LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 30 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 31 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
[Traduction]
Sébastien Payet, greffier du comité : Honorables sénateurs et sénatrices, en tant que greffier du comité, j’ai le devoir de vous informer que la présidente et la vice-présidente ne pourront absolument pas être présentes à la réunion de cet après-midi. Je vais donc présider à l’élection d’une présidente ou d’un président suppléant. Je suis prêt à recevoir une motion à cette fin.
L’honorable sénatrice Jaffer et la sénatrice Gerba proposent que l’honorable sénatrice Omidvar préside le comité. Vous plaît-il, honorables sénateurs et sénatrices, que la motion soit adoptée?
Des voix : D’accord.
M. Payet : La motion est adoptée, et j’invite l’honorable sénatrice Omidvar à occuper le fauteuil.
La sénatrice Omidvar (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Bonsoir. Je m’appelle Ratna Omidvar, et je suis sénatrice de l’Ontario. J’ai le privilège de présider la réunion de cet après-midi.
Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
J’aimerais commencer par souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la région algonquine anishinaabeg.
J’inviterais maintenant mes collègues à se présenter aux témoins et au public.
Le sénateur Arnot : Bonsoir. Je suis le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Gerba : Sénatrice Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice White : Judy White, de la province de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin Anishinaabeg. Bienvenue.
La sénatrice Jaffer : Bienvenue. Je m’appelle Mobina Jaffer, et je viens de la Colombie-Britannique.
La présidente suppléante : Merci, chers collèges.
Avant de commencer officiellement les délibérations, je demanderais à quelqu’un de bien vouloir proposer la motion d’intérêt courant suivante :
QUE, sans égard à la pratique habituelle, le comité soit autorisé, au titre de l’article 12-17, à tenir la réunion de cet après-midi sans quorum, si nécessaire, afin qu’il puisse recevoir des témoignages, pourvu que deux membres du comité soient présents.
Le sénateur Arnot : Je propose la motion.
La présidente suppléante : Merci. Chers collègues, sommes-nous d’accord?
Des voix : D’accord.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
Aujourd’hui, nous commençons notre étude en nous penchant sur les déplacements forcés dans le monde, suivant l’ordre de renvoi général du comité. Nous comptons recevoir le témoignage d’experts et d’intervenants sur un vaste éventail d’enjeux liés aux conséquences des déplacements forcés dans le monde sur les droits de la personne. Les thèmes pourraient comprendre les effets des déplacements sur les enfants, l’efficacité du Pacte mondial sur les réfugiés, les mécanismes nouveaux et émergents de soutien financier, le rôle du parrainage privé, l’impact des changements climatiques et le rôle international du Canada pour ce qui est de limiter les déplacements forcés tout en soutenant les réfugiés. Nous allons chercher des réponses à de grosses questions.
Nous commençons cet après-midi en accueillant trois groupes de témoins. Pour chaque groupe, nous allons écouter les témoignages, puis nous passerons à la période de questions. Nous avons demandé aux témoins de présenter un exposé de cinq minutes.
C’est un immense plaisir pour moi d’accueillir Mme Rema Jamous Imseis, représentante au Canada du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés; ainsi que l’honorable Allan Rock, membre du Conseil, Conseil mondial pour les réfugiés et la migration et ancien ambassadeur du Canada auprès des Nations unies. J’invite maintenant Mme Imseis à nous présenter sa déclaration, en cinq minutes, puis ce sera au tour de M. Allan Rock.
Rema Jamous Imseis, représentante au Canada, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés : Merci, madame la présidente, et merci aux membres du comité d’avoir entrepris d’étudier un enjeu si crucial et de m’avoir invitée à en discuter avec vous aujourd’hui.
J’aimerais commencer par mettre en contexte la situation des gens déplacés de force dans le monde. La réunion de votre comité tombe à point puisque, pas plus tard que la semaine dernière, nous avons publié nos plus récentes données et analyses sur les déplacements forcés. Malheureusement, la tendance à la hausse ne semble pas s’essouffler en 2023.
À la fin du mois de septembre, la guerre et la violence avaient forcé le déplacement d’un nombre ahurissant de personnes dans le monde : 114 millions de personnes, soit presque trois fois la population du Canada. Comme ces données arrêtent à la fin du mois de septembre, ces chiffres ne tiennent pas compte des déplacements forcés qui surviennent au moment même dans la bande de Gaza. De ces 114 millions de personnes, plus de la moitié n’ont pas quitté leur pays d’origine et ont plutôt choisi de chercher refuge à l’intérieur de leurs frontières; nous les appelons les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Les enfants continuent d’être disproportionnellement touchés. Ils représentent plus de 40 % des personnes déplacées. Plus de la moitié des réfugiés viennent de trois pays seulement : l’Afghanistan, la Syrie et l’Ukraine. C’est important de le souligner, parce que, si seulement un de ces conflits était réglé, des millions de personnes pourraient rentrer chez elles.
Le monde ne se partage pas également ou équitablement la responsabilité d’aider les personnes déplacées de force. La très grande majorité des réfugiés choisissent de vivre dans un pays voisin du leur; ils ne quittent jamais leur région et s’accrochent à l’espoir de retourner un jour chez eux, quand les conditions le permettront. Beaucoup de ces pays sont considérés comme pays à faible ou à moyen revenu et sont déjà aux prises avec leurs propres problèmes, et pourtant, ils sont demeurés solidaires, aux premières lignes, pendant des années.
Les déplacements augmentent, mais les ressources pour y répondre n’ont malheureusement pas augmenté au même rythme. Notre organisation, comme beaucoup d’autres, est obligée de prendre des décisions difficiles pour répondre aux besoins des gens que nous servons. Cette année, nos activités ne seront financées qu’à 36 %, et cet écart déterminant nuit à nos résultats, alors que nous répondons à un plus grand nombre d’urgences que jamais. Les coupes dans les services essentiels sont devenues la réalité, et ceux qui ont besoin de notre soutien vital en subissent les contrecoups. Pourtant, malgré cette sombre réalité, de bonnes politiques, de bonnes attitudes et un bon soutien peuvent apporter des changements positifs.
En 2022, le Canada a réinstallé près de 50 000 réfugiés, plus que n’importe quel autre pays dans le monde pour une quatrième année consécutive. Même s’il s’agit d’un mécanisme de protection très utile, la réinstallation demeure une solution limitée, parce qu’elle ne permet d’aider que moins de 1 % des personnes déplacées dans le monde.
Une autre façon dont la communauté internationale peut montrer son engagement envers la protection des personnes forcées de fuir est de défendre le droit fondamental à l’asile. Mondialement, et ici au Canada, nous continuons d’observer l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile. Par exemple, en juillet de l’année dernière, le Canada a reçu environ 5 000 demandes d’asile; en juillet de cette année, il a reçu plus de 12 000 demandes d’asile. Si la tendance se maintient, nous estimons que le Canada recevra 140 000 demandeurs d’asile cette année. Cependant, par rapport au total mondial de 5,4 millions de demandes d’asile déposées l’année dernière, le Canada reçoit tout de même un pourcentage relativement faible de demandeurs d’asile.
Le Canada s’est démarqué en tant que chef de file mondial pour les demandeurs d’asile, grâce à son régime équitable, efficace et robuste, pendant de nombreuses années. En maintenant son régime d’asile robuste, le Canada peut non seulement conserver la confiance du public en général et respecter ses obligations juridiques envers la Convention des Nations unies sur les réfugiés, mais aussi montrer à la communauté internationale, en donnant un exemple solide, qu’il est possible de faire la bonne chose, quand tant d’États faillissent à honorer leurs engagements.
Toujours en ce qui concerne le Canada, pour l’instant, des données d’enquête récentes semblent indiquer que des préoccupations liées à l’abordabilité et au logement menacent le consensus établi depuis longtemps au Canada en ce qui a trait au soutien à l’immigration et, par extension, aux réfugiés. En tant que représentante de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, je trouve ce changement de l’opinion publique préoccupant. Les données de recensement de Statistique Canada ont déjà établi la valeur du point de vue économique des réfugiés. Nous avons maintenant des données empiriques qui soutiennent l’argument que les réfugiés sont un avantage pour le Canada. Ils paient plus en impôts que ce qu’ils ont reçu au total en aide sociale; ils exercent des métiers spécialisés; ils possèdent des maisons; ils créent des emplois pour eux-mêmes et pour d’autres Canadiens; et leurs enfants obtiennent même de meilleurs résultats que les Canadiens de naissance dans leurs études postsecondaires. Cela prouve fondamentalement que, au fil du temps, les réfugiés contribuent à leur pays d’accueil.
Au-delà des enjeux économiques, la communauté internationale s’est engagée à intervenir face aux déplacements forcés, considérant qu’il s’agit d’une responsabilité collective. Il est possible de mettre en place des solutions tirant parti de la solidarité mondiale. Tous les outils nécessaires pour intervenir en cas de déplacements forcés sont à notre disposition, qu’il s’agisse d’aborder les causes profondes d’un conflit, de créer des conditions propices au retour des réfugiés chez eux, de favoriser leur inclusion dans leur pays d’exil ou d’élargir les voies d’accès aux tiers pays. Il suffit de réunir volonté politique et soutien financier pour mettre ces solutions en œuvre.
Merci.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
Allan Rock, membre du Conseil, Conseil mondial pour les réfugiés et la migration et ancien ambassadeur du Canada auprès des Nations unies, à titre personnel : Madame la présidente, c’est un honneur pour moi de témoigner devant le comité. Je vous suis reconnaissant de votre invitation, et je suis très heureux que vous ayez entrepris cette étude importante sur un sujet crucial.
Si vous le permettez, je vais poursuivre sur les statistiques dont ma collègue a parlé, pour souligner que, quand les gens qui traversent les frontières vont au-delà des pays voisins du leur, leurs demandes d’asile — même lorsqu’elles sont fondées en vertu du droit international — se heurtent trop souvent à l’indifférence ou, pire, à un cruel rejet. Le Conseil mondial pour les réfugiés et la migration a pour priorité d’aborder les enjeux internationaux et nationaux liés aux déplacements forcés. Je vais survoler chaque enjeu brièvement.
À l’échelle mondiale, un très grand nombre de personnes déplacées de force entreprennent ce que l’on appelle une « migration irrégulière », ce qui veut souvent dire un voyage dangereux en pleine mer ou par des passages étroits. Bon nombre de gouvernements, en réaction, ont choisi de fermer leurs frontières aux demandeurs d’asile, alors que d’autres délèguent ou ignorent leurs responsabilités. L’Europe paye la Turquie et le régime raciste de la Tunisie pour qu’ils bloquent le flux de migrants et de réfugiés vers l’Europe. Le Danemark renvoie les réfugiés en Syrie, parce que le gouvernement danois prétend maintenant que la Syrie est sûre. L’Angleterre a d’abord refusé d’admettre les réfugiés et les demandeurs d’asile venant d’Ukraine, et s’est tournée vers le Rwanda pour relocaliser et traiter les gens qui demandaient l’asile au Royaume-Uni. L’administration Biden a rétabli la politique inhumaine de l’administration Trump, surnommée « remain in Mexico » ou « restez au Mexique », pour les migrants et les demandeurs d’asile, tout en enfermant des milliers d’autres personnes dans des centres de détention privés et en expulsant plus de 20 000 Haïtiens vers Haïti.
Ici, au Canada, nous avons bien sûr délégué aux États-Unis notre responsabilité envers les demandeurs d’asile qui sont arrivés d’abord aux États-Unis. Certains gouvernements provinciaux disent maintenant qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas prendre plus de réfugiés et veulent aussi plafonner le nombre d’immigrants. Ils se plaignent qu’ils n’ont pas les ressources ou les logements nécessaires, vu le marché difficile, pour les nouveaux arrivants. Dans certaines de nos grandes villes, les réfugiés finissent dans des refuges pour sans-abri, ce qui crée un fardeau supplémentaire pour les services sociaux, qui manquent déjà de ressources.
Chacun des aspects de cet enjeu que votre comité examine, qu’il concerne le monde entier ou le Canada seulement, ne peut que devenir plus complexe à mesure que les effets des changements climatiques s’aggravent et forcent de plus en plus de gens à se déplacer.
Il est relativement facile de décrire ces problèmes, mais le grand défi, pour votre comité, est de cerner les solutions. Dans son rapport de 2019, le Conseil mondial pour les réfugiés et la migration a formulé des dizaines de recommandations, pas spécifiquement pour le Canada, mais plutôt pour aborder la réaction mondiale aux déplacements. Ces recommandations reflètent quatre thèmes principaux, et je vais inviter le comité à les prendre en considération dans ses travaux.
Premièrement, le partage des responsabilités doit être la pierre angulaire de la réaction mondiale aux déplacements. Cette responsabilité commune, mais différenciée, signifie que chaque État doit contribuer de sa propre façon à la solution.
Deuxièmement, les responsables des déplacements doivent être tenus de rendre des comptes, tout comme les États qui négligent ou refusent de s’acquitter de leurs obligations juridiques en matière d’asile.
Troisièmement, les services pour les réfugiés, aux prises avec un manque de fonds chronique, doivent être financés correctement, y compris en fonction d’évaluations obligatoires, comme nous le recommandons, de chaque État membre des Nations unies.
Enfin, il faut améliorer la gouvernance pour tout ce qui concerne les réfugiés, en concluant des arrangements régionaux raisonnables, y compris en donnant voix au chapitre aux personnes déplacées elles-mêmes.
Sur ce, je vais conclure, et je suis prêt à répondre aux questions que votre comité pourrait avoir. Merci, madame la présidente.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
Je vais maintenant laisser les membres du comité poser leurs questions. Comme nous sommes peu nombreux, je vais pouvoir accorder plus de temps aux membres pour leurs questions.
Peut-être que je pourrais commencer et poser ma première question à M. Rock. Je note avec intérêt que je connais bien votre rapport. Vous parlez du partage des responsabilités et des obligations communes, mais différentes selon les États, visant à répondre aux besoins des personnes déplacées. Que voulez-vous dire par cela?
M. Rock : C’est une expression que nous avons empruntée au domaine environnemental, où chaque État, pour réagir au réchauffement et aux changements climatiques, est appelé à contribuer à l’effort collectif, mais chacun à sa façon, dépendamment de son niveau de développement, de sa situation économique et de ses capacités.
Dans le contexte des déplacements forcés, la différenciation des responsabilités signifie que les États membres des Nations unies ne sont pas tous en mesure d’accueillir des personnes déplacées et de répondre à leurs besoins, soit pour des considérations géographiques, soit pour des considérations économiques, soit pour d’autres raisons, mais qu’il y a tout de même d’autres façons pour eux de contribuer. Ces États pourraient contribuer dans une optique régionale. Certains pays pourraient contribuer financièrement au lieu d’accueillir concrètement des réfugiés sur leur territoire.
Ce que je veux dire, c’est que nous sommes tous concernés. Il n’y a pas seulement l’Ouganda qui doit s’occuper des personnes déplacées du Soudan du Sud. Ce n’est pas seulement le Bangladesh qui doit accueillir les réfugiés du Myanmar. Ce n’est pas seulement la Colombie qui doit accueillir les gens venant du Venezuela. Nous sommes tous concernés.
Compte tenu des chiffres que nous recevons aujourd’hui et de ceux que nous recevrons demain, nous parviendrons seulement à répondre aux besoins si chacun d’entre nous fait sa part, de manière commune, mais en assumant des responsabilités différenciées, selon la capacité de chaque pays de contribuer.
La présidente suppléante : Peut-être que Mme Imseis pourrait aussi répondre à la question. J’ai l’impression qu’il s’agit — pardonnez-moi l’expression — d’un modèle de plafonnement et d’échange, d’une certaine façon, puisque certains pays, comme le Japon et l’Arabie saoudite, par exemple, refusent les réfugiés. Sont-ils prêts à augmenter leurs contributions au HCR?
Mme Jamous Imseis : Pour vous répondre, je vais revenir au Pacte mondial sur les réfugiés. Comme les membres du comité le savent, il s’agit d’un pacte qui a été conclu par les États membres il y a presque quatre ans, maintenant. Il établit ce que nous appelons une approche pansociétale d’intervention à l’égard des déplacements forcés dans le monde en tenant compte du fait que certains pays ont porté ce fardeau à eux seuls pendant bien trop longtemps et postule que, pour l’avenir, de nombreux acteurs de la société pourront jouer un rôle et atténuer certaines des pressions dues aux déplacements forcés.
Qu’il s’agisse des gouvernements — de l’échelon municipal jusqu’en haut — ou des intervenants du secteur privé, l’inclusion est au cœur du Pacte mondial pour les réfugiés. Cela veut dire essentiellement que, depuis le début, l’on reconnaît que les mouvements de réfugiés, qui, dans le passé, étaient peut-être circonscrits dans le temps et liés à des catastrophes humanitaires, ce qui permettait aux gens de rentrer ensuite chez eux, s’étirent maintenant dans le temps et que cela est effectivement devenu la nouvelle normalité. Sachant cela, si l’inclusion sert de cadre de travail, ça veut dire que, quand des réfugiés arrivent dans votre pays, vous leur offrez immédiatement la possibilité de s’intégrer dans le système scolaire et le système de santé, avec l’appui d’autres intervenants internationaux. Si j’en parle, c’est parce que, comme on l’a souligné, certains pays doivent s’acquitter d’un fardeau disproportionné, simplement à cause de leur situation géographique.
La présidente suppléante : Merci.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui et de nous aider à comprendre cette situation très délicate. Nous avons des attentes élevées pour notre rapport.
La question suivante s’adresse à Mme Imseis et concerne ce qui a été dit sur les causes des déplacements, les causes habituelles, comme les conflits, la persécution, les changements climatiques, la pauvreté et la gouvernance, lesquelles sont bien mises en relief. Avez-vous observé de nouvelles tendances, de nouvelles causes ou de nouveaux facteurs qui contribuent aux problèmes et qui ne sont pas bien connus du public canadien?
Deuxièmement, quels facteurs permettraient de réduire considérablement les déplacements forcés dans le monde? Je regarde tout cela, et je me dis qu’il devrait y avoir quelque chose au-delà de la coopération internationale, du respect des droits de la personne et du respect de la convention internationale, parce que je ne pense pas qu’il suffit de demander aux gens — aux pays — de suivre les normes pour obtenir des résultats, compte tenu de la situation actuelle des choses. J’aimerais vraiment savoir ce que le Canada pourrait faire, spécifiquement, et ce que nous pourrions proposer dans notre rapport, pour faire avancer la cause.
Mme Jamous Imseis : Vous posez des questions très simples, monsieur le sénateur, et je vais faire de mon mieux pour y répondre.
Pour ce qui est des tendances, comme je l’ai dit plus tôt, les problèmes des réfugiés — et des personnes déplacées en général — s’étirent en longueur. Il ne s’agit plus de situations d’urgence qui durent 12 ou 18 mois. Dès le départ, les gens savent qu’il pourrait s’écouler plusieurs années avant qu’ils ne puissent rentrer chez eux. C’est donc l’un des obstacles qui empêchent de trouver des solutions durables. Quand le temporaire penche vers le permanent, les gens s’enracinent peu à peu dans leurs pays d’asile. Ils ont des enfants et réussissent peut-être à s’adapter. La durée moyenne d’un déplacement forcé est maintenant de 17 à 21 ans. Je crois que cette longue durée est, en soi, l’un des facteurs importants qui continuent de nous empêcher de trouver des solutions.
Vous avez mentionné certains facteurs : les conflits, l’insécurité et la persécution. J’ajouterais l’impunité, c’est-à-dire les cas où les droits de la personne sont violés ouvertement, de manière flagrante, par des acteurs qui sont les agents de persécution et qui peuvent continuer d’agir en toute impunité, sans affronter une forme ou une autre de justice ou devoir rendre des comptes.
Malheureusement, la communauté internationale semble plus polarisée que jamais. Le manque d’unité, de cible et d’action concertée, qui empêche le Conseil de sécurité, par exemple, de trouver des solutions durables et des mesures politiques utiles pour mettre fin à certaines de ces situations est aussi, je crois, l’une des raisons pour lesquelles les déplacements forcés se poursuivent. Les pays regardent ce qui se passe dans le monde et peuvent intervenir, sachant que ces interventions auront une incidence très limitée et que les conséquences pour eux, s’ils n’honorent pas leurs obligations juridiques internationales, seront toutes aussi limitées. Bien sûr, nous savons que c’est une représentation très simpliste de la situation. Il y a des cas où c’est plutôt l’inverse qui est vrai, dépendamment des intérêts stratégiques géopolitiques et de tout le reste.
Comment pouvons-nous réduire les déplacements forcés? Sur ce sujet, je pense que M. Rock est très bien placé pour vous parler des enjeux. Je sais que, son équipe et lui ont insisté, dans leurs rapports précédents, sur la gouvernance et la corruption et sur d’autres questions concernant les biens de ceux qui sont considérés comme les agents de persécution, et cetera. Encore une fois, je crois sincèrement que l’absence de mesures utiles et efficaces de la part de la communauté internationale envoie le message que tout va bien et qu’il n’y aura pas de prix à payer pour ceux qui agissent ainsi.
Si je devais mettre en relief les deux ou trois choses qui, selon moi, seraient nécessaires pour faire avancer et promouvoir la cause des droits de la personne — même si vous avez dit que ce n’est pas un dossier que vous étudiez en particulier —, je reviendrais à des enjeux fondamentaux, comme l’équité et la façon dont nous partageons les richesses et les ressources du monde, et aussi la façon dont nous gérons les frontières. Comme M. Rock l’a mentionné, le climat est de plus en plus souvent la cause des déplacements forcés. Voilà, c’était quelques-uns des enjeux prioritaires pour nous, présentement.
Le sénateur Arnot : Monsieur Rock, ma question sera très brève. Vous pouvez développer votre réponse autant que vous le voulez, monsieur. J’aimerais beaucoup savoir quelles mesures vous suggérez au Canada. Je crois que vous avez déjà proposé dans le passé de contester la légalité du veto des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, de réclamer que la Russie rende des comptes pour l’invasion de l’Ukraine, de lutter contre la violence fondée sur le genre, de proposer l’adoption de la campagne Every Woman Treaty, d’établir une cour internationale anticorruption et de revitaliser le droit de demander l’asile. S’il y a quoi que ce soit d’autre, je serais très heureux de l’entendre, et j’espère que vous pourrez développer certaines de ces propositions dans votre réponse.
M. Rock : Merci, monsieur le sénateur.
Plus tôt, vous avez posé une question sur les causes des déplacements forcés, et vous les avez énumérées de façon très exhaustive, mais s’il y a une cause que je pourrais ajouter, c’est la corruption. Dans le cadre de ses travaux, le conseil a visité 14 ou 15 endroits dans le monde où il y avait un très grand nombre de réfugiés ou de personnes déplacées de force à l’intérieur de leur pays. Nous avons été frappés par l’étroite corrélation entre les déplacements forcés et la corruption. Les régimes corrompus gouvernent mal, ce qui entraîne souvent des troubles civils, de la violence, de l’instabilité et de la fragilité en finissant par des déplacements forcés. Pour nous, la corruption est l’une des causes profondes des déplacements forcés.
On nous a parlé d’un mouvement qui a vu le jour aux États-Unis il y a environ 12 ans et qui visait à créer une nouvelle institution internationale, appelée la cour internationale anticorruption. Cette cour aurait un pouvoir complémentaire, comme la Cour pénale internationale, mais aurait pour but de poursuivre les entités trempant dans la grande corruption. C’est le genre de reddition de comptes dont j’ai parlé à propos des responsables des déplacements forcés. Les propositions que j’ai énumérées sont tirées d’un discours que j’ai prononcé à l’Université Concordia en avril dernier, et j’ai longuement expliqué pourquoi nous avons espoir qu’une cour internationale anticorruption serait un instrument utile dans la lutte contre la corruption, qui est à bien des égards une cause profonde des déplacements. Le Canada a accepté de soutenir l’idée. Cela fait partie de la lettre de mandat que la ministre d’Affaires mondiales a reçue du premier ministre. Nous aimerions que ce soit mis de l’avant.
Au-delà de cela, pour ce qui est des causes des déplacements forcés et des façons de réduire le nombre de personnes déplacées, il y aurait la bonne gouvernance. Le fait est que, si on regarde les pays d’où viennent les réfugiés et ceux où les gens sont déplacés de force à l’intérieur, la gouvernance est très faible. La règle de droit est à peine présente. Si on déployait davantage d’efforts pour renforcer la gouvernance et accélérer le développement économique, ces pays seraient plus stables et le risque de déplacements serait réduit. Ça fait vraiment partie d’un plus large problème auquel le Canada est confronté. Sur quoi devrions-nous faire porter nos efforts — l’aide au développement international, la défense des droits, le renforcement des capacités, ou autre chose — pour renforcer la gouvernance afin qu’il n’y ait plus autant de personnes déplacées?
Bien sûr, cela ne règle pas la question du climat. Les régions côtières sont inondées, les petits États insulaires en développement sont submergés et les sécheresses réduisent la productivité des terres arables, et nous savons que les gens vont devoir se déplacer pour survivre. Donc, trouver des façons de ralentir le réchauffement climatique et de composer avec les changements climatiques est d’une importance cruciale.
Je vais m’arrêter ici, monsieur le sénateur.
Le sénateur Arnot : Merci.
J’aimerais souligner une chose. Notre témoin a mentionné une conférence; il s’agit de la série des conférenciers éminents de Henri P. Habib, tenue à l’Université Concordia en avril. Je voulais que les analystes le notent, car je pense que nous pourrions nous inspirer des facteurs que notre témoin vient tout juste d’énumérer.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos invités, l’honorable Allan Rock et Mme Imseis.
Vous avez mentionné qu’il manque beaucoup de ressources et qu’il en manque également pour s’occuper de la question des réfugiés. Ce constat est d’autant plus préoccupant quand on voit le nombre de réfugiés qui augmente chaque jour; vous avez parlé de 114 millions — ce chiffre pourrait augmenter compte tenu de ce qui se passe dernièrement. Quels sont les instruments financiers qui pourraient être mis en place pour vous aider, à long terme, dans votre travail?
[Traduction]
Mme Jamous Imseis : Merci de la question.
J’aimerais revenir sur le fait que l’histoire des réfugiés et des personnes déplacées ne se calcule plus en mois ni même en quelques années. Je pense que notre secteur humanitaire reconnaît désormais que les urgences ne sont plus des événements à durée limitée, mais plutôt des situations qui s’étirent sur plusieurs années. Si on sait cela dès le départ, que l’on planifie dès le début pour le moyen terme, et que l’on reconnaît que la situation va durer un certain nombre d’années, on va nécessairement répondre différemment aux besoins. C’est beaucoup plus facile et beaucoup plus efficace, efficient et, franchement, humain, de planifier des services pour cinq ans plutôt que pour 12 mois.
Malheureusement, le financement que nous recevons, en tant qu’intervenants humanitaires, ne nous le permet pas. Nous avons le mandat de fournir de l’aide d’urgence et de l’aide vitale en réaction aux crises, mais il y a d’autres intervenants, comme les banques de développement, qui ont le mandat de fournir un soutien institutionnel, de réformer et d’attribuer des ressources supplémentaires et de trouver de nouvelles sources de financement qui pourront être utilisées pour faire ce qui permet de promouvoir l’inclusion dont j’ai parlé.
On sait que les réfugiés syriens sont en Jordanie depuis 12 ou 13 ans. Si nous l’avions réalisé au cours de la première phase d’urgence, si nous avions su, dès le départ, que des enfants allaient avoir besoin d’écoles et que des gens allaient avoir besoin de soins de santé et si nous avions planifié les choses pour le moyen et le long terme avec l’appui des acteurs du développement, nous aurions fait les choses à beaucoup plus long terme. C’est une leçon que nous avons apprise en tant que travailleurs humanitaires. Nous avons donc élaboré des paramètres et des formulations pour être prêts à faire face à ces situations; nous appelons cela le continuum du développement et de l’aide humanitaire, qui reconnaît que ces deux choses doivent aller de pair. Nous devons consolider notre façon de planifier et de prévoir à long terme et reconnaître que les solutions ne seront sans doute pas immédiates.
Nous pouvons par exemple nous tourner vers les acteurs de développement ou encore vers le secteur privé, qui engage de plus en plus et a fourni des acteurs humanitaires utilisant d’autres ressources et appuis; nous reconnaissons qu’ils peuvent faire certaines choses beaucoup mieux que nous. Ce sont deux choses sur lesquelles nous pouvons nous appuyer et, en tant que travailleurs humanitaires, nous les sollicitons de plus en plus.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vous remercie pour votre réponse. Vous avez également indiqué dans votre propos que le Canada avait une bonne image en ce qui a trait à son système d’accueil des réfugiés et que les réfugiés étaient un atout pour notre pays. Est-ce que vous mettez en œuvre des efforts en particulier pour agir sur l’image qu’ont certains Canadiens concernant les réfugiés?
Par exemple, il y a des Canadiens qui ne pensent pas que ce soit une bonne chose d’ouvrir nos frontières aux réfugiés, alors que vous le dites vous-même dans votre propos : les réfugiés sont un atout pour le Canada et on devrait faire encore plus pour ces gens qui ont des qualités, des expertises et des connaissances qui peuvent être utiles pour notre pays. Comment faites-vous pour communiquer ces éléments?
[Traduction]
Mme Jamous Imseis : En fait, il s’agit d’une préoccupation assez importante pour notre équipe, ici, au Canada. Nous ne sommes pas en première ligne d’une intervention humanitaire d’urgence; nous comptons sur une armée de donateurs, qui, comme je l’ai dit, a un système d’asile robuste, au pays, un système qui est éprouvé, c’est certain, mais qui, nous en sommes convaincus, continuera d’être solide et pourra relever le défi présent.
Une des choses que nous entendons — qui est différent de ce que nous entendons ailleurs dans le monde —, c’est que nous tentons de nous assurer que le public continue de faire confiance à ces systèmes afin que le Canada puisse poursuivre sa longue tradition d’accueillir des réfugiés réinstallés et des demandeurs d’asile. Nous le faisons en communiquant avec le public de différentes façons et au moyen de messages qui, selon nous, sont assez convaincants et sont une partie importante de la perception que nous voulons donner du pays, que nous voulons garder positive.
Il faut entre autres, comme je l’ai dit, examiner les données de Statistique Canada pour montrer que les réfugiés contribuent à la société. Nous savons que ceux-ci ont besoin de soutien et d’aide à leur arrivée, mais, au fil du temps, ils nous en redonnent beaucoup plus que ce qu’ils ont reçu pour s’intégrer. Nous faisons aussi tout ce qui est en notre pouvoir pour donner des exemples positifs, montrer des gens qui ont fait du Canada leur demeure et qui sont devenus des citoyens qui contribuent à la société et qui emploient des dizaines, voire des centaines d’autres Canadiens.
Ce ne sont pas des choses faciles à faire en ce moment. Ce que nous avons constaté, pas juste au Canada, mais partout dans le monde, c’est qu’il y a un changement de perception. Habituellement, les gens croient que les réfugiés prennent les emplois d’autres personnes. Ce que nous avons entendu dire à de nombreux endroits, c’est que « les gens sont arrivés et ont pris nos emplois. » Ce n’est plus le cas parce que, après la COVID, nous reconnaissons qu’il y a une pénurie persistante d’employés dans tous les secteurs, partout dans le monde. Nous avons constaté que cette perception troublante persiste et qu’on dit maintenant que les gens volent nos maisons. C’est quelque chose dont nous sommes témoins au Canada et qui nous préoccupe. Nous croyons aussi que le Canada est bien outillé pour gérer la situation, surtout que les demandeurs d’asile ne sont pas réellement à l’origine de ces problèmes. Toutefois, c’est difficile d’avoir ces discussions présentement.
Un spécialiste des sondages nous a dit récemment, à mes collègues et à moi, que de plus en plus de Canadiens — et ce n’est pas juste au Canada; nous le voyons dans de nombreuses régions du monde — envisagent les enjeux de l’immigration et des réfugiés dans l’optique des pénuries et constatent qu’il est beaucoup plus difficile de maintenir la qualité de vie à laquelle ils sont habitués. Ils ont des préoccupations liées à l’abordabilité et à l’inflation économique. Les gens qui disaient jadis « Je suis en faveur de l’immigration », ajoutent maintenant un « mais » à la fin de la phrase.
Comme je l’ai dit, c’est une préoccupation pour nous tous, ici, mais nous ne sommes qu’une voix, et nous travaillons avec des alliés et des défenseurs, ici et ailleurs, pour tenter de promouvoir une compréhension positive.
La sénatrice Pate : Merci à nos témoins d’être ici.
Je me suis rendue en Syrie l’été dernier, et l’une des choses qui m’a vraiment frappée, c’est l’approche sélective qu’applique la communauté internationale à certains de ces enjeux. Monsieur Rock, vous en avez parlé un peu. Je pense au racisme, à la pauvreté et au fait que certains groupes sont plus visibles que d’autres.
Lorsque vous avez parlé de corruption, j’ai été frappée de voir qu’il y a un certain niveau de corruption dans certaines régions du monde, même dans le secteur humanitaire. Selon moi, les allégations qui visent le HCR font aussi partie des obstacles aux autres situations dont vous avez parlé quant à la montée du populisme et à la façon dont les représentations racistes et anti-immigration se propagent.
En plus de l’excellent travail que vous faites et des exemples que vous avez déjà donnés, je me demandais quelles mesures nous pourrions prendre à d’autres égards. Je pense à l’excellent travail que vous avez fait dans la lutte contre la violence, dans les années 1990, en tant que ministre de la Justice, ce qui nous a amenés à examiner le problème de la violence contre les femmes et les enfants, par exemple, et l’utilisation de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies. Pourrions-nous examiner d’autres mécanismes qui feraient en sorte que les gens redonnent toute leur importance à ces mesures en n’y voyant pas un simple modèle caritatif, disons, mais plutôt quelque chose qui est vraiment lié à notre propre égalité et nos propres progrès. Encore une fois, lorsqu’il est question de la Syrie, de Gaza, de l’Ukraine et même de notre propre pays, nous avons de la difficulté à régler le problème. Je reconnais que la question est vaste, mais avez-vous d’autres suggestions à faire, outre celles que vous avez déjà faites et qui sont excellentes?
M. Rock : Merci, sénatrice.
Nous voyons clairement tous les jours que l’intervention en Ukraine diffère de ce qui a été fait pour les réfugiés de la République démocratique du Congo ou d’autres pays africains. Ce n’est qu’une question de race, Noir ou Blanc, n’est-ce pas? Je pense qu’il n’y a pas d’exemple plus convaincant des différences d’attitude selon le pays d’origine que ce que l’on a vu avec les réfugiés ukrainiens. Pour être juste, il faut aussi dire que la diaspora ukrainienne est très importante, au Canada; il y a beaucoup de Canadiens d’origine ukrainienne. Il était donc normal pour nous d’accueillir des Ukrainiens, mais nous devons faire attention et prendre garde à notre attitude, nos réactions et nos réponses. Est-ce que nous répondons différemment aux besoins des gens provenant de certains pays qu’aux besoins des gens provenant d’autres pays?
Lorsque le conseil était en Allemagne, à Berlin, nous avons rencontré toutes sortes d’intervenants ainsi que des représentants de gouvernements, d’entreprises et de sociétés civiles. Nous avons tenté de trouver l’origine des perceptions négatives qui contaminaient l’attitude du public envers les nouveaux arrivants en Allemagne. Nous avons relevé trois choses : premièrement, que l’arrivée de ces personnes aura une incidence défavorable sur la culture; deuxièmement, que ces personnes représentent une menace pour la sécurité et, troisièmement, qu’elles voleront les emplois et nuiront à l’économie. Le gouvernement allemand et de nombreuses organisations non gouvernementales ont uni leurs efforts pour déboulonner chacun de ces mythes et chasser chacun de ces sentiments ridicules et non fondés. Ils y sont parvenus, jusqu’à un certain point, lorsque les ONG ont présenté des réfugiés syriens aux habitants des villages et des villes de partout en Allemagne en leur disant : « Les voici en chair et en os. Ce ne sont pas des monstres. Ce sont des gens comme vous. Ils ont des enfants, et ils ont des besoins. » Les organisations ont tenté d’humaniser les réfugiés. Il est important de faire des efforts pour mettre un visage sur ces gens, en lien avec les questions que vous avez soulevées, sénatrice.
Si j’ai bien compris, le Canada a accueilli 350 000 réfugiés depuis 1976, moment où le programme de parrainage privé a commencé. Ce qui est beau, dans ce programme, c’est que les membres de la communauté ont accepté d’accueillir et d’aider les nouveaux arrivants. Ils se sont assurés qu’ils avaient des vêtements d’hiver pour leurs enfants, pour les jours comme aujourd’hui, ils les ont aidés à s’inscrire à des cours d’anglais langue seconde et ils les ont emmenés chez le dentiste. Ils ont bien vu qu’il s’agissait de familles comme la leur. Cela aide à déboulonner le mythe selon lequel ces personnes sont ici pour mettre notre sécurité en péril, pour voler nos emplois et pour détruire notre culture. Lorsque vous voyez la personne comme un être humain, cela fait toute la différence.
Bref, je pense que nous devons en faire plus de ce côté-là. J’ai fait du porte-à-porte durant les campagnes électorales et je sais que, lorsque les gens parlent contre les réfugiés ou les immigrants, il est facile de leur rappeler que de nombreuses personnes sur leur rue étaient des immigrants ou des réfugiés et sont devenues des membres actifs et productifs de la société. Ce n’est pas une question de nous et eux; nous sommes un tout. Je pense qu’il est très important de le souligner et de trouver des moyens de montrer cela aux gens dans leur vie de tous les jours.
Je vais glisser deux ou trois mots sur la question financière soulevée par la sénatrice Gerba, parce que c’est une question importante.
[Français]
Vous avez complètement raison : le financement des services pour les réfugiés est insuffisant, de toute évidence. Comme l’a constaté Mme Imseis, 36 % des budgets demandés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sont financés. Nous avons proposé au moins deux solutions potentielles à cet effet.
[Traduction]
Dans le rapport de 2019, le conseil a proposé, tout d’abord, que les Nations unies devraient effectuer une évaluation obligatoire de chaque État membre. Ce ne devrait plus être des paiements volontaires. C’est incroyable que le financement du HCR soit entièrement volontaire. Comme aime le dire mon ami Lloyd Axworthy, c’est comme un bal de charité où vous pouvez donner ou non de l’argent. C’est ridicule, lorsque nous parlons des besoins pressants de 114 millions de personnes, dont 36 millions sont des réfugiés. Nous avons des évaluations obligatoires aux Nations unies lorsqu’il est question du maintien de la paix. La somme est déterminée en fonction de la taille de l’économie de l’État membre. Nous devrions faire la même chose pour les services aux réfugiés. C’est mon premier point.
Ensuite, nous avons aussi parlé des avoirs gelés, un concept que la présidente a ciblé avec son projet de loi d’initiative parlementaire, lequel a été adopté par le Sénat. Nous avons souligné, encore une fois, que les régimes qui produisent des réfugiés sont souvent corrompus. Les kleptocrates ne conservent pas leur argent chez eux; ils le déposent à l’étranger. Les pays comme le Canada gèlent ces avoirs. Selon nous, ces avoirs ne devraient pas seulement être gelés. Ils devaient être confisqués et réutilisés au profit des réfugiés qui en sont les victimes.
Je pense à Nicolás Maduro au Venezuela, par exemple. Les gens auxquels nous avons rendu visite en Colombie ont de la difficulté à payer le logement et les services sociaux pour les réfugiés du Venezuela. Si Maduro avait de l’argent au Canada, nous devrions le prendre et le remettre au gouvernement colombien ou au HCR afin de payer ces services. Ce serait équitable. Ce serait juste. Ce serait une forme de responsabilisation et cela aurait du sens.
La présidente a présenté au Sénat la Loi sur la réaffectation des biens bloqués, ce qui a donné vie à ce concept. Avant que cette loi ne soit adoptée par la Chambre des communes, le gouvernement du Canada a amendé la Loi sur les mesures économiques spéciales pour permettre exactement ce genre de choses. C’est une autre façon d’augmenter le financement des services aux réfugiés.
[Français]
Les deux sont importants et le besoin est manifestement urgent.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux d’être présents. La représentante du HCR a toujours été une amie des comités parlementaires, surtout le Comité des droits de la personne. C’est un plaisir de vous voir. Monsieur Rock, c’est aussi un immense plaisir de vous recevoir. Je me disais justement que vous avez fait tellement de travail au Parlement en tant que ministre de la Justice et vous n’avez pas encore abandonné. En tant que citoyen canadien, vous travaillez sur des enjeux importants.
J’avais une foule de questions à vous poser, mais je ne peux m’empêcher de vous questionner sur l’Ukraine. Monsieur Rock, vous avez dit que la diaspora ukrainienne est très importante, ou quelque chose comme cela — et je vous fais dire des choses maintenant —, mais la diaspora n’a pas tout fait, n’est-ce pas? Le gouvernement a lui aussi facilité les choses en mettant en œuvre plein de programmes spéciaux pour faire venir les Ukrainiens ici. Dans la communauté où j’habite, les gens parlent et disent : « Regardez comment le gouvernement traite les Ukrainiens comparativement aux Afghans. » Il ne facilite pas la venue des Afghans au Canada. Les Afghans doivent surmonter de nombreux obstacles pour venir au Canada et ils n’ont pas oublié qu’ils ont été laissés pour compte lorsque le Canada a quitté subitement leur pays. Pouvez-vous nous donner votre opinion là-dessus? Soyez bref, parce que j’ai d’autres questions.
M. Rock : Merci, sénatrice.
Oui, il y a eu une différence. Bien entendu, pour ce qui est des Ukrainiens, nous n’avons pas du tout utilisé le programme destiné aux réfugiés. Nous avons délivré des visas spéciaux, ce qui est regrettable selon moi. Notre système pour les réfugiés est solide. Nous pouvons accéder au parrainage privé. Je ne sais pas pourquoi nous avons pris cette décision. Je présume que c’était rapide, mais cela a fait en sorte que les nouveaux arrivants ukrainiens ont en effet été traités différemment de tous les autres.
En ce qui concerne les Afghans, je sais, pour avoir moi-même tenté de convaincre le gouvernement du Canada de faciliter l’extraction de certains Afghans — surtout les juges afghanes, très vulnérables parce qu’elles ont attiré sur elles l’attention des talibans —, qu’il est aussi très difficile de les faire sortir de l’Afghanistan et de les faire venir au Canada depuis un pays intermédiaire.
Si j’ai bien compris, nous avons atteint notre cible de 40 000 personnes, et nous recevons encore des Afghans. Ce chiffre de 40 000 personnes n’est pas un plafond. Nous continuons d’accueillir des gens au Canada. J’ai beaucoup de respect pour les responsables d’IRCC. Je sais qu’ils font de leur mieux, mais des obstacles les empêchent d’intervenir rapidement et efficacement pour répondre aux besoins urgents de certains Afghans. J’aimerais vraiment que l’on puisse accélérer le traitement de leurs demandes. J’aimerais vraiment qu’ils puissent arriver ici plus rapidement.
La sénatrice Jaffer : Je sais que vous travaillez dur pour pouvoir faire venir les femmes juges ici. Je vous remercie, ainsi que M. Lloyd Axworthy, pour le travail que vous faites dans ce dossier. En réalité, les définitions utilisées dans la convention s’appliquent à la plupart des Afghans, mais pas aux Ukrainiens. Je ne veux pas que vous commentiez. Je voulais simplement le dire.
Madame Imseis, le HCR a fait un travail remarquable en Afrique. Comme vous le savez, nous sommes en pleine crise mondiale d’immigration illégale vers l’Europe à partir de la mer Méditerranéenne. Pourriez-vous nous dire ce que fait le HCR à cet égard et nous donner votre opinion sur ce que le Canada pourrait faire?
Mme Jamous Imseis : Au cours de mon affectation précédente, j’ai couvert les déplacements au centre de la Méditerranée, et l’Afrique du Nord, le déplacement des Africains des régions subsahariennes sur le continent jusqu’en Europe et ailleurs. Nous faisons un certain nombre de choses. Je pense à la Libye et à la Tunisie. Nous avons une forte présence sur le terrain là-bas. Comme vous pouvez l’imaginer, l’environnement opérationnel en Libye est très complexe. À certains moments, on peut fonctionner, alors qu’à d’autres, nous n’arrivons pas à obtenir de visas et de permis de résidence, donc nous devons constamment gérer notre présence dans le pays. Nous travaillons notamment dans les centres de détention. Vous avez peut-être entendu dire que les conditions dans ces centres de détention sont effroyables et que les gens sont victimes de choses horribles. Ils ont été victimes de la traite et d’esclavage, et le cauchemar continue lorsqu’ils sont en détention. Nous sommes là pour tenter de répondre à certains besoins immédiats et aussi pour déterminer qui sera, nous l’espérons, admissible à la réinstallation dans un autre pays, par exemple le Canada. C’est l’une des choses que nous faisons.
Une autre chose que nous faisons dans les pays de tout le continent, c’est expliquer aux gens à quoi ils doivent s’attendre au cours du voyage, s’ils décident d’entreprendre ce voyage, et les aviser de ne pas se laisser berner par les trafiquants et les passeurs sans scrupules au sujet de ce qu’ils trouveront à leur arrivée et des conditions en Europe. Nous savons que l’Europe tente aussi, en bloc, de gérer le problème et de trouver des façons de répartir les demandeurs d’asile sur tout le continent, mais aussi de trouver le moyen de renvoyer les gens qui ne sont pas reconnus comme étant de vrais réfugiés.
Je pourrais continuer, mais c’est une partie du travail que nous faisons dans un pays comme la Libye, qui est un lien de transit important dans certains de ces déplacements.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Rock, vous avez parlé de corruption, donc je n’en reparlerai pas, mais pensez-vous que, présentement, la corruption ou les changements climatiques sont visés dans la Convention des réfugiés de 1951 et son protocole?
M. Rock : Non. La Convention de 1951 est très précise dans sa définition des réfugiés. Les déplacés climatiques ne sont pas inclus, mais j’ai deux ou trois observations à ce sujet. Nous avons récemment fait une retraite et reçu comme conférencier invité, M. James Hathaway; je crois qu’il comparaîtra devant votre comité. C’est un Canadien qui enseigne maintenant aux États-Unis. C’est un fabuleux expert en droit international de l’immigration et des réfugiés. Il a souligné que la plupart des futurs déplacés climatiques ne deviendront pas, dans les faits, des réfugiés; ils seront déplacés dans leur propre pays. Nous nous étions demandé s’il convenait de lier un protocole spécial à la Convention de 1951 pour traiter des changements climatiques. M. Hathaway nous a conseillé de ne pas le faire. Il a dit que la convention était déjà assez fragile, compte tenu de la pression que lui imposent les despotes, les autocrates et les bandits du monde entier, et il nous a conseillé de ne pas lui en ajouter davantage en parlant de la renégocier; il conseillait plutôt de ne pas y toucher.
Rappelez-vous aussi que d’autres instruments peuvent aider les déplacés climatiques et qui deviennent effectivement des réfugiés. Par exemple, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a, au cours des dernières années, reconnu que les dispositions du pacte relatif aux droits civils et politiques et du pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels — deux pactes faisant partie de la Déclaration internationale des droits de l’homme — s’appliquaient aux gens qui quittent leur pays en raison de la sécheresse ou des inondations et qui ne peuvent plus gagner leur vie grâce à l’agriculture ou se nourrir et nourrir leur famille. Les dispositions de ces pactes peuvent fournir une protection.
De plus, les gens qui doivent quitter leur pays en raison du climat sont sans doute visés par les dispositions de la Convention relative au statut des apatrides. Cette convention de 1954 a été ratifiée par plus de 100 pays et protège tout autant que la Convention des réfugiés le faisait en 1951. Il pourrait être nécessaire de l’amender légèrement afin qu’elle s’applique aussi aux déplacés climatiques. M. Hathaway jugeait ce mécanisme beaucoup plus prometteur pour les déplacés climatiques.
La sénatrice Jaffer : Je suis moi-même une ancienne réfugiée et c’est un véritable honneur que vous soyez présents tous les deux. Merci de votre présence.
La présidente suppléante : Laissez-moi vous poser une question, à vous deux, puisque nous parlons maintenant de la convention. Elle a été élaborée et approuvée en 1951, dans le contexte de l’après-Deuxième Guerre mondiale. Un protocole y a été joint en 1967. Selon vous, aujourd’hui, en 2023, alors que plusieurs régions dans le monde s’effondrent, entraînant un nombre de déplacements forcés jamais vu auparavant, est-ce que l’objectif de la convention est toujours adéquat?
Mme Jamous Imseis : Je crois réellement que l’objectif de la convention est adéquat et aussi que nous avons à notre disposition tous les instruments nécessaires pour composer avec les déplacements mondiaux, ainsi qu’avec l’éventail des problèmes qui en découlent.
Selon moi, ce qui fait défaut, dans de nombreux cas, ce sont des systèmes d’asile qui ont la capacité de traiter ces volumes, de même que la solidarité internationale et le soutien aux pays qui accueillent des réfugiés. Comme je l’ai dit plus tôt, la grande majorité des réfugiés ne quittent jamais leur région. Ils veulent rentrer chez eux, donc ils restent à proximité. Nous devons soutenir les pays qui hébergent des réfugiés depuis des décennies. C’est une forme de solidarité internationale et cela contribue à l’atteinte des objectifs de la convention. Nous pouvons renforcer les systèmes d’asile d’autres façons afin que les gens puissent recevoir la protection dont ils ont besoin. La solidarité peut prendre plusieurs formes, comme l’établissement dans un pays tiers. Je crois que ce qui manque, dans de nombreux cas, c’est la capacité, les ressources ou, franchement, la volonté et la responsabilisation politiques, mais l’objectif de la convention en soi, est toujours adéquat. C’est mon opinion.
M. Rock : Quelle formidable réponse. Je suis d’accord avec tout ce que ma collègue a dit.
J’ajouterais deux ou trois choses, parce que le conseil a formulé des recommandations expressément sur l’aide à fournir aux pays d’accueil. Nous pensons maintenant aux pays voisins, qui accueillent des réfugiés. Quelque 75 % de ces pays se retrouvent dans la catégorie des pays à faible revenu, donc les pays qui sont le moins en mesure d’aider les réfugiés sont ceux qui en accueillent le plus. Nous pouvons aider.
Lorsque nous sommes allés en Jordanie, nous avons découvert que le nombre effarant de réfugiés dans ce pays — des réfugiés de la Syrie, de la Palestine et d’ailleurs — n’avaient pas le droit de travailler. C’était un véritable obstacle. Cela les isolait socialement et les privait de tout pouvoir économique. C’était un réel problème. L’Union européenne a fait une proposition que la Jordanie a acceptée. L’Union européenne a dit : « Nous supprimerons les droits de douane sur les biens fabriqués en Jordanie et exportés en Europe si ces biens sont fabriqués par des réfugiés. Si vous leur permettez de travailler, ce sera bon pour l’économie de la Jordanie parce que cela ouvrira d’autres voies d’exportation. » La Jordanie a donc décidé de délivrer 100 000 permis de travail. Les réfugiés ont pu travailler. Le fruit de leur labeur a été exporté en Europe à des tarifs préférentiels. Tous sont sortis gagnants de cette situation. Voilà un exemple où l’on partage la responsabilité. C’est un exemple de responsabilité commune, mais différenciée, et c’est un exemple des façons d’aider les pays d’accueil qui, dans les faits, ont la rude tâche d’accueillir des réfugiés.
Nous avons aussi recommandé que les institutions financières internationales envisagent d’offrir un traitement préférentiel aux pays d’accueil. Il y a en Ouganda 1,6 million de Sud-Soudanais; par conséquent, les modalités de remboursement de la dette nationale imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international à l’Ouganda devraient être revues dans le but de réduire le fardeau économique qui accable l’Ouganda et refléter sa contribution en tant que pays qui accueille des réfugiés sur son territoire.
Nous pouvons aider ces pays d’accueil tout en reconnaissant que, en réalité, les réfugiés se rendent dans des pays voisins parce qu’ils veulent rentrer chez eux, comme l’a dit ma collègue, et je souscris tout à fait à ce qu’elle a dit au sujet de la Convention sur les réfugiés. L’objectif est effectivement adéquat et nous devrions continuer de la protéger.
La présidente suppléante : Merci à vous deux. C’est une superbe introduction à notre étude. C’est très important de comprendre l’étendue des problèmes, mais aussi de voir les quelques bons côtés. En fin de compte, notre rapport ne visera pas seulement à comprendre les problèmes, mais aussi à proposer certaines solutions au Canada.
Chers collègues, nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins. J’aimerais souhaiter la bienvenue à l’honorable Lloyd Axworthy, président du Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations et ancien ministre des Affaires étrangères et d’Emploi et Immigration, qui est ici en personne, et à M. Bill Frelick, directeur, Division des droits des réfugiés et des migrants, Human Rights Watch, qui comparaît par vidéoconférence de New York.
Chaque témoin aura cinq minutes pour faire sa déclaration liminaire. Nous écouterons les témoins, puis les sénateurs et les sénatrices pourront poser leurs questions.
Lloyd Axworthy, c.p., président, Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci aux membres du Sénat. Je suis très heureux d’avoir l’occasion d’être ici avec vous aujourd’hui.
J’écoutais la fin de votre échange, et je trouve que cela rend ma vie beaucoup plus facile, puisque toutes les réponses ont été données et que je peux tout simplement dire que je suis d’accord.
J’aimerais commencer par attirer votre attention sur le Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations parce que, d’une certaine façon, c’est une institution quelque peu unique. C’est une institution internationale. Les membres de notre conseil sont vraiment dispersés un peu partout dans le monde, ce qui veut dire que nous pouvons avoir des discussions et des débats assez intéressants selon des points de vue différents. Nous avons publié une déclaration, la semaine dernière, sur ce qui se passe en Israël et à Gaza, et nous avons pu obtenir de l’information de membres qui sont actuellement eux-mêmes au Moyen-Orient et qui sont directement impliqués. Cela donne effectivement une bonne vue d’ensemble, plutôt qu’une perspective axée uniquement sur les nations occidentales ou la bulle dans laquelle nous vivons. C’est une façon de donner un exemple plus large.
Nous avons également pris un engagement très clair quant à l’importance de la participation des réfugiés eux-mêmes à la prise de décisions. De nombreuses personnes estimaient que, très souvent, les décisions qui ont une incidence sur les gens ne tiennent pas compte des personnes touchées. Je pense que c’est assurément le cas pour ce qui est des réfugiés. Il n’y a pas beaucoup de possibilités. L’une des premières initiatives que nous avons entreprises est le projet Girl, qui a permis à un grand nombre de femmes réfugiées se trouvant dans différentes situations dans le monde de s’exprimer grâce à la magie de la communication numérique. Cela a été particulièrement utile durant la COVID, parce que nous avons été en mesure d’obtenir la perspective des femmes qui étaient dans les camps ou les collectivités à Oman et dans d’autres régions. Je me souviens d’une déclaration qui m’a habité et qui me hante depuis. La femme a dit : « Autrefois, nous étions à l’arrière de la file d’attente. Nous ne sommes même plus dans la file d’attente. » Elle décrivait à quel point elles étaient laissées pour compte et se heurtaient à l’indifférence des gens. Bon nombre des grandes ONG et des groupes de la société civile ont dû se retirer en raison de la nature des protocoles en vertu desquels ils travaillaient. Les participants ont donc dû prendre eux-mêmes en charge les services de santé, d’exécution et d’administration. L’une des choses que nous avons essayé d’organiser a été une série de formations en droit et en mesures administratives. Elles n’ont pas bien fonctionné, parce que nous n’avons pas pu recevoir les fonds de la nature souhaitée. Le gouvernement a estimé qu’il s’agissait d’un pas de trop, mais cela a vraiment démontré qu’il y a beaucoup de capacité qui n’est pas explorée et qui est intacte. Ce que vous voudrez peut-être explorer, c’est savoir comment il est possible d’augmenter le nombre de délibérations et de discussions directes entre les personnes directement concernées.
Je pense que j’ai entendu M. Rock et la dame du HCR dire que les déplacements ne se limitent plus à quatre, cinq ou six points chauds. L’année dernière, les incendies ont provoqué le déplacement de quelques centaines de milliers de personnes au Canada. Vers quoi retournez-vous, une maison incendiée et une collectivité totalement rasée? Notre préparation et notre compréhension des déplacements et des remplacements exigent vraiment un ensemble de liens beaucoup plus solides. L’idée est qu’il s’agit d’une question internationale et d’une question nationale, alors que je pense que ces deux questions sont totalement liées et interdépendantes.
Je sais qu’il ne me reste que peut-être trois minutes, alors je vais vous donner trois points à prendre en considération.
Premièrement, je repense à l’époque où j’étais ministre de l’Immigration, dans les années 1980, et au gouvernement de M. Trudeau, père. Je pense vraiment que ce que j’ai vu évoluer est une entropie claire du système, un effondrement. Il y a un genre d’enjeu financier clair dont M. Rock a parlé. Pensez à l’ampleur des mesures que les Nations unies et d’autres organismes doivent prendre pour répondre aux demandes de déplacement, et cela dépend entièrement des contributions des donateurs. Je voulais attirer votre attention sur Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation. Il a souligné que, dans le cadre de la dernière campagne de financement pour les Rohingyas, ils ont obtenu 17 % du montant requis. Nous vivons à une époque où il y a beaucoup d’argent pour des choses que nous, les privilégiés, voulons avoir, mais pas lorsqu’il s’agit de cet enjeu. Lorsque j’étais ministre dans ce domaine, j’ai dû passer en revue ces soi-disant déclarations d’intention. Cela s’apparentait vraiment à une tentative de collecte de fonds pour le bal de fin d’année de votre fille, où vous essayez d’égaler tout le monde. Le niveau de financement que nous devons soutenir concerne les forces les plus importantes de changement, de déplacement et de tragédie dans le monde, et que faisons-nous? Nous le traitons comme s’il s’agissait d’un don de charité. C’est le premier point.
Le deuxième, c’est que l’on doit examiner sérieusement — vous êtes un comité des droits de la personne — l’incapacité réelle des personnes d’exercer leurs droits de la personne fondamentaux. Comme je l’ai également souligné, le droit d’asile remonte à l’époque de l’Athènes antique, lorsque les villes étaient tenues de fournir un sanctuaire en vertu de la loi. Maintenant, nous constatons que toutes sortes de gouvernements louvoient, esquivent et se dérobent pour trouver des moyens de ne pas devoir le faire. Même pour un pays comme le nôtre, qui est l’un des rares à avoir encore un certain niveau de compassion, le fait que nous ayons une entente avec un tiers est une façon d’écarter les demandeurs d’asile. Nous savons aussi que lorsque les demandeurs d’asile arrivent ici, ils peuvent souvent être placés dans des prisons provinciales. De plus, nous savons que, dans un certain nombre de circonstances, les efforts déployés par les gens pour fournir une aide juridique adéquate à l’aéroport en raison de l’entente sur les tiers pays surchargent totalement le système. Ainsi, qu’il s’agisse de...
La présidente suppléante : Je vais vous donner une minute de plus pour votre troisième point.
M. Axworthy : Mon troisième point porte essentiellement sur la question fondamentale de la nécessité de trouver un moyen de répondre autrement que simplement en fonction d’« aujourd’hui », de façon transactionnelle. Avec la vague de changements, de migrations et de chiffres, l’intégration des efforts n’est plus que l’ombre pâle de ce qu’elle devrait être. Il y a quelques années, j’ai rencontré David Suzuki, un écologiste bien connu. Nous avons parlé de la façon dont les personnes qui s’occupent de la migration et de la durabilité vivent en vase clos. J’ai dit que si les deux pouvaient s’unir, nous pourrions avoir une force puissante de changement, de réforme et de rajustement. Cela s’explique en partie, comme vous le savez, par le mode de fonctionnement du gouvernement. Nous avons un ministère de l’Environnement et un ministère de l’Immigration, et je suppose qu’ils se parlent autour de la machine à café à l’occasion des réunions du Cabinet, mais ils ne vont pas beaucoup plus loin.
Merci beaucoup.
Bill Frelick, directeur, Human Rights Watch : Je remercie le comité de m’avoir invité.
Bien que l’attention du monde soit tournée vers les événements qui se déroulent en Israël et en Palestine, et reconnaissant la nécessité d’une défense des droits de la personne robuste durant cette crise continue, je souhaite profiter de l’occasion pour lancer un avertissement : d’autres acteurs pourraient voir dans l’attention portée par le monde à Gaza et à Israël l’occasion de refouler des populations de réfugiés de longue date. Je voudrais souligner quatre endroits où le Canada devrait rester vigilant, même si, malheureusement, cette liste n’est pas exhaustive.
Premièrement, le Pakistan a annoncé le 3 octobre que tous les Afghans non enregistrés devaient quitter le Pakistan au plus tard le 1er novembre — c’est après-demain — et que tous ceux qui restaient risquaient d’être expulsés après cette date. Les vastes appels de représentants pakistanais en vue de l’expulsion de masse ont coïncidé avec une augmentation des cas de harcèlement, d’agression et de détention arbitraire. Au moins 2,2 millions d’Afghans vivent au Pakistan sans statut légal, et à cela s’ajoutent plus de 1,3 million de réfugiés afghans enregistrés. Même si bon nombre des Afghans non enregistrés ont fui après la prise de pouvoir par les talibans en août 2021, ils ne sont pas reconnus en tant que réfugiés simplement en raison du fait qu’ils n’ont pas été autorisés à s’enregistrer. Malgré le Programme de mesures spéciales en matière d’immigration du Canada et les programmes humanitaires spéciaux, qui visaient à réinstaller des dirigeantes afghanes, des défenseurs des droits de la personne, des personnes appartenant à des minorités religieuses ou ethniques persécutées, des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et intersexuées et des journalistes, de nombreux Afghans qui ont présenté une demande de réinstallation au Canada, y compris des femmes et des filles très vulnérables, demeurent en danger au Pakistan. Ces personnes sont maintenant exposées à un risque d’expulsion vers l’Afghanistan, où elles feraient face à de la persécution de la part des talibans.
Deuxièmement, en Turquie, à plusieurs reprises, le président turc Erdogan a exprimé son souhait de réinstaller plus de un million de réfugiés syriens dans une zone soi-disant sécuritaire contrôlée par les Turcs dans le Nord de la Syrie. Comme nous le démontrerons bientôt dans un rapport à paraître, cette région est loin d’être sécuritaire, et le renvoi dans ces parties et dans d’autres parties de la Syrie demeure dangereux pour les réfugiés qui ont fui le conflit là-bas. La Turquie accueille le plus grand nombre de réfugiés de tous les pays, mais elle expulse actuellement de grandes quantités d’Afghans et de Syriens et repousse violemment les demandeurs d’asile et les migrants à ses frontières avec la Syrie et l’Iran. Le soutien humanitaire et la réinstallation que procure le Canada sont essentiels au maintien d’un lieu d’asile en Turquie, au même titre que la défense des intérêts pour le maintien des droits en bonne et due forme des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile et la défense du principe de non-refoulement.
Troisièmement, le 14 septembre, la République dominicaine a fermé sa frontière avec Haïti dans le cadre d’un conflit concernant la construction d’un canal. De nombreuses indications montrent que le conflit va au-delà du détournement de l’eau. Avant la fermeture de la frontière, la République dominicaine avait construit un mur de 190 kilomètres à la frontière haïtienne, et les expulsions de Haïtiens ont bondi cette année, plus de 120 000 d’entre eux ayant été expulsés depuis le début de l’année. Le Canada a des liens et un engagement de longue date avec Haïti, et le Canada devrait continuer de travailler avec la Communauté des Caraïbes et d’autres instances pour réduire la violence communautaire, renforcer la règle de droit et soutenir le développement, la stabilisation et les besoins humanitaires. Le Canada devrait fournir du soutien aux réfugiés, aux demandeurs d’asile, aux migrants haïtiens en République dominicaine et militer contre les expulsions collectives de Haïtiens depuis la République dominicaine et d’autres pays de la région.
Enfin, au Liban, qui accueille le plus grand nombre de réfugiés par habitant de tous les pays du monde, les expulsions sommaires de Syriens ont augmenté cette année, ciblant des milliers de Syriens sans statut légal dans l’ensemble du Liban, sans tenir compte de leurs craintes de persécution s’ils sont renvoyés. Human Right Watch a publié plus tôt cette année un rapport sur ces arrestations arbitraires et les renvois sommaires ainsi que la détention, la torture et la conscription forcée documentées des rapatriés. Le Liban a interdit au HCR d’enregistrer des réfugiés syriens, ce qui fait en sorte que, à l’heure actuelle, seuls 17 % des réfugiés syriens détiennent la résidence légale.
Dans ces quatre cas — et il y a des signaux d’alarme à d’autres endroits également —, le Canada devrait s’assurer de quatre choses.
Premièrement, le Canada devrait fournir une aide humanitaire généreuse et opportune pour soutenir les réfugiés dans leur premier pays d’accueil en tant qu’élément essentiel pour préserver un lieu d’asile et maintenir ce soutien dans les situations prolongées.
Deuxièmement, le Canada devrait continuer d’agir comme chef de file mondial dans la réinstallation de réfugiés, y compris au moyen de partenariats privés et d’autres programmes novateurs qui mettent l’accent en priorité sur la réinstallation des réfugiés vulnérables.
Troisièmement, le Canada devrait jeter un regard holistique sur la situation des réfugiés, notamment en cherchant à s’attaquer aux causes profondes des déplacements forcés dans les pays d’origine.
Quatrièmement, et c’est très important, le Canada devrait faire correspondre l’aide humanitaire, le soutien au développement et la réinstallation offerts aux réfugiés dans les pays d’accueil à une surveillance étroite des expulsions collectives ou des programmes de rapatriement qui prétendent être volontaires, mais qui sont en fait imposés, et intervenir rigoureusement lorsque le principe de non-refoulement risque d’être violé.
Je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente suppléante : Merci beaucoup à nos deux témoins.
Mesdames et messieurs, nous allons passer aux questions. Je vais limiter les interventions des sénateurs à quatre minutes, parce que nous avons maintenant plus de sénateurs et que nous voulons accommoder tout le monde. Tout le monde a des questions importantes à poser.
Le sénateur Arnot : Monsieur Axworthy, vous avez mentionné que les Nations unies s’appuient essentiellement sur les dons de charité volontaires, ce qui constitue un défaut majeur. M. Rock a mentionné la même chose. Ma question est la suivante : compte tenu de l’influence du Canada aux Nations unies — et vous et M. Rock connaissez tous deux très bien le fonctionnement des Nations unies —, cela semble être une solution sensée et fondamentale au problème. Cela touche vraiment au cœur de la crédibilité des Nations unies. Quelle est la probabilité que le Canada ou les Nations unies réussissent à rendre ces dons obligatoires en tant que membre des Nations unies? Selon vous, que doit faire le Canada pour exercer des pressions stratégiques en ce sens? Je vous pose la question parce que cela pourrait être une recommandation importante du comité, puisqu’elle vient de personnes très crédibles et très au fait de la situation.
M. Axworthy : Sénateur Arnot, en réponse à la première partie de la question concernant les probabilités ou le pourcentage, je dirais que c’est environ 3 % ou 4 % dans les circonstances actuelles.
Le changement n’a pas eu lieu — il s’agit d’un effort continu, et même lorsque nous étions au Conseil de sécurité, nous avons essayé de manœuvrer en quelque sorte — parce qu’il y a simplement une résistance systémique fondamentale, surtout de la part de grands pays qui pensent qu’ils vont être pris avec le projet de loi. L’opposition vient donc d’autres grands pays riches qui n’aiment pas du tout contribuer. Il y a des membres du Conseil de sécurité dont les contributions sont inférieures à celles de Porto Rico. Ils ne donnent tout simplement pas. Je ne pense pas que nous ayons réussi à générer le leadership nécessaire au sommet pour diriger ces efforts. Cependant, je pense aussi que mon intuition, mon nez politique, me dit que nous voyons de plus en plus de formes d’efforts ascendants plus marqués pour que ces changements soient apportés.
Le Canada pourrait-il prendre l’initiative? Absolument, mais nous devons d’abord mettre de l’ordre dans nos affaires. Nous n’avons pas été particulièrement bien considérés par les Nations unies pour notre niveau d’aide au développement international. Nous l’avons réduit. Nous avons un engagement très ferme à l’égard de la politique étrangère féministe, et du bon travail a été fait, mais encore une fois, sa portée est très limitée. Ce que j’ai appris en politique, c’est que si vous voulez devenir un champion du changement, vous devez vous assurer que votre propre jardin est lui aussi très propre. À l’heure actuelle, nous avons, à mon avis, de sérieux problèmes de droits dans notre pays que nous devrions restaurer et réhabiliter si nous voulons essayer d’exercer ce leadership.
La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur Axworthy, d’être ici, et merci à vous, monsieur Frelick. Vous avez présenté des exposés intéressants, et j’ai beaucoup appris de vous.
Je connais votre travail, monsieur Axworthy, depuis le moment où vous étiez ministre. L’une des choses incroyables que vous avez commencées et dont vous avez été un promoteur a été la question des femmes, de la paix et de la sécurité ainsi que les résolutions des Nations unies. Il existe de nombreuses résolutions des Nations unies.
Je suis honorée de vous dire que je préside un groupe de 40 femmes de partout dans le monde et que nous travaillons toujours sur vos concepts. Nous pressons toujours les Nations unies d’élargir les résolutions et d’inclure un plus grand nombre de femmes. L’un des programmes que vous avez lancés, si ma mémoire est bonne, portait sur les femmes à risque, les veuves et les enfants dans les camps de réfugiés. De plus en plus à nos tables, nous parlons des femmes qui s’assoient à la table de la paix, mais aussi de la manière dont les femmes sont abandonnées dans des camps et à la maison parce qu’elles ne répondent pas aux conditions requises par la Convention relative au statut des réfugiés ou que notre pays n’est pas disposé à les accueillir. Comment pouvons-nous faire progresser ce dossier lorsque des veuves et des enfants sont abandonnés dans des camps de réfugiés?
M. Axworthy : Sénatrice Jaffer, vous signalez un élément très important. Beaucoup d’outils, de leviers et de mécanismes sont déjà en place pour que cela fonctionne, mais vous avez besoin des politiques pour les stimuler, et nous n’en recevons pas. Si je peux être critique, ce que je peux faire, parce que je suis maintenant un vieux grincheux... la réalité, c’est que nous avons fermé le centre de maintien de la paix le plus efficace du monde, qui avait un point de vue spécial et assez engagé quant à la participation des femmes aux questions de paix et de sécurité. Le gouvernement précédent l’a fermé, et nous ne l’avons jamais rétabli. Nous avons pratiquement abandonné le maintien de la paix.
J’ai écouté M. Frelick parler des choses qu’il aimerait que le Canada fasse. C’est bien. Nous aimerions tous voir cela, mais nous ne le faisons pas. En ce moment, notre ministère de la Défense n’a aucun intérêt en matière de maintien de la paix. Après l’époque de Rick Hillier en Afghanistan, nos forces armées, qui étaient probablement les meilleures et jouaient un rôle dans un secteur beaucoup plus large, ont disparu. Il s’agit de financer la recherche d’une nouvelle mission.
Ce à quoi je reviens toujours, parce que mes racines étaient celles d’un politicien de rue, c’est qu’il faut d’abord faire ses devoirs ici. Il faut s’assurer que l’on dispose des bonnes questions, des bonnes ressources et de la bonne infrastructure pour que cela fonctionne. Si l’on ne fait pas cela, il est assez difficile — pour revenir à ce que disait le sénateur Arnot — d’aller aux Nations unies et de dire : « Hé, relevez vos manches et faites ces choses », quand ils disent : « Vous ne vous occupez plus du maintien de la paix. » M. Frelick s’est fait questionner sur la présence du Canada en Haïti. Nous avons refusé de participer à la mission de maintien de la paix, même si les Américains et la Communauté des Caraïbes nous le demandaient. Nous avons simplement dit que nous ne faisions plus cela.
Vous siégez au comité. Vous pouvez commencer par soulever ces questions. Je dis simplement que nous devrons commencer à rendre des comptes. Pour être un chef de file, il faut s’assurer que les gens vous respectent parce que vous l’avez mérité. Vous ne pouvez tout simplement pas être un porte-voix.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue à nos témoins. C’est un moment important pour tenir cette conversation.
Monsieur Axworthy, en décembre 1999, je me suis assise dans votre bureau lorsque vous étiez ministre des Affaires étrangères, avec Sally Armstrong et d’autres femmes canadiennes très engagées, et nous avons dit que nous voulions que, au nom du Canada et des Nations unies, vous dénonciez le sort réservé aux femmes par les talibans. Vous l’avez fait. Vous avez été le premier du monde à déclarer publiquement qu’il s’agissait de voyous et à dire ce qu’ils faisaient aux femmes. Mais vous avez également dit que, pour ce que vous voulez que nous fassions, vous devez mobiliser les Canadiens. Nous sommes parties de cette réunion, et des organisations comme les Femmes canadiennes pour les femmes en Afghanistan, qui vient tout juste de témoigner devant notre comité des affaires étrangères, ont été mises sur pied et exercent toujours leurs activités.
Un changement s’est produit dans le contexte de notre pays. Ce n’est pas une question facile, mais je pense qu’elle est cruciale. Que pensez-vous du genre d’initiatives très précises, y compris du Sénat, qui pourraient être entreprises pour remédier à ce changement qui s’est accentué au cours des années 2000, qui a fait en sorte que nous avons délaissé la compassion collective.
M. Axworthy : Permettez-moi d’abord de dire que la réponse que vous, Sally Armstrong et d’autres ont donnée était de revenir avec le nom de 20 000 femmes pour exiger leur libération et travailler contre les atrocités commises par les talibans. J’ai déposé ce rapport auprès du Conseil de sécurité, et nous avons tenu une séance publique, ce qui me ramène encore une fois en arrière. Beaucoup de commentateurs dans cette ville ne cessent de dire : « Oh, peu importe que vous soyez aux Nations unies ou au Conseil de sécurité... » Et comment, que ça importe. Nous avons ainsi pu nous faire entendre. Nous avons pu mobiliser les opinions et trouver des solutions. Je crois que c’est la résolution 1352 qui a fait évoluer le maintien de la paix vers la protection des civils.
Je regarde maintenant ce qui se passe en ce qui concerne les atrocités commises contre les civils. Il y a toutes sortes de choses dans les livres qui pourraient être utilisées et qui ne le sont pas, parce que personne n’est prêt à dire que la protection des civils est une question majeure de sécurité humaine. C’est un vieux mot, et les gens rient de cela, mais je pense que le Sénat pourrait être un instrument très important pour revenir en arrière et examiner un peu l’histoire et effectuer un inventaire approprié des outils dont nous disposons. Vous pourriez utiliser votre capacité de réunion pour attirer beaucoup plus de Canadiens.
J’ai écouté le commentaire dans l’intervention précédente concernant le soutien du Canada à l’immigration et aux réfugiés. Il ne fait aucun doute qu’il diminue, parce que nous ne donnons plus assez la chance aux Canadiens de participer. Nous avons essentiellement mis le programme de parrainage sur pause. Nous ne l’utilisons pas, parce qu’il est trop coûteux, selon les comptables à la petite semaine de la ville. C’est une véritable tragédie.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. Ma question s’adresse à l’honorable Lloyd Axworthy.
Vous avez mentionné que les pays cherchent à éviter leurs responsabilités en ce qui concerne l’accueil des réfugiés et que cela était un échec du point de vue des personnes qui cherchent simplement à exercer leurs droits fondamentaux.
Vous avez également pris l’exemple de l’Entente des tiers pays sûrs conclue entre Ottawa et Washington en 2002, et qui a récemment été renouvelée. Il y a certaines personnes qui remettent en question le fait que les États-Unis sont un pays sûr, aujourd’hui, pour les réfugiés — et beaucoup d’organisations le pensent. Quelle est votre vision sur cette affirmation?
[Traduction]
M. Axworthy : Je pense que les données probantes sont très claires : aux États-Unis, le niveau d’acceptation des demandes de réfugié est minuscule. L’administration de M. Biden a conservé beaucoup des pratiques instaurées par l’administration Trump pour ce qui est de l’évaluation et de l’application de toute la question des liens familiaux. Mon Dieu, Joe Biden parle même d’ériger le mur à nouveau. C’est un problème continu.
Au Canada, nous avons un système de valeurs différent. Nous avons été formés à partir d’un ensemble différent de raisons historiques. Pour les Canadiens, l’immigration a toujours été, jusqu’à tout récemment, source d’un sentiment d’utilité et d’identité très fort. L’automne dernier, si je ne m’abuse, un sondage a révélé que 75 % des Canadiens étaient favorables à l’immigration active et aux demandes d’asile. Ce pourcentage se situe maintenant dans la quarantaine, car je crois que les gens ont été dépassés par les préoccupations touchant le logement et l’établissement. Ce sont des problèmes de politiques publiques.
Je pense que le programme de parrainage doit être rétabli. C’est une façon pour les Canadiens de faire partie de la solution. Il ne suffit pas de lire sur le sujet ou de ce qu’un ministre dit dans des émissions de discussion publique. En fait, comme M. Rock l’a dit, ils rencontrent des personnes en chair et en os et constatent que ce ne sont pas des voyous, des truands ou des trafiquants. Ce sont simplement des gens qui fuient des circonstances assez terribles.
Si j’avais une recommandation — je pense que je vais manquer de temps — à soumettre au comité, ce serait d’élaborer des voies spéciales fondées sur les droits de la personne. Je vais vous donner un exemple. Comme la présidente le sait, nous avons accueilli un important groupe de travail sur la migration dans les Amériques. Un membre de notre conseil, une ancienne ministre des Affaires étrangères du Salvador, a eu le courage et l’audace d’accompagner les convois, des personnes qui se déplaçaient depuis le triangle de l’Amérique centrale jusqu’à la frontière américaine. Elle a témoigné au Guatemala lors d’une consultation, et les mots les plus effrayants qu’elle a prononcés sont probablement les suivants : « Dans ce convoi, il y a un poste de péage tous les 110 ou 130 kilomètres, et le prix du péage est “donnez-moi votre fille”. » Le niveau de répression sexuelle était incroyable. Nous travaillons actuellement avec le gouvernement canadien pour trouver d’autres moyens de faire venir les femmes qui ont été violées et qui ont subi les atrocités commises. Ce sont des choses que nous pouvons faire, mais nous devons le vouloir et avons besoin de cette impulsion politique pour le faire.
La présidente suppléante : Monsieur Frelick, vous avez parlé du Pakistan, de la Turquie, de la RDC et du Liban, qui est en état d’effondrement. Pourriez-vous nous parler de la situation des enfants dans les quatre pays et de ce que vous observez sur le plan des droits de la personne? Fait-on quelque chose pour protéger les droits des enfants?
M. Frelick : Je faisais moi-même une recherche en Turquie, où j’examinais la situation des réfugiés afghans. J’ai été particulièrement frappé de constater que la plupart des réfugiés avec qui j’ai parlé, qui faisaient l’objet de mauvais traitements, étaient repoussés aux frontières et expulsés en Afghanistan étaient de jeunes adolescents non accompagnés, qui avaient l’air d’avoir entre 13 et 19 ans. Bon nombre d’entre eux ne connaissent pas leur propre date d’anniversaire. Il est difficile de dire qu’il y a cette ligne rouge, et que, tout d’un coup, vous passez de l’enfance à l’âge adulte, parce que, très souvent, les processus de détermination de l’âge étaient bien loin d’être exacts ou scientifiques, et ils ne donnent pas le bénéfice du doute à l’enfant, ce qui, bien sûr, est une norme en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant également. J’ai parlé à des gens qui ont dit : « Je leur ai dit que j’étais un enfant, et après, ils m’ont battu et m’ont forcé à dire que j’étais un adulte. » C’était cela, le processus de détermination de l’âge.
À l’aéroport d’Ankara, j’ai vu des centaines de jeunes hommes et de garçons embarqués dans des avions et renvoyés à Kaboul, où ils disparaissent. Nous ne savons pas ce qu’ils deviennent. Dans la plupart des cas, ils ne peuvent pas retourner dans leur village en raison de la structure des talibans, qui sont des hommes. Ce que nous avons vu avec les filles... que nous avons moins vu en Turquie parce que le voyage était extrêmement dangereux pour elles, pour traverser l’Iran et les frontières avec la Turquie. Souvent, elles sont maltraitées lorsqu’elles tentent d’entrer en Bulgarie et en Grèce, où nous avons également constaté des refoulements.
Au Pakistan en particulier, comme je l’ai dit dans mon témoignage, le gouvernement n’autorise tout simplement pas l’enregistrement des réfugiés. Il y a une date limite qui remonte à plusieurs années. En gros, tous ceux qui sont arrivés bien avant la prise de pouvoir par les talibans... mais depuis cette prise de pouvoir, ils n’ont pas de statut. C’est également le cas au Liban. Seuls 17 % des réfugiés ont le statut de réfugié. Bien entendu, cette situation est particulièrement difficile pour les enfants qui non seulement risquent d’être expulsés et arrêtés parce qu’ils sont considérés comme des immigrants illégaux, mais en plus, n’ont pas la possibilité d’aller à l’école ou de poursuivre leur développement de base. Comme certains des témoins précédents l’ont dit, je crois, malgré les très bonnes intentions du gouvernement canadien d’identifier les femmes et les filles au Pakistan comme ayant besoin d’être réinstallées, ce qui est certainement le cas, il y a d’énormes obstacles qui ont été érigés par le gouvernement du Pakistan dans le traitement des réfugiés, ce qui constitue un énorme obstacle.
Bien sûr, nous ne parlons même pas de la réinstallation à l’extérieur de l’Iran, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan. Il est extrêmement difficile pour les femmes et les filles afghanes de sortir du pays.
Je vais vous donner un exemple, et j’espère qu’il n’arrive pas trop tard, mais il est tellement convaincant. J’ai interviewé une femme de Herat dont le mari la maltraitait. Elle a fui en traversant l’Iran avec ses quatre jeunes enfants — l’aînée avait 10 ans —, a eu toutes sortes de difficultés pour entrer en Turquie, n’a pas été autorisée à s’enregistrer comme réfugiée en Turquie et a été exploitée en travaillant dans un atelier clandestin, où je l’ai interviewée. Elle habitait en face de l’atelier. J’ai eu la chance de parler à sa fille de 10 ans. Elle m’a dit qu’elle n’avait jamais quitté l’enceinte de la maison dans laquelle ils vivaient où ils étaient maltraités en Afghanistan. La mère n’était même pas autorisée à lui enseigner à la maison. Elle n’avait jamais quitté cette maison au cours des 10 années de sa vie jusqu’à ce qu’ils fuient le pays. C’est le sort réservé aux filles en Afghanistan. Cette jeune fille avait le même âge que ma petite-fille, et je la regarde et je constate qu’elle n’a aucun statut juridique en Turquie, aucun espoir de réinstallation au Canada ou dans tout autre pays et qu’elle a une grande peur d’être expulsée vers l’Afghanistan. Pendant ce temps, sa mère est exploitée dans un atelier clandestin. Elle ne va pas à l’école.
La présidente suppléante : Nous pourrions choisir de revenir sur le sujet des enfants et de l’exploitation.
La sénatrice Pate : Les deux témoins peuvent poursuivre sur le sujet. Je voulais revenir, monsieur Axworthy, sur votre commentaire au sujet de la nécessité d’examiner la question de l’exploitation sexuelle, et M. Frelick en a également parlé, mais il a aussi parlé des répercussions des atrocités commises contre les civils. Les plus visibles se déroulent actuellement.
J’ai mentionné plus tôt — je ne sais pas si vous étiez déjà dans la salle — que lorsque j’étais en Syrie cet été, j’ai été choquée par ce que j’ai vu et entendu et par ce qui se passait en ce qui concerne les risques et le ciblage des civils dans un contexte qui alimente également l’extrémisme sous toutes ses formes, y compris au sein des camps. Nous voyons des familles qui n’envoient pas leurs enfants à l’école, dont l’accès est limité, de peur que leurs filles ne soient violées et que leurs fils ne soient enlevés ou emmenés par les cellules de l’État islamique. J’ai été frappée de constater que nous détournons le regard ou que nous ne prêtons même pas attention à ce genre de situations. Au même moment, toute la situation se produisait à Gaza, et je recevais des messages de la part de Syriens sur le nombre de bombardements d’écoles, de logements sociaux, etc.
Je ne sais pas quelle est la voie à suivre. Pour me faire l’écho des commentaires de certains de mes collègues, quelles sont quelques-unes des recommandations que le comité pourrait faire et qui pourraient faciliter le processus? Il semble que la majorité du monde ne prête aucune attention à cet aspect, y compris notre propre pays.
M. Axworthy : Comme je l’ai dit, il y a déjà certains outils dans la trousse qui ne sont pas utilisés. Je remonte à l’époque où nous avions une unité spéciale au sein d’Affaires étrangères qui était chargée des droits de l’enfant, et elle s’appuyait sur le rapport de Graça Machel. Les enfants soldats étaient à l’époque une préoccupation majeure. Sénatrice McPhedran vous vous souviendrez que nous avons organisé à Winnipeg une réunion à laquelle ont participé près de 3 000 personnes du monde entier sur les droits des enfants. Nous avons pu rédiger un protocole que nous avons ensuite été en mesure de présenter au Conseil de sécurité avant d’obtenir une résolution de sa part. C’en était une partie. L’accent était mis sur les enfants soldats.
L’objectif est désormais très différent. Tout le monde ici a mentionné à quel point le déplacement expose les gens à d’énormes vulnérabilités. Je ne sais pas si nous pouvons ramener Allan Rock à la table, mais il a travaillé en très étroite collaboration avec un groupe par l’intermédiaire du Conseil mondial pour les réfugiés et la migration, ou WRMC, un groupe de sauvetage qui fait déjà venir des femmes et des filles de Jordanie et des camps situés en Grèce qui ont subi de la violence sexuelle. Il ne s’agit peut-être que de quelques centaines de personnes, mais c’est un début. Nous ne parlons pas d’essayer de faire la même chose dans les Amériques pour la même raison.
Ce n’est pas si compliqué. Je peux vous dire tout de suite que je travaille dans ma ville natale, Winnipeg, et il y a beaucoup d’intérêt de la part du maire et d’autres instances, qui disent qu’ils sont prêts à fournir ce parrainage. Le problème est que cela doit être déclaré comme une politique et doit faire l’objet d’un processus ouvert et clair afin que l’on n’essaie pas simplement de faire du lobbyisme et de négocier à chaque étape du processus. Il doit y avoir une politique définie.
Je n’ai pas vu le texte intégral, mais je pense que notre ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a fait un grand discours à ce sujet aujourd’hui. Voyons s’il y a une obligation envers les enfants, ce qui devrait être applaudi. Si ce n’est pas le cas, il convient de le signaler. Vous avez un comité sénatorial pour faire valoir ces arguments.
La sénatrice Jaffer : J’aimerais aborder un autre sujet sur lequel vous travaillez actuellement, monsieur Axworthy, à savoir la corruption. Vous travaillez avec M. Rock là-dessus. Je me demandais si, lorsque vous voyagez — vous voyagez beaucoup et vous avez connu du succès — vous avez parlé de l’inclusion des femmes, pas du fait que les femmes sont davantage touchées par la corruption, et de ce que vous pouvez faire. Avez-vous abordé la question des femmes et des enfants?
M. Axworthy : Personnellement, non. Nous pourrions probablement demander à M. Rock de répondre à une question complémentaire.
Nous associons notre travail sur la migration des réfugiés à la corruption, car la corruption est l’une des principales raisons pour lesquelles cela se produit. De plus, lorsque vous demandez aux pays de contribuer à leurs programmes de développement, le nombre de doigts collants qui finissent par prendre l’argent atteint des records. Au Liban, tout le système repose sur le principe selon lequel chacun reçoit sa quote-part.
Nous essayons de travailler sur un système. Il y a un mouvement en cours, dont nous faisons partie, qui vise à mettre en place un tribunal international anti-corruption qui aura une capacité similaire à celle de la Cour pénale internationale. Allan Rock a travaillé cet été au nom de notre conseil avec un groupe d’autres juristes pour rédiger une solution de rechange, ce à quoi la sénatrice Omidvar s’est engagée, en matière de reprise de possession, afin de trouver un tribunal fondé sur une action civile et non sur une action pénale, pour qu’il soit plus facile de demander des comptes aux gens, aux oligarques, à ceux qui ont essentiellement volé l’argent. Si vous passiez à l’offensive dans ce domaine, cela aurait un grand impact.
[Français]
La sénatrice Gerba : Selon les Nations unies, au cours de la dernière décennie, les événements climatiques extrêmes ont entraîné en moyenne 21,5 millions de déplacements chaque année. Cela représente plus du double des déplacements causés par les conflits et la violence. D’ici 2050, la Banque mondiale prévoit que nous atteindrons 216 millions de déplacés par an, à cause des changements climatiques.
Quelles seraient vos recommandations relativement au phénomène des déplacés climatiques? Comment pourrait-on l’anticiper et le gérer?
[Traduction]
M. Axworthy : C’est une question très complexe. Je vais répondre en termes assez directs.
J’aimerais que le Canada prenne l’initiative de fusionner ou d’interconnecter la migration et le climat afin que les gens ne puissent pas écarter le problème et qu’ils le considèrent comme faisant partie du même enjeu plutôt que de le diviser et de le fractionner. Je suis convaincu qu’un grand nombre de nos pratiques dans les institutions ne nous permettent pas de faire face à l’ampleur et à la dimension des enjeux auxquels nous sommes actuellement confrontés. Par conséquent, nous devons être un peu plus créatifs et imaginatifs dans la façon dont nous réagissons à ces choses. À l’heure actuelle, nous travaillons encore en quelque sorte en nous appuyant sur l’ère de l’intelligence artificielle. L’un des moyens d’y parvenir est de donner aux femmes et aux filles en particulier la possibilité de faire entendre leur voix directement sur ces questions. Le Canada doit devenir le vecteur qui leur donnera accès aux cercles décisionnels.
Le sénateur Arnot : Monsieur Frelick, j’aimerais vous remercier de votre travail d’enquête sur les violations des droits de la personne. Human Rights Watch est important. Il y a beaucoup à apprendre de votre travail.
Je me demande si vous voyez des exemples que le comité pourrait utiliser ou devrait considérer dans lesquels le village planétaire apporte réellement des changements constructifs. Qu’est-ce qui fonctionne selon vous? Deuxième élément de ma question, compte tenu de la portée de notre étude, si vous teniez la plume, quelles seraient les principales recommandations que le comité pourrait faire?
M. Frelick : Je vous remercie de poser la question à laquelle il est pratiquement impossible de répondre.
À Human Rights Watch, nous sommes en quelque sorte des empêcheurs de tourner en rond, des chiens de garde, si vous voulez. J’aurais du mal à vraiment vous parler des réussites. Elles portent toutes sur la résilience des réfugiés. Il s’agit de nombreux réfugiés qui s’entraident, de personnes remarquables et de ce qu’elles font, ainsi que des communautés locales, et parfois de la communauté internationale qui ne se met pas en travers de leur chemin et les laisse résoudre leurs problèmes. Je ne veux pas exagérer, mais cela revient à reconnaître, je pense, comme le disait M. Axworthy, qu’écouter les réfugiés eux-mêmes et suivre leur exemple à bien des égards est probablement la ligne de conduite la plus sage.
Pour en revenir à votre question plus générale, je profiterai de l’occasion pour répondre en quelque sorte à trois ou quatre questions des témoins précédents et à celle-ci également pour élaborer ma réponse. Concernant la question que nous venons d’entendre de la sénatrice précédente sur les changements climatiques et, je pense, de la présidente sur la pertinence de la Convention sur les réfugiés, même si j’ai une grande admiration et un grand respect pour M. Hathaway et l’ambassadeur Rock, je ne suis pas d’accord avec eux sur la question de savoir si la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 sont réellement adaptés à la situation que nous connaissons aujourd’hui.
Je pense que nous avons déjà vu dans les instruments régionaux, depuis la Déclaration de Carthagène sur les Amériques jusqu’à la Convention de l’Union africaine en Afrique, une définition élargie de réfugié qui reconnaît que, même si le critère de la crainte fondée de persécution est extrêmement important, il est étroit et limité. Dans ces régions, ils ont élargi la définition. Dans l’Union européenne, il existe une directive sur les conditions à remplir qui inclut les victimes de violence armée et les victimes de traitements inhumains et dégradants, ce qui ne figure pas non plus dans la Convention sur les réfugiés. Il faut passer à d’autres instruments. Il faut se référer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comme cela a été mentionné, et à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie. On y retrouve des éléments comme le sexe féminin qui est répertorié de la même manière que la race, la religion et les opinions politiques. Nous essayons de les faire entrer dans un groupe social. Ce qui se passe sur le terrain lorsque des femmes demandent l’asile, c’est que dans de nombreux pays, elles ne sont pas reconnues comme étant persécutées en raison de leur genre et elles ne sont pas reconnues comme membres d’un groupe social.
Il n’est pas nécessaire de récrire complètement la Convention sur les réfugiés et de la soumettre au vote. Cependant, le Canada lui-même peut examiner sa définition de réfugié et décider que, en plus de la définition énoncée dans la Convention de 1951, il pourrait vouloir élargir la définition de réfugié afin d’inclure, en tant que réfugiés, les femmes et les victimes de violence généralisée lorsqu’il existe un lien avec une menace réelle de préjudice grave, en s’appuyant sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques comme norme pour examiner l’intégralité physique et le droit à la vie. Comme cela a été mentionné dans le contexte des changements climatiques, lorsque le niveau de la mer monte et que les îles se retrouvent sous l’eau, ce phénomène constitue une menace directe pour la vie. Ces personnes devraient être reconnues comme réfugiés, car que vous mouriez aux mains d’un bourreau ou par noyade, votre vie est menacée d’une manière ou d’une autre.
Le Canada pourrait montrer la voie. Le Canada pourrait fournir un modèle de définition de réfugié qui aborderait de manière holistique et réelle les menaces auxquelles les réfugiés du monde entier sont confrontés aujourd’hui. Ainsi, il est également opportun de le faire, car plutôt que de passer tout ce temps à tenter de façon alambiquée de résoudre la quadrature du cercle, une définition plus large de réfugié signifie que vous pouvez reconnaître les cas méritoires beaucoup plus facilement, leur accorder l’asile, trouver les cas qui ne remplissent pas les conditions requises et renvoyer les personnes qui n’ont pas besoin de protection internationale. Le besoin de protection internationale lui-même, la norme, est complètement en décalage avec les réalités auxquelles nous sommes confrontés, et vous avez la possibilité de changer cela.
La présidente suppléante : Monsieur Frelick, si vous souhaitez prendre la plume et suggérer quelle serait la définition canadienne élargie du statut de réfugié, nous serions heureux de recevoir cette définition.
M. Frelick : Je serais ravi de le faire.
M. Axworthy : Comme certains d’entre vous le savent, nous sommes à l’origine de toute l’initiative de la responsabilité en matière de protection à l’ONU. Il faut comprendre que cette idée est venue en premier lieu de Francis Deng, qui était le Représentant spécial du Secrétaire général sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Il a dit que personne d’autre ne parlait en leur nom. La communauté internationale doit le faire. Nous avons essayé d’appliquer ce principe. Il a été un peu faussé, l’accent étant mis uniquement sur les questions de conflits violents. Je pense que M. Frelick a dit exactement la bonne chose. Vous pouvez être tué par un AK47 ou mourir de faim; de toute façon, vous êtes mort.
La présidente suppléante : Je tiens à souligner à M. Frelick et à d’autres que le Canada a déjà pris les devants dans d’autres situations contextuelles, comme nous l’avons fait lorsque nous avons annoncé que la mutilation génitale féminine était un motif d’octroi de l’asile. Nous devons nous rappeler cette fière histoire.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais revenir sur les points qui viennent d’être soulevés. Je voudrais attirer notre attention sur la question de la responsabilisation et, dans une certaine mesure, de la transparence.
Voici le scénario. Il y a deux ans, Kaboul tombait. Le Canada a fait des promesses claires et officielles au monde, particulièrement en ce qui concerne les femmes afghanes qui sont exposées à un risque. Bon nombre des indicateurs que vous, monsieur Frelick, nous-mêmes ou nos représentants canadiens ont mentionnés sont des indicateurs, des critères que nous allions respecter. J’ai participé directement aux cas de près de 200 athlètes féminines afghanes qui répondaient aux critères que nous avions promis au monde de respecter. Nous les avons fait sortir de Kaboul, et le gouvernement savait qu’elles allaient sortir. Aucune de ces femmes n’a été réinstallée au Canada. D’autres démocraties les ont toutes accueillies, sur une période de deux ans.
Voici ma question : comment pouvons-nous mettre en place des mécanismes de responsabilisation plus efficaces lorsqu’on tient ce genre de discours dans ce type de crise? Ce ne sera pas notre dernière crise.
M. Axworthy : La réponse est dans cette salle. Vous tenez le ministre responsable à cet égard, et sinon, vous le nommez et vous lui faites honte. J’ai siégé au conseil d’administration de Human Rights Watch pendant six ans lorsque Ken Roth en était le directeur, et il était passé maître dans l’art de dénoncer et de faire honte. Il a utilisé ce procédé comme une arme. Je pense que nous devons être plus agressifs dans notre façon de décrire ce que nous voyons et dans la manière dont nous le faisons. Il faut sortir de ce genre de mode centralisé où tout est homogénéisé. Je pense vraiment que le Parlement, dans ses deux chambres, n’est pas à la hauteur de sa pleine capacité à cet égard. Je parle en tant que personne qui est ici depuis bien des années.
La sénatrice McPhedran : Monsieur Frelick, y a-t-il des mesures de responsabilisation?
M. Frelick : Je n’en sais rien précisément en ce qui concerne les critères canadiens appliqués pour la réinstallation des réfugiés. Généralement, lorsque nous parlons de responsabilisation dans le contexte des droits de la personne, nous parlons de responsabilisation à l’égard des violations des droits de la personne. Comme nous venons de l’entendre, cela suppose dès le départ de dénoncer et de faire honte, mais cela suppose également de documenter afin que nous évitions l’impunité dont parlait la représentante du HCR et que nous tenions pour responsables les contrevenants et les fonctionnaires corrompus. Il s’agit d’une question de diligence raisonnable qui impose aux gouvernements et aux parlements de superviser le travail qu’ils accomplissent. Cela devrait faire partie intégrante de chacun de ces processus.
Malheureusement, lorsqu’il s’agit de réinstallation de réfugiés, s’il y a une corruption et une fraude endémiques, si les gens sont désespérés et s’il y a de l’argent à gagner, c’est là aussi que l’on trouvera cet argent, ce qui sapera l’intégrité de l’ensemble du système et portera préjudice à ceux qui sont véritablement vulnérables, qui ont besoin d’une protection internationale et qui ne l’obtiennent pas parce qu’ils sont stigmatisés et vilipendés, considérés comme de faux demandeurs d’asile, des imposteurs, des terroristes ou des voleurs d’emploi, tout ce que nous entendons contre les réfugiés.
Cela revient à reconnaître et à comprendre que les personnes auraient des revendications tout à fait légitimes, qu’elles auraient absolument besoin d’être protégées, et à garantir que les personnes les plus vulnérables soient identifiées et que la priorité leur soit accordée. Quelle que soit la langue qu’elles parlent ou qu’elles soient susceptibles ou non de trouver rapidement un emploi, ce sont des considérations, mais ce ne sont pas des considérations fondamentales lorsqu’il s’agit de réfugiés. Avant tout, il faudrait tenir compte des groupes qui courent le plus grand danger, et pas seulement dans leur pays d’origine, mais souvent aussi dans leurs pays d’accueil, donc les réfugiés LGBTI dans les camps, ainsi que les femmes et les enfants qui n’ont pas leurs mots à dire sur leur vie. Ce sont des personnes sur lesquelles les pays de réinstallation et les pays donateurs doivent concentrer leur attention, et je pense que cela fera vraiment une différence sur le terrain.
La présidente suppléante : Je vais profiter du privilège que j’ai de présider le comité pour vous poser une dernière question à tous les deux. Nous n’avons pas beaucoup parlé aujourd’hui du Pacte mondial sur les réfugiés. C’est un pacte; ce n’est pas une convention. Il a été salué comme un ensemble de pratiques prometteuses autour desquelles les États-nations pourraient s’unir. Avez-vous réellement vu une partie de cette promesse se réaliser? Permettez-moi d’abord de m’adresser à M. Frelick et de donner la possibilité à M. Lloyd Axworthy de faire les derniers commentaires à ce sujet.
M. Frelick : Nous ne considérons pas le Pacte mondial sur les réfugiés comme un instrument particulièrement utile, pour être honnête. Ironiquement, et un peu à notre grand étonnement, nous avons découvert que le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières était celui qui contenait une liste d’objectifs très clairs liés à ce que le pacte décrit comme le placement en rétention administrative des migrants, par exemple, et au fait d’abandonner la pratique de la détention aux fins de l’immigration, en commençant, bien sûr, par la détention d’enfants, qui est un sujet qui préoccupe grandement le comité. Nous avons constaté que les critères du pacte mondial sur la migration, du point de vue des droits de la personne, constituent un meilleur outil de mesure pour obliger les gouvernements à rendre des comptes. Cela reflète également le fait que nous sommes une organisation de défense des droits de la personne. Une organisation humanitaire s’occupant du partage équitable des responsabilités l’interpréterait différemment. Là encore, l’un des problèmes est que ce n’est pas contraignant, comme vous l’avez dit, donc quel que soit le partage des responsabilités, il s’agit pour ainsi dire d’une coalition de volontaires. Pour nous, ce ne sont que des mots sur papier, mais tant que les gouvernements n’interviennent pas, nous estimons que le Pacte mondial sur les réfugiés n’est pas particulièrement utile, pour être honnête.
M. Axworthy : Notre conseil découle directement des discussions de l’ONU. Nous avons reçu le mandat d’essayer de proposer des solutions plus pratiques, réalisables et sensées, car nous savons que les grandes déclarations internationales d’intention, d’objectif et de valeurs sont des catalyseurs très importants, mais n’ont parfois pas réellement le mordant nécessaire pour changer les choses. Nous l’avons utilisé comme aimant.
Je reconnais que cela n’a pas eu le genre de répercussions ou de conséquences escomptées. Je déteste faire cela ou donner une telle impression, mais nous en revenons au fait qu’aucun pays n’a eu de leadership politique à l’ONU pour en parler, demander des comptes, agiter la question devant le Secrétaire général et certains pays et dire : « Attendez un peu, voici les engagements que vous avez pris », et puis revenir en arrière, dénoncer et faire honte ou proposer des résolutions. C’est comme si vous achetiez un vieux tableau, le mettiez au mur et ne le regardiez plus jamais. Je pense que c’est là notre problème.
La politique a beaucoup à voir avec cette question. Nous parlons toujours de volonté politique. La volonté politique est une jolie expression pour camoufler le dur travail de mobilisation et d’organisation d’un effort politique en vue de faire avancer les choses. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous assistons à une régression plutôt qu’à une progression. Si vous souhaitez donner un petit coup de pouce aux relations publiques, il est peut-être temps de mettre en place un pacte mondial 2.0, et nous demandons à nos représentants à l’ONU d’y travailler. Si vous voulez briguer un siège au Conseil de sécurité, présentez-vous en faisant valoir quelque chose de pragmatique et clair plutôt que de simplement dire : nous voulons y être parce que nous sommes de chics types.
La présidente suppléante : Merci beaucoup aux deux témoins. La conversation a été fascinante. Nos premier et deuxième groupes de témoins nous ont assez bien préparés à progresser dans notre étude.
Bienvenue à nos trois témoins qui se joignent à nous en personne. C’est toujours agréable de voir les gens en personne. Nos invités sont M. Matthieu Kimmell, directeur, Politique humanitaire, d’Affaires mondiales Canada; Mme Michelle N. Mascoll, directrice générale, Direction générale des politiques de réinstallation; et Mme Mary Da Costa Lauzon, directrice, Direction de la politique migratoire, toutes deux d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Chacun des témoins sera invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Cela prendra 15 minutes de notre temps. Vous pouvez également choisir de ne pas le faire. C’est à vous de décider. Nous passerons ensuite aux questions.
Michelle N. Mascoll, directrice générale, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Je m’appelle Michelle Mascoll et je suis directrice générale des politiques de réinstallation à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Je suis accompagnée de ma collègue, Mary Da Costa Lauzon, directrice de la politique migratoire.
Je crois comprendre que le comité entreprend une étude sur les déplacements forcés. Nous nous joignons au comité pour reconnaître que les déplacements forcés constituent un enjeu mondial urgent alors que nous voyons les crises prolongées s’aggraver, de nouveaux conflits apparaître et de nouveaux défis émerger, notamment les changements climatiques et les catastrophes naturelles.
Le Canada est un chef de file mondial en matière de protection des réfugiés, avec un engagement soutenu envers la réinstallation des réfugiés, la coopération régionale et le partage des responsabilités. Aujourd’hui, avec mes collègues, j’aimerais vous faire part de la manière dont nous travaillons pour relever certains de ces défis.
En 2018, le Canada était fier de se joindre à la communauté internationale afin de soutenir le lancement du Pacte mondial sur les réfugiés pour aborder cette question importante. Le pacte est un cadre de partage des responsabilités et de coopération internationale avec quatre objectifs : alléger la pression sur les pays d’accueil, renforcer l’autonomie des réfugiés, élargir l’accès aux solutions dans des pays tiers et favoriser les conditions d’un retour dans les pays d’origine en sécurité et dans la dignité.
La réinstallation des réfugiés fait référence aux réfugiés qui quittent le pays qui leur a accordé l’asile temporaire pour aller vers un autre État comme le Canada. Les pays de réinstallation accordent le statut de résident permanent aux réfugiés et apportent ainsi une solution durable à leur sort. Des voies complémentaires émergent également, qui offrent aux réfugiés des solutions fondées sur des principes tels que la réunification des familles, l’éducation et la mobilité de la main-d’œuvre.
Je vous donnerai de l’information sur la manière dont le Canada réagit aux déplacements forcés lorsqu’une réponse en matière de réinstallation des réfugiés est justifiée, mais nous savons qu’en raison de ressources limitées et de réalités pratiques, les solutions pour la grande majorité des personnes déplacées de force n’incluront pas la réinstallation dans un pays tiers.
Mon collègue des Affaires mondiales, Matthieu Kimmel, pourra vous parler des investissements que le Canada réalise pour bâtir des communautés résilientes et répondre aux besoins humanitaires à l’étranger en soutien aux personnes déplacées de force.
Le Canada est à l’avant-garde mondiale en matière de réinstallation. En 2022 et 2023, le Canada a réinstallé le plus grand nombre de réfugiés au monde. L’objectif total de réinstallation du Canada pour 2023 est de plus de 51 000 personnes. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR, a souligné le leadership du Canada et le travail que le Canada accomplit avec d’autres partenaires essentiels à la réinstallation, à l’aide humanitaire et au développement. Nous savons également qu’il existe des domaines à améliorer et qu’il reste encore beaucoup à faire compte tenu de l’ampleur des déplacements forcés.
En parlant de déplacement forcé, j’aimerais également situer le contexte plus large du système d’immigration du Canada et clarifier certains termes importants qui nous aideront à explorer le sujet efficacement.
Le fait de disposer d’un système d’immigration géré selon une planification pluriannuelle permet au gouvernement fédéral, aux autres ordres de gouvernement, aux partenaires et aux intervenants d’être bien préparés à accueillir des immigrants et des réfugiés au Canada de façon permanente. Cela constitue le fondement de notre système d’immigration et a suscité un fort soutien de la part des Canadiens qui souhaitent voir les immigrants et les réfugiés s’installer dans leurs collectivités de manière durable.
Dans le cadre du système canadien d’immigration, le nombre de réfugiés que le Canada espère accueillir chaque année est défini dans le Plan pluriannuel des niveaux d’immigration. Le ministère déposera dans les prochains jours le Plan pluriannuel des niveaux d’immigration 2024-2026.
Au Canada, la réinstallation des réfugiés est facilitée par un certain nombre de programmes, principalement le Programme des réfugiés pris en charge par le gouvernement et le Programme de parrainage privé de réfugiés.
La définition de réfugié est énoncée dans la Convention sur les réfugiés de 1951, ainsi que dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le terme fait référence à la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays.
Contrairement au terme « réfugié », les termes « personne déplacée de force » ou « personne déplacée » ne sont pas des termes juridiques. Ils peuvent faire référence aux réfugiés, mais aussi aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ou à d’autres personnes déplacées à la suite de catastrophes naturelles ou d’autres types de situations d’urgence.
Présentement, le système de protection internationale des réfugiés est structuré pour répondre aux besoins de personnes visées par la définition de réfugié et travaille pour prioriser la réinstallation des personnes ayant le plus besoin de protection. Cela peut créer des défis au moment de répondre aux besoins de toutes ces personnes déplacées de force, puisque nos cadres, nos outils juridiques, nos structures opérationnelles et partenariats existants peuvent ne pas être disponibles. La réponse à ces types de situations est intrinsèquement complexe et peut se produire dans un contexte de crise, où le soutien est encore plus difficile.
Cela dit, IRCC a répondu à des situations variées touchant les personnes déplacées de force qui ne respectent pas la définition de réfugié ou qui sont autrement victimes d’une crise urgente. Notre ministère entreprend actuellement un examen stratégique de l’immigration qui vise, en partie, à améliorer nos mécanismes de réponse aux crises afin de rendre plus souples et plus durables les réponses de l’immigration aux crises humanitaires dans le cadre de la réponse plus vaste de la part du gouvernement du Canada.
Je suis impatiente d’entendre vos questions au sujet du système canadien de réinstallation des réfugiés et des déplacements forcés dans le monde.
Matthieu Kimmell, directeur, Politique humanitaire, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie, madame la présidente et sénatrices et sénateurs, de l’invitation à être ici aujourd’hui.
De nos jours, plus de 114 millions de personnes dans le monde ont été forcées de quitter leur domicile, 29 millions d’entre eux ont traversé une frontière, et 17,5 millions sont des enfants.
En raison de l’aggravation et de la prolongation des conflits, des catastrophes et des phénomènes météorologiques extrêmes, les besoins humanitaires ont atteint des records. Le conflit au Soudan plus tôt cette année a créé la crise de déplacement ayant connu la croissance la plus rapide au monde, dépassant celle de l’Ukraine. Rien qu’au mois d’octobre, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées en raison des tremblements de terre catastrophiques en Afghanistan et des conflits qui s’intensifient en Azerbaïdjan, au Myanmar, en Syrie, dans la République démocratique du Congo et maintenant à Gaza.
La crise climatique entraîne de nouveaux déplacements et exacerbe les besoins dans les États fragiles et touchés par des conflits. Cela peut avoir un impact sur des institutions surchargées et déjà faibles, ce qui crée un cercle vicieux de vulnérabilité.
Les gens se trouvent au cœur de tous ces déplacements. Ils fuient la violence et la persécution, les violations des droits de la personne, la discrimination et la xénophobie. Ils cherchent un environnement sécuritaire où ils peuvent trouver un refuge, de la nourriture, de l’éducation, la capacité de gagner leur vie et ultimement contribuer et redonner à leur communauté.
La réalité est que la majorité des réfugiés vivent dans des situations de longue durée dans des circonstances précaires dans un état de vulnérabilité accrue qui les exposent à un risque élevé de violations des droits de la personne. Leur liberté de circulation est restreinte. Ils sont exposés à un plus grand risque de violence, avec des recours judiciaires limités. Les femmes et les jeunes filles, en particulier, sont plus susceptibles de faire l’objet de violence sexuelle ou de violence fondée sur le genre. Les enfants sont davantage susceptibles d’être victimes de trafic, d’exploitation, d’enlèvement ou d’être recrutés et utilisés dans les conflits armés. Les jeunes filles sont exposées à des taux élevés de mariages d’enfants, de mariages précoces et de mariages forcés, ce qui les empêche de réaliser pleinement leur potentiel. Ensuite, il y a l’éducation. Presque la moitié des enfants réfugiés — 48 % — ne fréquentent pas l’école, et les filles rencontrent encore plus d’obstacles pour fréquenter l’école et finir par compléter leurs études.
Le fait d’être en déplacement ne prive pas les réfugiés de leurs droits. Au contraire, les droits et les protections figurant dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention de 1951 relative au statut de réfugié et la Convention relative aux droits de l’enfant demeurent plus pertinents que jamais.
De nombreuses nations attirant des réfugiés, mais pas toutes, sont signataires de ces conventions, et il s’agit d’un devoir fondamental des États de respecter les principes du régime international de protection des réfugiés et de les mettre en œuvre efficacement. Toutefois, ils ne peuvent le faire seuls. Les pays à revenus faibles ou modérés accueillent 71 % des réfugiés dans le monde. Bon nombre d’entre eux le font seuls tout en gérant la pression existante, et parfois, des crises humanitaires de grande envergure qui les touchent.
Conscient de la générosité constante des États et des communautés qui accueillent des réfugiés, le Canada s’est engagé à respecter l’esprit de partage des responsabilités qui est au cœur du Pacte mondial sur les réfugiés.
[Français]
Comme ma collègue d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada l’a si bien illustré, le Canada est un chef de file mondial en matière de réinstallation des réfugiés.
De plus, jusqu’à présent, en 2023, le Canada a alloué plus de 900 millions de dollars à l’aide humanitaire, à l’échelle mondiale. De ce montant, près de 80 millions de dollars sont allés au Haut-Commissariat pour les réfugiés pour soutenir les réfugiés, les déplacés internes et les communautés qui les accueillent.
Le Canada reste un ardent défenseur de la protection des enfants dans les zones fragiles et touchées par des conflits. En 2017, nous avons lancé les Principes de Vancouver sur le maintien de la paix et la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats.
Toutefois, cela ne suffit pas. Pour obtenir un succès durable, il faut trouver de nouvelles façons de travailler ensemble — entre les acteurs humanitaires du développement, du climat, de la consolidation de la paix et de l’immigration — afin de soutenir les réfugiés, tout en s’attaquant aux causes profondes des déplacements et en proposant des solutions durables et à grande échelle. Ce faisant, nous devons promouvoir une participation engagée des réfugiés eux-mêmes dans les discussions qui les concernent, et veiller à ce que nos décisions soient éclairées par leur voix et par celle des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
Dans des contextes comme celui de la Colombie, nos efforts de développement visent à soutenir l’intégration significative des réfugiés dans les systèmes nationaux. Dans des pays comme la Jordanie, le Liban et l’Équateur, nos investissements par l’intermédiaire du Mécanisme mondial de financement concessionnel de la Banque mondiale permettent aux pays à revenus faibles et moyens d’accéder à des financements concessionnels à moindre coût, en reconnaissance du bien public mondial qu’ils fournissent en accueillant des réfugiés.
Pour terminer, au cours de sa présidence du Sommet du G7 de Charlevoix, en 2018, le Canada a placé l’éducation des filles et des adolescentes en situation de conflit et de crise au premier rang des priorités internationales. Nous avons ainsi catalysé un engagement historique de plus de 4 milliards de dollars américains. Nous avons poursuivi ce leadership avec la campagne internationale Ensemble pour apprendre, afin de donner la priorité à l’éducation des réfugiés, des communautés d’accueil et des autres enfants et jeunes déplacés de force.
La campagne culminera lors du deuxième Forum mondial sur les réfugiés, en décembre, un moment unique pour démontrer la solidarité mondiale et travailler collectivement à la défense des droits des réfugiés et à la recherche de solutions durables à leur situation.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer ce soir. Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
La présidente suppléante : Merci beaucoup à tous nos témoins.
Madame Mascoll, dans le dernier groupe de témoins, nous avons entendu une recommandation selon laquelle le Canada a la capacité de redéfinir et d’élargir la définition des réfugiés, ou d’être plus souple à cet égard, dans ses propres affaires nationales. Le Canada a-t-il été adaptable et souple dans le passé? Avons-nous élargi la manière dont nous définissons un réfugié maintenant et à l’avenir? Pouvez-vous nous en parler?
Mme Mascoll : Je vous remercie, madame la présidente, de la question.
La définition de réfugié du Canada est cohérente avec la définition figurant dans la Convention de 1951. Toutefois, comme je l’ai fait remarquer, à divers moments nous avons eu à réagir à des situations humanitaires où la population ne correspondait pas exactement à cette définition. Par conséquent, nous continuons à évaluer les situations cas par cas et, le cas échéant, à soutenir les personnes qui sont déplacées de force lorsqu’une mesure d’immigration est justifiée.
La présidente suppléante : Avez-vous un exemple?
Mme Mascoll : L’une de nos priorités présentement est la réponse à la situation de l’Ukraine. Il ne s’agit pas d’une situation de réfugiés traditionnelle. Cependant, nous avons mis en œuvre des mesures de soutien.
L’une des choses que nous envisageons est un cadre stratégique de réponse aux crises, et cela permettra au ministère non seulement de renforcer la définition de réfugié, mais peut-être aussi d’envisager d’autres options qui permettraient au ministère de répondre aux crises de manière équitable et durable, notamment pour les personnes qui ne correspondent pas exactement à notre définition.
La présidente suppléante : Permettez-moi de poser ma prochaine question brève. Vous avez parlé d’une stratégie de réponse aux crises. Nous avons acquis beaucoup d’expérience dans les deux dernières décennies. Nous avons eu de l’expérience avec la crise des réfugiés au Kosovo en Serbie, et nous avons eu de l’expérience avec les réfugiés syriens, afghans et ukrainiens. Tout cela s’est-il concrétisé dans ce que j’appelle un mécanisme de réponse rapide de sorte que nous sommes prêts, disposés et aptes à utiliser les connaissances collectives de notre passé immédiat pour agir afin de protéger les réfugiés?
Mme Mascoll : Je vous remercie de la question, madame la présidente.
C’est exactement ce que nous envisageons de mettre en œuvre au moyen du cadre de réponse aux crises, et il s’agit de l’une des rétroactions que nous avons reçues à la suite de l’examen stratégique de l’immigration. En ce moment, nous travaillons sur ce cadre stratégique pour y intégrer toutes les leçons apprises afin que le gouvernement du Canada puisse avoir une réponse plus souple et durable à l’avenir de sorte qu’elle soit moins impromptue. Nous travaillons là-dessus en ce moment, et la politique est en train d’être élaborée.
La présidente suppléante : Chers collègues, pardonnez-moi de prendre une minute de plus sur cette question.
En fait, je ne vois pas de leçons apprises qui sont intégrées dans notre politique. Nous avions une politique formidable durant la crise des réfugiés syriens, où nous avons retiré l’exigence voulant que les personnes soient certifiées par l’ONU, et où elles pouvaient venir au Canada — ou aller à d’autres places également, j’imagine — en tant que réfugiés. Nous n’avons pas vraiment utilisé cette sagesse de manière efficace depuis. Pourquoi ne pas l’avoir fait?
Mme Mascoll : Je reconnais que notre réponse à chaque crise ou à chaque situation varie. Nous évaluons la situation, observons les particularités de la crise ou de l’urgence en question. Cependant, je pense que nous avons, grâce à l’examen stratégique de l’immigration, entendu exactement les commentaires à propos de ce que nous pourrions faire à l’avenir, et c’est exactement ce que nous explorons présentement comme élément du cadre stratégique de réponse aux crises : comment tirer profit des outils dont nous disposons de manière plus cohérente à l’avenir.
La présidente suppléante : En particulier en ce qui concerne les femmes et les filles.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à la fois à IRCC et Affaires mondiales. J’aimerais entendre votre réponse à la question, s’il vous plaît.
En 2018, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration à l’autre endroit a rédigé un rapport demandant au Canada de faire partie d’un pacte mondial chargé de répondre aux besoins des personnes déplacées et des réfugiés. L’année dernière, l’honorable Bob Rae, envoyé spécial pour les enjeux humanitaires et relatifs aux réfugiés nommé par le premier ministre Trudeau, a signalé que le Canada a assumé des rôles de leadership, notamment dans le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Le Canada dispose d’une série d’outils diplomatiques novateurs, notamment l’aide internationale, des programmes d’immigration et de réinstallation, des accords commerciaux et le soutien à l’égard des initiatives menées par les réfugiés. Il a également mentionné un nouveau modèle de réseau consultatif sur les réfugiés au Canada que soutiennent vos deux organisations. J’aimerais que vous décriviez les outils auxquels fait référence M. Rae et en quoi ils ont été efficaces pour gérer les préoccupations récentes. Pouvez-vous nous fournir certains exemples précis?
En outre, pouvez-vous parler davantage de l’évolution du modèle de réseau consultatif sur les réfugiés pour chacune de vos organisations? En quoi le travail de ce groupe traduit-il ou transforme-t-il la politique du Canada sur la scène internationale? Il s’agit d’un groupe consultatif, mais y a-t-il des conseils et des recommandations qui sont pris au sérieux et qui sont réellement transformés en une meilleure politique pour le Canada?
Mme Mascoll : Je vous remercie de la question.
Le Canada soutient effectivement le Pacte mondial sur les réfugiés, et à IRCC, nous défendons le troisième objectif concernant la réinstallation de réfugiés. Ces dernières années, nous avons créé des outils novateurs. Par exemple, nous avons récemment élargi notre programme des défenseurs des droits de la personne, ce qui constitue un volet au sein de notre programme de réfugiés pris en charge par le gouvernement. Grâce à ces outils, nous pouvons désormais réinstaller jusqu’à 500 défenseurs des droits de la personne par année en collaboration avec le HCR, ProtectDefenders et Front Line Defenders. Voilà simplement un exemple des innovations que le Canada a entreprises pour soutenir le Pacte mondial sur les réfugiés.
De plus, le Canada est membre d’un certain nombre de groupes de défense, par exemple, l’Initiative mondiale de parrainage des réfugiés et le groupe de travail mondial sur la mobilité de la main-d’œuvre formée de réfugiés, qui visent à améliorer et à soutenir les voies complémentaires qui s’ajoutent au programme de réinstallation du Canada.
Quant au réseau consultatif sur les réfugiés, je vais permettre à M. Kimmell d’approfondir le sujet, mais je vais tout de même souligner que Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada participe en fait à un certain nombre de tribunes internationales, et lors du Forum mondial sur les réfugiés de 2019, le Canada a été le tout premier pays à compter un délégué pour les réfugiés dans sa délégation. Nous avons poursuivi la tradition depuis. Les conseillers en matière de réfugiés font partie de notre délégation et nous aident à élaborer des déclarations nationales. Nous travaillons étroitement avec des groupes comme le Conseil canadien pour les réfugiés et d’autres, pour élaborer des politiques et des programmes et en discuter.
Je vais permettre à M. Kimmell de parler davantage de l’excellent travail accompli par Affaires mondiales Canada dans le cadre de ces travaux également.
M. Kimmell : Comme IRCC, du côté d’Affaires mondiales Canada, nous disposons d’une gamme d’outils pour faciliter notre soutien à l’égard du Pacte mondial sur les réfugiés. J’en ai parlé un peu dans mon intervention, mais essentiellement, d’abord et avant tout, nous avons effectivement de l’aide humanitaire, que nous déployons pour fournir une assistance vitale aux personnes dans le besoin lors de crises dans le monde, que ce soit des réfugiés, des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, soit les PDIP, ou d’autres personnes. Cependant, vu la nature des crises humanitaires et le fait que, dans la plupart des cas, elles supposent un élément de déplacement, la majeure partie de notre aide humanitaire profite aux réfugiés et aux communautés de PDIP. Par ailleurs, nous apportons une aide ciblée par l’intermédiaire d’organisations comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Voilà pour la partie relative à l’aide vitale.
Ensuite, bien entendu, il y a les investissements en matière de développement qui sont, de certaines manières, plus bilatéraux. Ces investissements à long terme tentent réellement de s’attaquer aux causes profondes des conflits et des déplacements, ainsi qu’à apporter de l’aide aux pays hôtes et aux communautés d’accueil pour qu’ils puissent gérer les pressions créées par ces énormes afflux de réfugiés, qui, comme nous l’avons entendu dire par les groupes de témoins précédents, arrivent dans des pays qui doivent déjà gérer leurs propres crises.
Nous disposons donc d’une série d’outils humanitaires et de développement, en plus du travail de défense des droits que notre réseau de missions dans le monde peut effectuer et effectue afin de faire progresser les droits de la personne, que ce soit de manière multilatérale grâce au Conseil des droits de l’homme ou aux Nations unies ou de manière bilatérale en collaboration avec les États qui accueillent les réfugiés ou les pays sources de réfugiés.
Au réseau consultatif sur les réfugiés, pour reprendre assurément les commentaires de Mme Mascoll, nous valorisons véritablement les contributions des réfugiés au Canada au moment de l’élaboration de la politique canadienne sur les réfugiés. Le réseau consultatif sur les réfugiés est un groupe composé de 12 réfugiés de partout au Canada. Ils ont vécu les expériences que vivent les réfugiés. Ils ont chacun des expériences très différentes. Nous les rencontrons régulièrement avant ces réunions mondiales pour élaborer la politique du Canada. Nous collaborons avec le réseau consultatif sur les réfugiés — nous l’avons déjà fait et nous le ferons encore — avant le Forum mondial sur les réfugiés en décembre. Ces personnes feront partie de la délégation, tout comme ils ont fait partie des délégations dans le passé. Ils constituent un élément ou un groupe par l’entremise duquel nous consultons les réfugiés. Le Conseil de l’éducation des réfugiés a également aidé à l’élaboration de la campagne Ensemble pour l’apprentissage. Bien sûr, nous encourageons tous nos partenaires humanitaires dans le monde à travailler en étroite collaboration avec les réfugiés dans les pays dans lesquels ils sont actifs et de faire en sorte que leurs opérations sont soutenues et étayées par les forces des réfugiés.
Le sénateur Arnot : J’ai juste une question complémentaire concernant le réseau. Il est composé de 12 personnes provenant de partout au Canada. Ces personnes ont sans doute des opinions différentes sur différents sujets, mais y a-t-il certains thèmes qui ressortent dans ce qu’elles disent? Y a-t-il de la cohérence? Y a‑t-il des dénominateurs communs? Si tel est le cas, pouvez‑vous nous donner un exemple de la manière dont Affaires mondiales Canada et IRCC ont bénéficié de ces conseils et peut-être effectué certains changements dans leur approche?
M. Kimmell : Je peux parler d’un élément en particulier qui est ressorti, en fait, lors de notre dernière réunion du comité exécutif. La question des droits de la communauté LGBT dans le monde est une question complexe. Au comité exécutif du HCR, nous avons vu cette question devenir encore plus importante. D’une certaine manière, elle a politisé les discussions au sein de ce qui devrait être un organe apolitique chargé d’examiner la gouvernance du HCR. Le réseau consultatif sur les réfugiés nous a transmis un message cohérent quant à la manière d’aborder cette question délicate dans un contexte comme le HCR. Le réseau a soutenu le Canada en lui donnant une voix forte, mais l’a également aidé à éviter les écueils en ce qui concerne la manière dont ces déclarations doivent être rédigées afin d’obtenir le meilleur résultat. Le réseau a fait nos déclarations pour nous et a participé non seulement aux grandes réunions officielles, mais aussi à bon nombre de nos rencontres bilatérales à Genève en ce qui concerne ces questions et nous a aidés sur le terrain, jour après jour, à peaufiner notre message.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue devant le comité. C’est un réel plaisir de vous voir en personne encore une fois pour certains d’entre nous et pour la première fois pour d’autres. Je connais chacun d’entre vous grâce à de longues listes de courriels et à des communications variées.
J’aimerais examiner avec vous, dans la mesure du possible, les leçons apprises de l’Afghanistan. Notre comité des Affaires étrangères vient de publier un rapport. Je suis sûre que vous avez peut-être perdu le compte du nombre de fois que vous avez été convoqués devant divers comités. Nous sommes conscients qu’il s’agit toujours d’un domaine d’intérêt et de préoccupation.
Ma question concerne la transition de facto qui a eu lieu après la chute de Kaboul et la mesure dans laquelle cela peut avoir été formalisé entre les ministères ou ne pas l’avoir été. Ici, je vais vous faire part de mon expérience, qui au plus fort de la crise visait à faire sortir les gens — dans mon cas, principalement des femmes — de l’Afghanistan, le principal responsable de l’accès était Affaires mondiales. Comprenez-moi bien, j’essaie d’être factuelle ici. Je ne tente pas de blâmer ou de critiquer; j’essaie juste d’être factuelle. Selon mon expérience, le portail est tombé en panne au moins trois fois. Chaque fois que cela s’est produit, tout ce que les gens, qui cherchaient désespérément à fuir, avaient mis dans le système a été perdu. Puis, à un moment donné, il y a eu une transition où IRCC est intervenu et a dit « nous allons diriger les choses » et, essentiellement, « ne parlez pas à Affaires mondiales ». J’ai assurément observé un changement dramatique à l’ambassade et au haut commissariat, où des efforts importants ont été déployés en vue de faciliter les choses et de trouver des solutions. Lorsque ce changement a eu lieu, la capacité de réponse diplomatique a diminué, et IRCC a réclamé ce rôle de dirigeant.
Dans le cadre de tous ces examens, y a-t-il eu le moindre changement de votre politique concernant la manière dont les ministères communiquent? Bien sûr, je ne mentionne pas la Défense, qui jouait un rôle de premier plan à ce moment-là, puisque nous n’avons personne du ministère de la Défense ici. Dans la mesure où vous le pouvez, selon vos exigences très pratiques et pragmatiques pour accomplir le travail, est-ce que quelque chose va s’améliorer? Est-ce que quelque chose va changer en ce qui concerne ce genre de transition?
Mme Mascoll : Je vous remercie de la question. Je laisserai Mme Mary Da Costa Lauzon répondre.
Mary Da Costa Lauzon, directrice, Direction de la politique migratoire, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Je vous remercie de la question.
Il est certain qu’en raison de la gravité des conditions sur le terrain, le Canada est effectivement resté souple face à un environnement sans cesse changeant, alors que le gouvernement travaillait à faire sortir le plus grand nombre de personnes possible.
Ce que je dirais, c’est que l’Afghanistan a été une occasion unique pour ce qui est de tirer des leçons. L’une des principales leçons apprises qui est ressortie à la fois des recommandations du Comité spécial sur l’Afghanistan ainsi que de notre collaboration ultérieure avec nos partenaires et les parties prenantes, c’est l’importance cruciale d’avoir de très solides structures de gouvernance tant internes qu’interministérielles en place afin de permettre au gouvernement de répondre rapidement et de manière proactive aux crises.
Pour approfondir les commentaires de Mme Mascoll plus tôt, au sein du ministère, en reconnaissant l’importance capitale de cette gouvernance, nous avons mis en place un secteur de planification et de réponses aux crises, qui a pour objectif de travailler en très étroite collaboration avec nos autres collègues fédéraux, ainsi que dans l’ensemble de notre ministère, pour être en mesure de nous aider à être réactif, proactif et à planifier et à nous préparer pour les crises, actuelles et émergentes.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais poser une question complémentaire à ce sujet. J’aimerais comprendre si le scénario qui s’est produit en Afghanistan, où les gens ont été dirigés vers AMC et ensuite redirigés vers IRCC, pourrait se produire de nouveau?
Mme Mascoll : Nous avons retenu un certain nombre de leçons de ce qui s’est passé ces dernières années. Alors que nous travaillons sur la politique de réponse aux crises, notre objectif est vraiment d’être en mesure d’avoir une réponse cohérente ainsi que des rôles et des responsabilités clairs. Le secteur des affaires internationales et des réponses aux crises du ministère dirigera cette politique et s’exprimera d’une seule voix. Voilà comment nous prévoyons de mettre en œuvre ces leçons apprises et de façon à peut-être faire preuve d’un peu plus de souplesse d’une manière plus durable à l’avenir.
La sénatrice McPhedran : Cela veut-il dire qu’IRCC commence à être l’agence principale et continue à jouer ce rôle tout au long d’une crise humanitaire?
Mme Mascoll : Chaque crise doit être évaluée au cas par cas. Je crois qu’une partie de notre cadre de réponse consiste à être capable de déterminer qui sera responsable et qui ne le sera pas. Nous travaillerons bien sûr en très étroite collaboration avec Affaires mondiales Canada, qui joue un rôle important sur le terrain également. Il s’agit simplement de réagir de façon cohérente afin que nous soyons capables de comprendre et de déterminer qui sera responsable de quoi et quand. Je ne saurais dire pour l’instant qu’IRCC dirigera tout parce que chaque crise est unique et la réponse en soi est également unique. Toutefois, nous disposerons d’un cadre qui nous permettra de les gérer un peu plus efficacement.
La présidente suppléante : J’aimerais dire que notre moment de gloire, si je peux l’appeler ainsi, s’est produit pendant la crise de réfugiés syriens. L’une des caractéristiques distinctives de notre gestion de la crise non seulement consistait à retirer l’exigence d’être certifié comme étant un réfugié du HCR, mais elle concernait également la manière dont nous gérions le système. Il y avait le comité du Cabinet qui était présidé par la ministre Philpott, alors ministre de la Santé. Le ministre de l’Immigration siégeait au comité, de même que le ministre des Affaires mondiales, le ministre responsable de la frontière canadienne et de la sécurité, et cetera. Le comité était géré à ce niveau avec les niveaux correspondants des dirigeants des services publics à la table. J’espère que ce à quoi la sénatrice McPhedran fait sans doute allusion est un manque de leadership, que ce soit au chapitre des services publics ou de la politique. Ce n’est pas une question. C’est simplement une observation. Je ne suis pas certaine que je suis autorisée à faire une observation à ce stade-ci, mais peut-être que je peux la formuler en une question pour vous.
M. Kimmell : Bien que je ne puisse pas parler de la manière dont les choses se sont produites lors de la crise syrienne ou de la réponse à la crise en Afghanistan, parce que je n’étais pas particulièrement actif dans l’un ou l’autre de ces événements, je peux parler de la coordination d’une crise internationale au niveau du secteur public, qui reste sous la responsabilité d’Affaires mondiales Canada, le ministère agissant en tant que premier point d’accès. Le Centre de surveillance et d’intervention d’urgence d’Affaires mondiales Canada est chargé de rassembler tous les ministères concernés au Canada pour réagir à une crise donnée. Bien que ce centre soit le résultat d’un mandat consulaire, il s’est élargi et a assumé des responsabilités supplémentaires dans la gestion de la façon dont le Canada répond aux crises de manière plus générale. Cela ne veut pas dire que AMC ou le CSIU en particulier gère tous les éléments d’une crise. Par exemple, dans le contexte de l’Afghanistan, où une grande partie de la crise tournait autour du leadership d’IRCC, AMC n’assumait pas de responsabilités relevant autrement d’IRCC, mais les deux ministères coordonnaient leurs efforts grâce à ce mécanisme afin de contribuer à une réponse canadienne plus générale à une crise internationale.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à tous nos témoins. La vérificatrice générale a récemment relevé des délais très préoccupants pour le traitement des demandes des réfugiés. On parle en moyenne de 26 mois pour le traitement de chaque demande et les pays concernés sont surtout des pays africains.
J’aimerais savoir qu’est-ce qui explique ce long délai, d’une part, et qu’est-ce qui est fait en ce moment pour y remédier.
[Traduction]
Mme Mascoll : Merci.
Nous reconnaissons le rapport de la vérificatrice générale et sommes conscients des délais liés au traitement des demandes d’asile, entre autres. Un certain nombre de facteurs peuvent contribuer aux longs délais de traitement. Dans certains cas, cela est dû aux difficultés que posent les permis de sortie de certains pays et aux difficultés à obtenir des données biométriques. Un certain nombre de facteurs en jeu peut mener à ce délai d’attente. Cependant, le ministère met en place des façons d’améliorer le processus. Nous envisageons d’instaurer un système automatisé de traitement des demandes de parrainage par le secteur privé et de certaines demandes de réfugiés parrainés par le gouvernement plutôt que de devoir passer par des demandes sur papier. Nous tentons de trouver des solutions efficaces de cette manière également.
En plus de reconnaître les délais liés à certains pays, le ministère s’est engagé à mettre en œuvre un programme pilote pour commencer à récolter des données ethnoculturelles de façon volontaire auprès des demandeurs en vue de mieux comprendre ce qui se passe et de procéder à une meilleure analyse harmonisée avec notre stratégie de lutte contre le racisme. Nous travaillons encore sur ce à quoi cela pourrait ressembler.
Il n’y a pas de calendrier pour l’instant, mais nous cherchons à obtenir des gains d’efficience dans nos processus et peut-être à les rationaliser, y compris par la présentation de demandes électroniques.
La sénatrice Gerba : Merci.
La présidente suppléante : Je tiens à faire remarquer de nouveau qu’il est très intéressant de constater que les réfugiés sont privés de beaucoup de choses lorsqu’ils quittent leur pays, mais qu’ils connaissent l’informatique et sont connectés à Internet. Comme l’a mentionné la sénatrice Gerba, je pense que les demandes en ligne pourraient être une vraie solution.
La sénatrice Gerba : Je sais que la solution en ligne est déjà utilisée pour certains pays. Pouvez-vous expliquer pourquoi ces demandes en ligne ne sont pas utilisées pour certains autres pays, comme les pays africains?
Mme Mascoll : Les demandes d’asile sont actuellement mises en ligne. Nous avons des demandes électroniques pour d’autres volets de l’immigration, mais nous envisageons d’intégrer les volets liés aux réfugiés de tous les pays dans ce portail en ligne également. Tout cela devrait se faire plus tard cette année, ou au début de l’année prochaine, et tout sera alors en ligne. Tout sera à la disposition des personnes qui pourront y accéder, et cela, je l’espère, facilitera la réception des demandes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Est-ce que vous avez essayé le nouveau format utilisé, comme dans le cas de l’Ukraine, de l’Entrée express? Est-ce que cela peut être utilisé pour d’autres pays, c’est-à-dire de ne pas passer par tout le processus normal qui requiert la biométrie et tout cela? Est-ce qu’on peut accélérer les procédures sans passer par la biométrie?
[Traduction]
Mme Mascoll : En ce moment, nous n’avons pas vraiment exploré davantage cette option. Nous procédons par étapes, la première étape étant les demandes en ligne. Nous continuerons à travailler avec nos partenaires pour trouver des manières d’améliorer la procédure de demande d’asile à l’avenir.
La présidente suppléante : Madame Mascoll, le programme de parrainage privé est un programme dont le Canada est à juste titre très fier, et je me réjouis que nous passions le mot et que l’initiative s’applique dans d’autres pays. Je suis la situation avec un grand intérêt, car j’ai parrainé près de 20 personnes moi-même. C’est sans doute la meilleure chose que j’aie jamais faite. Nous avons entendu dans la précédente séance que le gouvernement du Canada réduit ses engagements en matière de programmes de parrainage privés. J’aimerais vous demander de confirmer cela. Réduisons-nous les nombres? Si tel est le cas, pourquoi? Peut-être pourriez-vous nous en apprendre un peu plus.
Mme Mascoll : Je vous remercie de votre question.
Je pense que cela peut être dû à des mesures qui faisaient partie de la loi d’exécution du budget, en vertu de laquelle nous cherchions à obtenir l’autorisation pour le ministre d’avoir des instructions afin de limiter les demandes. Le nombre de réfugiés parrainés par le secteur privé d’une année à l’autre sont en fait établis dans notre plan des niveaux d’immigration. Il s’agit d’un processus très distinct qui nécessite des consultations avec les provinces, les territoires et les intervenants pour établir le nombre d’une année à l’autre. La raison est que nous recevons plus de demandes qu’il n’est possible d’en traiter au cours de l’année. Cela occasionne des délais plus longs pour les réfugiés à l’étranger, car le traitement des demandes prend plus de temps.
Nous souhaitons essentiellement reprendre ce que nous faisons pour les titulaires d’accord de parrainage qui sont déjà limités quant au nombre de demandes qu’ils peuvent soumettre chaque année, et appliquer ces règles aux groupes de cinq et aux parrains communautaires pour limiter le nombre de demandes qu’ils peuvent soumettre chaque année de sorte qu’il corresponde à ce qui est prévu dans le Plan des niveaux d’immigration. Il ne s’agit pas d’une réduction : c’est plutôt un moyen de gérer plus efficacement le nombre de demandes reçues, de manière à ce qu’il soit conforme à ce qui est prévu dans le Plan des niveaux d’immigration.
La présidente suppléante : Quel est le nombre actuel applicable au Programme de parrainage privé de réfugiés, le PPPR, pour cette année?
Mme Mascoll : En ce qui concerne le PPPR — le chiffre devrait me venir à l’esprit —, je crois que c’est environ 20 000, mais nous vous le confirmerons.
La présidente suppléante : S’agit-il d’une augmentation par rapport à l’année dernière?
Mme Mascoll : Les chiffres ont légèrement augmenté, mais ils restent relativement cohérents, vu que, par exemple, certains des chiffres de la réinstallation en général peuvent inclure nos engagements liés à l’Afghanistan. On peut penser que les chiffres sont en baisse, mais c’est simplement parce que l’engagement lié à l’Afghanistan touche à sa fin. Nous pourrons vous revenir sur les chiffres exacts du PPPR.
La présidente suppléante : Les chiffres seront rendus publics cette semaine, dans le courant de la semaine.
Mme Mascoll : Oui.
La présidente suppléante : Le comité pourrait vouloir les examiner attentivement.
La sénatrice McPhedran : Je reviendrais sur l’effondrement du système de demandes en ligne lors de la crise en Afghanistan. Pour reprendre le point soulevé par la sénatrice Gerba, qui a trait, en fait, à ce à quoi correspond une journée assez normale dans le cadre du travail d’IRCC... nous aurons d’autres crises humanitaires. Nous ne connaîtrons pas de journées normales. Nous avons assisté à une défaillance massive des systèmes, la technologie promise. Par conséquent, nous avons vu des personnes dont le cas n’a pas été traité de manière équitable et complète parce que nous avons perdu leurs informations. Au moment où nous avons dit : « D’accord, vous devez tout recommencer », ces personnes se cachaient et ne pouvaient pas accéder à leur ordinateur. Qu’est-ce qui a changé? Comment ce type de dépendance à l’égard de la technologie est-il abordé, non pas dans le cadre d’une journée ordinaire, mais dans celui d’une crise humanitaire?
Mme Mascoll : Merci de votre question.
Le ministère travaille actuellement à la modernisation de sa plateforme numérique, ce qui représente effectivement la prochaine génération au chapitre de la gestion de la plateforme numérique d’IRCC. Elle intégrera, bien sûr, les leçons tirées de problèmes précédents liés à notre plateforme actuelle. Tous ces enseignements sont en cours d’intégration. Cependant, pour ce qui est des détails spécifiques sur les systèmes, nous pouvons revenir par écrit avec des informations à ce sujet. Si vous me posez la question, nous pouvons revenir par écrit si nous disposons d’informations à ce sujet.
La sénatrice McPhedran : Je peux également poser cette question à M. Kimmell, s’il vous plaît, parce que c’est le système d’AMC qui est tombé en panne au moins trois fois, d’après mon expérience, au cours des jours difficiles qui ont suivi la chute de Kaboul.
M. Kimmell : Merci de votre question.
Malheureusement, je ne suis pas en mesure d’y répondre. Je ne dispose pas de suffisamment d’information sur la manière dont cette situation s’est déroulée.
La sénatrice McPhedran : Je demande donc, au nom du comité, si nous pouvons obtenir une réponse écrite de la part de quelqu’un qui sait ce qu’il en était.
M. Kimmell : Tout à fait.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.
La présidente suppléante : Monsieur Kimmell, le groupe de témoins précédent a déclaré avoir beaucoup de préoccupations concernant les enfants réfugiés et déplacés, leurs droits, les risques qu’ils soient exploités et les agressions qu’ils subissent. Vous avez vous-même dit que 17,5 millions de personnes déplacées sont des enfants, ce qui est un chiffre vraiment très élevé. Existe-t-il un service au sein d’Affaires mondiales Canada, un sous-ministre, un directeur ou une personne chargée de protéger les droits des enfants dans les situations de conflit à l’étranger?
M. Kimmell : Nous avons une division responsable des droits de la personne en général, mais les droits des enfants sont une responsabilité partagée entre plusieurs équipes, y compris, par exemple, l’équipe de l’éducation, qui a dirigé des efforts de notre campagne « Ensemble pour l’apprentissage » pour intégrer les enfants réfugiés dans les systèmes d’éducation. Je ne me souviens plus exactement du titre de l’équipe qui dirige les Principes de Vancouver visant à empêcher le recrutement d’enfants par des groupes armés dans le cadre de conflits armés. Il n’y a pas d’équipe qui se consacre uniquement aux enfants. Il y a une équipe chargée des droits de la personne, et la responsabilité des enfants incombe aux différentes équipes qui ont un rôle à jouer dans la promotion des droits des enfants dans les conflits.
La présidente suppléante : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’aimerais poser la même question, mais au sujet des femmes. On a parlé tout à l’heure de redéfinir le terme « réfugié », parce que les femmes en général ne sont pas considérées comme des réfugiées. Or, elles sont nombreuses dans les camps de réfugiés.
Est-ce qu’un traitement particulier est réservé aux femmes? Comment considérez-vous cette catégorie dans le traitement habituel de vos demandes?
M. Kimmell : Je vous remercie beaucoup pour la question. Comme vous le savez, le Canada a une politique d’aide internationale féministe. La réalité des filles et des femmes est centrale à l’échelle de notre engagement en matière d’aide internationale. C’est bien le cas au sein de notre aide humanitaire.
Le Canada ne livre pas d’aide humanitaire directement. On travaille au moyen d’un réseau de partenaires, qu’il s’agisse des Nations unies, de la Croix-Rouge internationale ou d’organisations non gouvernementales. Avec l’ensemble de nos partenaires, on travaille pour s’assurer que la réalité des femmes et des filles est centrale à la manière dont ils répondent, que leurs préoccupations uniques et particulières sont prises en considération dans l’élaboration et le développement de projets et de réponses humanitaires.
De plus, nous avons une équipe consacrée en particulier à l’expertise des genres, qui nous aide à nous assurer que notre programmation est éclairée et répond aux particularités des genres dans le contexte humanitaire.
La sénatrice Gerba : Merci. Madame Mascoll, voulez-vous ajouter quelque chose?
[Traduction]
Mme Mascoll : Merci de votre question.
En ce qui concerne IRCC, nous travaillons en étroite collaboration avec les représentants de l’agence des Nations unies pour les réfugiés, ou le HCR, pour réinstaller les personnes les plus vulnérables. Dans de nombreux cas, les plus vulnérables, à leur avis, peuvent être des femmes, des filles et des enfants. En ce qui nous concerne, nous continuons à nous appuyer sur notre partenaire, le HCR, et nous avons évidemment établi des priorités du gouvernement canadien que nous partageons avec lui et dont nous lui demandons de tenir compte dans le cadre de ses efforts de réinstallation. Nous misons sur nos partenaires pour les aiguiller, et s’ils déterminent que c’est la personne qui doit passer à l’avant-plan, nous avons confiance en leur évaluation à ce sujet. Ils prennent connaissance de nos priorités et en tiennent compte dans le cadre de leurs évaluations de la vulnérabilité.
La sénatrice Gerba : Merci.
La présidente suppléante : Madame Mascoll, vous pourriez peut-être en dire un peu plus sur la voie d’accès à la mobilité de la main-d’œuvre pour les réfugiés, une autre innovation canadienne qui me semble prometteuse. Vous pourriez peut-être nous en dire plus sur les progrès, les défis, les projets futurs, et cetera.
Mme Mascoll : Le projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique est l’un des volets du Canada qui soutiennent les voies d’accès complémentaires. Il s’agit de reconnaître que les réfugiés ne se résument pas à leur vulnérabilité et qu’ils possèdent des compétences qui peuvent être utiles au marché du travail canadien.
Dans le cadre du Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique, les réfugiés et les personnes déplacées viennent au Canada en tant qu’immigrants de la composante économique. Cela leur permet d’entrer par un tout autre volet et de disposer de débouchés différents. Dans de nombreux cas, un emploi les attend à leur arrivée. La récente expansion du programme permet aux réfugiés possédant certaines compétences de ne pas avoir nécessairement d’offre d’emploi, mais nous reconnaissons que leurs chances d’employabilité sont assez élevées pour qu’ils puissent être admis dans le cadre du projet pilote.
Nous continuons à travailler en étroite collaboration avec des partenaires tels que Talent Beyond Boundaries, le HCR et d’autres organisations pour recruter des employeurs qui peuvent participer au programme ainsi que pour recruter des réfugiés et des personnes déplacées qui sont admis dans le cadre de ce volet.
Par ailleurs, en ce qui concerne la mobilité des réfugiés, le Canada est membre de l’Alliance mondiale pour la mobilité des travailleurs réfugiés. Nous utilisons également cette tribune pour demander à d’autres États de créer des programmes similaires dans le but d’augmenter la réinstallation sûre par le biais de mobilité de la main-d’œuvre.
La présidente suppléante : Comme nous avons appliqué aux réfugiés le prisme de la mobilité de la main-d’œuvre et du marché du travail, appliquons-nous le prisme de l’éducation, en admettant les réfugiés en tant qu’étudiants étrangers s’ils ont reçu l’autorisation de l’université ou de l’établissement d’apprentissage désigné d’étudier au Canada? Je crois comprendre qu’il est extrêmement difficile pour eux de venir au Canada en tant qu’étudiant. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Mme Mascoll : Merci de cette question.
Dans le cadre du programme de parrainage privé des réfugiés, nous travaillons avec Entraide universitaire mondiale du Canada, EUMC, pour la réinstallation dans le cadre du programme de parrainage privé des réfugiés. C’est l’une des façons qui permettent aux étudiants réfugiés de venir au Canada.
Par l’entremise d’un certain nombre de comités, nous avons entendu des commentaires sur les difficultés rencontrées par les étudiants réfugiés pour venir au Canada, en toute franchise; il s’agit simplement d’inquiétudes concernant le grand nombre d’exigences auxquelles il faut satisfaire pour venir dans le cadre du programme des étudiants étrangers. Dans le cadre de l’engagement que nous avons pris lors du Forum mondial sur les réfugiés en décembre, nous étudions la possibilité de prendre un engagement concernant l’éducation des réfugiés. Nous n’en sommes qu’aux prémices, mais nous tenons compte de ces commentaires et nous cherchons à voir si nous pouvons élaborer des programmes qui peuvent soutenir cette voie d’accès complémentaire. Encore une fois, nous n’en sommes qu’au tout début et il y a beaucoup à faire pour s’assurer que cela se concrétise utilement.
La présidente suppléante : Merci. Nous avons très hâte.
La sénatrice McPhedran : Je voudrais poursuivre la conversation que vous venez d’avoir avec notre présidente et poser une question non pas sur les étudiants, mais sur les réfugiés et les personnes en situation de crise humanitaire qui ont des qualifications universitaires, et demander si votre plan prévoit une collaboration plus étroite et un soutien plus concret, par exemple, en finançant les programmes Scholars at Risk. J’aimerais qu’Affaires mondiales Canada réponde aussi à cette question. Il est certain qu’après la crise en Afghanistan, je peux parler des énormes difficultés rencontrées par les réfugiés qui arrivent et qui sont déjà très instruits pour obtenir du soutien dans les établissements d’enseignement supérieur du pays. Afin qu’ils réussissent, il est évident qu’il faudrait les placer dans notre système d’enseignement postsecondaire. Dans de nombreux cas, ce n’est pas ce qui arrive.
Mme Mascoll : Je vous remercie de votre question.
Notre volet complémentaire d’éducation est encore en cours d’élaboration, mais je pense qu’il s’agit d’une très bonne information qu’il faut garder à l’esprit lors de l’élaboration du programme. Nous n’en sommes encore qu’au stade de la politique et de la programmation et au tout début de la période d’amorçage. Nous tenons effectivement compte de cette rétroaction.
Je cède la parole à M. Kimmell pour qu’il nous parle de divers investissements du Canada en matière d’éducation.
La sénatrice McPhedran : Avant que vous ne preniez la parole, monsieur Kimmell, je tiens à ce qu’une chose soit inscrite au compte rendu, à savoir que nous aimerions recevoir une mise à jour aussi complète que possible une fois que vous aurez avancé dans ce dossier, et s’il vous plaît, ne nous dites pas que vous allez limiter le projet à des parrainages privés. Sachez que ce n’est pas une réponse acceptable.
Mme Mascoll : C’est noté. Merci.
M. Kimmell : Merci beaucoup de cette question.
Bien sûr, Affaires mondiales Canada a pour mandat de soutenir l’éducation des réfugiés et des autres personnes déplacées dans les collectivités d’accueil. C’est l’essence même de la campagne Ensemble pour l’apprentissage et des engagements pris par le gouvernement du Canada dans la Déclaration de Charlevoix.
Dans cette optique, oui, nos investissements ont consisté à soutenir des programmes d’éducation pour les réfugiés dans le contexte où ils se trouvent et à soutenir l’intégration des réfugiés dans les systèmes d’éducation nationaux, et cela a été réalisé grâce à la campagne Ensemble pour l’apprentissage.
Au début de cette année, nous avons lancé un appel de propositions pour l’éducation des réfugiés en Afrique. Nous avons lancé un appel de propositions pour que les partenaires canadiens élaborent des programmes visant à renforcer l’éducation et à mieux intégrer les réfugiés dans les systèmes d’éducation, en particulier dans le contexte africain. Cet appel s’inscrit dans le cadre de l’engagement de 40 millions de dollars pris en mars de cette année.
L’intention et, je pense, l’espoir de pouvoir établir un lien avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, est que ces programmes aident les réfugiés à conserver leur accès à l’éducation alors qu’ils se trouvent dans des situations précaires de déplacement et, par conséquent, qu’ils aient accès aux programmes d’IRCC, mais aussi, de manière beaucoup plus générale, aux moyens de subsistance et à d’autres débouchés.
La sénatrice Gerba : J’ai une brève question. Je voulais simplement savoir si vous aviez des données concernant les parrainages privés en provenance de l’Afrique.
Mme Mascoll : Merci de votre question.
Pour le programme de parrainage privé, nous pouvons effectivement fournir des données spécifiques. Nous savons que les populations clés ou principales sont, par exemple, les Érythréens et les Somaliens, et nous pouvons fournir des données spécifiques sur les pays d’origine.
Le sénateur Arnot : Madame Mascoll, vous alliez répondre à une question que j’ai posée tout à l’heure sur l’Iran. Pouvez-vous me répondre par écrit, s’il vous plaît? Merci.
La présidente suppléante : Chers témoins, vous avez été très généreux et patients avec nos questions et vous avez fourni, dans la mesure du possible, des réponses exhaustives. Vous avez pris un certain nombre d’engagements envers nous. Nous attendons ces réponses avec impatience.
Mesdames et messieurs, je dirais que la soirée a été longue, mais enrichissante.
(La séance est levée.)