquent de disparaître. Pourquoi est-ce que les poissons lucratifs sur le plan commercial sont moins susceptibles d’être protégés dans le cadre de ce régime?
Mme Dostal : Comme je l’ai mentionné dans la déclaration liminaire, l’audit dans ce cas-ci portait sur une mesure législative : la Loi sur les espèces en péril. À Pêches et Océans Canada, nous avons une série d’outils que nous utilisons pour protéger les espèces aquatiques en péril. Lorsque des espèces ne figurent pas sur la liste de la loi, cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune mesure de protection.
Vous avez parlé des espèces commercialement exploitées, par exemple, qui ne figurent pas sur la liste. Je serais heureuse de laisser ma collègue, Jennifer Buie, en dire plus long sur les dispositions concernant les stocks de poisson, mais en vertu de la Loi sur les espèces en péril, nous avons une série d’outils qui nous permet de protéger des espèces même si elles ne figurent pas sur la liste de la Loi sur les espèces en péril. Pour certaines des espèces ou des populations que vous avez mentionnées, y compris le saumon du Pacifique, on songe actuellement à les ajouter à la liste. Ma collègue, Kate Ladell, peut en dire plus à ce sujet. Je vais maintenant laisser ma collègue, Mme Buie, ajouter ce qu’elle veut au sujet de la Loi sur les espèces en péril.
Mme Buie : Merci, madame Dostal. Comme vous l’avez mentionné dans votre déclaration liminaire, nous abordons la gestion des pêches dans une optique intégrée. Nous avons examiné divers facteurs concernant la manière de gérer ces pêches. Comme Mme Dostal l’a dit, depuis l’année dernière, nous avons les dispositions de la Loi sur les pêches concernant les stocks de poisson qui procurent des protections supplémentaires dans notre gestion des pêches. Lorsque les stocks atteignent un certain niveau, nous mettons automatiquement en place des plans de rétablissement qui nous permettent de les faire revenir à des niveaux plus sains.
Dans le cas du saumon sur la côte Ouest, un certain nombre de facteurs socioéconomiques entrent également en jeu dans notre gestion des pêches. Nous faisons un travail de consultation et de collaboration avec les Premières Nations et d’autres intervenants, comme le secteur récréatif et la province de la Colombie-Britannique. En adoptant la perspective intégrée dont j’ai parlé, nous avons pris des mesures pour préserver les importantes populations de saumon et de truite ainsi que pour atténuer les pressions exercées par la pêche lorsque nous constatons que les stocks sont en danger.
Mme Dostal : J’aimerais ajouter une chose que j’aurais dû mentionner. Vous avez aussi parlé du saumon du Pacifique. Il y a quelques années, le gouvernement a annoncé l’Initiative de la Stratégie pour le saumon du Pacifique, qui est un investissement de 647 millions de dollars déployés par Pêches et Océans Canada pour réaliser une série d’activités visant à appuyer le rétablissement de cette population de poisson. Je tenais à le mentionner.
Mme Ladell : Je peux notamment vous rassurer en vous disant qu’il y a 62 unités désignables. Quand nous parlons d’espèces en péril, nous les identifions en fonction des populations ou des unités désignables. Il y en a 62 pour le saumon du Pacifique, dont 43 ont été jugées en péril. Ces 43 unités désignables font actuellement l’objet d’une analyse pour déterminer si nous pouvons les ajouter à la liste ou non ou y revenir. On se penche activement là-dessus.
Le sénateur Francis : Merci.
Le sénateur Ravalia : Merci à nos témoins. J’aborde la question du point de vue d’un citoyen d’une collectivité rurale qui a été touchée par le moratoire sur la pêche à la morue il y a 31 ans. Ma collectivité attend depuis 31 ans que les stocks se rétablissent. On a fait allusion à un certain nombre de facteurs qui expliquent pourquoi ils ne se sont toujours pas rétablis. Les études scientifiques du ministère des Pêches et des Océans ont généralement tendance à dire le contraire de ce que les gens disent sur le terrain. L’un des importants facteurs que l’on mentionne sans cesse est la population en pleine croissance de phoques sur la côte Nord-Est de Terre-Neuve-et-Labrador.
Je me demande ce que vous entendez à ce sujet dans le cadre de votre travail et de vos études scientifiques. Pourquoi cette ressource halieutique essentielle demeure-t-elle vulnérable?
M. Nadeau : Merci de poser la question, sénateur Ravalia. Pour ce qui est des stocks de morue, vous avez raison. Les principaux stocks sont dans la zone critique. C’est le cas à cause de divers facteurs et de différentes menaces pour ces espèces. Il y a dans ces écosystèmes d’importants changements environnementaux relativement à la température et à d’autres paramètres océanographiques. Selon le ministère, la prédation par les phoques a une incidence sur un stock de morue depuis 2010, dans le sud du golfe. Le phoque gris empêche effectivement le rétablissement du stock. C’est un facteur de mortalité déterminant.
Pour ce qui est des autres stocks, nous n’avons pas établi que la prédation par les phoques a une incidence sur la trajectoire ou la dynamique des populations. Par exemple, pour les stocks de morue au large de Terre-Neuve, la diminution du nombre de poissons-proies est un des principaux facteurs. Ces poissons sont, comme le capelan, plus influencés par la production primaire, c’est-à-dire la nourriture à laquelle ils ont accès, par le régime thermique et ainsi de suite. Il y a un effet domino sur les prédateurs comme la morue.
Nous continuons d’étudier l’écologie de ces différents stocks et les différents facteurs nuisibles. Le ministère a pris des mesures clés pour s’attaquer à l’un des facteurs pour lesquels nous pouvons intervenir, à savoir la pêche.
Le sénateur Ravalia : Le récent Cadre mondial de la biodiversité, qui parle de protéger 30 % des océans d’ici 2030, est certainement une chose que vous utiliserez beaucoup. Dans quelle mesure envisagez-vous d’adhérer à certains de ces principes pour rétablir certaines de nos espèces vulnérables dans les eaux canadiennes?
Mme Dostal : C’est une excellente question. Au Canada, nous avons deux cibles. Nous voulons protéger 25 % des océans du Canada d’ici 2025 et 30 % d’ici 2030, conformément au récent Cadre mondial de la biodiversité. Ces cibles sont indissociables. Pour protéger les eaux et les océans du Canada, nous avons des objectifs de conservation par rapport à ce que nous voulons protéger dans ces zones. Au moment de choisir la zone qui sera protégée, nous tenons compte des objectifs de conservation, de la biodiversité et des résultats.
Vous avez raison de dire que le lien entre ces cibles est absolument fondamental. Dans le cadre du travail que nous faisons au ministère pour donner suite à ces deux initiatives, tout se fait dans le même secteur. Nous collaborons très étroitement pour régler ces différentes questions ensemble.
Mme Ladell : En plus de ce que Mme Dostal a dit, c’est une des approches retenues dans le cadre des investissements faits en 2018, et une fois de plus en 2021 dans l’initiative du Patrimoine naturel et l’initiative du Patrimoine naturel bonifié. En 2018, l’initiative du Patrimoine naturel était le plus important investissement dans la biodiversité à avoir été réalisé. Elle partait du principe que nous ne pouvions plus continuer d’adopter une approche axée sur une seule espèce et que nous devions plutôt chercher à protéger nos écosystèmes. Dans le cadre de l’initiative du Patrimoine naturel, nous examinons comment nous pouvons créer des approches axées sur l’endroit et sur la menace, et nous cherchons à cerner certaines des menaces prioritaires. Lorsque nous nous penchons sur les écosystèmes aquatiques ou marins, il y a fort à parier que dans l’éventualité où la prédation par les phoques a une incidence pour une espèce de morue, d’autres espèces, qu’il s’agisse de morue ou d’autres poissons, risquent également d’être touchées. Nous cherchons à déterminer comment nous pouvons cibler nos mesures pour éviter de faire tout cela pour une unité désignable de morue sans tenir compte de l’écosystème dans son ensemble. À l’heure actuelle, nous nous concentrons sur la manière de regrouper ces investissements pour en avoir plus pour notre argent et obtenir des résultats concrets dans l’eau en vue de rétablir des espèces en péril.
Le sénateur Ravalia : Merci.
La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici. J’ai été ravie de lire la transcription des délibérations ayant eu lieu cet automne à la Chambre des communes, et c’est sans aucun doute une étape importante. Il est encore plus formidable de voir nos équipes de recherche, nos jeunes, se rendre sur l’eau et dans l’habitat. Je suis ici en train d’essayer de comprendre ce que nous faisons, et je constate que ce n’est pas ce que je pensais. Il est vraiment formidable de voir des gens se rendre carrément sur l’eau et discuter des pêches.
Je veux revenir en arrière et parler un peu de la recherche, de la protection des espèces aquatiques et de ce qui a été dit dans le rapport. Dans le rapport, on reconnaît qu’il y a un fossé entre les espèces aquatiques à valeur commerciale et les autres espèces aquatiques qui relèvent de Pêches et Océans Canada. Par conséquent, l’audit nous prévient que si on ne change pas la façon dont Pêches et Océans Canada recueille l’information sur l’ensemble des espèces aquatiques, il y aura des répercussions mesurables sur la santé des écosystèmes.
Comment le ministère des Pêches et des Océans envisage-t-il de donner suite à cette préoccupation? Vous avez parlé de certains aspects relatifs aux données plus tôt dans l’introduction, mais je n’ai pas entendu cette information. Quelles mesures avez-vous déjà mises en place, et se sont-elles révélées efficaces et prometteuses pour commencer à combler le fossé?
M. Nadeau : Je devrais commencer par dire qu’une grande partie de notre recherche et de nos activités de surveillance au ministère vise à appuyer nos décisions de gestion. Il peut être question d’appuyer les dispositions concernant l’habitat de la Loi sur les pêches ou de la Loi sur les espèces en péril lorsque des espèces figurent sur la liste ou d’appuyer les décisions en matière d’inscription sur la liste pour les espèces évaluées par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, ou COSEPAC. Nous avons tous ces mandats et toutes ces données scientifiques, et notre surveillance vise grandement à soutenir ces décisions.
Je dois dire qu’il y a beaucoup d’espèces au pays. Il y a un rapport qui s’intitule Espèces sauvages 2020 : la situation générale des espèces au Canada, et les ministères, les provinces et les territoires travaillent ensemble pour dresser un portrait général de la faune au Canada. Ce n’est pas indiqué dans les rapports du Bureau du vérificateur général. Parmi les 50 000 espèces évaluées dans le dernier rapport en 2020, le nombre d’espèces aquatiques est légèrement inférieur à 3 000. Parmi celles-ci, il y a 2 600 espèces marines, et elles relèvent strictement de Pêches et Océans Canada. Il y a un plus petit groupe d’espèces vivant en eau douce, et dans ce cas-ci, la responsabilité est partagée avec les provinces et les territoires.
Certaines espèces marines et espèces d’eau douce sont utilisées par les humains. On les pêche ou en s’en sert pour diverses raisons. Tant à l’échelle provinciale qu’à l’échelle fédérale, nous devons prendre des décisions de gestion pour prévenir un déclin de ces espèces et maintenir la viabilité de leur population. C’est donc là-dessus que nous concentrons nos efforts.
En ciblant ces espèces ou en appuyant ces décisions, comme Mme Ladell l’a dit, nous générons également de l’information pour d’autres espèces sans intérêt commercial. Le COSEPAC, par exemple, s’en sert pour conférer un statut de conservation à ces espèces non commerciales.
Plus précisément pour les espèces d’eau douce, lorsqu’elles ne sont pas gérées par Pêches et Océans Canada, nous comptons sur nos collègues des provinces et des territoires pour recueillir de l’information. Jusqu’à ce qu’il soit décidé d’ajouter ces espèces à la liste de la Loi sur les espèces en péril, nous comptons grandement sur nos collègues pour générer les données scientifiques et pour surveiller ces espèces.
Lorsque la décision de les ajouter à la liste est prise, nous avons alors des responsabilités précises en vertu de la Loi sur les espèces en péril, et nous les assumons et orientons en conséquence nos activités prioritaires dans le but de soutenir aussi ces espèces.
La sénatrice M. Deacon : Vous venez tout juste de mentionner l’eau douce et l’eau salée. Je veux parler du deuxième aspect de la question, à savoir le rythme de disparition des espèces d’eau douce et d’eau de mer au Canada.
Dans la comparution du commissaire à l’environnement et au développement durable et dans ses notes, il a expliqué que la plupart des espèces aquatiques qui ont disparu au Canada sont des espèces d’eau douce. Je prends connaissance en ce moment même de certains aspects liés à la compétence dont vous venez tout juste de parler.
L’audit effectué a révélé que c’est prédominant dans l’Arctique, en Ontario et dans les Prairies. C’est là que se trouve la majorité de l’eau douce du Canada. Je me demande donc si les espèces d’eau douce sont plus portées à disparaître. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec ce que vous venez tout juste de dire? Pouvez-vous me donner une idée de ce qu’il en est?
M. Nadeau : La vaste majorité de la biodiversité canadienne, y compris la biodiversité aquatique, se trouve dans le Sud, c’est-à-dire où les humains habitent. Cela vous donne une idée de l’endroit où notre biodiversité est menacée. C’est vraiment dans le Sud. Certaines de ces espèces sont en périphérie. Elles sont un peu présentes dans notre pays et beaucoup plus répandues au sud de la frontière.
Mme Dostal : De nombreuses études scientifiques portent sur les milieux d’eau douce, mais nous avons aussi un certain nombre de programmes — dont certains qui relèvent de Mme Ladell — qui aident à soutenir la protection d’espèces en eau douce.
Elle a parlé il y a quelques minutes de l’initiative du Patrimoine naturel et de l’initiative du Patrimoine naturel bonifié. Elle a aussi parlé de la notion de lieux prioritaires et d’espèces prioritaires dans le cadre de ces initiatives. En fait, l’un des lieux prioritaires est le bassin hydrographique inférieur des Grands Lacs. C’est un investissement vraiment ciblé pour protéger la biodiversité et des écosystèmes de cette région. C’est un programme parmi d’autres que nous avons pour pouvoir protéger également l’environnement d’eau douce.
Mme Ladell : Dans la même veine, M. Nadeau a parlé d’une nuance importante à propos des espèces qui figurent sur la liste par rapport aux autres. L’un des éléments fondamentaux de l’initiative du Patrimoine naturel était de vraiment déterminer comment nous pouvons rétablir les espèces qui ne se portent pas bien, qu’elles figurent ou non sur la liste.
Le financement disponible est certainement essentiel pour appuyer les projets d’intendance. Le Fonds de la nature du Canada pour les espèces aquatiques en péril a financé plus de 80 projets qui ont profité à plus de 130 espèces, que l’évaluation ait été effectuée par le COSEPAC — le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, l’organe d’évaluation — ou par le fonds, et peu importe si les espèces figuraient sur la liste ou non.
Plus précisément pour l’eau douce, nous finançons actuellement 46 projets qui profitent à plus de 50 espèces d’eau douce au Canada.
Le sénateur Kutcher : Merci à tout le monde d’être ici. Ma question portera sur deux aspects distincts : les aires marines protégées et quelque chose d’un peu différent.
On s’est énormément intéressé aux aires marines protégées au cours des deux ou trois dernières années. Nous voulons maintenant protéger 30 % des océans d’ici 2030. Il en a été question à la conférence de Montréal. Il y a eu une rencontre internationale en février à Vancouver. Le ministre de l’Environnement vient tout juste d’annoncer un réseau de gardiens des Premières Nations qui est associé à cela.
Une partie du travail est fait au ministère de l’Environnement, et une autre partie à Pêches et Océans Canada. Quels processus avez-vous en place pour collaborer afin de cerner les aires prioritaires dans le but d’établir des objectifs communs et de synchroniser vos résultats?
Mme Dostal : Merci de poser cette excellente question. On ne s’est pas penché là-dessus dans le cadre de l’audit, mais il y a certainement un travail important qui est entrepris à l’échelle du gouvernement. Je pourrais peut-être répondre pour la famille fédérale. Pêches et Océans Canada ainsi qu’Environnement et Changement climatique Canada ont collectivement des responsabilités en vue d’atteindre ces objectifs, tant du point de vue terrestre pour Parcs Canada et Environnement et Changement climatique Canada que du point de vue marin pour Pêches et Océans Canada et les deux autres. Il y a donc des relations très étroites entre les fonctionnaires et, à l’échelle du gouvernement, entre ces organisations et d’autres qui, bien franchement, ont un rôle à jouer dans ce dossier.
Quant à notre façon de déterminer les lieux à retenir et la manière de créer les aires de protection, nous collaborons également avec des Canadiens, c’est-à-dire des partenaires clés et des intervenants. Je le dis parce que lorsque nous réfléchissons aux endroits que nous allons protéger, comme je l’ai mentionné dans une réponse précédente, nous examinons les objectifs de conservation, car le but n’est pas tout simplement de protéger l’eau où il n’y a pas de raison de le faire. Il faut vraiment examiner ce que nous devons protéger, les raisons de le faire, les objectifs de conservation et les éventuels résultats pour favoriser la biodiversité. Nous recueillons ces données au sein du ministère, mais nous travaillons aussi de très près avec des partenaires locaux, des groupes autochtones, des provinces et des territoires ainsi que des Canadiens de manière générale pour cerner les lieux à protéger.
Lorsqu’un endroit est retenu, nous poursuivons la surveillance et les mesures d’application pour nous assurer que la protection est réelle. Une fois de plus, nous le faisons en grande partie de concert avec des partenaires.
Le sénateur Kutcher : Bien. Merci pour ces explications. Est-ce en vous servant d’une structure officielle avec le ministère de l’Environnement, en tenant régulièrement des discussions?
Mme Dostal : Oui, à tous les niveaux. Nous rencontrons divers comités régulièrement. En fait, je rencontre mes homologues du ministère de l’Environnement et de Parcs Canada presque chaque semaine... très souvent. D’autres comités, qui comptent la participation d’autres ministères, ont aussi un rôle à jouer à cet égard. Je pense notamment à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Nous avons aussi de plus grands comités dans toutes les organisations, aux échelons des SMA et des DG, qui se réunissent régulièrement pour veiller à ce que nous travaillions collectivement à l’atteinte des objectifs.
Le sénateur Kutcher : Merci. Mes prochaines questions ne visent pas le rapport de façon précise, mais elles sont importantes, puisqu’elles visent les changements climatiques — notre crise existentielle — et le réchauffement de la planète.
Il y a d’importants changements qui s’opèrent dans la circulation thermohaline, les niveaux d’oxygénation de l’eau, l’acidification et les habitats riverains, qui ont une incidence directe sur les espèces. Nous savons que le puits de carbone de l’Atlantique Nord est grandement menacé. Nous ne savons pas exactement à quel moment tout le carbone sera relâché.
Est-ce que le ministère des Pêches et des Océans a la capacité de modélisation mathématique requise pour évaluer cette myriade de points de données potentiels? Avez-vous la capacité informatique et les modélisateurs mathématiques requis pour non seulement comprendre ce qui se passe avec les espèces en péril, mais aussi prévoir les changements à venir et leur incidence sur ces espèces? C’est la première partie de ma question.
M. Nadeau : Je vous remercie, sénateur. C’est une excellente question.
Nous avons un programme d’investissement dans l’océanographie et les paramètres océanographiques, et nous avons des modélisateurs qui surveillent les paramètres clés en mer, dans le but de déterminer comment ils évoluent au fil du temps et leurs conséquences possibles sur la biodiversité. C’est un domaine clé. Il représente un défi, parce que l’environnement est changeant. La situation n’est pas statique. Il s’agit d’un important domaine de recherche pour le ministère.
Le sénateur Kutcher : Permettez-moi d’aller un peu plus loin. Comme vous le savez, je m’intéresse beaucoup au renforcement de la capacité scientifique du gouvernement fédéral. Quelles relations entretenez-vous avez les établissements universitaires — ou non — qui font ce travail, comme l’Institut océanographique de Bedford, ou les organisations internationales comme l’équipe scientifique de la NASA, qui font un travail de haut niveau? À quoi ressemblent les relations? C’est ma première question.
Ma deuxième est la suivante : que pourrait-on faire pour accroître la capacité du ministère? Étant donné les nouvelles menaces et les nouveaux défis auxquels nous devons faire face, il faut penser non pas aux mesures que nous devons prendre aujourd’hui, mais à ce dont nous aurons besoin dans 10 ans. Nous devons accroître notre capacité en matière de surveillance afin d’intervenir de manière proactive et non rétroactive. Aidez-nous à vous aider.
M. Nadeau : Je vous remercie pour votre question.
Nous collaborons avec les universités et les organisations internationales aux activités de recherche océanographique. Nous investissons des ressources clés. Comme je l’ai dit plus tôt, nos activités principales sont la surveillance des paramètres en évolution et la modélisation dans le but de comprendre le lien entre ces paramètres et les espèces que nous gérons, par exemple.
La baleine noire de l’Atlantique Nord représente un exemple tangible à cet égard. Elle n’est pas visée par la dernière vérification, qui ne portait pas sur les mammifères. On ne retrouvait pas cette baleine au Canada il y a quelques décennies; elle se trouvait dans le golfe du Maine et dans la baie de Fundy.
Le changement des conditions environnementales et les températures plus chaudes ont eu une incidence sur la principale source de nourriture de la baleine : le zooplancton, un crustacé qui ressemble à la crevette. Lorsque la composition et l’apport nutritionnel de ces espèces ont commencé à changer, les baleines ont commencé à explorer de nouvelles zones. C’est ce qui les a menées vers le golfe du Saint-Laurent.
Dans le cadre de nos recherches sur la baleine, nos collègues et nous étudions le plancton et les paramètres océanographiques afin de comprendre ce qui a changé et de déterminer les nouvelles zones où les baleines pourraient aller chercher leur nourriture, et de prévoir les changements à venir, afin d’orienter nos activités en conséquence.
C’est un exemple de changement qui s’est opéré au cours des dernières décennies. Nous avons compris qu’il fallait prendre des décisions pour protéger la célèbre baleine noire de l’Atlantique Nord.
Nous faisons de notre mieux. Nous investissons des ressources. Nous travaillons avec nos collègues à l’international à cette fin. Nous appuyons aussi la recherche canadienne par l’entremise de nos programmes de subventions et de contributions, afin que les universitaires du pays puissent nous aider à atteindre notre objectif.
Mme Ladell : Si vous me permettez, j’ajouterais que les investissements par l’entremise de l’initiative du Patrimoine naturel bonifié ont permis pour la première fois au ministère de mettre sur pied un programme de gestion de l’information et de données dans le cadre du Programme des espèces en péril.
La possibilité de suivre les données, de savoir où elles se trouvent et comment elles sont consignées est essentielle en vue d’obtenir des données longitudinales temporelles sur les espèces à risque. Il s’agit d’investissements à durée limitée. Je crois que la continuité de ces investissements est essentielle. Par exemple, nous établissons pour la première fois une base de données sur les mesures de rétablissement, qui vise à examiner tout le travail qui est fait pour mettre en œuvre les documents sur le rétablissement des espèces qui figurent à la liste. Nous effectuons pour la première fois le suivi des mesures qui sont prises, des écarts et des façons de les combler.
Cela s’applique évidemment aux changements climatiques et nous voulons trouver une façon de compiler l’information pour pouvoir effectuer un suivi et une surveillance au fil du temps.
Le sénateur Kutcher : Je suis très heureux d’entendre parler de ces investissements.
Je ne sais toutefois pas si ces investissements seront garantis pour une période prolongée. Est-ce qu’il s’agit d’un investissement durable? Plus on en apprendra, plus on aura besoin de données, de capacité et de modélisation. Ils seront nécessaires au fil du temps.
Ce que j’ai constaté, c’est que le Canada était le champion des projets pilotes. Nous investissons une fois, puis nous cessons d’investir. Je suis heureux de vous entendre, mais je suis aussi préoccupé.
Pouvez-vous nous aider à comprendre quels sont les investissements à long terme dans ce travail important?
Mme Ladell : Je peux vous parler de ce que nous avons déjà. Je ne suis pas en mesure de vous parler de l’avenir et du financement que nous pourrions recevoir ou non. Vous soulevez un point essentiel : jusqu’à présent, le financement du Programme sur les espèces en péril de Pêches et Océans Canada a principalement été ponctuel. Nous avons principalement recours au financement temporaire. Je ne sais pas si vous le voyez. Il s’agit d’un financement octroyé pour un certain nombre d’années.
Le financement dont je viens de parler visait deux investissements importants d’environ 155 millions de dollars sur cinq ans, annoncés en 2018. Nous en sommes à la dernière année du financement. Nous voulons évidemment le renouveler. L’initiative du Patrimoine naturel bonifié a été créée en 2021 et prendra fin en 2025-2026; rien ne garantit que le financement sera maintenu au-delà de la dernière année.
Le sénateur Kutcher : Mais il est essentiel. Êtes-vous d’avis...
Mme Ladell : Il est tout à fait essentiel.
Le sénateur Kutcher : ... que ce financement est nécessaire pour poursuivre ce travail critique? Sinon, vous ne pourrez pas aborder ces enjeux.
Mme Ladell : Je suis tout à fait d’accord avec vous.
Le sénateur Kutcher : Pouvez-vous le redire?
Mme Ladell : Vous voulez que je répète ce que vous venez de dire?
Le sénateur Kutcher : Il y a une raison derrière cela.
Mme Ladell : D’accord. Je suis d’avis qu’il est essentiel d’avoir un financement stable à long terme pour le Programme des espèces en péril de Pêches et Océans Canada.
Le sénateur Kutcher : Merci.
Le président : Nous allons vous citer dans notre rapport.
La sénatrice R. Patterson : Ce n’était pas prévu. Je vais me centrer sur ce domaine également. Les espèces en péril ne peuvent attendre encore 10 ans avant l’obtention du financement fédéral. La morue aura alors disparu.
L’un des critères clés du gouvernement pour la prise de décisions — et c’est probablement le cas pour vous également —, c’est l’intégration des données dans l’ensemble des systèmes. Le gouvernement fédéral est très bon pour créer des silos en matière d’excellence, ce qui rend les échanges très difficiles.
On peut avoir un portrait à jour dans le but d’obtenir du financement. Madame Ladell, vous avez parlé en détail de l’écosystème que vous tentez de protéger.
J’aimerais vous poser une question relative à la gouvernance, au sujet de la collecte et des systèmes de données. Quelles mesures devrions-nous prendre pour mieux intégrer les données des divers ministères, afin de dresser un portrait holistique de la situation de l’ensemble de l’environnement aquatique?
Mme Dostal : Je peux répondre à la première partie de cette question. M. Nadeau pourra ensuite nous faire part de son opinion sur le sujet.
Lorsque nous parlons des données, nous faisons référence à tout ce qui les compose. Le caractère essentiel des données est fondamental. On parle des espèces en péril, mais cela vise l’ensemble de nos programmes.
Le sénateur Kutcher a évoqué les aires marines protégées. Les données sur les espèces en péril peuvent nous orienter dans ce domaine. Ce sont là deux programmes. Nous avons un ensemble de programmes qui interagissent entre eux. Je ne crois pas pouvoir répondre à votre question de façon précise. M. Nadeau peut peut-être vous en dire plus sur le sujet.
Ce que je peux vous dire, c’est que les données sont très importantes pour le ministère des Pêches et des Océans. Or, ce que vous dites est aussi vrai. C’est à cela que je faisais référence lorsque j’ai parlé de notre responsabilité à l’égard des espèces aquatiques. C’est aussi la responsabilité de Parcs Canada lorsqu’elles se trouvent dans les parcs, par exemple.
Pour aller un peu plus loin — et pour établir un lien avec la recommandation du commissaire à l’environnement et au développement durable —, nous avons parlé de l’eau douce, par exemple, et de l’importance des données recueillies par la province. La science permet de nous orienter, lorsque nous avons une liste des espèces.
J’irais encore plus loin et je dirais que les données visent l’ensemble du ministère, le gouvernement et aussi nos partenaires. Nous étudions la question, surtout avec les provinces. La recommandation du commissaire nous a donné des munitions supplémentaires en vue d’aller de l’avant et de songer aux façons de renforcer la collaboration avec les provinces et les territoires. M. Nadeau a peut-être plus de détails à vous donner à ce sujet.
M. Nadeau : J’ai parlé plus tôt du Programme sur la situation générale des espèces sauvages au Canada. Il s’agit d’un programme fédéral-provincial-territorial qui nous permet de nous réunir pour déterminer le statut de conservation des espèces biologiques au pays. Il s’agit d’un effort nous permettant d’associer les forces aux renseignements.
Il y a aussi les Rapports sur l’état de l’environnement, préparés par Environnement et Changement climatique Canada et le ministère des Pêches et des Océans, sur l’état de l’environnement marin et aquatique. Nous sommes la principale source d’information dans le domaine de l’environnement marin et nous travaillons avec d’autres ministères, dont Environnement et Changement Climatique Canada, afin de recueillir les renseignements sur le sujet. Nous sommes toutefois le principal dépôt d’information sur l’environnement marin.
Les collaborations relatives à l’eau douce visent divers domaines. Les centres de données sur le patrimoine ou la conservation intègrent les renseignements obtenus de divers ordres de gouvernement afin de dresser le portrait des espèces et des écosystèmes d’intérêt. Cela représente un défi, parce que les diverses entités ont des normes, des objectifs et des méthodes distincts. Je suis d’accord avec vous. Il est essentiel de pouvoir fusionner tous les renseignements pour faire le suivi des changements et de l’environnement, et connaître l’état des écosystèmes clés qui peuvent être en péril.
C’est notre objectif. Nous avons établi une politique sur la transparence, et nous communiquons les données dès que nous le pouvons, souvent après qu’elles aient été analysées et examinées par les pairs. Je suis d’accord avec vous : il s’agit d’une mesure essentielle que les Canadiens souhaiteraient nous voir prendre de façon collective.
La sénatrice R. Patterson : J’entends tout cela. Diriez-vous que dans le cadre d’un financement durable et de votre stratégie de développement durable, vous avez besoin d’une capacité à assurer l’intégration des données afin de prendre des décisions raisonnables en matière de protection de l’environnement, des pêches et des espèces en péril?
M. Nadeau : L’intégration des données nous serait utile dans certains domaines. Nous profiterions aussi de l’accélération de l’intégration afin de rendre les données publiques plus rapidement.
Le président : Je remercie les témoins pour la discussion très informative d’aujourd’hui. Notre séance a été très productive.
Avant de mettre fin à la réunion, je tiens à dire aux membres du comité que nous organiserons sous peu une séance à huis clos pour discuter des consultations auprès des propriétaires-exploitants, puisque le premier groupe de témoins de la présente réunion était le dernier que nous entendions sur le sujet.
La greffière organisera une discussion à huis clos à cette fin. Sur ce, je vous souhaite à tous une excellente journée. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)