LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 20 avril 2023
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 9 h 3 [HE], avec vidéoconférence, pour étudier la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, déposé auprès du greffier du Sénat le 12 juillet 2022.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à la séance d’aujourd’hui. Je m’appelle Fabian Manning, je suis sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et je suis heureux de présider la séance du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Si des difficultés techniques surviennent, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez les signaler, à moi ou au greffier, et nous nous efforcerons de régler votre problème.
Avant de commencer, je voudrais vous informer du fait que le personnel des Communications du Sénat se joint à nous aujourd’hui pour prendre des photos et des vidéos de la séance. Le contenu, une fois approuvé, pourrait être affiché dans tous les édifices du Sénat et servir à la promotion future des travaux du comité. Souriez. Êtes-vous d’accord pour permettre au personnel des Communications du Sénat de prendre des photos et des vidéos pendant la séance? D’accord. Merci. La motion est adoptée.
Je vais maintenant prendre quelques minutes pour permettre aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Francis : Sénateur Francis, Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Busson : Sénatrice Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
Le président : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs.
Le 7 mars 2023, la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, intitulé Paix sur l’eau, a été déposée auprès du greffier du Sénat. Le 24 février 2023, le comité a été saisi d’un ordre de renvoi visant l’étude de la réponse du gouvernement.
Aujourd’hui, dans le cadre de ce mandat, le comité entendra les témoins suivantes : Mme Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto; Rosalie Francis, avocate autochtone à RFrancis Law et membre de la Première Nation Sipekne’katik; et Constance MacIntosh, professeure à l’École de droit Schulich de l’Université Dalhousie. Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui. Je crois comprendre que les trois témoins ont une déclaration préliminaire à faire, après quoi les sénateurs leur poseront des questions.
Madame Palmater, comme vous comparaissez en personne, ce matin, vous serez la première à qui je donnerai la parole.
Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Il est dommage que je ne sois pas avec Mme MacIntosh et Me Francis, mais je suis heureuse que nous soyons dans le même groupe.
Je vous remercie de m’avoir invitée, sénateurs. Ce sujet est très important. Je suis de la nation souveraine micmaque sur le territoire Mi’kma’ki non cédé. Ma communauté d’origine est la Première Nation d’Ugpi’ganjig — d’Eel River —, et ma famille, ma communauté et ma nation ont à cœur de protéger et de gouverner les pêches et de faire tout ce que nous pouvons pour nous assurer que les Micmacs obtiennent tous les droits qui s’y rattachent.
J’ai également corédigé, avec Me Francis et d’autres personnes, un mémoire présenté au Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, dans lequel on dénonçait le fait que le Canada n’avait pas protégé physiquement les Micmacs ni leurs droits.
En réaction à votre rapport intitulé Paix sur l’eau, je tiens d’abord à vous remercier. Merci d’avoir tenu compte des préoccupations, des points de vue, des recherches et de l’expertise des gens qui ont comparu devant vous, plus particulièrement les représentants des nations souveraines qui sont touchées par ces droits ancestraux et inhérents issus de traités.
Dans l’ensemble, la réponse du gouvernement est insuffisante. C’est essentiellement le même genre de réponse ou d’observations qu’il présente aux Nations unies ou à tout autre comité : une liste de tous nos programmes et des sommes que nous avons dépensées. Il n’y a vraiment rien au sujet du fait d’assumer la responsabilité à l’égard du non-respect des droits et de la façon dont la réparation sera assurée, pas seulement pour l’avenir ou ce qui arrivera grâce à un plan d’action, mais pour ce qui est de compenser les pertes subies.
Le rapport contient beaucoup de belles paroles dans la veine de l’engagement, du renouvellement, de la mobilisation et du dialogue — comme d’habitude —, mais il y a aussi un problème de formulation. La ministre parle des possibilités qui s’offrent aux Micmacs au lieu de les ancrer fermement dans leurs droits — leurs droits inhérents et souverains, les droits issus de traités, les droits des Autochtones et les droits de la personne. Elle parle également d’accommoder les peuples autochtones et les nations signataires de traités, au lieu de reconnaître pleinement nos droits d’autonomie gouvernementale, et pas seulement le droit de pêche en soi. Il ne s’agit pas que de l’acte consistant à le faire, c’est le droit de gouverner et de réglementer. Elle parle des Micmacs comme si elle voulait qu’ils soient consultatifs — qu’ils jouent un rôle consultatif, qu’ils siègent à des comités, qu’ils participent à des études —, mais le rapport ne met pas vraiment l’accent sur l’autonomie gouvernementale.
Au bout du compte, ce n’est pas la bonne approche. La ministre examine la question de son point de vue axé sur la façon d’autochtoniser le ministère des Pêches et des Océans — ou MPO. C’est comme ce que font les prisons. On se demande comment apporter plus d’art autochtone dans les prisons, alors que l’objectif est de sortir les Autochtones des prisons. C’est la même chose dans le cas du MPO. C’est formidable que l’on embauche des Autochtones et que l’on ait des connaissances autochtones, mais on ne reconnaît pas l’aspect de l’autonomie gouvernementale.
En outre, le fondement est problématique. On part de l’idée qu’il s’agit d’une pêche partagée. On ne reconnaît pas que les Micmacs ou les autres nations signataires de traités n’ont jamais cédé leurs terres, leurs eaux ou leurs ressources dans un traité ou autrement. Il ne s’agit pas d’une ressource partagée; c’est une ressource volée, et elle n’est même pas partagée équitablement en ce moment. En réalité, on ne reconnaît pas le contexte juridique ou historique dans lequel elle s’inscrit.
Il n’y a aucune responsabilisation ni reconnaissance du racisme. Si on veut établir un plan pour être contre le racisme, on doit dire : « Voici toutes les façons dont nous avons été racistes. Voici toutes les façons dont le MPO, la GRC, la Garde côtière » — ou n’importe laquelle des organisations gouvernementales concernées — « ont agi de façon raciste en faisant de la discrimination, en excluant les Autochtones et en violant leurs droits. »
Il n’y a aucun plan de réparation. Comment allez-vous compenser toutes ces violations des droits et l’absence de mise en œuvre complète? Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que vous savez qu’il faut faire plus. Qu’avez-vous fait? Qu’avez‑vous fait de mal, et comment allez-vous faire pour vous racheter?
Il n’y a pas d’urgence. Tout ce que je vois, c’est qu’il y aura un plan d’action et qu’un rapport sera produit tous les cinq ans. Cette situation pourrait durer pendant encore 20 ans, car on tente actuellement d’arrêter et de remettre en cause le droit issu de traités que nous avons, et c’est ce qui est en train de se passer.
Enfin, il n’y a pas de transparence. On parle de négocier et de communiquer les réponses, mais on ne le fait pas. Je veux savoir combien gagnent tous ces autres pêcheurs non autochtones. Je veux un compte rendu fidèle de toutes les plaintes présentées. Je veux un compte rendu de tous les Micmacs qu’on a déjà accusés de quoi que ce soit, qu’il s’agisse d’une infraction civile ou criminelle, des peines imposées et du moment où on prévoit radier le casier judiciaire qu’ils ont obtenu parce qu’ils avaient fait quelque chose qui est un droit issu d’un traité. Il ne suffit pas de dire qu’il faut faire mieux. Comment allez-vous faire amende honorable?
Je voudrais également soulever quelques problèmes tenant au fait que, au début, la ministre parle des nations signataires de traités et d’une entente de nation à nation, mais, à mesure que l’on avance dans le document, elle commence à parler des groupes autochtones et des intérêts autochtones comme si nous étions des parties prenantes, et ce n’est tout simplement pas le cas. Nous sommes les véritables gouverneurs de la ressource.
Le président : Merci, madame Palmater.
Me Rosalie Francis, avocate autochtone, RFrancis Law, et membre de la Première Nation de Sipekne’katik, à titre personnel : Je vous remercie, madame Palmater. C’était excellent. Ce dont je vais parler dans mes observations reflétera probablement les sujets abordés par Mme Palmater. Néanmoins, je vais vous adresser mes commentaires.
Weli’eksitpuk, mesdames et messieurs les sénateurs et autres témoins. Rosalie Francis teluisi. TleyawiSipekne’katik, communauté micmaque. Alors, bonjour. Je m’appelle Rosalie Francis, et je viens de la communauté micmaque de Sipekne’katik. Je suis heureuse de comparaître ce matin pour discuter avec vous de cette question importante. Je vous parle aujourd’hui depuis le Mi’kma’ki, le territoire non cédé du peuple micmac. Je reconnais également que votre séance a lieu sur le territoire algonquin anishinabe non cédé.
J’aimerais vous adresser quelques commentaires préliminaires au sujet des droits issus de traités des Micmacs qui sont abordés dans votre rapport, Paix sur l’eau, et de la réponse du Canada au rapport, en particulier celle du MPO.
Le ministère a mentionné qu’il appuie la modification de la Loi sur les pêches et rappelle que la loi a été modifiée en 2019 par l’inclusion de la clause de non-dérogation pour la protection des droits ancestraux et issus de traités, et à juste titre. Cependant, il est important de se rappeler que, pendant ce processus de modification, le Sénat a entendu le témoignage du chef Terry Paul et du conseiller juridique Bruce Wildsmith, de l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse, et qu’ils avaient recommandé que la loi soit modifiée de manière à y inclure des dispositions sur les droits issus de traités relatifs aux moyens de subsistance. Cette modification aurait obligé le Canada, par le truchement de cette loi, à s’occuper de la mise en œuvre des droits de subsistance. Elle n’a pas été incluse dans les modifications finales de la Loi sur les pêches. Par conséquent, cette loi continue d’établir la responsabilité à l’égard de la gestion et du contrôle appropriés des pêches, mais elle ne prévoit aucun pouvoir législatif pour l’exercice des droits de subsistance.
Il s’agit d’un problème important qui joue un rôle clé dans le fait que l’on continue de priver le peuple micmac de l’exercice légal de ses droits issus de traités relatifs aux moyens de subsistance, à savoir l’absence de pouvoir législatif exercé davantage. Même si les Micmacs ont le droit constitutionnel issu d’un traité de pêcher pour gagner leur vie — et que le Canada doit en tenir compte —, le pays n’a jamais apporté de modification législative à ce droit. Cette lacune a donné lieu à notre situation actuelle, c’est-à-dire qu’on qualifie les pêcheurs autochtones visés par un traité de pêcheurs illégaux, ce qui, en droit, est inexact. De plus, la qualification a incité les fonctionnaires du MPO à harceler et à accuser — et c’est toujours le cas aujourd’hui — les pêcheurs micmac et wolastoqey de faire de la pêche illégale, dans un contexte où la loi est, en fait, considérée comme la panacée qui confère au ministère le pouvoir de gérer la pêche au Canada.
Néanmoins, le MPO est pleinement conscient du fait que les pêcheurs autochtones ne pêchent pas illégalement, puisqu’ils ont des droits protégés par la Constitution qui ont préséance sur les droits de pêche prévus par la Loi sur les pêches. En raison de ce manque d’accommodement législatif à l’égard du droit issu de traités, les communautés autochtones se retrouvent dans une situation sans issue où, si elles souhaitent exercer leur droit, elles seront forcées d’être considérées comme des criminelles par le MPO, exposées à des mises en détention criminelle, à des accusations et à la saisie de leur équipement. Cette criminalisation des peuples autochtones dans le cadre de l’exercice de leurs droits a été soulignée par les Nations unies dans un rapport spécial, et il faut absolument s’y attaquer.
Dans la réponse du Canada au rapport, le MPO signale également que l’article 4.1 de la loi pourrait être un outil permettant de traiter des droits de subsistance issus de traités dans le cadre d’ententes de nation à nation. Mais cette déclaration est trompeuse et fausse, parce que, dans le cadre du conflit de 2020 au sujet de la pêche visée par un traité, en Nouvelle-Écosse, la collectivité des Premières Nations a offert au MPO la possibilité de conclure une entente en vertu de cet article. Cette entente aurait pu mettre fin immédiatement au conflit de pêche en reconnaissant la pêche prévue par des traités, conformément aux droits issus de traités — il n’y avait là rien d’exceptionnel — et en favorisant la collaboration entre le MPO et les Premières Nations en ce qui a trait à la gestion des pêches. Le ministère a carrément refusé d’envisager une telle option. Il est trompeur de sa part d’affirmer maintenant que l’article 4.1 est un excellent outil.
Par ailleurs, le Canada affirme maintenant que l’article 4.1 ne confère pas au MPO le pouvoir de conclure avec les peuples autochtones des ententes sur l’élaboration des lois, sauf si elles font partie d’un accord d’autonomie gouvernementale. Si c’est exact, cela démontre encore une fois que le libellé actuel de la loi, en soi, ne tient pas compte des droits issus de traités. Cela démontre également que, si elle avait été acceptée, la modification que l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse avait proposé d’apporter à la loi en 2019 aurait pu intégrer dans la loi la compétence de traiter de façon législative l’exercice des accords sur les droits de subsistance issus de traités visés par les accords, conformément à l’article 4.1.
En réponse à la création d’un nouveau cadre législatif, le MPO a souligné que le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones prévoit un cadre pour réagir à la reconnaissance des droits en matière de pêche, lequel comprend une réaction aux droits reconnus dans l’arrêt Marshall, ce que les auteurs semblent considérer comme une réponse adéquate. Mais, encore une fois, cette déclaration est trompeuse et inexacte et constitue une mauvaise interprétation de la réglementation communautaire. Le règlement confère au ministre le pouvoir de délivrer à une Première Nation un permis communautaire qui lui permettra de pêcher, mais ce permis ne permet pas de régler les problèmes liés aux droits issus de traités et à la nature des droits. Les règlements communautaires ne donnent accès qu’à la pêche. Ils ne reconnaissent aucun droit d’une nation ni le fait que celle-ci pêche pour exercer ces droits. Ils ne reconnaissent à la Première Nation aucun pouvoir de gérer ou de se gouverner elle-même en ce qui concerne les droits issus de traités, conformément à ses enseignements culturels. Il s’agit d’une approche coloniale que le Canada continue d’adopter à l’égard des droits des Autochtones, qui ne reconnaît et ne confère aucune autorité à la Première Nation et qui va absolument à l’encontre de la réconciliation. C’est précisément pourquoi de nombreuses Premières Nations refusent d’accepter tout type de permis de la ministre, et c’est également sur ce permis même que reposent les accords de réconciliation fondés sur les droits. Le fait que le Canada continue de s’appuyer sur la réglementation communautaire pour la mise en œuvre des droits issus de traités des Autochtones est incompatible avec le caractère du droit issu de traités protégé par la Constitution et ne réglera pas les problèmes qui se posent encore aujourd’hui relativement à la mise en œuvre de ces droits.
La question du droit inhérent des peuples autochtones à la gestion de leurs pêches et de celles visées par des traités est problématique depuis de nombreuses années et n’a jamais été abordée par le MPO. Les Micmacs et les Wolastoqey ont le droit inhérent de gérer leurs droits de pêche issus de traités. La gestion des ressources est une pratique qui existait depuis des milliers d’années avant l’arrivée des Européens sur notre territoire et qui est un droit inhérent reconnu par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, par les articles 3, 4 et 26 en particulier. Le MPO continue de prétendre qu’il appuie la gestion autochtone et cite ses diverses initiatives, comme l’a mentionné Mme Palmater, comme le Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques, ou PAGRAO, la Stratégie relative aux pêches autochtones, ou SRAPA, et d’autres. Mais ces initiatives sont des réponses stratégiques qui ne donnent aux Premières Nations aucun pouvoir sur les droits de gestion des pêches conformément à leur pouvoir inhérent. Lorsqu’un type quelconque de gestion ou de pouvoir est prévu au titre de ces politiques, il est minime, au mieux, et il est entièrement fondé sur l’autorité de la ministre, et non pas sur l’autorité inhérente des Premières Nations ou sur la reconnaissance d’un droit. Le MPO et le Canada ont tout à fait tort de soutenir que ces initiatives portent sur le pouvoir inhérent des Premières Nations de gérer leurs droits.
Dans son rapport, le Sénat a recommandé que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada — ou RCAANC —, et non pas le MPO, soit responsable des discussions avec les Premières Nations sur la mise en œuvre des droits issus de traités. Mais je sais que, lorsqu’on l’a interrogé sur cette question… aujourd’hui, RCAANC continue de renvoyer ces discussions au MPO. C’est problématique pour plusieurs raisons.
Premièrement, nous savons que le droit inhérent de gérer les droits de pêche issus de traités est essentiel à l’exercice de ce droit et tel que les Premières Nations le comprenaient lors de l’élaboration de leurs plans de gestion des pêches. Mais, pour qu’il puisse bien mettre en œuvre ce droit, le Canada doit avoir le pouvoir d’engager de telles discussions. De son propre aveu, à la page 3 de la réponse du Canada, le MPO reconnaît qu’il n’a pas le pouvoir de se pencher sur ces questions. De fait, si nous examinons la lettre de mandat de 2021 de RCAANC, c’est ce ministère qui a reçu le mandat d’examiner l’autonomie gouvernementale et les discussions de nation à nation avec les nations autochtones. À mon avis, ces faits montrent clairement que, si le Canada veut mettre en œuvre des droits de pêche issus de traités conformes au droit de gérer ces droits, il doit en discuter avec RCAANC, pas avec le MPO. Les discussions avec le MPO ne permettront pas de régler les problèmes qui mèneront à la mise en œuvre adéquate des droits issus de traités et continueront de priver les peuples autochtones de leurs droits.
Deuxièmement, nous savons que, jusqu’à présent, la réponse du MPO aux problèmes de gestion a été dictée uniquement par les politiques, et la ministre affirme que c’est suffisant. Mais cette position montre également que le MPO refuse de reconnaître que la gestion des droits issus de traités doit être fondée sur le pouvoir inhérent, et ce manque de reconnaissance du droit inhérent sera d’emblée un obstacle à toute discussion sur la gestion.
Enfin, la réticence persistante du MPO dans son ensemble à reconnaître les droits issus de traités des Autochtones persiste et a été documentée par l’Institut national des pêches autochtones dans l’examen des programmes du MPO qu’il a réalisé en 2018. C’est cette mentalité du MPO qui est une forme de racisme systémique et, si on continue de ne rien faire, elle continuera d’entraver toute discussion de nation à nation sur la mise en œuvre des droits.
Pour que cette mise en œuvre soit couronnée de succès, elle doit être menée par des parties qui représentent le Canada et qui, premièrement, ont le mandat de s’attaquer à ce problème et, deuxièmement, ont un état d’esprit qui reconnaît l’autorité inhérente des peuples autochtones conformément à la Déclaration des Nations unies.
Merci beaucoup.
Le président : Merci, maître Francis.
Madame MacIntosh, vous avez la parole.
Constance MacIntosh, professeure, École de droit Schulich, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonjour et merci de m’accueillir aujourd’hui. Je suis très reconnaissante de la possibilité de témoigner.
Je voudrais commencer par reconnaître que les recommandations du rapport du comité sont vraiment utiles, à mon avis. Elles visent clairement à déloger le statu quo de façon significative, et j’aurais aimé que nous nous soyons réunis aujourd’hui pour parler du premier rapport du MPO sur la façon dont il donnera suite aux recommandations, mais ce n’est pas le cas.
Je vais souligner les éléments de la réponse du Canada que j’ai trouvés très décevants, dont certains ont déjà été soulevés par Me Francis et Mme Palmater.
L’une des recommandations portait sur un nouveau cadre législatif qui reconnaît les droits inhérents et issus de traités à l’égard du poisson, et la réponse du MPO, essentiellement, rejette cette solution comme étant redondante en évoquant la réglementation, les permis de pêche communautaires et tout le reste dont Me Francis a parlé. Votre rapport documente de façon détaillée le fait que cette réglementation, ces initiatives et ces politiques ne sont acceptées par la plupart des communautés micmaques comme rien de plus que des mesures provisoires, que les négociations sont souvent improductives, que les ententes sont fondamentalement insatisfaisantes et qu’elles offrent tout au plus l’accès à la pêche commerciale, mais ne reconnaissent pas les pêches fondées sur les droits ni les droits de gouvernance. Cette approche est inacceptable, mais on continue dans cette voie.
Une deuxième recommandation que j’ai jugée essentielle était celle de l’intégration des lois autochtones dans les processus décisionnels fédéraux en matière de pêches. J’ai été tellement heureuse de voir cette recommandation. Elle reflétait le manque de volonté politique du MPO de reconnaître la gouvernance, les pratiques autochtones et les lois sur la conservation . En réponse, la ministre a déclaré que l’article 4.1 de la Loi sur les pêches ne l’autorise pas à reconnaître le pouvoir législatif autochtone en matière de pêches. J’estime que cette réponse n’a pas été donnée de bonne foi en ce sens que la ministre a le pouvoir de proposer des modifications aux lois sous le régime desquelles les pêcheurs mènent leurs activités. Toute restriction législative à la capacité du MPO de reconnaître les lois autochtones en est une que le ministère s’impose et refuse de chercher à lever.
L’une de vos autres recommandations concernait l’accès aux pêches. Le comité a recommandé, de façon très raisonnable, selon moi, que l’on réaffecte les quotas pour régler les problèmes de conservation plutôt que de se contenter d’acheter des permis dans le cadre d’un régime de vente de gré à gré. Le comité a formulé cette recommandation en raison de l’abondance de témoignages que ses membres ont reçus au sujet de l’absence de vendeurs consentants. La ministre a refusé d’aborder cette réalité. Il est inacceptable que la concrétisation des droits repose sur la volonté de parties privées de renoncer à un privilège qu’elles possèdent uniquement parce que les droits de pêche issus de traités des Micmacs sont illégalement refusés depuis très longtemps. Alors, tant que le MPO refusera de réaffecter les droits et qu’il privilégiera cette voie qui, nous le savons, ne fonctionne pas, les droits seront refusés et l’accès restera illusoire.
En ce qui concerne les recommandations du comité qui portent sur le racisme institutionnel et la sécurité sur l’eau, comme je l’ai déclaré dans des observations adressées précédemment au Sénat, je suis toujours d’avis que les responsabilités du gouvernement fédéral en matière de pêches au titre des traités de paix et d’amitié consistent essentiellement à protéger les Micmacs contre toute ingérence — beaucoup moins le danger —, lorsqu’ils exercent leurs droits issus de traités. La réponse du MPO en matière de sécurité — l’appel à rendre publique la réponse du Canada au Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale — a été décevante. La ministre des Pêches et des Océans aurait peut-être raison de déclarer que la décision de publier ou non la réponse revient au ministre du Patrimoine canadien, mais ce n’est pas une réponse. Une réponse significative consiste à s’engager à l’égard d’un gouvernement transparent et responsable qui, à tout le moins, demande véritablement la publication de cette réponse du Canada aux conclusions de l’ONU, selon lesquelles le pays ne protège pas les pêches et les collectivités autochtones contre la violence, afin que nous puissions tous la voir.
L’engagement du MPO à continuer de travailler avec la GRC pour assurer la sécurité des collectivités a été tout aussi décevant. Comme Mme Palmater l’a mentionné, il n’y a eu aucune reconnaissance des défauts de protéger qui sont documentés ni aucun énoncé concernant la façon dont on remédierait à ces lacunes. Il n’est pas suffisant de maintenir les pratiques qui, on l’a déjà constaté, laissent les gens sans protection. Ce n’est pas honorable.
L’une des recommandations importantes du rapport du comité était que le MPO lui rende compte de la mise en œuvre du droit de pêche inhérent. La réponse du ministère a été qu’il faisait déjà rapport au Conseil du Trésor et qu’un jour, il rendrait des comptes au Parlement concernant la loi visée par la déclaration des Nations unies. Ces rubriques de rapports et de reddition de comptes sont conçues par le gouvernement fédéral en fonction de critères qu’il conçoit au sujet de ce dont il faut rendre compte. Je suis certaine que celles du Conseil du Trésor n’ont rien à voir avec l’obligation du MPO de décrire les mesures prises pour protéger et soutenir les pêches fondées sur les droits. Ce sont toutes des mesures de comptabilité financière. La réponse du MPO au sujet de la nécessité de produire un rapport sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, au vu du fait qu’il a déjà mentionné qu’aucun changement législatif n’est nécessaire, semble laisser entendre qu’il a déjà conclu qu’il respecte déjà la déclaration de l’ONU et qu’il n’y aura donc aucun changement à cet égard non plus. Les collectivités micmaques ont désespérément besoin de rapports et de reddition de comptes, compte tenu des critères que les collectivités ont elles-mêmes désignés comme étant pertinents à la lumière de ceux qu’elles ont elles-mêmes désignés comme représentant la reddition de comptes.
Voilà qui m’amène à mon dernier commentaire, qui porte sur l’autonomie gouvernementale et la cogestion. Me Francis et Mme Palmater nous ont déjà adressé des commentaires très convaincants et très précis à ce sujet, mais je tiens à souligner que, dans sa réponse à la question de l’autonomie gouvernementale, la ministre a souligné que le MPO avait effectué une évaluation interne en 2021, dans le cadre de laquelle il a constaté que les besoins des collectivités autochtones n’étaient pas satisfaits et que, pour y répondre, il devait accorder la priorité à la conception, l’élaboration et la prestation conjointes. Cette réplique donne essentiellement à penser que le ministère agit comme si le fait d’observer son échec interne était une réponse à la recommandation. Encore une fois, nous ne voyons rien pour l’avenir. Ce rapport a été publié en 2021, et nous n’avons pas entendu parler de ce qui a été fait depuis 2021 pour donner suite aux conclusions ni de la façon dont ces priorités sont prises en compte. C’est l’une des raisons pour lesquelles le MPO ne peut pas mener la charge. Comment les collectivités peuvent-elles avoir confiance lorsque les propres employés de la ministre tirent ces conclusions au sujet de leurs échecs si la ministre ne présente pas de stratégie pour y donner suite?
Je vais m’arrêter là. Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui.
Le président : Je remercie les témoins de leurs observations préliminaires très intéressantes, qui ont amené plusieurs sénateurs à souhaiter poser des questions.
J’essaie toujours de donner le plus de latitude possible. C’est un sujet très important. Je suis certain qu’il y a des questions très importantes auxquelles il faut répondre. Cependant, je demande à chaque sénateur de poser une question suivie d’une complémentaire pour que tout le monde puisse poser une question. Si nous devons procéder à une deuxième série de questions, nous le ferons.
Sur ce, je commencerai la période de questions en cédant la parole à notre vice-présidente.
La sénatrice Busson : Merci à tous de votre présence. La quantité d’expertise des témoins ici présentes en ce qui concerne les ramifications juridiques de notre étude, la réponse du gouvernement, et ainsi de suite, est vraiment incroyable. Je vous remercie d’avoir pris le temps de venir comparaître.
Ma question porte sur l’importante discussion concernant la mise en œuvre des lois et les répercussions sur les droits des pêcheurs autochtones lorsqu’ils exercent ces droits. Nous discutons de la réponse du gouvernement au rapport du comité. À cet égard, la ministre s’est engagée « ... à revoir et à modifier les lois pertinentes en consultation avec les peuples autochtones afin de mettre pleinement en œuvre les droits de pêche. » Pourtant, en écoutant toutes vos observations préliminaires, il semble que, de votre point de vue, aucune de ces mesures ne se concrétise. À votre connaissance, le MPO a-t-il déployé des efforts visibles en réaction à la réponse du gouvernement l’an dernier? À votre avis, a-t-on tenté d’améliorer de façon significative ou substantielle les voies de communication, compte tenu des recommandations directes et difficiles qui figurent dans le rapport?
Mme Palmater : C’est une question vraiment importante.
On peut voir la contradiction inhérente dans la réponse du gouvernement. D’un côté, le rapport dit qu’on s’engage à examiner et à modifier les lois, ce qui semble bien, mais on a déjà déclaré qu’il n’y a pas de changements nécessaires, selon la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, par exemple, en ce qui concerne les pêches. Puis, on poursuit en donnant toutes les raisons pour lesquelles on ne peut pas prendre ces mesures. « Nous ne pouvons pas. Nous n’avons pas l’autorisation. » Alors, le rapport commence très bien — de nation à nation, revoir les lois —, mais, à la fin, il énonce toutes les raisons pour lesquelles on ne peut pas le faire. Cela n’inspire pas beaucoup de confiance quant au fait que ces mesures seront prises.
Évidemment, je ne parle pas au nom de tous les Micmacs de tout le Mi’kmaki, mais toutes les Premières Nations et moi‑même, ainsi que les personnes avec qui je travaille sur les droits issus de traités et les pêches, n’avons vu aucun engagement significatif quant à savoir quelles lois précises on va modifier, quel est le processus d’examen et qui va y participer. Le ministère dispose-t-il d’experts, ou bien ne fait-il que parler à l’Assemblée des Premières Nations — ou l’APN? Parce qu’elle n’a rien à voir avec ce qui se passe en Mi’kmaki, à moins que tous les gens de ce territoire ne disent : « Oui, l’APN prendra la relève. »
Le président : Afin que tout le monde n’ait pas nécessairement à répondre à chaque question, je vous demanderais simplement, honorables sénateurs, si vous adressez votre question à une témoin, de bien vouloir la nommer. Si vous voulez entendre tous les témoins, nous pouvons le faire aussi.
Madame MacIntosh, vous avez la parole.
Mme MacIntosh : J’aimerais simplement ajouter qu’il est très évident, d’après la réponse du gouvernement, qu’il croit avoir déjà les instruments adéquats pour faire ce qu’il considère comme une mise en œuvre significative des droits inhérents par ses politiques et ses initiatives, qu’il a conçues unilatéralement. Il est impératif de lui renvoyer un message très clair indiquant que les instruments existants que la ministre affirme être adéquats ne le sont pas et qu’il faut qu’on nous propose une approche radicalement différente.
La sénatrice Busson : Concernant les derniers commentaires qu’a formulés Mme MacIntosh au sujet de l’approche qui est entièrement inadéquate, ce pourrait être un peu pointilleux comme question, mais, à la lumière de vos études et des travaux effectués relativement à ce problème des pêches autochtones, quels ont été les échecs, et ce qui ne va pas? Avez-vous déjà eu l’occasion de réfléchir à ce à l’aspect que pourrait prendre un modèle efficace qui reconnaîtrait les droits inhérents des pêcheurs et peut-être de travailler avec d’autres organismes, et ainsi de suite, pour parvenir à une sorte de situation réalisable?
Mme MacIntosh : Je peux tenter d’approfondir la question, mais je crois que Me Francis et Mme Palmater sont beaucoup mieux placées que moi pour parler de ce qui constitue une mise en œuvre significative des droits issus de traités des Micmacs, car elles sont micmaques.
Je commencerai par dire que, selon mon interprétation du traité et des obligations qui s’y rattachent, le rôle du Canada est d’appuyer, de faciliter et de protéger. C’est l’un des changements fondamentaux qui s’imposent. C’est le contraire de l’approche actuelle, qui vise effectivement à réglementer les peuples micmacs comme s’il s’agissait d’une autre entité privée. La première chose à faire, c’est de reconnaître le droit inhérent comme un droit qui vient avec tout cet ensemble de droits de gouvernance. Ce n’est pas à moi d’établir et de savoir exactement comment ces droits de gouvernance s’exercent; c’est déterminé par les communautés mêmes. La création de cet espace de reconnaissance serait la première étape.
Le président : Est-ce que l’une ou l’autre de nos autres témoins voudrait formuler un commentaire? Madame Palmater, allez-y.
Mme Palmater : C’est une très bonne question. Je suis certaine que Me Francis a beaucoup de bonnes réponses, parce que les Micmacs l’ont déjà fait. Ils ont déjà créé à partir de rien leur propre modèle d’autonomie gouvernementale à cet égard. C’est exactement ce qu’il devrait être.
Le modèle de rechange, du moins en Mi’kmaki — je ne parle au nom d’aucune autre nation —, a été créé et est dirigé par les Micmacs, et il repose sur l’autonomie gouvernementale, la gouvernance de la ressource et la reconnaissance des lois micmaques. Certains aspects pourraient être gérés conjointement et d’autres non; le modèle pourrait être entièrement géré par des Micmacs. Le droit issu du traité, en soi, est important, mais il s’agit d’une partie beaucoup plus petite du tableau d’ensemble. Toute la structure de gouvernance, le processus décisionnel, l’élaboration des lois et l’application de la loi, pour ainsi dire, n’ont pas été reconnus.
Comme Mme MacIntosh et Me Francis l’ont dit, il faut protéger tous les droits, et non pas seulement un droit issu d’un traité. Il y a les droits des Autochtones, les droits inhérents, les droits de la personne — l’ensemble des droits, pouvoirs, lois et compétences en droit micmac — par opposition à ce modèle de parties prenantes où « nous allons vous parler, vous faire siéger à des conseils et à des comités de programme, dialoguer beaucoup, faire de la sensibilisation; nous allons accommoder certains d’entre vous et vous donner des possibilités. » Ce n’est pas une reconnaissance du strict minimum des droits issus de traités, encore moins du droit à l’autodétermination.
Le président : Maître Francis, voulez-vous formuler un commentaire?
Me Francis : Oui. Merci.
S’il s’agit de savoir quelle devrait être la réponse du Canada dans ce dossier et comment procéder à la mise en œuvre, et je pense que c’est de cela qu’il est question, on peut résumer à deux questions fondamentales. La première est la reconnaissance du droit, et non pas ce que le MPO fait depuis une vingtaine d’années, c’est-à-dire une réponse stratégique qui, en fait, est incompatible avec ses obligations légales. Pouvez-vous imaginer ce qui se serait passé lorsque les tribunaux ont reconnu les couples de même sexe, si le Canada avait dit : « Nous allons modifier quelques petites politiques ici et là, et voyons si cela fonctionne »? Les gens se seraient écriés : « Absolument pas. Il s’agit d’un droit de la personne qui doit être mis en œuvre. » C’est la même chose. Il s’agit en l’occurrence d’un droit constitutionnel et protégé. Mais le MPO, par l’entremise du Canada, continue de répondre comme s’il s’agissait d’un droit privilégié qui est régi par la loi. Non, non, non; faites marche arrière! Il faut revenir à l’essentiel, soit la reconnaissance du droit. Il faut commencer par là. Ensuite, misons sur sa gestion. Nous nous pencherons encore une fois sur un autre droit, à savoir la cogestion fondée sur les droits inhérents à la gestion de ce droit. On ne peut même pas amener le MPO à discuter pour aborder ces deux éléments de base. Si on veut simplifier les choses, voilà les deux questions fondamentales.
Oui, des collectivités de la Nouvelle-Écosse — Sipekne’katik en fait partie — ont dit qu’il fallait élaborer un plan de gestion et examiner des études. De fait, Sipekne’katik a collaboré avec l’Université Dalhousie lorsqu’il n’y avait pas de données disponibles sur la pêche au homard et a entrepris une étude avec cette université dans l’optique qu’il fallait examiner ces espèces si nous voulions bien les gérer. Pensez-vous que le MPO a participé? Qu’il a fait une offre? Qu’il a dit : « Travaillons en partenariat. Vous n’avez pas à nous donner d’argent »? Rien, absolument rien. Il a refusé le partenariat.
Ces types de problèmes sont attribuables au racisme systémique bien établi qui existe au sein du MPO. Si c’est votre point de départ, nous serons de retour ici dans 10 ans en train de faire la même chose. Il n’y aura aucune mise en œuvre du droit. Il y aura d’autres accusations et litiges, ce qui n’aide en rien les Autochtones et les Canadiens qui veulent que ce problème soit réglé.
Il y a là deux enjeux fondamentaux : la reconnaissance du droit et la capacité de le gérer. Si on peut avoir ce genre de dialogue, je pense qu’il s’agit d’un premier pas. J’espère que c’est utile.
Le sénateur Francis : Cette question va dans le sens de celle que la sénatrice Busson a déjà posée, mais je vais demander des précisions aux trois témoins.
Selon votre avis juridique d’expertes, a-t-on besoin d’un nouveau cadre juridique et réglementaire, distinct de la Loi sur les pêches et du règlement, qui servirait à régir les pêches fondées sur le privilège pour mettre pleinement en œuvre les pêches fondées sur les droits des Micmacs, des Wolastoqey et des Peskotomuhkati, et à quoi ressemblerait ce genre de cogestion et de gouvernance conjointe? Comment ce cadre s’harmoniserait-il avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?
Mme Palmater : Je vous remercie de poser la question. Elle est très importante, car on a l’impression que le gouvernement n’a absolument rien envisagé d’autre que de retoucher légèrement le statu quo et de lui donner un aspect un peu autochtone, alors qu’il pourrait y avoir un accord entièrement distinct. On pourrait établir, comme dans d’autres dossiers, une entente d’autonomie gouvernementale sectorielle. On n’a pas à traiter toute l’autonomie gouvernementale d’un seul bloc et à attendre 25 ans avant de tenir ces négociations. On pourrait, comme dans le domaine de l’éducation, dire que, d’un point de vue sectoriel, nous allons nous y prendre de telle manière pour administrer nos pêches de façon autonome, et voici comment cela va fonctionner. La seule façon d’y arriver, c’est en étant ouvert. Le gouvernement doit être ouvert à l’idée de tout repenser. Je ne sais pas s’il est possible de réoutiller la Loi sur les pêches pour qu’elle soit autre chose qu’une retouche au statu quo.
En fin de compte, ce que vous cherchez à faire, c’est défaire l’idée que les intérêts privés, privilégiés et économiques l’emportent sur les droits constitutionnels et internationaux à chaque fois. Voilà pourquoi on ne voit pas le gouvernement parler de réaffectation. Ce serait une bonne façon de procéder à une transition tout en douceur pour certaines régions. Mais, absolument pas! Ce ne sera le cas que si les intérêts économiques privés et privilégiés acceptent. Cela ne réglera tout simplement pas le problème. Selon moi, le plus grand obstacle dans l’avenir tiendra au fait que le gouvernement fédéral donne préséance aux intérêts privés non constitutionnels plutôt qu’aux droits protégés par la Constitution, et nous devrons nous battre pour ces droits à chaque fois. Cette situation va mener à l’épuisement de tous les stocks.
Regardez ce qu’a fait le ministère. Il a célébré dans son petit rapport : « Regardez ce que nous avons fait. Nous n’avons que 86 % des civelles pour les pêcheurs non autochtones. » Que s’est-il passé? Ils ont fait de la surpêche. Ils ne pouvaient même pas la gérer. Aujourd’hui, les Wolastoqey ne peuvent pas pêcher les civelles à cause de la mauvaise gestion et de l’incapacité de les leur réattribuer adéquatement. Ces situations vont se produire encore et encore.
Me Francis : Je pense qu’il s’agit d’une question très importante, toute cette idée de modification législative et la façon de même commencer à l’examiner.
La première chose que je dirais, c’est qu’il doit y avoir un certain changement législatif. Mais, en second lieu, je vous mets en garde à cet égard et concernant l’idée qu’à l’heure actuelle, après l’arrêt Sparrow, le MPO a élaboré le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones. Sous le régime de ce règlement, il n’y a pas de reconnaissance des droits et de l’autonomie gouvernementale. Il n’y a pas de gestion. Ce règlement est très insuffisant pour ce qui est de tenir compte des droits ancestraux et issus de traités. Si nous empruntons la même voie, nous allons nous retrouver avec le même résultat, c’est‑à‑dire une mesure législative qui ne règle pas les deux problèmes dont nous discutons, soit la reconnaissance des droits fondés sur une relation issue des traités et la reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Je lance cette mise en garde parce que je m’inquiète de la possibilité que, lorsqu’il sera question de législation et de modification, nous nous emballions, puis que nous nous retrouvions avec quelque chose qui ne règle toujours pas les deux problèmes clés, et cela pourrait très bien se produire. Nous serons alors aux prises avec ce problème, comme nous le sommes actuellement avec le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones. Je vous mets en garde à cet égard.
À tout le moins, si cela devait se produire, dans la mesure où la Loi sur les pêches porte sur une pêche privilégiée, on a eu la possibilité… et je remonte encore dans le temps, en 2019, lorsque l’Assemblée des chefs mi’kmaw de la Nouvelle-Écosse est venue témoigner et a proposé des modifications mineures qui auraient au moins permis d’inclure dans la loi un certain libellé qui aurait reconnu l’existence des droits constitutionnels et la nécessité de les examiner en tant que Canada, par l’intermédiaire du ministère des Pêches et des Océans, ou de les reconnaître. Il n’est peut-être pas nécessaire de les réglementer, mais, à tout le moins, ils doivent exister. Que se passe-t-il maintenant? Les représentants du ministère des Pêches et des Océans accourent avec leurs pêcheurs en disant : « Nous sommes désolés, Joe Bernard, nous allons devoir porter des accusations contre vous parce que tout ce que nous connaissons, c’est la Loi sur les pêches, et voici notre document fédéral sur la gestion des pêches, mais vos activités n’y sont pas prévues, alors nous portons des accusations contre vous. » Voilà l’écart qui existe. Je m’inquiète vraiment de la possibilité de se sauver avec l’idée d’une mesure législative. En même temps, absolument, on pourrait apporter une modification. On pourrait intégrer une disposition habilitante dans la Loi sur les pêches, si elle est bien faite. Même avant les changements de 2019, une définition du terme « Autochtone » a été retirée; cette définition reconnaissait les droits alimentaires, sociaux et cérémoniels, et cette reconnaissance a disparu. C’est minime, mais c’était au moins une reconnaissance du fait qu’il s’agit d’un type de pêche différent. C’est là-dessus que nous devons nous concentrer. Il faudrait au moins que quelqu’un reconnaisse que ces droits existent.
J’espère que cette réponse vous aide. Merci.
Mme MacIntosh : Je pense que le MPO continue de croire qu’il a le pouvoir de réglementer tous les pêcheurs. C’est le problème fondamental au point de départ.
En ce qui concerne les pêcheurs micmacs, le rôle approprié devrait être axé sur un échange significatif avec les Micmacs de connaissances concernant les stocks, les stratégies de conservation et tout le reste. Le rôle principal du ministère dans la pêche micmaque est non pas de la réglementer, mais de protéger les gens. C’est de protéger les gens contre la violence et le danger que représentent les pêcheurs non autochtones. Le MPO devrait se limiter à réglementer uniquement les pêcheurs non autochtones, les gens qui travaillent dans la pêche privilégiée. Je tracerais une ligne très nette entre qui réglemente qui et ce à quoi devrait ressembler la relation de gouvernement à gouvernement. Sans cette ligne, nous ne faisons que déplacer des pions sur un plateau et, comme l’a mentionné Me Francis, nous n’arriverons à rien qui réglera la situation.
Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à vous trois. Selon votre avis juridique d’expertes, les mesures à court terme que prend le gouvernement fédéral, y compris ce qu’on appelle les accords de réconciliation des droits, équivalent-elles à la pleine mise en œuvre des pêches fondées sur les droits? Y a-t-il un respect graduel ou progressif des droits protégés par la Constitution?
Mme Palmater : C’est une question vraiment importante, parce que les gouvernements font constamment valoir cet argument. « Nous reconnaissons que les femmes des Premières Nations ne bénéficient pas de l’égalité sous le régime de la Loi sur les Indiens, mais nous y arrivons une étape à la fois. » Soit on est égaux, soit on ne l’est pas. Soit notre droit de la personne est pleinement respecté, soit il ne l’est pas. Aucun droit de la personne n’est à moitié respecté. Le même principe s’applique aux droits issus de traités. On est loin de la pleine reconnaissance d’un seul droit issu de traités, et encore plus de tous les autres droits issus des traités, des droits des Autochtones et des Micmacs en général.
Cela montre que le thème du gouvernement est « Faisons-les attendre ». Il veut seulement nous faire attendre. Éventuellement, il n’y aura plus de stocks. Il privilégie sans cesse la pêche privée. Il dit : « Attendez la loi. Attendez la décision du tribunal. Attendez que nous élaborions une politique. Attendez que nous ayons parlé à tous les pêcheurs non autochtones. Attendez que tout le pays soit d’accord. » Regardez ce qui s’est passé. Regardez ce qui est arrivé à notre territoire, aux pêches, à la faune et à tout le reste. Au bout du compte, pendant que nous attendons, on nous impose une amende, on saisit notre équipement et on porte des accusations criminelles contre certains d’entre nous. Nous ne pouvons pas attendre, car nos familles sont dévastées. Le gouvernement ne pourrait pas prétendre le moindrement que même un dixième des Micmacs gagnent leur vie convenablement — et je ne pense pas que la question devrait se limiter à cela non plus —, mais pas même un dixième.
Le gouvernement est loin de reconnaître un plein droit à la pêche.
Mme MacIntosh : Puis-je ajouter quelque chose?
Le président : Allez-y, madame MacIntosh.
Mme MacIntosh : Ce que je voulais dire, mais j’ai oublié de le faire, c’est que, lorsque j’examine toutes les politiques et les approches que le MPO adopte actuellement, je constate qu’une partie du problème tient au fait qu’il ne fait pas confiance aux Micmacs pour ce qui est de s’autogouverner. Il ne leur fait pas confiance pour ce qui est d’évaluer et de conserver les stocks. Il y a un manque de confiance à l’égard des Micmacs en tant que peuple, malgré une histoire de connaissances et de pratiques qui ont permis à d’innombrables générations de réussir à subvenir à leurs besoins sur leurs territoires. Je ne sais pas comment on peut intégrer la confiance de force dans un régime législatif. Le changement de culture qui doit avoir lieu en ce qui concerne les parties qui sont mobilisées, qui qu’elles soient — quel que soit l’ordre de gouvernement fédéral qui se mobilise et travaille avec les Micmacs — est d’avoir confiance en eux. C’était mon commentaire. Merci.
Le président : Merci, madame.
Maître Francis, voulez-vous répondre?
Me Francis : Je formulerai deux ou trois observations.
Tout d’abord, je suis entièrement d’accord avec ce que Mme MacIntosh a dit au sujet du changement de culture. J’irais un peu plus loin et même jusqu’à dire que c’est plus que de la confiance; je pense que c’est encore l’approche coloniale envers les peuples autochtones et le fait de ne pas les reconnaître comme les premiers peuples du pays. En vertu de nos traités mi’kmaq wolastoqiyik passamaquoddy, une relation de nation à nation a été établie, et nous devons y revenir si nous voulons mettre en œuvre des droits qui correspondent à ce que nous sommes en tant que Premières Nations. J’ajouterais cela.
En ce qui concerne les accords à court terme, encore une fois, on revient au problème tenant au fait que le gouvernement ne reconnaît pas les droits, même maintenant, même avec les accords modifiés qui sont dans l’air. Il y a un certain dialogue assorti de conditions, selon lequel « Oui, les Micmacs ont des droits issus de traités reconnus », mais le gouvernement n’a toujours pas affirmé que l’objectif de cet accord est de permettre aux Micmacs d’exercer leur droit issu de traités à la pêche de subsistance. Cette reconnaissance est encore si étroitement gardée par le MPO, comme s’il avait peur de la donner.
Quant au droit inhérent à la gestion, non, il n’est pas prévu dans ces accords à court terme, mais il y a un libellé qui dit : « Vous savez, nous aurons une discussion sur la gestion plus tard. » L’accord ne dit toujours pas que le gouvernement sait que la Première Nation a élaboré un plan de gestion et que ce plan fera partie de sa cogestion ou de tout autre élément de ce niveau d’engagement, qui est en fait une question de pouvoir inhérent. Encore une fois, les accords sont un échec total à cet égard. C’est le même manège.
Le gouvernement est très soucieux de ne pas exercer de droits si ce n’est pas au titre de cet accord. Pourtant, l’accord ne donne pas l’accès. Rien ne garantit que telle ou telle communauté exercera ses droits de cette façon. Encore une fois, il y aura un écart.
Ce qui, selon moi, va évoluer pour les bandes qui se sentent forcées… et certaines se sentent obligées de signer ces accords en raison de problèmes de financement et parce qu’elles tentent de renforcer leurs capacités au niveau de la bande. On a affaire à la pauvreté. Ce qui va commencer à se produire, c’est que les membres de la communauté vont alors être furieux de ne pas pouvoir exercer leurs droits parce que l’accord les limite pour une période de cinq ans. Ils vont alors se demander comment exercer leurs droits. Ensuite, ils se tourneront vers l’accord, et il n’y aura rien.
C’est problématique, absolument problématique. Une solution a été proposée, et il s’agit de travailler provisoirement avec ces Premières Nations à l’élaboration de leurs plans de gestion et à la cogestion en fonction de la reconnaissance du droit et de soutenir cette gestion au niveau inhérent. Il y a de la place. C’est simplement que la mentalité doit changer. Merci.
Le président : Je tiens à informer les sénateurs du fait que nous en sommes presque à la deuxième heure et que nous devrons nous arrêter à 11 heures. C’est une conversation très intéressante, mais le temps est important. Il ne me plaît pas d’arrêter ou de ralentir qui que ce soit, mais, si je dois le faire, je vais abréger les interventions.
Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins.
C’est une matinée difficile. Le processus est difficile. Je tiens à souligner le travail incroyable que le sénateur Francis et d’autres membres du comité ont accompli — le sénateur Christmas n’est pas avec nous en ce moment, mais lui aussi — pour faire avancer cette étude. Si je peux nous observer au Sénat et vous en train de nous aider… nous nous attaquons maintenant au défi de la réconciliation. C’est quelque chose de très difficile. Merci.
Madame MacIntosh, je pense que vous avez raison de dire que nous ne sommes peut-être pas en mesure de légiférer sur la confiance, mais je ne sais pas si nous ne pouvons pas légiférer sur les conditions qui, au fil du temps, mèneront à une meilleure compréhension, qui mènera à la confiance. Peut-être que nous pourrons y réfléchir également.
La gestion des pêches fondées sur les droits inhérents et issus de traités est le problème avec lequel nous sommes aux prises, mais nous comprenons le contexte général. Madame Palmater, vous avez parlé du cadre de responsabilisation, qui ne semble se trouver nulle part au MPO, non seulement à ce sujet, mais aussi à d’autres sujets que nous avons entrepris d’étudier. Vous nous avez dit très clairement que les instruments existants ne sont pas suffisants pour assurer la gestion des pêches fondées sur les droits inhérents et issus de traités. Nous comprenons cela.
Je veux savoir si je comprends bien. Aidez-moi, s’il vous plaît. Le ministère responsable des négociations, de nation à nation, doit vraiment s’asseoir avec RCAANC. C’était l’une de nos recommandations. J’aimerais savoir si c’est encore quelque chose que vous jugez toutes les trois essentiel.
Il y a une deuxième question sur laquelle j’aimerais vous entendre. Maître Francis, vous avez parlé de la Loi sur les pêches et de modifications, et de la question de savoir si la Loi sur les pêches pourrait être modifiée d’une façon ou d’une autre pour que ce droit soit reconnu. J’ai entendu vos mises en garde quant au fait que les politiques ne sont pas nécessairement conformes à la loi, mais je ne veux pas que cette préoccupation l’emporte sur la possibilité que la Loi sur les pêches soit modifiée. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
J’aimerais aussi savoir ce que vous pensez de l’idée d’effectuer un examen externe indépendant des politiques et des procédures du MPO qui permettrait de faire effectivement la lumière sur cette question d’une façon différente que celle du Sénat. Je me suis rendu compte qu’il y a tellement de défis et de problèmes au sein du MPO quant à la nature des politiques, à la façon dont elles sont adoptées, à la façon dont elles sont appliquées — le ministre, qui est le représentant du public, semble avoir énormément de difficultés à faire en sorte que cela se produise, et il est possible que cela ne se produise pas parce que la bureaucratie elle-même est profondément ancrée — et quant à savoir si un examen externe indépendant du MPO permettrait de remédier à cela. C’est ma seule question pour les témoins.
Mme Palmater : Selon le rapport du gouvernement, les négociations sont censées être « pangouvernementales », sauf en ce qui concerne les pêches, parce que cela ne relève que du MPO. Personne d’autre n’a son mot à dire. Cela montre qu’ils ont un intérêt très direct et qu’ils contrôlent trop étroitement les pêches, alors qu’il pourrait s’agir littéralement d’une approche pangouvernementale. Si vous voulez que ce soit de nation à nation, c’est exactement ce que cela devrait être. À l’heure actuelle, il s’agit d’une relation de nation à MPO, et non de nation à nation.
Tout peut être fait au moyen d’une loi. Il pourrait y avoir une centaine de règlements, de politiques et de lois de toutes sortes, si le gouvernement continue d’enfreindre ses propres lois et sa Constitution, aucune modification n’entrera en vigueur, sauf s’il y a un mécanisme de reddition de comptes qui ne relève pas de lui, donc un mécanisme indépendant. Ce serait facile. On pourrait créer aujourd’hui une loi qui instaurerait et reconnaîtrait le droit des Micmacs à l’autodétermination et à la gestion de leurs pêches et tout le reste. On choisit simplement de ne pas le faire.
Troisièmement, il s’agit d’un examen totalement indépendant, auquel aucun représentant du MPO ne participe, dans le cadre duquel on examine tout et qui, pour l’essentiel, regroupe tout. Ce que le public ne sait pas, c’est ce dont je parlais plus tôt. Combien de personnes ont été accusées? Dans quelles circonstances sont-elles accusées? Sont-elles brutalisées? Font‑elles l’objet de profilage racial? Regardez les millions de dollars qu’on consacre à la plongée en eau profonde et au micropuçage du homard pour veiller à ce que les Micmacs ne le pêchent pas. Vous ne verrez pas cela pour d’autres gens. Combien d’amendes? Combien de saisies? Combien de poissons ont été perdus? Quel est le montant des litiges et des poursuites? Combien d’infractions ont été commises par des pêcheurs non autochtones, surtout les plus importants? Si on le voulait, on pourrait avoir un cadre de référence très strict et effectuer un très bon examen, surtout s’il est possible d’exiger la production de renseignements. Je me soucie moins des témoignages parce qu’ils sont ce qu’ils sont, mais les véritables renseignements, les documents, les faits et les statistiques seraient très révélateurs. Je pense que cela contribuerait grandement à la sensibilisation du public.
Tout ce dont nous avons parlé aujourd’hui concerne davantage le moyen terme et le long terme. Nous oublions l’urgence du court terme. Comment pouvons-nous mettre fin aux arrestations? Comment pouvons-nous mettre fin aux saisies? Comment pouvons-nous permettre aux Micmacs de pêcher et amener le MPO à ne pas se mêler de tout cela? Nous n’avons pas encore réglé ce problème réel, urgent, actuel et à court terme.
Me Francis : Pour des raisons de temps, je dirai que je suis d’accord avec tous les propos de Mme Palmater. Je sais que nous avons peu de temps, et en ce qui concerne les modifications de la Loi sur les pêches, je suis d’accord pour dire que, même avec les mises en garde, je pense qu’une certaine reconnaissance du fait qu’il est question ici d’une pêche distincte doit être formulée et ajustée d’une façon ou d’une autre. Il faut vraiment se pencher là-dessus, car le statu quo ne fonctionne absolument pas.
Le président : Merci.
Le sénateur Kutcher : Je veux m’assurer d’avoir bien compris les propos de Mme Palmater. Avez-vous dit que vous pensiez qu’un examen serait une bonne idée?
Mme Palmater : Oui. Selon le cadre de référence. Oui, s’il y a un très bon cadre de référence. Laissez-nous rédiger le cadre de référence, mais un examen indépendant, oui.
Mme MacIntosh : Je suis tout à fait favorable à un examen indépendant et à un rapport qui sera entièrement rendu public. Je ne peux pas vous dire à quel point je suis découragée par le refus de rendre publique la réponse du Canada aux Nations unies au sujet de la discrimination contre les Micmacs. Le fait de prendre des décisions en fonction d’une politique plutôt qu’en fonction de la loi provoque la disparition complète d’une responsabilité politique digne de ce nom. C’est la raison pour laquelle l’eau potable est de si mauvaise qualité dans tant de collectivités des Premières Nations. C’est la raison pour laquelle il y a des disparités flagrantes en matière de santé. C’est parce que les seules responsabilités que le gouvernement fédéral a reconnues découlaient, pour l’essentiel, de politiques dépourvues de mesures de reddition de comptes. J’aimerais beaucoup que cet organisme d’examen indépendant se penche sur la question de savoir comment le ministère devrait être tenu responsable et à qui il devrait rendre des comptes de manière à rendre possible une surveillance de ce genre.
Le sénateur Kutcher : Nous nous sommes penchés sur la question du racisme, et je parlerai de « racisme enraciné » plutôt que de « racisme structurel », car il est enraciné chez les gens et dans les institutions. L’une de mes préoccupations concernant le rapport, c’est qu’il y est question de création de programmes. De réelles préoccupations scientifiques sont soulevées quant à l’efficacité des programmes, qui pourraient même, en fait, être nocifs. Comme vous faites toutes partie du milieu juridique, je vous demande si vous connaissez d’autres approches juridiques qui pourraient être efficaces dans la lutte contre le racisme enraciné.
Mme Palmater : Je pense que le plus important, qu’il s’agisse de la GRC, du MPO ou de toute autre institution, c’est la reddition de comptes, c’est-à-dire la surveillance, la production de rapports et les conséquences. S’il n’y a pas de conséquences, rien de tout cela ne changera jamais. Particulièrement en ce qui concerne les agents du MPO et de la GRC. Ils agissent en toute impunité, qu’il s’agisse de violence, de corruption ou de profilage racial. Rien ne leur arrivera. Rien ne leur est arrivé. Nous avons la Commission des pertes massives pour ce qui est de la GRC. Nous n’avons jamais pris de mesure concrète de ce genre en ce qui concerne le MPO, et je pense que nous devons le faire. Si la transparence ne s’accompagne pas de conséquences, rien ne va changer. Il doit y avoir des conséquences graves.
Me Francis : J’aimerais revenir sur ce que Mme Palmater a dit au sujet de l’obligation de rendre des comptes et d’une véritable responsabilisation de ceux qui, pour le compte du Canada, commettent des actes racistes et adoptent des attitudes racistes, et des conséquences qui doivent découler de ces actes lorsqu’ils sont avérés, mis à part le fait de dire qu’il est possible que cela existe pour ensuite passer à autre chose. Ensuite, les choses s’aggravent parce que les gens se rendent compte qu’ils peuvent agir ainsi et que c’est acceptable. Ils continuent alors d’agir ainsi, et cela s’enracine. Il faut veiller à ce que les gens ou les ministères qui mènent ces activités soient tenus de rendre des comptes. Il faut une politique qui prévoit que ceux qui interviennent sur des questions liées aux pêches autochtones ou qui travaillent auprès des peuples autochtones en adoptant des attitudes racistes à l’égard des peuples autochtones ne seront absolument pas tolérés. J’appuie l’idée de la responsabilisation et de l’obligation de rendre des comptes.
La sénatrice McPhedran : Je remercie tous les témoins non seulement d’être parmi nous aujourd’hui, mais aussi de nous avoir guidés par leur expertise dans la préparation de notre rapport initial.
Je trouve très intéressante l’idée d’envisager une enquête externe indépendante. Par ailleurs, je suis ici depuis assez longtemps pour savoir qu’il y a peut-être de faibles chances que cela se produise. J’aimerais me concentrer sur un autre type d’enquête indépendante que nous pourrions peut-être mener. C’est l’un des avantages de ce que nous faisons ici.
J’ai deux questions à poser qui sont en quelque sorte des suggestions. Tout d’abord, je demande effectivement aux ministres de RCAANC et de Patrimoine canadien de venir ici et de répondre… J’aimerais que Patrimoine canadien réponde au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, ou CERD, et que RCAANC formule des commentaires au sujet de la compétence du ministère et du ministre. J’aimerais qu’on puisse poser directement des questions là-dessus. Je pense que nous avons ce pouvoir. C’est conforme aux recommandations que nous avons formulées dans le rapport. C’est quelque chose que nous pouvons faire, au lieu de nous demander quand cette charmante idée d’une enquête indépendante pourra être financée et mise en œuvre alors que nous avons ici la capacité d’en faire davantage. C’est une idée que je lance, et je serais ravie d’entendre vos commentaires et réflexions.
Mme Palmater : C’est très bien. Si le Sénat — qui, surtout au cours de la dernière décennie, a abordé et examiné toutes sortes de questions soulevées par les peuples autochtones, mais plus particulièrement celle-ci — a l’occasion ou le pouvoir de demander à la GRC, au MPO, à RCAANC et à Justice Canada de lui fournir des faits, des statistiques et des documents, même si certains d’entre eux ne peuvent être communiqués qu’au Sénat, de manière à pouvoir examiner tout cela, et s’il peut partager le plus d’information possible avec nous tous, cela ne peut qu’être utile. Ceux qui n’ont rien à cacher ne cachent rien, et ces gens cachent beaucoup de choses. Même l’accès à l’information est devenu de plus en plus difficile. Nous n’arrivons pas à accéder à l’information et aux documents même lorsque nous interjetons appel. Oui, tout; une enquête du Sénat, s’il vous plaît, merci. Nous pouvons vous fournir une liste de 100 choses que nous voulons savoir, mais il y a aussi la plus importante.
Je dirais qu’il ne faut pas oublier le court terme et ce qui va se passer demain. Il faut cesser de porter des accusations. Il faut veiller à ce qu’ils aient pleinement accès au MPO, et ne pas attendre un comité du Sénat ou une enquête plus importante.
Le président : Merci.
Sénatrice McPhedran, avez-vous une question complémentaire?
La sénatrice McPhedran : Oui. C’est un peu plus vague, en ce sens que, pour ma part, j’ai été très déçue par la ministre des Pêches lorsqu’elle s’est présentée ici. D’autres et moi-même avons eu l’impression qu’elle avait été bien préparée à éviter les questions clés. J’ai mentionné les ministres du Patrimoine et de RCAANC. J’aimerais maintenant revenir à la ministre des Pêches et mentionner que notre conversation avec elle ne devrait pas être terminée. C’était une réponse, et il y a encore beaucoup de questions en suspens. Je me demande s’il serait approprié pour nous d’essayer de prolonger cette conversation. Je suppose que ma question s’adresse autant à notre comité directeur et à nos greffiers qu’à nos témoins.
Le président : Je répondrai que, de notre côté, à ce moment‑ci, il est certain que toute suggestion concernant des témoins — qu’elle vienne de ceux qui sont autour de la table, des témoins qui sont parmi nous ou, en fait, de qui que ce soit d’autre — est prise en considération. Nous en discuterons au sein du comité directeur et nous verrons à quel moment nous pourrons poursuivre notre conversation sur ce sujet, ou sur tout autre sujet, d’ailleurs. Encore une fois, n’importe qui peut faire des suggestions, pendant ou après la réunion, sur la façon d’élargir la portée de notre travail. Ce n’est pas une décision que je peux prendre seul, en tant que président. La suggestion sera présentée au comité directeur, et elle sera ensuite soumise au comité. Je suis certain que les membres du comité sont ouverts à toutes les suggestions. Merci, sénatrice McPhedran, d’avoir soulevé ces questions.
La sénatrice McPhedran : Permettez-moi de préciser que ma question portait autant sur l’étendue de nos pouvoirs que sur notre volonté.
Le président : Nous pouvons inviter n’importe qui. Comme vous le savez, nous pouvons élargir la portée du travail que nous avons accompli jusqu’ici. Cela relève de l’ordre de renvoi touchant ce que le Sénat nous a permis de faire. Là encore, c’est une décision que nous prendrons au sein du comité directeur et que nous soumettrons ensuite au comité. Je ne vois aucune limite à ce que nous pouvons faire, tant que cela relève de l’ordre de renvoi que nous avons reçu du Sénat du Canada.
La sénatrice McPhedran : Merci.
Si vous me le permettez, j’aimerais beaucoup entendre les témoins nous dire ce qu’ils pensent des éventuelles prochaines étapes pour le comité.
Mme Palmater : Si vous avez le pouvoir d’exiger des documents, des faits et des statistiques de la part d’un organisme du gouvernement fédéral, d’une institution ou d’une société d’État ayant un lien avec les pêches, qu’il s’agisse du MPO, de la Garde côtière, du SCRS, de la GRC, de RCAANC ou de Justice Canada… Toutes ces institutions qui ont un lien avec les pêches doivent rendre des comptes au sujet de ce qui se passe, de ce qui ne se passe pas et de leurs responsabilités, et elles doivent faire preuve d’ouverture en ce qui concerne toute cette information. Pour l’essentiel, tous les faits et toutes les statistiques que vous pouvez nous fournir et que nous ne pourrions pas obtenir autrement nous seraient utiles.
Me Francis : La seule chose que j’aimerais souligner, c’est que le rapport du Sénat, Paix sur l’eau, était adressé au Canada, mais que vous avez reçu une réponse du MPO. Vous n’avez pas obtenu de réponse de RCAANC ni de qui que ce soit d’autre. Je pense que cela en dit long. Si j’étais à votre place, je me demanderais : « Qu’est-ce que le Canada essaie de nous dire? » Je ferais en sorte que RCAANC et tout autre ministère qui s’occupe de questions autochtones rendent des comptes. Peut‑être que les représentants du ministère de la Justice devraient venir à la table. Si ce sont eux qui s’occupent de la mise en œuvre et de certaines des questions que vous soulevez, ils doivent faire part de leurs réflexions à ce sujet. Le simple fait que RCAANC n’ait pas donné suite à votre rapport Paix sur l’eau me porte à croire qu’il croit qu’il n’a pas à être le chef de file ou qu’aucune des questions que vous avez soulevées ne le concerne, ce qui est faux. Si j’étais sénatrice et que j’étais à votre place, je convoquerais ces ministres à la table.
Mme MacIntosh : Permettez-moi de vous dire que je suivrais assurément ces délibérations.
Le président : Merci.
Je préciserai simplement que le comité peut inviter tous ceux qu’il décide de convoquer. Si, pour une raison quelconque, quelqu’un refuse de comparaître, dans la plupart des cas, nous pouvons obliger cette personne à le faire. Là où il y a une zone grise — nous cherchons à obtenir des précisions à ce sujet —, c’est quant à savoir si nous pouvons obliger des ministres à comparaître. Là encore, je signale à tous les gens autour de la table et à tous ceux qui nous écoutent que nous pouvons convoquer des gens ici. Ce que ces gens nous disent et la façon dont ils répondent à nos questions leur appartiennent entièrement. Nous nous efforcerons d’examiner cela plus à fond, d’envisager d’éventuels témoins, d’obtenir des précisions sur les personnes que nous pouvons inviter et de déterminer si nous pouvons obliger à comparaître une personne qui, pour une raison ou une autre, refuse de le faire. Nous discuterons de tout cela en temps et lieu, nous saisirons le comité directeur de ces questions et nous les soumettrons ensuite au comité.
La sénatrice McPhedran : Pour que les choses soient claires, je demande expressément au comité directeur d’examiner ma suggestion de faire comparaître les trois ministres devant le comité. Je pourrais ajouter à cette suggestion que nous devrions dresser une liste assez précise — mais non exhaustive — de questions auxquelles nous aimerions qu’ils répondent, et qu’ils devraient être raisonnablement avisés de ces questions.
Le président : Je vais soumettre tout cela au comité directeur et je vous reviendrai là-dessus. Je vous remercie de vos suggestions.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup aux témoins.
Tout d’abord, je prends note de vos préoccupations en ce qui concerne la réponse du gouvernement. À votre avis, y a-t-il des éléments de cette réponse qui pourraient servir de point de départ pour établir un lien de confiance et peut-être amorcer un processus qui pourrait permettre d’aller de l’avant dans une direction qui pourrait être acceptable pour les Premières Nations? À vos yeux, ce rapport contient-il quelque chose qui pourrait susciter une discussion plus poussée et aboutir à un résultat acceptable pour les Premières Nations? Merci.
Mme Palmater : De toute évidence, je ne parle pas au nom de toutes les Premières Nations, mais pour ce qui est de comprendre l’objectif de notre travail, lorsqu’ils disent qu’ils veulent instaurer un dialogue de nation à nation, c’est très bien. Faisons-le. Instaurons une relation de nation à nation au lieu d’une relation de nation à MPO.
Par ailleurs, ils ont dit qu’ils feraient un examen et qu’ils modifieraient les lois. Parfait. Que cela se fasse de nation à nation, avec un échéancier, des résultats, des responsabilités, des obligations redditionnelles et des conséquences.
Mais même avec cela, nous devons nous occuper du court terme, parce que nous savons qu’ils étirent cela le plus longtemps possible. Il y en aura pour une dizaine d’années de tables rondes, de dialogues et de séances d’information. Entretemps, les Micmacs doivent pouvoir pêcher, et nous devons mettre fin aux accusations et aux saisies.
Le sénateur Ravalia : Ma prochaine question est la suivante : selon vous, y a-t-il des exemples de collaboration actuelle entre pêcheurs autochtones et pêcheurs non autochtones qui pourraient servir de modèle de réconciliation?
Mme Palmater : Vous voulez dire des exemples de collaboration fructueuse entre le MPO et une Première Nation?
Le sénateur Ravalia : Disons un exemple de collaboration entre une communauté de pêcheurs non autochtones et des pêcheurs autochtones. Y a-t-il quelque part un exemple de ce genre qui pourrait servir de modèle de réconciliation future et de collaboration en matière de pêche?
Mme Palmater : Me Francis pourrait probablement vous en dire davantage à ce sujet, vu son expérience particulière sur le terrain, mais les cas où des gens travaillent ensemble pacifiquement de façon à éviter la violence ou les conflits et à instaurer plutôt de bonnes relations avec leurs voisins représentent un contexte différent pour ce qui est de savoir si les Micmacs peuvent ou non gérer leurs propres pêches et en tirer profit comme ils le devraient. Il y a beaucoup de petits exemples de collectivités où les gens collaborent, travaillent sur les bateaux des autres et s’entraident, mais c’est dans un contexte où les Micmacs n’ont aucun pouvoir. Du point de vue de la sécurité, regardez ce qui s’est passé, toute cette violence et ces incendies. Il n’y avait pas seulement ce que vous avez vu à la télévision. Des enfants se faisaient battre à l’école, des pneus étaient crevés, et il y a eu des agressions et des menaces pendant de nombreux mois par la suite. Je mettrais cela en contexte, mais Me Francis pourrait probablement en parler dans un contexte plus large.
Me Francis : Merci, madame Palmater.
Malheureusement, je ne peux pas vraiment citer beaucoup de cas où des pêcheurs non autochtones et des pêcheurs autochtones travaillent ensemble dans un esprit de collaboration et de coopération. Je pense que c’est là la question. Cela doit exister quelque part.
Cependant, je crois que Mme Palmater a aussi raison de dire que, si c’est au Canada, ce n’est probablement pas fondé sur une quelconque reconnaissance du droit, même s’il y a peut-être quelque chose qui existe en Colombie-Britannique. Il pourrait y avoir quelque chose là-bas, car les droits de pêche autochtones et une certaine capacité inhérente de gestion des pêches sont reconnus en Colombie-Britannique.
Mais pour ce qui est d’exemples de collaboration — et cela sort un peu du domaine de la pêche —, en Nouvelle-Écosse, nous avons des droits de chasse et de pêche issus de traités. Nous avons une importante chasse à l’orignal chaque année, et cela découle de la victoire remportée en 1985 relativement au traité de 1752. Dans ce contexte, pendant de nombreuses années, ce programme a été entièrement géré par le ministère des Ressources naturelles, et les Micmacs étaient très préoccupés par la chasse excessive de l’orignal, surtout celle pratiquée par des chasseurs non autochtones, mais aussi par nos propres chasseurs autochtones. Ils ont donc lancé un processus qui a permis l’élaboration d’un plan de gestion de la chasse à l’orignal dans le cadre duquel bon nombre des pouvoirs en matière de gestion de l’orignal ont été conférés aux Micmacs. C’était très collaboratif. L’initiative a été réalisée par l’entremise de la province. Parcs Canada y a peut-être aussi participé, car la plupart de nos activités de chasse à l’orignal se déroulent dans un parc fédéral. Je pense donc que la collaboration est possible, et le pouvoir de cogestion fait maintenant partie de cela. La chasse a lieu à un endroit où des chasseurs non autochtones et des chasseurs autochtones chassent de façon très semblable en même temps. Il y a là des choses que nous pourrions mettre à profit et des principes que nous pourrions examiner.
Il s’agit d’un autre domaine que celui de la pêche. Pour ce qui est de la pêche, nous pourrions nous tourner vers les États-Unis. Je sais qu’il y a la Great Lakes Indian Fish and Wildlife Commission, une énorme commission de pêche fondée sur les droits issus de traités et les droits de gestion des pêches. Elle a un pouvoir considérable sur la façon dont les droits issus de traités et les droits de pêche sont gérés. Il y a des choses qui ont été créées dans d’autres pays, du moins aux États-Unis, à cet égard. Encore une fois, je me tournerais aussi vers la Colombie-Britannique.
Le président : Merci, maître Francis.
Je voulais simplement informer les sénateurs que, oui, nous pouvons demander à quiconque de comparaître devant nous, y compris des ministres. Si, pour une raison ou une autre, une personne refuse de le faire, nous pouvons la sommer de comparaître devant nous. Là encore, je vous rappelle que nous posons des questions. Quant à savoir si les réponses nous conviennent, c’est une autre histoire. Comme vous le savez tous, à la Chambre et au Sénat, nous appelons cela « période des questions », et non pas « période des réponses ».
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup aux trois témoins. Je sais que, pour des exposés comme ceux que nous avons entendus, il faut des heures et des heures avant de venir ici pour les présenter, et vous êtes toutes si bien préparées, comme vous l’étiez la dernière fois que vous avez comparu devant nous.
Je remercie également le sénateur Francis et le sénateur Christmas, qui ont proposé que nous examinions cette question, car il est certainement possible de l’approfondir davantage et qu’il y a beaucoup d’autres questions que nous devrions examiner dans le cadre des travaux du comité.
Lorsque j’ai lu le rapport du ministère, qui ne m’a guère impressionnée, je me suis rappelé ceux qui disent que nous semblons refaire sans cesse la même chose, pour être ensuite tout à fait surpris que rien ne change. Cela semble être le cas ici. Nous entendons les mêmes paroles, mais il n’y a pas de changement, ou pas de changement important.
Je viens de la Nouvelle-Écosse, et je me rappelle l’arrêt Marshall de 1999. J’en ai parlé à des gens, puis des gens ont lu notre rapport et ont dit : « Eh bien, nous avons besoin de plus de temps. » Ma réponse a été : « Eh bien, cela fait 23 ans, alors de combien de temps avons-nous besoin? Vingt-cinq ans? Trente? Quarante? Cinquante ans? » Vingt-trois ans, c’est long, et il n’y a eu aucun changement important pendant cette période. D’après ce que vous avez dit aujourd’hui, nous ne sommes pas vraiment allés au-delà de ce jugement.
Encore une fois, comme je viens de la Nouvelle-Écosse, j’ai vu les images, madame Palmater, des affrontements qui ont été diffusés à la télévision en Nouvelle-Écosse pendant la saison de pêche. Ce n’est utile pour personne. Vous avez tout à fait raison. Ce n’était pas seulement sur l’eau. Cela a également atteint les élèves, qui en entendaient parler par les deux camps lorsqu’ils étaient à l’école, ce qui n’est pas une bonne chose pour des enfants.
Comment pouvons-nous aller de l’avant? Nous parlons de l’arrêt Marshall depuis 23 ans, et nous ne sommes pas plus avancés. Nous avons reçu un rapport du ministère, mais il s’agit en fait de verbiage bureaucratique. On parle pour ne rien dire. Comment pouvons-nous aller plus loin?
Mme Palmater : Il faut simplement prendre la décision politique et le faire.
La réconciliation n’a rien d’un processus agréable; c’est quelque chose d’intrinsèquement inconfortable. Il faut tasser les gens, accaparer une plus grande part du gâteau, perturber le statu quo… Tout le pouvoir, les privilèges et la richesse qu’on trouve partout sauf entre les mains des Micmacs. Ce sera un processus salissant et dégoûtant, et les gens n’aimeront pas cela. Ils seront mal à l’aise et même en colère. C’est évident. Regardez toute la violence exprimée à l’égard des pêcheurs micmacs.
Cela dit, nous pouvons régler le problème. Pourquoi le gouvernement ne dit-il pas publiquement qu’il s’agit de droits constitutionnels, de droits issus de traités et de droits protégés à l’échelle internationale? Les Micmacs vont pêcher, il n’y aura pas d’accusations, et vous allez vous tenir loin d’eux. Vous n’allez pas faire feu en leur direction, vous n’allez pas brûler leurs bateaux et vous n’allez pas détruire leurs casiers, parce que nous serons là et nous ferons tout ce qu’il faut, peu importe le coût, pour protéger les Micmacs. C’est ce que le gouvernement aurait dû faire depuis le début. Il y a des obligations juridiques nationales et internationales à cet égard. Et c’est justement ce que le gouvernement ne fait pas. Le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale a déclaré que le Canada trébuche et a posé la question suivante : « Quel est votre plan d’action pour protéger les pêcheurs micmacs? Quel est votre plan d’action pour abroger et modifier les lois de façon à ce que les Micmacs puissent pêcher et être protégés? » Je ne sais pas. Faut-il que des gens d’une autre planète le disent? Les Nations unies l’affirment. Ces personnes représentent des pays du monde entier et disent qu’elles ont évalué la situation de façon indépendante et que ce n’est vraiment pas reluisant.
Les litiges prennent beaucoup de temps. Ils coûtent très cher. Les experts coûtent excessivement cher. Il faut arrêter de prendre du retard. Les plans à long terme, c’est très bien. Le long terme… Mais dans l’intervalle, ces règles et règlements… Vous pouvez adopter un décret et dire qu’ils sont suspendus, qu’ils ne s’appliquent pas aux Micmacs pendant qu’ils pêchent, qu’il n’y aura pas d’accusations ni d’amendes et qu’il faudra rendre tout ce qui a été saisi. On incitera ainsi les gens à négocier. À l’heure actuelle, il n’y a aucun incitatif. Tout est parfait pour tout le monde, tout le monde sauf quelques Micmacs qui dérangent. Notre pays doit faire mieux.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie.
Madame MacIntosh, lorsque vous avez pris la parole, vous avez dit que la protection des peuples autochtones était au cœur de la question. Lorsque j’ai regardé les images, à la télévision, il ne semblait certainement pas que la protection des peuples autochtones était une considération centrale en Nouvelle-Écosse lorsque ces peuples ont établi leur droit de pêche. Il me semblait que les peuples autochtones étaient effectivement ciblés, et ce, parce qu’ils revendiquaient un droit déjà confirmé par les tribunaux. Comment pouvons-nous changer les choses pour que ce défaut de protéger les Autochtones contre la violence… alors que, en fait, le droit de pêche est établi et que la loi prévoit une telle protection?
Mme MacIntosh : Je vous remercie de la question.
Quand je dis que la protection est un enjeu central, je veux dire qu’elle est au cœur des obligations du gouvernement fédéral, des obligations que le gouvernement n’a pas respectées. Nous constatons que différentes mesures sont prises afin de remédier à un tel échec, par exemple, au moyen de présentations à des organismes des Nations unies. En l’absence de volonté politique de respecter les Nations unies, je ne vois pas très bien quels autres outils sont à notre disposition. Il faut une volonté politique de modifier la loi pour assurer une responsabilisation.
Si le gouvernement fédéral continue de refuser de reconnaître les droits inhérents et qu’il opte plutôt pour la criminalisation, je pense que nous allons voir les communautés autochtones prendre de plus en plus les choses en main, parce qu’elles n’attendront pas la reconnaissance du gouvernement fédéral, tout comme elles n’attendront pas l’entrée en vigueur d’une belle petite entente cordiale. Ce sont peut-être les situations d’urgence qui découleront de ce genre d’action qui pousseront le gouvernement fédéral à agir.
Je trouve troublant et bouleversant que ce semble être la principale voie que les Autochtones sont forcés d’emprunter pour faire reconnaître leurs droits, soit se placer dans des situations où ils savent qu’ils seront en danger, qu’ils ne seront pas protégés et qu’ils feront face à des poursuites criminelles, ce qui, comme vous l’avez mentionné, est arrivé dans l’affaire Marshall. C’est ce qui arrive quand les gens en ont assez de voir leurs droits bafoués et qu’ils passent à l’action.
Pour situer les choses dans un contexte plus large, je pense qu’il y a eu, dans l’ensemble, des changements monumentaux dans la culture canadienne et dans le milieu juridique en ce qui concerne les droits des peuples autochtones. Je me souviens qu’il y a 20 ans, j’ai fait du travail de formation auprès des juges sur les droits prévus à l’article 35, et les juges pensaient que c’était tout simplement ridicule. Ils n’ont pas compris. C’était tellement absurde pour eux. Nous avons vu des changements incroyables, surtout au cours des cinq dernières années.
Je ne vais pas perdre espoir du tout. Nous allons dans la bonne direction. Je ne crois pas que le Sénat aurait soumis une telle question à un comité dans le passé. Je suis optimiste à cet égard, mais je suis très inquiète de ce qui va se passer si des mesures ne sont pas prises immédiatement.
Le président : Merci, madame.
Le sénateur Francis : Madame Palmater, vous en avez parlé un peu plus tôt, mais je voulais demander à nos témoins de nous en dire davantage. Quels sont les coûts réels et durables pour les générations actuelles et futures découlant de l’incapacité de faire respecter pleinement l’arrêt Marshall? Et qu’est-ce que cet échec persistant nous apprend au sujet de l’engagement du gouvernement fédéral et du Parlement en général à l’égard de la réconciliation?
Mme Palmater : Je vous remercie de cette question, car elle est au cœur de notre relation, au cœur de la relation entre la Couronne et les Micmacs, entre les Wolastoqey et les Peskotomuhkati. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées nous a appris qu’il s’agit d’une relation fondée sur le génocide, qui est le crime le plus horrible qui puisse être commis dans le monde. Ce n’est pas seulement un fait historique, cela se poursuit. Qu’est-ce qu’un génocide? C’est une tentative consciente d’éliminer un groupe en tout ou en partie. Et comment détruire les Micmacs? Il faut leur enlever leur culture, leurs droits et leur capacité de protéger les terres qu’ils occupent et les poissons qui les entourent pour les générations futures. Ils les éliminent constamment.
La situation détruit des vies individuelles. C’est l’une des choses qui me préoccupent le plus. À l’échelon politique supérieur, c’est une question importante, mais qu’en est-il des gens sur le terrain? Qu’en est-il des hommes, des femmes et des enfants qui pêchent, qui sont arrêtés, qui font l’objet d’accusations criminelles, civiles ou réglementaires et qui se retrouvent avec un casier judiciaire? Cela leur colle à la peau, comme une peine d’emprisonnement à perpétuité. Un casier judiciaire mine la capacité d’obtenir un emploi, de faire du bénévolat et de travailler avec des organismes sans but lucratif, tout comme il influe sur la façon dont les gens sont perçus dans leur propre collectivité.
Malheureusement, le Canada excelle lorsqu’il s’agit non seulement de criminaliser qui nous sommes en tant qu’Autochtones, mais aussi de nous isoler de nos propres communautés. Aujourd’hui, les communautés se disent : « Mon Dieu, regardez toute cette violence que nous subissons. J’aimerais que les pêcheurs micmacs arrêtent de pêcher. » On nous dresse les uns contre les autres. Les enfants ne se sentent pas en sécurité à l’école. Ils ont dit qu’ils ne se sentaient pas en sécurité. Ils se font intimider par les non-Autochtones, et on ne fait rien pour régler le problème. Quelqu’un aurait pu être tué à ce moment-là durant la pêche au homard, quand on a vu des gens faire feu avec leurs carabines. Ils brûlaient des bâtiments, détruisaient des casiers et tiraient sur les bateaux.
Nous ne voulons plus de Dudley Georges. Nous n’en voulons plus. Nous voulons empêcher ce genre de choses. Imaginez ce que ressentent les Micmacs. Nous ne sommes pas les bienvenus sur notre propre territoire. Les taux de suicide ne sont pas élevés pour rien. On dit toujours que les Autochtones sont paresseux, qu’ils ne se défendent pas et qu’ils ne sont pas travaillants. Lorsque nous essayons de mener nos activités traditionnelles et de nous nourrir avec de bons aliments, nous sommes criminalisés. La seule façon d’exister en tant que Micmac dans ce pays, c’est d’être un Micmac criminel. C’est comme cela depuis toujours. Si on veut garder nos enfants loin des pensionnats, il faut être un criminel et courir des risques. C’est encore le cas aujourd’hui. Si je veux être Micmaque à part entière avec tous mes droits de la personne et mes droits issus de traités, je dois être une criminelle. Le SCRS, la GRC et le MPO le savent. Il est grand temps que nous mettions fin à cette pratique.
Me Francis : La première chose dont j’aimerais parler, c’est le coût réel et durable de l’arrêt Marshall pour nos collectivités autochtones et la nature des droits qui étaient censés être accordés à notre communauté.
Je reviens au moment où la décision a été prise initialement. Le chef Terrance Paul a donné une conférence de presse à l’époque, et il a dit : « Hourra! Fini la pauvreté pour les nôtres. » C’était il y a une vingtaine d’années. C’est ce qu’on espérait, parce que tout le monde pensait que nous allions maintenant pouvoir gagner notre vie. Nous savons que cela ne s’est pas produit.
Nous voilà donc, 23 ans plus tard, et que se passe-t-il maintenant? Comme Mme Palmater l’a mentionné, nous continuons de criminaliser les nôtres qui exercent leurs droits, et c’est inacceptable. Ce n’est absolument pas nécessaire. Le MPO sait que les Micmacs possèdent de tels droits. Ces droits sont reconnus par la Cour suprême. Sinon, pourquoi avons-nous fait appel à la Cour suprême? Si les droits sont reconnus par le plus haut tribunal du pays et protégés par la Constitution, mais ignorés par le gouvernement et que nous sommes traités comme de simples individus, à quoi le processus a-t-il servi? À quoi sert la Cour suprême? C’est ce que je dirais : à quoi bon?
Si nous faisions la même chose à quelqu’un d’autre, si nous… Je reviens à l’exemple du mariage homosexuel. Cette cause a été entendue environ à la même époque que l’affaire Marshall. On a reconnu que les personnes homosexuelles avaient le droit de se marier. La loi a été adoptée rapidement, en l’espace de quelques années. Pouvez-vous imaginer ce qui se passerait si le Canada, le milieu politique et le corps législatif se contentaient de dire : « Bien sûr, je suppose qu’ils ont droit au mariage homosexuel. Oui, nous allons peut-être modifier quelques politiques », mais que les gens visés continuaient d’être victimes de discrimination pendant une vingtaine d’années? Pouvez-vous imaginer? Une telle situation serait jugée tout à fait inacceptable. Il y aurait de l’indignation. Pourtant, dans le cas des Autochtones, il est admis que nous devons simplement souffrir et poursuivre cette lutte, et ce, même si nous sommes allés devant le plus haut tribunal du pays et que nous continuons d’être criminalisés. Et comment osons-nous pleurnicher à ce sujet? Comment osons-nous?
Je pense que c’est le coût que nous payons. L’arrêt Marshall n’a pas été la victoire attendue. Il a causé tellement... Une pauvreté absolue et des troubles de stress post-traumatique dans nos collectivités. Je connais des gens qui disent : « J’ai un trouble de stress post-traumatique à cause de la pêche, parce que, maintenant, chaque fois que je vois un représentant du MPO ou de la GRC, j’ai un genre de retour en arrière. Et c’est reparti! » C’est vrai. Je ne l’invente pas. C’est la réalité. Je les regarde et je me dis, bon sang, imaginez ce que les nôtres ont à vivre pour continuer à exercer un droit qui a été conféré il y a 500 ans dans nos traités, un droit qui a été reconnu par la Cour suprême, et pourtant nous voici. Cette situation entraîne des répercussions sur les gens et sur la collectivité. Elle nous pousse continuellement à la pauvreté et à une dépendance accrue à l’égard du gouvernement, et les rouages du colonialisme continuent de tourner. Il n’y a pas d’autre façon de le dire.
Ce qui est triste, c’est qu’il y a une solution possible, même si elle est mineure. Même si c’est quelque chose de mineur. Même s’il s’agit d’une entente de portée limitée qui confirme la reconnaissance de ce droit : nous reconnaissons votre capacité d’en assurer la gestion. Essayons de coopérer un peu. Et nous n’y arrivons même pas. C’est ce qui est triste. En fait, le Canada continue de déployer son pouvoir colonial là où il exerce un pouvoir total, et Dieu sait ce qui arriverait s’il devait céder quelque partie que ce soit d’un tel pouvoir aux Premières Nations. Elle est là la question principale.
Quand je regarde la Chambre et le Parlement, je me dis que cette mentalité coloniale doit changer. Lorsque cette mentalité changera, des mesures seront prises. Mais ce ne sont que des mots pour l’instant. Ce ne sont que de belles paroles.
Voilà ce que j’avais à dire. Merci.
Le président : Merci, maître Francis.
La sénatrice Busson : Je vais essayer d’être brève.
Au cours de la conversation, nous avons partagé votre frustration à l’égard du fait que les choses ne semblent aller nulle part et nous avons parlé de ce que nous pourrions faire pour changer les choses.
Ma première question portait sur votre opinion au sujet d’un modèle. Je viens de la Colombie-Britannique et je ne suis pas sûre que le MPO recevrait le prix du ministère du mois là-bas non plus. D’après mes observations anecdotiques et les conversations que j’ai eues avec des pêcheurs et d’autres intervenants, il semble exister certains modèles de cogestion dans cette région, particulièrement dans la région de Haida Gwaii et chez les Haïdas, les Nisga’as de la vallée de la Nass et les Shuswap de Shuswap, en particulier, en ce qui concerne la gestion du saumon rouge; un modèle de cogestion a été adopté. Puis-je vous demander pourquoi ce type de modèle semble fonctionner et quelle est la différence? On dirait vraiment que le régime touchant les droits de pêche est différent sur la côte Ouest. Nous l’avons constaté ici, même lorsque nous avons posé des questions au MPO. Je me demande si quelqu’un aimerait formuler un commentaire à ce sujet, s’il vous plaît.
Me Francis : Si vous voulez, je peux revenir sur mes observations préliminaires.
Je ne connais pas les détails précis de toutes les ententes de cogestion de la Colombie-Britannique, alors je vais vous exposer un point de vue général, mais je suppose que l’un des points de vue et des éléments les plus importants derrière tout ça, c’est l’argent. Lorsque nous parlons des problèmes dans la région Atlantique, il est question de la pêche au homard, qui vaut des millions de dollars, et de la pêche au crabe des neiges, qui vaut elle aussi des millions de dollars, et ces millions de dollars ont toujours profité aux non-Autochtones. Nous nous demandons maintenant comment il serait possible de transposer tout ça sur les communautés autochtones. C’est un facteur important qui entre en jeu et qui tient au fait que le Canada ne veut pas renoncer à un certain pouvoir. Des pressions politiques sont exercées sur ces députés par leurs électeurs, qui s’opposent très probablement à toute forme de partage des pêches et des ressources. Ce sont les liens en place, et c’est ce qui explique pourquoi les attitudes ne changent pas. L’attitude des députés et des ministres ne change pas, et le dialogue vise toujours à maintenir le statu quo.
Même en ce qui concerne nos droits de chasse et de pêche, nous n’avons jamais essuyé de résistance du côté de la chasse. Nous avons rencontré un peu de résistance en ce qui concerne la chasse et la pêche en 1985, mais jamais comme maintenant. Mais il n’y avait pas d’argent. Nous ne prenions pas d’argent. Nous disions simplement que nous pouvions chasser sans permis tant que nous avions nos cartes. Il n’y avait pas beaucoup d’argent en jeu. Mais nous parlons maintenant de grosses sommes d’argent, et c’est un facteur qui, à mon avis, contribue vraiment à la situation globale. C’est ce que j’avais à dire à ce sujet.
Mme Palmater : Il est également important de comprendre que la situation des Premières Nations de la Colombie-Britannique est très différente. Par exemple, très peu d’entre elles disposent de traités historiques. La dynamique du pouvoir est différente. Le gouvernement a lui-même adopté une loi pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, par exemple. Ce n’est pas le genre de chose qui arrive dans les Maritimes, n’est-ce pas? Les Maritimes accusent un retard de plusieurs décennies par rapport à d’autres provinces. Je n’essaie pas de dire que la situation en Colombie-Britannique est parfaite, parce qu’il y a aussi beaucoup de problèmes là-bas. Il ne faut pas oublier qu’il y a des choses importantes qui ne sont pas directement liées aux accords de pêche, comme dans le cas des Premières Nations qui se sont opposées au pipeline Trans Mountain et qui se sont rendues jusqu’à la Cour suprême du Canada. Le gouvernement est donc un peu plus enclin à dire : « D’accord, nous avons un différend avec vous au sujet des pipelines, et vous essayez de protéger vos pêches, alors pourquoi ne pas trouver un compromis lucratif. » C’est littéralement ainsi que le gouvernement fonctionne, s’il sera d’accord avec les gens ou non.
Si vous parlez aux gens sur le terrain — je travaille avec beaucoup de défenseurs des terres, de protecteurs des eaux, de pêcheurs et d’autres intervenants —, vous constaterez qu’il y a eu de nombreuses manifestations et qu’ils ont de graves problèmes avec le MPO. Nous essayons de travailler en collaboration. Vous ne le sauriez pas autrement, vous ne sauriez pas ce que le MPO essaie de faire en coulisse, ce qu’il fait à un bout du pays comparativement à sa conduite à l’autre bout du pays. Il y a beaucoup d’inquiétude. Regardez depuis combien de temps l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, qui représente un grand nombre de Premières Nations en Colombie‑Britannique, a dû lutter contre les piscicultures de saumon et la destruction du poisson, de la faune et du reste, ou encore les Tsleil-Waututh qui ont essayé de protéger les épaulards résidents du Sud.
Il y a d’importantes luttes en cours, alors le gouvernement est un peu plus ouvert à s’asseoir et à dire : « Eh bien, nous allons conclure une entente limitée pendant que nous nous battons pour ces dossiers importants. » Tandis qu’il nous opprime depuis 500 ans, ici, dans les Maritimes. Toutes les provinces — les provinces maritimes — ont pu le faire. Je viens des Maritimes. J’adore cet endroit. Les gouvernements provinciaux eux-mêmes sont très hostiles aux droits des Autochtones, comme en témoignent toutes les affaires judiciaires que nous avons dû régler. Les attitudes sont également très différentes. Il y a beaucoup plus de racisme. Je pourrais qualifier ça de plein de façons différentes, mais la haine à l’ancienne, le racisme et la soif de pouvoir. Il faut regarder les gens qui travaillent au MPO, à la Garde côtière et à la GRC. Qui sont-ils et quels sont leurs antécédents? Je ne dis pas pour autant qu’il n’y a pas de problèmes en Colombie-Britannique, car il y en a. Il y a des facteurs très différents qui influent sur la conclusion de petits accords.
Le président : Merci, sénatrice Busson, d’avoir été brève.
Sénateur Kutcher?
Le sénateur Kutcher : J’ai compris le commentaire, monsieur le président, et je serai inhabituellement bref.
Le président : Notre temps est compté.
Le sénateur Kutcher : J’aimerais revenir sur un point soulevé par Mme Palmater au sujet de la sensibilisation. Lorsque je discute avec des pêcheurs de ma collectivité — dont certains sont mes voisins et mes amis —, je constate qu’ils sont de bonnes personnes. Je suis constamment frappé par le fait qu’ils ne connaissent tout simplement pas les pêches fondées sur les droits inhérents. Ils ne sont tout simplement pas au courant. Dans notre propre rapport, nous aurions pu faire mieux à ce sujet, mais nous en aurons peut-être l’occasion maintenant. En ce qui concerne les programmes de sensibilisation, je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’ils sont essentiels et que nos gouvernements fédéral et provinciaux n’ont pas fait ce qu’il fallait faire à cet égard. La question que je vous pose à tous les trois est la suivante : qui devrait créer ces programmes, qui devrait les mettre en œuvre et comment devrait-on les évaluer?
Le président : Encore une fois, chers témoins, il ne nous reste que quelques minutes. Je vous serais reconnaissant d’être aussi concis que possible dans vos réponses. Merci. Sénateur? On ne sait jamais.
Mme Palmater : Sénatrice Palmater, voulez-vous prendre la parole ensuite, s’il vous plaît? Oui.
La connaissance et la sensibilisation du public sont des thèmes importants. Que ce soit de la maternelle à la 12e année, au niveau universitaire, à l’intention du grand public et dans les médias, tout ça est important, mais il s’agit de la principale recommandation formulée dans tous les rapports qui ont été produits au cours des dernières quoi? Des six dernières décennies? Si nous attendons que tout le monde connaisse et comprenne la complexité de la loi, il faudra patienter encore 100 ans. Je ne dis pas pour autant que ce n’est pas important.
Cependant, si vous regardez tous les sondages qui ont été réalisés dans le but de savoir ce que les Canadiens savent au sujet des questions autochtones, ils savent que nous avons des droits qui sont violés. Ils n’en connaissent peut-être pas les détails, et nous ne les connaissons pas tous. Ils savent que nous sommes pauvres. Ils savent que nous sommes victimes de racisme. Je parle ici de la grande majorité des Canadiens. Une telle connaissance ne se traduit pas nécessairement par une volonté d’agir : « D’accord. Eh bien, je sais que vous avez des droits, mais je ne veux pas renoncer à mon permis de pêche. » Vous comprenez? C’est bien de savoir quelque chose et d’en être conscient, mais comment une telle compréhension se traduit-elle en mesures concrètes ou en une participation personnelle au processus de réconciliation? Et comment une telle compréhension peut-elle pousser les gens à exiger que les gouvernements passent à l’action? Les gouvernements profitent du fait que les gens ne disent pas qu’il serait facile de régler tous ces problèmes. Le fait de rendre des terres ne signifie pas que les gens vont perdre leur maison et tout le reste.
Pour ce qui est de savoir qui devrait le faire, ce devrait être nous. Nous devons concevoir ces choses. Nous devrions être financés pour le faire. Il devrait s’agir d’un programme permanent qui s’applique à tous les radiodiffuseurs du pays. Même s’il s’agit d’une responsabilité des gouvernements fédéral et provinciaux, là où nous voulons jouer un tel rôle, nous devrions mettre au point le matériel. Sinon, je crains le contenu qui serait communiqué aux fins de sensibilisation publique.
Le président : Merci. Nous serons interrompus dans quelques instants. Madame Francis, voulez-vous formuler un commentaire?
Me Francis : Non. Ça va.
Mme MacIntosh : J’ajouterais que, bien que je sois tout à fait d’accord avec Mme Palmater pour ce qui est de la création d’une intervention de sensibilisation quelconque de la part des Micmacs, je pense que nous ne pouvons pas tout simplement continuer à alourdir le fardeau que l’on met sur les épaules des Micmacs afin qu’ils réparent le gâchis causé par des non‑Autochtones. Je crois vraiment que les non-Autochtones ont un rôle à jouer pour ce qui est de prendre les choses en main et de faire leur part pour sensibiliser directement leurs voisins ou pour encourager la participation à tout type d’initiatives de sensibilisation mise en œuvre.
Le président : Merci. Je m’excuse sincèrement d’accélérer le pas. Il ne nous reste que quelques minutes. Nous avons respecté notre plage horaire. J’en suis très heureux.
Je remercie les honorables sénateurs et les témoins de leur collaboration. La conversation a été intéressante, c’est certain. Le fait que nous avons utilisé tout le temps qui nous était alloué témoigne du niveau d’intérêt des personnes ici présentes. Nous prendrons les suggestions de nos témoins et des honorables sénateurs au cours de la prochaine courte période, nous en discuterons avec le comité de direction et nous verrons ce que nous ferons à partir de là. C’est un sujet très important. Nous sommes heureux que vous ayez pris le temps aujourd’hui de vous joindre à nous pour nous aider dans notre travail. Notre conversation a été instructive, engageante et informative. Nous vous en remercions.
Sur ce, la séance est levée.
(La séance est levée.)