LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, Le jeudi 11 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 9 h 7 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport les populations de phoques au Canada ainsi que leurs impacts sur les pêches au Canada.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je m’appelle Fabian Manning, je suis sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador. J’ai le plaisir de présider la réunion.
Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. En cas de difficultés techniques, surtout en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler au président ou à la greffière, et nous nous efforcerons de rétablir la situation.
Avant de commencer, j’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.
La sénatrice M. Deacon : Bonjour, Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ravalia : Bonjour et bienvenue. Je suis Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Ataullahjan : Bonjour. Salma Ataullahjan, de l’Ontario
Le sénateur Francis : Bonjour. Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice R. Patterson : Bonjour. Rebecca Patterson, de l’Ontario.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Le 4 octobre 2022, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a été autorisé à examiner pour en faire rapport les populations de phoques du Canada et leurs impacts sur les pêches au Canada. Aujourd’hui, pour notre premier groupe de témoins dans le cadre de ce mandat, le comité entendra Andrew Trites, professeur et directeur de l’unité de recherche sur les mammifères marins, Institut des océans et des pêches, Université de la Colombie-Britannique.
Au nom du comité, je vous remercie, monsieur Trites, et je crois savoir que vous voulez présenter une déclaration liminaire. Après votre exposé, je suis sûr que les sénateurs auront des questions pour vous. La parole est à vous, monsieur.
Andrew Trites, professeur et directeur de l’unité de recherche sur les mammifères marins, Institut des océans et des pêches, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci beaucoup.
Bonjour à tous. Je m’appelle Andrew Trites. Je suis professeur à l’Institut des océans et des pêches à l’Université de la Colombie-Britannique et directeur de l’unité de recherche sur les mammifères marins. J’étudie les populations croissantes et décroissantes de mammifères marins depuis plus de 40 ans, et je me suis spécialisé dans l’étude des phoques, des otaries et des otaries à fourrure. Mes recherches comprennent des études sur le terrain et en laboratoire ainsi que des études informatiques. Bon nombre de mes études ont été réalisées en collaboration avec des chercheurs d’universités et de gouvernements du Canada et des États-Unis, ainsi que de l’Europe.
J’ai participé et je participe toujours à un certain nombre de comités consultatifs, notamment le groupe de spécialistes des mammifères marins du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, ou COSEPAC. À ce titre, j’ai une conscience aiguë des menaces et des défis de conservation auxquels sont confrontés les pinnipèdes au Canada, autant que des problèmes posés par les pinnipèdes aux pêches et à la gestion.
En ce qui concerne la gestion des pinnipèdes et les impacts sur les pêches, je voudrais attirer votre attention sur trois points de discussion. Le premier concerne l’idée communément admise selon laquelle les pinnipèdes du Canada sont incontrôlables, leur nombre explose, et il y a une surpopulation.
À ma connaissance, toutes ces déclarations de surpopulation semblent être fondées sur une base de référence de tailles de populations historiques anormalement basses dans les années 1960 et 1970, lorsqu’il était inhabituel — du moins en Colombie-Britannique — de voir un pinnipède parce qu’ils avaient été abattus et chassés jusqu’à atteindre des chiffres sans précédent.
En Colombie-Britannique, par exemple, toutes les populations de pinnipèdes se sont rétablies ou sont en voie de se rétablir d’une surexploitation. Il n’y a pas de surpopulation de pinnipèdes. Le phoque commun est stable et atteint sa capacité de charge depuis plus de 25 ans, avec environ 100 000 animaux. Les otaries mâles adultes de la Californie représentent la population stable suivante, qui compte environ 14 000 individus depuis la fin des années 2010 provenant de colonies de reproduction en Californie qui se sont stabilisées 10 ans plus tôt. Les otaries de Steller, qui figurent sur la liste des espèces préoccupantes du Canada, sont les suivantes dans le processus de stabilisation et semblent s’approcher rapidement de leur capacité de charge, qui est d’environ 45 000 animaux. L’addition de ces trois chiffres donne un total de 159 000 pinnipèdes, ce qui est bien peu par rapport aux 2,5 millions de personnes qui vivent dans le district régional du Grand Vancouver. En fin de compte, il n’y a pas de surpopulation de pinnipèdes en Colombie-Britannique. Les populations de pinnipèdes sont équilibrées et maintenues à des niveaux naturels grâce à des processus écosystémiques naturels qui ne coûtent pas un sou aux contribuables.
Le deuxième point sur lequel je voudrais brièvement réfléchir avec vous est la perception selon laquelle les pinnipèdes consomment des quantités excessives de poissons et que la prédation par les pinnipèdes est mauvaise et néfaste pour les espèces et les écosystèmes. J’entends souvent des gens donner des estimations du nombre de tonnes de poissons qu’un pinnipède consomme par année, ce qui semble toujours être une quantité astronomique jusqu’à ce qu’on la compare à la quantité de nourriture et de boissons qu’une personne moyenne de la même taille consomme par année. Si vous faites cette comparaison, vous pourriez être surpris de découvrir que les gens consomment plus que les pinnipèdes.
De nombreuses personnes croient également, à tort, que les phoques s’attaquent à des poissons qui finiraient sur les marchés canadiens du poisson s’il n’y avait pas de phoques. En réalité, un prédateur comme le phoque a beaucoup plus de chances d’attraper des poissons lents, malades et de qualité inférieure, que de nombreux Canadiens ne voudraient probablement pas manger. La prédation par les phoques améliore la santé des populations de poissons, ce qui est une bonne chose pour la santé des pêches canadiennes. De même, la prédation par les phoques apporte des avantages directs aux écosystèmes. Par exemple, les phoques qui consomment des poissons prédateurs comme le gros merlu, lequel mange de jeunes harengs, peuvent permettre d’accroître l’abondance de harengs juvéniles disponibles pour les saumons.
Enfin, de plus en plus de données provenant de l’écologie terrestre montrent que la réintroduction des prédateurs de niveau trophique supérieur dans leurs anciens habitats favorise la stabilité des écosystèmes et de la biodiversité. Un tel phénomène de réensauvagement semble se produire naturellement dans les écosystèmes marins du Canada, car nos océans sont réensauvagés par les phoques, les otaries, les baleines et les requins. Par conséquent, les avantages des pinnipèdes pour la santé des écosystèmes semblent l’emporter sur les dommages qu’ils sont censés causer.
Le dernier point que j’aimerais aborder concerne la confiance que les gens ont dans les prédictions faites par les modèles mathématiques prédateur-proie, comme un modèle qui prédit que l’élimination de la moitié de l’ensemble des pinnipèdes en Colombie-Britannique rétablira le saumon de la côte Ouest. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que les chances que le modèle soit juste ne sont que de 30 à 40 %, et il faudrait probablement de 10 à 20 ans pour déterminer si les choses se dérouleront effectivement comme prévu. Pour certains, des chances de 30 à 40 % sont excellentes en raison de l’argent qui peut être gagné si les gens pêchent plus de saumons ou d’autres espèces. Cependant, ceux qui accordent une plus grande valeur à la vie d’un phoque veulent avoir plus de 80 % de chances que les modèles soient justes avant d’approuver de telles prédictions. Il est donc important de connaître le niveau de confiance qui sous‑tend les prévisions des modèles et de poser des questions à ce sujet.
Il est également important de reconnaître que les points de vue et les valeurs de la société ont beaucoup changé depuis les années 1970, lorsque le nombre de pinnipèdes était le plus bas de l’histoire.
En conclusion, je ne connais pas un seul cas où l’abattage des pinnipèdes a eu l’effet escompté. J’aimerais donc vous encourager à vous demander, premièrement, si les populations de pinnipèdes qui sont stables et à capacité de charge peuvent être considérées comme une surpopulation et nécessiter une gestion. Deuxièmement, je voudrais que vous vous demandiez si les avantages que les pinnipèdes apportent aux écosystèmes marins l’emportent largement sur les dommages qu’ils sont censés causer aux poissons et aux pêches. Troisièmement, je vous encouragerais à vous demander si la faible probabilité que l’abattage des pinnipèdes augmente réellement l’abondance des poissons commerciaux et sportifs vaut le risque d’un échec et s’il vaut la peine de causer des dommages plus importants à la santé des écosystèmes et au bien-être d’autres espèces très prisées, telles que les épaulards et les requins.
Je me réjouis de pouvoir discuter de ces questions avec vous, ainsi que de répondre aux questions relatives aux lacunes en matière de financement et aux moyens de gérer les pinnipèdes.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Le président : Merci, monsieur Trites. Vous avez présenté des renseignements très intéressants. Je suis sûr que nos sénateurs auront des questions à vous poser.
Le sénateur Kutcher : Merci, monsieur Trites. Si vous êtes sur la côte Ouest, nous vous sommes très reconnaissants de vous être réveillé si tôt le matin.
M. Trites : Je vous remercie.
Le sénateur Kutcher : Nous en sommes très reconnaissants.
Merci beaucoup des commentaires que vous venez de faire. Concernent-ils principalement la côte Ouest ou également les deux côtes?
M. Trites : Mes commentaires portaient précisément sur la côte Ouest, mais je pense qu’ils s’appliquent également à la côte Est. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que nous en sommes à des étapes différentes de la transition du système fortement géré vers des systèmes réensauvagés. Sur la côte Ouest, par exemple, il y a des populations d’épaulards migrateurs se nourrissant de mammifères marins qui augmentent et stabilisent l’écosystème. Sur la côte Est, où la chasse au phoque est pratiquée depuis beaucoup plus longtemps, les épaulards sont relativement rares, et il faudra du temps pour que leur nombre augmente. Il faut du temps pour que le nombre de requins augmente. Ils contrôlent le nombre de phoques gris. En ce qui concerne les contrôles naturels dans l’écosystème pour contrôler le nombre de pinnipèdes, il faut plus de temps parce qu’ils sont partis d’un nombre inférieur de prédateurs de niveau trophique supérieur pour les contrôler.
Le sénateur Kutcher : Dans le même ordre d’idées, nous avons entendu des commentaires selon lesquels les populations de phoques ont une incidence négative sur les stocks de saumon sur la côte Ouest — je me concentrerai sur la côte Ouest — et que la diminution de la population de phoques entraînerait une augmentation des stocks de saumon. Je vous ai entendu dire que vous étiez préoccupé par la modélisation; il est absolument essentiel de connaître les degrés d’erreur de tout modèle pour pouvoir l’évaluer.
Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre le réseau complexe qui unit les populations de pinnipèdes et les saumons de la côte Ouest? Il y a évidemment l’alimentation directe, mais il y a aussi des composantes indirectes. Je pense que vous avez mentionné l’une des plus importantes : le fait de se nourrir de merlus modifie la population des harengs alevins, ce qui peut en fait augmenter la population de saumons. Pourriez-vous nous aider à comprendre la complexité de ces réseaux afin que nous ne pensions pas de manière linéaire?
M. Trites : Les réseaux alimentaires sont effectivement complexes. Si l’on prend l’exemple du phoque commun, il y en a environ 100 000 à l’échelle de la province. Si on examine leur régime alimentaire, on peut facilement dresser une liste de 40 à 50 espèces qu’ils consomment. Cependant, si l’on regarde les deux principales qui dominent presque tout leur régime alimentaire, vous pensez peut-être qu’il s’agit du saumon, mais ce n’est pas le cas. Le saumon ne représente qu’un très faible pourcentage de leur alimentation, soit de 1 à 3 % environ, selon les espèces. Ils mangent principalement du merlu du Pacifique, qui est un poisson de type morue, et du hareng du Pacifique. Ils recherchent les gros merlus, et, si on laisse le merlu devenir très gros, leur régime alimentaire passe de la consommation de krill à la consommation de poisson. Dans ce cas-ci, les phoques retirent ces très gros poissons prédateurs, ce qui se traduit par une plus grande abondance de petits harengs, ce qui, en fin de compte, sera très bénéfique, car cela permettra de nourrir les jeunes saumons. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la complexité des réseaux.
Bien sûr, depuis la surface de l’océan, on ne voit pas ce genre de choses se produire. Ce que l’on voit, c’est peut-être quelqu’un qui tire de l’eau un poisson à la ligne, comme un saumon, puis un phoque qui le retire de la ligne; on tire alors d’autres conclusions sur les proies qu’ils préfèrent.
Je ne suis pas sûr d’être arrivé exactement là où vous vouliez que j’aille, mais nous apprenons. Je ne veux pas dire que les phoques ne mangent pas ces poissons et qu’ils n’ont pas d’impacts — car c’est le cas — mais ce n’est pas tout à fait la façon dont beaucoup de gens pourraient croire que c’est le cas.
Nous savons, par exemple, que les phoques mangent du poisson adulte, mais nous avons cinq espèces de saumon. En général, ils reviennent tous en si grand nombre qu’ils envahissent leurs prédateurs. Un phoque, contrairement à un bateau de pêche, ne peut capturer que la quantité qu’il peut mettre dans son estomac. Il ne dispose pas d’une grande cale lui permettant d’en ramener beaucoup plus et de les garder pour un autre jour. Lorsqu’ils reviennent, ils ont envahi leurs prédateurs.
Nous savons également qu’ils mangent de très petits poissons, du moins c’est le cas de certains phoques. Nous avons effectué des études de suivi ici et avons pu identifier certains individus qui sont spécialisés dans l’interception de très petits poissons. Bien que cela ne représente qu’un très faible pourcentage de leur régime alimentaire, si l’on additionne le nombre de petits poissons qui sortent, cela peut représenter une part importante des poissons qui quittent les fleuves et rivières. Nous pouvons voir les avantages et les inconvénients, mais lorsque j’examine la situation dans son ensemble, je constate que les avantages l’emportent largement sur les inconvénients.
Le sénateur Kutcher : Une dernière chose, et j’aurai d’autres questions pour le deuxième tour, si cela vous va.
Diriez-vous que la corrélation observée n’implique pas une causalité directe?
M. Trites : Vous l’avez très bien formulé. Je suis d’accord avec vous.
Le sénateur Kutcher : Merci.
La sénatrice Cordy : Comme le sénateur Kutcher l’a dit, c’est l’heure de la côte Ouest. Merci beaucoup non seulement d’être éveillé et de vous être levé, mais aussi d’être prêt à présenter un exposé devant un écran.
Ma première question porte sur la différence entre la côte Est et la côte Ouest; le sénateur Kutcher en a parlé dans ses observations et dans une de ses premières questions. Je viens de la Nouvelle-Écosse, et la Halifax East Fisheries Association a parlé de la nécessité pour le ministère des Pêches et des Océans du Canada, ou MPO, de réagir rapidement à ce qu’elle appelle le « problème des phoques ». On a dit que les phoques ont bénéficié d’une forte reprise depuis le milieu du 20e siècle, ce qui n’est pas le cas de leurs proies. De nombreux pêcheurs demeurent à des niveaux extrêmement bas, et une population croissante de phoques signifie une diminution importante de la probabilité de rétablissement.
Je me demande si vous pourriez nous en parler, car ce n’est certainement pas ce qu’ils voient. Ils voient le problème qui touche le poisson.
M. Trites : J’ai grandi en Nouvelle-Écosse — dans les Maritimes — et j’ai donc une idée de certaines des questions qui se posent sur la côte Est.
Nous avons des phoques communs et des phoques gris. En ce moment, on accorde beaucoup d’attention aux phoques gris, surtout au large de la Nouvelle-Écosse. Les phoques gris étendent également leur aire de répartition aux États-Unis, où ils posent également des problèmes parce que le système est en train de changer. Il y a aussi les phoques du Groenland et les phoques à capuchon, qui posent davantage de problèmes au Québec et à Terre-Neuve.
En plus de l’augmentation de ces populations, il y a les effets du changement climatique. La perte de glace de mer a une incidence énorme sur la capacité des phoques du Groenland et des phoques à capuchon de mettre bas sur la glace. Ces populations se déplaceront vers le nord à mesure que la glace se déplace vers le nord, car c’est la seule surface stable sur laquelle elles peuvent mettre bas. Elles ne peuvent pas mettre bas sur l’eau, car les petits se noieraient. De nombreux changements se produisent.
Autour de l’île de Sable, par exemple, ou le long de la côte Est des États-Unis, nous voyons également apparaître de grands requins blancs. Ils viennent parce qu’il y a des phoques à manger. Nous traversons une période de transition marquée par des changements très rapides causés à la fois par le changement climatique et par le retour des prédateurs de niveau trophique supérieur qui s’en nourrissent.
Ces changements sont sans précédent, mais il est prouvé que les phoques causent des dommages directs aux pêches en endommageant les engins de pêche ainsi que les poissons capturés et en réduisant leur valeur marchande. Il existe des preuves concernant les navires, au chapitre des parasites et des vers des phoques, par exemple, alors il y a certainement des problèmes.
En examinant certaines modélisations des écosystèmes qui ont été réalisées — et en essayant d’étudier les effets de la présence de phoques, d’otaries et de baleines dans les écosystèmes — j’ai pu constater que nos écosystèmes sont en train de devenir plus stables et plus diversifiés. Cela ne signifie pas nécessairement que tout ira pour le mieux pour la pêche, mais en ce qui concerne la santé globale des écosystèmes et le bien-être des espèces collectives, je pense que tout le monde y gagnera à long terme.
Nous sommes plus avancés à cet égard sur la côte Ouest. Pour ce qui est des phoques, nous avons connu une période de stabilité d’environ 25 ans. Le nombre d’otaries est en train de se stabiliser. Cependant, je pense que nous avons une excellente occasion de régler ce problème et de déterminer comment un écosystème peut être équilibré en faisant intervenir des prédateurs de niveau trophique supérieur, dans ce cas-ci, des épaulards et des requins. Les phoques et les otaries sont également des prédateurs de niveau trophique supérieur, et ils peuvent aussi produire des effets.
Nous pensons souvent que la prédation est une mauvaise chose, mais si vous pensez aux exemples du Serengeti, les lions ne capturent pas les plus gros et les plus rapides; ils éliminent les malades et les faibles et maintiennent ces populations en meilleure santé.
Il en va de même pour les poissons. La prédation a des côtés positifs, qui sont rarement mentionnés ou, je pense, dont très peu de gens sont même conscients.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup.
Ma prochaine question — et vous l’avez déjà abordée — porte sur le réchauffement des eaux de l’océan Atlantique et de l’océan Pacifique. Je vais parler de l’océan Atlantique, si vous me le permettez.
J’ai également lu au sujet de la perte de glace de mer et de l’effet de cette fonte sur les nouveaux blanchons qui naissent. La glace qui est restée est parfois fragile, et j’ai lu dans cet article particulier que le nombre de blanchons avait diminué.
Vous avez certainement abordé ce sujet dans vos commentaires sur le réchauffement des océans. Nous lisons des articles sur des espèces de poissons qui n’auraient jamais été observées au large des côtes de la Nouvelle-Écosse, mais que nous voyons maintenant à cause du réchauffement. Je sais que nous parlons de l’effet sur la population de phoques, alors je vous demanderais de bien vouloir faire le lien entre les phoques et votre réponse concernant le réchauffement des eaux.
M. Trites : Comme je l’ai mentionné plus tôt, la glace de mer est un facteur important pour certains pinnipèdes canadiens, mais l’autre facteur qui contribue au réchauffement des températures océaniques pour les mammifères marins, comme les phoques, c’est qu’ils peuvent faire face à une augmentation de la température de un ou deux degrés, voire de 5 à 10 degrés. C’est un peu comme si vous ou moi entrions dans un bain chaud ou que nous augmentions sa température de quelques degrés.
Les conséquences sur les poissons sont énormes : cela augmente leur métabolisme. Ils ont besoin de plus de poissons pour se nourrir ou d’une plus grande consommation alimentaire, de sorte que leur répartition va changer. Au fur et à mesure qu’ils se déplaceront, les mammifères marins se déplaceront aussi. Ils iront là où se trouvent les épiceries à mesure qu’ils se déplaceront vers le nord. Je pense que nous allons assister à des changements assez dynamiques. La glace de mer poussera bon nombre de ces pinnipèdes plus au nord. Ils seront moins fréquents dans le golfe du Mexique, par exemple. Je pense que nous allons également constater que la répartition des phoques gris va se déplacer plus au nord, car ils suivent les poissons.
Tout cela fait partie de ces changements très dynamiques qui se produisent sous nos yeux.
La sénatrice Cordy : Lorsque nous voyons — et nous le voyons au fil des ans; il faut habituellement beaucoup de temps — les populations s’adapter en raison des changements des écosystèmes, et vous avez dit qu’ils se déplacent plus au nord, y a-t-il d’autres changements que vous observez relativement aux populations de phoques?
M. Trites : Pour ce qui est du temps nécessaire pour que ces changements se produisent, il faut probablement compter entre 10 et 30 ans. En ce qui concerne l’élimination des phoques, disons que si l’on va jusqu’au bout de l’idée proposée de tuer la moitié des phoques et des otaries en Colombie-Britannique, nous ne saurons pas si cela va fonctionner, ou si cela aura un effet positif, avant au moins 10 à 20 ans. Pendant ce temps, tant d’autres choses se seraient probablement produites dans ce système que l’on pourrait dire : « Eh bien, cela aurait fonctionné si quelque chose d’autre ne s’était pas produit. »
L’autre grand changement que nous constatons, c’est la présence d’épaulards migrateurs. Nous avons différents types d’épaulards, ou différents « écotypes », comme nous les appelons. Certains ne mangent que du poisson; d’autres se spécialisent dans la consommation de requins. Dans ce cas-ci, nous avons un groupe qui ne mange que d’autres mammifères marins.
Lorsque j’ai quitté la Nouvelle-Écosse pour la Colombie-Britannique en 1980, je n’ai jamais vu d’épaulards, ou d’épaulards se nourrissant de mammifères marins, dans la mer des Salish. Aujourd’hui, ils sont ici tous les jours. Leur nombre a beaucoup augmenté. Vous pouvez y aller n’importe quand, et je pourrai vous trouver des épaulards. Ils sont ici pour manger les phoques. Ce sont des changements qui ont pris, dans ce cas-ci, 40 ans à se produire ici, mais ils sont très réels.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup, c’est très intéressant.
Le sénateur Ravalia : Merci, monsieur Trites, d’être ici. J’aimerais revenir au sujet de la côte Est. Je vis dans une communauté de pêcheurs — sur la côte Nord-Est — qui dépend fortement de la pêche et de la population de phoques. Nous avons constaté une augmentation spectaculaire du nombre de phoques du Groenland au large de nos côtes. Cette année, nous avons eu une forte concentration de glace de mer dans les baies, et mes collègues qui pêchent m’ont envoyé des vidéos montrant des kilomètres et des kilomètres de glace de mer habitée par de grandes quantités de pinnipèdes, en particulier des phoques.
Les pêcheurs expérimentés me disent qu’ils voient une relation directe entre cette population croissante — maintenant estimée à plus de 7 millions — et le déclin des stocks de poissons, en particulier la morue, mais il y a aussi maintenant des impacts sur les crevettes et les crabes. Les scientifiques nous disent qu’il y a peut-être d’autres raisons expliquant l’absence de reprise de ces stocks, et qu’il peut y avoir d’autres prédateurs.
Je me demande si vous pouvez nous en parler, car cela a des répercussions économiques incroyables sur des collectivités comme la mienne, sur la côte Nord-Est de Terre-Neuve-et-Labrador.
M. Trites : Je comprends ce que vous dites, et les pêcheurs de la côte Ouest m’ont dit la même chose. Pourtant, la plupart des données scientifiques ne corroborent pas les perceptions qu’ont les gens. Il y a un décalage. L’une des choses qu’il faut, c’est renforcer la collaboration entre les communautés de pêcheurs et les chercheurs afin que nous puissions mettre à l’essai certaines des idées des gens — les choses qu’ils voient — et déterminer pourquoi nous ne voyons pas les mêmes tendances, ou leur demander d’expliquer ce qui pourrait manquer.
Il y a quelques années, il existait un programme appelé le Réseau canadien de recherche sur la pêche. Il s’agissait d’une collaboration entre des universitaires, des pêcheurs et des chercheurs du gouvernement, financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ou CRSNG. Il a duré cinq ans. À mon avis, c’était probablement la recherche la plus importante à laquelle j’ai participé parce que, pour la première fois, nos étudiants diplômés parlaient aux pêcheurs. Nous avions des pêcheurs qui faisaient confiance à ce qu’ils entendaient parce que leurs idées étaient entendues par les étudiants et mises à profit dans leurs recherches.
Malheureusement, le programme a pris fin. Beaucoup d’entre nous souhaitaient qu’il continue car, selon moi, c’est la seule façon d’être tous sur la même longueur d’onde. Sinon, je pense que nous serons dans cette boucle perpétuelle où les scientifiques diront une chose tandis que les pêcheurs en diront une autre — et ne seront jamais d’accord. Si vous ne le connaissez pas, ce programme existe toujours en ligne, de nom, mais, pour moi, c’était un échec d’y mettre fin, car à l’avenir, nous avons besoin d’un nouveau modèle de gestion des pêches et de recherche sur les pêches qui inclut les phoques. Je pense que nous devons rétablir ce dialogue ouvert et avoir des pêcheurs autour de la table avec des scientifiques travaillant sur ces questions. Ce que j’ai constaté, c’est une bien meilleure compréhension, et je crois que nous étions d’accord sur les problèmes que nous avons résolus ensemble. Maintenant, cela manque. Nous n’avons pas eu cela depuis longtemps.
Le sénateur Ravalia : Ce fossé entre la science et le MPO et les connaissances sur le terrain semble s’élargir chaque jour. La dichotomie est telle qu’il y a une méfiance totale envers les scientifiques de ma communauté — évidemment, quand les gens récoltent et qu’il n’y a absolument rien dans l’océan.
Voyez-vous une voie à suivre pour rapprocher ces parties? Vous avez fait allusion à cette organisation en particulier, mais j’estime que c’est impératif parce que nous sommes en crise. Nous respectons un moratoire sur la morue depuis 1992. Nous avons également commencé à voir un déclin de nos stocks de crabes. Comme je l’ai mentionné précédemment, lorsqu’on écoute les gens qui sont sur l’eau depuis plus de 40 ans, ils ont une croyance précise à cet égard : ils pensent vraiment que les pinnipèdes font partie intégrante de l’équation.
M. Trites : Je comprends ce que vous dites, et pour moi en tant qu’universitaire — en tant que professeur d’université — je crois que nous avons un rôle à jouer pour aider à combler ce fossé. Pour y parvenir, il faut un financement. Une autre de mes préoccupations concerne la façon dont nous allons former la prochaine génération de chercheurs. Tous ceux qui travaillent au MPO en tant que scientifiques du gouvernement ont été formés dans une université, mais pour ce qui est de la recherche sur les mammifères marins, il est très difficile d’obtenir un financement pour soutenir un étudiant. Je ne sais pas où nous allons attirer les futurs scientifiques au Canada — peut-être d’Europe, d’Australie ou des États-Unis, où ils semblent mieux réussir à financer la formation des scientifiques. Mais, à l’avenir, je me demande d’où viendront nos nouveaux scientifiques.
De plus, dans les universités, nous constatons qu’une grande partie de la recherche de pointe, les nouvelles techniques et technologies sont conçues par les jeunes cerveaux. Ils sont très ouverts aux différentes possibilités. Encore une fois, nous manquons de financement pour y arriver.
La discorde que vous avez mentionnée sur la côte Est existe également sur la côte Ouest. J’assiste à des réunions et je pense souvent que les scientifiques du MPO ont l’impression d’être attaqués, alors ils font front commun en quelque sorte — et cela élargit encore le fossé et entrave le dialogue. Mais, en tant qu’universitaire, je pense que nous nous situons au centre, et nous sommes très ouverts à écouter toutes les parties et à travailler avec elles. Selon moi, ce serait une voie très productive pour la côte Est et la côte Ouest.
Le sénateur Ravalia : Merci, monsieur Trites.
Le président : Monsieur Trites, vous avez mentionné le Réseau canadien de recherche sur la pêche et le fait qu’il n’existe plus. Pouvez-vous nous en parler un peu, ainsi que de la provenance de son financement et d’autres détails?
M. Trites : Oui. Je ne faisais pas partie du comité d’organisation, j’étais juste membre du réseau. Je ne suis pas la bonne personne pour vous parler des tenants et aboutissants. D’après ce que je sais, il était financé par le CRSNG — probablement avec des miettes de contribution du MPO également. Les gens présentaient différentes propositions, qui étaient évaluées. Il y avait un groupe directeur de l’industrie qui aidait à déterminer ce qu’il considérait comme des problèmes urgents — tout, des homards sur la côte Est à la prédation des phoques ici, sur la côte Ouest. Le réseau a financé énormément de recherches vraiment précieuses, mais je pense que vous trouverez certains de ces détails en cherchant en ligne. À mon avis, c’était probablement la recherche la plus créative, la plus productive et la plus significative que nous ayons faite en tant que société au Canada sur les questions de pêche. Malheureusement, nous avons dû y mettre fin.
Si je pouvais ajouter une chose à tout cela... À mon avis, il manquait une chose à ce rassemblement unique de personnes : nous n’avions que des chercheurs du côté du MPO. Nous n’avions pas les gestionnaires. À mes yeux, cela a été un échec, car les gestionnaires ont besoin d’entendre les chercheurs, les pêcheurs et les universitaires pour que les politiques qu’ils envisagent soient alimentées par des faits et tiennent compte du consensus. Ils n’étaient pas présents avec nous. Je pense que c’était l’un des défauts. Si on décide d’aller de l’avant, je pense que les deux camps du MPO doivent être là — la gestion ne devrait pas être uniquement descendante; selon moi, elle devrait également être alimentée par de l’information recueillie à la base.
Le président : Merci. Nous allons certainement nous pencher là-dessus. Je vous remercie d’avoir porté cela à notre attention.
La sénatrice M. Deacon : Mes trois premières questions ont été bien couvertes. Je veux m’assurer qu’il n’y a rien d’autre à dire sur votre expérience de travail, dans l’ensemble, avec le MPO et au sujet des projets de recherche sur les phoques. S’il y a autre chose que nous devons entendre pour améliorer cette relation, je garderais certainement cette porte ouverte dans ma question.
Par ailleurs, lorsqu’on écoute particulièrement cette conversation... comment analyser les effets sur les stocks de saumon à l’avenir en raison des changements climatiques et des populations de phoques? Je suis une invitée du comité, mais en écoutant votre témoignage aujourd’hui, j’ai l’impression que les pinnipèdes sont un bouc émissaire pratique, dans un certain sens, pour les changements provoqués par les forces plus importantes des changements climatiques. Le débat autour de la tentative de contrôle des populations de phoques est-il un leurre — excusez le jeu de mots — alors que nous devons examiner les forces plus importantes des changements climatiques sur nos stocks de poisson?
M. Trites : Il ne fait aucun doute que les changements climatiques sont la menace principale et la plus importante pour les pêches canadiennes, en particulier le saumon, ici sur la côte Ouest. Je pense que les phoques sont souvent le bouc émissaire, en partie parce que c’est une source visible de mortalité. On peut voir la prédation se produire à la surface. Les animaux, pour la plupart, doivent ramener leur poisson à la surface pour le consommer. C’est donc considéré comme étant une « révélation ».
Encore une fois, comme on l’a fait remarquer, il s’agit d’une corrélation — et il n’y a pas de lien de cause à effet.
Il y a eu un programme ici, sur la côte Ouest, financé par la Fondation du saumon du Pacifique en collaboration avec un autre groupe aux États-Unis appelé Long Live the Kings. Nous travaillons ensemble sur les questions de prédation avec les deux groupes depuis maintenant 10 ans. La semaine prochaine, nous nous réunissons tous à Bellingham, dans l’État de Washington, et faisons le point au bénéfice de tous. Un certain nombre d’étudiants sont passés par le programme.
À ce sujet, à titre d’exemple, nous avons tous les principaux experts du saumon à la table avec nous. Il n’y a pas de consensus sur ce qui ne va pas avec nos stocks de saumon.
Nous avons cinq espèces différentes de saumon, comme le saumon rose — il y en a énormément dans l’océan. Ce n’est pas le problème; il s’agit de s’attaquer à ceux qui ont une valeur commerciale — le saumon quinnat, le saumon coho et le saumon rouge sont les principales espèces qui préoccupent la plupart des gens.
Pour vous donner un exemple ici, certaines personnes disent, sans aucun doute, que ce doit être les phoques. Les modèles disent cela, mais, encore une fois, les modèles dépendent des données qui ont été fournies — et il y a une énorme incertitude dans ces prédictions.
Il y a un autre courant de pensée, soutenu par un certain nombre de scientifiques, selon lequel le vrai problème tient en fait aux écloseries de poisson ou aux écloseries de saumon. Vous pourriez penser : « Comment les écloseries pourraient être une mauvaise chose? Le public les adore. Nous laissons simplement entrer tous ces bébés poissons dans l’océan. » Eh bien, il semble que lorsqu’on met autant de bébés poissons dans l’océan, les poissons d’écloseries sont en concurrence avec les poissons sauvages. Aucun d’entre eux ne grandit suffisamment au stade juvénile. Ils doivent rester plus longtemps sur les côtes et sont donc exposés à plus de prédation avant de devenir assez grands pour atteindre la mer afin de poursuivre leur cycle de vie.
Je pourrais vous montrer d’autres personnes qui diraient : « Non, nous sommes sûrs à 100 % que ce ne sont pas les phoques; ce sont les écloseries. » Mais l’idée de fermer des écloseries, à titre d’expérience, est peu attrayante pour beaucoup de gens, étant donné que cela semble être une chose si naturelle à faire. Au bout du compte, les océans ne renferment pas une quantité illimitée de nourriture disponible pour que les jeunes poissons puissent manger et grandir — et qu’ils soient finalement disponibles pour la pêche.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Vraiment, monsieur Trites, toute action entraîne une réaction.
Je veux juste terminer cette première partie de ma déclaration. Y a-t-il autre chose — dont nous n’avons pas entendu parler — qui entrave les partenariats entre le gouvernement, le milieu universitaire et les gens sur le terrain concernant le travail qui, selon vous, doit être fait?
M. Trites : Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés est le financement qui nous permet de faire venir des étudiants pour établir ces relations — et il faut accorder la priorité au dialogue réunissant des scientifiques du gouvernement avec des pêcheurs et des universitaires qui, à bien des égards, peuvent souvent être l’arbitre, ainsi qu’un sujet sur lequel tous les groupes peuvent se concentrer.
Je pense qu’il y a un autre besoin — ne serait-ce qu’en ce qui concerne nos étudiants diplômés — se pencher non seulement sur la question des phoques, mais aussi sur celle des poissons. Nous formons une nouvelle génération de scientifiques qui n’ont jamais rencontré de pêcheur, mais ils vont contrôler et recommander la quantité que les pêcheurs devraient pouvoir récolter. Ici, l’accent est mis sur la conservation, et, malheureusement, il s’agit souvent de savoir comment arrêter la pêche afin de laisser plus de poissons dans l’océan.
Grâce au Réseau canadien de recherche sur la pêche, j’ai découvert que les étudiants qui venaient là-bas — qui n’avaient jamais rencontré de pêcheur auparavant — étaient assis à une table et parlaient en tête-à-tête de la pêche avec des maris et des femmes. Ils ont été invités à monter à bord de bateaux de pêche. C’est quelque chose qui manque à leur formation : bâtir ces relations. Grâce à ces relations, la confiance s’installe — ce qui provient de la science est digne de confiance au lieu d’être considéré avec suspicion. Je pense que nous devons trouver des mécanismes pour établir de telles relations. Il faut commencer par travailler avec nos jeunes pour établir ces relations.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le président : Monsieur Trites, nous sommes tous deux préoccupés par le fait que des gens prennent des décisions concernant la pêche alors qu’ils n’ont jamais vu de poisson.
M. Trites : J’aimerais ajouter que, il y a quelques années, un éminent chercheur de l’Alaska a présenté un séminaire à nos étudiants diplômés. Beaucoup de ces gens élaborent des modèles d’écosystèmes, et ils ont toutes ces différentes espèces de poissons. C’était gênant quand le chercheur a affiché des photos de poissons et qu’il a demandé au public : « Quelqu’un peut-il me dire de quel poisson il s’agit? » Personne ne pouvait le lui dire. Ils connaissaient les noms — ils ne pouvaient tout simplement pas faire le lien avec ce à quoi le poisson ressemblait réellement.
Ce que vous dites est très vrai; cette connaissance pratique brille par son absence dans notre système d’éducation aujourd’hui, à mon avis.
Le président : Merci. À titre indicatif, il ne nous reste que 14 ou 15 minutes avec ces témoins-ci. Je déteste quand cela arrive, mais le temps est notre ennemi.
La sénatrice R. Patterson : Merci beaucoup. Tout cela est fascinant. Revenons à notre discussion sur les modèles et les données. Votre témoignage à ce sujet était très détaillé. À dire vrai, ce que je constate, et ce que j’entends, c’est « rien pour nous sans nous ». Quand vous parlez de la gestion des changements, le fait est que notre monde est en évolution, et il y a partout de minuscules îlots d’excellence, mais j’entends dire qu’il n’y a aucune harmonisation. Si vous voulez essayer de créer de nouveaux modèles, cela nécessite des investissements réels, de 30 à 40 %. Je peux comprendre pourquoi les gens là-bas qui se retrouvent avec des filets vides y verraient un énorme problème.
Que nous manque-t-il pour investir afin d’avoir un outil de modélisation meilleur et cohérent, qui pourra aussi, bien évidemment, tenir compte des différences régionales? Nous oublions aussi la voie maritime du Saint-Laurent, qui est aussi touchée. Notre pays est immense, et ses besoins sont multiples. Selon vous, que va-t-il se passer? J’ai entendu parler de votre recherche sur les pêches canadiennes. Quelle est notre solution?
M. Trites : Les modèles n’ont pas plus de valeur que les données dont vous vous servez, et souvent les données utilisées dans les modèles viennent des scientifiques du gouvernement. La plupart du temps, le MPO effectue une surveillance et recueille des données de base sur le nombre, la distribution, l’alimentation et les déplacements. Ainsi, si nous avons des doutes ou si nous n’avons pas vraiment foi dans les modèles, nous pouvons déterminer pour quelles variables nous n’avons pas assez d’information, puis orienter la recherche afin de recueillir plus d’information et donc combler ces lacunes.
Ce que je voulais dire, plus tôt, c’est que les gens vont souvent parler des prédictions, mais ne vont jamais demander : « Quel est votre niveau de confiance? » C’est comme si l’on choisissait comment on s’habille le lendemain avec un niveau de confiance à l’égard de la météo de 30 % seulement; ce n’est pas très rassurant, mais nous faisons beaucoup mieux.
Les modèles et la technologie ont suivi l’évolution de la puissance des ordinateurs, mais nous sommes tout de même limités par les données. Dans tous les modèles, nous pouvons déterminer de quelles données nous avons davantage besoin, et cela aide donc à orienter la recherche.
La sénatrice R. Patterson : Si vous pouviez construire ce système et y intégrer les données manquantes dont vous avez parlé, pour la recherche — je vais dire du MPO, parce que c’est de cette institution dont nous parlons le plus —, comment envisageriez-vous la construction de ce système amélioré? J’entends beaucoup parler des extrants, mais pas tant des résultats. À quoi cela ressemblerait-il?
M. Trites : Le mot « résultats » est intéressant. C’est un domaine où la recherche universitaire diffère de la recherche gouvernementale. Je pense que, souvent, les chercheurs du gouvernement ne craignent pas les lendemains; ils n’ont aucune raison de se presser. Mais, dans le monde universitaire, vous devez produire des résultats en moins de deux, trois ou peut-être cinq ans, si vous êtes un étudiant au doctorat. Il n’y a pas de lendemain. Nous avons un rythme de travail très différent, et aussi des délais différents. Pour créer la meilleure valeur, je pense qu’il faut combiner les forces que chacune de nos organisations apporte à la table, et il faut aussi que les pêcheurs participent à la discussion, siègent à nos comités et conseillent les étudiants.
Un modèle de financement pourrait être un fonds, mais la condition serait que, avant toute décision sur des projets prioritaires, les groupes de l’industrie, le MPO et les universitaires soient consultés. Tentez l’expérience, pour voir si cela est efficace.
Je n’ai aucun doute, d’après mon expérience avec le Réseau canadien de recherche sur la pêche, que non seulement cela sera très fructueux, mais cela permettra aussi d’atténuer certains des obstacles que j’ai observés quant à la façon dont l’industrie de la pêche perçoit la recherche au Canada.
La sénatrice R. Patterson : Merci.
La sénatrice Ataullahjan : Bonjour.
Je suis fascinée par ce que j’entends ce matin. Je voulais vous demander des commentaires sur le fait que nos voisins nordiques — l’Islande et la Norvège —, même si leurs biosystèmes sont semblables aux nôtres, ont réussi à gérer leurs populations de pinnipèdes d’une façon qui a permis la renaissance de la pêche commerciale.
M. Trites : Je crois que je remettrais peut-être en question la mesure dans laquelle leur façon de gérer leurs pinnipèdes a eu des retombées positives sur leurs pêches.
Souvent, dans ces contextes, nous n’avons pas vraiment de groupes contrôles, au sens expérimental, pour savoir : « Que serait-il arrivé si on n’avait pas fait cela? Les choses seraient‑elles différentes, ou est-ce qu’il y a d’autres facteurs? »
Il faut être prudent avant de tenir pour acquis que leur gestion a véritablement eu des retombées positives sur les pêches, parce que nous n’avons aucun autre groupe contrôle — pour effectuer des comparaisons — pour savoir si la différence tient à cela ou à autre chose.
Le sénateur Kutcher : Si vous me le permettez, je vais faire un très bref commentaire. Ensuite, je vais coucher ma question par écrit, et nous pourrons l’envoyer à M. Trites; de cette façon, le sénateur Ravalia aura lui aussi le temps de poser sa question.
M. Trites : Bien sûr.
Le sénateur Kutcher : Avant tout, je veux vous remercier. Vous nous avez rappelé que la science ne sert pas toujours à établir la vérité; elle nous aide plutôt à nous tromper moins souvent, au lieu de toujours. Nous avons de la difficulté avec cela, parce que nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la science nous dévoile la vérité, mais il faut que les gens sur le terrain et les scientifiques travaillent ensemble.
J’ai une question pour vous à ce sujet. Je poursuis sur la lancée de la sénatrice Patterson. Comment le Canada peut-il s’améliorer? Comment pouvons-nous faire mieux? Nous n’arrêtons pas d’entendre que nous devons accroître nos capacités scientifiques — pas seulement celles du MPO, mais aussi celles des universités —, mais ces deux entités ne communiquent pas efficacement entre elles. Votre institution dépend des subventions, et, comme j’ai moi-même évolué dans ce milieu pendant des années, je comprends les problèmes que cela pose.
L’autre problème, c’est que nous n’arrivons pas du tout à diffuser efficacement la science.
M. Trites : Oui.
Le sénateur Kutcher : Les pêcheurs ne participent pas aux discussions, et la population non plus... et nos communications scientifiques sont minables.
Ma question va porter sur ces enjeux. Je vous ai donné un aperçu de ce qu’elle sera pour que vous puissiez nous aider.
Merci.
M. Trites : Aucun problème.
Le sénateur Ravalia : Très rapidement, ma question fait suite à celle que la sénatrice Ataullahjan vient de poser.
Si nous disons que les pays nordiques ont choisi une méthode particulière pour gérer leur population de pinnipèdes et que leur pêche commerciale est relativement prospère, pourrions-nous dire que le groupe contrôle, c’est ce qui se passe actuellement au Canada? Nous n’avons rien fait, ici, et nous savons que notre pêche est en déclin et est extrêmement vulnérable. Est-ce que cela pourrait être notre groupe contrôle, aux fins d’une étude comparative?
M. Trites : Je pense que c’est une très bonne suggestion, et je pense que cela pourrait être très utile d’effectuer cette comparaison, pour nous assurer de comparer des pommes avec des pommes, et non pas des pommes avec des oranges.
Je pense tout de même que votre suggestion est excellente. Ce serait un excellent sujet de thèse pour un étudiant ou une étudiante au doctorat, qui voudrait comparer ces systèmes. Oui, c’est une merveilleuse idée.
Le sénateur Ravalia : Merci.
Le président : Merci, monsieur Trites. La discussion a été très instructive, et nous vous remercions de vos suggestions et de vos réponses... Allez-y.
M. Trites : Pourrais-je dire une dernière chose?
J’ai deux choses à dire, par rapport aux expériences contrôlées. On entend souvent parler du besoin d’abattre les pinnipèdes ou de réduire leur population, ou peut-être que cela est associé à la chasse, mais je pense qu’il faut d’abord déterminer les variables de contrôle de l’expérience pour savoir si ce que l’on fait a ou non l’effet prévu.
L’autre chose que je veux mentionner concerne la loi américaine sur la protection des mammifères marins. Ce texte de loi — le seul au monde — est axé sur un seul groupe d’organismes, c’est-à-dire les mammifères marins, et tout ce qui serait fait au Canada qui causerait un préjudice à un mammifère marin serait une infraction à cette loi américaine, et les produits de la pêche canadiens seraient interdits.
Par exemple, si on abattait des phoques en Colombie-Britannique, cela aurait un impact direct sur les épaulards migrateurs. Nous partageons cette population avec les États-Unis, et je ne serais pas surpris si l’affaire était portée devant les tribunaux et que les produits de la pêche canadienne finissaient par être interdits. Il faut donc réfléchir aussi aux conséquences globales et à la façon dont les lois d’autres pays peuvent influencer les décisions prises au Canada.
Le président : C’est un excellent point. Il faut prendre en considération tout le tableau, c’est évident.
Au nom du comité, merci d’avoir témoigné aujourd’hui, et merci d’avoir répondu à nos questions... et surtout, merci de vous être réveillés un peu plus tôt sur la côte Ouest qu’ici au Centre du Canada. La discussion a été instructive et utile, pour nous. Le sénateur Kutcher et d’autres personnes auront peut-être des questions complémentaires à vous poser.
M. Trites : Bien sûr. Merci beaucoup. J’ai aimé discuter avec vous.
Le président : Merci, monsieur Trites.
Pour la deuxième partie de la réunion, nous accueillons par vidéoconférence M. Gil Theriault, directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec. Merci d’être des nôtres ce matin. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire à nous présenter, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
Vous avez la parole, monsieur.
Gil Theriault, directeur, Association des chasseurs de phoques intra-Québec : Merci beaucoup de m’avoir invité. Je n’ai rien jeté par écrit, et ce sera peut-être un cauchemar pour les interprètes, parce que si je vis au quotidien en français, la majeure partie de mes études se déroulent en anglais, alors je passe parfois de l’un à l’autre. Je ferai de mon mieux pour parler seulement dans l’une des langues... et je m’excuse de mon accent.
Essentiellement, je suis ce qu’on appellerait un observateur. Je travaillais dans l’industrie de la chasse aux phoques. J’ai commencé en 1992, pour vous donner un peu une vue d’ensemble du contexte. J’ai une formation de journaliste. Je donne beaucoup de conférences et je fais d’autres choses du genre, et j’imagine que, si une personne observe un phénomène pendant suffisamment longtemps, elle peut faire des analyses assez intéressantes, pour autant qu’elle ait un peu de jugeote. J’espère que je pourrai apporter ma contribution à la discussion d’aujourd’hui.
Voici ce que j’ai observé au cours des 30 dernières années, environ : je dirais que l’histoire de l’industrie de la chasse aux phoques — je sais que certaines personnes n’aiment pas cette expression — est fondée sur l’intimidation, même si ce serait la vieille expression; pour utiliser un terme moderne, un peu plus en vogue maintenant, je dirais « ingérence étrangère ». L’ingérence étrangère ne vient pas seulement de Chine. Ce qui se passe actuellement aux États-Unis, en particulier avec la loi sur la protection des mammifères marins, est essentiellement de l’ingérence.
Nous avons une quantité formidable de phoques au Canada, et c’est une merveilleuse ressource, mais on dirait que nos voisins du Sud nous empêchent de l’utiliser. Ils ne nous aident pas non plus, de quelque façon que ce soit, avec les pêches. La pêche dans l’Est du Canada est indubitablement en train de s’effondrer. Regardez toutes les populations qui diminuent et toutes les espèces dont la population diminue, ce qui reste dans nos eaux, essentiellement, ce sont des crabes et des homards. Bientôt, avec l’arrivée des baleines noires et des requins blancs — qui sont attirés par les phoques —, quand je parle à mes collègues pêcheurs, ils disent que l’avenir de la pêche commerciale s’annonce très sombre. Dans l’avenir, ils croient qu’il n’y aura plus que des espèces protégées dans le golfe du Saint-Laurent. Même si les phoques sont loin d’être en danger, nous continuons d’agir comme si c’était le cas.
Une autre expression que j’utiliserais pour décrire la situation est « écocolonialisme », parce que, encore une fois, ce sont les gens qui se trouvent à l’extérieur de notre réalité qui dictent ce qui est bien et ce qui est mal pour nous, à l’encontre de toutes les données et justifications scientifiques.
Ce n’est pas la première fois que je témoigne devant un comité, que ce soit un comité du Sénat ou de la Chambre des communes. Malheureusement, au cours des 30 dernières années, les choses n’ont pas avancé du tout, alors j’espère que les choses seront un peu différentes avec le vôtre. On vit d’espoir.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci. Avant de donner la parole au sénateur Kutcher, qui va poser la première question, j’ai un conseil à vous donner : s’il vous plaît, ne vous excusez pas d’avoir un accent. C’est le cas de quelques-uns d’entre nous, ici. C’est un défi que nos interprètes relèvent chaque jour, alors ne vous faites pas de souci non plus. Ils sont géniaux. Ils seront à la hauteur.
Le sénateur Kutcher : Merci à vous deux de nous avoir rappelé que tout le monde a un accent, en fait... c’est juste que, parfois, on le souligne. Vous êtes entre amis et collègues, ici, alors vous n’avez rien à craindre. Mon père parlait six langues, mais il avait un très fort accent en anglais. Il disait souvent aux gens que la raison pour laquelle il avait un accent si prononcé en anglais, c’est qu’il parlait couramment d’autres langues. C’est quelque chose à garder en tête.
Merci, monsieur Theriault. Vous avez dit que vous meniez vos recherches en anglais. Avez-vous eu l’occasion — et, le cas échéant, pouvez-vous nous dire comment cela s’est passé — de travailler avec des scientifiques du MPO? Ou alors, j’imagine que l’Université du Québec à Rimouski serait l’institution universitaire la plus proche de chez vous. Y a-t-il d’autres institutions universitaires? Avez-vous eu l’occasion de faire ce genre de travail, et si oui, de quoi s’agissait-il?
M. Theriault : J’ai travaillé en étroite collaboration avec bon nombre de scientifiques; entre autres Mike Hammill — qui a récemment pris sa retraite —, ainsi que Garry Stenson et Doug Swain. Je pourrais nommer un grand nombre de scientifiques brillants. Je dirais que les choses se sont déroulées correctement. Ma plus grande préoccupation, en ce qui concerne le MPO, tient au fait qu’il travaille encore selon une approche préventive. À mon avis, c’est aussi dépassé que l’approche anthropocentrique d’il y a plusieurs décennies ou même d’il y a 100 ans. Ce dont nous avons besoin, maintenant, c’est d’une approche écosystémique; et nous en avons besoin depuis des décennies. Le MPO a vraiment du retard à rattraper sur ce terrain.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. Je pense que vous avez mis le doigt sur quelque chose dont nous entendons parler de plus en plus, à savoir la nécessité de comprendre la complexité du système, et la relation entre l’écosystème et les pêches commerciales existantes. Nous savons que les eaux océaniques sont en train de changer. Les populations de poisson se déplacent, tout comme les pinnipèdes et les autres mammifères marins. Cela va avoir des conséquences pour les pêches commerciales.
Je me demandais si vous pouviez regarder dans votre boule de cristal et voir ce qui s’en vient. Les pêcheurs commerciaux du Canada vont-ils devoir se tourner vers d’autres espèces commerciales qui seraient viables, au lieu de celles qui ont été utilisées dans le passé? Est-ce que quiconque y réfléchit? Est-ce que cette démarche s’inscrirait dans une approche de recherche écosystémique?
M. Theriault : Absolument. L’océan est vaste et grand; il y a énormément de ressources dans l’océan. Je crois beaucoup en la science, mais la science ne devrait jamais remplacer le bon sens. Malheureusement, cela arrive trop souvent dans l’industrie de la chasse aux phoques. La réalité, ici, est très simple : nous avons une espèce qui est supérieure à tous les autres, un super prédateur. Elle n’a elle-même aucun prédateur, mis à part les humains et quelques requins blancs, même s’il y en a malheureusement de plus en plus. Ce n’est pas la population d’ours polaires qui va contrôler la population de phoques. Elle ne va pas se contrôler elle-même non plus.
J’ai parfois l’impression que le MPO attend qu’une maladie grave ou alors une famine réduise ces populations. C’est une ressource merveilleuse, et nous en avons beaucoup.
Je peux vous donner un exemple très simple : il y a deux ou trois ans, nous avons fait des études sur les appâts à base de phoque pour la pêche aux crustacés. Nous savons que cela fonctionne à merveille. Puis, l’année dernière, nous avons entendu dire : « Oh, non. Il n’y a plus de maquereau ni de hareng. » La situation était sombre pour les pêcheurs, parce que c’est ce qu’ils utilisaient comme appât. Nous avons levé la main et leur avons dit : « Nous avons une idée. Il y a beaucoup de phoques, vraiment beaucoup. Nous pourrions utiliser les phoques pour appâter les crustacés. » Il y a beaucoup de phoques. C’est un produit local, alors, au lieu d’acheter des appâts de l’Espagne, de Taïwan ou d’ailleurs, au lieu de dépenser notre argent canadien ailleurs, ce serait une excellente chose pour l’économie et une excellente chose pour l’environnement, et cela évite de devoir importer plein de plateaux de carbone emballés dans du papier. C’est parfaitement logique, mais le MPO a levé la main et a dit : « Désolé, mais les États-Unis, avec sa loi sur la protection des mammifères marins, ne vont pas aimer cela. Nous ne pourrons pas exporter ces produits aux États-Unis. » J’ai répondu : « Ouf, c’est terrible. » Cette solution a du sens à tous les points de vue, mais on l’a quand même rejetée pour se donner bonne conscience ou quelque chose du genre. Je ne sais pas, c’est terrible, et je n’ai pas d’autres mots pour décrire la situation.
Le sénateur Ravalia : Merci, monsieur Theriault. J’aimerais changer de sujet et parler des marchés pour les produits du phoque. Dans ma province natale, les contingents pour la chasse aux phoques ne sont pas remplis, tout simplement parce que les phoques et les produits du phoque ne sont pas très faciles à commercialiser. Savez-vous de quelle façon — selon vos études, vos contacts et le portefeuille bien étendu de cette industrie — nous pourrions exploiter des marchés potentiels, vu notre nouveau circuit Asie-Pacifique, et aussi le besoin en protéines de l’hémisphère sud?
M. Theriault : Vous seriez sûrement surpris d’apprendre qu’ici, au Québec, nous avons plus de marchés que de produits. Nous manquons de produits, pas de marchés. Les gens raffolent de la viande de phoque que nous avons ici. Le boucher du coin peut proposer 30 produits de viande de phoque — des saucisses, des pâtés, de la terrine, et j’en passe — et les gens se les arrachent.
Je sais qu’on a déployé énormément d’efforts pour la commercialisation, et cela a donné d’excellents résultats, mais je dis aussi — pour revenir en arrière —, que nous devons travailler à un autre projet. Nous avons besoin de travailler, par exemple, sur les marchés nationaux. Je ne sais pas si vous le savez, mais au Québec, le phoque, c’est de la viande. À Terre-Neuve, le phoque, c’est un poisson. Cela crée toutes sortes de problèmes pour les échanges commerciaux au Canada... et on parle d’exporter. Je pense que nous devrions bien huiler la machine au Canada d’abord, puis travailler sur les marchés locaux. Il y en a beaucoup, et nous avons sur ces marchés une prise que nous n’avons pas dans les autres pays.
Il suffit que quelques groupes de militants protestent pour que les marchés ferment du jour au lendemain, comme cela est arrivé en Chine en 2010.
Si vous visitez un autre pays... en 1995, je me suis rendu en Chine, et les Chinois étaient très intéressés par nos produits. À l’inverse — et c’est comique —, nous avions un peu peur de leur montrer nos produits, parce qu’il y avait des produits du phoque, et nous n’avions aucune photo de phoques plus âgés; c’était seulement des blanchons. Nous nous disions : « Oh, mon Dieu! Comment allons-nous vendre de la viande de phoque si nous montrons des blanchons? Ils ne voudront jamais acheter ou manger cela. » Mais nous n’avions pas d’autre choix, et comme nous ne parlions pas leur langue, nous ne pouvions rien leur dire par écrit. Finalement, nous avons décidé : « Montrons-leur la photo. » Et vous savez ce que les Chinois ont dit? Ils ont dit : « Que c’est beau. Ça doit être délicieux. » Ils n’ont pas la même sensibilité que nous. En résumé, en Chine, ils nous ont demandé : « Qu’est-ce que vous faites avec la viande? » À l’époque, en 1995, nous avons répondu : « Eh bien, il y en a certains qui en mangent, de temps en temps, lors d’un souper de famille. C’est à peu près tout. » Ils ont dit : « D’accord, parfait. On vous en donne 25 ¢ la livre, parce que vous ne faites rien d’autre avec cette viande. » De nos jours, quand je me rends en Chine, j’apporte des paquets du boucher d’ici — à 80 $ le kilogramme —, la discussion est quelque peu différente. Ils demandent : « Est-ce qu’on peut commencer à 50 $ la livre? », et nous répondons : « Je ne sais pas. Les gens se l’arrachent, et nous n’avons pas vraiment besoin de vous. Mais si vous en voulez un peu, peut-être que nous pourrions conclure une entente, si vous en voulez de grandes quantités. »
Si vous n’utilisez pas le produit chez vous, si vous ne l’utilisez pas complètement chez vous, c’est très difficile de le vendre sur les marchés étrangers. La première chose que nous devons faire, c’est mettre de l’ordre chez nous et optimiser le produit au Canada. Il y a une demande pour la fourrure. Il y a une demande pour l’huile de phoque. Il y a une demande pour la viande au Canada. Commençons par faire des efforts ici en premier.
La sénatrice Cordy : Merci de toute l’information que vous nous donnez; c’est très utile. La réalité, c’est que les opposants à la chasse aux phoques savent très bien vendre leur salade; ils utilisent les blanchons à leur grand avantage dans leurs publicités. Je me rappelle, il y a quelques années, un ami à moi était ministre des Pêches. L’un des grands journaux de Boston a publié en première page une photo de la chasse aux phoques sur un floe de Terre-Neuve, et bien évidemment, le sang sur le floe blanc donnait un aspect très agressif à la photo et renforçait la cause des opposants à la chasse aux phoques, mais c’était un article de nouvelles.
Le ministre a obtenu une copie de l’article d’un de ses employés, et il l’a lu. La chasse aux phoques à Terre-Neuve avait été reportée d’une journée, à cause du brouillard, alors il n’y avait pas eu de chasse cette journée-là. Je ne sais pas où ni quand la photo avait été prise, mais il ne s’agissait pas d’une photo de la chasse aux phoques à Terre-Neuve ce jour-là. Ce sont des choses qui arrivent.
Comment pouvons-nous commercialiser les produits du phoque? Si vous avez visité la Chine, que vous avez fait le tour du monde à des fins de commercialisation et que vous en avez discuté, vous savez qu’il y a effectivement un marché pour les produits du phoque. Mais comment devons-nous nous y prendre? Pouvez-vous nous parler un peu plus du genre de choses que vous faites, au Québec?
M. Theriault : C’est une autre raison pour laquelle nous devrions commencer par le marché local et prendre de l’expansion à partir de là. Par rapport aux militants, nous vivons dans le passé. Si vous effectuez un sondage présentement dans l’Est du Canada et que vous demandez aux gens s’ils sont pour ou contre la chasse aux phoques, je pense que vous seriez très surprise. Il y aurait probablement entre 90 et 95 % de gens qui diraient approuver tout à fait la chasse aux phoques. Ils comprennent ce qui se passe actuellement dans l’écosystème. Ils savent que les phoques mangent des quantités formidables de nourriture et qu’ils tuent encore plus. Je ne vais pas entrer dans la science derrière tout cela, mais les choses sont assez claires. Encore une fois, il faut que le bon sens l’emporte.
Ce n’est pas que nous voulons éliminer les phoques. C’est seulement que nous pourrions utiliser une ressource qui est abondante, c’est tout. La façon de le faire, c’est de vendre des bons produits — des produits de haute qualité — que ce soit la fourrure ou la viande.
C’est ce que nous avons exactement fait au Québec, par exemple. Le boucher, ici, a fait des essais et des erreurs pendant des années — en demandant aux gens d’essayer ceci et cela —, mais il s’améliorait. Je ne sais pas si vous connaissez les îles de la Madeleine, mais c’est un endroit très touristique. Nous recevons de 60 000 à 70 000 touristes par an, et chaque touriste qui vient aux îles de la Madeleine mange du phoque, à moins qu’il soit strictement végétalien ou végétarien. Le phoque est disponible partout, dans tous les restaurants, et les touristes l’essaieront donc, par curiosité.
On parle beaucoup du végétalisme et du végétarisme, mais de quoi s’agit-il? Cela concerne-t-il 2 ou 3 % de la population? Souvent, ce n’est que pour une certaine période, puis les gens reviennent à un régime omnivore. Tous ces gens viennent ici et consomment des produits qu’ils ne peuvent pas ne pas aimer... c’est super bon. Vous n’aimerez pas le phoque si vous ne mangez pas de viande, évidemment, mais si vous êtes carnivore ou omnivore, c’est très bon. Une fois que les gens l’ont en tête et qu’ils l’ont goûtée, on peut discuter avec eux. Ils peuvent poser toutes sortes de questions, comme : « Est-ce acceptable de chasser le phoque? Y a-t-il un problème avec la population? Est‑ce cruel? » Vous pouvez avoir une excellente discussion avec ces personnes et leur dire toute la vérité sur ce qu’il en est. Quand elles retournent à Montréal, à Québec, à Vancouver ou à Calgary — peu importe d’où elles viennent —, elles transmettent ce message. Je pense que c’est pour cela que nous le faisons, petit à petit. Ces personnes sont des ambassadrices des produits du phoque convaincues après cela. Je pense que nous avons fait un excellent travail à ce chapitre au Québec au cours des 10 à 15 dernières années. Encore une fois, si l’on fait un sondage au Québec pour savoir s’il est correct de continuer de chasser le phoque, on obtiendra près de 100 % d’opinions favorables.
La sénatrice Cordy : Vous devriez peut-être travailler par la suite dans le marketing. Vous êtes très doué dans ce domaine. Merci.
Vous avez parlé des États-Unis qui empêchent le Canada d’exporter les produits du phoque aux États-Unis. Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Encore une fois, le Canada devrait-il faire quelque chose pour ouvrir ces voies commerciales?
M. Theriault : La première chose que le Canada devrait faire, c’est de contester pour des motifs scientifiques la loi sur la protection des mammifères marins; je ne dis pas que cela devrait seulement être pour des motifs politiques. Il s’agirait de dire aux États-Unis : « Vous avez la loi sur la protection des mammifères marins qui dit essentiellement que le phoque est une espèce en péril. D’où tenez-vous vos preuves? Donnez-nous vos chiffres, et nous les comparerons aux nôtres pour voir si vous avez raison. »
Le Canada doit à un moment donné intervenir. Nous ne sommes pas un pays de seconde classe. Le Canada doit défendre ce qui est juste. C’est ce que la population attend des politiciens. Parfois, vous devez défendre vos citoyens. Quand on parle de l’industrie du phoque, on ne parle pas des citadins de ce pays magnifique. On parle des collectivités côtières — des collectivités côtières souvent très fragiles — qui n’ont pas beaucoup d’options sur le plan économique. Ces gens attendent des politiciens qu’ils les défendent et qu’ils disent aux États‑Unis : « La loi sur la protection des mammifères marins est excellente en ce qui concerne les baleines noires. Travaillons ensemble, car cette population est en danger. Mais ne nous empêchez pas d’utiliser une ressource abondante qui serait en fait bonne pour l’écosystème, si on pouvait chasser davantage et apporter une sorte d’équilibre. Cela est tout simplement inacceptable ». La discussion devrait aller dans ce sens.
La sénatrice Cordy : Merci.
La sénatrice R. Patterson : J’aimerais obtenir des précisions. Dans le cadre de la recherche que vous avez menée dans votre région, au Québec, y a-t-il des acteurs autochtones sur le marché, même s’il s’agit de récolte de subsistance? Que constatez-vous dans ces collectivités, et comment cela se répercute-t-il sur votre plateforme globale de mise sur le marché de la viande de phoque?
M. Theriault : Récemment, nous avons travaillé en très étroite collaboration avec la collectivité autochtone. Des chasseurs autochtones viennent régulièrement aux îles de la Madeleine pour y chasser les phoques. Le projet est très intéressant, il s’appelle Reconseal Inuksiuti, et je peux vous en parler davantage, ou vous mettre en relation avec des gens qui peuvent le faire.
Les Autochtones avec qui nous travaillons sont les Inuits. Ce sont eux qui ont toujours une longue histoire et une relation étroite avec le phoque.
Ils disent qu’il est bon de chasser les phoques du Nord, mais qu’il n’y en a pas tant que cela dans le Nord. Cependant, chasser les phoques d’ici est une excellente chose, car il y en a trop. Nous chassons les phoques d’ici, qui, je dirais, sont plus faciles à chasser que ceux du Nord, et nous les envoyons ensuite aux populations urbaines.
Comme vous le savez probablement, de nombreux Autochtones vivent dans les zones urbaines, comme à Montréal, Ottawa, Toronto, Winnipeg et partout au Canada. Une grande population d’Autochtones y vit, souvent dans des conditions économiques défavorables, malheureusement. Leur apporter de la viande de phoque, de la peau de phoque et de la graisse de phoque, c’est comme le paradis pour eux; c’est un régal, pour eux. Nous bâtissons ce pont.
Encore une fois, au lieu de dire : « Faisons du marketing pour que les Autochtones puissent vendre ces produits à l’extérieur du Canada », nous disons : « Non, chassons le phoque au Canada, et laissons-les utiliser le produit comme ils le souhaitent ». Ils le mangent; ils font de l’artisanat avec. Ils ne gaspillent rien, la peau, les os et tout.
Je pense que l’on doit soutenir et arrimer ce type de projet. C’est ce que nous faisons avec presque pas de ressources, et je pense que c’est déjà dans la ligne de mire de nombreuses personnes à Ottawa et des gens au pouvoir, mais c’est un excellent exemple de la façon dont nous devons utiliser cette excellente ressource.
La sénatrice R. Patterson : Merci.
D’après ce que je comprends de tout ce que vous avez dit, il y a deux choses : c’est bien de penser à l’échelle internationale, mais pensons donc à l’échelle locale. Je ne fais que résumer ce que je crois avoir entendu.
Dans le cadre de la réconciliation, nous savons également que — comme vous l’avez dit —, même au Québec, on doit examiner de nombreuses voies inexplorées afin de déterminer à quoi cela ressemblera pour ces collectivités. Il y avait le Programme de certification et d’accès aux marchés des produits du phoque en 2015. Je n’en avais jamais entendu parler avant de le voir écrit ici. Encore une fois, c’est axé sur l’Union européenne et l’exportation.
Que recommanderiez-vous, ou que diriez-vous au gouvernement pour qu’il se penche sur le marketing interne qui profite à tout le monde?
M. Theriault : Je comprends; quand le gouvernement canadien parle de l’industrie du phoque, il parle toujours de Terre-Neuve, et j’ai cru comprendre que Terre-Neuve a un quota très élevé de phoques. Cette province a un quota de près de 400 000 phoques du Groenland.
Malheureusement — pas assez souvent —, le gouvernement ne tient pas compte de l’autre industrie du phoque, celle du Québec, des populations autochtones et des provinces maritimes, qui veulent entrer sur le marché parce qu’elles veulent protéger leurs pêcheries.
De plus, je parlais des Autochtones en général. Les Inuits ont la relation la plus étroite avec les phoques, historiquement, mais tous les autres, comme les Micmacs et les autres populations et collectivités autochtones côtières veulent en faire partie également. Il est certain que nous devons travailler beaucoup avec eux.
En ce qui concerne la réglementation, nous devons vraiment y travailler, parce qu’elle rend la chasse très compliquée pour de nombreuses personnes. C’est la chasse qui est compliquée, naturellement, et on l’a tellement réglementée qu’elle est presque impossible.
C’est une chose qu’il faut également examiner de très près.
La sénatrice R. Patterson : Merci beaucoup. C’est très apprécié.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Je pense que je vais terminer par une observation. Au nom de mes collègues, nous entendons la passion dans votre voix. Nous entendons votre frustration, bien sûr.
Les questions que j’aurais voulu poser ont été très bien traitées et bien entendues, les questions locales, internationales et mondiales.
Je vous remercie, car j’ai aimé le pâté de phoque des îles de la Madeleine. Je suis absolument amatrice. Au début, je n’étais pas certaine, et nous avons posé des questions. Vous avez parlé des 30 utilisations du phoque, nous avons donc beaucoup appris. Je vous remercie beaucoup, aujourd’hui.
M. Theriault : Merci.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais poursuivre sur la question précédente de la sénatrice Deacon où elle a mentionné le produit alimentaire.
Je me demandais si vous pouviez nous parler des exigences de fabrication pour le type de production alimentaire que vous avez décrit. Vous nous avez dit que les gens s’arrachent les produits.
S’agit-il pour l’instant d’une fabrication à petite échelle de ces produits? S’il devait y avoir beaucoup plus de chasse, quelles modifications de la capacité et de l’infrastructure — pour la production de ces produits alimentaires destinés à la vente — seraient nécessaires? S’agit-il d’une solution rapide ou faut-il une planification économique à long terme?
M. Theriault : Non, je dirais que ce serait assez rapide, car l’expertise existe.
Je vais vous donner quelques exemples : quand j’ai dit que nous devions faire un peu de ménage, comme je le disais, le phoque est un poisson à Terre-Neuve, mais une viande au Québec, ce qui est déjà étrange. Mais, au Québec, on nous autorise à mélanger, par exemple, de la graisse de porc avec du phoque, car c’est de la viande mélangée à de la viande; aucun problème.
Mais à Terre-Neuve — et j’ai goûté des produits vraiment intéressants d’un grand chef, à Terre-Neuve —, le problème est qu’il est interdit de faire cela, car le phoque est un poisson, et que l’on ne peut pas mélanger du poisson et de la viande à cause de la contamination croisée. La réglementation nous empêche de mener à bien un développement plus important.
Je pense que la différence entre Terre-Neuve et nous — le Québec —, c’est qu’il est vrai que nous pratiquons une sorte de boucherie artisanale dans ce domaine. Cependant, le boucher a fait beaucoup d’essais et, selon lui, il est impossible d’enlever mécaniquement la graisse; il faut le faire manuellement. Si on oublie juste un peu de graisse, elle s’oxyde, et elle a un goût très prononcé. Il faut être très précis avec les couteaux et bien faire le travail, et parfois, il faut enlever un peu de viande avec la graisse pour s’assurer qu’il ne reste plus de graisse de phoque dans la viande.
Il faut beaucoup de gens et beaucoup de formation. Il faut une plus grande aire de travail, et cetera, mais c’est possible, car l’expertise existe déjà.
Je sais qu’il y a quelques projets aux îles de la Madeleine pour développer ce que nous faisons actuellement, mais nous ne sommes pas près d’atteindre les 400 000 phoques. C’est beaucoup. Je pense qu’il est préférable de travailler sur la qualité plutôt que sur la quantité dans ces types de produits, car le phoque ne remplacera jamais le bœuf. Ce sera toujours un marché de niche. Ce sera toujours cher, car la chasse coûte cher. De plus, c’est une chose qu’il faut introduire petit à petit.
Je vais vous donner rapidement un exemple : ils ont fait cela avec le maquereau en Haïti. Ils ont envoyé du maquereau en conserve en Haïti. Les gens étaient affamés, mais ils ont donné le maquereau aux chiens, et ont mis les conserves sur les toits pour se protéger de la pluie. Même si vous êtes affamé, si ce n’est pas dans votre culture, ou si on ne vous a pas appris à utiliser le phoque, comment le manger également, comment le cuisiner, et cetera, cela pourrait mal se terminer.
Je pense que c’est une chose que nous allons mettre en place petit à petit, le Québec, les Maritimes et le reste du Canada. Je pense que, avec cela seulement, nous aurons pratiquement atteint notre quota de 400 000 phoques. S’il en reste, travaillons donc avec la Chine, la Corée ou le Japon.
Tout d’abord, concentrons nos efforts au Canada. C’est ce que je pense.
La sénatrice McPhedran : J’ai une autre question sur ce que vous avez dit au sujet des voyages que vous avez faits spécifiquement pour étudier le marché asiatique, particulièrement en Chine. Pourriez-vous me dire à quel moment vous avez fait votre dernier voyage et si vous avez constaté des changements? Vous avez parlé d’une augmentation des coûts et de la possibilité de générer beaucoup plus de profits, mais j’aimerais que vous donniez une chronologie. Est-ce récent? S’il y avait des missions commerciales, par exemple, dont l’objectif très spécifique était d’augmenter l’intérêt pour les produits du phoque, quels conseils donneriez-vous?
M. Theriault : Tout d’abord, je pense qu’il faut garder ceci à l’esprit : on dit toujours qu’il n’y a pas de marché pour le phoque; c’est faux. Le marché est plus important que ce dont nous avons besoin, mais il a été artificiellement réduit. Quand ils ont imposé cet embargo en Union européenne, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de marché là-bas. C’est parce que, aujourd’hui, on a retiré au consommateur de l’Union européenne son droit d’acheter du phoque. C’est effectivement ce qui se passe.
Pour répondre à votre question sur la Chine, je suis allé en Chine il y a longtemps — en 1995 —, mais je suis allé en France en 2012, ou quelque chose du genre. Nous avons reçu la même réponse en France. Nous avions apporté du pâté, des saucisses et des choses de ce genre. Ils adorent ce type de nourriture. Mon Dieu, il y avait là des choses raffinées, et nous avons simplement apporté notre pâté, nous l’avons coupé et nous l’avons mis dans des assiettes; personne n’a touché à quoi que ce soit d’autre que ce que nous avions apporté, parce que les gens étaient très curieux, et ils ont adoré.
Les marchés sont là.
Je dis qu’il faut se concentrer sur le Canada parce que — même si on consacre beaucoup d’argent, de temps et d’efforts pour aller dans un pays étranger —, il y aura un groupe de militants avec des pancartes devant l’ambassade canadienne, et les médias en feront leurs choux gras. C’est une poignée de personnes, mais les responsables fermeront le marché à cause de cela.
Si nous travaillons sur nos marchés locaux, nous n’aurons pas ce problème. Nous pouvons contrôler le discours, ici. C’est pourquoi j’ai dit que nous devrions d’abord travailler à l’échelon local; s’il en reste, allons dans d’autres pays plus tard. Mais je pense que nous avons beaucoup de gens à nourrir ici, au Canada. Ce sont de bons produits; ils ne contiennent pas d’hormones ni d’antibiotiques, et c’est une viande sauvage pleine de protéines et de fer. C’est goûteux. On ne peut pas se tromper.
La sénatrice McPhedran : Merci.
La sénatrice Ataullahjan : Merci. J’ai appris beaucoup de choses ce matin.
Je viens de Toronto, et nous nous penchons sur les problèmes. Comme disait la sénatrice Cordy, la photo que tout le monde a vue a en quelque sorte mobilisé tout le monde au pays contre la chasse au phoque.
Vous parlez des marchés en Chine et en Corée. Qu’en est-il des marchés en Afrique, où il y a une si importante demande et un besoin en protéines? A-t-on étudié ces marchés?
M. Theriault : Je pense que nous avons fait des essais pour produire de la viande de phoque hachée et en faire de la poudre de protéines. On pourrait étudier cela.
Mais encore une fois, je pense que nous n’allons pas dans la bonne direction. Comme je l’ai dit plus tôt, la chasse au phoque sera toujours coûteuse. Les bateaux coûtent cher. C’est risqué. Le carburant coûte cher. La main-d’œuvre coûte cher. Vous pouvez dépenser beaucoup d’argent et revenir au quai les mains vides. Ce ne sera jamais un produit bon marché.
Comme je l’ai dit, il ne remplacera pas le bœuf. Même si 400 000, ça semble beaucoup, combien de bovins utilise-t-on tous les jours au Canada? Nous devons nous concentrer sur les marchés haut de gamme; c’est sur cela que nous devons nous concentrer. Il y en a beaucoup. Il est prouvé que, même si la situation économique est mauvaise, les produits haut de gamme se vendent bien. C’est un bon créneau.
Ce serait merveilleux si le Canada voulait aider quelques pays et travailler sur ce type de produit, mais je pense que cela coûterait cher, au bout du compte, par rapport au résultat. Au lieu de faire cela, je pense que nous devrions nous concentrer sur les marchés de niche. Les marchés haut de gamme sont beaucoup plus constructifs.
La sénatrice Ataullahjan : Il y a un marché pour les produits haut de gamme dans les économies émergentes en Afrique. Il y a des gens qui ont des revenus importants et qui sont prêts à payer pour quelque chose comme cela. Ce serait peut-être intéressant d’explorer cela. Merci.
M. Theriault : Je comprends, et vous avez raison. Je suis allé en Namibie il y a deux ou trois ans, et les gens là-bas ont déjà l’habitude de manger toutes sortes de viandes : de l’antilope, de la girafe et du lion. Ils n’hésiteraient pas à manger du phoque; c’est certain.
Le sénateur Kutcher : Merci, monsieur Theriault. Avant de poser ma question, je tiens à souligner votre commentaire à la sénatrice McPhedran sur le contrôle du discours. Vous l’avez si bien fait pour nous lorsque vous avez parlé de l’oxydation des acides gras qui donnent un goût amer — « rance » est le bon mot. C’est un excellent exemple, je suis impressionné.
J’aimerais poser une question sur la loi sur la protection des mammifères marins. D’abord, quels aspects de cette loi rendent difficile la chasse au phoque? Ensuite, cette loi reconnaît-elle la différence entre la chasse au phoque à des fins alimentaires, sociales et rituelles et la chasse à des fins strictement commerciales? Ce sont les deux questions que j’aimerais vous poser.
M. Theriault : Tout d’abord, en ce qui concerne votre première question sur la loi sur la protection des mammifères marins, cette loi ne doit pas être appliquée au Canada. Il n’y a pas de problème à tuer un phoque ici; c’est seulement parce que les États-Unis n’aiment pas cela.
Un autre exemple qui est passé complètement inaperçu — pas pour moi — remonte à il y a quelques années; il y avait un permis, appelé « permis de chasse des phoques nuisibles », qu’un pêcheur pouvait obtenir en payant 5 $. Il autorisait un pêcheur quand il y avait autour de lui beaucoup de phoques l’empêchant de pêcher, à prendre un fusil pour tuer quelques phoques et les éloigner pour mener son activité habituelle.
Le MPO a supprimé ce permis sans consultation ni rien, simplement parce que les États-Unis ont dit qu’ils n’aimaient pas vraiment cela; c’était terrible.
Durant une des réunions avec les pêcheurs et le MPO, j’ai posé une question : « Que se passe-t-il maintenant quand un pêcheur pêche et qu’il est entouré de phoques qui ravagent ses filets et ses pièges? Peut-il leur faire peur pour les éloigner? » Non, il doit prendre ses pièges et ses filets et s’éloigner. Tous les pêcheurs ont dit : « Quoi? Pouvez-vous répéter, s’il vous plaît? C’est de la folie. »
Cela n’a pas d’effet direct sur la chasse au phoque au Canada, mais, puisque les États-Unis disent qu’ils n’aiment pas cela... si nous ne faisons pas X, ils n’importeront pas notre produit. Ils contrôlent ce que nous faisons ici, ce qui est incroyable.
À un moment donné — et je vais le répéter — il faut parler d’intimidation ou d’ingérence étrangère; c’est exactement ce que c’est. Ils ne devraient pas être en mesure de nous dire ce qu’on doit faire ici.
C’est une chose. C’est horrible d’en parler.
Soit dit en passant, pour en finir avec ce point, cela n’empêche pas les États-Unis de chasser le phoque, par exemple, dans l’État de Washington, pour protéger quelques espèces de saumon — ils l’ont fait — ou en Alaska pour chasser quelques espèces de phoques. Ils font ce qu’ils veulent, mais ils nous disent qu’il ne faut pas le faire. C’est un peu hypocrite aussi.
L’autre chose, c’est que, quand les Autochtones chassent le phoque, cela semble convenir à tout le monde, y compris l’Union européenne, car, pour ces pays, ce n’est pas commercial. Mais si vous dites cela aux Autochtones, ils seront fâchés contre vous. Ils disent : « Qu’entendez-vous par ce n’est pas commercial? Si nous ne mangeons pas cette viande-là, nous irons au magasin et mangerons de la malbouffe qui coûte si cher que c’en est intolérable. Nous échangeons la peau, et ceci, et cela. Nous faisons de la chasse commerciale. Nous ne vivons pas à l’âge préhistorique. Nous n’allons pas au magasin pour échanger la peau de phoque contre un sac de farine. Nous vivons dans un monde moderne. Nous avons besoin d’argent pour notre carburant, nos munitions et des choses comme cela, donc, quoi que nous fassions avec les phoques, il s’agit toujours de chasse commerciale. » Ils ont peut-être une approche plus spirituelle, mais cela reste de la chasse commerciale.
Le sénateur Kutcher : Merci d’avoir mis en évidence ces questions complexes pour nous. Personnellement, je n’avais pas conscience — certains de mes collègues sont probablement beaucoup plus au courant que moi — de ces subtilités, de ces nuances et de ces complexités. Je tiens à vous remercier de les avoir mises en avant.
Je vais demander au comité et au président de les examiner de plus près. Merci beaucoup.
La sénatrice M. Deacon : J’ai une autre petite question, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Le sénateur Kutcher en a également parlé. Vous avez dit que les États-Unis exercent un contrôle ici. Au Québec, lorsqu’il s’agit du commerce québécois, considérez-vous que le MPO vous soutient d’une manière ou d’une autre ou qu’il vous met des bâtons dans les roues?
M. Theriault : Oh, il nous met des bâtons dans les roues, c’est certain.
La sénatrice M. Deacon : Je voulais simplement l’entendre.
M. Theriault : Mon Dieu! Je travaille de plus en plus avec les pêcheurs, et pas seulement dans l’industrie de la chasse au phoque. Malheureusement, aujourd’hui, ils disent que le plus grand ennemi des pêcheries est le MPO. Ce ne sont plus les militants.
Je ne sais pas; je pense qu’il faut regarder vers le sommet et voir qui s’y trouve et qui prend les décisions, parce que ce qui se passe en ce moment n’a pas de sens.
Comme je le disais, l’avenir de ces petites collectivités côtières semble très sombre, parce qu’elles voient bien ce qui se passe : nous sommes passés de 10 000 à 500 000 phoques gris. Il ne s’agit pas d’une petite augmentation de la population; c’est une invasion. Vous pouvez le voir partout.
Si vous assistez à une réunion de pêcheurs en ce moment — homard, crabe, hareng ou n’importe quelle espèce —, ils ne parlent que de phoques. Ils disent : « Nous ne pouvons plus faire notre travail .» Chaque fois qu’on essaie de trouver une solution, le MPO dit : « Je ne pense pas ». Le MPO impose de plus en plus de règlements. Effectivement, il dit qu’il y a un quota et que nous devrions donc aller chasser. Très bien, nous allons chasser, mais le MPO dit : « Non, vous ne pouvez pas chasser là ». Ou nous irons ailleurs et utiliserons un autre type de bateau. Cependant, le MPO dit : « Non, vous ne pouvez pas utiliser ce type de bateau ». Pouvons-nous utiliser ce type d’arme? Le MPO dit : « Non, pas ce type d’arme ».
Il dit que nous devrions y aller, et qu’il y a des quotas, mais il a imposé tellement de règlements qu’il est pratiquement impossible de chasser.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le président : Merci, monsieur Theriault, des informations que vous nous avez fournies ce matin, et merci de vos réponses franches et directes aux questions des sénatrices et des sénateurs. Nous vous remercions d’avoir pris le temps de vous joindre à nous ici ce matin, et nous vous souhaitons tout le meilleur.
M. Theriault : Merci de l’occasion.
(La séance est levée.)