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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 9 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Salma Ataullahjan et je suis une sénatrice de Toronto et la présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion.

Nous accueillons la sénatrice Boyer, de l’Ontario; le sénateur Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard; la sénatrice Gerba, du Québec; la sénatrice Hartling, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Omidvar, de l’Ontario; et le sénateur Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Bienvenue à vous tous et à ceux qui regardent nos délibérations sur senparlvu.parl.gc.ca. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude, commencée en 2019, sur la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada. Le comité a déposé un rapport provisoire sur ce sujet en juin 2021, et il s’agit de notre troisième réunion sur ce sujet au cours de la présente session parlementaire.

Notre rapport de juin 2021 a fait ressortir l’importance d’entendre les survivantes parler de leurs expériences. Aujourd’hui, notre comité répond à ces recommandations en entendant des femmes qui ont accepté de raconter leur histoire et de faire part de leurs points de vue.

Je tiens à remercier sincèrement nos témoins d’avoir accepté de participer à cette étude importante, et je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins : Gerri Sharpe, présidente, qui est accompagnée de Shauna-Marie Young, directrice des programmes, de Pauktuutit Inuit Women of Canada; et Madeleine Redfern, présidente, de l’Amautiit Nunavut Inuit Women’s Association.

Bienvenue à vous toutes et merci d’être avec nous. Madame Sharpe, la parole est à vous.

Gerri Sharpe, présidente, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Je suis ravie de me joindre à vous et à vos collègues aujourd’hui d’ici, à Yellowknife. Pauktuutit est heureuse de présenter au comité, pour la deuxième fois, la question de la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada. Je suis accompagnée aujourd’hui de Shauna-Marie Young.

Pauktuutit est la voix nationale des femmes inuites. Notre voix est composée de représentantes des quatre régions de l’Inuit Nunangat : Inuvialuit, Nunavut, Nunavik et Nunatsiavut, ainsi que des centres urbains et des représentants des jeunes.

Depuis près de 40 ans, Pauktuutit s’efforce de protéger et de promouvoir les droits fondamentaux des femmes et des filles inuites dans les domaines de la santé, de l’éducation, du développement économique et social et de la sécurité. Nous nous efforçons également de faire entendre la voix des femmes et des filles afin que nos expériences vécues, nos valeurs et nos idées soient représentées à tous les échelons de gouvernance. Pauktuutit est également active sur la scène internationale en ce qui concerne les droits des femmes autochtones. Chaque année, Pauktuutit participe aux sessions de la Commission de la condition de la femme et à l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies.

Pour commencer, j’aimerais remercier les membres du comité de leur travail continu pour mettre fin à cette pratique horrible de stérilisation forcée et contrainte de femmes autochtones.

Comme l’a constaté le comité dans son rapport de juin 2021, on ne connaît pas bien l’ampleur du problème, les cas de stérilisation forcée ou contrainte de femmes autochtones étant sous-déclarés et sous-estimés. Le nombre précis de femmes inuites ayant été soumises à la stérilisation forcée ou contrainte au Canada n’est pas clair en raison du manque flagrant de données. Karen Stote signale que, dans un acte de génocide et de colonialisme, entre 1966 et 1976, plus de 70 stérilisations ont été pratiquées sur des femmes au Nunavut, l’une des quatre régions inuites. Nous nous demandons ce qui arrive aux femmes inuites dans les autres régions.

Bien que l’ampleur réelle de cette pratique horrible assimilable à de la torture soit inconnue, deux choses sont claires : premièrement, la colonisation, le racisme et le patriotisme ont légitimé la violence obstétrique contre les femmes inuites; et deuxièmement, des actions irréversibles et illégales ont été imposées contre les droits, les valeurs et le corps des femmes inuites pendant des décennies.

Pour le conseil d’administration de Pauktuutit, favoriser le retour des sages-femmes inuites dans les collectivités est l’une des plus grandes priorités, en partie parce que l’accès aux soins traditionnels des sages-femmes inuites est une solution efficace pour mettre fin au racisme obstétrique, y compris à la pratique horrible de stérilisation forcée et contrainte des femmes inuites.

Alors que le comité travaille à formuler des recommandations concernant des solutions de fond, comme le retour des services de sages-femmes inuites, il importe de comprendre le contexte culturel entourant les soins maternels et infantiles et l’accouchement pour les Inuits.

Jusque dans les années 1960, les Inuits vivaient sur la terre, et les pratiques traditionnelles d’accouchement étaient au cœur de leur mode de vie. L’imposition des systèmes de santé coloniaux occidentaux a sapé la culture traditionnelle des sages-femmes, de l’accouchement et des soins aux nourrissons. Ces pratiques ont éliminé nos droits et la capacité des Inuits de prendre leurs propres décisions en matière de soins de santé.

Il est difficile pour les futures mères d’établir des relations de confiance avec les fournisseurs de soins de santé, parce que la plupart des centres de santé communautaire inuits sont dotés d’infirmières non autochtones qui font des rotations dans les collectivités éloignées. De même, comme les sénateurs le savent, la plupart des futures mères qui vivent dans l’Inuit Nunangat sont obligées de se rendre dans des établissements éloignés pour accoucher dans des hôpitaux du Sud ou de la région, loin de leur famille, de leur foyer, de leur culture, de leurs traditions, de leur langue et de leur réseau de soutien. Cette évacuation médicale forcée a lieu de nombreuses semaines avant la date de l’accouchement.

Lorsque les femmes enceintes inuites se trouvent dans des hôpitaux urbains ou régionaux, nombre d’entre elles ne comprennent pas pleinement leurs droits et ne savent pas qu’elles peuvent demander un deuxième avis lorsqu’elles sont incertaines, qu’elles ne se sentent pas en sécurité ou qu’elles ont peur. Elles sont souvent traitées par des fournisseurs de soins qui font preuve d’un manque de compréhension culturelle, de gentillesse et de compassion. Cela nous fait douter de notre capacité de prendre des décisions concernant notre propre santé et notre propre corps et compromet nos capacités de communiquer et de donner notre consentement libre, préalable et éclairé.

En outre, des pressions injustes ont été exercées et continuent d’être exercées sur les femmes inuites pour qu’elles se soumettent à la stérilisation en fonction des préjugés et des croyances des fournisseurs de soins de santé qui exercent leurs activités dans des systèmes qui demeurent non informés et non réceptifs sur le plan culturel.

Pauktuutit a entendu les préoccupations à plusieurs reprises durant l’analyse environnementale que nous avons effectuée sur l’accès des femmes inuites à des services de santé sexuelle et procréative. Cette recherche a supposé des entrevues auprès de 22 personnes-ressources clés travaillant dans les services de santé sexuelle et procréative dans l’Inuit Nunangat et dans les centres d’aiguillage du Sud. De plus, nous avons tenu des réunions et des entrevues avec des femmes autochtones et des fournisseurs de soin de santé à Rankin Inlet, à Inuvik, à Iqaluit, à Kuujjuaq et à Nain. Les résultats de notre recherche sont résumés dans notre rapport intitulé Access, Respect, Consent, qui se trouve sur notre site Web.

En plus de défendre le retour des services de sages-femmes inuites dans toutes les collectivités de l’Inuit Nunangat, le travail de Pauktuutit en réponse à la stérilisation forcée et contrainte de femmes inuites comprend également la défense des droits pour la mise en œuvre des cinq mesures suivantes.

Premièrement, une formation obligatoire sur les compétences culturelles et la sécurité des Inuits pour tous les fournisseurs de soins de santé travaillant dans le Nord et dans les centres de services du Sud. Deuxièmement, que l’information sur les procédures médicales et les formulaires de consentement soit offerte dans les dialectes régionaux de l’inuktitut et qu’elle soit entièrement expliquée, à l’oral, par les fournisseurs de soins de santé et les interprètes professionnels ou les navigateurs du système de santé. Troisièmement, la simplification des processus de traitement des plaintes médicales et un accès en temps opportun à ces processus. Quatrièmement, la sensibilisation du public pour que l’on s’assure que les femmes inuites comprennent et exercent leurs droits en matière de procréation. Cinquièmement, l’augmentation du nombre de fournisseurs de soins de santé inuits dans tous les rôles.

Pauktuutit travaille en collaboration avec les services de sages-femmes d’Inuulitsivik, au Nunavik, sur un projet de recherche des Instituts de recherche en santé du Canada intitulé « Assessing the Economic Costs of Obstetric Evacuation and Outcomes/Experiences of Indigenous Midwifery in Urban, Rural and Remote Indigenous Communities ». Dans le cadre de notre travail visant à informer le gouvernement fédéral de l’élaboration conjointe d’une loi en matière de santé fondée sur les distinctions, nous prévoyons tenir des séances de participation communautaire axées sur les services de sages-femmes, l’éducation et la santé procréative.

La création d’un changement systématique pour garantir l’accès aux services de sages-femmes inuites dans tout l’Inuit Nunangut est une solution clé pour faire en sorte que les femmes ou les filles inuites ne soient plus jamais soumises à la stérilisation forcée ou contrainte. Or, nous ne pouvons pas y parvenir seuls.

Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent investir dans la formation de nouvelles sages-femmes inuites. Les administrations doivent éliminer les obstacles et financer adéquatement les services de sages-femmes inuites, et d’autres fournisseurs de santé doivent valoriser et intégrer les rôles des sages-femmes inuites dans tous les établissements et milieux de santé où les futures mères et leurs nouveau-nés peuvent recevoir des soins.

De plus, les fournisseurs de soins de santé doivent remplir leurs obligations professionnelles visant l’obtention d’un consentement libre, préalable et éclairé, dépourvu de parti pris personnel, et lorsqu’ils ne le font pas, ils doivent être tenus responsables par leurs collèges d’accréditation et de délivrance de permis, les établissements de soins de santé où ils exercent et le système juridique.

Pour terminer, Pauktuutit demande aux membres du comité de soutenir le retour des services de sages-femmes inuites dans les collectivités de tout l’Inuit Nunangut. Les sénateurs peuvent jouer un rôle important dans cette solution, d’abord en faisant de l’amélioration de l’accès aux services de sages-femmes inuites une recommandation importante de leur prochain rapport; ensuite, en soulignant l’importance de l’accès aux services de sages-femmes inuites dans les entrevues que vous accordez aux médias sur le sujet et dans vos commentaires à l’intérieur et à l’extérieur des chambres du Sénat; enfin, en soulevant cette question dans vos communications officielles et informelles avec les décideurs de tous les ordres de gouvernement, y compris les gouvernements autochtones et d’autres partenaires.

Qujannamiik, je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant votre comité. Shauna-Marie et moi sommes impatientes de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à Madeleine Redfern. Vous avez la parole.

Avant de le faire, puis-je simplement signaler que la sénatrice Audette s’est jointe à nous? Bienvenue.

Vous avez la parole, madame Refern.

Madeleine Redfern, présidente, Amautiit Nunavut Inuit Women’s Association : Merci. Je me joins à vous depuis Iqaluit, au Nunavut, en tant que présidente de l’Amautiit Nunavut Inuit Women’s Association, un organisme sans but lucratif voué à l’avancement de l’autodétermination des Arnait, les femmes inuites du Nunavut dans tous les domaines de la vie. Amautiit se concentre sur les efforts de défense des droits afin d’améliorer les conditions des femmes inuites du Nunavut et de leur famille.

Dans le cadre de ses activités de recherche, d’analyse et de défense des droits, l’organisation établit des alliances et des partenariats avec des organisations et des personnes aux vues similaires à l’intérieur et à l’extérieur du Nunavut. Dans le cadre de ses stratégies de soutien et de défense des droits et des besoins des femmes inuites du Nunavut et de leur famille, Amautiit reçoit un soutien financier de la part du gouvernement du Canada par l’intermédiaire de l’AFAC, l’Association des femmes autochtones du Canada, en tant qu’association territoriale membre.

D’abord, je tiens à parler du père Robert Lechat — ou à le reconnaître — un prêtre catholique romain qui, dans les années 1970, a préconisé l’arrêt de la pratique de la stérilisation illégale des femmes inuites qui allaient dans le Sud pour recevoir des soins médicaux. Dans une enquête réalisée dans les années 1970, il a été établi que des centaines de femmes autochtones provenant de 52 collectivités nordiques avaient été stérilisées. Grâce à ses recherches, Mme Karen Stote, professeure à l’Université Wilfrid Laurier, a pu déterminer, en examinant les dossiers historiques, qu’au moins 70 femmes inuites avaient fait l’objet d’une stérilisation. À Igloolik, 26 % des femmes âgées de 30 à 50 ans avaient été stérilisées. À Naujaat, anciennement connu sous le nom de Repulse Bay, près de 50 % des femmes dans la tranche d’âge des 30 à 50 ans avaient été stérilisées. À Gjoa Haven, 31 % des femmes avaient été soumises à la stérilisation. Plus de 25 % des femmes à Chesterfield Inlet et à Kugaaruk avaient été stérilisées. Ce sont les seuls cas bien documentés, mais nous savons qu’il y en a eu beaucoup d’autres.

D’autres données provenant du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social révèlent qu’au moins 470 femmes inuites et autochtones ont été stérilisées en 1972 seulement. De plus, je m’en voudrais de ne pas reconnaître que certains hommes ont également subi des vasectomies et ont été stérilisés à leur insu ou sans leur consentement.

J’ai été directrice générale de la Commission de vérité du Qikiqtani, une enquête financée et dirigée par les Inuits, qui s’est penchée sur les politiques, les décisions et les actions ou inactions du gouvernement qui ont eu une incidence sur les Inuits de l’Arctique de l’Est de 1950 à 1975. Cette période a été marquée par une transition spectaculaire : les Inuits qui menaient auparavant une vie nomade sur la terre ferme ont été déplacés vers des établissements permanents. Cela a aussi été une période de transition pour le Canada, car le pays a introduit des programmes universels dans les domaines de la santé, de l’aide sociale, de la pension de la vieillesse, des prestations fiscales pour enfants, des handicaps, de l’éducation et autres.

Le gouvernement du Canada a été l’un des principaux agents du changement qui ont balayé le Nord. L’un des objectifs ou des buts déclarés était de rendre la vie dans le Nord plus semblable à celle dans le Sud, soit de rendre les Inuits plus semblables aux Canadiens du Sud.

Si la plupart des fonctionnaires se sont convaincus qu’ils agissaient dans l’intérêt des Inuits, souvent, leurs plans ont été mal gérés ou sous-financés et ont été conçus et mis en œuvre sans consultation auprès des Inuits ni même sans que l’on se soucie réellement des effets à court terme, et encore moins des effets à long terme.

Un autre facteur important qui a contribué à ce que les choses ne soient pas faites correctement était le désir du gouvernement d’économiser de l’argent, ce qu’il a fait en dépensant le moins d’argent possible pour les Autochtones.

Il est important de comprendre que la commission examinait toutes les politiques et les décisions du gouvernement, qu’il s’agisse des soins de santé, du sort réservé aux chiens, des réinstallations, des services de police, de la justice, du développement économique, de l’éducation — en fait, presque tous les aspects de la vie des Inuits — et nous avons constaté que la dynamique du pouvoir entre le gouvernement et les Inuits était de toute évidence déséquilibrée et malsaine. Presque tous les aspects de notre vie étaient dictés et décidés par les représentants du gouvernement, y compris l’endroit où les Inuits vivaient, qui recevait un logement, qui recevait une formation, qui obtenait un emploi et si les enfants étaient envoyés ou non à l’école, et si tel était le cas, s’ils étaient envoyés loin de leur famille ou de leur collectivité. Le gouvernement contrôlait aussi qui recevait des soins de santé et comment, y compris les diagnostics et même les formes de traitement. Cela comprenait la santé procréative et la stérilisation forcée.

L’une des raisons pour lesquelles il est si difficile de savoir exactement combien de femmes inuites ont été stérilisées, c’est que nombre d’entre elles ont été envoyées dans le Sud pour d’autres raisons médicales, comme la tuberculose. Les administrateurs, les professionnels des soins de santé et les travailleurs sociaux allaient souvent simplement décider et dicter ce qui allait arriver aux Inuits, non seulement en ce qui concerne leurs traitements de santé, mais aussi leur corps; malheureusement, c’est une situation que de nombreux Inuits vivent encore aujourd’hui. L’un des plus grands obstacles ou facteurs contribuant à ce problème est la barrière linguistique et culturelle entre nos professionnels de santé non inuits et nos Inuits.

Barry Gunn, ancien administrateur régional à Iqaluit, a affirmé que de nombreuses femmes « acceptaient » les procédures de stérilisation en signant des formulaires à cet égard, mais que, en raison des barrières linguistiques, il était presque certain que la plupart des femmes ne savaient pas ce qu’elles acceptaient.

Le personnel médical a souvent expliqué ou soutenu que la politique n’était pas fondée sur la malice. J’ai cité J.R. Lotz, du ministère des Affaires du Nord, dans mon mémoire écrit, mais je veux souligner un segment de ses propos, à savoir qu’« aucune propagande ne changerait l’esprit ou le comportement des femmes pour aider à maintenir la population à un niveau bas. Le gouvernement se préoccupait de savoir comment empêcher les Autochtones de se reproduire ».

Depuis les années 1970, et même jusqu’à aujourd’hui, il subsiste souvent une attitude paternaliste. Elle n’a pas cessé. Elle n’a pas disparu, et, malheureusement pour certains, elle est ancrée dans les professions de la santé. Elle découle généralement de l’idée que les Inuits sont encore trop peu instruits, sous-éduqués, qu’ils vivent dans des logements surpeuplés, qu’ils sont sans-abri ou qu’ils vivent dans la pauvreté. Par conséquent, la chose humaine à faire est d’alléger le fardeau, les difficultés et les défis que représente l’ajout d’un autre enfant ou de plusieurs enfants dans la même famille ou le même ménage, voire dans nos collectivités.

Certaines femmes se sont également plaintes d’autres services de santé liés à la procréation, comme l’avortement. Certains Inuits se sont plaints que les professionnels de santé, des infirmières aux médecins, leur demandent sans cesse : « Êtes-vous sûre de vouloir un avortement? » On sait toutefois, de manière compréhensible, que cela découle principalement d’un concept occidental selon lequel il est important de s’assurer que le consentement est donné et que les femmes ne changent pas d’avis, et de la pratique historique de ne pas obtenir le consentement. Cependant, cela ne tient pas compte du fait que, pour de nombreuses femmes inuites, une fois qu’elles ont pris une décision, elles ne veulent pas nécessairement y revenir ou revenir sur les sentiments qui y sont associés ou sur le contexte qui a mené à cette décision. Elles ne veulent pas se sentir dépréciées et méprisées ni avoir l’impression que leur décision est incertaine, qu’elles ont pris la mauvaise décision ou que c’est une décision que les professionnels de la santé n’aiment pas ou n’appuient pas.

Une autre question connexe, c’est le fait que certaines femmes inuites ont dit qu’elles souhaitent être stérilisées et que les professionnels de la santé ne permettront pas à la femme de subir cette procédure, même si c’est son choix. Il se peut qu’elle ne veuille pas d’autre forme de contrôle des naissances. Cela va aussi à l’encontre du pouvoir individuel de la femme inuite sur son autonomie.

L’une des solutions à ce problème permanent auquel nous sommes confrontés avec la dynamique entre nos professionnels de la santé, qui sont principalement des non-Inuits, et les patients inuits, c’est que nous devons former des professionnels de la santé inuits. Cela comprend les infirmières et les médecins. Nous devons simplement en avoir davantage.

Si le patient parle anglais, même s’il ne le parle pas couramment, on a souvent tendance à ne pas recourir aux services des interprètes. Au Nunavut, où l’inuktitut ou l’inuktut est une langue officielle, de nombreux Inuits ont toujours du mal à être servis dans la langue de leur choix, en particulier dans leur propre langue. De plus, il n’y a tout simplement pas assez d’interprètes médicaux. Il importe de comprendre que le simple fait de pouvoir parler l’inuktitut ne fait pas de vous un interprète ni un interprète médical. Le système de santé a tendance à trop se fier à la notion que les membres de la famille, y compris les escortes médicales qui voyagent avec le membre de la famille qui est un patient, serviront d’interprètes. Ce n’est pas approprié.

L’ancienne commissaire aux langues du Nunavut, Sandra Inutiq, a publié en octobre 2015 un rapport intitulé If you cannot communicate with your patient, your patient is not safe. Le fait de pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle lorsqu’il s’agit de santé, ce n’est pas demander une faveur aux professionnels ou aux organismes de santé. Au contraire, c’est une question fondamentale d’accessibilité, de sécurité, de qualité et d’équité des services. Par conséquent, il y a un besoin désespéré d’éduquer, de former et d’embaucher de nombreux Inuits dans les professions de la santé. Malheureusement, nos gouvernements ne se sont pas suffisamment engagés à affecter le temps et les ressources nécessaires pour garantir une solide orientation culturelle dans les professions de la santé.

Il pourrait également s’avérer extrêmement utile et nécessaire de créer des services de liaison entre le patient, les membres du personnel et les défenseurs des soins de santé pour aider à combler les écarts culturels qui existent.

En conclusion, le colonialisme est réel. Il se poursuit aujourd’hui. Il ne fait pas partie d’un passé lointain. Le paternalisme est réel. Il perpétue le déséquilibre des pouvoirs entre les représentants du gouvernement, y compris nos professionnels de la santé, et les Inuits. Les femmes inuites du Nunavut et leur famille ont le droit de déterminer leurs propres traitements médicaux et de comprendre les options, les avantages, les inconvénients, les différents traitements offerts, les risques et les effets ainsi que les conséquences, parce que, au bout du compte, c’est le patient et la famille qui en subissent les effets.

L’un des principes fondamentaux d’une démocratie, c’est que les personnes ont la liberté de choix sans distinction de race, de couleur, d’ascendance, de croyance, de lieu d’origine, d’origine ethnique, de sexe, d’âge, de situation matrimoniale, de situation familiale, de handicap ou de statut économique, surtout lorsque le gouvernement participe à la prestation d’un service.

Nous devons nous assurer que les représentants du gouvernement, y compris les professionnels de la santé, n’essaient jamais de saper, de contraindre, de menacer, de manipuler ou de violer le droit de quiconque. Ce n’est pas seulement contraire à la loi, c’est aussi raciste et sexiste, et les décisions qui sont prises ou les actions qui sont entreprises qui sont racistes et sexistes sont rarement dans l’intérêt de la personne concernée par la décision.

Malheureusement, nous devons aussi faire face à la réalité : le racisme et le sexisme continuent d’exister, non seulement au sein du système de santé du Canada, mais aussi ici, au Nunavut. Nous devons faire face à notre histoire. Nous devons faire face à notre réalité. Nous devons trouver comment gérer ces dynamiques de pouvoir et ces déconnexions culturelles qui se produisent entre ceux qui sont censés fournir un service sûr et équitable à notre peuple et le peuple lui-même.

Je sais que ce sujet n’est pas agréable et que nous l’évitons pour l’essentiel, non seulement les Inuits, mais aussi les Canadiens et les professionnels de la santé. Nous devons trouver une façon d’apporter un changement systémique. Nous devons cesser de présumer que ces actions et ces attitudes sont une chose du passé. Beaucoup de femmes autochtones continuent de subir de la marginalisation, du mépris, des blessures et de voir leurs droits violés, tout cela au nom de la pratique des soins de santé du Canada. Voilà ce que j’avais à dire. Je suis prête à répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Boyer : Merci à la présidente Sharpe et à la présidente Redfern de vos témoignages convaincants. Il est parfois difficile d’entendre parler de la réalité des femmes qui sont stérilisées.

Ma question s’adresse à vous, madame Redfern. Je sais que d’autres survivantes de cette pratique ont parlé de criminaliser la stérilisation forcée ou contrainte. Elles veulent que cela soit intégré dans le Code criminel. J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet, s’il vous plaît, madame Redfern.

Mme Redfern : Merci, madame la sénatrice Boyer, de poser la question. En effet, toute procédure réalisée sans consentement valide constitue une agression. Cela comprend une procédure effectuée par le gouvernement. Cependant, il devient extrêmement difficile de porter des accusations criminelles en vertu du Code criminel actuel pour tout traitement auquel une personne est soumise, que ce soit dans le passé ou même aujourd’hui. Je ne suis pas tout à fait sûre de l’utilité qu’aurait une telle modification supplémentaire du Code criminel. Il faudrait faire un peu plus de recherche, voir ce que d’autres pays ont fait, savoir s’ils ont mis en vigueur des lois qui s’étendent aux traitements non désirés ou médicaux lorsqu’il est évident qu’il y a eu absence de consentement ou consentement inadéquat.

Je peux vous dire que, au Nunavut, s’en remettre simplement au système de responsabilité civile délictuelle ou quasi délictuelle ou au droit civil, où une personne pourrait poursuivre l’hôpital, le gouvernement ou les professionnels de la santé qui ont pris part à un traitement qu’une personne n’a pas demandé est non seulement exceptionnellement difficile, mais c’est pratiquement impossible. La plupart des gens n’ont pas accès à un avocat spécialisé dans le domaine des fautes médicales. Ils ne possèdent pas le paiement minimum de 5 000 $ juste pour l’avocat, et la plupart des avocats vous diront que cette somme ne couvrira même pas le travail initial pendant cinq jours. C’est un domaine hautement spécialisé. Par conséquent, de nombreux cas de faute professionnelle médicale au Nunavut n’ont jamais fait l’objet d’une forme quelconque de justice, parce que les gens n’ont tout simplement pas les moyens d’avoir accès à un avocat. Je ne suis donc pas tout à fait sûre de la réponse la plus appropriée, mais en ce moment, s’en remettre à une réponse civile signifie qu’il n’y a pas de réponse.

La sénatrice Boyer : Merci. J’aimerais que madame Sharpe nous donne son avis sur l’efficacité de la criminalisation, selon elle.

Mme Sharpe : Tout d’abord, je voudrais dire que je pense que notre conseiller juridique aurait également une opinion à ce sujet, et nous aimerions vous la transmettre également.

En ce qui concerne la criminalisation de cette question, il y a actuellement une femme inuvialuite qui poursuit le gouvernement pour stérilisation forcée, et le médecin même qui lui a fait cela a déclaré : « Voyons si je peux trouver une raison de lui retirer son autre ovule. » Ce n’est pas quelque chose qui est arrivé il y a 40 ans, c’est arrivé dans les cinq à huit dernières années.

Mme Redfern a mentionné quelque chose sur le nombre de stérilisations qui ont eu lieu à Gjoa Haven. Gjoa Haven est ma communauté d’origine. Dans ma jeunesse, il était de notoriété publique que, si vous alliez vous faire avorter, même si votre vie était en danger ou que c’était à la suite d’un viol, vous alliez probablement revenir stérilisée. C’est quelque chose que j’ai appris en grandissant. C’est quelque chose que les femmes craignaient. Elles ne voulaient pas sortir, mais elles étaient obligées de le faire. Très peu de femmes ont pu rester chez elles, dans leur communauté, pour accoucher.

Ce n’était pas leur choix. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas leur choix de sortir et d’accoucher. Aujourd’hui, j’ai une de mes cousines qui arrive de Gjoa Haven. Elle est à quatre semaines de la date prévue de son accouchement. Si cet enfant est en retard, il faudra au moins deux mois avant qu’elle puisse rentrer chez elle. Ce n’est que récemment qu’on a commencé à couvrir les frais d’une escorte pour les accompagner. Un conjoint peut les accompagner. Donc, pour cette partie très importante de leur vie, elles sont retirées de tout cela. C’est pourquoi il est si important que les services de sages-femmes reviennent dans les collectivités. Donc criminaliser cela, oui. Cela devrait arriver.

La sénatrice Boyer : Merci.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais remercier Mme Redfern et Mme Sharpe d’avoir comparu devant nous sur ce sujet très difficile. Nous vous remercions de votre sagesse alors que nous essayons de chercher une voie à suivre.

J’aimerais vous demander si vous avez vu des améliorations depuis 2019, lorsque nous avons commencé notre étude et qu’un rapport provisoire a été publié. Nous avons également entendu Services aux Autochtones Canada dire que le gouvernement fédéral a engagé 33,3 millions de dollars pour des initiatives de sages-femmes et de doulas autochtones.

J’aimerais vous demander si les femmes inuites ont bénéficié de cet argent et s’il y a eu des répercussions, même à un stade précoce. Avez-vous observé des notes d’optimisme à la suite du financement fédéral?

Mme Redfern : Merci. Je pense que, à la suite de ce travail, il est de plus en plus connu publiquement que la stérilisation forcée a bel et bien eu lieu, et ce, il n’y a même pas si longtemps. Cela a poussé certaines femmes à se demander si elles avaient été stérilisées et si c’était la raison pour laquelle elles avaient cessé d’avoir des enfants.

Comme je l’ai dit plus tôt, très souvent, ces procédures se sont déroulées sans même que les femmes le sachent. Je n’ai pas vu les fonds dont vous parlez parvenir à la plupart de nos femmes dans les collectivités, servir à leur tendre la main, ou même à leur demander si elles pensent qu’elles ont été stérilisées, ou à avoir accès aux dossiers médicaux pour savoir si la stérilisation a eu lieu... sans parler de toute forme de counseling ou d’indemnisation.

Je ne sais pas si cela est dû au fait que le gouvernement fédéral travaille par l’entremise de nos associations inuites nationales ou régionales, mais je peux vous dire que, pour les femmes avec qui nous avons communiqué, cela a suscité davantage de questions sur leur propre statut familial ou personnel potentiel, mais rien de plus à ma connaissance.

La sénatrice Omidvar : Donc, madame Redfern, si et quand l’argent parviendra aux femmes inuites, comment vous et votre association ou Mme Sharpe et son association voudrez-vous l’investir pour qu’il donne des résultats?

Mme Redfern : Je pense qu’il serait important pour Pauktuutit, Amautiit et les [Difficultés techniques] statut des femmes et d’autres régions et organisations pour femmes de travailler en collaboration afin d’élaborer un type de programme qui aide les femmes à se manifester. L’accès à leurs dossiers médicaux a été un véritable défi. La possibilité d’inspecter ces dossiers est importante, en particulier si les femmes soupçonnent qu’elles ont peut-être été stérilisées, parce qu’elles ont cessé d’avoir des enfants même si elles n’étaient pas encore ménopausées et n’avaient pas atteint cette étape de leur vie.

Je pense qu’il est possible de travailler en collaboration et de bien faire les choses. Comme je l’ai dit, certaines femmes choisiront peut-être volontairement de ne pas le savoir, parce que c’est peut-être trop douloureux, et il s’agit donc d’offrir cette option. De plus, les services de counseling sont incroyablement importants, parce que le fait d’apprendre que le gouvernement vous a fait cela, alors que vous ne le saviez peut-être pas ou que vous le soupçonniez simplement, est très, très douloureux.

Nous avons besoin des services complets. Au Nunavut, jusqu’à 50 % de nos postes de conseillers en santé mentale sont généralement vacants depuis les 25 dernières années. Cela s’est peut-être même aggravé depuis la COVID.

L’argent seul n’aide pas nécessairement une personne à composer avec toutes les révélations émotionnelles qui accompagnent le fait de prendre connaissance de cette information. Nous devons être très prudents quant à la manière dont nous élaborerions un programme et des services de soutien.

La sénatrice Omidvar : Merci.

La sénatrice Hartling : Merci, madame Sharpe et madame Redfern, d’être ici avec nous ce soir et de nous expliquer certains des problèmes graves que vous connaissez mieux que n’importe qui d’entre nous.

J’aime que vous nous ayez présenté certaines solutions. Par exemple, madame Sharpe, vous avez parlé des services de sages-femmes, et madame Redfern, de la nécessité d’avoir des professionnels de la santé et d’offrir des services linguistiques aux personnes afin de pouvoir comprendre ce qui se passe.

Si chacune d’entre vous pouvait répondre — il peut y avoir des réponses différentes — et préciser ce qui doit se passer pour qu’il y ait davantage de sages-femmes, de professionnels de la santé et de services linguistiques. Quels sont les besoins? Quels sont les obstacles? De quoi avez-vous besoin pour que cela se produise? Y a-t-il des gens prêts à suivre une formation? Pouvez-vous nous parler un peu de ce qui se passerait si cela se produisait, comment cela se produirait, s’il vous plaît?

Merci.

Mme Sharpe : Pauktuutit fait un certain nombre de choses, notamment des recherches dans ce domaine. Nous avons réuni des femmes pour collaborer sur ce sujet.

Nous aimerions aussi voir éliminer les barrières systématiques par des initiatives comme l’augmentation de l’accès à l’éducation, pas seulement au Nunavut, mais aussi dans toutes les régions de l’Inuit Nunangat. Cela signifie donc l’accès à l’éducation, des gens en mesure de fournir la formation requise pour les services de sages-femmes inuites, ce qui comprend les aînés et l’accès à ces derniers.

L’infrastructure serait le prochain domaine nécessaire. Il faudrait également trouver un moyen de faire tomber les barrières coloniales en demandant à un médecin de dire à une femme : « D’accord, vous pouvez accoucher avec une sage-femme. Vous n’avez pas besoin d’être envoyée à l’extérieur. »

En fait, je voulais également aborder le dernier point concernant le fait de savoir si les choses se sont améliorées. De mon point de vue, ici à Yellowknife, à part le fait que les futures mères sont autorisées à se faire accompagner par leur conjoint pour accoucher, il n’y a pas eu d’augmentation visible des services de sages-femmes par rapport à la situation en 2019. En fait, de décembre dernier à avril de cette année, à Yellowknife, toutes les femmes ont dû être envoyées à Edmonton en raison de la pénurie de personnel de soins de santé. Imaginez comment les services de sages-femmes inuites réduiraient ce besoin en permettant aux femmes de rester dans leur communauté d’origine et de ne pas être envoyées à Edmonton.

N’oubliez pas que, au Nunavut, vous avez trois régions : le Kitikmeot, le Kivalliq et le Qikiqtani.

Celles de la région de Kitikmeot — d’endroits comme Gjoa Haven, Cambridge Bay, Baker Lake — viennent toutes ici à Yellowknife. C’est donc déjà à l’extérieur de la province. Elles devaient quand même se rendre dans une autre province pour accoucher. En janvier dernier jusqu’en avril, les femmes de Yellowknife en ont eu un aperçu, et elles n’ont pas aimé ce qu’elles ont vécu.

La sénatrice Hartling : Oui, c’est difficile. C’est vraiment difficile de s’éloigner de sa famille. Je vous remercie.

Est-ce que Mme Redfern aimerait aussi répondre à cette question?

Mme Redfern : Oui. Je travaillais à Nunavut Tunngavik Inc. lorsque le gouvernement du Nunavut étudiait la Loi sur la profession de sage-femme du Nunavut. J’étais en fait très préoccupée par le fait que la nouvelle loi, tout en permettant aux sages-femmes inuites existantes de continuer leur pratique, rendait beaucoup plus difficile pour les nouvelles personnes de devenir des sages-femmes inuites sans devoir passer par une école ou un programme de sages-femmes reconnu à l’échelle nationale dans le Sud ou par un processus beaucoup plus difficile — une sorte de processus systémique, non inuit — pour qu’une Inuite devienne apprentie sous la direction d’une sage-femme inuite. Cela m’a beaucoup préoccupée.

L’an dernier, les sages-femmes inuites ont quitté le Rankin Inlet Birthing Centre en raison d’allégations selon lesquelles elles avaient été victimes pendant des années de mauvais traitements, de racisme et d’un manque de soutien de la part de leur gouvernement, et, en fait, de leur employeur.

Même lorsque nous réussissons à former des Inuites — et il s’agissait d’Inuites qui avaient reçu une formation à l’échelle nationale, parce qu’elles avaient quitté le territoire et étaient revenues —, nous devons toujours faire face aux problèmes systémiques auxquels notre propre personnel inuit est confronté au sein du système de santé.

Si notre objectif est d’accroître le nombre d’Inuits au sein des professions de la santé, la dernière chose que nous voulons et dont nous avons besoin, c’est de voir ces initiatives amener les femmes à quitter cette précieuse profession; les femmes de nos régions et de nos collectivités n’auront alors plus accès à un programme qui est, ou était, très efficace.

J’ajouterais seulement une chose à ce qu’a dit Gerri Sharpe, présidente de Pauktuutit. Présumer que toutes les grossesses, toutes les grossesses inuites, présentent un risque élevé — et, par conséquent, obliger les femmes à partir, habituellement au moins 30 jours avant leur date d’accouchement prévue, pour se rendre à Iqaluit, à Ottawa, à Rankin, à Yellowknife ou à Edmonton — plutôt que de procéder à une évaluation individuelle est très problématique.

Il est incroyablement stressant et traumatisant pour une femme de quitter non seulement son système de soutien familial, mais aussi son système de soutien communautaire et sa culture simplement pour faire quelque chose d’aussi naturel que d’avoir un enfant. Nous devons donc faire beaucoup mieux pour créer des postes de sages-femmes inuites dans toutes nos collectivités et toutes les ressources nécessaires que cela exige.

La présidente : Merci, madame Redfern. Il nous reste 10 minutes dans cette séance. J’ai deux sénateurs qui ont des questions à poser. Si les questions et les réponses peuvent être brèves, je vous en serais reconnaissante.

Ce sera donc le sénateur Wells, suivi du sénateur Francis.

Le sénateur Wells : Merci, madame la présidente.

Je veux remercier Mme Sharpe et Mme Redfern, ainsi que Mme Young, du travail et de l’important travail de défense des droits que vous faites. Je le fais chaque fois, et je dois le faire maintenant, je veux remercier la sénatrice Boyer de son important travail sur cette question.

Je voudrais revenir sur une question soulevée par la sénatrice Omidvar, à savoir les 33 millions de dollars qui ont été affectés. Pour moi, quand je regarde le problème ou la question ou la circonstance, je constate que vous avez besoin non seulement de sages-femmes, mais aussi de sages-femmes autochtones, des sages-femmes qui possèdent ces connaissances, la formation particulière, la langue, la formation culturelle et la formation sociale et qui apporte le savoir des aînés.

Cela ne se fait pas tout seul. Je le reconnais. Il me semble donc qu’un meilleur système doit être établi, dans le cadre duquel les services que le système offre aux femmes autochtones doivent être beaucoup plus étendus qu’ils ne le sont actuellement. De plus, ils doivent couvrir le Nord et le Sud du Canada, car le problème ne se limite pas au Nord du pays. Il s’étend de la Colombie-Britannique jusqu’à ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, et je le reconnais.

Quels sont les systèmes qui pourraient être mis en place — à part les poursuites éventuelles et les choses qui pourraient également être envisagées — qui ne sont pas mis en place actuellement? Certes, 33 millions de dollars ne suffiraient pas... sans parler de la possibilité d’une indemnisation, qui semble tout à fait justifiée. Mais quels sont les systèmes physiques qui permettraient aux patientes d’être habilitées à prendre ces décisions? Et quelqu’un a mentionné un terme excellent, qui semble approprié pour plus que ce seul sujet : la navigation du système.

Quelle est la taille de ce système? Quelle taille ce système doit-il avoir?

Mme Sharpe : La question n’est pas « quelle taille ce système devrait-il avoir? » Vous devriez plutôt demander quelles connaissances nous devrions redécouvrir. Le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavik, le Nunatsiavut... Nous possédions déjà ces connaissances. C’est quelque chose que le gouvernement fédéral nous a dit que nous n’avions pas le droit de faire. Le gouvernement fédéral et les pensionnats autochtones sont arrivés et ont dit aux Inuits qu’ils devaient accoucher dans les collectivités, que cela devait être fait par un médecin et que cela ne pouvait plus être fait par les Inuits.

Alors que nous vivons et respirons en ce moment, nos aînés meurent. Mon grand-père était sage-femme. Je pourrais vous raconter des histoires sur ce que mon grand-père a diagnostiqué simplement en me regardant, et il avait raison. Il possédait tellement plus de connaissances que les autres médecins que j’ai dû consulter, et toutes ces connaissances sont en train de disparaître parce qu’elles ne sont pas transmises ou que les aînés sentent qu’elles ne sont pas au niveau de ce qu’elles devraient être parce que le gouvernement leur a dit que leurs connaissances n’étaient plus utiles.

On doit encourager nos aînés à transmettre ces connaissances afin de les ramener dans les collectivités, et notre population peut faire confiance à nos aînés. Elle leur fait confiance. Les personnes qui ont grandi avec les aînés feront confiance à ce qu’ils disent, et c’est ce que vous devez ramener. Vous devez remettre cette responsabilité entre les mains des aînés pour que le savoir traditionnel ait de nouveau sa place dans notre vie.

Le sénateur Wells : D’accord, je vous remercie. Madame Redfern?

Mme Redfern : Le problème lorsqu’on travaille avec un montant initial — 33 millions de dollars —, c’est qu’on essaie de trouver ce qu’on peut faire avec 33 millions de dollars au lieu de mettre cette somme de côté et de se demander combien il en coûterait réellement pour mettre en place un programme de sages-femmes autochtones adéquat dans toutes nos régions et de le faire d’une manière qui amènerait les populations autochtones à vouloir concevoir et fournir ces programmes.

Si nous faisions cela, nous serions alors en mesure de revenir vers vous et vous dire quel est le bon plan et combien il coûterait réellement. Pour l’instant, nous ne l’avons pas fait. Je recommande que nous le fassions.

Le sénateur Wells : Je veux juste faire un commentaire, madame la présidente, et je n’en ai que pour quelques secondes.

Je suis au gouvernement et au Sénat depuis un certain temps, et 33 millions de dollars semblent être une grosse somme. Ce n’est pas beaucoup d’argent pour un problème de cette ampleur, un problème causé par le système établi par le gouvernement. Je veux simplement laisser nos témoins sur ce point. Je ne peux pas parler pour mes collègues, mais vous auriez certainement mon soutien.

Le sénateur Francis : Merci à vous deux de nous avoir présenté votre témoignage aujourd’hui. Je sais qu’il faut beaucoup de force et de courage pour s’exprimer sur ce genre de questions.

J’aimerais que vous nous disiez toutes les deux, aux fins du compte rendu, si le recours à la stérilisation contrainte ou forcée est un exemple du génocide continu des peuples autochtones. Je vous pose la question parce que la définition juridique du génocide comprend l’imposition de mesures visant à empêcher les naissances au sein d’un groupe.

La présidente : Qui aimerait répondre en premier? Madame Sharpe?

Mme Sharpe : Je vais dire que, oui, c’est une forme de génocide. Je me souviens que, dans mon enfance, c’était une mesure, une façon d’empêcher toutes ces femmes d’avoir un si grand nombre de bébés de tant d’hommes différents. Je vais le répéter. C’était une façon d’empêcher ces femmes d’avoir un si grand nombre de bébés de tant d’hommes différents.

Il faut être deux pour faire un enfant, alors quand il s’agit des hommes, ils devraient jouer un rôle égal dans ce domaine, pas seulement les femmes. Mais ce sont surtout les femmes qui ont été contraintes et stérilisées.

Ce n’était pas juste les femmes, comme Mme Redfern l’a mentionné, mais c’était surtout les femmes, à ma connaissance, et c’était parce qu’elles n’étaient pas mariées et avaient plusieurs partenaires et plusieurs enfants. Donc oui, c’était une forme de génocide, à mon avis.

Le sénateur Francis : Merci.

La présidente : Madame Redfern, aimeriez-vous répondre à la question?

Mme Redfern : Eh bien, effectivement, la décision du gouvernement, comme l’a dit Mme Sharpe, était, comme je l’ai cité plus tôt, une préoccupation du gouvernement sur la façon d’empêcher les Autochtones de se reproduire. Je sais, grâce à la Commission de vérité du Qikiqtani, qu’il y avait une obsession sur la façon de réduire le coût des services gouvernementaux pour les peuples autochtones dans presque tous les domaines. Le fait d’avoir moins d’Autochtones permettait au gouvernement d’économiser de l’argent : moins de logements, moins de soins de santé et moins de gens à éduquer.

Si vous pouvez réduire une population au moyen de la stérilisation forcée, vous réduisez bel et bien le nombre de personnes dans notre société et non par le choix de la personne ou de notre collectivité. C’était le choix des représentants du gouvernement, qui n’ont tout simplement pas vu la valeur de nos vies, de notre société et de notre culture au sein du Canada.

La présidente : Merci. La dernière question revient à la sénatrice Gerba.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci aux témoins d’être venus nous parler aujourd’hui.

Ma question s’adresse à Mme Sharpe. Tout comme vous, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut arrêter le racisme, qu’il faut arrêter le racisme systémique.

Les témoins qui ont comparu devant notre comité nous ont expliqué pourquoi ils ne pouvaient pas ou ne voulaient pas se dévoiler. Comment pensez-vous qu’on peut arrêter le racisme systémique si les victimes de ces traitements inappropriés ne se dévoilent pas?

[Traduction]

La présidente : Qui aimerait répondre à cette question?

Mme Redfern : C’est en partie pour cela que la Commission de vérité du Qikiqtani était une commission dirigée et financée par les Inuits. Les Inuits se sentaient beaucoup plus à l’aise de pouvoir raconter toutes les choses que le gouvernement avait faites qui leur avaient causé un si grand préjudice. C’est pourquoi les personnes qui ont été victimes du gouvernement ont besoin d’un lieu sûr où elles peuvent échanger, et cela signifie généralement la création d’un endroit qui est rempli par les Inuits et pour les Inuits.

La présidente : Merci.

Mme Sharpe : De mon point de vue, étant donné que j’ai été commissaire aux droits de la personne pendant cinq ans, les gens ne se plaindront pas s’ils ne connaissent pas leurs droits. Tout d’abord, les gens doivent connaître leurs droits. Puis, ils se rendent compte qu’ils ont été lésés. Ils peuvent alors en parler dans un cadre où ils se sentent en sécurité, c’est-à-dire en présence d’autres Inuits. C’est un problème qui se pose dans tout le Canada, et il faudrait donc que ce soit avec d’autres femmes autochtones. Elles doivent raconter leur histoire, avant même de constater qu’elles ont été lésées. C’est alors que nous pourrons aller de l’avant, reconnaître les torts et aller de l’avant avec la réconciliation.

À mon avis, il est très mal venu de parler de réconciliation avant même d’avoir reconnu les obstacles systématiques. Pour qu’il y ait réconciliation et pour aller de l’avant, on doit d’abord reconnaître ce qui s’est produit, et ce, de manière à ce que d’autres personnes puissent savoir ce qui s’est passé, et elles pourront peut-être se rendre compte que cela leur est arrivé à elles aussi.

La présidente : Merci beaucoup. Je tiens à remercier les témoins de leur témoignage. Nous vous sommes très reconnaissants de vos contributions à notre étude.

Nous poursuivons notre examen de la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada. Comme je l’ai dit plus tôt, notre rapport de juin 2021 soulignait l’importance d’entendre les survivantes parler de leurs expériences. Aujourd’hui, notre comité répond à cette recommandation en entendant des femmes qui ont accepté de raconter leur histoire et de faire part de leurs points de vue.

J’aimerais présenter notre deuxième groupe de témoins, qui est composé de la témoin A, qui souhaite garder l’anonymat. Je profite de cette occasion pour vous souhaiter la bienvenue, témoin A. Merci d’être avec nous aujourd’hui, et vous avez la parole.

Témoin A, à titre personnel : Bonjour. Je ne savais pas vraiment comment commencer ma déclaration, alors j’ai écrit l’histoire de la naissance de mon plus jeune fils.

Je suis née en août 1993, à Regina, en Saskatchewan, et je suis une fière femme saulteaux de la Première Nation anishinabek Zagime. Je suis la mère de deux merveilleux garçons et l’aînée de six enfants. Je me concentre actuellement sur un retour à l’école pour étudier et, je l’espère, commencer une carrière dans le domaine des études de laboratoire médical.

Je vais commencer par parler de ma grossesse. J’ai découvert que j’étais enceinte assez tôt, à environ quatre ou cinq semaines, à la fin septembre 2017. La médecin que j’ai choisie travaillait dans le même cabinet médical que celui où j’étais allée avec mon premier fils. Ce n’était pas la même médecin que mon premier, mais elle travaillait dans le même bureau, et je l’aimais beaucoup. Elle a écouté beaucoup de mes préoccupations et a répondu à toutes les siennes. La ligature des trompes n’a pas été évoquée une seule fois.

Vers 30 ou 31 semaines, ma grossesse a été considérée comme à risque élevé, car j’ai commencé à souffrir d’hypertension gestationnelle. Vers 35 ou 36 semaines, elle m’a dit qu’elle voulait éviter une césarienne parce que ce serait plus difficile pour moi, qui suis une femme corpulente. À 37 semaines, elle m’a dit qu’elle voulait que je sois provoquée à 38 semaines, et mon dernier rendez-vous a donc été fixé à ce moment-là.

Passons maintenant au déclenchement du travail. Il a commencé le 20 juin 2018. On m’a dit de me présenter le soir du 19 juin, et on m’a dit qu’on m’appellerait cette nuit-là ou le lendemain matin pour déclencher le travail. On m’a appelée le lendemain matin et dit d’aller au triage afin que l’on établisse un plan de déclenchement du travail. J’ai attendu quelques heures, puis quelqu’un est venu me voir et m’a parlé du processus de déclenchement du travail. Le médecin ou l’infirmière m’ont d’abord dit qu’ils devaient vérifier le col de mon utérus pour voir par où nous allions passer. Après qu’ils ont vérifié le col de mon utérus, il était toujours fermé, et on m’a dit qu’on introduirait un gel pour le dilater, puis qu’on me transférerait à la salle de travail.

Après ma première tentative, on m’a dit que j’étais à un centimètre et que je pouvais être transférée dans la salle de travail, où l’on m’expliquerait les autres efforts de déclenchement. Après cela, on m’a dit qu’on introduirait un instrument à surface plane pour me dilater davantage. Je me souviens que mes contractions ont commencé assez tôt et qu’on a commencé à me donner de l’ocytocine, ou une perfusion, et qu’on l’a augmentée assez souvent.

Un des moments dont je me souviens clairement est celui où l’infirmière en chef et le médecin sont entrés dans ma chambre et discutaient du type de déclenchement qui fonctionnerait le mieux pour moi, et ils voulaient vérifier ma dilatation avant de prendre leur décision. C’est ce qu’ils ont fait, et j’étais dilatée à environ trois centimètres et sans avertissement, le médecin et l’infirmière m’ont crevé les eaux. Ils communiquaient entre eux et me laissaient dans l’ignorance. Je me souviens d’avoir plaisanté avec l’infirmière qui m’avait été assignée en disant que si j’avais su qu’ils allaient me crever les eaux, j’aurais enlevé mes chaussettes, car elles étaient trempées de liquide amniotique.

Pendant les plus de 30 heures qui ont suivi, on a surveillé ma tension artérielle et ma glycémie, et j’ai eu une tentative de péridurale ratée et une tentative de péridurale réussie.

L’après-midi ou le soir du 23 juin 2018, après la péridurale réussie, j’ai commencé à me sentir mal. J’ai commencé à me sentir tremblante et fiévreuse. J’avais l’impression que quelque chose n’allait pas. Ma mère était dans la pièce avec moi, avec mon conjoint, et elle s’est rendu compte qu’il y avait plus de 30 heures que j’avais perdu mes eaux. Le rythme cardiaque de mon bébé est monté à 220 battements par minute. On a vérifié ma dilatation et on m’a dit que mon col était « conique » et qu’il semblait être dilaté à quatre ou cinq centimètres. Cependant, peu de temps auparavant, mon col n’était dilaté que de deux à trois centimètres, ce qui n’avait vraiment pas de sens. On a aussi confirmé que j’avais du méconium dans mes eaux. Cela signifie que le bébé a fait ses besoins dans l’utérus.

Vers 18 ou 19 heures, le médecin s’est approché de moi et m’a dit que je devrais probablement subir une césarienne d’urgence, car il était clair que mon bébé était en détresse et que mon corps risquait de faire un choc septique. J’ai accepté la procédure, et on m’a dit que je devais signer des papiers avant.

Avant que l’on m’apporte les papiers à signer, la ligature des trompes a été évoquée. Comme ils allaient déjà m’opérer, ils ont dit que ce serait un processus rapide. Avant d’entendre cela, je n’avais jamais pensé à une ligature des trompes et, en toute honnêteté, je n’avais aucune idée de ce que c’était. Je me souviens avoir demandé ce que cela signifiait, et la réponse que j’ai reçue m’a semblé très vague et cruelle. Le médecin m’a dit que la personne qui allait réaliser l’intervention avait une très bonne réputation et que c’était une intervention sûre. Ils m’ont expliqué qu’ils allaient couper mes trompes de Fallope et les refermer en plaisantant sur le fait que plus rien ne passerait par là. À ce moment-là, je n’ai pas remis en question ma décision, car la seule chose que j’avais à l’esprit était de survivre et d’assurer la survie de mon enfant à naître.

J’ai signé sans lire, car j’avais l’impression que la vie de mon enfant à naître était entre mes mains si je ne signais pas les documents assez vite. Après que j’ai accepté, je me souviens que le médecin et l’infirmière sont entrés dans la pièce et ont demandé à mon conjoint, qui était lui aussi clairement Autochtone, de quitter la pièce pour nous laisser quelques instants seuls. Il est parti sans incident. Cependant, ma mère est restée dans la pièce avec moi. Ils ont commencé par me demander si c’était vraiment ce que je voulais et m’ont dit que je pouvais changer d’avis, car je pourrais regretter ma décision plus tard. Ils ont également dit que je ne pourrais pas changer d’avis si je trouvais un nouveau partenaire et que je voulais un enfant avec lui. Ils ont dit cela en parlant d’un genre de pire scénario, du genre « si votre partenaire vous quitte et que vous décidez plus tard que vous voulez un enfant avec un nouveau partenaire... » C’est le genre de ton qu’ils ont utilisé. J’ai été complètement prise au dépourvu, et j’ai eu l’impression qu’ils essayaient de se protéger en me faisant presque me battre pour ma ligature des trompes. À ce moment-là, j’ai senti que je devais leur prouver ma valeur et leur prouver à quel point j’étais sérieuse et engagée envers mon partenaire.

Je ne pouvais pas arrêter de trembler et j’arrivais à peine à parler, car mes dents claquaient à cause de la péridurale et des autres médicaments, comme la morphine, qu’on m’avait administrée. Je me souviens d’avoir attendu ce qui m’a semblé être des heures avant qu’on me conduise enfin à la salle d’opération, et quelques médecins m’ont regardée de travers, car je suis une femme corpulente. Ils semblaient mal à l’aise lorsqu’ils devaient soulever mon ventre pour pratiquer la césarienne. L’intervention elle-même m’a paru presque comme un rêve. Je me souviens d’avoir perdu conscience, d’avoir senti que mon bébé était retiré de mon corps et d’avoir été horrifiée de ne pas entendre ses cris. Je me souviens que les médecins et les infirmières parlaient entre eux et disaient : « Ça n’a pas été aussi difficile que je le pensais », lorsqu’ils ont terminé l’opération. Tout de suite après l’accouchement, mon bébé ne pouvait pas téter le biberon et il respirait très vite. Ils l’ont donc amené presque immédiatement à l’unité néonatale de soins intensifs, ou UNSI, et je n’ai pu le voir que le lendemain à cause de cela.

Je devais rester à l’hôpital pendant deux ou trois jours pour prendre des antibiotiques contre une infection présumée. On ne m’a pas dit de quelle infection présumée il s’agissait, et je devais recevoir des médicaments pour empêcher la formation de caillots. Je suis sûre que c’est normal pour les césariennes. Cependant, ma propre médecin m’a rendu visite, puisqu’elle n’avait pas réalisé l’accouchement. Elle est venue voir comment j’allais et m’a demandé si j’avais besoin d’une forme de contraception et si elle pouvait m’en prescrire une. Je lui ai parlé de ma ligature des trompes, et elle a eu l’air horrifiée. Elle ne voulait plus me regarder dans les yeux après cela. Elle s’est excusée et est partie rapidement, et je me suis toujours demandé pourquoi son attitude chaleureuse avait rapidement changé, et maintenant, je sais. Il n’avait jamais été question de ligature des trompes, et j’avais moins de 30 ans et seulement deux enfants. Je crois qu’elle savait que cette pratique était une mauvaise décision de l’hôpital.

Depuis la stérilisation, il y a environ quatre ans aujourd’hui, j’ai perdu mon identité en tant que femme. Je ne crois pas que ce soit plus facile de savoir que je ne peux plus faire ce pour quoi les femmes ont été faites, c’est-à-dire donner la vie. Cette prise de conscience se manifeste par des vagues de chagrin. La plupart du temps, je suis satisfaite et reconnaissante d’avoir deux garçons en bonne santé. Mais d’autres jours, j’ai envie de m’effondrer, car j’ai l’impression d’avoir failli à ma famille et à moi-même.

Après la naissance de mon fils cadet, je n’ai pas ressenti de lien avec lui. Je pleurais lors de ses premières étapes, parce que je savais que c’étaient les dernières que je vivrais. J’avais du mal à créer des liens avec lui pour cette raison et je m’effondrais chaque fois qu’il franchissait une nouvelle étape. Ce n’est que lorsqu’il a eu environ deux ans que j’ai enfin ressenti ce lien maternel avec lui. Je me souviens que je le tenais, et j’avais l’impression qu’il s’enfonçait un peu plus dans mes bras. Quand je le regardais et qu’il me regardait en retour, je voyais mon bébé et je ressentais le même amour que pour mon premier fils. J’ai admiré chaque partie de son corps et oublié la stérilisation pendant un moment.

Aujourd’hui, quand je repense à la stérilisation, j’en ai encore le cœur brisé et je le ressentirai probablement encore longtemps. Cependant, je me sens prête à en parler et à faire part de mon expérience à tous ceux qui veulent bien m’écouter. J’espère que mon histoire permettra de sensibiliser au moins une personne à ce problème continu auquel nous, en tant que femmes autochtones, sommes confrontées lorsqu’il s’agit de stérilisation forcée et contrainte.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup, témoin A. C’était un témoignage puissant, et comme vous l’avez dit, nous devons entendre ces histoires. Lorsque nous les entendons, nous pouvons agir, et peut-être que l’histoire que vous nous avez racontée incitera d’autres personnes à se manifester et à raconter la leur. Je vous remercie. Vous avez été vraiment formidable.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Nous sommes un peu à court de temps, donc quatre minutes pour les questions et les réponses. Merci.

La sénatrice Boyer : Merci, témoin A, pour votre témoignage. Je sais combien il a été difficile et je tiens à vous assurer que votre témoignage a probablement sauvé la vie d’autres femmes, parce que nous vous avons écoutée. Le courage dont vous avez fait preuve au moment de vous manifester a peut-être sauvé des vies.

J’ai une question sur le type de ressources auxquelles vous pourriez penser et qui pourraient vous aider à vous rétablir. La fécondation in vitro, ou FIV, vous a-t-elle déjà traversé l’esprit, une réanastomose de vos trompes de Fallope ou quoi que ce soit d’autre qui pourrait vous aider à vous rétablir en ce moment?

Témoin A : Merci, madame la sénatrice Boyer. Mon conjoint et moi avons discuté de FIV, parce que je suis encore jeune. Je n’ai que 28 ans, donc je suis encore dans la fleur de l’âge pour porter un bébé. Nous en avons beaucoup discuté. Les gens de ma famille se sont portés volontaires pour porter mon bébé si c’est ce que je veux. Cependant, la FIV et ce genre de choses coûtent cher, mais j’aimerais pouvoir en faire l’expérience un jour.

C’est pourquoi j’essaie actuellement de retourner à l’école. Mon conjoint essaie également de retourner à l’école pour que nous puissions un jour avoir assez d’argent de côté pour aller de l’avant avec les procédures. Je vous remercie encore une fois.

La sénatrice Boyer : Merci beaucoup pour ce témoignage. Je crois savoir que cette chirurgie coûte entre 10 000 $ et 15 000 $. Est-ce ce pour quoi vous économisez?

Témoin A : Oui, c’est exactement ce pour quoi nous espérons économiser. Parce que... Merci.

Le sénateur Wells : J’en ai pour une minute, et je serai heureux de rendre le temps supplémentaire dont je dispose à la sénatrice Boyer.

Témoin A, merci beaucoup du courage que vous avez exprimé dans vos propos écrits et oraux. Vous avez été concise, claire, informative, et je vous en remercie. Je vous remercie de nous avoir tous amenés plus près d’une solution et d’avoir donné de la force à d’autres personnes dans votre situation.

Témoin A : Merci de vos commentaires. Lorsque j’ai parlé à d’autres femmes, la seule chose que je voulais vraiment faire était d’aider à sensibiliser d’autres personnes et de faire savoir que cela arrive encore. Cela s’est produit il y a quatre ans, et j’espère continuer à renseigner les gens sur cette préoccupation dans tout le Canada. Je vous remercie.

Le sénateur Wells : Merci.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup à notre témoin de nous avoir présenté ce témoignage difficile, tant à l’écrit qu’à l’oral. Le texte écrit nous a aidés à nous préparer. Je l’ai lu avant la réunion.

De toute évidence, le système de santé vous a laissée tomber. Quelle mesure avez-vous prise contre l’hôpital et les professionnels de la santé concernés? Il y a eu manquement à une obligation. Ils n’ont pas discuté correctement avec vous des répercussions de ce qu’ils proposaient. Ils ont utilisé des termes médicaux sans vous offrir un choix ni même le temps de comprendre. Vous n’avez pas pu en parler avec votre conjoint. Pouvez-vous nous aider à comprendre quelle mesure vous avez prise contre le système — dans ce cas-ci, l’hôpital — et les professionnels de la santé?

Témoin A : Merci de la question. Honnêtement, il m’a fallu beaucoup de temps pour même recommencer à faire confiance au système de santé. Je n’ai pas vraiment pris position contre l’hôpital. J’en ai discuté avec mon avocate, Alisa Lombard, mais je n’ai pas porté plainte ou quoi que ce soit. Il a fallu attendre l’année dernière pour que j’aille enfin consulter pour ma santé mentale. Je leur ai dit que je me méfiais de la plupart des hôpitaux et des médecins à cause de cela. Je ne voulais même pas retourner chez le médecin pour mon contrôle de six semaines. Je suis juste allée me faire enlever les agrafes de mon estomac.

J’avais l’impression qu’on m’avait vraiment laissée tomber. J’ai eu peur d’emmener mon bébé pour ses contrôles. Cela a créé une énorme méfiance à l’égard du système de santé. J’ai l’impression qu’on m’a laissée tomber, et je ne sais pas si je pourrai un jour leur faire à nouveau pleinement confiance.

La sénatrice Omidvar : De toute évidence, ils vous ont laissée tomber.

Nous sommes en train de préparer un rapport assorti de recommandations. Quelles recommandations aimeriez-vous voir dans le rapport, en fonction de votre propre expérience?

Témoin A : Je pense que le système de santé doit mieux communiquer avec ses patients. Pour ce qui est de la santé des femmes ou de leurs droits de reproduction, je crois qu’une ligature des trompes ne devrait jamais être proposée à la patiente. Je pense que c’est le choix de la patiente, si elle veut, une ligature des trompes. Selon moi, la décision lui appartient entièrement, et elle ne devrait jamais être évoquée, surtout pendant que vous attendez un enfant ou que vous êtes prise en charge par le système de santé.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Témoin A : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je pense que la sénatrice Omidvar a posé toutes mes questions.

J’aimerais juste savoir ceci : qu’est-ce qui vous a poussée à venir nous raconter votre histoire aujourd’hui?

[Traduction]

Vous aimeriez peut-être que je pose ma question en anglais.

Témoin A : Oui, s’il vous plaît.

La sénatrice Gerba : Qu’est-ce qui vous a poussée à venir nous parler de votre expérience?

Témoin A : Un an après que j’ai donné naissance à mon fils, je ne pensais pas que c’était un problème. Je pensais que je ressentais simplement quelque chose de normal. Je pensais que je ressentais simplement ce regret dont les médecins parlaient. Honnêtement, je ne savais pas que j’avais été lésée jusqu’à ce que je demande de l’aide.

J’ai vu le mouvement contre la stérilisation forcée et la contrainte. Ma mère étudiait la question. Je lui avais dit ce que je ressentais, et elle m’a dit que je devais en parler à quelqu’un. On m’a dit que j’avais le droit de me sentir comme je me sens, parce que quelque chose de mal m’était arrivé. Rien qu’en sachant cela, j’ai eu l’impression qu’on m’avait enlevé un poids de la poitrine. J’ai senti que je pouvais respirer et que j’avais le droit de me sentir comme je me sentais.

Le fait de savoir ça m’a donné envie de renseigner d’autres personnes. J’ai voulu, je l’espère, soulager le stress des autres femmes qui ressentent la même chose que moi. C’est pourquoi j’ai choisi de raconter mon expérience, afin que cela puisse aider d’autres femmes. J’espère que d’autres femmes raconteront leur histoire et leurs expériences et se rendront compte que ce n’est pas un sentiment de regret, mais que cela peut aussi aller à l’encontre de leurs droits, et qu’elles devraient s’exprimer si elles se sentent également lésées.

La sénatrice Gerba : Merci.

La sénatrice Audette : Je n’ai pas de question, mais je veux juste dire Tshinashkumitin à la témoin A et aux deux autres femmes extraordinaires qui ont parlé avant. Parler est une façon de guérir. Votre voix aide non seulement les femmes autochtones, mais nous tous. En tant que femme innue, j’ai maintenant la responsabilité de porter votre voix tous les jours, alors je ferai de mon mieux. [Mots prononcés dans une langue autochtone]

Témoin A : Merci beaucoup.

La sénatrice Boyer : Témoin A, que pensez-vous de la criminalisation des personnes qui vous ont fait cela? Comment vous sentez-vous par rapport à cela?

Témoin A : Lorsque j’ai discuté de cette question avec mes avocats, ils m’ont dit que c’était une possibilité. Une partie de moi sait que ce n’est pas tout le personnel concerné qui était au courant. Cela me fait sentir mal, parce que j’ai eu quelques infirmières vraiment formidables pendant les jours où j’étais là, mais je connais certaines femmes qui semblaient presque malveillantes envers moi et mon conjoint, et je crois que certaines des personnes concernées devraient être tenues criminellement responsables pour ce qu’elles ont fait. Je me sens mal à l’aise, mais je ne pense pas qu’elles ont vraiment pensé à moi pendant que j’étais sous leurs soins. Je crois que certaines personnes devraient être tenues responsables de leurs décisions, oui.

La sénatrice Boyer : Merci.

Témoin A : Merci.

La présidente : Cela nous amène à la fin du témoignage aujourd’hui.

Témoin A, je tiens à vous féliciter du courage dont vous avez fait preuve en nous racontant votre histoire. Après avoir entendu votre histoire, il est de notre responsabilité de la raconter à nouveau et de nous assurer que ce qui vous est arrivé n’arrive pas à d’autres personnes. Nous pouvons essayer. Nous attendons avec impatience de terminer notre étude.

Je veux profiter de l’occasion, comme vous l’avez proposé, madame la sénatrice Boyer, d’entendre des survivantes. Cela a été une grande expérience d’apprentissage pour nous tous.

Je veux vous remercier, témoin A. Vos histoires nous aideront à rédiger notre rapport.

Honorables sénateurs, notre prochaine réunion sur ce sujet est prévue pour le lundi 16 mai 2022, lorsque nous continuerons d’entendre les survivantes et de fournir des instructions de rédaction pour notre rapport sur ce sujet aux analystes. Les détails concernant les autres activités du Comité sénatorial permanent des droits de la personne seront fournis plus tard, une fois que le comité directeur se sera réuni.

(La séance est levée.)

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