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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 30 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, avec vidéoconférence, à 9 h 8 (HE). Le Comité entreprend son examen de la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, déposé auprès du greffier du Sénat le 12 juillet 2022.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, je m’appelle Fabian Manning. Je suis sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai le plaisir de présider la réunion aujourd’hui.

Ce matin, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. En cas de difficultés techniques, notamment avec l’interprétation, veuillez le signaler à la greffière ou à la présidence et nous nous efforcerons de résoudre le problème. J’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter brièvement.

La sénatrice Ataullahjan : Je m’appelle Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

Le sénateur Ravalia : Bonjour et bienvenue à tous. Je suis le sénateur Mohamed Ravalia, et je représente Terre-Neuve-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy, et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue.

La sénatrice M. Deacon : Je m’appelle Marty Deacon, et je viens de l’Ontario. Bienvenue.

Le sénateur Francis : Bonjour et bienvenue. Brian Francis, je représente l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice R. Patterson : Bienvenue. Rebecca Patterson, de l’Ontario.

Le sénateur Kutcher : Bonjour. Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je vous remercie, honorables sénateurs.

Le 7 mars 2023, la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, intitulé Paix sur l’eau, a été déposée auprès du greffier du Sénat. Un ordre de renvoi visant à étudier la réponse du gouvernement a été transmis au comité le 24 février 2023.

Aujourd’hui, dans le cadre de ce mandat, le comité entendra les deux témoins suivants : Ken Paul, négociateur des pêches et coordonnateur de la recherche, de la nation Wolastoqey du Nouveau-Brunswick, et le chef Junior Gould, directeur général régional, région des Maritimes, de la Première Nation Abegweit. Veuillez excuser mon accent terre-neuvien si j’ai mal prononcé vos titres ou vos noms.

Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Je crois savoir que les deux témoins ont des remarques préliminaires à faire. Les membres du comité auront ensuite des questions à vous poser. Monsieur Paul, je vous cède la parole en premier. Je vous remercie de votre attention.

Ken Paul, négociateur des pêches et coordonnateur de la recherche, nation Wolastoqey du Nouveau-Brunswick :

[mots prononcés en langue autochtone]

Je suis originaire de la communauté wolastoqey de Nequtkuk, également connue sous le nom de Première Nation de Tobique.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à saluer le sénateur à la retraite Dan Christmas, dont je sais qu’il a joué un rôle déterminant dans les travaux du comité et dans l’élaboration du présent rapport. M. Christmas a des liens avec ma communauté d’origine, Tobique, et nous le considérons comme un ami et un membre de la famille. J’espère sincèrement qu’il profite pleinement de sa retraite.

J’aimerais commencer par vous parler un peu de notre nation. La nation Wolastoqey occupe depuis des temps immémoriaux les terres et les plans d’eau qui transcendent les frontières du Nouveau-Brunswick, du Québec et de l’État du Maine. Notre territoire comprend Wolastoq, le riche et magnifique fleuve que vous connaissez sans doute mieux sous son nom colonial : le fleuve Saint-Jean. Nos eaux comprennent la baie de Fundy et les abords du golfe du Maine; mes ancêtres ont pratiqué la pêche dans ces eaux et assurent leur protection depuis des temps immémoriaux. Les territoires à l’est et à l’ouest du nôtre appartiennent à nos nations sœurs des Micmacs et des Passamaquoddy, avec qui nous avons une relation de nation à nation. Les Premières Nations au Nouveau-Brunswick comprennent Oromocto, St. Mary’s, Kingsclear, Woodstock, Tobique et Madawaska.

La nation Wolastoqey a conclu des traités de paix et d’amitié avec la Couronne. Nous sommes reconnaissants à la Cour suprême du Canada d’avoir confirmé la validité du traité de 1752 dans l’arrêt Simon et du traité de 1760-1761 dans l’arrêt Marshall, mais nous rappelons au Canada que notre relation a commencé avec le traité de 1725. Nos traités ne cèdent aucun titre de propriété des terres ni des ressources. Ils garantissent les droits inhérents des Wolastoqiyik sur notre territoire, y compris le droit de pêcher. Comme vous le savez, la nation Wolastoqiyik jouit également d’un droit inhérent protégé par la Constitution, en vertu de l’article 35, à l’autonomie gouvernementale, à l’instar de toutes les Premières Nations au pays.

L’un de nos chefs, Allan Polchies Jr., a comparu devant le comité à la même époque, ce qui a contribué au rapport sénatorial intitulé Paix sur l’eau. Nous saluons le travail mené par le comité et les 10 recommandations qui ont été formulées.

Néanmoins, nous avons étudié la réponse du gouvernement du Canada, par l’entremise du ministère des Pêches et des Océans, le MPO, et nous sommes déçus qu’il ait indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’apporter des modifications importantes à ses lois, à ses règlements, à ses politiques ou à ses programmes. Le mandat et les outils limités dont dispose le MPO pour faire valoir nos droits en vertu de l’article 35 restreignent sérieusement la capacité du Canada à remplir ses obligations de reconnaître et de soutenir notre nation. Nous tenons à rétablir la gouvernance de nos terres, de nos eaux et de nos ressources.

Bien que nos communautés membres aient participé à différents programmes, tels que la SPA, l’Initiative de l’après‑Marshall, l’IPCIA et le PAGRAO, nous sommes en total désaccord avec les affirmations du MPO selon lesquelles ces programmes fondés sur les droits représentent une forme quelconque de réalisation, partielle ou autre, de nos droits ancestraux inhérents à l’article 35 et protégés par les traités. Nos dirigeants ont signé ce type d’accords pour accéder à des opportunités temporaires de renforcement des capacités. Le MPO évite systématiquement de mettre en place les changements réels susceptibles d’améliorer les choses pour notre nation et pour honorer les obligations constitutionnelles du Canada.

Bien que les représentants du MPO parlent souvent de collaboration avec les Premières Nations, dans la pratique, ils s’appuient fortement sur une approche de « tout ou rien » qui n’apporte que des changements superficiels.

Les traités et les ententes constituent des accords provisoires. La SPA est une stratégie et non la mise en œuvre d’un droit. La SPA offre des occasions de formation et de suivi à nos membres, mais sa portée demeure très limitée. Il n’y a pas eu de changement significatif dans le financement ou la portée de la stratégie du gouvernement fédéral depuis les années 1990, malgré l’évolution constante des besoins environnementaux et sociaux au sein de nos territoires, et des plans d’eaux qui nous appartiennent. Par ailleurs, le MPO a également décidé de lier l’octroi de permis pour des projets sociaux et cérémonieux aux accords de la SPA.

Les permis délivrés à des fins ASR sont également très insuffisants pour répondre aux besoins réels des membres de nos communautés. La politique ASR était une mesure provisoire en réponse à l’arrêt Sparrow de 1990. Le MPO n’est toujours pas en mesure d’appliquer cette décision. Notre ASR n’a pas d’accès prioritaire, ce qui fait partie de la décision de la Cour suprême. Bref, le MPO continue de favoriser son industrie commerciale au détriment de nos droits.

Les permis ASR portent également atteinte à nos droits. En effet, ces permis limitent les Premières Nations à pêcher un certain nombre d’espèces énumérées, et établissent des restrictions concernant le lieu, la méthode et la période de l’année. Autrement dit, ces permis exigent des Premières Nations qu’elles suspendent leurs droits. Plusieurs de nos communautés n’ont pas signé son permis ASR depuis un certain nombre d’années en raison de la suspension de nos droits. Ce faisant, nos communautés ont malheureusement dû renoncer au soutien financier du gouvernement fédéral pour le travail sur le terrain et l’emploi. En réponse à cette situation, la ministre tente toujours d’imposer la signature des permis ASR aux Premières Nations qui ne les ont pas ratifiés. Par conséquent, certaines Premières Nations finissent par signer de tels accords sous la contrainte, car elles dépendent de la SPA pour financer leurs travaux de surveillance et fournir des emplois dans leur population. Nous ne comprenons pas pourquoi le MPO n’a pas reconnu l’arrêt Sparrow ou l’exigence d’accès prioritaire dans sa réponse au comité.

Le régime commercial communal est également une mesure provisoire. L’Initiative après-Marshall, et maintenant les accords sur l’IPCIA, ont été mis en place pour offrir des débouchés économiques aux Premières Nations, et pour leur donner le temps d’appliquer la directive de la Cour suprême et l’intention réelle des traités de paix et d’amitié. Néanmoins, je rappelle que nous sommes dans la 23e année depuis l’arrêt Marshall et qu’il n’y a toujours pas eu de gestes substantiels de la part du gouvernement fédéral pour reconnaître notre autodétermination et notre capacité à gouverner nos territoires, nos eaux et nos ressources traditionnelles.

En ce qui a trait aux négociations sur les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits, nous sommes déçus que le mandat et l’offre que le gouvernement a présentée au début du processus n’aient pas changé malgré des années de négociations et d’échanges de renseignements. Les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits comportent plusieurs problèmes, notamment l’obligation de suspendre nos droits pendant la durée de l’accord, ainsi que l’utilisation limitée des fonds pour l’achat de permis commerciaux, de bateaux et d’équipement. Ces ententes sont en quelque sorte une version améliorée de l’IPCIA.

Bien que la ministre ait vanté le financement accordé à l’Initiative après-Marshall et à l’IPCIA, nous devons préciser que ces fonds profitent principalement à l’industrie de la pêche commerciale, et non à nos Premières Nations, en raison de la politique du MPO qui consiste à effectuer des achats et des ventes de gré à gré. Les détenteurs de permis de pêche commerciaux bénéficient d’un avantage grâce à ces fonds. Par contre, les membres des Premières Nations sont obligés, dans la plupart des cas, d’utiliser ces fonds pour acheter des permis à prix gonflés aux détenteurs de permis existants. Le programme de vente de gré à gré représente une approche politique particulièrement inefficace, contrairement aux déclarations publiques du MPO. Ce programme repose également sur le présupposé rétrograde selon lequel les membres des Premières Nations ne pourront avoir accès à leurs propres pêcheries, protégées par la Constitution, que si des pêcheurs commerciaux acceptent de leur revendre leurs propres droits.

Une telle approche n’a ainsi rien de juste ni d’équitable. Le MPO enfreint depuis des décennies nos droits ancestraux et protégés par les traités, et aborde toujours l’enjeu des pêcheries en favorisant les détenteurs de permis commerciaux, lesquels bénéficient d’un accès privilégié de la part du ministère. Quant aux Premières Nations, elles ne sont pas toujours prises en compte.

Tous les accords que le MPO souhaite nous faire signer exigent que nous fassions rapport au ministère, et confèrent le pouvoir décisionnel à la ministre. Le MPO ne peut s’appuyer que sur la Loi sur les pêches pour tenter de tenir compte de nos droits, et exige de notre nation qu’elle accepte, au mieux, des accords de collaboration. Toutefois, je rappelle que notre nation possède des droits ancestraux inhérents protégés par des traités qui ne peuvent pas être injustement limités par une loi fédérale, telle que la Loi sur les pêches. Nos dirigeants, anciens et actuels, n’ont jamais cédé d’autorité sur nos territoires, nos eaux et nos ressources. Tout accord conclu avec le Canada ou avec la Couronne doit reconnaître notre autorité. Nous avons également besoin de financement et de soutien pour rétablir nos lois et améliorer nos capacités scientifiques, nos capacités de surveillance, nos opportunités économiques, et tout ce qui concerne la pêche et les ressources marines. Ce sont là quelques piliers nécessaires à l’exercice d’une bonne gouvernance.

Nous appuyons la recommandation du comité de mener dorénavant les négociations principales avec RCAANC, le MPO exerçant un rôle consultatif. Malheureusement, le mandat du MPO se limite explicitement aux dispositions de la Loi sur les pêches et aux politiques actuelles. La ministre a reconnu cette limitation dans sa réponse en faisant référence aux ententes d’autonomie gouvernementale. L’objectif du MPO est de favoriser le rendement maximal et durable des pêcheries. Autrement dit, les pêcheries sont considérées avant tout comme des entreprises exploitables pour le Canada, et régies par la Loi sur les pêches.

Même si nous allons continuer de chercher des débouchés économiques dans l’industrie de la pêche pour nos collectivités, notre approche, fondée sur nos valeurs, sera d’accorder la priorité à la viabilité à long terme de toutes nos pêches. Notre approche holistique provient de nos traditions et de nos valeurs, qui sont axées sur l’abondance plutôt que simplement sur la durabilité. Nous n’envisageons pas la ressource uniquement dans une optique monétaire. Nous avons la responsabilité d’examiner tous les facteurs qui ont une incidence sur la santé et l’abondance des espèces marines, au-delà du mandat strict du ministère. Nous ne croyons pas que le MPO a la capacité de le faire dans le cadre de la Loi sur les pêches.

Plus que quiconque, nous nous préoccupons de la durabilité des pêches, mais nous avons besoin que le gouvernement reconnaisse notre autorité de gouvernance et qu’il nous offre du soutien afin de nous aider à mettre en place les divers éléments nécessaires pour assurer la gouvernance et la gestion de nos terres, de nos eaux et de nos ressources, et nous voulons que le gouvernement canadien respecte les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans Sparrow et Marshall ainsi que d’autres directives de la CSC. Nous voulons aussi que le gouvernement nous octroie un accès prioritaire à nos ressources dans nos territoires traditionnels. Un cadre stratégique et législatif qui demeure fondé sur les iniquités et les préjugés coloniaux qui existent depuis des décennies ne nous procurera jamais des résultats positifs.

Sur ce, je vous dis wela’lin. Je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Paul. Vous avez parlé du sénateur Christmas, et je peux vous assurer que le comité s’ennuie de ses conseils et de son travail très productif. Nous aussi nous lui souhaitons le meilleur.

Chef Gould, allez-y.

Junior Gould, chef, Première Nation Abegweit : J’aimerais reconnaître le territoire d’où je viens, Abegweit, que l’on connaît comme étant l’Île-du-Prince-Édouard. Notre territoire couvre la province, mais il s’étend aussi dans le District 7. Notre district va jusqu’à Pictou Landing, dans l’île Pictou.

J’aimerais aussi saluer l’ancien chef de la Première Nation Abegweit, le sénateur Francis, qui est présent aujourd’hui. Cela fait partie du processus de réconciliation. Il faut avoir les bonnes personnes aux bons endroits. Je salue donc le sénateur Francis. Merci.

Kwe, bonjour. [mots prononcés en langue autochtone] Au nom de la Première Nation Abegweit, je tiens à remercier le président, le sénateur Manning, et tous les membres du comité pour le temps, les efforts et l’attention consacrés à la rédaction du rapport Paix sur l’eau ainsi que pour la qualité de leur travail. Je tiens aussi à remercier la ministre Murray et le gouvernement du Canada d’avoir répondu à ce rapport, et j’encourage la ministre et son ministère à considérer ce travail comme étant urgent.

Aujourd’hui, je vais vous faire part de mon opinion au sujet de la réponse du gouvernement au rapport Paix sur l’eau en tant que capitaine et titulaire d’un permis de pêche communautaire depuis 15 ans. Avant l’arrêt Marshall, j’étais un agent de la police tribale, un gendarme auxiliaire de la GRC. Outre mon travail en tant que pêcheur et en tant que chef de la Première Nation Abegweit, j’occupe aussi depuis peu les fonctions de chef régional intérimaire de l’Assemblée des Premières Nations de l’Île-du-Prince-Édouard. J’apporte donc à la discussion une perspective nationale des Premières Nations.

Je vais commenter la réponse officielle du ministère de la ministre Murray et du gouvernement du Canada aux recommandations 1, 2, 6 et 7 formulées dans le rapport Paix sur l’eau.

Dans la pratique, les décisions relatives aux quotas de pêche selon les espèces sont fondées sur l’effort. Toutes les parties prenantes se font dire que ces décisions sont fondées sur la science et la conservation. Cependant, dans la pratique, les quotas de pêche selon les espèces sont attribués d’abord aux pêcheurs commerciaux, aux associations de pêcheurs, aux loteries et en dernier lieu aux autres, ce qui inclut les Premières Nations.

Je recommande que toutes les décisions relatives aux quotas de pêche selon les espèces soient prises en fonction de données indépendantes sur la conservation et la science ainsi que du savoir autochtone. Les quotas devraient être alloués dans l’optique de la conservation et de la science aux détenteurs de droits des Premières Nations en premier lieu, puis aux titulaires de permis de pêche commerciale, aux associations de pêcheurs, aux loteries et en dernier lieu aux autres. Nous ne faisons pas partie des « autres ».

Je recommande que le ministère s’assure que tous les experts autochtones en matière de pêche soient présents aux tables des décisions à tous les niveaux.

Je recommande également que la ministre mette fin à la pratique selon laquelle les décisions sont fondées sur la vision du MPO et de la GRC de la réglementation et de l’application de la loi, laquelle donne l’impression aux collectivités non autochtones que les pêches autochtones ne sont pas fondées sur les droits, et qu’elles doivent plutôt s’adapter à la pratique actuelle et à l’histoire de la pêche commerciale.

Depuis peu, notre Première Nation cherche à conclure un accord de nation à nation pour permettre la gestion conjointe de nos pêches. C’est une démarche que j’ai entreprise personnellement. Lorsque tous les intervenants participent davantage au processus, cela rend ce processus proactif, et non réactif, et favorise la collaboration.

Les accords sur les droits et la réconciliation qui exigent d’une Première Nation qu’elle renonce à ses droits pendant une période de 5 à 10 ans ne contribuent pas à créer un climat de confiance et font fi du principe selon lequel les pêches des Premières Nations sont fondées sur les droits, confirmés dans un arrêt de la Cour suprême. Ils contribuent plutôt à favoriser l’approche en matière de réglementation et d’application de la loi fondée sur le statut adoptée par le MPO et la GRC, laquelle continue de causer des remous, comme on l’a vu à Burnt Church et à Saulnierville plus récemment.

Étant donné que la ministre des Pêches est disposée à travailler avec le ministre des Relations Couronne-Autochtones, je recommande que le ministre des Relations Couronne-Autochtones assume l’autorité principale dans le cadre de la mise en œuvre d’une pêche fondée sur les droits.

En ce qui a trait à la réponse de la ministre aux recommandations 3, 4, 8 et 9, je recommande ce qui suit :

Premièrement, il faut mettre fin à la pratique selon laquelle le MPO et la GRC dictent l’application de la loi et la réglementation sans une véritable collaboration et un vrai respect. De telles politiques et pratiques à l’échelon fédéral n’ont pas fonctionné pour les pensionnats et elles ne fonctionneront pas non plus pour les pêches.

Deuxièmement, il faut partir du principe que les Premières Nations disposent du droit de pêcher pour s’assurer une subsistance convenable.

Troisièmement, il faut inscrire sur tous les permis octroyés par le MPO que l’octroi est fondé sur la Loi sur les pêches, sur la conservation et sur le droit constitutionnel des Premières Nations de pêcher. Durant les discussions que j’ai eues à l’Île-du-Prince-Édouard, c’est le principal problème qui a été soulevé. Il ne m’appartient pas en tant que dirigeant autochtone d’expliquer aux pêcheurs non autochtones en quoi consiste notre droit; c’est votre responsabilité. En tant que gouvernement du Canada, vous avez manqué à votre devoir d’expliquer aux contribuables canadiens la différence entre un droit et un privilège.

Quatrièmement, la ministre doit examiner les processus internes du ministère et éliminer de nombreuses étapes dans les systèmes de production de rapports, de reddition de comptes et de gestion du travail. Cela démontrera qu’il y a de la confiance et de la reddition de comptes en ce qui a trait au financement au sein de la Couronne et des Premières Nations. Toutes les nations font l’objet d’une vérification indépendante, ce qui les oblige à rendre compte des sommes dépensées et des investissements effectués par le ministère. Nous trouvons qu’il n’y a pas lieu de maintenir notre peuple dans le besoin. Toutes les Premières Nations font l’objet d’une vérification, alors ces pratiques n’ont pas leur raison d’être.

Cinquièmement, je recommande que la ministre cherche des moyens d’offrir une formation continue sur les droits des Premières Nations à tous les ordres de gouvernement et aux intervenants au sein des collectivités de pêcheurs. Une formation continue devrait être offerte dans les collectivités autochtones. À titre d’exemple, dans le cadre des discussions sur la subsistance convenable à l’Île-du-Prince-Édouard, j’ai rencontré des représentants de l’Association des pêcheurs de l’Île-du-Prince-Édouard, de l’administration portuaire, de la GRC, du MPO, d’écoles locales et de groupes non autochtones. J’ai eu des discussions fructueuses et pacifiques avec eux. Ce travail prend du temps et il devrait être appuyé financièrement.

Enfin, à propos de la recommandation 10 concernant l’établissement de rapports, la ministre affirme que son ministère utilise son propre rapport sur les résultats ministériels, qui est rendu public annuellement et qui fait le point sur les progrès réalisés relativement à la mise en œuvre du système fondé sur les droits. Je recommande à la ministre de confier à une tierce partie la tâche d’effectuer une évaluation indépendante de la mise en œuvre des droits de pêche et de produire annuellement un rapport à cet égard. Ce travail permettrait de donner aux parties prenantes l’assurance que le gouvernement du Canada est résolu à rendre des comptes et de fournir aux décideurs de l’information impartiale et exempte de biais potentiels.

En terminant, je tiens à dire que je serai ravi de répondre à vos questions et de commenter la réponse du gouvernement au rapport Paix sur l’eau. Il s’agit d’un travail urgent. Des gens de ma collectivité seront sur l’eau la semaine prochaine, et je suis préoccupé. C’est un dossier urgent. Il n’existe pas de solution facile. Nous devons considérer que cette question est urgente, travailler ensemble pour trouver des solutions et mettre entièrement en œuvre une pêche fondée sur les droits.

Wela’lioq.

Le président : Merci, chef. Je vous remercie tous les deux pour vos déclarations liminaires. J’ai une liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions.

Le sénateur Francis : Je remercie les témoins.

Vous avez tous les deux abordé le sujet durant votre exposé, mais je voudrais y revenir pour obtenir des précisions. Dans son rapport Paix sur l’eau, le comité a recommandé que le gouvernement fédéral suive une approche de réaffectation plutôt que l’approche actuelle de rachat. Toutefois, dans la réponse du gouvernement, la ministre Murray réitère la préférence de son ministère pour l’approche de rachat, mais elle reconnaît que l’absence de vendeurs consentants à la valeur marchande ne peut constituer un obstacle à la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits. Convenez-vous qu’une approche de réaffectation est nécessaire, car l’approche de rachat n’a pas du tout été couronnée de succès étant donné que les titulaires de permis de pêche commerciale ne sont pas disposés à vendre leurs permis ou leurs quotas à un prix du marché raisonnable, surtout lorsqu’il s’agit de permis pour une pêche lucrative comme la pêche au homard?

M. Gould : Je vais répondre en premier.

Comme je l’ai dit durant mon exposé, le système actuel ne fonctionne pas. Je pense que le gouvernement fédéral a créé un système ascendant, assorti de politiques et de procédures, et le statu quo ne fonctionne pas. Par exemple, en raison de l’arrêt Marshall, qui a donné lieu à une entente d’accommodement, le processus de rachat a été exacerbé. Je crois que la juste valeur marchande équivalait au double ou au triple de la valeur du permis dans l’industrie. Cela crée un précédent. Continuer cette pratique ne fonctionnera pas.

Le problème avec tous ces processus, c’est qu’ils ont lieu à un niveau inférieur. Il n’y a pas de discussions de nation à nation. Ces discussions sont très simples. Je vais vous donner un exemple. À l’Île-du-Prince-Édouard, il était question de conclure un accord sur les droits et la réconciliation, un ADR. Le processus de rachat des permis mis en réserve ne devrait pas être utilisé par le ministère pour nous pousser à renoncer à nos droits en tant que Premières Nations. Nous disposons d’un ADR. Je peux vous dire que le peuple de notre région a pu obtenir des permis mis en réserve parce qu’il avait signé un accord. Il n’y a pas eu une négociation de bonne foi. Il n’y a pas eu une négociation de nation à nation. Le ministère tire parti du processus.

Il tire parti des pratiques et des politiques au sein d’une industrie de la pêche basée sur l’effort, qui est axée sur le piégeage et les espèces visées par la recherche scientifique et la conservation. C’est ainsi que l’industrie est gérée. Ce n’est pas une industrie de la conservation. Le MPO a le droit d’octroyer des permis en se fondant là-dessus et sur ses données scientifiques. C’est une industrie basée sur l’effort. S’il octroie davantage de permis afin de respecter les droits protégés par la Constitution du Canada, alors c’est simple. Il existe d’autres façons de faire. On ne s’est tout simplement jamais adressé à nous à cet égard. Nous avons affaire à des bureaucrates du ministère, et cela nous nuit. Nous avons exercé la diligence nécessaire et nous continuons de l’exercer.

M. Paul : Voici notre vision du programme de rachat. Des ententes provisoires ont été mises en œuvre à la suite de l’arrêt Marshall. Ces ententes étaient censées être en vigueur pendant trois ans. Le gouvernement du Canada a pris la décision unilatérale de les prolonger. Ces ententes ont eu des retombées économiques pour nos collectivités, qui ont été en mesure de pratiquer une pêche commerciale pour la toute première fois sans craindre la persécution. Cependant, ces ententes provisoires devaient servir à gagner du temps pour permettre aux participants aux négociations de déterminer comment interpréter les traités dans un contexte moderne. On a créé l’Initiative des pêches commerciales intégrées de l’Atlantique, l’IPCIA, et maintenant, l’ADR est essentiellement identique à l’IPCIA en ce sens qu’il nous restreint. Nous pouvons seulement acheter des permis, des bateaux ou de l’équipement. Notre nation compte six collectivités. Nous ne disposons pas d’un port, d’usines de transformation, d’installations d’entreposage ni de camions. Si nous pouvions obtenir tout cela grâce à des fonds, ce serait fantastique pour nous, car nous devons faire partie de la chaîne de valeur.

L’autre problème, c’est qu’on peut avoir l’impression qu’une collectivité des Premières Nations va obtenir des fonds, mais ce n’est pas ce qui se produit. Par exemple, si l’une de nos collectivités a conclu une entente de 10 millions de dollars, eh bien, cet argent ne bénéficie pas à la collectivité, mais plutôt aux pêcheurs commerciaux qui sont disposés à vendre leurs permis. La collectivité n’obtient donc pas 10 millions de dollars. En outre, les prix gonflés — car il s’agit d’un marché libre — causent également des problèmes. Une somme de 10 millions de dollars peut sembler un gros montant, mais vous êtes chanceux si vous pouvez obtenir neuf permis de pêche au homard avec cet argent. Cette somme ne permet même pas d’acheter un permis de pêche au crabe des neiges, car un tel permis coûte entre 12 et 14 millions de dollars. Un permis de pêche à la civelle coûte des dizaines de millions de dollars. Cela est insensé à nos yeux.

Le MPO a le pouvoir de prendre des décisions à cet égard. La ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire. Si le MPO insiste pour maintenir le total autorisé des captures ou pour limiter le nombre de casiers à homards, nous demandons à la ministre de faire le nécessaire pour fournir un accès temporaire.

Le sénateur Francis : Ma question complémentaire est la suivante: à votre avis, est-il plus que temps que le gouvernement fédéral prenne des mesures immédiates pour abandonner sa préférence pour les ententes à court terme, notamment les ADR d’une durée de 5 à 10 ans, et, le cas échéant, est-ce qu’une nouvelle mesure législative distincte de la Loi sur les pêches pourrait constituer une solution permanente?

M. Paul : J’estime qu’un changement important s’impose. On ne peut pas procéder dans le cadre de la Loi sur les pêches. Nos droits ne peuvent pas être assujettis à la Loi sur les pêches. Si on élabore une nouvelle mesure législative, ce serait fantastique, mais nous voulons négocier la gouvernance. Je l’ai mentionné durant mon exposé. La gouvernance implique la mise en œuvre de certains éléments, comme la surveillance, le développement de nos propres capacités scientifiques — qui incluront notre savoir autochtone —, l’amélioration éventuelle du rôle de gardien, etc. Nous ne bénéficions pas toutefois du soutien nécessaire pour faire ce genre de travail. C’est un travail nécessaire à la bonne gouvernance, et nous ne pouvons pas le faire sous la férule de la Loi sur les pêches du MPO.

La Loi sur les pêches du MPO vise à ce que nous pêchions en respectant nos politiques sur les pêches commerciales communautaires — qui sont très semblables aux politiques sur les pêches commerciales — ou à des fins alimentaires, sociales et rituelles. C’est limité. Par ailleurs, la ministre a toujours le dernier mot sur ce que nous faisons. Dans le cadre d’une relation de nation à nation, je crois que c’est contraire à l’esprit des négociations de traités.

M. Gould : Je vous remercie pour votre question, sénateur. C’est une bonne question, qui fait suite à la première.

Le statu quo ne fonctionne pas, comme je l’ai dit durant mon exposé. Si nous remontons dans le temps, nous pouvons constater que les pensionnats ont été un échec du gouvernement fédéral. Cela a marqué l’esprit de tous et cette partie de notre histoire assez récente nous démontre comment le gouvernement gère le problème indien. Nous nous présentons devant vous aujourd’hui avec honneur, nous qui, dois-je dire respectueusement, constituons le problème indien.

Nous formulons des recommandations en fonction du problème que nous constatons et nous présentons une solution rapide. Je pense que le contrôle bureaucratique exercé par le ministère et la représentation coloniale des Autochtones au sein du gouvernement fédéral servent à déplacer la responsabilité. L’histoire des méthodes employées par le gouvernement fédéral avec les Premières Nations le montre bien. Le terme relation de nation à nation est un bon terme, mais la relation de nation à ministère vous permet de contourner votre responsabilité en tant que gouvernement. Ce genre de choses devraient relever d’un autre ministère, à savoir le ministère des Relations Couronne-Autochtones. Une relation de nation à nation implique ce genre de respect. La hiérarchie descendante au sein du gouvernement et la façon dont le gouvernement gère les choses sont un peu insultantes. Vous nous placez au bas de l’échelle. C’est ainsi dans vos politiques et dans la loi du MPO.

Monsieur le sénateur Francis, à l’époque de l’ancien chef, nous travaillions avec les règles et les règlements du MPO. À l’heure actuelle, ma communauté joue un rôle constructif dans l’industrie, et c’est le cas depuis l’arrêt Marshall. On nous a donné l’accès aux ressources et à des occasions. Nous en sommes reconnaissants. Les habitants d’Abegweit ne veulent pas revenir en arrière. Nous n’avons pas non plus accès à un port pour améliorer notre accès à l’industrie. Nous sommes très limités à cet égard. Cependant, nous progressons. Le pouvoir du peuple réside dans les gens qui travaillent sur le terrain. Le pouvoir de la gestion est ici, à ce niveau-ci, et consiste à donner un meilleur accès et à protéger nos générations futures. Ce pouvoir concerne les chefs et la représentation. Nous pouvons vous donner des réponses techniques sans arrêt, et vous pouvez avoir recours à vos données scientifiques, mais cette façon de faire ne fonctionne tout simplement pas, et n’a jamais fonctionné. Je pense que la responsabilité devrait se situer dans les plus hautes sphères du gouvernement et qu’elle devrait être assumée par Relations Couronne-Autochtones.

Le président : Je voudrais simplement avertir mes collègues du Sénat que beaucoup de sénateurs veulent poser des questions. Pendant le premier tour, vous pourrez donc poser une seule question suivie d’une question complémentaire. Puis, s’il le faut, nous procéderons à un deuxième tour. Je veux seulement m’assurer que tout le monde puisse intervenir.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie, messieurs, de votre participation à cette réunion. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je vous informe que toutes mes questions porteront sur un seul domaine, à savoir la réponse aux recommandations 3, 4, 8 et 9 et à la partie qui traite de la formation continue. Si des fonctionnaires du MPO nous regardent, je leur demanderais de se présenter avec des données et de ne pas nous dire qu’ils nous les enverront plus tard. Très bien. Je voulais que les choses soient bien claires.

Tout d’abord, je vais me concentrer sur le programme d’éducation relatif aux pêches fondées sur les droits. Nous pouvons lire ici que :

[...] le gouvernement du Canada reconnaît l’importance de rendre l’information sur les pêches fondées sur les droits facilement accessible aux intervenants et au public.

Les questions que j’ai à vous poser à tous les deux — et je vous remercie, chef Gould, d’avoir soulevé cette question — sont les suivantes : quels programmes ont été appliqués dans vos communautés? S’il y en a, quelle a été leur incidence? L’attitude des gens a-t-elle changé? Ces programmes ont-ils modifié les connaissances et les comportements des gens? A-t-on demandé à l’une ou l’autre de vos communautés de créer, diriger, appliquer et évaluer conjointement l’un ou l’autre de ces programmes d’éducation?

M. Paul : À titre de précision, vous nous posez une question sur l’incidence dans nos communautés autochtones, dans nos communautés membres?

Le sénateur Kutcher : Oui. J’aimerais savoir ce qui se passe dans vos communautés, puis nous passerons aux questions plus générales.

M. Gould : Quelle était la première partie de votre question?

Le sénateur Kutcher : Quels programmes, parmi ceux que le gouvernement dit mettre en œuvre, avez-vous réellement vus?

M. Gould : Vous parlez des résultats?

Le sénateur Kutcher : Je parle du programme. La deuxième question est la suivante : si ces programmes se trouvent dans vos communautés, quels en ont été les résultats? Ont-ils changé l’attitude des gens? Ont-ils modifié le comportement ou les connaissances des gens en matière de pêche fondée sur les droits?

M. Gould : Je comprends votre question maintenant. Je vous remercie de votre question.

Oui et non. En ce qui concerne l’accès à l’industrie et le fait de nous donner le pouvoir et les outils qui nous permettent de faire notre place dans l’industrie en tenant compte des politiques du MPO, qu’il s’agisse d’une entente d’adaptation depuis l’arrêt Marshall, les programmes nous ont donné l’occasion de participer à des initiatives et de donner à nos membres le pouvoir de créer leur propre richesse et des emplois intéressants. Ces programmes ont fonctionné en ce qui concerne les mesures de protection allouées en matière d’argent et de ressources humaines.

Le sénateur Kutcher : Mes excuses. Les représentants du ministère nous ont dit qu’ils allaient concevoir des programmes d’éducation qui rendraient l’information sur la pêche fondée sur les droits facilement accessibles au public. Je vous demande si l’un de ces programmes a été appliqué dans vos communautés.

M. Gould : Si vous voulez sauter la première partie, ce que j’allais dire, c’est que non, cela n’a pas eu d’incidence. Comme je l’ai indiqué dans ma recommandation, je ne devrais pas, en tant que chef d’une Première Nation, devoir m’adresser aux représentants d’une autorité portuaire pour leur expliquer les droits fondés sur la décision Marshall. Je ne devrais pas avoir à le faire. Je ne devrais pas avoir à expliquer la décision Sparrow et ce qu’elle signifie. Je ne devrais pas avoir à le faire.

Ma recommandation porte sur la manière de contourner la zone grise dans laquelle nous nous trouvons actuellement et qui a été ajoutée à l’entente. Voilà ce que je dis aux pêcheurs de l’Île‑du-Prince-Édouard : le gouvernement fédéral duquel vous avez acheté ce permis vous doit une explication ou un remboursement, parce qu’il ne vous a pas dit que non seulement la politique de conservation l’exige tout comme la Loi sur les pêches, mais aussi que le droit d’accès des Premières Nations à l’industrie devrait l’exiger. Ce n’est pas à nous de nous battre avec les non-Autochtones. Le MPO et tous les niveaux du gouvernement fédéral ne les ont pas sensibilisés. J’ai donc recommandé que le permis général soit fondé sur les conditions suivantes : la conservation, que nous respectons tous ; la Loi sur la pêche, qui est la loi — et que nous respectons —, et un traité avec les Premières Nations, en guise de reconnaissance. Ils ne l’ont même pas encore fait. Il n’y a eu aucun changement dans le programme d’éducation des pêcheurs non autochtones, si ce n’est une réaction aux problèmes existants. Il n’y a donc pas eu de changement.

Le sénateur Kutcher : Pas pour les pêcheurs ni pour aucun membre du public, à votre connaissance?

M. Gould : Je n’ai rien remarqué au cours de mes 15 années d’expérience en tant que capitaine titulaire d’un permis de pêche au homard et de toutes les années que j’ai passées en tant que chef.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie.

M. Paul : Les représentants du ministère ne sont pas venus dans nos communautés pour sensibiliser la population. Je ne sais pas tout ce qui se passe, mais je ne suis au courant d’aucune demande à cet égard, et je le serais probablement si une demande était faite. On ne nous a jamais demandé de contribuer à un quelconque programme d’éducation. Très franchement, l’idée que le ministère décide d’aller de l’avant sans notre participation ne me plaît pas beaucoup, car le ministère a un point de vue différent du nôtre. Il considère les choses à travers le prisme de la Loi sur les pêches, alors que nos droits vont bien au-delà. Le chef Gould parle d’éducation générale de la population. Le sénateur Francis et nous avons dû apprendre à la dure tout ce qui avait trait au traité, car on ne nous en a jamais parlé à l’école. J’ai étudié la Révolution française, l’Union soviétique et d’autres sujets de ce genre. Je n’ai jamais étudié la question des traités au Canada. Nous avons dû apprendre ces notions sur le terrain après qu’elles ont été reconnues par la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie beaucoup. Je vais céder le reste de mon temps, car sinon, je ne m’arrêterai pas.

Le président : J’ai déjà vu cela. C’est la raison pour laquelle j’ai dit ce que j’ai dit avant de vous donner la parole.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de vos témoignages.

Dans la réponse fournie par le gouvernement, la ministre affirme qu’elle

[...] s’engage à revoir et à modifier ses lois, règlements, politiques et pratiques pertinents en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, y compris les nations signataires de traités, afin de mettre pleinement en œuvre la pêche fondée sur les droits [...]

Depuis que le Sénat a adopté le rapport du comité en septembre 2022, vos collectivités ont-elles été consultées par Pêches et Océans Canada à ce sujet?

M. Paul : Nous consultons régulièrement le ministère au sujet de nombreuses espèces différentes, mais pour ce qui est de l’engagement de la ministre, les pouvoirs de cette dernière sont très limités par le mandat du ministère, et elle ne peut pas mettre en œuvre nos droits.

Le ministère adopte une approche de gestion espèce par espèce des espèces viables sur le plan commercial. Bien sûr, les membres de notre communauté doivent tirer un avantage économique de ces ressources qui étaient gérées par nos ancêtres, mais nous sommes aussi saisis de cette éthique environnementale qui découle de notre savoir autochtone et de notre système de valeurs, et nous nous soucions de l’habitat. Nous sommes préoccupés par ce que l’on pourrait appeler les effets cumulatifs, qui dépassent parfois le mandat du ministère s’il s’agit d’éléments régis en vertu d’une loi provinciale ou par une autre entité fédérale ou provinciale. Nous recherchons ce qu’il y a de mieux pour le poisson. Nous ne cherchons pas à savoir ce qui est le mieux pour les pêcheurs. Les pêcheurs s’adapteront.

Je ne vois pas comment le ministère pourrait faire le travail qui permettrait de réellement sauver les poissons et, par extension, nous sauver en tant qu’espèce sur cette terre. Sans un secteur des pêches en santé, nous cesserons d’exister. Nous essayons d’obtenir une reconnaissance et un soutien à cet égard. Oui, le ministère des Pêches et des Océans aura probablement un rôle à jouer dans ce domaine, mais il ne devrait pas être l’autorité suprême pour tout le secteur. Selon nos traités de paix et d’amitié, nous parlons tous de territoires non cédés. Aucun de nos ancêtres n’a cédé de territoire pour cela. C’est ce que nous affirmons. Le Canada a simplement revendiqué sa compétence sur les pêches, mais nous ne savons pas s’il est possible de prouver cette compétence. C’est la raison pour laquelle nous entreprenons ces négociations. Nous tentons de trouver une solution, de définir la gouvernance, et pas seulement de déterminer les espèces de poissons auxquelles nous voulons avoir accès.

M. Gould : Sans vouloir abuser du temps qui m’est imparti, madame la sénatrice, la réponse est non. Et voici la raison pour laquelle je vous réponds « non », tout simplement. Je connais les pratiques exemplaires parce que je les ai mises en place. Tout à l’heure, j’ai parlé de la politique et des procédures réactives du gouvernement fédéral face à certains problèmes, comme celui que l’on appelle le problème indien. Nous avons toujours été traités comme tels. Je suis proactif. Je suis un chef proactif. Lorsque la pêche à des fins de subsistance convenable a été mise en œuvre à Epekwitk, à l’Île-du-Prince-Édouard, j’ai été proactif. J’ai communiqué avec le groupe tactique d’intervention de la GRC. J’ai organisé des réunions avec le personnel des écoles. Je me suis rendu dans les écoles parce que je savais que mes enfants seraient assis à côté d’enfants non autochtones, et que les commentaires empreints de haine et d’animosité existent à la maison, sur les quais ou dans les ports. Parler aux gens était pertinent. J’ai donc dû sensibiliser les enseignants. J’ai rencontré les membres du personnel. J’ai expliqué comment la Première Nation Abegweit allait se doter d’un moyen de subsistance convenable fondé sur ses droits en tant que peuple issu d’un traité. J’ai dû sensibiliser un directeur d’école secondaire. Je me suis rendu dans plusieurs écoles secondaires. J’ai créé un comité tactique auquel ont participé — et j’ai communiqué avec le MPO et lui ai demandé de se joindre au comité — des représentants de la GRC, de l’association des pêcheurs de la région et de l’association de l’Île-du-Prince-Édouard. Ils ont rencontré les membres de notre Première Nation et se sont assis avec nous. J’ai atténué la possibilité de tout conflit sur l’eau. C’est pourquoi, lorsque j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet, j’ai parlé du fond du cœur pour transmettre les préoccupations de mon peuple, pour parler des droits dont nous jouissons en vertu du traité et des pratiques infructueuses du gouvernement et du ministère. La réponse simple est donc non, ils ne nous ont pas consultés. Mais nous l’avons fait. Nous avons fait preuve de diligence raisonnable en tant que Première Nation Abegweit. Nous avons recours à tous les organismes de réglementation du MPO, que nous considérons comme une atteinte à nos droits. Mais nous avançons. Nous avançons lentement afin d’établir une relation qui nous permettra, à l’Île-du-Prince-Édouard, de vous enseigner les pratiques exemplaires, la façon dont une Première Nation peut décider pour elle-même et mettre en œuvre son propre programme et ses propres services afin d’améliorer la situation de son peuple.

La sénatrice Ataullahjan : Chef Gould, vous avez dit que vous étiez considéré comme le problème indien. Je suis très triste de voir que nous continuons à avoir des communautés marginalisées qui deviennent encore plus marginalisées.

M. Gould : Je vous remercie. Je ne sais pas si vous voulez que je vous dise ce que j’en pense.

La sénatrice Ataullahjan : J’aimerais obtenir un commentaire à ce sujet.

M. Gould : Je peux aborder cette question à tous les niveaux. Je peux parler de mes expériences sur l’eau, en tant qu’agent de bande, en tant qu’agent auxiliaire de la GRC, en tant que président du Aboriginal Survivors for Healing, et en tant que fils de Roger Gould qui a fréquenté le pensionnat de Shubenacadie. Je peux aborder cette question sous tous ces angles. Le gouvernement fédéral a toujours adopté une approche réactive aux problèmes, qu’il s’agisse des pêcheurs non autochtones qui brûlent les bureaux du MPO ou tout autre problème. L’approche du gouvernement a toujours été réactive. Notre peuple a toujours souffert du fait d’être considéré comme le problème indien. Je suis honoré que nous ayons des sénateurs qui ont une expérience vécue et des connaissances traditionnelles à apporter à cette discussion, et nous sommes tous deux honorés d’être ici et de vous transmettre nos connaissances traditionnelles. Par contre, nous représentons le nouveau problème indien, et malheureusement, les choses sont ainsi en ce moment. C’est le cas à l’Île-du-Prince-Édouard et partout ailleurs.

Je vais vous donner un exemple, qui touche l’Île-du-Prince-Édouard plus précisément, pour expliquer pourquoi le ministère est concerné. Il y a un port à l’Île-du-Prince-Édouard, près de chez moi, qui s’appelle Savage Harbour. Je trouve ce nom offensant. Je suis un grand garçon et je peux vivre avec cela. Cette situation ne me fait pas pleurer. Elle ne me blesse pas. Je suis contrarié, et en tant que chef et leader de la Première Nation Abegweit, je dois travailler et faire preuve de diligence raisonnable pour mes tantes, mes oncles, ma mère ou mon grand‑père qui sont offensés par ce nom. Je sais que si mon père était ici aujourd’hui et savait que nous nous battons pour faire changer ce nom, il serait fier de moi. Mon père est allé dans un pensionnat autochtone. On lui a dit qu’il était un sauvage, et on a essayé de faire sortir le sauvage de lui. Je comprends que nous changeons des noms dans d’autres domaines, mais si quelque chose concerne les Premières Nations et que nous n’en parlons même pas, c’est la preuve que nous sommes toujours ce qu’on appelle le problème indien.

Nous avons apporté une solution de fortune à un problème historique dans notre pays. Nous devrions nous attaquer à ce problème à l’aide de mesures historiques, et ce devrait être une priorité. Les pêches ne sont qu’un catalyseur pour aborder ce qui s’est passé dans les pensionnats autochtones, et il est malheureux que nous, en tant que peuple, continuions à nous considérer non pas comme des membres productifs de la société, mais comme un problème. Les pratiques et les politiques au sein des ministères du gouvernement fédéral, dans tous les organes et à tous les niveaux, doivent changer. C’est ce que nous pensons. Je n’ai pas à m’excuser de la façon dont mes concitoyens sont traités. Je vous remercie.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie.

Le sénateur Ravalia : Merci à vous deux pour vos témoignages convaincants.

Je vais mettre l’accent sur la cinquième recommandation du comité concernant les connaissances autochtones et la participation dans les pêches et aux décisions de gestion. Compte tenu de la relation mise à mal avec le ministère des Pêches et des Océans, notamment en ce qui a trait aux droits protégés par les traités, pouvez-vous parler de réussites ou d’approches novatrices en matière de gestion des pêches que l’on doit à une collaboration avec le ministère, et nous dire si elles ont été intégrées à votre réseau de gestion de manière générale?

Je suis également curieux de savoir, notamment en ce qui concerne votre expérience à l’Île-du-Prince-Édouard, comment vous avez réussi à intégrer certaines de vos connaissances traditionnelles et de vos pratiques culturelles dans la gestion des pêches, étant donné que, depuis toujours, on a en quelque sorte écarté ces connaissances pour plutôt s’appuyer uniquement sur la science. Nous avons pourtant de la difficulté à obtenir des réponses du ministère des Pêches et des Océans à propos de son approche axée sur la science. Merci.

M. Gould : Je vais y aller à contresens et mêler l’ordre des questions.

À propos de l’approche fondée sur la science, c’est assez simple. Il y a toujours eu deux ensembles de données dans l’industrie. D’une part, il y a les données des gens du ministère, qui reposent sur la science, selon eux. D’autre part, il y a aussi les données des pêcheurs, qui s’appuient sur la recherche universitaire. Il y a toujours eu ce conflit. Nous l’avons vu dans notre capacité d’observation. C’est tout ce que nous avons, c’est-à-dire une capacité d’observation, car nous sommes nouveaux dans l’industrie. Lorsqu’on présente des données scientifiques, nous y faisons confiance dans des négociations de bonne foi, ce qui est notre seule façon de procéder en tant que Premières Nations. Nous faisons confiance à ces données, mais comme il y en a deux ensembles, nous sommes perplexes. Nous avons nos connaissances traditionnelles. Je sais comment pêcher à l’Île-du-Prince-Édouard. Je sais comment attraper une anguille la nuit. Je sais comment attraper des mollusques et des crustacés, comme le homard, avec un bâton. Je sais comment faire. Ce sont mes connaissances traditionnelles. Le ministère et le régime réglementaire indiquent ce qu’on peut faire et ne peut pas faire, et je dois sensibiliser les gens et leur donner des explications dans la province.

Si nous parlons tous de la même chose, soyons pertinents. On essaie de dire : « Eh bien, si vous faites partie des Premières Nations, rendez-vous dans votre tipi et allez pêcher en canot. » Et je réponds : « Oui, c’est ce que nous ferons, mais je vous propose de retourner chez vous, que ce soit en Espagne ou dans votre pays anglais, et de demander à votre roi de recruter un équipage pour traverser l’océan. Je vais demander à mes fils de m’accompagner. Je vais demander à mon ancien chef et à ses fils de se joindre à moi. Nous serons sur la côte. Nous allons vous attendre. D’ici six à douze mois, vous aurez traversé l’océan et probablement atteint Terre-Neuve. Je vous laisse trouver votre chemin. Si vous vous perdez, nous irons vous chercher. Nous allons alors tous pêcher sur la côte nord de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous allons vous montrer comment pêcher avec ce qui se trouve là, en utilisant l’écorce de bouleau. Nous allons tous pêcher à bord d’un canot en écorce de bouleau. Pour vous divertir et si cela peut vous faire plaisir, je vais porter un pagne. »

La collaboration pour la gestion et les ententes de collaboration doivent être réalistes. On ne peut pas choisir le moment qui nous convient. On ne peut pas choisir le moment de l’histoire qui nous convient et essayer de modifier les politiques. Si les connaissances traditionnelles des Premières Nations étaient respectées de quelque façon que ce soit, nous aurions notre mot à dire dans beaucoup de ces dossiers. Mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas ce que nous voyons actuellement dans les faits. Nous voyons malheureusement cela comme la poursuite des politiques et des pratiques des pensionnats. Nous sommes le problème indien.

Le sénateur Ravalia : Merci.

M. Paul : Le terme « connaissances traditionnelles » est un peu incomplet selon moi. J’essaie toujours de promouvoir l’expression « système de connaissances traditionnelles ». Je veux que les gens comprennent que c’est un moyen de savoir, tout comme le système de connaissances occidentales ou le système scientifique occidental, pour essayer de le faire respecter. Ce n’est pas de l’information qu’on peut tout simplement prendre et utilisée comme bon nous semble — il y a une méthodologie sous-jacente. De plus, nos systèmes de valeurs en font partie intégrante. Quand vous parlez de connaissances autochtones, les valeurs doivent en faire partie. Il faut parler du contexte. C’est très important. Cela nous ramène à notre culture. Cela repose aussi sur l’endroit.

Les droits de propriété intellectuelle posent également certaines difficultés. Il n’y a pas de régime au Canada, ou à l’échelle internationale, pour protéger les connaissances des Autochtones. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle essaie de résoudre la question. Elle tente de le faire au Canada et au moyen de tout ce qui porte là-dessus dans le règlement d’application de la Loi sur les pêches. Nous essayons encore d’y voir clair.

Chaque fois que le ministère des Pêches et des Océans décide de sévir contre un de nos pêcheurs qui exercent ce qu’ils déclarent être leur propre droit, il se rend sur place et intervient. Il arrive que des personnes soient détenues. Le ministère dit que c’est à des fins de conservation. Nous avons donc commencé à lui demander de bien vouloir présenter les données scientifiques qui expliquent pourquoi une personne qui met 10 casiers à homards dans la baie de Fundy menace la population de homards, alors qu’il y a 300 000 casiers lorsque la saison de la pêche commerciale commence. Les gens du ministère ne nous présentent jamais ces données. Ils se contentent de dire, le regard vide, que c’est à des fins de conservation.

Au fil des ans, je suis certain qu’une partie de notre travail dans le Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques et que d’autres mesures semblables ont eu un effet mineur, mais rien de vraiment considérable. Nous essayons de travailler avec le ministère en ce qui a trait à l’anguille d’Amérique, à la civelle et aux rivières indexées, car le ministère n’en a qu’une seule en Nouvelle-Écosse et du côté de l’océan Atlantique. En s’appuyant sur ces dénombrements, il tente d’extrapoler à propos de la population de civelle dans l’ensemble du Canada atlantique. Ce n’est pas suffisant selon nous. La baie de Fundy est un système distinct. La rivière Wolastoq et toutes les autres rivières dans nos territoires traditionnelles sont des réseaux hydrographiques distincts. Nous voulons faire le travail. Nous n’avons pas de soutien à cette fin, mais nous tendons la main pour essayer de faire ce genre de choses.

Il est vraiment difficile pour nous de faire le travail. L’autre chose pour laquelle les gens ont tort au sujet des connaissances autochtones ou la fausse idée qu’ils s’en font se rapporte à la notion selon laquelle c’est bon marché ou gratuit. Il faut pourtant y consacrer du temps. Il faudrait que ce soit financé, comme tous les autres travaux scientifiques. La gestion des données est également très importante. Nous avons besoin de systèmes d’information géographique et de ce genre de choses. Je sais que si nous pouvions faire le travail, nous pourrions apporter notre contribution afin d’avoir les meilleures données scientifiques possible pour vraiment mieux comprendre l’état de santé de nos pêches.

M. Gould : À l’Île-du-Prince-Édouard, pour vous montrer une pratique exemplaire de la nation d’Abegweit, depuis que la décision Sparrow a reconnu le droit à la nourriture et le droit cérémoniel, nous avons nous-mêmes renoncé, depuis ce moment-là et encore aujourd’hui, à notre droit de participer aux décisions concernant la pêche commerciale. Nous revenons toujours à l’adage qui dit qu’il vaut mieux montrer à quelqu’un comment pêcher plutôt que de lui donner du poisson. Les dirigeants de notre Première Nation ont toujours adopté ce point de vue philosophique. Ce que nous avons fait jusqu’à maintenant, c’est prendre nos revenus commerciaux et utiliser nos propres sources de revenus et nos dépenses, et nous n’accentuons pas les pressions exercées sur l’industrie. C’est un choix. Nous utilisons notre propre argent. Nous payons pour le homard utilisé dans nos cérémonies. Tout ce que nous faisons est fait à partir de nos propres sources de revenus. Nous encaissons le coup du point de vue commercial, car nous pensons qu’il est important d’être cohérent dans le message que nous envoyons au public, et c’est ce que nous faisons à l’Île-du-Prince-Édouard.

Les bureaucrates nous ont proposé de s’adapter à nos besoins en nous donnant des milliers de casiers supplémentaires, et nous avons refusé pour ne pas porter atteinte à la relation que nous avons avec les pêcheurs non autochtones. Nous voulons être cohérents par rapport à la politique et au régime, aux saisons et ainsi de suite. Nous avons vécu de cette façon avant l’arrêt Marshall et avant l’entente d’accommodement du gouvernement fédéral pour nous aider à tous les égards. Nous avons fait preuve de diligence raisonnable, et nous continuons de le faire.

Je prends un court moment pour m’excuser d’avoir utilisé l’expression « problème indien », mais dans les faits, c’est ainsi que le gouvernement fédéral a géré les pensionnats et ce genre de choses au cours de l’histoire. Je m’excuse si l’expression semble inappropriée dans le contexte.

Le sénateur Ravalia : C’est très approprié. Merci à vous deux.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Vous avez formulé des observations directes. J’allais employer des mots plus crus — je viens du Cap-Breton — que je ne pense pas pouvoir utiliser ici. C’était direct et vraiment très utile pour nous. J’espère que vous envisagerez de faire un communiqué de presse ou autre chose après, car l’information que vous nous avez donnée est très utile — je parle plus particulièrement en mon nom — pour tout le monde.

Je vais revenir à notre rapport et vous poser une question. Notre rapport recommande au gouvernement fédéral de créer un nouveau cadre législatif pour faire avancer la mise en œuvre complète des droits de pêche. C’était une de nos recommandations. Dans la réponse du gouvernement, la ministre continue de préconiser des réponses à court terme en vertu de la Loi sur les pêches, comme des droits, des ententes de réconciliation et le plan de pêche pour assurer une subsistance convenable. Êtes-vous du même avis que la ministre? Dans quelle mesure la Loi sur les pêches prévoit-elle la mise en œuvre complète de vos droits protégés par la Constitution pour non seulement pêcher afin d’assurer une subsistance convenable, mais aussi gérer cette ressource vous-mêmes? Vous en avez déjà parlé un peu en répondant aux autres questions, mais je voulais être plus directe.

M. Paul : La Loi sur les pêches nous permet uniquement de pêcher à des fins commerciales. Le problème est là. Je vais y revenir. Ces pêches nous procurent effectivement des avantages économiques, mais ce n’est pas la seule chose. La Loi sur les pêches et le ministère mettent vraiment l’accent sur le rendement maximal durable. C’est donc abordé comme une ressource, et on n’a pas tendance à porter attention aux pêches non durables sur le plan commercial. Même les saisons commerciales sont établies de manière à maximiser les avantages économiques.

Je sais que dans le cas de Shubenacadie, on a essayé de lancer une saison de pêche estivale. On a fait venir des scientifiques. On avait un plan de gestion, mais le ministère s’y est opposé. Il a pris des casiers et refusé le plan de gestion, ce qui signifie qu’aucune donnée scientifique n’est relevée dans la région de Saulnierville entre mai et novembre. Dans les discussions que j’ai eues avec les principaux ministères, on m’a dit que si les Mi’kmaqs pêchaient l’été, ils pourraient attraper sept fois plus de homards puisque ces animaux se rendent dans des eaux plus chaudes et moins profondes. C’est ce qu’on suppose, c’est-à-dire que les Mi’kmaqs vont surexploiter la ressource. Les fonctionnaires font ce genre de suppositions. Je ne sais pas si c’est fondé sur la peur. Je ne sais pas pourquoi ils donnent ce genre de raisons.

Nos droits se trouveront dans la Loi sur les pêches, qui contient des dispositions avantageuses pour nos communautés pour ce qui est de la création d’emplois, car le nombre de personnes sous-employées y est très élevé. Les niveaux de revenus dans nos communautés sont nettement inférieurs à la moyenne canadienne. Nos membres ne comprennent pas comment on peut pêcher sur nos terres et nos eaux traditionnelles, comme les bassins hydrographiques ou dans le secteur maritime, et gagner des millions de dollars alors que nous n’avons même pas le droit de le faire même si nous détenons les droits. Nous n’avons pas d’accès prioritaire. C’est une autre chose. Je ne comprends pas pourquoi le ministère des Pêches et des Océans ne peut pas le reconnaître ni faire quoi que ce soit pour remédier à la situation.

M. Gould : Je vais expliquer un peu, madame la sénatrice. Vous venez du Cap-Breton. Les préoccupations des Mi’kmaqs là-bas sont différentes de celles des Mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse continentale. Nous venons du septième district à Abegweit, qui s’étend tout le long du territoire traditionnel, y compris Pictou. Il n’y a pas de panacée. Vous allez échouer si vous pensez avoir trouvé une solution universelle.

Y a-t-il une partie de la question à laquelle nous n’avons pas répondu, ou un point que vous aimeriez que nous abordions à nouveau?

La sénatrice Cordy : Vous avez répondu, mais je me demande si cela ne devrait pas être — et je crois que vous l’avez mentionné, monsieur Paul — un dossier autochtone plutôt qu’un dossier du ministère.

M. Gould : Oui. Du haut vers le bas, cela devrait être le cas. Quand on parle d’une relation de nation à nation, ce n’est pas une question ministérielle. C’est une hypocrisie politique ou procédurale lorsque le ministère s’en occupe.

Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard — et cela explique un peu ce qu’il en est — lorsque la décision Marshall est tombée, nous avons obtenu un droit d’accès à l’industrie. Le grand public pensait que chaque Autochtone allait se rendre en vitesse sur l’eau et voler tous les poissons. C’est ce que les gens pensaient. L’Île-du-Prince-Édouard a donc procédé à la professionnalisation de l’industrie. À l’époque, en tant qu’agent de la paix tribal et défenseur des droits, je pense que le chef Raymond Francis a proposé de prendre les devants et de procéder à une professionnalisation. Dans la pratique, tous les membres des Premières Nations aujourd’hui respectent entièrement les règles de sécurité et la professionnalisation de l’industrie dans son ensemble. Cependant, comme la province ne pouvait pas maintenir les droits de ses pêcheurs dans l’industrie, elle a laissé tomber. Elle ne voulait plus offrir de filet de sécurité. C’était seulement une excuse pour nous compliquer la tâche dans le processus.

Lorsque la Cour suprême du Canada reconnaît un droit à cet égard et qu’on poursuit les démarches auprès du gouvernement provincial ou auprès du ministère à l’échelle fédérale, on ne s’attaque pas au véritable problème, à savoir la plus haute instance de gouvernance. Lorsqu’un ministère peut s’attaquer au problème, c’est ainsi qu’il faut procéder. Je crois que le problème est là. Je ne connais pas la solution facile, mais je pense que cela doit commencer au plus haut niveau du gouvernement.

La sénatrice Cordy : J’ai reçu un appel après la publication de notre rapport. Vous avez parlé de sensibilisation. Je parle de la population du Canada en général. J’ai reçu un appel au sujet du rapport. On m’a dit : « Vous dites qu’il faut appliquer la décision Marshall, mais nous avons besoin de plus de temps. » Lorsqu’un concitoyen m’appelle, je me présente habituellement comme une novice, mais j’ai dit : « Eh bien, faites de votre mieux. De combien de temps avons-nous besoin? Nous avons eu 23 années depuis la décision Marshall. Combien de temps faut‑il? Devons-nous attendre 25, 30 ou 50 ans? Combien de temps? Donnez-moi un chiffre. Combien de temps devrions‑nous attendre pour l’appliquer? » Je pense que la décision a été prise il y a si longtemps que les gens ont oublié. Pourquoi n’a-t-on pas entièrement mis en œuvre les recommandations?

M. Gould : J’aime cet aspect de la question. Pour enchaîner, lorsque je me suis rendu à Saulnierville en tant que dirigeant d’une Première Nation, et en tant que formateur auprès de jeunes qui se faisaient attaquer par des pêcheurs non autochtones dans la collectivité, je ne me suis pas déplacé pour un parti pris politique qu’une Première Nation essayait d’appliquer ou pour la perception de son droit. Ce n’est pas la raison pour laquelle je me suis rendu là. Je me suis rendu sur place parce que des membres des Premières Nations se faisaient agresser physiquement. J’étais là parce qu’un jeune à qui je donne une formation se faisait attaquer. C’est la raison pour laquelle je me suis déplacé. Je me suis déplacé avec mes fils pour cette raison. Je me suis joint aux autres.

Il est important d’en parler — et, en tant que Sénat, vous devriez comprendre — parce que le jeune pêcheur non autochtone qui travaillait là était francophone; c’était un Acadien. Il brandissait le drapeau acadien, et il a marché vers la ligne créée par la Gendarmerie royale du Canada des deux côtés et les gens du ministère des Pêches et des Océans au centre. En tant que chef, je me suis tenu debout et je l’ai regardé. Je me suis rendu où je pouvais lui parler. Je lui ai dit : « Ce n’est pas la raison pour laquelle nous sommes ici. Je ne te respecte pas lorsque tu portes ce drapeau. Ce n’est pas un enjeu lié à la race. » C’est vrai. Il aurait plutôt fallu un drapeau avec un signe de dollar. Il n’était pas question de la relation entre nations. Il était question d’argent. C’est de cela qu’il s’agissait. J’aurais eu plus de respect pour le jeune s’il avait brandi un drapeau avec un signe de dollar, car nous sommes des amis du peuple acadien. Ce n’était pas l’enjeu. Il était question des pêcheurs qu’on menaçait au quai. Je peux comprendre. Ils avaient peur de perdre leur gagne-pain, de ne plus avoir les moyens de payer pour leur camion et pour se nourrir. Je comprends.

Si nous désirons y parvenir, quelqu’un doit prendre ses responsabilités et s’attaquer aux problèmes. Si on donne l’information au public et le laisse se disputer à ce sujet, on crée une république de bananes. Ce n’est pas le rôle d’un gouvernement. Notre gouvernement assume la responsabilité de ses obligations judiciaires en tant qu’entité gouvernementale. Ce que je constate, c’est que c’est le Sénat qui revient à la charge. Je crois sincèrement que les recommandations vont dans le bon sens. Voilà pourquoi j’ai décidé de m’absenter de ma communauté pour venir ici. Je suis honoré d’être ici.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie nos invités d’être parmi nous aujourd’hui, ainsi que la Bibliothèque du Parlement d’avoir préparé le rapport en préparation de notre réunion. Il est fort utile.

Je ne siège pas habituellement à ce comité. J’ai eu la chance d’y siéger au cours des dernières semaines pour apprendre des choses essentielles dans ce dossier. J’avais quelques questions à propos des recommandations gouvernementales et de la réponse aux peuples autochtones qui jouent un rôle de gestion important. Cela dit, vos propos étaient si clairs que je n’ai plus de questions à ce sujet. Je crois vraiment bien comprendre votre point de vue. Je comprends aussi que nous devons repenser notre façon de faire et remanier le secteur pour que tout fonctionne au mieux à tous les niveaux.

Je vais vous poser une question précise, mais je vous encouragerais également à dire tout ce que vous avez à dire, que ce soit à moi ou à un de mes collègues. Vous avez fait preuve d’une grande franchise, mais le temps qui nous est accordé n’est pas éternel. Nous voulons nous assurer que vous puissiez aborder les sujets qui n’ont pas fait l’objet d’une question. N’hésitez donc pas à nous dire tout ce que vous avez en tête d’ici la fin de la réunion.

J’aimerais revenir à ce que vous avez dit sur ceux qui ne signent pas d’ententes de SPA, monsieur Paul. Je tente d’imaginer la réalité sur le terrain. Vous avez dit que le ministère cherche toujours à imposer des permis à des fins alimentaires, sociales ou rituelles, ou permis ASR, aux Premières Nations qui n’ont pas signé d’entente. Comment cela se passe-t-il concrètement? Vous avez mentionné le cas de personnes détenues sous les auspices de la conservation plus tôt. Que se passe-t-il réellement sur le terrain? Qu’y ressentent les gens? Nous n’avons pas le privilège d’avoir le grand groupe de personnes avec lequel vous travaillez parmi nous aujourd’hui. Quel est le ressenti sur le terrain? Qu’en est-il de l’espoir? Quel est leur degré d’optimisme quant aux pêches, aux relations et à la capacité de faire le travail qu’ils s’efforcent de faire quotidiennement?

M. Paul : Tous les éléments de la Stratégie relative aux pêches autochtones, que ce soit les programmes de gardes-pêche, les travaux de surveillance ou autre, sont également liés au permis ASR. Les communautés ont besoin d’argent pour créer les emplois nécessaires à l’entretien du territoire, mais le ministère nous dit qu’il est essentiel d’avoir un permis ASR si nous signons une entente. Voilà pourquoi les communautés n’ont pas signé d’entente. Elles ont préféré tenter de se trouver du travail autonome. C’est ce qu’elles ont choisi de faire.

C’est incroyable ce qui s’est passé dans nos communautés. Je parle ici des communautés qui n’ont pas signé d’entente. Par exemple, pour nourrir ma famille, je sors mon bateau de 14 pieds et je mets 10 casiers à l’eau. J’essaie ensuite d’attraper du homard pour nourrir ma famille. Ceux qui ont essayé de faire de même se sont fait accueillir par de gros bateaux de patrouille, et, dans certains cas, par des hélicoptères. Les forces de l’ordre ont agi de façon démesurée, incroyable même. Je présume que cela fait partie des tactiques d’intimidation. Certains de nos membres se sont fait menotter sur de petits bateaux. C’est dangereux. Si vous tombez à l’eau menotté, vous allez vous noyer.

Le ministère revient ensuite à la charge et nous dit qu’il imposera la dernière entente que nous avons signée, que nous l’ayons signée il y a deux, cinq ou huit ans. Par conséquent, si un membre va travailler, s’il tente de pêcher quelque chose qui n’est pas compris dans les limites de l’accord, de la zone ou de la saison, il devra faire face aux forces de l’ordre.

En septembre dernier, nous avons organisé un forum des pêches pour notre nation. J’ai invité des représentants du ministère des Pêches et des Océans à venir nous parler d’enjeux politiques précis qui étaient importants pour notre nation. Je dois dire que la réunion a été tendue, mais, en fin de compte, je crois que leur présence a été bénéfique. Nous avons également poursuivi la discussion après coup.

À la fin de la première journée, quelqu’un est venu me voir et m’a dit : « Vous savez, c’est drôle, mais aucun des 12 représentants du MPO n’était armé. » J’ai relayé cette remarque aux représentants du MPO lors d’une réunion ultérieure. Je leur ai dit que c’était à cela que les gens faisaient face. Les membres de notre communauté croient que le MPO n’est constitué que d’agents des pêches, parce que c’est ce qu’ils voient. Si quelqu’un s’approche de vous avec une arme de poing, du gaz poivré, etc., vous avez peur. Vous vous mettez automatiquement sur la défensive. Cela fait partie des problèmes relationnels que nous constatons sur le terrain.

Malgré tout cela, nos membres savent qu’ils ont des droits. Beaucoup de choses circulent sur les médias sociaux. Les gens sont au courant des pratiques de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles et ne comprennent pas pourquoi elles ne sont pas prioritaires. Ils comprennent l’arrêt Marshall et ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas le droit de pêcher pour subvenir aux besoins de leur communauté ou de leur famille.

J’ai également expliqué cela au MPO, mais je n’ai jamais obtenu de réponse satisfaisante ou ressenti de volonté de changement. Je ne crois pas que le ministère puisse changer. Je ne crois pas qu’il dispose des outils ou du mandat nécessaires pour faire ce qu’il faut. Voilà pourquoi nous revenons toujours à penser que la meilleure solution à court terme est peut-être la recommandation de confier les négociations à RCAAN, avec le MPO comme conseiller. Au moins, avec RCAAN, nous pourrions commencer à négocier la gouvernance, les lois, etc. Nos propositions ne seraient pas évaluées en vertu du cadre de la Loi sur les pêches.

La sénatrice M. Deacon : Si on ne retenait qu’une chose de ces discussions et de ces témoignages, s’il n’y avait qu’une seule victoire, devrait-ce être ce changement, selon vous? Serait-ce la chose qui vous donnerait le plus d’espoir? Seriez-vous optimiste? Pourrait-ce être une voie préférable, optimale?

M. Paul : Je vous donnerais deux éléments : l’accès prioritaire et le transfert des négociations à RCAAN.

La sénatrice M. Deacon : Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Gould : Je vais commencer par la dernière question. Je vous dirais oui. Nous avons signé des ententes de SPA après l’arrêt Sparrow dans le cadre de la Stratégie des pêches autochtones. Cela a été bien établi. Nous avons ensuite signé un accord d’accommodement en vertu de l’arrêt Marshall, qui a été peaufiné et remanié, entre autres pour qu’il ne contienne pas de libellé préjudiciable. On tendait plus vers les accommodements, ce qui semblait acceptable pour la majorité d’entre nous. Quinze années se sont écoulées depuis l’arrêt Marshall sans discussion ou changements réels en matière d’accommodements. Il s’agissait simplement de nous donner accès à une industrie à laquelle on nous avait refusé l’accès pendant des années.

On a ramené la Stratégie des pêches autochtones comme tactique de négociation pour nous convaincre de signer des ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits. Or, selon nous, ces ententes comprenaient un libellé préjudiciable, ce qui constituait une violation de nos droits. Notre équipe technique était bien à l’affût de la chose. Cela dit, ce qui m’a troublé, c’est le fait qu’on utilise cela comme levier pour continuer à avoir recours aux ententes de SPA ou à d’autres ententes découlant de l’arrêt Sparrow pour nous faire signer de nouvelles ententes. Nous n’avons jamais eu l’impression d’avoir l’obligation de signer une entente gouvernementale pour faire ce que nous avions à faire. Cela dit, ma communauté n’a pas eu le choix d’en signer une, parce que, comme je l’ai dit plus tôt, ce ne sont pas toutes les Premières Nations qui ont accès à un port ou à une autorité portuaire. En tant que dirigeants, nous devons prendre des décisions dans l’intérêt de notre peuple.

En mettant les choses dans leur contexte et en examinant ce qui s’est fait jusqu’à aujourd’hui, on voit que le statu quo ne fonctionne pas. J’ai eu l’occasion de participer aux négociations pour des ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits. Je l’ai fait pour notre communauté d’Abegweit. Je suis le négociateur en chef avec le ministère des Pêches et des Océans en raison de mon expérience et de mes connaissances traditionnelles pour deux raisons. Premièrement, je ne fais pas confiance au ministère et deuxièmement, je ne suis pas le signataire des ententes sur nos droits issus des traités. C’est mon peuple qui l’est. Mon peuple me dit : « Vous ne pouvez pas aller à la table des négociations, chef. » Moi, je leur réponds : « Oui, je peux y aller. Voilà pourquoi j’ai été élu. Vous m’avez élu pour diriger. Je serai présent autour de la table. » Je rapporterai ensuite l’entente basée sur nos droits issus des traités que le gouvernement fédéral nous propose par l’entremise du MPO à mon peuple. C’est lui qui décidera s’il est dans notre intérêt de signer ces ententes.

En tant que dirigeant, je n’ai pas l’impression que le MPO — ou le délégué quel qu’il soit — ait vraiment fait des efforts pour conclure des ententes significatives. Ce n’est pas le cas. On nous propose simplement une solution rapide pour régler un problème qu’on a ignoré. Nous disposons de suffisamment de connaissances internes, traditionnelles et universitaires pour régler ces problèmes à l’interne, qu’il s’agisse d’un problème de gouvernance, de gestion ou autre. Nous disposons des compétences nécessaires pour les régler. Nous les avons acquises. Nous ne sommes plus un problème. Nous voulons simplement être respectés en tant que membres de la société.

La sénatrice R. Patterson : Quelle discussion enrichissante. Je vous remercie de nous faire part de votre savoir. C’est là où tout commence.

Mes collègues ont déjà posé la majorité de mes questions, mais j’aimerais voir si j’ai bien compris ce qui a été dit, surtout en matière de gouvernance. Vous avez parlé d’outils et de principes. Je sais que la confiance pose problème. Les relations de nation à nation sont basées sur la confiance, et non pas sur des politiques. Les politiques sont à un niveau d’« action » inférieur. Les relations de nation à nation devraient être basées sur les droits, mais on vous force plutôt à vous conformer à des politiques sans vous permettre vraiment de négocier de nation à nation et d’expliquer ce que signifie la pêche pour vos nations ou pour votre peuple, mais aussi pour la durabilité et la réconciliation. Voici ma première question : « Vous ai-je bien compris? » J’aimerais ensuite vous poser une question de suivi.

M. Paul : Nous continuons d’insister sur diverses choses, dont la nécessité d’avoir une relation bilatérale avec le gouvernement canadien. Je suis en poste depuis quelques années, et ce que j’ai constaté, c’est que le ministère va discuter d’un enjeu ou travailler de concert avec une autre Première Nation, va trouver une idée et ensuite tenter de nous l’imposer. Par exemple, il nous a envoyé un questionnaire l’an dernier, peut‑être au printemps. Nous n’y avons pas participé. Ce questionnaire était censé s’adresser à toutes les Premières Nations du Canada atlantique parce que le MPO voulait adopter une approche commune. Or, nous n’y avons pas participé. Nous lui avons envoyé une lettre. Nous avions participé aux négociations, et nous lui avons donc demandé ce qu’il pensait obtenir comme avis qui n’aurait pas été soulevé lors des négociations.

Nous avons également fait d’autres propositions. Nous avons entre autres proposé de créer une équipe scientifique mixte. Le ministère nous a répondu que c’était une excellente idée et que des hauts fonctionnaires à Ottawa nous recontacteraient fort probablement pour en discuter. Or, trois mois plus tard, j’ai reçu un courriel dans lequel le MPO annonçait qu’il organisait un forum scientifique sur le homard et que certains participants de marque étaient des gens issus de l’industrie commerciale. Nous leur avons dit : « Vous savez qu’il y a différents problèmes sur le terrain, dont du racisme. Prévoyez-vous faire des vérifications sur les participants pour que nos membres se sentent en sécurité dans cet environnement? » Le MPO nous a répondu « non ». Nous lui avons alors rétorqué que nous n’allions pas participer à l’événement puisqu’on ne nous avait pas permis de participer à sa planification. Ce n’est pas que nous ne voulons pas nous pencher sur la science, mais nous voulons un respect qui va dans les deux sens, de nation à nation.

Nous ne pouvons pas parler au nom des Mi’kmaqs, car nous n’en faisons pas partie, mais nous collaborons avec eux. Ils sont très collaboratifs. Nous travaillons de concert avec eux à bien des égards. Je trouve déconcertant que le ministère essaie encore d’adopter une approche globale. Le chef Gould en a même parlé lui aussi. Il est impossible d’offrir une seule solution à toutes les Premières Nations, parce que nos circonstances, nos histoires, nos langues et nos cultures divergent.

M. Gould : C’est très évident sur le terrain lorsqu’on fait affaire au gouvernement fédéral. Cette année, j’ai mené les négociations pour défendre les intérêts de la Première Nation d’Abegweit. Nous n’étions pas satisfaits du mandat du gouvernement fédéral dans le cadre de l’entente de réconciliation et de reconnaissance des droits. Ce mandat prenait fin en avril dernier. Or, j’ai rencontré les représentants du gouvernement, et j’ai appris que ce n’était pas le cas. Il n’avait pas pris fin, et on n’avait pas instauré de nouveau mandat; on prônait plutôt la continuation du mandat précédent.

Je me suis donc rendu à la table de négociation pour rencontrer les représentants ministériels. Une fois là-bas, je me suis demandé : « Pourquoi le chef rencontre-t-il ces bureaucrates de bas niveau pour négocier des droits issus des traités? » J’ai alors mis fin à la réunion et je suis parti. Je les ai remerciés de leur temps, parce que je respecte le professionnalisme technique de ceux qui travaillent pour et avec nous. Je leur en suis reconnaissant. Cela dit, je leur ai dit que le chef de la Première Nation d’Abegweit ne devrait pas participer à une telle réunion. Selon moi, le gouvernement fédéral n’a rien changé. Cet enjeu est-il important pour nous? Oui, nous croyons qu’il devrait y avoir un changement ministériel au plus haut niveau afin d’avoir une vraie relation de nation à nation.

Je ne sais pas comment vous l’expliquer pour que vous compreniez. Une province canadienne francophone souhaitait séparer le pays en deux en raison de son droit de protéger la culture et l’identité de son peuple, et nous, en tant que Canadiens, avons estimé qu’il était important de respecter sa démarche, mais qu’en est-il des Premières Nations? On ne leur parle pas de la même façon. Comment la communauté francophone se sentirait-elle si on la référait à un sous-comité parlementaire anglophone? À quoi ressemblerait notre pays aujourd’hui? Je suis assez âgé. Je me souviens de ces discussions difficiles. Je pense que c’était une bonne chose de respecter cette province dans sa démarche. C’est ce que nous voulons pour notre Première Nation. J’ai grandi dans nos communautés, et je comprends comment les choses fonctionnent. J’aime mon pays. Je l’ai toujours soutenu, et ce n’est pas la première fois que je le dis. Si je vais à l’école et qu’on m’oblige à parler français alors que je ne peux même pas parler ma [mots prononcés en langue autochtone]. Je ne comprends pas ma propre langue. En fait, je la comprends un peu, mais à peine. C’est difficile, très difficile.

Puis nous allons aux réunions des ministres, et les chefs sont traités avec respect. Cependant, quand je rencontre des fonctionnaires, c’est sur la base des droits issus des traités? Sénatrice, nous avons vécu cela à maintes reprises. Nous pensons qu’il sera fondamental de réorienter le processus de construction de la relation de nation à nation pour pouvoir progresser. Nous avons des occasions à saisir à cet égard. En ce qui concerne les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits, j’espère qu’il y aura un nouveau mandat fédéral qui éliminera le langage préjudiciable et qui abordera les questions dont je parle et la situation difficile de notre peuple. Il faut faire un travail d’éducation auprès de la population allochtone. Nous faisons preuve de diligence raisonnable. Ma communauté veut travailler aux côtés de la PEI Fishermen’s Association. Nous voulons travailler en fonction des saisons. Ce n’est pas le cas des autres. Nous ne sommes pas pareils. Pas pareils, non. Je suis un peu plus grand que Ken. Nous ne sommes pas pareils. J’ai relevé la chaise avant de m’asseoir. Mais nos intérêts sont les mêmes, et ils sont fondés sur des droits constitutionnels protégés par la Cour suprême du Canada. Nous devrions être protégés par la Constitution du Canada. Alors wela’lin. Merci.

La sénatrice R. Patterson : Ce que j’entends, c’est qu’il ne s’agit pas du problème que nous essayons de résoudre ici. Vous avez Pêches et Océans qui, d’après ce que vous avez dit — je vous entends dire qu’il s’agit de règles —, met en place des règles, alors que vous dites qu’ils ne s’attaquent pas au vrai problème. Vous dites qu’il faut d’abord discuter de ce que signifie négocier de nation à nation et, en tant que peuples autochtones avec vos nations, que vous devez être capables de parler de ce que cela signifie pour vous. L’une des choses que vous avez dites tout à l’heure, c’est que cette question ne relève peut-être pas de Pêches et Océans Canada en ce moment. Il faut négocier et parler des structures de gouvernance ailleurs. Je pense que c’est ce que j’ai entendu.

La deuxième chose, c’est qu’il y a un lien avec la recommandation 5 parce qu’elle parle de consultation, ce qui concerne l’application des règles plutôt que la négociation des aspects pertinents avec la nation. Si vous pouviez revenir en arrière et examiner la recommandation 5, qui parle d’explications et qui emploie d’autres termes de ce genre, de l’intégration des lois, des principes et du savoir autochtones aux processus de décision dans l’orientation que nous adoptons, si vous deviez modifier cette recommandation d’une manière ou d’une autre pour qu’elle soit davantage axée sur la nécessité d’être véritablement entendu comme nation, quelle forme prendrait‑elle? Parce qu’on pourrait alors intégrer ce que dit la recommandation 5.

M. Paul : Notre objectif est d’obtenir la reconnaissance et le soutien nécessaires à la gestion de nos eaux. Pas seulement les pêcheries, mais tout ce qui affecte le poisson, car le poisson est en effet un être vivant, avec lequel nous avons un lien. Mais il doit avoir de l’eau propre et un habitat propre. Il doit pouvoir accéder librement à toute frayère. Des éléments tels que le transport maritime, la pollution agricole, forestière, municipale, les eaux usées, tout cela a des répercussions, de même que le bruit. Nous voulons être en mesure de jouer un rôle et d’essayer de créer les meilleures conditions possible pour les poissons, en particulier pour les espèces migratrices qui parcourent vraiment des milliers de kilomètres en mer. Elles reviennent dans nos territoires. Si nous ne prenons pas soin des eaux pour leur retour, pourquoi les poissons reviendraient-ils?

Nous voulons participer au processus scientifique. Nous voulons transmettre les connaissances scientifiques. Nos aînés nous donnent la direction à suivre, mais nous ne recevons pas le soutien nécessaire. La Loi sur les pêches précise que nos connaissances autochtones doivent être prises en compte. Elle ne dit pas qu’elles seront utilisées, mais qu’elles seront prises en compte. Honnêtement, c’est un peu condescendant. « Oh, je vais envisager d’en tenir compte, mais vous savez... » Je sais que c’est un « non » en réalité, n’est-ce pas?

Comme je l’ai dit, je ne vois pas comment cela pourrait se faire avec le MPO, dans le cadre de son système actuel. C’est la raison pour laquelle nous continuons de dire qu’il faut amener cela à un niveau supérieur, dans le cadre d’un autre système, afin que nous puissions réellement parler de la gouvernance et de tous les systèmes que nous devons mettre en place et faire reconnaître. Je dis aux membres de ma communauté que les ancêtres ont signé les traités il y a 250 ans pour que nous soyons ici aujourd’hui, dans cette situation. Nous poursuivons aujourd’hui le travail de nos ancêtres. Nous sommes les ancêtres de demain. Nous voulons faire ce que nous pouvons maintenant pour permettre aux générations futures d’avoir des pêcheries saines.

M. Gould : Très rapidement, je vais poursuivre dans cette voie. Notre Cour suprême a rendu l’arrêt Marshall, et je dis « notre » parce que je suis Canadien et que j’en suis fier. Il y a eu une deuxième lecture de l’arrêt Marshall. Nos concitoyens savent de quoi il s’agit. Une interprétation de la loi a été proposée parce qu’il fallait l’amender en raison de la confusion qui régnait. Cela ne fonctionnera pas. Je ne vais pas prononcer les mots, mais c’était problématique. Ils se sont penchés sur la question et ont apporté des modifications. Ils ont ensuite mis en œuvre l’arrêt Marshall après la deuxième lecture.

Il est frustrant que nous soyons ici aujourd’hui et que nous ayons encore ce genre de négociations. Le ministère ne devrait pas essayer de mettre en œuvre un droit constitutionnel protégé par la Cour suprême du Canada à l’échelon du ministère. C’est très frustrant.

Nous n’avons pas collaboré. Je savais qu’il serait ici. Nous n’avons pas relaté nos histoires. Notre savoir traditionnel collectif dans nos différents territoires, Mi’kma’ki et... C’est tout simplement que nous avons une compréhension commune. Notre peuple comprend qu’il s’agit d’un droit communautaire à une industrie.

Un journaliste de CBC m’a appelé l’année dernière et je lui ai dit : « Oui, je vais vous parler. » Je déteste parfois leur parler, mais j’ai accepté. Il m’a dit : « La cheffe de Lennox Island est en train de mettre en place le principe de la subsistance convenable. Que faites-vous, chef Gould? » J’ai répondu que la communauté avait déterminé qu’il fallait continuer d’examiner la question, que nous voulions mettre en place le principe de la subsistance convenable dans un contexte ou nous pourrions gouverner et en assumer la responsabilité. Il m’a demandé si je pouvais définir ce qu’est la subsistance convenable. C’est là le problème. La deuxième lecture visait à résoudre ce problème. Le jargon juridique a été assorti d’une mise en garde visant à limiter la portée du texte et à établir des paramètres, sans pour autant fournir une définition. C’est toujours vague, et c’est maintenant ambigu. Donc, qu’est-ce que la subsistance convenable? J’ai demandé au journaliste de m’en fournir une définition. Il m’a répondu : « Eh bien, je peux me baser sur l’industrie propre à chaque espèce, le homard, le crabe des neiges, et ainsi de suite, et j’aurais une estimation très approximative. »

Eh bien, moi, je ne le sais pas. Je n’ai pas cette information, mais je sais ce qui ne correspond pas à de la subsistance convenable. J’ai fait de la pêche à l’Île-du-Prince-Édouard pendant 15 ans sous la direction du chef Francis, et je peux affirmer que ce n’est pas censé être de la pauvreté. Je pêche pour la saison. Je suis un contractuel, je travaille avec le permis communautaire, et c’est ce à quoi nous sommes limités, pour 500 personnes. Nos activités sont sous-traitées. Mon salaire contractuel est de 11 000 $. J’obtiens 11 000 $ ou 12 000 $ de l’assurance-emploi, ce qui correspond à l’aide sociale, dans ce pays. Dans un environnement saisonnier où les occasions sont nombreuses, nous sommes très limités à l’Île-du-Prince-Édouard, et nous faisons de notre mieux avec ce que nous avons. J’ai donc dit au journaliste : « Je sais ce qui ne correspond pas à un moyen de subsistance convenable. Le montant ne doit pas être inférieur au seuil de la pauvreté au Canada. »

Mais nos Premières Nations sont constamment laissées pour compte, et cela se cache derrière des choses comme la conservation ou l’effort. L’industrie de l’effort est un obstacle pour les pêcheries non autochtones. Ils ne comprennent pas cela. Si vous suivez le dossier et que vous vous occupez du droit de conservation, l’industrie passe d’une industrie basée sur l’effort à une industrie basée sur la conservation. Cela change la loi, la façon dont elle est mise en œuvre et la protection que le gouvernement fédéral doit apporter. On ne parle pas de ces choses-là. On n’en parle que lorsqu’il s’agit de faire obstacle aux Premières Nations ou de les maintenir à l’écart. Nous étions au sous-comité qui discutait des loteries pour le total autorisé des captures, le TAC, dans la région, pour le crabe des neiges. On nous fait une visite de courtoisie, mais il n’y a pas d’engagement véritable. Ken et moi le savons. Nous partageons le même point de vue selon lequel les négociations ratées du passé ont malheureusement abouti à des choses telles que les pensionnats et leurs conséquences. Il faut remonter plus loin encore, jusqu’à l’échec des négociations avec les Premières Nations et les premiers peuples. Le temps des colifichets et des perles est révolu. Nous devons conclure des accords significatifs, fondés sur la collaboration. À moins que nous puissions vous faire confiance et faire confiance aux personnes avec lesquelles nous négocions... Ce n’est pas à l’échelon du ministère qu’il faut le faire. Cela doit se faire au plus haut niveau. C’est pourquoi nous avons tous deux convenu, sans même en parler, que le dossier devrait être renvoyé à une autre instance.

Le président : Merci.

La sénatrice McPhedran : Permettez-moi de me faire l’écho de ce que mes collègues ont dit sur l’importance et l’utilité de cette discussion.

Je vais citer les propos de la ministre lorsqu’elle nous a répondu, parce que je pense qu’il s’agit essentiellement d’une impasse. Je pense que c’est vraiment là où nous en sommes, et la discussion d’aujourd’hui n’a fait que renforcer mon impression. J’aimerais donc poser une question sur la manière de surmonter cela et de passer à autre chose.

Lorsque la ministre est venue au Sénat et que nous avons reçu la lettre contenant sa réponse, elle a répondu très clairement à l’une de nos recommandations les plus fermes, qui était de passer à une négociation de nation à nation. Nous avons discuté de plusieurs aspects de cette question ici aujourd’hui.

La raison pour laquelle je dis qu’il s’agit d’une impasse, c’est que dans sa lettre, elle dit :

Depuis ma nomination en 2021, j’ai rencontré les chefs et les conseils de plusieurs Nations signataires de traités afin de discuter de nombreuses questions importantes, notamment les droits de pêche pour assurer une subsistance convenable. En tant que ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, je représente le gouvernement du Canada lorsque je participe à des discussions de nation à nation sur les pêches, et je reste déterminée à faire avancer ces discussions.

Elle utilise un langage poli, mais elle dit en substance que rien ne changera. Oubliez cette idée de nation à nation et oubliez la négociation de traités à ce niveau. Nous avions un consensus très fort au sein de ce comité sur la nécessité absolue d’un tel changement. Vous l’avez confirmé en apportant toute une série d’expertises et d’exemples qui démontrent de manière très convaincante pourquoi c’est important. Nous sommes donc réunis ici, nous nous sommes mis d’accord sur quelque chose, mais la ministre a rejeté catégoriquement cette proposition.

Comment envisagez-vous les prochaines étapes? Nous avons déposé notre rapport, mais il est évident que si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que nous n’avons pas l’intention de nous arrêter là. Nous pouvons en faire plus ensemble dans ce domaine. Je vous serais vraiment reconnaissante de nous faire part de vos réflexions sur les prochaines étapes.

M. Gould : Je vais le laisser commencer, car je...

M. Paul : Nous le savons. Nous savons tous pourquoi, maintenant.

Nous n’allons pas attendre le MPO. Il s’agit d’une génération différente qui intervient maintenant dans les relations entre les cadres intermédiaires et nos dirigeants. Nous savons, en général, ce qu’il faut faire pour faire valoir nos droits inhérents et connaissons le pouvoir de nos droits protégés par les traités. Nous sommes en train de construire ces choses. Nous aimerions avoir des partenaires, qu’il s’agisse de partenaires fédéraux, provinciaux, universitaires, d’ONG ou même de l’industrie. Nous approcherons ces groupes pour qu’ils nous aident à faire progresser notre vision, et s’ils peuvent contribuer à différents éléments de ce que nous essayons de faire, alors, oui, nous les accepterons. Une fois que nous aurons établi un climat de confiance et toutes les autres choses nécessaires.

Mais le problème n’est pas « indien ». Le problème, c’est le MPO, qui ne cesse de faire obstacle à ce que nous essayons de faire, sans vraiment en fournir la justification. Il a le pouvoir et la puissance de toute la GRC, sans parler du ministère de la Justice et de tout le reste. Malgré tout cela, nos membres vont faire ce qu’ils savent important, car la crise climatique a de graves répercussions sur les jeunes, qui souffrent d’une forme de dépression causée par les changements climatiques. Ma fille m’en a parlé il y a environ un an et demi. Elle m’a simplement dit qu’elle était tout le temps plutôt déprimée. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire, et les raisons pour lesquelles elle était tout le temps déprimée. Elle m’a répondu que, quand elle aurait 30 ans, il n’y aurait probablement plus d’animaux sauvages. Cela m’a vraiment touché, et je sais que je dois continuer à m’efforcer de faire avancer les choses et de soutenir ceux qui peuvent le faire, en leur offrant des possibilités chaque fois que nous le pouvons.

Mais je dois dire que c’est difficile avec le ministère. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils ne veulent pas changer ou s’ils sont incapables de le faire. Je sais que la ministre doit adopter une position ferme au nom du gouvernement du Canada parce qu’elle est la représentante fédérale, mais je ne pense pas que ses déclarations soient très positives.

Si je dois construire une cabane et que le ministère arrive en me proposant un marteau — la Loi sur les pêches — et en me disant que j’ai ce qu’il me faut et que je peux aller construire ma cabane, en réalité, je ne peux que planter des clous. Je ne peux pas construire une cabane avec ça. « Non, non, voici le marteau. » Nous avons besoin de toute une série d’outils pour pouvoir le faire. En tant que peuples autochtones, sur nos propres terres et pour nos plans d’eau, nous avons besoin de soutien — de fonds et de reconnaissance — de la part de nos autorités.

M. Gould : Je parle fort parce que je suis un conteur. Je pense qu’une grande partie de notre savoir traditionnel repose sur les histoires. Nous n’avons pas de langue écrite. Nous avons une langue orale axée sur l’histoire. C’est pourquoi, lorsque je parle, je le fais sous forme de contes, d’histoires.

J’ai parlé tout à l’heure d’un changement de nom à l’Île-du-Prince-Édouard, pour lequel je me suis battu et j’ai milité, mais j’ai omis les détails qui se rapportent à votre question. Lorsque j’ai reçu mon mandat de la part de mon peuple il y a quatre ans, c’était pour résoudre le problème que soulevait un des noms de la province que nous jugions quelque peu offensant. J’ai donc entamé ce processus. Je savais que ce serait un processus. Je n’allais pas me mettre à taper sur la table en jurant et en criant, selon les vieilles façons de faire avancer les choses. La désobéissance civile est à l’origine des grands pays et des démocraties, et je comprends cela, mais il y a d’autres moyens. J’ai passé les quatre dernières années à discuter avec les églises et les écoles locales, à donner aux membres des communautés les moyens de s’ouvrir l’esprit et de comprendre les raisons pour lesquelles le nom était offensant, et à expliquer une façon différente de voir les choses. J’ai passé les quatre dernières années à déposer des pétitions sur tous les aspects de la question. Je comprends qu’il y a une procédure à suivre. Je comprends qu’ils ne peuvent pas changer le nom d’une communauté parce que quelqu’un est offensé. Il y a une procédure à suivre. Il y a des lois provinciales ou des questions de compétence fédérale sur le port. Je comprends cela et je le respecte. Mais une procédure établie est un engagement, et si nous faisons preuve de diligence en tant que peuple, ce que le gouvernement intérimaire dira n’a pas d’importance. Sur la base de nos droits issus de traités, nous nous battrons toujours pour cela. Si nous déterminons que nous devons prendre soin de la prochaine génération et protéger notre avenir, nous continuerons à nous battre pour cela. S’il faut encore 4 ou 10 ans pour y arriver, nous continuerons. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. C’est pourquoi je suis ici pour soutenir le sénateur Francis et l’ensemble du Sénat, parce que je crois que c’est le processus qui imposera ce changement. Je pense que si vous n’êtes pas en mesure d’amener la branche bureaucratique du gouvernement fédéral à agir, il faut alors soumettre la question à la population, aux citoyens canadiens, et poser la question : « Ce nom est-il offensant pour les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard? Si c’est le cas, faisons quelque chose à ce sujet en tant que peuple. » Je pense que le tribunal de l’opinion publique influence le plus haut niveau de gouvernance.

La sénatrice McPhedran : Avez-vous envisagé d’entamer des discussions directement avec le ministre de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada?

M. Gould : Oui. Je suis à Ottawa toute la semaine. Je ne suis pas ici uniquement pour la réunion. Je serai à l’Assemblée des Premières Nations la semaine prochaine. Je suis ici avec ma femme et mon adjointe. Comme je l’ai dit plus tôt, notre communauté fait preuve de diligence raisonnable, et elle m’a confié le mandat de faire avancer les choses de façon positive par l’entremise de négociations de bonne foi. J’ai dit plus tôt à la blague que l’époque des babioles et des perles était révolue. C’est bien vrai, parce que dans le cadre de négociations de bonne foi, si deux adultes s’assoient et discutent ensemble, ils peuvent réaliser de grandes choses. Nous faisons de notre mieux, et c’est pourquoi nous appuyons vos recommandations; nous voulons vous donner un coup de main pour que vous poursuiviez votre travail.

La sénatrice McPhedran : Est-ce que vous le faites de façon ponctuelle? Est-ce que les chefs des communautés visées par le rapport Paix sur l’eau travaillent ensemble pour en venir à ce résultat?

M. Gould : Il y a de nombreuses variables. Comme l’a dit M. Paul plus tôt — et je suis d’accord avec lui —, nous avons... Nous n’avons pas travaillé ensemble, mais nous partageons les mêmes intérêts. Nous disons la même chose. Nous avons chacun répondu aux questions de l’autre et j’espère que nous l’avons fait de manière productive. Chaque Première Nation est différente et notre devoir en tant que leaders — que ce soit au sein d’un conseil technique ou d’un conseil tribal — consiste à éduquer les gens au sujet du droit collectif. Nous éduquons notre population, mais vous ne le faites pas. Nous tentons continuellement d’agir avec diligence à tous les égards. Je vais me taire.

M. Paul : Quelques-uns de nos chefs ont parlé directement avec le ministre Miller de ce sujet et d’autres. Il semblait réceptif, dans une certaine mesure, mais aucun engagement n’a été pris jusqu’à maintenant. Nous transmettons une copie de nos échanges importants — comme lorsque nous avons écrit à la ministre après la publication du rapport Paix sur l’eau — au ministre Miller. Nous voulons que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et le ministère des Pêches et des Océans sachent quelles sont nos attentes en matière de gouvernance.

Le président : Nous passons maintenant à la deuxième série de questions. Nous devons nous arrêter à 11 heures. Je crois que nous allons y arriver.

Le sénateur Francis : J’aimerais en savoir plus sur un sujet abordé, je crois, par M. Paul dans son discours préliminaire. Est‑ce que le racisme, l’intimidation et la violence de la part du ministère des Pêches et des Océans, de la GRC ou d’autres pêcheurs représentent encore un problème pour les membres de votre communauté et les Premières Nations de façon générale? Si c’est le cas, pouvez-vous nous donner des exemples? Que s’est-il passé depuis les attaques contre les membres de la Première Nation de Sipekne’katik? Pourriez-vous aussi nous dire si le gouvernement fédéral en fait assez pour aborder la question et éviter que de telles situations ne se produisent?

Le président : Nous devrons mettre fin à la réunion au plus tard à 11 heures; je tiens à vous le rappeler.

M. Paul : Oui. C’est toujours présent. Lorsque je parle aux représentants ministériels, ils... Ils ne comprennent pas le traité ou ce que signifient les droits inhérents, parce qu’ils gèrent des programmes. Ce sont eux qui devraient s’occuper de cette question. Je crois que le racisme vient de la peur. Il vient aussi d’un manque d’éducation sur certains sujets. Les représentants du ministère nous ont dit qu’ils prenaient des mesures à l’interne pour éduquer le personnel, par exemple. Cela me semble insuffisant. Ils vont faire un exercice des couvertures et d’autres activités du genre dans un environnement très sécuritaire.

La question des pêcheurs est très intimidante pour nous. Nous n’avons pas de quai, alors que c’est un élément très important. Nos membres qui pêchent et louent un quai dans les régions non autochtones n’osent pas parler de leurs droits; ils ont peur que leur véhicule soit vandalisé.

Nous avons vu ce qui s’est passé avec la Première Nation de Sipekne’katik. Nous savons que c’est arrivé aussi ailleurs, comme à Unama’ki, ou des bateaux ont été vandalisés ou détachés pendant la nuit lorsqu’il n’y avait personne autour. Nos membres ne veulent pas jeter de l’huile sur le feu.

Ce qui est préoccupant, c’est que toutes ces communautés non autochtones font de l’argent avec nos pêches. Les gens nous vendent des appâts; ils transforment nos équipements; nous leur achetons des bateaux. Or, il semble encore que nous soyons la source du problème. Je ne sais pas comment nous pouvons passer par-dessus cela.

Malheureusement, le système d’éducation n’a pas aidé les Canadiens, parce que nous n’avons rien appris sur les traités. Je crois qu’il y a un programme d’enseignement sur les traités en Nouvelle-Écosse. Ce n’est pas le cas au Nouveau-Brunswick ou ailleurs au Canada. Je ne sais pas comment aborder cela, mais c’est un problème bien réel, et c’est préoccupant.

M. Gould : Si vous aviez eu une réponse à cette question, je l’aurais prise en note.

Je vous remercie pour votre excellente question, sénateur.

Je vais tenter une réponse. Je regarde ma femme, et cela m’aide, parce que je l’aime. On ne peut aborder le problème sans en parler et sans songer à une réelle solution.

Ce que je vais dire va me rendre vulnérable. Je ne crois pas au racisme systémique. Pourquoi? Parce que la société est raciste. Si l’on permet au racisme d’être ministérialisé, alors les gens se dégagent de leur responsabilité individuelle. Si l’on fait entrer la bureaucratie là-dedans, qu’on a une case à cocher et qu’on dit : « Êtes-vous membre d’une Première Nation? Oui? D’accord. Vous voyez, nous ne sommes pas racistes. » Vous comprenez ce que je veux dire?

Le racisme est présent lorsqu’une personne est traitée différemment dans la société... J’en ai déjà parlé. Vous pouvez consulter ma page Facebook; tout y est. J’ai le cœur sur la main. Je crois que c’est mon devoir, en tant que leader. On a fait subir tout cela à notre peuple parce qu’on le juge inférieur dans notre société. Nous n’avons pas droit au même respect que les autres citoyens canadiens. C’est un fait. Tous les événements qui se produisent le démontrent. C’est ce qui arrive avec le ministère des Pêches et des Océans de façon constante. L’histoire ne cesse de se répéter. Les incidents qui se sont produits à Saulnierville ou à Burnt Church vont se produire de nouveau ailleurs.

Nous faisons notre devoir. Nous tentons de prendre les devants, d’éduquer les gens. Certains nous écoutent. Il y a de bons Canadiens; il y a de bons comités et de bons sénateurs. Il y a aussi de bons politiciens, mais ils ne nous écoutent pas.

Si l’on continue de compartimenter la responsabilité du Canada, le problème auquel font face les Premières Nations ne partira pas.

Nous n’avons pas accès à l’industrie. Nous pêchons les mollusques et les crustacés. À l’Île-du-Prince-Édouard, c’est notre territoire. Nous sommes là depuis 10 000 ans. Je dois argumenter avec des gens qui disent : « Je suis agriculteur depuis 50 ans. » Et moi je leur réponds : « C’est tant mieux pour vous, mais moi je suis ici avec ma famille depuis... depuis combien de temps déjà? » Mais on me dit que je ne peux pas aller là. Vous comprenez ce que je veux dire? Ce n’est pas logique.

Nous sommes respectueux. Nous pêchons à vos côtés. Nous travaillons avec vous dans le cadre de votre gouvernance. Nous sommes ici, nous faisons maintenant partie du gouvernement. Je crois que nous avons démontré que nous pouvions faire partie de la société. Mais on ne nous donne jamais de crédit. On ne nous donne jamais la parole.

J’ai fait des blagues avec mon collègue, M. Paul, au sujet d’une solution rapide au problème du racisme. Je ne la connais pas. Cela remonte à loin. Cela va au-delà des pensionnats et du système d’éducation.

Dans le cadre de mes conférences à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, je montre un gros livre aux gens présents. Je le tiens comme cela. Je tiens deux pages entre mes doigts. Après un certain temps, quelqu’un me demande ce que je fais et je lui réponds : « Ce sont les pages de l’histoire de l’Île-du-Prince-Édouard et de la région de l’Atlantique qui parlent des Premières Nations. » L’histoire et les cultures de tous les autres pays, comme la Chine, sont riches et denses. Au Canada, notre histoire tient sur deux pages. Je ne me souviens pas de ces discussions.

Après cela, vous allez nous dire que vous n’êtes pas racistes. Oui, la société est raciste. Si vous permettez que l’on compartimente l’histoire et que vous jetez le blâme sur ceci ou cela, alors vous vous dégagez de votre devoir et de vos responsabilités en tant que personnes.

C’est pourquoi la situation n’évolue pas plus rapidement. Nous avançons lentement vers une situation plus positive. C’est pourquoi je suis ici. C’est pourquoi bon nombre de nos enfants sont instruits. Nous avons beaucoup de techniciens compétents qui peuvent nous aider. C’est pourquoi je dis que la situation change. Nous avons des solutions.

Le président : Je rappelle aux sénateurs que nous devons clore la séance au plus tard à 11 heures.

La sénatrice Cordy : Ma question fait suite à celle du sénateur Brian.

Dans le cadre de nos réunions, nous avons entendu de nombreux témoignages sur... Je sais que vous n’aimez pas ce terme, mais on nous a beaucoup parlé du « racisme systémique ». Nous avons recommandé au gouvernement fédéral d’aborder le problème et d’offrir une formation sur le sujet. Le ministre nous a répondu que la formation était offerte et que nous pouvions la suivre. C’est donc une formation volontaire.

Dans un monde idéal, chef Gould, nous ferions la même chose que vous : nous irions dans les écoles et nous parlerions aux enfants. Si nous étions le gouvernement provincial, nous recommanderions de revoir la façon dont nous enseignons l’histoire dans le système scolaire, dès la petite enfance, afin que les jeunes ne soient pas surpris de l’entendre lorsqu’ils auront 20 ans. En tant qu’ancienne enseignante, c’est très important pour moi. Vous avez tout à fait raison : lorsque j’étais à l’école, on ne nous enseignait pas grand-chose sur vous, à part la vieille histoire sur les peuples autochtones ou les Mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse.

Est-ce que le gouvernement fédéral a pris suffisamment de mesures pour gérer les diverses opinions au sein du ministère — pas seulement à Pêches et Océans Canada, mais aussi à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et à la GRC? Vous avez parlé de la Nouvelle-Écosse et des défis associés à la présence de la GRC, qui ne favorise peut-être pas le dialogue. Que peut-on faire? Comment peut-on gérer la situation?

M. Gould : Je vais vous répondre brièvement, puis je céderai la parole à M. Paul.

Je crois que la solution qu’on a trouvée, c’est la symbolisation de notre peuple. Depuis l’affaire Sparrow, certaines personnes ont participé à l’application de la loi avec le ministère des Pêches et des Océans. Elles ont pu expliquer à la communauté qu’il y avait un profond ressentiment envers nos peuples. Mon frère et ma famille entretiennent des liens avec la GRC. Je crois que les gestes symboliques n’aident pas. À Saulnierville, où je suis le chef et le leader de mon peuple, si l’on tente un geste symbolique pour apaiser la violence, cela ne fonctionne pas. Ce n’est pas utile. On n’aura pas abordé la cause profonde du problème.

Allez-y, mon ami.

M. Paul : On a créé la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, je crois. On a tenu l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et on a créé la Commission de vérité et réconciliation. Toutes ces initiatives ont donné lieu à des recommandations. Les ministères du gouvernement fédéral devraient peut-être tenir compte des recommandations qui les concernent et les mettre en œuvre. Elles ont été sanctionnées par le Canada.

La sénatrice Cordy : Ce n’est pas un seul ministère...

M. Paul : Non, il ne s’agit certainement pas d’un seul ministère.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie.

Le sénateur Kutcher : Je vais moi aussi aborder la question du racisme.

Ce qu’on dit, à la section sur la formation continue, c’est que le ministère donne de la formation sur les préjugés inconscients, qu’on appelle souvent la formation sur les préjugés implicites. Permettez-moi de vous lire une citation tirée de la revue Scientific American :

Il n’y a qu’un seul problème ici : aucune preuve ne démontre l’efficacité de la formation sur les préjugés implicites.

Ce ne serait pas la première fois que le gouvernement prend des mesures sans savoir si elles sont efficaces ou non.

Quelle mesure proposeriez-vous, à part la sensibilisation dans les écoles? J’ai une propriété sur la rive nord de l’Île-du-Prince-Édouard. De quel modèle pourrait-on s’inspirer ou de quelle façon pourrions-nous entamer la conversation pour prendre de nouvelles directions?

M. Gould : Il faut adopter un changement philosophique. En trouvant la source du problème, on peut travailler collectivement à la solution. Cette conversation n’a pas lieu. On ne peut pas appliquer une solution temporaire et espérer qu’elle fonctionne. Elle ne fonctionnera pas. Elle nous permettra peut-être d’acheter un peu de temps, mais c’est tout.

L’éducation est mon cheval de bataille. Récemment, dans le cadre de mon mandat de chef, j’ai eu l’occasion d’exercer une influence dans d’autres domaines. Je ne tiens pas compte de nous parce qu’il s’agit d’une génération perdue, à force de subir du racisme et d’entendre des messages tout à fait contradictoires. Je me concentre plutôt sur les enfants parce que c’est avant tout une question d’éducation. S’il y a 100 jeunes qui m’écoutent parler — je visite divers établissements, allant des écoles secondaires jusqu’à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard —, il y en aura un qui dira : « Attendez une seconde. Ce n’est pas vrai. J’ai parlé au chef Gould. Je l’ai entendu parler à l’école, et ce qu’on dit au sujet des membres des Premières Nations n’est pas vrai. Ils ne sont pas tous paresseux. Ils ne sont pas tous telle ou telle chose. Ce sont des gens honnêtes et travaillants. » Prenons l’exemple de ma communauté. Nous sommes des gens instruits et nous nous débrouillons bien dans le cadre de toutes les politiques et procédures. Or, l’accent est mis sur les aspects négatifs, et c’est parce que nous, en tant que société, avons laissé faire et continuons à laisser faire. Nous ne nous sommes pas attaqués au problème de fond, à savoir l’éducation. L’un de ces jeunes rentrera chez lui... D’ailleurs, certains parents viennent me dire : « Je me souviens d’avoir joué au ballon avec vous à l’époque, Junior » —, c’est ainsi qu’ils m’appellent —, et ils ajoutent : « Aujourd’hui, ma fille m’a parlé de ce que vous avez dit, et vos propos l’ont vraiment touchée et émue. » J’ai donc pu modifier le point de vue de cette personne et la façon dont elle percevait notre peuple. Cela en valait la peine.

La sénatrice R. Patterson : Nous savons que la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones existe depuis 2021, même si nous savons qu’elle remonte à plus loin. Il m’a suffi de consulter la version préliminaire publiée l’année dernière en juin. Nous avons parlé de la différence entre les politiques et une véritable gouvernance de nation à nation aux échelons supérieurs, et bon nombre des éléments que vous avez mentionnés en font partie intégrante.

Il y a beaucoup de nations autochtones. Il ne s’agit pas d’un groupe homogène, ce qui fait partie du racisme que vous évoquez. Avez-vous participé d’une manière ou d’une autre à la discussion sur les plans d’action et à leur présentation aux hautes sphères des gouvernements aux termes de cette loi qui vous donne le droit de négocier en matière de pêches et d’industrie? Y avez-vous pris part d’une manière ou d’une autre?

M. Paul : Notre nation participe à un processus, et je crois que l’Assemblée des Premières Nations se réunira à ce sujet la semaine prochaine.

La loi elle-même suscite des inquiétudes parce qu’elle a été adoptée durant la pandémie de COVID-19. Le terme « droits » figure dans le titre — c’est de cela qu’il s’agit —, mais la loi n’a fait l’objet d’aucune consultation. L’autre point qui nous inquiète, c’est qu’il s’agit d’une loi du Parlement, ce qui signifie qu’un parti au pouvoir peut, à tout moment, en modifier les dispositions. Ce n’est pas notre loi; c’est la loi du Canada. Voilà donc le genre de choses qui nous préoccupent.

Nous avons également vu ce qui s’est passé en Colombie-Britannique, où cette mesure législative — celle concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — est en vigueur depuis environ cinq ans, mais où aucun changement concret n’a encore été apporté aux lois provinciales. Nous savons que si nous voulons voir des changements concrets, cela prendra beaucoup de temps. Nous ignorons quel en sera le résultat final.

Nous devons donc nous y adapter, car cette loi est là. Personnellement, je ne recommanderais pas à mes chefs d’attendre jusque là. Nous avons commencé à faire bouger les choses, mais nous devons continuer à prendre les mesures nécessaires pour asseoir notre gouvernance. Si le projet de loi peut nous aider en cours de route, tant mieux. Si ce n’est pas le cas, nous continuerons à faire ce qui s’impose.

M. Gould : L’unification des droits issus des traités est au cœur de ce que nous faisons à l’Assemblée des Premières Nations. Il s’agit d’un travail de lobbying. J’ai récemment pu apporter des changements — et je ne dis pas cela pour me vanter —, mais on peut changer un organe bureaucratique ou un processus gouvernemental parce que l’Île-du-Prince-Édouard est maintenant reconnue comme ayant un siège à la table exécutive de l’Assemblée des Premières Nations. Pendant des années, l’Île-du-Prince-Édouard était chapeautée par le Nouveau-Brunswick. Le sénateur Francis et moi-même nous sommes battus pour changer cette situation, et nous y sommes parvenus. L’une des choses que j’ai pu faire — du point de vue de notre propre diligence raisonnable —, c’est de m’adresser à 600 chefs en Colombie-Britannique. J’ai réussi à obtenir le soutien nécessaire pour que l’Île-du-Prince-Édouard soit reconnue en tant que membre de l’exécutif à la table des négociations. J’ai réussi à établir un lien entre les Premières Nations de la côte Est et celles de la côte Ouest, car les violations des droits issus de traités dont souffrent nos peuples aux termes de l’arrêt Marshall, ou en l’absence d’une entente d’accommodement après l’arrêt Marshall, peuvent avoir la même incidence sur leurs droits relatifs au saumon sur la côte Ouest — et sur toutes les autres personnes situées ailleurs. J’ai donc pu prendre la parole et expliquer à quel point cela est important pour une petite province et une petite Première Nation de 500 membres — et c’est tout aussi important lorsqu’il s’agit des droits issus des traités et des précédents. Il existe une approche unifiée à l’Assemblée des Premières Nations, mais il y a une grande diversité d’intérêts individuels.

Le président : Merci au chef Gould, à M. Paul et aux sénateurs pour cette discussion très intéressante et très productive.

Pour faire écho à ce que nous avons entendu, j’ai grandi à Terre-Neuve-et-Labrador où l’on nous enseignait l’histoire de Napoléon, des tsars russes et des présidents américains, mais pas celle de Terre-Neuve-et-Labrador. Je pense que nous avons un long chemin à parcourir dans bien des domaines.

Je tiens à remercier les sénateurs, les témoins et les personnes qui nous ont aidés à organiser la réunion de ce matin. Je vous remercie de votre participation. Soyez prudents.

(La séance est levée.)

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