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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 3 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui à 16 h 11 (HE) pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je me présente, Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité.

Je vais présenter les membres du comité qui participent à la séance :le sénateur Arnot, de la Saskatchewan, la sénatrice Gerba, du Québec, la sénatrice Hartling, du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique, et le sénateur Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Notre comité réalise une étude sur l’islamophobie en vertu de notre ordre de renvoi général. L’étude porte notamment sur le rôle de l’islamophobie dans la violence en ligne et hors ligne contre les musulmans, la discrimination fondée sur le sexe et la discrimination en matière d’emploi, y compris dans la fonction publique fédérale. Elle s’intéresse également à la source de l’islamophobie, à ses répercussions sur les personnes, notamment sur les plans de la santé mentale et de la sécurité physique, ainsi qu’aux solutions et aux interventions gouvernementales possibles.

Après avoir consacré deux séances à la question en juin à Ottawa, notre comité a tenu des audiences publiques à Vancouver, à Edmonton, à Québec et à Toronto le mois dernier. De plus, nous avons visité des mosquées dans chacune de ces villes. Aujourd’hui, nous poursuivons nos audiences publiques à Ottawa afin d’entendre les témoignages d’organisations nationales et de représentants d’autres régions du pays.

Voici quelques détails au sujet de la séance d’aujourd’hui. Cet après-midi, nous entendrons pendant une heure chacun deux groupes composés de plusieurs témoins. Avec chaque groupe, nous entendrons d’abord les exposés des témoins, après quoi les sénateurs poseront des questions. Après la partie publique de la réunion, le comité se réunira à huis clos pour discuter de ses travaux futurs.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à faire un exposé préliminaire d’environ cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Je demande aux témoins de respecter le temps imparti. Comme vous pouvez le voir, il y a six sénateurs assis ici, et nous aurons tous des questions. En outre, si vous avez l’impression d’avoir manqué quelque chose, vous pouvez toujours nous faire parvenir un mémoire écrit.

Nous entendrons tout d’abord Abdal Khan, de l’Association des musulmans de Moncton. La parole est à vous, monsieur.

Abdal Khan, président, Association des musulmans de Moncton : Merci beaucoup. Tout d’abord, c’est ma première fois. Je ne sais pas trop ce que l’on attend de moi comme présentateur ici. Je suis le président de l’Association des musulmans de Moncton et de la mosquée de Moncton — Moncton Masjid —, qui a ouvert ses portes il y a presque 15 ans. Nous répondons à la plupart des besoins de la communauté musulmane, ici, à Moncton.

Comme je l’ai dit, je ne sais pas exactement ce que je suis censé présenter, mais je vais vous donner quelques exemples de ce à quoi nous avons affaire ici en matière d’islamophobie.

J’ai un exemple type qui est plus récent. Pendant le dernier ramadan, qui était en mai de l’année dernière, j’étais à la mosquée et il y a quelqu’un dehors qui a commencé à crier des obscénités et beaucoup de mots haineux contre les musulmans. En voici quelques-uns : « Retourne dans ton pays », « Tu ne paies pas de taxes », « Que faites-vous à l’intérieur? » Il ne voulait pas se taire. Il était aussi un peu ivre, c’est ce que je suppose. Il était là, à hurler des obscénités devant la mosquée. Nous avons essayé de le calmer, mais finalement, je crois qu’un des voisins a appelé la GRC, puis il est parti. Je ne suis pas sûr de ce qui s’est passé ensuite.

Ce genre de choses arrive. Je pense que c’est à cause de l’islamophobie dans nos communautés.

Je tiens à souligner une chose : au lieu de traiter les effets secondaires ou de faire des changements cosmétiques, nous devons nous attaquer à la cause profonde de ce phénomène. L’exemple que je vous ai donné du type devant la mosquée qui disait que nous ne payons pas d’impôts, c’est tout à fait absurde. Nous devons nous attaquer à la désinformation dans la société. Au Canada, en général, les gens sont mal informés sur les immigrants.

Tout d’abord, j’ai observé une chose que beaucoup de gens pensent, à savoir que toute personne qui immigre au Canada est très probablement un réfugié. Nous accueillons tous les réfugiés, et nous sommes fiers, en tant que Canadiens, d’accueillir des réfugiés et de les aider. Toutefois, pour une raison quelconque, les gens pensent que tous ceux qui arrivent reçoivent des avantages et des choses comme ça. Je pense que probablement 95 % des immigrants qui viennent ici ne sont pas des réfugiés. Ce sont des professionnels dans leur domaine qui essaient de faire une bonne vie professionnelle au Canada et d’avoir une meilleure vie. C’est pour cela qu’ils viennent ici.

Un autre exemple, comme cet homme le disait, est l’idée que nous ne payons pas de taxes, entre autres. En général, les personnes qui sont islamophobes ou qui éprouvent de la haine envers les musulmans se nourrissent de cette désinformation. Ils se nourrissent des informations qui sont diffusées dans la communauté à propos des immigrants en général. Cela crée des stéréotypes, puis les gens s’organisent et font des choses stupides.

C’est sur ce point que je voudrais me concentrer. Pour éliminer l’islamophobie — pas seulement l’islamophobie, mais la haine contre les immigrants ou les personnes de couleur —, nous devons éduquer les gens; éliminer la désinformation de la société; donner aux gens les bonnes informations et les bons chiffres; et parler des contributions des musulmans, des personnes de couleur et des immigrants qui sont venus dans ce pays et de la façon dont ils peuvent les aider à bâtir le Canada ensemble.

Nous devons dépenser beaucoup de ressources pour diffuser les bonnes informations dans la communauté et éliminer les mauvaises informations qui prévalent et créent la haine et l’islamophobie. C’est ce que je voudrais dire. Je passe maintenant la parole à la personne suivante.

La présidente : Merci beaucoup, M. Khan. Maintenant, je vais me tourner vers l’imam Abdallah Yousri, le directeur général de la mosquée Ummah. Vous avez la parole.

Imam Abdallah Yousri, directeur général, Mosquée Ummah et centre communautaire : Madame la présidente, je vous remercie de cette présentation.

Je voudrais aborder brièvement certains éléments. Pour la communauté musulmane, à l’heure actuelle, alors que nous assistons à une augmentation des attaques islamophobes et à de nombreux crimes haineux perpétrés contre les musulmans, il est extrêmement important d’établir une définition claire de l’« islamophobie », puisqu’il n’en existe aucune. Nous pensons qu’une telle définition nous permettra de faire un pas de plus vers l’élimination de la haine et des attaques contre les musulmans.

Voilà une des mesures essentielles qui doit être prise, et il revient au Sénat de le faire. Autrement, nous ne ferions que tourner en rond, comme ce fut souvent le cas.

Nous voulons également souligner que les crimes haineux ou les discours haineux ne sont pas clairement définis dans le Code criminel. Nous avons été témoins d’événements terribles à Halifax et dans les régions avoisinantes, à tel point que je veux parler de l’un des incidents qui ne fait que démontrer l’importance de définir l’islamophobie et les crimes haineux.

Un reportage de la CBC a indiqué qu’un élu de l’une des municipalités avoisinantes en Nouvelle-Écosse avait soutenu qu’il fallait faire sauter les mosquées et mettre le feu au Coran, ou quelque chose du genre. C’est ce qui a été rapporté dans les médias sociaux et par la CBC. Malheureusement, ces paroles n’ont entraîné aucune conséquence, quoiqu’elles aient été rendues publiques. Des fonctionnaires ont dit : « Ce n’est pas un crime d’être raciste; ce n’est pas considéré comme un crime de dire de telles choses. » Or, de telles affirmations nous font faire du sur place et donnent à la communauté musulmane le sentiment que l’on tente plutôt d’essayer de réconforter les gens avec des mots. Quant à elle, la volonté de prendre des mesures concrètes s’avère absente. Ces affirmations sont rapportées et commentées publiquement, de sorte que chacun peut y mettre son grain de sel.

Un autre enjeu important — sur lequel certains ont beaucoup travaillé — concerne les institutions fédérales comme l’Agence du revenu du Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ainsi que les services qu’elles fournissent et le travail qu’elles font. Beaucoup de communautés musulmanes, de musulmans et de militants parlent de discrimination à l’égard des institutions musulmanes, qu’il s’agisse d’organismes de bienfaisance, de mosquées ou de centres de jeunesse, et ils affirment que diverses institutions appliquent des règles et des critères différents aux organismes de bienfaisance musulmans, aux militants musulmans, aux imams et aux personnalités religieuses. Voilà une autre question importante soulevée par la communauté musulmane, aussi bien à l’est qu’à l’ouest. Je vous remercie, et je vous suis reconnaissant de votre travail.

La présidente : Je vous remercie, imam Yousri. J’ai oublié de mentionner que l’imam Yousri nous parle depuis la belle ville d’Halifax. Monsieur l’imam, j’y étais il y a environ six semaines. Je vous remercie de vous joindre à nous.

Comme prochain intervenant, nous avons M. Mostafa Hanout du Sabeel Muslim Youth and Community Centre. Vous avez la parole.

Mostafa Hanout, vice-président, Sabeel Muslim Youth and Community Centre : Merci beaucoup de me recevoir aujourd’hui. Je vous en suis très reconnaissant. Cette réunion me remplit d’enthousiasme. Je n’ai jamais participé à une réunion du genre, mais je suis très enthousiaste. J’ai toujours considéré le Canada comme l’un des pays les plus réputés en matière de protection des droits des communautés minoritaires, et je suis très optimiste quant aux résultats de cette réunion et de toute autre initiative allant dans le même sens pour lutter contre le problème de l’islamophobie.

Je suis d’accord avec ce qu’ont dit précédemment M. Khan et l’imam Abdallah Yousri. J’ai de l’expérience dans le domaine. Bien sûr, ce n’est pas qu’une question d’expérience personnelle, puisque le problème de l’islamophobie est bien connu. Cette haine nous a apporté des conséquences dévastatrices. Des personnes innocentes, des fidèles innocents ont été tués. Il n’est pas vraiment question de mon expérience personnelle, mais je vais raconter l’expérience personnelle vécue dans une école par ma fille, simplement pour expliquer ce qui se passe et pour nous donner quelques pistes de réflexion sur la voie à suivre.

Ma fille fréquente l’école secondaire, et un des élèves de sa classe a une conception très négative de l’islam; il est très islamophobe. Il lui dit des choses du genre « As-tu une bombe dans ton sac? » Un jour, il l’a attaquée en lui arrachant son voile de la tête. Cet élève a été suspendu de l’école pendant un jour. Il n’a plus attaqué ma fille par la suite. Pourtant, sa conception n’a pas changé. Il a continué à faire les mêmes commentaires et à partager les mêmes sentiments avec d’autres élèves, ce qui nous amène à réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour remédier à cette situation.

J’appuie la suggestion de l’imam Yousri, à savoir qu’il devrait y avoir une disposition distincte dans le Code criminel qui rendrait obligatoires certaines mesures à l’égard d’actes haineux ou islamophobes de la sorte, si nous souhaitons vraiment nous attaquer au problème et y mettre fin. Une forme de réadaptation pourrait également être exigée pour les personnes qui commettent de telles agressions.

Je pense aussi qu’il faudrait sensibiliser la communauté ou intégrer certains renseignements au système d’éducation pour contrer de tels concepts négatifs et rendre les gens plus conscientisés ou plus ouverts. Ce ne sont que des suggestions. Comme je l’ai dit, je suis très optimiste quant à l’issue de cette réunion et je suis convaincu que tous les efforts déployés sur cette voie pour lutter contre l’islamophobie s’avéreront fructueux. Je vous remercie encore une fois de m’avoir invité.

La présidente : Je profite de l’occasion pour vous remercier tous de vos présentations. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Jaffer : Salaam Alaikum et merci de votre participation. J’aimerais commencer par poser trois brèves questions à chacun des témoins. Je commencerai par M. Hanout.

Vous avez parlé de prendre des mesures. Or, une mesure mène à une autre. Votre fille n’oubliera probablement jamais l’expérience qu’elle a vécue. Il est très important que de telles expériences soient racontées. Outre la suspension d’un jour de l’élève — j’ai une opinion sur cette suspension, mais ce n’est pas la tribune pour l’exprimer —, la direction de l’école a-t-elle fait autre chose? Quelles autres mesures l’école a-t-elle prises pour autonomiser votre fille ou pour qu’elle se sente plus à l’aise, ainsi que pour faire savoir aux autres élèves qu’un tel comportement est inacceptable?

M. Hanout : L’enseignante de ma fille a été d’un grand soutien et elle a été bouleversée par l’acte commis par cet élève. Elle a discuté avec lui, mais je ne sais pas si d’autres mesures ont été prises. Je dirais que ma fille n’a pas de problème à l’école. Elle est heureuse, elle a des amis et elle va bien. Après la suspension, l’élève en question n’a pas récidivé envers ma fille, quoiqu’elle affirme qu’il dit encore des choses semblables à d’autres. Cependant, il n’existe aucun processus de réadaptation pour ce genre de comportement inacceptable. Je n’en connais pas, à part la suspension.

La sénatrice Jaffer : Quel âge avait votre fille?

M. Hanout : Elle a maintenant 17 ans.

La sénatrice Jaffer : J’ai maintenant une question pour l’imam Yousri. Vous avez parlé de la définition de l’islamophobie, et notre comité a du mal avec cette définition. Tous les experts à qui j’ai posé la question m’ont répondu qu’ils n’avaient pas vraiment de définition. Notre présidente a suggéré une bonne définition, c’est-à-dire d’être raciste envers l’Islam. Quelle serait votre définition?

M. Yousri : Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question. Une telle définition doit être issue de travaux de recherche. De tels travaux ont eu lieu au Royaume-Uni, où une définition a été élaborée après de nombreuses recherches et discussions avec des organisations musulmanes partout au pays, et je pense qu’il vaut la peine de l’examiner.

Je ne voudrais pas imposer une définition personnelle sur une telle question à la communauté musulmane. Cependant, nous souhaitons que des mesures sérieuses soient entreprises pour lancer des recherches, et qu’elles incluent des experts de l’antiracisme. Des spécialistes universitaires de l’islamophobie de partout au pays lancent des recherches sur ce sujet. Je pense que nous serions en mesure de proposer une définition qui reflète ces recherches et qui bénéficierait également des travaux réalisés dans d’autres pays.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, monsieur l’imam. Monsieur Khan, de l’Association des musulmans de Moncton, votre présentation m’a beaucoup intéressée. Je constate que l’association a acheté une propriété pour en faire la première mosquée de Moncton. Je me demande si vous avez réclamé des fonds au gouvernement fédéral pour assurer la sécurité de cette mosquée, afin d’y installer des caméras et d’autres dispositifs de sécurité.

M. Khan : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Elle est excellente. En fait, c’est l’un des principaux points que nous voulons soulever.

Nous avons présenté une demande au Programme de financement des projets d’infrastructure de sécurité, qui est offert par le gouvernement fédéral, il y a presque un an et demi. Le processus est extrêmement long pour faire quoi que ce soit. Nous avons effectivement un système de sécurité, mais il est insuffisant pour la mosquée. Les délais de ce programme sont très longs : nous attendons depuis plus d’un an et demi. Il y a quelques mois, nous avons enfin reçu une réponse indiquant que notre demande était presque approuvée. Toutefois, les personnes qui travaillaient sur le projet sont parties en vacances. À leur retour, nous avons donné toute l’information nécessaire, mais nous attendons toujours. Il y a maintenant plus d’un mois que nous avons reçu une réponse.

À mon avis, c’est un excellent programme, et les communautés vulnérables pourraient vraiment en tirer parti. Le délai de réponse est toutefois très long. Nous devons faire en sorte que le traitement des demandes nécessite quelques mois, et non pas plus d’un an.

La sénatrice Jaffer : Si je ne me trompe pas, vous attendez depuis près de 25 mois. Est-ce exact?

M. Khan : Je ne pourrais pas vous dire le nombre de mois exact. Chose certaine, nous attendons depuis plus d’un an et demi.

La sénatrice Jaffer : D’accord, merci. D’autres témoins nous ont dit que les formulaires étaient très compliqués à remplir.

M. Khan : C’est vrai.

La sénatrice Jaffer : Ils sont très compliqués. Est-ce aussi ce que vous avez vécu?

M. Khan : Oui, c’est compliqué. Il y a de nombreuses exigences et très peu d’aide pour remplir les formulaires. Pour résoudre ce problème, il serait peut-être utile qu’un fonctionnaire du ministère aide les candidats à remplir les formulaires, possiblement au moyen de séances en ligne. Le fonctionnaire guiderait les demandeurs de subvention. Si je me souviens bien, il nous a fallu près de deux mois seulement pour préparer la demande de subvention.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le sénateur Arnot : Mes observations s’adressent à tous les témoins, et j’aimerais avoir leur point de vue sur une partie des questions soulevées.

Il est évident pour nous — c’est certainement mon cas — que l’islamophobie est un problème grave au Canada. On nous a raconté une pléthore d’incidents et de situations qui soulignent vraiment la nécessité de s’y attaquer.

À mon avis, l’une des façons de le faire est de miser sur le pouvoir de l’éducation comme un vaccin contre la haine, l’ignorance et la peur, qui sont à la source du racisme et de la haine envers les musulmans. Après tout, nous vivons au Canada : un pays multiethnique et multiculturel. Patrimoine canadien a un rôle prépondérant à jouer dans ce dossier.

Au sujet de l’éducation, je me demande ce que pensent les témoins du besoin d’élaborer un ensemble de ressources de la maternelle à la 12e année qui permet de vraiment répondre aux questions suivantes : « Que signifie être citoyen canadien et quels sont les droits inhérents à la citoyenneté? » Il faudrait aussi aborder des questions encore plus importantes : « Quelles sont les responsabilités associées à ces droits et comment peut-on bâtir et maintenir le respect envers tous les citoyens, sans exception, parce que tous les êtres humains méritent la même considération morale? » C’est ce qui pourrait se faire dans le système scolaire de la maternelle à la 12e année.

En ce qui concerne les adultes, je me demande si les témoins voudraient se prononcer sur la responsabilité de Patrimoine canadien d’élaborer des stratégies et des programmes de communication sur de multiples plateformes qui pourraient servir à combattre l’ignorance pour accroître la compréhension et à favoriser l’inclusion au détriment de l’exclusion.

Je voudrais tout simplement avoir l’avis des témoins sur cet aspect de l’éducation, tant pour les enfants de la maternelle à la 12e année que pour les adultes canadiens.

M. Khan : Merci. C’est une excellente question. Elle touche le sujet le plus important. J’en parlais d’ailleurs avec mon épouse, qui est enseignante suppléante. Le plus important est de transmettre des connaissances aux élèves de la maternelle à la 12e année, plus encore qu’aux adultes, parce que c’est la génération qui propagera les concepts dans la collectivité. Je ne pense pas qu’il existe en ce moment un programme de formation qui porte sur l’islam en particulier.

Je vais vous donner un exemple. Mes enfants ont grandi ici, à Moncton. Ils sont nés et ils ont grandi ici. L’un d’entre eux étudie à l’université; deux sont au secondaire. Lorsqu’ils étaient plus jeunes, il y avait peu de diversité. Ils étaient probablement les seuls enfants à la peau brune, à l’exception de peut-être un ou deux autres enfants musulmans, dans toute l’école. Personne n’était au courant du ramadan ou des prières. Personne n’avait quelque information que ce soit à ce sujet. Il n’a pas été simple pour mes enfants d’évoluer dans ce système.

Je pense que la situation est maintenant différente. Il y a beaucoup d’enfants musulmans à l’école qui parlent du ramadan, des prières et de toutes ces questions. Le district scolaire s’est adapté parce que la population a augmenté.

Il doit y avoir des programmes cohérents pour les élèves de la maternelle à la 12e année, qui prévoient d’inviter des organisations islamiques et des mosquées locales, aux quatre à six mois peut-être, pour donner une courte présentation sur ce qu’est l’islam. De cette façon, les enfants apprennent qu’il s’agit d’une religion et que les pratiques sont peut-être un peu différentes des leurs, mais ils comprennent ce que les musulmans font et les raisons qui les poussent à agir de cette façon. Parce qu’ils développent ainsi une compréhension et une acceptation de la culture islamique, ils ne sont pas surpris. De plus, si quelqu’un leur donne de l’information erronée ou une vision déformée de la religion islamique, ils sont en mesure de le savoir.

À mon avis, il serait très utile de mettre en place un programme de ce genre dans l’ensemble du district scolaire.

La présidente : Merci. Monsieur l’imam, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. Yousri : Oui. Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je suis convaincu que l’approche éducative sera utile pour les élèves de la maternelle à la 12e année et au-delà. À Halifax, nous avons élaboré un programme pour les institutions publiques qui peut aussi s’appliquer ailleurs. Il a servi notamment aux ressources humaines de la police d’Halifax et aux pompiers de la ville. Nous offrons aussi un programme pour les cadets qui se joignent aux Forces armées canadiennes afin de les sensibiliser et de les aider à répondre à leurs questions sur l’islam et la communauté musulmane à Halifax et dans les environs. Les commentaires que nous avons reçus sur ce programme ont été très positifs. Depuis, nous préparons des programmes pour tous les groupes de policiers et de premiers répondants.

Nous espérions sincèrement étendre cette approche au-delà d’Halifax. Le seul défi, c’est de trouver les fonds nécessaires pour continuer d’offrir ce service de façon permanente, surtout avec l’augmentation de la demande de la part d’autres institutions qui ont entendu parler du programme. Leur personnel et leurs équipes souhaiteraient le suivre.

Je vous remercie d’avoir soulevé cette question. Nous en avons aussi discuté avec le ministre Rodriguez et nous espérons que ce sera une possibilité bientôt.

La présidente : Merci. Monsieur Hanout, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. Hanout : Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Je crois au pouvoir de l’éducation. Je pense que si les jeunes générations sont bien guidées ou reçoivent l’information exacte tôt dans la vie, cette approche contribuera à créer une société saine, une société qui est plus inclusive et plus ouverte envers les autres.

Je suis bien au fait du travail de l’imam Yousri. Je vis aussi à Halifax et je sais que son équipe fait un excellent travail dans la collectivité. C’est très utile, en particulier pour les communautés musulmanes. Je suis sans aucun doute profondément convaincu du pouvoir de l’éducation. Ce sera évidemment une grande partie de la solution.

La présidente : Merci.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à tous les témoins. Je vais faire quelques observations avant de poser une question.

Je tiens à informer le comité que Terre-Neuve-et-Labrador a désigné le mois d’octobre comme le Mois de l’histoire islamique. Nous travaillons également en étroite collaboration avec la communauté et le gouvernement pour mettre en place un programme de la maternelle à la 12e année qui porte sur l’islamophobie et d’autres questions liées à l’antiracisme. C’est un projet multipartite ou quadripartite qui inclut les ministères responsables de l’éducation, de la justice et des affaires autochtones, ainsi qu’une bonne partie des communautés.

Dans une petite province, il est possible d’effectuer une partie du travail et de vraiment cibler les vulnérabilités des étudiants. L’association des étudiants musulmans de l’Université Memorial diffuse, de façon similaire, ce type d’information. Nous avons eu des iftars très réussis auxquels des gens de l’extérieur de la communauté musulmane ont participé. Il y avait aussi un aspect éducatif sous la forme de séances d’information.

Cela dit, la même question revient constamment dans mes conversations avec les associations étudiantes : la vulnérabilité particulière des musulmans noirs dans ma province. C’est en quelque sorte un double coup dur. Ils font face à l’islamophobie et au racisme anti-Noirs. C’est parfois aussi le cas au sein de la communauté musulmane elle-même, où il y a un fossé entre les Noirs et les non-Noirs. Je me demande si vous pourriez nous en parler. Comment pouvons-nous nous attaquer à ce problème? J’ai été particulièrement troublé par des conversations que j’ai eues avec des musulmans noirs qui ont grandement souffert à ce chapitre. Merci.

M. Yousri : Oui, c’est tout à fait vrai. Je vous remercie de soulever ce point, sénateur. Nous avons vu de nombreux exemples ici aussi. En fait, la semaine dernière, nous avons produit un balado pour les jeunes qui porte sur l’un de nos dirigeants musulmans dans la ville qui a été victime de racisme et de sentiments anti-Noirs — tant au sein de la communauté qu’à l’extérieur — afin de sensibiliser les jeunes et la collectivité à ce sujet. C’est quelque chose qui existe vraiment.

L’islam et la communauté musulmane... Nous sommes vraiment fiers de la diversité de la communauté musulmane. Cependant, en même temps, de tels incidents se produisent et nous faisons de notre mieux pour sensibiliser les jeunes de nos communautés à ce sujet. C’est pourquoi il est regrettable que de tels incidents se produisent. Cela arrive même à des imams et à des dirigeants de la communauté et pas seulement à de simples citoyens, malgré le fait que nous ayons des principes clairs dans le Coran et dans les enseignements de l’islam, encore une fois, depuis le début et avec les grands compagnons du Prophète issus de la communauté noire. Nous plaidons toujours en ce sens. Les problèmes existent toujours, et il est de notre responsabilité à tous d’y mettre un terme, principalement par l’éducation, comme nous venons de le dire. Merci.

M. Khan : L’imam Yousri a très bien résumé les choses. Dans l’islam, aucune forme de racisme n’est tolérée, y compris le racisme fondé sur la couleur. Mais, encore une fois, nous sommes des êtres humains. Des incidents se produisent, même au sein de notre communauté. Si une telle chose se produit — ce que nous avons vu rarement —, nous nous attaquons au problème non seulement par la sensibilisation, mais aussi par l’action. Je ne raconterai pas d’incident, mais quelque chose est arrivé ici, à la mosquée, il y a de nombreuses années. Quelqu’un s’est montré un peu raciste à l’égard des personnes de couleur, ce que nous avons fermement condamné et l’affaire a été réglée. Chaque fois que nous voyons cela se produire, nous ne nous contentons pas de sensibiliser les gens. Nous agissons.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Hartling : Je remercie beaucoup les témoins d’être ici aujourd’hui. Monsieur Khan, de Moncton, je ne vous ai jamais rencontré, mais je vous ai parlé. Je viens de Moncton, dans le Canada atlantique, et je suis heureuse de vous écouter tous aujourd’hui et de parler de certains des problèmes et certaines des choses que vous constatez.

Nous avons beaucoup parlé d’éducation, et c’est vraiment important parce que l’éducation fait certainement changer des choses. L’idée d’un programme destiné aux élèves de la maternelle à la 12e année est très bonne.

Je pense également à ce que vous avez dit au sujet d’autres partenaires et affiliés dans toutes les professions. Je suis travailleuse sociale, et donc dans le travail social, les soins de santé, d’autres domaines... Est-ce que ce sont là certains des autres domaines où l’on pourrait également offrir une certaine formation sur votre communauté et sur certaines des difficultés? Vous ne pouvez pas tout faire vous-mêmes. Qui d’autre peut être votre partenaire pour nous aider à concrétiser cette éducation? Merci.

M. Khan : Merci beaucoup, sénatrice. C’est une excellente question. Je dirai deux choses. L’imam Yousri a mentionné qu’ils ont déjà un programme dans le cadre duquel ils parlent à la GRC, aux cadets et à d’autres professionnels. Nous aimerions le reproduire, car je ne connais aucun endroit au Nouveau-Brunswick où l’on fait la même chose. Si c’est à partir d’une plateforme structurée et si nous pouvons le faire, ce serait formidable.

Vous nous demandez également qui devraient être nos partenaires. Pour être honnête, je ne le sais pas trop, mais je pense que ce serait merveilleux si les gouvernements locaux ou le gouvernement fédéral pouvaient demander à l’un de leurs ministères de nous aider. Vous avez tout à fait raison. Nous sommes des bénévoles. Par exemple, je suis un bénévole. J’ai un emploi à temps plein, puis je sers la communauté juste pour l’amour d’Allah, pour l’amour de Dieu.

Nous voulons aller parler aux gens. Nous voulons aller voir les agents de la GRC, les infirmières et les médecins à l’hôpital et, d’une manière générale, les informer sur l’islam ou au moins briser les barrières entre les différentes cultures et religions. Or, nous ne pouvons pas le faire parce que nous n’avons pas le temps de tout organiser.

Il pourrait y avoir un organisme ou un ministère qui organiserait ces choses et nous demanderait si nous sommes disponibles à telle date et à telle heure pour faire une petite présentation à leur personnel. Nous serions ravis de le faire.

Cela dit, encore une fois, vous avez raison. Nous avons des horaires très serrés et peu de temps, et nous ne pouvons pas tout faire. Nous avons besoin d’aide. Je ne sais pas quel ministère peut nous aider, mais ce serait formidable si quelqu’un pouvait le faire.

La sénatrice Hartling : Merci. Y a-t-il d’autres commentaires?

M. Hanout : Oui. Dans notre centre communautaire, nous communiquons avec toutes les écoles des régions de Halifax et de Bedford. Nous organisons le sermon du vendredi surtout pour les jeunes musulmans, mais des jeunes qui ne sont pas musulmans viennent aussi écouter ces sermons. Ils sont curieux et veulent découvrir ce dont il s’agit.

C’est un rôle que nous jouons sur le plan de l’éducation. Nous avons organisé le tout en collaboration avec les écoles. Il s’agit également d’un bon message pour les élèves non musulmans, qui apprennent à mieux connaître leurs collègues musulmans et l’islam en général. C’est une chose que nous faisons.

La sénatrice Hartling : Merci.

M. Yousri : Merci, sénatrice. Si je peux ajouter quelque chose, c’est un point très important qui nous touche beaucoup en ce qui concerne les services communautaires et les problèmes d’islamophobie dans les services communautaires. Prenons l’exemple des hôpitaux. Dans tout le Canada atlantique, aucun hôpital ne compte un aumônier, c’est-à-dire un aumônier musulman qui pourrait offrir ce service dans les hôpitaux et le système de soins de santé. En fait, j’ai été surpris, lorsque j’ai participé à la formation, de constater que parmi tous les aumôniers de l’Est du Canada, il n’y avait aucun musulman. La compréhension ou la formation concernant la prestation de ce service à la communauté musulmane est minime. C’est vraiment douloureux pour notre communauté et pour toute la région de l’Atlantique, et je vous remercie d’avoir soulevé la question.

La sénatrice Hartling : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ce qui est bien quand on passe en dernier, c’est que toutes les questions ont déjà été posées.

Je me suis intéressée au travail de l’imam Yousri qui porte vraiment sur la sensibilisation, la communication avec les institutions, et j’imagine, avec les populations.

Monsieur Yousri, j’aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur les résultats. Est-ce qu’on pourrait exporter cela ou le reproduire dans d’autres provinces, comme l’ont mentionné le sénateur Arnot et un des témoins?

C’est quelque chose qui serait intéressant à comprendre afin d’être en mesure de le dupliquer dans d’autres provinces. Comment faites-vous?

[Traduction]

M. Yousri : Je vous remercie de la question, sénatrice. Nous sommes très heureux de faire connaître ce que nous faisons. Je viens de parler brièvement de la formation que nous avons donnée à la police de Halifax, par exemple. Nous avons organisé cette formation pour tous les nouveaux candidats. Ils étaient environ 50 à participer à cette formation d’une demi-journée. Un imam noir et un imam canadien blanc ont fait une présentation, ainsi qu’un travailleur social qui a couvert différents éléments de cette formation, notamment le racisme envers les Noirs et l’islamophobie. Nous avons donné aux cadets une formation sur les particularités culturelles et les relations avec les communautés musulmanes. Une partie importante du programme porte sur les particularités religieuses. Un autre volet de cette formation concerne les femmes et les filles. Les agents ont notamment posé beaucoup de questions à ce sujet.

À la fin de la formation, les cadets ont une bonne période pour poser des questions sur des incidents dont nous avons été témoins et des situations que nous avons vécues afin que nous puissions y répondre. Après, nous avons établi un point de contact par l’intermédiaire de l’agent de police communautaire du service de police régional de Halifax pour inviter les membres à se rendre à la mosquée le vendredi, afin qu’ils puissent créer des liens, voir la mosquée de l’intérieur et interagir avec la communauté musulmane.

Chose intéressante, à la fin, et c’est lié à votre question sur les résultats, nous avons eu la chance d’obtenir les formulaires de commentaires que les agents qui ont participé à la formation ont remplis et de connaître leur opinion. Nous avons tous été très étonnés par l’incidence qu’a eue la formation et par le fait qu’ils ont tous considéré la formation comme l’une des meilleures formations qu’ils aient reçues dans l’ensemble de leur programme. Pour nous, il s’agit d’un projet très important qui s’est avéré un succès. Nous serions très heureux de le faire connaître à d’autres personnes dans d’autres provinces. Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : C’est vrai que l’islamophobie vient de l’ignorance. Effectivement, il est important de communiquer, de sensibiliser les gens afin qu’ils comprennent le vrai sens de l’Islam et des musulmans.

Est-ce que les formations que vous offrez aux institutions pourraient également être offertes dans les écoles, auprès des médias, auprès des populations afin qu’ils comprennent la religion musulmane? Qu’est-ce qu’il faudrait faire du côté du gouvernement?

[Traduction]

M. Yousri : Absolument. C’est exactement ce que nous faisons.

[Français]

La sénatrice Gerba : Est-ce que le gouvernement fédéral peut vous aider à élargir le bassin de gens qui suivent cette formation?

[Traduction]

M. Yousri : Certainement. C’est ce que nous demandons. Si nous avons le soutien du gouvernement, nous serons en mesure d’offrir la formation à différents secteurs, comme les hôpitaux, les prisons et d’autres secteurs des services communautaires qui travaillent auprès des victimes de violence familiale. Tous ces travailleurs — malheureusement, je déteste le dire — ne reçoivent pas une formation qui respecte les exigences minimales pour travailler auprès des communautés musulmanes et gérer ces situations. C’est ce que nous avons constaté. Que ce soit dans les écoles ou dans les hôpitaux, nous comprenons le changement rapide qui s’est produit dans la communauté, mais nous devons également fournir rapidement aux équipes de travailleurs et aux premiers intervenants la formation dont ils ont besoin. Si nous avons le soutien du gouvernement pour l’offrir à un plus grand nombre de gens, nous serons certainement en mesure de la fournir à de nombreuses organisations dans toute la province.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : L’imam Yousri a dit qu’il serait utile d’avoir l’aide du gouvernement. Quel type d’aide recherchez-vous au juste? Quelles recommandations pouvons-nous, en tant que membres du comité, faire au gouvernement?

M. Yousri : Merci, sénatrice. Je dirais deux choses. Premièrement, il faut recommander aux institutions gouvernementales de s’assurer que leurs employés suivent ce type de formation. La diversité et l’inclusion en constituent une partie importante. Cependant, la formation sur l’islamophobie en particulier est essentielle, car nous constatons une hausse des problèmes d’islamophobie et un manque de connaissances en ce qui concerne les relations avec la communauté musulmane. Le gouvernement le sait. Il s’agirait d’une recommandation et d’une exigence. Il s’adresserait à nous et à d’autres pour faciliter cette démarche. Jusqu’à présent, nous avons pris cette initiative, mais il faudrait que le gouvernement en fasse l’un de ses mandats. C’est la première chose à faire.

Deuxièmement, il faut soutenir ces efforts en finançant cette formation dont beaucoup d’organismes gouvernementaux de la province ont grandement besoin. Nous avons des ressources et un temps limités pour gérer le tout, mais nos bénévoles et notre personnel sont sollicités de toutes parts, en fait. Nous avons également discuté de la question avec le ministre Rodriguez et nous espérons que des mesures seront prises en temps voulu. Merci.

La présidente : J’aimerais vous poser une question à vous, imam Yousri, et aux autres témoins. Quels effets les incidents haineux survenus dans d’autres régions du Canada ont-ils eus sur la communauté? Je parle ici de l’attaque terroriste contre la mosquée et du terroriste qui a tué la famille Afzaal à London. Il y a eu également d’autres cas. Quelle a été la réaction de la communauté? Y a-t-il une crainte?

M. Khan : Je peux commencer si vous me le permettez. Merci, sénatrice. C’est une bonne question.

Oui, c’est le cas. Chaque fois qu’un événement se produit au Canada, ou même à l’étranger, il a des répercussions sur les communautés partout au Canada. À Moncton, par exemple, chaque fois qu’un incident de ce genre se produit, il arrive que les gens s’adressent à la mosquée ou à l’association pour demander s’il est sécuritaire de venir faire la prière du vendredi. « Est-ce que c’est correct d’aller à la mosquée? Devons-nous continuer à y aller? » Cela suscite la peur au sein de la communauté. Toutefois, évidemment, lorsqu’on travaille avec la communauté, on la calme et on lui donne de l’espoir. Nous encourageons les gens à continuer à faire ce qu’ils font au sein de la communauté. Mais ces événements provoquent une réaction émotionnelle chez les gens.

M. Yousri : Merci beaucoup. Je n’ai pas grand-chose à dire à ce sujet. La peur est partout et lorsque des incidents se produisent, nous faisons toujours de notre mieux pour rassembler la communauté.

Après l’attaque à London, nous avons réuni les communautés musulmane, chrétienne, juive et autochtone — toutes les communautés — pour soutenir la communauté dans ces moments difficiles. Cependant, nous avons la chance de vivre en Nouvelle-Écosse, où les gens sont très accueillants et solidaires. Nous avons la chance d’être à Halifax où nous avons beaucoup de soutien pendant ces périodes difficiles.

La présidente : Monsieur Hanout, voulez-vous répondre à la question?

M. Hanout : Je suis d’accord avec M. Khan et l’imam Yousri. Chaque fois qu’un incident similaire se produit, cela suscite certainement beaucoup de craintes. Heureusement, nous nous soutenons entre nous et nos voisins nous soutiennent. C’est une chance et une bénédiction de vivre au Canada. En fin de compte, les Canadiens sont très ouverts, solidaires et se soutiennent mutuellement dans de telles situations. Mais il est indéniable qu’une certaine crainte s’installe de temps en temps lorsqu’un incident majeur comme celui-là se produit.

M. Khan : Nous avons également organisé une vigile à Moncton. Je veux insister sur ce que M. Hanout et l’imam Yousri ont dit. Chaque fois qu’une telle chose se produit, nous recevons un immense soutien de la part de la collectivité. Des gens de toutes les races, cultures et religions viennent nous soutenir. C’est ce qui fait la beauté du Canada, à savoir que nous sommes une collectivité diversifiée. Lorsque quelque chose se produit, l’ensemble de la collectivité se tient derrière nous et nous soutient.

La présidente : J’ai proposé cette étude parce que j’ai été choquée d’apprendre que parmi les pays du G7, c’est le Canada qui compte le plus grand nombre de musulmans tués.

L’attitude envers les musulmans a-t-elle changé récemment ou au cours des dernières années? J’habite à Toronto et je peux certainement sentir que le discours a changé ces dernières années. Avez-vous le même sentiment pour vos communautés?

M. Khan : Oui. Je ne veux pas faire de politique, mais ce qui s’est passé il y a quelques années au sud de la frontière, lorsque l’administration de notre plus grand voisin — les États-Unis — dressait ouvertement les gens les uns contre les autres et, dans une certaine mesure, a légalisé le racisme, a eu un effet majeur sur le Canada aussi. Depuis, personnellement, à Moncton, j’ai vu une augmentation des cas de crimes haineux, d’islamophobie et de gens se faisant interpeller simplement en raison de leur religion. Je pense que les choses ont changé, surtout au cours des cinq ou six dernières années.

Mais il n’y a pas que cela. J’écoutais un professeur de Toronto. Il donnait des statistiques sur la façon dont l’extrême droite est passée de quelques organisations à environ 200 organisations. Il s’agit assurément là d’une autre préoccupation, surtout lorsque nous parlons d’islamophobie : la montée de la droite. Les gouvernements doivent faire quelque chose à ce sujet. C’est une préoccupation dans nos communautés.

M. Yousri : Les chiffres en disent plus que tout ce que peuvent montrer les statistiques sur l’augmentation de ces incidents. Autre fait à mentionner, il s’agit d’incidents signalés. Or, nombre d’incidents ne le sont pas, principalement parce que de nombreux membres de la communauté musulmane ne voient pas vraiment d’actions de la part des gouvernements lorsqu’ils les signalent. La communauté en général ne fait pas du tout confiance aux autorités, parce qu’elle voit que les signalements d’incidents ou de problèmes ne mènent à rien. J’ai tenté de travailler sur cet enjeu d’arrache-pied, de créer des ponts entre la communauté et les autorités. Voilà pourquoi nous parlons de l’importance d’avoir des définitions claires de l’islamophobie, des crimes haineux et des discours haineux. Sans cela, il y aura toujours un grand écart entre ce qui est signalé et consigné et la réalité sur le terrain.

La présidente : Souhaitez-vous ajouter quelque chose, monsieur Hanout?

M. Hanout : Je n’ai pas grand-chose à ajouter pour le moment. Je crois que M. Khan et l’imam Yousri ont couvert tout ce que j’aurais voulu dire, si ce n’est qu’il y a des agressions considérables qui doivent être signalées et qui nécessitent des mesures plus importantes.

Cela dit, il existe aussi des microagressions, notamment envers les femmes musulmanes qui portent le hidjab. Certains individus ont des penchants islamophobes — on parle de microagressions qu’on ne peut pas vraiment saisir. Par exemple, disons qu’une femme portant le hidjab entre dans un magasin pour acheter quelque chose. À la caisse, le caissier sourit joyeusement à chacun. Cependant, lorsque c’est au tour de la femme portant le hidjab de payer, le caissier devient brusque. Puis, il se remet à sourire chaleureusement au client suivant. Il est difficile de signaler ce type de microagression, mais elles sont un signe de quelque chose qui ne va pas. Les femmes musulmanes qui portent le hidjab sont les plus exposées à de tels incidents, car elles sont plus visibles.

La présidente : Merci, monsieur Hanout. Vous avez parlé de microagressions et nous parlons de l’exclusion des gens, chose dont nous avons entendu parler tout au long de notre voyage au pays.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je voulais juste comprendre et savoir ce que vous pensez du rôle des médias. Les témoins que nous avons rencontrés avant vous ont beaucoup parlé des médias qui accentuent les comportements islamophobes dans leurs déclarations et leurs prises de position, qui sont souvent liées à la liberté d’expression ou qui la défendent. Qu’en pensez-vous? Quelle est votre relation avec les différents médias dans vos régions respectives?

[Traduction]

M. Yousri : Je dirais que nous faisons aussi de notre mieux pour être positifs lors de nos interactions avec les médias. Je voudrais souligner un reportage que nous avons fait avec CTV News il y a deux jours qui faisait suite au passage de l’ouragan Fiona en Nouvelle-Écosse et au Canada atlantique, tempête dont vous avez tous entendu parler. Ce reportage portait sur 20 filles portant le hidjab — nos étudiantes — ainsi que nos garçons qui ont servi mille repas dans les deux jours qui ont suivi l’ouragan à la population qui a été affectée par la tempête et qui n’avait pas d’électricité. CTV News a fait un reportage puissant sur cette histoire de partage.

Avec tous ces incidents et événements qui se produisent, nous faisons de notre mieux pour être positifs lorsque nous parlons aux médias. Nous les invitons chez nous afin qu’ils voient le travail que nous accomplissons et qu’ils fassent état de cette vision du travail de la communauté musulmane auprès de nos voisins et de la communauté en général. Nous croyons vraiment que cela peut aider à démanteler des idéologies et des problèmes d’islamophobie dans la communauté. Nous constatons une réponse immédiate lorsque de telles histoires se retrouvent dans les médias.

Au cours des trois dernières années, il y a eu plus de 50 ou 60 reportages du genre à divers moments — pendant les moments difficiles de la COVID ou après —, qui traitaient des contributions de la communauté musulmane, des immigrants et des nouveaux venus dans la communauté générale et de leur intégration au sein de celle-ci. Tout cela est mis en lumière dans les médias. Nous soutenons aussi vraiment le travail que font nos collègues dans les médias pour mettre de telles histoires en exergue. Merci.

La présidente : Merci. Quelqu’un désire-t-il ajouter quelque chose à ce sujet?

M. Khan : Oui, brièvement. En ce qui concerne les médias canadiens, je crois que nous sommes chanceux qu’ils prônent, somme toute, assez la diversité et l’inclusion. Je ne vais pas m’avancer sur d’autres médias étrangers, surtout sur ceux aux États-Unis, entre autres. Cela dit, certains médias ont une attitude agressive de temps en temps.

Par exemple, un journal local du Nouveau-Brunswick a publié une caricature de ce qui ressemblait à un homme musulman traînant une femme. Cela a créé tout un scandale. Je pense que cela a suscité beaucoup de réactions négatives. Je crois qu’ils se sont excusés.

Les médias doivent transmettre leurs messages avec sensibilité. Ils doivent énoncer clairement ce qu’ils tentent d’illustrer et éviter les généralisations qui donnent l’impression qu’un musulman fait quelque chose de mal, parce que cela encourage l’islamophobie. Leur message devrait être clair. Le message d’une caricature ou d’un article n’est pas nécessairement clair, et s’il ne l’est pas, alors les gens prendront cela comme une déclaration générale sur les musulmans, ce qui engendrera de l’islamophobie. Je pense que les médias doivent faire preuve d’une grande sensibilité dans leur travail. C’est une chose.

Outre cela, personnellement, je n’ai rien à dire contre les médias. Ils nous ont soutenus. Lorsque nous avons besoin d’eux, nous les contactons et ils nous répondent.

La présidente : Aimeriez-vous dire quelque chose, monsieur Hanout?

M. Hanout : Je ne crois pas avoir grand-chose à ajouter à cet égard. Nous avons eu de bons contacts avec les médias locaux. Ils nous contactent continuellement et cherchent à couvrir nos célébrations locales. Je travaille à Terre-Neuve aussi. Les médias locaux là-bas m’ont contacté pour couvrir certaines de nos célébrations locales. Cela ne me pose pas particulièrement problème.

Bien sûr, les médias doivent se tenir à la même distance de toutes les composantes de la société canadienne et faire preuve de sensibilité lorsqu’ils publient quelque chose; ils doivent réfléchir aux conséquences possibles de leurs publications, à ce qui pourrait se produire s’ils dépeignaient un certain groupe de façon défavorable. Cela peut engendrer de réelles conséquences et nuire à ce groupe en question. J’approuve ce qui a été dit à ce sujet.

La présidente : Merci. En ce qui concerne les médias, on est au fait de la représentation des musulmans dans les médias grand public — que ce soit à la télévision ou dans les films. On a entendu le terme « terroristes islamistes », mais on n’entend pas ce genre de choses lorsque l’on parle de la foi de ceux qui sont de confession autre et qui commettent des actes de terrorisme. On l’a entendu. Nous voulons simplement le dire aux fins de compte rendu dans le contexte du rôle des médias.

Je parcourais les médias sociaux aujourd’hui, et j’ai vu quelque chose sur une journaliste à Toronto qui porte le hidjab. Quelqu’un a écrit sur Twitter que son hidjab le rendait très mal à l’aise. Je me suis demandé ce qu’elle avait pu dire ou faire pour le rendre mal à l’aise. Nous vivons au Canada, et la majorité d’entre nous se couvrent la tête en hiver. Cela ne devrait pas être un élément générateur de malaise à lui seul.

Je profite de l’occasion pour remercier tous nos témoins d’avoir comparu devant nous. Votre témoignage nous aidera à rédiger notre rapport sur cette étude. La sénatrice Jaffer a brièvement évoqué les recommandations que nous allons faire au gouvernement. C’est le processus habituel à la fin de chaque étude. Si vous avez l’impression d’avoir oublié quelque chose ou si vous souhaitez ajouter quoi que ce soit, n’hésitez pas à contacter le greffier.

Honorables sénateurs, je vais maintenant vous présenter notre deuxième groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à s’en tenir à des remarques liminaires de cinq minutes. Nous passerons à la période de questions avec les sénateurs après coup.

Nous accueillons tout d’abord Adil Afzal du Canadian Muslim Chaplain Organization, ou CMCO, expert principal en politique et islamophobie. Se joint également à nous Amina Abawajy, conseillère en éducation et spécialisée dans les services des droits de la personne et de l’équité à l’Université Dalhousie.

Je cède maintenant la parole à M. Afzal pour ses remarques liminaires.

Adil Afzal, expert principal en politique et islamophobie, Canadian Muslim Chaplain Organization : Merci, madame la sénatrice. [mots prononcés dans une autre langue] Au nom du Créateur, Dieu, Allah — le gracieux, le très miséricordieux —, je commence par la salutation de paix musulmane. Salaam Alaikum, que la paix soit avec vous. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, d’avoir entrepris une si grande quête pour étudier l’islamophobie au Canada. Si Dieu le veut, vos efforts collectifs contribueront à son démantèlement.

Je tiens à prendre le temps, alors que nous nous réunissons par vidéoconférence de partout au pays, de rendre hommage aux Premières Nations et de reconnaître que les terres de notre grande nation font partie du foyer ancestral des peuples autochtones — Métis, Cris, Pieds-Noirs, Sioux Nakota, Iroquois, Dénés, Ojibwé, Saulteaux, Anishinabes, Inuits et bien d’autres auxquels nous sommes liés par traité et qui sont les gardiens traditionnels de ce territoire.

Je m’exprime aujourd’hui à titre d’expert principal en politique et islamophobie du Canadian Muslim Chaplain Organization, ou CMCO. Notre organisation a servi de défenseur, de contributeur aux politiques, de ressource communautaire, de soutien spirituel et d’aumônier pour les musulmans à travers le Canada, tout en créant des ponts entre les musulmans et les non-musulmans par le biais de programmes interconfessionnels, de sensibilisation et de renforcement des capacités.

Je suis aussi ici au nom du Sheikh Mohamed Yaffa du Centre for Islamic Development de Halifax. Le Sheikh Yaffa est un aumônier du CMCO, et nous travaillons de concert sur l’enjeu de l’islamophobie dans les provinces de l’Atlantique.

J’ai également le privilège de servir les Canadiens de confession musulmane depuis près de 20 ans. J’ai assumé différents rôles, dont celui de membre du conseil d’administration d’une mosquée, d’aumônier, de conseiller en matière de programmes et de politiques pour les écoles islamiques et de nombreux postes de direction au sein de l’Association des étudiants musulmans, dont président.

Mon expertise en matière d’islamophobie découle de mon expérience personnelle, étant né et ayant grandi au Canada, et de l’expérience de ma communauté musulmane, qui soutient et défend les enfants, les jeunes et les adultes confrontés à l’islamophobie, que ce soit de l’école primaire à l’université ou en défendant les accommodements religieux dans les hôpitaux, les prisons, les universités, les services gouvernementaux, les services de police, ou en soutenant des victimes d’islamophobie — ce peut être des musulmans racisés, catégorisés selon leur genre, ou même visibles tels que les femmes qui portent le niqab ou le hidjab ou encore les hommes qui se laissent pousser la barbe, ou portent la dishdasha, le shalwar kameez ou le kufi, qui est un couvre-chef que portent les hommes musulmans.

Ma vision à multiples facettes de l’islamophobie me vient de mon expertise dans le milieu du droit, de la sociologie, de la politique publique et des affaires. Je suis titulaire d’un baccalauréat ès arts, avec mention, en sociologie, d’une maîtrise en administration publique, d’une maîtrise en administration des affaires, d’un doctorat en droit et d’une maîtrise ès arts en sociologie; ma thèse et mes projets de recherche portaient sur l’étude de l’islamophobie et du discours médiatique. Le titre de ma thèse était Islamophobia, Phantasmagoria: A critical discourse analysis of Islamophobia in Canadian newspapers.

Mes recherches m’ont permis de comprendre comment l’islamophobie est construite et perpétrée dans les médias, en partant de la construction du discours médiatique jusqu’aux méthodes clés pour établir le récit dominant.

L’islamophobie est principalement construite dans le discours médiatique selon trois aspects de ce dernier. Il s’agit des choix lexicaux, des présomptions et de la collocation.

Les choix lexicaux sont habituellement des choix de mots utilisés dans les titres qui ne se contentent pas de transmettre les faits de l’histoire, mais créent aussi des images dans notre esprit. Disons, par exemple, que l’immigration a augmenté de 2 % au Canada. Ce ne sera pas ça, le titre. On lira plutôt : « Des flots d’immigrants entrent au Canada, nos ressources submergées ». En lisant cela, les gens ont donc l’impression qu’une vague d’immigrants arrive au Canada et en sape les ressources. Cela aura une influence permanente sur l’interprétation cognitive des histoires et de la réalité des gens.

Les présomptions, elles, sont subtiles. On pourrait avoir un titre tel que : « Les femmes musulmanes se libèrent et jouent leur premier match de soccer ». La présomption, c’est qu’elles ne sont pas libres et qu’elles ont dû se libérer de quelque chose qui les retenait. En général, la présomption fait référence à leur état naturel ou à leur communauté.

La collocation, de son côté, fait référence à des mots groupés. Ils pourraient se trouver dans un titre d’article de journal, également. Si l’on associe trop souvent les mots « terroristes » et « musulmans » par exemple, cela crée une association dans l’esprit du public. S’il entend l’un de ces mots, il pensera automatiquement à l’autre. Lorsque nous enseignons ou lorsque nous organisons des ateliers, nous demandons souvent aux participants : « Quel est le premier mot d’ordre religieux qui vous vient à l’esprit lorsque vous entendez le mot “paix” ou “zen”? » Souvent, les gens répondent « bouddhiste ». Par contre, si vous dites « terroriste », ils répondront « islam » automatiquement, parce que ces deux mots ont été si étroitement associés par collocation.

Les médias contribuent également au récit dominant une fois le discours islamophobe construit, et ce, de trois manières. Le premier moyen, c’est la valeur médiatique. Il s’agit d’une sélection. Les médias d’information choisissent les histoires à raconter ou non. Le deuxième moyen, c’est le cadrage, c’est-à-dire la façon dont ils présentent ces histoires, que ce soit l’image qui les accompagne ou la manière dont le titre est rédigé. Le troisième moyen, c’est l’établissement du calendrier, soit la prévalence de ces nouvelles. À quelle fréquence seront-elles diffusées? Combien de temps y consacrera-t-on? Sur combien de plateformes seront-elles publiées?

Je peux vous donner un exemple. Les auteurs d’attentats musulmans sont susceptibles d’être identifiés comme des terroristes et des êtres ayant des motifs plus violents. Les médias feront état de liens avec des réseaux terroristes plus imposants, parleront de schémas d’ensemble de violence idéologique et les étiquetteront par leur identité religieuse et ethnoraciale — comme l’ont mentionné de nombreux sénateurs plus tôt. Par exemple, une étude du Globe and Mail menée par Yasmin Jiwani, une professeure de communication à l’Université Concordia, a trouvé 66 articles sur le seul cas du féminicide de la famille Shafia — qui a été largement représenté comme un crime d’honneur —, mais seulement 59 sur le meurtre de femmes et la violence conjugale dans les grands médias de 2005 à 2012.

La tuerie à la grande mosquée de Québec en janvier 2017 n’a fait l’objet que d’environ cinq minutes de temps d’antenne dans l’émission d’information phare de la CBC, le National, la nuit où elle s’est produite, alors que les attaques dans un quartier londonien au Royaume-Uni en juin de la même année ont quant à elles fait l’objet de plusieurs heures de reportages et de commentaires en direct.

J’aimerais aborder quatre autres points : la définition ou la conceptualisation de l’islamophobie, la réalité multicouche et intersectionnelle de l’islamophobie, la notion problématique du « musulman modèle » et les stratégies et les solutions politiques.

Tout d’abord, je voudrais parler des définitions et des concepts. C’est souvent le principal obstacle, la source des divergences lorsqu’il s’agit de définir l’islamophobie. C’est très regrettable, car lorsque vous examinez d’autres problèmes sociaux comme l’antisémitisme ou l’homophobie, vous ne voyez pas ce type de paralysie sur le plan de l’analyse. On ne voit pas ce type d’accent mis sur le terme technique, qui devient peu à peu un obstacle à la résolution du problème. Par exemple, l’antisémitisme suscite des questions sur le plan technique. Tous les Juifs ne sont pas des sémites, et tous les sémites ne sont pas des Juifs, mais nous n’avons aucun problème à utiliser ce terme pour désigner la réalité sociale de la discrimination, des préjugés et des obstacles auxquels les Juifs sont confrontés dans ce pays.

Lorsque l’on examine le terme « islamophobie » et que l’on essaie d’en faire un concept, on constate souvent qu’il est « racisé » ou associé à la haine des musulmans, etc. Je veux arriver à un niveau de compréhension plus fondamental, et cela pourrait aider à comprendre comment on en arrive à la haine et au racisme que l’on connaît.

Premièrement, lorsque je cherche à conceptualiser l’islamophobie, je me la représente comme une problématisation de l’identité et de l’action des musulmans. Qu’est-ce que j’entends par « problématiser »? C’est le fait de dévaloriser la capacité des musulmans à appartenir et à être et, plus important encore, c’est le fait de créer une barrière. Vous créez un problème à partir de l’identité même d’un musulman, de tous les repères qui l’accompagnent et de la capacité d’action d’un musulman qui essaie de défendre ses intérêts ou de participer à une démocratie en accédant au pouvoir, en étant peut-être une autorité décisionnelle, etc.

Une grande partie de la problématisation de l’identité et de l’action musulmanes prend la forme d’une méfiance, d’une inquiétude et d’une suspicion à l’égard des musulmans, au point où si un musulman tente de se présenter à un quelconque poste politique, il est souvent considéré comme faisant partie de la cinquième colonne ou comme ayant un programme subreptice et néfaste. Des termes tels que l’« avance furtive de la charia » sont utilisés. Il s’agit d’un langage codé dont on se sert pour montrer que la communauté musulmane a une sorte de plan secret.

Je conclurai en disant que le fait de percevoir ce concept à travers le prisme de la société à risque aide vraiment à comprendre cette problématisation au-delà de la simple haine et du racisme.

Le sociologue Ulrich Beck a étudié la manière dont la modernisation a amené les sociétés à s’organiser en fonction du risque. Souvent, la désinformation qui court dans les médias au sujet des musulmans aggrave les résultats de l’évaluation du risque que le public en fait. Par conséquent, bien des comportements que les Canadiens adoptent visent à atténuer ce risque, pas nécessairement parce qu’ils détestent leur voisin musulman ou parce qu’ils savent qu’il est un terroriste, mais parce que la désinformation qu’ils reçoivent noircit leur évaluation du risque à l’égard de cette personne. C’est dès lors ce que guidera leur comportement et les amènera à commettre ces microagressions : exclusion, discrimination, préjugés et violence.

J’espère que cela résume la situation. Je pourrai entrer dans les détails au moment de répondre aux questions.

La présidente : Merci. Madame Abawajy, je me tourne vers vous pour votre présentation.

Amina Abawajy, conseillère en éducation, Services des droits de la personne et de l’équité, Université Dalhousie, à titre personnel : Salaam Alaikum — que la paix soit sur vous. Bonsoir, et merci de me donner l’occasion de m’adresser aux membres du Sénat aujourd’hui afin de parler de l’islamophobie.

Je tiens à préciser que je m’adresse à vous depuis le territoire traditionnel, non cédé et non abandonné des Micmacs. Je m’appelle Amina Abawajy. Je suis conseillère en éducation aux Services des droits de la personne et de l’équité de l’Université Dalhousie et présidente de la Global Humanitarian Initiative Association. Je suis également étudiante à la maîtrise en éducation.

Aujourd’hui, je vous parlerai en tant que membre de la communauté et défenderesse qui s’intéresse de près aux réalités actuelles des musulmans et à la façon dont nous pouvons passer de la survie à un avenir prospère et plein d’espoir. Je m’appuierai sur des expériences vécues et des perspectives féministes, ainsi que sur la littérature et la recherche. Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont précédée et qui ont ouvert la voie pour que nous puissions avoir ces importantes conversations, lesquelles me permettent de réfléchir et de me renseigner sur ma propre réalité de femme noire musulmane.

Comme vous l’avez certainement entendu, l’islamophobie sévit dans tout le pays. Elle ne s’arrête pas aux frontières, mais constitue plutôt un problème mondial. Lorsque je parle d’islamophobie, je fais référence à la haine ou à la peur des musulmans, de l’islam ou de ceux qui sont perçus comme musulmans ou pratiquants de l’islam. Les frontières de l’islamophobie vont au-delà de nos frères et sœurs musulmans et s’étendent également, par exemple, à nos frères sikhs, qui sont souvent pris pour des musulmans ou perçus comme tels.

Pour optimiser les cinq minutes que j’ai, je me concentrerai sur l’islamophobie vécue par les musulmans et j’insisterai sur la façon dont l’éducation peut être un outil puissant pour faire échec à l’islamophobie.

Selon le Conseil national des musulmans canadiens, depuis l’attentat de 2017 contre la mosquée de Québec, les crimes haineux à l’endroit des musulmans ont augmenté, et la haine en ligne crée un environnement de peur et de division. Sunera Thobani, professeure d’études asiatiques à l’Université de la Colombie-Britannique, affirme que l’islamophobie et la rhétorique antimusulmane ont été une caractéristique constante de la vie politique canadienne depuis le 11 septembre 2001. Selon Global News, les statistiques et les enquêtes montrent que les crimes haineux signalés contre les musulmans ont augmenté au Canada après 2011 et, bien que le nombre de signalements ait fluctué au cours des 20 dernières années, il n’est jamais redescendu au niveau d’avant le 11 septembre.

Nous savons que l’islamophobie ne s’est pas formée spontanément, mais qu’elle a été alimentée par la désinformation, l’action — et l’inaction — politique et les mouvements suprématistes blancs. L’islamophobie noircit les traits de marginalisation qui existaient déjà. Il est particulièrement important d’aborder et de mettre en lumière les expériences des personnes qui choisissent de porter le hidjab ou le niqab ainsi que celles des musulmans noirs en tant que musulmans particulièrement visibles qui subissent une islamophobie plurielle et intersectionnelle.

Qu’il s’agisse de microagressions ou de macroagressions, de violences physiques, de meurtres, d’insultes verbales, de vandalisme ou de graffitis, ces formes d’islamophobie ont une incidence profonde sur les personnes visées et sur la communauté en général. Je me souviens très bien de ce que j’ai ressenti lorsque j’ai appris la nouvelle des meurtres commis à la mosquée de Québec. Bien que je n’aie aucun lien personnel avec ces personnes, j’ai ressenti de la douleur et de la tristesse pour les membres de notre communauté qui ont péri et j’ai eu peur de ce que cela signifiait pour ma communauté à moi et pour mes proches. Je sais que nous sommes nombreux à l’avoir vécu de cette façon.

Je me souviens qu’à l’époque, je faisais partie de la Dalhousie Student Union et que j’ai reçu de méchants courriels islamophobes. Permettez-moi d’en citer une ligne, en référence au massacre : « Les musulmans ont eu ce qu’ils méritaient, eux et leur fausse religion. » Je me souviens avoir reçu plusieurs messages vocaux islamophobes similaires après avoir organisé une veillée sur le campus afin de permettre à notre douleur collective de s’épancher après le massacre. Ce ne sont là que quelques exemples, et je parle de mes expériences, mais il existe beaucoup de manifestations d’islamophobie, signalées ou non.

Je voudrais changer de sujet pour parler du rôle essentiel que l’éducation peut jouer pour faire échec à l’islamophobie. Comme je l’ai mentionné, je travaille et étudie dans ce domaine, et je suis vraiment passionnée par les possibilités de transformation qu’offre l’éducation. J’aimerais l’examiner sous deux angles : celui d’une éducation anti-islamophobe exhaustive et celui d’une éducation visant à donner aux musulmans les outils nécessaires pour naviguer dans une société islamophobe.

Il est impératif que nous entreprenions une campagne d’éducation globale contre l’islamophobie afin de dissiper les stéréotypes et les mythes, et pour nommer et éradiquer les causes profondes de l’islamophobie. Il faut que cette campagne soit intégrée aux politiques et qu’elle puisse être déployée à grande échelle sur les lieux de travail, dans les établissements d’enseignement ainsi que dans les lieux de loisirs et les espaces communautaires. Étant donné que l’islamophobie est à ce point répandue, nous avons besoin de ressources pour créer davantage d’outils qui pourront nous aider à nous doter du langage et des outils nécessaires pour naviguer dans ces situations difficiles.

Pour conclure, j’aimerais humblement proposer quelques réponses que le gouvernement pourrait mettre en œuvre.

Premièrement : lancer une campagne anti-islamophobie complète et éducative qui se concentre sur les expériences vécues par les musulmans, avec un accent particulier sur les musulmans visibles.

Deuxièmement : augmenter le financement d’organismes comme le Conseil national des musulmans canadiens et autres qui font ce travail particulier de faire échec à l’islamophobie sous diverses formes depuis des années.

Troisièmement : élaborer des lois assorties de mécanismes qui répondent spécifiquement aux discours haineux et à l’islamophobie avant que ces derniers n’atteignent le seuil élevé de crime haineux.

Quatrièmement : investir dans des outils et des programmes communautaires misant sur la résilience, l’identité et le renforcement de la communauté.

Je vous remercie de votre temps.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux pour vos présentations.

Monsieur Afzal, vous avez donné beaucoup de détails et vous avez abordé de nombreuses questions. Je vous demanderais humblement d’envisager de nous remettre un document sur toutes les choses que vous avez dites. Je suis sûre que cela aidera nos analystes aussi parce que vous avez une grande connaissance de la question. Cela nous serait très utile.

Cependant, je vais vous amener à quelque chose de complètement différent. Vous êtes associé à la Canadian Muslim Chaplain Organization, ou l’organisation des aumôniers musulmans du Canada. Est-ce que vous vous rendez dans les prisons?

M. Afzal : Oui, je vais dans les prisons.

La sénatrice Jaffer : A-t-il été facile pour vous d’y avoir accès?

M. Afzal : Au début, c’était facile, mais c’est rapidement devenu difficile, surtout lorsque nous avons commencé à travailler sur les accommodements à l’intention des prisonniers.

Ce dont je m’occupais plus particulièrement, c’était du Centre psychiatrique régional. Je sais que Sheikh Yaffa s’occupait de ce qui se passait du côté d’Halifax.

Le Centre psychiatrique régional est une prison régionale de la Saskatchewan. Pour clarifier, l’endroit accueille également des détenus de l’Est. Il est surtout utilisé pour les détenus à risque élevé qui ont des problèmes de santé mentale.

Dans cette prison, nous avons remarqué qu’il était très difficile d’obtenir des accommodements pour les détenus. Souvent, plusieurs personnes vous rencontraient, vous décourageaient et vous disaient, par exemple : « Une personne s’est convertie à l’islam. Il voulait obtenir un accommodement pour la nourriture halal. Ils ne voulaient pas vraiment faire cela. » Ils essaient presque de vous contraindre à dire : « Vous savez quoi? N’approuvez pas cela. La personne fait semblant. Elle veut juste un repas différent. Elle n’est pas habituée à cette autre nourriture. Elle veut changer de repas. » Ils avaient ces conversations à la dérobée pour saper les accommodements.

Puis nous avons remarqué que, lentement, il devenait de plus en plus difficile de réserver nos heures de visite. Il était souvent très difficile d’obtenir des changements de politique pour la nourriture halal. Il fallait passer par de multiples réunions, et rien ne se faisait. C’était un processus très frustrant.

La sénatrice Jaffer : [Difficultés techniques] les prisons au Canada, et les problèmes que j’ai entendus de la part des prisonniers musulmans — je vais simplement vous les lire. L’un d’eux concernait la nourriture halal et comment des choses qu’ils ne mangent pas, comme le porc, étaient délibérément mises dans leur nourriture, etc. Les produits capillaires étaient un gros problème. Les produits capillaires et les produits pour la peau destinés aux prisonniers étaient beaucoup plus nombreux dans le magasin que les produits utilisés par les prisonniers blancs.

Il y a aussi le temps de la prière. Le tapis de prière était caché, découpé et des choses comme cela. Ce sont toutes des choses que vous avez entendues. Bien sûr, il y a aussi l’accès aux aumôniers.

Est-ce que cela a été votre expérience? Pouvez-vous nous donner une recommandation, même si ce n’est pas nécessairement aujourd’hui?

C’est une partie de notre étude sur laquelle nous ne nous sommes pas beaucoup penchés, mais chaque fois que je suis allée dans des prisons, des prisonniers musulmans ont formé un groupe pour me parler. En fait, nous avons eu une fois un groupe, et nous leur avons parlé séparément à plusieurs reprises. C’est ce qu’ils disaient, que leur temps de prière et leur espace de prière n’étaient pas respectés. Bien sûr, l’accès aux aumôniers est pratiquement impossible.

J’ai utilisé presque tout mon temps pour m’expliquer. Je vous prie de donner une réponse brève, puis d’en fournir d’autres par écrit, car je pense que c’est un aspect de notre étude sur lequel nous devons également nous concentrer.

M. Afzal : Bien sûr, merci beaucoup, madame la sénatrice. Je vais essayer d’être aussi rapide que possible.

Je vais vous parler de quelque chose qui ne prendra qu’une minute ou moins. Il s’agit d’une détenue en particulier. Elle n’avait parlé à personne — pas un mot — pendant trois ans. Pendant trois ans, elle n’avait pas parlé. Je suis venu à la prison pour effectuer une visite dans la section des femmes afin de donner quelques conseils et de voir quels accommodements étaient nécessaires. Cette femme m’a parlé. En fait, elle m’a parlé en ourdou. J’ai pu communiquer avec elle. Les gardiens de la prison étaient abasourdis. Imaginez un peu : il s’agissait d’une femme qui avait des problèmes de santé mentale et d’autres problèmes. On lui avait refusé l’accès aux aumôniers. Nous avons été les premiers à y entrer, finalement, après un bon bout de temps. Et même là, il était très difficile de fixer un rendez-vous et d’entrer.

Voilà l’effet que cela peut avoir sur un individu. Quelqu’un qui n’a pas parlé depuis trois ans... Cela change littéralement leur vie et cela peut avoir une incidence énorme sur les taux de récidive et sur la santé mentale en amont.

Pour ce qui est des recommandations, je dirais la formation. Nous en avons déjà parlé. C’est un gros problème et cela ne fait aucun doute. Il faut une politique claire sur les aliments halal et les autres enjeux.

La troisième recommandation, qui me semble très importante, concerne les statistiques, la recherche ainsi que le suivi ultérieur en la matière. Nous perdons les données. Malheureusement, cela arrive souvent. Les plaintes et tout ce qui s’ensuit ne sont pas enregistrés. Ces incidents ne sont pas consignés. Les problèmes que les aumôniers traitent ne sont pas répertoriés. Tout se perd au bout d’un an ou deux.

Ce sont mes recommandations.

La sénatrice Jaffer : Puis-je respectueusement demander si vous êtes en mesure de parler à d’autres aumôniers? Je vais d’ailleurs peut-être proposer à la présidente d’organiser une réunion uniquement avec les aumôniers parce que c’est un problème très sérieux dans les prisons. L’islamophobie y est très présente. Je vous demanderais d’y réfléchir et d’indiquer au greffier si c’est quelque chose qui pourrait se faire.

M. Afzal : Certainement.

La sénatrice Jaffer : Madame la présidente, je vais participer à la deuxième série de questions.

La présidente : Je vous y inscris.

J’aimerais clarifier quelque chose. Lorsque vous avez dit que la femme n’avait pas parlé, était-ce à cause de la langue? Dans la négative, est-ce qu’elle s’est mise à parler seulement parce qu’elle pouvait s’identifier à vous lors de votre visite? De toute évidence, elle était musulmane et elle s’est donc sentie suffisamment à l’aise pour vous parler.

M. Afzal : Au début, je pensais que c’était une question de langue, mais une fois que j’ai commencé à lui parler, j’ai vu qu’il s’agissait essentiellement de la discrimination qu’elle avait ressentie pendant qu’elle était là. Par exemple, plusieurs années auparavant, elle avait un Coran qui lui avait été donné à la prison. Or, ce Coran a été profané et jeté quelque part, et elle l’a perdu.

La première chose qu’elle m’a demandée, en fait — vous le savez peut-être —, c’est un recueil de sourates. Ce n’est pas le Coran complet, mais une sélection de chapitres que beaucoup de gens du sous-continent indien essaient de réciter dans leurs invocations.

Son silence se fondait sur une profonde méfiance à l’égard du système.

La présidente : Merci. Comme je suis originaire du Pakistan, je sais ce qu’est un recueil de sourates. La majorité d’entre nous en avons un sur nous. Quand vous n’avez pas le Coran sur vous, vous avez un recueil de sourates. Merci.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup aux deux témoins.

Le gouvernement fédéral a annoncé qu’il allait nommer un représentant spécial chargé de la lutte contre l’islamophobie. Cette personne agira en tant que championne, conseillère, experte et représentante auprès du gouvernement du Canada de manière à canaliser les efforts consacrés à la lutte contre l’islamophobie, à abolir les obstacles qui se dressent devant les communautés musulmanes et à informer la population sur les diverses identités intersectionnelles des musulmans vivant au Canada. Il s’agit d’aspects que nous étudions, bien sûr.

Étant donné que l’appel de candidatures pour ce poste est toujours en vigueur, quelles sont selon vous les qualités stratégiques que cette personne devrait posséder? Croyez-vous que ce poste sera un outil efficace ou un point de départ important dans la lutte contre les phénomènes systémiques de l’islamophobie et de la haine envers les musulmans? Avez-vous des remarques supplémentaires à formuler par rapport à ce poste?

La présidente : Sénateur Ravalia, veuillez m’excuser. Je préciserais que l’on a mentionné que quelqu’un serait nommé il y a un an et demi de cela, voire un peu plus, donc je ne sais pas à quoi ce retard est dû.

Le sénateur Ravalia : Nous attendons tous avec impatience cette nomination que la communauté musulmane voit comme un possible catalyseur. Nous continuons d’attendre, mais vos idées quant à ce type de poste seraient les bienvenues. La question s’adresse à vous deux. Merci.

M. Afzal : Mme Abawajy devrait peut-être répondre en premier, puisque j’ai déjà pris la parole.

Mme Abawajy : D’accord.

Je salue cette décision du gouvernement. Je crois qu’elle est louable. Les communications connexes pourraient sans doute être améliorées, car c’est la première fois que j’en entends parler, ce qui est vrai pour bien des choses. Les communications jouent vraiment un rôle clé dans les efforts de sensibilisation, et c’est un aspect auquel on devrait s’intéresser sérieusement.

Il est fâcheux d’apprendre qu’il y a du retard, mais j’ai espoir que le poste sera doté bientôt.

Pour ce qui est des qualités que j’estime importantes, eh bien, le vécu est très important. Un lien avec les communautés musulmanes locales est très important. Une compréhension de l’intersectionnalité est importante, surtout en ce qui a trait à l’importance de souligner les facteurs croisés applicables aux musulmans des minorités visibles, car ils vivent souvent une islamophobie exacerbée.

Il est aussi important que le rôle comprenne un volet éducatif. Sensibiliser la population et déboulonner certains stéréotypes et mythes constituent des aspects centraux du travail qui doivent être menés pour faire disparaître l’islamophobie.

Je vais m’en tenir à cela.

Le sénateur Ravalia : Merci.

M. Afzal : Je pourrais peut-être ajouter un point ou deux.

L’un des éléments clés à saisir, c’est qu’il ne s’agit pas simplement d’islamophobie ou d’islamophobie intersectionnelle, mais bien d’islamophobies à différents degrés selon que vous adoptiez une vue d’ensemble ou ciblée. L’islamophobie se manifeste sur différents plans, qu’ils soient idéologique, politique, médiatique et public, voire institutionnel, ce qui comprend les problèmes systémiques au sein du marché du travail, des écoles, du système de justice, des prisons, des hôpitaux et j’en passe.

Au milieu du spectre, il y a les groupes haineux et les industries de l’islamophobie, c’est-à-dire des groupes qui tirent concrètement profit de la propagation d’un discours islamophobe. À la fin du spectre, il y a la vue ciblée, celle du système pénal, avec les crimes haineux, les crimes violents, les interactions personnelles et les préjugés par rapport aux risques, comme je l’ai dit précédemment.

Enfin, l’une des choses fondamentales à comprendre, et je tiens à répéter ce qu’a dit Mme Abawajy, c’est qu’il est très important de s’intéresser aux musulmans des minorités visibles. Il faut aussi éviter de tomber dans le piège de ce que l’on appelle le « musulman modèle ». On peut voir dans beaucoup de publicités une sœur, une musulmane, qui porte un hidjab de couleur dans une campagne sur la diversité. On voit beaucoup ces images. Mme Marvel est un autre exemple. Les gens sont fiers que les musulmans soient représentés dans les médias et ailleurs. C’est une bonne chose. Mais c’est aussi source de préoccupations, dans le sens où, lorsque l’on crée un « musulman modèle », ce qui se produit, c’est que les femmes qui portent un hidjab de couleur sont vues comme des musulmanes qui ne posent aucun risque. Celles qui portent le niqab ou un hidjab noir, en revanche, sont à craindre.

Voilà le type de regard critique qu’un expert et représentant spécial doit avoir en plus de pouvoir établir un lien de confiance avec la communauté musulmane. Au bout du compte, le véritable changement viendra de l’habilitation de la communauté musulmane à assumer un rôle de leader et à participer au déboulonnement de telles idées, à l’aide de ses alliés et en œuvrant de pair avec le gouvernement.

La présidente : Merci. Sénateur Ravalia, souhaitiez-vous poser une question complémentaire?

Le sénateur Ravalia : C’est peut-être un peu présomptueux de ma part, mais je me demande si vous avez des idées ou connaissez de possibles candidats qui conviendraient à un tel poste compte tenu du travail que vous faites. Vous êtes tous les deux très actifs dans le milieu universitaire et de la représentation croisée. Est-ce que des noms vous viennent à l’esprit? Peut-être préféreriez-vous vous abstenir?

La présidente : Je peux comprendre que vous n’ayez pas vraiment envie de nommer quelqu’un, à moins, bien sûr, que vous soyez à l’aise de le faire. Mais je peux sentir votre hésitation, ce qui est compréhensible.

M. Afzal : C’est une question difficile. Il y a des personnes qualifiées partout au pays. Même Mme Abawajy, ici présente, peut avoir un énorme impact quand on écoute ses réflexions et son vécu. Il y a pas mal de possibilités.

J’espère seulement qu’on ne verra pas dans cette nomination l’arrivée d’une sorte de superhéros, de Superman ou Superwoman, appelez-le comme vous le voulez, qui aura à porter le fardeau de la résolution de ce problème social. Si la personne n’y arrive pas au cours de la première année et que l’on ne voit aucun changement significatif, on en viendra à dire que c’est un échec et que toute l’initiative est un échec.

Il ne doit pas y avoir un seul représentant spécial, mais bien des représentants spéciaux. Il doit y avoir plus d’une personne. Cette pluralité est très importante, ne serait-ce que pour gérer la quantité astronomique de travail qui doit concrètement être fait pour lutter contre l’islamophobie.

La présidente : Merci. Madame Abawajy, vous avez soulevé un point que je passe mon temps à soulever moi-même, soit que, parmi les 1,5 million de musulmans, il y a assurément beaucoup de personnes compétentes. Pourquoi n’avons-nous pas trouvé quelqu’un plus tôt? Aussi, on a soulevé la question qu’il nous faudrait peut-être plus d’une personne. Comme vous l’avez dit, ce pourrait être une responsabilité trop grande pour une seule personne.

[Français]

La sénatrice Gerba : Monsieur Afzal, je trouve très intéressantes les associations que vous avez faites dans le cadre de votre thèse de doctorat avec les mots qui sont associés à l’Islam, les mots qui sont associés au bouddhisme, comme zen. Ce chapitre de votre thèse montre comment ces mots ont nui à l’Islam. Il serait intéressant de nous en faire part.

J’aimerais revenir sur les médias qui créent ces mots, qui les associent à l’image qu’ils veulent lier à l’Islam ou aux musulmans. Que croyez-vous que nous pourrions faire en tant que législateurs pour amener les médias à plus de responsabilités?

[Traduction]

M. Afzal : Selon moi, cela commence en prenant acte du passé. Dans la motion M-103, si vous consultez le rapport de Patrimoine canadien là-dessus, on recommande plus particulièrement de former les journalistes et d’adopter des règlements pour aider à endiguer ce problème.

Malheureusement, ce rapport date, si je ne m’abuse, de 2017-2018. Dans ces eaux-là. Aucune mesure n’a été prise depuis ces recommandations. Voilà où nous en sommes : beaucoup de rapports et de recommandations, mais très peu de mesures, de changements de politiques ou de programmes qui viennent appuyer le tout.

Nous devons avant tout procéder avec ce qui est déjà établi et ce qui a été recommandé. Nous devons former les journalistes. On doit envisager de la réglementation à cet égard, voire y lier le financement. Par exemple, vous pouvez obtenir des fonds du gouvernement canadien si vous êtes deux journalistes qui traitez surtout de nouvelles canadiennes. Ce financement devrait aussi être accompagné de certaines exigences, dont l’une devrait être, d’une part, une meilleure compréhension de la discrimination, du racisme, de l’islamophobie et ainsi de suite afin de veiller à ce que ces journalistes comprennent ces sujets délicats et, d’autre part, l’obtention de quelque formation connexe.

Des recommandations pourraient aussi être faites aux universités qui offrent des programmes en journalisme ou enseignent cette matière. Il pourrait être très utile que cela soit financé, ne serait-ce que sous forme d’une formation dans divers départements pour que les étudiants en apprennent plus sur l’islamophobie et la discrimination. La formation et la sensibilisation sont la clé.

Enfin, il faut avoir des agents pivots du changement, des personnes qui sont nommées à un poste pour favoriser ce changement. Le représentant spécial est l’une d’elles, comme nous venons d’en parler. Une fois en place, ces personnes peuvent tisser des liens avec les médias et les aider à progresser. Vous avez besoin de ces agents du changement, et vous devez aussi les soutenir.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci. Ma deuxième question s’adresse à Mme Abawajy. Madame Abawajy, vous nous avez parlé de la discrimination ou plutôt de l’islamophobie parmi les musulmans eux-mêmes. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur votre expérience à ce sujet?

[Traduction]

Mme Abawajy : Si j’ai bien compris, la question vise simplement à partager quelques expériences d’islamophobie.

La sénatrice Gerba : Oui, merci.

La présidente : Madame la sénatrice, voulez-vous dire au sein de la communauté musulmane?

La sénatrice Gerba : Elle a déclaré avoir de l’expérience avec l’islamophobie au sein de la communauté musulmane, plus précisément la communauté sikhe.

La présidente : Simplement pour clarifier, je crois que d’autres témoins y ont aussi fait allusion. Nous avons entendu des témoignages voulant que, au sein de la communauté musulmane, il y ait aussi des cas de racisme. Je crois qu’on a également mentionné le racisme que connaît la communauté sikhe, j’ai oublié dans quelle ville, parce que les gens ne peuvent pas faire la différence entre sikhs et musulmans, qui portent dans les deux cas la barbe. Je crois que c’est à cela qu’elle fait référence. Pourriez-vous nous en parler? Merci.

Mme Abawajy : Parfait. Merci énormément de m’avoir fourni des détails. Je peux parler de ma propre expérience en tant que Noire musulmane. Il y a sans contredit de la discrimination au sein de la communauté musulmane. Le colorisme et le racisme sont présents dans la communauté musulmane. Cela vaut aussi pour la communauté noire, où il y a de l’islamophobie. Donc, naviguer dans ces deux mondes est un défi.

Ici, en Nouvelle-Écosse, nous avons une communauté noire très grande et dynamique, de même qu’une communauté afro-néo-écossaise très grande qui est fortement structurée autour de l’Église. Beaucoup des activités et des programmes émanent de l’Église, ce qui exclut beaucoup de musulmans noirs comme moi.

En revanche, quand on parle d’expériences de racisme anti-Noirs au sein de la communauté musulmane, il y a des exemples courants comme de choisir de parler arabe quand on sait que quelqu’un ne parle probablement pas la langue pour ainsi l’exclure des échanges interpersonnels. Il y a des exemples plus systémiques, par exemple quand on pense aux campagnes de financement qui se déroulent à la mosquée. Elles visent souvent des pays du Moyen-Orient plutôt que des pays comme l’Éthiopie ou la communauté oromo, dont je fais partie et qui compte beaucoup de musulmans. Les efforts de collecte de fonds ne visent pas ces régions. Il doit sans manifestement y avoir beaucoup de discussions au sein des communautés et entre ses membres pour éliminer certaines de ces circonstances.

Comme je l’ai mentionné, l’islamophobie s’étend aussi aux membres à l’extérieur de la communauté musulmane. Mes pairs sikhs qui portent le turban et se laissent pousser la barbe m’en font souvent la remarque, puisqu’on les confond souvent avec des musulmans; ils se font dire de retourner chez eux, par exemple. Il peut aussi s’agir d’expériences d’islamophobie qui sont de nature xénophobe, mais qui peuvent tout à fait être qualifiées d’islamophobes. Ce sont quelque-uns des exemples qui me viennent en tête quand je pense à ces sujets.

La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins de leur présence. Nous avons des conversations fort intéressantes. J’étais très heureuse que vous abordiez le sujet des récits et des associations de mots. Ce sont des choses auxquelles nous devons tous penser, ainsi qu’à la façon de changer cela.

Je voulais poser une question à Mme Abawajy. J’étais vraiment heureuse de vous entendre parler des différentes choses auxquelles vous réfléchissez et sur lesquelles vous écrivez. Je constate que c’était un véritable agent du changement et modèle. En tant que féministe, vous a-t-on critiquée parce que vous êtes féministe et musulmane, et comment arrivez-vous à concilier ces deux réalités? Si vous préférez, il peut s’agir d’autres femmes féministes. S’agit-il de quelque chose que d’autres femmes et vous avez à gérer?

Mme Abawajy : Tout à fait. Mon premier emploi était dans un centre d’aide aux victimes d’agressions sexuelles relevant d’un organisme féministe. On m’a posé bien des questions sur les raisons qui m’ont poussée à devenir féministe, sur la façon dont j’ai pu prendre ma place dans ce cadre et ce qu’il m’a apporté. Donc, ce sont beaucoup de conversations sur le sens du féminisme, à déconstruire le féminisme et à essayer de le rendre plus inclusif et intersectionnel. Oui, on discute beaucoup de féminisme et de l’Islam en ce moment. Ce sont des conversations intéressantes.

La sénatrice Hartling : Je crois que c’est une conversation importante. Je suis heureuse que vous l’ayez mentionné. Merci beaucoup.

La présidente : Nous n’avons presque plus de temps. Je souligne que j’ai parlé de la question des prisonniers. Elle a été soulevée à Edmonton et à Toronto. On nous a dit qu’on avait retiré le financement. C’est simplement pour faire le lien avec la question de la sénatrice Jaffer.

Au début de cette étude, quand j’ai proposé de traiter de l’islamophobie au Canada, nous avons eu du mal. Plus nous progressons et plus je constate, tout comme les autres sénateurs, je crois, que l’islamophobie n’englobe pas adéquatement les problèmes qu’éprouvent les musulmans. Une phobie correspond à la peur par rapport à quelque chose ou quelqu’un. Si vous avez peur des musulmans, comment réagissez-vous? Nous sommes aux prises avec un véritable problème. Nous nous penchons sur le racisme anti-musulman, la haine envers les musulmans. C’est difficile.

Si vous avez des suggestions par rapport à ce que nous examinons, à ce que nous demandons, vous pouvez nous les faire parvenir ultérieurement. Monsieur Afzal, même chose pour vous, madame Abawajy, peut-être souhaiteriez-vous nous faire une suggestion, si vous croyez que nous devrions utiliser quelque chose en particulier pour désigner cette étude. Nous sommes toujours en quête d’une solution et continuons à poser des questions.

M. Afzal : Je peux vous en envoyer beaucoup. Dans ma thèse, j’ai consacré environ 20 pages strictement à la définition de l’islamophobie en examinant de quelle façon elle est définie partout dans le monde, en cernant les problèmes et en établissant de quelle façon fondre le tout en quelque chose de viable pour l’élaboration de politiques, ainsi que facile à comprendre, et pas uniquement facile à comprendre, mais facile à transmettre à un public plus large. Car, à trop faire dans la nuance, on peut s’y perdre et se retrouver avec quelque chose de complexe du point de vue de la promotion de l’image de marque et du discours public. Quand on s’adresse à la population, il faut éviter que ce soit trop complexe. Vous devez viser la plus grande simplicité possible.

C’est pour cette raison que j’ai dû nuancer quant à la problématisation de l’identité musulmane et de son emploi. J’aimerais également insister sur la façon de rendre le tout pertinent pour les Canadiens. Comment peut-on faire de l’islamophobie une question d’intérêt pour les Canadiens non musulmans? Selon moi, il y a au moins quatre façons d’y arriver.

Premièrement, l’islamophobie est antidémocratique. En problématisant l’identité et l’action des musulmans, vous rendez difficile leur participation active et égale à la démocratie. Ils ne peuvent pas accéder au pouvoir ou à l’autorité et faire entendre leur voix de la même manière que les autres. Après avoir fait subir cela à un groupe, vous avez détruit le principe de la démocratie — c’est-à-dire l’égalité nécessaire pour que tous puissent avoir voix au chapitre. Le deuxième principe est celui de la liberté. Dans ce cas, vous ne pouvez pas être la personne que vous voulez être dans ce pays, et cela a des répercussions sur tout le monde. Le troisième principe est celui de la sécurité publique et nationale. Vous créez des conflits au sein de la société, lesquels peuvent entraîner des problèmes et des traumatismes générationnels. Le dernier point, c’est que vous devez éliminer les obstacles à la paix et à la prospérité.

Lorsque les personnes qui négocient sont moins diversifiées, moins d’idées sont présentées à la table des négociations. Les négociations génèrent moins d’innovation et de prospérité. Il est possible de rendre cette question pertinente pour les Canadiens si l’on souligne le fait que l’islamophobie est antidémocratique — c’est une atteinte à la démocratie, une atteinte à la liberté des Canadiens, une atteinte à la sécurité publique et une atteinte à la paix et à la prospérité des Canadiens. C’est cette rhétorique qui doit être diffusée, et c’est l’image de marque qui doit être associée à ce terme.

La présidente : Si vous pouviez nous faire une suggestion... nous sommes à l’écoute des suggestions. Bien sûr, ce sera la couverture. Il ne faut donc pas qu’il y ait trop de mots. Nous avons aussi du mal à trouver les mots justes. Nous vous serions reconnaissants de toute suggestion.

La dernière question que j’aimerais vous poser, madame Abawajy, est la suivante. Vous avez reçu de nombreux messages haineux en ligne. Comment avez-vous géré cela? L’avez-vous signalé à quelqu’un? Si vous l’avez fait, quelle a été la réponse que vous avez reçue?

Mme Abawajy : Je ne l’ai pas signalé. J’ai choisi d’en parler et de sensibiliser les gens à ce sujet. Je l’ai fait savoir à mes amis et aux membres de ma communauté. J’ai partagé cette information sur Facebook. Certains médias ont voulu en parler, et cela a permis de sensibiliser les gens à l’islamophobie qui sévit au Canada. Souvent, dans les conversations auxquelles je participe, on parle de l’islamophobie comme d’un phénomène qui se produit de l’autre côté de la frontière et non ici, au Canada. J’ai choisi d’utiliser mes expériences à des fins éducatives. Je n’ai pas signalé aux autorités les gens qui m’envoyaient des messages haineux.

La présidente : Je vous remercie de votre honnêteté. Cela nous amène au point que j’ai soulevé, à savoir que seul un petit pourcentage des incidents islamophobes sont signalés. Je me réjouis que vous ayez transformé cela en une occasion de dire quelque chose de positif, d’en parler et d’en discuter, ce qui est très important pour amorcer des conversations.

Avez-vous une dernière déclaration à faire avant que la séance soit levée?

Mme Abawajy : Je tiens à vous remercier tous d’avoir organisé cette importante conversation. Je pense que nous devons faire avancer le dossier de l’islamophobie. C’est un problème qui me touche et qui touche mes pairs et les membres de ma communauté. Je suis heureuse d’entendre dire qu’il est pris au sérieux par le Sénat. Je tiens à vous remercier tous de votre attention.

La présidente : Merci.

Monsieur Afzal, permettez-moi de vous poser une question. Vous avez mentionné la motion M-103. Elle comportait un certain nombre de recommandations. Corrigez-moi si je me trompe, mais je pense qu’aucune de ces recommandations n’a été mise en œuvre, à l’exception d’une seule. Nous avons constaté à la fin de la conférence sur l’islamophobie qu’un grand nombre de recommandations avaient également été formulées. Cependant, depuis cette conférence, un silence assourdissant a régné.

M. Afzal : Lorsque l’on examine cette question plus à fond, on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses en jeu. Par exemple, on peut presque obtenir un métadiscours en examinant simplement la structure des recommandations, c’est-à-dire la façon dont elles ont été formulées et l’ensemble de la situation politique de l’époque. Et j’entends par là la façon dont les partis critiquaient le terme et le politisaient.

Si vous étudiez les recommandations en tant que telles, seules les deux premières mentionnent le mot « islamophobie ». C’est comme s’ils tournaient autour du pot et n’en parlaient pas beaucoup à cause de la réaction négative que cela suscitait. Cela a provoqué de nombreuses réactions négatives et de nombreux problèmes. Mais je vais être honnête avec vous. Chaque fois que l’on s’attaque à un problème social, il y a des réactions négatives parce que l’on remet en question la norme.

Même en ce qui concerne votre comité sénatorial, je vous félicite et vous remercie — tout comme Mme Abawajy l’a fait — parce que vous relevez un défi, et vous provoquerez probablement des réactions négatives. Lorsque vous publierez votre rapport, vous ferez face à de nombreuses réactions négatives. Je vous félicite de votre courage et de votre détermination à aller jusqu’au bout et à être des agents de changement pour nous venir en aide.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos commentaires. Je tiens à remercier les deux témoins des témoignages qu’ils nous ont apportés. Ils nous aideront énormément lorsque nous rédigerons notre rapport.

Chers sénateurs, cela nous amène à la fin de la partie publique de la séance. Nous allons maintenant nous réunir à huis clos très brièvement afin de discuter de certains travaux à venir. Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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