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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 31 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et j’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion. J’ai le sénateur Arnot de la Saskatchewan, la sénatrice Gerba du Québec, la sénatrice Jaffer de la Colombie-Britannique et la sénatrice Omidvar de l’Ontario.

Notre comité étudie l’islamophobie dans le cadre de son ordre de renvoi général. Notre étude portera notamment sur le rôle de l’islamophobie concernant la violence en ligne et hors ligne contre les musulmans, la discrimination fondée sur le sexe, ainsi que la discrimination dans l’emploi, y compris l’islamophobie dans la fonction publique fédérale.

Notre étude examinera également les sources de l’islamophobie, ses répercussions sur les personnes, y compris sur la santé mentale et la sécurité physique, et de possibles solutions et réponses du gouvernement. Après avoir tenu deux réunions en juin à Ottawa, notre comité a tenu des réunions publiques le mois dernier à Vancouver, à Edmonton, à Québec et à Toronto. De plus, nous avons visité des mosquées dans ces villes.

Aujourd’hui, nous poursuivons nos réunions à Ottawa afin d’entendre des organisations nationales et des représentants d’autres parties du pays. Permettez-moi de vous fournir quelques détails au sujet de notre réunion aujourd’hui. Cet après-midi, nous recevrons deux groupes de témoins pour une heure et quinze minutes chacun et il y aura une pause de cinq minutes entre les groupes. Dans chaque groupe de témoins, nous entendrons le témoin, puis les sénateurs auront une séance de questions et de réponses.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Nous avons avec nous aujourd’hui dans la salle Faheem Affan, assistant secrétaire national, Relations publiques et directeur de l’Association des amis parlementaires, de l’Ahmadiyya Muslim Jama’at Canada. À l’écran, nous avons Yasmin Jiwani, professeure au département d’études en communication de l’Université Concordia. Et nous accueillons Omar Mouallem, qui est auteur, journaliste et réalisateur. J’invite maintenant Faheem Affan à présenter son exposé.

Faheem Affan, assistant secrétaire national, Relations publiques et directeur de l’Association des amis parlementaires, Ahmadiyya Muslim Jama’at Canada : Assalamu alaikum, la paix et les bénédictions soient sur vous.

Au nom d’Allah, le bienveillant, le miséricordieux, je vous remercie de donner à l’Ahmadiyya Muslim Jama’at l’occasion de s’exprimer devant votre comité. L’Ahmadiyya Muslim Jama’at au Canada est la plus ancienne communauté musulmane organisée. Nous avons des branches d’un océan à l’autre et des mosquées et des centres communautaires dans plus de 50 villes canadiennes.

Nous sommes des musulmans qui croyons que Mirza Ghulan Ahmad de Qadian, en Inde, est le réformateur promis de l’islam. Notre devise est « L’amour pour tous, la haine pour personne », et nous essayons de vivre selon cette devise.

L’islamophobie est en hausse depuis de nombreuses années. Les musulmans et les personnes qui nous ressemblent reçoivent quotidiennement de la haine, que ce soit en personne ou en ligne. Il est de notre devoir et de notre responsabilité en tant que nation de travailler ensemble pour protéger nos camarades musulmans innocents et tous les autres contre toute forme de haine. Aujourd’hui, l’objectif de mes commentaires est de fournir une orientation sur les thèmes qui doivent guider les politiques afin de prévenir l’islamophobie.

J’ai huit points à présenter.

Le premier : dans une période aussi tendue, il est important que le Canada reste uni. Ce sont les terroristes et les personnes haineuses qui souhaitent nous diviser.

Le deuxième : en ce qui concerne l’islamophobie, étant donné que l’extrême droite gagne en influence, il est important que le gouvernement et les autorités prennent cette menace au sérieux. Nous sommes reconnaissants du fait que, après le meurtre d’une famille musulmane innocente à London et, à une échelle bien moindre, le vandalisme haineux de nos mosquées, le gouvernement canadien ait réagi avec sympathie et ait fermement condamné ces attaques antimusulmanes.

Le troisième : si la peur de l’islam est en hausse, nous estimons qu’il est de notre devoir de redoubler d’efforts pour diffuser les véritables enseignements de l’islam et éliminer les idées fausses et les craintes qui existent. Nos mosquées, nos centres et nos événements sont ouverts à tous. À titre d’exemple, nous avons ouvert notre mosquée à Calgary comme centre de rafraîchissement durant les vagues de chaleur extrême de l’été. De plus, depuis de nombreuses années, notre mosquée à Vaughan, en Ontario, accueille régulièrement le programme Out of the Cold durant les mois d’hiver. Pour donner un autre exemple, notre mosquée d’Ottawa est utilisée aujourd’hui par la communauté locale pendant la période des Fêtes pour un marché de Noël.

Le quatrième : l’une des principales causes du sentiment antimusulman est la couverture médiatique constante qui dépeint les immigrants et les musulmans sous un jour négatif. Cette couverture négative disproportionnée a répandu la désinformation et amené les gens à craindre davantage l’islam et les musulmans au fil du temps.

Les commentaires négatifs des figures d’autorité au sujet des musulmans encouragent le public à propager davantage cette haine, surtout en ligne. L’époque où Donald Trump était président des États-Unis en est un excellent exemple. La haine et le harcèlement des musulmans en ligne ont augmenté considérablement durant son mandat, car il a régulièrement exprimé son mépris pour les musulmans et les immigrants.

Ainsi, les médias et les politiciens doivent agir avec plus de soin et de considération. Leurs paroles ont un poids et influencent les autres. Ils doivent agir avec responsabilité et ne pas se focaliser seulement sur les histoires négatives concernant les immigrants, les musulmans et l’islam pour le plaisir de la vente, des clics et des votes.

Le cinquième : une cause croissante du sentiment anti-immigrant est la frustration économique, qui pousse les gens à reprocher aux immigrants et aux musulmans les problèmes qu’ils voient dans la société. Par conséquent, le gouvernement devrait veiller à équilibrer les droits de tous les Canadiens, y compris les immigrants et tous les autres. Il ne faut pas laisser les frustrations s’envenimer.

Le sixième : les gens demandent souvent aux musulmans de s’intégrer à la société occidentale. Cependant, il importe de reconnaître ce qu’est la véritable intégration. J’utiliserai une citation tirée d’un discours du calife, Hadhrat Mirza Masroor Ahmad, notre chef suprême, qui a déclaré ceci :

L’intégration exige qu’une personne fasse tout en son pouvoir pour favoriser le progrès de sa société et de sa nation. L’intégration ne consiste pas à exiger de la minorité qu’elle rejette ses convictions religieuses pacifiques ou qu’elle adopte des coutumes ou des traditions contraires à sa foi.

Ce message doit également être transmis par les dirigeants et les médias : nous devons respecter les différences des uns et des autres.

Le septième : la communauté musulmane ahmadie a toujours encouragé les discussions positives sur la foi de chacun au lieu d’attaquer les croyances des autres. Cette approche sensibilisera davantage les gens à leur foi et à ses aspects positifs et découragera la diabolisation des autres religions. Pour promouvoir cette valeur, notre Jama’at organise des centaines de symposiums interconfessionnels, et nous tenons la conférence mondiale des religions la plus ancienne du genre au Canada.

Le huitième : nous devrions nous concentrer sur nos ressemblances en tant que société, plutôt que sur nos différences. Comme l’a dit le calife de la communauté musulmane ahmadie :

Le saint Coran a ordonné aux musulmans d’appeler le peuple du Livre et les autres à ce qui est commun entre eux. Le saint Coran ne dit pas aux gens de scruter leurs différences, mais il parle de regarder ce qui est commun entre les personnes.

Pour conclure, à notre avis, l’éducation est la véritable solution pour mettre fin aux sentiments antimusulmans et à la haine des uns contre les autres, quelle que soit la religion à laquelle vous appartenez. Les rassemblements communautaires où nous pouvons échanger nos expériences et nos antécédents uniques aident à jeter des ponts de compréhension dans les collectivités locales. Nous, les musulmans ahmadis au Canada, tenons régulièrement des dialogues interconfessionnels sur les campus, dans les centres communautaires et dans les lieux de culte, et nous organisons des événements pour sensibiliser les communautés et nos concitoyens à la nature pacifique de l’islam.

Il nous incombe d’apprendre à connaître les autres communautés et d’enseigner aux autres les ressemblances qui nous unissent plutôt que de discuter des quelques différences qui nous séparent. Il est absolument essentiel que, en ces temps difficiles, nous soyons tous unis contre l’extrémisme. Le terrorisme ne connaît ni religion ni cibles. Nous sommes tous sensibles aux répercussions véhémentes du terrorisme, et nous ne devons pas laisser ces actions entacher la véritable image de ce que signifie être Canadien.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui, et Ahmadiyya Muslim Jama’at Canada se réjouit de poursuivre le dialogue et ses efforts pour combattre toutes les formes de haine. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup.

Yasmin Jiwani, professeure, Département d’études en communication, Université Concordia, à titre personnel : Merci beaucoup, et j’aimerais remercier le comité de m’avoir invitée à prendre part à ce groupe de témoins et je le félicite pour son étude de l’islamophobie hors ligne et en ligne.

Pour débuter, je veux utiliser la définition de l’islamophobie de Jasmin Zine : « ...une peur et une haine de l’islam et des musulmans, et de ceux qui sont perçus comme tels, qui se traduit par des actions individuelles et des formes idéologiques et systémiques d’oppression... » L’islamophobie est une forme de racisme culturel étant donné que les musulmans sont issus de cultures et de milieux très différents, et les statistiques canadiennes confirment la prévalence croissante de l’islamophobie.

Mes commentaires aujourd’hui se limitent à l’islamophobie en ligne, même si l’islamophobie en ligne et hors ligne sont étroitement liées, l’une validant l’autre et vice versa.

L’islamophobie en ligne tire sa puissance de la nature hypermédiatisée de nombreuses plateformes de médias sociaux. Ces plateformes sont interreliées, de sorte que les messages publiés sur une plateforme se croisent et se propagent sur d’autres. Cependant, cela se fait au moyen de diverses autres capacités de suggestion, que je vais aborder brièvement.

Premièrement, de nombreuses plateformes de médias sociaux permettent l’anonymat. L’utilisateur n’est pas tenu responsable de ses commentaires.

Deuxièmement, ces plateformes s’appuient sur un système de commentaires, qui fonctionne selon une économie de l’attention fondée sur la popularité. Le plus grand nombre de clics ou de mentions « j’aime » se traduit par un statut et une popularité accrus pour l’utilisateur, et se traduit également par un gain économique pour la plateforme.

Troisièmement, la nature même de la plateforme encourage souvent les images ou les commentaires courts et condensés qui ne nécessitent pas d’argument récent pour soutenir un point de vue. Ces commentaires ont plutôt tendance à être des opinions fondées sur les goûts et les dégoûts. Ceux-ci reproduisent alors le message original et facilitent sa diffusion sur les plateformes médiatiques et parmi les utilisateurs. Si l’on ajoute à cela l’accès facile et instantané qu’offrent de nombreuses plateformes en ligne, il en résulte une amplification et une intensification du message original.

Quatrièmement, l’existence de trolls et de robots augmente la probabilité de diffusion de messages islamophobes. Dans le cadre de nos recherches sur Twitter, mon collègue, le professeur Ahmed Al-Rawi, a découvert l’existence d’un robot russe dans les gazouillis publiés immédiatement après la fusillade de la mosquée de Québec et immédiatement après les dernières élections fédérales. Ces gazouillis étaient islamophobes.

Cinquièmement, les plateformes de médias sociaux ont tendance à encourager les réseaux et les enclaves numériques qui agissent comme des chambres d’écho, qui rassemblent des utilisateurs aux vues similaires, lesquels renforcent ensuite les messages ou les publications des autres. Nombre de ces réseaux transcendent les frontières géographiques. Par exemple, le nom du tireur de la mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette, était gravé sur les munitions du tireur de Christchurch. Même si ces événements ont eu lieu dans des pays différents et à des moments différents, l’échange d’information rendu possible par les réseaux de médias sociaux démontre à quel point l’islamophobie est virale.

Sixièmement, les plateformes de médias sociaux permettent la transmission d’un langage codé au moyen de mèmes et d’autres formes symboliques et de dispositifs linguistiques condensés. Ces formats permettent aux messages toxiques de passer les barrières de sécurité. Le langage codé, comme la « liberté d’expression » et les « valeurs canadiennes », sert à camoufler les idéologies des utilisateurs.

L’amplification et l’intensification de l’islamophobie en ligne déplacent la fenêtre d’Overton de sorte que des idées qui étaient auparavant considérées comme inacceptables sont maintenant considérées comme acceptables, ce qui normalise l’extrême.

Les conséquences de l’islamophobie sont bien documentées dans la littérature. L’islamophobie est une forme de violence, et si nous établissons des parallèles entre la façon dont les victimes de violence sexiste sont touchées et se sentent impuissantes, indignes de l’attention de la société et dénigrées, alors nous pouvons appréhender ce que ressentent les musulmans lorsqu’ils sont ciblés, stéréotypés, marginalisés et aliénés.

En conclusion, en ce qui concerne l’accent mis par le comité sur les solutions possibles, j’aimerais mentionner deux recommandations. Premièrement, les recherches ont démontré que, lorsqu’il s’agit de questions d’actualité, comme l’immigration, les trolls, les robots et les commentateurs racistes prennent l’initiative d’afficher des messages qui reflètent leurs opinions. Ces messages s’intensifient et s’agrègent. Le seul nombre de messages publiés contribue à légitimer le message. Il est donc impératif de réduire le nombre de moyens disponibles pour publier de tels commentaires.

Deuxièmement, l’éducation aux médias est une nécessité. Sans éducation numérique, il est facile de devenir accro et de se laisser entraîner, comme Alice, dans des trous de lapin misogynes, islamophobes et racistes sur Internet.

Pour terminer, j’aimerais remercier le comité de son invitation et du travail important qu’il fait pour examiner l’islamophobie au Canada. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Je vais maintenant me tourner vers Omar Mouallem pour sa déclaration liminaire.

Omar Mouallem, auteur, journaliste et réalisateur, à titre personnel : Je remercie les honorables membres de m’avoir invité aujourd’hui, le dernier jour du Mois du patrimoine musulman.

À la suite du Sommet national sur l’islamophobie en 2021, le Conseil national des musulmans canadiens a recommandé 61 moyens pour lutter contre la haine antimusulmane. Je me concentrerai sur deux d’entre eux.

Le premier est la recommandation numéro 21, qui vise à affecter des fonds, par l’intermédiaire du Secrétariat de lutte contre le racisme ou du ministère du Patrimoine, à des organisations pour faciliter les projets de narration de récits à la base, les projets d’histoire visuelle et orale et la création d’archives communautaires. Le deuxième est le numéro 59, qui vise à investir dans la célébration de l’histoire des musulmans canadiens locaux.

Je crois sincèrement que l’un des meilleurs antidotes contre la haine est l’éducation culturelle, en particulier l’éducation historique. Malheureusement, lorsqu’il s’agit d’histoire islamique, on a tendance à la séparer de notre histoire canadienne et occidentale ou à se concentrer sur l’influence de ce qu’on appelle l’âge d’or, comme si la pertinence de l’islam occidental était dans un passé lointain. En fait, les communautés musulmanes ont pris racine dans les Amériques non seulement avant les protestants, mais avant l’existence du protestantisme. La culture islamique est présente littéralement depuis Christophe Colomb, qui avait envoyé un interprète parlant arabe pour parler avec les premiers Amérindiens qu’ils ont rencontrés.

Jusqu’à un tiers des Africains réduits en esclavage étaient musulmans. Aux États-Unis, au Brésil, dans les Caraïbes et presque certainement dans le Canada avant l’abolition, ils pratiquaient un culte communautaire, souvent en secret dans des mosquées spéciales.

J’ai passé une bonne partie de la dernière décennie à documenter les histoires inédites de l’islam occidental pour mon livre Praying to the West: How Muslims Shaped the Americas. Comme j’en ai rempli 100 pages rien que sur les musulmans canadiens, je me suis demandé pourquoi Historica Canada ne leur a pas encore consacré une seule Minute du patrimoine, malgré l’urgence des campagnes anti-islamophobie.

Le fait est que les gens craignent ceux qu’ils ne comprennent pas. Mais auraient-ils moins peur s’ils savaient que leurs ancêtres des Prairies comptaient probablement sur des colporteurs musulmans pour leur fournir des produits de première nécessité; ou que certains des colons sont devenus des homesteaders eux-mêmes ou des commerçants de fourrure qui ont appris les rudiments des langues autochtones pour faire concurrence aux cinq grandes compagnies; ou que ces immigrants ont mené à la construction des premières mosquées dans les Prairies nord-américaines; ou que, des décennies plus tard, leur progéniture a aidé des réfugiés africains et palestiniens à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest, à construire la mosquée la plus septentrionale de l’hémisphère et surtout, une banque alimentaire dont le besoin se faisait cruellement sentir sur le site de cette mosquée; ou encore que les pratiques de ces fidèles de la Midnight Sun Mosque, qui porte bien son nom, ont créé des précédents en matière de lois islamiques qui sont maintenant reconnues par les musulmans du monde entier? Ne pouvons-nous pas y consacrer une Minute du patrimoine pour que tout le monde sache cela?

Puisque nous ne pouvons pas séparer l’histoire canadienne de celle des Amériques et du colonialisme européen, il vaut la peine de penser à l’influence occidentale plus vaste de l’islam pour motiver le premier soulèvement enregistré des esclaves africains en 1521, qui a amené le Royaume d’Espagne à prononcer l’une des nombreuses interdictions contre le transport des « esclaves soupçonnés de penchants islamiques »; en façonnant des pays des Caraïbes comme Trinité-et-Tobago et le Guyana, qui ont tous deux eu un chef d’État musulman; en jouant un rôle déterminant dans le mouvement afro-américain pour les droits civiques; et en façonnant non seulement le hip-hop, mais aussi les origines mêmes du blues. À mon avis, cela devrait être enseigné vers la fin du primaire, à tout le moins.

Le fait est que la haine en ligne commence hors ligne, par l’ignorance dans nos foyers, nos lieux de travail et nos écoles qui mettent trop l’accent sur l’histoire eurocentrique et les idéaux chrétiens, effaçant ainsi l’importance des minorités. Le racisme antimusulman est un phénomène complexe, mais la mauvaise éducation est au moins en partie responsable du fait que trop de gens croient que la prévalence de l’islam occidental est comme une nouvelle épidémie virale au lieu d’un gène essentiel dans l’ADN de l’Amérique moderne.

Il est dans la nature humaine de craindre ce que nous ne comprenons pas, mais si les Canadiens — les musulmans et les non-musulmans — connaissaient leur histoire islamique, y aurait-il moins de raisons de craindre l’islam? Je crois que oui.

Nous ne devrions pas attendre le mois d’octobre de chaque année pour nous souvenir de cet héritage. Nous devrions encourager les responsables des programmes provinciaux et locaux à enseigner cette histoire et financer les conteurs, les musées, les librairies et, oui, Historica Canada pour promouvoir cette histoire. Nous devrions embrasser la diversité unique de la population musulmane canadienne pour montrer que l’islam n’est pas un monolithe.

Je vous remercie de votre attention et de votre temps, mesdames et messieurs.

La présidente : Merci à tous pour vos exposés. Avant que l’on commence à poser des questions et à y répondre, j’aimerais demander aux membres et aux témoins dans la salle de bien vouloir s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou encore de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela évitera toute boucle sonore qui pourrait nuire au personnel du comité présent dans la salle.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Comme nous l’avons déjà fait, je rappelle à chaque sénateur qu’il dispose de cinq minutes pour ses questions, et cela comprend la réponse.

La sénatrice Jaffer : Salaam alaikum à tous les trois témoins. Vous avez une très longue expérience de ces questions et, certes, après vous avoir tous écoutés, nous avons appris beaucoup de choses.

J’aimerais commencer par vous, madame Jiwani. Je sais que vous travaillez maintenant dans les communications, mais depuis que vous êtes étudiante, vous vous intéressez beaucoup aux questions relatives aux femmes et à l’islam, et plus généralement aux droits des femmes. L’une des choses dont le comité a beaucoup entendu parler, ce sont les attaques contre les femmes. Lorsque nous étions à Edmonton, j’ai vraiment été frappée par les différentes attaques commises contre les femmes.

Quel rôle pensez-vous, vous et monsieur Mouallem, que les médias peuvent jouer pour présenter les femmes musulmanes sous un meilleur jour qu’ils ne le font actuellement? J’aimerais que vous répondiez tous les deux, en commençant par vous, madame Jiwani.

Mme Jiwani : Sénatrice Jaffer, merci de cette question. Oui, c’est un des problèmes qui se sont beaucoup posés au Québec, notamment avec l’adoption du projet de loi 21.

Les femmes musulmanes sont ciblées depuis longtemps, en partie à cause de la visibilité du hidjab. C’est une explication, mais l’autre chose que j’ai remarquée avec les commentaires en ligne que j’ai examinés — et cela se rapporte directement à ce dont parlait M. Mouallem — c’est que les stéréotypes qui existent depuis le début dans les médias, qui font partie de la source de l’orientalisme, alimentent continuellement une notion de ce que sont les femmes musulmanes.

Au Québec, on parle maintenant essentiellement d’arracher le voile et de retirer le hidjab de force, alors que dans d’autres parties du monde, nous voyons des femmes musulmanes qui essaient de le garder intact et vivant.

Je pense que si les médias ne cessent de se rabattre sur ces vieux stéréotypes, c’est en partie parce qu’ils sont faciles. Ils alimentent le débat. Ils font partie de ce qu’un auteur a si joliment appelé le « scénario arabe à solution rapide ». Vous avez les stéréotypes, et vous les utilisez simplement. Mais je pense que l’élément sur lequel les médias de masse peuvent vraiment agir, c’est de commencer à réfuter, comme M. Mouallem l’a si bien dit, la notion que l’islam est monolithique. Il y a tellement de femmes qui ne portent pas le hidjab et il y en a tellement qui le portent. C’est une chose qui doit être structurée.

La deuxième chose est la suivante : qu’est-ce que le hidjab? Et quelle est la signification du fait que son interprétation a changé? Combien de fois est-il devenu un symbole qui a été exploité dans l’intérêt des femmes qui font une revendication? Lorsque vous voyez des jeunes femmes françaises en France, par exemple, elles ont revêtu le hidjab à dessein pour se faire remarquer et affirmer une identité musulmane.

C’est le symbole utilisé qui doit être interrogé. C’est là où la littératie médiatique entre en jeu.

L’une des choses les plus importantes est de penser à des émissions comme Little Mosque on the Prairie, qui ont eu un effet suffisant pour briser les stéréotypes, mais combien d’autres émissions de ce genre avons-nous vues? Voilà une chose.

La deuxième chose, c’est que, une fois que l’auteur de l’émission originale a été congédié, l’émission elle-même a changé de texture. Avons-nous donc un pouvoir sur nos propres productions créatives? Voilà l’autre question. Nous pouvons raconter les histoires, mais qui les contrôle?

Bien sûr, le type de représentation que nous recevons dans les médias de masse devient absolument important pour les musulmans. Et il devrait s’agir non pas de musulmans assimilés ou d’informateurs, essentiellement, mais de musulmans qui ont des perspectives différentes et qui peuvent les présenter aux médias. Bien sûr, les médias doivent être ouverts à cela.

M. Mouallem : Merci, madame, de vos propos aussi éloquents. Que puis-je ajouter à cela?

Tout d’abord, la réponse à cette question est, ironiquement, de céder plus d’espace aux femmes musulmanes pour qu’elles puissent parler elles-mêmes des raisons pour lesquelles elles choisissent de porter ou de ne pas porter un hidjab. C’est une décision profondément personnelle, et faire une fixation sur cette question, comme les médias le font souvent, crée cette altérité, cet exotisme, qui peut conduire à l’ignorance, et cette ignorance peut alimenter ou susciter davantage de haine.

Au final, ce que j’aimerais voir de la part de la culture populaire et des médias dans la représentation des musulmans — femmes, hommes ou non-binaires —, c’est une humanisation de ceux-ci dans le sens le plus vrai de ce que signifie être humain, c’est-à-dire être imparfait. Très souvent, la représentation vise à les dépeindre de façon négative ou de façon trop positive, alors que, en fait, les musulmans sont comme tout le monde. Ils ne sont ni mieux ni pires. Ce sont juste des gens ordinaires. Donc, cette normalisation des familles musulmanes, des expériences musulmanes, du fait d’aller à la mosquée ou de ne pas y aller, ou de porter un hidjab ou de ne pas en porter un... j’aimerais voir cela banalisé et neutralisé dans la façon dont c’est présenté dans les médias.

[Français]

La sénatrice Gerba : Professeure Jiwani, vous avez déjà répondu à une partie de mes questions, mais j’aimerais revenir sur ce que vous avez dit.

Vous avez parlé des médias sociaux qui agissent de façon masquée ou anonyme. En même temps, vous recommandez que l’on puisse agir pour les empêcher de continuer à prôner un message anti-islam. Comment pouvons-nous agir en sachant que ces gens agissent à visage couvert, de façon masquée? Que recommandez-vous pour limiter l’action des influenceurs qui sont sur les médias sociaux?

Également, en ce qui concerne les médias conventionnels, on a la preuve aujourd’hui, car un des témoins qui a comparu nous a parlé des éléments qui montrent que les médias utilisent un lexique — par exemple, lorsque le mot « zen » est utilisé, on pense à une certaine communauté et lorsque l’on mentionne le mot « terroriste », on pense immédiatement aux musulmans. Comment pouvons-nous déconstruire ce lexique déjà établi aujourd’hui dans les médias conventionnels?

Ma question s’adresse à tous les témoins et en particulier à Mme Jiwani. Merci.

[Traduction]

Mme Jiwani : Merci. Ce qui se passe, c’est qu’il y a tant de plateformes différentes. Chaque plateforme semble avoir un certain type d’exigence intégrée ou de dispositifs de protection intégrés avec des contrôleurs qui surveillent. Le problème, c’est que cela est fait de manière différenciée. Ce n’est pas généralisé. Ce n’est pas uniforme. De plus, nous ne tenons pas compte du fait que les personnes qui agissent en tant que contrôleurs sont doublement victimisées lorsqu’elles écoutent cette haine et doivent la suivre.

Il y a de nombreux cas où nous voyons sur Twitter, par exemple, avant qu’il ne soit acheté par Elon Musk, que cela se produisait quand il s’agissait de certains types de haine, comme les questions misogynes, mais pas tellement en ce qui concerne l’islam.

Comme vous l’avez dit, le lien avec le stéréotype selon lequel les musulmans sont des terroristes est tellement étroit et ancré qu’il devient très difficile de le briser dans ces cas-là, parce que le mot « terrorisme » est un mot codé. Lorsque vous le mentionnez dans un commentaire, il n’est pas nécessairement considéré comme de l’islamophobie.

La deuxième chose sur laquelle je veux attirer l’attention est l’un des problèmes que vous avez soulevés, c’est-à-dire la question de savoir comment nous pouvons réglementer cela alors que l’anonymat a été promis. Eh bien, il y a un certain nombre de plateformes de nouvelles qui, en fait, n’exigent pas l’anonymat; elles veulent que vous ouvriez une session et que vous vous inscriviez, mais rien ne se passe parce qu’il n’y a qu’une fonction passive de contrôle.

Par exemple, Global News, dont j’ai examiné la couverture des femmes qui sont mariées à des combattants de l’État islamique et qui reviennent au Canada, dans cette couverture, même s’il était explicitement énoncé dans les directives de publication que l’on ne pouvait rien publier d’islamophobe, qui s’en occupait réellement? De nombreux commentaires sont simplement passés. Personne ne faisait de suivi, même si bon nombre de ces personnes s’étaient déjà inscrites.

Donc, l’anonymat fonctionne dans certains cas, mais dans d’autres, le fait même que ce média soit ouvert et que les gens puissent écrire... Chaque article que j’ai publié qui a quelque chose à voir avec l’islam génère immédiatement des réactions négatives. Immédiatement. Vous n’avez rien d’autre à dire, juste le mot « musulman », et tout de suite, vous avez toute une aile d’extrême droite organisée qui arrive. C’est ce qui se passe.

L’anonymat ne devient qu’un élément. Il doit fonctionner de concert avec tout le reste. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas avoir ces avenues ouvertes. Je voudrais juste terminer en disant que... Désolée, mon temps est écoulé.

La présidente : C’est bon, vous pouvez terminer votre pensée.

Mme Jiwani : Merci. Au moment des audiences sur la vérité et la réconciliation, l’une des choses que CBC a faites a été de fermer les commentaires sur tout ce qui concernait les questions autochtones. Pourquoi ne peut-on pas le faire de façon générale?

La présidente : Avez-vous une autre question ou aimeriez-vous que quelqu’un d’autre réponde? Monsieur Mouallem, ou alors monsieur Affan, voulez-vous répondre?

M. Mouallem : Merci. C’est une chose très complexe. Comment réglementer le discours en ligne tout en respectant la liberté d’expression et en reconnaissant et en respectant le fait que ces plateformes sont exploitées par des sociétés privées, dont la plupart ne sont pas du tout canadiennes?

Je ne sais pas ce qu’il est possible de faire, si ce n’est de collaborer sérieusement avec ces plateformes. À tout le moins, je suppose que ces plateformes devraient respecter nos lois sur la liberté d’expression si elles veulent exercer leurs activités au Canada.

Cette difficulté même est la raison pour laquelle je mets l’accent sur l’éducation précoce. Quand on fait face à des discours haineux et à de la haine contre les musulmans, je pense qu’il devient très difficile de radicaliser les gens quand ils sont informés et quand, dès leur plus jeune âge, ils ont appris à respecter et à comprendre les musulmans, lorsqu’ils comprennent le rôle qu’ils ont joué dans la société qui les entoure, lorsqu’il y a vraiment moins de raisons, ou aucune raison, de les craindre parce qu’ils ont déjà l’impression qu’ils connaissent les musulmans, sinon personnellement, à tout le moins culturellement par leur éducation, leur culture populaire et les conversations quotidiennes qu’ils peuvent avoir à l’école, au travail et à la maison.

La présidente : Merci. Monsieur Affan?

M. Affan : Merci beaucoup. Je suis d’accord avec M. Mouallem pour dire qu’il est très difficile de contrôler les médias sociaux, mais encore une fois, on doit mettre l’accent sur l’éducation. Dès que vous voyez ces groupes, on peut les cerner, puis amorcer un dialogue avec eux pour voir pourquoi ils font ce genre de commentaires contre les musulmans. Peut-être qu’une éducation et un dialogue ouvert avec eux changeront leur vision, et ils en apprendront sur l’islam et sur les magnifiques qualités de la religion. Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Gerba : Effectivement, l’éducation est un élément important. Pour éduquer les médias qui sont passés par des écoles de formation qui leur apprennent un certain nombre de règles, où on apprend que la liberté d’expression vient avec des responsabilités, je me demande par où commencer pour éduquer les médias conventionnels.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame la sénatrice Gerba. Monsieur Mouallem, je vous laisserai répondre en premier, puisque vous êtes une personne des médias.

M. Mouallem : La réponse se trouve probablement dans les décisions d’emploi au sein de ces entreprises médiatiques. Plus elles sont diversifiées et plus leurs salles de nouvelles sont composées de personnes racisées, moins il est probable qu’il y ait cette perpétuation d’idées très racistes ou de suprématie blanche voilée.

Je regarde la teneur des médias au Québec. En particulier, la radio-poubelle, qui est si populaire là-bas et qui pourrait avoir joué un rôle important dans les fusillades tragiques du 29 janvier 2017, dans quelle mesure cela a-t-il à voir avec le manque de diversité dans ces salles de presse ou le manque de représentation musulmane ou moyen-orientale? Je me hasarderais à dire que cela a beaucoup à voir, que le fait d’avoir une personne issue d’une communauté marginalisée près de vous dans votre salle de presse, dans votre station de radio, fera en sorte qu’il sera beaucoup plus difficile pour vous de dire ou d’imprimer certaines des choses ignobles que vous pourriez autrement dire ou imprimer et, peut-être même, avec le temps, que cela vous fera changer d’avis.

La présidente : Merci. Je vois que Mme Jiwani secoue la tête.

Mme Jiwani : La raison pour laquelle je secoue la tête, c’est parce que souvent, l’éducation est considérée comme une panacée pour tout. Toutes les études que j’ai lues, y compris celles de personnes de l’école de journalisme qui ont rédigé des thèses sur le sujet, qui sont des minorités dans les salles de presse... elles se sont senties, en fait, vraiment ciblées et vraiment réduites au silence dans ces endroits afin qu’elles s’assimilent aux façons dominantes de voir. Je ne vois pas comment cela pourrait changer, parce que la façon dont la radio-poubelle fonctionne et dont les choses fonctionnent là-bas correspond en quelque sorte à la notion qu’a ce public de ce qu’est l’islam, de ce que sont les musulmans.

Même entendre l’imam de la mosquée, la grande mosquée de Québec, parler de la façon dont même la police n’était pas là pour aider... Cette société est tellement saturée d’islamophobie que je ne vois pas comment le fait d’avoir ce type de représentation pourrait fonctionner à moins d’avoir une réglementation qui suit. L’éducation ne peut pas être la panacée. Elle doit travailler main dans la main avec l’État. Elle doit fonctionner avec la réglementation, la loi. La représentation n’est qu’une partie de l’équation. Parce que si vous n’avez qu’une ou deux personnes, elles seront complètement débordées, confinées et contrôlées par les écoles journalistiques qui existent dans ces salles de presse.

La présidente : Merci.

Le sénateur Arnot : Merci, madame et messieurs, d’être venus ici aujourd’hui et de nous éclairer.

Je suis d’avis que les discours haineux ne sont pratiquement pas réglementés dans notre pays et qu’ils doivent l’être de façon beaucoup plus solide et efficace. Je me demande simplement si les témoins ont des commentaires à faire sur cette question.

L’une des choses que j’aimerais dire, c’est que la définition de « discours haineux » a été analysée très succinctement et avec une grande clarté dans l’affaire Whatcott de la Cour suprême du Canada en 2013. Je ne pense pas qu’il soit difficile pour quiconque de comprendre ce que sont les discours haineux si l’on examine les indices de haine qui ont été exposés dans cette affaire.

En particulier, au pays, je me demande ce que les témoins pensent de l’efficacité du CRTC pour réglementer les discours haineux. Je sais que le projet de loi C-11 sera présenté au Sénat. Nous sommes en train de l’analyser. Je me demande si vous avez des commentaires sur le genre de mordant qu’il faudrait donner au projet de loi C-11 pour qu’il puisse réglementer efficacement les discours haineux.

Je me demande également s’il y a des exemples ailleurs, par exemple en Allemagne ou en Grande-Bretagne, qui ont mis en place une façon plus efficace de demander des comptes à ces plateformes de médias sociaux.

Une troisième idée sur laquelle vous voudrez peut-être vous prononcer est le Secrétariat de lutte contre le racisme. À votre avis, ce secrétariat a-t-il été efficace, robuste et stratégique pour vraiment changer les choses au Canada en ce qui concerne le mandat qui lui a été confié?

Mme Jiwani : Monsieur le sénateur, merci beaucoup de toutes ces questions. Elles laissent certainement beaucoup place à la réflexion.

Je crains de ne pas pouvoir me prononcer sur l’aspect stratégique.

Je peux certainement vous parler de mes rencontres avec le CRTC il y a de nombreuses années, lorsqu’il y a eu une émission de télévision où le journaliste a décrit le longicorne asiatique d’une manière très semblable à la description stéréotypée des immigrants asiatiques en Colombie-Britannique. J’ai écrit au CRTC et fourni un enregistrement, et rien n’a été fait.

Le problème, c’est qu’une grande partie du langage est codé. Lorsque nous pensons aux mèmes comme Pepe la grenouille, ils échappent purement et simplement aux censeurs. Cela ne fera rien. C’est là qu’il faut vraiment analyser la façon dont ce type de racisme est exporté, comment il est articulé, les types de mots utilisés pour le soutenir, qui changent constamment. C’est un aspect de ce que je voulais souligner.

La deuxième chose, c’est que la liberté d’expression elle-même est devenue une sorte d’étendard, où l’on ne comprend pas vraiment ce qu’est la liberté d’expression, en particulier dans le contexte canadien où ces libertés sont mesurées par rapport au bien de la société. Il n’y a pas de compréhension de cela. En fait, tout le monde semble être plus attiré par la notion américaine et l’utiliser. Cela tient peut-être en partie au fait qu’une grande partie des médias que nous consommons sont américains.

Oui, en Europe, il existe des mesures très strictes concernant les discours haineux. Je pense, en particulier, à l’Union européenne et à la façon dont sa division de la communication a publié de nombreux documents, y compris, en fait, un de mes mentors, qui a publié un guide complet sur la façon dont les médias peuvent s’abstenir d’utiliser un langage islamophobe dans leurs reportages, mais cela n’a pas encore été adopté ici.

Le sénateur Arnot : Pourriez-vous fournir une copie de l’étude que vous venez de mentionner à notre greffier, s’il vous plaît? Tout ce qui porte en particulier sur le modèle européen.

Mme Jiwani : Oui, je le ferai.

Le sénateur Arnot : Merci.

Mme Jiwani : Merci.

La présidente : Y a-t-il quelqu’un d’autre qui aimerait répondre à la question du sénateur Arnot, monsieur Mouallem ou monsieur Affan?

M. Mouallem : Je veux juste me faire l’écho de ce que Mme Jiwani a dit, c’est-à-dire qu’il y a un manque de compréhension au sujet de ce que signifie la liberté d’expression au Canada. L’influence gigantesque de la culture américaine a malheureusement incité les gens à penser à tort que nos lois sur les discours haineux sont les mêmes que celles des États-Unis.

D’autres personnes pourraient penser que nos lois sur les discours haineux sont beaucoup plus strictes qu’elles ne le sont en réalité, que le seuil est beaucoup plus bas qu’il ne l’est réellement. Tous ceux qui ont tenté de poursuivre des personnes en vertu des lois sur les discours haineux savent que ce seuil est très élevé et qu’il est très difficile. Ce n’est pas très souvent que vous voyez des gens comme le célèbre youtubeur Kevin Johnson être, je crois, emprisonné ou peut-être accusé ou reconnu coupable l’an dernier pour ses propos notoirement antimusulmans sur sa chaîne YouTube. Cela n’arrive pas très souvent. Je ne peux pas dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose que le seuil soit tel qu’il est en ce moment.

Il ne peut être que bénéfique pour les Canadiens de comprendre toutes les limites dont s’assortit la liberté d’expression dans notre pays et de ne pas être dérouté par les lois et les interprétations d’autres pays.

M. Affan : Merci beaucoup, monsieur Mouallem. Je suis d’accord avec vous. Il y a une ligne très floue entre la liberté d’expression et le mot « haine ». Encore une fois, cela revient à l’éducation que nous mettons de l’avant. Elle doit être enseignée à tous les niveaux, de l’école et jusqu’à la vie professionnelle. Quelle est la différence entre la liberté d’expression et la haine? Qu’est-ce qui peut blesser d’autres personnes et qu’est-ce qui ne le peut pas?

Là encore, c’est une question d’éducation. C’est ce que je voulais souligner. Merci.

Le sénateur Arnot : Je suis d’accord avec ce que les témoins disent. En particulier, la parole a toujours été entravée, qu’il s’agisse de fraude, de haine ou de diffamation. Au Canada, nous sommes dans une situation unique, parce que la Cour suprême du Canada a défini clairement ce qu’est la diffamation, comme je l’ai souligné plus tôt.

Je veux juste poursuivre sur une autre question, et peut-être qu’elle s’adresse à M. Mouallem. Par rapport à la recommandation 21 des 61 moyens du CNMC de lutter contre la haine antimusulmane, avez-vous des commentaires quant à l’efficacité du Secrétariat de lutte contre le racisme, à sa robustesse et à la stratégie qu’il a adoptée pour changer les choses au Canada?

M. Mouallem : Je n’ai rien à dire à ce sujet; je suis désolé. Je ne le connais pas assez.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Omidvar : Merci à nos témoins d’être ici. Je vais me concentrer sur le rôle que jouent les médias au moment d’inciter à l’islamophobie. Je vais citer une étude qui a été mentionnée par Haroon Siddiqui dans un article du Literary Review of Canada où il souligne que 75 % des Occidentaux se fient à l’information donnée par les médias au sujet des musulmans. Ce qu’un grand nombre d’entre nous connaît au sujet de l’islam, ou ce que nous pensons connaître, est principalement filtré par les médias. Il ne fait aucun doute que les médias constituent le véhicule le plus puissant et le plus influent de l’islam.

Souscrivez-vous, oui ou non, à ces observations? Tout d’abord Mme Jiwani, puis les autres pourront répondre.

Mme Jiwani : Je souscris entièrement à ces observations. Après avoir lu le même article et après avoir suivi la façon dont le Toronto Star a modifié la façon d’aborder le sujet lorsque Haroon Siddiqui était au poste de rédacteur en chef comparativement à après, je crois que c’est très évocateur. Il est évident que les médias ont de l’influence.

Une des choses que j’aimerais ajouter c’est que, au sein de la génération plus jeune, ce ne sont pas les médias imprimés qui ont de l’influence : ce sont les réseaux sociaux. Le fait que les réseaux sociaux prennent cette information, puis la condensent et publient ces petits articles qui sont faciles à lire fait en sorte qu’ils ont encore plus d’influence. C’est là que les ouvrages classiques comme celui d’Edward Saïd L’Orientalisme montrent que bon nombre de stéréotypes et de tendances existent toujours. Ils n’ont pas changé.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Mouallem, vous êtes un journaliste. Nous savons tous que la radio à prépondérance verbale est particulièrement...

M. Mouallem : Toxique?

La sénatrice Omidvar : Elle fait la promotion de l’islamophobie et la favorise, et il en est de même pour d’autres formes de haine, et ce, de façon inégalée par d’autres formes de médias.

J’anime un balado. Je me suis entretenue avec une journaliste, Supriya Dwivedi, qui a en fait quitté une plateforme d’émission-débat parce que sa propre organisation n’avait pas pris suffisamment de mesures pour la protéger contre toute la haine qu’elle a reçue, et je suis sûre que c’est une situation courante.

Pensez-vous que les organismes médiatiques, qu’ils soient traditionnels ou non, en font assez pour protéger les journalistes et les chroniqueurs?

M. Mouallem : Je peux seulement parler des médias traditionnels habituels. Non, je ne pense pas que ce soit suffisant. On sait que ce travail vient avec son lot de correspondance haineuse et de lettres de menaces. Cela fait partie du travail.

Mais ce que les employeurs et les cadres travaillant au sein de médias traditionnels ne comprennent pas, c’est que la nature de ces menaces a changé. Les menaces sont plus ciblées, plus personnelles, plus détaillées et plus menaçantes. De plus, elles visent davantage l’identité d’une personne, que ce soit parce qu’elle est une femme et/ou mulâtre et/ou musulmane ou noire. La nature de ces menaces est beaucoup plus effrayante. Or, la plupart des gens présument toujours que cela fait simplement partie du travail, et ils agissent en tant que tel. C’est très répandu. Ce n’est pas seulement les cadres des salles de presse. Je pense que c’est aussi ce que croit la GRC et les services de police, qui tassent rapidement ces menaces du revers de la main, comme si, encore une fois, il ne faut pas les prendre au sérieux. Bien, elles devraient l’être, et je pense que nous finirons par apprendre à quel point il faut les prendre au sérieux après avoir été témoin d’un événement tragique.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question brève qui vous concerne tous les trois au sujet du Sommet sur l’islamophobie qui s’est tenu en 2020. Y a-t-il eu des changements depuis? Selon vous, la situation a-t-elle changé d’une façon ou d’une autre?

M. Mouallem : Je pense que c’était en 2021, du moins depuis que les recommandations ont été formulées. Peu de choses ont changé, mais peu de temps s’est écoulé. La situation nécessitera des efforts sur plusieurs générations.

Ce que je dirais, c’est que, au cours des dernières années, la sensibilisation au Mois du patrimoine musulman a augmenté. Chaque année, je vois l’événement prendre de l’ampleur. De plus en plus d’écoles publiques et autres le célèbrent. On est en train de faire connaître l’événement. Je pense effectivement que quelque chose de positif est en train de se produire, du moins localement, et c’est pourquoi je suis optimiste.

La sénatrice Omidvar : Merci. Monsieur Affan, j’ai été surprise par votre témoignage selon lequel votre mosquée locale, à Ottawa, collabore avec d’autres religions, organise une foire de Noël, et cetera.

Savez-vous si des efforts sont déployés entre diverses religions afin de fournir une structure à ce genre d’échanges, et à quel point ces conversations entre les religions sont importantes lorsqu’il est question de régler l’islamophobie?

M. Affan : Je ne parlerai pour personne d’autre, mais je sais que ce que fait notre collectivité aide beaucoup. Ce sont les médias locaux qui jouent un rôle important, même si les réseaux sociaux sont plus efficaces. Mais vous serez surprise lorsque vous vous rendrez dans ces petits villages. Notre mosquée est à Ottawa, mais c’est à Cumberland, un petit village. Lorsque nous étions en train d’acheter le bâtiment, et que nous allions ouvrir la mosquée, l’environnement était très négatif là-bas. Les gens avaient peur. Ils ne voulaient pas de mosquée. Nous avons travaillé en collaboration avec les médias locaux là-bas, et nous avons tout ouvert au public. Les gens y tiennent maintenant des réunions communautaires, un marché de Noël et même des marchés d’été dans le gymnase que nous leur fournissons.

Nous discutons beaucoup des différentes religions. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, nous sommes un des organismes qui tient depuis longtemps une conférence interreligieuse au Canada. On la tient depuis maintenant de nombreuses années, et des gens d’une autre confession ont été invités à parler des similitudes. Cela aide, particulièrement lorsque vous vous rendez dans les petits villages où il est surprenant d’apprendre que de nombreuses personnes ne connaissent même pas l’islam. Les habitants ne savent pas ce que sont les musulmans encore aujourd’hui. J’ai rencontré un député d’un petit village il y a quelques années, et je lui ai parlé d’Ahmadiyya Muslim Jama’at Canada, et il n’avait aucune idée de quoi je parlais. Donc, il est très important que les médias fassent la promotion de l’islam dans ces petits villages et que des conversations interreligieuses aient lieu afin que nous puissions apprendre aux habitants de ces petits villages ce qu’est l’islam. Tout ce qu’ils connaissent de l’islam provient des médias et concerne le terrorisme.

La présidente : Merci. Madame Jiwani, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Jiwani : J’aimerais dire une chose : souvent, ce sont les victimes qui doivent faire ce genre de travail. Cela me surprend souvent.

Je me rappelle que la communauté ahmadie avait mis en place une superbe initiative à Montréal, dans le cadre de laquelle des personnes appartenant à cette communauté invitaient des personnes chez eux pour un repas. L’un des objectifs étant de modifier la pensée ou l’impression qui sous-tend le fait d’être différent et de cesser d’avoir peur.

Comme j’ai travaillé beaucoup pour lutter contre la violence faite aux femmes et ce qui s’y rapporte, et comme selon moi, le racisme et l’islamophobie sont des formes de violence, je me demande quelle est la part de responsabilité des victimes de ce genre de violence de mettre en œuvre cette initiative et d’éduquer la population. N’est-ce pas plutôt le travail des États et des institutions de faire ce travail?

Je voulais terminer en posant cette question au comité parce que, selon moi, il s’agit d’une question qui concerne l’origine de l’islamophobie. Nous devons tenir compte de la façon dont les relations de pouvoir favorisent cette situation.

La présidente : Merci. C’est intéressant, madame Jiwani, parce que c’était la question que j’allais poser en réponse à quelque chose que vous avez dit, monsieur Affan. Vous avez dit que nous sommes tous responsables.

Donnons-nous trop de responsabilités aux musulmans? Nous devons tous faire le travail en tant que communauté qui est, en quelque sorte, si je puis le dire, attaquée. Nous devons tout faire pour nous expliquer.

En ce qui concerne les journées portes ouvertes que vous avez tenues, j’aimerais savoir si elles ont été réussies.

M. Affan : J’ai dit ça parce que cela fonctionne. Nous avons tenu beaucoup de journées portes ouvertes. Les médias ne montrent pas les musulmans sous leur meilleur jour, donc quelqu’un doit le faire. Si le gouvernement ne met pas cette initiative en place, c’est à nous d’éduquer les gens au sujet de la nature pacifique de l’islam et de la façon dont se comportent les musulmans pacifistes : vous ne pouvez pas les lier au terrorisme.

Nous tenons ces journées portes ouvertes lors desquelles nous invitons des voisins à la mosquée. Ils peuvent tout simplement y entrer, parler à des personnes et apprendre des choses sur l’islam. Il est surprenant de voir que la perception que quelqu’un a de l’islam provient des médias, ce qui est en tout point une vision négative.

Je sais que les musulmans ne doivent pas assumer seuls la responsabilité, mais nous devons commencer quelque part. Si personne ne prend de mesures, quelqu’un doit le faire. Quelqu’un doit éduquer ces personnes quant à ce qu’est l’islam. C’est ce que nous faisons. C’est ce que nous tentons d’atteindre.

Comme l’a mentionné Mme Jiwani, il y a quelques années, nous avons mené cette campagne. Durant le ramadan, à l’échelle du Canada, de nombreuses familles ont invité leurs voisins à venir mettre fin à un jeûne avec eux. Cela a eu des conséquences positives parce que la plupart d’entre eux ne connaissaient pas ce qu’étaient l’iftar et le ramadan. En fait, certains d’entre eux ont jeûné avec nous au cours des années suivantes, ils ont jeûné avec des amis qui étaient musulmans durant toute une journée, juste pour vivre l’expérience. L’expérience a été très réussie.

Oui, pour répondre à votre question, nous devons commencer quelque part. Nous ne pouvons pas attendre que des choses se passent. Nous devons commencer à éduquer les gens, particulièrement si le gouvernement ne prend pas ses responsabilités ou si les médias continuent de faire mauvaise presse à l’islam.

La présidente : Merci. Madame Jiwani, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Jiwani : Je suis d’accord. Nous devons commencer quelque part, mais je pense aussi que la situation dure depuis longtemps. Lorsque je vois des personnes plus jeunes, particulièrement celles qui ont le privilège d’enseigner, selon moi, elles ne seront pas aussi patientes, et elles ne resteront pas dans une position où elles ont l’impression qu’elles doivent éduquer les gens.

Selon moi, une partie du problème tient à cette fissure et aux conséquences qu’entraîne le fait de marginaliser et d’aliéner des jeunes qui sont toujours qualifiés de différents. Comment pouvons-nous créer ces réseaux de soutien afin qu’ils ne soient pas victimisés encore et toujours ou afin qu’ils puissent devenir des ambassadeurs de la religion? Ce n’est pas leur rôle.

Donc, sur un plan structural, je pense que nous devrions nous pencher sur d’autres éléments. Je ne pense pas que nous pouvons tout simplement nous en remettre aux personnes ou aux familles.

Je pense aussi que l’autre chose dont il faut tenir compte est l’intersectionnalité. Nous ne pouvons présumer que tous les musulmans sont les mêmes, et voient les choses du même œil. Si vous êtes racisé et musulman, comme un Somalien, comment allez-vous être traité? Allez-vous être traité différemment que si vous étiez une personne mulâtre appartenant à la classe moyenne supérieure?

Je pense que nous devons vraiment tenir compte de ce facteur lorsqu’il est question des personnes qui sont criminalisées, isolées et tenues à l’écart de cette façon. Comment pouvons-nous les insérer de sorte que ces personnes soient en sécurité et soient appuyées même si, si je retourne à l’exemple qu’a aussi mentionné M. Mouallem plus tôt, au sein du secteur de l’enseignement, du gouvernement et des médias, il n’y a aucune place sécuritaire? Dans chacune de ces circonstances, peu importe où nous sommes attaqués, nous le sommes, et personne n’intervient. Donc, je pense que ces éléments doivent être séparés de façon distincte.

M. Mouallem : Merci d’avoir posé cette question. Je ne suis pas sûr. D’un côté, je comprends personnellement le fardeau que peut représenter le fait qu’on ait toujours l’impression de devoir défendre nos semblables et de parler au nom d’autres musulmans ou d’autres Arabes ou personnes habitant le Moyen-Orient. C’est vrai pour tous les groupes racisés ou marginalisés.

Le fardeau est injuste, mais du reste, que pouvons-nous faire? Je pense que l’autre option, c’est que des personnes qui n’appartiennent pas à ce groupe, qui imposent leurs idées qu’elles se font de ce groupe, parlent en leur nom.

Je pense qu’il est important que nous cédions notre place à d’autres musulmans, d’autres Noirs ou d’autres musulmans noirs afin qu’ils défendent leurs droits et parlent de leurs expériences personnelles. Cependant, je pense que cela devrait venir de personnes qui veulent jouer ce rôle. Elles seront motivées pour diverses raisons, l’une d’elles étant, à mon avis, parce qu’elles sont, je l’espère, encouragées dès leur plus jeune âge à comprendre en quoi consistent leurs droits civils et leurs droits de la personne. Donc, en vieillissant, il serait tout naturel qu’une personne veuille aborder le sujet et peut-être jouer un rôle de leadership où elle sera en mesure de parler dans le cadre d’une table ronde, comme c’est mon cas aujourd’hui.

La présidente : Merci. Monsieur Mouallem, vous avez abordé la question de l’éducation culturelle. M. Nouman Ashraf de l’Université de Toronto s’est présenté devant notre comité, et il a parlé non pas de sensibilisation aux réalités culturelles, mais plutôt de familiarisation culturelle. Nous tentions de comprendre la différence entre la sensibilisation aux réalités culturelles, la familiarisation culturelle et l’éducation culturelle. Qu’est-ce que cela veut dire? Comment l’appliquer dans les salles de classe? Par où commencer?

M. Mouallem : Je peux seulement présumer de la définition, vu que c’est nouveau pour moi aussi. Mais, selon moi, la familiarisation culturelle, c’est le fait d’aborder la question dans le cadre d’une éducation plus naturelle, où vous parlez comme quelqu’un qui possède déjà les outils pour comprendre, du moins un peu, le contexte culturel d’une autre personne ou la culture de quelqu’un, en général.

Je présume que si vous possédez ces outils, et que vous vous sentez capable de le faire, c’est parce que vous avez été bien éduqué, soit à l’école, soit durant vos rencontres sociales avec des gens de votre communauté. C’est cela, selon moi.

Maintenant, vous pouvez peut-être me dire si j’ai raison ou si j’ai tort, ou peut-être qu’un autre témoin en connaît davantage.

La présidente : Je pense que je vais demander à Mme Jiwani d’intervenir. J’ai toujours dit qu’il fallait être sensible sur le plan culturel, et, maintenant, nous parlons d’éducation culturelle et de familiarisation culturelle. J’essaie de me souvenir de ce qu’il a dit.

Mme Jiwani : Selon moi, la familiarisation culturelle c’est, en d’autres termes, le « capital culturel ». Donc, avez-vous suffisamment de capital culturel pour être en mesure de comprendre en quoi consiste l’autre système?

L’exemple que j’utilise toujours en classe est le suivant : vous allez dans un restaurant haut de gamme quelque part, et il y a tous ses couverts alignés. Sauriez-vous quelle fourchette utiliser en premier et quel couteau?

Chaque domaine possède son capital culturel. Le domaine de la cuisine et le domaine culinaire en possèdent un. Le domaine universitaire en a un. Comment écrire une lettre d’appui? Comment remplir une demande?

Si vous possédez ces outils, vous pouvez composer aisément avec ce système culturel. Lorsque vous ne possédez pas les outils, vous ne pouvez pas lire les signes. Vous ne pouvez pas interpréter ce que chaque chose veut dire.

Lorsque vous êtes sur l’autoroute en direction de Québec, si vous ne comprenez pas le français, vous ne comprendrez pas ce que les panneaux veulent dire, et qu’ils vous incitent à ralentir parce qu’ils sont en français.

Il faut connaître le système. C’est le fait de posséder le capital pour comprendre le système.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : J’ai énormément de questions à la suite des réponses que vous avez données, mais en tant que musulmane pratiquante, je ne veux pas faire le bon travail que la communauté ahmadie fait. J’ai l’impression d’être un membre à part entière de la société canadienne. Les musulmans n’ont pas besoin d’éduquer qui que ce soit, comme l’a dit Mme Jiwani, c’est toujours à nous de le faire. Mais nous n’avons pas le choix.

Monsieur Affan, votre communauté fait un travail très efficace, ou du moins elle le faisait au cours de toutes les années que j’ai passées là-bas, afin de communiquer avec les parlementaires et de travailler activement avec eux. Pensez-vous que le travail a été utile? Pensez-vous que tout le travail que vous avez fait a entraîné un quelconque changement concret?

M. Affan : Oui. Comme je l’ai mentionné précédemment, le fait de travailler avec les parlementaires les aide à comprendre la vraie doctrine de l’islam et en quoi elle consiste. Ils peuvent aussi ramener leurs nouvelles connaissances dans leur circonscription, et lorsqu’ils parlent à des personnes, ils peuvent expliquer en quoi consiste l’islam. Nous avons rencontré de nombreux parlementaires qui ne connaissaient rien à l’islam, mais après avoir participé à nos événements et interagi avec nous, ils ont pu apprendre ce que c’était.

Je vais vous donner un exemple. Il y a deux ans, j’ai rencontré un député. Il ne savait pas ce qu’était l’iftar, ce qu’était le ramadan et en quoi consistait la culture musulmane; il ne savait pas non plus quelles étaient les différences entre l’islam et les autres religions. Ses connaissances tenaient seulement à ce qui avait été dit dans les médias. Je parle d’un député provenant d’un petit village. Après nous avoir rencontrés, il en a appris beaucoup. Maintenant, il ramène ce nouveau bagage dans sa collectivité, et tente d’aider les personnes là-bas à comprendre ce qu’est l’islam et s’efforce de modifier l’idée défavorable de l’islam que se font les personnes qui ne connaissent rien à cette religion.

Donc, oui, le fait d’éduquer a été utile au cours des dernières années, et nous nous sommes sentis heureux de le faire. J’espère que j’ai répondu à votre question.

La sénatrice Jaffer : Ma question est assez vaste, mais je peux peut-être la segmenter. Elle s’adresse à vous trois, et je commencerais avec vous, madame Jiwani. Ce que nous avons entendu, particulièrement à Edmonton, me hante. Des femmes, à Edmonton, m’ont dit qu’elles ont été agressées — M. Mouallem peut peut-être aborder ce sujet —, et lorsqu’elles ont déposé une plainte, ce sont elles qui ont été accusées. J’ai été très surprise. Vous savez, lorsque nous avons parlé de la formation policière... je pensais que nous avions dispensé beaucoup de formation policière sur l’islam. Que pouvons-nous faire de plus à titre de musulmans?

Mme Jiwani : Je vais revenir à la question précédente et la lier à celle-ci, parce que je pense que ce sujet les lie vraiment ensemble.

La présidente : Pourrais-je seulement dire quelque chose? Nous avons entendu une histoire semblable d’une mère qui a été maltraitée, et la police est venue et l’a accusée elle aussi. Il semble y avoir un modèle au sein de notre police, dans le cadre duquel elle accusera assez souvent la victime.

Mme Jiwani : Cela me rappelle la question de tolérance zéro à l’égard de la violence. De nombreux groupes de femmes ont vraiment milité en faveur de cela, parce que lorsque la tolérance est zéro, vous présumez que les deux parties sont égales. Les femmes qui appelaient la police étaient souvent celles qui finissaient en prison parce qu’elles étaient perçues comme aussi coupables que l’autre personne.

Donc, il y a cet aspect, mais j’aimerais revenir à la question du contexte, parce que ce premier contact que la communauté ahmadie initie constitue un point de contact primordial. Mais, pouvons-nous l’appliquer ailleurs?

Le rapport le plus récent qui a été publié au sujet des gardes-frontières canadiens qui stigmatisent les musulmans et font du profilage racial à leur endroit, par exemple, montre que le problème tient aux interactions avec les institutions. Que ce soit dans la police, ou dans le système d’éducation, ce genre d’interaction se produit dans chacun de ces organismes institutionnels, et le fait d’inspecter à des fins de sécurité les musulmans et de faire du profilage à leur endroit est quelque chose qui se transmet.

Lorsqu’un groupe est perçu comme un groupe posant problème, le fait que des femmes sont aussi les victimes n’est pas important parce qu’elles sont toujours perçues comme faisant partie du problème; et le problème est aussi incarcéré.

C’est ici que nous revenons à votre première question, madame la sénatrice Jaffer, au sujet des femmes musulmanes. Je pense à toutes les recherches que j’ai effectuées sur le colonialisme, et une question me vient à l’esprit : pourquoi est-ce que le corps des femmes est toujours le point central? Une partie du problème, c’est que lorsque vous réglementez le corps des femmes, vous réglementez cette communauté. Donc, vraiment, tout commence par la façon dont vous les traitez.

La sénatrice Jaffer : Madame Jiwani, lorsque vous parlez de la façon dont le corps des femmes est réglementé, une des choses qui m’offensent vraiment à propos des féministes — vous et moi militons en faveur des femmes depuis toujours —, c’est qu’elles disent : « Ce que nous faisons avec notre corps est notre choix ». Or, lorsqu’il est question de la façon dont les femmes doivent s’habiller, elles ne nous défendent pas.

Mme Jiwani : Oui, effectivement.

La sénatrice Jaffer : Comment est-ce possible?

Mme Jiwani : C’est la même chose. Encore une fois, c’est comme ce qui se passe présentement en Iran. En fait, les femmes ne veulent pas porter le hidjab. Les jeunes femmes musulmanes à Montréal et en France veulent le porter. En Inde, elles veulent le porter. Mais, ce n’est jamais leur choix; c’est toujours contrôlé par l’État. Donc la propagande menée par l’État, et l’idée que le féminisme est le fait d’être libérée et libre... le féminisme occidental est complètement à l’opposé du féminisme dans les pays du tiers monde, comme vous le savez très bien, dans le cadre duquel on a toujours dit qu’il n’y avait pas qu’un seul problème. Il y a une intersectionnalité.

Tous ces problèmes nous concernent, que ce soit une question de justice, de choix que nous pouvons faire quant à notre corps, des droits liés à la procréation et ainsi de suite. Ces problèmes nous concernent tous. Donc, nous ne pouvons pas régler un problème en disant : « Oh, ce n’est qu’un hidjab. Oh, ce n’est qu’un morceau de vêtement ». Tout se ramène au niveau de contrôle et de pouvoir que nous avons sur notre vie.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Omidvar : Je trouve le ton de la discussion très intéressant. Je pense entendre beaucoup de frustration dans les commentaires de Mme Jiwani, et un peu d’optimisme dans les commentaires de M. Mouallem et M. Affan.

J’aimerais en entendre davantage de votre part, madame Jiwani, parce que vous vous concentrez sur la capacité institutionnelle, les politiques, les lois et les règlements, notre quotidien; quelles recommandations aimeriez-vous retrouver dans notre rapport qui régleraient votre frustration?

Mme Jiwani : J’ai déjà dit ce que je recommanderais, mais une partie du problème est que nous ne respectons pas les droits de la personne, que ce soit ceux des musulmans, des musulmanes ou des peuples racisés. En quoi ces droits sont-ils réellement respectés? Que se passe-t-il au sujet du profilage racial? Quel genre de règlements avons-nous mis en place afin que les gardes-frontières cessent d’arrêter les musulmans chaque fois qu’ils en voient, ou, lorsqu’ils voient votre passeport, de nous isoler? J’aimerais que ce genre de choses changent.

Comme je participe à ce mouvement et que j’y travaille depuis au moins 40 ans, à commencer par le Committee for Racial Justice à Vancouver, je commence à penser que si ces institutions ne changent pas, rien ne changera. La qualité de vie peut être améliorée si nous favorisons la familiarisation culturelle afin d’être en mesure de faire notre chemin dans la société dominante, mais quelle est notre part de responsabilité à cet égard, et à quel point cela touche-t-il nos communautés et nos enfants?

Mon optimisme tient aussi au genre de travail que fait M. Mouallem, parce que le fait de raconter des histoires et des situations pour contrer les perceptions devient une façon dont nous, les musulmans à titre de nation, pouvons non seulement nous rappeler, mais aussi revivre les choses que nos parents et nos jeunes ont traversées.

Ensuite, le livre de Jasmin Zine, Under Siege: Islamophobia and the 9/11 Generation, qui renferme les récits de jeunes musulmans qui racontent ce qu’ils ont vécu, est une œuvre critique qui présente l’envers de la médaille. C’est une œuvre de la plus haute importance parce qu’elle nous permet de faire entendre notre voix de la façon dont nous voulons le faire. C’est ce qui doit s’infiltrer dans toute la structure institutionnelle.

La présidente : Merci.

Monsieur Mouallem, aimeriez-vous répondre à la question?

M. Mouallem : Oui. J’ajouterais ceci — parce que je sais que notre temps tire à sa fin —, pour ce qui est de formuler des recommandations, j’ai recommandé trois ou quatre choses, toutes liées à la promotion du patrimoine et de la culture islamiques par le récit, essentiellement. C’est étrange que nous n’ayons pas parlé jusqu’ici des lois québécoises sur la laïcité. Nous avons parlé de protéger les droits des femmes de s’habiller comme elles l’entendent et de disposer de leur corps comme elles le veulent dans d’autres pays comme en Iran, en Inde et en France, comme s’il s’agissait d’un enjeu éloigné, mais ce ne l’est pas. Ça se passe ici. La loi 21 est maintenant en vigueur. Nous n’avons pas à chercher à l’extérieur du pays pour voir comment les droits de la personne des musulmans sont limités. Ça se passe ici, chez nous.

Je recommanderais d’adopter une politique pour corriger cela et pour corriger la violation extrêmement grave au Québec présentement.

La présidente : Merci, monsieur Mouallem. Nous n’avons pas parlé de la loi 21 durant la réunion d’aujourd’hui, mais chaque fois que nous accueillons des témoins, nous discutons effectivement de la loi 21. Les témoins en parlent, je vous l’assure. Certains d’entre nous, ici présents, ont même pris le temps de s’y opposer, au Sénat.

[Français]

La sénatrice Gerba : Effectivement, on n’a pas évoqué la loi 21. Moi, je viens du Québec et je sais que c’est une loi qui a fait beaucoup de tort et je voulais revenir à la professeure Jiwani et à M. Mouallem.

Quand on vit dans des sociétés qui se disent laïques, comme c’est le cas au Québec, vous dites qu’on peut éduquer la population, les médias et toutes les parties prenantes à l’histoire et au patrimoine islamique. J’aimerais vous entendre un peu plus pour savoir par où commencer. Comment opérationnaliser une telle éducation en sachant que, même dans la communauté musulmane, il y a tellement de factions? Certaines femmes prônent le port du voile, veulent garder leur voile, d’autres ne veulent pas; il y a ce que l’Islam dit ou non sur la question. Il y a même des témoins qui sont venus ici et qui nous ont raconté ce qu’ils vivent. Ils vivent des discriminations, ils vivent de l’islamophobie au sein même de leur communauté musulmane.

Par où commencer et comment structurer une telle approche culturelle, une telle approche éducationnelle, une telle approche de sensibilisation si déjà, entre les musulmans, c’est assez difficile de prôner la même chose?

[Traduction]

La présidente : Je demanderais aux témoins d’être brefs. Nous avons déjà dépassé notre temps de 10 minutes, alors je vous saurais gré d’être concis. Merci.

Mme Jiwani : Merci, madame la sénatrice, de me poser cette question.

Il y a deux ou trois choses que j’aimerais souligner d’entrée de jeu. Le patriarcat n’est pas limité à la communauté musulmane. C’est l’un des aspects que les gens ciblent, souvent. Chaque fois qu’une femme est assassinée, si cela est arrivé dans la communauté musulmane, on dit que c’est un crime d’honneur, mais quand cela arrive à l’extérieur de la communauté musulmane, dans la société laïque, on dit que c’est un féminicide.

L’une des approches, pour avoir cette discussion, consiste à nommer les points communs. Je fais cela en classe. S’il y a un groupe de femmes qui se battent pour porter le voile et un autre groupe de femmes qui se battent pour ne pas porter le voile, la question est : qui a le droit de contrôler leurs corps?

Que l’État ait le droit de dire à une femme qu’elle peut porter ou non le voile, c’est le principal problème. Il faut ramener cela à la définition fondamentale du féminisme, c’est-à-dire que les droits des femmes doivent être respectés. C’est une chose.

Une partie de la question tient à la laïcité du Québec. L’une des raisons pour lesquelles j’ai mentionné tous ces autres endroits et pas le Québec, c’est parce que j’ai toujours très peur de ce qu’on appelle le « Quebec bashing ». L’histoire de cette province est importante : elle a été sous le joug de l’Église pendant si longtemps que, maintenant, tout ce qui est lié à la religion est stigmatisé.

Il faut reconnaître l’histoire de la province et reconnaître que nous respectons cette histoire, mais aussi encourager tout le monde à s’intéresser aux autres histoires. La sensibilisation de masse, ce serait une autre approche que nous pouvons utiliser. C’est comme pour dire, d’accord, on est enfermé dans cette vision du monde présentement, mais si on revient à l’histoire du voile, on voit qu’il y a toutes sortes d’interprétations selon lesquelles ce sont d’abord les femmes bourgeoises qui ont porté le voile, puis cela s’est répandu dans les classes inférieures. Quand la reine a commencé à porter un chapeau, beaucoup de femmes aux Antilles ont commencé à porter un chapeau.

On peut dire que les classes inférieures ont reproduit la culture de l’élite. Quand on examine et qu’on décortique toute cette question, on voit à quel point tout cela est artificiel, et que cela n’a vraiment rien à voir avec les droits de la personne. C’est plutôt que l’État veut exercer son contrôle, en fonction de son interprétation de l’histoire.

La présidente : Merci.

Monsieur Mouallem, voulez-vous répondre rapidement?

M. Mouallem : Merci de la question. Vous avez soulevé un point très important, pas en ce qui concerne le manque de cohésion entre les divers groupes musulmans et les mosquées en ce qui concerne leurs opinions et leurs interprétations de la foi, mais plutôt par rapport à la diversité. Je pense que la fausse idée la plus répandue à propos de l’islam est qu’il s’agit d’un groupe monolithique, ce qui est absolument faux. Il s’agit de la deuxième religion au monde, et, comme dans n’importe quelle grande religion, l’islam compte de nombreuses branches, confessions et déclinaisons culturelles et nationales.

J’ai passé environ la moitié des 10 dernières années à voyager d’un bout à l’autre des Amériques. Durant ce temps, j’ai visité probablement environ 50 mosquées, appartenant à quelque chose comme 13 confessions, peut-être même plus. J’ai été élevé comme un musulman, et j’ai été étonné de voir la diversité des croyances. Donc, c’est important, quand on parle de l’islam, de ne pas dire l’islam, mais plutôt les confessions islamiques. Quand on parle des musulmans, on devrait éviter d’utiliser l’expression « communauté musulmane » ou « les communautés musulmanes », alors qu’il y a de nombreuses communautés musulmanes. Renforcer l’idée de la diversité, renforcer l’idée qu’il y a de nombreuses interprétations et pratiques, cela ne peut être que bénéfique.

La présidente : Merci beaucoup.

Voulez-vous intervenir, monsieur Affan?

M. Affan : Je suis d’accord pour dire qu’on devrait toujours garder l’État et la religion séparés. Cela rejoint aussi une question de la sénatrice Jaffer sur l’utilité de notre travail avec les parlementaires. Nous défendons toujours l’idée que la religion et l’État doivent rester séparés. Il ne revient pas à l’État de dire à une femme de porter le hidjab ou de ne pas porter le hidjab ou de porter le voile ou de ne pas porter le voile. Ce choix appartient aux femmes; c’est le propre choix de ces personnes. L’État ne devrait pas intervenir à cet égard. Donc, c’est une chose, et cela fait partie du travail de sensibilisation que nous faisons avec les parlementaires.

Aussi, parallèlement, nous travaillons avec les organismes d’application de la loi pour faire le même genre de sensibilisation. À bien des endroits, quand les nouveaux diplômés ont fini leurs cours, mais avant qu’ils ne commencent à travailler pour les organismes d’application de la loi, ils viennent faire une journée de formation dans notre mosquée, et nous leur disons tout à propos de l’islam et de la culture. Nous leur enseignons ce qu’est l’islam, ce qu’est sa culture et quelles sont les différences.

Nous leur disons aussi que les femmes font elles-mêmes ce choix. Elles ont la liberté de choisir. Si elles veulent le faire, elles devraient pouvoir le faire. Personne ne devrait leur dire quoi faire.

La présidente : Merci beaucoup. Je vais profiter de l’occasion pour remercier sincèrement nos témoins d’avoir accepté de participer à la présente étude, si importante. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide dans le cadre de notre étude. Si vous pensez que vous avez oublié quelque chose et que vous voudriez nous en faire part, vous pouvez toujours nous envoyer un mémoire par écrit. Merci beaucoup de votre temps.

Honorables sénateurs et sénatrices, je vais présenter notre deuxième groupe de témoins. Nous avons demandé à chaque témoin de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Lorsque tous les témoins auront terminé leur déclaration, nous passerons aux questions des sénateurs et des sénatrices.

Nous accueillons M. Evan Balgord, directeur général du Canadian Anti-Hate Network; Mme Leigh Naturkach, directrice générale de la Mosaic Institute; et Mme Citra Ahmed, coordinatrice des services sociaux de la mosquée Al Rashid, à Edmonton.

J’invite maintenant M. Evan Balgord à nous présenter sa déclaration.

Evan Balgord, directeur général, Canadian Anti-Hate Network : Merci beaucoup. Cela fait maintenant six ans que je surveille la montée du nouveau mouvement d’extrême droite du Canada, qui a vu le jour en 2016 en tant que mouvement antimusulman.

Je veux mettre en relief les cinq facteurs qui ont mené à ce moment. Premièrement, l’islamophobie préexistante, découlant de la « guerre au terrorisme », dans ce qu’on appelle l’industrie de l’islamophobie, dans les soi-disant blogues contre le djihad. Deuxièmement, l’élection du premier ministre. Chaque fois qu’une personne progressiste et favorable au multiculturalisme est élue, il y a toujours un retour de l’extrême droite. Troisièmement, la crise des réfugiés syriens, qui a alimenté la xénophobie et les sentiments anti-immigrants, en particulier la haine contre les musulmans, ce qui a en retour dynamisé les groupes haineux antimusulmans. Quatrièmement, ces groupes haineux antimusulmans se sont carrément établis ici : par exemple, les Soldiers of Odin ont commencé à s’implanter ici. Cinquièmement, la campagne de Donald Trump, explicitement raciste et haineuse envers les musulmans, a permis aux gens d’exprimer leurs opinions haineuses.

À l’époque, cependant, cela se passait majoritairement en ligne. Il y avait énormément de haine — beaucoup de groupes Facebook et de choses du genre —, mais cela se faisait majoritairement en ligne, jusqu’au moment charnière : les libéraux ont présenté la motion 103 pour dénoncer de façon générale l’islamophobie, et de nombreux commentateurs et politiciens ont déclaré que cela allait criminaliser toute critique envers l’islam.

C’était un mensonge, évidemment. Ce discours était principalement relayé par Rebel Media, et c’est peu de temps après sa conférence contre la motion M-103, à Toronto, qu’il y a eu les premières manifestations antimusulmans à Toronto, qui sont devenues ensuite une affaire presque hebdomadaire. Certains groupes haineux que vous reconnaissez peut-être — les Three Percenters, les Proud Boys et les Soldiers of Odin — y ont tous participé, et certains — pas tous, mais certains — étaient ostensiblement néo-nazis et prônaient la suprématie blanche.

Ces manifestations se sont répandues à l’échelle du Canada. Les manifestants ont agressé et ont attaqué les contre-manifestants. Plus tard, certaines personnes ou certains de ces groupes ont brûlé des corans ou alors prenaient des notes sur les gens qui allaient à la mosquée.

La motion M-103 a été adoptée, et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête, alors ce nouveau mouvement d’extrême droite antimusulman a eu besoin d’un nouvel enjeu pour poursuivre ses manifestations. Il a commencé à devenir davantage antigouvernement, antigauche et anti-anti-fasciste. Arrivons rapidement à la fin de 2018 : les manifestations des gilets jaunes en France contre les mesures d’austérité. On voyait la colère dans les images et les vidéos. Les foules étaient énormes. Cela a inspiré les groupes, les instavidéastes et les activistes antimusulmans. Ils ont volé le nom, ont dit qu’ils étaient en faveur du pétrole et du gaz et de l’indépendance de l’Ouest, et ils sont devenus les gilets jaunes canadiens. En une semaine ou deux, 250 000 personnes au bas mot avaient rejoint leurs groupes Facebook.

Nous avons documenté des centaines d’exemples de menaces de mort contre des politiciens ou de haine ouverte contre les musulmans, parce que, même s’ils s’intéressent aussi à d’autres enjeux, c’était leurs racines. Ceux qui se plaignaient du discours raciste ou violent étaient expulsés du groupe.

Les gilets jaunes canadiens ont organisé le convoi appelé « United We Roll », mais la participation n’a pas été aussi forte qu’ils l’auraient souhaité, et le mouvement, démoralisé, a commencé à perdre de la vigueur. Malgré tout, un grand nombre de ces instavidéastes et organisateurs sont plutôt devenus des acteurs clés dans le mouvement contre le confinement, qui a donné lieu au convoi et à l’occupation d’Ottawa plus tôt cette année.

Je voulais insister spécialement là-dessus, parce qu’on peut faire remonter les origines du mouvement d’extrême droite au Canada aujourd’hui à la haine contre les musulmans en 2016.

Je tiens à vous expliquer quelles sont, selon moi, les sources de la haine antimusulmane en ligne, au Canada. Ce genre de choses ne se produit pas exactement en vase clos. En août 2019, M. Richard Warman, avocat spécialisé en droit de la personne et membre du conseil d’administration du Canadian Anti-Hate Network a déposé une plainte au criminel auprès du service de police de la ville d’Ottawa contre Rebel News. Je vais citer un extrait de la plainte :

Les vidéos de Rebel News transmettent des messages haineux qui dépeignent toujours les membres de la communauté musulmane comme des terroristes, des criminels, des pédophiles, des violeurs et des gens intrinsèquement mauvais dont le but est de prendre le contrôle de la société [...] Dans ses émissions, Rebel News attaque la communauté musulmane en utilisant des moyens similaires ou pires que ceux employés par des gens qui ont pour cela déjà été déclarés coupables au criminel au Canada.

L’une des éditions de Rebel News, par Faith Goldy, est intitulée « More Muslims Equals More Violence », soit plus de musulmans égale plus de violence.

Rebel Media a aussi publié une vidéo de Tommy Robinson dans laquelle il qualifie les musulmans de « combattants ennemis qui veulent vous tuer, vous mutiler et détruire votre mode de vie ».

Je pourrais donner beaucoup plus d’exemples. De fait, la plainte fait 53 pages. À notre avis, la police n’avait pas besoin de plus de preuves pour déposer des accusations, mais elle n’a rien fait. La vidéo et les articles de Rebel Media que M. Warman cite dans sa plainte au criminel ont inspiré les gens qui les consultent à laisser des commentaires comme « les hommes musulmans ont vécu trop longtemps comme des sauvages sexuels », « ces gens se reproduisent comme des rats » et « il faut les brûler vifs, les aveugler, les tuer; c’est la seule façon ».

Laissons Rebel Media de côté un moment, il y a une organisation appelée Action4Canada, dont l’énoncé de mission commence par quelque chose comme : « Notre mission est de protéger le riche patrimoine du Canada, fondé sur les principes bibliques judéo-chrétiens. » Ce groupe est contre l’avortement et contre les personnes LGBTQ+, et s’oppose très fortement à l’éducation sexuelle. Il décrit les personnes LGBTQ+, en particulier les personnes trans, comme étant des prédateurs sexuels et des pédophiles. Voici ce qu’il a à dire sur les musulmans :

Le problème, c’est que dans n’importe quel pays où arrivent des musulmans modérés ou progressistes [...], les musulmans radicaux suivent toujours, et ils ont le pouvoir, l’argent et l’intention nécessaires pour amener la destruction. Leur but est de dominer le monde [...], une nation à la fois.

Si nous voulons que le Canada continue d’incarner l’espoir pour les gens qui fuient la mort et la persécution, nous devons être prêts non seulement à affronter la menace, mais aussi à la dénoncer et à l’éradiquer.

Ensuite, il y a LifeSiteNews, dont vous avez peut-être entendu parler. Il s’agit d’un journal chrétien-fasciste, fondé il y a 25 ans par le groupe canadien anti-avortement Campaign Life Coalition. YouTube a supprimé sa chaîne parce qu’il diffusait de la désinformation à propos de la COVID, mais il a tout de même une longue liste d’abonnés par courriel. Il publie 4 000 articles par année et prétend avoir plus de 20 millions de lecteurs. Ses articles dépeignent les musulmans comme une force d’envahisseurs dangereux. Ses gros titres ressemblent à : « Les chrétiens de l’Europe ont-ils raison de craindre l’immigration de masse des musulmans » et « Les musulmans se préparent à envahir l’Europe par la Grèce, et l’Union européenne s’en fiche ».

Si je vous donne ces exemples aujourd’hui, c’est parce que même si nous pouvons et devrions parler du rôle des plateformes des médias sociaux, nous devrions aussi nous demander qui, ici au Canada, crée le contenu raciste et complotiste qui, à mon avis, contribue énormément à la haine et au harcèlement en ligne.

Enfin, je voudrais parler très brièvement de l’hindutva, un mouvement prônant le suprémacisme hindou, qui cible les musulmans. Preuve de son ultranationalisme, un groupe paramilitaire, le Rashtriya Swayamsevak Sangh, ou RSS, fondé en 1925, en fait partie. Un sous-groupe du RSS, l’Hindu Swayamsevak Sangh, ou HSS, est ici au Canada. Sur Internet, le mouvement de l’hindutva utilise les trolls et les robots pour mener une grande campagne de harcèlement contre les musulmans et contre quiconque ose critiquer le mouvement. C’est...

La présidente : Puis-je vous demander de parler un peu plus lentement? Les interprètes ont de la difficulté.

M. Balgord : Bien sûr.

Ses membres justifient et célèbrent la violence contre les musulmans, souvent en partageant des vidéos horribles montrant des agressions et des meurtres, et ils ont aussi harcelé et intimidé des universitaires canadiens.

J’ai mentionné l’hindutva parce que, même si je voulais surtout parler des groupes et des personnes qui, à mon avis, sont responsables de la propagation en ligne de la haine contre les musulmans au Canada, je voulais aussi souligner qu’il existe ici un mouvement qui, avec l’appui tacite de son gouvernement, cible les musulmans aux quatre coins du monde, mais dont la présence est fortement ressentie ici au Canada.

Merci. Je suis impatient de répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Je vais maintenant donner la parole à Mme Leigh Naturkach, du Mosaic Institute.

Leigh Naturkach, directrice générale, Mosaic Institute : Merci beaucoup de nous avoir invités à participer à cette discussion aujourd’hui. Au nom du Mosaic Institute, je vous remercie de nous permettre de témoigner devant le comité. Nous comprenons que ces efforts s’inscrivent dans le cadre d’un objectif plus vaste, celui de créer un Canada plus fort et plus uni pour nous tous.

Nous avons cette même vision. Le Mosaic Institute est un organisme national sans but lucratif dont le but est de donner aux gens les connaissances et les compétences nécessaires pour éliminer les préjugés. Nous travaillons avec divers acteurs pour échafauder, par la recherche, le dialogue, les politiques, la sensibilisation et la formation, des solutions aux problèmes communautaires et systémiques. Il y a énormément de travail à faire, face à la triste réalité de l’islamophobie qui continue de sévir dans tout le Canada.

En 2019, le Mosaic Institute a témoigné devant votre comité et a formulé des recommandations sur la haine en ligne; nous avons mis l’accent sur le rôle grandissant des médias sociaux et sur la haine contre les musulmans. Parmi les sources qui alimentent l’islamophobie, notons les personnes, les médias, les politiciens, les universitaires, les institutions et les groupes d’extrême droite ainsi que les suprémacistes blancs et leurs partisans.

Il y a des gens qui, par ignorance ou délibérément, répandent de toutes sortes de façons des stéréotypes défavorables sur l’islam et les musulmans qui encouragent la discrimination, la violence, la haine, la destruction et même, à l’extrême, le meurtre.

Les Canadiens sont plus susceptibles d’entretenir des stéréotypes défavorables à propos des Canadiens musulmans qu’à propos de n’importe quelle autre grande religion. Les crimes signalés à la police et ciblant des personnes de confession musulmane ont augmenté de 71 % en 2021, et comme nous le savons, de nombreux autres ne sont pas signalés.

Le Mosaic Institute veut être un pont, un facilitateur, une plateforme et une ressource pour les gens et les communautés afin qu’ils puissent identifier, comprendre et éliminer les préjugés. Depuis notre dernière discussion, en 2019, nous avons établi des liens directs avec plus de 1 000 jeunes et plus de 500 000 personnes, en ligne et en personne, d’un bout à l’autre du Canada.

Nous avons constaté, de façon incontestable, qu’il est nécessaire d’adopter une approche plus rigoureuse et intersectionnelle pour lutter contre les préjugés, y compris contre l’islamophobie. Des membres des communautés musulmanes nous ont fait part de ce qu’ils vivent à cause de l’islamophobie : de l’exclusion, de la surveillance, de l’hostilité, du harcèlement, une absence démoralisante de soutien des gens qui sont témoins d’un incident; ou alors, ils doivent choisir entre leur foi et leur sécurité, et ils sont nombreux à dire qu’ils sont perçus comme étant musulmans, mais pas Canadiens.

De jeunes femmes visiblement musulmanes nous ont parlé des lourdes répercussions sur leur santé mentale et des conséquences physiques potentielles du fait de devoir constamment évaluer l’espace physique où elles se trouvent, veiller à leur sécurité et composer avec leur crainte.

Il est crucial de reconnaître les expériences intersectionnelles liées à l’islamophobie, surtout pour les femmes noires et visiblement musulmanes et de nous y attaquer. Souvent, il y a un effacement évident de leurs voix, de leur vécu et de leur autonomie. Comme certaines personnes nous l’ont dit : « Nous trouvons réconfort dans la solidarité lorsqu’il y a une tragédie. Nous avons besoin que vous soyez à nos côtés chaque jour dans les écoles, dans les métros, dans les centres commerciaux, dans les bureaux et dans nos rues pour protéger et préserver notre place au Canada. »

Au Mosaic Institute, nous donnons aux gens les moyens d’être présents. Nous aidons les jeunes à développer leur pensée critique et à créer des plans d’action tangibles pour améliorer les communautés. Nous organisons des discussions échelonnables pour réunir des gens qui ont divers points de vue, pour qu’ils puissent interagir et créer conjointement des solutions. Nous produisons des études communautaires pour éclairer les recommandations en matière de politiques qui ciblent les préjugés. Le fardeau de lutter contre l’islamophobie ne peut pas être placé seulement sur les épaules de ceux qui en sont victimes. Nous avons les histoires. Nous avons les données. Nous avons les recommandations. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’actions continues et d’un engagement à travailler ensemble.

Le Mosaic Institute est disposé à travailler en partenariat avec le gouvernement et d’autres entités pour lutter ensemble contre l’islamophobie. Pour cela, nous avons des recommandations à proposer au comité : premièrement, il faut déployer des efforts réels et continus en matière de sensibilisation, de mobilisation et de leadership des musulmans de divers horizons, dans les sphères de décision. Cela suppose de poursuivre le travail pour établir des liens avec les collectifs communautaires afin de bâtir des réseaux et des approches plus robustes.

Deuxièmement, il faut mettre en œuvre, avec suffisamment de ressources, le reste des recommandations qui ont été présentées dans les rapports du Sommet national sur l’islamophobie de 2021, rédigés par le Conseil national des musulmans canadiens et le Conseil canadien des femmes musulmanes.

Troisièmement, il faut investir dans les activités qui favorisent les liens entre les communautés et les institutions afin d’améliorer la compréhension, le partage des expériences et la discussion.

Quatrièmement, il faut fournir du soutien pluriannuel aux groupes musulmans ainsi qu’aux organisations qui luttent contre les préjugés et la haine, y compris les initiatives axées sur ceux qui alimentent la haine.

Cinquièmement, il faut soutenir les campagnes et les programmes d’intervention à l’intention des témoins d’un incident haineux; il faut les amener à agir et leur donner les compétences nécessaires pour intervenir.

Sixièmement, il faut des programmes de sensibilisation et de formation accessibles et efficaces, touchant au contenu islamophobe, pour les employés et les représentants du gouvernement ou ceux qui relèvent du fédéral.

Enfin, les leaders doivent montrer l’exemple en combattant les fausses informations et la désinformation, en condamnant l’islamophobie sous toutes ses formes et en contrant les attitudes méprisantes et le déni, en reconnaissant et en condamnant l’existence et la montée du suprémacisme blanc au Canada, en remettant en question les croyances tenaces et les diverses notions de ce que cela veut dire d’être Canadien, en faisant connaître et en recadrant les diverses perspectives musulmanes, ainsi que l’art, les histoires et les contenus musulmans, et aussi en faisant connaître et en célébrant les contributions et l’histoire des musulmans au Canada au cours du dernier siècle.

Je vous remercie de votre temps. Je répondrai à vos questions avec plaisir.

La présidente : Merci beaucoup. La parole va maintenant à Mme Citra Ahmed.

Citra Ahmed, coordinatrice des services sociaux, mosquée Al Rashid, Edmonton, à titre personnel : Salaam alaikum. [mots prononcés en arabe]

Que la bénédiction et la miséricorde de Dieu descendent sur vous tous et toutes. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis la première mosquée du Canada, la mosquée Al Rashid, qui a été construite en 1939. Jadis une terre magnifique qui accueillait les pionniers musulmans, notre pays connaît aujourd’hui l’un des plus hauts taux d’attaques islamophobes contre les musulmans. L’islamophobie se manifeste par le vandalisme des mosquées, des attaques corporelles, des agressions physiques contre des musulmans, comme...

La présidente : Pourrais-je vous demander de parler un peu plus lentement? Les interprètes ont de la difficulté.

Mme Ahmed : Toutes mes excuses, j’y veillerai.

L’islamophobie se manifeste par le vandalisme des mosquées, des agressions physiques contre les musulmans, y compris des actes violents contre les femmes musulmanes qui portent le hidjab, surtout les femmes noires. En janvier 2017, six musulmans ont été assassinés lors d’une fusillade dans une mosquée de Québec. L’année dernière, des Canadiens musulmans de trois générations ont été tués pendant qu’ils s’adonnaient à l’une des activités les plus banales de la vie : faire une promenade. Ces histoires sont devenues notre nouvelle réalité.

J’ai deux nièces magnifiques. Elles ont 16 et 15 ans. Comme beaucoup d’adolescentes, elles aiment être avec leurs amis et s’attirer des ennuis. Elles sont aussi noires et musulmanes, et je le dis avec tristesse, parce qu’être femme, noire et musulmane non seulement vous désavantage, dans un système structuré pour nourrir le racisme contre vous, cela veut aussi dire que vous êtes susceptible d’être victime d’agressions physiques et verbales, même quand vous voulez simplement prendre l’autobus.

Les jeunes femmes musulmanes du Québec ne peuvent même plus oser rêver de devenir enseignantes ou agentes de police, si elles tiennent à porter le hidjab. Notre pays n’est plus un endroit où les musulmans se sentent en sécurité. Même si nous n’avons pas réussi à protéger les Canadiens musulmans en personne, nous pouvons mettre en œuvre des changements pour commencer à les protéger en ligne : en adoptant des lois sévères et robustes qui exigent que les gens qui répandent des idéologies islamophobes en dépeignant les musulmans comme des sauvages, des terroristes oppressifs et des êtres violents, rendent des comptes. Hitler a utilisé le même genre d’idéologie pour dépeindre la communauté juive et justifier l’Holocauste. Les communautés autochtones se sont battues pendant des décennies contre le même genre d’idéologie qui opprime.

Internet a créé un environnement où les gens peuvent, en toute sécurité, répandre la haine et cibler les communautés minoritaires. Les gens sont anonymes derrière leur clavier, et il n’y a aucune loi en place qui exige qu’ils rendent des comptes; cela les a enhardis. Internet et les médias sociaux sont devenus un terreau pour les idées violentes et extrémistes, qui sont activement diffusées sur de nombreuses plateformes numériques. La présence endémique de matériel haineux a radicalisé des milliers de partisans et a permis aux groupes extrémistes d’élargir leurs réseaux à l’échelle locale et internationale, et ainsi de se réunir et de prendre encore plus de place en ligne. C’est le cas du groupe haineux qui a attaqué la mosquée Al Rashid en 2019, les Sons of Odin. Ses membres se sont trouvés en ligne, parce qu’ils tenaient le même discours haineux envers les musulmans dans leur contenu.

J’entends beaucoup d’agents de police dire qu’il est important de signaler les incidents pour combattre l’islamophobie. J’entends des chercheurs et des fonctionnaires le dire aussi, parce que cela a une incidence sur les fonds qui sont affectés aux projets antiracisme. Il convient alors de souligner que les membres des communautés marginalisées sont réticents à l’idée de signaler les crimes haineux à la police, par crainte de ne pas être pris au sérieux, d’être traumatisés de nouveau ou d’interagir avec des agents qui ne sont pas sensibles à leur culture ou qui n’ont pas reçu de formation sur le traumatisme.

Lorsqu’il est question de projets importants comme celui-ci, nous avons tendance à examiner les données et les chiffres tirés de rapports pour formuler des recommandations éclairées ou prendre des décisions. Nous oublions presque toujours qu’il y a derrière cela de vraies personnes qui ont vécu des expériences extrêmement traumatisantes, et qui n’avaient pas de système pour les soutenir. Il faut un système de soutien aux victimes dans toutes les villes. Nos sœurs et nos frères musulmans méritent le meilleur soutien mental, émotionnel et financier que nous pouvons leur offrir. Ils ne méritent pas de traverser ces épreuves seuls. Le fardeau ne devrait pas incomber à nos communautés musulmanes de fournir du soutien à ces familles, sans aide financière.

J’ai vécu de la haine, de l’islamophobie et du racisme; cela a été ma réalité. Cela a été mon histoire, mais je ne permettrai jamais, au grand jamais, que ce soit l’histoire de ma fille. Refusons que l’histoire se répète. Nous ne pouvons plus balayer l’islamophobie sous le tapis. Nous ne pouvons plus utiliser l’islamophobie comme promesse électorale pour gagner des votes. Nous avons besoin de mesures sérieuses, avec des lois robustes et des politiques zéro tolérance pour protéger les musulmans.

Je vous remercie de votre temps. Je répondrai à vos questions avec plaisir.

La présidente : Merci beaucoup. Les sénateurs et sénatrices qui étaient à Edmonton se souviendront aussi d’avoir entendu certains des témoignages les plus émouvants de la part de jeunes femmes noires qui portaient le hidjab à Edmonton, qui étaient régulièrement maltraitées, qui se faisaient cracher dessus et qui se faisaient arracher leur hidjab. Je vais maintenant donner la parole à la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci à nos trois témoins. Vous nous avez donné tellement d’informations précieuses que ce sera difficile, dans les quelques minutes que nous avons, de vous poser des questions et de vous donner le temps d’y répondre.

Je vais commencer par vous, madame Ahmed.

La mosquée Al Rashid nous a accueillis chaleureusement. Nous avons passé une bonne soirée à échanger des connaissances, en toute hospitalité. Vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence aujourd’hui également. Vous avez dit que, quand les jeunes femmes noires qui portent le hidjab — et aussi les femmes matures, l’âge n’a pas d’importance — se font agresser, elles hésitent à signaler l’incident à la police. Pouvez-vous nous donner plus de détails là-dessus, s’il vous plaît?

Mme Ahmed : Oui. Merci de la question. J’ai beaucoup discuté avec des femmes qui ont été attaquées dans cette ville, même avec des femmes qui n’ont pas porté plainte. Beaucoup d’entre elles sont mes amies, et j’ai moi-même vécu des choses sans porter plainte.

Le problème que nous avons constaté, c’est que souvent, après une agression, au lieu que cela soit qualifié de crime haineux, c’est décrit comme étant une simple agression. La chose n’est pas correctement poursuivie en justice. Il n’y a pas de mécanisme de signalement adéquat pour porter l’affaire devant une instance supérieure, afin que la Couronne comprenne même les conséquences énormes que cela a sur la communauté en général. Il ne s’agit pas que d’une seule femme qui se fait agresser : la conséquence est que des femmes, d’un bout à l’autre du pays, vont avoir peur de sortir. N’est-ce pas?

Souvent, après une agression — même ici à Edmonton, où il y en a eu assez —, on ne donne jamais suite aux plaintes. Tout récemment, il y a eu une agression au centre d’achat Southgate, à Edmonton. Je connais très bien la famille. La peine vient d’être prononcée, et la juge a été plus dure, ordonnant une peine de 16 mois. Mais 16 mois, vous devez vous demander si 16 mois correspond à l’épreuve que la famille a traversée ou à la crainte dans laquelle vit la communauté.

J’anime beaucoup de programmes pour les jeunes filles. Quand nous leur parlons, elles nous disent qu’elles ne savent pas si elles veulent continuer à porter le hidjab, parce qu’elles ont peur de ce qui va leur arriver si elles sortent et que quelque chose de mal leur arrive. Elles se demandent qui va les aider. Nous avons beaucoup parlé de l’effet du témoin, quand personne n’intervient lors d’une agression.

Nous avons une génération d’enfants qui ont grandi sans avoir l’impression d’avoir leur place au Canada. Ma fille est de la deuxième génération. Combien de générations va-t-il falloir avant qu’elles soient considérées comme des Canadiennes, qu’elles ne soient pas traitées différemment et qu’elles puissent marcher dans la rue? Quand pourront-elles être comme tout le monde?

Souvent, j’ai l’impression que les gens ont peur de dénoncer, parce que les criminels vont recevoir une tape sur les doigts. On a l’impression que cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas? Même quand elles portent plainte, l’agent ne prend même pas le temps de les rencontrer à l’endroit où l’agression est survenue, et les criminels s’en tirent sans peine d’emprisonnement et sans amende, rien de rien. Quand cela arrive constamment, les gens cessent de signaler, parce qu’ils n’en voient pas l’utilité. Cela reste sur les tablettes. Il ne se passe rien.

La sénatrice Jaffer : Votre mosquée fait beaucoup de travail proactif dans la communauté. Malgré tout, vous dites quand même qu’il y a eu de vives réactions défavorables. Je veux seulement que les sénateurs qui ne nous ont pas accompagnés à la mosquée soient conscients de tout le travail d’approche qui est fait auprès de la communauté. Malgré tout, nous entendons tellement de... la situation n’est pas rose. Merci beaucoup, madame Ahmed.

J’ai une question pour le Mosaic Institute. Dans votre étude sur la haine en ligne, vous avez recueilli le témoignage de personnes transgenres et non binaires. Que vous ont-elles dit quant à l’intersection entre la transphobie et l’islamophobie? Madame Naturkach, pourriez-vous nous donner plus de détails?

Mme Naturkach : Il existe une intersection. Chez les gens qui vivent les formes les plus oppressives de la haine, il y aura évidemment beaucoup d’expériences communes. Certainement, ces identités ne s’excluent pas mutuellement de par leur nature. Je pense que c’est important d’en tenir compte dans toute la problématique.

Cela me ferait plaisir de vous envoyer un peu plus de données et d’informations contextuelles sur des témoignages précis, si cela vous intéresse dans le cadre du rapport. Nous avons essentiellement déposé seulement un résumé des commentaires reçus, mais nous pourrions certainement aller chercher ces éléments, si vous voulez les examiner de plus près.

La sénatrice Jaffer : Merci, nous vous en serions très reconnaissants.

Ma dernière question s’adresse à M. Balgord. Ce que vous avez dit... je ne veux pas l’assimiler, parce que c’est déjà assez difficile d’être musulmane pratiquante. Pouvez-vous nous donner un peu plus d’information sur le mouvement qui a débuté en Inde? Comment savez-vous qu’il s’est établi au Canada également?

M. Balgord : Bien sûr. Je ne vais pas me dire expert sur ce mouvement en particulier. Je peux vous donner de l’information générale, puis, pour de l’information supplémentaire, je vous recommanderais de vous adresser au Conseil national des musulmans canadiens, le CNMC, qui a réalisé une étude spécifique sur l’influence de l’hindutva sur les musulmans canadiens et aussi en général. Je vous la recommande. Je sais qu’il existe une ébauche présentement, qui est en train d’être peaufinée. C’est très informatif.

Pour parler de façon générale, quand nous rapportons des incidents d’animosité ou de haine antimusulmans, nous pouvons voir sur Internet les comptes associés au mouvement de l’hindutva qui se mettent à répandre la haine contre les musulmans ou à justifier la haine des musulmans. Nous pouvons le voir sur notre propre compte Twitter, et aussi dans nos propres réponses.

Nous savons que ce mouvement a une certaine influence ici. J’ai transmis au greffier un article où nous nous penchons là-dessus. Il y a eu des incidents au Canada où des gens — qui ont apparemment des liens avec l’idéologie de la suprématie hindoue ou avec le RSS ou alors son groupe affilié, le HSS, qui est actif ici — répandent aussi la haine contre les musulmans. Nous avons rapporté quelques exemples. Nous avons aussi reçu d’autres tuyaux, entre autres choses, mais nous n’avons pas eu le temps de les documenter.

Voilà comment nous savons que ce groupe a une présence ici. Nous l’avons rapporté quelques fois. Nous avons constaté son influence quand nous discutons sur les médias sociaux, et nous avons aussi reçu des tuyaux que nous n’avons pas encore pleinement documentés. Je vous recommande vivement le rapport du CNMC à ce sujet, qui, je crois, sera prêt très bientôt.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La présidente : Merci. Juste pour ajouter à la question de la sénatrice Jaffer : j’ai remarqué sur mon fil Twitter — je pense même que c’était la semaine dernière, au comité — que, quand j’ai envoyé un gazouillis, j’ai reçu des commentaires islamophobes. Cela m’a semblé être un effort collectif. Il n’y a pas qu’une seule personne, c’est tout un groupe qui vous attaque. Je cède la parole au sénateur Arnot.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. J’aimerais aborder un point en particulier. Pour situer le contexte, je tiens à dire que je crois que les discours haineux au Canada sont pour ainsi dire non réglementés sur Internet et que nous avons besoin d’une approche beaucoup plus stratégique et robuste face à ces problèmes. Les pensées et les discours haineux engendrent des crimes haineux. Nous le savons. Nous savons également que la Cour suprême du Canada a défini très succinctement et clairement en quoi consiste un discours haineux. Sa décision est tout à fait à l’opposé de l’approche adoptée aux États-Unis. À mon avis, le droit constitutionnel canadien est beaucoup plus fort à cet égard.

Voici où je veux vraiment en venir : croyez-vous que le CRTC a les moyens de réglementer les discours haineux? Croyez-vous que la Commission des droits de la personne et la Loi canadienne sur les droits de la personne ont assez de mordant pour réglementer les discours haineux, d’une façon qui pourrait vraiment changer les choses dans la culture canadienne?

Je me demandais si vous pouviez nous parler de modèles qui ont réussi, ailleurs — en particulier dans l’Union européenne —, à obliger les plateformes de médias sociaux à rendre des comptes. Je demanderais aux témoins de s’exprimer là-dessus et de formuler toute recommandation qui permettrait au Canada de mieux réglementer les discours haineux en utilisant les outils que nous avons ou en donnant à ces outils une présence beaucoup plus robuste et importante.

La présidente : Adressez-vous votre question à quelqu’un en particulier?

Le sénateur Arnot : À personne en particulier, mais je pense que M. Balgord aurait probablement des commentaires importants à formuler à cet égard. Je pense que tous les témoins auraient des opinions là-dessus. Je pense que c’est important de lutter contre les discours haineux, parce que c’est la source de beaucoup de haine et de crimes antimusulmans que nous voyons dans les communautés au Canada.

M. Balgord : Je vais essayer d’aborder chacun des éléments que vous avez mentionnés, brièvement. Puis, en ce qui concerne la haine, je vais parler de façon plus générale de ce que nous pouvons faire.

En ce qui concerne la Commission canadienne des droits de la personne, je suis d’avis que la commission est souvent comme un devoir qu’on donne aux victimes, malheureusement. Elle s’attaque surtout, par exemple, à la discrimination et au harcèlement en milieu de travail. Je sais qu’elle en fait davantage, mais nous ne la voyons pas comme ayant une forte présence, relativement à notre travail.

Pour ce qui est de la loi elle-même, il y avait une disposition que bon nombre d’entre vous connaissez peut-être, c’est-à-dire l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’article 13 était important parce qu’il permettait aux victimes de discours haineux — ou même à quelqu’un représentant les victimes — de déposer une plainte devant un tribunal. Le tribunal pouvait rendre une ordonnance juridique de cessation et d’abstention, assortie d’une légère amende. Cet article a été utilisé efficacement plusieurs fois — même, et surtout, par l’un des membres de notre conseil — en permettant de mettre un terme aux activités de groupes néonazis. Mais cela fait longtemps, c’était à l’époque des balbutiements d’Internet.

La loi a été abrogée par le gouvernement de l’époque, qui était d’avis que l’article 319 du Code criminel suffisait pour ce genre de crime. L’article 319 interdit la promotion délibérée de la haine à l’égard d’un groupe.

Mais voici le problème, dont j’ai déjà parlé : nous croyons que Rebel Media a enfreint le paragraphe 319(2) de la loi, et nous avons déposé toutes les preuves requises auprès du service de police d’Ottawa pour porter une accusation, à notre avis, mais la police a décidé de ne pas agir. Beaucoup trop fréquemment, la police ne semble pas particulièrement pressée de donner suite aux infractions à l’article 319. La peine, ce n’est pas même une tape sur les doigts, elle est tout à fait insignifiante.

Nous devons rétablir l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce que cela permet de régler le problème qui tient au fait que la police peut décider de qui passe ou pas. L’article 13 permet aux gens de se représenter eux-mêmes ou de représenter les victimes, et ce n’est pas la police qui décide de poursuivre une affaire ou non. Il y a tout de même un processus devant les tribunaux, un processus juridique. Il y a diligence raisonnable appropriée. Simplement, on évite le problème qui tient à la culture policière.

Nous menons des consultations depuis plus de deux ans maintenant sur la forme que devrait prendre le nouveau projet de loi sur la sécurité en ligne. Je ne comprends toujours pas le lien qui existe, si lien il y a, avec le projet de loi C-11, qui concerne le CRTC. D’après ce que je comprends, il n’y a pas grand-chose, mais je n’ai jamais réussi à aller au fond des choses. Si vos collègues et vous en sont capables, je vous en félicite. Je ne suis pas certain du lien qu’il y a entre les deux, alors j’ai bien peur de devoir passer mon tour.

Nous avons proposé ce que j’appelle un modèle d’ombudsman pour ce qui est de la haine en ligne. L’organisme de réglementation aurait le pouvoir d’enquêter de façon générale sur les entreprises de médias sociaux et de formuler des recommandations — comme l’ont fait les lanceurs d’alerte dernièrement sur Facebook et sur d’autres sites. L’organisme de réglementation pourrait examiner les informations de ce type et pourrait aller les chercher lui-même. Il pourrait se présenter et demander aux entreprises certaines informations sur les algorithmes, entre autres, puis émettre des recommandations. Si les entreprises choisissent de ne pas suivre ces recommandations, l’ombudsman pourrait s’adresser à un tribunal, lui demander de rendre une ordonnance et obliger les entreprises à apporter certains changements à la façon dont elles gèrent les problèmes comme la haine. C’est un modèle flexible.

L’orientation que semble prendre le gouvernement est plus conforme à celle des autres gouvernements, par exemple le Royaume-Uni, mais elle a été abandonnée. Il y a eu une grande perte de confiance parmi les organisations non gouvernementales — tant ici que dans les autres administrations dont vous parliez — en ce qui concerne la direction prise par les gouvernements dans ces dossiers particuliers.

C’est un sujet très vaste à explorer. Je serai heureux d’y revenir à un autre moment si vous souhaitez en apprendre plus à ce sujet, mais je ne veux pas prendre plus de temps. Merci.

Le sénateur Arnot : Monsieur Balgord, si vous avez des études ou des informations sur l’approche de l’Union européenne et de son efficacité à demander des comptes aux plateformes de médias sociaux, en tant que modèle dont nous pourrions nous inspirer, je pense que ce serait utile.

M. Balgord : Je dirai brièvement que je ne pense pas qu’il y ait la moindre preuve d’une quelconque efficacité à ce jour.

Mme Naturkach : J’ajouterais que, même si les connaissances sur ce qui se passe à l’échelle mondiale semblent lacunaires, c’est un travail que Mosaic effectue en organisant une étude comparative sur les approches de l’UE et d’autres pays en matière de discours haineux. Nous serions intéressés à travailler sur quelque chose comme cela pour aider à mieux comprendre la situation.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Omidvar : Les témoins ont répondu à certaines de mes questions en répondant à la question du sénateur Arnot, mais je vais aller un peu plus loin avec M. Balgord.

En 2021, le Canadian Anti-Hate Network, en partenariat avec 30 autres organismes, a présenté des recommandations au gouvernement fédéral — touchant notamment la création d’un organisme indépendant chargé d’appliquer les règlements relatifs aux discours haineux en ligne — il s’agit peut-être de l’ombudsman dont vous parliez — afin que les règlements sur les discours haineux en ligne soient assortis de sanctions financières importantes pour obliger les plateformes de médias sociaux à adopter un comportement prosocial et obliger les grandes plateformes à paramétrer leurs algorithmes pour détecter et supprimer de manière proactive le contenu haineux.

Ces recommandations sont-elles toujours d’actualité ou les avez-vous adaptées, compte tenu de l’évolution des choses?

M. Balgord : Celles que vous avez énumérées sont toujours d’actualité et seraient prises en compte dans le modèle d’ombudsman que nous proposons. Nous avons un document d’une page, à jour, sur le modèle d’ombudsman qui explique un peu plus en détail ce que nous demandons au gouvernement de faire. Je me ferai un plaisir de le fournir au greffier.

La sénatrice Omidvar : Je vous en prie. Merci. Ce sera très utile.

Au Canada, ou à l’extérieur du Canada, existe-t-il un substitut à l’ombudsman que vous proposez pour lutter contre la haine? Au Canada, nous avons une approche bien définie de l’antisémitisme. Irwin Cotler a été nommé — j’ai oublié son titre. Cherchez-vous à reproduire certaines de ces approches?

M. Balgord : Non. Nous sommes en présence d’un organisme de réglementation véritablement nouveau et indépendant qui aurait le pouvoir de mener de grandes enquêtes. Il pourrait exiger des preuves et des témoignages des entreprises de médias sociaux et examiner les algorithmes. Il constituerait un espace sûr pour les lanceurs d’alerte de ces entreprises, par exemple. Il pourrait également travailler en collaboration. Il pourrait s’agir d’une approche à la fois antagoniste et collaborative. Après avoir tiré des leçons de ces enquêtes, l’organisme pourrait émettre des recommandations à l’intention de ces plateformes.

Cela ne porte pas sur le sujet de la haine, mais c’est un exemple facile. Disons qu’une étude révèle que les jeunes, et surtout les jeunes femmes, développent des troubles de l’alimentation à cause des contenus portant sur la minceur sur Instagram ou TikTok. Nous pourrions l’apprendre de la bouche de cet ombudsman, ou il pourrait l’apprendre d’études externes également en cours et intégrer ces informations, mais ensuite émettre la recommandation suivante : les contenus associés à ce type de sous-culture ou de sous-mouvement que nous appelons « thinspiration » ne peuvent pas être promus dans les flux des personnes de moins de 18 ans, par exemple.

Cela pourrait être une recommandation concrète que l’ombudsman pourrait formuler. Si les entreprises elles-mêmes ne veulent pas le faire, l’ombudsman doit alors s’adresser à un tribunal et lui demander de rendre une ordonnance. Les entreprises seraient tenues de se conformer à la recommandation une fois qu’elle devient une ordonnance. Si elles ne le font pas, des sanctions financières importantes pourraient être appliquées. C’est un exemple de la façon dont le modèle pourrait fonctionner.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Ma prochaine question s’adresse peut-être à vous tous, mais plus particulièrement à Mme Ahmed. J’ai noté que vous avez dit que les femmes musulmanes, à Edmonton — et probablement partout au Canada —, hésitent à porter plainte parce que rien n’en résulte et qu’elles sont donc victimisées par la police.

Le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-36 au cours de la dernière législature. Il est mort au Feuilleton, mais une autre version de ce projet reviendra. Ce projet de loi fera du discours haineux une pratique discriminatoire au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce qui signifie que les victimes pourraient intenter une action en justice au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Êtes-vous d’accord avec cette approche? Selon vous, quel autre élément devrait être inclus dans une loi fédérale sur les discours haineux?

Mme Ahmed : Merci beaucoup de la question. Je pense que cette approche est utile. Ce qui est important, c’est que, bien souvent, même si des lois existent, tout dépend de leur application par la police locale et de la manière dont elle signale les incidents et dont elle les qualifie et de la question de savoir si elle les considère comme des crimes motivés par la haine. Car bien souvent, la police est le premier intervenant auquel une femme s’adresse lorsqu’elle dépose une plainte pour un crime motivé par la haine.

Souvent, lorsque vous avez affaire à des agents qui ne sont pas sensibilisés et ne comprennent pas qu’il y a des répercussions plus importantes, cela pose un problème. Nous avons eu beaucoup de conversations, par exemple, avec des policiers d’Edmonton. Nous avons discuté de ce qu’ils peuvent faire pour aider à régler le problème. Une des choses dont nous avons discuté, c’est que, pour tout ce qui est considéré comme un crime haineux, il faut mettre des gants, par exemple. Les policiers doivent comprendre que ce n’est pas aussi simple que cela. Il est vraiment important que les policiers — parce que c’est le premier contact que vous avez — soutiennent les victimes.

S’il n’y a pas de condamnation, souvent, c’est en partie parce que les policiers n’ont pas consigné beaucoup d’informations dans leurs notes. Ils n’ont pas pris les déclarations au nom de la collectivité. Ils n’ont pas pris les déclarations des victimes expliquant pourquoi ce qui s’est passé est un crime haineux. Je pense qu’il est utile d’avoir de meilleures lois pour les protéger, mais je pense qu’il faut un changement systémique, qui doit se produire à tous les niveaux. Il doit se produire au niveau fédéral, provincial et local. Souvent, il est difficile de dire à une victime qu’elle doit raconter son histoire, mais elle doit ensuite continuer à le faire et à se battre. Il faut que des groupes s’engagent et la défendent, ce que nous faisons souvent. Nous devons insister même pour qu’un policier vienne écouter son histoire. Le problème est là.

Le problème est que nous traumatisons à nouveau les victimes, encore et encore, lorsqu’elles doivent parler de ce qui leur est arrivé. Parfois, lorsque vous parlez à une personne, si elle n’a pas d’empathie et ne vous traite pas avec empathie, la victime peut préférer se taire. Le plus gros problème est que les services aux victimes ne comprennent pas les répercussions d’un crime haineux. Il n’y a pas de professionnels spécialisés, entretemps, qui peuvent les aider à exprimer ce qu’elles ressentent. Je pense qu’il s’agit d’une approche à plusieurs niveaux, à tous les échelons.

Je m’excuse pour le bégaiement et tout le reste. Je m’excuse. Je vous remercie d’avoir posé la question. J’espère y avoir répondu.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup, madame Ahmed. Peut-être que les autres peuvent se prononcer sur la proposition qui va nous être présentée.

M. Balgord : Je suis désolé, vous avez une proposition à faire en ce qui concerne...

La sénatrice Omidvar : Nous allons recevoir un projet de loi sur les discours haineux, non pas en ligne, mais simplement sur les discours haineux. Elle permettra aux victimes, si elles ne sont pas entendues par le service de police locale, de se plaindre auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Le fardeau de la preuve incombe de nouveau aux victimes. Je me demande encore ce que vous penseriez de cette proposition législative.

M. Balgord : Si cela ressemble à l’article 13, nous l’accueillerons très favorablement. Tout ce qui élimine l’obstacle que représente la police et permet aux gens de chercher un règlement par eux-mêmes ou au nom de quelqu’un d’autre dans leur collectivité est bienvenu. Nous avons entendu de nombreuses histoires, tout comme Mme Ahmed, sur des personnes qui essaient de faire un signalement à la police et qui sont renvoyées et méprisées. C’est vraiment horrible. Le problème tient à la police et à la culture.

Mme Barbara Perry a réalisé une étude auprès de nombreux services de police de l’Ontario en leur demandant, y compris aux membres des unités de lutte contre le crime haineux, ce qu’ils pensaient des crimes haineux et comment, selon eux, les autres membres de la police percevaient ces crimes. L’essentiel des résultats est que les policiers ne les prennent pas au sérieux et ne s’en soucient pas. Ils ne les considèrent pas comme plus importants que les autres crimes. Il existe tout simplement un énorme problème culturel au sein de la police, et nous sommes très pessimistes quant à la possibilité de le résoudre. Nous croyons qu’il faut trouver autant de méthodes que possible pour que les personnes victimes de crimes haineux puissent trouver d’autres voies vers des solutions positives.

Mme Naturkach : Je voudrais répéter ce que tout le monde a dit ici, à savoir que la responsabilité incombe aux victimes. Quelles sont les approches à plusieurs niveaux et à plusieurs volets qui peuvent aider à améliorer ces parcours afin que ces choses puissent être traitées de manière plus efficace? Je répète ce que tout le monde a dit ici.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je pense qu’on a répondu à la plupart de mes questions, mais je vais tout de même m’adresser à M. Balgord.

Vous avez parlé d’un ombudsman qui pourrait centraliser les plaintes. En même temps, on comprend que les victimes ne veulent pas porter plainte ou que, lorsqu’elles le font, les plaintes ne sont pas traitées. Vous avez aussi parlé d’une plainte de plusieurs pages qui est toujours en cours; d’ailleurs, si vous pouviez partager cela avec nous, nous vous en serions reconnaissants. Comment voyez-vous le rôle de l’ombudsman, alors que l’on constate que les victimes ne veulent plus porter plainte et que, même lorsqu’elles portent plainte, les plaintes ne sont pas traitées?

Ma deuxième question s’adresse à Mme Naturkach. Vous avez fait plusieurs recommandations; notamment, vous proposez qu’ait lieu un dialogue pour trouver des solutions et proposer des investissements dans le cadre d’activités qui permettent d’établir une connexion entre les citoyens. Vous avez aussi parlé de la remise en question des croyances sociales établies. Par où devons-nous commencer? Quelle est, selon vous, la priorité parmi toutes ces recommandations?

En terminant, je m’adresse à Mme Ahmed. Vous dites que votre fille se demande si elle doit porter le hidjab. Que répondez-vous à une telle question d’une fille qui se pose la question sur le port du hidjab et sur la reconnaissance ou la remise en question de sa culture musulmane?

[Traduction]

M. Balgord : Je crois que la première question m’était adressée, alors je vais y répondre. En ce qui concerne le modèle de l’ombudsman, c’est en fait une partie qui, à mon avis, est délicate. Je pense que les organismes ont des opinions différentes à ce sujet.

Au départ, le gouvernement envisageait une sorte de proposition; je crois qu’il l’appelait quelque chose comme un organisme de recours. L’idée était que, lorsque quelqu’un déposait une plainte auprès d’une entreprise de médias sociaux et que celle-ci répondait que le propos haineux ne violait pas ses politiques et qu’elle ne le retirerait pas, le gouvernement imaginait un organisme indépendant, distinct de l’entreprise de médias sociaux, où vous pourriez déposer votre plainte. Cet organisme pourrait ensuite rendre une décision et obliger l’entreprise de médias sociaux à retirer quelque chose.

Nous avons estimé que c’était mal avisé, pour plusieurs raisons. La première est le temps. Entre le moment où quelqu’un affiche un commentaire haineux et le moment où l’entreprise de médias sociaux l’examine, il peut s’écouler 24, 48 ou 72 heures. Quel que soit le délai, la plus grande partie du tort causé à cette personne se fait souvent rapidement. C’est dans ces 24 heures qu’il peut y avoir une campagne virale de harcèlement visant une personne.

C’est déjà lent, et si l’on demande à un autre organisme de trancher, on passe à côté de l’essentiel, à savoir qu’il y a tout simplement trop de haine en ligne, de toute façon.

Si on créait ce genre d’organisme qui recevait des plaintes individuelles des gens, il serait immédiatement débordé, vu l’état déplorable de la situation.

L’objectif de la proposition d’ombudsman n’est pas en fait de traiter les demandes individuelles. L’objectif est d’en tirer des leçons, puis de revendiquer des changements systémiques, parce qu’il y a tellement de haine qu’il n’est tout simplement pas réaliste d’examiner en détail chaque plainte qui pourrait être déposée. Nous ne pouvons simplement pas créer un organisme de réglementation et le doter d’un personnel important. Les entreprises de réseaux sociaux ne peuvent pas le faire elles-mêmes et ne le feront même pas. Nous devons envisager, à l’aide d’algorithmes, une manière d’empêcher la diffusion et de certains types de contenu et de les retirer, et, bien entendu, la modération humaine fera toujours partie de ce processus.

Nous n’avons pas envisagé que l’ombudsman traiterait des demandes individuelles. Nous le voyions plutôt comme l’ombudsman d’une municipalité qui, par exemple, entendrait les citoyens se plaindre que les ordures n’ont pas été ramassées, puis qui mettrait en place une politique différente pour les éboueurs afin de régler tous les problèmes en même temps plutôt que d’essayer de trouver une solution pour chaque plainte individuelle. C’est l’objectif du modèle.

Je sais que cela ne laisse pas aux victimes la possibilité de déposer une plainte. Cela ne leur donne pas la possibilité d’exercer un recours individuel. Le but est de tenter d’apporter des changements systémiques.

La présidente : Merci.

Mme Naturkach : Je crois que c’est à mon tour de répondre à la question.

Par où commencer? Je crois que c’est une excellente question, et je ne sais pas par où commencer. Je crois que, en tant qu’organisation, nous devons commencer par ce qui est prioritaire pour la collectivité : il faut l’écouter et la laisser nous guider.

Notre rôle, au Mosaic Institute, se joue en grande partie en amont. Nous travaillons avec le milieu de l’éducation et nous invitons pour commencer les gens à se joindre à la conversation, selon notre modèle de dialogue respectueux, en collaborant avec les écoles, les responsables des programmes jeunesse et les communautés.

Une fois de plus, je répète que cela doit se passer à tous les échelons. Par où commencer? Nous commençons par l’éducation et par une nouvelle compréhension des choses. Nous aidons les jeunes à comprendre des enjeux comme l’identité, à communiquer malgré les différences et à acquérir des compétences générales et des outils qui leur permettent de remettre en question les notions qu’ils auraient pu assimiler sous l’influence de leur communauté. Nous commençons par là et travaillons avec eux pour créer — une fois de plus, comme je l’ai mentionné — ces plans d’action sociale qui peuvent être mis en œuvre pour amener des changements, non seulement au sein de la collectivité et des organisations, mais à l’échelle systémique.

Pour ce qui est du dialogue, il y a eu des exemples de la manière dont on peut réunir des groupes qui, ensemble, obtiennent de bons résultats en discutant avec des groupes de policiers ou des groupes communautaires pour cerner la question. Pour être efficace, on peut organiser plus de campagnes à grande échelle, lesquelles sont assurément importantes, mais on peut également travailler à l’échelle communautaire et locale pour obtenir des solutions adaptables qui peuvent être prometteuses et donner de l’espoir partout au pays.

On ne sait toujours pas par où commencer, à l’intendance du Mosaic Institute. En commençant par nous-mêmes, par moi-même — je fais ce travail depuis 25 ans —, il a été absolument impératif que je désapprenne certaines choses par moi-même pour m’aider à comprendre comment mieux avancer.

Chacun d’entre nous doit se remettre en question et trouver une façon de s’autoéduquer pour vraiment comprendre comment nous pouvons travailler ensemble de notre mieux. Cette éducation à multiples composantes commence par la personne en tant qu’individu puis — c’est par là que le Mosaic Institute commence — il faut que, en tant que leaders, nous poursuivions le travail pour mieux avancer.

La présidente : Merci.

Madame Ahmed, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Ahmed : Oui. Je vais répondre à la question qui m’a été posée, sur ce que je dirais à ma fille.

Je veux préciser que ma fille est encore toute petite. Je travaille beaucoup avec les jeunes ici et les jeunes filles, et c’est là que le sujet du hidjab revient souvent. Tout comme lorsque je m’adresse aux filles, je me suis préparée à ce que j’aurai à dire à ma fille un jour lorsqu’elle sera grande, parce que c’est sa réalité.

Pour ce qui est du hidjab, lorsque les filles viennent nous voir pour nous dire « J’ai peur de le porter. Et si jamais les gens me traitaient différemment ou qu’on me blessait? », je leur dis toujours que, si elles veulent le porter, elles devraient pouvoir le faire. Elles ne doivent pas changer. C’est la société qui doit commencer à changer.

En réalité, je leur dis qu’elles doivent garder la tête haute et rester fidèles à elles-mêmes. Nous tentons toujours d’accroître leur estime de soi, parce que c’est un coup dur sur l’estime personnelle des filles, n’est-ce pas, plus particulièrement chez les jeunes filles, parce que c’est tout ce qu’elles voient autour d’elles.

Malheureusement, en tant que communauté, nous avons dû offrir des cours d’autodéfense pour leur apprendre à se défendre, mais, en toute honnêteté, ça commence par l’éducation. D’emblée, ces jeunes filles ne devraient pas en plus avoir à apprendre comment se défendre. Elles devraient pouvoir porter ce qu’elles souhaitent porter sans craindre d’aller dehors.

Ce n’est pas le Canada dans lequel elles devraient grandir. Malheureusement, elles ont perdu une bonne partie de leur enfance à s’en inquiéter, et c’est un stress qu’aucun enfant ne devrait avoir à supporter. Mais j’ai toujours dit aux filles que, si elles veulent porter le hidjab et qu’elles ont peur de le porter, elles ne devraient pas s’imposer ce fardeau. Elles ne devraient pas avoir cette peur. C’est la société qui doit changer, pas elles. Je crois que c’est ce qui importe le plus.

Malheureusement, c’est une conversation qui se répète, et elle nous permet encore d’apprendre comment les aider, parce qu’il est surtout question de guérir, avant toute chose.

Je veux réitérer ce que Leigh Naturkach disait au sujet de l’éducation. L’éducation est ce qui compte le plus. Cela doit commencer par ce qu’ils apprennent à l’école. Si, dans le système d’éducation, nous n’apprenons pas aux enfants dès leur plus jeune âge que c’est correct d’être différent, que c’est correct d’être fidèle à soi-même et de porter un signe religieux sans se faire juger, je crois que c’est le problème le plus important.

Le véritable but de ma présence ici, et mon but en général, la raison pour laquelle je me bats pour ça, c’est parce que je ne veux pas que les propos racistes que j’ai entendus en grandissant et tout ce par quoi je suis passée durant ma scolarité — je suis née et j’ai grandi ici, à Edmonton — tout ce que j’ai vécu, je ne veux pas que ces filles aient encore à le vivre. Le discours doit changer. La société doit changer. C’est ça le problème.

J’ai 30 ans et je porte le hidjab. J’ai parfois peur, je m’inquiète. Donc, imaginez ce que c’est pour une fille de six ans, de sept ans, de neuf ans ou de dix ans. Je n’ai pas les réponses. Je leur dis « Écoutez, c’est difficile pour nous toutes », mais c’est une difficulté à laquelle elles ne devraient pas avoir à faire face à l’époque actuelle.

La présidente : Merci. Il ne nous reste littéralement que cinq minutes.

Aviez-vous une autre question?

La sénatrice Omidvar : J’aimerais apporter une correction pour le compte rendu, si le greffier avait l’obligeance d’apporter cette modification. En tout respect.

Irwin Cotler est l’envoyé spécial du Canada pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme.

La présidente : Oui. Merci.

J’aimerais rapidement vous poser une question, monsieur Balgord, ou peut-être faire une déclaration. Pensez-vous que le Canadien moyen devrait s’inquiéter de la montée des groupes de droite?

J’aimerais ajouter que, chaque fois qu’il y a un incident — qu’il s’agisse du meurtre de la famille Afzaal ou d’autres choses — on envoie pensées et prières, et c’est tout. Le gouvernement ne prend aucune autre mesure.

M. Balgord : Certainement. Oui, nous devrions être très préoccupés de la montée au Canada du mouvement d’extrême droite, qui est essentiellement un mouvement antidémocratique. Il comporte des éléments racistes et des aspects qui devraient tous nous préoccuper, mais nous devrions également être préoccupés du fait qu’il s’agit d’un mouvement antidémocratique.

Nous sommes passés d’une période, lorsque j’ai commencé à faire ce travail aux environs de 2016, où il y avait peut-être entre 20 000 et 40 000 Canadiens qui faisaient partie de groupes sur Facebook qui détestaient les musulmans. Ils se sont ensuite donné une nouvelle image en s’intégrant au mouvement des gilets jaunes du Canada, et quelques semaines après s’être donné une nouvelle image et avoir ajouté des revendications supplémentaires à ce qu’ils proposaient déjà, ils ont atteint un quart de million de membres.

Puis la COVID a frappé. Et ce sont ces mêmes personnes qui adhéraient à la conspiration de la COVID. Elles radicalisaient et recrutaient de nouvelles personnes qui étaient sceptiques face au vaccin ou qui consommaient en ligne de la fausse information ou de l’information trompeuse au sujet de la COVID. Nous étions donc aux prises avec un problème qui s’intensifiait de façon exponentielle. Aux États-Unis, cela a donné une tentative de coup d’État, le 6 janvier 2021. Ici, cela a donné une occupation.

Depuis que je fais ce travail, nous sommes passés de 20 000 à qui sait maintenant combien de personnes — bien plus d’un million, certainement — qui soutiennent ce mouvement d’extrême droite souvent antidémocratique et raciste ou qui y adhèrent.

Je tiens à préciser que, bien que toutes les personnes qui font partie du mouvement ne sont pas nécessairement violentes ou racistes, elles contribuent à un tout qui tolère ce genre de choses et qui remet en question tout notre système démocratique.

Oui, je crois que cela s’intensifie. Je ne vois rien qui y mette un frein, et je suis très préoccupé.

Pour répondre à votre question au sujet du gouvernement — ce que nous devons faire à ce sujet —, je dirais que bon nombre des programmes visant à combattre la haine et le racisme, auxquels est rattaché beaucoup d’argent, financent toutes sortes de projets, certains très bons, certains axés sur la recherche, mais presque aucun n’est très dynamique.

Nous ne voulons pas que le financement soit seulement destiné à la recherche, mais aussi à un mouvement pouvant contrecarrer leur mouvement. Ces gens ont leurs figures de proue. Ils ont leurs banderoles. Ils ont tout un mouvement qui a convaincu un tas de gens d’aller en voiture ou en camion à Ottawa. Nous n’avons aucun mouvement pour lutter contre ça. Seuls les mouvements peuvent battre d’autres mouvements.

Nous devons créer un mouvement prodémocratique et inclusif qui protégerait les gens au Canada, plus particulièrement les membres des groupes dignes d’équité, contre la montée de l’extrême droite. J’appellerais cela un mouvement prodémocratique. Le gouvernement devrait y investir de l’argent. Un mouvement prodémocratique est non partisan. Je crois que des mouvements doivent contrecarrer d’autres mouvements, et l’extrême droite s’est tellement renforcée que nous devons créer un mouvement pour la contrecarrer, ce que j’appellerais un mouvement prodémocratique. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. C’est tout le temps que nous avions. J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier tous les témoins d’avoir accepté de participer à cette étude très importante. L’aide que vous apportez pour notre étude est grandement appréciée.

(La séance est levée.)

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