LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 20 mars 2023
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui à 16 heures (HE) avec vidéoconférence pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Wanda Thomas Bernard (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Chers collègues, je me présente : Wanda Thomas Bernard, sénatrice de Nouvelle-Écosse et vice-présidente du comité. En l’absence de la présidente Ataullahjan, je préside la réunion d’aujourd’hui.
Je reconnais d’abord que nous nous réunissons sur le territoire ancestral traditionnel non cédé des Anishinabes algonquins, qui accueille maintenant des personnes de nombreuses autres Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Cette réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne est publique. Je demande à chacun des membres qui y participent en personne de se présenter.
La sénatrice Omidvar : Je suis Ratna Omidvar, de l’Ontario
La sénatrice Hartling : Je suis la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Arnot : Je suis le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.
Le sénateur Manning : Je suis le sénateur Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La vice-présidente : Notre comité poursuit l’étude de l’islamophobie au Canada en application de son ordre général de renvoi. L’étude portera notamment sur le rôle de l’islamophobie dans la violence exercée en ligne et hors ligne contre les musulmans, dans la discrimination en général ainsi qu’au niveau de l’emploi, y compris l’islamophobie dans la fonction publique fédérale. Elle examinera aussi les causes de l’islamophobie, ses répercussions sur les individus, y compris la santé mentale et la sécurité physique, d’éventuelles solutions et les réponses du gouvernement.
Après avoir tenu deux réunions en juin 2022 à Ottawa, suivies de réunions publiques et de visites de mosquées en septembre, à Vancouver, Edmonton, Québec et Toronto, nous avons poursuivi nos réunions publiques à Ottawa, l’automne dernier et le mois dernier. Permettez que je vous fasse part de certains détails sur notre réunion d’aujourd’hui.
Nous accueillons successivement deux groupes de témoins, que nous questionnerons un groupe à la fois après avoir entendu leurs déclarations.
Accueillons le premier groupe. On a demandé à chaque témoin de faire une déclaration liminaire d’une durée de cinq minutes. Nos questions suivront les déclarations. Je souhaite la bienvenue aux professeurs agrégés Fahad Ahmad, de l’Université métropolitaine de Toronto, qui témoignera en visio, et Thomas Juneau, de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, qui témoignera ici, en personne.
J’invite M. Ahmad à faire la première déclaration. M. Juneau le suivra.
Fahad Ahmad, professeur agrégé, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie de votre invitation à venir parler de l’islamophobie.
Je suis professeur agrégé de criminologie à l’Université métropolitaine de Toronto, adjoint de recherche à l’Institut d’études islamiques de l’Université de Toronto et codirecteur d’une collection aux presses de l’Université de Toronto. Le premier titre de notre collection, Systemic Islamophobia in Canada, fait le compte rendu de la lutte des musulmans du Canada contre l’altérité et la discrimination résultant des actions de l’État.
Ma recherche se focalise sur les conséquences des pratiques racisées de lutte contre l’extrémisme violent, ou LEV, sur des organismes de la communauté musulmane et, plus généralement, sur les relations sociales. Dans les quelques minutes à ma disposition, je voudrais mettre en évidence les façons par lesquelles cette lutte reproduit l’islamophobie.
D’entrée de jeu, je tiens à préciser que l’islamophobie n’est pas simplement la crainte ou la haine des musulmans ou de l’islam, toutes les deux irrationnelles, qui conduit à la discrimination, comme a proposé de la définir le rapport d’un comité parlementaire, en 2018. Comme le racisme, l’islamophobie est une idéologie selon laquelle les musulmans sont posés comme des êtres intrinsèquement violents, prémodernes et inassimilables dans la société occidentale.
Comme l’ont souligné les juristes Reem Bahdi et Azeezah Kanji, cette idéologie inspire les actions de l’État, qui, à leur tour alimentent les incidents individualisés de violence contre les musulmans. Ils relèvent également une vérité pénible sur les politiques de l’État canadien : ciblant souvent les musulmans sans les nommer explicitement, elles sont d’autant plus difficiles à épingler. À partir de cette compréhension de l’islamophobie, je ferai ressortir deux ou trois façons par lesquelles la lutte contre l’extrémisme violent a ciblé négativement les musulmans.
Contrairement aux pratiques coercitives du contre-terrorisme, la lutte contre l’extrémisme violent passe pour une stratégie douce, prédélictuelle, censée prévenir le terrorisme en devenir. Elle englobe des actions comme le travail de proximité communautaire et les programmes éducatifs visant à détruire les supposées causes profondes de la radicalisation et de l’extrémisme. Même si les méthodes du contre-terrorisme au Canada ont été qualifiées de brutales et de discriminatoires contre les musulmans, certains prétendent que la lutte contre l’extrémisme violent dément ces critiques. Je veux souligner que cette lutte reproduit l’islamophobie parrainée par l’État de façon simplement aussi coupable que le régime canadien de contre-terrorisme.
Le premier problème que pose cette lutte se situe dans le mode de mobilisation de l’idée de radicalisation par les agences de sécurité. Ces agences ont essentiellement considéré la radicalisation comme un problème d’attraction des musulmans par les idéologies islamistes supposées forcément violentes. Il s’ensuit que les agences de l’État ont ciblé les musulmans du Canada comme formant la communauté suspecte, brouillant la distinction entre le travail de proximité dans la communauté et les enquêtes de sécurité nationale
C’est particulièrement évident dans les visites non sollicitées de la GRC ou du Service canadien du renseignement de sécurité dans les lieux de travail et les domiciles de personnes musulmanes et chez les associations d’étudiants musulmans sur les campus universitaires. Ces visites supposent la surveillance de la communauté musulmane. Elles sont stigmatisantes et elles provoquent la peur. Les organismes de maintien de l’ordre profitent de la situation précaire des personnes, immigrantes, par exemple, pour leur soutirer de l’information.
Dans un article récent dans une publication universitaire, Baljit Nagra fait observer que :
... le SCRS effectue la surveillance de masse des personnes musulmanes, transforme les mosquées en espaces de surveillance, met sur pied une collectivité d’informateurs et porte atteinte aux militants politiques.
Deuxièmement, dans le cadre de la LEV, les organismes communautaires musulmans sont invités à participer aux efforts de sécurité nationale. Toutefois, il y a un immense déséquilibre du pouvoir entre les organismes d’État et les organismes communautaires musulmans, ce qui rend ce prétendu partenariat complètement déséquilibré. Les organismes musulmans font l’objet d’une sécurisation et peuvent être réprimandés à la demande d’organismes gouvernementaux. Un rapport publié récemment par Anver Emon et Nadia Hasan a mis en lumière le cas du Centre islamique d’Ottawa et de la mosquée Assalam. Le statut d’organisme de bienfaisance de cette mosquée a été révoqué, car l’Agence du revenu du Canada, l’ARC, a jugé que la mosquée encourageait « la haine et l’intolérance ». Ce jugement s’appuyait sur une évaluation de certains conférenciers invités par la mosquée, qui avaient donné dans le passé des conférences susceptibles d’être liées à des « personnes radicalisées ».
Ce rapport et mes propres recherches mettent en évidence le fait que les organismes de bienfaisance musulmans se sentent ciblés, ce qui les amène à se censurer. Cela restreint leur capacité d’exprimer pleinement et librement les préoccupations de leurs clients. Même si le gouvernement affirme dans des documents d’orientation qu’il est préoccupé par toutes les formes d’extrémisme violent, ce que vivent les collectivités et les organismes communautaires musulmans témoignent du fait que la LEV cible les musulmans de façon disproportionnée.
Pour conclure, j’aimerais souligner que la logique et les pratiques qui sous-tendent la LEV sont assez semblables à celles relatives aux approches problématiques du Canada en matière de lutte contre le terrorisme. Dans les deux cas, elles sont source d’islamophobie.
Je n’aurai pas le temps de formuler des recommandations, car mon temps de parole est limité, mais je les ai incluses dans mon document écrit et je serai ravi d’en parler durant la période des questions. Merci.
La vice-présidente : Merci, monsieur Ahmad.
Thomas Juneau, professeur agrégé, Université d’Ottawa, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui.
Contrairement à mon collègue qui vient de prendre la parole, je ne suis pas un expert de l’islamophobie, mais je peux sans doute vous être utile en formulant des recommandations sur la façon dont les organismes de renseignement peuvent collaborer avec les musulmans et d’autres groupes minoritaires. Mes propos sont fondés sur deux expériences en particulier.
Pendant trois ans, jusqu’à l’année dernière, j’ai coprésidé le Groupe consultatif sur la transparence de la sécurité nationale, ou le GCT-SN. Il s’agit d’une entité indépendante chargée de conseiller les services de renseignement sur la façon d’accroître la transparence. L’an dernier, nous avons notamment produit notre troisième rapport, qui portait précisément sur la collaboration avec les groupes racisés. Je recommande au comité d’échanger avec le GCT-SN, si ce n’est déjà fait.
L’autre expérience est la publication récente d’un article que j’ai rédigé sur le sujet. Je serai ravi de le transmettre au comité s’il le souhaite.
Le point de départ, comme mon collègue l’a mentionné, ce sont les relations des organismes de renseignement du pays avec les collectivités musulmanes — et d’autres groupes minoritaires, en fait —, qui ont toujours été difficiles. Il existe de nombreuses raisons, mais l’une d’elles est le manque de transparence. Le principal point que je veux faire valoir, en une phrase, est que ce manque de transparence de la part des services de renseignement constitue un problème, car il affaiblit la sécurité nationale, ce qui nous rend vulnérables. Autrement dit, la transparence est un outil qui permet de mieux protéger la sécurité du Canada et des Canadiens et qui est largement sous-utilisé, ce qui, à bien des égards, est contre-productif.
C’est le cas en ce qui a trait aux relations avec les Canadiens musulmans — le sujet d’aujourd’hui —, mais aussi aux relations avec d’autres groupes minoritaires et à d’autres aspects touchant à la sécurité nationale.
Que pouvons-nous faire? Je vais formuler très rapidement quelques recommandations, et je serai heureux de les expliquer davantage plus tard.
Premièrement, nous devons modifier notre définition de la transparence. Trop souvent, dans les services de renseignement, la transparence est définie étroitement en des termes passifs. Essentiellement, nous divulguons l’information de notre choix dans le contexte de notre choix. Nous avons besoin d’une définition plus large et proactive fondée sur un dialogue constant avec un plus large éventail d’intervenants, plutôt que sur un discours à sens unique.
Deuxièmement, les organismes et les ministères liés au renseignement et à la sécurité nationale doivent mettre sur pied des systèmes ou des processus permettant de mesurer la transparence et la collaboration. Cela peut sembler bureaucratique, mais c’est essentiel afin de mieux cerner les lacunes et les progrès éventuels, de favoriser la reddition de comptes et de permettre à la société civile, aux médias et à d’autres de participer aux débats.
Troisièmement, il faut améliorer grandement les unités chargées de la collaboration au sein des services de renseignement. Leurs mandats doivent être clairs et forts et leurs effectifs doivent posséder les compétences et l’expérience nécessaires pour collaborer avec les Canadiens musulmans et d’autres groupes minoritaires. C’est un aspect qui a laissé à désirer jusqu’à maintenant.
Il y a de bons exemples. Le secteur de Liaison-recherche et de collaboration avec les intervenants du SCRS a fait beaucoup de progrès, mais il y a encore place à l’amélioration.
L’ingérence étrangère, dont nous entendons tellement parler ces jours-ci, ne concerne pas seulement la Chine. Il y a aussi l’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie et d’autres pays. Dans les cas d’ingérence par ces pays, les Canadiens musulmans sont les victimes la plupart du temps. Nous devons accroître la collaboration avec eux afin de protéger les Canadiens vulnérables. Toutefois, cette collaboration doit être fondée sur la confiance, qui, trop souvent, comme on l’a déjà dit, est absente. Ce manque de confiance est une source de vulnérabilité pour la sécurité nationale.
Par ailleurs, la transparence est un outil essentiel pour contrer la désinformation. Le manque de transparence favorise la création de vides sur le plan de l’information, que des acteurs hostiles peuvent combler, mettant ainsi à risque les Canadiens vulnérables.
Une plus grande transparence et une meilleure collaboration sont essentielles pour favoriser de bonnes pratiques en ressources humaines au sein des organismes de renseignement. Le manque de confiance et de collaboration empêche les services de renseignement d’embaucher des employés qui sont le reflet de la diversité du pays, notamment des employés issus de la communauté musulmane canadienne.
Pour conclure, je tiens à dire que je serais heureux de parler davantage de ces recommandations, mais, avant que mon temps ne soit écoulé, j’aimerais mettre l’accent sur un point qu’on fait souvent valoir durant les discussions, à savoir que la transparence et la collaboration sont ardues et qu’elles nécessitent beaucoup de temps et d’énergie. On n’améliore pas la transparence simplement en claquant des doigts. Jusqu’à maintenant au pays, malgré les progrès accomplis dans les dernières années, qui méritent d’être soulignés à mon avis, notre bilan à cet égard n’est pas particulièrement bon et nuit de façon importante au développement de la résilience, qui est — ou qui devrait être — l’une de nos principales lignes de défense contre un grand nombre des menaces auxquelles nous faisons face, notamment l’ingérence étrangère.
Je vais m’arrêter là. Merci.
La vice-présidente : Je vous remercie tous les deux pour vos exposés.
Avant que nous passions aux questions, j’aimerais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir, durant toute la réunion, de s’approcher trop près du microphone. Si vous le faites, veillez à retirer votre écouteur. Ceci a pour but d’éviter une réaction acoustique dangereuse pour le personnel du comité qui est sur place.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Comme d’habitude, je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent de cinq minutes, qui incluent les réponses.
La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins pour leur présence aujourd’hui. Il est toujours intéressant d’obtenir davantage d’information à examiner. Vous nous avez dit beaucoup de choses. Sur quels aspects — car vous avez tous les deux formulé des recommandations — le comité devrait-il se pencher principalement?
Nous allons rédiger un rapport sur le sujet, alors, pouvez-vous en dire un peu plus long sur ces recommandations et sur ce que nous devrions veiller à inclure dans notre rapport?
Ma question s’adresse à vous deux. N’importe qui peut répondre en premier. Merci.
M. Ahmad : Je peux répondre en premier.
J’aimerais revenir sur le point qu’a fait valoir mon collègue plus tôt. Ce qu’il faut, c’est continuer de réclamer une plus grande surveillance des organismes fédéraux qui ont un mandat relatif à la sécurité nationale. La création de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, l’OSSNR, a été, bien entendu, un bon pas dans la bonne direction. De nombreux organismes musulmans ont bien accueilli la décision qu’a prise récemment l’OSSNR d’examiner le travail de la Division de la revue et de l’analyse de l’Agence du revenu du Canada, mais il faut aussi assurer la surveillance d’organismes comme l’Agence des services frontaliers du Canada. Nous avons besoin de meilleures données sur les enquêtes relatives à la sécurité nationale, notamment une répartition par groupe racial et par groupe démographique. Nous devons mieux connaître le travail du SCRS, qui jouit toujours de pouvoirs accrus de perturbation d’activités. Nous devons savoir, par exemple, comment la GRC et le SCRS élaborent leurs propres cadres de connaissances et indicateurs de radicalisation et dans quelle mesure ils répondent aux nombreuses critiques formulées à l’égard des pratiques de sécurité nationale au cours des deux dernières décennies environ.
Les demandes d’accès à l’information et de communication de renseignements personnels permettent aux chercheurs et à la collectivité d’en apprendre au sujet des décisions internes et des actions des organismes nationaux de sécurité. Toutefois, le système d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels fonctionne mal, car il faut beaucoup de temps pour obtenir les réponses aux demandes adressées à la GRC et au SCRS, et dans certains cas, on n’obtient aucune réponse.
Dans le même ordre d’idées, je recommande que le gouvernement abandonne immédiatement certaines des mesures de lutte contre le terrorisme qui sont opaques et ciblent les musulmans de façon disproportionnée. Il s’agit de la liste des organisations terroristes, de la liste des personnes interdites de vol, des certificats de sécurité et des visites arbitraires du SCRS et de la GRC dont j’ai parlé il y a un instant. Ce ne sont là que quelques exemples.
Par ailleurs, je pense que nous avons très bien vu que le Code criminel comporte des dispositions permettant de s’attaquer au terrorisme et de protéger adéquatement les accusés. Par conséquent, il faudrait avoir davantage recours au cadre actuel de justice pénale plutôt qu’à la Loi antiterroriste.
Merci.
M. Juneau : À ce propos, je vais parler très rapidement de la question des unités chargées de la collaboration. Le SCRS a son secteur Liaison-recherche et collaboration avec les intervenants, le Centre de la sécurité des télécommunications a son Centre pour la cybersécurité et d’autres organismes ont leurs propres entités de la sorte. Un certain nombre de mesures peuvent être prises pour améliorer leur travail. Il est bien sûr essentiel de clarifier leurs mandats et leurs pouvoirs — ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas faire — et d’accroître leurs effectifs et leurs ressources. Ces unités, comme celle du SCRS, sont très petites. Elles comptent peu d’employés et leurs pouvoirs sont très restreints.
Je m’éloigne un peu de la question, mais je pense que nous devons déterminer quels genres de personnes devraient travailler au sein de ces unités. La tendance est d’y affecter à tour de rôle des agents ou des analystes du renseignement, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise idée. Certains d’entre eux peuvent posséder les compétences nécessaires. Souvent, par contre, il faut des qualités autres que celle d’être un bon analyste ou agent du renseignement. Devrions-nous envisager ce travail dans l’optique du cheminement de carrière, du recrutement et du maintien en poste?
Un autre aspect de leur travail est de faire preuve de transparence par rapport à leurs dossiers. Le SCRS présente un rapport annuel qui comporte toujours plusieurs pages à propos du travail effectué par cette unité. Toutefois, il est possible de faire preuve de davantage de transparence. Quels types de réunions ont été tenues et quel genre de renseignements sont fournis? On retrouve sur leur site Web des documents portant sur l’ingérence étrangère et d’autres enjeux, mais il est toujours possible d’être plus transparent.
Il est nécessaire de s’assurer que le travail des unités de mobilisation est soigneusement intégré dans le travail opérationnel et le mandat plus général du SCRS, de la GRC, de l’ASFC et d’autres organisations afin d’éviter le travail en silo et l’exercice qui consiste à simplement cocher des cases. Qu’advient-il du travail produit par ces unités de mobilisation? Est-il intégré aux opérations menées par le SCRS, la GRC, l’ASFC et d’autres organisations? C’est une question sur laquelle vous pourriez vous pencher pour vous assurer que le travail soit pertinent, au lieu de demeurer marginal et mené en silo.
Au-delà de la question des unités de mobilisation, je dirais que les organisations elles-mêmes devraient systématiser la pratique de la transparence. En effet, les unités de mobilisation devraient être améliorées, renforcées, mieux dotées en ressources et recevoir des mandats plus étoffés, mais elles ne devraient pas être les seules concernées; la transparence et la mobilisation devraient faire partie du rôle d’une organisation dans son ensemble. Comment y parvenir? Certains aspects sont assez évidents : plus de discours et d’engagements publics, plus de breffages aux médias et une plus grande collaboration avec la société civile, etc. Par ailleurs, il faut opter pour une perspective à la fois quantitative et qualitative, ce qui nous ramène à mon observation précédente sur l’élargissement de la définition de la transparence et sur le fait de ne pas la considérer de manière passive.
Pour terminer, je voulais renchérir sur les propos de mon collègue concernant le rôle du CPSNR et de l’OSSNR. Il s’agit de nouvelles organisations qui font preuve d’un potentiel important malgré certaines difficultés. J’espère que parmi les multiples enjeux qu’elles étudient, elles se pencheront sur le problème dont il est question aujourd’hui, et plus largement sur l’ingérence étrangère, car elles auront un rôle définitif à jouer elles aussi.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie.
La sénatrice Omidvar : Je tiens à remercier nos deux témoins. Permettez-moi de commencer par une question à monsieur Ahmad. Vous avez dit que vous nous aviez envoyé vos recommandations, mais en fait, elles ne nous ont pas été transmises parce qu’elles n’étaient pas disponibles dans les deux langues officielles. J’ai hâte de les recevoir en version papier.
Je crains d’avoir manqué la définition des termes qui composent l’acronyme LEV. Vous en avez parlé, mais je crois ne pas avoir été attentive. Que signifient ces trois lettres?
M. Ahmad : Tout à fait. Je vous remercie pour votre question. Je veillerai à vous envoyer mes recommandations après la séance d’aujourd’hui.
LEV est l’acronyme de « lutte contre l’extrémisme violent ». Au Canada, la lutte contre l’extrémisme violent est présentée comme une alternative pré-pénale aux approches coercitives de lutte contre le terrorisme. Elle regroupe des actions de proximité, des programmes éducatifs et divers types d’interventions sociales censés s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation et de l’extrémisme.
Les politiques LEV, parfois appelées « politiques de lutte contre la radicalisation », sont entrées en vigueur au Canada relativement récemment, après 2015. Ces politiques prennent différentes formes selon les provinces et les municipalités, mais la plupart d’entre elles sont menées par les forces policières ou font l’objet d’une médiation policière. Malheureusement, elles souffrent d’un certain nombre de problèmes, et c’est sur ce point que portaient mes observations.
En fait, l’une de mes recommandations est que les agences de sécurité s’abstiennent d’étendre la portée de la LEV à d’autres formes de ce que le SCRS appelle l’extrémisme violent à motivation idéologique, car la LEV présente des lacunes fondamentales. En effet, bien que le concept même de radicalisation demeure plutôt flou et mal défini, sa portée est élargie à tout un éventail de positions idéologiques allant de l’islamisme à la suprématie blanche, en passant même par la mouvance anti-vaccins. Comme l’illustre le cas de la mosquée Assalam que j’ai mentionné il y a un instant, la crainte d’une radicalisation future est si importante qu’elle peut engendrer un climat d’exagération de la gravité des menaces même si leur probabilité reste faible.
Dans le cas des musulmans au Canada, la lutte contre l’extrémisme violent à mener au ciblage de personnes considérées coupables par association. Elle a miné la confiance envers la société civile musulmane et a dissuadé l’expression d’opinions politiques et l’activisme politique, et c’est un outil de surveillance et de sécurisation en fonction de la race. Rien ne porte à croire que la lutte contre l’extrémisme violent a permis de réduire la violence politique. Au pire, elle renforce les préjugés raciaux et est susceptible d’être déployée contre des mouvements autochtones et d’autres communautés marginalisées qui sont considérées comme des menaces à la sécurité par les services de police.
Pas plus tard qu’aujourd’hui, CBC a publié un article qui dit qu’il y a encore une peur généralisée chez les musulmans compte tenu de la violence antimusulmane observée, par exemple les attaques contre la famille Afzaal à London, en Ontario, et la fusillade de la mosquée de Québec.
La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup, monsieur Ahmad. Nous sommes plongés dans l’étude depuis quelques mois, et nous avons entendu divers universitaires et des points de vue communautaires, mais personne n’a employé le terme « lutte contre l’extrémisme violent ».
La lutte contre l’extrémisme violent est-elle un concept politique officielle ou est-ce une formulation de votre cru?
M. Ahmad : Non, en fait, ce n’est pas moi qui ai créé le terme. C’est le langage que les professionnels sur le terrain ont trouvé. Comme je l’ai dit, dans certains cas, on parle de lutte contre l’extrémisme violent. Les Nations unies préfèrent ce genre de terminologie. On parle parfois de « prévention de l’extrémisme violent ». Dans d’autres cas, il est plutôt question de lutte contre la radicalisation.
En 2018, Sécurité publique Canada, par exemple, a présenté une stratégie nationale de lutte contre la radicalisation menant à la violence. Les réponses à cette stratégie correspondent généralement à ce que je viens de dire, en utilisant la terminologie d’autres personnes, comme la lutte contre l’extrémisme violent.
Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins de comparaître ici ce soir. Ma première question est pour M. Ahmad. Vous avez récemment écrit sur la façon dont la formation antiterroriste au Canada continue de mettre l’accent sur les musulmans et entraîne une déshumanisation des personnes perçues comme des étrangers.
Dans la formation de la GRC que vous avez suivie, quels sont les aspects qui contribuent à ces résultats négatifs? De quelle façon votre identité a-t-elle éclairé votre expérience à la formation et votre analyse ultérieure?
M. Ahmad : Merci pour les questions. Oui, j’ai récemment publié un document qui s’appuie sur une formation destinée aux agents de l’information pour la lutte antiterroriste que j’ai suivie en 2019. C’était juste avant la COVID. Ce que je fais valoir dans ce document, avec mon coauteur, Jeffrey Monaghan, c’est que ces formations ont tendance à présenter la radicalisation comme un problème de violence musulmane.
C’est évident de quelques façons. Tout d’abord, il y a le programme de la formation des agents d’information pour la lutte antiterroriste, ou AILA. Nous avons non seulement examiné la formation que j’ai suivie, mais aussi présenté, comme je le mentionne, une demande d’accès à l’information pour obtenir le programme de cours suivis par les AILA dans l’ensemble des provinces au cours des dernières années. Nous voyons que les agents de la GRC s’efforcent de mettre l’accent, essentiellement de manière individualisée, sur l’islam dans les exercices de formation effectués par les participants, ce qui comprend des agents de sécurité du secteur privé, des fonctionnaires de ministères provinciaux et fédéraux, des pompiers et des premiers répondants de façon générale. De plus, ils essaient d’éduquer les participants — dans la mesure où c’est possible pendant une formation de seulement trois jours — à propos de certains aspects de la violence islamiste ou de mouvements islamistes qui, encore une fois, sont liés à des actes de terrorisme ou à des actes de violence commis plus ou moins au cours des deux dernières décennies. C’est un des moyens qui nous a permis d’apprendre que la façon dont la radicalisation est présentée a un lien, parfois implicite, avec la violence musulmane.
À cela s’ajoute la perception des indicateurs de radicalisation. Toujours dans le cadre de cet atelier, un des agents de la GRC qui donnait la formation a indiqué que 95 % des enquêtes étaient liées à l’islam. On considère de banales formes d’expression religieuse et culturelle comme des indicateurs de risque. La GRC a produit un guide sur le terrorisme et l’extrémisme violent. Dans ce guide, les changements vestimentaires, les changements d’apparence et les changements quant aux personnes avec lesquelles quelqu’un interagit à la mosquée, par exemple, sont autant d’indicateurs qu’une personne pourrait être en train de se radicaliser. En outre, les documents de formation des agents d’information pour la lutte antiterroriste de la GRC obtenus en vertu d’une demande d’accès à l’information faite par mon co-auteur, le professeur Monaghan, ont révélé que, malgré que la GRC se targue d’être un service de police dépourvu de préjugés, ses documents de formation, par exemple, comprennent une diapositive — intitulée « L’avenir du terrorisme » — montrant l’image granuleuse d’une jeune fille en hidjab, debout à côté d’une boîte ou d’une valise, et serrant dans ses bras un dispositif quelconque. Ensemble, ces éléments laissent entendre que les services policiers considèrent même que les enfants musulmans sont susceptibles de se radicaliser à l’avenir et se tourner vers la violence terroriste.
Votre autre question portait sur ma positionalité. Mon expérience personnelle, en tant que chercheur musulman, a sans contredit apporté un certain éclairage à mon analyse, mais je dois ajouter que j’étudie ces questions depuis au moins sept ans. Je suis convaincu que n’importe quel chercheur qui examinerait ces documents de manière objective arriverait aux mêmes conclusions que moi. Je vous remercie.
Le sénateur Manning : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Gerba : Durant les dernières semaines, le Québec a connu une vague d’accidents ou d’événements malheureux qui ont mené à la disparition, dans l’un des cas, de jeunes à l’école, et dans l’autre de jeunes enfants dans une garderie. Dernièrement encore, un couple a vu sa vie fauchée. Chaque fois que cela se produit, on n’entend pas parler de l’origine de ces terroristes ou de ces gens; on parlera plutôt de maladie mentale. Comme vous l’avez dit, monsieur Ahmad, dans vos pratiques, les médias considèrent l’islam et les musulmans comme une menace et cela se manifeste dans leurs reportages.
Pouvez-vous nous dire quelle est la frontière entre l’extrémisme et la lutte contre le terrorisme quand c’est alimenté et que c’est incrusté au sein même des institutions et des médias? Y a-t-il quelque chose à faire pour changer les discours des médias qui font que l’on considère d’emblée un événement malheureux commis par une personne non musulmane comme étant un événement lié à son état mental, donc une maladie mentale?
Que peut-on faire pour que les médias puissent revoir leur façon de faire ou leur langage qui mène naturellement vers la condamnation des musulmans dans leurs reportages? Pouvons-nous faire quelque chose? Certains représentants du milieu des médias, lors de leur témoignage à notre comité, nous ont dit respecter la déontologie professionnelle et d’autres nous ont dit que le langage du terrorisme faisait vraiment partie des médias.
Que pouvez-vous nous dire de cet état de choses? Monsieur Juneau, que peut faire le gouvernement en ce qui a trait à la transparence? Que peut-il faire pour rendre les choses plus simples pour ceux qui sont considérés d’emblée comme des terroristes?
M. Juneau : C’est très difficile pour le gouvernement d’intervenir directement auprès des médias parce qu’on veut garder une séparation claire entre les deux. Je crois qu’il y a certaines choses en particulier que le gouvernement peut faire en ce qui a trait à son interaction avec les médias et c’est là que la transparence peut aider.
Au Canada, les gouvernements — le gouvernement fédéral en matière de sécurité nationale — ne sont pas très transparents; ils limitent le plus possible l’information à transmettre, non seulement publiquement, dans des discours à la Chambre des communes, par exemple, mais même dans les breffages donnés aux membres des médias ou aux universitaires. L’information est souvent très minimale.
À long terme, en ce qui concerne les médias, ce qui peut être fait est d’avoir une relation beaucoup plus mature et plus sophistiquée, où le gouvernement donne plus d’information aux médias au jour le jour, mais de façon plus générale sur la menace, sur l’absence de menace aussi, quand c’est le cas, pour aider les médias à couvrir des enjeux, que ce soit des enjeux liés à la sécurité ou non, avec beaucoup plus d’information en main, ce qui n’est pas toujours évident.
Dans le cas de l’ingérence étrangère dont on parle beaucoup ces jours-ci, il y aurait lieu, pour le gouvernement, de donner beaucoup plus d’information sur la menace au lieu de constamment se cacher derrière un mur de secrets et de dire : « on ne peut pas en parler, c’est classifié, etc. ». Cela aiderait les médias à couvrir cet enjeu de façon beaucoup plus nuancée, parce que ce sont des enjeux très compliqués. Cela serait utile en général, mais cela le serait en particulier lorsqu’il s’agit de la question du racisme antiasiatique ou antichinois, dans le cas présent, parce que c’est un débat qu’on ne peut pas démêler de cet enjeu.
Est-ce qu’il y a une recette miracle? Non, mais en donnant plus d’information aux médias, en général, je pense qu’on peut aider une couverture qui, avec le temps, pourra devenir plus nuancée.
[Traduction]
La vice-présidente : Je suis désolée, sénatrice, mais votre temps est écoulé. Voulez-vous inscrire votre nom pour le deuxième tour?
La sénatrice Gerba : Oui.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins. Cette question s’adresse à vous deux. Je vous remercie d’être venus aujourd’hui pour nous aider dans notre travail.
Je suppose que vos recherches sur ces questions démontrent qu’il y a un préjugé culturel ou un éthos profondément ancré, chez les organismes canadiens de sécurité et de renseignement. Je dirais, dans ce cas, qu’une des solutions réside dans une transparence accrue, mais la transparence semble être l’antithèse de la surveillance ou de l’espionnage. Vous demandez un changement révolutionnaire dans la culture de ces organismes. Comment pouvez-vous mesurer, objectivement et efficacement, la transparence quant à leur fonctionnement?
Deuxièmement, concernant les ministères fédéraux qui pourraient jouer un rôle proactif et constructif par rapport à ces questions, quels conseils donneriez-vous au ministère de la Sécurité publique et au ministère du Patrimoine canadien, étant donné que le Canada est un pays multiculturel, multithéiste et multiethnique — des principes qui se trouvent dans notre Constitution —, mais que nous semblions avoir de la difficulté à faire connaître ces principes à la population canadienne?
M. Juneau : Il y a sans contredit une culture du secret profondément ancrée au sein des organismes de renseignement. Je pense que cela évolue lentement, et la situation est meilleure aujourd’hui qu’il y a 10 ou 20 ans. Il reste beaucoup de choses à améliorer, mais, pour être juste, il faut reconnaître que les choses ont évolué dans le bon sens, même si l’on partait de loin.
Quant à savoir si c’est contraire à la nature de leurs activités, je dirais oui et non. Évidemment, à certains égards, la réponse est oui. Je ne prônerai jamais une transparence absolue sur des questions comme les sources et les méthodes, par exemple, qui doivent absolument demeurer protégées. Toutefois, beaucoup d’autres choses pourraient être divulguées, mais ne le sont pas, en ce qui concerne les objectifs, les priorités, les évaluations des menaces et la formation, comme mon collègue l’a indiqué plus tôt.
Comment peut-on changer cela? Cela passe par le recrutement. Les organismes qui veillent à la sécurité nationale tendent à recruter en fonction de compétences précises et à négliger d’autres compétences. Il y a des moyens de changer cela. Les promotions, par exemple. Les promotions sont fondées sur certaines compétences, et la transparence et l’engagement n’en font pas partie. Donc, il y a également des façons de modifier la structure incitative pour les promotions. La formation est un autre exemple. Un important débat s’impose sur la piètre qualité de la formation dans la communauté de la sécurité nationale en général, et plus particulièrement sur certaines de ces questions.
Globalement — et je terminerai là-dessus avant de céder la parole à mon collègue —, je dirais qu’il est nécessaire de changer l’équation risque-récompense au sein des services de renseignement afin d’encourager une plus grande mobilisation et une plus grande transparence. L’équation risque-récompense actuelle incite à la surclassification et à l’aversion au risque en matière de transmission d’informations. Il y a des moyens de changer cela, mais oui, c’est difficile.
M. Ahmad : Je répondrai à votre question en sens inverse; je reviens aux recommandations pour Sécurité publique Canada et Patrimoine canadien.
Ces deux agences sont particulièrement bien placées pour investir dans des études qui abordent de façon plus systématique l’enjeu de l’islamophobie parrainée par l’État. On aurait avantage à mener une étude plus approfondie sur la violence et la discrimination antimusulmanes au Canada. Nous constatons souvent que cet aspect est sous-représenté dans les études comparatives mondiales. Mener une telle étude nous aidera non seulement à mieux conceptualiser l’islamophobie, mais aussi à examiner ses liens avec le racisme anti-Noirs et la marginalisation économique.
Pour ce qui est de votre seconde question sur la culture des services de renseignement, je suis tout à fait d’accord pour dire que c’est la racine du problème qui nous occupe. Il ne s’agit pas seulement de la culture du secret, mais aussi de la discrimination présente dans ces agences. Nous l’avons appris grâce aux témoignages d’anciens employés du SCRS comme Huda Mukbil qui ont révélé le racisme systémique au sein d’agences telles que le SCRS.
Jusqu’à ce que ces agences cherchent à... Premièrement, elles ont une culture du secret, et deuxièmement, d’après ce que nous savons d’elles, elles ne savent pas bien gérer les problèmes de racisme et d’islamophobie dans leurs rangs. Il y a tellement à faire à cet égard.
La vice-présidente : Nous allons maintenant passer au second tour de questions. Cette fois-ci, les sénateurs disposeront de trois minutes pour les questions et les réponses afin que nous puissions terminer à temps.
La sénatrice Omidvar : Vous nous mettez la pression. Ma question s’adresse à M. Juneau.
J’apprécie vos commentaires sur la transparence, la mobilisation et la formation, mais j’aimerais revenir à la racine potentielle du problème. Le premier ministre Chrétien a fait adopter la Loi antiterroriste en 2001. Je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que son adoption a été précipitée. Puis, aux alentours de 2015, il y a eu l’Évaluation des risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada du premier ministre Harper.
Pensez-vous qu’il serait temps de les revoir toutes les deux? Tout l’appareil gouvernemental repose sur elles.
M. Juneau : Oui, tout à fait, je crois qu’il serait temps de les revoir.
Comme vous l’avez dit, on a adopté bon nombre de ces mesures rapidement. Le contexte politique était particulier après les attentats du 11 septembre. À ce propos, l’une des leçons à tirer de l’adoption précipitée de ces mesures est une leçon de prudence. Nous devons absolument en faire nettement plus pour contrer l’ingérence chinoise, mais si les événements d’il y a 20 ans nous ont appris quelque chose, c’est qu’il est impératif de s’armer de prudence; si nous adoptons ces mesures trop rapidement sans réfléchir à leurs répercussions, elles ne seront pas efficaces, et elles cibleront également les Sino-Canadiens, ce qui est entièrement à l’opposé de ce que nous devrions vouloir faire.
Voilà pourquoi j’estime qu’il est temps de les revoir, surtout dans le contexte actuel, où le Canada fait face à un spectre de menaces nettement plus diversifié qu’il y a 20 ans. Je ne dis pas qu’al-Qaïda, l’État islamique et d’autres groupes du genre n’existent plus — ils existent toujours —, mais leur niveau de menace n’est plus le même qu’il y a 20 ans. Rien que pour cela, il faudrait revoir ces documents.
La sénatrice Omidvar : Croyez-vous que cette fixation, si je puis dire, de l’appareil de sécurité sur la menace des musulmans nous distrait d’autres menaces, comme le nationalisme blanc ou l’ingérence étrangère?
M. Juneau : C’est une très bonne question. J’ai deux réponses à vous donner.
Je dirais que c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui que ce ne l’était il y a cinq ans. Si nous avions abordé ce sujet en 2015, par exemple, je vous aurais répondu que oui, il faudrait se pencher sur l’extrémisme de droite ou l’extrémisme chrétien — appelez-le comme vous le voulez —, l’espionnage économique et d’autres enjeux.
Les organismes de sécurité nationale ont changé leur orientation de manière importante. La pandémie et le convoi ont entraîné ce changement, tout comme le débat actuel.
Est-ce que le changement est suffisant? Je ne crois pas qu’il soit possible de le savoir de l’extérieur.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Monsieur Ahmad, nous allons recevoir les représentants de l’OSSNR la semaine prochaine. On en a entendu parler aux nouvelles; vous avez mentionné l’Office également. Quelles questions devrions-nous lui poser au sujet de l’examen de la Division de la revue et de l’analyse?
M. Ahmad : Je sais que vous avez invité des témoins qui sont beaucoup mieux placés que moi pour vous dire quoi faire au sujet de la Division de la revue et de l’analyse.
De façon générale, au sujet des questions qui devraient être posées à l’OSSNR et pour miser sur les commentaires de mes collègues — en plus des commentaires précédents qui ont été faits au sujet des mesures que peuvent prendre les organismes gouvernementaux pour lutter contre le problème de l’extrémisme tout en maintenant l’équilibre en ce qui a trait à la confidentialité —, je dirais que dans une société démocratique comme la nôtre, il est important d’assurer la surveillance civile de ces organismes. Autrement, nous savons que l’appareil de lutte contre le terrorisme accorde beaucoup de pouvoir au gouvernement, et que les possibilités d’abus de pouvoir sont importantes s’il n’y a pas de solides mécanismes de responsabilisation démocratique ou une surveillance civile de ces organismes.
J’espère que vous pourrez poser des questions à l’OSSNR au sujet de ces mécanismes et de la reddition de comptes qui permet aux communautés visées par ces politiques, ces lois et l’appareil de façon générale, d’en connaître les motifs ou d’être des partenaires égaux dans le cadre des conservations au sujet des politiques et des mesures.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Le sénateur Manning : Ma question s’adresse à M. Juneau. Pouvez-vous nous dire ce que révèlent les recherches au sujet de la relation entre les communautés racisées et les organismes du renseignement et de la sécurité nationale canadiens? Quelles sont les preuves de l’islamophobie systémique persistante au sein de ces organismes?
M. Juneau : Je vais répondre à votre question rapidement, mais j’aimerais aussi laisser le temps à mon collègue d’y répondre, parce qu’il a une plus grande connaissance que moi des preuves relatives à l’islamophobie. Il est donc mieux placé que moi pour vous répondre.
J’ai siégé pendant trois ans au Groupe consultatif sur la transparence de la sécurité nationale, l’organisme indépendant que j’ai mentionné au début de mon discours préliminaire. J’étais le coprésident du groupe au moment de sa formation en 2019 jusqu’à l’été dernier. Dans le cadre de notre travail, nous avons entendu le témoignage de dizaines d’activistes de la société civile, d’universitaires, de représentants du gouvernement, d’anciens fonctionnaires et de représentants des gouvernements des pays alliés.
J’hésite à dire qu’il y a consensus, mais de façon générale, on s’entend pour dire qu’il y a un problème. Pour moi, étant donné ce large éventail de points de vue sur la question — y compris de personnes très critiques à l’égard du gouvernement et d’autres personnes au sein du gouvernement ou qui ne critiquaient pas le gouvernement —, la reconnaissance du problème était évidente, que ce soit l’islamophobie ou d’autres formes de racisme, comme celui contre les Asiatiques, par exemple.
Après avoir entendu pendant trois ans les témoignages présentés devant ce groupe consultatif, je peux seulement conclure qu’il y a un problème manifeste. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle mes recherches se concentrent davantage sur les éventuelles pistes de solutions. Même si je n’ai pas cherché à approfondir la question, l’existence d’un problème ne fait plus aucun doute dans mon esprit au bout de ces trois années de travail. Peut-être que mon collègue pourrait brièvement vous en dire plus long.
M. Ahmad : J’estime que de grandes quantités de données, provenant aussi bien des commissions gouvernementales que des rapports de recherche de nombreux universitaires, mettent au jour les problèmes qui perturbent d’une manière générale notre régime de lutte contre le terrorisme. Le spectre peut aller du recours aux certificats de sécurité, une mesure fort populaire au début des années 2000, jusqu’aux restrictions de déplacement imposées plus récemment aux musulmans du fait que l’on juge suspects leurs dons d’un faible montant à des organismes de bienfaisance de pays à majorité musulmane. C’est non seulement un obstacle à la mobilité de ces gens-là, mais aussi dans certains cas, comme les sources consultées lors de mes recherches me l’ont indiqué, une entrave au traitement de leurs demandes d’immigration ou de citoyenneté, entre autres complications.
Il ressort clairement de vos questions que vous vous préoccupez vivement du risque que l’Agence du revenu puisse cibler de façon préjudiciable les organismes de bienfaisance de confession musulmane. Une foule de rapports ont déjà été produits à ce sujet, si bien que nous disposons d’amplement de données. Je signale à nouveau que des employés du SCRS ont communiqué des informations privilégiées témoignant des problèmes internes d’islamophobie et de racisme qui sévissent au sein de ces agences. Je vais m’arrêter là.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vais adresser ma question à M. Ahmad. Dans vos études, est-ce que vous avez des données qui nous montrent le pourcentage de musulmans qui sont au service des agences de sécurité et de l’Agence du revenu du Canada?
Je pose la question pour donner suite à notre échange avec M. Juneau, parce que je me demande si une des solutions ne serait pas d’avoir plus de musulmans au sein de ces agences.
[Traduction]
M. Ahmad : Pour répondre brièvement à votre question, je dirais que je n’ai pas ces données. Nous aurions bien voulu que ce soit le cas, car c’est justement le genre d’information que nous souhaiterions que ces agences rendent publique.
J’aurais toutefois deux choses à vous dire à ce sujet. Je veux d’abord revenir à votre question précédente quant à la représentation de l’extrémisme dans les médias et au fait que l’on évoque des problèmes de santé mentale lorsque l’auteur de tels actes n’appartient pas à un groupe racisé. Si par contre il est musulman, les médias font souvent le lien entre son geste et sa foi ou ses origines culturelles, ou encore le pays à majorité musulmane avec lequel il peut avoir des liens. C’est ainsi que se manifeste cette forme de discrimination. Les gens des médias devraient réfléchir à la manière dont ils traitent ce genre de situations.
Pour leur part, les agences gouvernementales seraient bien avisées de s’interroger sur la façon dont elles communiquent l’information relative aux arrestations ou aux différents actes de violence qui sont perpétrés. Il y a déjà eu des situations — d’ailleurs recensées dans de nombreux articles universitaires — où l’intervention antiterroriste devient en quelque sorte un spectacle médiatique monté en épingle et diffusé à grande échelle. C’est un autre enjeu qui donne matière à réflexion.
Il y a aussi le fait que l’on traite les auteurs d’actes terroristes ne faisant pas partie d’un groupe racisé comme des humains à part entière en tenant compte de leur santé mentale pour attribuer un caractère pathologique à leur conduite. C’est un autre élément qui demeure problématique.
Je pense qu’il serait bénéfique pour tout le monde que l’on aborde ces concepts plutôt complexes de façon plus précise ou plus nuancée, comme l’indiquait mon collègue, plutôt que d’essayer de les simplifier. Les médias et la collectivité dans son ensemble en sortiraient gagnants.
La vice-présidente : Merci. Je veux remercier très sincèrement les témoins qui ont accepté de participer aujourd’hui à cette importante étude. Nous vous sommes très reconnaissants pour l’aide que vous nous avez apportée.
Chers collègues, je veux maintenant vous présenter les témoins de notre second groupe. Chacun d’eux a été invité à présenter un exposé préliminaire de cinq minutes. Nous passerons par la suite aux questions des sénateurs.
Je souhaite la bienvenue à ces nouveaux témoins. Nous accueillons ici même M. Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Témoignent également par vidéoconférence M. Abdul Nakua, membre de la direction, Association musulmane du Canada; et Me Barbara Jackman, avocate, Jackman and Associates.
J’invite maintenant M. McSorley à nous présenter ses observations préliminaires. Il sera suivi de M. Nakua et de Me Jackman.
Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles : Merci, sénateurs, de me recevoir aujourd’hui.
Notre coalition s’intéresse d’abord et avant tout aux incidences des lois touchant la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme au Canada; au rôle joué et aux gestes posés par notre pays tout au long de la soi-disant « guerre au terrorisme »; et aux droits fondamentaux et aux libertés civiles garanties par la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que par les accords internationaux touchant les droits de la personne.
Dans le cadre de notre travail, nous observons sans cesse le problème indéniable du profilage racial, religieux et politique exacerbé par les définitions vagues et trop larges du terrorisme et de la sécurité nationale que l’on retrouve dans les lois et les politiques canadiennes. Ce profilage se manifeste tout particulièrement à l’encontre des musulmans, des Arabes et des gens perçus comme étant musulmans ou arabes, que l’on considère être les individus représentant la plus grande menace pour la sécurité des Canadiens, malgré les preuves du contraire. Cette islamophobie systématique a un impact négatif bien concret sur les musulmans, non seulement au Canada, mais partout sur la planète.
En réfléchissant à cet impact, nous estimons important de ne pas oublier les victimes et les survivants de ces lois, et d’écouter ce qu’ils ont à nous dire. Si nous voulons vraiment nous attaquer à ces problèmes, nous devons intégrer à nos discussions stratégiques la voix de ceux et celles qui ont vu leurs droits fondamentaux être violés de la pire façon imaginable.
Je voudrais citer les propos de Mohamedou Ould Slahi, qui a été enlevé de son domicile en Mauritanie, puis finalement emprisonné pendant 14 ans à la prison de Guantanamo Bay, où il a subi d’horribles actes de maltraitance et de torture. Il a subi tout cela sur la base de renseignements erronés fournis aux États-Unis par les organismes canadiens du renseignement. En mai dernier, M. Slahi a déclaré ce qui suit aux journalistes du Middle East Eye :
Je veux que le Canada dise au monde qu’il s’agissait d’une erreur... Je veux rétablir ma réputation. C’est très important pour moi... Sans le gouvernement canadien, je n’aurais jamais été kidnappé. Sans le gouvernement canadien, je n’aurais jamais été sélectionné pour le programme de torture. Au lieu d’obtenir la protection que je recherchais, on m’a littéralement jeté en pâture aux lions... Je voulais simplement des excuses, qu’on me redonne les documents qu’on m’avait pris, parce que j’ai besoin d’une vie, parce que mon pays ne veut pas me donner un passeport. Je veux pouvoir aller au Canada librement, rencontrer mes lecteurs, rencontrer mes partisans, et donner des conférences dans toutes les villes du Canada. Parce que j’aime le peuple canadien.
Le Canada a ignoré sa demande d’excuses, obligeant ainsi M. Slahi à chercher à obtenir justice par le seul moyen à sa disposition : les tribunaux. Son cas n’est qu’un exemple tragique et révoltant parmi tant d’autres.
D’autres personnes ont également subi de mauvais traitements ou de la torture par le Canada, ou avec sa complicité, au nom de la lutte contre le terrorisme, notamment Maher Arar, Abdullah Almalki, Ahmad El Maati, Muayyed Nureddin, Omar Khadr, Mohamed Harkat, Hassan Diab, Abousfian Abdelrazik, Benamar Benatta et bien d’autres encore. Ce n’est pas une coïncidence si tous ces hommes sont musulmans.
Au cours des dernières décennies, des études ont documenté de façon répétée les effets disproportionnés des mesures de sécurité nationale sur les musulmans au Canada. Par exemple, une étude de 2019 a révélé que 98 % des individus poursuivis en vertu des dispositions antiterroristes du Code criminel étaient musulmans ou liés à des groupes musulmans. Dans la grande majorité de ces cas, aucun acte de violence n’avait été perpétré, tandis que la plupart des Blancs qui étaient auteurs de violence de masse n’ont pas été poursuivis en tant que terroristes. Nos propres recherches ont démontré que les organismes de bienfaisance musulmans sont ciblés par l’ARC de manière disproportionnée, injustifiée et empreinte de préjugés, sous le couvert de la lutte contre le financement du terrorisme.
Parmi d’autres exemples, soulignons la discrimination et le profilage en immigration; le profilage racial à la frontière lors des voyages, notamment par l’intermédiaire du Programme de protection des passagers ou de la Liste des personnes interdites de vol; l’échange de renseignements avec des régimes qui violent les droits de la personne; le harcèlement des musulmans au travail, sur les campus et dans leurs lieux de culte.
Ces dernières années, certaines lois comme la Loi antiterroriste de 2015 et la Loi de 2017 sur la sécurité nationale ont élargi les pouvoirs en matière de sécurité nationale sans protection adéquate des droits, sans transparence et sans surveillance, tout en n’allant pas assez loin pour lutter contre le profilage et la discrimination systémique auxquels les musulmans sont confrontés au Canada. Si le gouvernement fédéral veut véritablement lutter contre l’islamophobie, il doit renoncer aux politiques fondées sur la notion vague et politiquement malléable du terrorisme. Il faut plutôt une réforme législative, une véritable reddition de comptes et une véritable justice pour les survivants dont les droits ont été violés sous le couvert de lutte contre le terrorisme.
Cela comprend... J’ai six recommandations précises. Premièrement, abroger les lois antiterroristes qui violent les droits de la personne, y compris les pouvoirs du SCRS en matière de perturbation des menaces. Deuxièmement, augmenter les ressources et les pouvoirs des organismes d’examen et de surveillance, y compris pour un examen indépendant de l’ASFC. Troisièmement, établir des mécanismes de reddition de comptes clairs, notamment pour l’examen des manquements, par le SCRS, du devoir de franchise. Quatrièmement, rendre obligatoire la collecte de données désagrégées selon la race et la religion pour orienter les politiques. Cinquièmement, mettre fin aux vérifications empreintes de préjugés dont les organismes de bienfaisance musulmans font l’objet sous prétexte de la lutte contre le financement du terrorisme dans le secteur caritatif. Sixièmement, revoir le financement des organismes de sécurité nationale afin de réaffecter les ressources vers des solutions favorisant la santé mentale et physique et le bien-être, et axées sur la lutte contre l’exclusion, les préjugés, la discrimination et la pauvreté.
Enfin, comme je l’ai mentionné, il est essentiel que justice soit rendue aux victimes d’abus commis sous le couvert de la lutte contre le terrorisme. Prendre ces mesures témoignerait d’un changement d’approche concret et saperait l’image omniprésente et infondée selon laquelle les musulmans constituent une menace pour la sécurité du Canada. À titre d’exemple, soulignons le rapatriement immédiat de tous les Canadiens actuellement détenus dans le Nord-Est de la Syrie; l’annulation du certificat de sécurité de M. Mohamed Harkat et l’arrêt de sa procédure d’expulsion; demander au gouvernement français de mettre fin à toute procédure à l’égard du Dr Hassan Diab et de s’engager à ne procéder à aucune nouvelle extradition; résoudre les cas de M. Mohamedou Ould Slahi, dont j’ai parlé plus tôt, et de M. Abousfian Abdelrazik, et leur présenter des excuses pour les mauvais traitements qu’ils ont subis, avec la complicité du gouvernement canadien; demander le transfert de M. Abdulrahman El Bahnasawy de la prison américaine vers le Canada, où il pourrait à tout le moins avoir le soutien de sa famille et de sa communauté et obtenir des services de santé mentale.
Je serai ravi de parler davantage de n’importe lequel de ces cas pendant la période de questions. Je vous remercie de votre temps.
La vice-présidente : Je vous remercie.
Abdul Nakua, membre de la direction, Association musulmane du Canada : Madame la vice-présidente, sénatrices et sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître. Je m’appelle Abdul Nakua. C’est un nom arabe, donc peu importe comment vous le prononcerez, ce ne sera peut-être pas exact. La prononciation est « Nakua ».
Je suis un Canadien de première génération. J’ai une expérience de l’islamophobie que beaucoup d’entre vous n’ont peut-être pas. Je suis dans ce pays depuis les années 1980 et j’ai été témoin des deux guerres du Golfe, de l’attentat à la bombe à Oklahoma City, du 11 septembre, de l’enquête publique sur Maher Arar, du débat sur les accommodements raisonnables, de la saga du niqab et de la controverse autour du burkini, de la ligne téléphonique pour la dénonciation de pratiques barbares, du tristement célèbre projet de loi C-51, de l’interdiction de voyage des musulmans imposé par Trump et, plus récemment, de la loi 21.
Je travaille pour le plus important organisme de bienfaisance musulman, l’Association musulmane du Canada, et je suis actif dans le secteur caritatif au Canada, notamment au sein de l’Ontario Nonprofit Network, d’Imagine Canada ou du Collectif pour une relance équitable. Je participe aux consultations gouvernementales sur les problèmes d’islamophobie et je publie des articles — que je serais ravi de vous transmettre — sur la question et sur l’intersection entre l’islamophobie et le multiculturalisme.
Étant donné le temps dont je dispose, je ferai trois brèves observations, et j’espère avoir le temps de présenter trois recommandations.
Je ferai des commentaires d’ordre plutôt général, mais un point à souligner concernant l’islamophobie dans la communauté, c’est la vitesse avec laquelle elle s’est répandue pour devenir une industrie qui mise sur la colère et se nourrit d’indignation. Elle s’est muée en écosystème qui amplifie ses messages, mais ce qui est triste, c’est essentiellement que cela prolifère et s’immisce dans le contexte canadien plus vaste et oriente les choix stratégiques de certains partis politiques. Voilà le problème avec l’islamophobie; cela s’inscrit dans le spectre de l’antiracisme. Elle s’apparente au racisme envers les Autochtones et les Noirs. C’est dans cette perspective qu’il faut examiner la question, car c’est ce qui nous permet d’en avoir une vue d’ensemble.
Nous savons que les politiciens aiment faire associer l’islamophobie à la haine et aux crimes haineux. Les crimes haineux découlent du système antiraciste existant.
Quant au fonctionnement de ce système, nous savons notamment que certains éléments de ce discours sont amplifiés par des experts autoproclamés — des experts en sécurité — qui expriment des opinions et commentaires, puis qui rédigent et présentent des documents, et tout cela se retrouve ensuite dans le discours politique.
Je souligne que deux messieurs qui ont participé à une séance semblable au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, M. Vidino et M. Quiggin, ont essentiellement fourni le prétexte au déclenchement des vérifications de la SAR. Il est à espérer que l’OSSNR en divulguera les résultats, en partie, mais nous avons la preuve que leurs mémoires et témoignages ont retenu l’attention des décideurs.
Le débat sur les aménagements raisonnables est un autre exemple. L’analyse de certains articles révèle que beaucoup de propos avancés dans ce débat étaient inexacts — c’est le moins qu’on puisse dire — et ont été propagés par la presse à sensation. Ces idées ont ensuite fait leur chemin jusque dans le discours de la classe politique de la province de Québec où, sur une période de 10 ans, quatre projets de loi ont été déposés. Au moins deux d’entre eux ont été adoptés, dont, récemment, la tristement célèbre loi 21.
L’islamophobie, comme tout système de racisme et de discrimination, percole dans d’autres institutions. L’exemple le plus récent — qui retient moins l’attention que les autres — est le secteur bancaire. Le problème n’est pas propre au Canada; il y a beaucoup d’exemples au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie. Cela nuit considérablement à l’accès des particuliers, des organismes ou des entreprises aux services financiers. La façon dont les lois sont rédigées et interprétées — je parle de la réduction des risques — défavorise réellement les musulmans en raison de leurs liens avec l’étranger, de certaines transactions ou même de leur nom, ce qui permet à certaines banques et institutions financières de limiter leurs risques et de refuser l’accès à ces services pourtant essentiels dans une société moderne.
Ce qui est frappant au sujet de...
La vice-présidente : Excusez-moi, monsieur Nakua. Vous avez largement dépassé le temps imparti. Si vous pouviez conclure dans la prochaine minute, nous pourrions entendre Me Jackman. Nous aurons certainement l’occasion d’aborder vos autres points lors des séries de questions des sénateurs. Merci.
M. Nakua : Je veux simplement dire que nous avons tous les mêmes problèmes. Il reste un processus qui manque de transparence, de précision et de recours juridiques. Voilà quelques-uns des principaux problèmes liés à ces actions.
Je tiens à souligner que l’inaction politique et le manque de sérieux dans la lutte contre l’islamophobie ont pour effet de propager tous ces problèmes. J’aurai peut-être l’occasion de présenter mes recommandations lors des questions.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Maître Jackman, vous avez la parole.
Me Barbara Jackman, avocate, Jackman and Associates, à titre personnel : Je suis avocate dans un cabinet privé. Au fil des ans, je me suis spécialisée en droit de l’immigration et des réfugiés, et cette pratique m’a amenée à me spécialiser dans les cas portant sur la sécurité nationale.
Je dirais que certains problèmes qui se sont développés au fil des ans avant le 11 septembre se sont certainement exacerbés depuis. La prémisse, dans les cas liés à la sécurité nationale, c’est que ces cas reposent sur l’appartenance à un groupe. La perception de la dangerosité de l’individu est ancrée dans l’hypothèse de la dangerosité de l’ensemble du groupe auquel l’individu est réputé appartenir. Cela comprend les Latino-Américains et les Centraméricains — la gauche politique de ces pays — et les nationalités opprimées, lorsqu’il y a une résistance armée, comme les Tamouls, les Kurdes, les Musulmans et les Palestiniens. Dans certains pays — le Bangladesh est un bon exemple —, cela inclut les partis d’opposition en raison de violences qui ont eu lieu lors des élections.
Depuis le 11 septembre, et même avant, l’accent est mis sur la religion, mais seulement sur l’islam. Même si un mouvement chrétien extrémiste s’est livré à des actes de violence, j’ai constaté au fil des ans que l’attention était uniquement concentrée sur les musulmans.
Nous avons vu des cas graves, comme les cas des Canadiens détenus en Syrie : MM. Almalki, Arar, El Maati et Nureddin. Vous seriez bien avisés de discuter avec quelqu’un comme M. Abdullah Almalki, car il pourrait vous décrire l’ampleur de l’islamophobie, ce que je ne saurais faire. Il a passé deux ans dans une prison syrienne, où il a été torturé sur la base de fausses informations et de suppositions sur ses croyances dont personne ne lui avait jamais parlé. Voilà le genre de conséquences graves de l’islamophobie.
Les cas liés à des certificats de sécurité — les cinq musulmans qui ont été détenus en vertu de ces certificats —, ces personnes ont fait l’objet d’une détention obligatoire sans possibilité de libération sous caution pour plusieurs années jusqu’en 2007, lorsque la Cour suprême a invalidé la loi au motif qu’il s’agissait de détention arbitraire.
Si l’on peut qualifier le Canada de pays persécuteur, c’est bien dans ces cas-là. Ces hommes ont été maintenus en isolement pendant des mois et des mois, voire des années dans certains cas. Ils n’avaient pas droit à la libération sous caution. Leur mise en liberté n’était pas une possibilité.
Les deux hommes qui n’ont pas eu gain de cause — trois d’entre eux ont été disculpés, en fin de compte — sont toujours soumis à des conditions déplorables totalement inadaptées à leur situation, ce qui nuit considérablement à leur santé mentale et à leur bien-être physique. En tant qu’avocate, je trouve que c’est l’une des situations les plus difficiles à gérer dans ce genre de cas, car on voit le client et sa famille décompenser au fil du temps, et qu’on est totalement impuissant, même si on voudrait pouvoir faire quelque chose. Ce sont des cas épouvantables.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement n’utilise plus les certificats de sécurité. Il a plutôt recours aux audiences devant la Section de l’immigration pour déterminer l’admissibilité de la personne, selon les mêmes critères, mais avec moins de droits que ceux accordés aux détenus visés par un certificat de sécurité. De tels cas sont fréquents et nombreux. Ils ne sont pas médiatisés, mais nous expulsons des gens simplement au motif d’une association quelconque et non parce qu’ils sont une menace quelconque pour le Canada.
Ensuite, on continue de ne pas aider les citoyens canadiens qui se retrouvent en situation difficile, comme le cas des Canadiens dans le Nord-Est de la Syrie. Dans cette affaire, la Cour fédérale a ordonné au gouvernement canadien de ramener les Canadiens au pays. Au lieu de le faire, le gouvernement canadien a plutôt demandé une suspension d’instance à la Cour d’appel fédérale et en appelle de la décision.
Ensuite, il y a la Liste des personnes interdites de vol.
Je me suis occupée de dossiers dans tous ces domaines, et j’aimerais simplement dire trois choses.
Premièrement, il faut une formation différente. Les agents du SCRS, de l’ASFC et de la GRC avec lesquels nous avons affaire n’ont pas une véritable compréhension des mouvements qu’ils surveillent. Pour eux, il leur suffit de pouvoir montrer à un décideur que des personnes ont été attaquées et que, par conséquent, ces gens se sont livrés à des actes de violence. C’est tout; on ne cherche pas à comprendre. Il est nécessaire d’offrir une formation adéquate afin qu’ils comprennent le contexte et puissent adapter leurs interventions en conséquence. Nous ne devrions pas essayer d’expulser des gens qui ne présentent aucune menace pour le Canada et, de toute évidence, nous ne devrions pas supposer qu’ils présentent une menace simplement parce qu’ils sont musulmans.
Deuxièmement, la loi doit être modifiée. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés comprend une disposition sur l’appartenance à un groupe. Cette disposition figure également dans le Code criminel. Si vous êtes membre d’une organisation terroriste, vous pouvez être expulsé du Canada. En fait, vous n’avez pas à en faire partie, un simple lien par association suffit. Cela vaut aussi pour les entités terroristes. Il existe une présomption selon laquelle une personne est une mauvaise personne et présente une menace pour le Canada du simple fait de son identification au groupe. Cela ne devrait absolument pas exister. Si les individus eux-mêmes présentent une menace, soit, mais si c’est au motif qu’ils s’identifient à un groupe, non.
En dernier lieu, on ne définit jamais qui sont les décideurs. Du côté de la Cour fédérale, par exemple, les décideurs sont les juges de la cour qui sont nommés pour trancher des questions de droit de la concurrence, de droit de la propriété, de droit maritime, de droit minier, de propriété intellectuelle et des enjeux de la sorte. Quatre-vingts pour cent de leurs dossiers se rapportent au droit de l’immigration et des réfugiés. Ils ne détiennent aucune expertise dans ce domaine. On se retrouve ainsi à prononcer des plaidoiries sur l’islamophobie devant un juge — comme ce fut le cas pour les dossiers de certificats de sécurité — complètement déconcerté : les juges ne comprennent pas les problèmes.
Cet été, le SCRS a émis un avis devant la cour faisant valoir que nous essayions de libérer des détenus visés par des certificats de sécurité. Le SCRS a avancé qu’un terroriste extrémiste islamique restera toujours un terroriste. Aucun des juges n’a rejeté l’argument comme étant un stéréotype. L’argument a été pris en considération pour l’imposition de conditions inutiles et contraignantes qui persistent pour ces personnes.
La vice-présidente : Merci, maître Jackman. Vous avez vous aussi dépassé le temps alloué, mais je vous remercie énormément.
Nous allons maintenant passer aux questions.
La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins. La soirée est fort intéressante.
J’aimerais adresser mes questions à Me Jackman. Je crois que vous avez mis le doigt sur un élément très important par rapport à la formation et la compréhension. Dans d’autres contextes — je vais employer l’exemple des agressions sexuelles et des crimes de cette catégorie —, on constate que les juges ne saisissent pas les enjeux.
Ma question concerne la formation. Existe-t-il une formation conçue ailleurs dans le monde dont on pourrait se servir au Canada pour aider les intervenants à saisir ces enjeux? Bien entendu, ils réagissent à ce qu’ils connaissent, mais ils n’ont pas le tableau complet de la situation. Avez-vous de l’information à ce sujet?
Je crois qu’une telle formation aurait plus d’une utilité : d’autres personnes seraient formées et comprendraient le phénomène.
Me Jackman : Je pense que M. McSorley serait mieux placé pour répondre à la question, mais je peux vous dire que j’ai assisté à une réunion qu’il a organisée tout récemment. Il s’y trouvait de nombreux Canadiens qui pourraient créer une excellente formation pour les décideurs. L’événement était très bien organisé, et les participants comprenaient les enjeux en détail.
M. McSorley : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Elle est importante.
Je ne suis pas en mesure de vous donner un exemple précis de système de formation à l’étranger pour les juges à ce sujet. Cela dit, de multiples organisations au Canada dispensent des formations très importantes sur les répercussions de l’islamophobie.
Je pense entre autres à l’Association musulmane du Canada, dont fait partie M. Nakua, au Conseil national des musulmans canadiens, au Noor Cultural Centre, et au Conseil canadien des femmes musulmanes.
Il existe de nombreux groupes au Canada qui peuvent adapter leur formation pour l’offrir aux juges. Je pense que la comparaison avec la formation sur les questions relatives aux agressions sexuelles est pertinente et qu’elle permettrait d’informer les juges et de veiller à ce qu’ils tiennent compte de certains de ces préjugés et stéréotypes culturels.
La sénatrice Hartling : Croyez-vous que cela pourrait faire partie des recommandations de notre comité?
M. McSorley : Oui. Je n’y avais pas pensé avant aujourd’hui, mais je crois réellement qu’il vaudrait la peine d’étudier ce modèle, surtout étant donné qu’il existe un précédent de formation sur les enjeux liés aux agressions sexuelles.
Me Jackman : J’ajouterais aussi qu’il serait utile de recommander la création d’une unité spécialisée à la Cour fédérale. Il y a une unité pénale et une unité civile à la cour provinciale. Ce n’est pas le cas de la Cour fédérale. On pourrait être appelé à plaider une cause de réfugiés très complexe devant un juge spécialisé en droit de la concurrence, ce qui est inapproprié.
La sénatrice Hartling : Cela me semble logique. Je vous remercie. Nous disposons désormais de tribunaux pour les cas de violence familiale. Je crois que nous devrions chercher de nouvelles idées pour nous occuper des gens qui ont des problèmes divers. Merci.
La sénatrice Omidvar : J’aimerais poser une brève question à nos trois témoins. Je vous remercie d’être parmi nous, monsieur McSorley. Votre exposé était très intéressant. Nos agences de sécurité nationale ont pour mandat de protéger les Canadiens, peu importe qui ils sont. Elles doivent nous protéger.
Le Canada serait-il plus ou moins sûr si le gouvernement décidait de suivre vos recommandations, selon vous?
M. McSorley : Je crois qu’il serait plus sûr. Bien évidemment, il est difficile d’en être absolument certain, mais je crois qu’on nuit grandement à notre société en continuant à perpétrer du racisme systémique sous le couvert de la sécurité nationale.
La sénatrice Omidvar : Pensez-vous que les victimes qui sont opprimées de cette manière finissent par contribuer à l’insatisfaction et aux perturbations dans notre société? Autrement dit, au lieu de nous attaquer au problème de façon proactive, nous les « survictimisons », ce qui est nuisible en soi.
M. McSorley : Parlez-vous des victimes de racisme systémique?
La sénatrice Omidvar : Oui.
M. McSorley : Oui, je crois que cela sème la division. Je ne dirais pas que c’est la raison pour laquelle certains se tournent vers la violence, mais c’est ce qui forme la base de la discrimination et de la division continues dans notre société, qui peuvent mener à différentes sortes de violence. En fait, nous estimons que l’extrémisme d’extrême droite et les attaques contre les musulmans au Canada peuvent être alimentés par le racisme systémique perpétré par le gouvernement. Si le gouvernement ne cesse de répéter que les musulmans constituent la principale menace pour le Canada, il n’est pas surprenant que des Canadiens intériorisent ces croyances à leur tour. Il est important d’examiner comment tout cela s’influence mutuellement.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Nakua, j’ai lu votre récent article publié dans le magazine de l’Institut de recherche en politiques publiques dans lequel vous écrivez qu’il est temps que le Canada révise ses lois antiterroristes et qu’il les remplace par de nouvelles mesures adéquates. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Nakua : Oui. Comme M. McSorley et d’autres vous l’ont dit, certaines personnes examinent sérieusement les lois antiterroristes. Certains des problèmes créés ont vraiment été intégrés. Peut-être que tout ce que nous voyons pourrait entrer dans le cadre juridique. On respecte les lois, mais ces dernières sont discriminatoires. Ce serait un bon début que de réviser ces lois, certaines dispositions en matière de vie privée, la définition du terrorisme en soi, le système d’évaluation des risques, les mesures de transparence, et les protections et le processus juridiques.
Pour ceux que cela intéresse, je vous recommande d’examiner les travaux de commissions royales d’enquête telles que la Commission McDonald, qui s’est penchée sur des questions semblables. C’était à l’époque de la Crise d’octobre et des comportements abusifs perpétrés au Québec. Je crois que cette commission a permis d’établir la primauté du droit comme critère décisif pour toute discussion que le gouvernement devrait avoir dans l’exercice de son autorité. Je crois que les lois antiterroristes donnent presque carte blanche aux agences. Elles leur permettent d’abuser et de contourner certaines protections. Elles leur donnent la possibilité de contourner les protections juridiques dont les citoyens devraient bénéficier, et il faut rectifier le tir.
Si c’est ce qu’on décide de faire, il faudrait se référer aux travaux de la commission royale de la Nouvelle-Zélande, qui a fait la même chose avec ses lois antiterroristes. En fait, elle a recommandé de les réécrire aux fins de cohésion sociale.
La sénatrice Omidvar : La Nouvelle-Zélande a-t-elle effectué ces changements?
M. Nakua : Tout cela est très récent. La commission a publié son rapport en 2021, alors je ne suis pas certain. Le gouvernement a dit qu’il allait y donner suite, mais le rapport présentait en détail les lacunes et les cas où ces lois avaient eu des effets opposés aux objectifs escomptés. La commission a déclaré qu’il faudrait créer un nouveau cadre au sein duquel la cohésion sociale serait le principe primordial de ces lois.
Je présume que si on désire réviser ces lois et en rédiger de nouvelles plus adéquates, il faudrait se questionner sur la façon de les instaurer dans une société multiculturelle au sein de laquelle les droits de tout un chacun sont protégés. Les différents gouvernements n’ont guère manifesté d’intérêt pour une révision de ces lois jusqu’à présent, mais je crois que c’est la voie à suivre.
La sénatrice Omidvar : Merci. Je vais devoir attendre pour poser ma question à Me Jackman.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins. Monsieur McSorley, vous avez beaucoup parlé de manque de fiabilité des données utilisées et interprétées pour inculper les musulmans et les emprisonner par la suite. C’est une question qui revient régulièrement.
Vous qui travaillez pour la promotion des droits, tant au niveau national qu’à l’international, avez-vous des exemples de pays qui ont amélioré la fiabilité de leurs données ou qui ont des pratiques beaucoup plus équitables pour traiter ce genre de situation?
M. McSorley : Merci de votre question.
[Traduction]
C’est une excellente question. Pour ce qui est des autres pays, je ne vois pas d’exemple de pays qui a développé des pratiques exemplaires pour s’assurer de la fiabilité de la transmission d’informations. Ce que je peux vous dire — et je pourrai en parler au comité par la suite — c’est qu’il y a eu des études internationales et des soumissions aux Nations unies en particulier sur la question de la transmission d’informations.
Nous savons que le Canada peut améliorer le processus de transmission d’informations. Il faudrait entre autres réviser la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada pour renforcer les définitions des types d’informations pouvant être transmises et des circonstances dans lesquelles elles peuvent l’être.
En outre, il n’existe aucun mécanisme de divulgation aux citoyens dans le processus de transmission d’informations. Les citoyens n’ont pas accès aux informations qui les concernent, et ne peuvent donc pas les vérifier et les corriger. Le Commissaire à la protection de la vie privée a déjà soulevé cet enjeu dans d’autres circonstances. S’il y a transmission d’informations, il faudrait veiller à ce que cela se fasse correctement.
J’ajouterais en conclusion que le Canada s’appuie souvent sur ce que l’on appelle les assurances diplomatiques. Il transmettra des informations à des pays connus pour leurs violations des droits de la personne, mais évaluera si les avantages de la transmission d’informations l’emportent sur le risque. Si ce n’est pas le cas, il cherchera parfois à obtenir des assurances diplomatiques de la part d’un pays, afin que l’information ne soit pas utilisée dans des situations qui pourraient mener à de mauvais traitements et ne soit pas transmise à d’autres agences, par exemple. Cela dit, nous savons que ces assurances diplomatiques ne sont pas toujours respectées, et les suivis à cet égard sont rares. Nous estimons qu’il faudrait également plus de restrictions à cet égard. Certains pensent que les assurances diplomatiques compensent ou éliminent en quelque sorte le risque auquel les Canadiens ou d’autres s’exposent.
La sénatrice Gerba : Merci.
La vice-présidente : J’aimerais poser une question avant que nous passions au deuxième tour. Monsieur McSorley, je crois que vous avez remis en question la capacité du Canada à lutter contre le racisme systémique ou que vous avez dit qu’il fallait cesser d’en faire une lutte sous le couvert de la sécurité nationale en réponse à une question précédente. Je veux m’assurer de bien comprendre. Pourriez-vous m’expliquer votre raisonnement à ce sujet, je vous prie?
M. McSorley : Je vais tenter d’être plus clair. Je ne suis pas certain de me souvenir exactement de ce que j’ai dit, mais pour être clair, je crois qu’il faut considérer le racisme systémique comme un enjeu pangouvernemental. Les agences de sécurité nationale doivent prendre le racisme systémique au sérieux, et il nous faut nous attaquer sérieusement aux problèmes de racisme systémique au sein de ces agences.
J’ai entre autres dit que le racisme systémique au sein des agences de sécurité nationale pouvait engendrer davantage de racisme, de discrimination et de violence dans la société canadienne. Il y a un lien entre un gouvernement qui continue de criminaliser et de démoniser une population précise, et des Canadiens qui intériorisent ces croyances avant d’agir en conséquence. Bien sûr, c’est plus compliqué que cela, mais on le voit dans la rhétorique de ces groupes d’extrême droite qui croient, par exemple, qu’il doit y avoir un problème au sein des communautés musulmanes ou qu’il est justifié de cibler des organisations caritatives musulmanes étant donné que la liste des entités terroristes du Canada est principalement composée d’organisations associées à des musulmans. Examinons ces questions de plus près. On sait que tout cela est basé sur des politiques et des évaluations des risques erronées qui, comme le disaient M. Nakua et Me Jackman, jettent le blâme sur tout un groupe de personnes où tout le monde devient coupable par association au lieu d’examiner les risques réels que posent un individu ou un groupe en particulier.
J’espère que c’est un peu plus clair.
La vice-présidente : Oui. J’aimerais vous poser une question de suivi. Compte tenu du bilan général du Canada en matière de lutte contre le racisme systémique au pays, auriez-vous des recommandations précises à nous faire pour répondre aux préoccupations que vous avez soulevées à propos du racisme systémique qui reste sous le couvert de la sécurité nationale?
M. McSorley : J’en ai fait quelques-unes tout à l’heure, mais l’une des plus importantes et qui est au cœur du sujet porte sur la nécessité de remettre en question notre conception du terrorisme et de la sécurité nationale. Le terrorisme est un terme politiquement malléable qui — pas seulement depuis les attentats du 11 septembre, mais depuis longtemps — est utilisé pour cibler des communautés précises et sa définition peut varier en fonction de l’ennemi du jour. Ce terme est inscrit dans la loi depuis l’adoption de la Loi antiterroriste en 2001. Ces lois sont basées sur l’association et la prévention des actes. Ainsi, on tente d’empêcher les gens de commettre des actes criminels au lieu de se concentrer sur des individus qui commettent de tels actes. Cette idée de prévention et le libellé vague lié à l’association, la facilitation ou au groupe permet à un gouvernement de perpétuer le racisme systémique sous le couvert de la lutte contre le terrorisme.
Nous pensons qu’il faudrait revoir notre approche de lutte contre le terrorisme en général. Cela nous aidera à atténuer et éliminer les pouvoirs et la capacité du racisme systémique à prendre de l’ampleur.
La sénatrice Omidvar : Me Jackman, vos propos m’ont un peu estomaquée. Vous avez dit que probablement 80 % des cas entendus à la Cour fédérale ont trait à l’immigration, l’identité et la citoyenneté, mais qu’il y a un décalage entre les compétences et le nombre de cas.
Le système judiciaire a-t-il envisagé de créer une unité spéciale à la Cour comme vous l’avez suggéré? Qu’est-ce que cela impliquerait? Qu’exigerait-on des nouveaux juges? Est-ce qu’on s’y intéresse? Il s’agit d’une idée très intéressante.
Me Jackman : Je pense qu’il s’agit d’un problème récent, parce que lorsque la Cour fédérale a été créée en 1970, les juges n’étaient pas nécessairement nommés en fonction de ce type de formation. Cela dit, c’est le genre de juges qu’ils recherchent depuis quelques années, parce qu’ils traitent du droit de la concurrence dans ce type de cas. À l’heure actuelle, il y a peut-être trois juges à la Cour qui ont une expertise en droit de l’immigration et des réfugiés — et c’est tout — sur l’ensemble des juges.
Je ne crois pas qu’on ait envisagé une telle chose. Je sais que la Cour est divisée en chambres — il y a une unité spécialisée en droit de la concurrence — mais d’après ce que je comprends, elle considère le droit de l’immigration et des réfugiés comme un droit courant que tout le monde peut pratiquer. Je ne crois pas que ce soit le cas. La Cour est à la recherche de juristes spécialisés en droit maritime, en droit de la concurrence et en droit de la propriété intellectuelle, mais pas en droit de l’immigration et des réfugiés. Je crois que c’est une erreur, et il faudrait y remédier.
Cela n’a pas toujours été comme cela. La répartition des juges était plus équilibrée autrefois, mais ce n’est plus le cas, désormais.
La sénatrice Omidvar : Nous ne manquerons pas d’examiner attentivement cette recommandation. Il s’agit d’une idée nouvelle et générale. J’entends par là qu’elle dépasse le cadre de l’islamophobie. Elle concerne l’ensemble du système judiciaire fédéral.
Me Jackman : Je crois que cela contribue vraiment aux problèmes.
La sénatrice Omidvar : Pourriez-vous nous envoyer des documents ou des études universitaires ou juridiques à ce sujet, s’il y en a? Nous aimerions les consulter.
Monsieur McSorley, j’aimerais passer à un autre sujet...
La vice-présidente : Je crois que M. Nakua voulait également répondre à la question.
M. Nakua : Oui, j’aimerais brièvement ajouter quelque chose de très important. L’accessibilité à la justice entre en ligne de compte, non seulement en matière d’islamophobie, mais aussi de racisme systémique en général. Je vous exhorterais à vous pencher sur cette question, car dans bien des cas, on contourne la procédure régulière et on s’éloigne des protections juridiques, et les agences appliquent les règles procédurales et administratives à leur discrétion. Il s’agit d’une caractéristique des lois antiterroristes et aussi, semble-t-il, des préjugés systémiques. Les agences n’aiment pas se retrouver devant les tribunaux avec toutes les protections juridiques, parce qu’elles ont nettement plus les coudées franches lorsqu’elles empruntent la voie administrative.
Je pense qu’il s’agit vraiment d’un élément essentiel. L’ARC en fait partie, tout comme la fermeture de comptes et l’atténuation des risques des banques. Au fond, on parle vraiment du contournement des protections juridiques des citoyens.
La sénatrice Omidvar : Monsieur McSorley, j’aimerais approfondir un sujet qui nous tient tous les deux à cœur, à savoir les organismes de bienfaisance. Nous avons eu des conversations avec l’ARC sur l’absence de données et de preuves.
Ils ont déclaré que leurs procédures n’étaient pas biaisées, bien qu’elles aboutissent à la révocation du statut d’organisme de bienfaisance musulman. Comme vous l’avez souligné dans vos recherches, le nombre d’organismes de bienfaisance musulmans dont le statut est révoqué est supérieur à celui des autres organismes religieux, mais l’ARC ne recueille pas de données basées sur la religion.
Pensez-vous que l’ARC devrait commencer à recueillir des données qui ventilent les organismes de bienfaisance par religion à chaque étape du processus, comme l’enregistrement, la vérification et la révocation, afin que nous puissions effectuer une analyse comparative qui nous permettra de déterminer si les organismes de bienfaisance musulmans sont plus touchés que les autres organismes de bienfaisance religieux? Nous ne le savons pas. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point?
M. McSorley : Merci pour cette question, sénatrice, et merci pour tout le travail que vous accomplissez dans ce domaine. Ils sont essentiels.
Je pense que l’ARC doit mettre à jour la façon dont elle recueille les renseignements sur les organismes de bienfaisance qu’elle vérifie. À l’heure actuelle, je crois qu’elle ne recueille des renseignements que sur les quatre catégories d’activités de bienfaisance principales. Nous devons nous assurer que ces renseignements soient recueillis de manière à ce qu’on ne puisse pas les utiliser pour stigmatiser davantage les personnes en disant : « Voici les organismes de bienfaisance musulmans, nous pouvons donc mieux les identifier pour effectuer des vérifications ciblées ». Je pense qu’il est grand temps que l’ARC mette à jour ses pratiques de collecte de renseignements, afin de pouvoir effectuer des analyses.
Nous pourrions partager ces renseignements avec l’OSSNR et d’autres organismes, afin qu’il y ait une tierce partie et une certaine indépendance, et que l’on analyse correctement ces renseignements. Je suis d’accord pour dire que tant que nous n’aurons pas pris ces mesures, nous ne saurons pas exactement si l’ARC traite certaines communautés différemment des autres au sein du secteur caritatif.
La sénatrice Omidvar : Vous avez parlé de surveillance civile. Je ne pense pas qu’il y ait de surveillance civile des révocations de la SAR. Je voudrais donc vous demander précisément si vous pensez qu’il devrait y avoir une autorité civile indépendante qui supervise en quelque sorte les décisions de révocation avant qu’elles ne soient envoyées aux organismes de bienfaisance.
M. McSorley : Je pense qu’il s’agit d’une très bonne suggestion. En tant qu’organisme, l’OSSNR a le pouvoir d’examiner toute activité du gouvernement canadien liée à la sécurité nationale. Je pense qu’il serait intéressant de lui accorder des ressources adéquates. C’est toujours la même question, car nous pouvons donner de plus en plus de pouvoirs aux organismes de surveillance, mais ils ne disposent pas des ressources nécessaires. Ils auraient toutefois un rôle à jouer, qui ne consisterait peut-être pas à contrôler chaque vérification à mesure qu’elles sont effectuées — cela pourrait être difficile — même si cela deviendra plus clair lorsque nous connaîtrons le nombre de vérifications effectuées par la SAR, car ces renseignements ne sont pas publics. Nous pourrions, par exemple, créer un examen annuel obligatoire ou demander à la SAR de faire régulièrement rapport à l’OSSNR, afin qu’elle puisse être à l’affût de tout problème ou de toute irrégularité. Je pense qu’il s’agirait d’une bonne solution.
La sénatrice Omidvar : Cette suggestion est très utile. Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’ai une question en trois volets qui s’adresse à Me Jackman.
Vous avez évoqué la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Pensez-vous, de manière générale, que nos lois vont assez loin pour prévenir l’islamophobie dans nos institutions?
Sinon, est-ce qu’il y a une loi que vous nous suggérez de modifier ou de revoir?
Pour le dernier volet, pensez-vous qu’une nouvelle loi particulière relativement à cette question d’islamophobie serait envisageable?
[Traduction]
Me Jackman : Je pense que la suppression de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contribuerait grandement à réduire la diabolisation des communautés d’immigrés et l’islamophobie. Si vous adoptez une loi qui se concentre sur un groupe, vous diabolisez ce groupe en vous attaquant à la personne. Ce qui se passe, c’est que vous avez des gens comme... Nous avons le cas d’un jeune homme qui est devenu citoyen britannique et qui occupe un poste de comptable en Angleterre. Sa femme l’a parrainé. Il se pourrait qu’on lui refuse la résidence permanente parce qu’il a fait une grève de la faim à la fin de la guerre au Sri Lanka, avec d’autres étudiants de son université, et qu’on a décidé qu’il avait peut-être soutenu les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. On fait le même genre de suppositions au sujet d’étudiants musulmans. On ne peut pas identifier un groupe sans s’attendre à ce que l’on diabolise l’ensemble de ce groupe. C’est ce qui se passe. Je commencerais par supprimer cette disposition.
Je pense que le même problème se pose quant à l’entité terroriste. On peut penser qu’une association avec un certain groupe peut être problématique. Toutefois si cette association est déterminante pour faire de vous une mauvaise personne, c’est une erreur, et c’est la même chose avec les entités terroristes dans le Code criminel. Je pense qu’ils devraient se débarrasser de la notion de culpabilité de groupe par association parce que nous l’appliquons pleinement dans le système d’immigration.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci. J’aimerais revenir à M. McSorley. Pensez-vous qu’augmenter le nombre de musulmans dans les agences de sécurité pourrait changer la donne en ce qui concerne le racisme systémique?
[Traduction]
M. McSorley : Je vous remercie pour votre question. Je pense qu’une telle mesure pourrait, à court terme et dans une mesure limitée, contribuer à atténuer certains des symptômes du racisme systémique, mais tant que nous ne nous attaquerons pas fondamentalement aux lois qui sont au cœur de cet enjeu, nous continuerons à rencontrer des problèmes.
En ce qui concerne ce qui a été mentionné précédemment, il y a eu des cas dans lesquels des employés musulmans et d’autres employés racisés du SCRS ont démissionné et poursuivi cet organisme pour discrimination en milieu de travail. La culture doit donc changer, et cette mesure pourrait y contribuer. Mais fondamentalement, les lois qui engendrent la discrimination systémique peuvent être appliquées de manière systémique.
Nous parlons aujourd’hui d’islamophobie, mais nous sommes également préoccupés par le fait que ces lois, si elles continuent d’exister, pourraient se retourner contre n’importe quel groupe, et pas seulement contre les musulmans. La garantie de l’équité entre les groupes qui sont embauchés et travaillent pour les agences de sécurité nationale pourrait contribuer à atténuer certains problèmes, mais fondamentalement, elle ne résoudrait pas les problèmes sous-jacents de la discrimination systémique dans la sécurité nationale.
La vice-présidente : Je vous remercie. Monsieur Nakua, je crois avoir vu votre main levée tout à l’heure et je voulais vous demander si vous vouliez répondre. J’ai complètement oublié et je vous prie de m’en excuser. Souhaitez-vous ajouter quelque chose?
M. Nakua : Je crois que j’ai eu une idée pendant l’une des réponses, mais elle m’échappe maintenant, alors je passe mon tour.
La vice-présidente : Si vous souhaitez fournir d’autres commentaires, vous pouvez tout à fait nous les envoyer par écrit.
J’ai une dernière question à poser à Me Jackman.
Au cours de cette étude, notre comité a entendu des témoins dont les diplômes qu’ils avaient obtenus dans d’autres pays ne sont pas reconnus et dont les carrières et les salaires au Canada ne reflètent donc pas leurs compétences. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il régler ce problème?
Me Jackman : Je ne sais pas exactement ce qui est en place, mais je pense que la création d’un processus d’évaluation rapide normalisé pour les nouveaux immigrants, doté de normes communes leur permettant de voir l’enseignement dispensé dans leur pays d’origine, pourrait contribuer à remédier à cette situation. D’après ce que je comprends, le problème est que les gens sont pris dans ces longues procédures de reconnaissance de leurs diplômes, qui peuvent prendre sept ou huit ans. Cela ne devrait pas être le cas. Nous devrions disposer d’un processus d’évaluation rapide.
Puis-je ajouter une dernière chose? Il faut aussi accroître la diversité au sein des tribunaux. Le tribunal est très blanc.
La vice-présidente : Pour revenir à la question que je posais, s’agit-il d’un exemple d’islamophobie systémique?
Me Jackman : En ce qui concerne la documentation nécessaire à la reconnaissance?
La vice-présidente : Oui.
Me Jackman : Oui, je pense que cela en fait partie. C’est tout à fait possible. Mais ce problème ne touche pas que les musulmans; je pense que des personnes d’autres origines sont également confrontées à la discrimination dans ce domaine.
La vice-présidente : Je vous remercie. Je vois que vous avez à nouveau la main levée, monsieur Nakua.
M. Nakua : Oui, je veux profiter de la dernière minute pour insister sur un point important. Ce n’est pas le point que j’ai oublié, mais un autre.
Je pense qu’il s’agit d’un test, et je crois que cela remonte à... Il y a quelque chose de fondamental dans le racisme systémique, surtout quand on en a fait l’expérience. Il s’agit vraiment des normes d’équité, qui sont censées être la norme juridique pour la discrétion et la sécurité du gouvernement, ses devoirs et ses agences dans l’exécution de leurs tâches.
D’après ce dont nous avons été témoins et ce que nous avons vécu, tous les gouvernements de ces 20 dernières années auraient échoué à ce test des « normes d’équité », et dans de nombreux cas, de façon magistrale. Je pense que tant que nous, en tant que société, n’aurons pas compris ce problème, que nous ne l’aurons pas dénoncé et que nous n’aurons pas remis en question nos gouvernements, il y aura... Nous donnons trop de pouvoir discrétionnaire aux gouvernements. Ils trouveront toujours des moyens de contourner les règles. Il faut que la société se réveille.
Au cours des deux dernières semaines, j’ai réfléchi à la manière dont les communautés sino-canadiennes pourraient être perçues et traitées à la suite de l’annonce de l’ingérence de la Chine dans les élections canadiennes. Les connotations ressemblent à la façon dont nous avons été traités lors des attentats du 11 septembre et par la suite... ce soupçon. Les gouvernements ont alors une excuse pour renoncer aux protections juridiques, à l’équité et aux normes et pour trouver des moyens de contourner les procédures juridiques et de passer par la voie administrative, qui offre une grande marge de manœuvre.
En tant que société, nous avons vraiment besoin du manteau de la protection de l’ordre démocratique qui nous couvre tous si nous vivons selon ses attributs et ses aspirations.
La vice-présidente : Je vous remercie. Je tiens à remercier sincèrement nos témoins d’avoir accepté de participer à cette importante étude et d’avoir partagé avec nous aujourd’hui leur expertise, leur expérience et leur point de vue. Nous vous sommes très reconnaissants de l’aide que vous nous apportez dans le cadre de cette étude.
(La séance est levée.)